DE L ÉLECTRISATION LOCALISÉE Sous presse Allmiii de photographies pathologiques, faites d après nature et représentant le faciès ou les signes extérieurs de quelques affections musculaires, décrites dans la deuxième édition de VElectrisation localisée. éaris. ■— Imprimerie de L. Martinet, rue Mignon, é. DE LlLUTUUTIM LOCALISÉ! ET DE SON APPLICATION A LA PATHOLOGIE ET A LA THÉRAPEUTIQUE LE DOCTEUR G.-B. DUCHENNE (de Bodlogbe) ni Lauréat de l’Institut de France et de l’Académie de médecine (Prix Ilard), Lauréat du Concours Napoléon III sur l’électricité appliquée, Membre titulaire de la Société de médecine de Paris, Membre correspondant des Académi'es, Universités et Sociétés de médecine de Dresde, Florence, Gand, Genève, Kiefl', Leipzig, Madrid, Moscou,Naples,Rome,Stockholm, Vienne, Wurtzbourg, etc. Chevalier de la Légion d’honneur. DEUXIÈME EDITION ENTIEREMENT REFONDUE, Avec 179 figures Intercalées dans le texte et i planche lllhogfàpiiiéé PARIS J.-B; BAILLIÈRE et FILS LIBRAIRES DE L’ACADEMIE IMPERIALE DE MEDECINE Rue Hautefeuille, 19 LONDRES Hlppolyte Baillière, 219, Regent Street NEW-YORK Baillière brothers, MO, Broadtvdy MADUlü, C. BA1LLY-BAILLIÉRE. GALLE DEL PRINCIPE, H 1861 Droits de traduction réservés. AVERTISSEMENT DE LA SECONDE . ÉDITION. Depuis la première édition de ce livre, je n’ai cessé de pour- suivre mes expériences électro-physiologiques et pathologiques. Elles m’ont aidé à découvrir de nouvelles espèces morbides; elles m’ont fait comprendre la genèse de nombreuses déforma- tions congénitales ou acquises, les unes non encore décrites, les autres incomplètement ou mal étudiées ; elles m’ont permis de terminer des travaux qui n’étaient pas arrivés à leur matu- rité , et de faire de cette seconde édition un ouvrage entière- ment nouveau. La première n’était qu’une collection de Mé- moires ; je me suis efforcé de donner à celle-ci la forme méthodique et didactique d’un traité de pathologie et de thé- rapeutique éclairées par l’observation et par l’expérimentation électrique. Tout en donnant à l’art de l’électrisation localisée et à l’éleclrothérapie une large place, j’ai voulu que ce livre fût surtout un livre de pathologie musculaire, où, du reste, je n’ai fait entrer que les questions sur lesquelles mes recherches spéciales ont jeté quelque lumière nouvelle. Quant aux propositions que je me suis cru fondé à déduire de mes recherches antérieures à cette première édition, j’aurai peu de modifications à leur faire subir. Sans cesse en garde contre les idées systématiques dont il est souvent difficile de se défendre, même après les recherches les plus consciencieuses, et bien résolu à faire bon marché des erreurs ou des illusions auxquelles j’aurais pu me laisser entraîner, j’ai soumis ces pro- positions au contrôle de l’expérimentation publique et j’ai fait appel aux opinions contradictoires. Non-seulement alors j’ai vu se reproduire des faits absolument identiques, non-seulement il m’a élé impossible de tirer de ces faits d’autres déductions que celles que j’avais précédemment formulées, mais encore, et je suis heureux de le dire, ces faits et ces propositions, après avoir subi l’épreuve du temps et de l’observation rigoureuse, sont presque universellement reconnus. AVERTISSEMENT DE LA SECONDE EDITION. Dans un travail d’aussi longue haleine, nous avons sans doute laissé échapper quelques fautes typographiques, pour lesquelles nous demandons l’indulgence du lecteur. 20 mars 1861 TRAVAUX DE L’AUTEUR. De l’art de limiter l’excitation électrique dans les organes sans piquer ni inciser la peau, nouvelle méthode d’électrisation, appelée électrisation localisée, et dont ies principes, résumés dans une note adressée en 1817 à l’Académie des sciences, ont été développés et publiés dans les Archives générales de méde- cine, en juillet et août 1850, et février et mars 1851. Description de l’appareil volta-faradique à double courant du docteur Duchenne (de Boulogne); mémoire et appareil présentés par M. Desprelz à l’Académie des sciences en 1848. Recherches électro-physiologiques, pathologiques et thérapeutiques, ou série de mémoires adressés cà l’Académie des sciences le 21 mai 1849, couronnés par l’Institut, développés et publiés en partie dans les Arch. gén. de méd. L’un de ces mémoires traitait de Y atrophie musculaire avec transformation grais- seuse et des paralysies atrophiques de cause traumatique et saturnine. Notes sur la cautérisation auriculaire, comme traitement de la névralgie sciatique, et sur l’excitation électro-cutanée, appliquée au traitement de celte névralgie (Union médicale, n° CXXI, p. 489, et n° CXXV1I, p. 517, 1850). Recherches sur l’état de la contractilité et de la sensibilité électro-musculaires dans les paralysies du membre supérieur, étudiées à l’aide de l’électrisation localisée. Mémoire présenté à l’Académie des sciences et à l’Académie de médecine, janvier 1830. Recherches électro-physiologiques sur les fonctions des muscles de la face. Mémoire adressé à l’Académie de médecine et a l’Académie des sciences, le 14 mars 1850.— Rapport de M. Bérard. De l’irritabilité musculaire dans les paralysies, réplique à un mémoire de M. Marschal-Hall [Arch. gén. de méd., 1830). Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les propriétés de la corde du tympan. Mémoire présenté à l’Académie des sciences et à l’Académie de médecine [Arch. gén. de méd., décembre 1850). Du choix des appareils d’induction au point de vue de leur application à la thé- rapeutique et à l’élude de certains phénomènes électro-physiologiques et patho- logiques. Mémoire présenté à l’Académie de médecine en 1851. — Rapport de M. Soubeiran. Recherches sur les propriétés physiologiques et thérapeutiques de l’électricité de frottement, de l’électricité de contact et de l’électricité d’induction [Arch. gén. de méd., mai 1851). Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les muscles qui meuvent l’épaule, sur le tronc et le bras sur l’épaule. Mémoire présenté à l’Académie de médecine le 24 août 1832. Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur l’action particulière et les usages des muscles qui meuvent le pouce et les doigts de la main. Mémoire présenté à l’Académie des sciences et à l’Académie de médecine, en février 1851 [Arch. gén. de méd., mars, avril et juillet 1852). Elude comparée des lésions anatomiques dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive et dans la paralysie générale [Union médicale, 1852). Note sur l’influence thérapeutique de l’excitation électro-cutanée dans l’angine de poitrine [Bull, gén, de thérap., 1833, p. 241). De la valeur de l’électrisation localisée comme traitement de l’atrophie muscu- laire progressive [Bull. gén. de thérap., 1853, p. 295, 407 cl 438). De l'action spéciale de l’électricité d’induction sur la force tonique ''es muscles [Bull. gén. de thérap., 1833, p. 337). Recherches électro-physiologiques, pathologiques et thérapeutiques sur le dia- phragme {Union médicale, 1853, H0* 101, 105, 109, 119, 155, 162, 166 et 173]. TRAVAUX DE l’aUTEUR. Recherches sur une nouvelle propriété démontrée par la pathologie, l'aptitude motrice indépendante de la vue, appelée par l’auteur conscience musculaire. Mémoire adressé à l’Académie des sciences et à l’Académie de médecine le 20 décembre 1853. De l’action thérapeutique de l’électrisation localisée dans le traitement des para- lysies consécutives à l’hémorrhagie cérébrale (/lit//, gén, de thérap., 1854, p. 241 et 337). De l’influence de l’électrisation localisée sur l’hémiplégie faciale, et de la con- tracture comme terminaison fréquente de cette maladie {Gaz. hebd., 1854). Paralysie atrophique graisseuse de l’enfance; son diagnostic, son pronostic et son traitemehVpar l'électrisation localisée. Mémoire adressé à l’Académie de mé- decine le Septembre 1854 [Gaz. hebd., 1855). Note sur l’influence de la respiration artificielle par la faradisation des nerfs phréniques dans l’intoxication par le chloroforme, adressée à la Société médi- cale d’émulation (Union médicale, 1855, p. 150 et 154). Recherches sur le second temps de la marche, d’après l’observation pathologique; déductions pratiques. Mémoire adressé à l’Académie des sciences {Union médi- cale, 1855, p. 436 et 442). L’irritabilité n’est pas nécessaire à la motilité ou l’intégrité de la contractilité électro musculaire n’est pas nécessaire à l’exercice des mouvements volontaires. Mémoire adressé à l’Académie des sciences en 1856, reproduit dans la précé- dente édition (deuxième partie, chap. V, art. 1er). Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les muscles qui meuvent le pied sur la jambe. Mémoire présenté à l’Académie de médecine et à l’Aca- démie des sciences {Arch. gén. de méd,, nos de juin, juillet, décembre 1856 et de février 1857). Orthopédie physiologique ou déductions pratiques de mes recherches électro-phy- siologiques et pathologiques sur les mouvements de la main {Bull, de thér., 1857). Note sur quelques nouvelles propriétés différentielles des courants d’induction de premier ordre et de second ordre, adressée à l’Académie de médecine le 18 mars 1858. De la valeur de la faradisation de la corde du tympan et des muscles moteurs des osselets appliquée au traitement de la surdité nerveuse (Bull, de thér., 1858), Note sur le spasme fonctionnel et sur la paralysie fonctionnelle {Bull, de thérap., 1858). Recherches sur l'alaxic locomotrice, maladie caractérisée spécialement par des troubles généraux de la coordination des mouvements. Mémoire adressé h l’Académie des sciences et à l’Académie de médecine {Arch. gén. de méd., décembre 1858 et janvier, février, avril 1859). De la genèse du pied plat valgus par la paralysie du long péronier latéral et du pied creux valgus par contracture du long péronier latéral. Mémoire adressé à la Société de chirurgie en 1860. Paralysie musculaire progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, maladie non encore décrite. Mémoire adressé à l’Académie de médecine et à l’Académie des sciences {Arch. gén. de méd., septembre et octobre 1860). Prothèse musculaire physiologique des membres inférieurs {Bull, de thér., 1861). De la curabilité et du diagnostic de la surdi-mutité nerveuse par la faradisation de la corde du tympan et des muscles moteurs des osselets {Bull, de thér., 1861). TABLE DES FIGURES. Anatomie de l’inlerusseux abducteur do l’annulaire de la main droite, fig. 110, p. 781. — Des muscles moteurs du pouce, fig. 119, p. 788, et fig. 124, p. 791. ’ Anatomie pathologique dans l’atrophie musculaire progressive grais- seuse, pl. lithographiée fig. 1, — et dans la paralysie graisseuse de l'enfance, pl. lithog. fig. 2. Appareil de M. Du Moncel, pour démontrer les propriétés différentielles des deux hélices, fig. 1, p. 33. Appareil magnéto-faradique de fauteur, à double courant, fig. 31, p. 162. Appareil volta-faradique (grand) de fauteur, a double courant ; pri- mitif, fig 19, p. 133 ; perfectionné, dont les hélices sont cachées, fig. 20. p. 134 ; perfectionné, dont les hélices sont à découvert, fig. 21, 22, 23 et 24, p. 1 33 ; fig. 25, p. 1 51. Appareil volta-faradique (petit) de fauteur a double courant: fermé, fig. 26, p. 158 ; ouvert, fig. 27, 28, 29 et 30, p. 159. Arthrite chronique de la main, fig. 81 et 82, p. 493. Atrophie de la papille du nerf optique, dans fataxie locomotrice progressive, pl. lithog. fig. 3. Atrophie lépreuse de la main, (ig. 85 et 86, p. 499. Atrophie musculaire graisseuse progressive des membres supé- rieurs, fig. 37 et 58, p. 449 ; fig. 59 et 60, p. 450 ; fig. 61 et 62, p. 451 ; fig. 63 et 64, p. 452. — Des muscles de l’abdomen, fig. 65 et 66, p. 454. — Des muscles pectoraux, fig. 67 et 68. p. 456 ; fig. 69 et 70, p. 458 ; fig. 71 et 72, p. 459 ; fig. 74, p. 464. —Généralisée, fig. 73, p. 461 ; fig. 79 et 80, p. 469. — Du membre supérieur ; fig. 75, p. 464. — Des grands dorsaux et des grands dentelés ; fig. 76 et 77, p. 466. — Des pectoraux; fig. 78, p. 467. Atrophie partielle des muscles moteurs de la main, fig. 83 et 84. p. 493. Atrophie et paralysie du trapèze, fig. 99, p. 763; fig. 100 et 101, p. 765. — Du grand dentelé; fig. 102 et 103, p, 767, (ig. 104, p. 768. — Du deltoïde, fig. 107 et 108, p 771. Attitude des phalanges lorsque l’on lient la plume pour écrire, fig. 145, p. 854. TABLE DES FIGURES. Itoutcillc «le Leyde, fig. 2, p. 48. Chaînes galvaniques, fig. 3 el 4, p. 56. Contracture du deltoïde, fig. 162, p. 894; fig. 163. p. 895. — Du long péronier latéral; fig. 164, p. 897; fig. 165, 166, 167 et 168, p. 898; fig. 4 69 et 170, p, 899; fig. 171, 172 et 173, p. 901.— Du rhomboïde; fig. 154 et 155, p. 881 ; fig. 156 et 157, p. 885. — Du splénius ; fig. 161, p, 893. — Du splénius et de l’angulaire de l’omoplate; fig. 176, p. 925. — Du trapèze; fig. 158 et 159, p. 889 ; fig. 160, p. 891. Contracture Idiopathiquc du rhomboïde ; fig. 174 et 175, p. 919, Corset orthopédique, fig. 153, p. 877. Dynamomètre, fig. 97, p. 557. Électromètre de Lane ; fig. 2, p. 48. Fibres musculaires (préparation microscopique). État anatomique nor- mal ; fig. 87, p. 507. — État pathologique au premier degré; fig. 88 et 89, p. 507. — Au deuxième degré; fig. 90 et 91, p. 508. — Au troisième degré ; fig. 92 et 93, p. 509, —Au quatrième degré ; fig. 94, 95 et 96, p. 509. Machine électrique, iig. 2, p. 48. Paralysie des muscles extenseurs du poignet et des muscles interosseux el lombricaux, fig. 54, p. 351.