LEÇONS ORALES *• DE CLINIQUE CHIRURGICALE FAITES A I’hOTEL-DIEU DE PARIS, Far ni- i.e Bakou DUPÜYTREN, CHIRURGIEN AI, UiEf, RECUEILLIES ET PUBLIEES PAR UNE SOCIe'tÉ DE MEDECINS. TOME TROISIÈME, A PARIS, CHEZ GERMER BAILLIÊRE, LIBRAIRE, rue de l’école de médecine, N° l 3 BIS j A LONDRES, CHEZ J.-B. BAILLIÊRE, LIRRAIRE DU COLLEGE ROYAL DES CHIRURGIENS DE LONDRES, 219, REGENT STREET; A BRUXELLES, CHEZ TIRCHER, LIBRAIRE ; A G>AND, CHEZ DUJARDIN , LIBRAIRE.—A LIÈGE, chez DESOER, LIBRAIRE. 1833. IMPRIMERIE D’IÎIPPOLYTE tilliard, HUE DE LA HARPE, H° 88. LEÇONS ORALES 6 DE CLINIQUE CHIRURGICALE, faites a i/hôtee-dieu de PARIS. M. le baron DUPUYTREN, Chirurgien en chef. ARTICLE PREMIER. DES KYSTES QUI SE DÉVELOPPENT DANS L’ÉPAISSEUR DES OS, ET DE LEURS DIFFÉRENTES ESPÈCES. Il y a déjà long-temps, dit M. Dupuytren, que j’ai démontré pour la première fois, que dans les parties osseuses, il se développe des tumeurs ordinairement jfibrO'celluleuses qui, en s’accroissant, soulèvent et amincissent de manière à le réduire en une lamelle , sem- blable à une plaque métallique qui se serait étendue sous les efforts du marteau. Si l’indi- 1 2 vidu vient à succomber et qu’on en fasse l’au- topsie, on trouve dans l’os une cavité qui con- tient fréquemment une matière fibro-cellu- îeuse , lorqu’elle n’est pas dégénérée. Ce tissu paraît de nouvelle formation; mais, chose re- marquable, Fos n’est ni gonflé, ni ramolli, il est seulement écarté et aminci : ce point est d’une haute importance, comme nous le ver- rons pins tard, en traitant du diagnostic. LEÇONS DE M. DüFUYTREN. Voici un premier fait qui va nous fournir des considérations précieuses et qui nous servira en même temps d’introduction pour vous faire connaître nos idées sur les kystes à parois osseuses. le.Ie. Observa-tiotn. Une jeune fille, âgée d’environ sept ans, bien conformée, d’une assez bonne constitution , vint à l’Hôtel - Dieu , au mois de juin 1862, pour y être traitée d’une tumeur qu’elle portait dans Fos maxil- laire supérieur. Cette jeune fille raconta qu’ayant reçu un coup à la joue , elle fut prise au bout de quelque temps de douleurs à l’en- droit blessé, qui furent suivies de tuméfac- tion ; lorsqu’elle se présenta à nous, le gon- flement avait la grosseur du poing. La narine du côte droit était obstruée et aplatie ;la DES KYSTES, ETC. 3 voûte palatine repoussée de côté et en liant; l’œil chassé en avant. Depuis un mois, cette jeune fille avait évidemment maigri. Au premier aspect, dit M. Dupuytren, on serait tenté de regarder cette maladie comme un ostéo-sarcôme. En effet, elle s’est déve- loppée aux dépens de l’os maxillaire supérieur qui paraît ramolli ; et l’on sait que le propre des affections cancéreuses est de gonfler et de ramollir les os. Cependant un symptôme que je vais indiquer a fait naître un doute dans mon esprit et ra’a fait croire qu’on pourrait tenter quelque chose pour la guérison de la malade. «J’ai remarqué qu’en pressant la partie anté- rieure et supérieure de la tumeur, j’enfonçais une petite lame, qui en cédant et en revenant alternativement sur elle-même, faisait entendre un bruit de froissement analogue à celui d’une feuille de parchemin; j’ai observé la même cré- pitation à la voûte palatine, et dès lors j’ai pensé que nous avions à faire à un kyste osseux. Cette jeune fille sera-t-elle assez heu- reuse pour n’avoir qu’un développement d’un corps fibreux dans l’os maxillaire supérieur? J ose l’espérer. S’il en est ainsi, il est de notre devoir d’attaquer cette maladie par 4 LEÇONS DE M. DUPÜYTREN. une incision interne qui divise la membrane muqueuse jusqu’à la tumeur et permette de saisir le corps étranger pince de Mus- seux. Il arrive quelquefois qu’il se fait une hémorrhagie, mais on l’arrête en tamponnant fortement la partie. Il ne serait pas étonnant, continue M. Dupuylren, que la tumeur fût changée de nature , car les corps fibro-cellu- ïeux sont susceptibles de dégénérer : le cas se- rait alors fort embarrassant. Nous examine- rons cette malade; mais je vous recommande de ne pas trop loucher le kyste, car on fait disparaître la crépitation en appuyant et en re- foulant trop souvent la lamelle. La crépitation n’est pas le seul signe qui doive nous engager à agir; il en est d’autres qui nous confirment dans cette manière de penser : ainsi les parties voisines ne sont pas dégénérées. Le déplacement des organes estdû au développement du kyste. H eût beaucoup mieux valu sans doute., que cette jeune fille nous eût été amenée il y a sept mois ; mais à cause de l’énorme développement de la tu- meur, nous ne devons pas perdre de temps. Si d’ailleurs la maladie était abandonnée à elle-même, elle dégnérerait en carcinome. 5 Le chirurgien qui a donné des soins à la ma- lade , a méconnu le genre de son affection, puisqu’il a appliqué de la potasse caustique, crojant sans doute avoir à faire à un abcès. DES KYSTES, ETC. Deux jours après, M. Dupuytren fait, au lit de la malade, une légère incision sur le trajet du mal ; le bistouri est ensuite plongé comme pour faire une ponction, et il en sort aussitôt un Ilot de sang noirâtre. Mais bien- tôt le sang s’arrête de lui-même ; l’opérateur porte le doigt dans la tumeur, et au lieu d’un corps il trouve une sub- stance molle qui se laisse facilement déchirer ; cette substance avait distendu peu à peu l’os, mais n’élait pas confondue avec lui. Le doigt promené dans divers endroits, lui fait recon- naître un kyste à parois osseuses, dures dans quelques parties, amincies dans d’autres. Le lendemain, la jeune malade est con- duite à l’amphithéâtre : une incision est pra- tiquée en dedans, sur la partie la plus déclive de la tumeur; il s’écoule environ deux onces de sang. M. Dupuytren détache avec le doigt une portion de la substance qui rem- plit le kyste. Pendant la journée, il ne sur- vient point d’hérnorrhagie. Pour prévenir 6 LEÇONS DE M. DUPTJI'TREN. l’infeclion le professeur recommande des injections de quinquina avec la seringue à jet continu , inventée par M. Gharriôre, et prescrit ensuite des gargarismes avec le miel rosat. Dix jours après l’opération, il y avait une amélioration sensible, les parois du kyste s’étaient affaissées, la tumeur avait beaucoup diminué de volume. Si la poche continue de revenir sur elle-même, dit le professeur ;si l’enfant n’avale point la matière de la suppu- ration, il y a lieu d’espérer la guérison. Les produits contenus dans ces kystes, ajoute M. Dopuytfen., varient beaucoup : ils sont o« solides ou liquides. Le plus ordinaire- ment s ils sont formés par une matière fîbro- celloleuse ; mais on y trouve aussi de îa séro- sité , tantôt seule, tantôt unie avec une ma- tière fibro-celluleuse, de la mucosité, de la matière adipocireuse, des hydatides, du pus mêlé avec de la sérosité, une substance ge- lât iniforme , des dents, etc. IIe Observation. Produits solides. Ün jeune homme qui se destinait à l’état ecclésias- tique, et qu’on n’avait pas voulu admettre au séminaire à cause d’une tumeur volumineuse DES KYSTES, ETC. 7 qui soulevait sa joue, se présenta il y a plu- sieurs années , à l’Hôtel-Dieu. M. Dupuytren examina avec soin cette tumeur; il s’assura que le siège était dans la branche horizon- tale droite de l’os maxillaire inférieur. En pressant sur les parois du kyste dont la forme était ovoïde, il sentit une légère crépitation , une sensation pareille à celle que l’on éprouve lorsque l’on froisse entre les doigts du papier, ou mieux encore, lorsqu’on presse sur un morceau de parchemin bien sec. L’absence de toute fongosité, de toute dou- leur l’état brillant de santé de ce jeune homme, son ardent de'sir d’être débar- rassé d’une maladie qui était un obstacle inr vincible à sa vocation, la conviction qu’il n’existait qu’un kyste à parois osseuses, toutes ces considérations réunies engagèrent M. Du- pujtren à attaquer nette tumeur. L’angle labial fut divisé largement de ce côté; une incision fut faite le long de la bran- che de la mâchoire et dans l’intérieur de la bouche; le kyste osseux ouvert, il jaillit un peu de sérosité rougeâtre gtl’on aperçut une masse fibro-celluleuse, que Ton parvint à ex- traire en partie avec des pinces et une airi- 8 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. giie, la suppuration s’empara du reste de la tumeur, et au moyen d’injections répétées, la guérison fut bientôt complète. Les bords du kyste osseux se rapprochèrent peu à peu, et le malade ne conserva qu’une légère dif- formité, un peu de saillie et une petite cica- trice. Nous avons dit plus haut qu’il pouvait exister des dents dans les kystes à parois os- seuses. Le fait que nous allons rapporter et que nous devons à la bienveillance de M. le docteur Loir ne laisse aucun doute à cet égard. Ce médecin a présenté à la clinique de M. Dupuylren, un kyste osseux développé ‘dans l’apophyse palatine de l’os maxillaire su- périeur gauche, dont les parois étaient for- mées par les deux lames compactes de celte apophyse ; la cause immédiate était évidem- ment une dent renversée. En effet, la dent canine gauche, au lieu de percer par sa cou- ronne le bord alvéolaire du maxillaire supé- rieur correspondant, s’était ouvert un passage à la paroi interne de cet os, et avait donné lieu à une cavité tr au moins de son volume dans le tissu diploïque de l’apophyse palatine, où elle s’était développée comme elle l’aurait DES KYSTES y ETC. 9 fait à l’extérieur : la racine de la dent était donc arc-boutée contre la paroi externe du bord alvéolaire. Produits liquides. Les kystes à parois osseu- ses peuvent contenir des produits liquides. Voici un exemple de cette seconde espèce de kystes. IIIe Observation.—Dans les derniers jours d’avril 1828, la sœur d’un médecin des envi- rons de Tours, jeune personne de vingt et quelques années, consulta M. Dupuytren pour une tumeur, grosse comme un œuf de poule, qu’elle portait dans la branche horizontale droite du maxillaire inférieur. Cette malade se croyait affectée ostéo-sarcôme. M. Du* puytren l’examina; et l’absence de tout symp- tôme tels que douleurs lancinantes, dégénération etc., jointe à la cré- pitation que l’on entendait distinctement en pressant sur les parois du kyste, le porta à mieux espérer de l’issue de celte affection et à rassurer la malade. Pleine de confiance dans les paroles de ce chirurgien célèbre, cette jeune personne réclama avec instance l’opé- ration. La tumeur faisait plus de saillie dans Tinté- 10 LEÇONS DE M. DÜPÜYTHEN. rieur de la bouche qu’à l’extérieur; elle re- poussait la langue. Sa formation paraissait avoir été déterminée par l’extraction incom- plète d’une dent cariée. Une incision fut faite en dedans de la bouche, sur les parois du kyste, et, à l’ouverture de ce dernier, il s’échappa une grande quantité de sérosité sanguinolente. Dans le fond du kyste, on aperçut une masse solide que l’on relira au moyen de la curette, et que l’on trouva parfaitement analogue à de l’adipocire. Cette masse était sans doute due, à la transformation graisseuse de quelques par- ties animales d'aliment, qui avaient pénétré dans le kyste par l’alvéole delà dent arrachée. Quelques injections, quelques cataplasmes sur la joue, une saignée et une diète de quelques jours suffirent à la guérison. Il n’est resté à cette malade aucune tumeur, aucune diffor- mité. Les causes qui favorisent le développe- ment des kystes osseux sont en général fort obscures. Quelquefois on les a vu se mani- fester sous Fiaflaence de violences extérieures. Un coup de poing a paru dans un cas avoir déterminé cette tumeur. L’extraction incom- plète d’une dent cariée a été, dans l’observa- DES KYSTES, ETC. 11 iion que nous venons de citer, le point de départ de la maladie. Les altérations de la racine des dents donnent lieu à des kystes séreux qui se développent le plus communé- ment dans les alvéoles des canines supérieu- res , et acquièrent quelquefois un très grand volume. Nous avons vu sur l’os maxillaire supérieur une cavité très considérable ouverte en avant et qu’on aurait prise pour le sinus maxillaire, avec lequel elle n’avait cependant aucune communication. Si Ton examine alors la dent malade, on trouve son extrémité al- térée, circonscrite par un bourrelet osseux , baignant dans un liquide renfermé dans un kyste fixé, d’une part, à ce bourrelet, de l’au- tre au fond de l’alvéole. Ce kyste suit ordi- nairement la dent lors de son extraction. Res- te-t-il dans l’alvéole, il occasione une suppu- ration qui persiste long-temps; il contient un liquide tantôt très épais, tantôt séreux; sa surlace interne est aussi lisse que celle des membranes séreuses. Dans d’autres cas, l’ori- gine de la maladie échappe entièrement aux recherches. ; Les premiers signes, dit le professeur, qui révèlent l’existence des kystes osseux, sont la 12 LEÇONS DE M. DUPÜYTIIEN. gêne et la douleur. La douleur, tantôt sourde, tantôt vive, est rarement accompagnée d’é- lancemens. Au bout d’un temps plus ou moins long, on voit se dessinerla tuméfaction, qui est quelquefois légère; elle peut ne pas dépasser la grosseur d’une balle, ou atteindre le volume du poing. Ce gonflement des os est du à l’écar- tement de leurs lames par le corps étranger; il en résulte que celles-ci devenues minces et peu résistantes, cèdent sous la pression du doigt en faisant éprouver la sensation d’un morceau de parchemin bien sec , d’une feuille de papier froissée , ou mieux encore une crépitation lé- gère que je regarde comme un symptôme pa- tbognomonique. Ce signe mérite beaucoup d’attention. Il est arrivé dans plusieurs cir- constances que des contacts trop multipliés l’ont fait disparaître en enfonçant la petite lame osseuse qui Je produisait. S’il y a quelque doute, on fait une ponction exploratrice : cette ponction et la crépitation sont deux symptômes qui ne laissent aucun doute sur l’existence des kystes de cette nature. Ces tumeurs, avons-nous dit, ont leur siège dans l’épaisseur des os. On les observe dans les extrémités des os longs, dans ie corps DES KYSTES, ETC. 13 des vertèbres, le plus souvent dans les os de la face. C’est ainsi, par exemple, qu’on les voit se développer dans la branche hori- zontale du maxillaire inférieur, dans la bran- che ascendante, dans les alvéoles de l’os maxil- laire supérieur dans le sinus et dans les fosses nasales ; leur forme est assez généralement ovoïde , quelquefois oblongue ; elles peuvent être aplaties. Leur volume n’a rien de cons- tant : il en est qui ont la grosseur d’une balle à fusil, tandis que d’autres offrent les dimen- sions d’un œuf de poule et quelquefois même celle du poing. Leurs parois sont formées aux dépens même des os, dans l’intérieur desquels, elles sont développées. Le diagnostic des kjstes osseux, dit M. Du- pujtren, exige beaucoup d’habitude et d’ex- mais la difficulté est en partie levée , lorsqu’on n’a point affaire à un ostéo- sarcôme. Il convient donc d’insister ici sur le diagnostic de ces sortes de et sur- tout d’établir les différences qui existent entre elles et les ostéo-sarcômes, avec lesquels un examen superficiel pourrait les faire confon- dre, et dont il est cependant si important de les distinguer. 14 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. L’ostéosarcome, continue M. Dupuytren , s’annonce dès le début, par des douleurs lan- cinantes, par une tuméfaction variqueuse, par l’altération simultanée des parties molles ou dures par leur dégénérescence fongoïde et par de nombreusesinégalités. Dans les kystes osseux, au contraire, les parties environnantes ne participent pas à la maladie ; leur surface est lisse, égale, et leur accroisse- ment tout-à-fait indolent. Les osléo-sarcômes se développent avec rapidité : l’accroissement de ces tumeurs est bien moins rapide ; les ostéo-sarcôraes sont intérieurement traversés par des esquilles, par des fragmens osseux ; ces fragmens ne se rencontrent jamais dans les tumeurs de l’autre nature. Quant à la crépitation, que l’on n’observe point telle que nous l’avons décrite, dans les ostéo-sarcômes, et qui est un symptôme pa- thognomonique des tumeurs en question, elle ressemble assez, ditM. Dupuytren,à celle que j’ai fait remarquer dans les tumeurs divisées en deux parties, dont l’une inférieure et l’autre supérieure au ligament carpien palmaire , avec cette différence, que dans ce dernier cas , la crépitation tient au choc qu’é- 15 prouvent l’un contre l’autre, en se dépla- çant, les tumeurs supérieure et inférieure, tu- meurs qui, pour le dire en passant, ne sont pas autre chose, selon nous, que des hydatides. A la crépitation, ilfautencore ajouter la ponction exploralivequi est un des plus précieux moyens de l’art. Nous avons donc ici trois ordres de si- gnes à l’aide desquels on peut distinguer les kystes osseux des ostéo-sarcornes. DES KYSTES, ETC. Voici maintenant les conséquences pratiques que j’ai déduites de cette distinction: i° l’ostéo- sarcôme et les kystes osseux différent essen- tiellement entre eux ; 20 l’osléo-sarcôme est la dégénérescence cancéreuse de l’os; le kyste osseux n’est que le développement de l’os, dû le plus souvent à la présence de corps fibreux semblables à ceux delà matrice; 3° lorsqu’il n’y a pas dégénérescence , on peut, par une inci- sion, parvenir à la tumeur, l’enlever, et l’on n’a plus rien à craindre de la récidive. Il n’en est plus ainsi, lorsqu’il s’agit d’un ostéo-sarcome : c’est en vain que l’on irait au centre du mal, que l’on extirperait même la tumeur, car on a affaire, dans ce cas, à une affection cancéreuse. La marche des kystes osseux est généra- lement lente : il en est cependant qui acquiè- LEÇONS DE M. DUPUÏTREN. rent un grand développement en quelques mois, tandis que d’autres restent stationnaires pendant plusieurs années. Au bout d’un temps plus ou moins long, ils passent àla dégéné- rescence cancéreuse, sur-tout ceux dont les produits sont fibro-celluleux. Les matériaux des kystes repullulent avec une extrême facilité; on les a vu se reproduire deux ou trois fois, jusqu’à ce qu’ils fussent entièrement détruits. IVe Observation. —Un jeune homme de quinze ans, se présente le 6 juillet i 852 , à la consultation de M. Dupuytren , pour une tu- meur qu’il portait à la partie antérieure du rebord alvéolaire de l’os maxillaire supérieur. En l’examinant avec le doigt, M. Dupuytren reconnaît une crépitation sensible. Sur ce si- %gne, il annonce que la tumeur est formée par un kyste à parois osseuses. Une ponction ex- ploratrice emmène au dehors un flot de liquide. Il fait ensuite une large incision dont il est fa- c le de comprendre la raison. Ce jeune homme avait déjà été récemment opéré. Suivant son père, il était sorti beaucoup d’eau de sa plaie, et cependant la maladie s’était reproduite. Pourquoi? Parce que la partie qui avait donné DES K.YSTÈS , ETC. lieu à la sécrétion avait été conservée, et qu'un nouveau produit avait été en conséquence sé- crété : que fallait-il faire pour empêcher une nouvelle reproduction ? Détruire le kjste , en y excitant une inflammation et par suite une suppuration. C’est, en effet, ce qui aurait été pratiqué au moyen de mèches de charpie et d’injections si ce jeune homme ne s’en était point allé immédiatement après l’opération. Ye Observation. En iBi3 , un jeune homme du môme âge que le précédent, vint à l’liôtel-Dien pour une tumeur qu’il portait à l’os maxillaire inférieur. Cette tumeur occu- pait tout le côté droit du corps de cet os , et paraissait s’étendre jusque dans l’épaisseur de la branche du même côté. Elle était du volume d’un œuf de dinde ; dépassait la base de la mâchoire, avait déjeté fortement les dents en dedans el lésait de continuels progrès. On crut d’ahord que c’était une exosîose ; mais en la palpant avec soin , on reconnaît qu’elle cède à la pression dans plusieurs points. M. Dupuy- tren se décide à l’emporter. Le petit malade plein de force et de courage sollicite instam- ment l’opération. On attaque la tumeur pat LEÇONS DE M. DUPUYTHEN. l’ouverture de la bouche; la muqueuse esj incisée au niveau de la base de la tumeur ; cette base elle-même est entamée avec la gouge et le maillet : une lame osseuse assez mince est divisée ; on reconnaît bientôt qu’elle forme une véritable coque qui enveloppe une tumeur d’une autre nature. Cette coque enlevée , M- Dupujtren aperçoit une subs- tance fibreuse; il en coupe une grande partie et fait reconduire à son lit le malade trop fatigué pour supporter une opération plus longue. Les débris de la tumeur végètent très rapidement et ne tardent pas à avoir le volume qu’elle présentait auparavant. M. Dupujtren enlève une seconde fois tout ce qui est apparent , et applique plusieurs fois le fer rouge pour détruire jusqu’aux plus petites racines. Mais bientôt il se fait une nouvelle repullulalion. Le professeur se dé- cide à une troisième opération , et cette fois> pour mettre à découvert la totalité de la base de la tumeur, il incise la lèvre inférieure de- puis son bord libre jusqu’à l’os hyoïde; il ren- verse le lambeau sur le côté, arrache avec une tenette une masse fibreuse, arrondie, lo- buleuse, libre, qui remplissait une énorme caverne formée dans l’épaisseur de la branche de l’os maxillaire, et cautérise ensuite toutes les portions d’os d’où naissait la tumeur. DES KYSTES , ETC. Le malade fut radicalement guéri ; les corps fibreux enlevés dans les trois opéra- tions avaient absolument le même aspect que ceux qu’on trouve dans l’épaisseur de la ma- trice. Le pronostic des kystes osseux, dit M. Du- puytren, ne présente point de gravité; tous guérissent par l’opération. Ils peuvent repul- luler avons nous dit, lorsque les matériaux de la sécrétion n’ont point été enlevés en entier; il suffit donc d’être informé de cette tendance à la récidive pour la prévenir et la combattre. J 1 n’en est plus ainsi, lorsque la substance fibreuse a subi la dégénérescence cancéreuse, et que les parties environnantes participent à cette alté- ration ; la terminaison est alors fatale. On pourrait, dans quelques cas, redouter une bémorrbagie : la ponction exploratrice fournit les moyens d’éviter cet accident, et d’y remé- dier lorsqu’il a lieu. Si la tumeur a déterminé une difformité considérable l’opération la plus habilement pratiquée, n’empêchera pas qu’il reste des traces du mal ; mais ce léger 20 LEÇONS DE M. DU I*l3 YTJIEN. inconvénient ne saurait être mis en balance avec les suites de la maladie abandonnée à elle* même. La nature des kystes osseux étant recon- nue, le meilleur moyen de les guérir consiste dans la destruction du mal. Voici comment alors il faut agir : On fait, dans le plus grand nombre des cas, une ponction exploratrice pour s’assurer de l’espèce des produits conte- nus dans le kyste; puis l’on pratique une in- cision sur le trajet de la tumeur; il convient de faire celle incision à la face interne de la bouche pour les kystes osseux de la face. Parvenu au centre du mal, on doit l’extirper, sur-tout lorsqu’il a donné lieu à des produits solides; dans ce cas, on s’esl quelquefois bien trouvé du cautère actuel. C’est ainsi, par exemple, que dans la cinquième observa- tion, le jeune homme ne fut guéri que par deux applications de fer rouge. Les effets du mal. enlevés, on doit s’occuper de la cause; car les produits tendent presque toujours à repulluler. Dans ce but, on introduit des mè- ches de charpie dans la plaie ; on y fait des injections é ollientes ou irritantes, selon les circonstances. Ces moyens déterminent près- DES KYSTES, ETC. que constamment une inflammation des parois ■du kyste, et par suite la destruction de la membrane qui les tapisse; les parois reviennent alors sur elles-mêmes, et la guérison est com- plète au bout d’un temps plus ou moins long’. Dans quelques cas on est obligé de pratiquer une contre-ouverture et de placer un se'lon entre les deux plaies. VIe Observation. -—Un homme portait, vers l’angle de la mâchoire inférieure à gau- che, une tumeur que l’on reconnut pour un kyste à parois osseuses. Pour s’assurer de ce qu’il contenait, une ponction exploratrice fut laite dans l’intérieur de la bouche sur les pa- rois du kyste , et il sortit une matière liquide. M. Dupuytren agrandit l’ouvertureet comme on ne pouvait espérer que celle ouverture qui donnerait entrée à la salive, aux alimens, etc., suffit pour la guérison, une contre-ouver- ture fut pratiquée en bas et à l’extérieur. Les doigts purent alors pénétrer dans l’intérieur, et on distingua une matière à demi-liquide; un séton fut placé à travers les deux plaies, et un mois après l’opération, la tumeur était réduite de moitié. Peu importait, du reste, le lemps qu’elle devait mettre à disparaître tout- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. à-fait, l’essentiel était d’acquérir la certitude qu’elle était formée par un kyste de cette es- pèce et non par un ostéo-sarcôme. L’opération terminée, on applique des ca- taplasmes sur la tumeur et l’on recommande la diète. Il est souvent utile de faire une ou plusieurs saignées pour dissiper les accidens inflammatoires. Citons un dernier fait qui offre plusieurs particularités intéressantes. VIIe Observation.—Une jeune femme vint, dans le mois de juillet 183.8, àTHôtel-Dieu, pour se faire traiter d'une tumeur qu’elle avait dans l’os maxillaire inférieur. Celle-ci était ovoïde, du volume d’un œuf de poule. Son développement avait été lent, sans douleurs lancinantes, sans fongosité , sans changement de couleur à la peau ; elle faisait plus de saillie à l’extérieur, et sa position nécessi- tait une différence dans le mode d’opération. Comme chez les autres malades, on put s’as- surer de l’existence de la crépitation : plu- sieurs personnes touchèrent la tumeur et per- çurent ce hruit; mais le contact répété par un grand nombre de mains le fit disparaître, et la crépitation ne s’entendait plus. Sûr de DES KYSTES, ETC. l'avoir perçu, M. Dupuytren en attribua la disparition à l’enfoncement, à l’application des parois minces du kyste sur les parties contenues par suite du contact fréquent qu’on lui avait fait éprouver. Le ii juillet, la malade est conduite à l’amphithéâtre ; un nouvel examen confirme les résultats du premier; la crépitation même, qui avait momentanément disparu, par suite de l’enfoncement des parois osseuses du est redevenue manifeste, et ce retour est sans doute dû à la force rétrograde d’élasticité de ces mêmes parois. Une incision , longue d’un pouce environ , est faite le long du bord postérieur du muscle masséler, mais à partir seulement de quel- ques lignes au-dessous de sa partie moyenne , pour éviter la lésion des vaisseaux et du nerf facial. Cette incision s’étend jusque vers l’an- gle de la mâchoire ; les bords de la plaie étant écartés , on aperçoit mieux encore et l’on sent avec le doigt les parois du kyste, enveloppées d’une membrane que M. Dupuy- tren est porté à regarder comme séreuse, et qui, au toucher, est très douce et comme ve- loutée ;on ne sent,"du reste, aucune inégalité, 24 LEÇONS DE M. DÜPUYTREN. aucune fongosité , sur la surface du kyste; cette surface est lisse et égale dans tous les points; le kyste a bien, comme on l’avait jugé, à peu près le volume et la forme d’un œuf. Un coup de bistouri est alors donné à tra- vers la paroi osseuse antérieure ; il s’en écoule aussitôt, en abondance, une sérosité rougeâtre et sanguinolente; on n’y aperçoit aucune subs- tance solide. Une mèebe est introduite à travers les lèvres de la plaie et du kyste, pour les em- pêcher de se réunir; des injections émollientes répétées sont faites dans l’intérieur de cette poche , et des cataplasmes émoltiens appliqués sur la joue. Le professeur recommande de pratiquer une saignée de bras, si, ce qui ne paraît pas probable, cette simple incision des parties molles et des parois du kyste donnait lieu à quelques symptômes locaux ou ge'né- raux, assez intenses pour devoir être réprimés. Une fois la suppuration établie dans Linlé- rieur de cette poche, dit M. Dupuytren, si le pus s’y amasse et si l’ouverture supérieure ne suffit pas pour lui donner issue, une contre- ouverture sera pratiquée à la partie la plus dé- clive ? et c’est tout ce que le malade peut DES KYSTES, ETC. attendre de plus fâcheux, pour obtenir la guérison d’une affection qu’elle a long-temps crue incurable, et dont il lui restera probable- ment à peine quelques traces dans un ou deux mois. Après l’opération, cette malade n’a éprouvé aucun accident: grâce à l’introduction des mè- ches ,la plaie est restée ouverte ; et, soit par suite du contact irritant de l’air, soit par ces deux causes à la fois, une suppuration abon- dante s’établit à l’intérieur du kyste. A cha- que injection, on voyait d’abord l’eau poussée par la seringue, ressortir trouble et chargée d'un pus de bonne nature; elle finit par re- venir claire et le foyer s’était complètement vidé. Une légère rougeur avec gonflement s’était manifestée sur la joue au pourtour de l’ouverture ; cette rougeur n’indiquait rien de fâcheux, et n’a pas été portée au point de faire craindre une érisypeie. La malade éprouvait dans le kyste des douleurs de moins en moins vives. L’écartement des parois di- minuait. Jusque là M. Dupuytren était déter- miné à ne tenter aucun moyen artificiel de compression pour les rapprocher, persuadé que leur situation seule devait y suffire. En 26 IiECOJNS DE M. DUPUYTREN, effet, pressées quelles étaient d’un côté par les muscles ptérygoïdiens, de l’autre par le masséter, on ne pouvai guère douter que l’effort violent et soutenu de ces muscles, joint à l’inflammation suppurative de l’inté- rieur du kyste, ne déterminât le rapproche- ment de ces parois, et n’effaçât sous peu toute difformité, autre que celle que la position du kyste avait forcé de faire en dehors. Nous n’insisterons pas davantage sur les exemples propres à faire connaître les kystes à parois osseuses : ce que nous avons dit de leurs symptômes, de leurs caractères, de leur siège et de leur traitement démontre suffisam- ment que ce point de pathologie , quoique encore neuf, a été savamment éclairci par notre célèbre professeur ; aussi le recomman- dons-nous à l’attention des praticiens. L’ob- servation révélera sans doute, un jour, de nouveaux produits ; mais nous douions qu’elle fasse connaître de meilleurs signes et un trai- tement plus efficace que ceux qu’il vient d’exposer. DES KYSTES SÉREUX. 27 ARTICLE 11. DES KYSTES SÉREUX CONTENANT DES PETITS CORPS BLANCS APPELÉS KYSTES lIYDATIQUES. De leur diagnostic et de leur traitement. L’histoire des kystes séreux contenant des petits corps blancs de nature hydatique, dit M. Dupuytren, était fort peu connue avant les observations rapportées par M. Cruveilhier dans son Essai sur l’anatomie pathologique. Ce médecin distingué a le premier publié mes recherches sur ce genre de maladie, et depuis les praticiens ont eu l’occasion d’en constater l’existence un grand nombre de fois. J’ai observé dans les cas qui se sont offerts à moi, que ces kystes se développaient pres- que toujours au poignet, à sa face palmaire sous le ligament annulaire antérieur du car- pe ; quelquefois cependant je les ai vus au coude-pied, sous le ligament annulaire an- térieur du tarse ; mais dans tous les cas, je les ai rencontrés autour des synoviales et des ten- dons. Dans quelques circonstances rares, on 28 LEÇONS DE M. DüPUYTREN. lésa observés au niveau del’olécrâne, au-des- sus de l’acromion, sur la tubérosité de l’ischion et en dehors du grand trochanler. Les coups, les chutes, les pressions, la dis- tension et les froltemens répétés sont les causes qui paraissent donner lieu au développement de ces kystes séreux, bien qu’il ne soit pas rare des les voir se manifester sans cause appré- ciable. Les chaussures trop étroites provo- quent ordinairement l’apparition de ceux de la face dorsale du pied. Il faut encore ajouter les causes sous l’influence desquelles se déve- loppentleshydatides dans les autres régions, et c’est alors ou dans le genre de vie, ou dans l’hu- midité de l’habitation, ou dans la constitution molle et lymphatique des malades qu’il faut les chercher. Il y a quelques années, dit M. Du- puytren, j’ai vu chez une jeune fille à l’Hôtel- Dieu, un coup de fouet reçu sur le front, donner naissance à une tumeur enkystée que j’ouvris et dont il sortit une véritable hydatide qui la remplissait en entier. Leur accroisse- ment est presque toujours très lent ;* ils res- tent souvent stationnaires pendant plusieurs années. Fe Observation. M vint à ITlôtel- DES KYSTES SÉREUX. Dieu, îe 2 pluviôse an 12 , pour une tumeur qu’il portail à la face palmaire du poignet. Il attribuait sa maladie à un effort qu’il avait fait à l’âge de douze ans, pour soulever un pavé très lourd. Il paraît qu’à l’instant même il éprouva une douleur fort vive et une impossi- bilité de mouvoir le poignet. Au bout de quelques jours il se forma une tumeur qui d’a- bord peu volumineuse augmenta progressive- ment pendant dix mois; elle resta .ensuite stationnaire, et ne fit éprouver qu’une gêne légère. M.... ayant pris l’état d’orfèvre se livre pendant trois ans aux travaux de sa profession; mais craignant les progrès du mal, il se décide à entrer a l’Hôtel-Dieu. A cette époque la tu- meur était située à la face palmaire du poi- gnet; ou plutôt, il y avait deux tumeurs, dont l’une faisait saillie au-dessous du ligament annulaire du carpe, l’autre au-dessus, et qui communiquaient entre elles derrière ce liga- ment. La pression exercée sur l’une détermi- nait le soulèvement de la main appliquée sur l’autre, et le déplacement de la matière con- tenue était sensible aux doigts par une espèce de frottement, comme si de petits corps so- XjECONS de m. dupuytjren. lides eussent frappé les uns contre les autres et contre les parois du kyste. On reconnut la communication qui existait entre ces deux tumeurs. Une compression exercée pendant deux jours sur la supérieure, fait refluer dans l’inférieure la matière con- tenue dans l’autre. On pratique à cette der- nière une ponction au moyen du bistouri, et à l’aide d’une pression légère, on fait sortir une multitude de petits corps blanchâtres de di- verses formes, cylindroïdes, len- ticulaires; les plus gros avaient le volume d’un gros pépin de poire ; les plus petits, celui d’un grain de millet; tous présentaient une surface lisse. Cette petite opération eut les suites aux-» quelles ou devait s’attendre; la suppuration s’établit, d’abord de mauvaise qualité, puis de bonne nature, et fut suivie d’une cicatrisa- tion complète. Mais cette guérison n’était que temporaire : la tumeur enkystée n’avait été que vidée ; le kyste existait avec la même vi- talité la même aptitude à l’exbalation. On n’avait rien fait pour exciter dans ses parois une inflammation; aussi la tumeur ne tarda-t- -elle point à se reproduire. DES KYSTES SÉREUX. Le malade, alors âgé de vingt-six ans, ne pouvant plus continuer son état, entre une seconde fois à l’Hôtel-Dieu, le 12 mars iBi3. La tumeur présentait les caractères précédem- ment indiqués; les circonstances commémora- tives faisaient assez connaître sa nature. Deux jours après l’admission du M. Dupuylren fait une ponction au-dessus du ligament annulaire : il s’écoule d’abord un peu de sérosité. Une sonde de femme, introduite avec effort entre les tendons fléchisseurs rap- prochés, amène un petit corps blanc, sem- blable à un pépin de poire dépouillé de son épiderme; on croit même y apercevoir des raouvemens. Le lendemain, M. Dupuytren agrandit en haut et en bas la ponction de la veille : aussitôt s’échappe une multitude de petits corps semblables à ceux déjà obtenus. Sur une sonde cannelée, dirigée du côté de la main, on pratique une contre-ouverture qui sert à passer un selon enduit de cérat. Deux heures après l’opération, il survient un frisson qui est suivi de chaleur et de sueur; le pouls est fort, développé ; la nuit estmau-- vaise. Le lendemain, la suppuration est déjà formée; il y a de la tuméfaction. On prescrit LEÇONS DE M. DUPUYTIIEX. des cataplasmes émolliens et une diète rigou- reuse. Le troisième jour, la tuméfaction aug- mente; le pus s’amasse au-dessus et au-dessous des ouvertures. Les pansemens sont renouve- lés deux fois le jour, et secondés de la com- pression expulsive, qui chasse avec le pus des corps blancs parfaitement distincts et conser- vés -Le cinquième jour, un abcès, qui s’était formé sur le dos de la main, est ouvert avec l’instrument tranchant. —Le sixième jour, ouverture de deux autres abcès, situés, l’un sur le trajet de l’artère radiale , l’autre sur l’éminence hvpolhénar. —Le huitième jour * tremblement très fort après le pansement; une chaleur interne lui succède. Bientôt la langue se couvre d’un enduit jaunâtre; le pouls est très accéléré, la chaleur brûlante; la figure s’altère, devient grippée ;le malade est triste, se désespère; le gonflement de la main est très considérable, le pus très abon- dant, fétide; le moindre mouvement estdou- loureux et produit une crépitation qui fait craindre l’altération des ligamens et la carie. Ces symptômes terribles continuent avec la même intensité pendant une quinzaine de jours. Au bout de ce temps, ils se calment; DES KYSTES SÉREUX. 33 la fièvre diminue, ainsi que le gonflement et la suppuration ; le malade peut se lever, se promener; î’appélit et les forces reviennent peu à peu ; les ouvertures qui s’étaient arron- dies en cul-de-poule comme l’orifice externe des fistules, cessent de fournir autant de pus, quelques-unes se ferment, d’autres résistent plus long-temps ; un abcès se forme encore sur le dos de la main ; mais enfin, tout se cica- trise, les forces se rétablissent ; et à sa sortie , le malade pouvait fléchir et étendre les doigts et le poignet. Avant l’accident grave qui survint après la seconde ouverture, M. Dupuytren avait fait conduire le malade chez M. Pose, membre de l’institut. Là, on fit sortir sept à huit de ces corps. Examinés à une forte loupe, ils ne pa- rurent point se mouvoir. Placés entre deux verres fortement serrés, ils se réduisirent en une membrane transparente, laquelle, vue soit à l’œil ou, soit au microscope, ne présenta ni bouche, ni suçoirs. Une fois cependant M. Bosc crut en apercevoir; mais il dit que c’était une tache produite par un défaut du verre. L’expérience lui avant appris qu’un état de demi-dessiccation est très favorable à la LEÇONS DE M. DUPüYTREN. ù découverte de cette bouche ou suçoir, il ré- péta ses observations et obtint Je même résul- tat. Il en conclut que ce notaient pas des bydatides, mais probablement des débris de tissu cellulaire graisseux nageant dans la sérosité. M. Duméril, qui désira avoir à sa disposition quelques-uns de ces corps, les soumit aux mêmes essais, et obtint le même résultat. Il est facile de se convaincre que ces savans étaient dans l’erreur. En effet , ces corps ne tachent point les substances avec lesquelles ils sont en contact. Quand on les comprime long- temps entre deux morceaux de papier brouil- lard, ou dans un morceau de soie claire, on n’aperçoit aucune apparence de graisse sur ces objets. D’ailleurs ces deux naturalistes étaient forcés d’y admettre une indépendance indivi- duelle apparente. Ces considérations et l’exa- men attentif de ces petits corps qui ont une forme à peu près constante et une structure la- melleuse très visible m’ont porté à penser qu’ils avaient un mode de vie distinct de l’être dans lequel ils se développent; en un mot , qu’ils cons- tituent de véritables bydatides. S’ils n’étaient pas organisés, comment pourraient-ils se con- DES KYSTES SÉREtJX* server intacts pendant plusieurs jours au milieu de la suppuration. J’ajouterai que je crois avoir aperçu des mouvemens dans plusieurs de ces corps. Lorsqu’on les examine après l’ouverture ar- tificielle de la tumeur, on trouve qu’ils sont blanchâtres, opalins, transparens, plissés dans le sens de leur diamètre longitudinal, formant des espèces de une des extrémités est terminée par un cul-de-sac large et arrondi, l’autre par une espèce de coi de bouteille, ré- tréci en forme de suçoir; ils sont évidemment composés de lames superposées et imitent assez exactement des pépins de poire ; tantôt ils sont cylindroïdes, tantôt conoïdes, quelque- fois lenticulaires. Leur consistance est comme cartilagineuse. Les uns sont plus petits, les autres plus gros. lis paraissent passer par plu- sieurs phases avant de parvenir à leur entier développement : on croit avoir trouvé une cavité dans leur intérieur. Ces corps blanchâ- tres sont entourés par un kyste mince, lisse, jaunâtre et séreux, contenant de la sérosité transparente. Les symptômes qui révèlent la présence de ces tumeurs sont d’abord le lieu d’élection et LEÇONS LE M. DUPüYTÏIEN. 6 leur forme. Nous ne dirons rien du premier de ces signes, nous en avons suffisamment parlé. Leur forme a fait comparer à une espèce de bissac. En effet, en quelque lieu quelles se soient développées, elles sont cons- tamment divisées en deux parties plus ou moins égales. Si Ton presse alternativement sur Tune ou l’autre moitié de ces tumeurs, en cherchant à faire passer le liquide, de Tune dans l’autre, on perçoit distinctement une crépitation, un bruissement, une sorte de frottement parti- culier assez analogue à celui que produiraient des grains de riz à demi-cuits, qu’on ferait passer alternativement d’une poche dans la poche opposée ; ou bien encore au bruit d’une chaîne à petits anneaux, enveloppée dans une bourse de peau, dont on presserait les chaînons Eun contre 1 antre, à travers les parois de la bourse. Celte sensation est le sym- ptôme pathognornonique de cette affection. Lorsqu’on l’éprouve, on peut proclamer d’a- vance la nature de la tumeur. Appelé , il y a quelques années, continue M. Dupuytren, au- près d’un malade qui avait une tumeur à la par- tie antérieure du poignet, je reconnus ce signe; et aussitôt je déclarai qu’elle contenait de ces DES KYSTES SÊIIEUX. petits corps blancs, que je regarde coin ave des hydatides. Plusieurs personnes de l’art qui se trouvaient auprès du malade,considéraient mon diagnostic comme un peu hasardé ; on décida néanmoinsque la tumeur serait ouverte. Le jour fixé pour cette opération, j’apportai une petite fiole pour recueillir ces corps et en faire l’a- naljse. Cette précaution excita l’hilarité des praticiens qui n’avaient point partagé mon opi- nion. A peine l’ouverture fut-elle terminée, que la sortie d’une grande quantité de ces petits corps Êlancs vint confirmer le diagnostic. Ordinairement indolores , sans changement de couleur à la à moins que celle-ci ne soit, par une cause quelconque, secondairement enflammée, ces tumeuas peuvent acquérir et acquièrent en effet fréquemment un volume assez considérable pour gêner la liberté des mouvemens de l’articulation qu’elles avoisi- pour s’opposer quelquefois entièrement à ces mouvemens, empêcher les malades d’exercer leur profession et les forcer par là à en demander la cure. IIe Observation. Dans le courant de l’année 1829, un homme vint consulter M. Dupujtren, pour se faire traiter d’une tu- LEÇONS DE M. DUPUYTRETî. ïiieur qu’il portait à la partie antérieure cîe l'ar- ticulation du poignet. Cette tumeur dure, rënillente, et du volume d’un œuf de pigeon, faisait saillie, d’un côté, au-dessus, et de l’au- tre , au-dessous du ligament annulaire anté- rieur du carpe. Aucun changement de couleur n’existait à la peau, et il n’j avait encore aucune espèce d’engorgement dans les parties environnantes. M. Dupuylren se fondant sur la position de la tumeur, sur sa division en communiquant l’une avec l’antre, et spécia- lement sur la sensation de frottement qu’il éprouvait, lorsqu’il cherchait à obtenir la fluctuation, diagnostiqua un kyste hydalique contenant une grande quantité de corps blan- châtres. Une ponction ayant été faite avec le bistouri dans la tumeur inférieure, il en sortit un jet de sérosité et un nombre considérable de corps blanchâtres, les uns arrondis , les autres fort alongés , et de la forme et du vo- lume d’un pépin de poire. Une sonde cannelée introduite dans celte incision, passa sous le ligament annulaire antérieur du carpe, et une contre-ouverture fut faite à la partie infé- rieure de l’avant-bras. Celte seconde incision DES KYSTES SÉREUX. donna encore issue à de la sérosité et à quel- ques petits corps. Une m'ecbe de linge fut pla- cée dans les ouvertures, pour déterminer l’inflatnmalkm de la poche séreuse, sa sup- puration et son agglutination. Une petite artère ayant été ouverte au poignet, M. Du- puytren recommanda de ne la lier ou de ne la comprimer que lorsque deux ou trois palettes de sang se seraient écoulées; il conseilla en outre les bains émolliens, frëquens, et l’ap- plication de nombreuses sangsues aussitôt que des symptômes un peu violens d’inflammation se seraient manilestés. Ainsi que le professeur l’avait prévu, la période inflammatoire fat intense; mais un traitement antiphlogislique énergique en eut bien promptement triomphé. Au bout d’un mois, tous les accidens s’étalent dissipés ; il ne restait qu’un peu de raideur dans l’arti- culation. Le diagnostic de ces kystes a souvent été une source d’erreurs pour les* praticiens. Ainsi , ils ont été pris quelquefois pour des tumeurs blanches ou des abcès chroniques. Il existe cependant des moyens de ne point se méprendre sur cette altération : c’est d’avoir 40 LEÇONS DE M. DUPUYTIIEN. égard i° à leur situation à la partie antérieure du poignet, ou au coude-pied, 2° à leur forme en bissac, mais sur-tout 5° à la crépitation que nous avons indiquée. Une fois le diagnos- tic établi, quels sont les moyens curatifs de cette maladie ? dit M. Dupuytren , m’a con- vaincu de l’inutilité des moyens externes, tels que douches, bains, frictions, etc., dans le traitement des tumeurs enkystées; tandis que leur efficacité m’a paru souvent évidente dans celles qui ne sont point enkystées. L’ouver- ture du kyste, la suppuration de ses parois telle est, dans le premier cas, la seule médi- cation qui puisse amener la guérison. Mais, clans les tumeurs de celte nature, quelque peu développées qu elles soient, ces deux moyens ne sont pas toujours sans danger. Plu- sieurs malades chez lesquels j’ai ouvert et fait suppurer ces tumeursont éprouvé de graves accidens. Quelques-uns même ont. succombé à une inflammation qui s’est propagée à la main et à l’avant-bras. IIIe Observation. —Un charpentier , âgé de trente-cinq ans , se fit, en décembre 1812 , au poignet droit , une entorse dont il guérit DES KYSTES SÉREUX. très bien. Deux on trois mois après , il recon- nut une petite tumeur à la paume de la main droite, au-dessous du ligament annulaire du carpe, et bientôt après, une autre au-dessus de ce ligament. D’abord peu volumineuses et peu incommodes, elles s’opposèrent bientôt an libre exercice des mouvemens, qu’elles rendirent enfin presque impossibles. Ne pou- vant continuer son état, ce charpentier vint consulter M. Dupuytren, le 7 juin iBi4- Au seul siège de cette tumeur, sa nature est re- connue. Le loucher la confirme. Le lendemain, une incision est pratiquée sur chaque tumeur : comme dans les observations précédentes , une foule de petits corps blanchâtres s’échap- pent aussitôt; les aponévroses de la main et de l’avant-bras sont débridées au moyen du bistouri boutonné, afin de prévenir l’inflam- mation avec étranglement : un séton est destiné à enflammer les parois du kyste; un cataplasme émollient a modéré l’inflam- mation. Les douleurs sont très vives le soir et la nuit qui suivent l’opération; elles aug- mentent avec le gonflement, les deuxième, troisième , quatrième jours ; un pus grisâtre, floconneux s’écoule par la plaie : on enlève le LEÇONS DU M. DÜPÜYTUEN. séton le cinquième jour : l’inflammalion s’é- tend au bras et jusque dans le creux de l’ais- selle. Les symptômes généraux sont des plus fâcheux. Le huitième jour, on incise les lam- beaux apooévrotiques gangrénés ; on ouvre un abcès formé entre le premier elle deuxiè- me métacarpiens ; une compression expulsive chasse le pus qui formait des fusées le long de l’avant-bras et de !a main. Les dixième et onzième jours, frissons avec claquement des dents, qui dure dix minutes ; pus extrêmement fétide, faiblesse générale qui résiste aux toni- ques les plus puissans*: mort le quinzième jour de l’opération. L’expérience d’abord , et le raisonnement ensuite , m’ont prouvé, ajoute M. que, lorsqu’on se décide à faire l’ouverture de ces kystes,, on doit pratiquer une incision large sur chaque moitié de la tumeur. Il suffit, en effet, de se rappeler la disposition anatomique des parties. Au coude-pied, mais sur-tout à la face palmaire du poignet, les kystes sont dé- veloppés sous des aponévroses , au milieu de de vaisseaux, de nerfs nombreux, au milieu d’un tissu cellulaire fibreux. Dès lors, si l’on n’a fait qu’une petite ouverture, le gon- DUS KYSTES SEREUX. lîement, produit par l’inflammation suppura- live des parois du kyste, détermine presque constamment un étranglement; celui-ci se propage plus ou moins aux parties environ- nantes , le long des gaines fibro-celluleuses qui revêtent les vaisseaux et les tendons, soit dans la paume de la main , soit dans l’avant- bras et le bras. De là, de nombreux foyers de suppuration, de fusées, quelque- fois une inflammation phlegmoneuse de tout le membre, et enfin la mort, comme nous l’avons vu dans l’observation précédente. Ou évité, au contraire, à coup sûr, la cause la plus fréquente de ces inflammations , en ayant le soin d’ouvrir à la fois et par une large incision, les deux moitiés du kyste ; aucun étrangle- ment ne saurait alors avoir lieu , l’inflam- mation suppurative s’établit et se termine le plus souvent sans accident. Ces incisions pratiquées, le liquide sorti et le kyste débarrassé de ces corps opalins qui peuvent être fort nombreux , une mèche de# charpie doit être introduite entre les lèvres de chaque incision. J’ai quelquefois, dit M. Du- puylren, passé un séton de Tune à l’autre ouverture ; mais j’ai renoncé à l’emploi de ce LEÇONS DE M. DUPÜTTRETf. moyen , que je crois inutile et dangereux. I! suffit, en effet, que les lèvres de la plaie soient tenues écartées, et qu’on s’oppose ainsi à leur adhésion , pour que les parois du kyste s’en- flamment , suppurent et soient éliminées. Le séton , introduit dans le foyer , a l’inconvé- nient d’exciter une inflammation trop vive et qui peut alors se propager an loin avec plus de facilité ; cette inflammation peut aussi se communiquer dans l’intérieur de l’articula- tion, et donner lieu parla à la production d’une ankylosé. Le séton ne serait qu’inutile, qu’il conviendrait d’en rejeter l’emploi : on doit y renoncer avec d’autant plus de raison qu’il peut devenir dangereux. L’incision et la suppuration du kyste sont donc les seuls moyens d’obtenir la guérison de ces tumeurs. Si leur position ne rendait pas déjà celle extraction difficile, il suffirait de savoir que ces kystes adhèrent fortement, par leur face externe et dans toute leur circonfé- rence, aux parties voisines,pour qu’il ne fut pas permis de concevoir l’idée de les extirper en totalité. Mais puisque la suppuration du kyste n’est pas toujours sans danger, et que, malgré les règles que j’ai établies sur l’étendue à don- 45 ner aux incisions , sur les moyens d’éviter les accidens consécutifs , ces accidens sont en - core à craindre et peuvent exposer la vie des malades; puisque, d’un autre côté, ces tu- meurs sont constamment indolores et n’of- frent d’autre inconvénient que celui de gê- ner les mouvemens articulaires, on ne doit avoir recours à l’opération , que lorsque le volume de ces tumeurs, devenu fatigant pour les malades, les gêne au point de s’op- poser au libre exercice de leur état. Dans le cas contraire, îe chirurgien consulté pour cette affection, doit engagerle patient à vivre avec son mal ; et s’il désire absolument en être dé- barrassé par l’opération , il est de son devoir de le prévenir des risques qu’elle peut lui faire courir. Lorsqu’elle a été pratiquée , on doit s’attacher à contenir l’inflammation dans de justes bornes; et, quand elle devient trop intense , il faut déployer avec vigueur l’appa- reil des moyens antiphlogistiques. DES KYSTES SEREUX. 46 LEÇONS DE M. DUPUTTREIT. ARTICLE 111. DE L’ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. J’avais toujours été'frappé dit M. Dupuy- Iren, de la fréquence de la déviation de Tongîe du gros orteil et de la repuîlulalion de cette maladie, malgré tous les moyens employés contre elle. Persuadé que, pour la combattre avec succès, il fallait étudier avec soin les causes qui lui donnent lieu , j’examinai les malades qui présentaient celte difformité, et je parvins bientôt à reconnaître qu’il existait deux variétés importantes qui exigeaient un mode de traitement entièrement différent. Entrons dans quelques détails sur ce sujet. La première variété signalée par ies au- teurs, consiste clans l’ulcération de l’un des Lords latéraux de l’ongle , et quelquefois de ses deux Lords à la fois. Cette ulcération existe presque toujours au côté externe. Si l’on se rappelle la conformation de l’apla- tissement de son corps , la direction des an- gles, sa situation dans l’épaisseur de la peau ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. qui l’environne et le recouvre, on concevra facilement qu’une chaussure trop étroite , ou du moins mal faite , exerçant sur l’ongle une compression appliquera violem- ment les angles aux parties de la peau sur lesquelles ils reposent. Peu à peu ces angles , toujours plus ou moins acérés et trancliàns , s’enfonceront dans cette peau avec d’autant plus de facilité qu’elle sera elle-même repous- sée en haut et en dehors, et tendra davantage à les recouvrir ; enfin l’irritation accrue en- core par la marche, donnera bientôt lieu à une inflammation très douloureuse. Telle est en effet la cause la plus ordinaire de l’incar- nation du bord externe du gros orteil. Presque toujours aussi l’affection commence par le point de réunion du bord antérieur de l’ongle, avec son bord latéral. Celte disposition, ajoute M. Dupujtren , paraît tenir à ce que le bourrelet formé par les chairs, gênant Fac- tion des ciseaux lorsqu’on veut couper l’on- gle, on s’arrête presque toujours avant d’avoir retranché la totalité de son bord antérieur, et sur tout l’angle qu’il forme par sa réunion avec le bord latéral correspondant. Celle dis- position permet à l’ongle, resté intact, de 48 LECOJSS DE M. DUI’UYTREtf. s’accroître ; il forme bientôt une pointe aiguë qui pique et entame les chairs, et donne en quelque sorte le signal de l’ulcération, qui s’étend bientôt le long du bord correspondant de l’ongle. Ce fait est si positif, qu’on retrouve constamment celte pointe sur les ongles que l’on arrache. Nous venons d’indiquer les cau- ses qui produisent le plus ordinairement la première variété d’ongle incarné. Etudions maintenant les phénomènes de la maladie. A peine l’ongle a-t-il entamé la peau qu’il recouvre, que déjà la douleur est très vive. La marche et même la station deviennent in- supportables; un suintement séreux, séro-pu- rulent s’établit dans le lieu affecté; et si le malade essaie de se livrer à quelque exercice, le pied tout entier se tuméfie. Cependant la douleur va toujours croissant, le suintement devient plus abondant, le pus sanieux qui s’écoule répand une odeur d’autant plus fétide qu’elle se mêle à celle de l’humeur perspira- toire que fournissent les pieds. Les malades tourmentés par la douleur, s’efforcent de sou- lever leur ongle, ils le coupent en arrière ,et ces moyens, qui produisent quelquefois un soulagement momentané, bien loin de gué- ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. rir leur affection , ajoutent encore aux diffi- cultés du traitement. Enfin , si ce mal est abandonné à lui-même , l’ulcère qui en ré- sulte passe quelquefois à l’état cancéreux, quel- quefois se recouvre d’énormes végétations, et parfois même l’inflammation se propageant au périoste, donne lieu bientôt à la carie et à la nécrose d’une ou plusieurs phalanges. Celte affection peut quelquefois être con- fondue mal à propos avec d’autres maladies. M. le marquis de G*** souffrait depuis plus de huit ans de son gros orteil gauche ; il avait déjà consulté plusieurs médecins, qui tous l’avaient traité pour une affection gout- teuse. Depuis ce temps, M. C*** avait épuisé les spécifiques connus contre cette mala- die , les douleurs cependant persistaient. Ne pouvant marcher, il consulta enfin M. Du- pujtren , qui reconnut aussitôt, que l’on- gle rentré dans les chairs était la seule cause de tous ces accMens, et que son avul- sion les ferait cesser. Le malade eut quelque peine à croire qu’il n’avait pas la goutte, car depuis huit ans, il s’était habitué à vivre dans cette persuasion ; cependant il se décida à l’opération : l’ongle fut divisé en deux à l’aide LEÇONS DE M. DUPEYTI\EK. d’un Irait de ciseau ; des pinces à disséquer servirent à arracher chaque portion d’ongle. Un pansement simple fut fait ; et le malade, parfaitement guéri au bout de quelques jours, fut dès lors délivré de la goutte et de tous les remèdes qu’elle lui avait valu depuis si long- temps. ( Communiqué par M. le docteur Marx. ) Abandonné à lui-même, l’ongle rentré dans les chairs n’est pas susceptible de guérison : la maladie tend au contraire à faire des pro- grès. Outre les douleurs intolérables qu’elle cause au malade , elle peut déterminer des accidens : la prudence et l’expérience font donc une loi à l’art de la combattre. Un grand nombre de procédés divers, con- tinue M. JDupuytren , ont été employés dans le but de dégager l’ongle des chairs qu’il irrite, et de lui donner une nouvelle direction. Pour y parvenir, les uns enlèvent la portion d’ongle incarnée, les autres les chairs malades. Mais, évidemment, ces moyens de traitement souvent infructueux, ne peuvent avoir ordinairement qu’un effet palliatif. Si l’on détruit les chairs quidépassentl’ongle latéralement, elles se reproduisent en partie,* ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. et si peu qu’il en reste , lorsque, dans la pro- gression, la pulpedu doigt s’élargira et formera un bourrelet de chair sur le côté du bord de l’ongle celui-ci, conservant la même direction que précédemment, pourra s’enfoncer dans les chairs. Au lieu de resciser les cbairs excé- dentes, enlève-t-on la portion d’ongle incar- née, c’est bien pour quelque temps; mais lais- sez-lui reprendre son accroissement naturel, et il va se porter de nou veau dans une direction vicieuse. Il est vrai qu’on pourra veiller sur son développement, le diriger convenable- ment; mais on échouera presque toujours dans ses soins; et si parfois on réussit, ce sera dans des cas extrêmement rares. Sous ce rapport, le procédé de Desault, qui consistait à tenir cons- tamment écartée des chairs, au moyen d’une petite lame de fer-blanc, la portion d’ongle qui les avait divisées ;ce procédé, disons-nous, semblait d’abord préférable, mais en y réflé- chissant on conçoit que le succès ne peut être de longue durée. Cet ongle, qu’on a forcé à se porter au-delà des chairs latéralement, que deviendra-t-il ?Il tendra toujours àse rouler en dedans de lui-même, et soit qu’on le coupe au niveau des chairs, soit qu’on le laisse croître 52 LEÇONS DE M. DUPüYTREN. et descendre sur le côté interne du doigt, il arrivera souvent qu’il entrera de nouveau dans l’épaisseur de la pulpe digitale. On se deman- dera peut-être maintenant à quoi peuvent tenir les succès obtenus par les praticiens, dans l’emploi de méthodes si différentes ?• En géné- ral, toutes les fois que la cause déterminante a été purement accidentelle, et que la structure propre de l’ongle n’a pas elle-même occa- sioné la maladie, le succès de ces méthodes dépend de l’époque où a commencé le traite- ment. Par exemple, qu’un ongle régulière- mentconformé ait été comprimé par une chaus- sure étroite, ou contus par suite de quelque violence extérieure, si l’on essaie , peu de jours après la division de la peau , l’application du procédé de Desault, il est certain que les chairs subjacentes à l’ongle ne seront point encore assez irritées, pour que la compression aggrave l’état d’inflammation où elles se trouvent, et que l’ongle d’ailleurs étant détourné du lieu où il s’était porté mal à propos, il n’y aura plus de raison pour que la maladie se repro- duise. Mais, je le répète, toutes les fois que la cause du mal sera dans l’ongle lui-même , tous les procédés que nous avons fait connaître resteront plus souvent inutiles. OKGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. Frappé de ces inconvéniens, dit 3VI. Dupuy- tren, et ayant sur-tout égard à la cause du mal, je me suis décidé depuis très long-temps à préférer aux autres moyens opératoires, l’a- vulsion complète de l’ongle. Cette opération avait déjà été pratiquée par plusieurs chirur- giens , mais le plus souvent.d’une manière peu avantageuse. Voici comme j’y procède : lorsque l’état général d'inflammation du membre a été com- battu pendant quelques jours, à l’aide d’appli- cations et de lotions émollientes, le moment de l’opération étant jugé j’engage sous la partie moyenne du bord libre de la pointe d’une branche de ciseaux droits, solides 3 bien affilés ; je les lais glisser par un mouvement rapide jusqu’à la racine et divise d’un seul coup cette partie en deux moitiés à peu près égales ; saisissant alors avec une pince à disséquer, la moitié correspondant à l’ulcé- ration, je l’arrache enlaroulantsurelle-même de dedans en dehors; si l’autre côté est malade, je l’enlève de la même manière. Dans le cas où les chairs fongueuses qui avoisinentla plaie sont trop élevées,, je passe sur elles un cautère oli- vaire qui les consume, et assure ainsi, autant 54 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. que possible, la cure de la maladie. A la suite de cet arrachement, la peau placée sous l’ongle se dessèche, la partie ulcérée s’affaisse, et se cicatrise en vingt-quatre ou quarante-huit heu- res ; de sorte qu’au bout de cinq ou six jours le malade peut reprendre ses exercices accou- tumés. Ordinairement l’ongle ne se reproduit pas chez les vieillards, mais quelquefois il reparaît chez les jeunes gens. On serait tenté, au premier abord, de re- garder ce moyen comme fort douloureux : il est cependant rare de voir les malades jeter des cris. Lorsque l’ongle a été entièrement arraché, la maladie ne reparaît plus; elle repulluîe seulement dans le cas où quelque portion est restée dans la plaie. Fre Observation. Ongle entré.dans les chairs j avulsion de sa moitié externe. R... 5..., âgé de seize ans, d’une forte consti- tution, entra à l’Hôtel-Dieu, le 18 juin 1821, et fut couché au n° 62 de la salle Saint-Paul. Depuis six mois, il portait des souliers plus épais et plus étroits que de coutume; ses pieds étaient comprimés , et il boitait même en mar- chant ; l’angle externe de l’ongle du gros orteil droit se recourba en dedans , il s’enfonça dans ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. les chairs voisines qui le recouvrirent en se tuméfiant. De la rougeur, de la douleur sur- vinrent, et la claudication augmenta. La pulpe de celte partie, refoulée par les orteils suivans, et comprimée en tous sens par la chaussure, devint dure, calleuse , blanchâtre et offrit une fissure, au fond de laquelle l’ongle était en- gagé ; quoique souffrant beaucoup, le malade continua de marcher et de travailler, enfin, une petite plaie suppurante, et parfois sai- gnante, étant survenue, il se décida à entrer à l’Hôtel-Dieu. Le 3 juillet, après quelques jours de repos, quelques bains et quelques applications émol- lientes, il fut conduit à l’amphithéâtre, et M. Dupuytren pratiqua l’avulsion de la partie de l’ongle qui s’était incarnée. L’ongle fut divisé d’avant en arrière dans la partie moyenne, avec de forts ciseaux droits ; la moitié externe fut saisie avec des pinces à dissection , renver- sée sur elle-même et arrachée ; le durillon qui la recouvrait fut retranché avec les ciseaux. Ln peu de sang s’écoula. Le malade, recon- duit à son lit, fut pansé avec ducérat, de la charpie, une compresse et une bande. Les 4, set 6 juillet, il est fort bien ; même LEÇONS DE M. DUPUYTREW. pansement, tisane commune, demi-portion d’aliments. Le 7, la cicatrice est achevée, le ma- lade sort guéri et marche bien ; maii il a soin de porter des chaussures plus larges et d’enve- lopper son orteil avec un linge enduit de cérat. IIe Observation. Avulsion de Vongle entré dans les chairs; cautérisation des fongo- sités. Yers le mois de février 1812, le nommé Théodore Jacob, âgé de quarante-cinq ans, serrurier, étant occupé à travailler, laissa tom- ber une barre de fer sur son pied gauche ; le gros orteil fut fortement et le sang extravasé communiqua à l’ongle une couleur noire. Jacob ajpant négligé de portera son mal les remèdes convenables, une collection de pus se forme sous l’ongle, décolle celui-ci, et s’é- tant frayé une issue au-dehors, laisse l’orteil dans un état d’ulcération qu’entretenait la pré- sence de l’ongle qui s’enfonça dans les chairs. Le malade , fatigué et par les douleurs qu’il éprouvait et par la durée de son mal, s’adressa àun herboriste qui d’abord essaya de lui cou- per l’ongle ; mais n’ayant pu le faire } il se dé- termina à l’arracher. Il ne fut pas plus heureux dans cette résolution que dans la première, car ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. l’ongle fut brisé au lieu d’être extrait ; cette ablation d’une partie de l’ongle laissa à décou- vert la plaie qu’elle recouvrait, et le malade se pansa lui-même avec un onguent noirâtre, qui lui avait été fourni par l’herboriste, mais dont il ignore le nom et la nature. Continuant toujours à souffrir, et voyant d’ailleurs que l’état de son orteil s’aggravait au lieu de s’améliorer, le malade se détermina à entrer à i’Hôtel-Dieu, le 24 décembre 1812. A celle époque, l’orteil était tuméfié et Faisait éprouver au malade de vives douleurs toutes les fois qu’il s’appuyait sur le sol. L’ongle reproduit de nouveau s’était enfoncé dans les chairs. Avant d’en pratiquer l’arrache- ment , on appliqua sur l’orteil des cata- plasmes émolliens pendant quelques jours. M. Dupuytren divisa ensuite l’ongle en deux parties suivant sa longueur, et les saisissant successivement avec des pinces à disséquer, il les en les renversant l’un en dehors et l’autre en dedans. Après la chute de l’es- chare, on s’aperçut que quelques parties n’a- vaient point e'té détruites. M. Dupuytren se détermina à les enlever avec le bistouri, ainsi que la peau qui leur servait de matrice. Par 58 LEÇONS DE M. DUPÜYTUEN. ce procédé, en parvint à prévenir toute réci- dive , en ôtant à l’ongle les moyens de se reproduire. Depuis ce temps, les pansemens ont été faits avec des bandelettes de cérat et de la charpie, tantôt sèche, tantôt trempée dans du vin miellé, selon Je degré d’excitation de la plaie, et le malade est sorti le 18 janvier iBi3, n’ayant qu’une très petite ulcération qui s’est cicatrisée après deux ou trois jours de repos. IIIe Observation.— Tumeur osseuse exis- tant depuis plusieurs mois sur la face supé- rieure de la dernière phalange du gros orteil droit y et soulevant Congle j extirpation de la tumeur avec le bistouri j enlèvement de /’ongle. Louise Duvillard , âgée de quinze ans, d’une bonne constitution, non réglée, éprouva, du- rant le mois de mai 1821, une douleur vive dans le gros orteil. Cette douleur augmentant beaucoup par la marche , la malade examina son doigt et aperçut une petite excroissance sous l’ongle. Un médecin ayant été consulté, fît appliquer de la joubarbe pilée , des cata- plasmes émolliens, puis des compresses trem- pées dans du vin généreux, chaud et sucré. Divers onguents furent également employés. OKGLE RENTRÉ DANS LES CHAIIIS. et toujours sans succès. Pendant qu’elle subis- sait ces trailemens, la jeune malade ne pouvait marcher qu’avec beaucoup de difficulté et de douleur. Elle entre à l’Hôtel - Dieu, le i°r juillet 1822. Une petite tumeur du volume d’un gros pois, dure, résistante, causant des dou- leurs par la pression, existe sous l’ongle du gros orteil droit. Cet ongle est soulevé par elle, et éloigné, dans sa partie inférieure, de la lace supérieure de la troisième pha- lange. M. Dupujtren reconnaît la nature osseuse de la tumeur, et se décide à l’enlever. La ma- lade est baignée; et après quelques jours de repos, on procède à l’opération le 6 juillet, de la manière suivante : la tumeur circonscrite à sa base., au moyen d’une incision pratiquée avec un fort bistouri droit, est enlevée en totalité, sans que l’ongle soit atteint en aucune manière. Il s’écoule peu de sang. Un plumas- seau très mince de charpie est introduit entre l’ongle et les chairs , et un cataplasme érnol- lient enveloppe le gros orteil. Le 10 , la char- pie est retirée ; la suppuration est bien établie; aucun accident survenu. Chaque jour, le LEÇONS DE M. DUPUYTREN. pansement est renouvelé, et le seizième jour après l’opération, la malade peut marcher sans éprouver la moindre douleur. Le i.'1* août, l’ongle est toujours éloigné des parties molles, et n’a pas encore repris sa position na- turelle. Cependant la cicatrisation de la petite plaie est parfaite, et n’offre ni saillie, ni du- reté. La malade marche très bien , ne souffre plus, et sort enfin de l’hôpital, le 4 août en état parfait de guérison. Au mois d’avril 1823 , 'Louise Duvillard se présenta de nouveau à l’Hôtel-Dieu , pour y être traitée d’un ongle rentré dans les chairs, qui affectait le gros orteil droit. Celte malade déclara que trois mois environ après sa sortie de l’hôpital, la cicatrice s’était amollie. Un peu de sang* s’était écoulé à l’occasion d’une marche plus prolongée qu’à l’ordinaire, et depuis ce moment la totalité de la peau qui entoure l’ongle, était devenue le siège d’une inflammation qu’entretenait l’enfoncement des bords latéraux de l’ongie, dans les chairs, O ' M. Dupuytrenn’hésila pas à pratiquer l’enlève- ment de l’ongle. Une incision eut bientôt circonscrit la totalité du mal, et l’opération fut achevée promptement, malgré les cris ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. aigus elles mouvernens violens de la malade. En peu de jours la suppuration s’établit; quel- ques bourgeons celluleux et vasculaires, furent réprimés avec le nitrate d’argent fondu , et la malade sortit entièrement guérie le 17e jour après l’opération. La seconde variété de l’ongle incarné dans les chairs , dit M. Dupuytren , avait été long- temps confondue avec celle que nous venons de décrire : nous avons les premiers établi les différences qui se trouvent entre ces deux es- pèces. Dans celle-ci, il n’j a point de chan- gement de rapport entre les parties ; ce n’est pas non plus le long des bords de l’ongle que l’ulcération commence, c’est à sa base ; le mal siège uniquement dans la peau qui pro- duit l’ongle, et l’altération de celui-ci, au lieu d’être la cause de celle des parties molles, en est la conséquence. Vous concevrez bien mieux le mode de for- mation de cette seconde espèce, lorsque je vous aurai dit quelques mots de la structure anato- mique de l’ongle. Son extrémité adhérente, la seule quil nous importe ici d’étudier, est im- plantée dans la peau d’une manière particu- lière ; celle-ci, après avoir dépassé l’ongle 62 LECOKS DE M. DUPUXTRE3Ï. sur sa face dorsale , revient sur elle-même ,* arrivée à la partie-postérieure, elle se sépare en deux parties , l’épiderme qui va revêtir toute la couche superficielle et le derme qui passe sous l’ongle et se continue avec la peau qui recouvre l’extrémité libre des doigts. Le cul-de-sac dans lequel est reçu cette partie de l’ongle , porte le nom de matrice. Il est donc très important de connaître cette dis- position de l’organe, qui fait parfaitement concevoir pourquoi l’ongle rentré dans les chairs est, dans beaucoup de cas, seulement produit par le refoulement de l’extrémité li- bre dans le Oul-de-sac. Cette altération peut encore arriver à la suite du passage ou de la chute d’un corps grave sur le gros orteil. Qelle que soit celle de ces deux causes qui ait agi, l’individu se plaint d’abord en mar- chant d’une douleur qui augmente peu à peu ; l’espèce de cul-de-sac qui contient la base de l’ongle rougit et s’enflamme ainsi que le fond des replis qui reçoivent ses bords laté- raux ; bientôt on voit se manifester une ulcé- ration qui fait de rapides progrès ; sa forme est semi-lunaire, ses bords élevés et durs, son fond rouge, violet et livide. L’ongle est rac- OISGLE RENTRÉ DAXS LES CHAIRS. courci et réduit à la moitié de son quelquefois même il a totalement disparu , et en sa place , on voit s’élever cà et là quel- ques pinceaux de susbtance cornée ; souvent aussi une partie de l’ongle se trouve cachée sons des chairs fongueuses. Ces fongosités , dit M. Dupuylren, peuvent servir à distinguer la maladie qui résulte d’une altération primi- tive de la peau, de celle qui est la suite de renfoncement de l’ongle dans les chairs. Lors- que la maladie est produite par les fongosités auxquelles l’inflammation a donné naissance se trouvent en avant et sur les côtés de cet ongle ; lorsque la maladie est due, au contraire, à l’affection de la peau, c’est à la hase de l’ongle que s’observent toujours les fongosités. La couleur de l’ongle_, dans le cas qui nous occupe, est grise et noire ; dans certains cas , il ne conserve plus ses adhérences naturelles ; la plaie est ordinairement baignée par une sup- puration sanieuseou sanguinolente, et répand au loin une odeur fétide. Si le malade veut marcher ou s’il reste même dans la position verticale, les fongosités deviennent saignantes; toute espèce de chaussure est insuportable , le 64 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. moindre frottement est excessivement dou- loureux ; en général, il est impossible d’ha- biter dans le même lieu que les individus affectés de cette sorte de maladie, tant Todeur qui circule autour d’eux et qui s’attache à leurs vêtemens, est infecte et pénétrante, for- mée qu’elle est par la réunion du pus ichoreux qui suinte du fond de l’ulcère , et de la sueur abondante que sécrètent les pieds de ces ma- lades. Ces symptômes se rencontrent à peu près chez tous les sujets; quelquefois cependant la maladie occupe plus particulièrement la par- tie de la peau qui est immédiatement sub- jacenle à l’ongle. C’est alors qu’on voit se développer de petites tumeurs qui soulèvent cet organe , et dont la présence occasione d’autant plus de douleurs que la pression est plus considérable. Ces tumeurs peuvent être de différente nature , fibreuses, cartilagineu- ses, osseuses, vasculaires ; et ce qui prouve que leur développement est uniquement dû à l'altération du derme qui recouvre l’ongle, c’est que, si l’on se borne alors à les enlever, sans retrancher aussi la peau qui leur donne naissance , on voit ordinairement celle ci de- ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. venir de nouveau malade., s’ulcérer, et son état nécessiter tôt ou tard son enlèvement radical. D’après ce que nous venons d’exposer sur celte maladie , on conçoit que le traitement que j’emploie avec tant de succès contre la première espèce d'ongle incarné dans les chairs , ne saurait s’appliquer à la seconde variété. En effet, c’est la peau qui est malade ; c’est donc vers elle que doivent se diriger les moyens thérapeutiques. Si l’on se borne à ar- racher l’ongle, on n’a pas détruit le siège du mal, et un très grand nombre d’observations nous ont prouvé que cette altération ne guérit jamais en pareil cas. Si l’on applique les caus- tiques après l’avulsion de l’ongle, on ne con- sume que la partie de la peau qui est immé- diatement subjacente à cet organe , et on ne détruit pas toute celle qui enveloppe sa racine, et qui la recouvre quelquefois à une très grande profondeur. Ce sont ces considérations , ajoute M. Du- puytren, qui m’ont conduit à enlever avec l’ongle, non-seulement toute la surface ulcé- rée, mais encore tout le repli de la peau qui lui donne naisance et la nourrit. Pour pratiquer cette opération , je fais asseoir le patient sur 66 LEÇONS DE M. DUPUYTIIEN. un lit ou sur une chaise, et saisissant l’orteil malade avec la main gauche, je pratique à l’aide d’un bistouri droit, une incision profonde ét à trois lignes au-delà du repli de la peau qui supporte l’ongle à son origine ; celte incision est dirigée parallèle- ment à ce repli qu’elle entoure et cerne en quelque sorte dans sa totalité; alors, un aide maintenant l’orteil malade en position, je re- lève le lambeau d’arrière en avant avec des pinces à disséquer, et détache avec le bistouri toute la peau qui était en rapport avec Longle et qui concourait à sa production ; si quelques pinceaux de substance cornée subsistent en- ils sont détruits successivement, de sorte qu’il ne reste plus rien des tissus malades. Toutes les parties blanches et fibreuses que l’on remarque dans le fond et vers les angles de la plaie, doivent être soigneusement extir- pées , car ces parties sont des rudimens qui reproduiraient l’ongle et entretiendraient la maladie. Celte opération est accompagnée toujours de très vives douleurs , mais elle est de courte durée. L’orteil sur lequel on l’a pratiquée est enveloppé immédiatement d’un morceau de ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. linge troué , enduit de cérat ; un mince plu- masseau de charpie , recouvert d’une com- presse , complète l’appareil du pansement. Le malade est enfin reporté dans son lit, et la jambe, appujée sur un oreiller , est main- tenue dans un état de demi-flexion sur la cuisse. Le malade éprouve ordinairement quelques douleurs pendant les premières heures qui suivent l’opération ; mais bientôt ces douleurs se dissipent, et après trois ou quatre jours, le premier appareil est levé; un pus de bonne na- ture couvre presque toujours la plaie. On con- tinue de panser simplement; des bourgeons celluleux et vasculaires ne tardent pas à re- couvrir toute la surface de la plaie ; on les réprime de temps à autre à l’aide du nitrate d’argent fondu. Quelques petites portions de fibres cornées viennent-elles à se reproduire, on les arrache , et l’on détruit avec le bistouri la partie de peau d’où elles naissent, et le plus souvent, la cicatrice étant opérée convenable- ment vers le quinzième ou dix-huitième jour, le malade est alors en état de reprendre ses oc- cupations habituelles. Si l’on examine la cica- trice quelque temps après la guérison , on voit 68 LEÇONS DE M. DÜPUVTREN. qu’elle est formée par une peau lisse , épaisse, privée d’ongle , mais prenant quelquefois une consistance cornée. IVe. Observation. Enlèvement de la ma- trice de l’ongle. Le 5 mai ißi4-> on reçut à l’Hô- tel-Dieu, le nommé 8... C..., sortant de l’hô- pital de la Pitié. Depuis six mois, ce malade avait remarqué sur l’ongle du gros orteil de chaque pied, unedisposition que n’offraient pas les ongles des autres orteils ; les douleurs qu’il éprouvait et qu’il avait supportées pendant long-temps sans y attacher d’importance, l’im- possibilité de marcher durant un quarl-d’heure sans être obligé de s’arrêter, l’écoulement con- tinuel d’un pus noirâtre et fétide, qui baignait les ongles de l’un et de l’autre orteil, le peu de moyens que le malade avait de se traiter chez lui, toutes ces circonstances le déci- dèrent à se rendre à l’hôpital de la Pitié. Pen- dant quelques jours il fut baigné et pansé sim- plement; on s’occupa enfin de l’opération que nécessitait sa maladie, et d’après son récit, on incisa d’avant en arrière avec des ciseaux*, la partie moyenne de chaque ongle ; puis à l’aide de pinces à disséquer , on pratiqua l’exlraclion de chacune des moitiés d’ongles: ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS, 69 cette opération fut très douloureuse; chaque orteil fut pansé simplement; on prévint l’in- flammation qui aurait pu être trop vive, et la guérison prochaine de l’un et de l’autre orteil fut promise au malade. Cependant les ulcérations fongueuses per- sistaient ; la suppuration était toujours fétide et noirâtre , elle entraînait quelquefois des dé- bris de matière cornée qui semblait désorga- nisée ; les douleurs se faisaient ressentir par intervalles et devenaient de plus en plus in- tenses ; enfin le malade sortit de l’hôpital. A son entrée à l’Hôtel-Dieu , les orteils offraient l’aspect suivant : la portion du derme recouverte dans l’état sain par l’ongle, pré- sentait une surface ulcérée, fongueuse, noi- râtre, fétide; on y voyait, à des intervalles variés, des pinceaux inégaux de fibres effilées, adhérentes au derme par une extré- mité, libres par l’autre. A l’union des bords latéraux de celte surface avec son bord supé- rieur, on apercevait un ongle enfoncé dans la chair, et de ce point sortait une portion cornée, prismatique et triangulaire. Le repli de la peau qui sert de base d’implantation à la ra- cine de l’ongle, et qui constitue la matrice de LEÇONS DE M. DTJPUYTREN. cet organe, était le siège d’un travail désor- ganisaient A la visite du matin, ce malade Tut exa- miné par M. Dupuylren ; il décida que la cause de la double maladie des orteils, était une af- fection organique de la matrice de chaque on- gle , et proposa au malade le traitement dont l’expérience lui a assuré l’efficacité. Conduit à l’amphithéâtre , le malade fut couché sur un lit. M. Dupujtren saisit de la main un des orteils malades , et à l’aide d’un bistouri droit, il pratiqua une incision pro- fonde et demi-circulaire , parallèle au repli de la peau qui supporte l’ongle à son origine ; avec le même instrument, il enleva profon- dément et en totalité, les végétations fon- gueuses et cornées dont j’ai parlé; il pratiqua de même l’extraction du pinceau triangulaire et il eut sur-tout Je soin d’enlever les chairs qui paraissaient donner naissance à des plu- masseaux irréguliers, inégaux , grisâtres , pro- duit d’une sécrétion viciée et partielle de la substance cornée qui constitue l’ongle. L’o- pération fut pratiquée aux deux orteils et supportée avec courage par le malade ;le gros orteil de chaque pied, fut couvert d’un mor- ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. 71 ceau de linge troué enduit de cérat, et le pan- sement fut achevé avec quelque peu de charpie et une petite compresse. Le malade éprouva une vive douleur pen- dant les premières heures qui suivirent l’opé- ration; il fut ensuit efort tranquille. Cinq jours après on leva le premier appareil, et l’on re- marqua un commencement de suppuration : même pansement. Développement des bour- geons celluleux et vasculaires; répression de quelques-uns d’entre eux, au moyen du ni- trate d’argent. L’orteil du pied gauche faisant souffrir le malade, M. Dupuytren l’examine avec soin , et apercevant une portion très mince de fibres cornées dans l’angle rentrant, résultat de la réunion du bord supérieur avec les bords latéraux, il l’enlève après avoir circonscrit et détruit avec le bistouri le point de la peau d’où il prend naissance. Bientôt les douleurs du malade ont complètement disparu, et une marche de tout le jour dans les salles de l’hô- pital ne lui cause aucune incommodité; enfin le dix-huitième jour après l’opération, la ci- catrisation est entièrement terminée, et il est en état de sortir de l’hôpital. Ve Observation. —Aupied gauche, enfon- LEÇONS DE M. DÜPUYTREN. cernent de l’ongle dans les chairs j avulsion : au pied droit, affection de la matrice de l’ongle; enlèvement de la peau. Louis.... âgé de dix- huit ans, d’une forte constitution, entra à l’Hôtel-Dieu vers la fin de juillet 1826. Le gros orteil du pied gauche présentait un enfoncement du bord externe de l’ongle dans les chairs. Rien de particulier dans cette af- fection ; tout au pourtour de l’ongle la peau était rouge et tuméfiée, mais non ulcérée, excepté dans le point où avait lieu l’incarnation ; l’ex- trémité du doigt offrait un peu de gonflement, et les douleurs étaient assez vives, mais tolé- rables. Le malade se plaignait sur-tout des souf- frances que lui faisait éprouver le gros orteil du pied droit. Ce n’était plus ici le même cas: la peau de l’ongle était partout ulcérée ; des fongosités s’élevaient à sa base ; l’ongle lui- même était noirci et divisé en plusieurs pin- ceaux cornés , de forme irrégulière ; enfin , tous les symptômes de l’affection de l’ongle incarné, s’y rencontraient manifestement. M. Dupuytren, frappé de cette réunion singulière des deux genres de maladie sur un même individu, fit remarquer cette circon- stance aux élevés de la clinique; il rappela un autre cas semblable à celui-là, et qui s’était déjà offert à lui dans sa pratique ; et après avoir parfaitement établi les divers signes qui caractérisaient Tune et l’autre de ces affections, il exposa les raisons qui le forçaient d’appli- quer à chacune un traitement différent. £n effet , Longle du gros orteil gauche fut divisé, à l’aide de ciseaux , en deux moitiés égales , qui furent successivement arrachées; et tout ce qui restait de l’ongle fut soigneusement détruit; puis, immédiatement après, M. Du- puytren enleva avec le bistouri toute la peau qui donnait naissance à l’ongle du côté droit. 11 s’écoula peu de sang. Le malade, qui avait beaucoup souffert, fut reconduit à son lit et pansé convenablement. La plaie qui résultait de l’avulsion de l’ongle du gros orteil gauche futcicatrisée complètement au bout desix jours; l’autre ne fut entièrement guérie qu’après onze jours de pansement. Le quatorzième jour après l’opération , le malade sortit de l’hôpital par- faitement guéri. Le 18 octobre dernier, il re- vint à l’Hôtel-Dieu demander un certificat qui attestât sa maladie et sa guérison, et les deux doigts malades ajant été examinés, parurent dans un état très satisfaisant. La cicatrice était ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. formée, lisse et la peau présentait dans quel- ques points une consistance presque cornée. Toutefois l’ongle n’avait reparu sur aucun des deux doigts, et le malade n’éprouvait pas la moindre gêne dans ses mouvemens. En reportant notre attention sur les obser- vations qu’on vient de lire, on voit, conti- nue M. Dupuytren , qu’elles tendent toutes à confirmer ce que nous avons avancé précé- demment. Aussi nous bornerons-nous main- tenant à reprendre les différentes doctrines que nous avons établies, et à les présenter dans un résumé rapide sous une forme qui permette de les apprécier avec facilité. i°. En général, lorsque l’ongle est altéré, il se porte vicieusement sur leschairs qui l’envi- ronnent, et celte maladie constitue l’incarna- tion de l’ongle. Son avulsion est le seul moyen de traitement qui assure la guérison de l’in- carnalion. 2°. La maladie caractérisée par l’inflam- mation primitive de la peau qui sert de ma- trice à l’ongle, est tout-à-fait distincte de l’es- pèce précédente dans ses symptômes , dans ses résultats, et sur-tout dans le traitement qu’elle réclame. L’enlèvement avec le bistouri delà ONGLE RENTRÉ DANS LES CHAIRS. tolalllé de la peau malade, doit être préféré à tous les autres moyens thérapeutiques ; il est à !a fois plus prompt et plus sur. 5“. Toutefois il ne faut point négliger l’em- ploi des autres moyens , soit antiphlogistiques, soit résolutifs et Ton doit s’efforcer d’épar- gner au malade une opération qui est toujours- fort douloureuse. LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. 77 ARTICLE IV. DES LUXATIONS DE L'HUMÉRUS. Considérations cliniques sur les points pathologiques les plus hnportans des luxations scapulo-huméralcs. Luxations an- ciennes et récentes réduites avec succès par une méthode Inu- sitée en France. Un écrivain renommé a dit, en parlant de ces luxations, qu’il est peu de maladies dont Phisloire soit plus avancée, et dans le traitement desquelles la chirurgie soit plus voisine de ce terme idéal que l’on a nommé perfection. Il sera facile de voir, dans le cours de cet article, combien cette assertion , à l’époque sur-tout où elle fut émise , était peu fondée. Plusieurs questions, en effet, d’une haute importance pratique n’avaient pas même été soulevées ou étaient encore sans solution. Les auteurs mo- dernes s’accordent à admettre que ces luxations s’opèrent primitivement dans trois directions différentes, dont la plus fréquente est celle qui se fait en bas, au-dessous de la cavilêglénoïde i l’expérience de M. Dupujtren a confirmé LSCCVKS de m. dupuïtreï*. la vérité de cette théorie. On avait établi en principe que dans les articulations orbiculaires, la luxation est toujours complété : M. Dupnjtren a prouvé par des faits que celle de l’articulation scapuio-huméi ale se fait quelquefois d’une ma- nière incornplète. Les signes distinctifs de la luxa- tion et de la fracture de l’extrémité supérieure de l’humérus n’étaient que très vaguement in- diqués , et dans beaucoup de circonstances le praticien restait dans le dou le, faute de lumières suffisantes : ce célèbre professeur a trouvé dans un cas récent l’occasion de caractériser ces deuxîésionsavecuneprécision telleque l’erreur sur celte matière ne pourrait plus être imputée qu’a l’ignorance.Dans beaucoup de luxations et sur-tout de luxations anciennes, la méthode de réduction ordinaire , qu’il a si heureusement modifiée , se trouvait encore insuffisante entre les mains mêmes du plus habile opérateur. M. Dupujtren n’a pas hésité à essayer récemment une méthode peu connue; elle a obtenu entre ses mains le plus heureux succès chez plusieurs blessés, et elle paraît destinée à rendre de pré- cieux services. Enfin l’importante question de savoir jusqu’à quelle époque il est possible d’opérer la réduction des luxations en général et de celles-ci en particulier, n’avait été jus- qu’ici,que nous sachions,abordée par si ce n’esl encore parM. Dupuvtren dans ses ex- cellentes leçons de clinique chirurgicale. Tels sont les principaux points de pathologie sur lesquels les travaux de ce savant professeur ont jeté le plus grand jour, mettant ainsi au niveau des autres branches de la science cette partie de la chirurgie qui était sans contredit la plus imparfaite. Luxations de u’huM.erüs. 79 lre Observation.