—Des muscles extenseurs des doigts, fig. 109, p. 779. Des muscles fléchisseurs sublime et profond, fig. 113, p. 785. — Des muscles interosseux, fig 111, p. 781 ; fig. 112, p. 782. — Des muscles long extenseur, court extenseur, long abducteur et long fléchis- seur du pouce, fig. 125, p. 792 ; fig. 126 et 127, p. 793. — Du long extenseur et du long abducteur du pouce, fig. 1 44, p. 854.—Des mus- cles moteurs des orteils, fig. 134, p. 824. — Des muscles producteurs de l’adduction du pouce, fig. 124, p. 791. — Des muscles producteurs de l'opposition du pouce : Études physiologiques et électro-physiologiques sur les muscles moteurs du pouce ; fig. 1 I 4 el 115, p. 786 ; fig. 116, 117 et 118, p. 787; fig. 120, 121 el 122, p. 789; fig. 123, p. 790.— Du muscle long péronier latéral, fig. 132 et 133, p. 812.— Du muscle triceps sural, fig. 128 et 129, p. 801 ; fig. 130 et 131, p. 802. Paralysie atropbiquc graisseuse des membres inférieurs, fig. 40 et 41, p. 279. — Des membres supérieurs, fig, 42, p. 282. — De tous les muscles moteurs des membres inférieurs, fig. 43 et 44, p. 284 et 285. — De tous les muscles moteurs du pied, fig. 45 el 46, p. 295. — Du membre supérieur gauche, fig. 49, p. 305. Paralysie congénitale du membre supérieur ; fig. 53, p. 349. Paralysie cérébrale du membre supérieur, fig. 51 et 52, p. 346. Paralysie et atrophie du trapèze, fig. 99, p. 763; fig. 100 el 101, p. 765.— Du grand dentelé, fig. 102 et 103, p. 767; fig. 10‘4; TABLE DES FIGURES. p. 768; fig. 105 et 106, p. 769. — Du deltoïde, fig. 107 et 108, p. 771. Paralysie liypcrtrupliltjue de 1 enfance, fig. 55 et 56, p. 355. Paralysie trnuuiatiqiic atropliiquc des muscles de la main avant le traitement, vue de dos, fig. 34, p. 202; vue par sa face palmaire, fig. 35, p. 203.— après le traitement, tenant une plume, fig. 36, p. 225; vue par sa face palmaire, fig. 37, p. 205.— Des muscles du bras et de la main avant la faradisation, fig. 31, p. 182, et fig. 33, p. 185.— Après la faradisation, fig. 32, p. 183. Pied bot, fig. 164, p. 897; fig. 165, 166, 167 et 168, p. 898 ; fig. 169 et 170, p. 899 ; fig. 171, 172, 173, p. 901. Pied creux, fig. 171, p. 901 ; équin, fig. 135, p. 828. — Talus, fig. 47 et 48, p. 296 ; fig. 134, p. 824 ; fig. 173, p. 901. — Yalgus; fig. 164, p. 897. Pile à rubans, fig. 5, p. 57. — De Mathieu, fig. 6, p. 58. Prothèse imiseuiaire des extenseurs des doigts (Delacroix), fig. 136, p. 843 (Duchenne) ; fig. 137 et 1 38, p. 844 et 845.— Des interosseux ; fig. 139, p. 847. — Des fléchisseurs superficiels et profonds; fig, 141, p. 848.— Des muscles opposants du pouce; fig. 142, p. 850.— Du court abducteur du pouce, fig. 143, p. 852.— Des membres inférieurs, fig. 1 46, 147 et 1 48, p. 857 ; fig. 149, p. 860.— Contre la contracture paralytique ; fig. 151 et 152, p. 873. — Du pouce, fig. 143, p. 852.— Du triceps sural, fig. 150, p. 861. Rhéophores métalliques, fig. 7 à 10, p. 63.—A fils métalliques, fig. 13 et 14, p. 83. — Tenus d’une seule main, fig. 11, p. 66, —Posés sur le muscle triangulaire des lèvres, fig. 12, p. 66.— Utérin double; fig. 17 et 18, p. 89.— Yésical double ; fig. 15 et 16, p. 88. Surdité nerveuse, Procédé opératoire, anatomie de l’oreille moyenne et interne, fig. 177, p. 990. — Anatomie de l’oreille moyenne, rapports de la corde du tympan à son passage dans l’oreille moyenne, fig. 178, p. 994.— Anatomie de l’oreille moyenne, rapporls et anastomose de la corde du tympan avec le nerf lingual et sa distribution dans la langue et la glande sous-maxillaire, fig. 179, p. 995. Yeîncs dorsales de la main avant le traitement des paralysies par lésion traumalique des nerfs mixtes, fig. 39, p. 235. — Après le trai- tement, fig. 38, p. 235. DE L’ÉLECTRISATION LOCALISÉE ET DE SON APPLICATION A LA PATHOLOGIE ET A LA THÉRAPEUTIQUE. CHAPITRE PREMIER. ÉTUDE PRÉLIMINAIRE SUR LES PROPRIÉTÉS PHYSIOLOGIQUES ET THÉRAPEUTIQUES DE L’ÉLECTRICITÉ DE FROTTEMENT, DE l’ÉLEC- TU1C1TÉ DE CONTACT ET DE L’ÉLECTRICITÉ D’INDUCTION. ■ En médecine, on fait usage de l’électricité de frottement, de l’électricité de contact et de l’électricité d’induction. La première est aussi appelée électricité statique; les deux dernières sont con- fondues sous le nom d’électricité dynamique. Dans les applications à la physiologie et à la thérapeutique, alors qu’il s’agit d’en limiter l’action dans les organes, est-il indifférent d’employer telle ou telle source électrique? En d’autres termes, les propriétés physiologiques et thérapeutiques des différentes espèces d’électricité sont-elles identiques? Telles sont les premières questions qui se sont offertes à mon esprit, et qu’il suffit de poser pour en faire comprendre toute l’importance. Mon intention n’est pas d’exposer les opinions fort diverses qui ont régné sur ce sujet. Ce serait entrer dans la question historique; je désire, autant que possible, la laisser ici de côté. Mais je dois dire que certains médecins qui ont fait une élude spéciale de l’élec- tricité appliquée à la thérapeutique ont cru remarquer quelques différences entre les propriétés thérapeutiques de l’électricité stati- que et celle de l’électricité dynamique. Fabré Palaprat, par exemple, enseignait que l’électricité de tension était principalement appli- cable aux paralysies du sentiment et à l’excitation des muscles de DüCHESNE. 2 la vie de relation, tandis qu’au contraire l’électricité de contact con- venait seulement à l’excitation des muscles de la vie organique ou des organes délicats, tels que l’œil, l’oreille, etc. ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. Ces préceptes ont été reproduits dans quelques traités spéciaux, bien qu’ils ne reposent sur aucune recherche sérieuse, et qu’ils ne soient pas en harmonie avec les propriétés physiologiques des diffé- rentes espèces d’électricités, comme je le démontrerai bientôt. 11 n’est donc pas étonnant qu’on n’en ait tenu aucun compte dans la pratique. On aurait tort, toutefois, de penser que l’action thérapeu- tique de l’électricité est toujours la même, quelle qu’en soit la source. Sans avoir la prétention de résoudre complètement cette question difficile, j’espère, du moins, l’éclairer par mes recherches, et démontrer, dans ce chapitre, que l’électricité de frottement, l’élec- tricité de contact et l’électricité d’induction jouissent de propriétés physiologiques et thérapeutiques spéciales, et que chacune d’elles répond à des indications particulières. ARTICLE PREMIER. ÉLECTRICITÉ STATIQUE. § 1. — Propriétés physiologiques. Les principaux procédés en usage pour l’administration de l’élec- tricité statique sont, on le sait, l’électrisation par simple contact, qu’on appelle bain électrique; l’électrisation par étincelles; enfin, l’électrisation par la bouteille de Leyde. Les autres procédés ne me paraissent pas dignes d’être discutés. A. Bains électro-positif et négatif. Le bain électrique a été longtemps considéré comme un des agents thérapeutiques les plus précieux. Voici, selon Giacomini (1), comment s’administre et comment se comporte le bain électro-positif ; « On isole le patient, et on le met en communication avec le conducteur de l’appareil. Toute la sur- face du corps se trouve ainsi électrisée, tandis que l’air qui entoure le corps est, par induction, rendu électro-négatif. L’électricité posi- tive qui charge l’organisme est limitée, probablement accumulée, à la surface du derme, en vertu de la loi que nous avons indiquée plus haut, car elle n’affecte aucunement les organes intérieurs; ni le pouls, ni les sécrétions, ni les fonctions intellectuelles, ni la respi- (1) Cité dans la Bibliothèque du médecin praticien. Paris, 1850, t. XIV, p. 90. ration, n’en éprouvent aucun changement notable, et cette électricité accumulée qui constitue le bain s’échappe par tous les points épi- dermiques, cheveux, poils, ongles. » ÉLECTRICITÉ STATIQUE. PHYSIOLOGIE. 3 Giacomini attribue une influence hyposthénisante au bain électro- négatif, qui consiste à soustraire du corps une dose plus ou moins considérable de l’électricité naturelle. Voici comment on l’admi- nistre : On isole le patient, et l’on met son corps ou plutôt la région malade en rapport avec le coussinet ou le frottoir de la machine, à l’aide d’un conducteur ; et en même temps qu’on fait manœuvrer le disque, on décharge l’électricité vitrée, à mesure qu’elle s’accu- mule, Il est évident, selon Giacomifii, que l’électricité fournie par le coussinet est soutirée par les nerfs du patient, au lieu de l’être par le sol, comme dans le bain électro-positif. Ce n’est certainement pas sur l’expérimentation que repose cette théorie électro-physiologique ; car si, dans l’état de santé, on se soumet à l'influence d’un bain électro-positif ou négatif, on n’é- prouve aucun des symptômes qui annoncent un effet excitant ou hyposthénisant appréciable. B, Étincelles et bouteille de Leyde. Quelle que soit la forme de l’excitateur mis en rapport avec le conducteur de la machine électrique, quelle que soit la distance qui le sépare de la peau, l’électricité par la machine mise en activité se recompose avec celle du corps, à la surface de l’épiderme, avec une tension plus ou moins forte. L’excitateur terminé en pointe laisse échapper facilement l’électricité; avec l’excitateur sphérique, la tension est plus forte, et les étincelles sont plus rares : mais l’un et l’autre ne donnent jamais qu’une étincelle par décharge, tandis que l’excitateur à surface plane en laisse échapper plusieurs à la fois (deux à cinq), quand il est à une petite distance de la peau. La brosse métallique agit absolument de la même manière que l’excitateur à surface plane, c’est-à-dire qu’elle ne fournit jamais plus de deux ou trois étincelles à la fois, quel que soit le nombre des fils qui la composent (1 ). (I) On a aussi employé, comme excitateur, une brosse en blaireau, qui, étant mise en rapport avec la machine électrique et placée à une petite distance de la surface cutanée, donne une sensation de fraîcheur et de picotement très léger. Cette brosse, mauvais conducteur, se chargeant cependant d’électricité positive, laisse échapper, par l’extrémité de ses poils, l’excès de cette électricité, qui se recompose avec l’électricité de l’air ambiant. 11 en résulte de petites recompo- sitions successives et rapides, qui déterminent un courant d’air à la surface de la ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. L’électricité statique, appliquée par les excitateurs dont je viens d’exposer l’action spéciale, donne toujours lieu aux mêmes sensa- tions, qui ne diffèrent entre elles que par le degré d’intensité. La sensation provoquée par ces excitateurs, comparable à celle que pro- duirait le choc d’un petit corps dur qui viendrait frapper la peau, est toujours désagréable, quelque faible que soit la tension élec- trique ; elle n’est jamais très forte, et ne ressemble pas à celle de la brûlure ou de la piqûre, quelle que soit la forme de l’excitateur employé; toutefois la peau peut à la longue rougir et devenir plus sensible. Pour la rendre plus douloureuse, il faudrait recourir à une tension électrique qu’on ne peut obtenir qu’avec une bouteille de Leyde de grandeur moyenne et dans laquelle on aurait condensé assez d’électricité statique ; mais alors l’excitation ne serait plus limitée à la peau, et il se produirait des phénomènes que j’expo- serai bientôt. A faible tension, l’action de l’électricité statique peut toujours être limitée dans la peau. Telle est la tension qu’on obtient par la ma- chine électrique de force moyenne, qui est à peine assez puissante pour faire contracter les muscles superficiels, surtout si le tissu cellulaire est un peu abondant; et encore ces contractions sont-elles incomplètes. S’il est possible de limiter dans la peau l’électricité statique, il n’en est plus de même quand on veut concentrer sa puissance dans le tissu musculaire ou dans les nerfs sous-cutanés. En effet, l’action superficielle de cette électricité est inséparable de son action pro- fonde. Dans ce dernier cas, la recomposition électrique s’effectue à la surface de l’épiderrne, et il en résulte une sensation cutanée qui masque la sensation musculaire. La tension électrique qu’on obtient avec la bouteille de Leyde permet au courant de vaincre la résistance d’une grande épaisseur de tissus. Aussi l’électrisation par la bouteille de Leyde permet- elle de faire contracter énergiquement les muscles ; mais, quelque faible que soit alors la tension électrique, qu’on peut du reste gra- duer au moyen de l’électromètre de Lane, elle produit toujours une commotion, c’est-à-dire une contraction et une sensation qui s’étendent au delà du point excité, et qui retentissent plus vivement dans les centres nerveux. brosse. C’est ce courant d’air, analogue à celui qui se forme à la surface du pla- teau de la machine'électrique en mouvement, qui est la cause de la sensation de fraîcheur produite par le voisinage d'une brosse de blaireau. 11 est évident que ce mode d'électrisation est illusoire, car l’électricité naturelle du corps n’en éprouve pas une influence appréciable. ÉLECTRICITÉ STATIQUE. — PHYSIOLOGIE. 5 Si l’excitateur est placé an niveau d’un tronc nerveux, la sensa- tion locale est celle que produit la forte contusion du nerf, et cette sensation est suivie d’un engourdissement qui s’étend presque jusque dans ses dernières ramifications. A une tension assez grande, qu’on agisse sur le nerf ou sur le tissu musculaire, la secousse est tellement forte, que le membre entier, et quelquefois tout le corps, en sont comme foudroyés. Au point où l’on vient de décharger une bouteille de Leyde, la peau se décolore graduellement dans un rayon de 2 à 3 centi- mètres, et arrive au blanc mat en quelques secondes. Des papilles nerveuses s’érigent sur la surface décolorée, qui offre en outre un léger abaissement de température. Le sujet sur lequel on expéri- mente y éprouve quelquefois un engourdissement. Des phénomènes analogues paraissent se produire dans le tissu musculaire placé sous le point delà peau exposé à l’action de ce condensateur. Ayant eu l’occasion de le décharger sur la surface d’un muscle dénudé, j’ai vu ce dernier se décolorer légèrement dans une petite étendue pendant quelque temps. Ces phénomènes locaux cutanés durent, en général, vingt à trente minutes; une fois, je les ai observés, chez un sujet délicat, pendant près de trois quarts d’heure. Ce temps écoulé, le point décoloré passe, en quelques minutes, du blanc mat à une rougeur érythémateuse, et devient le siège d’une élévation de température appréciable au thermomètre et dont le sujet a quelquefois lui-même la conscience. Tout le monde sait que l’électricité statique dégage très peu d’électricité de quantité. C’est pourquoi ses effets calorifiques et électrolytiques sont faibles. Enfin, l’action excitatrice du pôle négatif est plus grande que celle du pôle positif, comme on l’avait observé pour l’électricité galvanique (1). Les phénomènes organiques que je viens de décrire me semblent établir : 1° que la décharge de la bouteille de Leyde produit d’abord localement une stupeur profonde, en suspendant, pendant un temps assez long, la circulation capillaire et en diminuant la calorification dans les tissus sur lesquels elle agit; 2° que l’excitation qui résulte de cette espèce d’électrisation n’a lieu que par une sorte de réaction, comme le prouve l’apparition d’une rougeur érythémateuse et d’une (1) Ce fait important a été découvert par M, Chauveau, chef des travaux d’ana- tomie et de physiologie à l’école impériale vétérinaire de Lyon. Voyez son mé- moire intitulé : Théorie des effets physiologiques produits par l’électricité trans- mise dans l’organisme animal, à l’état de courant instantané, et à l’étal de courant continu. 6 augmentation de température dans le point jadis décoloré; 3° enfin que cette réaction se fait avec plus ou moins de facilité. ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. §11. — Propriétés thérapeutiques. Le bain électro-positif, employé jadis comme excitant général de la surface du corps, est aujourd’hui généralement abandonné, sa vertu thérapeutique étant aussi peu appréciable que son action phy- siologique. Il n’en est pas de même, dit-on, du bain électro-négatif, qui est rangé par l’école italienne au nombre de ses plus précieux agents hyposthénisants. Selon Giacomini, le patient soumis à l’influence du bain électro-négatif est désélectrisé, privé par conséquent d’une plus ou moins grande quantité de stimulants analogues au calorique, et subit un effet hyposthénisant réel; les tissus érysipélateux blan- chissent à vue d’œil, et les phlogoses chroniques éprouvent un mieux incontestable. Des céphalalgies, des douleurs névralgiques, ont été dissipées sur-le-champ par cette espèce de saignée élec- trique, comme par l’action de la glace, qui soutire [le calorique et peut-être aussi l’électricité en même temps: telle est la vertu attri- buée au bain électro-négatif. Ces saignées électriques peuvent flatter l’imagination; mais il est fort k craindre que leur effet hyposthénisant ne soit tout aussi hypothétique que la propriété excitante attribuée au bain électro- positif. Cependant il serait injuste de condamner un moyen théra- peutique, seulement à cause de la nullité de son action physiolo- gique, surtout quand il s’étaye sur une autorité aussi grande que celle de Giacomini. Il est donc nécessaire d’étudier, par dfi nouvelles expérimentations, la valeur réelle du bain électro-négatif. L’électrisation par étincelles produit une sensation cutanée ana- logue à celle de la fustigation, et me paraît convenir ment dans les cas où il est nécessaire de stimuler légèrement la peau; mais elle devient insuffisante, s’il est besoin d’une excitation très vive. En effet, pour obtenir cette vive excitation, il f$p4wt recourir à l’électricité statiqnq,à forte .tension, c’est-à-dire celle qui a été condensée dans la bouteille de Leyde, et il en résulterait des contractions musculaires et des effets de commotion qui com- pliqueraient l’excitation cutanée et en contre-indiqueraient l’em- ploi. Ainsi l’électrisation par étincelles est impuissante contre les anesthésies profondes et rebelles, et aussi quand il est indiqué de pro- duire instantanément une révulsion ou perturbation semblable à celle qui résulte de l’application du fer rouge sur la peau. L’électrisation par les étincelles, même par celles qui proviens nent d’une forte machine électrique et de l’emploi des excitateurs sphériques, ne réussit qu’à faire contracter quelques muscles su- perficiels ou très excitables, comme les peauciers, la moitié supé- rieure des sterno-mastoïdiens, le bord du trapèze et quelques muscles de la face. Pour que l’électricité statique atteigne les mus- cles en général, surtout quand ils sont protégés par un tissu cellu- laire abondant, il est nécessaire d’agir à forte tension, au moyen de la bouteille de Leyde. Mais alors la commotion qui en résulte, et qui peut étendre son action sur les centres nerveux, rend sou- vent cette opération dangereuse, sinon impraticable. La connaissance des phénomènes organiques locaux produits par la décharge de la bouteille de Leyde permet d’en mieux apprécier le mode d’action thérapeutique. 11 a été démontré précédemment qu’un organe soumis à l’électrisation par la bouteille de Leyde ne peut arriver à la période d’excitation qu’après avoir subi quelquefois pendant un temps assez long tous les effets de la stupeur. On conçoit très bien que si cet organe est exposé à des décharges trop répétées et trop fortes, ou que si sa vitalité est déjà très affaiblie, cette stu- peur électrique pourra se prolonger indéfiniment. Quelque favorables que soient les conditions dans lesquelles on pratique l’électrisation musculaire par la bouteille de Leyde, il serait toujours imprudent d’exposer le sujet à un grand nombre do décharges. Il s’ensuit qu’il est impossible d’électriser tous les mus- cles, quand la paralysie atteint un ou plusieurs membres. Enfin, cette opération est toujours douloureuse, car l’excitation cutanée, inséparable de l’électrisation statique, croît en raison de l’augmentation de la tension électrique. En somme, l’excitation musculaire par l’électricité statique doit en général être exclue de la pratique, d’autant plus quelle peut être remplacée par un autre agent électrique, dont il sera question dans l’article suivant (l’électricité d’induction) et qui excite plus énergiquement et plus efficacement la contractilité et la sensibilité musculaires, sans offrir aucun des inconvénients que je viens de signaler. Je me réserve d’indiquer par la suite les cas dans lesquels son intervention peut être utile et même nécessaire. Il est cependant incontestable que l’électricité statique, qui, pen- dant de longues années, a été presque exclusivement en usage dans la pratique médicale, a produit quelques succès tenant un peu du merveilleux. Ces résultats prouvent seulement que certaines para- lysies guérissent toujours sous l’influence de l’électricité, de quelque manière et sous quelque forme qu’on l’administre. Malheureusement ÉLECTRICITÉ STATIQUE. — THÉRAPEUTIQUE. 7 8 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. ces guérisons rapides ont été tellement rares, que ce mode d’admi - nistration de l’électricité n’a pu supporter l’épreuve du temps, et qu’elle a été plusieurs l'ois abandonnée par la généralité des méde- cins, après avoir été de leur part l’objet d’une sorte d’engouement. ÉLECTRICITÉ DE CONTACT (GALVANISME). ARTICLE IL On a donné le nom d'électricité dynamique, c’est-à-dire d’élec- tricité à l’état de mouvement et de courant, à l’électricité de contact et à l’électricité d’induction. Celte électricité, engendrée par les piles voltaïques ou par les appareils électro-dynamiques ou magnétiques, possède des propriétés physiologiques et thérapeutiques essentiel- lement différentes de celles qui appartiennent à l’électricité statique. La propriété la plus importante, au pointde vue physiologique ou thérapeutique, de l’électricité dynamique, c’est de pouvoir être dirigée et limitée dans presque tous les organes. 11 ressort, en effet, de mes expériences, que l’on arrête à volonté cet agent dans la peau, ou que, sans incision ni piqûre, on peut traverser celle-ci et limiter l’action électrique dans les organes qu’elle recouvre, c’est-à-dire dans les nerfs, dans les muscles et même dans les os. C’est ce que je démontrerai par la suite. La sensation cutanée développée par l’électricité dynamique peut aller du simple chatouillement à la douleur la plus aiguë, ou passer par tous les degrés intermédiaires à ces deux extrêmes. L’excitation produite par cette sensation peut toujours être concen- trée dans l’enveloppe cutanée à l’aide de moyens spéciaux, sans dépasser les limites de la peau, quelle que soit la force du courant. Cette même force électro-dynamique, dirigée dans un muscle, dans un tronc nerveux, peut provoquer les contractions les plus énergiques, sansproduire ces phénomènes de commotion qui carac- térisent l’action de l’électricité statique, et qui en contre-indiquent souvent l’emploi. Tels sont les effets principaux que l’on peut tirer de l’électricité dynamique, qui comprend Xélectricité de contact et l'électricité d'induction. Mais chacune de ces sources électro-dynamiques possède, en outre, des propriétés physiques, chimiques et physiologiques spé- ciales, qui ne permettent pas de les appliquer indifféremment à la thérapeutique; ces propriétés spéciales peuvent môme répondre à des indications déterminées; il est donc nécessaire de les étudier séparément. ÉLECTRICITÉ GALVANIQUE. — PHYSIOLOGIE. 9 § I. — Propriétés physiologiques. A quantité et à tension égales, tous les appareils électromoteurs do contact jouissent des mêmes propriétés physiologiques (1)T quelle que soit la nature des éléments qui entrent dans leur com- position. On peut construire des électromoteurs qui fournissent ou plus d’électricité de quantité, ou plus d’électricité de tension, selon les effets que l’on veut obtenir; mais quoi qu’on fasse, ces différents effets se produisent toujours simultanément, ou ne peuvent être complètement isolés les uns des autres. Le courant galvanique intermittent exerce une triple action phy- siologique à chaque intermittence : l’une à la fermeture du cou- rant, l’autre à l’ouverture, et la troisième dans l’intervalle de ces deux temps. L’action physiologique qui se produit à l’instant où l’on interrompt le circuit est plus faible que lorsqu’on le ferme. Ainsi, avec une pile de 30 couples de Bunsen, on n’éveille pas, à l’ouverture du courant, la contractilité musculaire chez l’homme, quand on applique des rhéophores humides sur un point de la peau correspondant à la surface d’un muscle ; tandis que, par le même procédé, ce phénomène électro-physiologique est déjà très ma- nifeste à la fermeture du courant. Mais la puissance de l’interrup- tion du courant s’accroît proportionnellement à l’augmentation du nombre des éléments qui composent la batterie galvanique. Il m’a paru que 120 piles de Bunsen donnaient, à l’instant de l’inter- ruption, une contraction à peu près égale à celle qui était produite par l’entrée du courant de 20 couples. L’action physiologique intermédiaire entre la fermeture et l’ou- verture du courant est d’autant plus manifeste, que l’intervalle qui sépare les deux autres temps est plus prolongé. On a donné le nom de courant continu à ce courant intermédiaire. L’électricité galvanique peut être appliquée par courants continus ou par courants interrompus. Le courant continu, limité dans la peau, y excite, outre les phé- nomènes de sensibilité décrits plus haut, un travail organique plus ou moins considérable, depuis le simple érythème jusqu’à l’escharification. Ce travail organique, dû à l’action calorifique et (1) La quantité d’électricité qu'une pile peut fournir est en raison directe de la surface des éléments, La tension galvanique dépend du nombre des éléments qui composent une batterie galvanique. 