—tl’îie femme de quarante- un ans , mendiante, reçue à l’Hôtel-Dieu le 5 août dernier, racontait que, le g du mois précé- dent , se trouvant à une heure assez avancée de la nuit dans les fossés qui entourent le Champ* de-Mars ; elle avait été acostée par plusieurs individus qui avaient voulu lui faire violence. Elle résista, fut renversée, reçut des coups de bâton, et se releva en criant qu’elle avait le bras démis. Conduite à Saint-Lazare, quelques jours après, les médecins de l’établissement pensèrent qu’elle était aiïectée d'une luxation de l’bumérus, et firent, à quatre reprises diffé- rentes,des tentatives de réduction,qui n’eurent d’autres résultats que de rendre plus vives les douleurs qu’elle éprouvait. Depuis ces exlen- LËCOBIS DE M. DTJPüîTK EST. sions infructueuses , elle ressentait même , dit-elle, dans l'avant-bras et les doigts, des engourdissemens dont elle était exempte au*- paravaul. Ce ne fut qu’un mois après l’accident qu’elle entra à l’Hôlel-Dieu-. Elle présentait les symptômes suivans : saillie dé l’acromion, aplatissement du deltoïde, le coude écarté du tronc et n’en pouvant être rapproché , le bras ne pouvant être élevé vers la tête, enfin dans l’aisselle une saillie évidemment osseuse. Cet ensemble de symptômes constituait bien les signes de la luxation ; mais ces signes sont aussi ceux de la fracture. La crépitation et la mobilililé des qui caractérisent spé- cialement cette dernière lésion , n’existaient pas, il est vrai; mais l’intervalle écoulé depuis l’accident pouvait , si elles avaient existé , les avoir fait disparaître. D’un autre côté , la fracture pouvait avoir été produite par les coups de bâton que la malade disait avoir re- çus, de même que |a luxation pouvait résul- ter de la position qu’avait prise le membre contre le soi au moment de la chute. Enfin , la saillie osseuse de l’aisselle ne représentait pas fa rondeur égale de la tête de l’humérus. luxations de l'humérus* Vous voyez donc, dit M. Dupuytren, que* si l’on ne consulte que les symptômes ration- nels établis jusqu’à ce jour par tous les au- teurs sans exception comme caractères diffé- rentiels de la luxation et de la fracture, il est impossible de porter un jugement à priori sur la nature du cas qui nous occupe. Cependant nous tenterons la réduction , et nous aurons soin d’éviter les inconvéniens que Ferre ut entraînerait pour la malade, si par hasard nous avions affaire à une fracture ; car il ne faut pas oublier que lorsque celle-ci est prise pour une luxation , on peut bien la ré- duire, il est vrai, mais en abandonnant les parties à elles-mêmes, les muscles reprodui- sent peu à peu le déplacement et celui-ci ne tarde pas à reparaître; que si au contraire la luxation est prise une fracture, on n’cn. fait presque jamais la réduction complète. Dans tous ces cas, le malade reste plus ou moins estropié. Avant de procéder à l’opéra- tion , celte femme y sera préparée, suivant notre habitude, sur-tout lorsqu’il s’agit d’une luxation ancienne, par une saignéepar l’ap- plication de cataplasmes autour de l’articula- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. ô ' lion, par des bains et l’ingestion de quelques grains d’extrait aqueux d’opium. Au jour fixé , les manœuvres Je réduction se firent suivant le procédé adopté par le pro- fesseur, procédé que nous décrirons plus loin. Auxpremiersefforts d’extension, lamalade jette de hauts cris. M. Dupuytren, pour détourner fortement son attention et suspendre ainsi la résistance des muscles, ? suppose qu’elle est accusée d’avoir été à la maraude la nuit de son accident et lui en fait des reproches sévères. Elle s’en défend avec beaucoup de vivacité. Mais malgré cette puissante diversion, la réduction ne peut être opérée. Plusieurs autres tentatives sont tout aussi infructueuses. Cependant on crut remarquer quel’aplatissement du deltoïde était moins prononcé. Cette circonstance et l’inuti- lité des efforts de réduclionclonnaient plus de probabilité à l’hypothèse de l’existence d’une fracture; la diminution de l’aplatissement du deltoïde pouvait provenir de ce que le eal en- core tendre aurait été légèrement repoussé en dehors par les efforts d’extension , et pour augmenter cette tendance on plaça un gros coussin entre le bras.et le tronc et on rapprocha fctJXATJONS- DC L iIUMIüiUS. le coude le pl us qu’il lui possible de ce dernier à l’aide d’une bande. Au bout de quatre jours, ce bandage n’avail rien produit. Le fait que nous venons d’exposer-, dit Aï. Dupujlren , soulève trois questions princi- pales dont il est urgent de trouver la solution : i° Les signes que nous avons décrits pré- cédemment étant tout-à-fait insuffisans , par quels moyens parviendrons-nous à établir le diagnostic? 2° Eu supposant qu’il y ait lu- xation et non fracture, les tentatives de réduc- tion par le procédé que nous avons employé constamment et avec succès, n’ayant eu aucun résultat favorable, par quel procédé obtien- drons-nous la réduction ? 3° L’intervalle qui s’est écoulé depuis l’accident conlre-indiqnc- rait-il l’opération ; ou , en termes génériques, jusqu’à quelle époque est-il possible de réduire une luxation ? Par suite des difficultés que nous avons rencontrées, nous avons du nous livrer à un examen approfondi des dispositions que présente l’articulation chez celle malade. En même temps, un jeune chirurgien , M. le docteur Malgaigne, a bien voulu nous faire part des idées que ce cas lui a suggérées et LEÇONS DE M. »Ui‘üYïftE»% nous nous sommes empressé de les accueillit parce qu’elles nous ont paru fort justes. Voici ce qui est résulté de ce double exa- men : D’abordil existe chez celte malade un alongeraent assez considérable du membre blessé ; or, dans tonie fracture des os longs, s’il n’y a pas de déplacement, le membre con- serve sa longueur naturelle ; si au contraire il y a un déplacement qui entraîne le chevau- chement, le membre se raccourcit. Chez cette femme, mesuré de la saillie de l’acromion à celle de Tolécrâne ou d’un des condvles hu- méraux , le bras luxé offre un demi-pouce de plus que l’autre. Ce signe seul est pour nous une preuve certaine,irréfragable de l’existence d’une luxation, et dès lors nous devons éloi- gner toute idée de fracture.. Mais en outre , M. Malgaigne nous indique quelques autres signes que nous allons constater. Le premier, qui est la conséquence du précédent, consiste dans un accroissement en hauteur de la paroi antérieure de Faisselle; et, en effet, mesurée du bord inférieur de la clavicule au bord libre antérieur de la fosse axilîaire, la paroi axillaire du côté affecté présente chez celle malade un demi-pouce de plus que la paroi opposée. 2° La LUXATIONS OE I’iIüMÈRÜS. 85 tête de l’os luxé doit nécessairement former, selon lui, une saillie en avant, là où d’ordinaire se remarque le creux sous-cla v\culaire, et la différence d’aspect qui en résulte pour les deux côtés de la poitrine , est sur-tout sen- sible chez les personnes maigres : il est vrai que chez celte malade elle est très apparente. 3° Enfin , dit M. Malgaigne, en appuyant les doigts immédiatement sous l’acromion, on déprime facilement le deltoïde, s’il existe une luxation; et c’est précisément ce que l’on observe chez cette femme. La dépression est impossible, au contraire , en cet endroit dans les cas de fracture. Ces quatre signes tou- jours constans dans la luxation, toujours ab- sens dans la fracture, se soutenant l’un par l’autre , et suffisant même isolés, furent dé- montrés sur la malade en plein amphithéâtre. La nature de la lésion étant par conséquent mise hors de doute, il s’agissaifde savoir s’il y avait, ou non, contre-indication à la réduction, à cause de son ancienneté. L’expérience et des laits nombreux ayant démontré depuis long- temps à M. Dupuylren qu’on peut réduire sans inconvéniens des lésions de celle nature, beaucoup plus anciennes même que celle- DECOHS DE M. DEPUTTREX. ci, comme nous le prouverons plus loin, il n’hésita pas à se prononcer pour la négative, et il s’occupa immédiatement de la question de savoir quel procédé il convenait de substituer au procédé ordinaire qui avait été sans succès, d’abord, dès les premiers jours de l’accident, entre les mains des médecins distingués de Saint-Lazare, et ensuite plus tard entre les siennes propres, malgré la grande habileté qu’on lui connaît. M. Malgaigne saisit celte oc- casion pour soumettre à M.Dupujtren une mé- thode inusitée en France, qui devait consistera faire l’extension, le bras étant fortement relevé et par conséquent raccourci, au lieu de tirer sur le bras abaissé et par conséquent alongé. C’é- tait, dit ce jeune chirurgien, appliquer au cas présent le principe général que je me suis fait pour toutes les luxations, c’est-à-dire, disposer les os de manière qu’ils chevauchent l’un sur l’autre et que l’extension ait pour butl réel de rendre au membre la longueur qu’il a perdue. M. Malgaigne ajoute que l’anatomie normale et pathologique de ces luxations l’avait porté à adopter cette méthode avant qu’il eut connaisance des observations deWithe qui l’avait employée autrefois, mais dans les LUXATIONS DE I'hUMÉRUS. 87 luxations anciennes seulement (Gazette Médi- cale de Paris, Vous pourrez juger de la valeur de cette méthode, dit M. Dupuytren, par l’application que nous allons en faire à la malade que nous (i)Ea 1780, Mothe, l’un des chirurgiens de Fllôlel-Dieu de Lyon,envoy a à F Académie de chirurgie un Mémoire sur la luxation de l’humérus y dans lequel il proposait une méthode nouvelle dont il se disait l'inventeur. Cette méthode consiste à saisir le bras à son extrémité inférieure ou près du coude, le malade étant assis ou couché sur un lit et Favant-bras fléchi j!à le relever graduellement, en l’attirant à soi, c’est-à-dire en pratiquant une extension plus ou moins forte, jusqu’à ce qu’il soit le plus près possible de la tète ou d’une ligne parallèle à l’axe du tronc. Le bras amène' dans cette situation, on fait une extension plus considérable dans la même direction, tandis qu’on exerce la contre-extension en ap- puyant fortement sur Fépâule. Mothe rapporte, dans son mémoire, huit observations de luxa- tions qu’il a réduites par celte méthode avec une grande facilité. Chez quatre malades, dont deux femmes, un cocher fort et vi- goureux et un nouveau-né qui avait eu le bras luxé par les ma- nœuvres de la sage-femme, la maladie ne datait que de quelques heures; chez deux négocions, de vingt-quatre et quarante-huit heures ; enfin chez un homme d’une forte constitution , de dix- sept jours, et chez une femme de trente-deux ans , de cinq semai- nes. En Allemagne et dans plusieurs autres pays du Nord cette méthode est généralement connue sous le nom de Mothe et pour ainsidire devenue populaire. Rust, chirurgien distingué de Berlin, en donne la description dans son journal, le Magazin fur die gesammle Heilkunde, t. 10, p. iB4- 88 LEÇONS DR M. DUPUYTRECf. avons sous les jeux et aux autres cas qnise pré- senteront par la suite. Il est bon devons pré- venir cpie si elle ne réussissait le cas étant très grave et ajant résisté à notre méthode ordinaire -, on n’en pourrait rien conclure de trop défavorable. Si elle réussit, au contraire, il faudra bien lui accorder quelques avantages sur celle qui vient d’échouer. La malade étant préparée convenablement, on procéda à la réduction, le i 4 août dernier, et cette opération fut confiée à M. le docteur Malgaigne qui, comme nous l’avons dit, avait proposé l’emploi de cette méthode chez cette femme. Celle-ci étant couchée, un drap plié en travers fui placé sur l’acromion, ses deux exlré- mités ramenées vers les pfeds et maintenues par des aides. Plus tard, la résistance que Ton rencontra pour fit préférer de passer ces extrémités dans Panneau scellé à la mu- raille. Le lacq exlensif étant placé à la manière ordinaire et confié à deux aides_, le bras luxé fut relevé aussi haut que possible, de manière à le rendre presque parallèle à l’axe du tronc , et l’on exerça ainsi l’extension. L’avant-bras avait été mis en pronation pour substituer un levier droit au levier coudé que représente le membre en supination. LUXATIONS DE I’iIUMÏÎRUS. Les premières extensions ne parurent cau- ser que des douleurs médiocres; la léte appa- rut parfaitement au creux de Faisselle qu’elle remplissait; peu à peu elle s’éleva vers la cavité où l’extension l’attirait, et les deux Lords de Faisselle qui, jusque-là, étaient effacés , lais- sèrent apparaître le creux qui les sépare dans l’état ordinaire. Cependant on pressait avec les doigts et la paume de la main sur la tête [minérale, pour l’aider à regagner sa cavité au niveau de laquelle elle semblait parvenue; deux fois, dans cet espoir, on lit rapprocher le bras du tronc, et deux fois.elle refusa de ren- trer. En ce moment M. Dnpuytren se chargea de l’opération, et pressant vigoureusement avec le talon de la main sur la tête luxée, tandis qu’on faisait l’extension parallèlement à l’axe du corps y il ordonna aux aides d’abaisser le bras et de le ramener près du tronc en conti- nua ni l’extension. Un premier essai échoua, le second réussit complètement; l’humérus rentra àsa place sans faire entendre aucun bruit. Le moignon de l’épaule avait repris sa rondeur, le coude se rapprochait aisément du tronc , îcs mouvemens de l’articulation se faisaient avec facilité, enfin la saillie de l’aisselle avait disparu. Le bras mesuré, comme il a été dit , restait néanmoins encore plus long que l’autre, et la saillie que fait la tôle au-dessous de l’a- cromion, semblait un peu plus basse que dans l’état naturel. Nous devons faire remarquer que M. Dupuylren a introduit dans ce procédé une modification qui, sans aucun doute, a puissamment contribué au succès de l’opéra- tion ; c'est le refoulement exercé par lui de bas en haut avec la main sur la tôle de l’hu- mérus pendant les efforts d’extension. ÏÆÇÔttS DE M. DEruY l RÉ7?. La malade fut reconduite dans son lit. Un léger coussin fut mis sous l’aisselle, et le coude rapproché du corps. Elle ne souffrait point, et dormit dès la nuit suivante. Trois jours après on enleva le coussin comme inutile, et l’on maintint seulement le bras collé au côté. La saillie sous-acromiale de la tête était la môme, et l’alongement persistait, ainsi que le gon- flement autour de l’articulation et en avant vers le creux sous-claviculaire. Du reste, il n’y avait diminution ni du sentiment, ni du mou- vement dans aucune partie du membre , et M. Dupuytren regardait comme certaine la guérison complète de cette malade. LUXATIONS DU I’hUMÉRUS. Voilà un premier succès obtenu publique- ment ,et clans un cas dilficile, à l’Hôtel-Dieu, par la méthode nouvelle. Mais pourquoi, la réduction une fois opérée, le bras n’a-t-il pas repris aussitôt sa longueur normale? dit le professeur, qu’une portion de la capsule aurait été refoulée dans la cavité glénoïde, ou bien existerait-il un boursouflement des car- tilages? Celle présomption n’est pas, comme on pourrait le croire, sans fondement. Deux causes , en effet, peuvent déterminer le gon- flement ou boursouflement des cartilages d’une cavité articulaire, à la suite d’une luxa- tion. D’abord la cause qui a occasioné le dé- placement a dû nécessairement retentir avec plus ou moins de force sur cette cavité par l’intermédiaire de la tête de l’os luxé : de là une cause d’irritation , d’inflammation même, dont les effets, vous le savez, sont, à la longue, d’augmenter la densité, l’épaisseur des par- ties qu’elle affecte; mais, en second lieu, l’ex- périence n’a-t-elle pas démontré que les ca- vités articulaires, devenues veuves par la soustraction de l’os qu’elles recevaient, ten- dent incessamment à s’effacer, et s’effacent en effet entièrement après un laps de temps LEÇONS DE M. DüEtJYTIvEw, pins on moins grand ? Il n’y a donc rien dé- tonnant à ce que, dans un cas de luxation déjà ancienne, la cavité articulaire n’oflre plus sa profondeur ou sa capacité naturelle, et qu’on attribue à celle circonstance Talon- gement du membre qui persiste, comme chez celte femme, ou qui survient, comme dans certaines luxations anciennes du fémur, après la réduction. Cependant, les explications que M. Malgai- gne donne de ce fait sont également satisfai- santes. « Dans les luxations récentes, les mus- cles sus et sous-épineux, sont appliqués contre la cavité glénoïde, le muscle sous-scapulaire forme une espèce de calotte sur la lêle luxée ; n’est-il pas présumable que le temps écoulé a permis la formation d’adhérences qu’aurait en- core favorisées l’irritation produite par plu- sieurs tentatives infructueuses de réduction? On a quelquefois trouvé, en disséquant de ces luxa- tions un peu anciennes, des fausses membranes, passées même à l’état cartilagineux. D’ailleurs, Je gonflement dont les environs de l’article étaient le siège , n’on*t pu cesser brusquement après la réduction, et le gonflement n’occupe pas moins assurément la partie supérieure de LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. l’articulation que les autres côtés. Du reste, cet alongement, après la réduction, ne paraît ex- traordinaire que parce que jusqu’ici il n’avait jamais été remarqué et qu’aucun auteur n’en a fait mention. » Mais on ne sait encore s’il se rencontre plus ou moins apparent après la ré- duction de toute luxation un peu ancienne. M. Dupuytren était porté à croire qu’on ne pouvait attribuer l’aloagementqu’à la luxation en bas, au-dessous de la cavité glénoïde ; mais M. Malgaigne ayant fait observer que la tête humérale, occupant la concavité d’une voûte formée par l’acromion,l’apophyse coracoïde et le ligament qui les unit, doit être évidemment à un niveau inférieur quand elle est poussée sous l’un ou l’autre pilier de la voûte, le professeur en appela à l’expérience pour décider la ques- tion. Sur des os secs, il demeura évident que la luxation sous l’acromion , entraînait l’alon- ment du bras ; mais il restait des doutes pour la luxation sous le bec coracoïde. On produisit cette luxation sur une articulation fraîche- ment préparée avec ses ligamens, et le tout mesuré avant et après, le professeur fit voir qu’elle entraînait un alongement d’environ «n demi-poUce. Quant à la luxation en bas, 94 LEÇONS DE M. DUPüYTREN# 6 l’expérience a été fai te sur la même arlicula- sation. Tous les muscles étant enlevés, il a été impossible de luxer la tête huraérale sur ce point ; mais la chose devint facile dès qu’on eut divisé avec Je bistouri les fibres ligamen- teuses qui unissent la capsule à l’acrornion et à l’apophyse coracoïde. Mais, dit le professeur, les résultats que nous venons d’obtenir sur cette articulation, ont-ils lieu d’ordinaire sur le vivant? C’est ce qu’il faudra résoudre par de nombreuses autopsies. Ce qui est remarquable, c’est qu’il existe ici un alongement du mem- bre de plus d’un pouce et demi, alopgement énorme, et dont il n’existe aucun exemple dans les observations recueillies jusqu’à ce jour. On peut juger, par les dévoloppemens dans lesquels nous venons d’entrer , de combien de questions intéressantes l’étude des luxations scapulo-humérales soulève encore l’examen. Deux nouveaux cas s’étant présentés depuis cette époque , il a été procédé à la réduction par la même méthode. IIe. Observation. L’un était offert par une blanchisseuse, âgée de soixante-sept ans, femme de petite taille, maigre et peu musclée, qui était tombée à la renverse dans une trappe LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. de cave ouverte derrière elle, et avait roulé le long d’une douzaine de marches. L’accident avait eu lieu à huit heures du matin, le 27 oc- tobre dernier ; elle se rendit de suite à la con- sultation publique de l’Hôtel-Dieu. M. Dupuy- tren reconnut une luxation en bas et en avant ou sous-coracoidienne. On procéda aussitôt àla ré- duction. Un aide saisit le poignet du côté le relève parallèlement à l’axe du corps, et le tire directement en haut. Un autre aide appuie sur l’omoplate pour faire la contre extension; M. Dupujtren, assis , dirige la tête de l’hu- mérus avec les deux pouces. Au premier effort d’extension, la réduction a lieu sans difficulté et presque sans douleurs. Le bras est abaissé avec précaution, rapproché du tronc et main- tenu par un bandage. Au bout de douze jours la malade était guérie. Ce procédé, consistant à soulever le malade par le bras luxé, on ne pourrait faire l’ex- celui-ci étant assis, s’il était d’une haute taille. Dans ce cas, on fait coucher le blessé, ou bien l’aide chargé de faire l’ex- tension , peut monter sur un plan plus élevé, comme sur une table. IIIe. Observation. Le sur-lendemain du LEÇONS DE M. DUPUYTREN. jour où fut opérée la malade précédente, se présenta aussi à la consultation de M. Du- pujtren, une femme de quarante à quarante- cinq ans , faiblement musclée, mais de haute taille et affectée également d’une luxation en bas et en avant. On la fit coucher sur le dos; un drap plié en cravatte fut passé sur l’épaule, et les deux chefs ramenés vers le bas du tronc du côté opposé, et confiés à deux aides chargés de faire la contre-extension ; deux autres aides relevèrent le bras parallèlement à Taxe du tronc et firent l’extension, tandis que M.jDupuytren, avec ses deux pouces, repoussait de bas en haut la tête de l’humérus. Au premier effort, la luxation fut réduite sans douleurs; la ma- lade se mit immédiatement à rire. Elle ne resta pas à l’hôpital. Dans ces deux cas , dit M. Dupujtren , les circonstances étaient des plus favorables; nous avions affaire à des luxations toutes récentes, à des Femmes maigres, affaiblies par l’âge, et sans énergie musculaire. Notre méthode ordinaire obtient, dans des cas semblables, une réussite également prompte. Néanmoins il faut remarquer que nous n’avons eu besoin ici ni de prendre aucune précaution , ni de fixer les ma- LUXATIONS DE L’HUMERUS. lades à l’anneau pour faire l’extension, et que la réduction a été opérée sans efforts, avec une facilité et une promptitude remarquables. Il serait injuste, je crois, d’attribuer tous ces avantages à l’âge et à la constitution des ma- lades , et de refuser à la méthode employée la part qui lui en est due. Nous venons, messieurs , de nous étendre assez longuement sur une méthode qui vous était inconnue, et dont vous avez pu déjà ap- précier la valeur par l’application qui en a été faite. Nous nous proposons de l’employer dans d'autres cas de luxations de l’humérus au fur et à mesure qu’ils se présenteront à notre examen. En attendant nous appellerons votre attention sur quelques autres questions non moins importantes. Si l’observation clinique n’eùt pas dès long- temps établi la fréquence de ces luxations, la disposition anatomique de l’articulation sca- pulo-humérale, aurait suffi pour la faire pré- senlir. Ce n’est en effet qu’aux dépens de sa solidité, que cette articulation jouit d’une mo- bilité si marquée. Une cavité protégée par une voûte osséo-fibreuse une tête osseuse re- çue dans celte cavité, une capsule qui les en* LEÇONS DE M. DUPTJÏTREN. veloppe et les maintient en rapports, un grand nombre de muscles qui les meuvent, tels sont, vous le savez, les élémens de cette articula- tion. Mais la disproportion qui existe entre les dimensions de la tête de l’humérus et celles de la cavité glénoïde, la laxité du ligament capsulaire et sa ténuité, surtout à sa partie inférieure, la situation du bras et ses usages, qui l’exposent à chaque instant à l’action des violences extérieures, sont autant de circons- tances qui provoquent ou favorisent le (dépla- cement du membre. Elles agiraient plus effi- cacement encore si l’omoplate qui accom- pagne l’humérus dans ses mouvemens, n’é- tendait ainsi la limite dans laquelle ces deux os conservent leurs rapports. II n’est peut-être pas de sujet chirurgical, sur lequel les auteurs soient plus divisés, que sur les différentes espèces de luxations du bras. Ce n’est pas ici le lieu de faire l’histoire de ces nombreuses divergences d’opinion. Je me bornerai à vous rappeler que l’expérience et l’observation m’ont démontré que le bras peut être primitivement luxé dans trois direc- tions principales: 10. En bas, sur le bord axillaire du scapulum ; 20. En dedans ou en LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. 99 avant dans la fosse sous-scapulaire ; 30. En de- hors ou en arrière, dans la fosse sous-épineuse. La présence des apophyses acromion et cora- coïde , unies par un ligament très fort, la si- tuation de l’extrémité humérale de la clavicule, s’opposent à la luxation directement en haut. Cependant M. Astley-Cooper admet une luxa- tion partielle dans ce dernier sens : la partie supérieure de la capsule étant déchirée, la tête de l’os selon lui, contre le bord postérieur de l’apophyse coracoïde. La luxation de l’humérus en bas, la seule qui soit primitivement possible pour quelques auteurs, est sans contredit la plus commune. Elle est généralement produite dans une chute sur le coude, et sur-tout sur la paume de la main, le bras étant étendu et directement écarté du corps. L’humérus s’incline alors sur la cavité glénoïde de manière à former avec elle un angle aigu, dont le sinus est tourné en haut ; la tête de l’os glissant ainsi de haut en bas sur la cavité articulaire, se trouve poussée fortement contre la paftie inférieure de la capsule ; celle-ci pressée en sens inverse par le poids du corps, se déchire et laisse sortir la tête de l’humérus, qu’entraîne d’ailleurs la 100 LEÇONS DE M, 'DUPUYTREW. contraction des muscles grand-pectoral, grand- dorsal et grand-rond. Celte tête vient se pla- cer sur le côté interne du bord antérieur du scapulum, entre le muscle sousscapulaire, qui est en avant, et la longue portion du triceps qui est en arrière. Les muscles grand-pecto- grand-dorsal et grand-rond, agissent à la manière d’un lévier dont le point d’appui est au coude et dont la résistance est à l’arti- culation de l’épaule. La luxation en bas peut encore, suivant quelques auteurs, être pro- duite par un coup violent porté sur la partie externe du moignon de l’épaule, au-dessous de l’acromion. Mais alors elle se complique sou- vent de fracture du scapulum ou de l’humé- rus. Elle peut être aussi déterminée par la simple action musculaire, dans un violent effort d’élévation du bras pour soulever un fardeau , ou pendant un accès d’épilepsie, soit qu’on admette que le deltoïde déprime la tête de l’os et la pousse inférieurement hors de la capsule , soit qu’on pense avec M. Bojer qu’il y a simultanéité d’action des muscles grand-pectoral, grand-dorsal et grand-rond et des muscles élévateurs. Les symptômes de cette luxation sont : l’a- LUXATIONS DE I’hUMÉïIUS. longement du bras, sa direction oblique en dehors, le coude écarté du tronc et ne pou- vant en être rapproché, la tête et le corps penchés du côté affecté, Favant-bras demi- fléchi, l’impossibilité des mouvemens spon- tanés d’élévation et de rotation, le dévelop- pement de douleurs vives par les tentatives que l’on ferait pour produire ces mouvemens, la déformation de l’épaule : l’acromion pré- sente une saillie très considérable, au-dessous de laquelle existe une dépression, provenant de l’aplatissement du deltoïde, qui n’est plus soutenu par la tête de l’humérus. Celle-ci forme dans le creux de Faisselle une tumeur dure et arrondie. La luxation en dedans ou en avant survient dans une chute sur le coude écarté du corps et porté en arrière. La persistance de celte situation vicieuse, quand le malade est relevé, la présence d’une tumeur formée par la tête de l’humérus au-dessous de la clavicule et au devant du moignon de l’épaule qui est moins déformé que dans le cas précédent, enfin l’im- possibilité de ramener le coude en devant sans causer de très vives douleurs, ne laissent au- cun doute sur l’existence d’une luxation de 102 LEÇONS DE M. DUPUYTUEN. celle espèce. Celle-ci est beaucoup plus rare que la luxation en bas ; elle est aussi rarement primitive et presque toujours consécutive à la première. Une chute sur le coude porté fortement en avant et en haut peut produire la luxation en dehors et en arriéré. Ce déplacement est ex- trêmement rare et serait peut-être même im- possible sans une disposition vicieuse de la cavité glénoïde, inclinée, par exemple, en arrière, et considérablement alongée. Dans cette luxation, le bras / peu écarté de la poi- trine, est dirigé en devant et en dedans; l’é- paule est simplement aplatie à sa partie an- térieure ; la tête de l’humérus fait saillie au- dessous de l’épine de l’omoplate, vers le coté externe de l’angle antérieur de cet os. Nous avons cru, dit M. Dupuytren, devoir entrer dans ces détails élémentaires, d’abord pour l’instruction de plusieurs d’entre vous, mais sur-tout pour les mettre en regard des modifications que l’on voudrait introduire dans la théorie généralement admise, et que nous allons résumer. x° L’alongement du membre dans les luxations dites en hasy n’est pas un fait nouvellement observé ; nous l’avons constaté LUXATIONS DE I’hüMÉUUS. chez toutes les personnes que nous avons eu à traiter dans notre longue pratique; mais cet alongement existe-t-il dans toute espèce de luxations de I*humérus, ainsi que quelques personnes le prétendent, ou bien au contraire le bras est-il tantôt plus long , tantôt plus court, suivant l’espèce de la luxation, comme d’autres le pensent ? 20 L’humérus ne peut-il se luxer primitivement que dans une seule di- rection, et les autres luxations admises jusqu’à ce jour, ne sont-elles que consécutives ?3° S’il est vrai qu’il n’y ait qu’une seule espèce de luxations primitives, dans quel sens a-t-elle lieu? 4° La luxation ne peut-elle se faire qu’a- vec déchirure de la capsule articulaire ou bien suffit-il que celle-ci soit plus ou moins distendue et tiraillée pour que la tête humé- raie s’échappe de sa cavité ? Cette capsule déchirée , en exerçant une constriction au- f à tour de l’os luxé, peut-elle, comme le croyait Desault, s’opposer à la réduction, ou bien, faut-il penser avec Astley-Cooper, que ce prétendu obstacle est tout-à-fait imaginaire? 6° Enfin, il existe encore des dissentimens à l’égard même de la structure anatomique de quelques-uns des moyens d’union de l’articu- LECOTSS DE Mi. DUPUYTREW. lalion, et chacun explique, d’après sa manière de voir, le mécanisme et la fréquence du dé- placement de l’humérus. C’est ainsi que les uns , et nous avons toujours partagé leur opi- nion , admettant que la partie inférieure de la capsule est son côté le plus faible , ont consi- déré la luxation en bas comme la plus com- mune à beaucoup tandis que d’autres soutiennent que c’est cette partie inférieure qui offre le plus d’épaisseur, que la capsule est beaucoup plus ténue sur d’autres et ne placent la luxation en bas qu’au troisième rang, à raison de sa fréquence et de la facilité avec laquelle elle peut être produite. Il nous serait facile de puiser dans nos souvenirs et notre expérience des faits assez nombreux pour trancher dès aujourd’hui la plupart des ques- tions précédemment posées ; mais cette dis- cussion nous entraînerait trop loin ; nous les signalons à votre attention , et nous y revien- drons à mesure que nous rencontrerons de nouveaux faits. On dit généralement que dans les articula- tions orbiculaires le déplacement est toujours complet ; l’anatomie pathologique a prouvé le contraire en offrant des exemples de luxa- tions incomplètes du bras et du fémur. LÜXA.TIONS DE L’HUMERUS. IVe Observation. En 1824, le chirur- gien en chef d’un des hôpitaux de Paris, a présenté à l’Académie une pièce pathologi- que provenant d’un homme mort huit mois après une luxation de l’humérus qui n’avait pas été réduite. Elle offrait une fausse arti- culation constituée, d’une part par la cavité glénoïde de l’omoplate et une petite portion de la surface des côtes ; d’autre part, par la tète de l’humérus creusée en gouttière pour recevoir le bord antérieur de la cavité glé- noïde, comme par une espèce de ginglyme. Pendant la vie, le bras n’exécutait que de légers mouvemens d’avant en arrière. Dans un .cas de luxation spontanée du fémur , le même pratici ena vu la tête ramollie s’arrêter sur le bord antérieur de la cavité cotyloïde et s’y fixer au moyen d’une engrénure. donc deux exemples bien constatés de luxa- tion incomplète de deux articulations orbiculai- res par excellence, luxation dont la possibilité, difficile à concevoir en effet, avait été univer- sellement niée par les auteurs. Nous avons déjà vu quels sont les symptômes propres à chaque espèce de luxations scapulo- humérales, mais nous avons fait remarquer 106 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. aussi que ces symptômes appartenaient égale- ment à la fracture de l’extrémité supérieure de l’humérus, et que dans beaucoup de cas il était très difficile de porter un jugement et très commun de Noir confondre ces deux lé- sions. M. Dupuytren est le premier qui en ait établi les signes différentiels dans des leçons cliniques qui ont été l’objet d’un excellent Mémoire publié par M. le docteur Marx. Toute personne , dit le professeur, affectée d’une luxation ou d’une fracture de la partie supérieure de l’humérus est tombée sur le côté du corps correspondant à la maladie ; mais la position du membre, au moment de la chute, n’est pas la même dans les deux cas, et cette différence décide communément de l’espèce de lésion qui s’ensuivra et fournit les moyens de la reconnaître. Si, lorsque le bras écarté du corps a été porté en avant ou en dehors pour aller à la rencontre du sol et amortir les effets de la chute, il y a dépla- cement, ce déplacement sera une luxation de la tête de l’humérus sans fracture. Si au contraire le bras a été retenu apppliqué sur les côtés de la poitrine, comme dans une chute inopinée, le malade ayant, par exem- LUXATIONS DE I’hüMÉRUS. pie, sa main dans le gousset de son pantalon, c’est sur le moignon de l’épaule que porte le poids du corps, et alors, s’il y a déplacement, c’est par suite d’une fracture ou d’un écrase- ment de la tête ou de la partie supérieure de l’humérus. Dans les deux cas, il y a douleur vive au moignon de l’épaule et le malade croit toujours que la chute a été faite sur le siège de cette douleur. Mais lorsqu’elle est le produit d’une luxation , la chute ayant eu lieu sur la paume de la main , celle-ci est ordinairement souillée de terre ou de boue, ou présente des ecchy- moses ou des excoriations ;si, au contraire, la douleur est déterminée par la fracture de l’os, on reconnaît que la chute a eu lieu sur le moi- gnon de l’épaule, à l’absence de toute em- preinte sur la main, aux souillures qui existent sur les vétemens ou sur la peau de l’épaule, àla contusion, aux ecchymoses ou aux plaies de cette région. Dans la luxation , la douleur tient à la déchirure de la capsule fibreuse et des tissus voisins : dans la fracture, à la contusion du moignon de l’épaule et à la déchirure des parties molles par le fragment inférieur. Par suite de ces lésions, il peut y avoir et il LEÇONS DE M. DUPüYTIIEN. y a communément ecchymose ; mais comme elle est produite, dans la par la déchi- rure des parties internes de l’articulation, et dans la fracture par la contusion des parties externes de l’épaule , lé siège de cette ecchy- mose est tout-à-fait différent dans les deux cas: dans la luxation, elle est située à la partie in- terne ou antérieure du bras ; dans la fracture, sur le moignon même de l’épaule. Enfin , elle est plus rare dans la luxation , presque cons- tante , au dans les cas de frac- ture. Dans les deux lésions, Vacromion est sail- lant, le deltoïde aplati : on sent un vide à son côté interne , et, dans le creux de l’aisselle, une saillie ; mais une analyse exacte de ces symptômes lève presque toujours les doutes qu’un examen superficiel aurait pu faire naî- tre. En effet, la saillie de l’acromionest plus considérable , l’aplatissement du deltoïde plus grand dans la luxation que dans la frac- ture , où ce muscle paraît racourci et comme gonflé. Dans la luxation, on sent au côté interne du muscle deltoïde un vide très grande pro- duit par le déplacement interne de la tête de LUXATIONS DE I’hüMÈRUS. l’os ; ce vide est moindre dans la fracture. La saillie, formée an creux de l’aisselle par suite d’une luxation, est très prononcée ; elle l’est beaucoup moins dans la Fracture ; dans le pre- mier cas la forme en est arrondie, elle est iné- gale dans le second. Toutes ces différences tiennent à ce que le déplacement est toujours plus complet dans l’une que dans l’autre de ces lésions. La mobilité et la crépitation sont nulles lorsqu’il y a luxation ; elles sont faciles à sen- tir et à entendre lorsqu’il y a fracture. En effet, l’humérus est-il luxé? on a beau imprimer des mouvemens au membre, l’os du bras offre un tout continu, qui souvent encore se meut de concert avec comme s’ils ne faisaient qu’un seul et même corps. Est-il fracturé ? il y a une mobilité contre nature sur un point de l’extrémité supérieure de l’os; cette mo- bilité est ordinairement accompagnée de cré- pitation, qui n’est jamais plus facile à recon- naître que lorsqu’après avoir saisi l’extrémité inférieure du bras, on lui fait exécuter des mouvemens de rotation sur son axe. Enfin, ce qui distingue sur-tout la luxation de la frac- ture , c’est que la première exige des efforts LEÇONS DE M. DUJPUYTRE3L plus grands pour être réduite, et qu’il suffit, après là réductionde maintenir le bras contre la poitrine ; tandis que dans la fracture , un appareil est indispensable pour maintenir les fragmens en contact, empêcher les muscles de reproduire le déplacement, et obtenir une guérison sans difformité, et partant sans diffi- culté dans les mouvernens. Il arrive quelquefois que lorsque la fracture consiste dans une simple solution de continuité sans elle est confondue avec une forte contusion du moignon de l’épaule. La crépitation et la mobilité qu’on sent en impri- mant des mouvernens de rotation au coude, sont les seuls moyens de lever les doutes. 11 faut cependant ne pas s’en laisser imposer par une espèce de crépitation, de craquement que l’on rencontre dans un forte contusion de l’é- paule, et qui est le résultat de l’inflammation des surfaces articulaires et du défaut de sécré- tion de la synovie. Yoici quelques observa- tions propres à démontrer les préceptes énoncés parle professeur. Ve Observation. Fracture du col de Vhumérus, avec déplacement léger de la tête de l’os, simulant une luxation. Un ancien mi- LUXATIONS DE I’hUMÉUUS. blaire, âgé de 62 ans, actuellement cordonnier, fait, en marchant sur un plan incliné, une chute dans laquelle le poids du corps porte sur le membre thoracique gauche appliqué sur lé côté du tronc. Ce malade, apporté à l’Hôtel” Dieu le lendemain de l’accident, présente un gonflement assez considérable autour de l’ar- ticulation scapulo-bumérale ; un raccourcisse- ment du muscle deltoïde ; une augmentation d’épaisseur et de largeur de ce muscle, qui se laissait cependant un peu déprimer; une saillie de l’acromion plus marquée que dans les cas ordinaires ; l’impossibilité de rapprocher le bras du tronc; une crépitation et une mo- bilité des fragmens très obscures ; une tumeur arrondie, ressemblant beaucoup à la tête de l’humérus, dans le creux de l’aisselle ; une espèce de saillie à la partie interne de l’épaule, sous le tendon du grand-pectoral. A. cet ensemble de symptômes, on voit combien était grande la difficulté d’établir un diagnostic. M. Dnpuytren se prononça pour l’existence d’une fracture. L’appareil fut ap- pliqué; mais deux jours après, le gonflement avait augmenté, et l’on s’aperçut, en pansant le malade, que le muscle deltoïde était moins LEÇONS DE M. DUPUYTREN. 5 large, moins épais et moins raccourci qu’il ne l’avait paru d’abord ; qu’il se laissait déprimer; qu’il y avait un vide au-dessous de i’acro- mion, qui, lui-même , était assez saillant ; enfin, l’absence de toute mobilité de la part des fragmens, et la présence d’une tête par- faitement arrondie dans le creux de l’aisselle, durent suspendre le jugement que l’on avait porté. On exerça quelques tractions sur le mem- bre ; un coussin remplissant parfaitemenr le creux de l’aisselle, fut assujéti comme dans la fracture de la clavicule ; le bras appliqué sur ce coussin , y fut fixé par plusieurs jets circulaires de bande qui, serrés fortement, passaient de son extrémité inférieure autour du tronc, et agissaient de telle manière, que le tiers inférieur de l’humérus, couvert par la bande, était porté un peu en avant et en de- dans, tandis que son extrémité supérieure était dirigée un peu en arrière et en haut, et qu’elle reposait sur le coussin. Cinq jours après, le gonflement diminua et disparut presque en totalité ; la crépitation se fit aisément entendre et sentir, et les doigts, portés dans le creux de l’aisselle, rencontrèrent LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. le fragment inférieur qui offrait beaucoup d’i- négalités et paraissait composé de plusieurs pièces légèrement mobiles. Dès lors, plus de doute sur la justesse de l’opinion primitive- ment émise; On toucha aussi la tête de l’hu- mérus ; elle se trouvait déplacée et portée un peu en avant et en dedans. L’appareil fut réappliqué et renouvelé d’a- bord tous les trois jours, puis tous les cinq ou six jours seulement. Au quarantième, on le leva pour ne plus le replacer ; il n’j avait plus ni mobilité, ni crépitation ; le membre avait repris sa longueur ordinaire, et le muscle deltoïde et l’acromion leur état naturel. VIe Observation,—Luxation de Vhumé- rus droit en haut et en avant, consécutive a une luxation en dedans. Hamlin, vingt-six ans, graveur sur cristaux, était occupé à don- ner des secours contre un incendie et marchait avec précipitation sur le toit d’une maison à cinq étages ; il tombe dans la cour, rencon- trant dans sa chute un auvent en bois, situé à huit pieds de terre, qu’il brisa. Conduit à l’Hôtel-Dieu, il offre une luxation de l’hu- mérus et diverses contusions très fortes. Le bras est placé sur un oreiller, on applique des LEÇONS DE M. DUPE YTREN, résolutifs sur les régions contuses, et une sai- gnée est pratiquée. Le lendemain, le malade était couché sur le dos, le bras étendu sur l’oreiller, écarté du corps, de manière à former avec lui un angle droit cisaillant en dedans et en haut, ouvert et rentrant en dehors et en bas, la paume de la main dirigée en avant, tout le membre dans le plus haut degré de supination. Quand on louchait le creux de l'aisselle, on ne sentait pas de saillie ; mais en promenant la main plus loin, on rencontrait en dedans et sous les muscles pectoraux une saillie for- mée par la tête de séparée seule- ment de quelques lignes de la clavicule. Rapprochait-on le bras du corps, le malade étant sur son séant, on apercevait du côté de l’épaule une saillie formée par Lacromion ,le muscle deltoïde légèrement aplati, ce qui tenait à ce que l’humérus était sorti de la ca- vité glénoïde de l’omoplate et placé près de la clavicule. Faisait-on exécuter au membre des mouvemens de totalité, des douleurs vives en étaient le résultat. Au-dessous de la clavicule, existait une tumeur arrondie et soulevant les muscles pectoraux. Enfin, le malade ne pou- LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. vait porter le bras en arrière, ni àla tête, etc. A ces signes, il était facile de reconnaître une luxation en avant et en haut, consécutive à une luxation en dedans, Une nouvelle sai- gnée est pratiquée pour procurer un affaiblis- sement général qui devait faciliter la réduction. Le lendemain , avant de procéder à l’opéra- lion, M. Dupuytren fait observer qu’elle serait: laborieuse, parce qu’on avait affaire à un homme fort, robuste et musculeux, et que d’ailleurs ces espèces de luxations of- frent toujours beaucoup plus de difficultés que les déplacemens en bas ou en dedans, En effet, on ne parvient à réduire qu’après avoir exercé de vives et longues tractions, et en détournant l’attention du malade par des questions pres- santes et multipliées. Le bras est ensuite placé et maintenu demi-fléchi et appliqué sur le tronc à l’aide d’une serviette. Des résolutifs sont entretenus sur l’épaule. Vingt jours après, on permit au malade d’exercer des mouvemens ; il fut long-temps encore à retrouver l’usage complet du mem- bre. Quelquefois la luxation de l’humérus est compliquée de fracture de son col chirurgicale 116 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. On a affaire alors à l’une de ces lésions rares contre lesquelles la nature et l’habileté de l’homme de l’art ne peuvent presque rien. Malgré celte impuissance, un bon diagnos- tic est encore d’une extrême importance pour l’application d’un appareil convenable. VIIe Observation. —Un tonnellier de quarante-trois ans , assez vigoureux, montant sur une échelle mal fixée contre une porte, tomba dans l’embrâsure, entraînant dans sa chute l’échelle elle-même. Le récit du ma- lade est trop vague , pour que nous puissions précisément dire ce qui s’est passé au moment de la chute. Il se souvient seulement que le bras gauche passa entre deux échelons, qu’un des montans de l’échelle pressa forte- ment le moignon de l’épaule de dehors en dedans, qu’il éprouva, à l’instant même, une très-vive douleur dans l’articulation scapulo- humérale, et qu’il tomba sur le côté gauche. Observons que la double lésion du membre thoracique gauche a précédé la chute, puis- que cette dernière s’est faite sur le côté oppose, et que d’ailleurs le malade avait déjà senti un déchirement dans l’épaule. On mande un chirurgien de village, qui, LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. croyant avoir à traiter une luxation simple, pratique de nombreuses extensions , puis ap- plique le bandage ordinaire. Il est digne de remarque que, pendant les efforts d’extension, le malade éprouvait un soulagement notable. N’ëtait-ce pas une preuve que les extrémités des fragmens ayant été replacées, cessaient d’irriter les parties molles environnantes? Après une vingtaine de jours de repos absolu , le malade s’aperçut que son épaule était dé- formée, que le bras avait un excès de longueur, et que les mouvemens étaient on ne peut plus douloureux. Néanmoins il ne réclama des secours plus éclairés que le 26 janvier, cinquante-cinq jours après l’accident. Yoici ce qu’il présentait alors à notre observation : la longueur du bras gauche excède au moins d’un pouce celle du droit; les mouvemens en arrière et en avant sont très bornés, et médiocrement douloureux ; quoique le membre soit presque parallèle au thorax, il est impossible de l’y appliquer sans exciter une douleur des plus aiguës à la partie supé- rieure et antérieure de l’épaule. Les mouve- mens d’adduction sont fort peu étendus mais très douloureux. Au lieu d’une convexité uni- LEÇONS DE M. DUPUYTIIEN. 5 forme et résistante, le moignon présente un aplatissement très sensible, qui ne ressemble nullement à la dépression qu’on observe dans les cas de luxation simple. L’acromion est saillant. L’œil et sur-tout la main font re- connaître sans peine la direction extraordinaire de l’humérus. Au lieu d’aller se terminer sous la voûte acromiale, il se porte en dedans, et va s’unir au fragment supérieur, formant avec l’extrémité inférieure de ce dernier un angle saillant dans le creux de l’aisselle».' Ce n’est donc point un corps arrondi, mais une saillie qu’on sent dans le creux axillaire. C’est immé- diatement au-dessous de l’extrémité acromiale de la clavicule que se trouve la tête de l’hu- mérus. Elle y fait un relief remarquable en soulevant le bord deltoïdiendu grand pectoral. Lorsqu’avec le ponce on exerce, de haut en bas, une légère pression sur celte éminence, on imprime un mouvement à la totalité du bras. L’interne de la salle le premier jour, quelques tentatives qui n’aboutirent à rien ; puis des bains, des cataplasmes calmèrent un peu les douleurs que les moindres mouve- mens déterminaient. Toutefois, M. Dupuylren LUXATIONS DE I’HUMÉRUS. n’avait aucun espoir cie réduction, bien que le cal eût probablement acquis toute sa solidité ; il n’avait pas oublié qu’un chirurgien célèbre s’était vivement repenti d’avoir cédé aux ins- tances de son malade. Le professeur démon- tre que la seule règle de conduite à suivre dans celte triste complication, consiste à s’opposer efficacement à la tendance qu’ont les extré- mités des fragmens à se porter en dedans. Dans le cas où il n’est pas facile de dis- tinguer la fracture de la luxation , M. Du- puytren donne ce précepte important : Ren- dez au membre , par des manœuvres conve- nables , sa forme et sa longueur naturelles ; retournez auprès du malade sept ou huit heures après : si vous trouvez l’épaule défor- mée, soyez assuré que vous avez affaire à une fracture. Nous avons vu, continue M. Dupuytren, par la cinquième observation, combien il est quel- quefois difficile de distinguer la luxation, même récente, de la fracture de l’humérus. Cepen- dant, et ceci doit vous engager à acquérir des connaissances positives ? précises sur les ca- ractères de ces lésions, l’erreur à cet égard n’est commune que parmi les personnes peu LEÇONS DE M. DUPUYTREN. « instruites ou fort'peu habituées à en observer. Il nous est arrivé souvent de recevoir dans nos salles des individus affectés de fractures ou de luxations qui avaient été méconnues en ville, bien que les symptômes caractéristiques en fussent évidens. Mais dans les luxations anciennes , les signes différentiels que nous avons énumérés sont bien plus souvent diffici- les à saisir. Vous avez pu vous en convaincre par l’exemple de la malade ( première obser- vation) qui nous a fourni le sujet de ces re- flexions, Les symptômes propres à la fracture peuvent avoir disparu, s'ils ont jamais existé ; il reste les symptômes communs aux deux lésions, mais, de plus, des symptômes parti- culiers à la luxation , que le temps n’a point effacés, et ce sont ces derniers qu’il faut ré- chercher avec soin dans les cas épineux. Parmi eux se trouvent ceux que nous avons décrits dans des leçons précédentes, savoir i» l’alongement du bras, symptôme qui n’est pas nouveau y nous le répétons, mais auquel on n’a pas reconnu jusqu’ici toute l’impor- tance qu’il possède ; 2° l’alongement de la paroi antérieure de Faisselle ; 5° la déforma- tion du moignon de l'épaule, et la dépression LUXATIONS DE I’hüMÉRUS. facile du deltoïde avec les doigts. Quant à cette saillie que l’on rencontre en avant sous l’apophjse coracoïde et le muscle grand-pec- toral , et qui est indépendante de la saillie osseuse de l’aisselle, il ne faudrait pas lui don- ner plus de valeur qu’elle n’en a réellement, car elle s’observe également dans les cas où la fracture est accompagnée d’un léger dé- placement de l’os , ainsi que nous l’avons dé- montré par un fait ( observation se.5e. ) • Passons maintenant à l’examen d’une ques- tion toute neuve sur laquelle nous avons souvent appelé l’attention dans nos leçons des années précédentes, et que personne, avant nous, n’avait abordée ; savoir, jusqu’à quelle époque d’ancienneté on peut réduire les luxa- tions ? La différence déduite de cette ancienneté est de la plus grande importance pratique „ car la réduction des luxations qui datent de plusieurs jours est bien autrement difficile que dans les cas où le déplacement vient de s’effectuer. Les parties molles et l’os lui-même ont contracté une certaine habitude de posi- tion. Les ligamens et les muscles environnant une articulation malade, acquièrent une rai- 122 LEÇONS DE M. DUPUYTÜEN. deur qui se prêle difficilement aux efforts réductifs, et îa déchirure faite aux ligamens orbiculaires peut être cicatrisée de manière à rendre impossible le retour de l’os dans sa cavité. Ce n’est qu’en multipliant les faits qu’on peut parvenir h résoudre la question qui nous occupe et à tracer aux praticiens des règles à suivre en pareil cas. Les anciens pensaient qu’on ne devait plus tenter la réduction dès que la luxation avait quelques jours de date. Celte opinion sur les dangers des réductions de luxations anciennes se conserva long - temps. Benj. Bell la partageait, encore bien qu’il connût les succès obtenus par Wilhe et Freeke, habiles chirurgiens Anglais. L’auto- rité de Bell influa long-temps sur la conduite de Desault; mais, s’il faut en croire Bichat , l’expérience le ramena à une pratique plus hardie; et des succès complets obtenus sur des luxations de quinze à vingt jours., le por- tèrent à en tenter au bout de trente-cinq jours. Bichat assure même l’avoir vu dans les deux années qui précédèrent sa mort, réduire des luxations de deux, trois et même de qua- tre mois. LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. 123 Un Mémoire, contenant six observations, publié clans le Répertoire cYanatomie et de chi- rurgie , par M. Flaubert, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen , serait peu propre à encourager les praticiens à réduire des luxa- tions anciennes. Dans cinq de ces observa- tions, la réduction a entraîné de graves acci- dens, la déchirure d’une grosse artère , celle des nerfs et des muscles. Ces accidens, dit M. Flaubert, sont d’autant plus à craindre , que la luxation sera plus ancienne, ou qu’elle aura été accompagnée de plus de gonflement ou d’autres signes d’inflammation. C’est cette inflammation, ajoute-t-il, antérieure à la ré- duction, qui nous paraît principalement dis- poser les parties à se déchirer en déterminant des adhérences des vaisseaux et des nerfs aux parties voisines. Déplus, l’inflammation ra- mollit pour ainsi dire le tissu des muscles et même des artères, et le rend moins propre à résister aux efforts exlensifs. L’existence de celte inflammation adhésive a été démontrée par l’autopsie de deux des malades dont il rapporte l’histoire. Chez le sixième malade, la réduction d’une luxation ancienne du fé- mur a été suivie de la mort, par l’effet d’une LEÇONS DE M. DUPUYTREW. violente inflammation locale qui a donné lieu à des symptômes généraux des plus graves. De quatre de ses observations, M. Flaubert conclut encore que beaucoup de paralysies du membre supérieur attribuées à la luxation elle-même, sont dues aux efforts de réduction. M. le docteur Marx, jeune chirurgien d’un mérite auquel la science est déjà redevable d’un grand nombre de travaux im- a traité ce sujet avec un talent remar- quable dans le Recueil précité et prouvé que les nombreuses observations consignées dans les auteurs, et celles non moins nombreuses que lui a fournies la pratique de M. Dupuylren, soit en ville, soit à FHôtel-Dieu, conduisent à des résultats tout opposés à ceux de M. Flau- bert. A quoi peut donc tenir cette différence dans les résultats? Serait-ce à des différences d’âge, de sexe, de constitution, etc.? mais ces variétés individuelles se trouvent dans les faits cités par ce chirurgien. Serait-ce plutôt à la manière de réduire? Mais, à l’Hôtel-Dieu de Rouen, le procédé est exactement le même que celui dont M. Dupuytren se sert à Paris. On ne peut donc penser qu’une chose, savoir que M. Flaubert a été plus malheureux que LUXATIONS DE L’HUMÉRUS. 125 les autres chirurgiens, dans les cas que sa pratique a pu lui offrir. « Si les tractions violentes, dit M. Marx* qu’exigent les réductions des luxations ancien- nes , peuvent causer des accidens, les réduc- tions de luxations récentes n’en sont pas tou- jours*exemptes. Pourquoi, d’ailleurs, aban- donnerait-on à elles-mêmes les luxations an- ciennes? La nature ne les guérit pas; ou si elle les guérit, ce n’est qu’avec des difformi- tés qui rendent pour toujours les membres incapables de remplir leurs fonctions. La tête d’un os une fois sortie de sa cavité , n’y rentre jamais spontanément. Les exemples* que l’on trouve dans les auteurs, de réduction spon- tanée de luxations de la mâchoire inférieure, de la base des phalanges, etc., ne font que confirmer ce principe : elles établissent une infirmité plutôt qu’elles ne prouvent une pos- sibilité; car elles sont le résultat d’un affaiblis- sement des ligamens et des muscles, affaiblis- sement qui permet à la luxation de se repro- duire avec la même facilité qu’elle s’est ré- duite. Les muscles , loin de tendre à ramener un os luxé à sa place naturelle, tendent presque toujours, au contraire, à l’en éloigner. ou du moins à l’empêcber d’y rentrer. Les mouvemens restent supprimés dans certains sens, bornés et douloureux dans d’autres. En vain de nouvelles cavités se forment et remplacent les anciennes qui finissent par s’effacer ; ces cavités artificielles, toujours imparfaites , ne sauraient suppléer les cavités naturelles; et les muscles comprimés, éloignés ou rapprochés de leurs points d’insertion, ne sauraient remplir leurs fonctions ordinaires; ils passent à l’état graisseux ; les membres finissent par s’atrophier et par devenir à charge aux malades » LEÇONS DE M. DUl’ü YTREJV. Nous pourrions citer, à l’appui de la doc- trine de M. Dupuylren sur ce sujet, l’histoire complète de trente-trois cas de luxations plus ou moins anciennes. Sur ce nombre, on compte vingt-cinq luxations de rbumérus dans diverses direc- tions, cinq du fémur et trois de l’avant-bras. Des trente-trois luxations, 5 ont été réduites du 5e au io° jour. 6 — du ioe au 2oc. 4 — du 20e au 5o°. 5 — du 3oe au 4,0°. 5 — du 4oB au 5oe. LUXATIONS DÉ 1/HUMÉRUS. 2 du 5oc au 6oe. 0 — du 6oc au 70e. 2 — — du 70e au 80e. 2 du 80e au 90e. 1 - •=— du 90e au 100e. I — au bout de deux ans XX k) O Des trente-trois, Vingt-six sont tirées de la pratique de M. Dupuylren, soit en ville, soit à l’hôpital. La moins ancienne datait de cinq jours, la plus ancienne de quatre - vingt - deux Jours, la plupart, de vingt, quarante et cinquante jours. (V. 1 e Répertoire, Mémoire de M.Marx.) Un seul de ces vingt-six malades est mort, non par suite d’accidens or.casionés par la réduction (la luxation ne datait d’ailleurs que de six jours) , mais d’affections concomitan- tes, de déchirures énormes des parties molles, avoisinant l’articulation et produites par les morsures d’un cheval furieux. Un second malade a conservé des difficultés dans les mouvemens de la main et des doigts. o La réduction avait été opérée huit jours après l’accident. Enfin chez un enfant âgé de dix ans, dont 128 LEÇONS DE M. DUPÜYTREN. îa luxation du coude remontait à soixante- seize jours , la réduction fut impossible, et ce cas doit être par conséquent déduit du chiffre total des succès. Tous les autres malades ont promptement et parfaitement guéri, sans avoir éprouvé le moindre accident. Les vingt-septième et vingt-huitième obser- vations appartiennent à Desault. L’une des luxations ( scapulo-humérale) a été réduite le quarante-cinquième jour ; il est survenu un emphysème de la poitrine, qui a été avan- tageusement combattu, et le malade , âgé dè soixante ans, fut complètement guéri le tren- tième jour de l’opération. La deuxième luxa- tion (scapulo-humérale aussi) dont l’histoire a été recueillie par Giraud, chirurgien en se- cond de l’Hôtel-Dieu, à l’époque où Desault en était le chirurgien en chef, fut réduite par ce dernier, le quatre-vingt-dixième jour. C’é- tait une femme âgée de trente-quatre ans qui en était atteinte; elle fut parfaitement guérie le soixante-huitième jour après l’opération. L(S vingt - neuvième et trentième sont tirées de l’ouvrage de Mothe. Nous les avons rappelées précédemment. LUXATIONS DE I’iIUMÉRÜS. La trenle-unième a été offerte par une femme de cinquante-cinq ans, et réduite par M. Sanson , chirurgien en second de l’Hôtel- Dieu , le quatre-vingt-dix-huitième jour, après deux tentatives seulement. Il ne survint pas d’accidens, et la malade fut bientôt en état de quitter l’hôpital. ( Nouveaux Elémens de pa- thologie médico-chirurgie aie , par MM. Roche et Sanson , tom. 4* ) La trente-deuxième est consignée dans le Traité de chirurgie de Delamotte, et a pour objet une luxation de l’humérus, qu’un mé- decin, nommé Desrosiers, s’était faite en tom- bant de cheval, et qui fut réduite par l’auteur lui-même après deux mois d’existence. « Nous réussîmes dit Delamotte ; autant bien que nous pouvions le souhaiter » , et il ajoute qu’il a réduit de la même manière et avec le même succès deux autres luxations presque aussi an- ciennes que celle-ci. Enfin, la trente-troisième est extraite des Mémoires de l’Académie de Chirurgie, tom. 5, et contient l’histoire d’une luxation de la cuisse, qui après des accidens divers et plusieurs consultations écrites où elle avait été tour à tour méconnue et constatée, fut enfin ré- duite au bout de deux ans. 130 Il s’agit clans celte observation d’une jeune dame de vingt-deux ans, qui ayant pris pour accoucher une position toute particulière, se serait luxé la cuisse dans un mouvement brus- que et violent qu’elle fit au moment même de l’accouchement. Louis Forestier, chirurgien habile de la ville de Saint-Claude , Tissot de Lausanne et Cabanis de Genève, avaient tous vu, examiné la malade et reconnu positi- vement la luxation , ainsi que M. Guyenot de Paris, qui en a adressé l’observation à l’A- cadémie de Chirurgie. Malgré tous ces té- moignages, l’histoire de ce fait présente des circonstances si extraordinaires, qffonne peut s’empêcher d’élever des doutes sur la vérita- ble nature de la maladie de Farticulalion de la hanche. Nous ne l’avons donc rappelé que pour mémoire, et non comme preuve ni comme exemple à suivre en pareille occurrence. En effet, un jeune homme de vingt-trois ans, por- tant depuis deux ans une luxation de l’hu- mérus en avant, qui avait été méconnue, s’é- tant présenté à la consultation publique de l’Hôtel-Dieu , le 27 juin 1829, M. Dupuylren lui conseilla de ne rien laisser tenter pour en obtenir la réduction,. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. LUXATIONS DE I’hUMÉRUS. Parmi les observations de luxations an- ciennes, que nous devons à la pratique de ce célèbre professeur, nous en rapporterons une qui offre des circonstances extrêmement cu- rieuses et peut-être sans analogues dans l’his- toire de l’art. VIIIe Observation.—Le /t juillet 1829, une vieille femme se présenta à la consultation pu- blique de l’Hôtel-Diea , ayant une luxation de l’extrémité supérieure de l’humérus. L’acci- dent datait de six semaines, et la luxation avait été déterminée par une chute faite sur la main, le bras étant écarté du corps, étendu et dirigé en avant. La malade faisait remonter celte chute à six semaines, mais elle ajoutait que le bras , pendant ce laps de temps, n’avait pas toujours présenté les phénomènes qu’on ob- servait actuellement; elle le remettait, sui- vant son expression, à volonté et à l’aide de certains mouvemens de l’épaule ; elle ne pou- vait alors se servir de son membre qu’avec une certaine difficulté. Le bras se démettait quelquefois quand elle tentait d’exécuter des mouvemens un peu étendus ; mais elle ne tar- dait pas à réduire de nouveau sa luxation, de la manière que nous avons indiquée. LEÇONS DE M. DüPUYTfiEN. Depuis deux ou trois jours, la luxation s’ëtait reproduite; mais cette fois il lui avait été impossible de la réduire ; c’est ce qui la détèr-* mina h venir à l’Hôtel-Dieu, M. Dupuytren n’ajouta d’abord aucune foi à l’exactitude de ce récit ; néanmoins tous les symptômes de la luxation en bas étant évidente, il se mit en de- voir d’en faire la réduction par les moyens or- dinaires. L’extension et la contre-extension étant convenablement exécutées, et la tête de l’humérus déplacée du point qu’elle occupait, M. Dupuytren crut, au bruit particulier qu’il entendit et au changement dans la conforma- tion de l’épaule, l’avoir replacée dans sa cavité naturelle; la malade assura, de son côté, que le bras était remis dans la situation où il était quelques jours auparavant, lorsqu’elle pouvait exécuter, avec un peu de gêne, il est vrai, la plupart des mouvemens ordinaires. En examinant attentivement l’épaule, le professeur reconnut que plusieurs des symp- tômes de la luxation subsistaient encore, tels que l’aplatissement du deltoïde, la saillie de l’acromion, etc. etc. Il commença alors à soup- çonner que la malade pouvait avoir dit la vérité. L’extension et la. contre-extension étant faites LUXATIONS DE I’hüMÉUUS. de nouveau, il replaça, après quelques légers efforts, la tête de l’humérus dans la cavité glénoïde ; l’épaule reprit sa conformation natu- relle et tous les symptômes de la luxation dis- parurent. Les circonstances de ce fait, dit M. Dupuj- tren , peuvent assez facilement s’expliquer. La tête de l’humérus avait été luxée en bas ; après avoir glissé de haut en bas sur la cavité articulaire , distendu et rompu la capsule fibreuse de l’articulation, elle s’était placée sur le côté interne du bord antérieur ou axil- laire de l’omoplate et un peu dans la fosse sous-scapulaire. Dans cette la ma- lade exécutait quelques mouvemens particu- liers du bras; elle était parvenue à placer la tête de l’humérus sur le scapulum, immédia- tement au-dessous de la cavité glénnïde, et lui faisant prendre là un point d’appui, elle pouvait se servir de son bras, quoique avec un peu de difficulté , comme s’il n’avait point été luxé. Les efforts qu’elle avait faits pour établir le rapport des surfaces articulaires, n’avaient pu aboutir qu’à donner à l’os cette nouvelle situation que des mouvemens un peu violens ou un peu étendus pouvaient facile- LEÇONS DE M. DÜPUYTHEN. ment détruire. C’est alors qu’avaient lieu les symptômes d’une luxation plus prononcée, symptômes qu’ôffrait la malade au moment de son arrivées l’hôpital. îl est donc démontré par la récapitulation que nous venons de présenter d’un grand nombre de luxations anciennes, qu’on peut en tenter la réduction et l’obtenir sans s’exposer en général aux accidens graves que l’on paraît redouter. Si l’on ne veut procéder que d’après des faits, on conclura de ce qui précède que des tentatives de réduction peuvent être faites pour des luxations qui ont quatre-vingt-dix huit Jours d'existence, ainsi que le prouve l’opération pratiquée par M. Sanson. Mais si ces tentatives sont sans danger à cette époque, il n’y a pas, ce nous semble, des raisons de croire que ce terme ne puisse être reculé, non pas indéfiniment, mais d’un nombre de jours plus on moins considérable. Espérons que de nouveaux faits viendront tôt ou lard justifier celle présomption. Le Traitement des luxations de Ehumérus, comme celui de toutes les luxations en géné- ral y se divise en trois temps principaux ; le traitement préparatoire et des complications, la réduction et le traitement consécutif. LUXATIONS DE I’hüMÉRUS. Ordinairement simples , les luxations du bras peuvent se compliquer de l’engorgement œdémateux du membre supérieur, de sa pa- ralysie , de la blessure de Tarière axillaire , J 7 , 7 d’emphysème, d’inflammation plus ou moins violente de Tarticulation , accidens qui de- viennent l’objet d’indications spéciales. L’en- gorgement œdémateux se rencontre, assez ra- rement d’ailleurs , dans la luxation en bas. Il tient à la pression exercée parla tête de Thumé- russur les vaisseaux lymphatiques et les veines du bras ; il disparaît en général après là ré- duction, ou, s’il persiste, on le voit bientôt céder à l’application exacte, sur toute la lon- gueur du membre , d’un bandage roulé , im- bibé d’une liqueur résolutive. L’inflammation, shl en existe, doit être combattue avec une vigueur proportionnée à son intensité, par les saignées générales et locales , par les bains, les applications et les fomentations émolliea- tes. La paralysie partielle ou générale des muscles du membre supérieur , observée aussi plusieurs fois , survient quand le nerf circon- flexe seul, ce qui est le plus commun, ou tous les nerfs du plexus brachial sont distendus ou contuspar la tête de l’humérus au moment oit 136 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. elle s’échappe de la cavité gléuoïde. La sim- ple compression est ordinairement curable, si on l’attaque d’abord par les moyens anti- phlogistiques et ensuite par les rubëfians, par les vésicatoires et même par l'application d’un moxa au-dessus de la clavicule , sur l’origine du plexus brachial. Lorsqu’au contraire les nerfs ont été désor- ganisés , il n’y a aucun espoir de guérison ; les malades restent toute leur vie affectés de la paralysie du muscle deltoïde seul, ou de tous les muscles du bras et de l’avant-bras. Aussi ne doit-on pas trop insister sur le traitement que nous avons conseillé pour les cas de sim- ple compression, s’il ne procure aucun résul- tat. Il faut toujours néanmoins le tenter, parce qu’il est presque impossible d’établir a pr'iori si la paralysie est l’effet d’une contusion ou d’une simple compression. La lésion de l’ar- tère axillaire est très rare ; elle arrive plutôt dans les efforts de réduction, qu’au moment où la luxation s’opère. C’est ici le lieu d’indiquer les précautions que M. Dupuytren n’omet jamais pour favori- ser la réduction des luxations anciennes. Il fait faire usage de bains entiers pendant un LUXATIONS DE l’hüMÉHüS. temps plus ou moins long ; il conseille de couvrir l’articulation malade de cataplasmes émoliiens , rendus narcotiques ou slupéfians par addition de laudanum, d’extrait d’aconit, de jusquiame ou de belladone. Si le malade est jeune , fort et vigoureux, le professeur n’hesite pas à faire pratiquer une ou plusieurs saignées. Pour réduire les luxations suivant la mé- thode adoptée par M. Dupuytren , on fait as- seoir le malade sur une chaise ; on place au- dessus de la face dorsale du poignet la partie moyenne d’un lacq formé d’une serviette pliée en cravate et dont les deux chefs sont tordus et rassemblés vers la face palmaire. On fixe ce lacq extensif avec des circulaires de bande. On met ensuite dans le creux de l’aisselle un tampon de linge assez volumineux pour que le lacq conjl’e-extensif qui doit appuyer sur lui, ne comprime pas les muscles grand-pec- toral , grand-dorsal et grand-rond ; ce lacq contre-exlensif est fait avec un drap plié en cravate ; sa partie moyenne étant appliquée sur le tampon , ses chefs sont ramenés , l’un en devant, l’autre en arrière de la poitrine, croisés sur l’épaule saine et fixés à un anneau scellé dans le mur et confiés à un aide. LEÇONS DE I\l. DUPUŸTHEN. Un nombre d’aides proportionné aux ef- forts qu’on croit devoir exercer, saisissent ]e lacq extensif, et le chirurgien placé au côté externe du membre leur indique du geste quand ils doivent commencer. La luxation a-t-elle lieu en bas, on tire d’abord dans le sens du déplacement , puis on ramène le bras en bas et,en devant, pendant que le chirur- gien , appuyant le côté externe du coude contre sa poitrine, ramène la télé de l’os en haut et en dehors. S’il s’agit d’une luxation en dedans , on fait l'extension en tirant en dehors et en arrière ; on ramène le bras à sa direction naturelle. Quand la tête de l’humérus est dégagée , l’o- pérateur la pousse en dehors. Si la luxation existe dans la fosse sous-épineuse, l’extension doit être faite d’abord d’arrière en avant ; à mesure que la télé se dégage, l’opérateur la pousse dans le même sens , c’est-à-dire d’ar- rière en avant, et alors on fait l’extension plus directement en dehors. On rencontre quelquefois des difficultés à réduire, sur-tout dans les luxations anciennes, difficultés qui proviennent principalement de la résistance des muscles. C’est pour les vaincre qu’on se servait autrefois de différentes ma- chines ou moyens à effets violens, qui souvent n’étaient pas moins dangereux qu’impuissans. M. Dupnylren leur a substitué ingénieusement un moyen tout moral, qui consiste à détourner fortement l’attention du malade , ordinaire- ment fixée sur son accident, sur les douleurs qu’il éprouve ou plutôt sur celles qu’il re- doute. Le professeur, qui en a eu l’idée le premier , en relire journellement les plus grands avantages, ainsi que tous ceux qui de- puis l’ont mis en usage. Une pratique de vingt-cinq ans lui a démontré que les cas de non succès par celte méthode sont de un tous les deux ou trois ans. LUXATIONS DE I’îîUMÉRUS. Le bruit que fait la tête de Los en rentrant dans sa cavité , le rétablissement des formes naturelles de l’articulation , la facilité des di- vers mouvernens du membre, indiquent que la luxation est réduite. La réduction étant faite, on la maintient en fixant le bras contre le tronc avec un bandage de corps, et en soutenant le coude et l’avant-bras avec une écharpe. Les accidens qui compliquent quelquefois la luxation, et dont nous venons de parler, peuvent être aussi l’effet de la réduction, et LEÇONS DE M. DUPüYTREN. sur-tout de la réduction des luxations an- ciennes. Néanmoins ils sont infiniment plus rares que quelques personnes ne le préten- dent ; l’histoire de cette nombreuse série de luxations anciennes dont nous avons présenté le tableau, et la longue pratique de M. Du- puytren le prouvent d’une manière péremp- toire. Le hasard qui a fourni à M. Flaubert, dans le court espace de trois ou quatre ans, un ensemble de tous les accidens les plus gra- ves que puisse déterminer la réduction, est vraiment extraordinaire : il faut sans doute en chercher la cause dans des circonstances par- ticulières qui nous sont inconnues, lu emphy- sème de la poitrine que ce chirurgien a vu sur- venir chez un de ses malades après des tenta- tives de réduction, avait été déjà observé par Desault* Dans des cas semblables , il faudrait, à l’exemple de ce dernier, et comme le pra- tique aussi M. Dupuylreh, couvrir la tumeur de résolutifs, et exercer sur elle une com- pression méthodique à l’aide d’un bandage qui maintiendrait en même temps le bras fixé contre le tronc. DILATATIONS DE I’üRÈTRE. 141 ARTICLE Y. DES DILATATIONS VITALE ET MÉCANIQUE DE L’U- RÈTRE. Les rétrécissemens de l’urètre ont donné lieu auxopinionsles plus diverses, aux traite- mens les plus variés. Il suffit en effet de jeter un coup d’œil sur la longue liste d’auteurs qui ont écrit sur cette matière pour se convaincre de celte vérité. Notre projet n’est point de vous faire aujourd’hui l’histoire complète de ces maladies, mais de vous entretenir, à l’occasion de l’individu que vous avez sous les jeux, des perfectionnemens que nous avons introduits dans cette branche de l’art de guérir. Cet homme âgé d’environ quarante ans, de petite stature, cocher dans l’entreprise des ci- tadines, montait sur son siège, lorsque les che- vaux partirent tout-à-coup. Surpris , il tomba sur la roue les deux jambes écartées. A l’ins- tant même il ressentit une vive douleur au périnée, et perdit une assez grande quantité LEÇONS DE M. DUPUYTREK. de sang par l’urètre. Hors d’état de reprendre ses fonctions, il entra à T Hôtel-Dieu (mars 1802) présentant les symptômes suivons : tuméfaction des parties qui sont le siège de la contusion, dou- leur très vive le long du trajet du canal ; peau de la verge, des bourses, du périnée largement ec- cliymosée. Le malade ne pouvait uriner. En l’interrogeant, on apprit qu’il éprouvait fré- quemment ce besoin; qu’il avait eu plusieurs blennorrhagies,et que depuisiong-temps il élai t tourmenté par l’envie d’uriner. Il ne pouvait y avoir d’incertitude sur la maladie de cet homme : une sonde fut intro- duite, mais elle ne put pénétrer à plus de trois pouces. Elle fut remplacée par une bougie à extrémité soyeuse qui ne put également péné- trer. Il existait donc ici deux un rétré- cissement et une déchirure du canal de l’urè- tre : dans le premier cas il fallait détruire ou dilater; dans le second cas, si l’on abandonnait la maladie à elle-même, la guérison était à peu près certaine, mais le rétrécissement inévitable. C’est sans contredit un desexemples dontlacure présente le plus de difficultés. Vingt ou trente faits de ce genre ont été observés par moi,et j’ai toujours rencontré beaucoup d’obstacles dans DILATATIONS DE I’üRÈTRE. leur traitement. Pour prévenir le rétrécisse- ment, il faut que la cicatrice se forme sur la son de du calibre le plus large. Il y a cinq mois environ, une personne ayant eu une altercation de famille, s’ëîait munie de petits pistolets qu’elie portait dans son gousset. Dans une chute qu’elle lit, un des pistolets partit yla balle traversa l’urètre, perça le tes- ticule et se logea dans la cuisse. Si jamais quelqu’un futexposé à un rétrécissement, c’est sans contredit l’individu dont il s’agit. Nous introduisîmes une sonde dans l’urètre : au bout de trois mois la plaie était entièrement cicatri- sée, et depuis cette époque, il n’a pas cessé d’uriner très bien. Le seul accident a été l’a- trophie du testicule. Revenons à notre malade. Il est évident que son ancien rétrécissement nécessitait l’emploi de dilatateurs ; que la déchirure exigeait également une sonde. Ce moyen fut mis en usage, mais l’instrument ne put d’abord pénétrer. Je recommandai de faire des tentatives toutes les heures. Le lende- main, la sonde avait cheminé en avant, et le malade pouvait uriner; au bout de trois jours une sonde de calibre moyen put* être placée dans la vessie. LEÇONS DE M. DÜPUYTRETN. Pendant on a cru que lorsqu’il y avait rétrécissement, il fallait forcer l’obs- tacle pour faire uriner le malade ; c’était, il faut le dire, la pratique de Desault : il y avait à cette époque une espèce d’amour - propre à triompher de tous les obstacles. J’affirme que sur dix individus chez les- quels on mettait en usage celte pratique, la moitié éprouvait des déchirures de l’urètre, des tuméfactions de la verge, des infiltrations d’urine , et que souvent même la mort en était le résultat. La méthode qui consiste à forcer les obstacles est donc mauvaise,non-seulement parce qu’elle est douloureuse, mais sur-tout parce qu’elle est dangereuse. Aussi croyons- nous avoir fait une chose éminemment utile en changeant la méthode qui était en vigueur dans cet hôpital. Toutes les fois que, par suite d’un rétrécisse- ment, il n’y a que de la dysurie, c’est-à-dire de la difficulté d’uriner, il faut renoncer au ca- thétérisme forcé. Gomment se conduire alors? L’expérience m’a démontré qu’une sage tem- porisation était le meilleur moyen. On ne doit employer la violence que lorsque la rétention peut occasioner des ruptures, des infiltrations. DILATATIONS LE I’urÈTUE. desinflammations,et mettre lesjjours du malade en péril. Mais quels sont les rapports de ces deux cas. Les faits journellement observés à THolel-Dieu me permettent d’établir que, sur trente exemples de rétrécissement, dans les hôpitaux, on en trouve tout au plus un où il soit besoin de recourir au cathétérisme forcé ; dans les vingt-neuf autres cas, on n’a pas seu- lement quelques heures devant soi, mais même plusieurs jours. Depuis dix-huit ans nous avons suivi ces préceptes , et nous l’avons tou- jours fait avec succès. Voyons ce qui est arrivé au malade dont je vous entretiens : il avait eu trois ou quatre biennorrhagies qui avaient donné lieu à un rétrécissement ; la contusion du périnée et la déchirure du canal avaient amené la rétention de Forme. Avons-nous employé le moindre effort? aucun. Cependant nous avons réussi à pénétrer dans la vessie ; vous nous avez vu ce matin, troisième jour de son entrée, mettre une sonde de calibre moyen, tandis que lé premier jour nous n’avions pu introduire une bougie soyeuse. Que s’est-il passé? le contact de la sonde a déterminé une sécrétion abon- dante de mucosités ; le lendemain elle a été LEÇONS DE M. DUPUYTREN. encore pins considérable ; enfin le troisième jour une sonde, dont l’extrémité inférieure avait dix ou douze Ibis plus de largeur que le premier jour, a franchi l’obstacle. En règle générale , lorsqu’on peut attendre quel- ques heures il ne faut point faire usage du cathétérisme forcé;à plus forte raison,lorsqu’on a quelques jours devant soi. On doit alors se conten ter d’introduire une bougieou une sonde, comme nous le dirons plus tard, et de fixer l’instrument dès qu’il cesse d’avancer. C’est cette méthode que j’ai appelée dilatation lente, dilatation par dégorgement, dilatation vitale. Nous ferons remarquer ici que lorsqu’il y a resserrement sans déchirure, et que l’urine coule entre la sonde et les parois urétrales, ce signe est favorable, parce qu’il annonce que l’urine tend à augmenter la dilatation; il faut pour favoriser cet écoulemement bou- cher la sonde. Mais s’il y a déchirure du canal, le passage de l’urine pouvant déterminer des infiltrations, des abcès urineux , gangréneux, on doit, au contraire, ne pas laisser d’urine dans la vessie, et pour cela tenir la sonde ou- verte dans un vase et le malade couché sur le côté. DILATATIONS DE I’uRÈTRE. Le procédé qui consiste à vaincre les rétré- cissemens avec patience et lenteur, est donc le seul qui convienne dans l’immense majorité des cas. Mais cette dilatation ne se fait pas seulement de la manière que nous venons d’in- diquer; elle peut encore avoir lieu par un autre procédé que j’ai appelé par opposition dilatation mécanique. Nous en parlerons plus loin. Parmi le grand nombre d’exemples de di- latation vitale que M. le baron Dupuytren cite chaque année dans ses cours, nous choisirons d’abord le suivant, qui est d’autant plus cu- rieux , qu’il doit être considéré comme le point de départ de la méthode. Il y a environ dix-huit ans, dit le professeur, que je fus appelé autres d’un homme riche, nerveux, doué d’une grande vivacité d’esprit et d’une susceptibilité prodigieuse. Il souffrait beaucoup d’une dysurie. Je lui conseillai de porter des bougies dans l’urètre. Cette seule proposition suffit pour l’effrayer; et aussitôt il s’exagère les douleurs et lesinconvéniens de ce traitement, assurant qu’une bougie ne pouvait manquer de le blesser, et que, si déjà l’urine ne sortait .que goutte à goutte par l’effet de la 148 LEÇONS DE M. DUPÜYTRÈN. maladieà plus forte raison ne le pourrait-elle pas du tout quand un corps solide remplirait le rétrécissement. Après des explications, qui le rassurèrent un peu, le malade consentit à laisser introduire une bougie à extrémité mousse ; mais à peine eut-elle pénétré dans l’urètre, que toutes ses appréhensions se re- nouvelèrent, 11 voulut faire retirer la sonde , et ce ne fut qu’avec beaucoup de peine que j’obtins qu’il la garderait. Je fis plus, je l’en- fonçai jusqu’à l’obstacle ; mais alors je rencon- trai une difficulté insurmontable pour la faire pénétrer plus avant, et le malade témoigna de si grandes craintes, de si vives douleurs, que je crus devoir suspendre les tentatives, pour les recommencer au bout de quelques heures; mais pour éviter de nouvelles difficultés Pje me déterminai à fixer la bougie au lieu où elle était, c’est-à-dire en avant de l’obstacle. Le malade n’y consentit que sous la condition expresse que je viendrais le visiter toutes les deux heures, pour la retirer, si elle causait trop de douleurs,, et si sur-tout elle s’opposait à l’écoulement de burine, comme il était con- vaincu que cela devait arriver. Ainsi que je l’avais promis, je revins au bout de quelques DILATATIONS DE I’üRÈTRE. heures ; le malade avait uriné sans peine , et la bougie put être facilement engagée dans l’obstacle ; quelques heures plus tard , elle put être enfoncée à une plus grande profondeur, et la journée n’était pas encore écoulée, qu’elle était déjà parvenue dans la vessie. Quelques jours après, elle fut remplacée par une plus volumineuse. Dès lors le traitement fut conti- nué sans difficulté, suivant la méthode ordi- naire qui consiste à remplacer graduellement les sondes d’un calibre moindre, par celles d’un calibre supéHeur, et la dilatation augmenta rapidement. Au bout de quinze jours, le ma- lade urinait facilement', sans douleur, et par un jet fort et gros tout à la fois. Ce fait, ajoute M. Dupuytren, ne fut pas perdu pour moi; je compris qu’il n’était pas nécessaire qu’une bougie pénétrât dans un rétrécissement de l’urètre pour en opérer la dilatation, et j’entrevis tout ce que cette ma- nière de lever un obstacle dans le canal pou- vait avoir d’avantages chez des malades pu- sillanimes, chez ceux qui sont doués d’une grande susceptibilité , et dans tous les cas en- fin où l’on u’est pas oblige', par l’imminence et la gravite' des accidens, à surmonter l’obsta- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. de immédiatement par l’introduction d’une sonde ou par celle d’une bougie. Depuis cette époque, M. Dupuytren a mis celte pratique en usage chez une Foule de ma- lades, et les registres de l’Hôtel-Dieu four- millent défaits de ce genre. Obligés de nous restreindre à un petit nombre d’observations, nous avons emprunté à M. le docteur Michond qui a fait connaître les idées de M. Dupuytren sur la dilatation de l'urètre, les deux exemples suivans : IIe Observation. Rétrécis Ornent de l’u- rètre , djsurie et incontinence d'urine, catarrhe vésical symptomatique du rétrécissement ( di- latation vitale). G..., âgé de quarante-neuf ans, entra dans la salle Saint-Paul, n° 5i , le 20 février 1827. II se plaignait de n’uriner que goutte à goutte, quoiqu’il fît de grands efforts; souvent aussi ces efforts étaient suivis d’un écoulement involontaire d’urine. Il res- sentait des douleurs vives à la région hypo- gastrique, au périnée , à l’urètre , sur-tout à l’instant du passage de l’urine : la douleur alors était comparée par lui à la sensation que pro- duirait un fer rouge promené dans le canal ; elle ne se prolongeait guère au-delà de l’é- DILATATIONS DE I’üRÈTIIE. mission de l’urine. Le liquide rendu laissait déposer par le refroidissement un sédiment muqueux et purulent. Cet homme avait eu onze blennorrhagies ; la dernière avait duré quatre ans; elle était terminée depuis dix mois : mais ce fut précisément à l’époque de la ces- sation de cet écoulement qu’il s’aperçut, pour la première fois, qu’il urinait difficilement; le jet diminua considérablement de volume, se dévia, devint filiforme ; et après trois an- nées, il fut amené au point de ne pouvoir plus uriner : ce malade fut traité alors par la dila- tation , et resta plus de six années sans éprou- ver aucun accident. Mais depuis six mois, la dysurie avait reparu. Il entra à l’Hôtel-Dieu dans l’état indiqué plus haut. Une bougie fut présentée au canal de l’urètre ; elle pénétra jusqu’au bulbe, où elle fut arrêtée par un rétrécissement dur et résistant; aucun effort ne fut fait pour l’engager dans cet obstacle ; elle resta libre dans le canal, fut fixée au- devant de la résistance et laissée en place pen- dant vingt-quatre heures; au bout de ce temps, elle pénétra avec facilité jusque dans la vessie : aussitôt on introduisit à sa place une sonde de gomme élastique d’un petit calibre; le malade 152 LEÇONS DE M. DUPUÏTREN. n’éprouva pas de douleurs, pas d’accidens. Quatre sondes, de volume successivement augmenté jusqu’au plus gros, furent laissées à demeure dans l’urètre, et après trente-deux jours de dilatation, C.... urina librement et par un jet volumineux; il quitta l’hôpital, gupri de son rétrécissement et du catarrhe qui en était le résultat. IIIe Observation. Rétrécissement au commencement de la portion membraneuse, ac- compagné de spasme très remarquable de Vu- retre et d’incontinence d’urine ( dilatation vi- tale'). G...., âgé de trente-six ans, d’une bonne constitution, fut reçu à l’Hôtel-Dieu, salle Saint-Paul, n° 67, le 6 février 1827 ; il Savait eu qu’une seule blennorrhagie ; mais elle avait duré dix ans; depuis sept à huit ans, époque à laquelle elle cessa complètement, il avait vu le jet de son urine diminuer, sortir en nappe, en épi ; enfin, depuis quatre à cinq mois, il n’urinait plus que goutte à goutte avec beau- coup d’efforts ; et quand il avait cessé de faire des efforts , l’urine coulait d’elle-même sans qu’il eût le pouvoir de la retenir. Le 7 février, une sonde d’un moyen calibre, fut place'e dans vie canal et pénétra jusqu’au-devant de la por~ DILATATIONS DE L’URÈTRE. lion membraneuse ; là, elle fut, arrêtée par un rétrécissement dur, que la sonde pressa d’a- bord légèrement, puis avec plus de force, sans pouvoir s’y engager, dans quelque sens qu’elle fût tournée. Une bougie fut placée au-devant de l’obstacle ; mais le malade indocile la retira une heure après. Le soir, on essaya de la réin- troduire , mais inutilement, l’urètre était dans un état de spasme si grand qu’on ne put la faire pénétrer au-delà de la fosse navicuîaire ; elle fut tellement serrée par les parois du ca- nal qu’une force assez grande était nécessaire pour l’arracher. Le 9 lévrier, M. Dupuytren présenta au canal une sonde d’argent d’un moyen et puis d’un petit calibre; l’une et l’autre furent arrêtées dans la fosse navi- culaire et pressées avec la même force que la bougie l’avait été l’avant-veille. Un bout de sonde, arrondie à son extrémité, fut introduit et fixé dans la fosse navicuîaire ; elle fit peu de chemin dans les premiers instans, mais au bout de vingt-quatre heures, elle avait pénétré; elle fut de suite remplacée pat- une sonde de gomme élastique d’un moyen calibre; cette sonde fut fixée à demeure et la dilatation continuée pendant vingt jours. Trois LL'ÇOJVS DB M. Dl/PtlïTREBf. sondes furent employées successivement : la dernière était des plus volumineuses; le malade urinait librement et par un gros jet quand il sortit. La dilatation vitale, dit M. le baron Dupuy- tren, est tellement puissante, qu’on voit sou- vent les sondes pénétrer dans la vessie en deux ou trois heures. On facilite encore cette action en tournant de temps en temps le corps engagé dans le canal. Ce procédé n’exige point de corps dilatans d’une forme particulière; une sonde d’argent, de gomme élastiqueou une bougie, qu’elles aient une extrémité déliée ou renflée , peuvent être indifféremment em- ployées dans ce but. Cependant je donne la préférence aux bouts de sonde ou de bougie à gomme élastique, terminées par une extré- mité arrondie, mousse , et d’une longueur proportionnée à la profondeur de l’obstacle. Ces bouts de sonde ou de bougie présentent un corps lisse , souple , qui s’accommode aux formes de l’urètre et qui ne le dépasse pas assez pour devenir incommode aux malades dans les mouvements auxquels ils peuvent se livrer. Quel que soit l’instrument qu’on ait choisi , DILATATIONS DE I’dRETUE. on l’introduit el on le fait arriver jusqu’à l’ob- stacle ; il est ensuite fixé par un des moyens connus. Il ne faut pas s’occuper de l’engager dans l’obstacle, car il suffit de son séjour pro- longé pendant quelque temps dans l’urètre, pour qu’il opère la dilatation désirée. En effet, après quelques heures, et dans les cas les moins heureux, après quelques jours, il peut con- stamment franchir l’obstacle sans difficulté, sans efforts, sans déchirures, sans écoulement de sang. La dilatation est telle, que les bouts de sonde on de bougie pénètrent quelquefois seuls dans les rélrécissemens ; qu’ils peuvent, dans d’autres cas plus y arriver par suite du plus léger effort, et que dans les autres circonstances, la dilatation permet au rétrécissement de recevoir l’extrémité d’une bougie conoïde ; dès lors celui-ci doit être traité par les moyens mécaniques dont nous allons bientôt parler. Je crois, ditM. Dupuytren , qu’il n’y a rien de mécanique dans la manière d’agir de ces corps, et je suis même convaincu qu’il faut admettre quelque chose de vital. Je vous ai fait déjà remarquer, au commencement de cette leçon, qu’il faisait une sécrétion qui LEÇONS DE M. DUPUYTREN. facilitait le passage de la sonde. Entrons dans quelques détails à cet égard, et signalons d’a- bord les phénomènes du contact de quelques corps étrangers à l’entrée de quelques canaux vivans, des points lacrymaux, par exemple. Le premier effet de ce contact est une rétrac- tion si forte des bords de ces points , qu’un stylet très délié ne saurait y pénétrer; mais s’il est répété ou continué, ils cessent de se resserrer ; ils se dilatent même bientôt au point de recevoir le stylet qu’ils avaient au- paravant refusé, et l’on voit presque toujours à ce moment, une sécrétion muqueuse se faire autour du point lacrymal. La même chose a lieu pour le rétrécissement de l’urètre ; le premier contact d’une bougie fait contracter le canal au point qu’on ne peut quelquefois la dégager que par un effort, tant est grand le spasme qu’elle détermine ; mais bientôt il se calme , et au bout de quelques heures, on peut mouvoir librement la bougie. Ala dilatation, se joint un autre phénomène sur lequel j’ai déjà appelé votre attention, je veux parler d’une sécrétion plus ou moins abondante de mucus, et quelquefois de matière purulente; cette sécréliqp est, dans quelques DILATATIONS DE I’üIIÊTRE. cas, si grande, qu’elle donne lieu à un écoule- ment qui peut effrayer les malades, mais qui se dissipe constamment de lui-même, soit pen- dant le séjour des sondes , soit après qu’on les a retirées. Sous l’influence de ces deux phéno- mènes , le rétrécissement se dilate, et au bout de quelques heures, au plus de quelques le canal, qui n’avait pu, dans les premiers rnomens du mal, admettre un vingtième de imne de calibre, en reçoit un d’une Imne. yJ Si» O La dilatation vitale n’est pas la seule qui soit employée pour surmonter les rélrécissemens : on a souvent recours à une autre espèce de dilatation qui consiste à introduire une bougie très fine et comme soyeuse à l’une de ses ex- trémités, puisa l’engager dans l’obstacle. Ce corps étranger dilate, écarte par pression les tissus qui forment le rétrécissement; c’est celte dilatation que j’ai appelée mécanique. Les corps que j’emploie ordinairement pour opérer celte dilatation des rélrécissemens de l’urètre sont des bougies conoides, formées d’une trame de tissu de soie, revêtue d’une couche de gomme élastique ; leur sommet est terminé par une extrémité très fine et presque filiforme. A partir de ce point, elles grossis- sent graduellement jusqu’à 'extrémité oppo- sée , qui constitue la base du cône. Cette forme les rend tout à la fois propres à s’insinuer dans les rétrécissemens de l’urètre, quelque grands qu’ils soient et à les dilater, lorsqu’on fait succéder à leur partie déliée leur partie ren- flée. LECO3NS DE M. DüI'UYTREK. Ces bougies sont introduites de la manière suivante : Les côtés du gland étant saisis entre le pouce et l’indicateur de l’une des mains, le pénis étant un peu soulevé et alongé, une bougie , enduite d’un corps gras, tenue entre le pouce, l’indicateur et le doigt du milieu, est présentée par la pointe à l’entrée de l’u- rètre : elle y est ensuite enfoncée à l’aide de pressions légères, qu’on accompagne de mou- vemens de rotation sur son axe. A l’aide de ce mouvement combiné , elle arrive bientôt jus- qu’à l’obstacle. Lorsqu’elle ne peut s’j enga- ger, elle se courbe, se replie même sur l’effort exercé pour la faire pénétrer, et elle se redresse aussitôt que cet effort a cessé. Ces deux signes suffisent donc pour faire reconnaître à une main habile que la bougie n’a pu encore s’en- gager dans l’obstacle; et telle est la ténuité, la souplesse et la flexibilité de cette partie de DILATATIONS DE I’üRÊTRE. I’instrument qu’elle ne saurait, dans aucun cas, produire ni perforation, ni déchirure, ni al- tération quelconque des parois de l’urètre. Mais lorsque l’extrémité filiforme a pénétré dans la stricture, on sent l’instrument s’en- foncer graduellement dans l’urètre jusqu’à une profondeur plus ou moins grande, c’est- à-dire jusqu’à ce que la bougie, dont le volume croît insensiblement, soit arrivée à remplir l’ouverture laissée par le rétrécissement. Dans le cas où la bougie se reploie au-devant d’un obstacle dans lequel elle n’a pu s’engager, elle tend toujours à ressortir de l’urètre en se re- dressant ; et la moindre traction suffit pour l’extraire. Dans le cas contraire, lorsqu’elle est engagée dans un rétrécissement, non-seu- lement elle n’a point de tendance à sortir, mais en outre, elle est tellement pressée et retenue par le spasme ou par la contractilité des tissus , qu’il faudrait un effort assez grand pour l’en extraire. Dès qu’une bougie conoïde a pu franchir un rétrécissement et qu’elle a été enfoncée à une profondeur convenable, il faut la fixer, en l’attachant autour de la verge, ou bien à un cercle, à un suspensoir ou à quelque autre bandage, 12. LEÇONS DE M. DUPÜYTR EN. o En fixant la bougie, je me propose, cou- linue M, Dupujtren , de la maintenir en place jusquà ce qu’il devienne possible et nécessaire de la faire pénétrer plus profondément à l’aide de la main , ou de lui faire exercer un effort continu contre les parois du rétrécissement. Dans le premier cas, je ne cherche pas à l’en- foncer, et je laisse entre le lien et l’obstacle une longueur de sonde exactement propor- tionnée à l’étendue de l’espace indiquée. Dans le deuxième cas, je presse sur la je la courbe et la lie plus haut, c’est-dire plus près de sa base, de telle sorte que ce corps, dont l’élasticité tend toujours à le redresser, fasse un effort continu contre l’obstacle à vaincre , le rétrécissement à dilater. La manière d’agir de ces bougies est facile à concevoir. Leur mécanisme est celui d’un coin engagé au milieu des parties qu’il est destiné à écarter, à séparer; mais tandis que celui-ci agit sur des corps inertes, la bougie opère sur des parties vivantes, et son action se trouve composée non-seulement de l’épaisseur de la bougie, mais encore de son action vitale sur les parois de robslàcle. Quant à leurs effets, l’observation apprend DILATATIONS DE I’I'RÈTRH. que toutes les fois que leur extrémité filiforme a pénétré clans un rétrécissement, on peut regarder comme certain que le reste de la bougie , quelque gros qu’il soit, y pénétrera tôt ou tard. On peut, dans beaucoup de cir- constances, l’j enfoncer tout entière à l’instant même; dans d’autres cas, il faut attendre quel- ques heures ou quelques jours; et cela, beau- coup moins à cause du degré de rétrécissement ou de la grosseur delà bougie, qu’à cause de [extensibilité variable des tissus qui forment le rétrécissement. Cette extensibilité est quel- quefois très grande ; elle est d’autres fois très faible. Aussi, voit on chez quelques individus les bougies, même celles que l’on a eu le plus de peine à y engager, pénétrer sans beaucoup d’efforts et tout d’un trait jusqu’à la vessie; chez d’autreS, le spasme et la rétraction des tissus opposent plus de résistance ; mais au bout de quelques heures, on trouve ordinai- rement libres et mobiles les bougies qui avaient paru le plus étroitement embrassées, le plus fortement serrées; il est rare , même dans les rétrécissemens les plus intenses, qu’au bout de quelques jours la bougie ne soit devenue très mobile dans buretre. 