10 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. électrolytique du galvanisme, s’opère assez lentement, à moins qu’on ne se serve d’une batterie voltaïque très puissante. Le courant continu constant et le plus intense, traversant longi- tudinalement un membre, m’a paru n’y produire que des con- tractions fibrillaires ou oscillatoires, et irrégulières, si l’on pro- cède de manière que la contraction de fermeture soit très faible, le courant étant ensuite augmenté rapidement jusqu’à son maxi- mum. C’est, du moins, le résultat d’une expérience que j’ai faite sur moi-même avec une pile de 120 couples de Bunsen. Ce courant continu produit en outre des phénomènes de calorification dans les profondeurs de l’organisme. En effet, la sensation que j’éprouvai pendant cette expérience était analogue à celle qu’aurait pu occa- sionner un liquide très chaud circulant dans le membre soumis à l’expérimentation. Après un certain temps, ces courants con- tinus, profonds, développèrent une sensation de chaleur insuppor- table dans le membre galvanisé : il ne me parut pas alors que ce membre eût augmenté de température (1). En diminuant le (1) Quand j’ai rapporté pour la première fois cette expérience, j’ai eu le tort de ne pas dire comment je l’avais pratiquée, car elle a pu paraître à certaines gens difficile, sinon impossible. Voici dans quelle circonstance et comment elle a été faite. A l’époque où M. le professeur Dcspretz, membre de l’Institut de France, faisait à la Sorbonne ses belles recherches sur la simplicité des corps élé- mentaires, je trouvai dans son laboratoire une pile de Bunsen de 120 élé- ments de grandeur ordinaire, et dont les charbons occupaient le centre. C’est avec cette pile que j’ai fait l’expérience dont il est question ci-dessus. Il est pro- bable que cette pile ne possédait pas toute sa puissance, car elle était depuis assez longtemps en action et avait déjà servi à de nombreuses expériences; cepen- dant sa puissance était encore telle, que, tenant un rhéophore métallique recouvert d’une peau largement humectée dans la paume de chaque main, je supportais dif- ficilement la commotion produite par la fermeture du courant de 40 à 50 de ses éléments. Afin de ne pas m’exposer à l’action foudroyante des 120 éléments, j’ai opposé au courant la résistance d’une colonne d’eau distillée de 10 centimètres d’épaisseur, en plaçant dans le circuit un tube rempli de ce liquide, que je décrirai plus tard (chap. IVj sous le nom de tube modérateur. Alors, après avoir reçu la se- cousse de la fermeture de ce courant, qui ainsi était très affaibli, j’ai augmenté la puissance de ce dernier en diminuant graduellement l’épaisseur de la couche du liquide à traverser, jusqu’à ce que le courant continu m’arrivât dans toute sa force. Je fus surpris d’en pouvoir supporter le passage assez longtemps pour terminer les expériences dont je viens d’exposer les résultats. Mon derme n’a point été altéré, parce que mes mains et le rhéophore avaient été largement humectés, parce que l’épiderrac de la paume de la main est assez épais, et surtout parce que l’ex- périence a duré peu de temps. La peau des autres régions exposées à un tel cou- rant aurait sans aucun doute été brûlée plus ou moins profondément et aurait occasionné des douleurs intolérables. Ce procédé a justement l’avantage, en évi- ÉLECTRICITÉ GALVANIQUE. — PHYSIOLOGIE. nombre des éléments, les phénomènes que je viens d’exposer allèrent en décroissant; et, à 15 ou ‘20 couples, ils turent inappré- ciables. Le courant continu est-il réellement un hyposthénisant de la force nerveuse? Si l’on conclut des vivisections à l’homme, la réponse doit être affirmative. On sait, en effet, qu’un courant con- tant ces douleurs cutanées, de permettre d’analyser les sensations profondes pro- duites par le passage du courant à travers les organes (nerfs et muscles) des mem- bres supérieurs dans le sens longitudinal. 11 ne m’a pas été possible de prolonger au delà de trente à quarante secondes celte expérience faite avec 120 éléments de Bunsen, tandis que j’ai toléré jusqu’à dixà vingt minutes un courant de 20à 30 élé- ments. Depuis six mois, j’expérimente une pile de 40 éléments au protosulfate do mercure, que je décrirai bientôt (un de ces éléments vaut presque deux éléments de Daniel). J’ai plongé chacune de mes mains dans un bassin mis en communica- tion avec un des électrodes; et dans ces conditions j’ai laissé passer le courant d’une manière continue pendant dix minutes à peu près, et j’aurais pu le supporter plus longtemps. La première fois que j’ai expérimenté l’action de cette pile, j'ai senti, après deux minutes de cette action du courant continu, des contractions comme fibrillaires, oscillatoires dans les fléchisseurs des doigts et du poignet. La sensation de roideur un peu douloureuse que j’éprouvais dans cette région pouvait me faire croire à l’existence d’un spasme continu, mais je ne pus le con- stater par les mouvements du poignet ou des doigts. Cette opération a été suivie d’un sentiment de fatigue dans les membres supérieurs. Le lendemain, celte expérience, répétée de la même manière et dans des conditions semblables, a donné des résultats à peu près identiques. La sensation que j’ai éprouvée dans les régions antérieures de l’avant-bras et du bras n’était pas précisément dou- loureuse, c’était plutôt un sentiment de fatigue assez pénible. Bien des fois j’a fait cette expérience sur moi-mème, et je l’ai renouvelée sur d’autres personnes ; j’ai alors toujours observé, pendant le passage du courant continu, tantôt les con- tractions fibrillaires, tantôt seulement une sensation de roideur dans les muscles de l’avant-bras et quelquefois du bras, mais cela d’une manière irrégulière. Cette même expérience, faite assez souvent sur les membres inférieurs de quelques sujets dont les pieds plongeaient dans des bassins mis en communication avec les pôles de la pile, n’a pas produit autre chose que de l’engourdissement et do la fatigue; j’ai vu aussi des contractions fibrillaires se produire. Chaque opé- ration durait ordinairement dix à vingt minutes (je reviendrai sur ce sujet dans le chapitre III). Je dois ajouter que, dans toutes ces expériences faites sur les membres supé- rieurs et inférieurs, on sent à la peau de la face dorsale des mains et des pieds plongés dans l’eau des bassins électrodes des picotements, qui augmentent pro- gressivement, et sont bientôt remplacés par une sensation analogue à celle d’un fort sinapisme, et que cependant on n’y observe point de vésication, alors même que l’opération a duré une demi-heure (je ferai ressortir plus tard l’importance de ce fait au point de vue pratique). Enfin la sensibilité a toujours été plus for- tement excitée dans les points correspondants au pôle négatif. 12 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. linu, prolongé un certain temps clans les nerfs ou dans les membres d’un animal, non-seulement en diminue la force des mouvements, mais encore qu’il en produit la paralysie. Je démontrerai par la suite, expérimentalement, que cette espèce d’action hyposthéni- sante n’est pas appréciable chez l’homme (voy. chap. III). Quant à l’action du courant continu sur la sensibilité, bien qu’après un cer- tain temps il produise un engourdissement au membre dans la con- tinuité desquels on le fait circuler, je ne crois pas que l’on puisse le considérer comme un hyposthénisant de la sensibilité, ou, en d’autres termes, comme un anesthésique. La sensibilité de la peau m’a paru plus vivement excitée par le courant galvanique intermittent rapide que par le courant continu. C’est tout l’opposé pour l’action organique exercée par ces courants. Ainsi, la sensation cutanée est plus douloureusement réveillée par un courant intermittent rapide que par un courant continu. Celui- ci, au contraire, produit plus rapidement l’érythème, la vésication, ou la destruction de la peau. L’érection de papilles nerveuses, l’action désorganisatrice qu’éprouvent les tissus doivent être rap- portées à l’influence du courant continu, l’entrée et la sortie de ce courant n’y contribuent que très faiblement. C’est pour cette raison, sans doute, que le courant intermittent rapide désorganise beau- coup moins la peau que le courant continu. Mais, comme on ne peut éviter, ainsi que je l’ai démontré plus haut, l’action continue qui se trouve entre le commencement et la fin de chaque intermit- tence, il ne sera jamais possible d’exciter la peau par le galvanisme, sans y produire un travail organique plus ou moins considérable. L’action calorifique au pôle zinc est plus grande qu’au pôle cuivre ou charbon (l). De toutes les espèces d’électricités, c’est l’électricité galvanique qui agit le plus vivement sur la rétine, lorsqu’on l’applique à la face avec des rhéophores humides. Le courant galvanique dirigé sur les nerfs de la cinquième paire et même sur leurs dernières ramifications exerce une action spéciale sur la rétine en produi- sant trois sensations lumineuses (le phosphène) à chaque intermit- tence. Ces sensations se manifestent, l’une, très forte, à la ferme-* lure du courant, l’autre, beaucoup moins forte, à l’ouverture de ce courant, et la troisième, tellement faible, qu’elle n’est appréciable que dans l’obscurité, dans l’intervalle des deux précédentes. La connaissance de cette propriété spéciale du galvanisme, que l’on ne (1) On sait également depuis longtemps que les autres phénomènes chimiques (électrolytiques) et physiologiques sont plus prononcés au pôle zinc. retrouve qu’à un degré infiniment moins développé dans les autres espèces d’électricités est delà plus haute importance pourle médecin, comme on le verra par la suite (1). Dans quelque point de la face ou du cuir chevelu qu’on applique les rhéophores galvaniques humides, on produit toujours une succession de sensations lumineuses très éblouissantes, même avec un courant très faible, pourvu que la région excitée se trouve animée par la cinquième paire. La flamme qui se produit alors n’impressionne la rétine que du côté où a lieu l’excitation galvanique; elle est d’autant plus grande et plus étin- celante que les excitateurs sont plus rapprochés de la ligne médiane ; enfin, cette flamme est perçue de chaque côté, quand les excitateurs galvaniques sont placés tout à fait sur la ligne médiane, c’est-à-dire dans les points où les ramifications de la cinquième paire de chaque côté semblent se confondre. On provoque même lephosphène élec- trique en galvanisant la corde du tympan; ce que je ne puis pro- duire avec l’électricité d’induction (je reviendrai sur ce sujet en temps opportun). ÉLECTRICITÉ GALVANIQUE. — THÉRAPEUTIQUE. 13 C’est surtout sur la contractilité musculaire que le courant inter- mittent galvanique manifeste une puissance physiologique infiniment plus grande que le courant continu. La galvanisation musculaire par intermittences provoque des sen- sations plus fortes que l’électrisation musculaire par les courants d’induction. § II. — Propriétés thérapeutiques. L’excitation galvanique qui, limitée dans la peau, peut y produire, outre une sensation très vive, un travail organique plus considé- rable, soit Térythème, soit la vésication, soit même l’escharificalion, répond à certaines indications spéciales. Elle convient, par exemple, dans les cas où il est nécessaire d’obtenir à la fois une vive pertur- bation instantanée et une action durable, analogue à celle du moxa ou de la cautérisation par le fer rouge. M. Matteucci(2), tirant de ses vivisections des déductions thérapem tiques, a conseillé l’emploi d’un courant continu ascendant, commi (i) Tout le monde sait que l’action de l’électricité de contact sur la rétine a été découverte par Volta. M. Remak a écrit que je m’en attribue la découverte (Galvanothérapie, ou de Vapplication du courant galvanique constant au traite ment des maladies nerveuses et musculaires, traduit de l’allemand par le docteui Morpain, Paris, 1860, in-8, p. 44). J’ai dit seulement que personne, avant moi n’avait observé que cette action des courants galvaniques sur la rétine est beau coup plus puissante que les courants d’induction. (2j Irai.é des phénomènes électro-physiologiques des animaux. Paris, 1814 in-8, p. 270. 14 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. hyposthénisant du système nerveux dans le tétanos. Il dit qu’il est naturel de penser que le passage d’un courant continu dans un membre tétanisé détruit cet état, en amenant la paralysie. A l’ap- pui de sa théorie, le célèbre physicien cite un cas de guérison de tétanos sous l’influence d’un courant continu. Le fait est important, mais il a besoin d’être confirmé par de nouvelles expériences. 11 a également essayé d’établir sur les données électro-physiologiques une méthode de galvanisation, par courants continus, pour le trai- tement des paralysies de la sensibilité et du mouvement. Je me réserve d’étudier la valeur de ces déductions électro-thérapeutiques dans le chapitre III, consacré à l’examen critique de différentes méthodes d’électrisation. La galvanisation musculaire par courants intermittents pourrait certainement être employée avec avantage dans le traitement des paralysies du mouvement, mais les inconvénients inhérents à cette espèce d’électricité (son action calorifique, le volume et l’incom- modité des électromoteurs qui nécessitent son emploi) lui feront toujours préférer l’électricité d’induction. Les propriétés chimiques de l’électricité de contact peuvent être avantageusement appliquées à la thérapeutique. On sait, en effet, quel heureux parti la chirurgie peut tirer de l’action coagulante du galvanisme sur le sang dans le traitement des anévrysmes (1). La galvanisation de la peau n’est pas applicable au traitement de l’anesthésie cutanée, parce qu’elle y produit des vésications ou des eschares. Mais l’action calorifique du galvanisme peut être employée quelquefois avec avantage chirurgicalement à la destruction de certaines tumeurs, à la cautérisation de certaines plaies; mais on (I) Bien que cette application de l’électricité galvanique au traitement des anévrysmes soit abandonnée depuis quelque temps, il u’est pas impossible qu’elle soit un jour reprise avec plus de succès. Je crois qu’il faut avant tout rechercher dans quelles conditions doivent être combinés la grandeur des surfaces et lë nombre des éléments, pour obtenir plus d’action électrolytique, en dissimulant le plus possible l’action calorifique. Le pôle positif de la pile exerce une action coagulante, le pôle négatif possède au contraire une propriété dissolvante. On a eu l’idée d’appliquer cette propriété toute spéciale du pôle positif au traitement de certains dépôts de matières fibro- plastiques qui se forment entre les lames de la cornée, et qui sont connues sous le nom de cornée. Les premiers essais faits dans cette voie paraissent avoir été couronnés de succès. Il serait aussi très important d’examiner si, dans toutes les applications des courants galvaniques, soit comme coagulants, soit comme dissolvants, l’excitation produite par l’agent électrique ne joue pas le plus grand rôle. aurait tort d’y voir une action spéciale. Le galvanisme n’agit pas alors autrement que le feu (1). Il n’est pas douteux que, dans ces cas, c’est l’action calorifique du galvanisme qui détruit les tissus. ÉLECTRICITÉ GALVANIQUE. — THÉRAPEUTIQUE. 15 En raison de la propriété qu’il possède d’exciter vivement la rétine, le galvanisme doit être appliqué à la face avec circonspec- tion. La llamme qu’il produit alors est tellement éblouissante, qu’elle pourrait compromettre la vue, si l’opération était trop pro- longée, les intermittences du courant trop rapides, et le courant trop intense. En voici un exemple : Observation I. — Depuis un mois environ, j'électrisais à l’aide de mon appareil électro-dynamique (appareil d’induction marchant avec la pile) un malade affecté de paralysie d’un côté des muscles de la face. De l’améliora- tion se produisait graduellement ; chaque jour les excitateurs étaient mis en contact avec les muscles paralysés, sans inconvénient, quoique l’appareil fonctionnât à un degré assez élevé de puissance. La vue n’en avait éprouvé aucun effet appréciable ; le malade ne percevait aucune sensation lumineuse pendant les opérations. Un jour, l’inventeur d’un nouvel appareil galvanique vint me prier de vouloir bien expérimenter sa machine. N’ayant, à ma con- naissance, aucun fait qui donnât lieu de craindre ce qui allait arriver, je dirigeai le courant de cet appareil à un degré moindre sur les muscles para- lysés, qui se contractèrent, mais beaucoup plus faiblement que sous l’in- fluence ordinaire de l’appareil d’induction. A l’instant même, le malade vit une flamme considérable dans l’œil du côté correspondant, et s’écria : « Je vois votre appartement tout en feu I » Il me pria de suspendre toute appli- (I) C’est en France que l’action calorifique du galvanisme a été appliquée pouf la première fois, comme moyen de cautérisation. Récamier et Pravaz ont essayé de détruire les cancers du col de l’utérus à l’aide d’un courant galvanique, en 1841. Cette application du galvanisme était abandonnée depuis longtemps, lors- qu’elle fut reprise par le docteur Crusel, de Saint-Pétersbourg, qui, en 1842, adressa sur ce sujet un mémoire à l’Académie de médecine de Paris. M. Nélaton a fait aussi en 1850 des applications très heureuses de cette propriété calorifique du galvanisme, et il a été secondé dans ses opérations parM. Regnauld, alors phar- macien en chef de la Clinique, qui a imaginé une batterie galvanique d’un petit volume, d’un usage facile et d’une puissance calorifique très grande. M. Né- laton pense que ce mode de cautérisation peut être employé avec avantage dans les cas où le point à cautériser est situé profondément, dans le pharynx, par exemple. 11 l’a aussi employé avec succès pour détruire les tumeurs érectiles en conservant la peau (je laisse à cet habile chirurgien le soin d’entrer dans les détails de ces ingénieuses applications du galvanisme). Après M. Nélaton, M. Alph. Amussat, et en Allemagne M. Middeldorf, de Breslau, ont employé, dans des cas analogues, et avec non moins de bonheur que M. Nélaton, la puissance cautérisante des courants galvaniques. 16 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. cation. Lorsqu'il revint de son éblouissement, il se plaignit d’un trouble considérable de la vue, et s’aperçut qu’il ne voyait plus du côté ou l’opé- ration avait été faite. L’œil du côté opposé ne paraissait pas avoir souffert. Je lui fis prendre immédiatement un bain de pieds; dès qu'il fut rentré chez lui, une saignée lui fut pratiquée. La vue ne s’améliora pas; malgré l’emploi d’une série de moyens excitants et un traitement rationnel, on ne put obtenir qu’un léger amendement ; la vue est restée considérablement affaiblie. C’est à cet accident que je dois la découverte de cette action du galvanisme sur la rétine infiniment plus puissante que celle de l’élec- tricité d’induction; découverte qui m’a conduit, à son tour, à faire des recherches sur les propriétés différentielles des diverses sources électriques pour la production du phosphène. Ce fait malheureux, d’ailleurs impossible à prévoir, ne devait pas être perdu pour la science. Au contraire, il en est ressorti des appli- cations thérapeutiques éminemment utiles aux malades, car il démontrait d’une part que l’électricité d’induction, fournie par l’appareil électro-dynamique, même avec une grande puissance, n’agit pas sensiblement sur la rétine; d’autre part, que l’électricité galvanique, à dose très faible, exerce une action très énergique sur cet organe. On était donc en droit d’espérer que l’emploi bien réglé de l’électricité de contact produirait des modifications thérapeu- tiques utiles dans les affections purement nerveuses de l’œil. Ces prévisions ont été confirmées par l’expérience. En résumé : 1° L’élec- tricité galvanique exerce une action très vive sur la rétine, lorsque l’excitation est dirigée sur un des points où se ramifie la cinquième paire. 2° Celte espèce d’électricité peut être un excellent agent thérapeutique dans les affections purement dynamiques de la vue. 3° Au contraire, 1 "électricité d'induction provenant de l’appareil électro-dynamique agit très faiblement sur la rétine. k° Or, pré- cisément par la raison que l’électricité d’induction est insuffisante lorsqu’il est nécessaire de stimuler la rétine, elle convient exclusi- vement quand il faut provoquer la contraclilité musculaire a la face, sans exposer cette même rétine aux dangers d’une surexci- tation. AimCLE III. ÉLECTRICITÉ D’iNDUCTION. Bien qu’il n’entre pas dans mon sujet d’exposer ici les principe.» qui président au développement des courants d’induction (ce que l’on trouve dans tous les traités de physique), je crois nécessaire ÉLECTRICITÉ i/lNDUCTION. — PHYSIOLOGIE. 17 de consacrer quelques considérations générales à l’étude de ces principes, qui doivent toujours être présents à l’esprit de celui qui s’occupe de l’application de celte espèce d’électricité aux sciences ou à la pratique médicales. Les appareils d’induction prennent leur source, on le sait, soit dans une pile, soit dans un aimant artificiel. Ces appareils sont connus dans la science, les premiers sous la dénomination (['appa- reils électro-dynamiques, les seconds sous celle à'appareils électro- magnétiques. Les uns et les autres se composent d’un fil de cuivre rouge, recouvert de soie, d’un diamètre et d’une longueur variables, et enroulé en spires serrées de manière à former une hélice, au centre de laquelle on place ou un fer doux ou un aimant. Dans la plupart des appareils électro-dynamiques, un second fil de cuivre plus fin et plus long, est enroulé sur le premier et forme une seconde hélice. Les appareils électro - magnétiques usuels n’ont jamais qu’un seul fil, enroulé sur l’électro-airnant ou sur chaque bras de l’aimant. On sait que pour mettre en action un appareil électro-dynamique composé de deux hélices, on établit une communication entre les extrémités d’un circuit formé par un électromoteur et par le fil enroulé sur le 1er doux central (fil de la première hélice). A l’in- stant où ce circuit est fermé, il s’opère une modification électrique dans l’état du til et aussi dans l’état du fer doux, qui s’aimante temporairement. Si ensuite le circuit est ouvert, il en résulte une nouvelle modification électrique et magnétique, car l’électricité naturelle du fil reprend son état normal, et le fer doux perd son aimantation. C’est seulement au moment où ces modifications sont produites que se manifestent dans la première hélice les phé- nomènes d’induction, par l’influence mutuelle des spires et de l’aimant temporaire sur les spires elles-mêmes, tandis qu’on n’ob- serve aucun phénomène physique ou physiologique dans leur inter- valle. En effet, place-t-on dans le circuit de son courant un organe contractile vivant, un muscle de grenouille, par exemple, à l’instant où ce circuit est fermé, ce muscle se contracte et rentre dans son état de repos. Vient-on alors à ouvrir le courant, le muscle entre encore en contraction; mais alors la contraction est beaucoup plus forte que la première. On produit les mêmes phénomènes électro- physiologiques avec le courant provenant du fil fin enroulé sur la première hélice et induit par elle. De plus, si, au lieu d’un muscle, on place un galvanomètre dans le circuit du fil fin, on voit l’aiguille du galvanomètre se dévier à la fermeture et à l’ouverture du courant, mais chaque fois en sens contraire. DL’CHENNE. 18 ETUDE PRÉLIMINAIRE. Le courant instantané qui se développe dans la deuxième hélice, au moment où l’on ferme le courant formé par la pile et le fil de la première hélice, marche en sens contraire du courant de la pile. C’est pour cette raison sans doute qu’il a été appelé courant induit inverse (ou négatif). Au contraire, le courant instantané engendré dans la deuxième hélice au moment où l’on interrompt celui de la pile, suit la même direction que son courant générateur, d’où lui vient le nom de courant induit direct (ou positif). Chaque intermittence du courant se compose donc de deux phé- nomènes d’induction ; l’un au moment où le contact a lieu, et l’autre quand il cesse. Le courant qui se développe dans le premier fil est appelé par les auteurs extra-courant ou courant inducteur; celui du fil qui lui est superposé est connu soüs le nom de courant induit de pre- mier ordre. Je les avais appelés primitivement courant de premier ordre et courant de second ordre. Je renonce aujourd’hui à ces déno- minations pour ne pas jeter la confusion dans le langage scienti- fique usuel, bien que la nouvelle nomenclature que je proposais fût plus rationnelle et plus physiologique. Toutefois je ne me servirai pas des termes en usage pour désigner ces différents courants, parce qu’ils seraient mal interprétés par la généralité des médecins qui ne sont pas familiarisés avec l’historique de l’ancienne nomen- clature. Je désignerai, à l’avenir, l’extra-courant sous le nom de courant de la première hélice, et le courant de premier ordre des auteurs sous celui de courant de la deuxième hélice. J’espère que ces dénominations, parfaitement claires pour tout le monde et qui ne contrarient en rien les théories plus ou moins exactes des physi- ciens, seront généralement acceptées par les médecins (1): (1) Des recherches expérimentales que j’ai publiées déjà depuis plusieurs années, et que je vais bientôt exposer, recherches dont personne ne conteste l’exactitude, bien que quelques observateurs les aient interprétées diversement, ont démontré d’uue manière incontestable que les deux courants d’induction dont il est ici question possèdent des propriétés spéciales, et qui dépendent non-seulement de Ja longueur et de la section de leurs fils, mais aussi de leur mode d’induction. Il était donc nécessaire de désigner ces courants par des dénominations parfai- tement claires et précises; mais il me fallut pour cela modifier la nomenclature des courants d’induction. C’est toujours une chose grave que de porter atteinte au langage usuel, sans absolue nécessité. Aussi ai-je à me justifier d’avoir essayé de désigner d’une manière plus Claire le courant dont nous nous occupons. Je dois peut-être rappeler comment s’est formée la nomenclature des courants d’induction. 