162 leçons de m. duptjytren. Cette mobilité, que les bougies acquièrent en quelques heures, ou du moins en quelques jours, est un des phénomènes les plus remar- quables et des plus propres à établir, si l’on pouvait en douter, que tout ce qui a lieu dans les corps vivans, alors même qu’il semble le produit de causes mécaniques, est toujours dans une dépendance plus ou moins grande de la vie, ou en d’autres termes que dans ces corps , les phénomènes vitaux se mêlent aux phénomènes mécaniques qu’ils altèrent, qu’ils changent ou qu’ils modifient suivant des règles qui ne sauraient être soumises aux calculs purement physiques de cette force aveugle. Citons deux observations de l’emploi de ce moyen. IV* Observation. • Rétrécissement de Vurètre, djsurie ; (dilatation mécanique. ) Le 19 février 1827, on reçut dans la salle Saint-Paul, n° 5o , le nommé D...., âgé de soixante-un ans, d’une taille moyenne, d’une constitution sèche. Il se plaignait d’une diffi- culté d’uriner qui avait commencé deux ans auparavant -, il avait contracté, il y a seize ans, une blennorrhagie dont l’écoulement persis- tait encore le jour de son entrée à l’hôpital; la DILATATIONS DE I’iIRÈTUE. cljsurie avait augmenté, et le jet d’urine, après avoir diminué graduellement, avait fini par cesser totalement; l’urine ne s’écoulait plus que goutte à goutte et avec des efforts considé- rables; la sécrétion urétrale était abondante. Quelques bains furent administrés : l’urine examinée avec soin, ne laissait déposer aucun sédiment; d’ap*ÿ les renseignemens donnés parle malade, un rétrécissement fut présumé dans l’urètre.Le 20 février, une bougie soyeuse fut introduite dans le canal et arrêtée d’abord au-devant de sa portion membraneuse ; bientôt par une légère pression son extrémité mince s’engagea dans l’obstacle; et quoique serrée par lui, elle traversa et fut suivie de la grosse extrémité; ainsi fut commencée une dilatation toute mécanique du rétrécissement. Cette bou- gie, laissée à demeure pendant vingt-quatre heures, fut remplacée par une sonde de gomme élastique d’un petit calibre; le scrotum fut exactement soutenu; la dilatation fut prolongée pendant trente-neuf jours ; cinq sondes ont été employées à cette dilatation ; leur volume a été graduellement augmenté : la dernière eiai du plus gros calibre; la totalité de l’urine pas- sait entre elle et le canal ; elle fut retirée le LEÇONS DE M. DUPUYTREN. trente-neuvième jour (4 avril); le jet d’urine fut facile et volumineux; aucun accident ne survint pendant la durée du traitement. Ve Observation. Rétrécissement consi- dérable au bulbe de l’urètre, djsurie; (dilatation mécanique.) jP..., âgé de quarante-deux ans, d’une bonne constitution, entra à et fut couché salle Saint-Paul, u° le 28 février 1827. Il était affecte d’une djsurie dont il avait ressenti les premières atteintes dix années auparavant; elle avait succédé à deux blennorrbagies ;la première,contractée à ving t ans, dura trois mois, et fut supprimée par un purgatif drastique ;la deuxième, qui survint deux ans après, durait encore; un suintement muqueux , blanc, opa- que, était déterminé par la pression d’arrière en avant sur l’urètre. Cet écoulement existait depuis vingt-deux ans, et peut être regardé comme la cause du rétrécissement; quoi qu’il en soit, la djsurie avait commencé par une cuisson, un sentiment de resserrement de l’urètre à l’instant du passage de l’urine; le jet diminua, devint tortueux, et l’émission ne se faisait que goutte à goutte, sur-tout lorsqu’il avait pris des boissons alcooliques. Dans les trois mois qui précédèrent son entrée a l’Hôtel- Dieu , la dysurie augmenta considérablement; de grands efforts, quelquefois des tractions sur la verge devinrent nécessaires pour déterminer l’émission de l’urine qui, d’autres fois,s’écoulait involontairement et par une sorte de regorge- ment. Le premier mars, une bougie soyeuse à l’une de ses extrémités fut introduite dans ce canal; vers la fin de la région du bulbe, elle s’engagea dans un rétrécissement considérable, et fut tellement serrée par lui, qu’une traction forte, exercée sur les extrémités libres, soule- vait la verge,et nedégageait pas la partie enga- gée dans l’obstacle; la bougie fut fixée dans cet endroit, et huit heures après, par une pression modérée, elle avait pénétré dans la vessie. Le 4 mars,une sonde de gomme élastique de moyen calibre fut laissée dans le canal ; d’autres sondes plus volumineuses furentégalementintrodnites et laissées à demeure; et après vingt-deux jours de traitement par la dilatation, le malade urinait librement et par un jet volumineux. DILATATIONS DE I’üUÈTEE. Terminons celte leçon, par quelques ré- flexions qui s’appliquent aux divers modes de dilatation. On peut, dans tous les cas , et en dix ou 166 LECOKS DE M. DUrUTTJIEN. douze jours tout au plus, passer de la bougie la plus fine à la sonde la plus grosse, ou en d’autres termes, amener le canal du rétrécisse- ment le plus fort à la dilatation la plus grande, en augmentant chaque jour le volume des bougies et des sondes qu’on y fait séjourner. Mais la dilatation est d’autant moins durable qu’elle a été plus promptement opérée ; d’où il résulte qu’au lieu de se hâter d’arriver au dernier terme , il faut, au contraire, s’appli- quer à le reculer; car ia dilatation est d’autant plus durable qu’elle a été opérée plus lente- ment. La dilatation rapide des rétrécissemens de l’urètre a des inconvéniens plus graves encore ; ce sont des douleurs très vives , des déchirures à l’endroit des des inflamma- tions sur-aigües, lagrangrène et la destruction plus ou moins considérable du canal, accidens que nous avons vu également survenir après le cathétérisme forcé. Il semble que le tissu qui forme ces rétrécissemens, semblable à tous les autres tissus de l’économie animale, ait une extensibilité dont il ne faut pas dépasser les bornes sous peine de le déchirer, et qu’il soit susceptible de se développer presque indéfi- DILATATIONS DE I’üUÈTRE. niment lorsqu’il y est sollicité par une force qui agit lentement et d’une manière presque insensible. Quelles que soient au reste les précautions qu’on ait prises pour opérer la dilatation des strictures du canal, celle-ci n’est que tempo- raire chez le plus grand nombre des sujets, et le rétrécissement a toujours une grande ten- dance à la récidive. Ce retour du mal, continue M. Dupuytren, m’a porté à faire introduire de temps en temps une bougie dans l’urètre. Cette introduction faite tous les dix , douze, quinze ou vingt jours, et le séjour de la bou- gie dans l’urètre pendant deux, quatre ou six heures, ou même pendant une nuit, suivant les cas, suffisent pour empêcher ou du moins pour retarder considérablement le retour du mal. 168 LECOWS Î)B M. DUrUYTREN. ARTICLE YI. DU PIED-BOT, El de l’otrophia subraat la longueur et l'épaisseur du membre. Parmi les vices de conformation que pré- sente l’organisation de l’homme , la déviation congéniale des pieds est un des plus fréquens. Celte lésion avait déjà fixé l’attention des an- ciens chirurgiens, et l’on trouve,, dans leurs ouvrages des descriptions de machines des- tinées à les corriger. Mais ce n’est réellement que dans ces derniers temps que l’on a publié des traités étendus sur ce sujet. Ce qui man- quait sur-tout à l’histoire de ces infirmités, c’est l’examen anatomique de ces parties af- fectées; on ne pouvait hasarder que des con- jectures, parce qu’on n’avait point cherché à connaître la nature de la maladie. La plus commune des torsions congéniales des pieds est celle que les anciens ont désigné sous le nom de varus, La pointe est tournée en dedans et le pied renversé, au point que le Tnalade marche sur son bord externe , et quel- quefois même sur une partie du dos. La se- conde variété est celle dans laquelle le pied est tourné en dehors; les anciens l’ont appelé vaigus j elle est beaucoup plus rare. Il y a encore une autre variété, dans laquelle la pointe du pied est tournée en arrière, et le pied entier tellement renversé que le malade marche totalement sur sa face dorsale. PIED-BOT. 11 suffit de dire que la cause essentielle de celte disposition irrégulière est la luxation de quelques-uns des os du tarse, et que lesliga- mens et les muscles n’ont pris que consécuti- vement l’arrangement contre nature qu’ils présentent. Les causes qui peuvent déterminer ou favoriser le développement de pareilles déviations des pieds dans le sein de la mère, sont peu connues et peu faciles à apprécier. On a cru les trouver dans la forme irrégulière des os du tarse , dans le défaut d’équilibre en- tre les muscles qui mettent le pied en mou- vement , dans le défaut de longueur d’une partie de ces muscles, dans une insertion contre nature de l’un ou de l’autre de leurs tendons; enfin, dans la tendance singulière des pieds du fœtus à se renverser en dedans. Quoi qu’il en soit de ces diverses explica- tions , le pied-bot congénial est un vice de conformation dans lequel le pied est fortement porté en dedans, recourbé un peu suivant sa longueur et dans le sens de sa concavité. Sou- vent il est plus petit qu’il ne devrait l’étre : il y a altération dans sa nutrition. Les malades sont obligés à marcher sur le bord externe , et quand la déviation est la plus grande possi- ble, ils appuient sur la malléole externe. LEÇONS DE M. DÜPUVTREX, Tous ces symptômes extérieurs ont été bien décrits par Scarpa ; d’autres auteurs se sont occupés des déviations internes révélées par la dissection, mais aucun d’eux n’a appelé l’attention sur une des conséquences les plus importantes du pied-bot, c’est-à-dire sur l’al- téralion de nutrition et l’atrophie du membre. Le pied-bot congénial peut être borné à un seul pied; il peut occuper les deux pieds. Si, dans le premier cas, on examine l’enfant à une époque très rapprochée de la naissance, on trouve, comme nous venons de le dire, le pied malade ordinairement un peu plus petit que l’autre, mais les jambes ont une égale longueur. Quand l’allération porte sur les deux pieds, ils sont en général également dé- veloppés. PIED-BOT. A mesure que Ton s’éloigne de l’époque de la naissance, on reconnaît très bien l’atrophie, et sa cause peut être être assez bien indiquée. En effet, l’enfant s’appuie instinctivement sur le pied sain, ettout le poids du corps porte sur lui; il en résulte que sa nutrition est plus ac- tive , tandis que le pied malade, restant dans une espèce d’inaction, doit au contraire dé- périr. Mais celte atrophie doit être sur-tout distin- guée en deux espèces, jusqu’ici confondues, et qu’il importe de bien séparer : i° L’atrophie se- lon l’épaisseur du membre; 2 «l’atrophie selon la longueur. La première espèce opère principa- lement sur les muscles , d’où résultent la gra- cilité et la faiblesse du membre. La seconde agit bien sur les muscles et les os; mais c’est son action sur le squelette qui est la plus grave et la plus importante ; car on peut toujours remédiera l’atrophie selon l’épaisseur, quand on a redressé le pied-bot par l’exercice mus- culaire, tandis que nul remède ne saurait corrb ger le raccourcissement du membre. Avec l’âge on voit croître la différence de longueur entre le membre bien conformé et le membre difforme ; nulle au moment delà naissance, elle se prononce quelques années plus tard; à dix ans,continue M.Dupuytren, j’ai toujours vu un raccourcissement notable.fSi l’on examine un homme de vingt ans affecté de pied-bot, on trouve une inégalité beaucoup plus considérable, et tellement au-dessus des ressources de l’art, qu’aprèsdeux ou trois ans de traitement on n’obtiendra jamais la guéri- son de l’atrophie suivant la longueur. Le rac- courcissement des muscl es et des tendons, moins grave, en général, doit cependant être pris en considération, car il devient incurable à une-certaine époque;ainsi,le tendon d’Achille, à vingt ans, a tellement perdu de sa longueur, que, même lorsque le pied a été ramené à sa direction naturelle , le talon demeure pres- que toujours relevé, et contraint le malade, pour appuyer sur le sol, à faire usage d’un talon de soulier beaucoup plus élevé. LEÇONS DE M. DÜPÜYTRËN. Pariant de ces principes, dit M. Dupuytren, j’ai engagé une foule de parens à faire traiter de bonne heure leurs en fans affectés de pied- bot, et j’ai vu redresser en un mois, six se- PUÎD-BOT. marnes des déviations da pied chez les enfans du premier âge, qui commençaient à se servir de leur membre presque immédiatement après ce traitement J’ai envoyé dans un établisse- ment orthopédique, des enfans qui avaient six semaines, un, deux, trois ans; le redressement était d’autant plus facile qufils étaient plus voi- sins de la naissance. Ceci se conçoit très bien. En effet, chez un enfant qui vient de naître, la main rend avec une facilité extrême au pied sa forme normale etsans occasioner de douleur; quelques mois de plus accroissent les difficultés. De dix à vingt ans, il faut recourir aux machi- nes qui deviennent plus tard inefficaces; cela tient à trois causes principales : la souplesse des ligamens et des muscles qui diminue avec les progrès de l’âge; l’accroissement de la diffor- mité même et la conformation vicieuse dans laquelle les os sont nourris et développés. On peut donc ériger en principe que le trai- tement du pied-bot congénial sera d’autant plus rapide et plus sur, qu’il se rapprochera davantage de l’époque de la naissance. Ces avantages méritent bien de fixer l’atten- tion des praticiens ; car on sait que lorsque les enfans sont un peu il faut souvent un an LEÇONS DE M. DUPUYTIIEN. on deux pour les guérir. Plus tard, ii est néces- saire de leur faire garder l’appareil durant trois, quatre et même cinq ans; et nous avons vu qu’après vingt-ans, aucune machine ne peut rendre à la jambe sa longueur, ni même sa forme et ses usages complets. Disons cependant, en terminant cet article, que la guérison de ces difformités se fait quel- quefois sans aucun secours de Fart. M. le doc- teur Holtj, dans un mémoire inséré dans le Répertoire d’anatomie et de physiologie, a rapporté l’histoire d’un jeune garçon, né de parenspeu aisés, .qui avait un renversement du pied en dedans très marqué. Ce ne fut que quand il commença à marcher qu’on lui fit faire des brodequins tout-à-fait simples , sans aucune mécanique ; et plus tard il portait des chaussures ordinairesac commodées à sa diffor- mité. Il n’en guérit pas moins à l’âge de dix à douze ans. Il s’appliquait lui-même à ramener son pied en-devant autant qu’il lui était possi- ble , il était obligé de travailler beaucoup, et portait souvent des fardeaux lourds, ce qui lui faisait appuyer fortement le pied sur le sol. L’exercice rétablit l’équilibre dans la force musculaire,et aujourd’hui qu’il a l’âge de vingt ans,on ne dirait pas qu’il en ait jamais été affecté. DÉCHIRURE DU PÉRINÉE. 175 ARTICLE VII. DE LA DÉCHIRURE CENTRALE DU PÉRINÉE PENDANT L’ACCOUCHEMENT, Et dn passage de l’enfant et de ses annexes par celte voie anor- male. Rien n’est plus commun que la déchirure de la commissure postérieure de la vulve, s’étendant plus ou moins loin sur le périnée par l’effet de l’accouchement. Elle constitue une lésion des plus simples, qui réclame bien rarement les secours de la chirurgie. Mais cette déchirure atteint quelquefois l’extrémité inférieure de la paroi postérieure du vagin , le périnée, dans toute son étendue, j’usques et y compris le sphincter de l’anus et l’anus lui- même à une certaine hauteur ; elle présente alors l’une des maladies chirurgicales les plus graves, au traitement de laquelle nous con- sacrerons plus lard un article spécial. Dans celui-ci, nous n’avons à nous occuper que de LECOISS DE M. DUPü Y 1 RÊN« îa perforation ou déchirure centrale du péri- née, sans lésion de la commissure de la vulve ni du sphincter anal, et subsidiairement du passage de l’enfant et de ses annexes par celte voie accidentelle. Les fastes de l’art nous en offrent des exemples assez nombreux ; cepen- dant des écrivains distingués, dont l’opinion en obstétrique est d’une puissante autorité, considérant un accouchement de cette nature comme géométriquement impossible d’après les disproportions qui existent entre les di- mensions du périnée et le volume d’un enfant à terme , en ont inféré que les faits rapportés par les auteurs devaient être entachés d’er- reur et ne pouvaient mériter aucune con- fiance. Il est difficile,, en efïet, de concevoir de prime-abord comment une partie qui n’a ordinairement que dix-huit lignes d’étendue, puisse se prêter à une ampliation telle, qu’elle permette le passage d’un corps aussi volumi- neux que l’est celui d’un enfant naissant. Mais cette manière de raisonner est presque une injure faite à la nature : combien de phéno- mènes ne soumet-elle pas chaque jour à notre observation , dont nous sommes encore à com- prendre les causes et le mécanisme ?Si le lait DÉCHIRURE DU PÉRINÉE. 177 existe, l’examen des voies et moyens qu’elle emploie n’est plus pour nous qu’un objet se- condaire , dont la science néanmoins doit Paire son profit. Un exemple, qui s’est présenté tout récemment , et dont nous rapporterons l’his- toire , ne laissera plus aucun doute, nous le pensons, dans l’esprit même des plusprévenus, et viendra corroborer les observations anté- rieures citées par les auteurs, sur la véracité desquelles on avait élevé des doutes. Le fait le plus ancien que l’on connaisse, n’ap- partient pas à l’espèce humaine, mais a été observé par l’immortel Harvey sur une ju- ment blanche de la reine d’Angleterre , qui, à cause de sa rare beauté, avait été bouclée dans l’intention de la soustraire aux approches du cheval. Mais, soit que cette précaution eut été prise trop tard/ ou malgré cette précaution, la jument ne laisa pas que d’être fécondée. Le terme de la gestation élant arrivé, le poulain ne pouvant s’échapper par la vulve, fut chassé à travers le périnée (Exercitationes de générai. animal. ) En 1778, Nédey, chirurgien de Besancon, envoya à l’Académie de chirurgie une obser- vation sur la rupture de la partie centrale du 178 périnée, par laquelle, dit-il, un enfant à lenne passa sans que la fourchette ni le sphincter de l’anus eussent été déchirés. Ce fait, qui excita l’étonnement de l’Académie , ne parut dou- teux, dit Baudelocque, qu’aux personnes qui ne savaient pas combien le périnée est suscep- tible d’acquérir de développement dans le dernier temps de l’accouchement. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Voici un extrait de l’observation si connue de Coutouly. Le i 3 janvier 1788, ce célèbre accoucheur fut mandé chez madame de la Lui» zerne peur la dame Leroy, âgée de vingt-cinq à vingt-six ans, qu’il avait accouchée, l’année précédente, de deux jumeaux à cinq mois et demi de grossesse. Cette femme, dit Coutouly, me parut à l’instant d’accoucher. La tête dans le petit bassin faisait des efforts contre le pé- rinée, tellement distendu, que toutes mes vues se bornèrent à faire en sorte d’en éviter la déchirure...i. Mais toutes les précautions furent inutiles; la partie centrale du périnée fut déchirée ; la tête continuant d’être poussée avec la même violence contre ma main, je me vis obligé de lui livrer passage à travers cette ouverture et de faire, par la même voie, l’extraction d’un enfant à terme, ainsi que DÉCHIRURE DU PÉRINÉE. celle du placenta qui le suivit immédiatement. Je cherchai aussitôt à m’assurer de ce qui s’é- tait passé. A un pouce au-dessus de l’anus, vers le centre du périnée existait un trou frangé d’où parlaient deux déchirures, l’une qui suivait ia direction du raphé , s’était ar- rêtée à peu de distance de la vulve , et l’autre se déviait du côté droit; ce qui formait une plaie représentant à peu prés la figure d’un Y. Le sphincter de l’anus , le rectum ni la fourchette n’avaient été compris dans la dé- chirure. La plaie fut cicatrisée au bout de cinq semaines. Thomas Denman, dans son Introduction a la pratique des accouchemens, rapporte sous le nom de rupture particulière du périnée, un cas semblable dans lequel l’enfant passa à travers la partie du périnée conligüe à l’anus, la partie antérieure de cette région et l’anus étant restés intacts. Les parties déchirées furent réunies au bout de six semaines. Cette femme accoucha depuis sans accident. Le i 4 décembre 1812 , M. le docteur Jou- bert fut appelé à six heures du soir pour une dame âgée de 2,5 ans, parvenue au neuvième mois d’une première grossesse. L’enfant se LECOJNS DE M. DÜPUYTREN. présentait par la tête dans une des trois der- nières positions. Le travail fut lent, et l’accou- chement ne se termina que le i 5 au soir par la rupture de la partie centrale du périnée dont la distension extrême lui donnait une étendue de cinq pouces au moins. La délivrance se fit aussi par la plaie. La cicatrisation était com- plète au bout de cinq semaines. Cette femme étant devenue grosse une seconde fois, accou- cha naturellement trois ans après et sans éprouver le moindre accident. (Journal de la Société médicale d’émulation. ) Meckel a rapporté, dans le Neues Journal für die Chirurgie, etc.(lome 4, ißj i), un cas de déchirure centrale du périnée et d’accouche- ment par cette voie, sans lésion de la fourchette ni du sphincter de l’anus. La femme était une primipare, La plaie s’esî promptement guérie. MM. Gravis et Lebrun ont consigné, dans les Annales de la médecine physiologique (Juillet 1826), une observation d’accouchement par le périnée, sans lésion de la fourchette ni du sphincter de l’anus. En 1822, le docteur Merriman assista à l’accouchement d’une femme primipare. Le travail avançait rapide- ment, le périnée é&it excessivement distendu DÉCHIRURE DU PÉRINÉE. parlalêle du fœtus. L’accoucheur le soutenait avec la paume de la main gauche; mais tout- à-coup il sentit un corps qui glissait derrière sa main : c’était le fœtus qu’une vigoureuse con- traction acheva d’expulser par la déchirure. Le placenta fut extrait peu de momens après par les voies naturelles. L’anus et la commissure postérieure de la vulve étaient restés intacts. La mère s’est très bien rétablie et estaccouchée par la suite sans accident [Synopsis of the va- rions, etc. 4%ed. 1826.) L’histoire d’un faitsemblable, dont le docteur John Douglas fut également témoin a été par lui consignée dans le Dublin hospital Re- ports, etc. (tome 5,183 2). Appelé auprès d’une femme en travail , ce chirurgien trouva l’enfant sur le point de passer par une déchirure du périnée, la tête appliquée contre le côté de la cuisse gauche et inclinée en arrière. Uae forte contraction suffit pour expulser le reste du corps. La perforation comprenait la partie latérale du périnée, une partie des tégumensde la cuisse et la grande lèvre gauches. La four- chette n’était point divisée. Ou retira le cordon ombilical par la vulve, mais cela n’empêcha pas le placenta d’être chassé par la plaie, (fis fut obligé d’enlever avec l'instrument tranchant la bride formée par la commissure postérieure de l’orifice naturel parce qu’il tombait en gan- grène. La guérison fut assez prompte. LKCOHS I>E M. IWPUYTaEK. 6 Le 3i mai 1824, le chirurgien Marter , de Kœnisberg, fut appelé précipitamment auprès d’une femme en travail, primipare et âgée de 26 ans. La sage-femme lui dit que l’cnftmt venait par le rectum ; au premier as- pect, il semblait en effet que la paroi anté- rieure du rectum et la paroi postérieure du vagin s’étaient déchirées en même temps que le périnée et que le fœtus allait être ex- pulsé par cet hiatus. Le sommet de la tète se présentait dans l’ouverture anormale, à peu près comme elle se présente au couronnement; on ne pouvait plus songer à la ramener dans le vagin. Quelques fortes contractions chas- sèrent l’enfant à travers cette plaie, sans que la vulve eut été en rien endommagée dans tout le cours du travail ; l’arrière-faix suivit bientôt par la même voie. L’accouchement terminé, l’examen des parties démontra bien- tôt à M. Marier que le rectum et le sphincter de l’anus n’étaient point lésés; immédiatement au-devant de l’anus commençait une rupture DÉCHIRURE DU PÉRIS ÉE. qui s’étendait dans le sens du raphé jusqu a un pouce en arrière de ïa vulve. A cette rupture correspondait celle de la paroi posté- rieure du vagin qui se t erminaiten avant éga- lement àun pouce de distance de la vulve ; au milieu du périnée existaient encore deux rup- tures transversales, en sorte que la plaie entière offrait une forme cruciale. Un pont charnu de la largeur d’un pouce, restait entre la com- missure postérieureide la vulve et l’extrémité antérieure de la rupture longitudinale du pé- rinée. Une forte hémorrhagie se manifesta aussitôt après l’accouchement , et fut bientôt arrêtée au moyen de fomentations froides. Mais le pé- rinée" devint le siège d’un gonflement inflam- matoire qui ne fut dissipé com- plètement qu’au bout de quinze jours. Le sixième jour on appliqua deux points de su- ture de manière à maintenir affrontés les qua- tre angles de la plaie. La réunion complète se fît long-temps attendre, et la femme fut affectée d’une fistule vagino-périnéale par la- quelle les règles s’écoulaient, pendant plus de deièx ans. En 1827, elle accoucha de nouveau, et très promptement, par les voies naturelles. LEÇONS DE M. DIjPUYTREN. Rust's Magazin , etc., tom. 26, 1828; et Sie- hold Journal jür tom.g, 1800.) Dans l’observation suivante, tirée de l’ou- vrage de Moschener ( Conspectus partuum in Lechodochio pragensi, etc., Prague 1826.) et que l’on retrouve aussi dans le volume précité du journal de Sièbold, l’enfant n’est venu par le périnée que par suite de la gangrène de celte partie déterminée par une distension ex- cessive et prolongée; la vulve étant en même temps extrêmement étroite. En 1825, une femme de 35 ans, enceinte pour la seconde fois, vint à l’hospice d’accouchement de Prague. Les eaux étaient écoulées depuis six heures, et les douleurs qui étaient très fortes au commencement, avaient cessé depuis une demi-heure. On apercevait le sommet de la tête du fœtus dans la vulve qui était ar- rondie et très étroite. Le périnée, forte- ment distendu et abaissé, était frappé de gangrène depuis l’anus jusqu’au milieu de sa longueur. Entre le rectum et la paroi pos- térieure du vagin, existait une communication qui permettait d’arriver directement àla face du fœtus en introduisant le doigt dans le !%c- tum. La,fourchette, qui s’était déchirée deux DÉCHIRURE DU PÉKINEE. ans auparavant pendant un premier accouche- ment , offrait une cicatrice dure et résistante dans laquelle le professeur Jungmann , recon- nut le principal obstacle à l'accouchement ac- tuel. Il résolut de retenir d’abord la tête au moyen du forceps , d’inciser ensuite cette ci- catrice et d’extraire l’enfant par la vulve ainsi dilatée. Mais à peine eut-il introduit l’une des branches de l’instrument , qu’il s’éboula une grande quantité de pussanieux et fétide ; les contractions se ranimèrent immédiate- ment et la tête se fit jour à travers le périnée gangrène , bientôt suivie du tronc et, huit minutes après, de l’arrière-faix. En deux mois, la malade fut assez bien pour pouvoir quitter l’hôpital ; maison ne dit point en quel état se trouvait alors les parties désorganisées. Nous trouvons encore dans le Der neue Chiron, t. ier, 1822, publié à Sulzbach, une observation dans laquelle le docteur Franck décrit l’histoire d’une perforation du périnée derrière la commissure postérieure de la vulve, à travers laquelle le bras gauche du fœtus s était engagé; mais la tête étant venue par le vagin, et l'enfant ayant été extrait par la vulve ce fait que nous ne rappelons qu’à LBGONS DE M. DUPÜYTUEN* cause de sa particularité , ne prouve rien pour la thèse dont il est ici question. Mais nous croyons devoir rapporter avec ses principaux détails , une observation tirée de la pratique de M. Evrat et recueillie par M. Moreau, ac- tuellement professeur à la Faculté de méde- cine de Paris, qui a donné des soins àla ma- lade, depuis le moment de l’accident jusqu’à son entier rétablissement. L’histôire de ce fait a été consignée par ce professeur dans un moire lu à l’Académie de médecine et publié dans la Revue médicale ( juin i85o). Madame D..., demeurant à Paris, quartier Poissonnière, près des boulevards, âgée de dix-neuf à vingt ans, étant arrivée heureu- sement au terme d’une première grossesse, fit appeler M. Evrat le 5 mars ißis. L’enfant se présentait dans la quatrième position de la tête ; celle-ci s’engagea sans beaucoup de peine dans Fexcavation pelvienne ; mais lors- qu’elle fut arrivée au point de franchir le dé- troit périnéal, elle éprouva des difficultés assez grandes pour arriver sous l'arcade du pubis. Dans une douleur très vive, M. Evrat crut sentir que le milieu du périnée contre lequel il appliquait la paume de la main , per- DÉCHIRURE DT? PÉRIMÉE. dait de son épaisseur, de son élasticité, et cé- dait d’une manière sensible à la pression exer- cée par ia tête de l’enfant. Il réfléchissait comment il pourrait s’opposer à une déchirure imminente , lorsqu’une douleur violente, dont il ne put modérer l’effet, vint expulser l’enfant , mais de telle sorte que la tête, au lieu de s’échapper par les voies naturelles, passa à travers le périnée en laissant au-devant d’elle ia commissure postérieure de la vulve et en arrière l’orifice de l’anus parfaitement intacts. La plaie irrégulière, résultat de celte perforation , s’étendait à droite dans la direc- tion de la branche ascendante de l’ischion et descendante du pubis; elle dépassait en devant* le niveau de la commissure postérieure de la vulve , et en arrière contournait un peu l’a- nus; puis, elle se portait transversalement de droite à gauche, entre l’anus et la vulve , jus- que près de la tubérosité de l’ischion du côté gauche. Le placenta sortit bientôt parla même voie qui avait donné issue à l’enfant. Un doigt, porté dans l’anus, donna l’assurance que l’in- testin n’élait pas compris dans cette déchirure. M. Evrat ayant été obligé de se rendre en Angleterre , M. Moreau resta chargé du Irai- LEÇONS DR M. DUPUYTREN. tement, conjointement avec le professeur Dé- sormeaux, jusqu’à l’entier rétablissement de la malade. Ce traitement fut extrêmement simple. On fit coucher celle-ci sur le côté, les jambes et les cuisses rapprochées et dans un état de demi-flexion; la plaie était pansée à plat avec de la charpie; on eut soin de tenir la malade à un régime sévère ; d’entretenir la liberté du ventre au moyen de lavemens et de doux laxatifs,, dans la crainte que les efforts pour expulser des matières dures, et le passage de ces matières par l’anus, ne vinssent con- trarier ou même rompre la cicatrice à mesure qifelle se rétablissait. La malade suivit le régime avec une rare exactitude ; au bout de cinq semaines de couches, elle était parfai- tement guérie et la plaie complètement cica- trisée. Depuis, cette jeune dame est accouchée une seconde fois à terme et sans accident ; la ci- catrice a résisté aux efforts du travail ; il n’y eut, lors du passage de l’enfant, qu’une légère déchirure à la fourchette , comme cela arrive souvent chez les primipares. Personne ne sera tenté, ce nous de contester la véracité des détails contenus DÉCHIRURE DU PÉRINÉE. 189 dans l’observation qui précède. Nous termi- nerons cette nomenclature par l’histoire d’un l'ait analogue, que nous avons eu dernière- ment sous les yeux; dans les salles de M. Du- puytren, et qui n’est pas moins concluant. Nous arriverons ensuite aux considérations pratiques qu’il a suggérées au professeur, sur les causes et suf le traitement de ces accidens. Madameß..., âgée de trente-huit ans, d’une taille moyenne, d’une conformation régu- mariée depuis environ un an, et en- ceinte pour la première fois, ressentit les douleurs de l’enfantement dans la matinée du 3 septembre i 832. L’enfant présentait la tête en première position ; le travail marcha rapi- dement et ne fut guère arrêté que lorsque l’occiput vint s’offrir à la vulve , qui était fort étroite. Quatre beiges après l’apparition des premières douleurs, la malade en eut deux dernières très vives, et la sage-femme sentit à l’instant une déchirure se faire sous la main avec laquelle elle soutenait le périnée. Pres- qu’au même instant, la tête et le reste du corps du fœtus sortirent par cette ouverture anormale. Il est à remarquer que l’accouchée était placée,en face d’une croisée, cl que par conséquent les parties sexuelles étaient lar- gement éclairées. La sage-femme pouvait donc bien voir et parfaitement se rendre compte de ce qui se passait. Le cordon coupé et lié, elle remit l’enfant à d’autres personnes , et s’oc- cupa de terminer le travail ; elle trouva le cordon ombilical pendant entre les lèvres de la plaie; le placenta était engagé dans la même ouverture, par laquelle il fut également extrait ; du reste, aucune hémorrhagie n’eut lieu. L’enfant était de taille moyenne; il est encore aujourd’hui très bien portant. LEÇONS DE M. DUPUYTJREN. Dans son premier mouvement d’effroi, la sage-femme fit appeler un accoucheur; mais, s’apercevant que la malade était en bon état et ignorait son accident elle dit au médecin que tout était fini, et ne lui fit point part de la déchirure. $ Tout alla bien pendant deux jours ; mais un lavement donné à l’accouchée, et qui sortit aussitôt sans qu’elle eût pu le retenir, fit crain- dre à la sage-femme une déchirure de l’anus; elle s’imagina même qu’une partie du lave- ment était ressortie par la plaie. 11 fallut bien révéler ce qui était arrivé. On laissa néanmoins passer le temps ordinaire des couches ; il ne bècinnußE dü rÉumÉE. 191 Survint aucun accident; l’enfant avait été vové en nourrice. Le dixième jour, M. Guersent fils fut con- sulté. Il essaya d’abord des lotions avec le chlore liquide très étendu; il toucha avec la pierre infernale; et enfin, le douzième jour , il réunit les bords de la plaie à l’aide de la suture enehevillée ; les anses de fil furent re- tenues sur deux bouts de sonde. Après cinq jours révolus, les bords de la plaie paraissant réunis, à F exception d’un petit point fistuleiix vers le rectum , M. Guersent enleva la suture. Il paraît que la réunion persista deux jours, en ne fut détruite que dans un effort que fit la malade. Cet événement la décida à entrer à i’Hôtel- Dieu le 6 octobre. Voici quel était l’état des parties, en les examinant d’avant en arrière : la peau du Ventre ofïraitles cicatricules et la cou- leur sale que présente la paroi abdominale chez les femmes récemment accouchées ; le grand bassin avait sa largeur ordinaire ; les parties sexuelles n’offraient presque plus de gonfle- ment. En écartant les grandes et les petites lèvres, on apercevait l’ouverture de la vulve fort eu avant : celte circonstance est inr portante à noter ; elle explique d’abord pourquoi la malade ne souffrait les approches de son mari qu’arec une certaine difficulté. Derrière cette ouverture, on en apercevait une autre irrégulièrement arrondie , qui pouvait admettre l’extrémité des trois doigts ; elle était située un peu plusà gauche.Entre ces deux ouvertures existait une commissure charnue un peu moins forte que l'extrémité du petit doigt ; derrière la seconde ouverture parais- sait une troisième ouverture très petite, cà plis rajonnés, c’était l’anus ; enfin l’on dis- tinguait la saillie du coccyx qui n’étail pas très prolongée en avant, comme l’ont pré- tendu quelques accoucheurs , dans le cas de déchirure du périnée. LEÇONS DE M. DUPUïTREN. Yoici un fait, dit M. Dupuytren, dont toutes les particularités sont bien constatées :la sage-femme a suivi tous les temps de cet ac- couchement.Ce qu'elle a vu, Siébold, M. Mo- reau et beaucoup d’autres l’ont également observé. Eh bien , lorsque Coulouly, l’un des noms dont s’honore le plus la science, a rap- porté un fait analogue, on a été jusqu’à allé- guer qu’il avait été troublé , qu’il avait perdu la lêle et qu'il avait mal vu Mais, en admet- DÉCHIRURE DU PÉRINÉE. tant qu’un tel homme ait pu se troubler , ce ne serait jamais sans doute avant, mais tout au plus après l’accident. Mais , dira-t-on, comment concevoir un pareil fait ? Qu’importe , pourvu que la chose existe. D’ailleurs, est-il si difficile d’ex pliquer un accouchement par la déchirure du périnée. Tous ceux qui ont vu des premiers accouchemens, dans lesquels la vulve a tant de peine à se dilater , le périnée tant de pro- pension à s’étendre et à auront été frappés pins d’une fois de la crainte de voir la tête du fœtus se faire jour au travers. Aussi sommes-nous portés k croire que ce trajet de la tête à travers le se fait plus fré- quemment que l’expérience ne semble le dire; seulement dans la majorité des cas , la com- missure vaginale se rompt, et l’accident prend le nom de déchirure de la fourchette. Yojons maintenant quelles peuvent être les causes d’un accouchement de cette nature. Les personnes qui s’occupent spécialement d’anatomie , de l’art des accouchemens ou d’affections des organes génilo-urinaires, au - ront souvent rencontré l’orifice vulvaire ou externe du vagin placé haut vers les pubis , tandis que le périnée offre, devant en arrière, une grande étendue, soit une hauteur consi- dérable , si l’on suppose la femme couchée horizontalement. La vulve paraît dans ces cas et est en effet fort étroite, et les personnes qui ne se sont pas rendu compte de cet état des parties, jugeant du diamètre du vagin par celui que présente l’orifice externe , considè- rent le conduit vaginal comme mal conformé et craignent les chances de raccouchement. Maison conçoit qu’il n’en est pas ainsi : l’é- troitesse n’existe qu’à la vulve, tandis que le va- gin offre une capacité normale. Celte étroitesse provient donc d’une espèce de prolongement du périnée qui occlut inférieurement un quart, un tiers et quelquefois même une moitié de l’orifice vulvaire. Chez les femmes qui pré- sentent ces dispositions, on est obligé , pour explorer les organes intérieurs , de porter le doigt suivant une ligne plus ou moins oblique de haut en bas et de dehors en dedans ? de manière à former , avec le pubis , un angle plus ou moins aigu; et pour introduire le spé- culum , de donner à eet instrument la même direction , au lieu de le pousser presque hori- zontalement, comme dans l’état ordinaire des LEÇONS DE M. DLTUYTREK. parties. Celte conformation vicieuse entraîne plu- DÉCHIRURE DU I'ÉRIWÉE. sieurs inconvéniens. Quelquefois elle est portée à un tel degré , que le nouveau marié ne peut franchir l’orifice externe et se trouve obligé de recourir à l’homme de l’art qui y remédie avec le bistouri. La matière des menstrues coule difficilement par la vulve, le sang séjourne en partie derrière cette espèce d’auvent formé par Je prolongement du périnée ; il en est de même s’il existe un écoulement leucorrhéique. Mais c’est sur-tout lorsqu’il s’agit de faire une opération sur le col de l’utérus ou dans l’accouchement, que cette disposition organi- que est le plus malencontreuse. Ën effet, on peut facilement juger des obstacles que cet état des parties oppose à la parturition. La tête de l’enfant rencontre les plus grandes difficultés pour franchir le détroit inférieur : elle vient s’arc-bouter contre le périnée ; et si la commissure postérieure de la vulve offre une résistance proportionnellement moindre que le centre du l’enfant ne peut se faire jour à travers l’orifice , sans produire une déchirure plus ou moins éten- due , que l’accoucheur, quelque soin qu’il prenne, ne saurait prévenir. Si celte com- missure est au contraire fort résistante , le LEÇONS DE M. DUPUYTiIEN. centre du périnée cède, se rompt, et l’enfant s’échappe par cette voie anormale. Nous ne doutons pas que telle n’ait été la cause de la plu part des accouehemens périnéaux dont nous avons rapporté Ce vice de conformation peut être con- génial ou accidentel, c’est-à-dire le résultat d’une réunion des parties molles par suite de brûlure,de déchirure ocoasionée, par exemple, par un accouchement antérieur, de plaies quelconques. Il est évident que le seul moyen d’y remédier est de fendre cette cloison dans une étendue convenable, d’ordonner le repos, et deveillersur tout à ce que la cicatrisation se complète sans adhésion nouvelle entre les bords libres de la plaie. On devrait spécialement avoir recours à ce moyen chez une femme enceinte pour la première fois, qui en serait affectée, si on en avait connaissance à une époque à laquelle la cicatrice pourrait encore acquérir une so- lidité parlaite avant l’accouchement ; il ne fau- drait même pas hésiter de pratiquer cette in- cision pendant le travail de , si l’on prévoyait qu’il ne pût se terminer sans dé- chirure grave ou sans perforation du centre du périnée. Le docteur Champenois rapporte, dans DÉCHIRURE DU PÉRINÉE. le 4e volume AnJoürn*Gén.deMéd.y F histoire d’n ne jeune femme chez laquelle il prévint cette perforation en incisant, au moyen d’un bistouri conduit sur une sonde caneîée, un cercle dur, épais et calleux, résultat d’une brûlure des parties externes de la génération , que cette femme avait éprouvée dans sa tendre enfance. Cette cicatrice qui avait singulière- ment rétréci la vulve avait résisté à tous les efforts de la malade, et aux divers moyens mis en usage pendant la durée du travail de l’en- fantement. Le docteur Buet a inséré dans le 59° volume du Journ. complémentaire des Sciences Médicales , un exemple carieux de rétrécissement accidentel de la vulve. Une de- moiselle avait eu une faiblesse, mais elle eut en retour assez d’habileté pour dissimuler en- tièrement sa grossesse, et assez de courage pour accoucher toute seule. Le travail fut des plus douloureux et occasiona de vastes déchirures des lèvres et du périnée. La réunion eut lieu , mais dans une telle étendue qu’il ne resta pour tout orifice vulvaire, qu’un trou dans lequel on pouvait à peine introduire le petit doigt. Cette demoiselle se maria. Ou fut obligé d’appeler un chirurgien qu’elle 198 LEÇONS DC M. DÜPUYTJUEN. avait eu soin de mettre clans sa confidence. Grande était la joie du mari qui voyait dans celte disposition organique, un gage assuré des prémices de sa femme! L’orifice fut ouvert dans une étendue proportionnée au diamètre du vagin ; la femme garda le repos ; on intro- duisit des mèches de charpie entre les bords libres de la plaie afin d’empêcher une nou- velle adhésion, et la cicatrisation ne tarda pas à être complète. Nous rapporterons plus loin un exemple analogue, cité par M, Dupuytren. Une autre cause, qui ne doit pas avoir moins d’influence, sur-tout s’il existe, d’une manière plus ou moins marquée, le prolongement du périnée que nous venons de signaler, c’est la position de la femme pendant le travail. On remarque en effet dans le fait cité par Nédey que la sage-femme voyant les douleurs se ralentir et la femme pressée par des envies d’aller àla garde-robe, renversa une chaise de bois entre les piliers de laquelle elle plaça le pot de nuit; elle fît ensuite asseoir la pa- tiente sur cette espèce de chaise percée. C’est dans cette position qu’à la deuxième douleur l’enfant se mit à crier, et qu’il fut retiré de dessous fa chaise. Notre malade actuelle, dit DÉCHIRURE DU PERINEE. M. Dupuytren, se trouvait dans une situation analogue ; elle était tellement soulevée par des oreillers , qu’elle était presque assise. Dans un tel état, la tête de l’enfant, pressée en bas et en arrière par l’arcade du pubis, doit venir heurter bien plus fortement contre le périnée. Il est d’ailleurs constaté par l’observation que, chez les femmes couchées tout-à-fait horizontalement, l’enfant se présente beau- coup mieux à l’ouverture inférieure du vagin. On pourrait aussi mettre, avec M. Moreau, au nombre de ces causes , une trop grande courbure, en arrière, de l’extrémité inférieure du sacrum et du coccyx , ou , ce qui est la même chose, une trop grande saillie de l’angle sacro-vertébral. Ce vice de conformation, en agrandissant le diamètre coccyo-pubien du détroit périnéal, en reportant plus en bas et en arrière l’axe de ce détroit , en diminuant l’in- clinaison du plan qui doit diriger la tête de l’enfant d’arrière en avant, sous la symphise du pubis, la contraint de séjourner plus long- temps sur le périnée , la lait porter avec plus de force et plus perpendiculairement sur celte partie.Enfin, c’estavec autant de raison, qu’on pourrait assigner à priori à ces accidens une 200 foie d’autres causes dépendantes de quelque autre disposition vicieuse du bassin ou de la position prise par la tête de l’enfant ; mais il conviendrait beaucoup mieux de ne raisonner que d’après des faits, et l’on doit regretter que les auteurs des observations assez nombreuses LEÇONS DE M. DUPUVTREN. que nous avons rappelées, n’aient pas eu soin de nous transmettre toutes les circonstances relatives à l’enfant et à la mère, qui auraient pu résoudre cette question. Venons enfin à la partie qui nous intéresse plus spécialement, aux moyens de remédier à ces déchirures centrales du périnée. Chez la malade que nous avons sous les yeux, une ten- tative de réunion a été faite au moyen de la suture enchevillée. Pourquoi n’a-t-elle pas réussi? Sans aucun doute parce qu’elle a été retirée trop promptement ; car , remarquez que ce n’est que le dixième jour qu’elle a été appliquée. Or dans les plaies récentes, la réu- nion méthodiquement tentée peut s’achever en quatre ou cinq jours ; mais dans les plaies qui suppurent , à moins que l’époque ne soit arri- vée où la sécrétion du pus est diminuée., où les bourgeons charnus sont convenablement dé- veloppés, il faut beaucoup plus de temps, A DÉCHIRURE DU PÉKINEE. 201 plus forte raison fallait-il un temps beaucoup plus considérable pour une plaie de ce genre, sur laquelle l’écoulement des lochies agissait sans cesse et nuisait par conséquent au travail d’adhésion. 3’ai eu bien des fois continue M. Dupuy- tren , l’occasion d’employer la suture pour des plaies suppurantes ; mais il (allait , pour en obtenir la réunion, un temps beaucoup plus long que pour les plaies récentes. Les divi- sions du périnée, après l’accouchement, sont dans ce cas. Voici un fait que ma mémoire me rappelle et qui n’est pas sans intérêt. Je fus il y a un assez grand nombre d’années, par M. Gardien et un autre méde- cin, près d’une jeune fille accouchée en secret et hors la maison paternelle ; raccouchement s’élail terminé par une rupture complète du périnée , qui allait jusqu’à l’anus et ne s’arrê- tait qu’à un pouce de hauteur de la paroi anté- rieure du rectum. Plusieurs jours s’étaient déjà écoulés depuis l’accident ; je conseillai et pratiquai la suture à points séparés; aujour- d’hui je préférerais la suture enchevillée. Un mois après, la jeune fille fut obligée de retour- ner chez son père ; la réunion n’était point en- 202 LEÇONS DE M. DUPüîTREN. core faite; une suppuration opiniâtre y avait seule mis obstacle; car je n’avais point coupé les fils, elles fils n’avaient point coupé les chairs. Mon avis fut de laisser la suture en place , persuadé que la réunion aurait lieu. On suivit ce conseil, et je n’entendis plus parler de rien. Trois ou quatre ans après, je vis entrer dans mon cabinet un homme et une femme; celle- ci se tenait en arrière et me faisait un signe , comme pour m’inviter à la prudence. L’hom- me , c’était le mari, me fit connaître qu’il n’a- vait pu consommer le mariage ; il désirait sa- voir si c’était sa faute on celle de sa femme. Je la visitai, et trouvai l’ouverture du vagin très étroite, située haut vers le pubis et regar- dant en avant ; en arrière le périnée était par- couru par une lorte et longue cicatrice. Je conseillai au mari de renouveler ses efforts , qui, en effet, furent enfin couronnés de suc- cès. La femme devint enceinte et accoucha, cbpse remarquable , sans qu’il se fit de nou- velle déchirure. Tout le monde a déjà deviné que c’était celle que j’avais opérée plusieurs années auparavant. J’ai su qu’elle s’était con- fiée à un médecin qui n’avait enlevé la suture que quand la réunion avait été complète. Dans le cas qui nous occupe, que reste-t-il à faire? Faut-il abandonner les choses à elles- mêmes, rapprocher, après les avoir avivés, les bords libres de la plaie , telle qu’elle existe actuellement , et les maintenir affrontés au moyen de points de suture enchevillée? Se- rait-il nécessaire de fendre le pont charnu qui sépare celte ouverture de la vulve? Avant de prendre quelque décision à cet égard , nous avons fait coucher cette femme sur le dos, les cuisses fortement rapprochées par des tours de bande , avec recommandation expresse de ne pasquilter cette position.Depuis une dixaine de jours qu’elle est dans nos salles, nous avons déjà remarqué une diminution sensible dans le diamètre de l’ouverture anormale, les bords libres adhèrent déjà sur quelques points. Nous avons donc le droit d’espérer qu’une réunion complète s’effectuera sans opération. DÉCHIRURE DU PÉRINÉE. En effet, le 3o novembre dernier , celte femme a quitté Fhôpital complétement.guérie. Toute la surface du périnée était cicatrisée. Sans doute , dit M. Dupuylren, il existe en- core quelques points de division à la surface du vagin jusqu’à sa jonction avec le périnée ; mais ces divisions ne tarderont pas à s’effacer- leçons de m. dupuytren. entièrement. Voilà donc un cas qui vient con- firmer ce que les divers auteurs ont avancé sur la possibilité de guérir ces solutions de conti- nuité, sans opération et par les seuls moyens que nous avons employés; c’est un fait que cet exemple rend désormais incontestable. Nous avons vu ,en effet, dans les observations que nous avons citées, que les malades avaient été guéries dans l’intervalle d’un mois à cinq ou six semaines ; telle a été aussi, à peu près, la durée du traitement chez cette femme. Nous lui avons recommandé, dit en terminant le professeur, de ne point se livrer àun travail fatigant, de marcher le moins possible , d’é- viter sur-tout le coït et toutes les circonstances capables de détruire des adhérences qui ne sont point encore d’une solidité parfaite. En- fin nous l’avons engagée à revenir nous voir de temps à autre, et sur-tout à n’y pas man- quer si elle redevenait enceinte. LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. 205 ARTICLE VIII. DE LA LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. Caractères anatomiques. Symptômes. Signes différentiels. Causes. îvlode de traitement. La luxation originelle des fémurs avait été, il y a quelques années, l’objet d’un mémoire important de M. Dupuytren : un fait qui s’est présenté dernièrement àla Clinique, lui a fourni l’occasion de revenir sur cette altéra- tion. L’individu qui fait le sujet de cette leçon, était un homme de soixante -quatorze ans , affecté de rétention d’urine. Plusieurs méde- cins en ville n’avaient pu le sonder. M. Bres- chet y parvint une première fois, mais il échoua une seconde. C’est ici le cas de vous rappeler , dit M. Dupuytren, le précepte de porter la sonde le long de la paroi supérieure de l’urètre, pour éviter les fausses routes, rétrécissemens et obstacles qui existent pres- que toujours le long de la paroi inférieure. Nous n’insisterons pas plus loog-tems sur ce mal, parce que nous voulons appeler votre LEÇONS DE M. DÜPUYTREIS, attention sur l’affection articulaire que pré- sente cet homme:la tête des fémurs est évidem- ment luxée ; il existe une saillie marquée des hanches, et l’impossibilité pour le malade d’écarter les cuisses. La simultanéité du vice de conformation des deux côtés, annonce une disposition congéniale. S’il succombe, comme son état de faiblesse semble le faire craindre, nous constaterons fidèlement l’état des parties. L’événement que M. Dupuytren avait prévu ayant eu lieu, le corps fut l’objet d’un exa- men particulier ; on reconnut d’abord qu’il était impossible d’écarter les cuisses ,de leur faire exécuter un mouvement d’abduction un peu étendu, autrement qu’en imprimant à ces extrémités un grand mouvement d’arc de cercle ; les trochanters étaient bien plus rapprochés de la crête de l’os des îles_, bien plus élevés que dans l’état naturel; la tête du fémur était située bien plus haut, les genoux plus portés en dedans, les cuisses d’une moindre longueur ; il y avait enfin un changement total de rapports , une différence tranchée de direction et de longueur. Il en résultait que la cavité destinée par la na- ture à l’os, était presque effacée et que la tête LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. de l’os était déformée. La partie supérieure des cuisses était grossie , le tronc courbé en arrière , l’abdomen porté en avant, le bassin, au lieu d’être oblique, était presque trans- versal , les cuisses plus courtes, les fesses molles et flasques , ce qui s’expliquait par le, rapprochement d’insertion des muscles grands fessiers , et par leur état de relâchement. Le moyen fessier était au contraire distendu et soulevé , le petit fessier détruit, le pyrami- dal, au lieu d’être placé obliquement comme dans l’état normal, était sur un plan tout-à- --fait horizontal; les muscles gémeaux et carré étaient distendus, les adducteurs raccourcis. Du côté gauche, l’ancienne cavité n’avait pas plus d’un pouce d’étendue dans son plus grand diamètre; elle était peu profonde, ru- gueuse, remplie d’une substance graisseuse, jaunâtre et presque de la consistance de l’huile; elle présentait à peu près une forme ovale. La fosse iliaque externe offrait au-devant de l’é- chancrure sciatique une dépression large, peu prolonde, recouverte ou tapissée par un pé- rioste épais, ayant presque l’aspect d’un cartilage articulaire ; ce lieu était destiné à être contigu à la tête du fémur. Celte tête 208 leçons de m. dupüïtken. diminuée de volume, un peu aplatie, inégale, sans vestige aucun de l’insertion du ligament interne, était encroûtée d’un cartilage articu- laire , mais plus mince que dans l’état naturel. La capsule fibreuse articulaire formant une véritable bourse dont les points d’insertion étaient aux bords supérieur et inférieur de l’ancienne cavité. Cette bourse remplaçait une xavité osseuse de ce côté, et permettait par sa longueur l’ascension de la tête du fémur dans la dépression dont nous venons de parier. Le trajet qu’elle pouvait parcourir était d’environ trois pouces. L’épaisseur de cette bourse était très considérable , sa densité était presque car- tilagineuse. Du côté droit, l’ancienne cavité était un peu plus grande ; l’intérieur avait le même aspect que l’autre. La fosse iliaque externe, au lieu d’olFrir, comme le côté opposé, une simple dépression, présentait devant le grand trou sciatique, vers le niveau de l’espace com- pris entre Fépine iliaque antérieure et supé- rieure, et l’épine iliaque antérieure et infé- rieure , une large et profonde cavité à rebord osseux, fortement marqué, rugueux, inégal. La tête du fémur, plus volumineuse que celle LUXATION ORIGINELLE DES FEMURS. du côté opposé, avait mieux conservé sa forme; elie était comme l’autre, encroûtée d’un cartilage articulaire imparfait, et l’inté- rieur de ces articulations était tapissé par une membrane synoviale. Le ligament orbiculaire était moins épais qu’à gauche, quoique son étendue ne se bornât pas seulement au pour- tour de la cavité anormale. Mais de ce côté, la tête du fémur, arrivée au rebord osseux, y trouvait un point d’appui solide, tandis qu’à gauche la force extrême de la bourse fibreuse bornait seule l’ascension du membre par sa résistance au poids du corps. Il existait, en outre, une mobilité extraor- dinaire dans l’articulation du sacrum avec la dernière vertèbre lombaire ; en pressant sur le membre inférieur et fixant le bassin, la colonne exécutait un mouvement de re- dressement d’un pied environ. Le relâche- ment seul du cartilage a été reconnu la cause de cette mobilité singulière. Les occasions de constater, par l’ouverture du corps , continue M. Dupuytren, la nature de cette remarquable espèce de luxation, sont fort rares. Car, comme elie ne cause au- cun accident, qu’elle constitue simplement LEÇONS DE M. DUPüYTREN. une infirmité incapable d’entraîner la perte de la vie, je n’ai pu l’ëludier que chez un petit nombre d’individus qui avaient péri d’accidens ou de maladies étrangères à l’état de la hanche. Voici ce que j’ai observé sur ce sujet : les muscles qui ont leur attache au-dessus et au-dessous de la cavité cotyloï- de, sont tous remontés ou entraînés vers la crête de l’os des îles. Parmi ces muscles, les uns ont un développement assez remarqua- ble , les autres sont amoindris et comme lé- gèrement atrophiés ; les premiers sont ceux qui ont conservé leur action; les seconds sont les muscles dont l’action a été gênée , restreinte, ou bien empêchée par les change- mens survenus dans la position et la forme des parties. Quelques-uns de ces derniers sont réduits à une sorte de tissu fibreux et jaunâtre , où l’œil chercherait en vain une apparence musculaire. La portion supérieure du fémur conserve, dans toutes ses parties, les formes , les di- mensions et les rapports naturels ; seulement le côté interne et antérieur de la tête de cet os, a quelquefois un peu perdu de sa forme arrondie; ce qui paraît résulter des frottemens qu’elle a subis contre des parties qui n’ont pas été organisées pour la recevoir. La ca- vité cotyloïde de l’os des îles ou manque tou t- à-fait, ou n’offre , pour tout vestige, qu’une petite saillie osseuse , irrégulière , où l’on ne trouve fréquemment aucune trace de cartilage diarlhrodial, de capsule synoviale ou autre, de rebord fibreux, et qui est environnée de tissu cellulaire résistant, et couverte par les mus- cles qui viennent s’insérer au petit trochan- ter. Une.fois, sur deux ou trois sujets, j’ai rencontré le ligament rond de l’articulation fort alongé , aplati supérieurement, et comme usé , dans certains points, par la pression et les frottemens de la tête du fémur. Celle-ci se trouve logée dans une cavité assez analogue à celle qui se développe dans les luxations accidentelles et non réduites de la partie su- périeure de cet os, en haut et en dehors. Celte cavité nouvelle , très superficielle et presque dépourvue de rebord , est située dans la fosse iliaque externe , c’est-à-dire au-des- sus et en arrière de la cavité cotyloïde, à une hauteur proportionnée au raccourcissement du membre ou à l’ascension de la tête du fé- mur, ce qui est la même chose. En résultat, LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. 212 LEÇONS DE M. DUPÜYTREN. on trouve , chez ces sujets, ce qui se voit clans les cas de luxations spontanées ou de luxations accidentelles fort anciennes, avec cette différence pourtant que , chez les indi- vidus qui font l’objet de ces recherches , tout semble avoir une date plus reculée , et avoir été disposé de la sorte originellement , ou du moins dès les premiers temps de la vie. Ce déplacement originel ou congénital de la tête des fémurs, dont nous venons d’esquisser les caractères anatomiques, n’a point été indi- qué par les auteurs français (i). L’observation ra’en a été suggérée par i’hisîoire du nommé Danton , dont je dirai quelques mois dans celte leçon. En appelant sur lui votre atten- tion, mon but n’a point été de grossir le cata- (i) Paîetla, chirurgien milanais , a publie dans ses Aduersaria chirurgien, quelques recherches sur cette maladie ; mais il est facile de s’apercevoir combien elles sont incomplètes, sur-tout lorsqu’on les compare à celles de M. Dupuytrcn. D'ailleurs, le me'moire, de Palelta était entièrement inconnu à Fèpoque où l’illusîre chirurgien français fit connaître ses travaux, et M. Del- pech, qui s’est empressé, dans son traité de l’Ortomorphie, d’en publier quelques extraits, n’avait pas, en 1824, la moindre con- naissance de cet écrit, ainsi que le prouve une consultation de lui, que nous avons entre les mains. ( Note des lied.) LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. logue déjà trop nombreux des misères hu- maines , mais d’éviter aux praticiens de graves erreurs de jugement, et aux malades, des traitemens aussi inutiles qu’ils sont dange- reux. Cette altération consiste donc dans une transposition de la tête du fémur de la cavité cotyloïde dans la fosse iliaque externe de l’os des îles, transposition qu’on observe dès la naissance, et qui semble le résultat du défaut d’une cavité cotyloïde assez profonde ou as- sez complète, plutôt que d’un accident ou d’une maladie. Ce déplacement est de l’espèce de ceux qui constituent les luxations du fé- mur en haut et en dehors. On connaît déjà deux variétés de cette maladie : la luxation accidentelle et la luxation consécutive , spon- tanée ou symptomatique. Aussi, pour distin- guer de ces deux espèces la luxation dont nous vous entretenons, nous lui avons donné ie nom de luxation originelle. Citons une observation de celte double maladie. lle Observation. Le nommé Paquier (Joseph), âgé de quarante-neuf ans, profes- sion de tisserand, entra à î’Hôlel-Dieu le 21 LKC.OWS DE M. DUPÜYTKEN. juin 1801, pour y être traité d’une ophthalmie chronique dont il était atteint dès sa plus tendre enfance. De temps en temps, elle s’exaspérait à la suite d’excès, et ce fut pour une de ces exacerbations qu’il vint réclamer les secours de l’art. Une saignée de bras , un vésicatoire appliqué au bras droit, des bains de pied sinapisés et des lavemens purga- tifs la dissipèrent en moins de quinze jours. Le malade étant sur le point de sortir, de- manda un bandage inguinal pour contenir une hernie volumineuse qui remplissait les bourses, et qu’il se bornait à soutenir au moyen d’un suspensoire. On dut s’assurer de l’exis- tence, du volume et du degré de réductibilité de cette hernie. En procédant à cet examen, M.Dupuytren ne fut pas médiocrement surpris de la disposition qu’affectaient les extrémités supérieures des fémurs; elle consistait dans une transposition des têtes des fémurs des cavités coîyloïdes dans les fosses iliaques externes. Cette transposition était caractérisée par le raccourcissement des membres inférieurs, l’as- cension des têtes des fémurs dans les fosses iliaques externes, la saillie des grands tro- chanters , la rétraction des muscles des fesses vers les crêtes iliaques, etc., etc.;la dispropor- LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. tion entre les parties supérieure et inférieure du corps était très notable ; le tronc était bien développé, tandis que les membres inférieurs, courts et grêles, paraissaient tels, sur-tout eu égard au développement du bassin qui n’avait souffert en rien de ce qui s’était passé à sa surface. Dans la station debout, le malade portait fortement la partie supérieure du tronc en arrière, le bassin était situé presque hori- zontalement sur les fémurs, le malade ne touchait le sol que par la pointe des pieds. Il ne pouvait monter à cheval qu’avec une très grande difficulté, et en s’aidant d une chaise. Il ne pouvait s’y tenir qu’à l’aide d’étriers très courts qui mettaient les genoux au même niveau que les grands trochanters, et en s’ap- puyant sur les ischions ; il ne pouvait serrer les flancs du cheval avec ses cuisses. La mar- che était pénible et chancelante; à chaque pas que faisait Je malade, on voyait la tête du fémur qui supportait le poids du corps s’élever dans la fosse iliaque externe, et le bassin s’a- baisser, circonstance qui tenait évidemment au défaut de fixité de la tête des fémurs et auquel le malade remédiait au moyen d’une cein- ture qui emboîtait ces extrémités osseuses LEÇONS DE M. DUPUYTREN. La course était moins chancelante et moins pénible que îa marche. Faisait-on coucher le malade horizontalement sur le dos, les signes de son infirmité s’affaiblissaient. Dans cette position on pouvait facilement alonger ou raccourcir les membres affectés, soit qu’on exerçât suf eux de légères tractions, soit qu’on les refoulât légèrement vers le bassin.Tous ces dépîacemens et tous ces mouvemens s’opéraient sans la moindre douleur; ce qui ne laissait pas de doute sur l’absence de toute espèce de ma- ladie, comme aussi de toute cavité susceptible de recevoir et de retenir les têtes des fémurs. Ce malade, qui n’était entré à l’hôpital que pour son ophlbalmie, a demandé sa sortie dès qu’il s’est senti guéri. Il a déclaré comme le premier qu’il était venu au monde ainsi con« formé, et que sa démarche dès ses premiers pas avait été telle qu’on l’observait aujour- d’hui. A côté de ce fait si caractéristique de luxa- tion originelle double des fémurs, nous allons en rapporter un autre fort curieux qui semble indiquer que ce vice de conformation a pu se transmettre à plusieurs générations d’individus de la même souche. LUXATION ORIGINELLE DES FEMURS. 217 11 existe dans la ville de Nantua (dit Fauteur de celte communication) une famille dont plusieurs individus ont été et sont affectés de luxation originelle des fémurs; le plus aucien membre de cette famille est une femme de quatre-vingts ans, appelée Marguerite Gardas, fruitière : voici les renseignemens qu’elle a donnés et qui ont été affirmés par d’autres per- sonnes du même âge. Deux de ses tantes , du côté maternel, mortes à soixante-dix ans , ont été affectées de claudication dès leurs premiers pas dans la vie ; elles disaient d’ailleurs, qu’elles avaient toujours boité ; elles avaient les hanches hau- tes, grosses, brusquement saillantes, mar- chaient les coudes en arrière et clochant comme des canards. Le père de Marguerite avait eu une sœur boiteuse de naissance, du côté droit, qui mourut à quatre-vingts ans. Une autre sœur bien conformée, donna le jour à une fille qui présenta un raccourcissement du membre droit. Marguerite Gardas, qui fait l’objet de cette r,ole_, est une femme grande et très grosse, à figure colorée, qui paraît avoir été d’une prestesse remarquable dans sa jeunesse. LECOISS DE M. DÜPUYTREN. Chez elle la maladie ne s’est déclarée qu’à trente ans, et ces signes sont ceux d’une lu- xation spontanée du fémur. Le membre ma- lade quart de diamètre de moins que l’autre membre : il a trois ou quatre lignes de plus en longueur. Celte femme a eu de son mariage avec un homme étranger au pays, et bien portant, une fille nommée Simone qui a un raccourcissement congénital du membre droit d’environ trois pouces. Cette fille s’est également mariée àun homme bien fait, mais dont le père avait une luxation congénitale des deux fémurs; elle a eu quatre enfans, dont deux présentent l’infirmité héréditaire : l’un est une fille âgée de vingt-trois ans; elle a une luxation des deux fémurs ; leur tête est située dans la fosse iliaque externe ; l’autre est un fils de vingt-un ans , qui a une luxation congénitale de la cuisse gauche. Le membre est plus court que l’autre de cinq pouces; la tête du fémur est en haut et en arrière, le grand trochanter est saillant en avant et en dehors ; la pointe du pied est tournée en de- dans. Les deux membres sont également bien nourris. Les caractères de cette luxation, comme LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. de toutes celles dans lesquelles la tête du fé- mur est portée en haut et en dehors, sont: le raccourcissement du membre malade ; l’ascension de la tête de l’os dans la fosse ilia- que externe ; la saillie du grand trochanter ; la rétraction de presque tous les muscles de la partie supérieure de la cuisse vers la crête de l’os des îles , où ils forment , autour de la tête du fémur, une espèce de cône dont la base est à l’os iliaque et le sommet au grand trochanter; la presque dénudation de la tu- bérosité de l’ischion abandonnée par ces mus- cles ; la rotation du membre en dedans, et, par suite , la direction du talon et du jarret en dehors , de la pointe du pied et du genou en dedans; l’obliquité des cuisses de haut en bas et de dehors en dedans , obliquité d’autant plus grande que l’individu est plus avancé en âge et que le bassin a plus de largeur, et de laquelle il résulte une tendance des fémurs à se croiser inférieurement ; un angle aigu et rentrant à la partie supérieure et interne de la cuisse au point où elle s’unit au bassin; l’amaigrissemeet de la totalité des membres , et particulièrement de ses parties supérieures. Les mouvemens isolés des membres ainsi LEÇONS DE M. DUPUYTRE3V. conformés, sont, en générai, très bornés , et ceux d’abduction et Je rotation, en particu- lier., le sont encore plus que les autres ; d’où résultent des difficultés sans nombre dans la la locomotion et les exercices divers auxquels les membres inférieurs prennent part. Dans la station ,en effet, on est frappé tou* à la fois, du défaut de proportion entre les parties supérieures de leur corps et les parties inférieures , de l’imperfection des membres abdominaux, et de l’attitude de ces individus. Leur torse ou leur tronc est développé , tan- dis que leurs membres inférieurs sont courts et grêles , comme s’ils appartenaient à un in- dividu de moindre stature. La brièveté et la gracilité de ces membres est rendue plus frap- pante encore par la largeur du bassin , dont le développement ne souffre en rien de ce qui se passe àsa surface ;du reste, on est surpris de la saillie des grands trochanters, etc. Quant à ce qui concerne l’attitude, on ob- serve que la partie supérieure de leur tronc est fortement portée en arrière, que la colonne lombaire est très saillante en avant, et très creuse en sens opposé,- le bassin est situé presque LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. horizontalement sur les fémurs; ils ne touchent le sol que par la pointe des pieds , circons- tances qui résultent évidemment de la transpo- sition de l’articulation ilio-lémorale, et du centre des mouvements sur un point de la longueur du bassin plus recalé que de cou- tume. Si les personnes ainsi conformées veulent se mettre en marche, on les voit se dresser sur la pointe des pieds, incliner fortement les parties supérieures du tronc vers le membre qui doit supporter le poids du corps , détacher du sol le pied opposé, et transporter pénible- ment ce poids d’un côté sur l’autre. En effet, chaque fois que ce transport a lieu , la tête du fémur qui poids du corps, s’élève dans la fosse iliaque externe , le bassin s’abaisse et tous les signes du déplacement deviennent plus saillants de ce côté, tandis qu’ils dimi- nuent sensiblement de l’autre , jusqu’au mo- ment où ce membre reçoit à son tour le poids du corps ; alors, on voit les signes et les ef- fets du déplacement s* y produire dans toute leur force , tandis qu’ils s’affaiblissent dans le membre opposé; c’est par cette succession d’efforts que le poids du corps est transmis 222 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. alternativement d’un membre à l’autre. Il est de la dernière évidence que la cause de ces efforts, toujours pénibles, est dans le défaut de fixité de la tête des fémurs dans le dé- placement continuel que ces têtes subissent, et par suite duquel elles sont alternativement élevées et abaissées, suivant qu’elles sont chargées ou délivrées du poids du corps. II paraît singulier au premier coup d’œil que la course et le saut s’exécutent moins difficilement que la marche simple. Il en est pourtant ainsi : dans ce mode de locomotion, l’énergie de la contraction musculaire et la rapidité du transport du poids du corps d’un membre à l’autre, rendent presque insensi- bles les effets du défaut d’une cavité cotyloïde et de fixité de la tête des fémurs. On re- marque bien , il est vrai, dans la course ,un balancement plus marqué des parties supé- rieures du corps, un mouvement plus grand du bassin en arc de cercle de chaque côté, en un mot, un travail plus grand que de coutume dans le transport du poids du corps d’un membre à l’autre ; mais tout ce qu’il y a de pénible dans la course, disparaît, or- dinairement , d’une manière plus complète LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. encore dans le saut; celui-ci s’écarte un peu, comme chez certains animaux, dont le corps dépourvu de membres , se fléchit d’abord pour se redresser ensuite à la manière d’un ressort comprimé, et s’élance à une hauteur et à une distance plus ou moins grandes. Ce- pendant une locomotion aussi fatigante que celle de ces individus , ne leur permet guère de faire de longs trajets ; les déplacemens , les frotternens de la tête du fémur, et les balancemens incommodes du corps dans la marche, les efforts considérables des muscles, dans la course et le saut, ne tardent pas à entraîner une lassitude qui les oblige au repos, et celte lassitude se fait sentir d’autant plus promptement, que le poids des parties su- périeures est plus considérable. Lorsque les personnes atteintes de cette infirmité , se couchent horizontalement sur le dos , on est étonné de voir les signes de leur infirmité s’affaiblir et s’effacer, en quel- que sorte y ce qui ne peut tenir qu’à ce que, dans cette situation de repos, les muscles cessent d’attirer en haut les fémurs ; et le poids des parties supérieures du corps enfonce, à la manière d’un coin , le bassin entre la tête de ces os. 16. 224 LEÇONS DE M. DUFUYTREWs Ce qui achève de mettre hors de doute ïa vérité de celte explication et la nature de l'in- firmité dont nous parlons, c’est qu’on peut, dans celte situation du corps , alonger ou rac- courcir à volonté les membres affectés. Il suf- fit, pour les alonger, d’exercer de légères tractions sur l’extrémité des fémurs, et pour les raccourcir, de les refouler vers le bassin ; or, si l’on prend la crête de l’os des îles et le sommet des trochanters pour terme de compa- raison, on peut aisément s’assurer que la tête du fémur subit, dans ces expériences , un dé- placement qui s’étend depuis un jusqu’à deux et même trois pouces , suivant l’âge la taille et la constitution des individus, et principale- ment suivant l’étendue du déplacement des os; et l’on voit, parle fait de cet alongement et de ce refoulement alternatifs , les signes de ce déplacement paraître et se renouveler en quelques instants. Au reste, tous ces déplace- ments s’opèrent sans la moindre douleur et avec la plus grande facilité, ce qui, pour le dire d’avance, ne laisse aucun cloute sur l’ab- sence de toute espèce de maladie, comme aussi de toute cavité propre à recevoir et à retenir la tête des fémurs. LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. 225 Cette luxation n’est pas seulement impor- tante par elle-même, elle l’est encore plus sous le rapport du diagnostic; en effet, pré- sentant tous les signes de celle qui résulte d’une maladie de l’articulation ilio fémorale, elle a dû être et elle a toujours été confondue avec celle dernière , et, par une conséquence inévitable, elle a toujours été soumise aux mêmes traitemens, quoiqu’elle ne constitue qu’un vice de conformation, et tout au plus une infirmité. Plusieurs individus, affectés de luxation ori- ginelle, ont été contraints , par suite de cette erreur de diagnostic, à garder le lit pendant plusieurs années ! J’en ai vu d’autres, conti- nue M. Dupujtren , qu’on avait forcés à sup- porter des applications sans nombre, de sang- sues, de vésicatoires, de cautères et sur-tout de moxas. Je me rappelle, entre autres, une jeune fille qui souffrit l’application de vingt et un moxas autour des hanches, sans que ce traitement inutile ou barbare , eût apporté au- cun changement à la situation de cette infor- tunée. Nous vous citerons, parmi les faits curieux de ce genre, celui d’une nourrice que des parens désolés accusaient injustement leçons de m. dupuytren. d’avoir causé , par incurie ou par brutalité, une luxation accidentelle sur une jeune en- fant confiée à ses soins, et qui était venue au monde avec ce vice de conformation ; celui du nommé Dautun , victime d’un assassinat affreux. Son corps , mutilé, défiguré et entassé dans un sac, restait inconnu malgré les plus actives recherches , lorsque le vice de confor- mation que je signalai à la justice, mit sur la voie et aida à faire constater son identité. L’his- toire de sa vie , soigneusement scrutée, apprit qu’il n’avait jamais eu de maladie à la hanche, qu’il était venu au monde avec le vice de conformation qui le fît reconnaître après sa mort, malgré les horribles mutilations par les- quelles l’assassin avait espéré dérober sa vic- time à tons les regards. On parvient facilement à distinguer l’une de l’autre ces deux affections si analogues par leurs signes, si différentes par leur origine, leur nature et leur traitement, à l’aide des symptômes suivans : absence de toute douleur, de tout engorgement, de tout abcès, de toute fistule, de toute cicatrice; dans le plus grand nombre de cas, existence simultanée d’une luxation de chaque côté ; je dis, à dessein, dans LUXATION ORIGINELLE DES CE MU II S. ie plus grand nombre de cas, car chez quelques individus, la luxation n’a lieu que d’un côté seulement. Sur les vingt-six faits de cette ma- ladie, que j’ai observés, la luxation n’existait que d’un côté seulement sur deux ou trois personnes. Je me rappelle sur-tout un jeune enfant qui n’offrait cette altération qu’adroite; et ce qui rend ce cas encore plus intéressant, c’est qu’il avait une sœur affectée de la même maladie, et qui, comme lui, ne l’avait que du côté droit. D’observation suivante ne laisse aucun doute * à cet égard ; IVe Observation. Mademoiselle F . .., âgée de huit ans, d’une constitution faible, d’un tempérament lymphatique, vint à la consultation publique de l’Hôtel-Dieu, le août 1821. Ces parens déclarèrent que dès que cette en- fant commença à marcher, ils s’aperçurent qu’elle boitait. Elle n’avait point fait de chute, ni reçu de coup dans la hanche lorsqu’elle était en nourrice. Divers moyens furent em- ployés et n’eurent aucun effet. Lorsque cette petite fille est debout, on apperçoit de suite là gracilité du membre inférieur gauche, LEÇONS DE M, DürUYTEEN. et la différence qui existe entre la forme et le volume des deux fesses ; celle du côté gauche est renflée supérieurement et arrondie infé- rieurement; on est frappé de la saillie du grand trochanter en haut et en dehors, et de la direc- tion oblique des fémurs. Xja colonne vertébrale offre une forte cambrure ; la tête est portée en arrière comme pour compenser les effets de la transposition du centre des mouvemens. Le ventre est saillant, le genou et la pointe du pied sont dirigés en dedans, le jarret et le ta- lon en dehors. Lorsque mademoiselle F... marche, on la voit transporter son tronc d’une hanche sur l’autre. 