11 est arrivé, à l’égard des faits d’induction électrique, ce qui arrive dans beaucoup d’autres circonstances : la nomenclature s’est formée successivement en électricité d’induction, — physiologie, 19 Examinons maintenant ce qui se passe quand on met en action un appareil électro-magnétique. Un fer doux est placé à une petite distance des pôles de l’aimant, de manière à pouvoir s’en éloigner ou s’en rapprocher par un mouvement rotatoire. Mettons d’abord ce fer doux en croix avec l’aimant, et fermons le circuit formé par raison de la marche progressive de la science. La première découverte de M. Fa- raday apprenait seulement aux physiciens qu’un fil métallique fin , enroulé sur un premier fil parcouru par un courant, devenait lui-même le siège d’un courant instantané, quand on fermait ou que l’on ouvrait le premier circuit formé par le premier fil également métallique. Ou eut dès lors les expressions de courant induit, — c’est celui du fil fin, — et de courant inducteur, — c’est celui qui vient de la pile. Mais il se trouva ensuite que les spires du fil inducteur lui-même agis- saient les unes sur les autres, de telle sorte qu’il s’y développait aussi un courant spécial induit au moment de la clôture ou de l’ouverture du circuit. On désigna ce courant distinct de celui qui provient de la pile, quoique se produisant dans le même lien, par le nom d’extra-courant. Puis ou découvrit que des hélices séparées, superposées à une première spirale que traverse le courant d’une pile, s'induisaient l’une l’autre, et que l’on avait ainsi une suite de courants secondaires induits. Il fallut distinguer ces courants par des noms particuliers. MM. Henry de Prin- ceton, Becquerel, Abria, de La Rive, Douillet, etc., adoptèrent ceux de courants du deuxième ordre, du troisième, du quatrième, du cinquième ordre, etc., pour les courants de la deuxième hélice, de la troisième, de la quatrième, etc. Mais, par une contradiction singulière, ils conservent le nom d'extra-courant, déjà usuel, pour le courant induit de la première spirale, ou hélice, el ils appelèrent courant du premier ordre le courant de la pile, le premier courant inducteur. Ils reconnurent d’ailleurs que Fextra-courant, produit, comme on dit, par l’induc- tion du courant inducteur sur lui-même, se comportait, à tous égards, comme les autres courants induits, auxquels il devait être assimilé. J’ai jugé, en con- séquence, plus rationnel de donner à cet extra-courant, à ce premier courant induit, le nom de courant d’induction du premier ordre, d’après le principe même de la nomenclature établie par les physiciens que j’ai cités. Voilà comment on trouve des courants induits de premier et de second ordre, dans mes appareils électro-dynamique et électro-magnétique, dont les deux fils jouent le même rôle que la première el la deuxième des spirales, ou hélices superposées, dont il vient d’être question. Ce court aperçu historique fait ressortir l’insuffisance ou plutôt la confusion de la nomenclature des auteurs, l’our tout homme qui n’est pas familiarisé avec ce langage de convention (el la généralité des médecins est dans ce cas), les noms de courant de premier ordre, de second ordre, de troisième ordre, etc., désigne- ront des courants de même espèce, mais classés d’une manière différente, selon leurs caractères distinctifs ou selon leur superposition, et le nom tl'extra-courant semblera indiquer un courant d’une autre nature. Bien plus, la confusion règne déjà dans le langage classique, car les uns appel- lent, comme on l’a vu plus haut, courant de premier ordre le courant de la pile, et il en est d’autres qui lui conservent le nom de courant inducteur, réservant au 20 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. le fil enroulé, ou sur le fer doux (comme dans l’appareil de Pixii ou de Clark), ou sur l’aimant (comme dans l'appareil de Dujardin ou de Breton), en plaçant entre les extrémités libres de ce fil ou un galvanomètre, ou un muscle vivant de grenouille. Si alors on im- prime un mouvement de rotation au fer doux, de manière qu’il se trouve en face des pôles de l’aimant, l’aiguille s’éloigne du méri- dien magnétique, ou le muscle se contracte; puis l’aiguille reprend sa position normale, ou le muscle reste en repos. Si un nouveau mouvement rotatoire est imprimé au fer doux, de telle sorte que scs extrémités s’éloignent de l’aimant pour se placer en croix, une nou- velle déviation a lieu dans l’aiguille du galvanomètre; mais cette déviation a lieu dans un sens contraire à la première, et l’on observe une nouvelle contraction musculaire aussi forte que la première. Ces phénomènes d’induction se produisent dans les appareils électro-magnétiques de la même manière que dans les appareils électro-dynamiques, c’est-à-dire en vertu d’une modification ap- portée dans l’état de l’aimant et de son fer doux, et dans celui du fil de cuivre enroulé sur le fer doux ou sur l’aimant En voici la théorie : Quand le fer doux est mis en rapport avec l’aimant, l’électricité naturelle du fer doux est décomposée par le premier, et les pôles contraires s’attirent et se recomposent; il en résulte une neutralisation de l’aimant artificiel et une modification dans l’électricité du fil de cuivre qui est induit, et alors aussi les spires s’influencent mutuellement; quand le fil doux est. éloigné courant de la deuxième hélice celui de courant du premier ordre. Enfin M. de Moncel distingue les courants des deux premières hélices par les noms de cou- rant primaire et de courant secondaire. Laquelle de ces diverses nomenclatures est la nomenclature classique? En attendant que l’on veuille bien s’entendre, qu’il nous soit permis de de- mander pourquoi on semblerait rejeter de la classe des courants celui de la première hélice, en l’appelant extra-courant. En résumé, dans les appareils électro-dynamiques, au lieu d’exclure, pour ainsi dire, de la famille des courants d’induction le courant de la première hélice sous la dénominatiou d’exlra-courant, tout le monde, je l’espère du moins, trouvera qu’il eût été plus rationnel ou plus philosophique de l’appeler courant de premier ordre, puisque les autres courants supérieurs, qui s’en distinguent d’ailleurs par des propriétés spéciales, ont été désignés par les physiciens suivant leur ordre de superposition, sous la dénomination de courants de deuxième, troisième, qua- trième, cinquième et sixième ordre. Mais afin de ne pas jeter le trouble dans le langage usuel, au lieu d’appeler l’extra-courant ; courant de premier ordre, je lui donnerai, comme je l’ai dit ci-dessus, le nom de courant de la première hélice, et désignerai le courant qui lui est supérieur par celui de courant de la deuxième hélice. ÉLECTRICITÉ DÏNDÜCT10N. — PHYSIOLOGIE. 21 de l’aimant par un mouvement de rotation, le fluide magnétique de cet aimant reprend sa liberté, et s’accumule à chacune de ses extrémités ; le fer doux, dont la polarisation cesse à l’instant, reprend son état naturel, se recompose, et le fil de cuivre éprouve une nouvelle induction. Si, en même temps que ces modifications électriques ont lieu, on interrompt le circuit formé par le fil, la puissance de l’induc- tion augmente dans des proportions considérables. Presque tous les appareils électro-magnétiques sont disposés de manière que les solutions du courant ne s’opèrent qu’au moment où le fer doux arrive en face de l’aimant. Il en résulte qu'ils produisent, par révo- lution du fer doux, une action inductrice très faible, inappréciable chez l’homme, et une autre forte; la première a lieu quand le fer doux est placé en croix ; la seconde, quand il est mis en rapport avec l’aimant. Dans les appareils électro-magnétiques les interruptions du cou- rant s’opèrent à l’aide d’une petite bobine (commutateur) placée sur l’axe du fer doux (armature). Celui-ci est mis en mouvement par un mécanisme particulier, composé d’une petite roue à pivots, engrenée dans une grande roue dentelée, de telle sorte que le mouvement rotatoire du fer doux peut être exécuté avec une grande rapidité. Cette rapidité du mouvement rotatoire est une condition essen- tielle de force et même de vie pour les appareils électro-magnéti- ques. Je vais essayer de le démontrer. Lorsqu’on ouvre le courant d’un appareil électro-dynamique, l’induction et l’aimantation du fer doux cessent brusquement avec leur cause productrice, et le passage d’une grande intensité magné- tique à zéro se fait subitement et sans transition dans le fer doux central de la bobine. Telle est la principale cause de la plus grande puissance de l’induction dans les électro-aimants. Mais les choses se passent différemment dans les appareils électro-magnétiques. Supposez le courant magnétique établi par la juxtaposition du fer doux contre les pôles de l’aimant, l’ouverture de ce courant n’aura lieu qu’au moment où le fer doux se trouvera en croix avec les extrémités de l’aimant. Si le fer doux décrit lentement un arc de cercle pour se placer perpendiculairement à l’aimant, le courant magnétique établi entre l’aimant et le fer doux diminue insensible- ment jusqu’à ce qu’il arrive à zéro. Mais si le fer doux tourne avec rapidité, le passage du courant magnétique, du maximum à zéro, est opéré dans un temps si court, que ce passage équivaut presque à une interruption brusque du 22 polluant, comme dans les appareils volta-électriques, et il en résulte une induction puissante. On conçoit, dès lors, que la force de l’in- duction dans les appareils électro magnétiques devra être d’autant plus grande que la rotation du fer doux sera plus rapide. Com- ment se fait-il alors que dans ces appareils l’intensité du courant diminue au delà d’une certaine vitesse des intermittences, comme cela arrive anssi dans les appareils électro-dynamiques avec la roue de Masson ? Ce phénomène, qui a longtemps tourmenté la plupart des physiciens, est produit par une cause mécanique et dépend d’un vice de construction, ainsi que je le démontrerai plus tard. ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. Avant mes recherches, les appareils électro-magnétiques ne pos- sédaient qu’une hélice. J’ai fait .construire un appareil électro- magnétique à double induction, dont les deux hélices superposées et fixées sur l’aimant jouissent, ainsi que je le démontrerai bientôt, de propriétés différentielles, comme les hélices des appareils électro- dynamiques à double courant. La description et la théorie en seront exposées dans le chapitre IV. En résumé, les considérations précédentes démontrent que, non- seulement l’électricité d’induction ne peut fournir de courant con- tinu, puisqu’elle est essentiellement intermittente ou instantanée, mais encore que chaque intermittence se compose de deux courants en sens contraire. Il est établi aussi que le courant qui se produit à la fin de chaque intermittence est le seul qui exerce une action physiologique puissante. Enfin, les appareils électro-magnétiques usuels ne peuvent fonctionner qu’avec des intermittences rapides, tandis que les appareils électro-dynamiques fournissent des cou- rants à intermittences lentes et rapides à volonté. § I. — Propriétés physiologiques différentielles du courant de la première hélice et du courant de la deuxième hélice. L’excitation de la peau par l’électricité d’induction, quelque longue que soit l’opération, quelque intense que soit le courant, ne produit pas d’autre action organique que l’érection des papilles ou un peu d’érythème. Il faut savoir cependant qu’il est des sujets chez lesquels la peau s’enflamme sous l’influence de la cause la plus légère, et qu’il suffit de l’électrisation cutanée par le courant de la deuxième hélice, qui exerce une action élective sur la sensi- bilité de la peau, comme ou le verra plus loin, pour provoquer des érythèmes qui peuvent durer plusieurs jours. Dans l’état actuel de la science, on n’établit physiologiquement aucune différence entre l’électricité qui arrive aux organes par la voie du courant d’induction de la première hélice, et celle qui leur est envoyée par le courant d’induction de la seconde. Voici cepen- dant des faits qui prouvent, d’une manière incontestable, que chacun de ces courants jouit de propriétés physiologiquement spé- ciales (1). ÉLECTRICITÉ D INDUCTION. — PHYSIOLOGIE. 23 A. — Le courant de la deuxième hélice excite plus vivement la rétine que celui de la première hélice, lorsqu’il est appliqué à la face ou sur le globe ocu- laire, par l’intermédiaire des excitateurs humides. Cette propriété spéciale du courant de la deuxième hélice, de produire des sensations plus lumineuses que le courant de la seconde hélice, est infiniment plus développée dans mon appareil électro-magnétique que dans mon appareil électro-dynamique. Ainsi tous les points de la face excités par le courant de la deuxième hélice de l’appareil électro magnétique agissent puissamment sur la rétine, même à des doses très faibles; tandis que le courant de la deuxième hélice de l’appareil volta-électrique ne peut produire de sensation lumineuse (pie sous l’influence d’un courant comparati- vement plus intense, et cela seulement lorsque les rhéophores hu- mides sont placés à l’émergence des nerfs de la cinquième paire ou sur le globe oculaire. La flamme que l’on perçoit alors est plus pâle que celle qu’on obtient avec le courant de la deuxième hélice de l’appareil électro-magnétique, et impressionne moins vivement la rétine. Le courant de la première hélice de l’appareil électro- magnétique ne produit pas plus d’impression lumineuse que celui (1) Abria a seulement cherché à établir comparativement la puissance de l’ac- tion physiologique des deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième hélices, ou , dans le langage usuel, de premier, second, troisième, quatrième, cinquième et sixième ordre, mais il n’a pas étudié l’action différen- tielle de l’extra-courant (courant de la première hélice) et du courant de premier ordre (courant de la deuxième hélice), seule action différentielle qu’il importe à la pratique de connaître, car les actions différentielles désignées par Abria sont insignifiantes au point de vue thérapeutique. Je ferai en outre remarquer qu’il n’exisle aucune ressemblance entre ces recherches d’Abria et les miennes. En effet, ••et expérimentateur prenait dans les mains les cylindres rhéophores pour comparer l’action différentielle des courants d’induction de divers ordres, et quand un cou- rant lui donnait des secousses plus grandes dans les membres supérieurs, il en concluait que sa puissance physiologique était plus grande, voilà tout. Dans mes expériences (on le verra bientôt), je commence par égaliser la force des courants que je veux comparer l’un à l’autre, puis j’étudie leur action différentielle sur la sensibilité cutanée, musculaire, rétinienne, etc. Abria ne pouvait faire ces recher- ches, car il ne savait pas localiser la force électrique dans les organes, ce qui exige avant tout des connaissances anatomiques et physiologiques spéciales. de l’appareil électro-dynamique. Enfin, la sensation lumineuse qui est due à l’action du courant de la deuxième hélice de l’ap- pareil électro-magnétique est loin d’être aussi forte que celle qu’on excite par les appareils électro-moteurs. ÉTUDE PRELIMINAIRE. B.— Le courant de la deuxième hélice excite plus vivement la sensibilité cutanée que le courant de la première hélice. Voici l’expérience dans laquelle on constate ce phénomène. Elle se fait à l’aide de deux appareils électro-dynamiques ou électro- magnétiques, dont l’un fournit un courant de lapremière'.hélice, et l’autre un courant de la seconde hélice. Ces appareils étant en activité, on les gradue de telle sorte que tous deux agissent sur la contraclilité musculaire à force égale. Si alors on excite la sensi- bilité cutanée alternativement avec chacun de ces appareils, on observe que la sensation est infiniment moins forte sous l’influence du courant de la première hélice que sous celle du courant de la seconde hélice. Telles sont les propriétés différentielles des courants de la pre- mière et de la seconde hélice, propriétés dont la découverte re- monte à 18ù8, dont j’ai donné connaissance à l’Académie des sciences en 18&9, et qui ont été exposées dans la précédente édition de ce livre en 1855. Depuis lors, mes recherches sur les propriétés différentielles des courants d’induction ayant été rendues plus faciles par un commutateur des hélices que j’ai ajouté à mes appareils, et à l’aide duquel je passe rapidement de l’une à l’autre hélice, de manière à mieux comparer leurs effets physiologiques, j’ai observé que les courants d’induction jouissent d’autres propriétés spé- ciales non moins importantes pour la physiologie et la théra- peutique. Je vais les exposer. Dans les expériences où l'on peut démontrer l’existence de ces nouvelles propriétés, il faut égaliser d’abord la puissance physiologique de chaque hélice en tenant un rhéophore humide dans chaque main. (On sait que lorsqu’on se place de cette manière dans le circuit d’un courant d’induction, chaque intermittence de ce courant provoque dans les membres supérieurs une secousse qui retentit dans les poignets, les coudes, les épaules et même dans la poitrine, selon la force du courant.) C. — Le courant de la première hélice excite plus vivement que celui de la deuxième la sensibilité de certains organes placés plus ou moins profondé- ment sous la peau. Voici comment j’ai été mis sur la voie de ce fait important. Répé- tant un jour avec M. Béclard, professeur agrégé à la Faculté de ÉLECTRICITÉ D1NDUCT10N. — PHYSIOLOGIE. médecine, les expériences qui démontrent les propriétés différen- tielles des courants, et que j’ai exposées précédemment, mon savant confrère me fit remarquer que le courant de la première hélice pro- duisait chez lui une sensation beaucoup plus vive que la deuxième hélice, lorsqu’il tenait dans la même main les rhéophores humides. Cette observation m’engagea à taire une série de nouvelles expé- riences qui, répétées souvent et sur un grand nombre de sujets, m’ont donné des résultats toujours identiques. Si, après avoir égalisé la force des courants de la première et de la seconde hélice, en prenant un rhéophore humide dans chaque main, de manière à obtenir des secousses égales en force, qui reten- tissent, par exemple, jusque dans les coudes, on compare de nou- veau leur action, en tenant les cylindres dans la même main lar- gement humectée (il est bien entendu qu’ils ne doivent pas se toucher), on éprouve dans cette main une sensation plus vive, plus pénétrante sous l’influence du courant de la première hélice qu’avec la seconde hélice. Ces phénomènes de sensibilité sont d’autant plus prononcés, que les intermittences sont plus rapides. Les sensations et les contractions limitées à la main qui tient les deux rhéophores humides résultent de l’action directe du courant sur les nerfs sous-cutanés de la face palmaire de la paume de la main et des doigts, et sur les muscles de cette région. Le courant de la première hélice fait éprouver également une plus vive sensation, lorsqu’on dirige son action sur les muscles des autres régions du corps. Il est quelques muscles sur lesquels il est facile, à cause de leur isolement, de constater cette action spéciale du courant de la pre- mière hélice'sur la sensibilité musculaire. Je citerai, comme exemple, le deltoïde, le long supinateur, sur la partie moyenne duquel on place les deux éponges excitatrices, aussi rapprochées que possible. Si dans ces expériences on place les deux courants dans des con- ditions identiques, en égalisant leur tension (à l’aide d’un tube à eau), on voit combien le courant de la première hélice excite davantage la sensibilité musculaire. Mais lorsqu’on expérimente sur des régions ou les couches musculaires sont plus ou moins épaisses et qui sont superposées, la différence d’action des deux courants sur la sensibilité musculaire est moins facile à démontrer, car le courant de la deuxième hélice possédant plus de tension que celui delà première hélice, ainsi que je le démontrerai bientôt, les recompositions sont plus profondes, et une grande quantité de fibres musculaires entrant en contraction, la sensation est pro- portionnellement augmentée. 26 11 était rationnel de prévoir que la sensibilité d’autres organes plus ou moins profondément situés sous la peau devait être aussi plus vivement excitée par le courant de la première hélice que par celui de la seconde. C’est ce que j’ai constaté pour plusieurs d’entre eux : les nerfs mixtes, les testicules, la vessie, le rectum ; et ici cette différence d’excitabilité de la sensibilité par ces deux courants est considérable. ÉTUDE PRELIMINAIRE. D. — Le courant de la deuxième hélice provoque des contractions réflexes plus énergiques que le courant de la première hélice. Cette proposition découle des expériences précédentes, que l’on peut compléter de la manière suivante. Que l’on égalise d’abord l’action des deux courants sur la sensi- bilité des organes sous-cutanés, par exemple en tenant les rhéophores humides dans une seule main; que l’on tasse ensuite tenir un rhéo- phore humide dans chaque main : on constatera alors que, de ces deux courants qui paraissaient agir avec une force égale sur la sensibilité, celui de la deuxième hélice provoque des contractions qui remontent beaucoup plus haut dans les membres supérieurs. Il importe d’expliquer le mode d’action physiologique de ce phé- nomène. Les contractions que l’on observe dans les membres supé- rieurs, quand chaque main saisit un des rhéophores du courant d’induction, se manifestent au-dessus du point excité, c’est-à-dire en sens contraire de la marche de la force nerveuse. Elles sont dues à la réaction de la moelle excitée par le courant électrique qui par- court longitudinalement les membres, des extrémités au centre. Je reviendrai, dans le chapitre III, § 3, sur ce mode d’électrisation, que j’ai appelé par qction réflexe. E. — Lorsque des rhéophores humides sont appliqués sur la surface cutanée, le courant de la deuxième hélice pénètre plus profondément dans les tissus que le courant de la première hélice. Voici comment la notion de ce phénomène m’a été révélée. H m’est fréquemment arrivé d’avoir à localiser l’excitation électrique dans des muscles qui avaient perdu leur contractilité et leur sensibilité électriques, consécutivement à la lésion traumatique des nerfs qui les animent, du nerf radial par exemple. Quand je me servais du courant de la première hélice, je parvenais à limiter l’excitation dans la couche musculaire paralysée, bien que le degré de graduation du courant fût assez élevé. 11 n’y avait ni sensation ni contraction. Mais si je remplaçais le courant de la première hélice par celui de la deuxième, après l’avoir égalisé (en prenant les rhéophores dans ÉLECTRICITÉ ü’iNDlJCTlON. — PHYSIOLOGIE. 27 chaque main), les muscles de la région antérieure de l’avant-bras entraient en contraction, et le sujet en percevait la sensation. Il est évident que, dans ce dernier cas, le courant a pénétré plus profondément et s’est recomposé dans les muscles de la région anté- rieure, après avoir traversé l’espace interosseux. J’ai observé des phénomènes analogues à la jambe, lorsque le nerf poplité interne ou le nerf poplité externe était lésé; c’est-à-dire qu’à un certain degré, le courant de la deuxième hélice excitait à la fois la couche musculaire paralysée et la couche musculaire saine, tandis que le courant de la première hélice, même plus fort en apparence, quand on lui faisait parcourir les membres supérieurs des extrémités au centre, ne pouvait porter soq action au delà des muscles paralysés. En résumé, il a été démontré dans ce paragraphe : 1° Que le courant de la première hélice excite plus vivement la sensibilité de certains organes sous-cutanés ; des nerfs, des muscles (et la con- tractililé de ces derniers en est proportionnellement augmentée), du rectum, de la vessie, du testicule, de l’épididyme, du cordon testiculaire ; 2° Que le courant de la deuxième hélice agit plus puissamment sur la sensibilité de la peau, sur la sensibilité delà rétine, et pénètre plus profondément dans les tissus. F. — Théories de ces propriétés physiologiques diflérentielles. Quelle que soit la cause des différences observées dans les pro- priétés physiologiques que les hélices de tout appareil à double induction possèdent à des degrés divers (en raison des variétés de section et de longueur relatives de leurs fils), il est incontestable que ces propriétés si importantes, au point de vue physiologique et thérapeutique, comme je le prouverai bientôt, et qu’on ne pourrait réunir dans une seule de ces hélices; il est incontestable, dis-je, que physiologiquement ces propriétés ne sont pas identiques. C’est uni- quement ce que j’ai entendu exprimer en disant, abstraction faite de toute théorie physique, que le courant de la première hélice et le courant de la deuxième hélice jouissent de propriétés phy- siologiques différentielles. Quant à la théorie physique de ces propriétés différentielles, heureux déjà d’avoir à signaler des faits électro-physiologiques d’une grande importance pratique et qui jusqu’alors avaient échappé à l’observation, j’avais laissé à d’autres, sans aucun doute plus autorisés que moi sur ce sujet, aux physiciens, le soin de Ja rechercher. Dans une note que j’ai adressée , en 1856, à l’Aca- 28 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. démie de médecine, sur quelques nouvelles propriétés physiologi- ques des courants d’induction, je me suis borné à émettre cette opi- nion, à savoir : qu’il me paraît exister quelques rapports entre le degré de tension des courants d’induction et les profondeurs diffé- rentes auxque les chacun d’eux a la propriété de pénétrer dans les tissus placés sous la peau (1). Si je n’ai pas essayé d’expliquer alors la cause physique des autres propriétés différentielles, ce n’est pas que je n’aie fait aucune expérience sur ce sujet. Ma première idée, quand j’eus bien constaté l’existence de l’ac- tion différentielle des courants de la première et de la seconde hélice sur la sensibilité de la peau, idée qui se présente naturel- lement à l’esprit de tout physicien, fut que l’on pouvait peut-être expliquer cette action différentielle, par la différence de leur ten- sion. Cette pensée m’inspira quelques expériences dont les ré- sultats furent cependant négatifs. N’ayant pu résoudre mon pro- blème; en d’autres termes, n’ayant pas trouvé l’explication de ces effets différents, j’avais cru devoir m’abstenir d’entretenir le public de ces dernières expériences. Je reconnais aujourd’hui que ce fut une faute, car depuis les diverses communications que j’ai faites sur ce sujet, des physiciens qui jouissent d’une grande autorité, et dont j’estime infiniment le savoir et le talent, ont attribué uni- quement à la différence de tension des deux hélices les propriétés physiologiques différentielles de leurs courants. « L’extra-courant (disent-ils) et le courant de premier ordre ne jouissent pas de propriétés électives sur telle ou telle fonction, mais ils ont une action plus ou moins énergique, en raison de leur tension, (1) Voici comment on peut prouver par l’expérimentation physiologique que le courant de la première hélice et celui de la seconde hélice possèdent une tension différente. Si, après avoir égalisé ces deux courants par le procédé indi- qué précédemment, on mesure de nouveau leur puissance physiologique, en leur faisant traverser alternativement une couche d’eau distillée renfermée dans un tube de verre, on constate que le courant de la première hélice est infiniment plus affaibli que le courant de la deuxième. Ainsi mon appareil d'induction le plus puissant étant gradué au maximum, et les deux courants étant égalisés, le courant de premier ordre cesse d’être perçu après avoir traversé une couche d’eau distillée de 8 centimètres d’épaisseur, tandis que celui de la seconde hélice est encore très appréciable au delà d’une couche d’eau distillée de 30 centimètres d’épaisseur. Ces phénomènes se produisent également, que les courants proviennent d’un appareil électro-dynamique, ou qu’ils soient fournislpar un appareil électro- magnétique. Ils démontrent que le courant de la première hélice surmonte beau- coup plus difficilement que le courant de la deuxième hélice la résistance qui lui est opposée par l’eau, ou, en d’autres termes, que le courant de la première hélice a beaucoup moins de tension que le courant de la deuxième. ÉLECTRICITÉ D’iNDUCTION. — PHYSIOLOGIE. 