11 lui est très difficile de pouvoir courir, sauter, etc. Mademoiselle F... a évidemment une luxa- tion originelle du fémur. Cette observation offre ceci de remarquable, que la difformité n’existe que d’un côte. (Observation commu- niquée par M. le docteur Marx.) Ye Observation. —Mademoiselle T... do J... vint au monde à terme, le 5 janvier 1812. Au moment de sa naissance, on ne s’aperçut d’aucun vice de conformation dans les extré- mités inférieures. A l’âge de six elle eut une forte gourme à la tête, qui ne tarda pas LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. à se dissiper; un mois après cette éruption , cette jeune enfant eut le croup; sa dentition se fit sans accident. A quatorze mois, on vou- lut lui faire faire les premiers essais de la marche; ce fut alors seulement qu’on s’aper- çut, qu’en marchant elle balançait son corps d’une hanche sur l’autre; que le poids du corps, au lieu de reposer sur toute la plante du pied n’appuyait que sur la pointe, qui était dirigée en dedans, ainsi que les genoux, tandis que les talons et les creux du jarret, elevés, étaient portés en dehors; que les membres inférieurs se détachaient difficilement du sol, et que la petite malade éprouvait de la peine à écarter les cuisses l’une de l’autre. Dès cet instant, les parens consultèrent divers praticiens; une multitude de remèdes furent conseillés, employés, mais sans le moindre avantage ; des fumigations aroma- tiques, des frictions, des lotions, des bains fortifians, furent mis en usage pendant long- temps. Un régime tonique fut prescrit. On continua ces moyens avec persévé- rance. La petite malade grandit, et de son côté l’altération fit également des progrès; LEÇONS DE M. DU Püï THEN. la colonne lombaire devint saillante en avant ; poussés par cette déformation , les viscères abdominaux firent saillie en avant. Ce ne fut qu’en 1821 que M. Dupujtren fut consulté pour la première fois. La malade, âgée alors de neuf ans, se trouvait dans l’état suivant : Les membres inférieurs, portés en dedans, frappent par leur brièveté et leur maigreur ; leur direction est oblique , de sorte qu’écartés à leur partie supérieure, leur partie inférieure est très rapprochée, et a presque de la tendance à se croiser. Les grands trochanters sont sail- lans en haut et en arrière; le pied est forte- ment cambré ; la poitrine fait saillie en avant, ainsi que le ventre; la partie supérieure du corps se porte en avant. On ne distingue au- cune difformité sur le corps et notamment sur le bassin. Les dimensions de cette partie sont conformes aux proportions naturelles; un exa- men attentif a lieu pour constater si le bassin présente quelques traces de cicatrices fistu- leuses. La même précaution a été également prises pour tous les autres sujets atteints de luxation originelle des fémurs. Les recherches LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. les plus minutieuses n’en font découvrir au- cun vestige, d’ailleurs les dépositions unani- mes des parens ne laissent aucun doute à cet égard. Les symptômes qui viennent d’être énumérés s’observent lorsque mademoiselle T... est debout; mais est-elle couchée, le poids du corps n’appuyant plus sur les fémurs, ceux-ci peu- vent reprendre leur place, et l’on voit aussitôt cesser tous les symptômes qu’offraient la trans* position en arrière de la tête des fémurs. Une chose fort remarquable , c’est que mademoi- selle T... peut marcher, courir, sauter, tout comme un autre enfant. Aux symptômes que nous venons d’énumé- rer, il faut joindre l’histoire des individus affectés de celte luxation ; l’apparition des signes de ce vice de conformation, dés les premiers pas qu’ont faits ces malades, et le développement progressif de ces signes à mesure que le poids des parties supérieures du corps a augmenté. Les personnes affectées de luxation origi- nelle n’éprouvent aucune douleur aux hanches non plus qu’aux genoux; elles ne ressentent que de la fatigue et de l’engourdissement lors» LEÇONS DE M. DUPÜTTREN. qu’elles ont trop exercé leurs membres inférieurs ; il n’existe chez elles aucun engorgement autour de l’articulation ilio- fémorale ; la saillie des grands trochanters, et le volume plus considérable des chairs qui environnent le col du fémur, n’ont aucun des caractères d’un engorgement : ils sont Tel- fet de l’ascension de la tête de cet os le lonçr de la fosse iliaque externe, et du mouvement qui a fait remonter les muscles, avec leurs atta- ches , vers la crête de l’os des îles ; il n’existe aucun abcès, aucune fistule autour de l’arti- culation supérieure des fémurs ; on ne trouve même aucun indice de cicatrice , et, par con- séquent, rien qui puisse porter à croire qu’il a autrefois existé dans ces parties, des abcès ou des fistules, suites très fréquentes de la ma- ladie de l’articulation ilio-fémorale, lorsqu’elle terminée par une luxation spontanée ; en- fin , les deux hanches, ou seulement celle qui est malade, présentent toujours les mêmes al- térations de forme, circonstance tellement rare dans la maladie de l’articulation supé- rieure des fémurs, qu’on peut presque le re- garder comme caractéristique du vice de con- formation dont nous parlons. LUXATION OniGINELLE DES FÉMURS. Ces preuves acquièrent une valeur plus grande par l’histoire des individus affectés de luxation originelle : elle dépose qu’ils n’ont jamais éprouvé de douleurs à l’articulation supérieure des fémurs , non plus ge- noux , d’impossibilité à mouvoir la première de ces articulations d’alongement contre na- ture des membres inférieurs, de tuméfaction àla hanche, de fièvre , de raccourcissement subit des membres après un alongement plus ou moins grand, en un mot, aucun des symp- tômes de la douloureuse et cruelle maladie qui conduit ordinairement à la luxation spon- tanée des fémurs. L’histoire de ces malades fait encore con- naître d’une manière positive , les premiers signes , les progrès , le développement et les effets de la luxation congénitale du fémur. Si l’on est appelé de bonne heure à voir les en- fans qui en sont affectés , on trouve, dès le moment de leur naissance , des indices de ce vice de conformation. tels que largeur dé- mesurée des hanches, saillie du trochanter, obliquité des etc. ; mais comme il ar- rive presque toujours , que ces vices de con- formation et les infirmités qui en sont le ré* 234 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. sullat, n’attirent l’attention des parens qu’au moment où leurs enfans doivent se livrer aux premiers essais pour marcher, c’est alors seulement, que, dans le plus grand nombre des cas, on est appelé àen constater l’exis- tence. Alors les enfans ne peuvent pas ou ne peuvent que très difficilement se tenir sur leurs pieds, marcher ou courir ; quelquefois même il arrive que des parens, peu soigneux et peu attentifs , imaginant que leurs enfans ne sont que retarde's dans la marche , ne s’a- perçoivent du mal qu’au bout de trois ou qua- tre ans, c’est-à-dire lorsque les défauts et les imperfections dans la forme et dans l’action des parties sont devenus tellement saillans, qu’ils ne sauraient être raisonnablement at- tribués à aucun retard dans le développement des parties ou de leurs mouvemens. Le mal devient sur-tout apparent lorsque lebassin commence à prendre plus de largeur et que les enfans commencent à être forcés à des exercices plus longs et plus fatigans ; c’est alors que le balancement de la partie supé- rieure du corps sur le bassin, que son inclinai- son en avant, que les cambrures de la taille, la saillie du ventre, les mouvemens en arc LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. de cercle des extrémités du diamètre trans- verse du bassin, que le défaut de fixité dans la tête des fémurs, que les mouvemens aller- natifs d’élévation et d’abaissement de celte tête le long de la fosse iliaque externe, com- mencent à devenir très manifeste; mais la cause et la nature du mal restant encore in- connus , même au plus grand nombre des gens de l’art, quelques-uns l’attribuent à un dé- placement par cause externe , qui s’est opéré, durant l’allaitement, par suite de chutes fai- tes d’un berceau ou des bras d’une nourrice, ou par l’effet de tractions exercées sur les membres inférieurs, comme lorsqu’on sou- lève un enfant par une jambe ou par une cuisse. D’autres l’attribuent à une affection de na- ture scrofuleuse, qui, pendant la grossesse ou après la naissance, aurait entraîné l’usure des bords de la cavité cotjloïde, ou celle de la tête du fémur, et, par suite, le déplace- ment de cette dernière. Il faut avouer que la constitution lymphatique et l’aspect rachiti- que de ces individus donnent quelque poids à cette opinion ; et si nous avons adopté une manière de voir contraire, c’est que nous avons observé ce vice de conformation chez des 236 LEÇOWS DE M. DUPUVTKEN. enfans d’une constitution diamétralement op- posée à celle-là, au moment même de leur nais- sance , et sans qu’il existât chez eux aucun signe de maladie; c’est enfin parce qu’il nous a été donné de disséquer les parties affectées, et de leur trouver des formes et une organi- sation qui excluent l’idée d’une maladie ac- tuelle on bien antérieure. A l’époque où les caractères distinctifs des sexes commencent à se dessiner nettement, l’accroissement du bassin, plus rapide et plus grand chez la fille que chez le garçon, rend aussi les effets du vice de conformation plus appa- rents chez elle ; mais lorsque le bassin acquiert sa plus grande largeur, et les parties supé- rieures du corps leur plus grande pesanteur, les effets de la luxation originelle s’accrois- sent rapidement, et de manière à faire crain- dre le développement d’une maladie des hanches. Alors, les yeux les moins attentifs sont avertis , et les doutes, s’il en existe en- core , sont levés. Cet accroissement est mar- qué par l’inclinaison, de jour en jour plus forte, de la partie supérieure du corps , en avant, par la cambrure des reins et la saillie du ventre sans cesse croissantes ; par le mou- LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. vement continuel d’ascension des grands tro- chanters ; par le balancement des parties su- périeures du corps et par le mouvement laté- ral du bassin de plus en plus marqué, et, s’il est permis de se servir de cette expression, par la désarticulation des fémurs, chaque fois qu’ils ont à supporter le poids du corps. L’augmentation de pesanteur des parties su» périeures du corps et de la largeur du diamè- tre transversal du bassin, donne lieu à cet accroissement de symptômes. Les parties su- en pesant avec plus de force sur une articulation sans cavité , fatiguent les ii- gamens et les muscles, et tendent à faire res- sortir la télé des fémurs vers la crête de l’os des îles ; et telle est détendue de ce mouve- ment ascensionnel, que nous avons vu les trochanters et la tête des fémurs remonter, dans l’espace de quelques années, dans la fosse iliaque externe, au point de venir presque toucher la crête de l’os des îles. La largeur du bassin, chez les femmes sur-tout, en mettant supérieurement un plus grand intervalle entre les têtes des fémurs, oblige ces os à prendre une plus grande obliquité pour leur permettre de se trouver inférieurement à la même dis- 238 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. tance, et celle obliquité rend encore plus fâ- cheux les effets du défaut de solidité dans l'ar- ticulation ilio - fémorale. Aussi, voit-on les personnes qui ont pu, jeunes filles, marcher, courir et danser, plus âgées , devenir presque incapables d’aucun exercice violent. Cette dif- ficulté devient impossibilité absolue chez les personnes douées d’ungrandembonpoint, chez les personnes hjdropiques, et sur-tout chez les jeunes femmes enceintes. Il est à remarquer que les phénomènes qui ont lieu à l’extérieur du bassin, n’influent en rien sur le développement de cette cavité , et qu’avant l’époque de la puberté, pendant celte époque, et après qu’elle est passée, le bassin acquiert les dimensions les plus favorables à l’exercice des fonctions des viscères qu’il ren- ferme ; et qu’il est aussi propre à recevoir, à conserver et à transmettre le produit de la fé- condation que chez les personnes les mieux conformées. Mais quelle est donc la cause de ce déplace- ment? Serait-il le produit d’une maladie sur- venue au fœtus dans le sein de sa mère, et guérie avant sa naissance? Serait-il le résultat d’un effort ou d’une violence qui aurait fait luxation originelle des fémurs. sortir la tête du fémur de la cavité et celte dernière se serait-elle oblitérée sans maladie et seulement parce qu’elle serait res- tée sans emploi, et, par conséquent, inutile? la nature aurait-elle oublié de creuser une ca- vité pour la tête des fémurs, ou bien cette ca- vité, qui résulte du concours et de la réunion des trois pièces dont se compose l’os des îles serait-elle imparfaite par suite de quelque obstacle à révolution des os, ainsi que M. Breschet est porté à le croire? Sans cher- cher à résoudre aucune de ces questions, je me bornerai à présenter quelques courtes re- marques. Les travaux de l’anatomie pathologique ont démontré que le fœtus , pendant le temps qu’il reste dans le sein de sa mère, est sujet à plu- sieurs maladies qui peuvent suivre leur cours et se terminer par la guérison ou par la mort, avant la naissance. Il se pourrait donc, qu’une maladie de l’espèce de celles qui entraînent la luxation spontanée du fémur, eût produit le déplacement dont nous parlons ; néanmoins, plusieurs circonstances répugnent à cette expli- cation ; et d’abord , tous les individus sur les- quels ce déplacement a été observé, étaient leçons de m. dupuytrett. bien portans lorsqu’ils sont venus au monde, ce qui ne permet guère de supposer qu’ils- eussent souffert d’une maladie aussi grave que celle qui entraîne la luxation spontanée du fémur; ensuite, on n’a observé, au mo- ment de leur naissance, non plus qu’après ce temps, aucun des engorgemens , des abcès, aucune des fistules et des douleurs qui accom- pagnent et qui suivent si généralement ces sortes de maladies. Ce déplacement ne serait-il pas plutôt le ré- sultat d’une violence qui aurait obligé la tête du fémur à sortir de la cavité cotyloïde? En un mol, ce déplacement serait-il accidentel et analogue par sa nature, si ce n’est par sa cause spéciale, à ceux qui se font pendant la vie, à la suite de chutes, d’écarts, etc.? Mais quel serait, dans celle hjpotffèse, l'effort ou la violence qui auraient pu produire un tel déplacement? Qu’il me soit permis de faire, sur ce sujet, une remarque qui pourrait don- ner quelque probabilité à celte explicalion. Cette observation est que la position des mem- bres inférieurs du fœtus, pendant qu’il est contenu dans la matrice, est telle, que ses cuisses sont fortement fléchies sur le ventre; LUXA.TIOW ORIGINELLE DES FÉMURS. que les têtes des fémurs font continuellement effort contre les parties postérieure et infé- rieure de la capsule de l’articulalion ; que cet effort continuel, sans effet chez des individus bien constitués, peut bien avoir chez d’autres moins bien constitués et dont les tissus sont moins résistants. En admettantce fait, on con- çoit que les parties postérieures et in férieures de la capsule de l’articulation > obligées de céder et de laisser passer la tête du fémur, permettent à une luxation de s’opérer; et, dès lors, il suffit, pour concevoir le déplacement en haut et en de se rappeler que les plus puis- sans des muscles qui environnent l’articula- tion supérieure des fémurs, tendent constam- ment à faire remonter dans ce sens la tête de ces os , dès qu’elle est sortie de la cavité co- tyloïde. La luxation des fémurs serait-elle enfin le résultat d’un obstacle à l’évolution de l’os des îles? M. Breschet pense, d’après ses propres recheiches et d’après celles de plusieurs ana- tomistes modernes, sur les évolutions de l’em- bryon et du fœtus , particulièrement sur celles du système osseux, que les points les derniers développés sont ceux où doivent exister, soit LEÇONS DE M. DUPÜYTREN, des cavités, soit des éminences, et ceux sur- tout où plusieurs pièces osseuses se réunissent. Or, c’est sur les points par lesquels les pièces osseuses se touchent, pour se confondre plus tard, qu’on observe les vices de conformation par défaut de développement. On sait que la cavité cotjloïde se compose de trois pièces, et que la formation de cette cavité appartient à une des dernières époques de i’osléose. Les viscères contenus dans la cavité pelvienne , et ses parois elles-mêmes, recevant des branches vasculaires distinctes de celles des membres inférieurs , qu’on doit considérer comme la continuation du tronc artériel, il se peut que, par l’effet des circonstances inconnues jusques ici le développement du bassin soit en re- tard et ne se trouve plus en rapport avec celui des fémurs ; alors, ces os seraient portés dans le point le plus déprimé de la lace extérieure de l’os des îles, et se placeraient dans la fosse iliaque externe. Dans les trois hypothèses précédentes, le déplacement de la tête des fémurs ne serait que congénital ; dans celle qu’il nous reste à examiner, il serait originel, et daterait de la première organisation des pubis. Il est, quoi LUXATION ORIGINELLE DES FEMURS. qu’en aient dit quelques personnes , des vices de conformation originels , et qui tiennent à un défaut dans l’organisation des germes. Le vice de conformation qui nous occupe ne pourrait-il pas , comme tant d’antres, tenir à une cause de ce genre? Dans celte hypothèse on concevrait très bien, et le déplacement si- multané des deux fémurs chez le plus grand nombre des individus observés, et la santé parfaite dont ils jouissent au moment de leur naissance, et l’absence complète de tout tra- vail , de tout symptôme de maladie antérieure ou bien actuelle, tant autour de la tête du fémur, que dans la cavité cotyloïde. Quel traitement à employer contre cette affection ?Au premier abord, les remèdes pal- liatifs paraissent les plus rationnels, et j’avoue que ce sont ceux que j’ai employés de préfé- rence. Qu’on se rappelle la tendance naturelle qu’ont les têtes des fémurs à remonter le long des fosses iliaques externes , et que la cause de ce mouvement ascensionnel est , dans le poids du corps qui tend sans cesse à faire remonter les têtes de ces derniers le long des os des îles, et l’on comprendra sur quelles indications doit être fondé l’usage 244 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. des remèdes palliatifs. On concevra dès lors qu’il faut, autant que faire se peut, empêcher le poids du corps de porter, de peser sur une articulation à laquelle il manque une cavité, et l’action musculaire de s’exercer sur le lé- mur, que rien ne retient et n’empêche de s’élever le long- de la fosse iliaque externe. Le repos est donc un premier moyen d’empê- cher la tête des fémurs de s’élever, comme elle fait quelquefois, jusque vers la crête de l’os des îles; et l’attitude qui convient le mieux au corps en repos, est l’altitude assis , dans laquelle le poids des parties supérieures porte, non plus sur les articulations ilio-fé- morales , mais sur les tubérosités de l’ischion. Par suite de ces motifs, il convient de con- seiller aux personnes du peuple, qui sont af* feclées de celte infirmité , des professions qu’elles puissent exercer assises, et l’on sent qu’une profession qui les obligerait à se tenir debout ou à marcher continuellement, serait, avec leur conformation, un contre- sens très dangereux. Les personnes affectées de ce genre d’in- firmité , ne sauraient cependant être condam- nées à un repos éternel. Il fallait donc trouver LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. des moyens de diminuer pour elles les in- convéniens de la station , ceux de la marche et des exercices divers auxquels elles peu- vent se livrer. L’expérience ne m’a fait trou- ver jusqu’à présent, que deux moyens propres à atteindre ce but important : le premier con- siste dans l’usage Journalier, hors le tems des sueurs et des règles , de bains par immersion, sans cesse répe'lés, de tout le corps , y com- pris la tête qu’on a soin d’envelopper de taf> fêlas dans de l’eau simple ou salée, mais froide, absolument froide, pendant trois ou quatre minutes de durée, chaque fois, sans plus. Ces bains ont pour effet de fortifier les parties qui environnent l’articulation ac- cidentelle, et, en augmentant leur résistan- ce , de s’opposer au mouvement ascensionnel des têtes des fémurs. Le second consiste dans l’usage constant, du moins pendant le jour , d’une ceinture qui embrasse le bassin, qui emboîte les grands trochanters et les maintienne à une hauteur constante, qui fasse, de ces parties mal affer- mies , un tout plus solide et empêche la va- cillation continuelle du corps sur des articu- lations sans cavité. Pour remplir ces indica- LEÇONS DE M. DUPÜSTTREN. tions, la ceinture dont je conseille l’usage , doit être construite suivant certaines règles. Celles auxquelles j’ai été conduit sont les sui- vantes : elle doit être placée sur la partie ré- trécie du bassin, qui existe entre la crête de l’os des îles et les troclianlers ; elle doit oc- cuper toute la hauteur de cet espace, et pour cela, elle ne doit pas avoir moins de trois ou quatre travers de doigt de largeur, suivant l’âge et la taille des individus. Cette ceinture doit être bien rembourrée en coton et en crin, et être revêtue en peau de daim , afin qu’elle ne puisse pas blesser les parties sur lesquelles elle doit être appliquée ; des goussets étroits et très superficiels doivent être creusés sur la face interne de son bord inférieur, de chaque côté, pour recevoir et retenir les trochanters , sans les loger en entier. Des boucles et des placées à ses extrémités et dirigées en arrière, doivent servir à la fixer autour du bassin ; sur-tout de larges sous-cuisses rem- bourrés et revêtus comme la ceinture elle- même, mais élargis et un peu creusés vis-à-vis des tubérosités de l’ischion, doivent maintenir celte ceinture à une hauteur constante, et l’empêcher d’abandonner l’espace précis sur LDXATION ORIGINELLE DES FEMURS. lequel elle doit se trouver toujours appli- quée. Je suis parvenu par ce moyen à mettre un terme à l’accroissement des incommodités de la luxation , et à rendre supportables les mau- vais effets que je n’avais pu détruire. Quel- ques malades ra’ont fourni, à cet égard , des preuves irrécusables; fatigués par la pression de la ceinture , ils avaient pris le parti de la quitter, ils ont bientôt été obligés d’y revenir, parce qu’ils n’avaient, sans elle, ni solidité dans les hanches ni assurance dansla marche. On avait d’abord pensé que des tractions exercées sur les membres iu Teneurs ne seraient d’aucune utilité ; car en supposant que; par ce moyen , on pût ramener ces membres à leur longueur naturelle ne semblait-il pas évident que la tête des fémurs, ne trouvant aucune cavité disposée pour la recevoir et capable de la le membre perdrait, dès qu’on l’a- bandonnerait à lui-même, la longueur qu’on lui aurait rendu par l’extension ? Cette opinion a néanmoins été modifiée par les travaux de MM. Lafond et Durai. Avertis par la publication du mémoire de M. le baron Dupuytren, ces praticiens distingués, dit LEÇONS DE M. DUPUYTREN. M. le docteur Caillard-Billonnière (i) ont eu l’heureuse idée de soumettre à l’extension con- tinue, dans leur maison d’orthopédie de Chaillot, un jeune enfant de huit à neuf ans, affecté de déplacement congénital des fémurs de l’un et de l’autre côté , et M. Dupuvlren a constaté qu’après quelques semaines de l’em- ploi de ce moyen, les deux membres avaient repris leur longueur et leur rectitude; mais ce n’est pas sans un grand étonnement qu’au bout de trois ou quatre mois de l’extension continue, il a vu persister pendant plusieurs semaines, la majeure partie des bons effets produits par ce moyen. On ne saurait, il est vrai, conclure d’un seul fait l’utilité de l’exten- sion continue dans les dépiaccmens originels des fémurs , mais ce fait est important par lui- même et peut le devenir bien plus encore paus les conséquences qu’il peut avoir. A ce premier exemple rapporté par M. Cailîiard, nous allons en ajouter un se- cond fort intéressant cité par M. le docteur (i) Voir l’excellente dissertation de M. Caillard-Billonnière sur les luxations originelles ou conge'nitales des fémurs. Paris , 1828 , n. 233. Ce médecin a déposé, dans le muséum de la Pitié, une pièce fort curieuse , disséquée sous les lyeux de M. le baron Dupuylren, et qui montre les altération» que subissent le fémur et la cavité colyloîde dans la luxation originelle des fémur». LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. Jalade-Lafond dans son bel ouvrage inti- tulé : Recherches pratiques sur les difformités du corps humain et sur les moyens d'j re- médier, et que nous allons reproduire dans cette leçon. Mademoiselle A... , âgée de neuf ans, fut soumise à notre observation, dans notre éta- blissement, , pendant l’année 1828 ; voici dans quel état elle se trouvait : elle avait une taille ordinaire pour son âge , était fortement constituée, et jouissait d’une bonne santé. La cambrure des lombes, la saillie des fesses en arrière, le balancement latéral du corps, don- naient à sa démarche une certaine ressemblance avec celle du canard. La station et la progres- sion étaient d’ailleurs peu assurées. En exa- minant les hanches, on remarquait les phéno- mènes suivant : La fesse était saillante, le grand trochanler rapproché de l’épine iliaque antérieure et supérieure de l’os iliaque , et l’on sentait dans la fosse iliaque externe, lors- que le pied était tourné en dehors, une tumeur dure formée évidemment par la tête du fémur; dans l’état ordinaire, toutefois, le membre conservait sa rectitude naturelle, et il pouvait exécuter également des inouveraens de rota- tion en dehors. LEÇONS DE M. DUPUYTREW. Lorsqu’on tentait d’alooger le membre, le grand trochanter s’abaissait, ainsi que toute l’extrémité supérieure du fémur, en faisant entendre souvent et assez distinctement une sorte de crépitation, résultant du frottement de surfaces dures et lisses. Ces phénomènes s’observaient des deux côtés. La facilité avec laquelle les membres pou- vaient être alongés, nous suggéra l’idée de maintenir, par une douce tension, la tête du fémur au niveau des cavités cotjloïdes : une ceinture placée sur les hanches poussait en bas les extrémités supérieures des fémurs,, tan- dis qu’une traction exercée sur les pieds con- courait au même but, en même temps que le tronc était fixé à la partie supérieure du lit extenseur j dans la station et la marche, le corps était toujours soutenu par des béquilles. Quelque succès nous engagea à continuer ces moyens pendant assez long-temps ; mais n’ob- tenant pas tout ce que nous avions espéré d’a- bord , et la malade étant fort indocile , nous discontinuâmes le traitement. Nous dirons néanmoins qua cette jeune personne marchait beaucoup mieux lorsqu’elle sortit de notre établissement. Il est probable que celte aîné- LUXATION ORIGINELLE DES FÉMURS. lioration est due aux bains froids , aux bains salés ou sulfureux, aux douches toniques ad- ministrées localement, aux exercices gymnas- tiques auxquels elle se livrait avec passion, mais sur-tout à Faction de la mécanique à extension oscillatoire. La luxation originelle des fémurs dit M. Dupuylren en terminant, n’est pas aussi rare qu’on pourrait le croire. J’en ai observé vingt-cinq à vingt-six dans l’espace de vingt ans, époque à laquelle remonte la première observation de ce genre que j’aie faite. Une dernière remarque , qui n’est pas sans intérêt, est, que presque tous les individus affectés de cette luxation sont du sexe féminin ; en effet, sur les vingt-six personnes que j’ai observéesy trois ou quatre, tout au plus, appartenaient au sexe masculin. Or, on ne saurait admettre que le hasard soit la seule cause de cette dis- proportion ; mais en l’admettant comme con- stante , quelle cause peut rendre le sexe fé- minin plus exposé à la luxation originelle que l’autre sexe? J’avoue que je n’en saurais fournir aujourd’hui une raison particulière qui soit satisfaisante ; je n’en pourrais donner, tout au plus, qu’une raison générale : c’est 252 LECOUS DE M. DüPüYTREIf. que les vices de conformation sont, d'après une observation constante, beaucoup plus communs dans le sexe féminin que dans l’autre. Je souhaite que les observations ulté- rieures fournissent un jour l’explication de cette particularité , et viennent compléter mes recherches (i). (i) L’auteur de l’observation cite'e à la page a 17 est M. le doc- teur Maissiat. TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. 253 ARTICLE IX. DES TUMEURS ET DES FISTULES LACRYMALES. De la méthode de traitement adoptée par M. Dupuylrcn, et de ses résultats. La maladie qui produit ia fistule lacrymale se manifeste sous deux formes très distinctes, qui dépendent de ses degrés successifs de dé- veloppement et que l’on confond à tort, dans le langage ordinaire, dit M. Dupuytren, sous la même dénomination.Tant qu’il n’existe pas d’ouverture qui établisse une communi- cation du sac lacrymal à l’extérieur, il ne sau- rait y avoir une fistule; mais on observe alors une dilatation plus ou moins considérable de ce dernier, qui constitue la tumeur lacrymale : c’est la première période de la maladie ; la perforation du sac ou la fistule en est la se- conde. La tumeur lacrymale naît et s’accroît ordi- nairement d’une manière presque insensible. Ce n’est d’abord qu’un gonflement à peine appréciable, situé au dedans et au dessous du grand angle de l’œil, au dessous et en arrière du tendon direct du muscle orbiculaire des paupières. Circonscrite, sans changement de couleur à la peau , exempte de douleur, cette tumeur se vide aisément au début, lorsqu’on la presse, soit par le reflux de la matière qu’elle contient à travers les points lacrymaux, soit, ce qui est moins commun, par l’écou- lement de celle matière dans la narine. L’épi- phora qui accompagne ses premiers dévelop- pemens, devient de jour en jour plus consi- dérable, et la totalité des larmes finit par se répandre sur la joue. L’œil du côté malade est constamment rougeâtre, sa conjonctive présente une légère injection, et ses pau- pières sont manifestement tuméfiées, sur-tout à leurs bords libres qui, le matin, se trou- vent collés l’un à Laulre par une matière te- nace et jaune, fournie par les follicules irrités de Meibomius. LEfiOPfS BE M. DÛjPUYTR EN. La maladie peut se prolonger beaucoup sous cette forme, sans (aire de grands progrès; mais une époque arrive enfin où les parois de la tumeur s’amincissent, où elle ne se vide plus par la pression, où de la chaleur et de TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. la douleur se font sentir à la région qu’elle où enfin sa surface rougit et s’en- flamme. Souvent l’inflammation s’étend à la totalité des paupières, à la joue, au nez et jusque sur le front. L’œil devient ronge ; le liquide qui le baigne et qui se répand sur la joue, acquiert plus de chaleur et d’âcreté. La tumeur offre l’aspect d’un phlegmon aigu ; de la fluctuation s7y fait sentir, et elle s’ouvre enfin au dehors. A cette époque, l’épiphora diminue chez la plupart des sujets, les larmes trouvant, par l’ouverture anormale du sac, un écoulement que le canal nasal ne leur per- mettait pas auparavant. Le liquide , rendu par la fistule, offre un mélange de larmes et de mucosités purulentes. Dans beaucoup de cas, la persistance de la phlegmasie entraîne la désorganisation des tissus affectés et l’ex- tension delà maladie aux parties voisines. Des végétations se développent dans le trajet fis- des duretés calleuses en garnissent les bords; la membrane muqueuse du sac et du canal nasal se ramollit, devient fongueuse, se détruit même dans une étendue variable, et le périoste partageant cette destruction, l’os unguis et même des portions voisines de l’os 256 LEÇONS DE M. DUPÜÏTfIEN. maxillaire sont mises à nu et cariées au fond de la fistule. Cette carie n’attend pas toujours, pour être formée , que la maladie soit arrivée au degré que nous venons de décrire ; quel- quefois on l’observe avant même que la tu- meur lacrymale ait été perforée et par consé- quent avant l’existence de la fistule. Nous en avons actuellement sous nos yeux un exemple dont nous rapporterons bientôt l’histoire. A l’exposé que nous venons de faire de la marche de cette maladie, vous reconnaîtrez aisément ses caractères et les signes sur les- quels en est fondé le diagnostic. Nous ne par- courrons pas les diverses parties de ce sujet ; notre tâche n’est pas de faire un traité chirur?- gical de chaque spécialité, mais bien de vous exposer les considérations pratiques les plus importantes que nous suggèrent les faits sou- mis à notre observation. Nous dirons néan- moins quelques mots de la cause de la lésion primitive du sac lacrymal, origine de la ma- ladie. Scarpala place dans le flux palpébral, considérant ainsi l’affection du sac lacrymal comme toujours secondaire à la phlegmasie des paupières. Suivant lui, le liquide puru- lent, porté dans les voies lacrymales, les ir- TUMEUUS ET FISTULES LACRVMALES. rite, les enflamme; plus tard, le sac ouïe canal nasal s’ulcère, se perfore, et enfin les parties osseuses voisines, finissent par s’al- térer. Ce sont là les quatre degrés établis par le célèbre professeur de Pavie. Mais des recher- ches plus récentes ont prouvé que les voies lacrymales, comme tous les conduits excré- teurs , doivent la plupart de leurs maladies àla lésion de la membrane muqueuse qui les tapisse. Un point quelconque de cette mu- queuse est-il enflammé, soudain le tissu fîbro- celluleux extérieur devient le siège d’une congestion active qui rétrécit d’autant l’aire du conduit intérieur. Cette coarcture deve- nant elle-même une cause permanente d’irri- tation, l’afïlux sanguin augmente bientôt, les tissus vivement enflammés se ramollissent, puis s’ulcèrent et la fistule s’établit. Le canal de Sténon , l’urètre, le rectum, lecœcum, l’œsophage, etc., fournissent fréquemment des exemples irrécusables de cette espèce d’éliolo- gie. Toutes les causes , par conséquent , pro- pres à entretenir une irritation permanente sur l’œil, les paupières ou la membrane muqueuse des cavités nasales , sont aussi les causes éloi- gnées des tumeurs lacrymales. C’est ainsi 258 qu’on les volt se manifester fréquemment chez les personnes blondes , pâles , dont la con- jonctive est habituellement injectée, les bords des paupières rougeâtres, chassieux; qu’elles surviennent à la suite de la rougeole , de la variole, de la scarlatine, qui laissent si souvent de l’irritation dans l’appareil oculaire et aux rebords palpébraux ; que des dartres répercu- tées, d’anciennes affections vénériennes , l’état scrofuleux de la constitution , en favorisant le développement et la persistance des inflamma- tions oculo-palpébrales, occasionent aussi celles des voies lacrymales et par suite la manifesta- tion des tumeurs et des fistules qui en sont le le résultat. Des causes toutes mécaniques , dit le professeur , peuvent déterminer aussi la tuméfaction du sac lacrymal et ensuite son érosion. Nous avons observé chez un sujet l’ab- sence congéniaie du canal nasal; le sac était perforé ; le malade fut guéri par rétablisse- ment d’une route artificielle aux larmes. LEÇONS DK M. DUPÜYTREN. Il résulte donc de l’étiologie reconnue généralement aujourd’hui aux tumeurs et fis- tules lacrymales, que le traitement antiphlo- gislique doit être appliqué delà mala- die. En effet, on ne doit pas perdre de vue TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. qu'elles sont, ainsi que nous l’avons fait re- marquer, la conséquence d’un état inflamma- toire ordinairement propagé soit de l’œil et des paupières, soit de la membrane muqueuse du nez jusqu’au sac et au canal qui en sont le siège. Les moyens destinés à remplir celte indication suffisent fréquemment seuls, sans qu’il soit besoin de recourir à aucune opéra- tion. A une époque plus avancée , lorsque toute- fois la maladie est encore simple, qu’il n’existe au sac lacrymal qu’une dilatation mé- diocre , ou une perforation récente non ac- compagnée de callosités , de végétations fon- gueuses, de désorganisation de la membrane muqueuse, de carie aux os voisins, le traite- ment anlipblogistique, secondé par les révul- sifs , les fumigations, etc., suffiront encore souvent pour obtenir une guérison solide; enfin la maladie étant arrivée à un tel degré qu’il faille nécessairement recourir à l’opération, il faudra encore faire subir au malade un traite- ment préparatoire antiphlogistique , s’il existe à l’œil, ou aux paupières, ou dans les tissus environnans, un degré considérable de phlo- gose. 260 leçons de m. duputtren. Ce n’est pas seulement sur l’affection locale que le chirurgien doit fixer son attention, il doit encore rechercher avec soin les causes éloignées qui l’ont produite , et diriger ses in- vestigations sur l’ensemble de la constitution du malade, sur ses affections antérieures. Estelle l’effet de scrofules, d’un vice vénérien, de dartres répercutées, etc., il s’attachera à combattre les unes ou à rappeler les autres à leur siège primitif, en même temps qu’il appliquera localement les moyens directs dont elle réclame l’emploi. Dans les hôpitaux, on a assez rarement l’oc- casion de tenter la guérison de celte maladie par des moyens autres que l’opération. En général, les malades ne viennent demander des secours que lorsque la fistule est établie depuis long-temps, ou que la tumeur cache des désordres tels qu’il est urgent de l’ouvrir et de désobstruer Je canal nasal. Pour exécuter cette opération suivant le procédé de M. Dupuytren , le chirurgien n’a besoin d’étre muni que d’un bistouri ordinaire, à lame étroite et à pointe solide, et d’une canule montée sur son mandrin, que nous décrirons plus loin; le malade doit être assis sur une TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. chaise peu élevée et solide, vis-à-vis d’une fenêtre bien éclairée, la tête renversée en ar- rière contre la poitrine d’un aide, dont les mains la maintiennent immobile; le corps sera entouré d’un drap d’alèze qui envelop- pera également les membres thoraciques. Le chirurgien s’assure alors, avant d’aller plus loin, de la situation exacte du rebord maxil- laire de l’orbite près du grand angle de l’œil. 11 n’est pas rare de trouver ce rebord plus élevé ou plus bas, plus saillant ou plus déprimé qu’on ne le jugeait au premier aspect; et ces variétés pourraient tromper l’opérateur et faire manquer l’ouverture du sac. D’un au- tre côté, le tendon direct du muscle orbicu- laire des paupières doit être également exa- miné avec soin , car sa disposition n’est pas non plus constante. C’est entre celui-ci qu’illaut laisser intact en haut, et le rebord maxil- laire de l’orbite au-dessous duquel on [ne trouve plus le sac, que l’instrument est plon- gé. On ne doit pas oublier ces principes élémentaires d’où dépendent le succès de l’opération. L observation suivante nous fera connaître le procédé adopté par M. Dupujtren depuis de longues années_, procédé qui réunit LEÇONS DE M. DUPUYTUEN, la facilité de l’exécution à la sûreté et à la promptitude des résultats. Ire Observation. Ghalou ( Alexandrine), âgée de trente six ans , d’une constitution lymphatique, bien réglée, vint à l’Hôtel-Dieu pour y être traitée d’une fistule lacrymale qu’elle portait à l’angle interne de l’œil gau- che. Ce mal, dont elle ne put indiquer la cause, remontait à plus de six ans. Pendant les cinq premières années, il y avait un larmoiement continuel, et par suite gêne très grande dans la vision, sécheresse de la narine correspondante et céphalalgie du même côté. Au bout de ce temps , en sep- tembre , une petite tumeur se manifesta à l’angle interne de l’œil; elle était compressible et disparaissait en quelque sorte à volonté : il suffisait pour cela que la malade appuyât un doigt sur la saillie qu’elle formait, et le liquide s’échappait en presque totalité par les points lacrymaux. Bientôt il se manifesta une rou- geur érysipélateuse qui s’étendit aux parties voisines ; la tumeur s’ouvrit et se vida. Cependant, cette ouverture vint à s’oblité- rer, et une nouvelle tumeur parut et était plus volumineuse que la première ; elle s’ouvrit TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. de nouveau et il s’établit définitivement une fistule. La malade vint à l’hôpital à la fin du mois de janvier suivant. La tumeur était du volume d’une petite noix et présentait dans son centre une ouver- ture fîstuleuse qui établissait une communica- tion entre le sac lacrymal et l’extérieur, et par laquelle celui-ci se vidait complètement. Le larmoiement était considérable, l’œil d’une sensibilité extrême et d’une rougeur assez vive, la narine correspondante très sèche, la tête douloureuse du même côté, la pau- pière inférieure soulevée et recouvrant à plus de moitié l’organe visuel ; les parties environ- nantes étaient assez fortement enflammées, et l’on voyait sur la joue des sillons tracés par le passage des larmes. A de tels symptômes il n’était pas difficile de reconnaître au premier abord la nature de l’affection et l’indication qu’il y avait à rem- plir. Après quelques jours de repos et d’usage de moyens antiphlogistiques, M. Dupuytren procéda à l’opération de la manière suivante : La malade étant assise, comme nous l’avons indiqué, l’opérateur se place devant elle, incise le sac lacrymal dans l’étendue de quel- 264 XiECOUS DE M. DUPUYTREIX. ques lignes ; plonge le bistouri clans la partie supérieure du canal nasal, la lame de l’instru- ment étant légèrement soulevée et appuyée en arrière; introduit et glisse an-devant de la face antérieure de cette lame 1 extrémité libre et unie d’une petite canule placée sur son mandrin; retire alors le bistouri, et enfonce la canule, à l’aide: d’une pression médiocre, dans le canal nasal qu’elle doit occuper dans toute sa longueur, de telle sorte que son bour- relet soit complètement caché au fond de la partie inférieure du sac lacrymal. Le mandrin étant retiré à son tour_, la canule est laissée en place. A peine quelques gouttes de sang s’écou- lent par la narine vers la fin de l’opération. Ce procédé est donc, comme on le voit, un des plus simples, des plus faciles et des plus prompts que l’on puisse imaginer. En résumé, une petite incision au-dessous du grand angle de l’œil, qui ouvre le sac lacrymal, l’introduction dans le sac, puis dans le canal nasal, d’une petite canule destinée à remplacer d’une manière permanente, pour ainsi dire, ce voilà en quoi consiste le traitement d’une maladie qui a tant exercé le génie des chirurgiens. tumeurs et FISTULES LACRYMALES. 265 Afin de s’assurer si le tube était convena- blement placé, le professeur ferma l’orifice antérieur des fosses nasales de la malade, et l’engagea à faire un effort soutenu d’expira- tion, comme pour se moucher. L’air s’intro- duisit dans la canule par son orificeinférieur et ressortit aussitôt avec un sifflement très-mar- qué à travers sa base par l’ouverture faite au sac lacrymal. Cette épreuve est répétée par le professeur chez tous les malades qu’il opère ; et si, d’un autre côté, ceux-ci, en se mouchant, rendent un peu de sang ou d’autres matières par le nez, elle démontre de la manière la plus évidente que la communica- tion est parfaitement rétablie entre la partie supérieure de la voie des larmes elle nez. Un résultat contraire prouverait que l’opération a été manquée. L’opération eut un tel succès chez cette femme, que, quatre jours après, il eût été presque impossible de dire s’il y avait eu une fistule. La petite plaie faite au sac était entièrement cicatrisée; il n’existait plus de trace de tumeur, ni de larmoiement, plus d’in- commodité ni de gêne dans la vision. Cette femme n’avait pas même la conscience de la LEÇONS DE M. DÜPÜTTREN. 4 présence d’un corps étranger dans les voies la- crymales. Au bout de vingt jours environ,elle sortit de l’hôpital, parfaitement guérie de sa fistule et jouissant d’ailleurs d’unebonne santé. Apres avoir décrit le procédé opératoire tel que l’a adopté M. Dupuytren, nous allons dire en quoi consiste la canule que ce célèbre pra- ticien introduit et laisse à demeure dans le ca- nal nasal. Depuis long-temps la chirurgie avait reconnu l’indication, dans cette maladie, de rendre au canal nasal toute sa liberté, et s’efforçait d’atteindre ce but par l’introduction de cylindres inertes destinés à soutenir ses parois, à les maintenir écartées, et àse substi- tuer en quelque sorte à sa membrane muqueu- se, dont iis garnissent et revêtent la surface. Foubert et ensuite Pellier, Benj. Bell,Waten, Mirault, avaient conçu et mis à exécution, pen- dant le siècle dernier, l’idée de substituer aux fils de plomb, aux cordes à boyau, une ca- nule qui agirait à la fois comme dilatateur et comme conduit ouvert aux larmes. D’abord simple et courte, et destinée à s’échapper bientôt par les fosses nasales, elle fut perfectionnée par FSajaniqui la rendit conique et plus lon- gue. Mais les instrumens de ces ancienschirur- TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. giens étaient très défectueux, et leurs procédés opératoires sont dès long-temps tombés dans l’oubli. M. le professeur Dupuytren, frappé delà justesse de cette indication , reprit la canule de Foubert, mais en modifiant tellement le procédé opératoire et l’instrument, que l’on peut dire avec raison que l’un et l’autre lui ap- partiennent. et qu’il ne doit rien sous ce rapport à ses devanciers. Il sut adopter parfaitement la canule au canal nasal, la rendre plus facile à supporter, moins disposée à tomber dans les cavités nasales, ou à remonter vers le sac la- crymal; en un mot la rendre parfaitement pro- pre à remplir les usages auxquels onia destine. La canule dont se sert le professeur, est en argent ou en or, faite exprès pour le malade qu’il va opérer , longue de huit à neuf lignes pour les adultes, et de cinq à six pour les enfans , un peu plus large en haut qu’en bas, garnie à son extrémité la plus volumi- neuse d’un bourrelet circulaire arrondi et peu épais. Plus longue, elle appuierait en bas sur le plancher des fosses nasales, ou soulèverait en haut la paroi antérieure du sac lacrymal; trop courte, elle ne descendrait 268 LEÇONS DE M. DUPÜYTIIEJ*. pas au-dessous du repli vasculaire du canal nasal et deviendrait, en certains cas, inutile. Très légèrement recourbée en avant, afin de mieux s’adapter à la direction du canal nasal, son extrémité inférieure est taillée en bec de flûte. Cet instrument est monté sur un mandrin formé d’une tige de fer, recourbée à angle droit. La partie qui pénètre dans la canule doit la remplir exactement ; l’autre qui sert de manche est bien plus longue et en forme de spatule. 11 importe que l’extrémité libre de ce mandrin soit tellement adaptée au bec de la canule, qu’il n’en résulte aucune sail- lie inégale, susceptible de blesser les parois du conduit; du reste la canule ne doit porter aucune ouverture latérale. Nous avons dit comment elle doit être introduite dans le canal nasal. Rien n’égale la promptitude avec laquelle M. Dupujtren pratique l’opération que nous venons de décrire. Tout se passe avec tant de rapidité, que le plus souvent les malades igno- rent complètement qu’on un corps étranger dans leurs voies lacrymales ; ils n’ont point la conscience de sa présence, et il est ar- rivé plusieurs fois au professeur d’être obligé de TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. réintroduire le mandrin et de le faire résonner contre la canule pour les convaincre. D’autres éprouvent un léger chatouillement, ou un sentiment de gêne très obscur, qui disparaît en vingt-quatre heures. Tels sont encore les résultats que nous présente l’observation sui- vante, dans laquelle cette méthode de traite- ment a obtenu le succès le plus complet et le plus prompt, malgré l’ancienneté de la ma- ladie et les désordres auxquels elle avait donné lieu. lle. Observation.—Galan (F.-L.-A.), âgée de quinze ans , bien constituée et bien réglée, portail au grand angle de l’œil, du côté droit, une fistule lacrymale parfaitement caractérisée. Il y avait sept ans que , pour la première fois, elle s’était aperçue d’un larmoiement insolite survenusanscause connue. L’écoulement devint de jour en jour plus abondant et plus incom- mode ; un vésicatoire avait été appliqué à la nuque etenlretenu assez long-temps. Plusieurs autres furent successivement mis au bras, mais toujours sans aucune amélioration. Deux mois avant son entrée à l’hôpital, une tumeur parut au grand angle de l’œil droit ; molle dans le principe, aisément compressible LEÇONS DE M. DCJPÜYTJREN. et sans douleur , elle devint bientôt tendue , chaude et douloureuse. L’inflammation s’étendit aux par lies voisines; une ouverture s’établit au centre de latumeur et donna issue à beaucoup de larmes mêlées à du pus. Alors la tuméfaction diminua, les dou- leurs le larmoiement était moins con- sidérable , et la malade se trouvait beaucoup mieux. Mais bientôt l’ouverture s’étant oblité- ïée, la tumeur se forma de nouveau et devint plus volumineuse que la première fois; l’inflam- mation s’accrutet une nouvelle fistule s’établit, qui persistait encore à l’époque de l’entrée de la malade à l’hôpital. L’œil était alors vive- ment enflammé, larmoyant ; les paupières très-rouges et tuméfiées ; une matière âcre et chaude, formée de pus et de larmes, s’écoulait sur la joue. Trois jours ayant été consacrés à un traite- ment préparatoire et à combattre l’inflamma- tion dont les parties étaient atteintes, l’opéra- tion fut pratiquée suivant le procédé ordi- naire. Immédiatement après, la jeune malade interrogée répondit de manière à prouver qu’elle n’avait aucun sentiment de la présence de la sonde dans le canal nasal, et il fallut lui TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. expliquer ce qui venait d’être fait par l’opéra- tion. Au bout Je cinq jours , la petite plaie était entièrement cicatrisée, l’inflammation détruite , et le huitième jour ' on reconnais- sait à peine de quel côté la maladie avait existé. La malade sortit de l’hôpital le dix-huitième jour de son entrée. On a proposé de modifier le procédé de M. Dupuytren, généralement admis aujourd’hui par les chirurgiens français, de la manière sui- vante :le sac lacrymal étant incisé, l’extrémité d’un long stylet est portée dans le canal nasal ; enfoncé profondément, il force d’autant plus facilement l’obstacle * que son volume est peu considérable. Alorson fait descendre la canule, placée d’avance sur le stylet qui lui sert de guide et l’empêche de se fourvoyer. Lorsque le pavillon de cette canule est arrivé près de l’ouverture de la peau , le stylet est retiré , et on le remplace par un mandrin extrêmement court, à l’aide duquel on déprime la canule à une profondeur convenable. Mais l’auteur même de cette modification reconnaît avec raison que, tout en étant plus compliquée que le procédé du chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu 7 elle ne présente sur lui aucun avantage spécial. LEÇONS DE H. DUPUYTHEN. Bien que le procédé de M. Dupuy tren soit sans contredit le plus efficace de tous ceux em- ployés jusqu’à lui, et qu’il satisfasse à toutes les indications , on n’a pas manqué de lui oppo- ser comme vices essentiels quelques inconvé- niens , certains accidens auxquels donne lieu la présence de la canule. Loin de les nier, le professeur est lui-même le premier à les ex- poser , à en donner des exemples , afin de mieux faire apprécier les moyens par les- quels il arrive à y remédier. Parmi ces inconvé- nieus , on remarque principalement la réas- cension de la canule dans le sac lacrymal, ou bien sa chute dans les fosses nasales par l’ex- trémité inférieure du canal nasal. Le premier accident , après un temps plus ou moins long-, donne lieu à des inflammations , des ulcéra- tions , des abcès, qui nécessitent l’extraction de la canule. Voici comment le profes- seur y parvient. Nous avons fait confectionner, dit-il, un petit mandrin d’acier, analogue à celui qui sert à introduire la canule ; la partie de ce mandrin que l’on met dans celle-ci, est fendue, et ses deux portions s’écartent en vertu de leur élasticité. Chacune d’elles est ter- minée par un petit crochet dont les pointes TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. sont dirigées en dehors. Lors de leur intro- duction , elles sont tenues rapprochées par une petite virole que l’on relire à volonté. Aussitôt que leur extrémité inférieure dépasse le bec de la canule , elles s’écartent par l’effet de leur élasticité , les deux petits crochets s’appuient surles rebords de la canule, et on ne peut plus retirer le mandrin sans amener cette dernière. Ce mécanisme est fort simple et l’ins- trument d’une très-facile application. Indispen- sable lorsque la canule a déterminé des accidens sans se déplacer, on peut parfaitement s’en passer lorsqu’elle est montée très-haut dans le sac lacrymal : il suffit en effet de faire une petite incision àce sac, pour pouvoir la saisir et l’extraire facilement avec des pinces à ligature. L’évasement donné à la partie supérieure de la canule a pour but de prévenir sa chute dans les fosses nasales, et la prévient en effet. Cepen- dant cet accident arrive quelquefois, et alors l’instrument irrite et enflamme la membrane muqueuse de ces cavités , l’ulcère, la détruit, et perfore même la voûte palatine. Plusieurs fois M. Dupuytren a vu des malades chez les- quels il faisait une saillie plus ou moins com 274 sicîérabîe dans la bouche. Comme il est taillé en forme de coin , son extraction à travers la voûte palatine présente des difficultés, et il faudrait pour y parvenir, des efforts très consi- dérables qui ne pourraient qu’être nuisibles. Dans cette circonstance, dit le professeur, on doit la repousser de bas en haut dans les fosses nasales, et l’extraire ensuite par les narines soit avec des pinces à ligature, soit avec des pinces à pansement. LEÇONS DE M. DUBUYTREN. IIIe Observation.—Une femme avait été opérée par le procédé de M. Dupujtren et portait la petite canule depuis dix-huit mois. Pendant ce laps de elle ne se ressentit en rien d’une maladie dont il ne lui restait pas la plus légère trace. Mais depuis quelques jours, delà douleur, de la tuméfaction ac- compagnée de rougeur, se manifestèrent au grand angle de l’œil. En pressant sur ce point, on trouvait delà fluctuation et la présence d’un corps étranger ; c’était la canule qui était re- montée dans le sac lacrymal. On aurait pu faci- lement la repousser dans le canal nasal, mais M.Dupuytren pensant qu’un séjour de dix-huit mois avait dû suffisamment rétablir la liberté de ce conduit, se détermina à l’enlever. Une TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. incision fut faite au-dessous du tendon du muscle orbiculairedes paupières, comme pour l’opéra- tion ordinaire de la fistule. La canule fut sentie, mise à découvert et facilement extraite à l’aide d’une pince à ligature. Les accidens cessèrent aussitôt, et la malade était complètement guérie au bout de quelques jours. Du reste, les accidens dont nous venons de parler , et que l’on a signalés comme très fré- quens, sont au contraire Tort rares et ne peu- vent infirmer en rien les résultats du procédé onératoire. En second lieu , cette affection est i ? souvent FeSét de causes générales, tels que le vice vénérien ou le vice scrofuleux, etc. ; et si le chirurgien ne pouvant arriver à la con- naissance de ces causes, parce que les malades dissimulent les maladies dont ils ont été at- teints antérieurement, ne joint pas un traite- ment général au traitement local, ou si les malades négligent les moyens généraux, ce qui arrive le plus souvent, il est évident que l’in- suffisance de l’opération ne saurait être attri- buée au procédé opératoire. les insuccès dus àla manière imparfaite dont quelques praticiens exécutent le procédé imaginé par M. Bupuytren , ne peuvent lui être repro- LEÇONS de m. dupuytren. chés. Ainsi, il est arrivé, par exemple, qu’au lieu de placer la canule dans le canal nasal, on l’a mise dans l’orbite, ou dans le sinus maxillaire, après avoir perforé la paroi infé- rieure de l’orbite , ou bien encore dans l’é- paisseur des parties molles et au-devant des os sus-maxillaires. Voici un fait curieux de ce genre. 4* Observation. Un homme avait été opéré en ville d’une tumeur lacrymale par le procédé de M. Dupuytren. La maladie ne guérit point, les mêmes accidens persis- taient, aucune amélioration n’était survenue. Le professeur ayant été appelé à examiner ce malade, trouva, au-devant du grand angle de l’œil et sur les côtés du nez, un corps étran- ger placé sous la peau , qui n’était autre que la canule. Le médecin qui avait fait l’opéra- tion, homme d’ailleurs Fort capable, reconnut bientôt lui-même l’erreur qu’il avait commise. L’opération fut recommencée, convenable- ment pratiquée, et le malade guérit très bien et en quelques jours. Le résultat général de la pratique de M. Du- puytren, qu’il est vraiment curieux de con- naître, réduira à leur juste valeur, mieux TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. 277 que l’histoire de faits isolés , les reproches adressés à son procédé opératoire. Le nombre de mandrins restés entre ses mains après des opérations faites chez lui, le relevé des registres de l’Hôtel-Dieu et ces deux sources comparées aux renseignemens donnés par les couteliers qui ont fourni les instrumens, ont démontré que le* nombre de personnes opérées de la fistule lacrymale par M. Dupuytren, suivant son procédé y depuis vingt ans qu’il le met en pratique, est, annuellement, de plus de : i° Chez lui ou en ville 5o 20 A l’Hôtel - Dieu » 100 iso Ce chiffre multiplié par 20 ( les 20 années d’exercice ) donne un total de 3,000 opéra- tions. Sur ce total vraiment extraordinaire et qui prouve combien cette maladie est com- mune , sur-tout quand on pense qu’il y a à Paris plusieurs autres hôpitaux où elle est éga- lement traitée, le nombre des guérisons a été de neuf sur dix, ou de quatre vingt-dix sur cent. Il n’est assurément aucune des autres méthodes connues qui puisse revendiquer une aussi heureuse proportion. Nous n’avons parlé jusqu’ici que du traite- 278 LEÇONS DE M. ÜUPUYTREN. ment delà tumeur et de la fistule lacrymales .simples, c’est-à-dire sans altération extraordi- naire des parties. Mais dans beaucoup cfe cas il existe des complications auxquelles il est néces- saire d’appliquer un traitement spécial. Quel- quefois l’orifice de la fistule est garni de petites végétations Fongueuses : on les excise avec des ciseaux courbés sur le plat, ou bien onîescau- térise avec lenitrale d’argent fondu. Si les points lacrymaux sont fermés, l’opération ne détruit pasl’épiphora et les larmes continuent à couler abondamment sur les joues : on les désobstrue facilement au moyen du stylet d’Ânel, lors- qu’ils ne sont qu’engorgés ; mais cette com- plication est à peu près incurable, si elle ré- sulte de l’adhésion des parois des conduits lacrymaux dans une certaine étendue. S’il existe une dénudation simple ou une carie de l’os unguis, après avoir désobstrué le canal nasal et placé la canule, on panse la cavité du sac avec de la charpie mollette et l’on attend, pour laisser la plaie extérieure se fermer, que la surface de l’os soit recouverte ou que les exfoliations aient eu lieu. Du reste, ces pansemens ne sont pas rigoureusement nécessaires, car on observe généralement que. TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. par le procédé de M. Dupuytren , îa dénuda- tion ou la carie se guérit spontanément et sans moyen spécial. Dans ia perforation de l’os u nguis et de la portion de la membrane pituitaire qui en tapisse la face la cavité du sac lacrymal communiquant avec celle des fosses nasales, les larmes, les mucosités, la matière purulente trouvant, par celle voie de commu- nication, un écoulement plus facile que par la fistule extérieure, celle-ci doit nécessairement s’oblitérer, et le but que le chirurgien se proposait par l’opération } se trouve déjà rem- pli. Il n’a donc qu’à laisser les choses suivre leur cours naturel, sauf à pratiquer l’opéra- tion, comme dans les cas de fistule simple, si l’ouverture de l’os unguis venait à se fermer. Ainsi l’on trouve dans J. L. Petit l’observation d’un enfant qui avait cet os perforé et qui por- tait dans cette ouverture une grosse sonde placée suivant la méthode de Woolhouse ; ce corps étranger irritait les parties et entretenait leur état d’ulcération : on fut obligé de l’extraire. La plaie de l’os se ferma, et l’on procura ia guérison en désobstruant le canal nasal. Il n’entre point dans notre plan de décrire 280 LEÇONS DE M. DUPÜYTIIEN. ici les diverses méthodes de traitement , les nombreux procédés opératoires , suivis par les chirurgiens depuis le siècle dernier. Les uns sont jugés définitivement et abandonnés , les autres attendent la sanction de l’expérience ; mais celui de M. Dupuytren conserve sur tous d’immenses et incontestables avantages. Nous terminerons cet article par un résumé rapide de l’histoire de la maladie qui vient de nous occuper. Cette affection a été connue d’Hippocrate , de Celse , Galien , etc.; mais ils n’avaient que des notions très vagues sur sa nature , parce qu’ils ignoraient entièrement les dispo- sitions anatomiques de l’appareil. Ce n’est qu’au seizième siècle que la tumeur et la fistule lacrymales furent bien décrites par Fallope et Leone. Les causes sont de trois ordres : causes générales, telles que les scrofules , les dartres, la syphilis , etc. ; causes locales , mais ayant leur siège autre part que dans les conduits la- crymaux ; causes locales ayant leur siège dans ces dernières voies. Le développement deia tumeur a lieu ordi- nairement au-dessous du tendon du muscle TUMEURS ET FISTULES LACRYMALES. orbiculaire des paupières , mais quelquefois il se fait au-dessus et au-dessous de ce tendon, de sorte que formant deuxsaillies, la tumeur paraît étranglée par celui-ci et comme bilobée. La marche de l’affection se divise en deux périodes: la période de développement de la tumeur, et la période de formation de la fistule. Le diagnostic est établi sur des signes qui ne permettent pasdela confondre avec d'autres lé- sions, telles que la hernie du sac ou son hydro- pisie. Le traitement antiphlogislique doit être appliqué au début lorsque le rétrécissement du canal est dû à l’inflammation, et s’il est insuffi- sant, on aura recours aux dérivatifs. Les causes générales, telles que les scro- fules , les dartres , la syphilis , seront combat- tues , chacune par le traitement général qui lui convient. Enfin , quant au traitement local, le pro- cédé opératoire de M. Dupuytren l’emporte en avantages sur tous les autres , ainsi que nous l’avons dit et démontré parles résultats de sa pratique , et il remplit toutes les indica- tions. 282 LEÇOKS DE M. DUPUYTIIEN. ARTICLE X. DE LA FISSURE A L’ANUS. Des moyens de traitement usite's et du traitement sans ope'ralion. Les maladies qui peuvent affecter Tarins et ses environs réclament toute l’attention du praticien, sous Je rapport de leur fréquence et plus encore en raison des inconvéniens plus ou moins graves qui peuvent résulter d’une erreur de diagnostic. Le même danger n’existe pas pour la fissure à Tanus ; mais elle est ac- compagnée en général de douleurs si violentes, qu’il importe beaucoup de pouvoir y remédier au plus tôt. Ces douleurs présentent un carac- tère en quelque sorte spécial : c’est d’aug- menter graduellement et de se prolonger long-temps après la défécation; tantôt lanci- nantes, le plus souvent brûlantes, les malades abondent en termes gigantesques pour les ex- primer. Ordinairement ils les comparent àla sensation d’un fer brûlant pénétrant dans le FISSURES A L'ANUS. 283 rectum; ils redoutent tellement l’expulsion des fèces qu’accompagnent et suivent de si vives souffrances, qu’on les voit lutter long- temps contre ce besoin impérieux et se priver même d’aiimens pour s’y soustraire. Ces particularités, dit le professeur, suffi- sent pour éclairer sur la nature du mal, et si l’on étudiait avec soin , ajoute-t-il, les carac- tères spéciaux des douleurs des diverses maladies du rectum, on y trouverait souvent d’excellens signes différentiels. Consistant en une ulcération alongée et superficielle qui se développe vers la marge de l’anus, dans les plis radiés de la membrane muqueuse de cette partie, la fissure à l’anus réclame une inspection attentive. En écartant cet orifice et en engageant le malade à pousser, on aperçoit une fente étroite, à fond rouge, à bords légèrement gonflés et calleux. Mais pour apprécier l’étendue en hauteur, il est souvent nécessaire d’introduire le doigt dans le rectum. On observe qu’elle est plus souvent située sur les côtés ou en arrière qu’en avant de l’anus, circonstance favorable par rapport à l’opération, sur-tout chez les femmes où souvent cette ouverture u’est séparée de la 284 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. commissure postérieure de la vulve que par une mince cloison. Celte ulcération n’atteint que très rarement toute l’épaisseur de la mem- brane muqueuse. La gravité de cette affection dépend donc principalement du spasme douloureux des constricteurs de l’anus ; la fissure n’est même qu’un accident ; ce qui le démontrerait c’est l’existence de la constriction douloureuse sans gerçure , qui, d’après des chirurgiens célèbres, serait à l’autre cas comme i est à 4« Cet état spasmodique est tel, que l’introduc- tion des corps les plus minces est intolérable ; l’extrémité du doigt, une canule de seringue réveillent de violentes douleurs, et la résis- tance que l’anus oppose à toute tentative d’introduction, est un nouveau signe caracté- ristique de l’affection. Les causes des fissures anales sont nom- b reuses. a constipation et le spasme qu’elle produit, y disposent spécialement; les matières très dures, en érodant la muqueuse en dis- tendant outre mesure ce conduit peuvent y donner lieu ; l’administration des lavemens par des mains maladroites, sur-tout quand on fait usage de canules métalliques, pointues FISSURES À l’anus. 285 ou rugueuses, en sont souvent la cause directe; on les rencontre chez les personnes affectées d’hémorrhoïdes; le virus vénérien ou déposé immédiatement sur la marge de Tamis comme dans un coïtcontre nature, ou ayant reflué des organes génitaux vers cette ouverture, comme cela arrive chez beaucoup de femmes, est une cause très commune de ces affections. L’insuffisance reconnue de presque toutes les applications locales, dans celte maladie si douloureuse, a fait successivement abandon- ner le plus grand nombre des moyens qui avaient été regardés ou comme curatifs ou comme palliatifs , et on n’emploie plus géné- ralement qu’une opération toujours sans dan- ger, il est vrai, et toujours suivie d’un succès assuré, mais fort douloureuse, à laquelle les malades se résignent avec peine; nous voulons parler de Vincision du sphincter de l’anus avec un bistouri sur un ou plusieurs points de sa circonférence , suivant l’intensité de la contraction ; ou de la cautérisation de la gerçure avec le nitrate d’argent fondu. Le pro- cédé suivi pour pratiquer cette incision est trop simple et trop connu pour que nous nous arrêtions à le décrire. 286 LEÇONS DE M. DUPUÏTHEN. Mais ce serait rendre un véritable service à l’humanité que de découvrir un moyen thé- rapeutique capable de guérir cette maladie sans opération. Si celui dont nous allons par- ler n’est pas suivi dans tous les cas de succès , il a réussi assez souvent entre les mains de M. Dupujtren pour qu’on en tente plus fré- quemment l’usage avant de se décider à l’opé- ration. La constriclion spasmodique du sphincter, avons-nous dit, est la lésion véritable; l’ulcé- ration alongée, nommée fissure ou gerçure, n’est qu’un phénomème secondaire. En faisant cesser la construction , on guérit la maladie. L’application de la belladone dans ces circons- tances se trouvait donc naturellement indiquée. M. Dupuylren est le premier qui ait eu l’idée d’en faire usage et il en a retiré un grand nombre de fois des avantages incontesta- bles , en la combinant avec l’acétate de plomb. Voici la formule qu’il emploie : Axonge 6 gros. Extrait de belladone. . i gros. Acétate de plomb. . . i gros. On en graisse une mèche d’un volume mé- diocre ; le volume de la mèche est augmenté FISSURES A L’ANUS. 287 graduellement, de manière à acquérir celui du doigt indicateur. L’usage continué de celle pommade pendant quelques jours finit souvent par enlever complètement les douleurs et épargne aux malades un moyen extrême et très dou- loureux. Nous prenons au hasard une obser- vation parme celles quemous pourrions citer en grand nombre en faveur de celte méthode de traitement. Ire Observation.—Une jeune femme, forte et bien constituée, accouchée depuis quatre mois, éprouvait depuis quelques semaines des douleurs très vives à l’anus. Ces douleurs étaient atroces chaque fois qu’elle se présentait à la garde-robe, et sur-tout lorsque les matières étaient dures et consistantes. Dans le principe elles n’avaient qu’une durée de quelques minu- tes ; peu à peu elles se prolongèrent et finirent par durer plusieurs heures. A l’époque de son entrée à l’anus fut examiné avec soin, et en un peu au dehors l’extrémité intestinale, on dé- couvrit une fissure très superficielle. La constriclion de l’anus était fort considérable; on ne pouvait qu’avec effort y introduire le 288 LEÇONS DE M. DUPUYTRÏÎÎÏ. petit doigt, et celte introduction était elle- même horriblement douloureuse pour la ma-1 lade. La nature de l’aireclion étant bien con- nue, et M. Dupuytren voulant épargner, s’il était possible, àla malade les douleurs de l’incision, prescrivit l’usage de la pommade cpie nous avons indiquée plus haut. Des mèches de charpie couche épaisse de cette pommade furent introduites dans l’anus et renouvelées plusieurs fois le jour. Elles calmèrent instantanément les douleurs. Quinze jours après, la malade était complètement guérie, sans qu’on eut eu recours à aucune opération sanglante et douloureuse. Cette observation démontre donc qu’il ne fgjutpas trop se hâter de pratiquer soit la cau- térisation de la fissure, soit l’incision du sphincter sur la fissure même ou sur tout autre point de la circonférence de l’anus, et qu’il est rationnel de tenter l’emploi de la belladone avant de faire usage du bistouri. Lors même que le moyen que nous venons d’indiquer ne serait pas propre à guérir toutes les fissures , on n’en doit pas moins essayer l’usage, car, s’il réussit, on évite au malade, comme nous l’avons dit, une opération tou- FISSURES A L’ANUS. jours douloureuse; dans le cas contraire, il calme les souffrances, et l’on est toujours à même d’en venir aux* autres moyens de trai- tement employés par le professeur. Avant de parler de ces derniers, nous de- vons rappeler les différences que présentent les fissures à raison du siège qu’elles occupent. Celles qui se sont formées au-dessous du sphinc- ter de l’anus, n’intéressant presque que le tissu cutané et non la muqueuse anale, déterminent un prurit plus ou moins grand , mais elles gênent peu la défécation, n’occa- sionent point de constriclion du sphincter, et par conséquent sont fort peu douloureuses. Le plus souvent elles reconnaissent pour cause le vice vénérien. Les fissures ayant leur siège au-dessus du sphincter, affectent la mem- brane muqueuse; l’œil ne peut les découvrir qu’à l’aide du spéculum. En portant le doigt dans le rectum, on trouve, au lieu qu’elles occupent, une corde noueuse, dure, dont Sa pression fait ressentir une vive douleur. Elles causent lorsque le malade va à la selle, un ténesme difficile à décrire, qui cesse aussitôt après l’excrétion. Les matières locales rendues dans ces cas sont enduites de mucosités puri~- formes, et sanguinolentes du côté qui corres- pond à la fissure. Elles sont ordinairement le produit de l’ulcération d’hémorrhoïdes inter- nes pendant le passage de matières endurcies. Enfin les fissures placées au niveauàxi. sphincter sont plus graves que les précédentes ; c’est dans celles de cette espèce que l’on observe cette constriction si douloureuse du sphincter et les autres symptômes que nous avons déjà décrits plus haut. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Les fissures des deux premières espèces guérissent le plus souvent sans opération, les unes au moyen de linge et de charpie enduits de cérat simple, de cérat opiacé, de pommade de concombre,d’onguent populéum, de préparations mercurielles, etc. ; les autres par des lotions émollientes et narcotiques faites avec les décoctions de guimauve, de têtes de pavot, de morelle, de jusquiame, de belladonne, de datura stramonium et autres moyens. C’est ainsi que M. Dupuytrena guéri par des douches ascendantes dans le rectum, un cardinal affecté de cette maladie, et que chez un autre malade l’usage des mèches lui a suffi pour amener une cure complète. Mais dans les fissures très douloureuses et FISSURES A L’ANUS. accompagnées de la contraction spasmodique de l’anus , qui siègent au niveau •du muscle sphincter, la méthode la plus prompte et la plus sûre consiste dans l’opération que M. le professeur Bojer a introduite dans la pratique, et qui n’exige pour instrumens qu’un bistouri ordinaire et un bistouri boutonné. 11e Observation.—Un homme de vingt- huit à trente ans, éprouvait depuis plus de qua- tre mois des douleurs au fondement,qui étaient considérablement augmentées par la déféca- tion. Depuis quelque temps sur-tout, celte fonction ne s’accomplissait qu’avec des dou- leurs insupportables, qui augmentaient même après l’excrétion, et persistaient pendant quatre à cinq heures. Ces douleurs étaient telles que le malade n’allait à la selle que lorsqu’il ne pouvait plus résister au besoin , c’est-à-dire tousles trois ou quatre jours. Il avait été soumis en ville à divers traitemens : les la- vemens, les fumigations émollientes et narco- tiques, les bouillons rafraîchissans, l’huile de ricin n’avaient point amélioré son état, et il était enfin venu réclamer des soins à l’Hôtel-Dieu. 11 avait une petite excroissance au pourtour de l’anus, une constriction spasmodique de cette ouverture avec fissure à gauche. L’ex- croissance* fut emportée d’un coup de ciseaux et l’anus incisé sur la fissure même. Une mèche, enduite de cérat, fut introduite dans le rectum et placée entre les lèvres de l’inci- sion. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Au sujet de ce malade, M. Dupuytren fit sentir l’importance de pratiquer l’incision sur la fissure elle-même, au lieu de la faire en dehors et à une certaine distance. En effet, le débridemenl de l’anus ainsi opéré fait cesser instantanément les douleurs, permet à la fissure de se cicatriser, et procure une guérison cer- taine. Il est cependant un cas dans lequel on ne peut pas inciser sur la fissure, c’est lorsqu’elle siège en avant vers l’urètre chez l’homme, vers le vagin chez la femme. Lorsque cette maladie, simple en elle-même, est très elle se complique de désor- dres locaux plus ou moins graves et d’une altération delà constitution du sujet, telle que son existence peut être en danger. IIIe Observation.—Delahaye (Angélique) âgée de vingt-quatre ans , d’une bonne cons- titution, bien réglée, ayant eu plusieurs enfans, entra à l’Hôlel-Dieu pour être traitée de fîssu- FISSURES A L’ANUS. res multiples à l’anus, avec excroissances en forme de bourrelet. Le mal remontait à plu- sieurs années. Dans le principe, il n’occasio- nait que peu d’incommodités. Il fit des progrès lents. A l’époque de Feutrée de la malade à l’hôpital, l’anus était rétréci; plusieurs fissures existaient àson pourtour en même temps qu’un bourrelet considérable d’excroissances, qui du reste n’offraient aucun mauvais caractère. Les selles étaientrares, mais accompagnées de souf- frances horribles, qui se prolongeaient encore plusieursheuresaprès l’évacuation.Elles étaient tellement fortes, que la malade, de son plein gré, se privait d’alimens, dans le but de dimi- nuer le nombre desselles. Les matières ster- corales étaient le plus souvent mêlées à une grande quantité de sang et de mucosités. La constitution de la malade s’affaiblissait, elle offrait une pâleur générale et une bouffis- sure très grande de tout le corps et particuliè- rement de la face ; elle avait fréquemment de la fièvre. Interrogée sur l’origine de sa ma- ladie, elle affirma n’avoir jamais eu d’affec- tion syphilitique et ne put point en indiquer la cause. M. Dupuytren, après deux ou trois jours de traitement préparatoire , pratiqua LEÇONS DE M. DUPUYTREN. l’opération, c’est-à-dire, l’excision des excrois- sances et l’incision simultanée des fissures. Chaque tumeur fut saisie avec une pince à dis- séquer et enlevée d’un seul coup de ciseaux courbés sur le plat ; puis avec un bistouri droit boutonné, introduit dans le rectum, il fit en divers sens plusieurs incisions de trois à quatre lignes de profondeur.Une mèche de charpie de la grosseur du doigt fut ensuite placée dans l’ouverture de l’anus pour empêcher la réunion des incisions. Il s’écoula peu de sang pendant l’opération. Le joùr même une selle copieuse eut lieu et fut accompagnée d’un écoulement de sang assez considérable, mais sans occasioner ces douleurs atroces qui se faisaient sentir avant l’opération. Une nouvelle mèche fut immédia- tement replacée dans le rectum. Ce pansement fut renouvelé chaque jour et chaque fois que la malade avait des selles. Le calme revint, elle reprit de l’embonpoint, et vingt-deux jours aprèsl’opération,elle sortit de l’hôpital pafaile- ment guérie. GRENOUILLETTE. 295 ARTICLE XI. DE LA GRENOUILLETTE OU RANULE. Insuffisance des moyens curatifs employés jusqu’à ce jour. Succès constans de la méthode de traitement imaginée par M. Dupuy- tren. Nous allons faire, dans un instant, dit M. Dupujtren en terminant sa leçon clinique du i 8 décembre l’excision de deux pe- tites tumeurs qu’un jeune homme porte sous la langue , près de sa pointe. Quelle est l’origine et la nature de ces tumeurs? Seraient-elles de l’espèce de celles qu’on a nommées ranule ou grenouillette F Le cas est fort douteux. D’abord, il est rare que celle-ci prenne naissance sous la pointe de la langue; généralement on la voit apparaître sous la base de son extrémité libre, et c’est précisé- ment à cause de ce lieu d’élection , que le diagnostic en est souvent difficile, et qu’on se trouve quelquefois exposé à confondre avec elles des tumeurs qui leur sont tout-à-fait 296 étrangères par leur nature, ainsi que nous le démontrerons bientôt. Voici comment se développent les tumeurs analogues à celle que présente notre malade. Youssavezque la peau est pourvue d’un nombre considérable de fol- licules qui sécrètent une certaine quantité de matière huileuse. Cette sécrétion, très légère dans l’espèce est abondante dans les animaux à laine , dans les oiseaux , et sur- tout les oiseaux aquatiques, chez lesquels elle entretient la beauté du plumage et pré- serve celui-ci des atteintes de l’eau et de l’hu- midité. Plus abondante encore chez les pois- sons , elle lubrifie toute la surface de leur corps d’un liquide visqueux et gluant. Il en est de même des membranes muqueuses qui tapissent les surfaces internes de nos organes. Les follicules j sont en nombre incalculable et versent incessamment des mucosités desti- nées à en lubrifier la surface. Eh bien, ces follicules sont susceptibles , comme tous les autres tissus de l’économie, de devenir mala- des, et alors leur sécrétion est tantôt suppri- mée , tantôt modifiée dans sa nature ou sa quantité ; quelquefois, elle acquiert une vis- cosité très grande ; d’autres fois, les mucosités leçons de m. düpüytren. GRENOUILLETTE, se transforment en une substance huileuse. Souvent aussi les petites bouches de ces fol- licules se ferment, le liquide qu’ils contien- nent s’accumule, les distend, ils s’enflam- ment , et prennent un volume considérable. On reconnaît ces tumeurs à leur saillie, à leur transparence, à leur indolence, et sur-tout à la sérosité gluante dont elles sont couvertes. Rarement isolées , et ordinairement multi- ples et groupées, on les voit adhérer entre elles au moyen de cette glu. On les rencontre plus généralement à la face interne des joues, au-devant des gencives ou sous la langue. Ces tumeurs sont donc des kjstes muqueux, déve- loppés aux dépens des follicules de ce nom, ou séro-muqueux, formés dans les conduits excréteurs delà bouche. Il importe de bien dis- tinguer ces faits, en attendant que l’on sache, d’une manière positive, ce que l’on entend par une grenouillette. D’après l’opinion la plus générale , la gre- nouiliette,dont le nom rappelle, soit la forme de la tumeur, qui a quelque analogie avec le dos d’une grenouille, soit l’espèce d’altération que sa présence imprime à la prononciation des sons, est une tumeur qui résulte de l’ac- cumulation de la salive dans les conduits excré- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. leurs des glandes sous-maxillaires, et quelque- fois dans ceux des glandes sous-linguales; mais ce dernier cas est, beaucoup plus rare. Les canaux excréteurs des glandes sous- maxillaires et sous-linguales paraissent être les seuls qui puissent présenter cette dilatation de leurs parois et cette rétention de la salive. Ce- lui de la glande parotide est formé de tissus trop denses et trop résistans pour donner lieu à une semblable tumeur. I! est donc admis que la dilatation appartient exclusivement aux pre- miers, tandis que les fistules surviennent de préférence au second. Quoi qu’il en soit, ce qu’il ya de certain c’est qu’il n’existe encore aucune démonstra- tion anatomique sur le siège de la grenouil- lette ; il reste à desirer que l’anatomie patho- logique vienne éclairer de son flambeau cette partie de son histoire, et le scalpel à la main, si elle a réellement son siège dans les canaux excréteurs des glandes salivaires sous-maxil- laires ; ou si elle consiste simplement dans un kyste formé par une membrane analogue aux tissus séreux , et contenant une humeur aqueuse; ou enfin, s’il faut lui reconnaître GRENOUILLETTE. constamment l’étiologie que nous paraissent avoir les deux tumeurs de noire malade ac- tuel. Il est probable, en effet, que des tumeurs de nature diverse, appartenant tour-à-tour à l’une de ces trois séries, ont été confondues indistinctement, à raison de leur siège, sous le nom de grenouillette, par les nombreux au- teurs, anciens et modernes , qui en ont parlé ; et que même on a ainsi dénommé des affec- tions qui n’ont avec celles-là aucune espèce d’analogie. Ainsi, Celse regardait cette mala- die comme un abcès d’une espèce particu- lière; et Arnbroise Paré, d’ailleurs si judi- cieux et si bon observateur, a commis la même méprise. Actuarius prétend l’avoir guérie en ouvrant la veine ; ce qui a fait dire à Camper qu’il avait pris cette tumeur pour une dilata- tion de ce vaisseau. Fabrice d’Aquapendente a placé la grenouillette parmi les tumeurs en- kystées, et l’a comparée au mélicéris. Jean Munnicks croyait avoir démontré qu’elle dé- pend de l’accumulation de la salive dans les conduits qui viennent s’ouvrir sous la langue par un canal principal, dont Warthon, qui a publié son ouvrage en i 656, s’est bien à tort attribué la découverte, puisque Bérenger de LEÇONS DE M. DÜPUYTIIEN. 5 Carpi, qui écrivait en is2i, en avait parlé d’une manière claire et précise, et que plus anciennement encore Galien, Oribase, Rhazès, Avicennes , Averrhoës n’en ignoraient pas l’existence. Suivant quelques auteurs, la grenouilletle affecterait particulièrement les en fans, qui ap- portent quelquefois cette maladie en naissant, ainsi que le démontrent les observations pu- bliées dans les Commentaires de Leipsick et dans l’ouvrage de Yogel. Mais n’aurait-on pas confondu , dans ces circonstances ,la gre- nouillette proprement dite avec des kjstes séreux sous-linguaux , qui sont quelquefois très volumineux et descendent jusque sur le sternum ?M. Breschet, qui a publié, dans le Répertoire d’anatomie, un travail complet sur cette maladie , et discuté toutes les questions qu’elle présente avec ce talent et cette érudi- tion qu’on retrouve dans tous ses écrits, a ou- vert cinq fois de ces prétendues ranules, et il a reconnu sur le cadavre d’en fans nouveau-nés qffil avait affaire à de simples kjstes séreux étrangers à la thjroïde , ou à des tumeurs du même genre développées dans le tissu de ce corps glanduliforme. Camper a observé sur ORENOUILLETTE. une très jeune fiile deux grosses tumeurs de cette espèce ; il a aussi vu la grenouillette sur l’un et l’autre côté du filet de la langue, chez des femmes et chez plusieurs hommes; mais il dit ne l’avoir jamais rencontrée sur des en- fans. L’occlusion de l’orifice du canal extérieur de la glande sous-maxillaire peut être la conséquence d’une inflammation de la mem- brane mtupeuse sublinguale ou du tissu même de la langue ; des aphlhes , des ul- cérations vers l’ouverture du canal ont pu amener son oblitération. Dans la section du filet de la langue, on intéresse quel- quefois les canaux excréteurs qui s’ouvrent sur les côtés de ce repli membraneux , et leur oblitération peut résulter de la cicatrisa- tion de la petite plaie. Des concrétions cal- caires ou de petits calculs formés dans ces canaux ont pu , parleur développement, s’op- poser à l’issue de la salive ; d’où résulte l’ac- cumulation de ce liquide excrémenlo-récrg- mentitiel et la dilatation du canal chargé de le verser dans la bouche. II est assez difficile, dans la pratique, de distinguer laquelle de ces circonstances a produit la maladie, parce 302 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. qu'elle s’accroît facilement, et que les malades ne réclament les secours de l’art que lors- qu’elle a fait des progrès considérables. Quoique le plus communément la ranule ne contienne qu’une salive plus ou moins épaisse et altérée, ou une humeur analogue àla on a aussi trouvé dans le kyste un liquide puri- forme ou purulent, et assez souvent,avons-nous dit, des concrétions ou des calculs. Hippo- crate fait mention de petites pierres situées sous la langue. On trouve dansles Ephémérides des Curieux de la nature, dansles Commentaires de Leipsick , et dans les Transactions philosophi- ques y des exemples de ces concrétions qui avaient la grosseur d’un pois ou d’une fève. Blégny en a vu un dont le volume égalait celui d’une amande. Forestus en a observé deux qui avaient au moins la grosseur d’une noisette. J. L. Petit en a retiré un qui ressem- blait à une olive ; et Lieutaud , chirurgien en a extrait dont la forme et la gros- seur étaient comparables à un œuf de pigeon* Lafaye, dans ses Notes sur Dionisy rapporte qu’un chirurgien trouva, dans une grenouil- lelte, huit onces, au moins, de matière lithique. Enfin Louis nous dit que Lederc relira envi- GRENOUILLETTE. ron une livre de substance sablonneuse que contenait une tumeur de même genre dont une religieuse des Annonciades était affectée. En général, les signes de la grenouilletle sont assez clairs pour qu’un esprit attentif et obser- vateur reconnaisse de suite la maladie. C’est une tumeur molle , blanchâtre, régulière- ment arrondie ou oblongue , située sous la langue, offrant de la fluctuation , sans dou- leur , rougeur ou autres phénomènes d’in- flammation , cédant un peu sous le doigt, et revenant bien vite à sa première forme lorsque la pression vient à cesser. D'abord à peine sen- sible, puis prenant peu à peu de l’accroisse- ment, communément son volume n’excède pas celui d’une noix ou d’un œuf de pigeon; dans quelques cas on l’a vue acquérir celui d’un œuf de poule. En prenant du développement, la tumeur refoule la langue en arrière , déplace ou de- racine les dents, altère la gêne ou em- pêche l’articulation des sons , s’oppose à la succion chez les enfans, et à la mastication ou à la déglutition chez les autres personnes. Elle déprime ou écarte toutes les parties avec les- quelles elle se trouve en rapport; enfin, cette LEÇONS DE M. DüI'üYTREN. 6 tumeur finit par devenir apparente au dehors et par se prononcer sous la mâchoire et à la partie antérieure du cou. La cause et la nature de la maladie étant Lien connues , il devrait paraître facile d’arri- ver àsa guérison, et cependant l’histoire de l’art nous démontre que le but n’est que très rarement et très difficilement atteint. La ponc- tion de la tumeur par sa partie située dans la bouche, est le moyen le plus généralement mis en usage : un bistouri à lame étroite, une lancette ou un trois-quarts, senties instrumens employés à cette opération. Si l’humeur est limpide, peu visqueuse ou consistante , s’il n’existe point de concrétions, cette espèce de paracentèse pourra procurer l’évacuation du liquide contenu dans la tumeur, et donner au malade un soulagement de courte durée ; car peu après l’opération , l’ouverture se ferme , la salive s’accumule de nouveau, et la tumeur reparaît. 3. L. Petit rapporte une observation où la ponction avec le trois-quarts fut réitérée dix fois, sans que , par cette méthode, on ait pu parvenir à faire disparaître la maladie. L'incision ou la ponction peut se faire sur le point de la tumeur qui proémine dans la bon- GREWOUILLETTE. che ou vers la partie antérieure et supérieure du cou. Ce dernier lieu a été regardé comme mal choisi , et beaucoup de praticiens ont pensé que la tumeur ouverte au dehors pou- vait être suivie d’une fistule intarissable. Une observation empruntée à Mujs a été citée presque par tous les écrivains pour démontrer le vice de ce mode d’opérer. Cependant le fait communiqué par Leclerc, chirurgien à Saint- Vinox, à l’Académie royale de chirurgie, semblerait prouver que les craintes d’une fis- tule salivaire à l’extérieur ne sont pas fondées. Leclerc fil la ponction sous le menton et agran- dit l’ouverture avec le bistouri ; beaucoup de liquide et de matière sablonneuse sortirent par l’ouverture, et des pansemens méthodiques achevèrent la guérison en peu de temps. Mais ce résultat même donne à penser que Leclerc a eu à traiter plutôt un kyste rempli de sé- rosité, qu’une véritable grenouillette ; car la ponction n’aurait pu procurer qu’une guéri- son temporaire , et la maladie aurait dû re- paraître, si elle avait eu son siège dans le con- duit excréteur d’une glande salivaire. Ln effet, le résultat qu’on doit chercher à obtenir n’est pas seulement de vider la tumeur LECOKS DR M. DUEUYTREN. après l’avoir ouverte, mais encore d’empêcber une nouvelle accumulation de liquide, et pour cela, il faut conserver l’ouverture béante. Ce but désirable est plus souvent atteint par le cautère actuel que par tout autre moyen ; ce- pendant celui-ci n’est pas infaillible , et l’ex- périence nous l’a démontré, comme elle l’avait déjà prouvé à Sabatier et à plusieurs autres chirurgiens célèbres. Il est étonnant, à la vé- rité , qu’une ouverture pratiquée sur une po- che distendue par un liquide qui y afflue sans cesse , soit insuffisante , et que l’écoulement continuel de ce liquide ne s’oppose pas à l’oc- clusion de celle ouverture. C’est cependant un fait constaté, et ce fait semblerait prouver que dans la formation et l’entretien des il y a quelque chose de plus que l’écoulement d’un liquide, puisque la plaie simple ou avec perte de substance et le flux continu de la salive, ne peuvent pas produire une fistule du canal dit de Warlhou , fistule par laquelle la grenouilleite serait détruite; ou bien le retour de la tumeur, aprèsquel’ouverture en a été faite, indique l’existence d’un kyste séreux, plutôt queceiled’uneranule formée par la dilatation des canaux excréteurs d’une glande saîivaire. GREKOÜILLETTE. Sabatieret, avant lui, le célèbre Louis, ont obtenu la cure de quelques'tumeurs du genre de celles qui nous occupent , en plaçant danf l’ouverture avec perte de substance laite aux parois du sac , des mèches, des tentes de char- pie, des portions de bougie ou de fil de plomb, qu’on retirait chaque jour pour per- mettre l’écoulement du liquide accumulé dans la poche. Tout ce que nous venons de dire sur la ponction, soit qu’on se borne simplement à elle, soit qu’a près l’avoir faite on place tem- porairement des corps étrangers, démontre que tous ces moyens ne peuvent appartenir qu’à une cure palliative , et qu’ils sont conséquem- ment insuffisans. On doit en dire autant de l’incision • car l’étendue et la direction donnée à l’ouverture ne peuvent rien faire dans cette circonstance ; et l’on sait qu’une plaie grande ou petite guérit de la même manière et sou- vent sans aucune différence pour le temps, que la cicatrisation met à s’opérer. L’excision d’une partie des parois de la tumeur a été proposée et exécutée ; mais dans beaucoup de cas elle en a seulement différé la récidive sans s’opposer efficacement à son re- LEÇONS DE M. DUPÜYTREH. 4 tour. La perte de substance rendait la cicatoU salion plus lente, mais elle arrivait nécessai- rement comme dans la simple incision. Cette excision doit être faite lorsque la tumeur est d’un volume considérable, et que ses parois sont épaisses, fermes et résistantes. La lésion de nerfs ou de vaisseaux irnportans n’est pas à craindre, et les astringens suffisent presque toujours pour arrêter la légère effusion de sang qui survient. Il rFen est pas de même de Vextirpation. On y a songé, sans cependant oser la tenter; la crainte d’intéresser des nerfs ou des vaisseaux • sanguins essentiels a arrêté les hommes de Fart. Quel but aurait pu atteindre cette opé- ration ? Si Fon ne faisait qu’enlever la tumeur, on entreprendrait une opération difficile et délicate, sans être certain d’empêcher la ma- ladie de reparaître. Il faudrait donc, dans cette extirpation, comprendre la glande elle- même. Nous ne sachions pas qu’elle ait été faite y et nous ne pensons pas que raisonnable- ment une telle opération doive être pratiquée. injection d’un liquide irritant dans la po- che qu’on aurait vidée, pourrait-elle procurer la guérison par l’inflammation et l’adhérence GRHNOUILLETTE. des parois du kyste ? Mais alors on rendrait inutiles les fonctions de la glande ; le liquide qu’elle continuerait àsécréter, ne trouvant plus d’issue, distendrait graduellement les ramifi- cations des conduits excréteurs logés dans les interstices des lobules composant sa substance, et pourrait déterminer une tuméfaction suivie de vives douleurs, d’inflammation, de suppu- ration , de fistule au dehors ; enfin, l’inflam- mation occasionée par le liquide irritant pour* rait s’étendre à la langue , au larynx et aux autres parties voisines. En résumé, si la ma- ladie a réellement son siège dans les canaux extérieurs des glandes salivaires, le traitement par l’injection n’est pas rationnel et ne peut pas être proposé ; si au contraire la ranule n’est qu’une tumeur enkystée, contenant un li- quide séreux ou albumineux, l’injection peut avoir des résultats avantageux. Le cathétérisme des canaux excréteurs des glandes sous-maxillaires est difficile; et comme la grenouillette tient moins au resserrement de ces conduits qu’à leur oblitération par des corps étrangers renfermés dans la tumeur, ou par l’effet d’une inflammation , il nous semble que l’emploi de petites sondes ou de bougies est entièrement inutile. LEÇONS DE M. OUPUYTUEX. 5 L’usage cîe la cautérisation remonte aux pre- miers temps de la médecine dogmatique. En parlant de l’hypoglosse, Hippocrale recom- mande de placer sur la tumeur une éponge imbibée d’un liquide chaud et émollient ; lorsqu’il existait du pus, il faisait une incision, et quelquefois il attendait que l’ouverture se fît spontanément, puis il cautérisait avec le feu. Celse se contentait d’ouvrir la tumeur si elle était petite ; dans le cas contraire , il por- tait l’instrument plus profondément, puis, saisissant de chaque côté les lèvres de la plaie, il isolait le kyste de toutes parts et l’enlevait, en ayant grand soin de ne léser aucun vaisseau. Fabrice d’Aquapendenle, qui a presque tou- jours pris Celse pour guide, n’a cependant emprunté de lui que l’incision. Nous avons démontré que ce moyen n’est que palliatif. Marc-Aurèle Séverin et Tulplus recomman- dent l’usage du cautère actuel, mais seulement, suivant ce dernier, lorsque la tumeur est dure et que ses parois sont fort épaisses. Si la ma- tière est liquide, ce qu’on reconnaît par le toucher, il veut que l’on se contente de faire une légère excision. Ambroise Paré donne le même conseil, et dit qu’on doit ouvrir la tu- meur avec un fer rouge. GRENOUILLETTE. Les acides ont été présentés comme préfé- rables au cautère actuel , à l’incision et à l’extirpation ; mais on se trouve arrêté par la crainte de ne pouvoir limiter l’action du caus- tique, d’étendre trop loin la désorganisation eide détruire le canal de Warthon lui-même. Camper dit avoir réussi en ouvrant largement la tumeur et en la louchant ensuite avec la pierre infernale ; mais il avoue qu’il a été souvent obligé de faire, à plusieurs reprises, cette cautérisation. Il résulte donc de l’exposé qui précède, que les indications curatives de la ranule, consis- tant à pratiquer une issue au liquide qu’elle contient, et à s’opposer à l’occlusion de cette ouverture pour empêcher le retour de la ma- ladie, ont élé connues de la plupart des pra- ticiens qui ont écrit sur celte matière; mais qu’aucun d’eux n’a touché au but. Nous avons vu que toutes les méthodes usitées dont nous venons de faire l’histoire, sont plus ou moins défectueuses, soit par leurs difficultés , par la frayeur ou les douleurs qu’elles causent aux malades,soit sur-tout parce qu’elles ne produi- sent qu’une cure momentanée,et que la mala- die reparaît après un certain laps de temps. Il leçons de m. dupuytren. était réservé à M. le professeur Dupuytren de découvrir un moyen simple dans son exécu- tion et sûr dans son effet, qu’il a déjà eu easion d’employer nombre de fois avec succès, et que nous allons faire connaître. Ce chirurgien célèbre pense que le moyen le plus sûr d'obtenir la guérison radicale de la grenouillette , serait de maintenir constam- ment l’ouverture faite à la tumeur, à l’aide d’un corps étranger introduit et laissé à de- meure dans le kyste; par conséquent d’agir ici comme il agit avec tant de succès, depuis plus de vingt ans, contre la fistule lacrymale. Pour parvenir à ce but, il fît confectionner un petit instrument composé d’un cylindre creux, par lequel devait s’écouler la salive. Ce cylindre avait quatre lignes dans sa longueur et deux environ dans sa largeur. Il était ter- miné à chacune de ses extrémités par une pe- tite plaque ovoïde , légèrement concave sur la face libre et convexe sur la face adhérente au cylindre et regardant celle de l’autre extré- mité ; l’une de ces petites plaques devant se trouver'placée dans l’intérieur de la poche, et l’autre correspondre au dehors , c’est-à-dire dans la cavité de la bouche. Pour donner une GRENOUILLETTÉ. idée de ce petit instrument, nous le compa- rerons à ces boutons à deux têtes, retenus ensemble par une tige intermédiaire, dont les gens de la campagne se servent encore pour attacher quelques parties de leurs vêtemens. Il peut être fait en argent, en or ou en pla- tine ; mais ce dernier métal paraît être le plus convenable, parce qu’il se laisse moins facile- ment attaquer et altérer par les fluides ani- maux. M. Dupujtren remploya pour la pre- mière fois sur un jeune militaire affecté d’une grenouilleüe , dont voici l’histoire : Ire Observation. Duchâteau , âgé de vingt-quatre ans, çx-tambour de la garde impériale, d’une petite stature, d’un tempé- rament bilieux, portait sous la langue, depuis trois ans, une petite tumeur. Elle s’était ac- crue lentement sans aucune espèce de douleur, mais elle gênait beaucoup les mouveraens de la langue. Désirant en être débarrassé, il vint à I’Hôtei-Dieu le i 4 octobre 1817, voyait sur les parties latérales du frein de la langue, une petite tumeur oblongue, demi-opaque, affectant la direction du canal de et paraissant produite par la dilatation du con- duit excréteur de la glande sous-maxillaire. leçons de m. dupuytren. Différons moyens avaient été employés , mais ils n’avaient fait disparaître que momentané- ment la maladie. Quelques praticiens avaient incisé la tumeur pour évacuer le liquide qu’elle renfermait; d autres avaient pratiqué l’exci- sion ; enfin on avait cautérisé les bords de l’ouverture: mais la maladie revenait après un temps plus ou moins long. M. Dupuytren pratiqua l’opération de la manière suivante : une ouverture est faite à la poclie avec des ciseaux courbés sur le plat; il s’en écoule nue liqueur limpide, inodore vis- queuse et filante. Avec des pinces à disséquer l’opérateur saisit le petit instrument et l’intro- duit dans l’intérieur de la tumeur par l’ouver- ture qu’il venait de pratiquer, de manière à ce qu’une des plaques fût libre dans la bouche. Dès ce moment la tumeur s’affaissa en peu de jours, l’incision se cicatrisa sur le cylindre de l’instrument, et quinze jours après l’opération, Duchâteau, parfaitement guéri, sortit de l’hô- pital* Il pouvait manger, parler, faire exécuter tous les mouvemens possibles à sa langue, sans éprouver aucune gêne. M. Dupuytren ayant reconnu que cet ins- trument offrait de légères imperfections, luifit GRENOU [LLETTE. subir quelques changemens. La petite plaque située à l’extérieur était trop large , soirbord relevé irritait la face inférieure de la langue qui portait continuellement dessus. Le bord des plaques fut donc courbé en sens contraire, de manière à ce que leur concavité se regardât; on diminua leur largeur, et de rondes qu’elles étaient on les rendit elliptiques. Le professeur remarqua aussi que le canal du cylindre était inutile, parce que la salive peut passer tout aussi bien entre la circonférence de ce dernier elles lèvres de l’ouverture, et que, d’ailleurs, les alimens s’amassant dans son intérieur, l’ob- struent bientôt et finissent par l’oblitérer -r enfin on diminua la grosseur, ainsi que l’éten- due du cylindre , ce qui porta ses dimensions à trois lignes de longueur sur une ou une et demie de grosseur. Du reste on conçoit que les dimensions en longueur doivent être propor- tionnées «à l’épaisseur des parois du kyste. Dans l’observation suivante , recueillie par M. le docteur Marx et jointe au mémoire précité de M. Breschet, ce petit instrument n’avait pas encore subi toutes les modifications que nous venons d’indiquer. Le succès n’en a pas moins été complet. LEÇONS DE M. DUPÜYTREN. IIe Observation. Vincent Tellier, âgé de vingt-quatre ans, vint à l’Hôtel-Dieu le 27 octobre 1820, portant, depuis plusieurs an- nées , sur le côté gauche du filet de la langue, une tumeur ovoïde dont le grand diamètre était étendu d’avant en arrière entre la partie laté- rale gauche de la langue et la lace interne de l’os maxillaire inférieur. Son volume était celui d’un petit œuf de poule. Elle rendait difficile la prononciation, la mastication et la respiration. Le professeur la saisit avec des pinces, la souleva, et., formant un plil’incisa avec des ciseaux courbés sur le plat. Aussitôt il s’é- coula en abondance un liquide muqueux, fi- lant et incolore ; ses parois s’affaissèrent. Par l’ouverture on introduisit l’une des extrémités de l’instrument, composé de deux petites pla- ques elliptiques de cinq à six lignes, unies entre elles panmetige. Celle-ci étant creuse, son canal ne tarda pas à être oblitéré par les alimens qui s’y introduisaient. Le malade revint a la consultation le 8 novembre suivant, onze jours après l’opération : la salive passait facilement entre les bords de la plaie et l’ins- trument. Celui-ci ne gênait ni la mastication GftENOUtLLBTTË. ni la prononciation, et le malade n’avait pas même la conscience de sa présence. Quelques mois plus tard, Tellier revint à l’Hôtel-Dieü consulter M. Dupuylren pour un embarras gas- trique : l’instrument ne s’était pas dérangé et la tumeur n’avait pas reparu, Déjà plusieurs exemples d’un succès coith plet ne laissaient plus aucun doute sur l’effi- cacité de cette méthode de traitement imagi- née par M. Dupuylren. Le l’ait suivant, dont l’histoire est encore due aux travaux de M. le docteur Marx, vint lui donner une nouvelle sanction, en fournissant au professeur un point de comparaison par l’emploi de deux méthodes différentes sur un même individu portant deux tumeurs de ce genre , indépen- dantes l’une de l’autre. IIP Observation. —La femme Pic, âgée de quarante-trois ans, vint à la consultation publique de l’Hôte!Dieu, le 5 juillet 1824.. Elle portait une tumeur molle, de la grosseur d’un petit œuf de poule, de chaque côté du lîiet de la langue. La voix était altérée, la res- piration et la déglutition difficiles,* le toucher ht reconnaître que ces deux tumeurs ne com- muniquaient pas entre eücs. Il y avait trois LEÇONS DE M. DUPTJŸTREN. mois que, sans cause connue, ces tumeurs s’étaient développées. Un médecin les ouvrit trois lois ; toujours un liquide transparent, s’en écoula ; mais trois fois aussi elles se reformèrent. M. Dupuytren profita de la nature de ce fait pour établir un point de comparaison entre sa méthode et la simple incision. En consé- quence , il opéra le côté droit en introduisant son instrument, et se contenta d’inciser large- ment la tumeur du côté gauche. Celle-ci ne tarda pas à se reformer, et le professeur l’ayant opérée comme l’autre, eut la satisfaction de voir la malade guérir parfaitement. Elle s’est présentée depuis à l’Hôtel-Dieu, et l’on put s’assurer que la guérison ne s’était pas dé- mentie. Le fait que nous allons rapporter nous offre l'exemple du développement d’une tumeur multiloculaire, pendant le traitement d'une première, qui était simple, et de l’accroisse- ment rapide que prend quelquefois cette affec- tion. IVe Observation. —■ J. G. Yilcoq , âgé de quarante-neuf ans, ouvrier en coton, sentait depuis deux mois un peu de gêne sous la moi- GRENOUtLLETTE. tiégauche de la langue. Il y vit une petite tu- meur alongëe d’arrière en avant, qui, depuis cette époque , s’accrut insensiblement. Le 21 octobre 1821, Yilcoq vint à la consultation de l’Hôtel-Dieu. Sous le côté gauche de la langue existe, à côté du frein de cet organe , une tumeur ovoïde , ayant son grand diamètre dirigé d’arrière en avant, et un peu de dehors en dedans. Ce diamètre a quinze lignes d’éten- due , tandis que le plus petit, presque trans- versal , n’en a que six. La tumeur est molle, fluctuante, sans changement de couleur à la membrane muqueuse, sans chaleur, sans douleur même à la pression. Elle soulève le côté gauche de la langue et la repousse vers le pharynx ; de là résulte une gène assez grande pour la parole, la mastication et même pour la déglutition. Le lendemain, M. Dupuytren, armé d’un bistouri, Fait à la tumeur, à un pouce de la pointe delà langue, très près de l’endroit où la membrane muqueuse de la bouche se re- plie sur la face inférieure de cet organe, une incision longue de deux lignes ; saisissant en- suite , avec des pinces à ligature , le petit ins- trument qui a été décrit, il introduit oblique- 320 LEÇONS DE M. DUPDYTREN. ment dans la cavité de la tumeur, une des plaques qui le composent, le redresse et laisse l’autre plaque à l’extérieur. Un liquide clair, visqueux, filant, qui ne s’était échappé qu’en partie au moment de l’incision, continue à s’écouler. La tumeur se vide tout-à-fait. Le troisième jour de l’opération, Yilcoq n’éprouvait plus aucune gêne, l’instrument ne s’était pas dérangé; autour de celui-ci s’échappait le liquide. Le vingt-cinquième jour, l’instrument était tombé la veille, et déjà la tumeur commençait à se former de nouveau. En la comprimant, M. Dupujtren en fit sortir une grande quantité de fluide lim- pideincolore , visqueux, comme la première fois. Il essaya de réintroduire l’instrument ; mais les lèvres épaissies de l’incision qu’il avait pratiquée, ne purent être comprises dans la rainure trop étroite qui sépare les deux plaques. On en fit fabriquer un nouveau sur le modèle du premier, mais dont la tige était plus longue de deux lignes. Celui-ci fut placé avec facilité le surlendemain. Tout alla bien jusqu’au i 5 janvier suivant. A cette époque, de la gêne se fit sentir aux en- virons de la plaie. Bientôt, une petite tumeur GREKOUILLETTE. apparat, située immédiate aient à la par- tie postérieure de la plaque qui faisait saillie dans la bouche. Cette seconde tumeur offrait tous les caractères de la première , et acquit en dix jours la volume d’une noisette. Le professeur Payant examinée, reconnut qu’elle était indépendante de la première, et déclara que cette grenouillette secondaire était mulliloculaire. Il fît aussitôt à la poche une petite incision , par laquelle s’écoula une assez grande quantité Je liquide visqueux , sans odeur, ni saveur marquée. Cet écoule- ment lut suivi de l’affaissement de la tumeur et de la disparition de toute gêne dans les mou* vemens de la langue. D’après les observations que nous venons de citer, on conçoit que si la tumeur était très volumineuse, si ses parois se trouvaient fort épaisses, il conviendrait, avant d’appliquer l’instrument, d’ouvrir largement la poche , quelquefois même d’en exciser une et de ne mettre celui-ci que lorsque les parties seraient revenues sur elles-mêmes , et que la plaie, presque entièrement cicatrisée , n’offri- rait plus qu’un orifice nécessaire à son intro- duction. On verrapar le fait ci-après, décrit 322 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. par le docteur Piedagnel, et marqué par un accident dont on ne sait trop s’expliquer la cause, que cette cicatrisation s’opère avec rapidité. Va Observation. Devaux, âgé de qua- rante ans, jardinier à Passy, éprouvait, depuis dix jours , un peu de douleur dans la bouche sous la partie inférieure gauche de la langue. Bientôt il s’aperçut qu’une petite tumeur se développait dans celle partie. Elle fit des progrès rapides, et lorsque ce malade se pré- senta à la consultation de l’Hotel-Dieu , elle avait déjà le volume d’une petite noix ; elle était placée sur le côté gauche de la paroi infé- rieure de la bouche , s’étendait à droite et était séparée en cet endroit par le filet. Plus grosse en avant qu’en arrière,molle,fluctuante, d’un rouge-violet,demi-transparente, elle était sans douleur, mais elle gênait beaucoup les mouvemensde la langue et donnait Un timbre tout particulier à la voix. Le malade dit que lorsqu’il parlait, celte tumeur vibrait et lui occasionait un bourdonnement qui s’étendait à presque toute la tête. Du reste, la santé gé- nérale était fort bonne. M. Dupuytren pratiqua l’opération de la GRENOUILLETTE. manière suivante : la tête fixée par un aide, la commissure gauche de la bouche tirée en bas , la langue portée au dehors de la bouche et renversée à droite,la tumeur, dans cette position, devint plus saillante. Elle fut inci- sée à son sommet ; une grande quantité de li- quide transparent, filant, s’écoula. La canule fut alors introduite, mais l’incision étant un peu trop grande, elle sortit de la plaie. De nouvelles tentatives l’y replacèrent, mais elle sortit de nouveau. Le professeur chargea alors l’élève interne de l’y introduire , mais il ne fut pas plus heureux , et pendant qu’il essayait cette introduction , le malade, on ne sait par quelle eut une syncope. Bientôt il reprit l’usage de ses sens, mais il resta qua- tre heures sans pouvoir parler. On renvoya au lendemain l’introduction de l’instrument. Ce jour la plaie était déjà presque fermée, il fallut la dilater avec un stylet ; la canule in- troduite, on l’assujetit à Laide d’un tampon de charpie, maintenu en place par le rappro- chement des mâchoires. M. Dupuylren a obtenu avec le petit ins- trument que nous avons fait connaître , un succès constant dans beaucoup d’autres cas qu’ii serait superflu de rapporter. Cette mé- thode facile et ingénieuse ne ressemble en rien à toutes celles qui ont été proposées, sans en excepter les mèches, les bougies ou les canules , les sétons , etc. ; car, par tous ces moyens dont l’usage était difficile, embarras- sant, quelquefois même insupportable, on ne cherchait qu’à opérer une fistule , tandis que l’expérience démontrait qu’aussitôt que ces corps étrangers étaient retirés, le perluis fis- tuleux s’oblitérait et que la maladie récidivait. LEÇONS DE M. DÜPUYTREW. Mais le professeur n’oublie pas plus dans ces circonstances, que dans le traitement des autres affections , que toute méthode cura- tive doit être appropriée à la nature de la cause qui a produit la maladie, et que pour le praticien expérimenté, il n’est pas de mé- thode ni d’agens exclusifs. Nous avons fait remarquer dans le cours de cet article, que l’inflammation , en s’emparant des canaux excréteurs des glandes sublinguales et maxil- laires, peut aussi déterminer la ranule. Dans ces cas, la formation de la tumeur est prompte, son développement rapide, et la tension, la douleur, ainsi que la rougeur des parties ne permettent pas de confondre cette espèce avec GRENOUILLETTE. 325 celle qui est produite par toute autre cause. Ici, la rétention de la salive n’est qu’un effet de l’état phlegmasique, et, la cause enlevée , l’effet devra naturellement cesser. C’est donc l’inflammation qu’il faut s’atta- cher à connaître. Les saignées locales, soit par la lancette, comme le faisaient les an- ciens , soit par les sangsues, comme le font les modernes , devront précéder l’opération chirurgicale. La grenouülette est alors com- parable à certaines rétentions d’urine déter- minées par l’inflammation de la vessie ou de ses annexes. L’évacuation du liquide n’est qn’ unrnoyen auxiliaire, et c’est aux anliphlo- gistiques généraux et locaux qu’il faut re- courir. L’observation suivante vient à l’appui de ces assertions. \7l° Observation. Engrot ( Marie), âgée de vingt-un ans, mal réglée, portait sous la mâchoire inférieure du coté droit, une tumeur dure lormée par la glande sous-maxillaire. Depuis six ans que cet engorgement avait paru , il avait pris le volume d’un œuf de poule. La tumeur était douloureuse au tou- cher, et la plus légère pression déterminait dans la bouche le jet d'un liquide mêlé de LE COIN S DE M. DUPUYTREN. pus el de salive. D’un autre côté , depuis trois semaines il s’était formé sous la langue une autre tumeur due à l'accumulation de la salive dans le conduit de Warthon. Elle paraissait sensiblement divisée en deux parties égales par le frein de la langue; elle était dure., ré- sistante ; la parole était génée et présentait cette altération particulière qui a fait donner à la maladie le nom qu’elle porte. La respira- tion et la déglutition étaient difficiles. M. Dupuytren ayant examiné la malade , jugea que la tumeur était de nature inflam- matoire. La douleur, la rougeur, la résistance du conduit dilaté furent les raisons sur les- quelles il fonda son diagnostic. Il crut dès lors devoir s’écarter de sa méthode ordinaire , et, au lieu de songer à l’emploi du double bouton il fit appliquer des sangsues, des émolliens et recourut aux dérivatifs. Ces moyens furent suivis d’un prompt succès : au bout de vingt-quatre heures il y eut une amé- lioration marquée, elle sixième jour la malade quitta l’hôpital, n’ayant plus ni douleur, ni tumeur dans la bouche, et la voix étant reve- nue à son état naturel. Nous avons dit ailleurs que la grenouiliette GRBTSOUILLETTE pouvait être simulée par des tumeurs dévelop- pées dans le lieu même ou dans le voisinage du lieu qui en est le siège spécial. L’inflammation, en effet, des tissus sous-linguaux et sous- maxillaires , peut donner lieu à l’apparition et au développement de tumeurs dont l’ap- parence extérieure ait quelque analogie avec elle. Tels sont certains abcès , les kystes sé- reux dont nous avons parlé, les kystes séro-mu- quenx de la nature de ceux que portait le jeune homme dont il a été fait mention au commencement de cet article. Souvent le diag- nostic offre des difficultés très-grandes. Le fait par lequel nous allons terminer cet article nous fera connaître comment le professeur est parvenu à les vaincre dans un cas fort embar- rassant. YIF. Observation. Une femme de soixante-neuf ans, lingère, est reçue dans les salles de FHôlel-Dieu. Depuis quatre mois elle avait éprouvé les accidens suivans : une tumeur lout-à-fait indolente s’était manifestée au-dessous et à gauche delà pointe delà langue; peu à peu elle avait repoussé cet organe par son développement; enfin, elle avait franchi le plancher de la bouche et était venue faire 328 LEÇONS DE M. DUPUYTREN, saillie à la partie supérieure et latérale gauche du cou. Plusieurs médecins avaient été con- sultés et avaient prononcé que la malade por- tait une grenouillette. Lorsqu’elle entra à l’hôpital, quatre mois après l’apparition de la maladie, la langue était fortement soulevée et repoussée à droite par une tumeur de la gros- seur d’un œuf de pigeon, indolente, présentant de la mollesse et une fluctuation assez évi- dente. Elle se prolongeait, en traversant le plancher musculeux de la bouche, jusqu’à la partie supérieure du cou. Là, elle se renflait de nouveau et formait une nouvelle tumeur du volume d’une pomme ordinaire. Indolente comme la première, celle-ci offrait aussi une apparence de fluctuation. Du reste, l’état gé- nérai de la malade était assez bon; seulement on remarquait chez elle une grande irritabi- lité physique et morale. Le mode d’origine de la tumeur, sa forme, sa consistance, pouvaient en imposer sur sa vé- ritable nature. On pouvait avoir affaire soit à une grenouillette, soit à un lypôme. Afin de lever toute espèce de doute, M. Dupuytren fit avec un bistouri droit une ponction dans la partie de la tumeur qui soulevait la langue. Le G U ESOU f LLËTTE. bistouri fut enfoncé assez profondément et ne donna issue à aucun liquide ; mais des flo- cons graisseux vinrent faire saillie entre les lèvres de la plaie et démontrer la nature lypo- mateuse de la tumeur. L’extirpation en fut décidée et pratiquée le 4 juillet. Nous ne par- lerons pas de l’opération et de ses suites qui ne sont point de notre sujet. Bien que ce cas offrît, comme on vient de îe voir_, un exemple des nombreuses difficul- tés que l’on rencontre dans le diagnostic des tumeurs en général, il existait cependant quelques particularités qui, indépendamment de la ponction exploralive, pouvaient conduire à la vérité. wSon volume dans l’intérieur de la bouche était moins considérable qu’il ne l’est ordinairement dans les grenouillettes ancien- nes qui descendent jusqu’à la partie supérieure du cou. Avant de refouler ainsi les muscles qui forment le plancher de la bouche , la tu- meur formée par la distension du conduit de Warihon acquiert dans la cavité buccale un développement très considérable et d’autant plus facile, que la langue offre une résistance bien moins grande que les muscles de la ré- gion sus-hyoïdienne. Un second caractère de 330 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. celte tumeur, lequel ne se remarque pas dans la c’est cette espèce d’étrangle- ment qu’elle présentait à sa partie moyenne et sur le point où de la bouche elle passait à la partie supérieure du cou. Lorsque la gre- nouilletle s’étend jusque là , elle forme une tumeur plus arrondie qui se continue plus uni- formément avec la partie d’elle-même qui soulève la pointe de la langue. Tels sont les caractères qui pouvaient à priori faire soup- çonner sa véritable nature. On a vu que le moyen que M. Dupuytren emploie avec tant de succès dans beaucoup de cas divers , la ponction exploralive , a dissipé toute espèce de doute. ARTICLE XII. DES ABCÈS DE LA FOSSE ILIAQUE DROITE. L’année dernière (1802), on reçut dans (es salles de M. le professeur Dupuytren un homme qui présentait les symptômes d’une maladie sur laquelle ce célèbre praticien a appelé l’allen- ABCÈS DE LA FOSSE ILIAQUE. lion , et qui depuis a été le sujet de très-bons mémoires de MM. Husson , Dance et Mei- nière. L’individu dont il est ici question était âgé d’environ quarante ans : il avait une dou- leur et une tuméfaction circonscrite dans la fosse iliaque droite ; des applications de sang- sues , des cataplasmes émoiliens et de légers laxatifs eurent les plus heureux résultats sur le traitement de cette tumeur qui guérit par- faitement. 11 y a long-temps , dit M. Dupuytren , que j’ai fait voir qu’il se développait des tumeurs dans la fosse iliaque droite qui semblaient être en connexion intime avec les parois du cœcum. Ces tumeurs s’accompagnent fré- quemment de troubles remarquables dans la fonction du gros intestin ; dans un grand nom- bre de cas , elles se terminent par résolution; dans quelques circonstances, paf une abon- dante suppuration ; quelquefois enfin elles sont le point de départ d’une inflammation qui s’étend à toute la surface du péritoine. Aussi, sous ces différents points de vue, nous parais- sent-elles devoir être étudiées avec soin. Une des premières questions que doit naturelle- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. ment suggérer l’étude de ces tumeurs est celle- ci : pourquoi se forment-elles presque toujours dans la fosse iliaque droite? Pourquoi la fosse gauche en est-elle si rarement le siège? On ne saurait en trouver la raison que dans la forme de l’intestin et des parties qui l’environ- nent. Plongé dans une masse de tissu cellu- le cœcum offre à son point d’union avec l’intestin grêle , un rétrécissement tellement marqué que , dans ce lieu (valvule iléo-cœ- cale), on voit fréquemment s’amasser des corps étrangers qui peuvent quelquefois devenir eux- mêmes la cause lié terminante de ces abcès. C’est ainsi que s’engagent ou s’amassent au pylore , à l’extrémité inférieure du rectum , des esquillesy des arrêtes des épingles , etc. Il n’en est pas de même du côté gauche : la portion sygmoïde du colon n’offre, dans ses points d’union, aucun rétrécissement, et la division des intestins est en ce point purement normale. S’il faut enfin expliquer les diffé' rences d’issues qu’affectent ces abcès , selon qu’ils existent du côté droit ou du côté gau- che , que l’on se rappelle les dispositions ana- tomiques des parties , et l’on comprendra qn’à droite, le cœcum libre en arriére d'enveloppe ABCÈS DE LA FOSSE ILIAQUE. péritonéale, offre , dans ce point, moins de ré- sistance à l’effort du pus , et que ses parois amincies, usées, ulcérées , doivent céder avec facilité. A gauche , au contraire, hermétique- ment enfermé dans le péritoine , garanti par cette membrane et par T expansion aponévroti- que du muscle iliaque , pour parvenir à l’intes- tin , le pus aurait à soulever le méso-colon , à déployer ses feuillets. Une issue plus facile lui est offerte: il fuse vers l’arcade crurale et l’anneau inguinal ; et dans ce cas , on éviterait difficilement une méprise , si l’on n’avait bien présens les signes distinctifs des hernies, ou des abcès par congestion y avec lesquels on pourrait confondre cette maladie. Ajou- tons que c’est dans cette partie que les ma- tières alimentaires prenant le caractère excré- mentifiel, sont obligées de circuler contre les lois delà pesanteur; que c’est enfin dans cette portion du canal intestinal, qu’on rencontre fréquemment des altérations phlegmasiques dans un grand nombre de maladies. Or, toutes ces dispositions, soit naturelles, soit morbides, ne sont-elles pas capables de favoriser la produc- tion de ces engorgemens à l ’extérieur de Tintes- LEÇONS DE M. DÜPÜYTREN. lin , et de nous expliquer leur fréquence dans la fosse iliaque droite ? L’apparition de ces tumeurs est souvent pré- cédée de symptômes précurseurs qui annon- cent le développement prochain de la maladie, A la suite de quelques erreurs de régime, d’une constipation ou d’une diarrhée plus ou moins prolongée , de coliques plus ou moins habi- tuelles, quelquefois sans qu’aucune de ces cau- ses ait paru, le malade éprouve des coliques plus violentes et des douleurs d’entrailles qui ont une tendance à se concentrer dans la fosse iliaque droite ; elles peuvent aussi s’irradier dans la direction du gros intestin ; ou bien être disséminées dans toute l’étendue de l’ab- domen.'—Ordinairement ces coliques sont ac- compagnées de constipation , et dans quelques cas, de vomissemens. —Tels sont les signes à l’aide desquels on peut prévoir l’apparition de la tumeur. Leur durée varie beaucoup, et l’on voit des malades qui en sont tourmentés pen- dant six semaines, deux mois et plus, tandis que d’autres ne les éprouvent que quelques jours avant l’invasion de la phlegmasie. On conçoit d’ailleurs qu’ils n’ont qu’une valeur Abcès de la, fosse iliaque. Relative , puisqu’ils se rencontrent chez beau- coup d’individus , sans pour cela qu’on ob- serve de tumeur iliaque. Les symptômes propres de la maladie, sont la fixité de la douleur dans un point très borné de la fosse iliaque, et la tuméfaction de ce poin t. Si l’on palpe alors cette région y on la trouve plus tendue , plus résistante et l’on peut fré- quemment arriver à circonscrire une tumeur de volume variable, d’une dureté assez grande, plus sensible au toucher que tout autre point du ventre et semblant reposer sur le cœcum. Le malade se plaint de constipation , de co- liques ; l’émission des gaz stercoraux est dif- ficile. Quelquefois la fièvre est assez intense; mais le plus souvent on n’observe point de symptômes généraux graves, à moins de com- plications. Ainsi la fièvre , l’anorexie , appar- tiennent à l’affection gastrique ; la consti- pation et la-diarrhée sont de légers accidens qui dépendent, soit delà même cause, soit du volume plus ou moins considérable de la tu- meur. Les causes prédisposantes, dit M. Dupuy- tien, sont de différentes espèces.L’âge adulte a une influence incontestable. Sur seize malades 336 dont les observations ont été recueillies avec soin, onze avaient moins de trente ans; plus des deux tiers appartenaient donc à une époque de la vie où les affections gastriques sont les plus nombreuses. La constitution ne présente rien de bien particulier. Il n’en est pas ainsi du sexe masculin. Les relevés de l’Hôtel-Dieu mon- trent, en eflet, que les hommes sont beaucoup plus souvent atteints de cette affection. II est sans doute difficile de se rendre compte de cette singularité, mais enfin elle existe, non- seulement dans les hôpitaux, où les hommes sont en effet plus nombreux que les femmes, mais également dans la pratique civile, où le contraire a lieu en général. La saison ne paraît pas influer bien directement sur l’apparition de ces tumeurs ; cependant la fin de l’été et le commencement de l’automne, sont les époques de l’année où l’on en observe de plu» fréquens exemples. Du reste, cela coïncide parfaitement avec la pî us grande fréquence des affections ab- dominales, et semble venir à l’appui de l’opi- nion de ceux qui pensent qu’il préexiste une lésion de la muqueuse. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Les causes occasionelles sont nombreuses et importantes. La profession a été_,pour beau- ABCÈS DE LA FOSSE ILIAQUE. coup de malades, une cause directe qui, en produisant une lésion du tube digestif, en- traînait comme conséquence, celle du tissu cellulaire de la fosse iliaque droite. Les pein- tres en bâtimens, les broyeurs de couleurs , les tourneurs en cuivre, sans cesse exposés à la poussière et aux émanations de certains mé- taux irritans, ont éprouvé des coliques, des diarrhées, qui, après un temps plus ou moins long, ont amené la formation de la tumeur. Plusieurs individus occupés de travaux de ca- binet ont été affectés de la même manière , après avoir eu de grands troubles dans les fonctions digestives. L’habitation ne peut être considérée comme une chose sans importance : aussi avons-nous vu plusieurs malades arrivés depuis peu à Paris, qui devaient évidemment leur état de souf- france au séjour dans cette ville. On conçoit aisément tout ce qu’il en peut résulter pour un habitant de la campagne qui quitte son pays pour la première fois. La nourriture des pau- vres ouvriers, sur-tout pendant la belle saison, est tellement mauvaise, que la plus grande partie de ceux qui entrent dans les hôpitaux avec des gastro-entérites graves , doivent leur LEÇONS DE M. DÜPUVTREW. maladie au régime qu’ils sont contraints de sui- vre. Or, toutes les causes qui produisent l’irri- tation delà membrane muqueuse digestive, ten- dent également à développer le phlegmon de la fosse iliaque. Les boissons ne sont pas moins capables de déterminer des accidensanalogues; et le relevé des observations prouve que la plupart des malades ont fait usage de liqueurs alcooliques rendues irritantes par l’addition de quelques substances âcres. Plusieurs autres ont pris des purgatifs à des doses immodérées. La marche et la terminaison de ces tumeurs n’est pas toujours la même : la plus heureuse et la plus commune est la résolution. M. Meiniè- re a fait un relevé de seize cas d’abcès de la fosse iliaque droite, et il a trouvé que onze fois ils s’étaient résolus sous l’influence d’une médica- tion convenable. Cette résolution se fait ordinai- rement avec lenteur, et il reste pendant long- temps une dureté profonde qui indique encore le siège de l’engorgement. Dans d’antres cas qui s’observent assez fré- quemment, des douleurs pulsativesse font sen- tir dans l’intérieur des tumeurs; celles-ci s’ac- croissent . s’amollissent et finissent par s’ou- vrir dans l’intestin. Cette terminaison favora- ABCÈS DE LA FOSSE ILIAQUE. Ble est annoncée par un pressant besoin d’al- ler à la selle , lequel est suivi d’évacuations alvines purulentes , coïncidant avec l'affaisse- ment du volume de la tumeur. Sa guérison est ordinairement très prompte.—Ces abcès ne se terminent pas seulement par évacuation delà matière purulente dans le cœcum ; quelque- fois ils s’ouvrent àla fois dans le cœcum et la vessie , ou dans le vagin ; mais d’autres fois , ainsi que je Fai vucbezM. Malus, auprès duquel je fus appelé par M.Nacquart, et dans quelques autres cas, ils s’ouvrent àl’extérieur. Celte ter- minaison a presque toujours été fâcheuse car la base de cet abcès et sa partie la plus déclive , reposant sur la fosse iliaque , tandis que l’ou- verture a lieu en avant et vers le point le plus élevé , l’évacuation de la matière purulente ne peut se faire que lentement et incomplète- ment : de là , des fusées de pus et des clapiers nombreux ; d’ailleurs cette ouverture permet l’introduction de l’air, et par suite la décom- position de la matière purulente. Aussi con- seilié-je dans ce cas de faire coucher les malades sur le ventre , de façon que l’ouverture de l’abcès en devienne le point le plus déclive. Ces abcès présentent ceci de remarquable. 340 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. continue M. Dupuytren, que la matière pu- rulente peut se faire jour dans l’intestin, sans que les matières fécales s’épanchent dans le foyer de l’abcès. Trois raisons peuvent en être données. La première, c’est que ces abcès se vident graduellement : la pression abdo- minale qui agit empêche qu’il se fasse un vide dans leur intérieur, à la faveur duquel les matières fécales pour- raient s’y introduire. La seconde tient à l’o- bliquité de l’ouverture, et la troisième enfin , au décollement de l’intestin, qui fait office de soupape. Enfin, dans quelques circonstances, heu- reusement assez rares, l’inflammation s’étend rapidement de l’engorgement iliaque au péri- toine, quelquefois en même temps au tissu cellulaire post-péritonéal. Il est probable même que, dans quelques cas, l’inflammation attaquant primitivement le péritoine mais localement , ne fait que se propager de la fosse iliaque au reste de celte membrane. La mort peut être le résultat de cette extension de la maladie; aussi cette terminaison doit-elle inspirer des inquiétudes. Ces notions établies, citons maintenant ABCÈS DE LA FOSSE ILIAQUE. quelques faits propres à les mettre dans toute leur évidence. IIe Observation. Un jeune homme de vingt-trois blond, peu robuste, d’aspect scrofuleux , travaillant beaucoup , éprouva dans lemoisde décembre (1828) , divers symp- tômes d’entéro-colite, qui furent d’abord abandonnés à eux-mêmes , puis plus tard trai- tés par des purgatifs. Du reste, le malade ne voulut jamais s’astreindre à aucun régime. Une tumeur phlegmoneuse s’étant développée dans la fosse iliaque droite, elle fut traitée par les topiques émolliens. Le malade vint à l’Hôtel- Dieu, à une époque où l’abcès était sur le point de s’ouvrir ; la peau fut d’abord incisée en arrière de la crête iliaque , vers l’insertion du carré lombaire, là où l’on sentait une fluc- tuation qui correspondait avec celle de la tumeur antérieure. Le bistouri fut porté à une grande profondeur , elle pus s’écoula en abon- dance. Bien que la position déclive de la plaie dût empêcher la stagnation du pus dans le fond du foyer, celui-ci ne se vida pas complè- tement , et la tumeur située en dedans de l’ar- cade crurale, cou lin ua de se développer. La contre-ouverture fut pratiquée , et celte dou- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Ble issue, donnée à la suppuration, n’apporta pas de changemens favorables dans l’état du malade. Les forces diminuèrent, le membre abdominal droit s’infiltra ; il survint de la diarrhée , une fièvre hectique , et la mort en- fin au bout de cinq mois de maladie. L’ouverture du cadavre fit voir un large foyer ayant son siège dans le tissu cellulaire environnant le cœcum, avec des clapiers, s’é- tendant suivant la direction des muscles psoas et iliaque. En quelques points les surfaces os- seuses étaient à nu. Le cœcum ne communi- quait pas avec ce foyer, mais en arrière il était évidemment aminci; sa muqueuse offrait de l’é- paisseur, une teinte ardoisée et plus de mollesse quedansl’état habituel.On trouva unepleurésie chronique et une hépatisation commençante dans les lobes inférieurs des poumons. Tous les autres organes étaient exempts d’altération. IIIe Observation. Un jeune tailleur , âgé de vingt-quatre ans; vint à rHôlel-Dieu ( 1829 ) portant dans la région iliaque droite plusieurs ouvertures fisluleuses, par lesquelles s’échappaient du pus , puis des matières féca- les. La maladie primitive traitée à l’hôpital d’Orléans, consistait dans une tumeur phleg- abcès de la FOSSE ILIAQUE. moneuse, d’abord négligée par le malade, et sur laquelle , plus tard on fit des applications d’émolliens locaux. Il rendit du pus par les selles; la santé se rétablit, du moins partiel- lement. Ce jeune homme vint à Paris pour achever sa guérison ; mais il vit sa maladie augmenter, l’engorgement faire des progrès et des abcès s’ouvrir au-dessus de l’arcade crurale. Ces accidens s’accompagnèrent d’un amaigrissement considérable , de toux, de diarrhée, d'œdème aux membres inférieurs; et plusieurs fois, depuis son séjour à l’Hôtel- Dieu, il fut sur le point de succomber. Enfin , après un traitement de quelques mois, l’état général s’améliora, la convales- cence s’établit, et le malade, après avoir pris un grand nombre de douches et de bains, sor- tit guéri. IVe Observation. Le docteur Ouvrard a consigné le fait suivant : Un homme de 28 ans fut pris de vomissemens qui durèrent six jours : alors on s’aperçut de l’existence d’une tumeur phlegmoneuse dans la région.du cœ- cum. Eméto-cathartique , qui augmente le mal; sangsues, émolliens. An bout de quinze jours ou trois semaines, le pus passe dans le 344 LEÇONS DE M. DU PUYTREN. cœcum et est rejeté par l’anus. La tumeur con- serve du volume , et le chirurgien voulant donner issue au pus, ouvre la paroi abdomi- nale sans trouver d’abcès , et arrive ainsi jus- que dans le cœcum. La plaie fut réunie.La santé se détériora promptement : il y avait fièvre, diarrhée, émaciation générale. Au bout de six mois_, à la suite d’un voyage dans une voi- ture très rude, un abcès se manifesta au-des- sous de la cicatrice , et s’ouvrit bientôt de lui- méme; il en sortit beaucoup de pus et de matières fécales. Des pansemens appropriés, le repos , la compression , un régime sévère parvinrent à guérir celle maladie, dans l’es- pace de huit mois. Ye Observation. Le même auteur rap- porte une observation d’un homme de trente- trois ans , faible, d’aspect scrofuleux, qui eut une tumeur douloureuse dans la fosse iliaque droite, mais dont la marche fut lente : aban- donnée à elle-même, elle s’ouvrit au bout de trois mois; cette ouverture externe fournis- sait chaque jour une petite quantité de pus. Deux ou trois mois plus tard, le malade trouva sur les pièces de l’appareil un pépin de raisin. La santé générale se soutenait. Bientôt des ABCÈS DE LA FOSSE ILIAQUE. matières fécales liquides et jaunes s’échap- pèrent par la fistule, et l'affaiblissement fît de rapides progrès. La compression et le repos, aidés du régime le plus sévère, parvinrent à cicatriser la plaie. Elle se rouvrit, et un au- tre chirurgien agrandit son trajet, pénétra dans le cœcum et reproduisit tous les accidens. Les mêmes moyens amenèrent de nouveau la guérison. VIe Observation. Engorgement inflam- matoire da/is la fosse iliaque droite y terminé par un abcès qui s’est ouvert dans le cœcum. Un jeune homme , âgé de vingt ans, entré à l’Hôtel-Dieu le 16 septembre éprou- vait depuis quinze jours les symptômes sui- vans : Envies fréquentes d’aller àla selle, imi- tant le ténesme dysentérique, mais sans émis- sion de matières fécales, ni de gaz intesti- naux; coliques passagères, accompagnées de borborygmes et de tourmens d’entrailles; douleur avec tuméfaction circonscrite dans la fosse iliaque droite, sans fièvre et sans trouble général. Au début, quelques nau- sées, et plus tard, quelques ardeurs et difficultés en urinant. Aucune cause parti- culière n’avait précédé le développement de LEÇONS DE M. DUPUTTREN. ces accidens; le malade n’était pas sujet à la constipation , il n’avait commis aucun excès , seulement il avait eu la diarrhée deux jours avant l’invasion de sa maladie. (Une saignée fut pratiquée en ville, et trente sangsues fu- rent mises sur la région iliaque. ) Le jour même de son entrée àl’Hôtel-Dieu, le malade a rendu une selle purulente assez abondante; le 17 et le 18, il a eu plusieurs éva- cuations alvines de même nature ; le 39 on voyait encore du pus mélangé avec quelques parcelles de matières fécales; la tumeur ilia- que s’était affaissée en grande partie, les selles commençaient à reprendre leur cours ordi- naire, les coliques avaient cessé, et le qua- trième jour de l’ouverture de l’abcès, le ma- lade était en pleine convalescence. D’après les considérations tirées du siège de ces engorgemens, de leurs symptômes et de leurs terminaisons , on voit que ce sont de véritables phlegmons développés au voisinage du cœcum en dehors de la cavité du péritoine, mais susceptibles de communiquer l’inflamma- lion à cette membrane. Le diagnostic de ces engorgemens et abcès phlegmoneux , continue M. Dupuytren, nous iBGÈS DE L FOSSE ILIAQUE. paraît assez important pour que nous lui con- sacrions quelques réflexions. Il n’est pas rare d’observer indistinctement dans la fosse iliaque droite ou gauche, des engorgemens inflammatoires paraissant avoir le même siège que les précédens ; mais ils se développent réellement dans le tissu cellulaire qui réunit les faisceaux des muscles psoas et iliaque et au-dessous de l’aponévrose qui a reçu le nom de fascia iliaque. Cette maladie est une des variétés de celles que les auteurs ont désignées sous le nom de psoïtis. Après l’accouchement, on voit se montrer assez fréquemment des engorgemens dans l’une et l’autre fosse iliaque, mais ils aparaissent dans l’épaisseur des ligamens ronds dont ils suivent la ou bien ils prennent naissance dans le tissu cellulaire interposé entre les ligamens larges de l’utérus, et peu- vent s’étendre delà à tout le tissu cellulaire du voisinage et venir faire saillie dans les fosses iliaques. Quelquefois ces abcès s’ouvrent dans la matrice, dans d’autres cas, ils se font jour à travers les parois du vagin. Dans quelques circonstances, les fosses ilia- ques sont encore le siège de collections puru- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. lentes, mais dont quelquefois la source est fort distante de ces régions ; tels sont les abcès symptomatiques d’une carie des os ou de l’in- flammation des ligamens placés dans leur voi- sinage. Le pus fuse alors le long des muscles psoas et iliaque ; il est déposé à l’état liquide dans la fosse iliaque, et la tumeur à laquelle il donne lieu est molle et fluctuante dès son ap- parition. Cette remarque suffit pour distinguer ces collections purulentes de toutes celles que nous avons décrites précédemment. Des erreurs de diagnostic peuvent encore être commises dans ce cas. C’est ainsi; ajoute M. Du- puylren , que j’ai vu celte inflammation faire croire à l’existence d’un étranglement interne, d’une hépatite, comme cela eut lieu chez le jeune 8... fils du comte de 8... auprès du- quel j’avais été appelé par feu Jean Roy neveu; ou bien à une rnétrite, à une péritonite , comme je l’ai observé chez madame 8... bou- chère à Pontoise. Dans ces deux cas, l’exacte circonscription du mal dans la fosse iliaque droite, la rétention des matières stercorales , l’appréciation comparative des autres symp- tômes, ont servi à redresser l’erreur; et l’éva- cuation du pus par le fondement, prédite ABCÈS DE LA FOSSE ILIAQUE. presque à jour fixe, a confirmé la justesse de ce diagnostic. Le pronostic n’est pas en général très grave, puisque, sur seize cas observés dans des cir- constances très différentes , un seul individu a succombé. Quand les symptômes cèdent promptement à l’emploi des moyens curatifs , que les selles se rétablissent , que la fièvre disparaît, et que le volume de la tumeur dimi- nue , on peut espérer une prompte guérison. Quand, au contraire , les accidens persistent , lorsque la tumeur qui s’est accrue plus ou moins rapidement, malgré les moyens mis en usage , devient le siège d’une fluctuation obscure d’abord , ensuite plus apparente , et de pulsations avec des élancemeus, alors on doit s’attendre à voirie pus rejeté par l’anus, et dans ce cas encore le pronostic n’est pas fâcheux , parce que l’expérience a démontré un grand nombre de fois que la guérison n’était ni moins solide , ni moins complète que quand la maladie se termine par résolu- tion. S’il survient une péritonite générale, on doit redouter une terminaison fatale* parce que le développement de celle maladie est le signal de l’accroissement rapide de l’affection ni. 2 4 LEÇONS DE M. DIFPUYTREN. primitive , et que la réunion de ces deux lé- sions est au-dessus des ressources de Fart. Le traitement doit d’abord élre préservatif, et l’on peut presque toujours, lorsqu’on est ap- pelé à tems, sinon prévenir la formation de la tumeur, du moins entraver sa marche et la faire avorter. Lorsqu’une douleur occupant la région iliaque est accompagnée de diarrhée et de constipations alternatives , lorsque le toucher fait déjà reconnaître un empâtement profond et mal circonscrit, les saignées lo- cales, les émolliens sous toutes les formes , et de légers laxatifs en boissons ou en lavemens, feront cesser les symptômes. Le repos absolu, des bains nombreux et prolongés seront très efficaces ; un régime sévère est également indispensable. Si la tumeur a déjà pris un certain volume , il faut se hâter de mettre un terme à son accroissement , et, pour y parvenir, les saignées locales et générales sont nécessaires. Si le sujet est robuste et le mou- vement fébrile assez vif, une saignée du bras sera pratiquée de suite; on appliquera un grand nombre de sangsues au-devant de la tumeur , que l’on couvrira plus tard d’un large cata- plasme ; des lavemens émolliens seront admi- ABCÈS DE FOSSE ILIAQUE. 351 nistrés matin et soir, et Je malade boira plu- sieurs pois de bouillon de veau, dans lequel on aura dissous du sulfate de soude ou de ma- gnésie. Les juleps huileux seront sur-tout em- ployés pendant la nuit; on répétera les appli- cations de sangsues aussi souvent que l’état du pouls, la vigueur du sujet; et le degré d’inflammation de la tumeur sembleront l’exi- ger. La diminution de la douleur , le retour de la tumeur à un moindre volume , annonçant le commencement de la résolution , on se con- tentera de la favoriser par les applications émollientes, le repos et le régime. Si, au con- traire, la tumeur conserve son volume et sa sensibilité , malgré les moyens mis en usage, la fluctuation ne tarde pas à se^nanifester, d’abord obscure, puis plus évidente. Le mé- decin doit alors favoriser la résorption, en con- tinuant les antiphlogistiques, si l’état du ma- lade ne s’y oppose pas, ou se borner aux to- piques émoiliens , jusqu’à ce que l’ouverture de i’abcës ail lieu. Dans ce cas, quelques ma- lades se sont bien trouvés de des laxa- tifs , qui stimulent doucement les contractions de l’intestin , et provoquent l’évacuation du 352 LE COIN S DE M. DUPUYTREW. pus. Enfin , si la phlegmasie du péritoine pa- raît devoir se développer, on connaît les moyens de remédier à celte grave complica- tion. ARTICLE XIII. CONSIDÉRATIONS PRATIQUES SUR L’EMPLOI DES CAUTÈRES ET DES MON AS. L’application des cautères et des moxas est suivie des plus heureux résultats dans les ma- ladies des os et des articulations. Elle a pour effets immédiats, une douleur plus ou moins vive, et Icüormalion d’uneescharre sèche ou humide qui est produite parles tissus désor- ganisés, combines ou non à la n aticre cau- térisante. Ses résultats secondaires sont une irritation révulsive produite par la douleur qu’elle détermine sur la peau. Bientôt après , une inflammation que j’ai appelée élimina- toire;, suivie d’une perte de substance et d’une abondante suppuration provenant du tissu cellu- laire sous-cutané. Après six ou sept heures, EMPLOI DES CAUTÈRES ET DES MüXAS. l’action du cautère est entièrement épuisée, etl’on peut lever l’appareil, l’escharre est for- mée. Celle-ciest d’un jaune foncé ou brunâtre, et le pourtour est médiocrement gonflé et douloureux. Au bout de quelques jours, on voit cesser ce et la séparation de l’escbarre qui se détache de la circonférence vers le centre est ordinairement terminée du huitième au vingtième jour, et la plaie qui en résulte peut être facilement entretenue. Il n’est point de mon sujet, continue M, Du- puytren, de vous parler minutieusement des endroits où doit être établi le cautère; il su (fit de dire qu’on doit préférer pour son application , les parties abondamment pour- vues de tissu cellulaire, éloignées des sail- lies osseuses, des tendons et du centre des muscles. Il est cependant quelques lieux d’é- lection dont je dois vous dire un mot. Ainsi, au on choisit ordinairement le léger enfoncement qui existe entre l’attache infé- rieure du deltoïde et l’insertion supérieure du brachial antérieur. Ala cuisse, on place le cautère presque toujours à quelques travers de doigt au-dessus du condyle interne du fé- mur, sur la ligne celluleuse que bornent en LEÇONS DE M. DUPOYTREN. avant, la portion interne du crural, et en arrière , les muscles troisième adducteur et grêle interne. Le lieu préférable pour la jambe, est l’espace compris entre le bord interne du tibia , et le côté correspondant du muscle jumeau, au-dessous de l’expansion tendi- neuse formée par les muscles couturier, grêle interne. Il est utile, dans un grand nombre de cas, de déterminer lentement la formation des es- charres sur la peau , afin que l’irritation qui est produite par une longue action du feu, soit plus vive, et pénètre plus profondément. Le moyen le plus convenable pour remplir cette indication , est le moxa. Les deux variétés decautère dont nous venons de parler, donnent lieu à une plaie ou ulcération qui suppure pendant un temps à peu près li- mité, avec plus ou moins d’abondance, et qui finit par se cicatriser. Pour prévenir cette ter- minaison et entretenir pendant long-temps la suppuration , on est dans l’habitude d’intro- duire des pois naturels d’iris, d’orange, ou tout autre corps étranger. Cette méthode , dit M. Dapuytren, est quel- quefois bonne, mais souvent aussi je l’ai vue EMPLOI DES CAUTÈRES ET DES MOXAS. déterminer des accidents graves, et augmenter ceux contre lesquels on l’avait dirigée. L’irri- tation extrême que cause la présence de ces corps étrangers, se propage à l'articulation ou aux parties malades des os. Les individus sont en proie à la fièvre, à la soif, à l’insomnie, et ces symptômes ne se dissipent que lorsqu’on a enlevé ces corps étrangers. Les praticiens, persuadés que ces phénomènes sont liés à la présence de ces exutoires, craignent de s’en servir de nouveau , et se privent ainsi d’une ressource précieuse. Convaincu que ces corps étrangers introduits dans ces plaies, sont les seules causes de ces inconvénients , j’ai pris le parti, depuis plusieurs années, de n’en plus faire usage. Après avoir appliqué le cautère et lemoxa, je laisse tomber l’escharre et suppurer l’ulcération sans la stimuler. Quand l’ulcéra- tion est cicatrisée, je réapplique immédiate- ment de nouveaux cautères dans le voisinage des anciens, jusqu’à ce que j’aie obtenu l’a- mélioration désignée. De cette manière, j’ai tous les avantages de ces révulsifs puissants, sans en avoir les inconvéniens. Un grand nombre de sujets atteints de ma- ladies des articulations de l’épaule, de la ban- 356 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. die ou de la colonne vertébrale, ont été traités depuis plusieurs années à l’Hôtel-Dieu , par cette médication. La plupart ont éprouvé les plus heureux effets de ce mode de traitement, ' et beaucoup sont sortis complètement guéris. TUMEURS HYDATÎQUES. 357 article xiy. DES TUMEURS HYDATIQUES DÉVELOPPÉES DANS LES MUSCLES ET DANS LES YISIÊEES. J'ai quelquefois observé, dit M. Dupuy- îren, sur le trajet des muscles, des tumeurs hydatiques dont le développement gênait plus ou moins leurs fonctions. Les effets qu’ils produisent varient singulièrement. En géné- ral; ces kystes paraissent agir sur les organes de l’homrrm à la manière des corps étrangers, c’est-à-dire en refoulant ou en comprimant les parties au milieu desquelles ils sont situés : aussi leurs signes sont-ils souvent confondus avec ceux de plusieurs autres affections, et notamment avec ceux des tumeurs enkystées ordinaires, qui ne contiennent que de la sé- rosité , ou qu’une matière alburaineuse dont l’aspect varie. Ce sont sur-tout les kystes des acéphalocis- tes situés dans les membres ou dans les autres parties de l’extrémité du corps , qu’il est dif- ficile de distinguer, pendant la vie, des kystes 358 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. simplement membraneux. L’observation sui- vante va nous en fournir la preuve. -1” Observation.— Un homme d’environ vingt-sept ans, entra, vers les premiers jours de janvier i 833, dans les salles de la clinique de M. le baron Dupuytren , où il fut couché salle Sainte Marthe , n° 34. Cet individu , d’une assez bonne constitution , d’un tempé- rament lymphatique , et qui exerce la profes- sion d’imprimeur, était occupé, il y a trois semaines, à charger sa presse. Ayant été obligé de faire un effort plus grand que de coutume, il sentit, dit-il, une vive douleur dans le bras gauche vis-à-vis le £Orps du bi- ceps ; il y porta la main et y découvrit pour la première fois une tumeur. Lorsqu’il vint à l’hôpital, quelques jours après, il avait une tumeur développée à la partie antérieure et moyenne du biceps sur le trajet de la bra- chiale. Elle avait le volume d’un petit œuf de poule; elle était sans chaleur, sans chan- gement de.couleur à la peau , immobile, et cependant la flexion de l’avant-bras sur lebras produisait sur elle un mouvement d’affaisse- ment. Au dire du malade, cette tumeur da- tait de huit ou dix jours au plus. Mais elle était assurément d’une époque beaucoup plus ancienne. Etait-elle produite par une rupture de quelques fibres musculaires? mais le ma- lade n’éprouvait aucune douleur sur le trajet du muscle. TUMEURS HYDA.TIQUES. Était-elle déterminée par un épanchement? mais la peau n’offrait point cette coloration violacée qui caractérise les ecchymoses. L’ar- tère avait-elle été lésée? mais la tumeur ne présentait pas ces mouvemens d’expansion et de retrait, isochrones aux battemens du cœur, qui sont le signe essentiel des anévrys- mes. Son existence était donc évidemment anté- rieure à l’accident que le malade avait ré- cemment éprouvé. Or, pouvait-on la consi- dérer comme une production squirrheuse? l’absence d’élancemens , l’existence d’une fluctuation obscure, venaient détruire cette supposition. En l’examinant avec plus d’attention, je fus porté, ajoute ]\L Dupuytren, à soupçon- ner qu’elle était formée par un kyste hydati- quej et cette opinion me parut d’autant plus probable , que je me rappelai un fait qui offrait de l’analogie avec celui-ci. Une jeune filJe vint, il j a vingt ans, à ma consultation, avec une tumeur à la tempe, qu’on attribuait à un violent coup de fouet qui lui avait été donné par un voiturier. Je fis une ponction exploratrice, ce qu’on doit toujours prati- quer, quand la nature du mal n’est pas bien déterminée; un jet de liquide séreux s’élança aussitôt. En agrandissant l’ouverture, je pressai sur les deux côtés; il sortit un grand sac blanc : c’était une hydatide qui s'était développée dans le corps du temporal. LEÇONS DE M. DUPUYTRÉN. Mais avant d’employer ce moyen chez l’in- dividu qui fait le sujet de notre observation , on appliqua, pendant quinze jours, des résolu- tifs et des astringens qui ne produisirent aucun changement. Le i 5 janvier, la tumeur offrait une fluctuation des plus marquées; je pris le parti de faire une ponction exploratrice. Si, contre toute attente, nous devions rencontrer un anévrysme, une compression exercée avec la main aurait arrêté aussitôt l’hérnorrhagie, et la ligature aurait été pratiquée immédia- tement ; s’il se'fût agi d’un abcès, nous aurions donné issue à la collection purulente et le but aurait été atteint. Un bistouri fut donc intro- duit ; il s’écoula une grande quantité de sé- TUMEURS HYDÂTIQUHS. rosilé qui s’était à peine teinte de sang en passant à travers les bords de la plaie. En pressant sur les deux côtés de l’ouverture, nous avons fait sortir un petit corps blanchâ- tre , que nous avons reconnu pour être l’a- céphalocysle musculaire ; il offrait un ovale à parois très minces, transparentes. Deux jours après l’opération , le malade était dans le meilleur état possible; il n’éprouvait aucune douleur; le muscle était revenu sur lui-même. Il s’y manifesta cependant une légère inflam- mation qui se termina par une suppuration fort peu abondante. Huit jours après, tous les ac- cidens étaient dissipés. Les acéphalocystes ont été long-temps con- fondues avec toutes les autres vésicules mor- bifiques. Mais lorsque l’anatomie pathologique fut cultivée avec plus de soin, on s’aperçut qu’il existait une très grande différence de nature entre les tumeurs vésiculaires mem- braneuses , fermes et unies fortement au tissu des organes, et les ..vésicules plus molles, qui, libres de toute adhérence, roulent dans les cavités accidentelles ordinairement tapissées par les premières. Les unes sont des kystes membraneux dont la texture est analogue * 362 LEÇONS DE M. DTJPUYTjREN. tantôt à celle des membranes séreuses, tantôt à celle des membranes fibreuses, etc. Les au- tres, au contraire, sont de véritables vers vé- siculaires. L’acéphalocyste est l’un des plus simples de tous les animaux. IL se présente sous l’aspect d’une vessie membraneuse, de consistance d’albumine à demi-concrète, et dans laquelle l’œil ne peut apercevoir, même à l’aide du microscope, aucun organe distinct. La structure des kystes dans lesquels sont logés ces vers, est assez composée j leur exis- tence est constante, et c’est à tort qu on a prétendu qu’ils pouvaient manquer. On ren- contre toujours dans ces kystes un tissu fi- breux, de la nature de celui des ligamens articulaires et des tendons, mais composé de fibres entrecroisées dans divers sens, et sou- vent très irrégulièrement. L’intérieur des kystes est quelquefois blanc et assez lisse ; mais jamais il n’offre une surface aussi unie que les kystes séreux. Son aspect, fibreux et fort ressemblant à celui dtjs aponévroses, l’en distingue d’ailleurs beaucoup. Les acéphalo- cystes sont ordinairement réunies en grand nombre dans un même kyste. Ces vers nagent dans un liquide qui, quelquefois, de même TUMEURS hydatiques. 363 que celui qui est contenu dans les cavités des acéphalocystes, est absolument semblable à de l’eau pure, mais qui, souvent aussi, est jaunâtre , bourbeux , puriforme , plus ou moins épais.Quelle que soit la nature du liquide contenu dans Je celui de la cavité des acéphalocjstes est presque toujours transpa- rent et semblable à de l’eau. Il est rare qu’un kyste ne contienne qu’un seul ver. L’acéphalocyste est ordinairement fort et en contient plusieurs autres dans sa cavité intérieure. Quelquefois cepen- dant on trouve des kystes assez forts qui ne renferment qu’une seule acéphalocyste. Il est probable que les kystes qui sont dans cette se sont formés depuis peu. On ne connaît point d’observation authen- tique qui établisse que les acéphalocystes puissent se développer dans les cavités natu- relles du corps. Elles naissent toujours dans un kyste plongé dans le tissu même des or- ganes. Il est vrai qu’on en a vu sortir de di- verses cavités naturelles ; mais il y a de fortes raisons de croire que cela n’a lieu qu’après que les kystes qui contenaient les vers se sont rompus dans ces cavités ; tel était sans contre- 364 LEÇONS DE M. DUPUYTiIEN. dit le cas de cet individu dont nous avons parlé ailleurs. (Tom. ier, Leçons orales, pag.^qS.) Lorsque cet homme sortit de l’Hôtel-Dieu} il avait une paralysie du côté gauche de la langue qui avait déterminé l’atrophie de cette partie ; mais il conservait le sentiment du goût, ce qui nous fit penser que la lésion por- tait sur le nerf grand hypoglosse. Près de deux ans se passèrent, sans entendre parler de lui , lorsque nous apprîmes qu’il était allé mourir à l’hôpital Cochin. M. le docteur Gendrin, qui a bien voulu nous communiquer quelques ren- seignemens sur ce malade, nous informa qu’il avait conservé ses facultés intellectuelles pres- que jusque dans les derniers momens de sa vie. La paralysie du côté gauche de la langue et l’atrophie étaient encore plus marquées que lorsqu’il quitta l’Hôlel-Dieu ; le goût avait un peu diminué du côté malade; mais il s’était néanmoins conservé. Cet indi vid u disait que ses fonctions génératrices étaient très affaiblies. Quelques jours avant de mourir, des symptô- mes de compression se manifestèrent, et le malade succomba. A l’autopsie , qui fut faite avec soin , on trouva beaucoup de sérosité dans les ventricules ; mais ce qu’il y a de plus TUMEURS HYDATIQUES. 365 remarquable, c’est qu’on découvrit un assez grand nombre d’hydatides à la base du cerve- let ; l’une de ces bydatydes s’était introduite dans le trou condylien antérieur., et comprimait de la manière la plus évidente, Je nerf grand hypoglosse. Ainsi se trouva confirmé le diag- nostic que nous avions établi. Ce fait est d’au- tant pins curieux, qu’il vient à l’appui de l’o- pinion des physiologistes qui pensent que ce nerf est plus spécialement destiné au mouve- ment et à la nutrition. M. Gendrin a prétendu que ces hydatides n’étaient point enkystées ; mais il est probable que dans ce cas, il y a eu déchirure des enveloppes ; et ce qur le prouve, c’est que le foie contenait une assez grande quantité de ces acéphalocysles qui étaient renfermées dans un kyste. On a observé les acéphalocysles dans pres- que toutes les parties du corps humain. On a trouvé des kystes remplis de ces vers, dans la glande thyroïde; dans les duplicatures du pé- ritoine ; dans les poumons; dans les différentes parties du tissu cellulaire extérieur au péri- toine ; entre les tuniques des intestins ; entre les lames de l’épiploon ; dans le tissu du foie ; dans les reins ; dans les ovaires ; dans la ma- LEÇONS DE M. DUPÜYTREN. trice, où elles forment la plupart des môles vésicolaires ; dans la lèvre antérieure du mu- seau de tanche ; dans l’épaisseur des parois de l’abdomen ; dans Je tissu cellulaire intermus- culaire du col, du dos, de la cuisse, de Fé- paule, et dans plusieurs autres parties. L’acëphalocjste n’est pas le seul ver qui se développe dans le corps de l’homme ,• j’ai ren- contré , il y a un assez grand nombre d’années, le cjsticerque ladrique dans le muscle grand péronier d’un individu, ainsi que j’en rappor- terai bientôt l’observation. Ce ver est toujours renfermé dans un kyste ou vessie, et y vit solitaire. La cavité de ce kyste, recouvert d’une couche membraniforme, contient, ou- tre le cjsticerque, qui y est libre, une sérosité de même nature que celle qui est renfermée dans la vessie caudale du ver. Le cysticerque ladrique habite principalement le tissu des muscles, ou plutôt le tissu cellulaire qui unit entre eux les divers faisceaux qui composent les muscles. Le développement du cysticerque ladrique chez le porc, y devient la cause d’une ma- ladie très grave, connue vulgairement sous le nom de ladrerie, TUMEURS HYDATIQUES. IIe Observation. —Il ya environ trente ans, je trouvai, dans le muscle grand pé- ronier d’un homme, un ver vésiculaire. Ce ver, qu’il était facile dereconnaître au premier abord, pour le cjsticercus fmnus, présentait quelques particularités remarquables, relati- vement à son corps et au kyste qui le renfer- mait. Le kyste ovoïde, long d’environ huit lignes, adhérait très fortement par sa face externe aux fibres musculaires, àla graisse et au tissu cellulaire environnant; intérieurement, il était tapissé, dans presque toute son étendue, par une matière peu abondante, assez ferme, friable dans certains points, et dans d’autres, plus ferme, blanchâtre, ou légère- ment rougeâtre, et assez semblable à la fibrine du sang. La membrane propre du kyste était évidemment fibreuse, et offrait une texture et une fermeté analogues à celles des ligarnens latéraux des articulations. Cependant les fi- bres étaient plus transparentes, plus intime- ment liées entre elles , et sous ce rapport, se rapprochaient beaucoup de la teinte laiteuse et de la texture homogène des cartilages dont elles différaient par leur souplesse. Cette LEÇONS DE M. DUPÜYTREN. à membrane propre du kyste avait une épaisseur inégale, et qui, dans quelques endroits, était de plus d’une demi-ligne. Ses fibres étaient dans une partie de son étendue, d’une couleur rougeâtre assez semblable à celle du sang. Le ver vésiculaire contenu dans ce kyste avait un corps renfermé dans la vessie eau- dale, qui était longue d’environ cinq lignes, et formée par une membrane mince, égaie, sans fibres, plus ferme que le blanc d’œuf durci. Elle avait , dans la plus grande partie de son étendue, une teinte rougeâtre qui la rendait un peu plus opaque, et qui paraissait provenir du sang qui avait souillé une partie de son kyste. Je cherchai, à l’extérieur de cette vésicule , la petite ouverture par la- quelle le corps sort, et se développe à l’ex- térieur. Je ne pus la distinguer; ce qui venait probablement de ce que le ver avait déjà passé quelques heures dans l’espril-de-vin. 3’ouvris alors la vessie caudale. Le corps qui y était renfermé, se présentait sous la forme d’un tu- bercule un peu alongé, d’un blanc jaunâtre, opaque, et de la grosseur d’un noyau de ce- rise. Il adhérait aux parois de la vésicule, par TUMEURS HYDITIQUES. le mojen d’une substance blanche, opaque, humide , et qui, quand on la pressait, laissait suinter quelques gouttelettes d’un liquide d’un blanc laiteux. Cette matière était informe , tuberculeuse à l’extérieur , et avait un volume à peu près égal à celui du corps auquel elle adhérait par continuité de substance; elle pa- raissait être sortie du corps par une sorte d’é- ventration analogue à celles que l’on voit quel- quefois chez quelques vers longs, comme les crinons elles ascarides lombricaux. Le corps, développé entre deux lames de verre, avait un pouce de longueur, une ligne et demie de diamètre à sa base, et environ une demi- ligne à sa tête. On distinguait très facilement àla loupe, la couronne des crochets et les quatre suçoirs. On rencontre assez souvent les hydatides dans la dissection, mais il est rare de les trou- ver sur le vivant ; et lorsqu’on parvient à en constater l’existence, on comprend combien il est difficile de traiter une tumeur sans cha- leur, sans rougeur, et que le malade attri- bue à une cause toute récente. Il faut, dans ce cas, comme nous l’avons déjà si souvent recommandé, s’assurer qu’elle ne présenté 370 LEÇONS DE M. DUI'UYTREN. aucun mouvement d’expansion ni de retrait, et faire ensuite une ponction exploratrice : c’est le meilleur moyen d’éviter toute mé- prise. On ne saurait confondre les hydalides mus- culaires avec celles qui se développent sous les ligamens annulaires du carpe et du tarse; leur siège , leur nature et leurs symptômes établissent des différences assez tranchées. Quant aux hydatides viscérales, leurs carac- tères sont généralement si obscurs, qu’on ne les reconnaît pas pendant la vie. 11 est cepen- dant quelques cas où l’on a pu en établir le diagnostic. M. Récamier est même parvenu à obtenir la guérison d’un kyste hydatique du foie par une ponction exploratrice, l’appli- cation de la potasse caustique et des injections de liquide. Ce fait nous paraît assez curieux pour que nous en donnions ici un extrait. IIIe Observation. —Un individu, âgé de vingt ans, peintre en bâtiment, était à tra- vailler dans une boutique, lorsque le plancher s’écroula ; il tomba dans une cave qui était environ à dix ou douze pieds de profondeur, et perdit connaissance sur le coup. Le lende- main , une légère teinte jaune commença àse TUMEUIIS HYDATIQUES. développer sur la face, eUenvaliit bientôt tout le corps. Trois jours après, des douleurs gravatives se firent sentir dans la région de l’hypochon- dre droit; le décubitus devint impossible sur l’un et l’autre côté. Le 3 mai, septième jour de l’accident, le malade entra à l’Hôtel-Dieu. La région hypo- cbondriaque droite était le siège d’une tumeur assez irrégulière, qui s’étendait de l’appendice xypboïde, jusqu’à trois travers de doigt en- viron au-dessous de l’ombilic. On y recon- naissait une fluctuation assez obscure et plu- sieurs corps qui semblaient immobiles, assez durs , saillans et inégaux. Afin de s’assurer de la nature de la tumeur, on y fait une ponction avec un trocart très fin ; une ventouse est appliquée sur la canule, et quelques gouttes d’un liquide fort limpide et en tout semblable à celui des liydatides s’écoulent par son ouverture. Les jours sui- vans, un large morceau de potasse caustique est mis sur le point le plus saillant de la tu- meur et dans le voisinage des fausses côtes. Sous l’influence d’une nouvelle application de potasse la tumeur contenue dans l’abdomen LEÇONS DE M. DUPUYTIIEîr. 6 • s’ouvrit et sans douleur à tra- vers la plaie faite aux tégumens par le causti- que, et des flots d’un liquide jaunâtre et lim- pide, mêlés d’un grand nombre d’hydatides, furent chassés avec force au dehors. Ce jour même, une injection avec de l’eau d’orge miellée fut faite dans le kyste, afin de préve- nir l’entrée de Pair dans son intérieur. Celte injection fut successivement remplacée par de l’eau salée, une décoction d’orge et de quin- quina , une solution de chlorure de chaux. Peu à peu le foyer du kyste revint sur lui- même ,• et lorsque le malade sortit de i'hôpital, il ne conservait, de sa maladie, qu’une fistule étroite qui donnait issue à une petite quantité de pus fétide et verdâtre. Quelques débris d’a- limens et de matières stercorales étaient sor- ties par la plaie. Le but que ce professeur s’était proposé en donnant à la potasse caustique la préférence sur l’instrument tranchant, était de détermi- ner une inflammation , et par suite des adhé- rences entre les parois du kyste et celles de l’abdomen , d’établir ainsi un canal continu de l’intérieur du kyste à l’extérieur et de pré- venir tout épanchement dans la cavité abdo- TUMEURS HYDATIQUES. minale. Aussi eut-il soin, pour arriver à ce but, d’entretenir les parois du kyste dans le plus grand état d’extension possible, afin qu’elles fussent en contact immédiat avec celles du ventre. Ces injections eurent encore pour effet de prévenir l’introduction de l’air dans sa ca- vité et les accidens inflammatoires qui en sont le résultat. On voit y dans ce cas remarquable, que M. Récamier s’est conformé au précepte que nous n’avons cessé d’établir, que dans les tu- meurs d’une nature douteuse, on doit tou- jours recourir à la ponction exploratrice qui éclaire singulièrement le diagnostic et n’en- traîne après elle aucun accident. C’est la conduite qu’il faudrait également tenir dans des circonstances semblables. Nous avons dit que les hydatides viscérales ne pouvaient, dans la grande majorité des cas, être reconnues sur le vivant; voici quel- ques symptômes qui ont été observés chez les individus qui présentaient celte affection : leur présence dans le tissu cellulaire extérieur du péritoine, ou dans celui qui unit entre elles les tuniques de l’estomac ou des intestins, oc- casione un trouble quelconque dans les fonc- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. tions digestives; quelquefois même elles com- priment assez fortement le canal intestinal pour déterminer une véritable passion iliaque. Les kystes situés dans le tissu du foie , donnent lieu à des phénomènes morbifiques très variés, et qui sont d’autant plus graves, que leur volume est plus considérable. Les plus ordinaires sont : un sentiment de pesan- teur rarement de douleur aiguë, et quel- quefois une tumeur visible et plus ou moins circonscrite dans l’hypochondre droit ; une gêne quelquefois très grande de la respira- tion ; une une sorte d’inquiétude qui forcent le malade à changer sans cesse de position ; quelquefois l’ictère, des vomisse- mens, des hémorrhagies nasales, la diarrhée, ou une constipation opiniâtre. Il y a, dans quelques cas , un frémissement que l’on a comparé à la sensation que donnerait la géla- tine mise en mouvement. Les acéphalocystes des reins ne s’annoncent guère que par des douleurs dans cette région. Celles des ovaires occasionent absolument les mêmes effets que les kystes membraneux, ou l’hydropisie enkystée proprement dite de ces viscères. TUMEURS HYDATIQUES. Les effets produits par les hydatides de la matrice sont très suivant la manière dont elles sont logées dans ce viscère : lors- qu’elles sont situées profondément dans l’é- paisseur des parois de l’utérus, leur présence n’est guère annoncée que par un sentiment de pesanteur vers la région de cet organe; mais lorsqu’elles se développent entre la mem- brane interne et la matrice, elles finissent par dilater cette dernière , son col s’aplatit en et tous les phénomènes qui ont coutume d’accompagner la grossesse se mani- festent : les acéphalocystes constituent alors l’affection connue sous le nom de môle vési- cnlaire. Les hydatides des poumons occasionent une dyspnée plus ou moins grande , mais dont il est le plus souvent impossible de soup- çonner la cause. à L’observation suivante est une de celles où la présence des acéphalocystes a été le mieux constatée dans les viscères et sur-tout dans les poumons. IVe Observation. Un jeune homme né de parens sains, avait eu, à dix-huit ans, une péripneumonie qui avait été guérie parfaite- LE COIS S DE M. DUPÜyTREN. ment. A vingt-quatre ans, il avait éprouvé un rhume très violent et très opiniâtre, accom- pagné de vives douleurs au côté gauche qui l’empêchaient de pouvoir se coucher sur ce point. Ces douleurs cessèrent avec le rhume; mais la cause la plus légère les faisait repa- raître. Au mois de juillet 1800 , ou du moins peu de temps après, la douleur de côté et une toux sèche reparurent, et avec tant de violence que le malade ne pouvait faire le moindre mouve- ment. Bientôt il se plaignit d’une petite tu- meur dont le siège était, selon lui, dans l’hy- pochondre droit. Celte tumeur peu sensible d’abord; le devint bientôt davantage, et fut parfaitement reconnue. A cette époque, la toux sèche revint de nouveau accompagnée d’étouf- femens momentanés. Au mois de mai iBo3, le malade se trouvait dans l’état suivant : Il était fort maigre; s’é- tant couché pour faire palper sa tumeur , elle parut d’un volume si considérable que la main pouvait à peine en embrasser la moitié ;sa dureté était telle qu’elle ne cédait pas sous le doigt; sa surface semblait très lisse; elle était mobile et pouvait être facilement déplacée, TUMEURS HYDATIQUES. soit soit à gauche. Les battemens du cœur étaient si violens dans la région épigas-r trique, qu’ils étaient sensibles même à l’œil. Le malade se plaignait d’un étouffement continuel et d’une espèce lors- qu’il montait un escalier. 11 éprouvait des fai- blesses assez fréquentes,. toussait de temps en temps, crachait par fois un peu de sang, et avait un tremblement presque continuel. Ces symptômes étaient plus prononcés dans les temps froids; ils diminuaient notablement lorsque la température était douce, Le pouls n’offrait point de dérangement notable. Cet état fut à peu près le même jusqu’au mois de janvier iSozj, époque à laquelle la gêne de la respiration augmenta considérable- ment, ainsi que tous les autres symptômes. Vers le commencement de juin, il éprouva deux accès très violens, à un jour de distance, qui faillirent le suffoquer. Voyant alors son état empirer, il revint à Paris pour prendre des conseils sur sa santé. Il avait fait dix lieues en voiture. Rendu chez lui, il se trouva assez bien et soupa légèrement. Quelques heures après, il fut pris d’un nouvel accès de stran- gulation dans lequel il périt. LEÇONS DE 3VI. DUPUYTUEN. é L’ouverture du corps fut faite par M. Geof- froy et par moi. Nous tÿuvâmes dans le lobe gauche du foie, un kyste en partie caché dans la substance de ce viscère, en partie saillant dans la cavité abdominale, et semblable à une vessie qu’on pouvait mouvoir et déplacer à volonté. Les parois du kyste étaient minces et cependant fibreuses ; elles semblaient retirées sur elles-mêmes et comme racornies. La ca- vité contenait, i° une certaine quantité d’un liquide de couleur jaune; 2° un grand nombre de petites hydalides, la plupart de la gros- seur d’un pois; on en remarquait une ou deux qui pouvaient avoir celle d’un jaune d’œuf. La partie du kyste hydalique qui était pla- cée hors du foie, adhérait fortement à la pe- tite courbure de l’estomac , et cependant il n’existait aucune trace de cicatrice sur la mem- brane externe de cet organe. La poitrine avait une dimension considéra- ble et était si exactement remplie, que le cœur, repoussé en bas, correspondait àla partie supérieure de i’épigastre. Les deux poumons comprimés, aplatis et réduits àun feuillet très mince, étaient refoulés vers la partie antérieure de la poitrine, derrière les TUMEURS HyDATIQUES. cartilages des côtes. Le reste des cavités des plèvres était occupé par deux tumeurs très volumineuses, étendues l’une et l’autre depuis le sommet de la poitrine jusqu’au diaphragme; elles adhéraient intimement aux côtés et à la to- talitédu médiastin, et avaient repoussé le cœur hors de la cavité de la poitrine. Les deux tu- ineurs également tendues et fl uct uantes, avaien t une enveloppe fibreuse, assez mince, quoique fort résistante , et renfermaient cha- cune une énorme bjdatide. Ces hjdatides remplissaient exactement chaque kyste et sem- blaient y adhérer à l’aide d’une matière glulineuse. Le liquide parfaitement limpide qu’elles contenaient, fut évalué à cinq pintes et demie pour chacune. Leur longueur était d’environ onze pouces. V* Observation. —Une femme, vint en 1811, à l’Hôtel-Dieu pour une tumeur inflam- matoire à l’ombilic. M. Dupuvtren ne voulut pas d’abord y toucher; mais la fluctuation étant devenue manifeste et la peau menaçant de s’ouvrir, une incision donna issue à une grande quantité de pus, et à quelques poches hjdatiformes. Cette femme mourut, et à l’au- lopsie M. Dupuytren trouva une commun!- 380 cation entre l’ouverture de l’ombilic et une cavité contenue dans le poumon, par une es- pèce de canal formé à travers le diaphragme, entre le foie et les parois abdominales. La ca- vité du poumon contenait encore une grande quantité de poches hydatiques. Il était évident que cet organe avait été le siège primitif de la maladie. l-ECOWS DE M. DUPUYTREX. On voit, d’après ce qui précède, que les signes qui annoncent la présence des acépha- locjstes dans les diverses parties des corps sont absolument semblables à ceux de beaucoup d’autres affections. L’absence des autres ca- ractères de maladies mieux connues, est souvent le seul signe qui puisse permettre de soupçonner l’existence de ces vers ; mais quelquefois cependant on peut avoir sur ce point une certitude entière, c’est lorsque les kystes qui contiennent ces vers se rompent et s’ouvrent spontanément dans quelques-unes des cavités tapissées par les membranes mu- queuses , ou même se font jour au dehors, comme lorsqu’elles sortent par un abcès formé dans les parois abdominales. N La rupture des kystes des acéphalocystes dans les cavités tapissées par des membranes TUMEURS HYDATIQUES. muqueuses a ordinairement des résultats très heureux. L’art a même quelquefois imité avec avantage ce procédé de la nature. Cepen- dant le professeur Lassus, dans ses recherches sur i’hjdropisie enkystée du a rapporté plusieurs cas où l’incision, faite à des kystes hydatiques de ce viscère, n’a pu sauver les ma- lades, et a même quelquefois hâté la mort. Notre expérience nous a appris que dans ceux de ces kystes qui attaquent les parties exter- nes du corps, l’incision a ordinairement des résultats heureux. Il paraîtrait que la maladie peut guérir sans rupture naturelle ou artificielle ; dans ce cas, il est probable que les acéphalocystes périssent spontanément : alors la partie la plus ténue du liquide dans lequel elles nagent est absor- bée. Le kyste se resserre sur lui-même, comme un anévrysme après l’opération faite suivant le procédé de Hunier; et au bout d’un certain temps, il ne reste plus qu’une petite masse de matière ordinairement trouble et jaunâtre, dans laquelle on distingue des frag- mens plus ou moins considérables d’acépha- locystes rangées par couches. Les hydatides viscérales, développées dans 382 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. la cavité du bas-ventre, peuvent être confon- dues avec une fouie de tumeurs dont il se- rait trop long de donner ici l’énumération , et qui d’ailleurs ont été étudiées un très grand nombre fois ; mais il en est une sur laquelle nous croyons devoir plus particulièrement ap- peler l’attention, parce qu’elle a été l’objet d’un excellent rapport de M. Dupuytren : nous voulons parler d’un kjste contenant un fœtus humain trouvé dans le mésentère d’un jeune homme de quatorze ans. Ce fait, qui a été consigné dans le recueil des mémoires de la Faculté de médecine de Paris, qu’il n’est pas toujours facile de .se procurer, appartient d’ailleurs à cet ouvrage, uniquement destiné à faire connaître les travaux du célèbre chi- rurgien de l’Hôtel-Dieu. Observation d’un kyste contenant un fœtus humain développé dans le mésentère d’un jeune homme de quatorze ans. Amédée Cissieu, fils de M. Bissieu, pro- priétaire à Verneuil, département de l’Eure, naquit en 1790, d’une femme jeune, bien portante et déjà mère d’un autre enfant, bien conformé et d’une bonne constitution. Dans la nuit où sa mère présume qu’il fut conçu , TUMEURS HYDATIQÜES. une de ces alarmes, alors si fréquentes en France, causa une violente agitation dans la ville, et fit courir en tumulte les habilans aux armes. Pendant sa grossesse , madame Bissieu éprouva quelques chagrins et de fré- quentes indispositions, néanmoins son accou- chement fut heureux. On croit avoir remar- qué que pendant le travail il s’écoula une grande quantité d’eau par le vagin. Immédia- tement après sa naissance, le jeune Amédée fut remis entre les mains d’une nourrice qui, l’ayant trouvé faible et mal portant, parut désespérer , pendant quelque temps, de réussira l’élever; ramené ensuite à la maison paternelle , cet enfant se plaignit, dès qu’il put balbutier, d’une douleur au côté gauche de la poitrine et du ventre. Il avait dès lors cette partie d’un volume qui fit craindre qu’il ne fût attaqué du carreau ; mais ce volume était d’ailleurs tellement variable, qu’on se détermina par la suite à lacer sa culotte afin de l’accommoder plus aisément à ces varia- tions. Cependant à mesure qu’il grandit, les craintes que l’on avait conçues du carreau se dissipèrent ; mais l’habitude du corps du jeune Bissieu, resta grêle, sa figure maigre et blême; LEÇONS DE M. DUPÜYTIIEW. à et il est remarquable qu’il ne cessa de se plain- dre de temps à autre, quoique faiblement, de douleurs au côté, et qu’il fut toujours sujet à des appétits fort irréguliers, souvent fantasti- ques et à des indigestions fréquentes. Un jour on s'aperçut, en l’habillant, qu’il avait les deux dernières côtes gauches plus élevées, et plus saillantes que les autres ; ce qu'on at- tribua à l’habitude qu’il avait de sucer le pouce de la main droite en inclinant son corps du même côté. On donna d’autant moins d’at- tention à celte circonstance, que le jeune Amé- dée se faisait alors remarquer par sa gaîté, par sa vivacité et par une intelligence au- dessus de son âge. Il fut envoyé dans une pen- sion à Rouen. C’est là qu’après un séjour de dix-huit mois environ, (pendant lequel il ne s’était plaint d’aucune indisposition nouvelle, il fut subitement pris, le i 3 nivôse an 12 , d’une douleur aiguë au côté et dans l’hypo- chondre gauche, et de fièvre continue avec des redoublemens et un sentiment d’oppression ; à la douleur et à la fièvre se joignait une tumé- faction très grande du bas-ventre, dans le lieu où existait auparavant l’élévation et le senti- ment habituel de douleur. Le malade fut sai- tüMëtjus hydatiques. gné et même purgé. La fièvre continua , et la tuméfaction fit des progrès ; au septième jour de la maladie, M. Blanche, chirurgien, sentit distinctement, dans l’abdomen, une tumeur dure et très douloureuse, s’étendant en lon- gueur des fausses-côtes à la crête de l’os des îles , arrondie d’un côté à l’autre et du volume d’un gros melon. On fit dès lors usage d’appli- cations émollientes, de lavemens adoucissans et de boissons délayantes; on employa même, par la suite, de légers fondans. Cependant les douleurs ne diminuèrent qu’après qu’il fut survenu un dévoiement abondant de matières puriformeset fétides. Le calme des souffrances et l’affaissement de la tumeur n’empêchèrent pas le jeune malade de dépérir et de tomber dans le marasme, et au bout de plusieurs mois d’un traitement inutile, il fut renvoyé au sein de sa famille. A son arrivée, MM. Gué- rin et Berlin Desmardelles reconnurent la tumeur dure et grosse placée dans l’hypo- chondre gauche ; mais malgré leurs soins, le mal ne continua pas moins de faire des progrès. Bientôt à une toux continuelle et opiniâtre, accompagnée de crachats purulenset infects, se joignit un dévoiement de matières fétides, I LEÇONS DE M, DUPUYTREN. au milieu desquelles on trouva, six semaines avant sa mort, un paquet de poils roulés sur eux-mêmes, Enfin cet infortuné jeune homme, parvenu au dernier degré de marasme , périt le 23 prairial an 12, dans la quatorzième an- née de son âge, et six mois après l’invasion des premiers symptômes de sa maladie. La singularité de l’affection à laquelle il avait succombé, les poils qu’il avait rendus par les selles, et les soupçons vagues auxquels des circonstances aussi extraordinaires avaient donné lieu , faisaient vivement désirer, de ses parens mêmes , l’ouverture de son corps. Elle fut faite le lendemain, par MM. Guérin et Berlin Desmardelles. Ces médecins décou- vrirent dans l’hypochondre gauche, au-des- sous de la rate, une très grande poche mem- braneuse , épaisse, adhérente à toutes les par- ties environnantes, et particulièrement à l’un des gros intestins, qu’ils présumèrent être le colon ;et dans cette poche, au milieu d’une matière purulente, épaisse et deux masses principales à peu près égales en vo- lume, situées transversalement amdevant delà colonne vertébrale , appliquées Eune à l’autre, et néanmoins bien distinctes. De ces deux TUMEURS HTDÂTfQUES. masses, l’une, placée inférieurement, était composée d’une forte poignée de cheveux en- trelacés ou feutrés; autour de celle-ci, étaient deux petits pelotons de poils semblables en tout à celui que le malade avait rendu par les selles six semaines avant sa mort; l’autre, si- tué plus consistait en une masse alongée, charnue et osseuse, et recouverte par delà peau. On voyait, àl’une de ses extrémités, une tête informe, avec des poils, des dents, une ébauche de nez, une sorte d’orbite d’un côté et d’oreille de l’autre; à l’extrémité opposée, on voyait un appendice en forme de membre, terminé par quelques languettes armées d’on- gles. Enfin de la partie moyenne de cette masse, qui semblait tenir lieu de la poitrine et du ventre , parlait un ligament épais est très court qui allait s’insérer aux parois du kyste. MM. Guérin et Bertin-Desmardelles, jugeant ce cas digne des recherches les plus attentives, enlevèrent, sans l’entamer, cette masse char- nue du bas-ventre, et l’emportèrent avec l’es- tomac, la rate et une partie du gros intestin. Ils constatèrent ensuite qu’il n’existait, nia l’extérieur ni à l’intérieur, aucune trace d’or- ganes féminins, et que le sexe d’Amédée Bis- LEÇONS DE M. DUPUYTREW. sien était vraiment et exclusivement masculin. Enfin, ils trouvèrent, en poursuivant la dis- section du reste du corps : i° que le foie était très volumineux , bien qu’il eût été comprimé et repoussé par elle dans l’hypochondre droit ; 2° que les poumons étaient blanchâtres, et qu’ils contenaient du pus infiltré dans toute leur substance* Yingt-deux jours après, on procéda à l’exhu- mation du cadavre, pour vérifier les faits qui viennent d’être racontés : MM, les docteurs Delzeuzes et Brouard, qui furent chargés de ce ne trouvèrent aucun vestige d’organes sexuels étrangers, à ceux qui caractérisent le sexe masculin. La vessie fut séparée avec précaution ; les vésicules séminales furent mises à découvert et examinées avec attention; le rectum lui-même fut vu tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et rien d’extraordinaire ne s’offrit aux regards. Enfin, les parties extérieures de la génération ayant été examinées avec soin , on trouva les testicules , les canaux déférens, ainsi que la verge, dans une parfaite intégrité et sans aucun vice de conformation, mais d’un développement très petit et relatif àla fai- TUMEURS H YDATIQUES. blesse du sujet, et l’état de souffrance dans le- quel il avait vécu. Un fait aussi extraordinaire méritait de fixer l’attention de tous les hommes de l’art, aussi M. Blanche s’empressa-t-il d’apporter la pièce à la Faculté de Médecine de Paris, où je fus chargé, dit M. Dupujtren, de faire un rapport sur cette grande anomalie des lois de la nature. Le premier fait que je constatai relativement àla position du fœtus, c’est qu’il était dans un kyste du mésocolon transverse, lequel n’avait communiqué que fort tard avec la cavité de par l’effet de la destruction d’une cloison quiles séparait. En continuant cet exa- men , je constatai que la masse organisée con- tenue dans le mésocolon transverse, avait plu- sieurs traits de ressemblance avec un fœtus , mais qu’elle offrait une foule de dispositions particulières, dont les unes tenaient essentiel- lement à des vices de conformation , et dont les autres semblaient être liées à des déforma- tions successivement amenées par le temps et par le séjour qu’elle avait fait dans le kyste du mésocolon. 11 était, au reste, un moyen plus sûr de dé- LEÇONS DE M. DUPDYTREN. terminer le véritable caractère de celte pro» duction, c’était la dissection de cette masse. Je la fis avec un soin très grand, et je décou- vris la trace de quelques organes des sens : un une moelle de l’épine, des nerfs très volumineux, des muscles dégénérés en une sorte de matière fibreuse, un squelette composé d’une colonne vertébrale, d’une tête, d’un bassin et de l’ébauche de presque tous les membres ; enfin , dans un cordon ombilical, fort court et inséré au raésocolon Iransverse, hors de la cavité de l’intestin , une artère et une veine ramifiées par chacune de leurs extrémités, du côté du foetus et de l’individu auquel il tenait. L’existence des organes précédons suffisait certainement pour établir l’individualité de cette masse organisée, quoique d’ailleurs elle fût dépourvue des organes de la digestion, de la respiration , de la sécrétion des urines et de la génération ; l’absence de ces parties pou- vait tout au plus la faire regarder comme un de ces fœtus monstrueux, destinés à périr au moment de leur naissance. Nous ne nous arrêterons point sur les sup- positions plus ou moins hasardées qui ont été données de la présence de ce fœtus dans le corps du jeune Bissieu ; nous ferons seule- ment remarquer qu’il n’est pas rare de voir des jumeaux naître accolés par le dos, par le ventre , par la tête ou par plusieurs parties en même temps. Une compression plus ou moins forte, exercée par les organes de la mère sur des embryons extrêmement mous , pendant la conception on peu de temps après, peut produire ces monstruosités. Dans d’autres cas, qui ne sont pas non plus très rares, les jumeaux sont tellement identifiés que plusieurs organes manquent à chacun d’eux, et sont remplacés par des organes communs qui servent à la fois à la vie des deux. Dans je premier cas, la monstruosité est due à une cause mécanique ; et dans la second, elle tient à un "vice primi- tif dans l’organisation des germes. TUMEURS HYDATIQüES. L’une de ces explications étant admise, le sexe de l’individu, qui a si long-temps servi de mère à notre fœtus, devenait indifférent : ce fœtus s’est dès lors comporté comme tous les produits des conceptions extra-utérines. En effet, à quelques parties que s’attachent des germes fécondés, leur mode de nutrition est le même. Ils puisent dans toutes , à l’aide de LEÇONS DE M. DüPüYTUEJT. vaisseaux qui leur sont propres, des liquides nourriciers; ils se développent et s’accroissent jusqu’au terme marqué par la nature pour leur expulsion ; et s’ils ne peuvent être ex- pulsés lorsque ce ternie est arrivé , ils se putréfient et se convertissent en gras, se des- s’ossifient, ou bien ils végètent, jus- qu’à ce que leur présence, en irritant les par- ties voisines, détermine la formation d’abcès et provoque leur sortie. G’est en effet ce qui paraît être arrivé dans le fait qui nous occupe. ïl serait nécessaire, pour compléter notre travail, de déterminer le degré d’importance de ce phénomène ; mais on sent qu’il faudrait pour cela que sa véritable cause fut connue ; alors seulement on pourrait juger de son im- portance par les lumières plus ou moins vives qu’il jeterait, tant sur l’œuvre naturel de la génération que sur les irrégularités de celle fonction. Au reste, en ne le considérant que comme un fait extraordinaire, il n’en mérite pas moins une grande à cause de son extrême rareté. FRACTURE DE L’EXTRÉMITÉ DE I’hüMÉKUS. 393 ARTICLE XV. DE LA FRACTURE DE L’EXTRÉMITÉ INFÉRIEURE DE L’HUMÉRUS SIMULANT LA LUXATION DU COUDE EN ARRIÈRE. On ne saurait assez insister, dit M. Dupuj- tren, sur le diagnostic des fractures et des luxa- tions, car on rencontre à chaque instant dans les hôpitaux beaucoup de cas qui ont échappé à la sagacité et à l’observation des grands maîtres. C’est ainsi que les affections de l’ar- ticulation coxo-fémorale , les luxations sca- pulo-humérales , les fractures de l’extrémité inférieure de l’humérus , celles de l’extrémité inférieure du radius, et en général toutes les solutions de continuité au voisinage des ar- ticles j sont les sources de nombreuses er- reurs (i). Plusieurs de ces sujets ont été traités (i) On peut consulter avec fruit, sur ce sujet, un très bon ré- sumé des leçons cliniques de M. Dupuytren sur cette matière, fourni par M. le docteur Marx, au Répertoire d’anatomie patho- logique de M. Breschet, LEÇONS DE M. DUPUYTREN. par nous dans les leçons précédentes ; nous allons aujourd’hui nous occuper des fractures de l’extrémité inférieure de l’humérus simu- lant les luxations de i’avant-bras en arrière. Rien n’est si commun que de voir prendre la fracture de l’extrémité inférieure de l’hu- mérus, immédiatement au-dessus de l’articu- lation cuhito-humérale, pour une luxation en arrière de cette articulation; il importe cependant de bien reconnaître cette maladie, puisque le défaut de traitement amène une infirmité désormais incurable. Supposons la fracture transversale et placée immédiatement au-dessus des condyles : l’olé- crâne est attiré en arrière et en haut par le muscle triceps brachial, le fragment supé- rieur est porté en avant, et simule la surface articulaire inférieure de l’humérus. La saillie formée par Tolécrâne est tellement forte, qu’en comparant les deux articulations, on voit cette apophyse du côté malade excéder celle du côté sain, de douze à dix-huit lignes. Enfin, le dia- mètre antéro-postérieur du bras près du coude est sensiblement augmenté : vous avez là en apparence tous les signes de la luxation. Si l’on admet cette dernière opinion, on fait des FRACTURE DE I’eXTRÉMITÊ DE I’hüMÉRÜS. efforts d’extension et de contre-extension : d’ordinaire, la réduction offre peu de diffi- culté. Omtipplique un bandage, et Ton s’ap- plaudit de la facilité avec laquelle on a remis les os en place. Mais bientôt le dépla- cement se reproduit; au bout de cinq ou six jours, au milieu du gonflement on trouve quelque chose qui n’est point naturel. Cet ac- cident est attribué le plus ordinairement au malade qu’on accuse d’indocilité. La réduc- tion a de nouveau lieu, mais la difformité ne tarde pas à la suivre ; il survient alors un gon- flement considérable. Le chirurgien reste dans la sécurité tant qu’il n’est point diminué ; lorsqu’il est disparu, jui bout d’un mois, six semaines ou deux mois, il reconnaît l’erreur commise , mais il n’est plus temps de la répa- rer, le malade est estropié ; les mouvemens sont considérablement diminués, ou singuliè- rement gênés. En général, si douze ou quinze jours se sont écoulés depuis la fracture, et qu’elle ait été méconnue, on ne peut plus rien faire pour le malade : le gonflement des parties environnantes met un obstacle presque insurmontable à une réduction complète, et la difformité est incurable. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Ire Observation. —Fracture de l’extrémité de l’humérus y prise pour une luxation. Cal difforme. Gêne des mouvemens de J,’articula- tion huméro - cubitale. Dans les derniers jours du mois de décem- bre de Tannée 1832, on amena à M. Dupuytren un jeune enfant, qui étant monté sur un âne, avait fait une chute un mois auparavant. Deux médecins successivement appelés, diagnos- tiquèrent une luxation, et la traitèrent en conséquence. Il paraît que le second médecin fut consulté pour une récidive de la diffor- mité. Lorsque cet enfant fut examiné par M. Dupuytren. il y avait une tumeur en avant qui offrait des inégalités , c’était évi- demment l’extrémité inférieure de l’humérus; Tolécrâne proéminait en arrière. Il est très probable, qu’en raison du jeune âge du sujet, il y avait seulement décollement de Tépi- physe; les deux fragmens étaient réunis vi- cieusement par un cal difforme. Quel parti prendre? La rupture du cal parut dangereuse à M. Dupuytren: remarquant que la princi- pale incommodité était l’impossibilité d’é- tendre Tavant-bras, il fit appliquer une ma- chine destinée à rétablir l’extension par de- FRACTURE DR I’eXTREMITÉ DE I’hüMÉRUS. grés ; ce moyen a en partie réussi ; mais le professeur a lui-même annoncé qu’il y aurait toujours de la difformité, et une incapacité dans les mouvemens. Le grand moyen de distinguer la fracture de la luxation, est la crépitation. Si donc le chirurgien est appelé peu de temps après l’ac- cident , il doit, le bras étant saisi d’un côté, l’avant-bras de imprimer aux deux portions du membre supérieur, des mouve- mens de haut en bas et de bas en haut, ou d’avant en arrière et d’arrière en avant; pres- que toujours alors il perçoit le bruit caracté- ristique des fractures; ajoutez à cela que des efforls d’extension et de contre-extension mo- dérées ramènent ordinairement très promp- tement les parties dans leurs rapports naturels. Néanmoins, il faut convenir que parmi les luxations , une des plus faciles à réduire , une de celles qui exigent le moins d’efforts, c’est celle du coude. La crépitation, signe précieux de l’exis- tence des fractures, ne s’obtient plus que d’une manière, très obscure, si même elle n’écbappe tout-à-fait, pour peu que le gonfle- ment soit survenu. Alors, il est vrai, la ré- LEÇONS DE M. DUPUYTREX. duction du déplacement est toujours plus fa- cile q,ue dans la luxation, et la mobilité plus grande. Mais qui oserait se prononcer sur de pareils indices? I! est heureusement une res- source capitale , un signe pathognomonique qui peut remplacer la crépitation. Saisissez un fragment de chaque main , le pouce appli- qué en avant et dirigé vers la fracture , et tentez ainsi la réduction. Ce simple effort, sans autre moyen, suffit le plus souvent, sur- tout dans les vingt-quatre ou trente-six heures qui suivent la fracture. Mais la réduction ainsi parfaitement opérée, faites mouvoir l’avant-bras en arrière : s’il y a luxation , la réduction persiste; s’il y a fracture, le dépla- cement reparaît immédiatement. M. le docteur Malgaigne, qui a publié, dans la Gazette Médicale, des observations sur cette espèce de fracture, pense qu’on peut ajouter d’autres moyens de diagnostic diffé- rentiel à ceux qui viennent d’être signalés. Dans la luxation, dit-il, l’articulation est dé- truite, et les mouvemens de flexion et d’ex- tension sont impossibles; dans la fracture, elle est intacte, et probablement ces mouve- mens sont en partie conservés. Ceci ne servi- FRACTURE DE I’eXTRÉMITÉ DE L/HUMÉRUS. rait encore que dans les premiers temps de la fracture ; mais à quelque époque que ce soit, il y a un signe anatomique qui nous paraît infaillible, chaque fois qu’on parviendra à le reconnaître ; c’est que, quelle que soit la saillie de l’olécrâne en arrière, elle n’est ja- mais plus éloignée des tubérosités humérales que dans Tétât naturel, y a fracture ; elle Test beaucoup s’il y a luxation. De même, dans ce dernier cas, la saillie antérieure est plus arrondie et moins étendue en largeur ; dans le premier cas, elle a la largeur de l’articu- lation elle-même. Nous ne prévoyons aucune chance d’erreur; le diagnostic est aussi sûr que Tanatomie. Resteraient les cas où le gon- flement des parties molles masqueraient assez les saillies naturelles des os, chose possible à toute force, quoique assez difficile à imaginer; mais alors il ne s’agirait plus de déterminer la nature du déplacement, et il est bien pro- bable que le déplacement même ne pourrait être reconnu. IIe Observation. Fracture de Vextrémité inférieure de l’humérus simulant une luxation du coude en arrière. Guérison sans difformité. D..., âgé de vingt-sept ans, d’une haute LEÇONS DE M. DUPüYTREN’. stature et d’une constitution très forte, tombe dans un fossé sur le coude gauche, et est reçu presque immédiatement après, salle Saint- Corne, pour y être traité, d’après le dire du chirurgien qu’il a consulté, d’une luxation du coude. A son entrée, l’articulation huméro-cubi- tale gauche est déformée ; un gonflement énorme occupe l’extrémité inférieure du bras qui est tendu et très douloureux. L’avant-bras est dans un état de demi-flexion ; les doigts, portés sur la tumeur, reconnaissent, malgré la tension des parties, une saillie dure, légè- rement inégale , rugueuse, qui occupe le pli du coude et soulève les muscles brachial anté- rieur et biceps ; en arrière, l’olécrâne fait saillie sous la peau, et est légèrement élevée au-dessus du niveau des condyles ; les mouve- mens de flexion et d’extension sont impossi- bles ; si l’on cherche à les produire , le malade accuse une douleur excessivement vive. Certes, on ne peut disconvenir que jusque-là la mala- die ne se présente avec tous les symptômes de la luxation du coude en arrière ; aussi, à moins d’une grande habitude des fractures, est-il facile de s’en laisser imposer par ces signes , et fracture de d’extrémité de d’humérus. de n’y voir, comme beaucoup l’on fait, qu’une luxation du coude. Cependant les mouvemens imprimés en sens contraire aux extrémités inférieure du bras et supérieure de l'avant- bras, font sentir une mobilité anormale et une crépitation distincte. Dès lors il ne peut plus exister aucun doute sur la nature de la lésion que M. Dupuylren annonce être une fracture de l’extrémité inférieure de l’humérus , à quelques travers de doigt au-dessus des con- djles. Tous les symptômes qui avaient pu si- muler la luxation du coude sont facilement expliqués par le siège de la fracture. On con- çoit en effet très bien, comme l’a judicieuse- ment indiqué le célèbre professeur, que la continuité de l’humérus étant interrompue , son extrémité articulaire inférieure n’offrant plus par cela même un appui solide, une es- pèce d’arc-boutant à l’extrémité supérieure du radius et du cubitus, l’apophyse olécrâne obéisse aux contractions du muscle triceps, qui tend sans cesse à l’attirer en haut ; on conçoit encore que par suite de cette ascen- sion (qui rend compte à la fois et de la saillie formée en arrière sous la peau par cette apo- phy se , et de la demi-flexion forcée de l’avant- LEÇONS DE M. DUPUYTKEN. bras), le Fragment inférieur de l’humérus in- timement uni au cubitus, participe à l’impul- sion qui sollicite ce dernier; par suite de leur direction il éprouve nécessaire- ment un mouvement de bascule en vertu du- quel son extrémité supérieure est portée en avant, et vient faire saillie sous les muscles brachial antérieur et biceps qu’elle soulève. Le jour de l’accident, la réduction parfaite n’avait pu être obtenue à cause des douleurs que déterminaient les tentatives pour l’effec- tuer, et sur-tout à cause du gonflement consi- dérable des parties. On s’était borné à placer le membre dans un état de demi-flexion sur un plan horizontal d’oreillers , après l’avoir recouvert de compresses trempées dans de l’eau de Goulard. Une forte saignée est im- médiatement pratiquée à l’autre bras ( tilî., orang. , potion diacodée, diète). Le lendemain, M. Dupuytren achève la réduction; il fait assujélir l’épaule du côté malade, et pendant qu’un aide exécute des tractions sur l’avant-bras demi-fléchi ( de telle sorte que le membre est converti en un levier du troisième genre, dont le point d’appui est au poignet embrassé par une des mains de FRACTURE DE I’exTKÉMITÉ DE I’hUMÉRUS. l’aide, la puissance dans le pli du bras où ap- puie l’autre main , et la résistance sur le frag- ment inférieur), il saisit de ses deux mains l’extrémité inférieure du bras au niveau de la fracture, repoussant fortement l’olécrâne en avant et le fragment inférieur en arrière. La réduction étant parfaite, le bras toujours couché sus le plan d’oreillers, dans une posi- tion intermédiaire à la flexion et à l’extension, est placé, sur le bandage ordinaire de Scul- let; quelques compresses graduées sont ap- pliquées en circulaire sur l’extrémité infé- rieure du bras, de manière à correspondre aux deux saillies osseuses et à remplacer les doigts qui les ont fait disparaître. Elles sont aussi assujetties par deux compresses longuettes, et successivement, par les autres pièces de l’ap- pareil, qui ont été préalablement arrosées d’eau froide, rendue plus sédative par l’addition d’une certaine quantité d’acétate de plomb. Enfin les deux coussins latéraux sont repliés sur eux- mémes à leur extrémité inférieure, pour qu’en serrant l’appareil on puisse faire porter les attelles spécialement sur les compresses graduées , et leur faire pousser continuelle- LEÇONS DE M. DUPUYTUEN. ment en sens contraire l’olécrâne et l’extré- mité supérieure du fragment inférieur. Le deuxième jour, état très satisfaisant ; l’appareil un peu relâché parla diminution du gonflement est resserré ( til., orang., un quart d'alimentation.) Le sixième jour, D... se plaint d’éprouver de la douleur ; l’appareil est défait ; une légère saillie des fragmens s’est reproduite. Quelques efforts d’extension suffisent pour opérer une réduction complète, et l’appareil est immé- diatement réappliqué. Les jours suivans , aucune douleur ; néan- moins, dans la crainte d’un nouveau déplace- ment , M. Dupuytren visite de temps en temps l’appareil, et toujours les parties sont trouvées parfaitement conformes, les saillies osseuses entièrementeffacées. Chaque fois l’appareil est réappliqué avec la même précaution de refou- ler en haut le fragment inférieur et Lolécrâne en avant Le trente-troisième l’appareil est défi- nitivement levé, la consolidation des parties est opérée, et cette consolidation est telle qu’il n’existe pas la moindre difformité. fracture de l’extrémité le l’humérus. Le quarante-cinquième jour, D... quitte* la salle Saint-Côme , pouvant déjà exécuter des mouvemens assez étendus de flexion et d’extension. L’histoire de cette fracture est digne du plus grand intérêt, et pour la nature insidieuse des symptômes qui en ont imposé à des praticiens pour une luxation du coude, et pour le méca- nisme du déplacement qui a été si bien expli- qué par M. Dupuytren, et pour les indications à remplir qu’il a si habilement posées, et en- fin pour le succès du traitement qui a été tel qu’un des élèves de ce célèbre chirurgien ayant eu l’occasion de revoir le malade quelques semaines après sa sortie de l’hôpital, puise convaincre, qu’à l’exception de quelque gêne qui existait encore dans les mouvemens de l’ar- ticulation , il ne restait aucune trace visible de la fracture. IIIe Observation. - Fracture oblique de l'humérus gauche à sa partie inférieure, près de l’articulation du coude. Plaie. Signes de luxation du coude en arrière. Réduction, Sortie le cinquante-quatrième jour. P.*., âgée de 23 ans, bien constituée, bien réglée, entra à l’Hôtel-Dieu le 18 octobre 1821, LEÇONS DE M. DUPUYTREN. pour y être traitée d’une lésion à l’extrémité inférieure de l’humérus gauche près de l’ar- ticulation du coude; il y avait déplacement con- sidérable et plaie au niveau de l’olécrâne. Une chute en arrière sur le pavé avait déter- miné l’accident. Au moment même, douleur extrêmement vive. Impossibilité d’exécuter aucun mouvement. Le membre Fut examiné soigneusement peu de temps après. Au déplacement qui existait, on eût cru d’abord avoir affaire à une luxation du coudé. En effet, le fragment inférieur remontait très haut en arrière, et simulant ainsi la présence de l’extrémité supérieure des os de l’avant- tandis que le fragment supérieur de l’hu- mérus descendant fort bas au-devant de l'infé- rieur, formait là une saillie qui représentait l’extrémité inférieure de l’os du bras dans le cas de luxation du coude en arrière. Le mem- bre était d’ailleurs raccourci, et toute espèce de mouvement impossible. Mais la mobilité des fragmens, leur crépitation, sur-tout l’intégrité de l’articulation du coude, firent bientôt re- connaître l’espèce de lésion qu’on avait à traiter. La fracture était oblique et avait son siège FRACTURE DE L.’EXTRÉMITÉ DE I’hUMÉRUS. à un pouce environ de l’articulation. La plaie qui existait en arrière avait été produite par le sol; elle ne communiquait point avec le siège de la fracture,. Le cas fut pourtant jugé grave. En effet, l’inflammation pouvait se propager jusqu’à l’articulation et donner lieu à des suites fâcheuses. La réduction de la fracture fut opérée à l’aide de l’extension, de la contre-extension, et de la coaptation. Bientôt le membre eut repris sa bonne conformation. La plaie du coude fut couverte d’un linge fin, enduit de cérat et percé de beaucoup de trous; un plumasseau de charpie fut placé par dessus ; on procéda ensuite à l’application de l’appareil propre à maintenir la fracture ré- duite. Tout le bras fut couvertde compresses trem- pées dans une liqueur résolutive; et pour s’op- poser à la tendance qu’avaient les fragmens h se déplacer, on mit le membre sur le bandage ordinaire de Scultett et on plaça sur les faces antérieure et postérieure des gra- duées, des coussins repliés à leur partie infé- rieure et des attelles de la longueur du bras environ. Le pansement terminé, on coucha le membre sur un oreillér couvert d’un drap plié en plusieurs doubles. Une saignée abondante fut pratiquée, le repos absolu et une diète sévère furent recomman- dés, des boissons délayantes furent adminis- trées; la malade se trouva bien. Le soir même, on lui fit prendre dans quatre onces de looch blanc, une demi-once de sirop diacode ; ce re- mède produisit un très bon effet; il y eut plusieurs heures de sommeil pendant la nuit. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Le lendemain et jours suivans, la malade continue de bien aller ; elle souffre peu, et n’a aucun symptôme qui puisse causer de l’in- quiétude, on insiste sur la diète absolue et sur les boissons délayantes. Le quatrième jour. on lève l’appareil pour la première et tout est trouvé en très bon état : la plaie du coude commence à entrer en suppuration , ce qui oblige a renouveler cha- que jour le pansement ; heureusement , la cicatrisation ne se fait pas long-temps atten- dre, et dès-lors on ne renouvèle plus le pan- sement de temps à autres. Au bout de quarante jours , la consolida- tion de la fracture est entièrement opérée et sans difformité apparente. FRACTURE DE I’eXTRÉMITÉ DE I’hUMÉRUS. Le cinquante-quatrième jour, la malade sort de l’hôpital parfaitement guérie, ayant déjà recouvré une partie des raouvemens de son membre. On a dit, et le célèbre Cooper a lui-même remarqué que cette fracture était beaucoup plus fréquente chez les enfans que dans un âge plus avancé;- on voit cependant, par les deux exemples que nous venons de citer, et auxquels nous pourrions en ajouter plusieurs autres, qu’elle se rencontre à des époques plus avancées de la vie. Ceci posé, voyons la conduite que doit te- nir le chirurgien ? Si donc, il est appelé au- près d’un malade qui présente les signes d’une fracture de l’extrémité inférieure de l’humérus, ou d’une luxation de l’articula- 4*on huméro-cubitale, il prend l’avant-bras d’une main et le bras de l’autre, et remet or- dinairement, dans le cas de fracture et lors- qu’il n’y a pas de gonflement, les parties en situation avec la plus grande facilité ; mais le malade fait-il le moindre mouvement, le dé- placement est reproduit tant en avant qu’en ar- rière. Qu’il n’hésite plus alors à croire qu’il y a un déplacement consécutif par suite de frac- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. turc. Si dans ce cas, un médecin dit qu’il y a luxation , et qu’un autre affirme qu’il y a frac- ture , il ne doit pas balancer à se ranger à l’o- pinion de celui qui admet la fracture, parce que., dans celte opinion , il ne laisse courir au- cune chance de déformation , d’impotence , de gonflement et de maladies consécutives. L’inconvénient d’ailleurs est fort léger, si l’on a à traiter une luxation ; le malade sera, il est vrai, resté dans un appareil beaucoup plus long-temps qtie s’il n'y avait pas eu frac- ture; mais encore une fois cet inconvénient n’est pas à comparer aux résultats d’une mé- prise contraire. Le diagnostic établi, quel appareil appli- querons-nous? vous le connaissez déjà par les observations que nous vous avons rapportées. Nous allons maintenant l’exposer plus en dé* tail. L’extension, la contre-extension, la coap- tation étant convenablement faites, et la ré- duction obtenue, on place le membre sur un plan d’oreillers préalablement recouvert du bandage ordinaire de Scultett ; la position à donner au bras est celle qui est intermédiaire à la flexion et à l*extensioo> on met ensuite des compresses graduées, larges de trois travers de FRACTURE DE I’eXTRÉMITÉ DE I’hüMÉRUS. doigt environ , longues de trois à quatre pouces seulement, un peu plus épaisses vis-à-vis les fragmens , sur les faces antérieure et posté- riêure de l’humérus. Ces compresses sont ra- menées en circulaire sur les deux fragmens et maintenues par deux compresses lon- guettes. Le bandage à bandelettes séparées est ensuite appliqué, puis on met un coussin dont on replie une des extrémités, afin de la doubler dans le point qui doit appuyer sur la partie intérieure de l’humérus. La même chose a lieu pour l’olécrâne. De cette ma- Fhumérus est repoussé en arrière, et l’olécrâne en avant. Une attelle courte est placée sur chaque coussin, et on sert un peu fortement les liens , afin de donner plus d’ac- tion et de prise aux coussins. Douze ou quinze jours après l’application de cet appareil, les fragmens sont placés de manière à ne pouvoir plus se déranger. La tuméfaction qui s’est faite dans les parties environnantes , est un obstacle au déplacement consécutif. Ainsi, le gonfle- ment qui, dans le cas de fracture , prise pour une luxation , ne permet plus au bout de quel- ques jours la réduction, devient, si l’on ne s’est pas trompé, un auxiliaire très utile pour la guérison. 412 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. ARTICLE XVI. DE L’ENOSTOSE DE LA FACE SUPÉRIEURE DE LA DERNIÈRE PHALANGE DU GROS ORTEIL. En vous entretenant, dans une de nos der- nières leçons, de l’ongle rentré dans les chairs, nous avions omis, à dessein, de vous parler de l’exostose de la face supérieure de la dernière phalange du gros orteil, parce que nous at- tendions une occasion favorable de le faire. Elle s’est présentée ces jours derniers, et elle nous,a convaincu en même temps que nos idées sur ce point n’étaient pas généralement répandues. Un médecin distingué de la capi- tale , qui avait servi autrefois en qualité de chirurgien dans les armées françaises, me vint consulter pour son enfant, qu’il croyait atteint d’un ongle rentré dans les chairs. J’examinai le petit malade avec soin , et je reconnus bien- tôt que le prétendu ongle incarné n’était qu’une exostose de la face supérieure de la phalange, et que la matrice de l’ongle n’était point altérée. Vous vous rappelez la jeune EXOSTOSE DU GROS ORTEIL. femme qui vint à la visite , il y a environ trois mois, avec une tumeur sur la face supérieure du gros orteil. Au premier coup d’œil, on eût pu croire qu’il y avait altération de l’ongle; une incision de chaque côté mît à nu le mal; je l’enlevai ensuite; et cette femme fut, au bout de quelque temps, entièrement guérie de son exostose et de sa maladie apparente de l’ongle. Les trois observations suivantes vous donneront des notions plus étendues sur cette affection. Ire Observation. Exostose située a F ex- trémité du gros orteil. Emery Louise, ouvrière en linge, âgée de vingt-deux ans, d’une bonne constitution, bien réglée , issue de pa- rens sains et assurant n’avoir jamais eu d’af- fection vénérienne , vint consulter M. Dupuy- tren le 28 décembre 1821. Depuis environ deux ans , cette fille porte, à l’extrémité de la dernière phalange du gros orteil et près de son bord externe, un tuber- cule osseux très dur, indolent, à moins d’une forte pression ; sa base large a déjelé en de- hors l’ongle, qu’elle a en même temps usé corrodé. Cette fille n’assigne aucune cause à son mal; 414 LEÇONS DE M. DUPUYTKEN. il a commencé, ily a pins de deux ans, par quelques douleurs au bout de l’orteil, dou- leurs qui n’augmentaient pas la nuit, mais qui étaient exaspérées par la marche et la pres- sion. Celte tumeur est peu à peu arrivée au volume qu’elle a maintenant. D’après le con- seil de M. Dupuytren, elle s’est décidée àen faire pratiquer l’extirpation. lle Observation. Exostose de la der- nière phalange du gros orteil. Loury Cathe- rine, âgée de vingt couturière, de- meurant rue des Arcis , n. 12 , portait depuis dix-huit mois à la partie externe et inférieure du gros orteil du pied gauche une tumeur dure, osseuse, dont les pro- grès ont été fort lents, si l’on considère l’é- poque de son premier développement et son volume qui égalait tout au plus le volume d’une petite noix : la maladie ne pouvait se rapporter à aucune cause connue. Cette tu- meur paraissait naître au devant de la première phalange du pouce , où elle soulevait un peu l’ongle. Du reste elle n’était point doulou- reuse par elle-même, mais elle nuisait à la marche. Le 8 janvier 1822 ; cette jeune fille se pré- EXOSTOSE DU GROS ORTEIL. Senta à la consultation , et M. Dupuylren lui ayant proposé L'enlèvement de la tumeur, elle y consentit et on y procéda de la manière suivante :La malade, couchée sur un lit, et son pied fixé par un aide, M. Dupuytren cerna la tumeur par deux incisions demi-ovoï- des et l’enleva en grande partie du premier coup ; quelques portions encore furent en- suite extirpées à leur tour et l’on put se con- vaincre de ce que cet habile chirurgien avait annoncé à sa leçon , c’est-à-dire que la tumeur était de nature osseuse, et que deux subs- tances entraient dans sa composition, à l’exté- rieur de la substance compacte et de la sub- stance spongieuse à l’intérieur. La plaie fut pansée simplement et la malade retourna chez elle. Le 12 janvier, la malade s’est présentée de nouveau à nous, la plaie dont l’étendue est diminuée, suppure et est en voie de guérison. IIIe Observation. Une jeune femme, âgée de vingt-cinq à vingt-six ans, était af- depuis deux ans, d’une tumeur sous l’ongle du gros orteil : d’abord fort petite, cette tumeur grossit de plus en plus, souleva , déforma l’ongle, et rendit la marche très pé- LEÇONS DE M. DUPÜYTRKN, nible. La malade consulta alors un maréchal expert, qui crut reconnaître dans cette affec- tion une verrue et la cautérisa. Loin de dimi- nuer sous l’influence de celte médication ? le mal ne fit que s’accroître ; la tumeur augmenta considérablement de volume, l’ongle se re- courba de plus en plus , et son extrémité an- térieure , renversée en arrière, touchait pres- que sa racine j il était d’ailleurs rugueux , inégal, et d’une couleur jaune foncée. Les souffrances que 4a malade éprouvait la déter- minèrent à entrer à l’Hôtel-Dieu , pour s'y faire traiter. Le 3 juin, M. Dupuytren procéda à l’extir- pation de celte exostose, à l’aide d’un bis- touri; il fît de chaque côté du gros orteil une incision semi-lunaire; il mit ainsi à nu la tu- meur osseuse située sous l’ongle, et avec le même bistouri la coupa complètement. Elle était d’une plus grande dureté qu’on ne l’au- rait cru d’abord, et sa section avec cet instru- ment lut assez difficile. Néanmoins elle fut tout-à-iait enlevée : aucune autre circonstance ne se présenta durant, cette opération, qui fut très simple et très promptement faite. (Communiquée par M. le docteur Paillard.) EXOSTOSE DU GROS ORTEIL. Nous avons inséré dans le t. 3 des Leçons orales, p. 58, une observation Fort curieuse, relative à une tumeur de ce genre. Cette maladie n’a point été décrite, que je sache, par les auteurs. Elle consiste dans une exostose pyramidale naissant de la face supé- rieure de la dernière phalange du gros orteil, qui soulève plus ou moins l’ongle ? le déforme, et rend la marche douloureuse et quelquefois impossible. Quoique peu dangereuse par elle «même, elle est très incommode, et a donné souvent lieu à des méprises qui ont conduit à des opé- rations douloureuses, et tout-à-fait inutiles au malade. Dans son principe , l’exostose n’est point accompagnée de douleurs; mais peu à peu celles-ci se déclarent à mesure que l’ongle est soulevé par la tumeur. Elles sont considéra- blement accrues, et deviennent quelquefois excessives, quand les malades heurtent dans la marche leur gros orteil contre un corps dur, tel qu’un pavé, par exemple. Les causes maladie sont ignorées; le plus fréquemment elle survient chez des individus qui n’ont point reçu de coup sur LEÇONS DE M. DUPDYTREN. cette région, qui n’ont point mis de chaussures trop étroites. Néanmoins, on la voit quelque- fois se déclarer chez des personnes dont cette partie a été exposée à une violence extérieure quelconque. Le virus vénérien et le vice scro- phuleux ne paraissent pas la déterminer plus que toute autre cause. Il semble peu probable en effet qu’une affection qui se présente tou- jours avec les mêmes symptômes, et dont les effets sont absolument identiques, puisse être produite par des causes si dissemblables. Le plus ordinairement, les malades pren- nent cette tumeur pour une verrue, et cette erreur a souvent été partagée par les prati- ciens. Pénétrés de cette idée, ils ont employé contre cette maladie la cautérisation , qui, dans celte circonstance , produit toujours des effets fâcheux. Dans d’autres cason croit à une maladie de l’ongle, ainsi que cela est ar- rivé dernièrement ; et plusieurs fois on a fait l’extirpation de cet organe. Le mal augmentant de plus en plus, l’ongle se déforme davan- se recourbe d’avant en arrière en forme de trompette et on voit quejquefois son ex- trémité antérieure se reployer de manière à aller rejoindre sa racine. EXOSTOSE DU GROS ORTEIL Si Ton dissèque cette tumeur lorsqu'elle est parvenue à ce degré, on trouve qu’elle est for- mée par la peau, par du tissu fibreux et par une tumeur osseuse , pyramidale, née de la face supérieure de la dernière phalange. Cette exostose est constituée par du tissu spongieux, recouvert par une lame plus ou moins épaisse de tissu compacte. Ordinairement cette exos- tose n’est point très dure, et peut être faci- lement traversée , coupée, enlevée par un fort bistouri. Quelquefois cependant, elle est très dure ,et dans certaines circonstances, il faut avoir recours à des instrumens plus soli- des pour pouvoir l’enlever, tels que la gouge et le maillet. Laisse-t-on la maladie s’accroître continuel- lement, des ulcérations d’une nature plus ou moins mauvaise peuvent se déclarer, et con- tribuer encore à rendre la marche plus diffi- cile et plus douloureuse. J’ai vu une fois, con- tinue M. Dupujtren, un chirugien enlever la dernière phalange du gros orteil, pour une tumeur de cette nature, qui avait déterminé nue affection ulcéreuse. Le seul moyen de débarrasser les malades des incommodités auxquelles donne lieu celte LEÇONS DE M. DUPUYTREN. exostose, consiste dans son extirpation complè- te. L’enlèvement de l’ongle est quelquefois né- cessaire • dans le plus grand nombre de cas, il est inutile. A l’aide d’un bistouri * on fait dé chaque côté de l’ongle une incision demi-cir- culaire. Ces incisions mettent à découvert et cernent la tumeur osseuse; alors avec le bis- touri , ou avec la gouge et le maillet, on en- lève l’exostose. Il ne faut pas se borner à re- trancher le sommet, car alors le mal se re- produirait. J’ai eu l’occasion, dit M. Dupuj- Iren, d’extirper,au moins une trentaine de ces sortes de tumeurs, et j’ai toujours obtenu, par ce mojen, la guérison complète des malades. TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. 421 ARTICLE XVII. DES TUMEURS FIBRO-CELLULEUSES DE L’UTÉRUS, Vulgairement désignées sous le nom de polypes de la matrice. Dans le courant de janvier dernier ( i 833), on reçut, presque en même temps dans les salles de chirurgie de l’Hôtel - Dieu, deux femmes portant, dans la matrice, de ces pro- ductions anormales qu’on appelle encore vul- gairement poljpes utérins. L’une , .âgée de quarante-six ans, se plaignait d’avoir, depuis un mois, un écoulement de sang par le vagin, auquel, depuis huit jours, avait succédé un écoulement en blanc, sanieux et légèrement fétide; elle prétendait n’avoir éprouvée jusque là aucun phénomène indiquant une lésion de la matrice. Nous ne pouvons, dit M. Dupuj- tren, ajouter foi à cette assertion : il est une classe de femmes qui, endurcies par des tra- vaux pénibles, des fatigues de tous genres, et habituées pour ainsi dire à une foule d’incom- LEÇONS DE M. DUPÜVTREN. modites, ne s’observent point et ne peuvent rendre compte de ce qu’elles éprouvent, que lorsqu’ilsurvient une réaction générale ouquel- que accident particulier qui les oblige à garder le lit ou à suspendre leurs occupations ordi- naires. Touchée en ville, sa maladie avait été méconnue, et on lui avait annoncé qu’elle avait un cancer de l’utérus. Depuis quelque temps il existait une constipation opiniâtre, facile- ment explicable par la compression que la tumeur exerçait sur le rectum. Nous lui avons fait donner des iavemens légèrement purgatifs; les selles se sont rétablies , et la malade s’est trouvée tellement soulagée, que peu s’en faut qu’aujourd’hui elle ne se croie guérie et ne refuse l’opération. Mais le polype a le volume de plus de la moitié du poing; on trouve à sa surface quelques ulcérations superficielles ; cependant l’écoulement ne présente pas cette fétidité repoussante, si ordinaire à une certaine époque de ces affections. L’autre malade est âgée de quarante-huit ans. Remarquez cette coïncidence d’âge chez ces deux femmes : c’est en effet vers celte période de la vie, c’esl-à-dire de trente-huit à cinquante ans que surviennent le plus géné- TUMEURS FIBREUSES DE l/üTÉRÜS. râlement les maladies organiques de l’utérus. Depuis un an, celle-ci était affectée d’une perte en rouge, continuelle et fort abondante, qu’elle appelle ses règles et quelle explique sans en être fort inquiète, en disant que ces pertes sont communes parmi les femmes arri- vées à l’âge critique. Depuis un mois environ, cet écoulement sanguin s’est transformé en un écoulement sanieux, d’une horrible féti- dité. Elle a éprouvé, dit-elle, fréquemment des douleurs dans les reins, des tiraillemens aux aînés et aux cuisses, un sentiment douloureux de pesanteur au fondement, et ce dernier symptôme est celui dont elle se plaint le plus aujourd’hui. Nous l’avons touchée et avons reconnu l’existence d’un polype qui a au moins le volume du poing. En le circonscrivant avec le doigt, on trouve que légèrement conoïde à son extrémité inférieure, il s’élargit, se ren- fle à son centre, puis se rétrécit, et présente au lieu de son insertion à la matrice, un pé- dicule de la grosseur de deux doigts environ qui prend racine dans l’intérieur de l’organe et se trouve embrassé, comprimé par le col de l’utérus, comme dans un anneau. Faisons maintenant, dit le professeur, un LEÇONS DE M. DUPüYTREN. rapprochement entre ces deux cas. Les deux femmes sont du même âge ; chez l’une et l’au- tre , la tumeur présente, à quelque chose près, le même volume, occupe la même région utérine, et a donné lieu aux mêmes phéno- mènes extérieurs, un écoulement de sang, suivi d’un écoulement sanieux et fétide. Mais chez l’une, la surface de la tumeur est: lisse , chez l’autre , elle est inégale ; chez la pre- mière, la substance est dense, résistante; elle est molle, ramollie chez la seconde ; chez la première, l’écoulement sanguin n’existe que depuis un mois, et il y a peu de fétidité ; chez la seconde, il existe depuis un an, et il y a une fétidité liorrible. D’où il faut conclure que la tumeur n’est point encore dégénérée chez la première malade, et que l’on pour- rait, sans inconvéniens, retarder l’opération de quelques jours, tandis qu’il y a un commen- cement de dégénérescence dans le second cas; qu’il est urgent de pratiquer le plus tôt possi- ble l’opération, et même que celle-ci n’offre plus que des chances fort incertaines de succès. Cependant, cette dernière malade paraît beaucoup souffrir : elle éprouve, dit-elle , des douleurs très fortes aux reins, une sensation TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉIIUS. pénible dans le vagin et dans le rectum. D’un autre côté, que !es douleurs soient vraies ou simulées , l’opération lui répugne, nous n’a- vons pu l’y décider; par conséquent, elle se trouve dans des conditions physiques et mo- rales très peu favorables, et le moment serait mal choisi pour l’opérer. L’autre, au contraire, ne souffre nullement ; elle est parfaitement résignée ; il n’existe aucune complication ; nous n’avons point remarqué de contre-indi- cation ; les glandes des aines et de l’abdomen ne sont point engorgées; l’état général est bon i tout se réunit donc pour faire espe'rer que l’opération aura un plein succès et nous n’hésitons pas à la pratiquer immédiatement. Avant d’y procéder, le professeur expose dans tous leurs détails le procédé opératoire par lui adopté et les motifs qui, depuis fort long-temps , lui ont fait donner la préférence àla section sur la ligature, motifs que nous déduirons plus loin. Le 21 janvier, la malade est conduite à l’am- phithéâtre, placée sur le lit destiné aux opé- rations de la taille, les jambes et les cuisses fléchies, fortement écartées et soutenues par des aides. L’état des parties de nouveau exa- LEÇONS DE M. DUPü YTIlEiy. miné, on introduit une pince de Museux, dont les mors sont ancrés dans la substance de la tumeur; on exerce des tractions modé- rées et continues , en recommandant à la ma- lade de faire en même temps des efforts sou- tenus d’expulsion, comme pour aller à la selle ou pour accoucher. Elle exécute avec intelli- gence cette prescription. La tumeur amenée près de l’orifice externe y une seconde paire de pinces est introduite et la saisit, des trac- tions douces sont continuées et secondées par les efforts de la malade. La tumeur paraît d’a- bord à l’orifice vulvaire, puis le franchit bien- tôt, et le col utérin lui-même est mis à dé- couvert. Alors, au moyen de deux ou trois coups de forts ciseaux l’opérateur coupe le pédicule dans sa racine même et ne laisse aucune trace des tissus malades. La section ne fut accompagnée d’aucune douleur, ni suivie d’aucun écoulement de sang. Cependant on remarquait à la surface coupée du pédicule les orifices d’un grand nombre de vaisseaux sanguins. Après l’opération, M. Dupuytren fit rester quelque temps la ma- lade à l’amphithéâtre, afin que la foule consi- dérable des spectateurs pût s’assurer par elle- TUMEURS FIBREUSES DE I’uTÉRÜS. même s’il y aurait, ou non , une hémorrhagie: la malade, au bout de plus d’un quart-d’iieure, n’avait pas perdu la plus petite quantité de sang. Le lendemain, on pouvait évaluer à une ou deux cuillerées ce qui s’en était écoulé dans les vingt-quatre heures. Je vous avoue, dit le professeur, que , loin de me féliciter de celte circonstance qui, du reste, refuie victorieu- sement l’une des principales objections faites au procédé opératoire que j’ai adopté, je re- grette au contraire, qu’il n’y ait pas eu quel- que légère hëmorrhagie. Une perte de sang, plus ou moins considérable, est toujours utile après ces sortes d’opérations; elle rend beau- coup moins imminens les accidens inflamma- toires consécutifs auxquels les malades sont exposées. Après ce que je vous avais dit hier sur l’innocuité de la section , il me tardait de voir cette malade aujourd’hui : et bien, elle n’a éprouvé aucune espèce d’accident ; elle n’a même pas eu de frissons; il n’y a point de fièvre ; l’état général est des plus satisfaisans, et rien n’annonce jusqu’ici une réaction in- flammatoire sur la matrice; elle sera surveillée de près, et au premier indice, on applique- LEÇONS DE M. DUPUYTREJS. a rait avec énergie tout l’appareil des moyens anliphlogistiques, les saignées locales et gé- nérales , les topiques émolliens, les révulsifs, etc. Nous avons recommandé un régime sé- vère et, à moins de quelque imprudence grave, nous espérons que cette femme sera parfaite- ment guérie dans une douzaine de jours. Le troisième jour de l’opération, on aurait dit la malade dans un état de santé parfait; elle n’avait pas eu le moindre mouvement fé- brile; elle était gaie, contente de sa position, et demandait à manger. Ce n’est que par pru- dence que des alimens lui lurent encore refu- sés. N’ayant pas été à la selle depuis plusieurs jours, on lui prescrivit un lavement et l’on continua les fomentations émollientes sur l’abdomen. Elle marcha rapidement vers la guérison, et sortit de l’hôpital dans les pre- miers jours de février. La seconde malade, placée dans des con- ditions beaucoup moins favorables, encouragée par l’exemple de la précédente, se décida à l’opération qui lut pratiquée le lendemain , c’est-à-dire le 22 janvier. Nous vous avons fait remarquer, dit M. Du- puylren, que chez cette dernière malade, un TUMEURS FIBREUSES ÜE I’uTÉRÜS. écoulement sanieux avait succédé depuis un mois environ à des pertes en rouge, et avait bientôt- acquis une extrême fétidité; que la masse polypeuse était molle, fongueuse, ce qui indiquait un commencement de dégéné- rescence. En effet , la tumeur ayant été saisie avec les pinces, elle céda facilement sous les plus légères tractions et se de'chirait. Amenée à l’orifice supérieur de la vulve, nous aper- çûmes une masse grisâtre, gangrénée. Lors- qu’elle eut franchi dans son plus grand diamè- tre l’orifice externe,, nous introduisîmes les doigts, et à peine arrivés au pédicule, nous reconnûmes qu’il était tellement mou, qu’il aurait été impossible de l’attirer au dehors sans qu’il se rompît sous l’effort des tractions. Pour éviter cet accident, nous nous sommes hâté d’en faire la section le plus près possible de son insertion en portant les ciseaux dans l’intérieur du vagin; mais nous sommes per- suadé qu’il en est resté quelque partie, et cette circonstance peut avoir des suites fâcheuses, ainsi que nous l’expliquerons bientôt. Cette opération, comme la première, ne fut suivie d’aucune perte de sang. Le len- demain , il ne s’en était écoulé que quel- LEÇONS DE M. DUPUÏTREN. ques cuillerées ; il n’y avait plus ni écoule- ment sanieux, ni fétidité j la malade n’avait point eu de frissons, ne présentait aucun symptôme de mélrite, ni de péritonite, ni d’inflammation des veines. Cependant elle avait conservé" de la douleur dans l’hypogas- tre, et on lui appliqua une quinzaine de sangsues aux cuisses. Le quatrième jour, la malade est prise de frissons et se plaint de fortes douleurs dans le bas-ventre , vers l’ombilic, aux aines, dans le dos. On fait une seconde application de sang- sues. Le cinquième jour, elle est dans un état de malaise indicible, la gorge est douloureuse, la fièvre forte, les frissons répétés, l’abatte- ment général très prononcé. Cet état s’agrave, et elle succombe dans la nuit du 27 an 28, c'est-à-dire le septième jour de l’opération. L’opération , dit M. Dupuytren , a été prompte, courte et sans douleur: il n’y a eu, depuis, aucun écoulement ni en blanc ni en rouge. Mais les symptômes que la malade avait auparavant ont persisté, ils ont même aug- menté. Les douleurs, la fièvre sont devenues plus fortes, la jauneur du teint plus pronon- cée. Mais on n’a observé aucun symptôme que TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. l’on puisse considérer comme l’effet de l’opé- ration ; il ne s’est manifesté aucun indice d’in- flammation consécutive de la matrice ou de quelque autre organe : elle a donc succombé à la persistance et à l’accroissement des phé- nomènes primitifs, aux accidens déterminés par une résorption purulente, provenant des restes du pédicule que l’instrument n’avait pu emporter. Je suis porté à croire que nous trouverons aussi dans la matrice des traces d’une inflammation ancienne. Peut-être exis- tera-t-il encore des dégénérescences carcino- raateuses sur différons points. L’ouverture du corps étant faite, on trouve l’épiploon dans un étal d’intégrité parfaite. La matrice est très volumineuse. Entre elle et la vessie existe une assez grande quantité de matière purulente. Tous les organes du bassin , la matrice , les ovaires , la vessie , l’extrémité du gros intestin adhèrent entre eux par des productions organisées , c’est- à-dire de nature celluleuse et par consé- quent produites par une inflammation an- bien antérieure à l’opération. Elles devaient remonter à plusieurs semaines, et l’époque présumée de leur formation se rap- LEÇONS DE M. DU PU YTU EN. porte assez bien à l’époque où la malade avait commencé à éprouver des douleurs dans le bassin. Nous avons dit, continue le professeur,que la matrice présentait un volume trois ou qua- tre fois plus considérable que dans l’état na- turel. Cet excès de volume tient-il à un épais- sissement de ses parois ou, comme on le dit, à une hypertrophie, ou à un second polype qui serait renfermé dans sa cavité? Cette dernière hypothèse n’est pas sans fondement: l’expé- rience a démontré que les polypes fibro-cellu- leux de la matrice sont rarement seuls et le plus souvent multiples. 11 arrive fréquemment que l’un d’eux fait saillie hors du col utérin, et est accompagné d’un second renfermé dans la cavité de l’organe ; dont on ne peut consta- ter l’existence ou que l’on ne soupçonnait même pas. Le premier est enlevé, les malades se rétablissent plus ou moins bien ; mais le second reste, dégénère et les malades pé- rissent. Nous reviendrons sur ce sujet. La membrane péritonéale étant enlevée, la surface de la matrice paraît d’un rouge foncé, fortement enflammée. On incise les parois de l’organe , et l’on voit qu’elles sont considéra- TCMEUIIS FIBREUSES DE I’uTÈRUS. bletnenl épaissies. Cet épaississement est évi- demment la cause de son volume anormal, car il n’existe rien dans sa cavité, ni polype, nf liquide. Sa surface interne offre le même état de rougeur violacée qu’on a observé à l’ex- térieur. A sa face postérieure, près du col, on remarque sur un point circonscrit, de l’é- tendue d’une pièce de trente sous, des saillies, des inégalités fongueuses, putrescentes, qui se prolongent dans l’épaisseur de la paroi. On pense qu’elles sont les restes du pédicule et qu’elles indiquent le lieu de sou implantation , comme dans les cadavres de femmes , récem- ment accouchées, on retrouve les traces de l’insertion du placenta. Nous vous avons fait remarquer, ajoute le professeur, lorsque nous eûmes attiré à l’o- rifice vulvaire les tumeurs des deux femmes dont nous venons de vous faire l’histoire, l’aspect grisâtre, violacé évidemment gan- gréné qu’elles offraient. Mais , chez l’une , cet état de gangrène se bornait encore à un petit espace et ne frappait que la surface in- férieure du poljpe , tandis qu’il en avait en- vahi la plus grande partie chez la seconde. Chez celle-ci, le corps, aussi bien que le pé- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. dicule du polype, était mou, fongueux? cette mollesse, cette fongosité étaient encore 4rès limitées, circonscrites à la surface frappée de gangrène dans îe polype de la première opérée. Nous vous avons dit que ces circons- tances étaient pour nous une preuve du pas- sage de ces tumeurs à la dégénérescence car- cinomateuse, mais à des degrés bien diffé- rents? à peine commencée chez l’une, elle de- vait être fort avancée et avoir envahi une grande partie de la tumeur chez l’autre. L’exa- men anatomique de ces corps a complètement justifié nos prévisions. Ce qui s’est passé dans ces deux cas, nous l’avons observé dans tous les cas de polypes qui, abandonnés à eux-mêmes, étaient ar- rivés à un degré plus ou moins avancé de dé- générescence. Tant que les malades n’ont qu’un écoulement en rouge ou en il n’y a pas de fétidité ? touchez : la tumeur vous offre partout une dureté égale ? introduisez le spéculum, vous voyez un corps blanc rosé, lisse, à surface polie , égaleetc. Survient-il un écoulement sanieux? il exhale une horri- ble fétidité, une odeur de gangrène insup- portable ; examinez les parties : vous rencon- tumeurs fibreuses de l’utérus. irez de la mollesse, de la fongosité dans une étendue relative au temps qui s’est écoulé de- puis l’apparition de ces derniers symptômes. Mais en même temps, c’est à cette époque que la constitution générale des malades com- mence à s’altérer d’une manière grave ; que le teint devient jaune-paille ; qu’il se déve- loppe une réaction générale, un mouvement fébrile continu ; que les malades maigrissent rapidement, perdent l’appétit et le sommeil : leur vie est dans un danger imminent. Ainsi, un écoulementsanieux, d’une grande fétidité, est le signe certain du développement de la gangrène dans la tumeur utérine ; par conséquent, il est possible de préciser l’épo- que où cette gangrène a commencé. Nous avons une preuve de ces assertions dans les deux exemples qui sont sous nos yeux : l’une de ces femmes, celle qui a succombé, avait un écou- lement sanieux et d’une extrême fétidité de- puis vingt-huit ou trente jours , lorsqu’elle arriva à l’hôpital : déjà nous trouvâmes le polype ramolli , fongueux , et frappé de gangrène dans sa plus grande étendue; et à l’examen de la tumeur, vous avez vu que la gangrène et la dégénérescence squir- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. rhense avait fait de grands progrès. L’au- tre , celle qui est en voie de guérison , n’avait un écoulement de même nature que depuis quelques jours : nous l’examinons de nouveau la veille de l’opération , et la tumeur qui, jusque-là, était dure, résistante, lisse, blanchâtre , présentait à sa face inférieure un point grisâtre, ramolli, inégal; la dissection de la tumeur vous a fait voir une dégénéres- cence à peine commencée. Ainsi il paraîtrait qu’il y a coïncidence en- tre l’apparition de la gangrène et le début du travail cancéreux. Nous allons voir quelle est la cause de cette gangrène et l’erreur dans laquelle on est tombé à ce sujet. On a beaucoup parié, dit le professeur, de la chute spontanée des polypes par suite de la gangrène, et de la guérison qui en résulte. Dans les cas qui nous occupent, pouvait-elle être un moyen de salut? Quelle est la cause de ce phénomène? serait-ce la constriction exercée par le col utérin sur le pédicule de la tumeur, lorsque celle-ci a dépassé cet orifice? Mais géné- ralement-, la gangrène n’altaquepas àla fois le polype dans sa totalité ; elle le frappe partiel- lement, vers son sommet d’abord, puis elle TUMEURS FIBREUSES DE I’uTÉRUS. l’envahit d’une manière progressive pour en atteindre en entier le. corps et le pédicule après un temps ordinairement fort long. C’est donc par la face inférieure, par celle qui est directement exposée au contact de l’air que l’altération, le ramollissement commence. Le corps du polype est frappé le premier, le pédicule est atteint le dernier. Par conséquent ces phénomènes ne sauraient être attribués à la constriction du col, comme on l’a prétendu. Mais croyez-vous que la réaction générale, les phénomènes d’infection qui se manifestent à celte période de la maladie, l’amaigrissement rapide que l’on observe, les douleurs, les in- somnies qui se déclarent, etc., soient sans danger pour la vie des malades ? Que celles-ci, épuisées par l’abondance de l’écoulement, par un état fébrile continuel, puissent impu- nément arriver à l’époque éloignée et incer- taine où le pédicule de la masse polypeuse sera frappé de mort et détaché de l’utérus ? La gan- grène n’est donc un bien et un moyen proba- ble de guérison, que lorsqu’elle est générale, c’est-à-dire qu’elle attaque la totalité de la tumeur; elle est un mal lorsqu’elle est par- tielle, et elle compromet la vie des malades. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. D’ailleurs, il est rare que le pédicule soit détaché en totalité de son point d’insertion par suite de la gangrène ; il en reste presque toujours quelques parties, et celles-ci four- nissent les élémens d’une reproduction de la maladie , ou entretiennent les symptômes gé- néraux préexistans et par conséquent l’état fâcheux où les malades se trouvaient. Et re- marquez que celles-ci sont alors dans le même cas que si elles avaient été opérées par la liga- ture; c’est en effet en frappant la tumeur de gangrène que la ligature agit. Du reste, les exemples de chute spontanée des polypes par gangrène, sont très rares ; nous n’en avons rencontré qu’un seul dans notre longue pratique : nous allons vous en donner l’histoire. Fe Observation.— Pélégrini (Françoise), âgée de trente-deux ans , italienne, d’une constitution sèche, réglée à dix-huit ans, mère de quatre enfans, accoucha toujours heureu- sement; la première fois, à vingt-deux ans, la dernière, à vingt-huit. Depuis cette époque, la menstruation était assez régulière, seulement chaque époque était suivie d’un écoulement en blanc pendant quelques jours. Au mois d’août TUMEURS FIRREUSES OE I’üTÉRUS 1816, sans cause connue, elle est prise de pertes abondantes ; elle n’éprouve d’ailleurs aucune gêne aux parties génitales ; elle continue ses occupations qui sont peu fatigantes ; elle n’ob- serve pas que la fatigue augmente la quantité de ses pertes. Celles-ci continuent pendant cinq mois, tantôt en rouge , tantôt en blanc, ne laissant guère qu’un ou deux jours d’inter- mittence. Vers le mois de février 1817, elle éprouve des douleurs aux reins et quelques tiraillemens aux aines ; elle fait usage gens à l’intérieur, ne croyant être affectée que d’une hémorrfyagie utérine car on ne l’avait pas touchée. Elle vint à l’HôteL-Dieu le 18 mars 1817. Elle se plaignait de pertes continuelles assez abondantes, alternativement en rouge et en blanc, de quelques douleurs légères aux reins, de tiraillemens intermittens aux aînés ; la ma- lade ne présentait point cette altération de la face, celte pâleur qui suit les pertes de sang abondantes et long-temps continuées. Nulle gêne dans l’excrétion des urines ou des ma- tières fécales ; nul sentiment de pesanteur au périnée. Le toucher pouvait seul faire recon- naître la nature de la maladie ; le doigt porté 440 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. dans le vagin ne tarde pas à rencontrer un corps cyîindroïde, radiasse , légèrement bos- selé, du volume de l’extrémité de l’indicateur, dépassant d’un pouce et demi à peu près le col de l’utérus, dans l’ouverture duquel il s’engageait ; l’orifice béant de celui-ci rece- vait facilement l’extrémité du doigt qui pou- vait parcourir toute la circonférence du corps indiqué ; mais à quelque hauteur qu’on arrivât, on ne pouvait sentir le point de son insertion : cette affection était donc un polype. Gomme il était peu volumineux, et qu’il n’avait pas la consistance qu’ont le plus souvent les polypes utérins , M, Dupuytren se proposa de l’arra- cher avec des pinces un peu garnies de cuillers assez larges : l’opération est remise au quatrième jour. La malade conduite à l’am- phithéâtre est placée sur le bord d’un lit élevé; le doigt introduit dans le vagin n’y rencontre plus la tumeur qu’on avait ressentie antérieu- rement; la malade dit alors que la veille elle avait rendu un corps noirâtre, alongé, qu’elle avait pris pour un caillot et qu’elle n’avait pas conservé; elle ne put donner de renseigne- mens précis sur sa forme ni son volume. Quant à sa consistance, elle la trouva plus grande TUMEURS FIBREUSES DE l/UTERUS. que celle d’un caillot qu’elle avait rendu pré- cédemment ; le deuxième jour,, les pertes en rouge étaient diminuées; au troisième, elles avaient complètement disparu, un écoulement en blanc leur avait succédé ; il était peu abon- dant et il cessa le sixième jour. Alors il restait une légère douleur aux reins et à l’hypogastre. Le oo mars, huitième jour de la chute du po- lype , le col de l’utérus était revenu sur lui- même, son orifice était fermé; la matrice elle- même n’avait pas un volume sensiblement plus considérable que de coutume. Le 2 avril, elle sortit presque guérie ; la veille elle avait en- core eu quelques écoulemens en rouge. Au bout de six jours de sa sortie, elle rendit un corps pareil à celui qu’elle avait rendu la pre- mière fois; dès lors les pertes cessèrent entiè- rement. Quelle idée devait-on se former sur la dis- parition d’un polype, dont la présence avait été constatée par plusieurs personnes ? Le po- type était-il remonté dans l’utérus? la chose était concevable pour qui connaît la manière dont ces corps nés du fond de l’utérus des-t Ocndent dans le vagin ; car on sait qu’ils en- Irai ne nt avec eux le fond de cet organe, eÇ LEÇONS DE M. DUPÜYTREBf. vont même jusqu’à en déterminer un renver- sement plus ou moins considérable; on sait aussi qu’aprës la section du pédicule de la tu- meur, l’utérus remonte au point qu’on ne tarde pas à ne plus sentir le lieu de l’insertion. D’ailleurs, on a vu dernièrement à l’Hôtel- Dieu une femme chez laquelle un polype uté- rin, assez volumineux, remontait dans la ma- trice et descendait dans le vagin alternative- ment. Ce polype pouvait bien s’être détaché spon- tanément, comme on en a plusieurs exemples; non, comme le pense Levret, auteur d’un Mémoire sur ces affections, parce que le pé- dicule de la tumeur aurait été fortement com- primé par le col de l’utérus comme par une ligature, mais plutôt, comme le pense M. Du- parce que plusieurs personnes ayant touché la malade, auront imprimé à la tumeur des mouvemens peu mesurés par lesquels son pédicule aurait été déchiré. Tous les doutes auraient été levés par l’inspection de la tu- meur, mais on n’a pu la retrouver. Cependant la dernière* opinion paraît la plus probable ? quelle qu’ait été la cause de cette chute spon- tanée. TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. Il est des polypes utérins, de nature fi- breuse, qui se détachent spontanément sans que leur pédicule soit ramolli par la gangrène : ce sont ceux qui se développent presque im- médiatement sous la membrane interne de la matrice; à peine ont-ils franchi le col, que leur couche extérieure étant très mince, se rompt facilement et ils tombent d’eux-mêmes, après avoir donné lieu à quelques pertçs. On en trouve des exemples cités par divers auteurs, et, entre autres, par madame Boivin, dans son Traité des maladies de l’utérus, et dans un Mémoire sur les polypes de la matrice, publié dans le Journal Général de Médecine. Deux procédés opératoires partagent au- jourd’hui les hommes de l’art dans le traite- ment de ces tumeurs : la ligature adoptée par un grand nombre de chirurgiens recomman- et la section à laquelle M. Dupuytren donne en général une préférence exclusive depuis de longues années. Les nombreux in- convéniens, dit le professeur, que nous avons reconrps au premier de ces procédés, nous ont fait adopter celui que vous nous avez vu appliquer si souvent avec succès, Y excision. i° La ligature n’est pas aussi facile à appli- 444 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. quer qu’on l’a prétendu, et ce qui le prouve, c’est le grand nombre d’instrumens qui ont été successivement imaginés pour la pratiquer. Par suite de ces difficultés, elle n’embrasse presque jamais la totalité du pédicule, circon- stance fâcheuse, de laquelle résulte, comme nous Pavons dit précédemment, ou la récidive de la maladie, ou la continuation des symp- tômes généraux. 2° Ce qui nous a sur-tout décidé à aban- donner la ligature, ce sont les accidens con- sécutifs. Les malades sont dans un état satis- faisant pendant deux ou trois jours, mais au bout de ce temps, il se fait un écoulement de la plus grande fétidité, résultant de la morti- fication de la tumeur; des symptômes d’infec- tion par résorption purulente se déclarent, sur- vient un état ataxique que l’on combat vaine- ment par les toniques et les antiputrides, et les malades succombent. Après la mort, on trouve les traces d’une inflammation violente qui s’é- tait emparée de la matrice , de ses annexes et même du péritoine ; tantôt on ne troufe rien qui atteste l’existence de cette phlegmasie, mais l’on acquiert la conviction que les mala- des ont succombé à un véritable empoisonne- TUMEURS FIBREUSES DE t’UTÉRUS. nient par résorption de pus. Je possède, ajoute le professeur, huit ou dix observations de femmes qui ont péri de cette manière à la suite de la ligature dans d’autres hôpitaux, obser- vations que j’ai eu l’occasion de réunir dans les examens. Je n’ai jamais vu la section dé- terminer ces accidens, et, en fait, ils ne peu- vent avoir lieu, puisqu’elle ne laisse aucune cause de suppuration. 3° La ligature est très douloureuse, et ces douleurs s’expliquent par l’existence d’une membrane charnue autour des polypes ; de plus, lorsque la ligature est faite , les malades éprouvent des douleurs très fortes dans les reins, dans les aines et dans le bassin, jus- qu’à ce qu’elle tombe et que la tumeur soit détachée. La section s’opère et n’est suivie d’aucune douleur. Bien plus, les malades sont instantanément soulagées de celles qu’elles éprouvaient auparavant. 4° On voit souvent les douleurs détermi- nées par la ligature , qui cessent en général aussitôt que la constriclion est parfaite , conti- nuer avec elle , s’étendre dans les fosses ilia- que, c’est-à-dire aux annexes de la matrice, occasioner des voraissemens et, par faction* LEÇONS DE M. DÜPUYTREN. du fil sur l’enveloppe charnue du polype , dé- velopper une inflammation qui marche sour- envahit l’un et l’autre côtés et devient mortelle, après avoir laissé de l’espoir pendant quelques jours à cause de la légèreté apparente des symptômes qui l’accompagnaient. En voici un exemple des plus frappans. IIe Observation. Une blanchisseuse de quarante-trois ans, éprouvait depuis cinq ans des pertes qui prolongeaient ses règles jusqu’à douze jours et étaient remplacées par un écou- lement blanc très abondant. Du reste, elle n’avait ni douleur, ni gêne, même dans la matrice ; mais elle maigrissait et s’affaiblissait tous les jours. Des pertes nouvelles et plus abondantes décidèrent à l’opérer sur-le-champ. On avait reconnu un polype d’une grosseur moyenne. Une ligature fut appliquée et serrée assez fortement. Une douleur vive se déclare presque aussitôt, persiste toute la journée, continue toute la nuit et ne permet pas un instant de sommeil. Le second jour, la douleur est moins violente derrière le pubis, mais le côté gauche du ventre dans la fosse iliaque est très sensible à la pression ; la malade a de la fièvre et des vomissemens, que l’on combat TUMEURS FIBREUSES DE l/üTÉRUS. par des antispasmodiques ; on serre d’avantage la ligature. Le troisième jour, les vomissemens et la fièvre continuent, le ventre est toujours douloureux; il s’écoule par le vagin une ma- tière roussâtre. Le quatrième jour, la malade se dit moins souffrante ; mais le pouls est tou- jours fréquent : on serre de nouveau la liga- ture. Le cinquième jour, la malade est calme, mais la région iliaque gauche est toujours très douloureuse et le pouls très fréquent : petit- lait, potioij calmante. On arrive au huitième jour sans autre accident que cette douleur dans la région iliaque ; le reste du ventre est indo- lent. Le soir, la ligature, qu’on n’a pas serrée depuis le quatrième jour, se détache d’elle- même. Le neuvième jour, on extrait le polype, et on j parvient avec peine, parce qu’au lieu de forceps qu’on n’avait pas sous la main, on se sert et de petites tenettes. Le soulagement apporté par l’extraction du corps étranger, et suivi d’un peu de sommeil, n’est pas de longue durée. La malade a voulu se lever, mais des douleurs se sont manifestées dans la fosse iliaque droite, sans que celles du côté opposé aient diminué. Trois jours s’écoulent encore dans cet état de douleurs LEÇONS DE M. DUPUYTREN. modérées, bornées aux fosses iliaques, mais le quatrième, quatorzième de l’opération et sixième après la chute du polype, tous les symptômes le ventre entier de- vient dur, tendu, très douloureux, le pouls raide et d’une grande fréquence, la malade est près de tomber en syncope à chaque tant. Cependant elle n’éprouve ni hoquets, ni envies de vomir : bains entiers, soixante sang- sues. Les douleurs continuent, la faiblesse augmente, les syncopes se renouvellent et la mort arrive le lendemain. (Journ. Génér. de Méd. ). Aucun fait n’est plus propre, ce nous sem- que cette observation , à prouver les dangers de la ligature en général, ,en par- ticulier, d’une ligature dont on augmente suc- cessivement la constriction sans avoir égard aux accidens qu’elle détermine. 5° Une des suites fréquentes de la ligature , c’est l’inflammation consécutive des veines du bassin et spécialement de la matrice. Nous n’avons jamais eu l’occasion de constater ce résultat après la section chez les personnes dont les organes étaient libres de toute inflamma- tion chronique. tumeurs fibreuses de l’utérus. 449 6° La chute de la ligature est, d’ordinaire , suivie de la cicatrisation de la et les ëcoulemens cessent presque sont entretenus par une autre cause. Mais quel- quefois aussi les accidens déterminés par la ligature continuent après qu’elle est et7 quoique moins elfrayans, suffisent pour amener la mort. Plusieurs auteurs en ont cité des exemples. M. le professeur Dubois a vu plusieurs fois ( Dict. des Sc. Méd., art. Po- lype ) le sang jaillir en abondance après la chute de la ligature, et a perdu de cette ma- nière plusieurs malades. 7° La ligature, de l’avis de tous et même de ses partisans les plus prononcés, doit tou- jours être exclue lorsque le polype est formé d’un tissu utérin presque pur , lorsque son pédicule est excessivement large ; elle est im- possible lorsque le polype est adhérent ou très volumineux. Rien, dans ces cas, ne contre- indique l’excision ; bien elle est le seul moyen applicable. 8° Ces dangers et ces incpnvéniens réels et bien positifs, attachés à la ligature , étant évi- tés par la section instantanée du pédicule et la soustraction du corps étranger, il reste, LEÇONS DE M. DUPUÏTREN» pour les balancer, la crainle de Fhémorrha- gie que l’on a beaucoup exagérée, afin d’y trouver un argument plus redoutable contre l’excision. Or, une longue expérience et des faits très nombreux prouvent que cette hé- morrhagie est infiniment rare. Le nombre d’excisions de polypes que M. Dupuytren a pratiqué depuis vingt ans, s’élève annuelle- ment de 10 à i 5. Prenons le chiffre le moins élevé, celui de 10. Multiplié par 20, il donne deux cents excisions de polypes fîbro-celluleux. Et bien, sur un nombre aussi l’hémorrhagie n’a eu lieu que deux fois, l’une à l’hôpital et l’autre en ville. Chez l’une et l’autre malades, l’accident a été prompte- ment et facilement arrêté par le tamponne- ment. L’une d’elles, qui portait le polype dans l’épaisseur du col utérin, opérée le i 4 mars 1828, mourut, il est vrai, mais vingt-cinq jours après et par suite d’une péritonite complètement démontrée par l’autopsie, ainsi qu’il résulte de l’histoire qui en a été recueillie et qui nous a été communiquée par notre ami le docteur Fournier, d’Arras , alors attaché comme élève interne au service de M. Du- puytren. M. Velpeau , sur huit cas , ne l’a ja- TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. mais vue. Voilà à quoi se réduisent les dangers si hautement proclamés de l’hémorrhagie. II n’est pas inutile de remarquer que le profes- seur pratique constamment l’excision avec des ciseaux et jamais avec le bistouri. Les premiers qui coupent contondant, exposent peut- être moins à l’hémorrhagie que la section fran- che et unie du second. Nous résumerons ces réflexions sur la va- leur comparative des deux procédés, par les considérations judicieuses que nous trouvons dans une Thèse présentée au concours pour l’agrégation en chirurgie par le docteur Mal- gaigne , travail excellent et le plus complet, dans sa concision, qui ait paru jusqu’à ce jour sur les polypes de l’utérus. A comparer, dit-il, les accidens qui suivent l’excision et la ligature : pour celle-ci, les douleurs, les convulsions , les écoulemens fé- tides , les accidens consécutifs, inflammatoires et de résorption purulente , la lenteur et la difficulté d’action dans l’application du pro- cédé , la nécessité de garder le serre-nœud dans le vagin, etc.; pour l’autre, la simplicité, la promptitude et la facilité de son exécution, l’absence presque toujours complète dessymp- LEÇONS DE M. DUPU IfTRËNi tomes que nous venons d’énumérer, la question entre l’un et l’autre procédé paraît résolue d’une manière non douteuse.... L’excision doit donc être envisagée désormais comme méthode générale, et les autr.es procédés comme métho- des d’exception. Et, en vérité, njy aurait-il pas une contradiction flagrante à réserver le bis- touri pour l’exbision du col utérin pour lequel on proscrit généralement la ligature, et àle rejeter pour les polypes dont le pédicule est formé du même tissu que le col de l’utérus, seulement avec moins d’épaisseur et de vais- seaux ? Nous ne parlons pas ici des diverses modi- fications que la section exige suivant les cas in- dividuels : il en sera question lorsque nous arriverons au traitement général. Mais nous devons ajouter que le procédé de notre célè- bre professeur est basé sur deux données importantes : la nature fibreuse de ces polypes et la mobilité de la matrice, la facilité avec laquelle on peut l’abaisser par une traction peu considérable jusqu’au niveau de la vulve. Malgré les travaux de Levret, la plus grande confusion a régné dans les doctrines professées sur le sujet qui nous occupe, jusqu’à ce que TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. 453 Bichat, cet immortel auteur trop tôt enlevé à la science, soit venu définir la véritable na- ture de ces tumeurs, étudier leur tissu , leur organisation, leur marche, leurs transfor- mations successives , et enfin distinguer une foule de tumeurs utérines de natures diverses qui jusque-là , avaient été confondues et désignées par des noms plus ou moins inexacts. M. Dupujtren est un de ceux qui ont le plus contribué aux progrès de cette bran- che de la science chirurgicale , soit en répan- dant un grand nombre de notions nouvelles d’anatomie pathologique, soit en introduisant dans la thérapeutique une méthode de traite- ment qui ne lardera pas à triompher de la routine et à devenir générale parmi les prati- ciens. Aussi, après avoir exposé dernièrement les considérations spéciales que lai fournissaient les deux cas que nous avons décrits , il n’a pu s’empêcher d’aborder les généralités de ce su- jet de prédilection, et de résumer, dans une série de leçons brillantes que nous allons re- produire , les principes par lui professés de- puis de longues années, d’abord dans des cours particuliers f et ensuite dans ses cours publics de clinique chirurgicale. LEÇONS DE M. DUPUYTREIV. Les corps fibreux sont des tumeurs de for- mes variées, en général plus ou moins ar- rondies, composées d’un tissu accidentel, très analogue à celui des tendons des muscles ou des ligamens des articulations. Ils se déve- loppent dans toutes les régions du corps où l’élément organique fibreux abonde , où il offre une contexture plus ferme, et sur-tout où il se trouve immédiatement uni au tissu cellulaire. Mais l’utérus est une de celles où l’on en rencontre le plus fréquemment, et ils y occupent des sièges très divers, dont, la dis- tinction est d’une haute importance, car elle est pour ainsi dire la base de la curabilité ou de l’incurabilité de ces affections. i° Les uns prennent naissance àla surface externe de la matrice, entre le tissu de cet organe et sa tunique périlonéaîe, par un pé- dicule quelquefois très grêle ; ce pédicule, et quelques lames cellulaires paraissent alors le seul moyen d’union de ces corps avec la partie fibreuse de l’utérus. Ils font saillie dans l’ab- domen, soulèvent le péritoine, et du plus petit Volume arrivent jusqu’à celui de la tête d’un enfant, et acquièrent quelquefois un poids de dix, quinze et vingt livres. tumeurs fibreuses de l’utérus. 2° D’autres se forment dans l’épaisseur mê- me des parois de la matrice , à égale distance de la face externe et de la face interne. Mais le tissu propre de cet organe n’est pour rien dans leur composition ; iis se développent en écartant les fibres de ce dernier, et ne sont jamais unis avec lui par continuité de sub- stance; ils en sont quelquefois tellement iso- lés, qu’au premier abord on les croirait en- kystés; ils ne présentent point de pédicule. Leur accroissement est assez lent, bien qu’en général d’une grosseur moindre que les pré- cédons ; ils acquièrent cependant quelquefois le Volume de la tête d’un adulte. Tantôt ils se développent uniformément dans tous les sens; tantôt leur accroissement se fait plutôt dans une direction que dans une autre, c’est-à-dire plutôt vers la cavité de la matrice que vers sa surface externe, ou vice versa. Les tumeurs de cette espèce sont très communes et presque toutes inopérables, car on n’aurait d’autre parti possible à prendre, que de fendre la ma- trice pour les énucléer. 456 3° II est de ces tumeurs qui se développent en effet dans l’épaisseur des parois de l’organe, niais dans un lieu plus rapproché de la sur- face interne ou externe c’est-à-dire dans le tiers interne ou externe de cette épaisseur. Quelquefois alors elles sont pédiculées , d’au- tres fois elles ne le sont pas. Dans le second cas elles rentrent dans la classe des précéden- tes ; dans le premier, elles se rapprochent de celles dont nous allons parler. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. 4-° Ces tumeurs sont souvent situées à la sur- face interne de la matrice , et sont, ou simple- ment protubérantes dans la cavité utérine, ou tout-à-fait pédiculées , ce qui est le plus ordi- naire. Celles-ci constituent les poljpes fibro- celluleux par excellence, et sont composées d’une racine, d’un col ou pédicule et d'une partie renflée qui en est le corps principal, et qui leur donne assez fréquemment la forme d’un champignon. Dans l’un et l’autre cas, elles sont recouvertes par une membrane fine très adhérente, formée aux dépens de la substance désignée par Bichat sous le nom de membrane muqueuse de la matrice. Lorsque l’espèce de pavillon,dit le profes- seur, qui surmonte le corps du poljpe, est par- TUMEURS FIBREUSES DE Lr’uTERUS. faiteraent arrondi, vous avez beau chercher le vous ne pouvez le trouver, à moins qu’il ne soit très alongé, et que le polype, ayant Iranchi le coi de l’utérus, ne lasse une saillie plus ou moins considérable dans le vagin, 3’appelle racine du polype la partie par la- quelle il s’insère dans le tissu de la matrice, et par laquelle le corps fibreux reçoit sa princi- pale nourriture au moyen des vaisseaux qui la composent. Elle est formée de vaisseaux nourriciers , de veines , de vaisseaux lympha- tiques, de tissu cellulaire et de tissu fibreux. Ce point est fort important à connaître ; car si les polypes repullulent souvent, lors même qu’on les a coupés le plus près possible de la surface de la matrice, il faut, sans aucun doute, attribuer celle récidive à ce que quelques parties des tissus malades n’ont pas été em- portées par la section. C’est aussi ce qui arrive souvent dans les cas d’extirpation de tumeurs érectiles fongueuses. Vous avez vu que, tantôt les tumeurs fibreu- ses ont un pédicule , tantôt elles n’en ont pas , et que cette différence tient, en général du înoins, au siège qu’elles occupent. Ainsi, il üen existe pas dans les polypes développés 458 LE COIN S DR M. DUPUYTREN. clans l'intérieur du tissu de la matrice , dans ceux qui, faisant saillie à l’extérieur ou à l’in- térieur, sont encore recouverts d’une couche de ce tissu. On pourrait par conséquent établir une division générale entre les polypes pédi- culés et les polypes non pédiculés. Dans le langage convenu , les premiers constituent les polypes jihreux et les seconds les tumeurs fi- breuses de Vutérus. La longueur des pédicules est très variable; les uns sont à peine distincts du corps de la tumeur, d’autres présentent jusqu’à deux ou trois pouces de longueur; du reste, celle-ci est toujours relative à l’étendue, au prolongement de la tumeur même. Plus les polypes s’éten- plus leurs pédicules s’alongent. Ainsi les plus longs qu’on rencontre sont ceux des polypes qui, ayant parcouru et franchi l’ori- fice utérin, descendent plus ou moins bas dans le vagin ; mais ils s’amincissent dans la même proportion, et souvent alors , sur-tout si le corps fibreux est quelque peu volumineux , ils se rompent, et ce dernier se détache spontané- ment. C’est ce qui est arrivé chez la femme dont nous vous avons parlé précédemment ( observation ire. ). tumeurs Fibreuses de l’utérus. Leur grosseur et leur consistance sont par conséquent en raison inverse de leur longueur. Néanmoins la consistance est en général assez grande pour qu’ils cèdent difficilement aux tractions les plus fortes. On les trouve com- munément formés de tissus fibreux très den- ses ; mais lorsqu’ils sont moins consistans et fort amincis ou amollis par quelque cause, on pourrait facilement les détacher par une simple torsion. J’ai préféré employer, même dans ces circonstances, la section, parce que par la torsion on laisse»coiisl animent des dé- bris plus ou moins considérables du pédicule, et par conséquent on expose les malades à voir leur affection re pull nier. Ces pédicules sont formés d’artères, de vei- nes ,de vaisseaux lymphatiques , de tissu cel- lulaire et probablement de nerfs. Or, s’il y a des artères, comment la section n’amène-t- --elle pas des hémorrhagies? Voilà précisément le motif que l’on alléguait pour préférer la ligature à la section. Il est très vrai que les artères de ces pédicules sont quelquefois très volumineuses; cependant, nous vous l’avons démontré, les hémorrhagies sont extrêmement rares. Nous avons enlevé plusieurs fois de ces tumeurs où les vaisseaux étaient d’un calibre assez grand , et aucune perle de sang n’avait eu lien. M. Gaillard, qui a succombé au choléra, avait préparé la pièce anatomique d’un polype, dans lequel nous avons remarqué une assez grosse artère , et cependant la sec- tion n’avait donné lieu à aucune hémorrhagie. LEÇONS DE M. DU PUYTREN. L’existence des vaisseaux lymphatiques ne saurait être contestée; quelquefois ils sont assez développés pour qu’on puisse très bien les dis- tinguer. Quant aux nerfs, s’il en existe, ils doivent être petits , d’une sensi- bilité très obtuse et purement nutritive ou organique ; car jamais l’excision de la tumeur ne détermine la moindre douleur } jamais les malades n’ont le sentiment de l’action des pinces de Museux; et si quelquefois elles se plaignent et jettent des cris, c’est que par mé- garde on a saisi entre les mors de ces dernières quelques parties de tissu sain, ou parce qu’on aura abaissé trop brusquement la matrice. L’âge et les forces de la malade sont assu- rément pour quelque chose dans le dévelop- pement des polypes et le degré de leur accrois- sement ; mais cet accroissement est bien plus relatif au degré de compression exercée par TUMEURS FIBREUSES DE h UTÉRUS. le corps ou le col de la matrice ; et en effet, l’expérience a démontré, ainsi que nous l’a- vons dit plus haut, que ceux qui parviennent à un plus grand volume, sont les polypes im- plantés à la surface externe de la matrice, dans une région qui n’offre aucun obstacle à leur développement. Mais ce volume varie extraordinairement. Il résulte de mes recher- ches, dit le professeur, que de la grosseur d’un grain de millet, ils peuvent acque'rir celle de la tête d’un adulte, et du poids de quelques grains, arriver à celui de douze ou quinze livres. Le plus gros que j’aie rencontré sur le cadavre pesait vingt-cinq livres environ. Tel devait être aussi celui de la femme du con- cierge du Conservatoire des Arts et Mé- tiers» Lorsqu’elle nous fut présentée, nous crûmes d’abord que nous avions affaire à une hydropisie enkystée ; puis, nous tombâmes dans une autre erreur en croyant à une énor- me hypertrophie de la matrice. Ce polype oc- cupait toute la cavité de l’organe, qu’il avait extraordinairement agrandie, et celui-ci rem- plissait exactement toute la cavité du bassin. Layle, parmi les plus petits qu’il a vus, en a trouvé qui pouvaient égaler une lentille; et M. Cauhhier de Claubry père a donné Fins- 462 LEÇONS DE M. DUPUYTR EN. toire d’une masse énorme , ayant trente-cinq pouces un quart de circonférence verticale, sur vingt-neuf pouces un quart d’horizontale, et pesant trente-neuflivres. Tant que les polypes ne sont pas dégénérés, ils ont un aspect blanchâtre , une surface lisse, et ressemblant assez bien à la surface de la matrice dans l’état sain ; iis sont plus ou moins rougeâtres s’ils sont enflammés ; enfin, ils prennent une couleur brune, grisâtre ou noi- râtre lorsqu’ils dégénèrent par eux-mêmes, ou qu’ils sont frappés de gangrène par l’eflet de la ligature ou de toute autre cause. Quant à leur consistance, quoiqu’elle pré- sente des degrés assez variés, ils sont généra- lement très durs, d’une grande densité, et ne peuvent point être écrasés comme les polypes celluleux, vésiculeux ou muqueux. Cette du- reté égale celle des fibro-carlilages interver- tébraux ; aiussi jouissent-ils d’une élasticité tort remarquable : en les jetant à terre, on les voit rebondir et s’élever à plusieurs pieds au-dessus du sol. Je me rappelle qu’ayant sus- pendu à des polypes volumineux un poids de plusieurs centaines de livres, ils n’ont point cédé et ne sc sont pas déchirés. TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. Leur forme présente des diversités assez nombreuses : ordinairement globuleux ou ovoïdes, ils sont assez souvent anguleux, bos- selés, quand ils plongent dans le vagin, et pour peu qu’ils soient d’un grand volume presque toujours divisés en lobes par des scissures ex- térieures. Nous en avons vu, dit M. Dupuy- tren, en forme de champignons renversés, d’autres conoïdes, ayant la petite extrémité en bas , etc. Ces particularités ne sont pas sans importance; il est en effet de la plus grande utilité pour le diagnostic, de bien apprécier la disposition que présente l’ensemble de la tumeur. En voici une preuve : IIIe Observation.— La femme d’un homme actuellement maire aux environs de Paris, consulta un des plus habiles chirurgiens de la capitale. Celui-ci la toucha, trouva une tu- meur, remarqua l’odeur fétide , et annonça au mari que sa femme était atteinte d’une ma- ladie cancéreuse, et n’avait pas trois mois à vivre. Cependant la malade fut conduite à M. Dupuytren. l’avais appris par expérience, dit le professeur, combien le toucher est trompeur et avec quel soin il faut le pratiquer avant de se prononcer sur la nature du mal. 464 LEÇONS DE M. DUPUTTiIEN. Je touchai et trouvai une tumeur assez volu- mineuse, que je pus circonscrire dans toute sa circonférence avec le doigt. Je portai le doigt plus haut, et je rencontrai un pédicule ; enfin, ajant poussé le doigt plus haut encore, je pus reconnaître son insertion au col de l’u- térus. J’annonçai donc au mari que sa femme portait un polype qu’il serait facile d’enlever, et que dans peu de temps elle serait guérie. Cet homme, tout stupéfait, me demanda, après quelques instans de silence, si j’étais Lien certain de ce que je lui disais, et me pria d’examiner sa femme une seconde fois. Je tou- chai donc de nouveau, et ce nouvel examen me confirma dans mon opinion. Alors il me lit part du jugement qui avait été porté par Je chirurgien célèbre dont j’ai parlé. Une auto- rité aussi imposante me fît craindre, je l’avoue, quelque erreur de ma part ; je me livrai à un troisième examen, avec plus de soins peut- être qu’auparavant ; mais tout me démontra la justesse démon diagnostic, et je proposai en- core l’opération comme un moyen prompt et facile de guérison. Elle fut acceptée avec em- pressement, et, au bout de douze ou quinze jours, la malade était parfaitement rétablie. TUMEURS FIBREUSES DE I’uTERUS. C’est donc la connaissance anatomique de la forme et de la consistance de la tumeur, qui nous a Fait éviter l’erreur. Portons notre examen plus avant dans la structure anatomique de ces polypes : ils se composent donc d’un corps, d’un pédicule, d’une racine, le tout recouvert d’une mem- brane d’enveloppe à l’extérieur et formé de tissus fibro - celluleux à l’intérieur : cette membrane d’enveloppe va se confondre et se continuer avec celte, qu’à tort ou à raison on a appelée membrane muqueuse de la ma- trice. C’est elle qui donne aux polypes leur surface lisse et d’un blanc rosé. Ce qui paraît démontrer sa nature mu- queuse et par contre-coup la nature muqueuse de l’enveloppe interne de l’utérus, dont elle n’est que le prolongement, c’est sa suscep- tibilité à contracter toutes les altérations propres aux membranes de ce nom. Telles que affections inflammatoires, calarrhales, ul- céreuses, flux muqueux , séreux, sanguins, sanieux, etc.; elle est susceptible d’une tur- gescence analogue à celle qui donne lieu à l’écoulement menstruel_, et de là naissent ou LEÇONS DE M. DUPUYTUEN. des suinteraens ou un véritable écoulement de sang ; elle est susceptible encore d’exulcé- rations semblables à celles que l’on observe sur la membrane pituitaire dans l’ozène ; et ces exulcérations deviennent la source d’écoule- mens puriformes , sanguinolens, sanieux. On les rencontre fréquemment, ces exul- cérations , sur le col de l’utérus et notamment sur le museau de tanche , et il est de la plus haute importance de ne pas les confondre avec les ulcérations cancéreuses , car cette méprise peut avoir de fâcheux résultats. J’ai vu des dames, dit M. Dupujtren, qui avaient été considérées , par des chirurgiens en renom, comme affectées de cancers, et qui n’ayan.t en réalité que de simples exulcérations, sont parfaitement guéries au moyen de quel- ques légères cautérisations. La conséquence de l’opinion contraire eût été la résection du col. On distingue les simples exulcérations de F ulcération cancéreuse, à leur rougeur, à leur forme irrégulièrement arrondie , à leur fond blanchâtre, formé d’une couche de tissu cel- lulaire fibreux qu’il n’est pas facile de distin- guer du tissu propre du polype. TUMEURS FIBREUSES DE I’uTÉRUS. Reprenons ces détails, dit le professeur, et tâchons de mieux vous faire comprendre en- core nos idées et nos opinions sur ce sujet. Nous avons distingué dans les polypes une en- veloppe , une racine, un pédicule et un corps. Il est bien entendu que par ce mot racine, nous n’admettons pas que les polypes s’insè- rent dans les parois de la matrice au moyen de prolongemens, de ramifications qui pénétre- raient plus ou moins profondément, à la ma- nière dont un arbre est implanté dans le sol; mais nous nommons ainsi, et nous l’avons déjà fait remarquer, l’ensemble des tissus par les- quels ils tiennent à la matrice. Ces tissus sont des artères, des veines, des vaisseaux lympha- tiques , probablement des nerfs, un élément fibreux, un élément celluleux, le tout recou- vert par une membrane ou séreuse, ou mu- queuse, suivant qu’il s’agit d’un polype de la cavité ou de la surface externe de l’utérus. Tous ces élémens divers concourent à la for- mation de celle partie des polypes, que nous appelons le pédicule. Voici comment ils pro- cèdent dans leur développement, et comment se forme le pédicule ; ces polypes prennent naissance dans un point très circonscrit de 468 LEÇONS DE M. DDPUYTREN. l’utérus, par un travail dont nous ignorons encore le mécanisme, et sous une forme à peine apparente ; nous en avons trouvé qui égalaient à peine un grain de millet ; ils s’ac- croissent incessamment, s’enveloppent peu à peu de la membrane séreuse ou muqueuse de la matrice, qui s’applique à leur surface, qu’ils poussent, qu’ils chassent au-devant d’eux à mesure qu’ils s’éloignent de leur origine ; mais à mesure aussi qu’ils s’éloignent et gros- sissent, ils s’alongent et laissent entre leur partie la plus développée, la plus forte et la matrice, une partie plus mince qui constitue le pédicule, et qui diminue de volume et de consistance en raison directe de sa longueur. Le pédicule se forme donc naturellement par le mode d’accroissement du corps fibreux et ne tient que rarement à des causes mé- caniques. On a prétendu qu’il n’existait que dans les polypes qui avaient franchi le col utérin et que par conséquent il devait être attribué à ja compression, à une espèce de strangulation exercee par les parois de cet orifice sur le polype : c’est une opinion erro- née, basée sur des faits matériellement faux. En effet, on trouve des pédicules dans les po- TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. lypes qui sont encore renfermés dans la ca- vité de la matrice ; on en trouve dans ceux qui se développent sur les diverses régions de la surface externe du col; on en trouve enfin dans ceux qui ont pris naissance à la surface péritonéale du corps de la matrice. Dans ces cas, et dans les deux derniers sur-tout, quelle cause de constriction propre à produire un tel résultat peut-on imaginer? Il n’en existe pas. Enfin, la membrane d’enveloppe des polypes de la cavité utérine est la même, avons-nous dit, que celle qui revêt celte cavité. Ses ca- ractères anatomiques, ses propriétés physi- ques et physiologiques que nous avons sont prouvés jusqu’à l’évidence, et ce n’est que par une conception bizarre et vraiment gothi- que qu’on a pu croire qu’elle était formée aux dépens du tissu propre de la matrice : en effet, elle se continue et ne forme qu’un tout avec la membrane interne de l’utérus; elle n’adhère au corps fibreux que par un tissu cellulaire, facile à détruire lorsqu’elle n’a pas été frappée d’in- flammation ou de dégénération; elle estsujette aux mêmes lésions et présente souvent des phé- nomènes physiologiques semblables à ceux des membranes muqueuses. Jugeons, de plus, par LEÇONS DE M. DUPUYTREN. comparaison : les corps fibreux de la surface externe ont-ils d’autre enveloppe que la mem- brane périlonéale delà matrice, et ceux qui naissent dans l’épaisseur de ses parois ne sont- ils pas simplement recouverts d’une couche celluleuse qui les isole du tissu même de l’u- térus? Cette opinion est donc aussi insoutena- ble que la première. Examinons maintenant la substance propre des corps fibreux. Plus profondément on trouve ce tissu même que j’ai appelé fibro-celluleux dont la tumeur entière, moins son enveloppe, est composée. Ainsi ces tumeurs ont une nature toute diffé- rente des polypes dits celluleux , vasculaires, vésicnleux ou muqueux. Tandis quelles sont très communes à la matrice , ceux-ci y sont très rares ; mais les exemples en sont fort nombreux, comme on sait, dans les fosses na- sales, à la marge de l’anus et sur la membrane muqueuse de quelques autres régions. J’en ai trouvé quelquefois à la matrice, mais seule- ment sur le col. Coupés immédiatement après leur excision, les polypes fibreux présentent une couleur d’un blanc nacré. Nous avons dit que leur na- TUMEURS FIBREUSES DE I’uTERUS. tare est éminemment fibreuse et tout-à-fait analogue aux tissus inter-vertébraux. Si l’on fait bouillir long-temps ceux-ci, ils se rédui- sent en une matière gélatineuse : il en est de même des polypes fibreux. Ils se composent encore d’un autre élé- ment : je veux dire de tissu celluleux , mais généralement plus dense, plus consistant que celui qui existe dans les autres régions. Sou- vent ces deux élémens s’y trouvent réunis par égales parts ; mais plus souvent il y a prédominance de l’un des deux, et c’est à cette prédominance que sont dues la plupart des transformations diverses qu’ils subissent. Si l’élément fibreux prédomine , le polype ne dégénère pas, ou s’il dégénère à la longue, c’est pour passer, non à l’état cancéreux, mais à l’état osseux. Si le tissu celluleux est au contraire plus abondant, les polypes dégénèrent en carci- nome. Cette tendance à l’état carcinomateux est constante et inévitable après un temps plus ou moins long. Leur substance s’enflamme, se ramollit; leur surface devient inégale, bos- selée, souvent elle s’ulcère. Alors commencent les éconlemens sanieux accompagnés d’une 472 extrême fétidité , signe certain du travail dé- sorganisateur. La constitution des malades s’al- tère; elles prennent un teint jaunâtre, elles s’e- liaient, et maigrissent. Les polypes présentent alors leur tissu transformé en matière cérébri- forme, dans laquelle on trouve des fongosités, des dépôts purulens, des épanchemcns desang, tons les produits, en un mot, d’une dégénéres- cence carcinomateuse. LEÇONS DE M. DUPUŸTHEN. L’observation a démontré que les polypes passent très rarement à l’état cartilagineux ou osseux, et presque toujours à l’état carcino- mateiix. Sur cent cas, dit le professeur, vous en trouverez à peine trois ou quatre qui subis- sent l’une des deux premières transformations. Mais entre les deux tissus élémentaires des polypes , que nous venons de désigner , existe une plus ou moins grande quantité de sérosité, à l’état libre ou combiné. Si la sérosité est libre , la dégénérescence cancéreuse est moins à craindre ; elle Test davantage si le liquide se trouve combiné avec les élémens fibre-cellu- leux. Telles sont les terminaisons diverses vers lesquelles les polypes fibreux tendent de leur propre nature, par suite de l’organisation qui TUMEURS FIBREUSES DE L,’UTÉRUS. leur est particulière. Mais leur dégénérescence est encore souvent l’elFet d'une cause toute ac- cidentelle, c’est-à-dire d’une inflammation qui se déclare sur leur enveloppe séreuse ou mu- queuse. Dans le premier cas, quelquefois elle s’étend au loin sur le péritoine, donne lieu à une péritonite et à toutes les conséquences de celte grave phlegmasie; d’autres fois elle se circonscrit sur un point de la tumeur et dé- termine des adhérences entre elle et les par- ties voisines, ou bien elle gagne en profondeur et amène l’un ou l’autre des divers degrés de dégénérescence dont nous avons parlé. Si l’in- flammation frappe l’enveloppe muqueuse, elle suit une marche analogue; il en résulte ou des catarrhes, ou des mélrites, ou des ulcé- rations, des écoulemens muqueox, séreux, purulens, sanieux, et dans tous les cas la dé- générescence carcinomateuse. Mais ce qui dis- tingue les effets de ces deux ordres de causes, O 7 c’est que la dégénérescence que j’appellerai spontanée, et qui est la suite nécessaire de l’organisation des procède du centre Vers la circonférence ; tandis que celle qui est le produit de rinflammalion, commence àla périphérie et gagne successivement toute la LEÇONS DE M. DUPUYTBEN. profondeur de la tumeur. Cette marche ne fait pas plus exception pour les dégénérescences osseuses que pour les autres : il y a cinq ou six ans, M. Loir nous fit voir une tumeur fibreuse qu’il avait recueillie à la Salpétrière, et dont la surface était passée toute entière à l’état osseux, tandis que l’intérieur conservait en- core son état fibreux primitif. On rencontre quelquefois des cavités dans Finlérieur des tumeurs fibro-celluleuses de Futérus. Ces cavités sont originelles et organi- sées , ou consécutives et résultant du ramol- lissement et de la dégénérescence du polype. Saviard et Boudou ont cité chacun un cas de la première espèce. En 1826, les chirurgiens de Fhôpital Saint-Louis enlevèrent une tumeur du volume de la tête d’un enfant, qui pendait depuis longues années à la vulve d’une femme, et qui, ayant été ouverte, offrit une cavité dans son centre et presque tous les autres ca- ractères de Futérus. On crut si bien avoir fait Fablalion de la matrice, qu’on s’appuya sur ce fait pour démontrer péremptoirement la possiblité de l’amputation de cet organe. Mais la femme mourut, et Futérus entier fut trouvé dans sa position naturelle : on avait TUMEURS FIBREUSES DE I’uTÉRUS. tout simplement détaché un énorme polype; Nous rapporterons plus loin l’observation de la femme Tarcois, dont le polype, excisé par M. le i 5 décembre de la même année, présentait aussi à son centre une cavité assez considérable. La surface interne de ces sortes de cavités est tantôt lisse et polie, tan - tôt elle offre des faisceaux fibreux saillans comme les colonnes charnues des ventricules du cœur. Les cavités de la deuxième espèce, prove- nant du ramollissement, de la dégénérescence du polype, sont remplies de liquide sanieux, sanguinolent, puriforme. Un chirurgien ayant appliqué sur les côtés d’une tumeur fibreuse d’un grand volume les deux branches d’un for- ceps afin d’en opérer l’abaissement, la pression exercée par l’instrument ouvrit une cavité qu’elle contenait, et il s’en écoula une certaine quantité de matière filante, qui exha- lait une odeur insupportable. Un chat en ayant léché quelques cuillerées qui étaient tombées sur le carreau , mourut le jour même avec des symptômes semblables à ceux d’un choléra- morbus. Le même chirurgien a extirpé deux autres polypes chez deux femmes différentes. LEÇONS DE M, DUPUVTREN. dont l’un avait plusieurs cavités remplies de caillots de sang, et l’autre trois fojers conte- nant une matière brune et filante. (Journ. Génér. de Me'd. ) D’après ces faits précieux d’anatomie patho- logique, dont la connaissance est due aux tra- vaux de notre célèbre professeur, l’opinion est définitivement fixée sur la nature et la marche de ces affections ; et il reste prouvé que toutes ces substances fibreuses, cancéreuses, fongueu- ses ,ou fibro-cartilagineuses, osseuses, pier- reuses, etc., que l’on avait considérées comme autant de productions de nature et de cause différente, ne sont que des degrés divers, des transformations successives d’une même mala- die. Mais il en résulte encore que si ces tumeurs sont enlevées dès l’origine et avant toute dégénérescence , il y a fort peu de chan- ces de récidive; que cette récidive est fort à craindre, au contraire, si on attend plus tard, et que la dégënéralion cancéreuse soit mani- feste. Et en voici la raison. D’abord, l’exis- tence de celte tunique d’enveloppe dont nous venons de parler est démontrée jusqu’à l’é- vidence par la dissection. Vous l’avez par- faitement constatée par l’examen des deux TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. polypes que nous avons mis sous vos yeux. Cette enveloppe sert de véritable barrière à l’envahissement des tissus voisins par la maladie. Tant que la tumeur n’est pas dé- générée, la cause qui l’a développée ne peut avoir aucune action sur l’organe où elle siège ; mais une fois frappée de dégénérescence , la membrane d’enveloppe est atteinte elle-même, et le mal se communique aux tissus organi- ques voisins auxquels elle est unie par un tissu cellulaire filamenteux facile à détruire dans l’état sain. Tant que le travail morbide est circonscrit dans la tumeur, on peut l’enlever avec beaucoup de facilité par énucléation. Il faut au contraire une dissection longue , difficile, douloureuse dans le second cas, parce que ce n’est plus à un kyste , c’est-à- ---dire à une masse morbide, isolée au milieu de tissus sains que Ton a affaire, mais aux tissus de l’organe lui - même. Aussi on ne peut pas toujours extirper jusqu’aux derniers vestiges du mal. On comprend maintenant pourquoi, dans le premier cas, on a fort peu à craindre une récidive, tandis que dans le se- cond celte récidive est très probable. Mais une troisième conséquence de ces faits , c’est que LEÇONS DE M. DUrüYTREN. l’opération , très facile dans la première pé- riode, devient souvent impraticable lorsque le mal a dépassé la tunique d’enveloppe, parce qu’elle nécessiterait une perte de substance beaucoup trop étendue. Deux exemples s’of- frent actuellement à vous dans nos salles, comme preuve de nos assertions. Les malades portaient toutes les deux une tumeur fibreuse delà parotide ; mais chez l’une il n’y avait pas encore de dégénérescence cancéreuse ; le mal était encore limité dans l’enveloppe : la tu- meur a été extirpée par énucléation; la ma- lade va très bien et sera guérie sous peu de jours. L’autre qui était venue nous consulter il y a plus d’un an, était alors dans le même cas que la première : nous l’avions fortement engagée à se faire opérer en lui annonçant toutes les suites de son affection. Elle n’a point tenu compte de nos conseils. Une année s’est écoulée et elle revient ; mais la tumeur a passé à l’état carcinomateux, le mal a non- seulement envahi toute la parotide, mais en- core les tissus cellulaire et cutané voisins dans une grande étendue ; et il résulterait de l’opé- ration une plaie si considérable» que nous ne croyons pas pouvoir ni devoir la pratiquer. TUMEURS FIBREUSES DE l/üTÉRUS. Résumons, dit le professeur, les détails dans lesquels nous venons d’entrer sur les caractè- res anatomiques des polypes fibro-celluleux. De quoi sont-ils composés? d’artères, de vei- nes, de vaisseaux lymphatiques et peut-être de nerfs. Les artères ont un volume relatif au volume du polype; elles sont quelquefois très grosses, et cependant elles fournissent bien rarement du sang; elles sont toujours placées au centre du pédicule, et cette disposition ex- plique un phénomène remarquable : c’est que la ligature empêche rarement la circulation du sang par les artères centrales. Les vaisseaux lymphatiques y sont nom- breux et souvent très ainsi que nous l’avons dit. J’en ai injecté plusieurs fois jadis, et rien n’est plus facile. Ont-ils des fonctions à remplir ? Leur existence même est une ré- ponse suffisante à cette question. Ils exhalent des mucosités qui lubrifient ie polype ; d’autres fois, il se fait une sécrétion séreuse, et les femmes rendent une sérosité inodore, etc. Exis- te-t-il des nerfs dans les polypes? Nous avons déjà dit pour quels motifs nous pensions qu’il n’y a que des nerfs de vie organique et non des nerfs de vie de relation. Nous ajoute- rons que souvent nous avons taillé de ces po- lypes sur le vivant, et que les femmes n’éprou- vaient aucune douleur. Cependant il arrive quelquefois que ces corps, étant pris d’in- flammalion , deviennent douloureux : c’est un phénomène analogue à celui qu’on observe dans les organes indépendans de la vie de re- lation, lorsqu’ils sont affectés de phlegmasie. LEÇONS DE M. DÜFÜYTfIEN. La maladie qui nous occupe était considérée autrefois comme très rare. Lorsque Levret commença à s’en occuper, il lui fallut sept ans pour réunir trois cas auxquels il pût ap- pliquer sa méthode. Herbiniaux dit être le second qui en eût rencontré à Bruxelles ,et un professeur hollandais, qui n’en avait ja- mais vu, prétendait que les femme de son pays en étaient exemptes. Mais, depuis, il a été reconnu que les polypes fibro-celluleux de l’utérus sont une des affections les plus com- munes des femmes. Bayle évalue à un cin- quième le nombre des femmes âgées de plus de trente-cinq ans, chez qui il a trouvé un ou plusieurs corps fibreux. Portai, en 1770, avait obtenu une proportion bien plus forte : sur vingt matrices qu’il examina, treize lui offri- rent des polypes dans leur cavité. Suivant tumeurs fibreuses de l’utérus. M. Dupuytren, il n’y a presque pas de matrices de vieilles femmes qui ne contiennent quel- ques tumeurs de ce genre. Nous nous garderons bien , dit le profes- seur, de vous exposer, sans profit pour votre instruction, les hypothèses émises sur les cau- ses éloignées et immédiates des polypes uté- rins : elles ne nous sont pas moins inconnues qu elles ne l’étaient à nos devanciers. Ceux là paraissent être nés à la suite d’un accouche- ment laborieux, qui a nécessité des manœu- vres prolongées et douloureuses, ou l’emploi du forceps ; ceux-ci avoir succédé à une leu- corrhée ancienne et abondante, ou à une sup- pression du flux sanguin périodique , sans qu’on puisse dire, si, dans ces deux cas, ils étaient la cause ou l’effet. Cependant il est deux laits relatifs aux causes prédisposantes sur lesquels l’expérience paraît s’étre pro- noncée d’une manière positive. Il résulte d’un ensemble assez considérable d’observations que nous avons tirées de divers écrits, que l’âge de quarante à cinquante ans est celui qui fournit le plus grand nombre de polypes uté- rins , et d’un autre côté que l’assertion de Bayle, tant de fois répétée sans examen, sur LEÇONS DE M. DÜPÜLTIIEN. l’influence du célibat et de la stérilité dans ia production de ces maladies, est complètement erronée. Le nombre d’observations que nous avons consultées s’élève à 62. M. le docteur Velpeau a bien voulu nous communiquer l’histoire des 11 malades qu’il a observées et traitées soit dans sa pratique civile, soit à l’hôpital dont il est chargé. Ces faits, qu’il a seulement indiqués dans ses Nouveaux Elémens de médecine opé- ratoire, n’ont encore été publiés nulle part. Les ouvrages où nous en avons puisé un grand nombre, sont ceux de madame Boivin , de M. Récamier, le Mémoire de Bajle , le Journal Général de Médecine , tom. 101, di- vers autres journaux de médecine, et la Thèse de M. le docteur Marx , si riche en faits pré- cieux. Enfin, nous en devons plusieurs à l’o- bligeance de notre confrère et ami M. le doc- teur Fournier, d’Arras. i° Relativement à l’âge, on ne tient géné- ralement compte dans les histoires de ces affections que de celui où la malade a été sou- mise à l’observation du praticien. Nous avons cru , nous, devoir chercher à établir deux époques dans la vie de ces malades : celle-là TUMEURS FIBREUSES DE I’dTÉRUS. d’abord , et une autre bien plus importante , la seule, à notre avis, qu’il soit réellement utile de constater ; nous voulons parler de l’épo- que où les premiers symptômes de la maladie se sont manifestés. C’est par là, en effet, qu’on arrivera à connaître quelle est véritablement la période de la vie qui a le plus d’influence sur la production des polypes. Age des malades lors de l’apparition des premiers symptômes de la maladie : Sur les 62 faits, il en faut déduire 5 , dont l’histoire n’indique point l’âge qu’avaient les malades lorsque l'affection a débuté. Res- tent sy. Sur les 57, les premiers symptômes de la maladie se sont manifestés : Chez i malade de i5 à 20 ans incl 10 de 20 à 29. *9 de 3o à 3g. 23 de 4o à 4g* 3 de 5o à 5g. i de 60 et au-dessus. Total égal 67 Ainsi, la période qui en fournit le plus est celle de 40 à 5o ans ; vient ensuite celle de 5o à 40. Mais en consultant l’âge réel de cha- que malade, on voit que c’est de 55 à4sou 48 que la maladie débute le plus fréquemment, c’est-à-dire à l’époque de la vie où la force de nutrition et de vitalité est le plus dévelop- pée dans les organes. LEÇONS DE M. DIJPüYTREN. Age des malades à l’époque où elles ont été observées et traitées : De 20 à 29 ans inclusivement. 8 malades. De 3o à 3g 18 De 4o à 4g M De 5o à 59- 6 De 60 et au-dessus. 5 Age non indiqué 1 Total égal. 62 2° Relativement au mariage ou au célibat, nous avons dû considérer comme mariées et classer comme telles toutes les malades, filles ou femmes, qui ont cohabité. Il serait vrai- ment ridicule de porter au nombre des céli- bataires des filles qui auraient usé ou abusé du coït et de venir dire ensuite que le célibat a une grande influence sur le développement des polypes : assurément l’acte municipal n’a que faire dans une telle question. Sur 62 malades, il en est 4 ? dont l’étal TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. civil ou la conduite n’a pas été notée par les auteurs des observations. INous n’opérons donc que sur de 58. Or, sur ces 58 malades, 54 étaient mariées , ou, étant filles, avaient cohabité; 4 seulement étaient filles et présumées n’avoir jamais co- habité. Total égal. . 58 5° Voyons maintenant si l’opinion de Bayle, à l’égard de la stérilité, est mieux fondée que la précédente : nous devons d'abord déduire du total de 62 , les 4 filles du tableau précé- dent qui sont présumées n’avoir jamais coha- bité, et 7 femmes ou filles dont la fécondité ou la stérilité n’a pas été constatée, et établir notre évaluation sur le nombre de si. Femmes mariées ayant eu de i à 10 en F. 39|/ Filles ayant eu des enfans. f , 5 S42 Femmes mariées ré ayant point eu d’enf. 8 Filles ayant cohabité sans avoir eu d’enf. l) 9 W Total égal. 5i INous ferons remarquer que parmi les femmes 486 LEÇONS DE M. DUPUYTftEN. qui ont eu des enlans , la grande majorité en a eu plus de 5, beaucoup d’entre elles plus de 6, et plusieurs 7, Bet 10. * 4° Etat de la menstruation. Sur les 62 ma- lades : 4i ont été bien réglées jusqu’au début de la maladie ; 5 étaient mal réglées depuis quelques années avant l’ap- parition des premiers symp- tômes ; 6 avaient été mal réglées de tout temps ; i âgée de 4& ans, quoique bien réglée , avait des pertes blanches très abondantes , depuis l’âge de 18 ans et avait fait néanmoins 6 en- fans ; 9 dont l’état de la menstrua- tion n’est pas connu. Total égal. 62. Ces données sur la menstruation offrent peu d’intérêt, et nous n’avons les présenter ici que pour rectifier les idées que l’on propage dans l’enseignement et dans TUMEURS FIBREUSES DE l/üTÉRUS. les livres. Quelles conséquences en effet peut- on en tirer? Sur les 41 femmes qui ont été Lien réglées jusqu’au début de la maladie , nous en trouvons 26 qui étaient arrivées plus ou moins près de l’âge critique, c’est-à-dire à 38, l\i , 45 ans et au-dessus. L’une d’elles , réglée à 10 ans 5 mois, le fut parfaitement bien jusqu’à ans, et la maladie se dé- clare trois ans après ; un autre le fut constam- ment depuis i 4 ans jusqu’à 56, et est atteinte de l’affection à 65 ans. Ces résultats viennent seulement confirmer ce qui est déjà établi, savoir que la période de la vie où les tumeurs fibro-celluleuses , ainsi que les autres affec- tions de l’utérus, se développent le plus fré- quemment, est celle de 35 ou 5o ans. Mais quel que soit l’âge auquel il survient un dérangement dans les fonctions menstruelles, faut-il considérer ce dérangement comme la cause du polype , et la proposition inverse ne se rapproche-t-elle pas davantage de la vérité ? Les inductions, au contraire, qu’on peut tirer des faits qui précèdent relativement à Cage, au mariage ou au célibat, àla fécondité ou à ia stérilité, sont positives et trop sensi- blés pour être exposées. JNous ne prétendons pas qu’en réunissant d’autres faits pris au ha- sard, ou qu’en opérant sur un chiffre plus élevé, on obtienne des proportions semblables à celles que présentent nos tableaux ; mais nous ne doutons pas que les résultats ne soient toujours les mêmes. IiEGQNS DE M. DUPUYTU EN. On a placé aussi parmi les causes prédispo- santes , le tempérament lymphatique : rien n’est démontré jusqu’ici sur ce sujet, et l’on a besoin également de consulter l’expérience. Quant à la profession, etc., et aux causes im- médiates, nous ne trouvons rien de satisfaisant dans les auteurs. Passons maintenant à d’autres parties non moins importantes de notre sujet, îa Symplo- matoîogie, le Diagnostic et le Traitement, sur lesquels néanmoins la nature et la forme de notre travail ne nous permettent pas d’entrer dans de longs détails. Aucun symptôme pré- curseur ne fait prévoir la naissance d’un poly- pe ; il est même un certain nombre de cas où celte production organique anormale ne peut être reconnue que lorsqu’elle a acquis un vo- lu me assez considérable, et d’antres où il est impossible d’en constater positivement l’exis- tence. TUMEURS FIBREUSES DE I’uTÉRUS. 489 Si les polypes soûl très petits et en même temps situés à la surface péritonéale de la ma- trice, ou enfoncés dans ses parois, ne donnant lieu à aucune espèce d’accident, rien ne peut les faire reconnaître pendant la vie,- et dans ces cas i’affeclion rentre complètement dans le domaine de l’anatomie pathologique. Il n’en est pas ainsi lorsqu’ils sont volumi- neux ou saillans dans la cavité de la matrice; ils déterminent alors des accidens très pro- noncés, par lesquels ils révèlent leur dévelop- pement. Mais ces accidens ou ces signes sont loin d’être les mêmes dans tous les cas ; et ce qui établit sur-tout une grande différence à cet égard , non moins que pour le traitement, ainsi que nous vous le démontrerons bientôt, c’est le siège qu’ils occupent. Nous devons donc en étudier les symptômes elles signes, suivant qu’ils sont implantés à la surface in- terne de la matrice , dans l’épaisseur de ses parois ou à sa surface périlonqjde. i° Dans la cavité de la matrice. Lorsque le polype naît et s’accroît dans la cavité de cet organe , les premiers symptômes sont le senti- ment d’un poids dans la région abdominale , un tiraillement douloureux dans les aines, la région des reins et la partie interne des cuisses, des coliques plus ou moins fortes qui, lors- qu’elles se font sentir, s’accompagnent d’une tension douloureuse dans la région hvpogas- volume, un sentiment de pesanteur, de pres- sion au fondement. LEÇOJNS DE M. DUPüYTREN. Les femmes qui sent encore réglées , éprou- vent d’abord des irrégularités dans la mens- truation ; les époques des règles sont plus ou moins rapprochées, leur durée est plus longue, ou elles reviennent plusieurs fois par mois et à intervalles inégaux. Souvent aussi elles ont des flueurs blanches très abondantes, et quel- quefois, nous venons de le dire, des ménor- rhagies. Mais tous ces symptômes n’indiquant qu’un trouble des fonctions utérines , peuvent tenir à toute autre cause qu’à l’existence d’un polype saillant dans la cavité de la matrice. Le médecin est par conséquent réduit, pour l’ordinaire, à (Jps conjectures dans cette pre- mière période de la maladie. Mais arrive l’époque d’une deuxième pé- riode beaucoup moins obscure et fournissant déjà quelques signes rationnels d’une grande importance ; c’est celle où le polype ayant ac- TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS, quis un volume plus ou moins considérable et distendu par degrés la matrice, se pré- sente à l’orifice interne du le presse, cherche à le dilater, l’entrouvre, le franchit et vient faire saillie dans le vagin. Il est de la plus haute importance de se rappeler, qu’il s’écoule d’ordinaire plusieurs mois et souvent plus d’une année entre la première et la se- conde période; etque par conséquent, lorsqu’on a des raisons de soupçonner l’existence d’un polype, il ne faut pas perdre de vue la ma- lade, mais avoir soin de l’examiner au moins tous les mois, afin d’être prêt à remédier aux accidens fâcheux qui peuvent se manifester. On a vu souvent des femmes périr, parce qu’on avait négligé ces précautions. La maladie arrivée à ce point, une série de symptômes plus complets et plus conslans se présente : les douleurs des reins et des aînés prennent le caractère de tiraillemens ; il s’y joint de la pesanteur au fondement et une ten- dance à la constipation. La marche est quel- quefois gênée ; enfin, la malade accuse une pression, une gêne insolite à la partie supé- rieure du vagin. C’est alors enfin que commen- cent à se faire sentir ces mouvemens d’expul- sion , ces contractions utérines, semblables aux douleurs de l’enfantement, qui se répè- tent à des intervalles variés, et offrent quelque-’ fois l’inexplicable caractère d’une périodicité très régulière. En voici un exemple qui dé- montrera en même temps les difficultés de diagnostic que présente la maladie à cette pé- riode , et comment on est parvenu à l’établir au moyen du toucher. On pourra le rapprocher de celui rapporté précédemment. ( 5e Obser- vation . ) LEÇONS DE M. DUPUYTREN. \le Observation.—Une jeune femme de vingt-deux ans , appartenant à une famille opulente, vient des frontières du royaume à Paris pour se faire traiter d’une affection de l’utérus. Elle est confiée aux soins de deux médecins en grande renommée. Tous deux considèrent cette maladie comme un engorgement de l’organe et la traitent sui- vant cette indication erronée, pendant plus de deux mois. Sa position allant chaque jour de mal en on se décida , au bout de ce temps, à appeler en consultation un chi- rurgien célèbre, que nous croyons inutile de nommer. Le médecin ordinaire lui fit d’abord observer qu’il existait un phénomène fort re- TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. marquable , savoir : que tous les jours , à Ja même heure , la malade éprouvait des dou- leurs comme pour accoucher. Ce premier in- dice lui donna l’éveil, et le mil sur la voie du diagnostic. C’est une circonstance, en effet, que Ton observe généralement dans les cas où un corps étranger est renfermé dans la cavité utérine; la matrice, irritée par sa présence, se contracte pour l’expulser, et ces contrac- tions simulent les douleurs de l’accouche- ment, sur-tout lorsque l'expulsion rencontre des obstacles. Les mêmes phénomènes ont lieu lorsqu'il se développe dans cette cavité des excroissances anormales. Il n’y avait donc de remarquable, chez cette malade, que la pério- dicité des contractions utérines. Le chirurgien touche la malade couchée ; dans celte position, ses recherches n’offrent rien de satisfaisant. Il la fait mettre debout: l'orifice utérin présente une dilatation de la grandeur d’une pièce d’un franc environ ; le doigt indicateur porté à l’entrée de cette ou- verture et en parcourant la circonférence, fait reconnaître une dureté assez considéra- ble qui paraît appartenir aux parois de l’or- gane et se confondre avec elles. On avait alors LEÇONS DE M. ÜUPUYTREN. la sensation d’une tuméfaction, d’un épaissis- sement des parois du col, et en ne portant pas plus loin son examen, on pouvait facilement croire à un engorgement. Telle avait été la cause de l’erreur des premiers consultans , erreur, du reste, très facile dans cette circon- stance, nous le ainsi qu’il fut démon- tré d’abord par une nouvelle exploration et plus tard par l’ouverture du cadavre : en effet, le polype développé à la face interne de l’or- gane , venait s’appliquer exactement contre son orifice et n’en dépassait point les bords ; sa consistance n’avait rien de particulier, si ce n’est une dureté un peu plus prononcée que celle qui existe dans un simple engorge- ment. Le doigt rencontrait cette dureté, qui ne se distinguait point des parois du col quel- que peu amincies parla dilatation. Ce surcroît de consistance pouvait faire penser à l’exis- tence de quelque tubercule : le chirurgien poussa fortement le doigt et pénétra dans Tin- terieur avec beaucoup de difficultés ; mais alors il rencontra une; tumeur assez volumi- neuse , qu’il put aisément circonscrire et ap- précier, et il annonça l’existence certaine d’un polype, [/extirpation en fut décidée; mais la TUMEURS FIBREUSES DE 1/UTÉRUS. malade devant avoir ses règles le lendemain ou le surlendemain, on ne jugea-pas con- venable de pratiquer cette opération avant qu’elles ne fussent passées. Elles surviennent, en effet ; mais aussitôt une violente péritonite se déclare, et la malheureuse succombe en peu de temps à celte phlegmasie. La pièce anato- mique que nous avons examinée a démontré la justesse du diagnostic : on avait affaire à un polype fibreux. ( Journ. Ojwnp. des Sc. Méd.) Cette marche des polypes de la cavité uté- rine n’appartient, comme vous le pensez bien , qu’à ceux qui sont pédiculés. Mais lors- qu’ils ne sont pas pédiculés et qu’ils sdht seu- lement saillans dans la cavité de la matrice, les symptômes sont ceux de la première pé- riode, c’est-à-dire très incertains. Le toucher n’est presque d’aucune utilité pour apprécier la véritable nature du mal, dont l’existence ne peut être constatée avant la mort. Quelquefois cependant le col utérin est tel- lement rigide, le polype tellement accru dans l’intérieur de la matrice, que, bien qu’il soit pédiculé, il ne peut s’ouvrir un passage à travers l’orifice et que la maladie reste à sa se- conde période. Mais les phénomènes qu’elle présente sont alors et bien plus graves et bien plus fâcheux. La matrice se dilate de plus en plus, à mesure que le poljpe grossit, l’hypo- gaslre est soulevé par la tumeur, les douleurs d’expulsion sont violentes et peuvent détermi- ner une Inflammation de l’organe ; il y a des pertes abondantes et presque continuelles. De là, faiblesse générale, impossibilité de mar- cher et de se mouvoir, pâleur toujours crois- sante , bouffissure prononcée , hydropisie partielle ou générale, pouls petit, faible, pré- cipité, syncopes fréquentes; et si l’on ne peut remédier à ces accidens, la mort arrive dans une anémie et une prostration complètes. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Lorsque le polype est descendu dans le va- gin, ou est arrivé à sa troisième période de dé- veloppement les douleurs hypogastriques cessent ordinairement ; mais la tumeur presse davantage sur la vessie, et, suivant sa position, donne de fréquens besoins d’uriner, ou met un obstacle à l’écoulement des urines; elle presse sur le rectum et s’oppose à la défécation; sur le périnée et la malade peut à peine s’asseoir; sur les parois du vagin et elle y détermine une irritation chronique, accompagnée de flueurs blanches abondantes ou d’un écoulement sa TUMEURS FIBREUSES DE u’UTÉRUS nieux d’une odeur infecte. li y a en même temps des pertes en rouge très fréquentes ou continues ; enfin surviennent tous les symptô- mes généraux et locaux que nous avons dé- crits ailleurs , lorsque le polvpe passe à la dé- générescence cancéreuse. Les destinées d’une malade portant un po- lype arrivé à ce terme, s’accomplissent ordi- nairement en cet état, soit qu’on l’opère, soit qu’elle succombe aux désordres généraux; et il est assez rare que le corps fibreux s’engage dans l’orifice volvaire et y séjourne, ou le fran- chisse et vienne se fixer entre les cuisses. Ce- pendant on en a plus d’un exemple, et l’on conçoit que cela doive arriver spécialement chez les femmes qui ont la vulve très large. Du reste, la maladie, à cette quatrième pé- riode , ne donne lieu à aucun symptôme nou- veau, digne d’attention ; mais la position de la malade est des plus pénibles et des plus dégoû- tantes. Une chose mérite d’être notée, c’est que la masse toute entière étant exposée à l’ac- tion de l’air et irritée sans cesse par cette cause et par les frottemens qu’elle éprouve, passe ra- pidement, en général, à une dégénérescence fâ- cheuse. Les malades peuvent ordinairement la repousser dans le vagin , ou , si elle ne dépasse pas entièrement la vulve , elle rentre quelque- fois spontanément pour se précipiter de nou- veau à la première contraction musculaire de l’abdomen, àla moindre secousse de toux , au moindre faux pas, etc. leçons de m. dujpuyïken. D’après la nature des faits que nous venons d’exposer, il est évident que chaque époque de la maladie présente des moyens àeDiagnos- tic différens et des difficultés de jugement plus ou moins grandes. Lorsque les polypes fibreux sont totalement renfermés dans la.matrice, dont le col utérin n’est point dilaté , les symptômes rationnels ne laissent que des conjectures, et le toucher et la vue sont insuffisans. Mais lorsqu’ils se présentent à l’orifice uté- rin et que le col est plus ou moins dilaté, les moyens de diagnostic sont plus nombreux et plus sûrs : an premier rang sont le toucher et l’inspection à l’aide du spéculum. Par le toucher, on sent une tumeur qui se fait jour entre les lèvres de i’orifîee, tumeur arrondie, lisse, d’une consistance variable, mais en général très ferme. Il s’agit alors de décider si on a affaire à un polype ou àun en- gorgement du col, si le polype prend naissance TUMEURS FIBtUEUSES DH I’uTÉRUS. sur le rebord de ce col ou à sa face interne, ou s’il provient de la cavité de la matrice. La première question n’est pas toujours facile à résoudre, sur-tout lorsque la tumeur est à peine engagée dans l’orifice, ou que celui-ci n’est pas assez dilaté pour permettre la libre introduction du doigt, et l’erreur est immi- nente ; nous en avons cité une preuve précé- demment (pag. 492 ). Il faut alors, à l’exemple du chirurgien dont nous avons parlé dans cette observation , répéter l’exploration autant de fois qu’il est nécessaire,, chercher à introduire le doigt dans le col, y pénétrer même aveç effort, s’il y a dilatation suffisante. S’il existe un polypeon peut en parcourir la circonférence, reconnaî- tre son pédicule à la dépression circulaire que l’on rencontre, et souvent arrivçr même jus- qu’à son point d’insertion et désigner la région de la matrice où il prend racine. Dans un en- gorgement du col, ces caractères n’existent pas :on ne trouve ni dépression, ni pédicule; le doigt ne peut circuler autour de la tumeur; il n’en touche que la partie saillante à l’intérieur du col, parce qu’elle se continue uniformément avec ses parois, et l’on ne peut dire s’ü»existe 500 un simple engorgement ou un polype de la deuxième espèce, c’est-à-dire de ceux qui se développent dans l’épaisseur des parois de l’or- gane. Les mêmes difficultés se présentent lors- qu’un polype adhère , par suite de l’inflamma- tion de son enveloppe , avec la surface de la matrice ou du col utérin. Dans toutes ces cir- constances, on a besoin de beaucoup d’habileté et d’une grande habitude du toucher pour éviter l’erreur. Si le polype est implanté sur le rebord du col, l’orifice est libre, et à côté de lui on sent une des lèvres occupée par une tumeur pédiculée ou non pédiculée. LEÇONS DE M. DIJPU YT (IEN. Les polypes «fibreux qui naissent du col de l’ulërus déterminent une augmentation consi- dérable du volume de la partie du col qui leur donne naissance. Cette partie semble alors se prolonger et «même se confondre avec le po- lype. 11 est quelquefois assez difficile de dis- tinguer le point où commence la substance de l’un et où finit celle de l’autre. Dans ce cas, le col utérin est toujours déformé et dévié. Lorsque le polype est descendu dans le va- gin, s’il est d’un volume médiocre, on le re- connaît assez facilement par le toucher. Ce moyen1 d’exploration est plus difficile et plus TUMEURS FIBREUSES DE I’üTERUS. délicat, s’il est volumineux et s’il remplit la cavité vaginale. Il faut circonscrire avec la pulpe du doigt le pédicule de la tumeur; si l’on sent tout autour une rainure circulaire où le doigt ou bien un instrument, puisse pé- nétrer, et autour de cette rainure le col utérin dilaté et dont les bords sont libres, on peut affirmer que la tumeur vient de l’utérus. Si, au contraire, l’orifice est libre, mais qu’une de ses lèvres soit continue au pédicule , on a affaire à un polype du col. Quelquefois le polype remplit tellement le vagin, que le doigt ne peut pas tourner à vo- lonté autour du pédicule ; il faut alors, comme l’a pratiqué M. Dupuytren, dans un cas que nous allons cher, introduire tour à tour les deux doigts indicateurs de chaque côté de la tumeur, afin de pouvoir s’assurer de son origine en arrivant jusqu’au col de l’utérus. Mais il est des polypes qui, figurés en cham- pignons ou de toute autre manière, mettent même l’opérateur dans l’impossibilité de por- ter le doigt à celte hauteur. On dans ces circonstances , d’autre parti à prendre que ce- lui conseillé par Levret, de saisir la tumeur avec des pinces, de la faire descendre jnsqu’à JLECONS DE M. DUPU\rTREiSr. 5 la vulve, et de procéder ainsi en même temps au diagnostic et à l’opération. Ve Observation. Jeanne Moncouteau, âgée de cinquante ans, veuve, journalière, d’un tempérament bilioso-nerveux, d’une fai- ble constitution, ayant cessé d’être menstruée à quarante-six ans, fut prise d’un écoulement en blanc très abondant, avec de vives coliques, douleurs lombaires et inguinales. Quelques bains tièdes, dont la malade lit alors usage, lui procurèrent un peu de soulagement. Une année après, pertes en qui se répétè- rent deux et trois fois par mois, quelquefois à des distances plus éloignées ; elles étaient ac- compagnées de faiblesse, d’un état de langueur générale. Elle vint à l’Hôtel-Dieu, dans une salle de médecine, le 18 avril 1818, où le toucher fit reconnaître dans le vagin la pré- sence d’une tumeur volumineuse , lisse, égale à sa surface, remplissant en totalité la cavité du vagin, dont elle avait distendu les parois ; on ne pouvait que très difficilement, et en causant de vives douleurs à la malade, ar- river jusqu’au col de l’utérus pour s’assurer de l’origine de la tumeur; avec le même doigt il était impossible d’en parcourir la circonfé- TUMEURS FIBREUSES DE I’uTÉRÜS. rence. Pour y parvenir, le médecin fut obligé de se placer au côté gauche de la malade, d’insinuer Je doigt indicateur de la main du même côté entre la tumeur elle vagin. Arrivé au col del’utérus, il put explorer tout le côté droit de la circonférence et se convaincre que la tumeur ne s’implantait point sur cette partie ; il en fit de même pour le côté gauche, se plaçant à droite de la malade. Plusieurs praticiens explorèrent de la même manière et eurent tous la même idée de la maladie. Amenée dans les salles de chirurgie, le 21 avril 1818 , elle était dans l’état suivant : face pâle, jaunâtre, triste ; yeux ternes ; peau sèche et terreuse ; parole faible ; pouls petit et lent ; peu d’appétit; digestions mauvaises et labo- rieuses; lassitudes et pesanteurs dans les lom- bes et dans les cuisses ; coliques fréquentes ; écoulement en blanc par le vagin : on sentait dans cette cavité une tumeur lisse à sa surface, dure, résistante, qui la remplissait complète- ment, et en avait distendu les parois. M. Du- puytren, malgré sa grande habitude et son habileté, eut la même difficulté à explorer cette tumeur, pour en connaître le point d?in~ section, qu’avaient eue les médecins des autres salles : il y parvint par la même conduite qu’ils avaient tenue. LEÇONS DE M. DUPÜYTREN. Le professeur procéda à l’opération suivant sa méthode. Mais ayant amené la tumeur à la vulve, et cherchant à lui faire franchir cet orifice, il ne put y parvenir à cause de son étroitesse, la malade n’ayant jamais eu d’en- fàns. Il fut obligé de pratiquer une incision d’un demi-pouce à la commissure postérieure. Ayant appliqué ensuite une troisième pince de Musenx sur la tumeur, il l’attira au dehors. Avec des ciseaux courbés sur le plat, il la coupa en contondant le pédicule ; il n’y eut point d’hémorrhagie. La première journée qui suivit l’opération, la malade était assez bien; le soir, elle n’é- prouvait aucune douleur. Le deuxième jour, elle se plaignait de quel- ques douleurs dans l’hypogastre ; le som- meil avait été tranquille, le pouls était petit, il y avait eu un léger frisson le matin. On la fit repasser dans la salle de médecine, d’où elle venait ; elle y resta quelques jours, et en sortit parfaitement guérie. Dans la quatrième période de la maladie, lorsque le polype se présente à la vulve, ou TUMEURS FIBREUSES DE l/UTERUS. qu’il l’a même franchie, le toucher est en gé- néral facile et la vue vient à son secours. Ce- pendant il est encore des cas qui offrent de grandes difficultés. La base capitale du diag- nostic est toujours l’exploration du col, de son orifice central et du cul-de-sac circulaire qui le sépare du vagin. Or, lors même que le po- est sorti de la vulve , si la matrice n’a pas été entraînée, mais est resté# à sa hauteur or- dinaire, si le pédicule est très long, et sur-tout s’il est très gros, on peut assurément recon- naître au premier aspect la nature de la tumeur; mais souvent il sera impossible de savoir d’où elle est partie, où finit le pédicule, quel est le lieu de son implantation. VIe Observation, —M. L. Tellier, frui- tière, âgée de cinquante-un ans, mère de deux enfans, dont le plus jeune a dix ans, bien ré- glée et d’une bonne santé, jusqu’au moment de l’invasion de sa maladie actuelle , com- mença , il y a neuf ans et demi, à éprouver des dérangemens dans la menstruation. L’écoule- ment sanguin avait lieu,tantôt à quinze jours, tantôt à un mois, tantôt même à deux mois de distance du précédent, et était chaque fois suivi d’un écoulement muqueux qui durait quel- ques jours. LEÇONS DE M. DUPUYTIIEN, Au bout de six ans, elle sentit dans le fond du conduit vulvo-utérin une tumeur qui, lorsqu’elle faisait des efforts, s’abaissait et se rapprochait de la vulve. Il s’établit un écoule- ment continuel d’un liquide roussâlre, fétide ; la santé générale de la malade's’altéra; elle devint maigre et pâle. La tumeur, par ses progrès, finit par attein- dre le niveau de l’orifice inférieur du vagin , et la compression qu’elle exerçait sur le rec- tum gênait considérablement la défécation. Lorsque la malade voulait satisfaire à ce be- soin, il fallait qu’elle la soutînt fortement. Le i 4. mai 1826, dans un de ces efforts, la tumeur sortit tout-à-coup, accompagnée de l’écoulement d’une assez grande quantité de sang et d’une douleur dans la région lombaire. Le 18 mai, elle entra à EHôtel-Dieu. Embon- point médiocre, teint pâle, peau d’une cou- leur jaune-paille_, jeux cernés, pouls faible et un peu fréquent, faiblesse assez grande. La partie supérieure de l’intervalle que laissent entre elles les cuisses était occupée par une masse polypeuse arrondie en forme de cham- pignon renversé, ayant un demi-pied de dia- mètre et trois pouces d’épaisseur, offrant une TUMEUBS FIBREUSES DE 1? UTÉRUS. 507 surface bosselée. Sa face supérieure offrait une espèce d’ombilic, d’où s’élevait un pédicule d’un pouce de diamètre, apparent au dehors de deux pouces et occupant toute la longueur du vagin. Le introduit dans ce canal ne O O pouvait l’explorer qu’avec beaucoup de diffi- cultés , vu le volume de ce pédicule ; il s’en- foncait à deux ou trois pouces de profondeur , et rencontrait un cul-de-sac circulaire embras- sant la partie là plus reculée de ce pédicule, sans qu’il fût possible de distinguer les lèvres du col de l’utérus. Le caractère de cette tumeur était évident. Mais où finissait le pédicule du polype ? Quel était le lieu de son implantation ? Quels chan- gemens de rapports avait subi l’utérus? Toutes ces questions importantes ne pouvaient être résolues. Le lendemain, M. Dupuytren en fit l’abla- tion à sa manière ordinaire ; mais à cause de la disposition des parties, il jugea convenable de porter une anse de fil sur son pédicule, aussi haut que possible ; les deux chefs en fu- rent engagés dans l’anneau du serre-nœud de Desault, sans exercer aucune constriction sur le pédicule. Celui-ci fut coupé au niveau de Forifice inférieur du vagin, avec de gros ci- seaux courbes sur leur plat. Un léger écoule- mentde sang, fourni par deux artérioles, ne tarda pas à s’arrêter. La malade fut reportée à son lit, et surveillée attentivement, afin que, si l’écoulement sanguin reparaissait, la liga- ture fût serrée. LEÇONS DE H. DUPüYTREN. Dans la journée, il ne survint aucun écou- lement de sang ; mais la malade fut continuel- lement dans un état voisin de la syncope. (Inf. de fl. de tilleul et d’oranger.) L’examen du polype fit reconnaître au cen- tre de la tumeur un tissu fibreux et squirrheux, offrant un faisceau central qui se continuait avec le pédicule; à la circonférence, dans un pouce d’épaisseur, un tissu rouge très vascu- où se voyaient beaucoup de veines. Quelques-unes avaient le volume d’une plume de corbeau. La consistance de ce tissu allait en diminuant du centre àla circonférence. Quel- ques portions extérieures étaient très molles et sur le point de s’ulcérer. La surface extérieure de la tumeur offrait une membrane mince, floconneuse et formée par du tissu muqueux. Le pédicule avait la même organisation, si ce n’est que le tissu TUMEURS FIBREUSES DE I’üïÉRUS, squirrheux y prédominait beaucoup plus. Son centre était traversé par une artériole d’un assez fort calibre , qui , dans son trajet, don- nait beaucoup de rameaux latéraux, et finis- sait par se perdre dans le corps du polype. Revenons à la malade. Pendant les quinze jours qui suivirent l’opération, elle fut toujours pâle , faible, ayant le pouls petit et fréquent, pas de sommeil , un peu de dévoiement; le pédicule du polype devint le siège d’un gon- flement inflammatoire qui doubla son volume ; sa surface était le siège d’une suppuration peu abondante, mais dont la continuité incommo- dait beaucoup la malade, excoriait la partie supérieure des cuisses et le périnée, malgré les lotions fréquentes que l’on pratiquait afin d’empécher son séjour sur la peau. Le vingt-unième jour, le volume du pédi- cule commençant à diminuer, on put, sans causer de douleur, établir un bandage com - pressif qui le disposait peu à peu à remonter dans le vagin. Deux jours après, la malade ayant essayé de repousser un peu fortement le pédicule, il remonta tout-à-coup et se plaça à une hauteur telle qu’on ne le trou- vait plus en introduisant l'indicateur dans le LEÇONS DE 3VI. DUPÜVTfiEN. vagin. La suppuration diminua progressive- ment, l’appétit se fit sentir, les forces se ré- tablirent, et la malade demanda à sortir de l’hôpital le vingt-sixième jour de son entrée, vingt-cinquième de l’opération. Il nous fut impossible d’avoir sur son compte des ren- seignemens depuis cette époque. Ce pédicule aura-t-il été la cause d’une inflammation de la matrice, d’une récidive de la maladie, d’une dégénérescence ? C’est ce que nous ignorons. Dans la plupart des circonstances que nous venons d’indiquer, le spéculum peut être fort utile; mais lorsqu’on a affaire à des tumeurs très volumineuses, on n’en obtient guère d’au- tres avantages que de pouvoir constater leur aspect, leur couleur, la présence ou l’absence d’ulcérations, leurs diverses dégénérescences. Dans les polypes très petits, au contraire, quelle qu’en soit la nature, ce moyen décide la question lorsque le toucher ne suffit pas. C’est ainsi que M. Dupuytren constata l’exis- tence d’un grand nombre de petits polypes rouges, vasculaires, réunis en grappe et rem- plissant le col de la matrice chez une dame âgée de trente ans, dont la maladie avait été méconnue par une foule de médecins qu’elle TUMEURS FIBREUSES DE L’UTÉRUS. avait consultés, et qui lui avaient donné des soins sans aucun succès. Ils furent excisés à l’aide de longs ciseaux coudés à angle aigu. La plaie résultant de l’enlèvement du pédicule fut cautérisée au moyen d’un gros cylindre de nitrate d’argent monté sur un porte-caustique. Il n’y eut aucun accident, et celte dame, qui n’avait jamais conçu, devint enceinte deux mois après l’opération. ( Docteur Marx, thèse inaugurale, dixième observation.) malgré tous les moyens de diagnostic què l’on possède, les difficultés sont nombreuses et l’erreur très fréquente. L’exem- ple le plus remarquable de la fragilité hu- maine que nous connaissions, est celui dont nous allons donner l’histoire ; on y voit figurer lour-à-lour des hommes du premier mérite , avec les opinions les plus contradictoires et les plus erronées. Il est une nouvelle preuve de l’excellence des préceptes donnés par M. Dupuytren pour les cas où un polype très volumineux occupe toute la cavité du vagin. VII' Observation.—MadameL..., âgée de trente-sept ans,, d’une constitution lymphati- que, détériorée par plusieurs années de souf- frances, fut réglée à quatorze ans. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Au bout de ce temps, à la suite d’un effort, un écoulement en blanc , d’abord léger et ir- régulier, mais bientôt abondant et continu, parut; plus tard, il survint des tiraillernens dans la région épigastrique et un sentiment de pesanteur vers le périnée. Plusieurs années de sa vie se passèrent ainsi; les menstrues de- vinrent moins abondantes et un peu irrégu- lières. Mariée à vingt-deux ans, madame L... devint mère un an après; la grossesse fit un peu diminuer le flux qui reparut très abondant après l’accouchement. Elle con- serva une assez bonne santé pendant les dix ou douze premières années de son mariage. Au mois de décembre 1816, elle consulta M. Cavalan ; celui-ci toucha, et crut recon- naître un prolapsus de la matrice ; il prescri- vit un pessaire, qui ne put être supporté : on en cessa l’usage au bout de trois jours. Au mois de février 1817, M. Forestier fut appelé. La malade éprouvait toujours des li- raillemens vers les organes génitaux ; les écoulemens en blanc étaient très abondans, les règles assez périodiques ? mais elles étaient précédées par d’affreux maux de reins. Les menstrues étaient si abondantes, que mada~ TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. me L... les appelait des pertes. Le traitement se composait de demi-bains, d’injections, du repos au lit, moyens qui ne furent suivis d’aucune amélioration. M. Dubois ayant été consulté, toucha la malade , dit qir’elle n’avait rien du tout ; qu’il était inutile de rester au lit, et quelle pouvait marcher. A M. Forestier succéda M. Gauthier de Sancy, qui fit prendre des pilules d’assa-fœti- da, de ciguë, et prescrivit ensuite un régime adoucissant, sans amener aucune améliora- tion. Après une année de traitement; M. Gau- thier reconnut l’existence d’un polype pro- posa la ligature , et demanda M. Boyer en consultation. Au mois de septembre 1818, ce chirurgien toucha, dit que M. Gauthier s’é- lait trompé, et assura que madame L... était affectée d’un squirrhe ulcéré du corps même de la matrice, et qu’il était impossible de ten- ter une opération ; qu’il fallait mettre en usage un régime tonique, et prolonger ainsi le plus possible l’existence de la malade, dont la perte était certaine et très prochaine , selon lui. M. Yareilliand , son neveu , fut chargé de lui donner des soins. Il partagea d’abord l’opi- nion de son oncle ; mais, au mois de février 1820, il reconnut que la maladie n’était autre chose qu’au énorme polype, et proposa d’ap- peler M. Dupuytren en consultation. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Ce fut donc au mois de mars, queM. Du- puytren alla, pour la première fois , chez ma- dame L.... Il pratiqua le toucher, constata l’existence d’un énorme polype , indiqua sa nature , dit que son pédicule était assez étroit pour qu’on pût, avec beaucoup de chances de succès, en faire l’ablation ; mais qu’il était urgent de pratiquer le plus tôt possible cette opération. M. Boyer, appelé de nouveau, pratiqua le toucher, et reconnut cette fois l’existence du polype, mais il fut d’avis qu’il fallait bien se garder d’y toucher. Cependant l’opération fut acceptée et exé- cutée, le 3 avril 1820, par M. Dupuytren. Il était survenu, quelques jours auparavant, une perte considérable qui avait jeté la malade dans une grande faiblesse; elle était d’une pâ- leur extrême ; tout son corps était infiltré ; la voix était altérée. Placée comme pour l’opération de la taille, deux aides maintenaient les genoux de la ma- tumeurs fibreuses de l’utérus. lade contre leur d’une main , et écartaient de l’autre les parties génitales. M. Dupuytren introduisit d’abord une main pour distendre le vagin ; une pince de Mu- seux fut implantée dans la tumeur. On tira d’abord un peu dessus pour pouvoir la saisir plus facilement avec une autre pince; on fit des efforts pour l’extraire, mais la tumeur s’arrêta dans le détroit inférieur, au moment de franchir le détroit ischialique ; deux autres pinces la saisirent fortement à une assez grande hauteur; on tira vigoureusement dans le sens du détroit inférieur; la tumeur ne cédait guère; deux doigts glissés entre elle et la commis- sure supérieure arrivèrent au pédicule, et parvinrent à l’amener au dehors, avec le se- cours des pinces. M. Dupujtren l’abaissant d’une main, fit la section de son pédicule à l’aide de forts ciseaux courbés sur le plat. L’opération se termina sans douleur et sans la moindre perte de sang. La tumeur était inégale, fibreuse, lisse, non ulcérée, du volume de la tête d’un enfant d’un an, du poids d’une livre. Quelques minutes après l’opération, on s’aperçut que la com- missure postérieure était déchirée. Il ne sur- LEÇONS DE M. DÜPUYTREN. vint aucun accident, et madame L... guérit malgré elle. Nous disons malgré elle, car de- puis l’opération elle fut toujours d’une pu- sillanimité désespérante, et pensait qu’elle devait mourir. Enfin, au bout de quinze jours, elle était dans un état des plus satisfaisans. 2° Dans l’épaisseur des parois de la matrice. Nous avons dit que les corps fibreux, situés à la surface du museau de tanche, sont assez fa- ciles à reconnaître , pourvu qu’ils égalent le volume d’un pois ou d’une noisette, parce qu’ils forment une tumeur dure, rénitente, indolente et plus ou moins saillante dans le vagin. Mais lorsque ces mêmes tumeurs ont leur siège plus profondément dans le col de la matrice ou dans le tissu propre des parois du corps de cet organe , rien ne décèle leur exis- tence, s’ils sont peu volumineux; ils peuvent grossir insensiblement et acquérir le volume d’un œuf ou même du poing sans produire au- cun désordre sensible, pourvu qu’ils soient situés de manière à ne pas trop faire agrandir la cavité de la matrice. Bajie pense même que cette dernière circonstance entraîne ordinai- rement peu de danger après l’âge critique. 11 a vu , dit-il, des femmes chez lesquelles des TUMEURS FIBREUSES DE I’UTERUS. tumeurs fibreuses, plus grosses que les deux poings réunis, développées après l’âge de cin- quante ans, n’avaient déterminé aucun acci- dent fâcheux, quoiqu’elles eussent considéra- blement élargi là cavilé de la matrice. Selon lui, les choses ne se passent pas ainsi chez les femmes encore réglées : celles-ci seraient pri- ses de divers accidens plus ou moins tels que des raénorrhagies, un amaigrisse- ment extrême , bouffissure considérable, un cachectique bien prononcé, toutes choses de état pende valeur, selon nous, pour faire juger la nature du mal. Lorsqu’on examine avec soin les femmes qui ont un corps fibreux déjà un peu volumineux dans le tissu des parois de la matrice, on dé- couvre communément une tumeur plus ou moins saillante au milieu de l’hypogastre. Fixez-y une main et introduisez l’indicateur de l’autre main dans le vagin : en repoussant en haut le col de la matrice, lé mouvement est senti à Fhypogastre. Imprimez dans cette région des mouvemens de gauche à droite, ils sont répétés au museau de tanche. Dans ces sortes de cas, tantôt le col est dans l’état or- dinaire , tantôt il est presque effacé ou légè- LEÇONS DE M. DüPUYTREN. rement déformé; et si la tumeur est très grosse, il est en général très élevé, comme dans une grossesse de six mois. Bayle a vu quelques cas où la tumeur remontait bien au-dessus du nombril et présentait la même forme que la matrice au huitième mois de la grossesse. Or, comment distinguer, dans ces circonstan- ces si l’on a affaire à une tumeur fibreuse , ou à une grossesse, à une mole, à un accroisse- ment spontané du volume de la matrice ? Le temps et l’examen attentif de la marche de la maladie peuvent dissiper les doutes à l’égard de la grossesse et de la mole; mais rien ne peut différencier le premier cas du dernier, à moins que la tumeur ne vienne saillir plus ou moins dans la cavité ou à la surface périlonéale de la matrice.Du reste,l’incertitude n’entraîne anciens résultats fâcheux; car la maladie, quelle qu’elle soit, est également intraitable. Nous reviendrons sur ce sujet. , 3° A la surface périlonéale de la matrice. Si les polypes qui se développent à cette ré- gion ne sont pas pédiculés, on rentre dans la plupart des difficultés présentées par les cas précédons. S’ils sont pédiculés, mais très petits, rien ne décèle leur existence. S’ils sont pédi- TUMEURS FIBUEUSES DE I’üTERUS. cules et plus ou moins volumineux, on les dé- couvre facilement. En palpant le bas-ventre et en introduisant le doigt dans le vagin , on trouve une tumeur plus ou moins arrondie , mobile, non douloureuse par la pression, tantôt enfoncée dans le bassin , tantôt saillante dans le milieu de la région bypogasîrique, tantôt située dans l’une ou l’autre des régions iliaques, suivant le lieu de la matrice où elle a pris naissance. Cette différence de siège a des conséquences très importantes, sous le du traitement, ainsi que nous le verrons plus loin. ~ 4° Polypes développés en dehore et autour du col de la matrice. Nous devons nous occu- per d’une manière spéciale des polypes déve- loppés dans ces régions , parce que, à raison de leurs sièges divers, de la nature et des dis- positions anatomiques des parties , ils don- nent lieu à des phénomènes remarquables et deviennnent le sujet de considérations fort intéressantes. Il y a bien long-temps, dit M. Dupuytren , qu’ayant été consulté par une dame qui se plaignait de malaise général, de douleurs dans l’intérieur du vagin , et sur-tout de n’avoir pas d’enfans, je l’exami- LEÇONS DE M. DUPUVTREN. nai et trouvai autour du col utérin une espèce de coller ou de bourrelet renflé, composé de tubercules très rapprochés et saillans : il me fut facile de reconnaître la nature fibreuse de ces corps. Mais instruit par l’expérience de la multiplicité presque constante des polypes nés sur ces régions, je cherchai à m’assurer s’il n’en existait pas d’autres ailleurs, et j’en trouvai en effet un situé plus haut sur le corps même de la matrice. Ce qu’il y avait de remarquable dans ce cas, c’est la disposition annulaire des corps fibreux du col, et leur coexistence avec un autre corps fibreux de la matrice. Il y a plusieurs années, je fus consulté pour la femme d’un confrère. Elle avait été exa- minée par un grand nombre de médecins : les uns croyaient à l’existence d’une affection ner- veuse hystérique; d’autres soupçonnaient une lésion organique. Ce n’est qu’après l’avoir examinée et touchée à différentes reprises, que je découvris une tumeur sur le côté droit du col de la matrice. Je donnai des conseils en conséquence. La malade quitta Paris, et y re- vint après un temps assez long; la tumeur était plus volumineuse et bien plus manifeste. TUMEURS FIBREUSES DE I’üïÉRUS. Je revis encore cette malade, i! y a quinze ou dix-huit mois ; la tumeur était encore aug- mentée de volume. Il y eut plusieurs consul- tations de médecins, dont quelques-uns propo- sèrent une opération. Mais un nouvel examen me fit rejeter toute tentative de ce genre. Voici l’exemple d’une autre femme que j’ai été appelé hier (21 mars i 835) à examiner, et qui se trouve dans un cas analogue : elle porte une tumeur fibreuse sur le corps de l’utérus ; mais outre celle-là, il en existe une seconde située dans le tissu cellulaire épais qui unit le rectum aux parois du vagin. Je me suis prononcé formellement contre toute espèce d’opération. Nous eu déduirons bientôt les motifs. Nous pourrions citer un grand nombre d’autres exemples de ce genre. Il en résulte deux faits principaux : la fréquence et la mul- tiplicité presque constante des polypes fibreux de ces régions et leur incurabilité dans un grand nombre de cas. Comment peut-on ex- pliquer le premier? C’est que l’élément fibro- celluleux est bien plus abondant et plus ferme autour du col utérin que dans le corps même àêY organe. Voyons les effets qu’ils produi- sent. LEÇUJNS DE M. ÜUPÜÏTIIEN. En général , dans ces sortes de polypes, les symptômes sont plus prononcés que dans ceux des trois premières catégories dont nous avons donné la description. Ils présentent des carac- tères particuliers suivant le lieu qu’ils occu- pent. Ils déterminent un sentiment de pe- santeur au fondement, des douleurs d’ab- domen, d’abord assez éloignées, puis revenant plus fréquemment à mesure qu’ils menacent de dégénérer , ou lorsque la femme a souvent des rapports avec un homme ; douleurs plus fortes lorsqu’elle marche , se tient debout, lorsque le rectum est plein de matières fécales. Il y a quelques années, appelé par une dame habitant à la barrière du Mont-Parnasse . qui éprouvait des douleurs violentes dans le rec- tum , j’introduisis le doigt dans ce canal et trouvai une tumeur conoïde derrière la pa- roi antérieure. Etait-elle adhérente à cette paroi? non, car celle-ci était très mobile et glissait facilement sur la tumeur. Ayant in- troduit le doigt dans le vagin , je ne trouvai rien d’abord ; mais l’ayant poussé plus haut entre le col et le vagin, je rencontrai la tumeur placée derrière la face postérieure du col , entre la paroi du vagin et le rectum. Qii*y TUMEURS FIBREUSES DE L’UTERUS. avait-il à faire dans un cas de cette natare? Extirper la tumeur par le vagin ? Elle était trop haut placée, le doigt pouvait à peine l’atteindre. Tenter l’opération par le rectum? Vous comprenez toutes les conséquences fâ- cheuses d’une telle entreprise. Une autre dame avait une tuméfaction sur la face antérieure et latérale du col. Par sa po- elle pressait fortement sur le bas-fond de la vessie; la malade souffrait beaucoup et avait de très fréquens besoins d’uriner. Chez une sixième malade, la tumeur était située dans la paroi du vagin, entre le col utérin, le bas-fond de la vessie et la face postérieure de 1 urètre : la malade éprouvait de fréquens be- soins d’uriner, et cependant il j avait réten- tion d’urine, parce que la pression exercée sur le bas-fond de la vessie était contre-balan- cée par la pression que sa partie inférieure exerçait sur l’urètre. Il y eut une consultation : on fut d’avis de l’extirper et de l’attaquer par le vagin ; mais je considérai cette extirpation comme impossible; tou Lee que je crus convena- ble de faire, fut de pénétrer dans la tumeur par l’urètre et d’y pratiquer une ponction. Il en sortit une certaine quantité de matière cé- rébriforme. 524 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Nous avons encore rencontré, dit M. Du- puytren, un cas bien remarquable, c’est une tumeur fibreuse développée entre l’u- rètre et la paroi antérieure du vagin; chose singulière , elle occasionait des perles en blanc et en rouge et déterminait de très fortes dou- leurs. Je fis une incision entre l’urètre et le vagin. Je disséquai minutieusement et avec la plus grande prudence les parties et , sa- chant par expérience que la dissection inté- resse nécessairement les vaisseaux qui sont très nombreux dans ces tissus , éminem- ment érectiles, et qu’il en résulte des hémor- rhagies considérables, j’eus soin d’appliquer des ligatures à mesure que j’en coupais de qoel- que importance. J’arrivai à la tumeur et je pus l’enlever. Il y a deux ans, j’extirpai chez une jeune boulangère de la rue de la Micho- dière, une autre tumeur également située dans l’épaisseur des parties génitales qui en- tourent la matrice; il y eut une légère hémor- rhagie qui fut aussitôt arrêtée. Nous n’en fini- rions pas si nous voulions citer tous les cas analogues que nous avons observés. Résumons ces faits. Les tumeurs fibreuses qui se développent autour du col et dans l’é~ tumeurs fibreuses de l’utérus. paisseur des tissus environnant la matrice, sont rarement isolées et plus souvent multiples; elles sont très communes, et la raison de leur fréquence est dans la nature des tissus qui leur donnent naissance ; on en rencontre dans toutes les régions du vagin, en avant, en ar- rière, sur les côtés du col, entre le vagin et le rectum , ou entre le vagin et l’urètre. Elles donnent lieu à des symptômes particuliers qui facilitent le diagnostic à raison des différens sièges qu’elles occupent. Ce n’est que dans un petit nombre de cas qu’il est possible d’en faire l’extraction, et si on juge qu’elle puisse être pratiquée, on ne doit pas hésiter, car l’art ne possède aucun autre moyen de guérison. Dans le plus grand nombre des l’extirpa- tion est impossible. Comment pourrait-on, en effet , enlever des tumeurs situées profondé- ment dans le vagin, qui vont faire saillie, soit dans le rectum, soit dans la vessie ou au-dessus des pubis? L’hémorrhagie est effrayante, dif- ficile à arrêter; l’inflammation consécutive imminente et la péritonite mortelle. Les développemens que nous avons présen- tés sur les symptômes et la marche de la ma- ladie, fournissent de nombreux élémens pour 526 LEÇONS DIS M. ÜUPÜYTIIEN. le Pronostic, et nous dispensent d’entrer ici dans de longs détails sur ce sujet. Nous nous bornerons à quelques propositions ge'nérales, déduites des doctrines émises par le profes- seur. Tant que les polypes fibreux ne donnent pas lieu à des symptômes généraux qui por- tent atteinte d’une manière notable à la constitution des malades, leur existence est sans danger. Les désordres généraux résultant de la dé- générescence des polypes ou d’écoulemens très abondans, sont toujours fâcheux : le danger est imminent et l’opération urgente. (Jn polype qui, né dans la cavité de la ma- trice , l’a considérablement agrandie par son volume, et qui ne peut ensuite franchir le col utérin, donnera lieu à des accidens graves qu’il importe de prévenir ou de faire cesser au plus tôt par des moyens efficaces. Si l’existence du polype est compliquée d une affection tuberculeuse ou squirrheuse de là matrice ou de quelque autre organe , d’une phlegmasie aiguë ou chronique de celle- ci ou de ses annexes , ou du péritoine, ou enfin de quelque lésion des viscères des prin- tumeurs fibreuses de l’utérus. cipales cavités, le cas est fâcheux et l’opération offre peu ou point de chances de succès. Dans les affections sujettes à récidive, le succès d’une opération étant essentiellement subordonné à l’enlèvement intégral des tissus malades, toutes les circonstances qui ne per- mettent pas d’atteindre le pédicule du polype jusque dans sa racine, sont autant de circon- stances défavorables. Bien que, dans ces sortes d’affections, on ne puisse jamais affirmer qu’il n’y aura pas de récidive, celle-ci est bien moins à craindre et infiniment plus rare, toutes choses égales d’ail- leurs, lorsqu’on opère avant toute dégénéra- tion carcinomateuse, que lorsqu’elle existe, et que la malade est en proie à la fièvre de résorption , depuis un temps plus ou moins long. La dégénérescence carcinomateuse est, en général, le partage des polypes de la cavité ou du col de l’utérus, sur - tout lorsqu’ils sont descendus dars le vagin, La dégénérescence fibro - cartilagineuse ou osseuse atteint assez fréquemment ceux qui se développent dans l’é- paisseur des parois de l’organe où à sa surface. Les polypes volumineux du corps de la ma- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. trice sont inopérables par leur position, ainsi que ceux de sa surface péritonéale, à cause des accidens mortels qui en résulteraient. On ne peut rien préjuger de positif sur la marche et les suites des polypes qui se déve- loppent dans Tépaisseur des parois de la ma- trice ou à sa surface péritonéale. Les uns quoique petits, occasionenl des troubles gra- ves , d’autres acquièrent un développement énorme sans causer aucun accident pendant de longues années. En voici un exemple re- marquable que nous choisissons parmi les observations curieuses , rapportées par Bayle dans son Mémoire sur les corps fibreux. \IIIe Observation. —Mademoiselle G.... douée d’une constitution robuste et habituelle- ment d’une bonne santé, commença à éprouver, à p’âge de 35 ans , des douleurs fort légères dans l’abdomen. Elles persistèrent pendant plus d’une année. La malade s’aperçut alors qu’elle avait de fréquentes envies d’uriner ,et qu’après avoir rendu ses urines, il lui restait au côté droit de l’abdomen une grosseur. Des médecins et des chirurgiens célèbres ayant été consultés, dirent reconnaître une tumeur squir- rkeuse de la matrice ou de l’ovaire droit. Pen- TUMEURS FIBREUSES DE L’UTERUS. clant plusieurs aimées ils lui prescrivirent des fondans sous toutes les formes, à l’intérieur et à l’extérieur. La tumeur continua à grossir, et au bout de deux années de traitement, elle cessa d’occasioner des douleurs dans l’hjpo- gastre. Elle paraissait alors aussi grosse que les deux poings réunis. II lut enfin décidé que 1 esquirrhe étant par- fait y il fallait cesser tout Iraitement pour ne pas le faire dégénérer en cancer. Depuis l’âge de 5y ans jusqu’à celui de 80 ans, Mademoi- selle G-.., n’eut que très rarement des indis- positions et elle ne fut jamais malade. Bajie la vit à cette époque, pour la première fois, à l’occasion d’une légère indigestion. Il recon- nut la tumeur sur laquelle la malade lui donna tous les renseigne|ft;ns qu’il pouvait désirer, et lui remit en même temps un mémoire à consulter et des consultations qui dataient de l’époque où la tumeur avait été traitée. Depuis cette époque jusqu’à la mort de cette demoi- selle, il la revit à diverses reprises; elle jouis- sait d’une bonne sanlé. Enfin elle mourut d’une péritonite aiguë le 12 septembre 1807 , étant âgée de 84 ans. A l’ouverture de l’abdomen, Bayle trouva LEÇONS DE M. DUPUVTREW. la matrice dans l’état naturel, mais très petite. Les ovaires étaient sains. La membrane hymen était dans une parfaite intégrité. La tumeur qui existait depuis 5i ans et qui, depuis l’âge de ans, n’avait pas occasioné la plus pe- tite était plus grosse que la tête d’un enfant nouveau-né. Elle était pédiculée, et le pédicule qui n’était guère plus gros qu’un tuyau de plume à écrire, était implanté à la face postérieure de la matrice, très près de son bord supérieur. La tumeur était très pe- sante et très dure, composée d’un tissu fibro- cartilagineux; on y voyait, en outre; plus de dix points d’ossification, dont le plus gros égalait à peine le volume d’un pois ; les plus petits étaient de la grosseur d’un grain de blé. Nous avons vu que nés dans l’épaisseur des parois de la matrice, peuvent présenter tous les phénomènes d’une grossesse, d’une mole, d’un accroissement spontané de cet organe; que ceux qui se développent àsa surlace péritonéale, peuvent être confondus avec des tumeurs chroniques des ovaires ou d’autres lésions organiques, et qu’il est fort peu de cas où l’on puisse constater, pendant la vie, l’existence des uns ou des autres, d’une ma- TUMEURS FIBREUSES DE I’uTERUS. nière positive. On les a souvent pris pour cancers, et cette erreur a porté tels prati- ciens à faire l’amputation du col à une époque où il n’existait point encore de dégénérescence carcinomateuse, où la maladie réclamait d’au- tres moyens de traitement. Il est enfin une foule d’affections avec lesquelles les polypes fibreux du col et de la cavité de la matrice ont plus ou moins d’analogâe. Nous ne parlerons ici que des principales, la chute et le renver- sement de l’utérus, la chute et le renverse- ment du vagin, les hernies vaginales. Le développement d’un polype dans l’inté- rieur de la matrice détermine assez souvent des phénomènes analogues à ceux d’une gros- sesse commençante, tels que tuméfaction ou tension légère de l’hypogastre, pesanteur dans le bas-ventre, indispositions diverses, ma- laise général, sensibilité et augmentation du volume des seins, etc. Nous avons vu plusieurs femmes affectées de polypes, dit M. Dupuytren, se croire en- ceintes de cinq, six, huit ou dix mois, d’au- tres d’un ou deux ans, et des médecins attri- buer les phénomènes qu’elles présentaient à une grossesse extra-utérine. Lorsqu’ils ont ac 532 (juis un certain développement, il est rare qu’on ne puisse les reconnaître. leçons de m. dijpuytren. En général, le flux menstruel est supprimé dans la grossesse ; non-seulement il continue, mais encore il devient plus abondant et se répète souvent plusieurs fois par mois, dans les cas de polype. La matrice est globuleuse, d’une dureté très grande , tantôt égale, tantôt inégale; il n pas de balottement. Mais s’il y avait doute ou erreur dansleprim- cipe, ils ne pourraient être de longue durée, et le volume du ventre, comparé à l’état géné- ral, viendra bientôt les dissiper. Ainsi, ce n’est que dans des cas infiniment rares, qu’un polype, enfermé dans la cavité de l’utérus, peut acquérir un volume assez considérable et par suite distendre assez la matrice pour don- ner au ventre une grosseur et prendre elle- même au-dessus des pubis une position qui re- présentent une grossesse de quatre à cinq mois, par exemple , sans qu’il en résulte des acci dens locaux et généraux, propres à décider la question : ces accidens, nous les avons énumérés ailleurs. Souvent encore il se manifestera des symptômes particuliers, qui permettront de constater d’une manière positive la présence TUMEURS FIBREUSES DE L’UTÉRUS. de Ja tumeur anormale dans la cavité utérine, symptômes précieux dont la connaissance est due à M. Dnpuytren. Certains polypes, dit le professeur, qui ac- quièrent , dans la cavité même de l’utérus, un très grand volume, occasionnent à l’approche des règles et pendant tout le temps qu’elles durent, des douleurs et des efforts d’expul- sion tout-à-fait semblables à ceux de l’accou- chement. Il en résulte un amollissement du col et, pendant que les douleurs expultrices se font sentir, la saillie de la tumeur qui s’ou- vre un passage à travers son orifice. Dans ces conjonctures, touchez la malade hors le temps de l’évacuation menstruelle, vous ne trouvez qu’un accroissement, du volume de l’utérus dont le col est fermé. Mais touchez-la pendant cette époque et sur-tout pendant une douleur, vous rencontrerez le polype engagé dans le col utérin. Vous croirez donc avoir affaire à un polype parvenu à la seconde période. C’est une erreur. Attendez que l’évacuation sanguine et les douleurs aient cessé, examinez de nouveau et vous ne trouvez plus ni polype, ni dilatation; le col est de nouveau fermé. C’est que le polype est remonté dans la cavité LEÇONS DE M. DüPUYTRELV. de l’utérus. Nous n’avons vu que dans un seul cas les efforts d’expulsion réussir à chasser de la matrice un polype volumineux dont nous avons aussitôt débarrassé la malade par une opération convenable. Dans le renversement de l’utérus, celui-ci se présente sous la forme d’une tumeur piriforme, rougeâtre, compliquée d’écoulemens séro-pu- miens et même de pertes de sang, comme un polype; la malade se plaint et du même senti- ment de pesanteur et des mêmes tiraillemens douloureux dans la région des aînés et des reins; elle éprouve la même difficulté à mar- cher, à se tenir debout, à rendre ses excrérnens et ses urines. Mais le polype est indolent, à moins que sa membrane d’enveloppe ne soit frappée d’inflammation, tandis que la matrice jouit d’une certaine sensibilité. La matrice renversée est molle , dépressible, le polype est dur, rénittent. Le polype s’est développé lente- ment et avec l’appareil de symptômes que nous avons décrits ; le renversement, au contraire s’est opéré brusquement et sous l’influence de causes fort étrangères à la production des po- lypes. Le renversement est complet ou incom- TUMEURS FIBREUSES DE L’UTÉRUS. plet. Dans le renversement incomplet, l’u- térus représente une tumeur convexe, élas- tique, et conserve toujours cette forme et ce caractère; un polype utérin n’est point ainsi conformé : son pédicule, que l’on suit jusqu’au col de l’utérus, qui traverse cet orifice ou qui est implanté sur lui, ne laisse aucun doute sur la nature de la tumeur; dans le cas de renver- sement incomplet, le doigt ne peut pénétrer entre la tumeur et le col utérin qu’à quelques lignes de profondeur ; le contraire a lieu dans le cas de polype, si toutefois il existe une di- latation suffisante du col pour admettre îe doigt. Les auteurs ont encore cités une foule d’autres symptômes différentiels , qui tous , pris isolément, sont tout-à-fait insuffisans. Il faut reconnaître que ce cas est le plus embar- rassant pour le chirurgien , celui où l’erreur est le plus difficile à éviter. M. Malgaigne, dans l’excellent mémoire que nous avons déjà cité, propose le moyen de diagnostic que voici : Dans le renversement incomplet, dit-il, l’utérus fait une poche à ouverture supérieure, dans laquelle, tantôt les intestins, tantôt la vessie, souvent tous ces organes àla fois se LEÇONS DE M. DUEUÏTiIEN. à précipitent. Or, que l’on porte une sonde d’homme recourbée dans la vessie de la ma- lade , qu’on en dirige ensuite le bec en ar- rière, sa concavité étant tournée en bas, et qu’on arrive ainsi à appuyer ce bec bien ar- rondi sur le fond de la poche utérine, le doigt porté d’autre part dans le vagin devra sentir la saillie de l’instrument avec autant de facilite qu’on peut la sentir à l’hypogastre dans le ca- thétérisme ordinaire. C’est à l’expérience à prononcer sur ce nouveau moyen. Si le renversement est complet, la matrice est retournée toute entière comme un doigt de gant; la tumeur est piriforme et proéraine tout- à-fait hors de la vulve; la partie vaginale du col utérin, seule soustraite au renversement, fait bourelet autour du pédicule; au-dessus, le va- gin , renversé lui-même, fait un second pédi- cule, mais creux et inséré à la face interne des grandes lèvres; la cavité vaginale n’existe plus : le diagnostic est par conséquent facile à éta- blir. D’ailleurs, nous l’avons déjà dit, le po- lype est insensible et la matrice a de la sen- sibilité. Le polype a cru lentement, et le renversement complet de l’utérus n’a jamais lieu que d’une manière brusque, le plus sou- vent après un accouchement. TUMEURS FIBREUSES DE L UTERUS. La descente incomplète de l’utérus sans renversement se distingue facilement, dans la généralité des cas, d’un polype descendu dans le vagin : le cul-de-sac circulaire formé par celui-ci , l’orifice que l’on trouve au centre delà tumeur, représentant un cône dont la base est en haut et le sommet en bas, ori- fice par lequel on peut introduire un stylet ou une sonde, suffisent pour faire reconnaître que ceMe prétendue tumeur n’est autre chose que la matrice déplacée. On ne se laissera pas tromper par des crevasses, des inégalités ou des ulcérations survenues à la partie inférieure du polype, comme cela est arrivé plusieurs ibis, si on se rappelle que la tumeur formée par la chute du viscère , est plus étroite en bas qu’en haut, qu’elle entraîne le vagin après elle, de manière que les parois de ce canal retournée sur elles-mêmes, comme dans le cas de renversement complet, ne laissent pas de cavité dans laquelle on puisse promener le doigtautour de la tumeur. Quelquefois, si le col utérin est affecté d’une dégénérescence cancéreuse, on éprouve quelques difficultés, que l’on pourra aplanir par l’inspection au, moyen du spéculum. 538 LECOJNS DE M, DUPÜVTIIEN. Les polypes fibreux simulent tellement l’u- térus par leur couleur, leur aspect extérieur, leur volume et leur forme, que plusieurs chi- rurgiens ont cru avoir extirpé un utérus can- céreux , tandis qu’ils n’avaient enlevé que des polypes dégénérés provenant de sa cavité. Les auteurs rapportent plusieurs exemples de ces sortes de méprises. Un polype fibreux non dé- généré offre aussi quelquefois, par sa couleur et sa forme , assez de ressemblance à une ma- trice saine, pour faire naître des doutes; c’est ce qui est arrivé à M. Dupnytren lui-même. Ce professeur, procédant à l’extirpation d’un polype volumineux, implanté au col de l’u- térus chez une femme âgée de quarante-deux ans , et l’ayant amené àla vulve, vit une tu- meur lisse, blanche, fibreuse, convexe et tellement analogue à l’utérus, qu’il crut, avant d’exercer d’autres tractions pour lui faire fran- chir cet orifice, devoir s’assurer s’il n’avait pas affaire à l’utérus lui-même. Pour cela, il pratiqua sur la partie la plus saillante une incision profonde : cette incision n’ayant fait pénétrer le bistouri dans aucune cavité., il acheva l’extirpation (docteur Marx, thèse inau- gurale, deuxième observation). TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. 539 Dans la descente complète de l’utérus, c’est- à-dire lorsqu’il est tout entier hors de la vulve, le vagin lui - même étant aussi renversé en entier, et servant d’enveloppe externe à la tumeur, il n’y a plus de cavité vaginale ; cette tumeur , comme dans le cas de renversement intégral de l’utérus, semble naître de la partie interne des grandes lèvres. On ne saurait donc se méprendre, sur-tout si on se rappelle qu’elle doit présenter à son centre un orifice que l’on ne rencontre point sur un polype. Les polypes de l’utérus sont souvent con- fondus avec le cancer du col de cet organe. M. Dupuytren a souvent guéri en quelques jours, par l’excision, des malades qui avaient été jugées, par plusieurs des chirurgiens les plus célébrés de la capitale, atteintes d’une affec- tion squirrheuse, tout-à-fait incurable. Nous en avons cité plusieurs exemples fort re- marquables. L’erreur n’est pas toujours aussi facile à éviter qu’on l’a prétendu, il est en effet des cancers qui sont pédiculés et des po- lypes qui n’ont pas de ou des cancers d’un volume considérable et composés de plu- sieurs lobes. Comment, dans ces circonstances, distinguer la nature de la tumeur que l’on a 540 LEÇONS DE M. DÜPÜYTREN. à traiter? D’abord la tumeur formée par un cancer du museau de tanche est continue au col de la matrice ; celui-ci , au contraire , forme un bourlet autour de la tumeur lors- qu’elle est un véritable polype. Une tumeur squirrbeuse est irrégulière, bosselée, très dure ; un poljpe fibreux non dégénéré est également d’une grande dureté, mais d’une dureté très élastique, et il présente une sur- face unie, une forme régulière, ovoïde. Dans le squirrhe , on observe des douleurs lanci- nantes, profondes; elles n’existent pas dans les cas de polypes. Dans le squirrhe, la pres- sion exercée avec les doigts est très doulou- reuse ;le polype peut être comprimé, gratté, pincé , etc., sans donner la moindre douleur. La vessie, les intestins , l’épiploon déplacé, forment quelquefois , dans le vagin , une tu- meur que l’on pourrait prendre pour un po- lype. Cependant, un examen attentif préser- vera de celte erreur. Lorsque la vessie fait une saillie contre nature dans le vagin ce n’est jamais qu’àia partie antérieure de ce conduit. Cette saillie a une base large ; elle diminue , disparaît même lorsque la malade vient d’u- riner et augmente de volume lorsqu’elle n’a TUMEURS FIBREUSES DE I’uTÉRIJS. pas exercé cette fonction depuis long-temps. On ne peut d’ailleurs la comprimer sans réveiller l’irritabilité de la vessie et provoquer l’expulsion des urines : un polype du vagin ne présente aucun de ces caractères. Une tumeur formée dans ce canal par l’intestin ou l’épi” ploon déplacé, en occupe constamment les parois supérieures ou latérales ; elle augmente lorsque la malade se tient debout , tousse, crie ou relient son haleine : aucun de ces symptô- mes n’appartient aux polypes de l’utérus ou du vagin. Le renversement du vagin ne peut être pris pour un polype que par des personnes qui n’auraient aucune notion sur la disposition des parties. En effet, le renversement du vagin forme un bourlet circulaire qui se montre entre les lèvres du pudendum et quelquefois au dehors. Le doigt porté au milieu de ce bourlet pénètre dans le reste du canal au fond duquel on trouve le col de la matrice, Ce vis- cère , entraîné par le vagin , est plus bas qu’il ne doit être. Dans le cas de polypes , au con- traire, il garde sa position ordinaire, la tumeur est isolée des parois du canal vaginal, circon- scrite, embrassée par le col, si elle vient de LEÇONS DE M. DUPÜYTIIEN. l’intérieur de la matrice , ou implantée à côte de l’orifice utérin, si elle prend naissance à l’extérieur. Il nous reste, pour terminer cet article déjà lort étendu , à exposer les principes généraux du professeur sur le Traitement, c’est-à-dire sur les moyens thérapeutiques que réclament les symptômes locaux et généraux ; sur les soins à donner aux malades, suivant les cas , pour les préparer à l’opération ; sur les pro- cédés opératoires et les circonstances diverses qu’on rencontre dans leur application; et enfin sur la surveillance qui doit entourer la malade après l’opération, les précautions à prendre pour prévenir les accidens consécutifs ou les moyens de les combattre lorsqu’ils se décla- rent. Nous avons fait remarquer, dit le professeur, dans le cours de nos leçons, que les polypes du corps et de la surface péritonéale de la matrice pouvaient parvenir à un grand déve- loppement sans causer, pendant de longues années, un trouble très sensible , dans l’éco- nomie, et plusieurs exemples Font démontré. Les polypes intra-utérins arrivent aussi chez beaucoup de femmes à leur deuxième et même TUMEURS FIBREUSES DE l/UTCRUS. troisième périodes, sans décëler leur exis- tence par quelques symptômes bien tranchés. Dans ces cas, non-seulement ïa maladie reste inconnue , mais encore serait-il possible de la constater, toute intervention médicale est sans effet. Mais très fréquemment des polypes ca- chés dans la cavité utérine, inaccessibles à nos sens et aux instrumens, donnent lieu à des symptômes graves, dont on ne peut point encore apprécier la véritable cause, tels que des pertes de sang formidables, des leucho- rées extrêmement abondantes , des douleurs violentes dans le bas-ventre, dans les reins, etc. : c’est alors le cas de faire la médecine des symptômes, qui, pour être simplement palliative, n’en est pas moins de première nécessité; car souvent la vie des malades se trouve immédiatement en danger. Les indi- cations à remplir, dans ces sont d’entretenir avec soin la liberté du ventre et, suivant la nature du symptôme prédomi- nant y de pratiquer des saignées plus ou moins fréquentes , d’appliquer des sangsues , de prescrire des bains entiers, des injections émollientes, narcotiques ou astringentes, par le vagin ou par le rectum, des topiques de 544 même espèce sur le bas-ventre, des caïmans ou des toniques à l’intérieur, des révulsifs. LEÇONS DE M. DUPUiTTIIEN. Tels sont encore les moyens que l’on devra mettre en usage avant de procéder à l’enlève- mentd’un polype dont l’exislenceeslconslatée, si la malade est en proie à une réaction générale lâcheuse. On ne doit jamais négliger d’exa- miner si elle se trouve dans des conditions favorables tant au moral qu’au physique. Le repos, le régime , les caïmans à l’intérieur et en injections y quelques toniques légers si la constitution a été fortement ébranlée , etc., la prépareront convenablement a supporter non pas les douleurs de l’opération qui sont très faibles , mais ses effets et les impressions qu’elle produit toujours sur l’esprit des mala- des. On l’y disposera moralement en dissipant ses en ranimant ses espérances et son courage ; cependant il ne serait pas prudent de la forcer pour ainsi dire à l’accepter , ce qui du reste ne peut arriver que dans les hô- pitaux; il vaudrait mieux attendre que la raison et l’instinct de la conservation lui eussent ins- piré une résolution conforme à ses plus chers intérêts. Mais n’y a-t-il donc d’autres moyens de gué- tumeurs fibreuses de l’utérus. rir ces maladies qu'une opération quelconque7 Nous le croyons et l’expérience l’a trop bien prouvé. Que n’a-t-on pas imaginé pour obte- nir la résolution de ces tumeurs développées dans les régions extérieures? Tout a été sans succès et l’on ne doit pas en espérer d’avantage dans le traitement de celles de l’utérus. Il est néanmoins des cas où les polypes ne pouvant être extirpés parce qu’ils sont inaccessibles par leur position, ou parce que leur extirpation en- traînerait nécessairement des accidens mor- tels_, il faut soumettre les malades à un traite- tement quelconque afin de soutenir leur moral et de ne pas les laisser soupçonner la position incurable dans laquelle elles se trouvent. Mais ici il y a une écueil à éviter : c'est de prendre garde de hâter la marche de la maladie par l’emploi des échauffans et des excilans ou des narcotiques. Les fondans,les résolutifs dont on fait souvent un usage si immodéré, appartien- nent en général à cette classe de médicamens. Celte dame dont je vous ai déjà parlé et qui m’a été adressée par M. Gellibert notre con- frère à Lyon, m’a assuré que ses douleurs ont beaucoup augmenté , que sa constitution s’est considérablement détériorée depuis qu’elle a LEÇONS DE M. DUPUYTREN. fait un usage assez prolongé d’iode à l’intérieur et à l’extérieur. Il faut donc, toutes les fois que les polypes sont incurables, se borner au traitement des symptômes. Souvent lorsqu’ils ont acquis un certain volume, ils restent stationnaires , in- dolens et ne produisent plus que des effets mé- caniques. J’insiste sur celte expression , parce qu’elle rend fidèlement l’action de ces corps sur les organes. Ces effets, nous les avons déjà décrits : les polypes pèsent par leur masse sur le rectum, dans le vagin , refoulent la vessie, l’urêtre , ou , dépassant les pubis, entrainent les parois du ventre en avant. De là des dou- leurs au fondement et des difficultés d’aller à la selle : on y rémédie par des douches ascen- dantes , émoliienles et narcotiques dans le rectum; une pesanteur très incommode dans le vagin , qui nécessite quelquefois le port d’un pessaire ; des rétentions d’urines, pour les quelles il faut pratiquer le cathétérisme ; enfin on soutient le ventre, dans le dernier cas, par un bandage ventral. Lorsque l’existence du polype est reconnue et qu'il n’y a pas d’autre indication à rem- plir que de l’enlever ou de le détruire, la TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. détermination ou la conduite du chirurgien et la possibilité de remplir cette indication dépendront d’une foule de circonstances re- latives i° au siège qu’occupe la tumeur ; 2° à l’espèce à laquelle elle appartient (pédi- culée ou non pédiculée); 5° à la période à la- quelle elle est arrivée. Nous nous occuperons donc de l’opération sous ces trois rapports , après que nous vous aurons rappelé, en peu de mots , les différons procédés opératoires dont on a fait usage. Ces procédés sont la cau- térisation , la torsion, le broiement, l’arra- chement, la ligature et l’excision. i° La cautérisation, que l’on a attribuée à Celse et que l’on pratiquait soit avec des caus- tiques , soit avec le cautère actuel, ne saurait convenir ni aux polypes fibreux développés dans l’épaisseur des parois de la matrice, ni à ceux qui, nés dans sa cavité ou à sa surface péritonéale, ont acquis un certain volume, qu’ils soient ou non pédiculés. Croirait-on, en effet, pouvoir porter sur des tumeurs de celte nature, et à la prolondeur voulue, le fer incandescent ou des caustiques actifs sans qu’il en résultât de graves l’on pra- tique des cautérisations légères, il faudra les 548 LEÇONS DE M. DUPÜVTREN, renouveîersouvent et pendant fortdong-temps; or, Texpérience a démontré que l’action répé- tée d’un tel agent provoque et détermine la dégénérescence carcinomateuse de la tumeur. Si on fait des cautérisations profondes, il peut s’en suivre une inflammation intense qui s’é- tendra aux parties environnantes, et de là des métrites ou des métro-péritonites,souvent mor- telles. Si, après avoir détruit la tumeur, on laisse quelques parcelles de son pédicule, pour n’avoir pas cautérisé assez profondément, la malade est exposée à une récidive presque certaine ; si on cautérise assez profondément pour détruire jusqu’au dernier vestige des tis- sus affectés, on a à redouter les mêmes acci- dens inflammatoires que nous venons d’indi- quer. Cependant, quelque soit la gravité de ces inconvéniens, il ne s’en suit pas qu’on doive proscrire la cautérisation dans tous les cas. Elle a été appliquée avec succès aux polypes vésiculaîres des narines ; il est probable qu’elle pourrait l’être également à ceux de la matrice. Quelquefois aussi elle est d’une grande utilité après l’excision des polypes cellulo-vasculaires, ou des polypes fongueux que l’on a appelés TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS, vivaces, soit pour détruire les tissus malades que l’instrument n’a pu enlever, soit pour pré- venir Fhémorrhagie. M. Dupuytren, consulté par madame F..., demeurant place Saint-Mi- chel, dont la maladie avait été méconnue par beaucoup de médecins, constata, à l’aide du spéculum, l’existence d’un grand nombre de petits polypes ronges, vasculaires, réunis en grappe et remplissant le col de la matrice. Les ayant excisés avec de longs ciseaux coudés à angle aigu, il cautérisa la plaie résultant de l’enlèvement du pédicule, à l’aide d’un gros cylindre de nitrate d’argent monté sur un porte-caustique. Il ne survint aucun accident inflammatoire, nerveux ou autre ; les écoule- mens, les douleurs cessèrent, et cette dame, qui n’avait jamais pu avoir d’enfans, devint enceinte deux mois après l’opération et ac- coucha à terÉie d’un enfant bien portant. La guérison ne s’est point démentie depuis cette époque. 2° Torsion. La rupture du polype par tor- sion a été préconisée par plusieurs chirur- giens; elle a été employée avec succès par Boudou dans un cas où il n’avait pu appliquer une ligature ,etoù le pédicule, long d’un LEÇONS DE M. DUPUYTREN. pouce, n’avait que cinq ou six lignes de dia- mètre ; l'opération réussit, parfaitement. Ce que dans le cas où le pédicule est mince et sa substance très peu ferme que ce procédé peut convenir. Mais la crainte de voir la tor- sion se propager à quelques parties du tissu même de la matrice et déterminer une déchi- rure, Fa fait généralement rejeter, malgré le conseil qu’on a donné, pour prévenir cet inconvénient, de ne tordre la tumeur que d’une manière douce et ménagée , et après avoir saisi son pédicule avec de fortes pinces. 5° Le broiement. C’est à M. Récamier qu’ap- partient ce procédé, si on doit ainsi nommer la manière dont il détruisit une fois un polype mou et vasculaire qui était inséré dans le col utérin et qui le dépassait en bas de six lignes. M. Récamier le pressa contre la paroi du col avec le doigt indicateur, le réduisit en pulpe et l’amena ainsi au dehors en deux minutes: il était du volume du gros orteil. Ce moyen ne saurait convenir dans les polypes fibro- celluleux , à moins qu’ils ne soient frappés d’un ramollissement considérable; et alors le seul avantage qu’on puisse s’en promettre , c’est de diminuer le volume du corps fibreux TUMEURS FIBREUSES DE I’UTÉRUS. 551 et de rendre une autre opération plus facile. 4° L’arrachement ne doit être mis en usage que dans des circonstances particulières ; lors- par exemple], toute autre méthode est inapplicable, et que la femme se trouve dans un danger imminent, par suite des accidens que le polype occasione. Tel était le cas où M.Dupûy tren pratiqua l’arrachement, conjoin- tement avec M. Récamier. Le polype était encore dans la matrice, le col formait, un an- neau de douze à quinze lignes de diamètre ; la malade était épuisée par des pertes abon- dantes et près de succomber; la tumeur n’avait pu être ni extraite, ni liée, et le col refusait de lui livrer passage ~ même après avoir été in- cisé. Elle fut donc saisie et attirée avec les pin- ces à érignes qui ne réussirent qu’a la déchirer. Alors M. Dupuylren la broya impitoyable- ment avec les érignes et les doigts , et elle fut réduite en une espèce de filasse dont les fila— mens glissaient sans cesse entre les griffes de l’instrument. Les débris s’en allèrent plus tard en escarres et la guérison eut lieu. Ainsi, si on était réduit à recourir à l’arrachement, on saisirait le corps du polype avec des pinces de Museux, des tenettcs ordinaires ou même les 552 LEÇONS DE M. DU PU YT H EN. doigts, s’il est peu volumineux et s’ils peuvent l’atteindre , ou bien avec un forceps droit ou courbe. On exerce ensuite des tractions mé- thodiques soit simples, soit combinées avec de légers mouvernens ue rotation , jusqu’à ce qu’on l’ait amené au dehors. 5° La ligature. Nous avons exposé les mo- tifs qui nous ont fait abandonner ce procédé comme méthode générale; mais il est quelques cas exceptionnels où elle doit peut-être avoir la préférence ; il en est aussi où elle doit pré- céder l’excision; nous devons donc en décrire le manuel opératoire. Un très grand nombre d’instrumens a été imaginé, avons-nous dit, pour faire la ligature. Ceux de Desault sont les seuls actuellement en usage : ils consistent en deux porte-nœuds et un serre-nœud. Les deux porte-nœuds n’ont pas la même forme : l’un, que M. Bojer a appelé canule-porte-nœud, est une canule d’argent longue de sept pouces et droite, dans laquelle est renfermée une tige d’argent ou d’acier, plus longue qu’elle d’environ deux ponces. Celle-ci est fendue à l’une de ses ex- trémités, suivant sa longueur, en deux parties qui supportent chacune un demi-anneau. tumeurs fibreuses de l’utérus. Quand on fait glisser la canule vers l’extré- milé opposée de la tige , ces deux parties s’é- cartent par l’elTel de leur élasticité, et les deux demi-anneaux qu’elles supportent, s’éloignent I,’un de l’autre; quand on fait glisser la canule en sens contraire , les deux demi-anneaux se rapprochent et se joignent de manière à for- mer un anneau complet. L’autre extrémité de la tige présente une échancrure qui se termine par une fente étroite. M. Bojer a appelé ce second instrument, pince porte-nœud. Le serre-nœud est une tige d’argent termi- née à une de ses extrémités par un anneau qui en part à angle et dont l’autre ex- trémité, aplatie, porte une échancrure qui dégénère en une fente étroite dirigée dans le sens de la longueur de l’instrument. Pour préparer l’appareil , on relire la tige de la pince porte-nœud dans la canule qui la contient, jusqu’à ce que le rapprochement des demi-anneaux lasse un anneau dans lequel on passe un des chefs d’une ligature de deux pieds de longueur, et l’on fixe ce chef en le renversant dans l’échancrure que pré- sente à l’autre bout la tige de la pince. Qn passe ensuite le second chef du fil, qu’on laisse 554 LEÇONS DE M. DD'PUYTREW. beaucoup plus long que le précédent, dans la canule porte-nœud, et on l’arrête autour d'un des anneaux que présente cette canule à celle de ses extrémités par où sort le fil. L’appareil étant ainsi préparé, et la malade couchée en travers sur le bord de son lit, garni d’alèzeS; les cuisses relevées et écartées l’une de l’autre, et les pieds appuyés sur des chaises ou soutenus par des aides, on introduit les deux porte-nœuds parallèlement Fun à l’autre à l’entrée du vagin, vers le point où le toucher a appris que l’on rencontrerait le moins de difficultés, et ou le fait glisser entre ce canal et le polype, jusqu’à la partie la plus élevée du pédicule de celui-ci, quel que soit le lieu il lire sou origine. On tient immobile la pince porte-nœud ; on détache le chef du fil fixé à l’un des anneaux de la canule porte-nœud et ou fait décrire à celle-ci le tour du polype, de manière à jeter une anse de fil autour du pédicule de la tumeur. Quand elle a rejoint le porte-nœud, qui est resté immobile, on les change de main et on les croise de manière que le chef de l’anse qm sort de la canule porte-nœud, soit retenu par l’autre; on relire alors cette canule sans crainte de déplacer le TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. 555 fil qu’elle a conduit autour du polype. On dé- tache le chef de fil fixé dans la fente que pré- sente l’extrémité libre de la tige de la pince porte-nœud, et les deux chefs de la ligature se trouvant libres, on les engage tous deux dans l’anneau du serre-nœud que l’on pousse aussi haut que possible dans le vagin. Conduit par ces deux chefs du fil, il arrive au point de leur entre-croisement sur le pédicule du polype. On retire alors un peu à soi la canule de la pince porte-nœud en la faisant glisser sur la tige : l’anneau s’ouvre, laisse échapper le fil sans le déplacer, et on retire l’instrument. Le serre-nœud est alors de nouveau poussé contre le pédicule, en même temps que, par uu mouvement contraire, on tire à soi les fils; et lorsque l’on sent qu’on exerce une constric- tion suffisante, on renverse les deux chefs de la ligature dans l’échancrure du serre-nœud que l’on abandonne dans le vagin. La ligature étant placée, il laut, autant que possible, serrer le fil assez pour interrompre complètement la circulation dans la tumeur. L’expérience a prouvé qu’en procédant de celte manière, on a beaucoup moins à crain- dre les accidens consécutifs, et que la chute 556 LEÇONS DE M. DUPUYTREW. du poljpe est beaucoup plus prompte. Mais souvent Je volume du pédicule est trop consi- dérable pour que la circulation puisse être interrompue du premier coup ; il faut alors la serrer chaque jour davantage, jusqu’à la chute du poljpe.Du reste, quantau degré de constric- tion qu’il faut exercer, il est de principe que l’on peut serrer jusqu’à ce que la malade se plaigne la pince et jamais au-delà ; car on a vu une striction trop forte causer des douleurs atroces, des convulsions, et des con- vulsions portées jusqu’à la mort. Si de pareils accidens survenaient, il faudrait à l’instant re- lâcher la ligature; et si un second, un troi- sième essai réussissaient aussi mal, abandon- ner ce mojen. Lorsque la ligature est bien appliquée , la circulation et la vie étant inter- rompues dans la masse fibreuse, elle se décom- pose, elle est frappée de gangrène progressi- vement de la périphérie vers le centre, le fil en coupe peu à peu le pédicule, et elle tombe après un temps plus ou moins long et très variable, selon la force de constriclion exercée, le vo- lume du pédicule, la densité des tissus qui le composent. Assez fréquemment la chute se fait du cinquième au sixième jour ; dans un TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. cas cité par Leblanc, elle se fît attendre pen- dant près de trois mois. Le point le plus difficile de la ligature, alors même que le volume ou la situation du polype ne met pas d’obstacles particuliers à celte opération, est de la porter assez haut pour que le pédicule soit lié le plus près possible du lieu de son insertion à la matrice. Pour atteindre ce but, on a d’abord provoqué l’abaissement et le demi-renversement de la matrice, puis on a imaginé divers instrumens ; enfin on est venu à discuter Futilité même du principe. L’abaisse- ment et le demi-renversement de la matrice, qui semblent indiqués par la nature, proposés et employés par Herbiniaux et rejetés ensuite par d’autres chirurgiens, furent repris dans ces derniers temps par M. Dupuytren, qui en a fait la base de son procédé d’excision. Quant aux instrumens, ceux de M. Mayor nous pa- raissent les plus simples, les plus ingénieux et les plus faciles à appliquer. Ils consistent en tiges élastiques de baleine ou d’acier, termi- nées en pattes d’écrevisse à leur extrémité. La ligature s’y place comme dans la pince de Desault, et doit être portée avec les mêmes précautions autour du polype. Pour la déga- 558 LEÇONS DE Ma DUPUYTIVEN. ger, il suffît de tirer un peu fort sur l’instru- ment conducteur des que le serre-nœud est arrivé près du pédicule à étrangler. Du reste, que l’on se serve de ces derniers ou de la tige échancrée comme un porte-mèche de Gulle- rier, ou des porte-nœuds de Desault, tous ces instrumens sont fort utiles lorsqu’on ne peut parvenir à abaisser et à renverser l’utérus; ce qui est arrivé quelquefois à M. Dupuytren , notamment chez la femme dont nous avons parlé précédemment et dont il fut obligé de broyer le polype. Nous avons dit que pour se débarrasser des difficultés que présente l’application de la ligature, on avait fini par révoquer en doute la nécessité de la placer le pins près possible de la racine du pédicule. Levrel et Segard pen- saient, et récemment M. Gensoul a soutenu cette opinion, que le polype, comme le cor- don ombilical, se détache de son point d’ori- gine , quel que soit le lieu où la ligature l’a coupé. M. Dupuytren est bien loin de la partager : le pédicule ne se détache en en- tier, quelquefois, dit-il, que lorsqu’on le lie très près de sa racine ; d’autres fois, et sur-tout s’il est lié un peu loin de son inser- TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. tion, la partie située au-dessous de la li- gature tombe , mais celle qui est au-dessus reste, continue à vivre, s’accroît et reproduit la tumeur : de là la source de nombreuses ré- cidives et de là aussi les motifs de quelques-uns reproches des que nous faisons à ce procédé. Les soins à donner aux malades après la ligature consistent à combattre , par des in- jections faites avec quelque liquide anti-septi- que , la malpropreté et les dangers résultant des écoulemens fétides qui ne manquent pas de survenir par l’effet de la mortification de la tumeur et dont l’abondance, toujours assez considérable, est proportionnée à son volume. On sait, en effet, que la matière de ces écou- iemens doit irriter les parties sur lesquelles elle séjourne , et que, décomposée par la cha- leur du corps, elle peut être absorbée et donner lieu, ce qui arrive fréquemment, aux symp- tômes d’empoisonnement par résorption puru- lente. 6° Passons maintenant au procédé définitive- ment adopté par M. Dupuytren, dans la géné- ralité des cas, l’Excision, elexaminons-en l’ap- plication dans les circonstances variées de la maladie. Nous croyons devoir établir, pour LF.COR S DE M. DUPUYTEEN. faciliter la description et aider l’intelligence, quatre divisions générales, purement arbitrai- res, mais déduites des indications particulières que chacune d’elles présente : les polypes intra-utérins; les polypes extra-utérins; les polypes intra ôu extra - utérins pédiculés ; les polypes intra ou extra-utérins non pédiculés, mais de petit volume, on non pédiculés et de grand volume. Ceux qui naissent dans la cavité du corps ou du col de la matrice, et que nous appelons présentent encore des indications diverses, suivant qu’ils sont enfer- més dans l’intérieur de l’organe , qu’ils sont engagés dans le canal du col, qu’ils proéminent dans le vagin, ou qu’ils sont arrivés au dehors, après avoir franchi la vulve. Il est encore une distinction à faire entre les polypes extra-uté- rins qui siègent sur le col de la matrice, et ceux de même espèce qui sont insérés sur les diverses régions du corps de cet organe : on conçoit, en effet, que les premiers, qu’ils soient ou non pédiculés, de grand ou de petit toutes choses égales d’ailleurs, sont bien plus accessibles aux ressources de Fart et aux ins- trumens, que les derniers. Les polypes extra-utérins sont analogues. TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÊRUS. par leur nature , aux polypes de la cavité ; seulement les premiers sont retenus par la membrane péritonéale , et les seconds par l’enveloppe interne de la matrice ; mais on ne saurait, dit M. Dupuytren, les comparer entre eux, sous le rapport du traitement. Il semblerait, au premier abord, qu’on peut cou- per les uns et les autres avec la même facilité et sans plus d’inconvéniens. 11 n’en est point ainsi: pour opérer les derniers / il faut faire une ouverture grande, souvent très grande, puisqu’ils ont quelquefois le volume de la tête d’un enfant ; il faut ouvrir la membrane sé- reuse la plus étendue de l’économie et la plus susceptible d’inflammation. L’extirpation est donc fort dangereuse ; il survient presque constamment une péritonite promptement mortelle. C’est ce qui est arrivé à l’hôpital Beaujon, dans un cas dont l’histoire a été pu- bliée : la malade n’a survécu que quarante-huit heures. Je fus appelé, il y a quelques années, dit M. Dnpuylren, pour une dame qui portait une tumeur volumineuse dans le bas-ventre : elle était très mobile, on pouvait la faire passer, avec la plus grande facilité de gauche à droite et de droite à gauche, la relever vers l’ombilic 562 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. on rabaisser sous les pubis et la précipiter clans le bassin. Un examen attentif me fit iimer ) D qu’elle consistait en une tumeur fibro-cellu- leuse pécliculée de l’extérieur de la matrice. Cette dame ne croyait rien de plus facile que de lui enlever cette tumeur. Mais j’avais pré- sent à la mémoire le fait qui s’était passé à Beaujon, et je ne voulus pas prendre sur moi la responsabilité d’une telle opération. Il n’en est pas de même des polypes de la cavité uté- rine ; leur extirpation est souvent très facile et toujours sans danger par elle-même. Quant à ceux qui se développent dans l’é- paisseur des parois de la matrice et qui font saillie tantôt au dedans,‘tantôt en dehors, à moins qu’ils ne soient très superficiels et d’un petit volume, ils sont tousetà bien plus forte raison que les précédons, inopérables ; car il faudrait fendre la matrice pour pouvoir les énuclëer. Lorsqu’ils sont développés dans l’é- paisseur du col, il y a généralement plus de ressources; cependant il est des cas où l’on tente vainement l’énucléation. Je vis, il y a quel- ques années, une fille dans une petite rue de la Cité, qui portait une tumeur de ce genre. Je fendis le col pour la faire saillir davantage. TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS Elle saillit en effetmais pas assez pour pou- voir être enlevée. En résumé, dans tous les cas de polypes externes du corps de la ma- trice où l’excision est possible, le procédé opératoire est le même que pour ceux de la cavité. Les polypes développés à la surface périto- néale de la matrice sont, nous l’avons déjà fait remarquer, extrêmement communs; mais une circonstance très défavorable , c’est qu’ils sont rarement isolés et le plus ordinairement multiples. Vous rencontrerez souvent dans votre pratique, dit M. Dupuytren, des femmes ayant le bas-ventre farci de tumeurs plus ou moins volumineuses. D’abord indolentes pen- dant un temps quelquefois assez long-, elles finissent par deyenir douloureuses, très sensi- bles au toucher. Les malades, dont la santé ne souffrait point jusque là de leur présence, y éprouvent des douleurs lancinantes, vives et profondes leur constitution s’altère, leurs forces diminuent, elles maigrissent rapide- ment leur teint devient jaurœ, une hydro- pisie de l’abdomen se forme, les extrémités s’infiltrent. Gardez-vous, dans de telles con- jonctures, de faire la ponction: elle ne servi- 564 LEÇONS DE M. DÜPUYïREN. rail à rien. Ces femmes succombent enfin , et vous trouvez des tumeurs de différent volume, fixées sur les diverses régions de la surface de l’utérus , sur les différentes portions du péri- toine , et le ventre rempli d’une collection de liquide ou séreux , ou séro-purulent. Ouvrez ces tumeurs et vous verrez tous les degrés de la dégénérescence carcinomateuse. A leur centre resteront encore quelques traces d’élé- mens fibreux, dernière preuve de leur nature primitive. Arrivez àla matrice et vous ren- contrerez , dans l’epaisseur de ses parois, ici un tubercule encore à l’état fibreux là un autre tubercule commençant à se ramollir, a ' ailleurs une dégénérescence qui, après avoir attaqué la tumeur, a envahi son enveloppe particulière et s’est étendue aux tissus envi- ronnans, et enfin la matrice elle-même, frap- pée d’une inflammation générale ou de dégé- nération dans une étendue plus ou moins grande, à une profondeur plus ou moins con- sidérable. Ces considérations nous conduisent à exa- miner une question de thérapeutique chirur- gicale fort importante : un cas tout nouveau, qui vient de s’offrir à notre observation , nous fournit l’occasion de la résoudre. TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. 565 Une femme de pelite taille, bien constituée, maigre, âgée de quarante à quarante-cinq ans, se présente à la consultation de M. Dupuytren, le 26 de ce mois (mars i 833), se plaignant d’avoir des écoulemens en blanc trèsabondans et souvent des pertes en rouge, destiraillemens dans les aînés et les cuisses, d’éprouver des douleurs fortes dans le bas-ventre, un senti- ment de pesanteur très considérable sur le rec- tum et dans le vagin , etc. Je la touchai, dit le professeur, et je trouvai vers le tiers de la longueur du vagin, une tumeur qu’on peut appeler énorme, car elle remplit toute la ca- vité du détroit supérieur de ce canal. Cepen- dant je pus faire circuler le doigt autour de sa circonférence, et je lui trouvai une surfacelisse, une forme conoide ; le doigt, porté plus haut, rencontra cette dépression circulaire particu- lière aux tumeurs pédiculées. Il ne restait pas de doute sur sa nature. Mais je palpai le bas- ventre ,et je reconnus l’existence de plusieurs tumeurs implantées sur le corps même de l’u- térus, et faisant saillie dans la cavité abdomi- nale, Ainsi cette femme offre un exemple de la multiplicité des tumeurs fibreuses chez la même personne, et d’un polype volumineux de la cavité de la matrice, coexistant avec plu- sieurs autres tumeurs du corps même de cet organe. Mais ce n’est pas là le côté le plus remarquable de ce cas ; examinons les effets de cette multiplicité sous le rapport du traite- ment. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Il est bien évident que nous tomberions dans l’absurde , si nous nous rendions aux désirs de la malade en cherchant à la guérir par des moyens pharmaceutiques, internes ou appli- qués localement, par des fondans etc. , nous croyons, d’un antre côté , que l’extirpation du polype de la cavité, bien qu’il soit très volu- mineux, est possible; mais cette opération n’est-elle point contre-indiquéé et devrons- nous la pratiquer? telle est la question qu'àl est important d’examiner. D’abord l’enlèvement d’une tumeur princi- pale , qui est accompagnée d’une ou de plu- sieurs n’empêche point celles-ci, nous l’avons déjà fait remarquer plus d’une fois , de suivre leur développement, de continuer leur marche, et d’arriver àleur terminaison or- dinaire. Bien plus 7 une tumeur uni- que* qui a été extirpée, peu têtre suivie du déve- loppement d’une autre ou même de plusieurs TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. autres tumeurs de .même nature; nous en avons observé plusieurs exemples. Mais ce qui est bien plus remarquable, et ce dont personne, quen ous sachions , n’a encore fait mention jusqu’ici , c’est qu’un grand nombre de fem- mes qui ont été affectées de polypes utérins , sont prises au bout d’un temps plus ou moins long,, de dégénérescence cancéreuse de l’u- térus, lors même qu’il n’existait qu’une seule tumeur, que celte tumeur a été convenable- ment extirpée et qu’aucune autre ne s’est développée ensuite. Il y a chez elles une dis- position générale, organique sans doute , qui les rend éminemment susceptibles de contrac- ter l’alFection cancéreuse. Notre malade actuelle est donc , de quelque manière qu’on l’envisage , exposée à une ré- cidive plus ou moins éloignée, pins ou moins imminente ; Lien plus , à raison delà multipli- cité de ses tumeurs, elle ne saurait être guérie radicalement par l’enlèvement du polype principal qui occupe le vagin. Mais sont-ce là des raisons suffisantes pour ne pas l’opérer ? nous ne le pensons pas. Cette femme éprouve par la présence de cette tumeur des incommo- dités graves ; ses écoulemens en blanc com- 568 LEÇONS DE M. DUPUŸTRÉSC. mençentà se changer en pertes rouges; celles-ci peuvent devenir très-abondantes , continues , et se transformer même en une véritable hémor- rhagie; les douleurs abdominales sont très-for- tes; le sentiment de pesanteur au fondement et dans le vagin extrêmement pénible; le cours des matières fécales est mécaniquement inter- rompu par la pression que le poîjpe exerce sur le rectum , et l’écoulement des urines in- cessamment sollicité par le refoulement de la vessie; enfin , la dégénérescense cancéreuse peut se développer à une époque plus ou moins rapprochée , et alors apparaîtrait cette série funeste de symptômes généraux que nous avons décrits ailleurs, et qui épuisent rapidement la constitution et la vie des mala- des. Et bien ; par l’opération , non seulement nous laisonscesser tout-à-coup les symptômes actuels, mais encore nous prévenons tous ceux que les progrès du mal amèneraient nécessaire- ment. Qu’en résultera-t-il? que cette femme, *out en portant d’autres tumeurs fibreuses dans ie bas-ventre, jouira du bien-être et du calme pendant un nombre d’années plus ou moins grand} jusqu’à ce que celles-ci détermi- nent quelques graves accidents. Et qui sait TUMEURS FI BUE USES DE u’urÊRUS. si cette époque n’est pas très éloignée pour elle! nous vous avons dit que les tumeurs fibreuses abdominales peuvent acquérir un volume considérable sans apporter un trou- ble très sensible dans les fonctions de l’écono- mie, qu’elles dégénèrent beaucoup plus tar- divement que celles de la cavité utérine, et qu’enfin , passant assez souvent à une dégéné- rescense cartilagineuse ou osseuse , elles peu- vent, dans cette nouvelle Condition, permettre aux malades de parcourir une longue car- rière. Vous n’avez pas oublié l’exemple que nous vous avons cité , de cette demoiselle qui affectée à 35 ans des premiers symptômes d’un polype, arriva à Fage de 84 ans sans éprouver beaucoup d’incommodités , quoi- qu’il eût acquis un volume énorme. Les polypes de la cavité de l’utérus ne sont reconnaissables, avons-nous dit, que lorsqu’ils sont accessibles aux doigts , c’est-à-dire, lors- que Forifice utérin est assez dilaté pour en permettre Fintroductiou et une exploration suffisante. Une première question, qui se pré- sente ici, est celle-ci : à quelle époque doit-on procéder à leur extirpation? L’opportunité ou l’urgence de cette opération est entièrement su * LECOJNî* fôß M. DÜPUÏTREN. bordonnée aux accidens que la malade éprouve. S’il y a des pertes abondantes qui l’épuisent, des douleurs profondes qui déterminent une réaction générale , si la tumeur commence à dégénérer, ce qui est fort rare, du reste, lors- qu’elle ne proémine pas dans le vagin, si, en un mot, il existe quelque indication pressante, l’on doit se hâter d’opérer , quel que soit le lieu qu’occupe encore la tumeur. Dans les cas contraires, on peut attendre, sans inconvéniens, un moment plus propice. Si la tumeur est encore enfermée dans l’utérus et que des accidens graves rendent l’opération nécessaire , comment parviendra- t-on à la pratiquer? Il existe nécessairement l’une des deux circonstances que voici : ou il y a une dilatation du col suffisante pour per- mettre le passage du polype , ou le col n’est que peu ou point dilaté. Dans le premier cas , M. Dupuytren , d’accord sur ce point avec Griffith, pense qu’on peut employer avec avan- lage le seigle ergoté comme moyen propre à en faciliter l'expulsion , mais bien entendu pour les cas seulement de polypes pédiculés ; car on conçoit que si la tumeur est à large base et implantée dans le tissu propre de la TUMEURS FIBREUSES DE I’üT'ÉRUS. matrice, les contractions de cet organe, déter- minées par cette substance, seront sans aucun effet utile. Il est superflu d’ajouter qu’elle produirait même des accidens dangereux , si on l’administrait sans qufil y eût une dilata- tion proportionnée au volume de la tumeur. Ces lignes étaient composées, lorsque nous eûmes connaissance d’un fait tout récent qui confirme pleinement ce que nous venons de dire sur le seigle ergoté. Il y a deux jours le 19 de ce mois ( mars i 853 ), M. Guersent fils, appelé près de la femme du concierge du Palais du Luxembourg, qui éprouvait diverses indispositions, des coliques, des douleurs dans les aînés, au fondement, à la matrice, accom- pagnées de pertes, la toucha , trouva le col de la matrice largement entrouvert, et dans la cavité de l’organe un corps arrondi, lisse, qu’il reconnut bientôt pour un corps fibreux. L’ou- verture du col lui paraissant assez grande pour permettre le passage delà tumeur, il prescrivit, comme M. Dupuytren le conseille , le seigle ereoté. Les effets du médicament ne se firent O pas attendre. Les contractions de la matrice chassèrent bientôt le polype jusque dans le LEÇONS DE M. DUPUYTREN. vagin , où il est encore en ce moment en at- tendant qu’on en Fasse l’excision. Dans le second cas , c’est-à-dire lorsque le col n’est que peu ou point dilaté , quelques écrivains ont conseillé et des praticiens ont tenté de produire une dilatation mécanique. Un essai de ce genre a démontré tout le dan- ger de ces tentatives. Il y a quelques années , on vint prier M. Dupuytren de se rendre en toute hâte auprès de madame G****, femme d’un banquier de Paris, que l’on disait être à l’extrémité. Elle était en effet dans une posi- tion très fâcheuse. Le professeur apprit par le récit des antécédens, que la malade était affectée d’un polype de la matrice, que celui- ci se présentait au col ; mais que l’orifice n’étant pas assez grand pour lui livrer on avait cherché à obtenir la dilatation en in- troduisant des éponges et de la racine de gen- tiane préparée. Ces manœuvres avaient eu pour résultat le développement d’une métro-péri- tonite intense, dont les symptômes étaient por- tés à un très haut degré, lorsque M. Dupuytren fut appelé. Nous ne discuterons pas, dit le professeur, la question de savoir s’il y avait ou TUMEURS FIBREUSES DE L’UTÉRUS. non urgence de pratiquer l’opération ; mais nous avons voulu vous faire comprendre le danger de ces tentatives de dilatation forcée du col de l’utérus, que l’on doit proscrire de nos moyens de traitement. D’un autre côté , le seigle ergoté que nous avons dit pouvoir être utile lorsqu’il existe une dilatation suffisante, sera tout-à-fait im- puissant dans une foule de circonstances ; car les choses ne se passent pas ici comme dans les accouchemens. Dans l’accouchement, le col s’amollit, s’amincit, se distend graduelle- ment par un travail continu; dans les polypes il conserve toute son épaisseur; souvent même cette épaisseur a été augmentée par un travail morbide , et il offre une rigidité extrême qui est un obstacle presque invincible. Le moyen le plus sûr et qui présente le moins d’inconvé- niens, dans touslescas, consistedans l’incision du col, que nous avons déjà eu quelques oc- casions de pratiquer. A pris cette opération , rien n’empêche qu’on essaie de faire descen- dre le polype en administrant le seigle ergoté. Cette incision du col peut se faire de deux manières : par débridement ou de dedans en dehors, avec un bistouri boulonné, ou avec le LIiCOJNS DU M. DUPÜYTREN. lithotome caché ; et par ponction, c’est-à-dire par un coup de pointe porté de dehors en de- dans. Par ce débridement, M. Dupuytren a soumis à la puissance de l’art plusieurs cas de ces maladies qui, jusque-là, avaient été con- sidérés comme incurables. Après que l’on a pratiqué l’incision du col, de même que lorsqu’il existe une dilatation plus ou moins considérable de l’orifice uté- rin, on introduit les pinces de Museux, on saisit la tumeur et on l’attire au dehors pour en faire l’excision. Mais dans beaucoup de soit que la tumeur soit adhérente, soit qu’elle ait un pédicule extrêmement court ou qu’elle n’en ait pas du tout, ou ne peut parvenir àen faire l’abaissement, quelque bien dirigées que soient les manoeuvres. Il ne reste alors d’au- tre parti à prendre que d’amener la matrice au détroit intérieur et d’en faire le demi-ren- versement dont nous avons parlé ailleurs; en- fin, si ce demi-rerftersement ne pouvait avoir beu, ce serait encore le cas d’inciser large- ment le col et d’aller ensuite exciser la tumeur dans l’intérieur même de l’organe. Les mê- mes indications se présentent lorsque le pédi- cule d’un polype descendu dans le vagin est TUMEURS ITRREUSES DE u’üTÉRUS. étroitement embrassé par le col, et qu’il est impossible d’en faire la section au-dessus du museau de tanche. IX* Observation. Tarcois, âgée de qua- rante-neuf ans, couturière, n’ayant jamais eu d’enfant et bien réglée, entra à l’Hôtel-Dieu !e 10 décembre 1823. Dans le courant du mois d’août précédent, elle avait eu une perle abondante qui dura plusieurs jours. Bientôt elle s’aperçut qu’elle avait une tumeur dans le vagin. Quelques jours après, celte tumeur se présenta à la vulve et fit bientôt saillie entre les grandes lèvres. Alors survinrent des douleurs dans le ventre, des tiraillemens dans les aines, des écoulemens en blanc, de la pesan- leur au fondement, des difficultés et des dou- leurs en allant à la ffarde-robe. A l’époque de l’entrée de la malade à l’hô- pital, la tumeur était rugueuse , rougeâtre , dure, ulcérée sur divers points. Le doigt, in- troduit dans le vagin , pouvait facilement en circonscrire le pédicule, qui était fortement embrassé par le col de la matrice. L’état gé- néral étant très satisfaisant, l’opération fut pratiquée le i 3 décembre. M. Dupuylren saisit le polype avec des pinces LEÇONS DE M. DÜPÜYTIIEN. de Museux et l’attira au dehors. A mesure que la tumeur avançait, il la saisissait avec d’au- tres pinces et ainsi successivement, de sorte que bientôt le col de la matrice parut à la vulve. Mais, d’après la disposition des parties que nous venons d’indiquer , il était impossible de faire la section au-delà du col. L’opérateur incisa donc largement celui-ci de dedans en dehors à l’aide d’un bistouri boutonné, et en- suite, au moyen de forts ciseaux courbés sur le plat, il put aller couper dans l’utérus le pédi- cule du polype. Il n’y eut aucun écoulement de sang } et la matrice remonta aussitôt dans le vagin. La tumeur , examinée, présentait un tissu dur, dense, élastique grisâtre, criant sous le scalpel. Dans son centre existait une cavité assez grande , sur les parois de laquelle on re- marquait des colonnes fibreuses, dont la dis- position était en tout analogue à celles du cœur. Quelques points commençaient à dégé- nérer. La malade, après n’éprouva aucune espèce d’accident. Les douleurs dans les reins, les tiraillemens dans les aînés, les écoulemens en blanc, en rouge disparurent. TUMEÜIIS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. Seulement au neuvième jour, n’ayant pas été depuis long-temps à la garde-robe et pressée par le besoin , elle fit de violens efforts pour y satisfaire : il en résulta un léger écoulement de sang qui dura plusieurs jours. Le vingt- quatrième jour de l’opération, elle quitta l’hô- pital, parfaitement guérie. Lorsque le polype est descendu dans le va- gin , le manuel opératoire est simple dans beaucoup de cas. Nous Pavons décrit dans le cours de nos leçons, rappelé plus d’une fois dans les observations citées, et nous n’y re- viendrons pas. Mais il est plusieurs circon- stances qui viennent souvent le compliquer. Quelquefois la matrice est peu mobile, difficile a être abaissée, ou le polype résiste, et son pédicule ne peut être amené à la vulve. Il faut alors qu’avec la pointe d’un bistouri droit dont la lame a été préalablement garnie d’une ban- delette, ou avec les ciseaux courbes dont nous nous servons, le chirurgien , sans permettre au polype de remonter, aille le diviser à sa partie la plus rétrécie, en suivant toujours l’instrument avec les doigts de la main gauche restés dans le vagin. C’est aussi la conduite qu’il faudrait tenir, si, le pédicule étant forte- ment ramolli, on craignait de le rompre en continuant les tractions pour l’amener à la vulve. Ce cas vous a été offert par la deuxième malade que vous aviez sous les jeux. ( Voyez le commencement de cet article. ) LEÇONS DE M. DÜPUYTR EN. Avant de procéder à l’abaissement, le chi- rurgien doit toujours s’assurer si le polype a contracté, ou non, des adhérences avec les parties environnantes ; s’il est adhérent, ses attaches sont d’abord détruites successivement avec de très-longs et très forts ciseaux courbés sur leur plat et pourvus de tranchans mousses, à l’aide desquels ils ne divisent les parties qu’en les contondant et en froissant les vais- seaux qui pourraient fournir du sang. On doit mettre beaucoup de prudence et de ménage- ment dans cette dissection qui est extrême- ment délicate. Il est encore une- circonstance que nous devons noter et qui se présente assez souvent au moment où la tumeur franchit avec plus ou moins de violence l’orifice externe du va- gin.Comme dans l’accouchement, on voit alors un jet de sang s’échapper avec elle, et ce flot de sang, qui a lieu aussi après l’arrachement des polypes fibreux du nez , provient sans TUMEURS FTBHFUSES DE I’üTÉRUS. doute de la contusion, du déchirement de quelques-uns des vaisseaux du vagin. Il n’est que momentané et n’a aucune influence fâ- cheuse. Les polypes utérins offrent quelquefois un volume si considérable, qu’on ne peut les atti- rer en dehors de la vulve quelles que soient les tractions que l’on exerce. Si l’obstacle dépend de l’étroitesse de cet orifice, M. Dupujtren n’hésite pas à en inciser largement la com- missure postérieure. s’il provenait d’un défaut considérable de proportions entre le volume de la tumeur et les diamètres du dé- troit inférieur , il faudrait nécessairement re- courir à la compression par le forceps , ou au broiement avec les érignes, ou, enfin, à la di- vision en plusieurs fragmens avec le bistouri. Il a été démontré , d’une manière péremp- toire, combien était peu fondée la crainte de J’hémorrhagie après l’excision. II est cepen- dant quelques cas rares où le professeur croi- rait devoir appliquer préalablement une liga- ture ; ce sont ceux où le polype contiendrait des vaisseaux volumineux dont la présence se décèle par des battemens très forts ; nous ne sachions pas qu’il ait jamais eu l’occasion d’user LEÇONS DE M. DÜPUYTREN. 6 de cette précaution. Plusieurs exemples, cités dans le cours de cet article , tendent même à en prouver l’inutilité. Quant au traitement des polypes qui se dé- veloppent autour et en dehors de la matrice , sur les parois du vagin, dans le tissu cellu- laire post-vaginal, etc., nous renvoyons le lecteur à ce que nous avons dit ailleurs , en décrivant les caractères qui leur sont propres. Dans tous les cas de tumeurs non pédiculée.s et enclavées dans le tissu propre de la matrice, où l’opération peut être tentée, voici comment M. Dupuytren y procède : Il fait d’abord, autour de la moitié antérieure de la base une incision semi-elliptique plus ou moins pro- fonde. Aussitôt la rétraction des bords de la plaie fait saillir la tumeur, une incision pa- reille est pratiquée ensuite dans la moitié pos- térieure de la base, de manière à rencontrer de chaque côté les extrémités de la première in- cision. Les bords de celte plaie s’écartent lar- gement aussi, et dès lors on peut avec le doigt ou le manche d’un scalpel la disséquer et la détacher, si elle naît seulement du tissu cel- lulaire sous-muqueux, ou bien quelques coups de bistouri seront si elle tire son TUMEURS FIBREUSES DE I’üTÉRUS. origine du tissu cellulaire inter-lamelleux delà matrice. Disons deux mots, en terminant, des suites de cette opération et du traitement consécutif qui est fort simple dans la généralité des cas. Aussitôt que le pédicule est coupé, la matrice remonte brusquement à sa place ordinaire ; l’écoulement de sang est presque toujours extrê- mement modéré , et s’arrête de lui-même au bout de quelques heures. Les écoulêmensmoî*- bides qui existaient avant, cessent immédiate- ment. Les malades sont délivrées aussitôt des incommodités ou des accidens dépendans de leur affection , et si elles n’étaient pas encore tombées dans un état d’épuisement, quelques jours suffisent pour qu’elles obtiennent une guérison parfaite. Celle-ci a lieu ordinairement en douze ou quinze jours. Une dame de Metz, à qui M. Dupuytren avait enlevé un polype plus gros que les deux poings réunis, put aller à l’Opéra le troisième jour. Quant aux soins consécutifs, il est prudent de soumettre les malades à un régime sévère pendant quelques jours, lors même qu’elles sont dans un état des plus satisfaisans. Il ne faut pas oublier qu’en l’absence même de toute complications elles 582 LEÇONS DE M. DUPUYTREN. sont toujours sous l’imminence d’une inflam- mation, qu’il faut par conséquent les surveiller de près et agir énergiquement aux premiers indices, par des saignées générales ou locales, des cataplasmes émolliens, des bains, etc. Des injections émollientes seront fort utiles dans tous les cas. Si l’opérée a été con- sidérablement affaiblie par les accidens an- térieurs , on ne la tiendra à la diète que le temps rigoureusement nécessaire, et on pres- crira ensuite une alimentation légère , mais substantielle, qu’on augmentera par degrés et à laquelle on associera une médication tonique et fortifiante. Nous avons omis de noter plus tôt, que M.Du- puytren a quelquefois rencontré des polypes ayant un renflement dans la cavité du vagin, et un autre renflement dans la cavité de la matrice , lequel est fixé à la surface interne de celle-ci par un pédicule. S’ils ne peuvent être altérés en entier dans le vagin, les polypes qui présentent cette disposition singulière y rentrent, sous le rapport du traitement, dans la classe de ceux qui ne peuvent franchir le col utérin et exigent la même conduite de la part du chirurgien ( voj. pages 670 et sui- TUMEURS FIWREUSES DE I’üTÉRUS. 583 vantes). Le professeur a également signalé un phénomène particulier qu’il avait déjà observé après les suppressions brusques de, pertes de sang habituelles, nous voulons parler de bourdonnemens d’oreilles très incommo- des que beaucoup de malades éprouvent après l’extirpation du polype. On les fait cesser par des pédiluves sinapisés , l’application de la moutarde aux extrémités et en général par les révulsifs. Il n’a été question, dans cet article, que des polypes fibreux de l’utérus. Le professeur nous fournira sans doute l’occasion de traiter un jour des diverses autres espèces de tumeurs qui se développent sur cet organe. ARTICLE XYIII. OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. L’introduction d’un corps étranger dans les voies est toujours un événement fâcheux. Si le malade, en effet, n’est point secouru, il peut rapidement périr. L’opération elle-même ne suffit pas toujours pour remé- (lier aux accidens. Dans des circonstances pins heureuses , le corps étranger se présente à l’ouverture pratiquée, et sort dans une vio- lente expiration ; quelquefois on le saisit avec des pinces ; enfin il peut se trouver plus tard entre les lèvres de la plaie. Mais, dans tous les cas, on ne saurait méconnaître l’utilité d’une opération que rien ne peut remplacer; car l’ouverture de la glotte qui se prête bien à l’introduction d’un haricot, par exemple, ne permet plus sa sortie dans l’immense ma- jorité des cas, et l’on voit survenir des alté- rations du poumon qui entraînent toujours la perte du sujet» LESONS DE M. DUPUÏTREN. Ire Observation. -—Un de mes amis, dit M. Dupuytren, jouant avec des enfans, lan- çait en l’air une pièce de dix sols, et la rece- vait dans la bouche; dans l’un de ces mouve- mens, la pièce tomba dans le pharynx au moment de l’inspiration et arriva dans la trachée artère. La toux et le bruit particulier qui l’accompagnait indiquaient assez la nature du mal ; la pièce restait quelquefois immobile pendant plusieurs heures, et alors la respi- ration était régulière; quelquefois aussi elle était lancée vers le larynx, et alors de vives OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. douleurs succédaient aux percussions de ces parties délicates. Le malade espérait toujours que le corps étranger serait rejeté ; en consé- quence il se refusa à toute opération. Pendant cinq années , la pièce resta mobile et l’incom- moda beaucoup; après ce temps, elle se fixa dans un tuyau bronchique , et ne causa que fort peu de gêne. Des symptômes de phthysie se déclarèrent peu à peu dans l’lnde où le malade avait été appelé par ses affaires. Il suc- comba dix ans après l’introduction du corps étranger qui fut trouvé au milieu d’une ca- verne tuberculeuse. Le malade avait alors trente-six ans, et était doué d?une constitution très robuste. On voit, par cette observation, qu’un corps étranger de petit volume et très dur, peut ne pas sortir par la glotte, après son introduc- tion (et c’est même le cas le plus ordinaire tout en présentant une forme qui rendrait cette sortie facile. Quelquefois cependant ce corps est lancé avec force an-debors, ainsi que nousl’avons remarqué chez la femme d'un avocat. CeMe observation montre encore que le séjour d’un corps de cette nature donne lieu à des accidens consécutifs, d’une gravité telle 586 qu’il faut tout tenter pour les prévenir. Voici un fait fort curieux à l’appui de ce précepte. LEÇONS DE M. DEPUYTREN. IIe Observation. —Haricot dans les voies aériennes d’un enfant. Trachéotomie. Expul- sion du corps étranger. Faits analogues. Ré- sultats. Une petite fille de huit ans, déroba chez un épicier un haricot rouge et l’avala précipitam- ment. La forme de ce corps, sa légèreté le rendent plus propre qu’aucun autre peut-être à franchir l’ouverture de la glotte, quand il est poussé par la colonne d’air inspiré. C’est ce qui arriva chez cette enfant, et aussitôt elle éprouva une toux violente avec des accès de suffocation. Cet accident eut lieu le jeudi, à trois heures après midi. M. Delens et plusieurs autres médecins qui virent la malade, pres- crivirent un émétique qui occasiona des vo- misse mens 5 mais le corps étranger ne sortit pas. La nuit et une partie du jour suivant se passèrent dans des alternatives de calme et de suffocation.L’enfant fut amenée à l’Hôtel-Dieu dans la soirée du vendredi. Pendant la nuit, les accidens se renou- vellent souvent et avec une intensité effrayante. Le malin, à l’heure de la visite , M. Dupuy- tren constate leur nature ; il entend le choc du corps étranger dans la trachée (espèce de grelottement qu’on perçoit avec la plus grande facilité en appliquant l’oreille sur le haut du sternum de l’enfant, ou même simplement en écoutant de près le bruit respiratoire). Les ef- forts de toux sont violens; ils s’accompagnent de nausées et même de vomissemens glaireux. L’indicatim à remplir est évidente, et l’en- fant est conduit à l’amphithéâtre, le samedi i 3 février (i83o), à dix heures du matin. observations de trachéotomie. A l’instant de l’opération, on cherche à constater de nouveau ce bruit de grelottement, signe pathognomonique de la présence du corps étranger dans la trachée; mais il n’existe plus , sans doute parce qu’en ce moment le haricot est retenu à l’entrée d’un tuyau bron- chique. Gomme on a la certitude qu’il n’est pas sorti spontanément, on procède à l’ou- verture de la trachée. Une incision d’un pouce de hauteur est pra- tiquée exactement sur la ligne médiane du col, un peu au-dessus du rebord supérieur du sternum. La peau, le tissu cellulaire sont di visés avec précaution ; 00 écarte les muscles qui recouvrent la trachée, et l’on arrive enfin 588 à ce tuyau cartilagineux sans avoir eu à lier aucun vaisseau artériel ou veineux. Un bis- touri droit et pointu divise verticalement plusieurs cerceaux , ainsi que les mem- branes qui les unissent ; l’incision agrandie en haut et en bas, les bords de la plaie sont tenus écartés au moyen des branches d’une pince à pansement, et après quelques efforts d’expiration assez violens, le , enve- loppé de mucosités sanguinolentes, sort par l’ouverture accidentelle, et tombe sur la poi- trine de la petite malade. LEÇONS DE M. DUPUYTUEN. La plaie est nettoyée avec soin du sang ëcu- meux qui en recouvrait les bords; on place au-devant du col un linge fin enduit de cérat, qui est maintenu par quelques compresses et plusieurs tours de bande peu serrés. La ma- lade a beaucoup crié, et sa voix s’est conser- vée , même lorsqu’une partie de l’air sortait par l’ouverture de la trachée. Du reste, il n’y a eu aucun accident dépendant de l’opération elle-même. Cependant nous devons signaler une difficulté oui peut se représenter : en- tre les muscles sterno-thyroïdiens , sterno- hyoïdiens et le devant de la trachée artère, se trouve un espace rempli de tissu cellulaire OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. dans lequel les inslrumens se logent, comme ils pourraient le faire dans la trachée elle- même. L’incision des cerceaux élastiques étant faite on peut ne pas y engager le bout de la pince à anneaux, qui reste au milieu de cet espace celluleux, et l’opération n’est pas ache- vée. Un peu d’attention fera reconnaître cette fausse route. Le haricot retiré a plus de cinq lignes de hauteur sur trois de largeur et autant d’épais- seur. Il est un peu bosselé par suite du gonfle- ment des cotylédons. On en a vu qui offraient un commencement de germination. Le peu de temps que celui-ci est resté dans les voies aériennes explique le petit volume qu'il a con- servé. Dans la soirée, les symptômes de bronchite sont assez intenses pour exiger une saignée de bras d’environ deux palettes. La nuit est laborieuse. Le dimanche, alternative de calme et de dyspnée ; la respiration se fait presque entière par la plaie , les mucosités qui s’y rat- tachent la rendent bruyante, Le soir du même jour, on applique quinze sangsues au-devant du col; elles fournissent beaucoup de sang, et la malade s’en trouve bien ; LECOiNS DE M. DUPUTf TI\EIN, La toux devient rare; la nuit est assez bonne, il y a peu de fièvre. Le l'o, respiration facile, un peu de siffle- ment se fait entendre par la plaie ; la peau conserve sa chaleur naturelle. Les 16 et 17, état parfaitement bon, som- meil calme et paisible. La parole est facile sans altération. L’air sort en très petite quan- tité par la plaie, ce qui peut être attribué en grande partie au gonflement de ses bords. Le 20, on rapproche les lèvres de la plaie, l’emphysème n’est plus à craindre, parce que le tissu muqueux recouvre les bords de l’in- cision et rend imperméable le tissu cellulaire. A partir de ce moment, aucun accident ne survient. Quelques jours après, les parents de la petite malade la reconduisent chez eux ; la plaie est alors réduite des deux tiers. Ils la ramènent à l’Hôtel-Dieu le 12 mars un mois après l’opération. A cette époque il n’y a plus qu’une très petite ouverture par laquelle passe encore un filet d’air. La malade n’est plus revenue. Cette observation présente plusieurs considé- rations intéressantes sur lesquelles j’appellerai votre attention. Et d’abord, disons quelques OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. mots de la position à donner au malade pendant l’opération, pour l’incision des parties molles extérieures et de la trachée artère, et de celle qu’il faut lui faire tenir après Fouverture de ce conduit, afin de favoriser l’issue du corps étranger qui s’y trouve. Il est évident que le renversement de la tête en arrière est avantageux et rend facile l’inci- sion des parties molles extérieures et delà trachée artère. Mais cette situation est défavo- rable pour la sortie de l’air par la trachée, et bien plus encore pour celle des corps étran- gers. En effet, nous avons vu , dans l’observa- tion que nous venons de rapporter, ïque l’in- cision faite d’abord à la trachée artère, ne donnait pas issue à l’air et encore moins aux corps étrangers. C’était probablement en grande partie à son peu d’étendue que cette circonstance était due; mais certainement aussi elle provenait du renversement de la tête en arrière. Ce renversement tend les bords de la plaie et les empêche de s’écarter. Dans la flexion de la tête, au contraire, ces bords peuvent plus facilement s’éloigner l’un de l’au- tre et permettre la sortie de l’air et des corps étrangers. C’est aussi pendant la flexion de la LEÇONS DE M. DXJPÜVTIIEIN. tête qu’a eu lieu spontanément la sortie du corps étranger. Ainsi, d’après les phénomènes que nous a présentés ce malade et d’autres in- dividus qui étaient dans les mêmes conditions, on peut donner comme un précepte utile dans l’opération de la de renverser la tête en arrière pour l’incision des parties molles extérieures et de la trachée tan- dis que pour faciliter la sortie de l’air et l’ex- pulsion spontanée du corps étranger libre dans la trachée, il convient de fléchir alors la tête, afin de produire un écartement plus grand des bords de la plaie. Sous le rapport du diagnostic des corps étrangers dans la trachée, il est un signe que nous croyons devoir joindre à ceux qui ont été donnés comme caractéristiques de l’existence de ces corps: c'est celuidelasensatidb de leur choc contre les parois du canal, sensation qui peut être perçue par la main et par l’oreille. Il n’existe pas toujours d’une manière aussi distincte, chez tous les sujets , ni à toutes les époques du séjour du corps étranger. En effet, il peut être adhérent, et alors n’étant pas dé- placé par l’air, il ne heurte point contre les pa- rois du canal: ou bien enveloppé par des mu- OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. cosités abondantes et épaisses, le choc qu’il peut produire est moins fort que lorsqu’il n’existe que très peu de ces mucosités. Le mode de pansement qui a été suivi, mé- rite encore quelque attention. On n’a point rapproché de suite les bords de la plaie, afin de ne pas exposer le malade à un emphysème. Dans les premiers jours , le tissu cellulaire perméable peut facilement U*«:er passage à l’air. Mais 7 au bout de quelques jours durci par l’inflammation et devenu compacte, cet accident n’est plus à craindre, et l’on peut hâter la guérison par le rapprochement des bords de la solution de continutié. Cette pra- tique nous paraît assez sage et assez ration- nelle pour devoir être toujours suivie. IIIe Observation. Haricot introduit dans les voies aériennes. Trachéotomie. Guérison. Ün jeune enfant de six ans, demeurant à Savignj près Paris, s’amusait le 18 mai 1822 à lancer en l’air des haricots qu’il recevait ensuite dans sa bouche. Un de ces grains franchit brus- quement l’épiglolte et passa dans les voies aériennes; à l’instant il lut pris de toux, de suffocation , et resta dans cet état très pénible pendant une heure environ. Devenu calme , il le coin s de m. dupuytuen. prit des alimens; bientôt les accidens reparu- rent, la toux était suffocante, le vomissement fréquent, l’anxiété extrême. Un médecin fut appelé auprès de l’enfant; il crut, on ne sait trop d’après quel signe, que le corps étranger était arrêté dans l’œsophage , car il sonda ce canal à plusieurs reprises, administra des vo- mitifs; mais, comme il était facile de le prévoir, ces moyens n’eurent aucun succès. Le petit malade étoiM'ait toujours, avait un râle assez fort, se plaignait douleur très vive dans la trachée, ce qui porta probablement le mé- decin à faire appliquer des sangsues au-des- sus du cou. Le cinquième jour, les accidens avaient pris une telle gravité, que les parens de l’enfant effrayés de la marche croissante de la maladie, jugèrent indispensable de réclamer d’autrès secours. Ce jeune enfant fut amené à l’Hotel- Dieu de Paris„ et couché salle Saint-Marthe n° 29. Le 23 mai, au moment de la visite , il présentait les symptômes suivans : accable- ment considérable produit en grande partie par sa maladie et un peu aussi par la fatigue du voyage, voix éteinte, visage boursoufilé , yeux saillans, injectés, nez et lèvres bleuâtres, OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. respiration très accélérée et accompagnée d’un râle trachéal fort bruyant, qui s’étendait non- seulement dans la trachéemais encore dans une grande étendue des ramifications bron- chiques. Dans les mouvemensinspirafoires, an bas du larynx, se Faisait entendre un bruit de frottement ou de choc, semblable à celui d’une soupape qui frappe alternativement les bords de l’ouverture qu’elle est destinée à fermer; cette espèce de son particulier ne pouvait provenir que du choc d’un corps étranger qui s’appliquait brusquement sur les bords de la glotte, ébranlé qu’il était par la colonne d’air. Pendant la respiration , une toux convulsive revenait à des intervalles plus ou moins rap- prochés, mettait le petit malade horsd’haleine et le menaçait d’une prochaine suffocation. L’asphyxie était imminente, il fallait donc prendre un parti sur-le-champ. L’opération de la trachéotomie était pour le malade la seule chance possible de salut; quoique son état fût grave, M. Dupuytren n’hésita point àlaprati- quer; il y procéda de la manière suivante : l’en- fant couché sur le dos, la tête légèrement ren- verséeen arrière, l’opérateur avec la main droite fait une incision étendue de la partie infë- LEÇONS DE M. DUPUYTREN. rieure du cartilage cricoïde à la partie supé- rieure du sternum , divise la peau et le tissu cellulaire sous-cutané; une ecchymose assez considérable , produite par la piqûre de plu- sieurs sangsues , semble devoir rendre l’opé- ration plus difficile; cependant une autre in- cision plus profonde met à découvert la trachée artère; comme il ne s’écoulait qu’une très petite quantité de sang veineux des bords de la plaie, M. Dupuytren se hâte de pénétrer dans la trachée ; il fixe ce canal avec le pouce et le médius de la main gauche , introduit l’indicateur dans l’incision jusqu’à la trachée, guide sur l’angle de ce doigt le bistouri dont il s’est servi pour faire l’incision et pénètre par une ponction dans la trachée : l’ouverture est agrandie légèrement en haut et en bas , l’air s’échappe en projetant du sang et du mucus. On laisse un instant reposer le petit malade ; puis l’ouverture faite à la trachée est agrandie à l’aide d’un bistouri boutonné ; cette ouver- ture peut avoir un pouce à un pouce un quart; l’air sort en plus grande quantité avec du mucus mêlé de sang. On introduit entre les lèvres de la plaie les mors d’une pince à an- neaux, afin de les écarter et de favoriser la observations de trachéotomie. sortie du corps étranger qui se présente. à deux reprises différentes à l’ouverture ; on s’efforce de le saisir avec les une fois on y réussit mais il n’en reste qu’une petite partie; le reste est presque aussitôt rejeté dans une forte inspiration. C’était un haricot, comme l’avait indiqué l’enfant ; il avait acquis un volume considérable. Le malade se trouva soulagé presque immédiatement. Il s’écoula une très grande quantité de mucosités épaisses , mêlées àdu sang qui s’était épan- ché dans les voies aériennes pendant l’opéra- tion. Le malade est transporté dans son lit; quoiqu’il ne sorte pas de sang par la plaie, on ne juge pas à propos d’en réunir immédia- tement les bords, de crainte qffil ne survienne un emphysème dans le tissu cellulaire. (Panser simplement la plaie avec un linge fenêtré enduit de cérat sur lequel sera appliqué de la charpie et une compresse. Pour boisson, ti- sane d’orge et de violette diète.) 21\. Ala teinte lividedu nez, deslévreset des joues a succédé une rougeur considérable. Il y a eu de la lièvre dans la journée. Beau- coup de mucosités sont sorties par l’ouverture; la toux a été fréquente , cependant la nuit LEÇONS DE M. DUPÜYTRBBf. n’a pas été très mauvaise; le petit malade a eu du sommeil ; râle rauqueux dans une grande étendue de la région antérieure et supérieure du poumon; le pouls faible et misérable avant l’opération avait pris de la force , même un peu de dureté et de fréquence , peau chaude, halitueuse; respiration accélérée. (Les sangsues au bas du cou ; même pansement que le jour précédent. On laisse encore les bords de la plaie séparés. Orge et violette édulcorées pour boisson, diète.) 2.5. La journée et la nuit précédente ont été assez bonnes ; les sangsues ont un peu calmé l’irritation des bronches et de la trachée ; la face est moins colorée, la respiration toujours fréquente paraît un peu moins gênée. Du pus mêlé à une grande quantité de muco- sités sort par la plaie; râle rauqueux ; ventre indolent, mais un peu constipation de- puis trois jours, la fièvre est assez forte. On rapproche les bords de la solution de con- tinuité à l’aide de bandelettes agglulinatives et de compresses graduées.Une cuillerée à bouche de miel mercuriel , orge et violette édulco- rées, diète. 26. 11 y a eu beaucoup de toux ; la fièvre a OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. redoublé dans la journée. Le petit malade a été fort agité ; le bandage appliqué pour maintenir les bords de la plaie a été dérangé par de violentes et fréquentes quintes de toux; cependant la nuit n’a pas été trop mauvaise ; il y a eu un peu de sommeil. La respiration est restée gênée et accélérée, le pouls fréquent, la peau chaude et un peu moite. On craint qu’il ne se déclare une inflammation de mau- vaise nature dans les voies aériennes, ou bien un phlegmon dans le tissu cellulaire du col aux environs de la plaie. (Quelques cuillerées de sirop d’ipécacuanha. Lavement avec le miel mercuriel. Application d’un bandage contenlif avec des bandelettes de diachjlonet des compresses graduées pour maintenir réunis les bords de la plaie; six sangsues au-devant de la trachée; même boisson.) 27- Mieux sensible. Les sangsues font beau- coup de bien; le sirop n’a pas été administré. Toux moins fréquente; respiration encore un peu accélérée, mais moins gêne'e ; mouve- ment fébrile modéré ; une assez grande quan- tité de pus sort des bords de la plaie dont le bandage n’a pas été dérangé ; ie râle muqueux a beaucoup diminué. L’enfant s’affaiblit, ,pâ- LEÇONS DE M. DUPUITKEN. lit , demande des alimens. ( Même tisane pour boisson. Réappliquer le bandage conlen- tif. Quelques cuillerées de bouillon gras; un peu de bouillie. ) 28. Le mieux a continué; la toux a considé- rablement diminué de fréquence ; apyrexie presque complète ; respiration à peine gênée ; la-voix est naturelle ; quoique les bords de la plaie fournissent un assez grande quantité de pus, ils sont presque réunis ; il n’v passe plus de mucosité : bon appétit. ( Lait coupé avec de l’eau d’orge , bouillon. ) 29. Plus de fièvre. Les bords de la plaie sont couverts de bourgeons charnus , mais laissent encore échapper un peu d’air ; toux rare ;un peu de râle muqueux : grand appétit. Jusqu’au 4 juin , il ne se passe rien de particulier. A celte époque, l’enfant est en pleine conva- lescence; la plaie, en grande partie cicatrisée,, fournit encore un peu de pus, mais il ne passe plus ni air, ni mucosité. La toux est presque nulle, la voix est à l’état normal ; les fonctions digestives s’exercent librement. Les douleurs, les pertes de sang, la diète prolongée ont considérablement affaibli le petit malade qui désire vivement retourner chez lui. L’air de OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. la campagne achèvera rapidement sa guérison; il va être rendu à ses parens. Il arrive souvent ? dit M. Dupuytren , que le corps étranger, de quelque espèce qu’il soit, ne sort pas au moment de l’opération , bien que l’on provoque des efforts de toux, des élernuemens, des nausées et autres phé- nomènes qui dépendent des puissances expira- trices. Dans ce cas, on doit maintenir écartées les lèvres de la plaie au moyen d’une canule d’argent, ou simplement de fils d’argent ou de plomb. L’application d’un linge enduit de cérat est toujours indispensable ; mais on doit se garder de mettre dans l’appareil de la char- pie ou tout autre corps léger et mobile. Il est d’expérience que, dans ce cas, ces corps ten- dent à pénétrer dans la trachée , et y produi- sent des accidens redoutables. J’ai pratiqué à l’Hôtel-Dieu , il y a environ dix “huit ans, une opération pour un cas ana- logue à celui que nous avons rapporté. Le ha- ricot ne put être extrait à l’instant de l’ou- verture de la trachée artère; il ne parut pas le lendemain ; ce ne fut que le troisième jour que l’interne de la salle le trouva sur l’appa- reil en faisant le pansement. La guérison fut complète en peu de temps. Un homme déjà vieux , fut reçu à l’Hôtel- Dieu pour y être traité d’une maladie des voies urinaires ; il éprouvait de temps en temps des accès de suffocation que l’on attribuait à un asthme suffocant, à un spasme de la glotte ; L’intégrité des fonctions respiratoires dans l’in- tervalle des accès , éloignait toute idée d’une altération de ces parties ; en conséquence , on ne lui fit subir aucun traitement. Le malade mourut tout-à-coup au milieu d’une de ces crises. LEÇONS de M. DUPÜYTr.EN. A l’ouverture du cadavre , on trouva que la glotte était fermée complètement par un pro- longement, formé de tissu celluleux et vascu- laire , et recouvert par la membrane mu- queuse. C’était un véritable polype qui naissait de l’un des ligamens qui s’étendent des parties latérales de l’épiglolte aux cartilages arythé- noïdes. Il avait plus de dix-huit lignes de lon- gueur, et se bifurquait à son extrémité libre. Ce polype était flottant dans l’extrémité infé- rieure de la cavité du pharynx , et ne causait alors aucune espèce d’accidens. Aussitôt que , par un changement de position , il se plaçait au-dessusde l’ouverture de la glotte, il produi- sait alors une occlusion pl us ou moins complète, et qui donnait lieu aux accidens relatés. C’est OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. par suite d'une de ces oblitérations subites , mais plus complètes que les autres, qu’est sur- venue la mort. Ce cas rare est d’un haut intérêt, et fournit une nouvelle preuve de l’utilité des recherches que l’on doit faire dans des faits analogues. Les accidens de suffocation qui surviennent tout- à-coup sans lésion appréciable du poumon , demandent à être examinés au doigt et à l’œil. Nul doute que Ton eiit pu acquérir la certi- tude de l’existence de ce polype pendant la vie, et qu’il eut été facile de l’enlever : c’est un enseignement pour l’avenir; aussi faisons- nous connaître ce fait avec la confiance qu’il ne sera pas perdu pour les praticiens. L’opération de la trachéotomie n’est point seulement employée pour favoriser la sortie ou obtenir l’extraction de corps étrangers ; elle est encore pratiquée avec succès dans les cas d’occlusion de la glotte par la production d’une fausse membrane ou le gonflement de sa muqueuse. C’est ainsi, par exemple, qu’on l’a vue réussir dans le croup, et que tout récemment elle vient d’étre couronnée du plus brillant succès dans un cas d’angine œdémateuse dont nous allons donner les dé- tails. LEÇONS DE M. DUPUYTREN. Observation. —Le 24 octobre i 832, ma- dame 8..., âgée de trente-quatre ans, institu- trice., fut conduite à i’Hôtel-Dieu dans un état de suffocation qui faisait craindre à chaque ins- tant pour ses jours. Cinq mois auparavant, cette malade avait été atteinte d’un angine guttu- rale et d’une bronchite très intense. Pendant long-temps elle avait ressenti de la douleur et de la cbaleur le long de la partie antérieure du col; la voix était devenue rauque; il j avait eu une apbonie de plusieurs jours. Le repos, une saignée , une application de sang- sues, des tisanes émoliientes et adoucissantes calmèrent la plus grande partie des accidens. A peine cette amélioration était-elle obtenue, que la malade reprit ses occupations habi- tuelles; elle alla cbanter dans les églises avec ses élèves et se fatigua beaucoup. Bientôt les accidens reparurent moins fatigans, mais plus tenaces. La malade toussait souvent, éprouvait con- tinuellement de la douleur et de la chaleur au larynx ; la voix était altérée , la respiration difficile , quelquefois sifflante et comme con- vulsive pendant la nuit. Il j eut encore des alternatives de mieux ; mais enfin la malade OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. Fut forcée de venir à THotel-Dieu ; voici dans quel état elle se trouvait : la paroi postérieure du pharynx était rouge, légèrement doulou- reuse, un peu tuméfiée; le larynx et toutes les parties qui l’environnent étaient le siège d’un malaise particulier. La respiration était dif- ficile ; l’inspiration était accompagnée de sif- flement ; la voix rauque, faible ; la malade se plaignait d’une douleur très gênante derrière la partie inférieure du sternum. Pendant le sommeil, qui était de courte durée, la respira- tion devenait plus difîcile et le sifflement la- ryngo-trachéal plus prononcé. Les 25, 26et cette affection est traitée par des moyens simples, tels que tisane de chien- dent, réglisse, bains de pieds, sinapismes, cata- plasmes autour du col, gargarisme adoucissant: îa maladie continue à faire des progrès, la gêne du larynx devient plus considérable ; madame 8...? croit avoir dans la gorge un corps étranger qui l’empêche de respirer; la toux se fait par des quintes assez longues ; le siffle- ment laryngé est plus intense, la voix est très rauque, très faible et entrecoupée; il y a de l’a- battement, de la somnolence dans le jour; insomnie et grande inquiétude la nuit; la figure LEÇONS DE M. DÜPÜÏTREN. exprime l’anxiété ; le pouls vif sans être fré- quent, est irrégulier au moment des quintes, A cette époque , M. Husson touche l’ouver- ture supérieure du larynx et croit y reconnaî- tre du gonflement; il pense avec MM. Réca- rnier et Broussais, que cette maladie est une angine œdémateuse. Les 29,60 et 3i octobre, vingt grains d’i- pécacuanha sont administrés par jour , sept grains de trois heures en trois heures ; il y a plusieurs évacuations par haut et par bas; les vomissemens sont accompagnés d’ac- cidens assez graves, tels que convulsions, af- flux de sang vers le cerveau , toux fréquente et menace de suffocation. Le 30, on est obligé de suspendre l’administration de la dernière dose. Ces moyens n’obtiennent pas plus de suc- cès que ceux précédemment employés. La maladie continue à faire des progrès. On a recours à la tisane de mauve émulsionnée, au sirop d’érysimum , aux sinapismes appliqués sur les jambes , aux sangsues à la vulve (3o) , (Les règles coulent fort peu.) Le 3 novembre l’étouffement a augmenté ; on pratique une forte saignée du bras; on met OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. des sinapismes aux cuisses ; un lavement pur- gatif est prescrit. Le 4 , même état : trente sangsues sont pliquées à la base et aux parties latérales du col; le soir, la malade est un peu mieux. Le 4, la nuit a été très orageuse; le matin la respira- tion est très irrégulière ; entrecoupée , à peine si l’on entend l’air entrer dans la poi- trine ; l’inspiration est si difficile, qu’elle pro- duit un bruit semblable au beuglement des vaches : la malade est obligée de rester sur son séant forte saignée du bras, sinapismes aux cuisses. Le 5, l’état est le même. M. Dupuytren est consulté : il examine la malade , louche l’ou- verture supérieure du larynx , reconnaît un engorgement considérable, déclare qu’il y a une angine œdémateuse , nouvelle saignée, sinapismes aux jambes et aux bras. Le 6etle 7 , les accès répétés de suffoca- cation annoncent que la mortest imminente , si l’on ne se bâte de recourir à quelque moyen énergique. Déjà l’hématose ne se fait plus le teint est plombé; il y a orthopnée considérable. Pendant la toux , la ligure reste pâle ou devient rouge. La malade LRÇONS DE M. DUrÜYTREX. est dans un état d’angoisse qu’on ne saurait dé- crire ; ses traits sont décomposés ; elle est ef- frayée et prévoit sa fin prochaine. Une nou- velle saignée du bras est faite , sans qu’il en résulte d’amélioration ; à trois heures la tra- chéotomie est jugée indispensable. M. Dupuy- tren la pratique de la manière suivante : la malade couchée en supination, la tête courbée en arrière, il fait sur la ligne médiane du col, au-devant de la trachée, une incision longue d’un pouce et demi , à partir du bord infé- rieur du cartilage cricoïde ; parvenu au canal respiratoire, sans avoir divisé aucun vaisseau qui nécessite une ligature, il l’incise de bas en haut 'dans la longueur d’un pouce, avec un bistouri boutonné, après avoir, fait une ponc- tion entre deux anneaux cartilagineux; il pratique deux autres petites incisions transver- sales sur la trachée qui donnent à la plaie une forme cruciale , l’ouverture livre aussitôt pas- sage à l’air, et à des mucosités provenant de la trachéeetdes bronches, la malade estimmédia- tement soulagée. La respiration et le pouls deviennent peu à peu plus réguliers ; la pâleur de la face, la som- nolence diminuent; il y a plusieurs heures de OBSERVATIONS DE TRACHÉOTOMIE. sommeil pendant la nuit. Le matin, à la visite, la malade répond qu elle se trouve un peu mieux ; l’air qui sort par la plaie a un timbre métallique. Le surlendemain 9 , on s’aperçoit que l’ou- verture a de la tendance à se rétrécir, qu’elle est en partie oblitérée par le dessèchement des mucosités et le pus qui se forme sur les bords. On introduit une canule de gomme élastique de sept lignes de diamètre ; elle est enlevée et nettoyée de temps en temps. Cette canule que déplace les moindres efforts de toux est remplacée par une autre en ivoire à pavillon, à laquelle on substitue un petit ins- trument assez semblable aux pinces à dissé- quer, et dont les deux branches, en s’écartant, tiennent les lèvres de la plaie éloignées. Le 12 , on administre de légers purgatifs, un bouillon raffraichissant avec du sulfate de soude. Le 14- M. Dupuytren lait passer un séton à la nuque. Le en oblitérant mo- mentanément la plaie, on remarque que la parole est moins rauque , la respiration plus facile et le silllement moins intense. Le 20 novembre, M. Dupuytren agrandit l’ouverture, il divise un fibre-cartilage. Le 610 LEÇONS DE M. DUPÜÏTREN. calomel à la close de huit, dix grains est con- tinué jusqu’au moment de la sortie de la malade qui a lieu le 5 décembre. Madame 8.... est dans un état très satisfaisant, quob qu’elle ne soit pas tout-à-fait guérie. La plaie est sur le point de se cicatriser, l’affection du larynx est presque disparue. Le 20 janvier, la malade écrit de Pont-Thierry à M. Dupuytren pour lui annoncer que l’ou- verture est entièrement fermée , que la toux ne se montre plus que de loin en loin, et que l’enrouement a singulièrement diminué. Le 5i mars, elle se présente à la consultation publique de l’Hôtel-Dieu. Elle est radicale- ment guérie et offre la santé la plus florissante. ( Communiquée par M. Huguier. ) Nous ne ferons point de réflexions sur celte intéressante opération ; ceux qui ont vu ma- dame B , dans les salles de M. Husson , peuvent seuls apprécier rimrnense service rendu à cette malade, que beaucoup de pra- ticiens avaient condamné. TABLE DES MATIÈRES, CONTENUES DANS CE TROISIÈME VOLUME. ART. I". Des kystes qui se développent dans l’é- paisseur DES OS ET DE LEURS DIFFERENTES ESPECES . page i. Observations de tumeur fibreuse dans l’os maxillaire supérieure. 2. Nature des produits contenus dans les kystes. 6. Observation; matière fibro-cellulaire, contenue dans la branche horizontale droite de l’os maxillaire inférieur, ib.— Observation, d’une dent contenue dans un kyste osseux. 8. Ob- servation de sérosité et d’adipocire contenus dans un kyste. 9. Causes. 10. Signes. 11. Siège. 12. diagnostic. i 5. marche. i 5. Les matériaux des kystes repullulent avec facilité. 16. Observa- tion de reproduction de la matière d’un kyste. 16. Observation de reproduction de la tumeur après deux opérations. 17. —Pronostic. 19. Traitement. 20. Observation d’un individu chez lequel on a été obligé de pratiquer une contre-ouverture et de placer un selon entre les deux plaies, ai. ART. 11. Des kystes séreux contenant des petits corps blancs appelés kystes hydatides. Siège de ces kystes- -27. Causes de ces kystes. 28. Observation d’une jeune fille qui, après avoir reçu uncoup de fouet à la tempe vit se développer dans ce lieu une tumeur hydatique. 28. —Observation de ces corps chez un individu; examen de ces corps par MM. Bosc et Du-' 612 méril. id. Nature de ces corps. 55. Symptômes. id. Observation de kystes hydatiques. 3y. Dia- gnostic. sg. Moyens curatifs. \o. Observation de mort après l’ouyerture de ces,kystes. Ljo. Ma- nière de faire l’incision. 42.—Suppuration des kystes. 45. Dangers de l’opération. 44- TABLE ART. 111. De l’ongle rentré dans les chairs. 1” Va- riété, maladie des ongles. LJ6.— Symptômes de cette variété. 48- ■—Celte maladie a quelquefois été con- fondue avec d’autre. 4g- La maladie tend à faire des progrès. 50. —Moyens employés, id. Procédé de Desault. sx. Procédé de M. Dupuytren. 55. Observation, ongle rentré dans les chairs; avulsion de la moitié externe. 54- Observations, avulsion de l’ongle rentré dans les chairs, cautérisation des fongosités. 56. Obervation, exostose de la face supérieure de la dernière phalange du gros orteil, extirpation de la tumeur avec le bistouri, enlèvement de l’ongle. 58. ■— 2e Variété de l’ongle incarné, alté- ration de la matrice. 61. —* Causes. 62. Symptô- mes. Id. Traitement. 65. Observation, enlève- ment de la matrice de l’ongle. 68. Observation, au pied gauche, enfoncement de l’ongle dans les chairs; avulsion; au pied droit, affection de la matrice de l’ongle; enlèvement de la peau. Résumé. 74. ART. IV. Des luxations de l’humérus, 77. Indica- tion des travaux de M. Dupuytren sur cette matière. 77. Observation sur une luxation ancienne. 7g.— Symptômes de la luxation et difficulté de diagnostic. 80. Conséquences résultant d’une erreur de diag- nostic. 81.—La réduction est tentée sans succès, nouvelles difficultés de diagnostic. Bi. Questions soulevéesparces difficultés.B3. - Signesquiétablissent clairement la nature de l’affection. 84. —L’ancien- neté delà luxation contre-indiquait-elle la réduction? 85. —Par quel procédé la luxation devait être réduite. 86. Méthode de Mothe, sa description.B7.--La lu- xation est réduite par cette méthode. 88.—Circons- tances de l’opération. Bg. Pourquoi, après la ré- duction, le bras était encore plus long que l’autre. 91. - Des causes de l’alongement du bras dans cette luxation. g 5. Deux cas de luxations récentes réduites par la même méthode. 94. Circonstances favorables à l’opération dans lesquelles se trouvaient ces deux dernières malades. 96. Fréquence des luxations scapulo-humérales, et ses causes. 97.— Différentes espèces de luxations de l’épaule. 98. Causes, mécanisme et symptômes de la luxation en bas. 99. Id. de la luxation en dedans ou en avant. 101. Id. de la luxation en dehors et en arrière. 103. Existe-t-il des luxations incomplètes de l’humérus. 104.— Signes différentiels de la luxation de l’é- paule et de la fracture de l’extrémité supérieure de l’humérus. 106.—Comment on distingue celte frac- ture, sans déplacement des fragmens, d’une forte contusion de l’épaule. 110. Observation d’une fracture simulant une luxation. 110. Luxation en haut et en avant, consécutive à une luxation en de- dans. ixs. —Luxation compliquée de fracture du col chirurgical de l’humérus. 115. Difficultés que présentent les luxations anciennes pour 1© diagnostic; symptômes qui les distinguent de la fracture. 120, Jusqu’à quelle époque d’ancienneté peut-on réduire les luxations? 121.- Opinion desauteurs sur cette ques- tion. x 32. Opinion de M. Flaubert, de Rouen. 125, —Opinion opposée de M. Dupuytren; motifs de son opinion. 124. • Tableau de 53 luxations anciennes réduites. 126. —Luxation ancienne offrant des cir- constances très curieuses, isx.—Elles sont expliquées par M. Dupuytren. i 33. Les résultats de ces faits sont en faveur de la doctrine de M. Dupuytren. x 34- Traitement général des luxations anciennes. x 54. Complications consécutives à la réduction; leur traitement. i 35. —Précautions à prendre avant de réduire les luxations anciennes. js6—Description de l’appareil de réduction. i7>y.— Procédé opératoire. i3B. -- Moyen imaginé par M. Dupuytren pour vaincre la résistance des muscles. iSg, Signes du succès de Popération. iSg. TABLE. ART. V. Des dilatations vitale et mécanique de l’u- rètre. i4l • Observation de rétrécissement et de dé- déchirure de l’urètre. Ici. Cathétérisme forcé de Desauit. i 4- —ïnconvéniensde cette méthode. Id. Cas où i! est nécessaire d’employer le cathétérisme forcé. i4o.—Dans l’immense majorité des cas, le ca- thétérisme forcé est inutile. i 45-—Définition de la di- latation lente, dilatation par dégorgement, dilatation vitale. 146.—Comment il faut se conduire dans le rétrécissement sans déchirure et dans le rétrécissement avec déchirure. 146.—Observation de dilatation vi- tale; point de départ de la méthode. 147* Cas où convient la dilatation vitale. 149-—Observation; ré- trécissement de l’urètre ; dysurie et incontinence d’u- rine ; catarrhe vésical symptomatique du rétrécisse- ment ( dilatation vitale ). Observations : rétré- cissement au commencement de la portion membra- neuse, accompagné de spasme très remarquable de Turèlre et d’incontinence d'urine (dilatation vitale). 152. Force de la dilatation vitale. i 5 j. —Moyens propres à opérer la dilatation vitale. Ici. Gomment les sondes elles bougies doivent être introduites. ist>- Manière d’agir de ces corps. Id.—Effets produits par ces corps. i 56.—Définition de la dilatation mé- canique. 107.—Corps destinés à effectuer la dilatation mécanique. 157. —Manière d’introduire ces corps. isB.—Signes qui annoncent que ces corps ont ou n’ont pas pénétré dans l’obstacle. 108. Mode de fixation de ces corps. isq. Manière d’agir de ces corps. 160. Effets de ces corps. Id. Observa- tion : rétrécissement de l’urètre ; dysurie ; dilatation mécanique. 16a. Observation.—Rétrécissement con- sidérable au bulbe de l’urètre, dysurie (dilatation mécanique. 164. —Réflexions sur ces divers modes de dilatation. ICO. Nécessité d’introduire de temps en temps une sonde. 168. TABLE ART. VI. Du pied box et de l’atrophie suivant la lon- gueur et l’épaisseur du membre. 168. Pied bot externe ou varies. Id. Pied bot interne, ou vaigus. TABLE. 169. Pied bot dorsal. Id. Causes. 169. De l’altération dénutrition et do l’atrophie do membre. 170. —De l’atrophie selon l’épaisseur du membre et de l’atrophie suivant sa longueur. 171. . Époque à laquelle il fout employer les moyens de traitement. 172. ART. VII. De la de'chirure centrale du périnée pendant l’accouchement. 175. —Quelques auteurs ont consi- déré celte déchirure comme impossible. 176. Exemples anciens et contemporains de celle déchi- rure. 177 et suivantes. Histoire d’une déchirure centrale, récemment observée dans les salles de M. Dupuylreu. 189. —Causes de cette perforation du périnée, igs et suivantes; traitement, 200. ART. VIII. De la luxation originelle des fémurs. Ca- ractères anatomiques, symptômes, signes différen- tiels, causes, modes de traitement. aos. —Observation d’un individu présentant cette difformité originelle j examen anatomique. ios. Remarque sur les lésions anatomiques. 309. Cette affection n’était point connue en France avant la description qu’en a donnée M. Dupuytren. 313. Définition de la luxation ori- ginelle. 2js.—Observation de luxation originelle double. 212.—Observation de luxation originelle héréditaire. 216. Signes de celte luxation. 218. — Du diagnostique et des erreurs auxquelles il peut donner lieu.—22s. Observation de luxation origi- nelle d’un seul coté. 227, Observation de luxation originelle. 228. —Signes commémoratifs. 25i. Causes de ce déplacement. 258. —Traitement. 145. Modifications apportées par MM. Lafond et Du- val. 247.—Observation citée par M. Jalade-Lafond. 249- —Nombre des personnes sur lesquelles M. Du- puytren a observé la luxation originelle des fé- murs. 351. ART. IX. Des tumeurs et des fistules lacrymales, 255. Distinction entre la tumeur et la fistule lacry- male. 255.—Origine et développement de la tumeur. 255. —Symptômes de la tumeur. 254. Deuxième table. période de la tumeur, formation de la fistule. a 56. De l’origine de la maladie, et de ses causes. 256, Du traitement de la maladie dans ses différentes pé- riodes et les diversescirconstantes qui l’accompagnent, 258. —Traitement des causes générales. 260. Ins- trument nécessaire et position du malade pour l’opé- ration. 260. Procédé deM. Dupuytren. 261 ?—ln- dications sur lesquelles ce procédé est basé. 266. Description de la canule. 267. Inconvéniens sans gravité, résultant de la présence de la canule. 272. Moyen d’extraire la canule des voies lacrymales. 272. des accidens déterminés par la canule. 275. Causes d’insuccès étrangères au procédé opératoire de M. Dupuytren. 276.—Résultat général de pratique de M. Dupuytren. 276. Diverses complications et leur traitement. 278.'—Résumé succinct de l’histoire de cette affection. 280. ART. X. De la fissure a F anus. 282. Caractères des douleursqui accompagnent ces fissures. 282. Défi- nition et symptômes de la fissure. 283. D’où dé- pend la gravité de cette affection. 284- Ses causes. 284* Moyen de traitement ; insuffisance de plu- sieurs d’entre eux. 280. Méthode de traitement , sans opération, imaginée par M. Dupuytren. 286. Ses succès dans beaucoup de cas. 288. Différen- ces que présentent les fissures à raison de leur siège. 289. —Cas où l’opération est indispensable. 290. Lieu d’élection pour l’incision. 292. —Cette maladie peut mettre la vie du malade en danger. 292. ART. XI. De la grenouillette ou ranüle, 296. Tu- meur sublinguale de nature douteuse. 2g5. Ca- ractères des kystes muqueux. 296. Définition de la grenouillette. 297. Incertitude sur son vérita- ble siège. 298. —Confusion des auteurs sur ce sujet. 399. Aîtaque-t-elle de préférence les en fan s? 300. Causes. soi. Substances diverses contenues dans les limeurs. 502. Symptômes et marche. 303. Nombreux moyens de traitement mis en usage; leur insuffisance. 504- ■— Incision et ponction. 304. Excision. 307. Extirpations et injections irritantes.. 617 508. —Cathétérisme. 509.— Cautérisation. 3io. Acides. sn. Indications curatives. su. Mé- thode de traitement imaginée par M. Dapuylren. 3ia. -—Description d’un instrument de son invention. 3ia. Modifications faites à Instrument. 5i4. Nom- breux exemples de succès, 5i3 à 323. Emploi de deux méthodes différentes sur un même individu. 317. Tumeurs iimltüocuîaires siB. Traitement suivant la cause et les complications de la maladie. 524- Tumeur simulant la grenouillette. 326. TABLE* ART. XII. Des abcès de la fosse iliaque droite. 350. Siège de ces tumeurs dans la fosse iliaque droite. 351 - —Motifs pour lesquels la fosse iliaque droite est le plus souvent affectée de ces tumeurs. 332.-- Symp- tômes précurseurs. 354, Causes prédisposantes.33s, Symptômes propres. 535, —Causes occasionelJes. 536. Marche et terminaison de ces tumeurs. 338, lerIer Observation. 54»• IIe Observation. 342. IIIe Observation. 342. —IVe Observation. 343. Yc Observation. 344- VI" Observation : engorge- ment inflammatoire dans la fosse iliaque droite, ter- miné par un abcès qui s'est ouvert dans le cœcura. 345. Diagnostic. 34®* Pronostic. 349. Trai- tement. 35.0. ART. XIII. Considérations pratiques sur l’emploi des CAUTÈRES ET DES MOXAS. 352. ART. XIV. Des tumeurs hydatiques développées dans les muscles et dans les viscères. 357. —• Observa- tion d’acéphalocysle musculaire. 558. Différence desacéphalocystes et des vésicules morbifiques. 56i. Structure des kystes hydatiques, 362. • Observation d’unhydatide comprimant le nerf hypoglosse. 365. Les acéphalocystes ont été observés dans tontes les parties du corps. 565. ■—- Observation de cyslicerquo développé dans le muscle grand péronier d'un homme. 557. Hydatides sur le vivant. 369. Observa- tion d’un kyste hydatique du foie, guéri par la ponc- ture. 570. Dans toute tumeur douteuse, il faut recourir à la ponction exploratrice. 37a. Symptô- TABLE, mes observés chez des individus qui avaient deshyda- tides. SyS. Observations d’acéphalocystes dans les poumons. 375. —Observation d’acéphalocysle dans (e poumon. 57g. —Signes des acéphalocystes sem- blables à ceux de beaucoup d’autres affections. 380. Rupture des kystes des acéphalocysles. 580. ■— Guérison spontanée des kystes. 381. Observation d’un kyste contenant un fœtus humain, développé dans le mésentère d’un jeune homme de quatorze ans. 583. ART. XV. De la fracture de l’extrémjxé inférieure de simulant LA LUXATION du COUDE EN ARRIÈRE. 3g5. La fracture de l’extrémité inférieure de fhu- mérus immédiatement au-dessus de l’articulation hu~ méro-cubitale est souvent prise pour une luxation en arrière de celte articulation. 3g4. Observation : frac- ture de l’extrémité de l’humérus prise pour une luxation; cal difforme. Gêne des mouvements de huméro-cubitale. 3g6, Moyens de distinguer la fracture de la luxation. 397. Obser- vation ; fracture de l’extrémité inférieure de l’humé- rus simulant une luxation du coude en arrière; gué- rison sans difformité. 3gg. Observation : fracture oblique de l’humérus gauche à sa partie inférieure , près de l’articulation du coude ; plaie ; signes de luxation du coude en arrière; réduction. Sortie le cinquante-quatrième jour. 4©5. Conduite que doit tenir le chirurgien. 409. —Traitement 410. ART. XVI. De l’exostose de la face supérieure delà dernière phalange du ghos orteil. [\\i. —Observa- tion : exostose située à l’extrémité du gros orteil. 4»3. —Observation : de la dernière phalange du gros orteil. Observation. 4*5. —Symptôme de la maladie. 4*7-—Causes. Id. Dissection de la tu- meur. 419. Traitement. 419. ART, XVIII. Des tumeurs fibro-ceuüleuses de l’u- térus. 421. Histoire de deux malades affectées de polypes utérins, 421 et suivant. —Parallèle entre ces TABLE. 619 deux cas. 425. Conséquences pour le traitement. 424. Descriptions des deux opérations. 4^5,428. —•L’excision n’est point suivie d’héraorrhagie. 426, 429. —Résultats différents des deux cas; leur cause, 428, et suivantes.—Causes de l’excès de volume de la matrice chez l’une des malades. 432. - Signes de gangrène, de dégénérescence cancéreuse. 455. Peut-on préciser l’époque où la gangrène et la dégé- nérescence cancéreuse commencent? 455. Chute spontanée des polypes par suite de gangrène. 456. La gangrène du polype peut-elle être un moyen de guérison? 45?- Observation de chute spontanée du polype. 458. Autre cas de chute spontanée des polypes. 445- Motifs pour lesquels M. Du- puytren a abandonné la ligature et emploie exclusi- vement l’excision. 445- Preuves de la rareté de l’hémorrhagie après l’excision. 449- —Bases du pro- cédé de M. Dupuytreu. 45a. Les progrès que la science a faits sur ce sujet sont dûs en grande partie à M. Dupuytren. 455. —Définition des polypes fibreux, leur siège en général, et leurs sièges divers sur la ma- trice. 454- Différences qu’ils présentent à raison de leur siège. 455 et suivantes. Polypes à pédicule et sans pédicule. — La longueur des pédicules est très variable. 458. Leur grosseur et leur con- sistance est en raison inverse de leur longueur. 45g» De quoi se composent la racine et le pédicule des polypes. 457 et 45g. Causes du degré d’accroisse- ment des polypes. 460. Aspect divers des polypes, ses causes, leur consistance. 462. Leur forme; elle est importante à connaître pour le diagnostic. 465. Structure anatomique du corps des polypes. 465. De leur membrane d’enveloppe et de la nature. 465, 469. ■—Exulcérations. 466. Différentes par- ties dont se composent les polypes. 467? 479 Com- ment se forment la tunique d’enveloppe et le pé- dicule. 467. Nature de la substance propre des corps fibreux. 47<>- —De quels élémens ils se compo- sent. 471* Leurs diverses dégénérescences dépen- TABLE. dent de la prédominance de l’un ou de l’autre de ces élémens, 471* La dégénérescence cartilagineuse ou osseuse est rare, la dégénérescence carcinomaleuse très commune, fyj'i. - Autre cause de dégénéres- cence. 473. Cavité originelle ou consécutive des polypes. 474-—Conséquences importantes des no- tions acquises sur la nature et la marche des corps breux. 476- Les polypes contiennent des artères, des veines, des vaisseaux lymphatiques, etc. 467? 479* Y a-t-il des nerfs ? 460,4-79* Fréquence de cette affection, 480.— Causes prédisposantes et occasio- nelles, 4§ »• Age où cette maladie se déclare le plus généralement. 483. —lnfluence du mariage ou du célibat.4B4* Influence de la stérilité ou de la fécon- dité. 485. Influences de l’état de la menstruation. 486.—Symptômes et signes. 488. —Polypes nés dans la cavité de la matrice. 489. ire et ae périodes. 49°* 3e période. 496* 4e période. 497* Diagnostic des polypes de la cavité utérine dans leurs diverses pé- riodes. 498 et suiv. Symploinatologie et diag- nostic des polypes développés dans l’épaisseur des pa- rois de la matrice. 516 et suiv. Symplomatologie des polypes nés à la surface péritenéale. 618. Id. des polypes nés en dehors et autour du corps et du col de la matrice. 519. Conséquences pratiques relatives aux polypes nés en dehors et autour de la matrice. se 4* —Propositions générales sur le pronostic. 5a6. Diagnostic différentiel. 530. Avec la grossesse. 551. Avec le renversement, complet ou incom- plet, de l’utérus. 534- Avec la descente, com- plète ou incomplète, de l’utérus. 037. Avec le cancer du col utérin. 539.— Avec l’utérus lui-même. 558. • Avec les hernies de la vessie, des intestins, etc. 540. —Avec le renversement du vagin. 54*- Traitement. 543. Traitement des symptômes. 543 , 546. Traitement préparatoire. 544* L’opéra- tion est le seul moyeu de guérison. 545. Danger des moyens pharmaceutiques. 545. Divers procé- dés opératoires : i° Cautérisation. 547- a 0 ïor- TABLE. 621 sioo. 549. —s° Broiement. 550. —4" Arrachement. 55i. —s° Ligature. , 55a. Description de l’appareil pour la ligature. 55a. Application de l’appareil. 554- Précautions à prendre. 555. Point le plus difficile de la ligature. 55?. —Où doit-elle être appliquée. 558. Soins à donner aux malades après la ligature. 55g.—6° Excision; pro- cédé de M. Dupuytren. 560. Description du pro- cédé par excision. 425,429> 432j504, 607, 515, 575. Différences entre les polypes de la surface et de la cavité de la matrice sous le rapport du traite- ment. 56i. Traitement des polypes nés dans l’é- paisseur des parois du corps et du col de la matrice. 56a et 580. Des polypes développés à la surface péritonéale. 563. Multiplicité des tumeurs sous le rapport du traitement. 564- A quelle époque doit- on extirper les polypes nés dans la cavité utérine ? 56g. Conduite du chirurgien lorsqu’un polype ren- fermé dans la cavité utérine détermine des aocidens graves. 570.—Seigle ergoté. 670, 573. Dilata- tion mécanique; ses dangers. 572. Incision du col. 675. Circonstances diverses qui compliquent le procédé par excision. 677 et suivans.—Cas où M. Dupuytren applique une ligature préalable. 507, 579.—Traitement des polypes développés en de- hors et autour de la matrice. sig, 523, 524? 580. Énucléation des polypes nés dans les parois de la ma- trice. 580. >— Suites de l'opération par excision ,et traitement consécutif. 58t. Forme singulière de quelques polypes. 582. Bourdonnemens d’oreil- les après l’opération. 583. ART. XYIII. Observations de trachéotomie. 583. Nécessité de l’opération. 584- • Observation Id. —- Observation. Haricot dans les voies aériennes d’un enfant. Trachéotomie. Expulsion du corps étranger. Faits analogues. Résultats. 586. Position à donner au rnaladependant et après l’opération. 5g t.— Signe caractéristique. 5g2. Mode de pansement. 5g3. Observation. Haricot introduit dans les voies aé- 622 TABLE. riennes. Trachéotomie. Guérison. sqB. On doit tenir les lèvres de îa plaie écartées. 601. Observation 601. Observation de polype de l’épiglotte. 602. La trachéotomie peut être pratiquée pour l’angine œdémateuse. 605. Observation. 604.