29 tension qu’ils doivent aux dimensions, au pouvoir inducteur et à l’isolement du fil qu’ils traversent. Aussi le courant induit, produit dans un fil beaucoup plus long et d’un diamètre beaucoup plus fin que le premier, a une tension beaucoup plus grande que celle de l’extra-courant produit dans le fil le plus gros et le plus court. De là une énergie, des propriétés en apparence différentes, résultant d’une tension plus grande du courant qui les produit (1). » De la théorie précédente on a tiré des déductions critiques sur les dispositions et sur les propriétés de mes appareils électro-dyna- miques et magnétiques, construits, on le sait, au point de vue de leur application à la médecine. Ces déductions diminuant la valeur de mes recherches électro-physiologiques, et surtout des considéra- tions pratiques qui en découlent, je crois qu’il est de mon devoir de faire connaître les expériences que j’ai faites aussi pour résoudre cette importante question, et qui me semblent démontrer que la différence des propriétés physiologiques du courant d’induction de la première et de la seconde hélice ne dépend pas uniquement de la différence de leur tension; que ces courants ne sont pas identiques; que les propriétés dont ils jouissent sont réellement spéciales et échappent jusqu’à présent à toute espèce d’explication. Pour que l’expérimentation soit plus simple et plus décisive, j’étudierai les phénomènes de l’induction sans l’intervention de la force magnétique; c’est-à-dire en produisant l’induction seulement avec le courant voltaïque initial, me réservant de faire ensuite la part de l’influence de l’aimantation temporaire comme force ini- tiale agissant aussi sur l’induction. a. Bans mon appareil électro-dynamique à double courant, la diffé- rence de section et de longueur des deux fils qui produit l'extra- courant (courant de la première hélice) 'et le courant de la deuxième hélice, ne rend pas compte à elle seule de l'action différentielle de ces courants sur la sensibilité. Expérience. — J’ai fait construire deux hélices longues de 9 centimètres, et faites l’une avec un fil de cuivre recouvert de soie, d’un millimètre de section et de 200 mètres de longueur, et l’autre avec un fil également de cuivre et recouvert de soie, d’un sixième de millimètre de section et de 100 0 mètres de longueur. Au centre de ces hélices, j'ai ménagé un espace destiné à recevoir au besoin un fer doux forgé ou une botte de fil de fer, mais cet espace reste vide dans l’expérience que je vais rapporter. (1) Traité des applications de l’électricité à la thérapeutique, par A. Becquerel, 1857, p. 58. —Je préviens le lecteur que la partie physique de ce livre est due au concours de M. E. Becquerel, dont tout le monde connaît la science et le talent. 30 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. Dans ces conditions, le courant d'un couple de Bunsen circulant par intermittences dans chacune de ces hélices séparées donne naissance à deux courants instantanés, de force inégale ; celui qui provient du fil gros et Court (extra-courant des auteurs) exerçant une action physiologique infiniment plus grande que le courant développé dans le fil fin. J’ai égalisé alors la force physiologique de ces deux courants en plaçant dans chaque main ou dans une seule main, ou au niveau des muscles, des rhéophores humides, et en faisant passer le courant du gros fil à travers une couche d’eau distillée enfermée dans un tube de verre, de manière que les secousses produites par lui fussent égales à celles du courant du fil fin. Si après avoir égalisé, de cette manière, la puissance physiologique de ces deux courants, on examine comparativement leur action sur la sensibi- lité cutanée, on constate que le fil fin et long n’excite pas plus vivement la sensibilité de la peau que le fil gros et court. Il ressort de cette expérience qu’un extra-courant développé dans une hélice à fil très long et très fin (1000 mètres de long sur un sixième de millimètre de section) n’excite pas plus la sensibilité de la peau que l’extra-courant engendré dans un fil beaucoup plus court et plus gros (200 mètres de long sur un peu moins d’un millimètre de section). Il est également évident que si l’action d’un courant sur la sensi- bilité cutanée était seulement en raison directe de sa tension, l’extra-courant développé ici dans un fil fin devrait agir plus for- tement sur la peau que l’extra-courant circulant dans un fil beau- coup plus gros et beaucoup plus court. Ceci n’a pas besoin d’être démontré. b. Le fil plus fin et plus long de mon appareil électro-dynamique à double courant n acquiert son action spéciale sur la sensibilité cutanée que lorsqu'il est induit par un fil plus gros. La même hélice à fil fin, avec laquelle nous avons fait l’expé- rience précédente, est-elle soumise à l’influence inductrice de l’hélice à gros fil, on voit à l’instant le courant qui circule dans ses spires acquérir cette propriété spéciale en vertu de laquelle la sensibilité cutanée est plus vivement excitée, propriété que j’ai lait connaître comme étant propre au courant de la deuxième hélice. Voici comment j’ai fait cette expérience. Expérience. — J’ai emboîté les deux hélices qui ont servi aux expériences précédentes, une hélice à fil fin (de même section et de même longueur) ayant été construite de manière à recouvrir l’hélice à fil gros. J’ai fait en- suite passer dans celle-ci le courant du même électro-moteur avec inlermit- ÉLECTRICITÉ D’iNDUCTION. — PHYSIOLOGIE. 31 tences. La force du courant de la seconde hélice, produite par l’influence de la première augmenta dans des proportions considérables (comme on devait le prévoir). Alors pour étudier les propriétés spéciales de cette seconde hélice, comparativement avec celle d’une même hélice à fil fin et long qui ne donne qu’un extra-courant, je l'ai fait passera travers une couche d’eau contenue dans le tube de verre, de telle sorte qu’en prenant les cylindres dans la main humide, il était impossible de distinguer l’une de l’autre l’hé- lice à fil fin extra-courant de l'hélice à fil fin induite par le gros fil. On pouvait donc les croire parfaitement égaux, quant à leur puissance phy- siologique. Mais, quand je limitai alternativement leur action à la surface de la peau , leur action cutanée devint des plus vives par l’excitation du courant de 1 hélice influencée par le courant inducteur. On a donc vu, dans cette expérience, qu’une hélice faite avec un fil de 1000 mètres de longueur sur un sixième de millimètre de section, et dont la puissance sur la sensibilité cutanée, quand son courant était extra-courant, égalait à peine celle de l’hélice à lil gros et de 200 mètres de longueur sur un millimètre de section ; on a constaté, dis-je, que cette même hélice avait acquis une action énorme sur la sensibilité cutanée, par le seul fait de l’influence d’une hélice induc- trice, dont le fil était plus gros. On a sans doute remarqué que dans toutes les expériences pré- cédentes, je me suis abstenu de placer le fer doux au centre de l’hélice inductrice, c’est-à-dire que l’aimantation est restée entière- ment étrangère aux différents phénomènes d’induction que je viens d’exposer. J’ai expérimenté de cette manière pour montrer combien est peu fondée l’opinion de certains auteurs qui semblent aussi attri- buer l’action spéciale du courant de la deuxième hélice à l’influence de l’aimantation « H y a, dit M. E. Becquerel, une autre remarqueque nous ferons encore ; M. Duchenne, en mettant (dans ses appareils) une seconde hélice autour de la première induite, a cru avoir excité seulement un courant d’ordre supérieur à celui de la première hélice. Or, d’après cette disposition, l’effet est très compliqué; car, dans la deuxième hélice, l’action qui prédomine est due à l’influence de l’aimant central, comme dans la première hélice. » Cette opinion est sans valeur en présence des expériences que j’ai rapportées, car l’action différentielle des deux courants se manifeste aussi bien indépendamment de l’influence de l’aimant temporaire. Si j’avais introduit un fer doux au centre de l’hélice du gros fil inducteur, il se serait aimanté fortement et aurait réagi sur le courant d’induction circulant dans cette hélice, en augmen- 32 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. tant sa puissance; c’est ce qu’il est facile de constater. Cette aug- mentation de puissance du courant de lapremière hélice aurait aug- menté proportionnellement, par influence, le courant de l’hélice voisine. Voilà tout. Dire que l’aimant agit directement sur la seconde hélice et produit ainsi les phénomènes spéciaux de la deuxième hélice, c’est imaginer une hypothèse et une objection qui s’éva- nouissent en présence de mes expériences. Eu résumé, l’action spéciale sur la sensibilité cutanée du courant de la deuxième hélice; en d’autres termes, d’une hélice à fil fin enduite par une autre hélice à fil plus gros et plus court, ne peut s’expliquer uniquement par la plus grande tension de ce courant. Quelle est la théorie exacte de ce phénomène? C’est ce qui doit exercer encore la sagacité des savants physiciens qui m’ont fait l’honneur de critiquer mes recherches, et qui, je le répète, sont beaucoup plus compétentsque moi en pareille matière, en raison de leurs connaissances spéciales. Cependant admettons un instant que l’énergie plus grande de l’action de la deuxième hélice sur la sensibilité cutanée soit due uniquement à la plus grande tension de son courant. Comment ex- pliquera-t-on ensuite que la première hélice, dont au contraire la tension est infiniment plus faible, excite beaucoup plus vivement la sensibilité de certains organes sous-cutanés (muscles, nerfs, vessie, rectum, testicule)? Comment expliquer aussi celte action élective du courant de la deuxième hélice sur la sensibilité de la rétine (1)? (1) M. Chameau, essayant dans un travail récent à théoriser les effets phy- siologiques des courants induits, a conclu de quelques expériences faites sur les animaux : « 1° Que l’effet physiologique de l’électricité est le résultat d’un ébran- lement mécanique imprimé aux molécules placées sur le passage des courants; 2° Que cet ébranlement lient exclusivement à la tension de ces courants, sans être directement influencé par la quantité d’électricité mise en mouvement ; 3° Que les diverses parties du trajet parcouru par l’électricité, dans un conducteur animal, n’éprouvent pas au même degré cette excitation mécanique, parce que la tension, loin d’être uniforme dans ce conducteur, s'y montre toujours plus forte aux points extrêmes, et surtout au point de sortie (au pôle négatif). » Les expériences faites sur l’homme à l’aide de l'électrisation localisée, et qui ont été exposées dans ce paragraphe, démontrent que l’énergie de tous les effets physiologiques d’un courant d'induction, loin d’être toujours en raison directe de la tension, est quelquefois au contraire plus grande sous l’influence du courant d’induction dont la tension est moindre (sous l’influence du courant de la pre- mière hélice, de l’extra-couraut des auteurs). Je ferai remarquer en outre qu’il est reconnu en physique, et démontré expé- rimentalement, contrairement à l’assertion de M. Chauveau, qu’au pôle négatif le ÉLECTRICITÉ IMNDÜCTION. — PHYSIOLOGIE.' Ne pouvant donc, dans l’état actuel de nos connaissances, trouver une théorie physique satisfaisante des propriétés physiologiques différentielles des courants de la première et de la deuxième hé- lice, que l’on veuille bien se contenter, pour le moment, des faits électro-physiologiques incontestables qui seuls pourront la con- stituer. 33 courant électrique a moins de tension qu’au pôle positif, et conséquemment que l’action physiologique, plus puissante au pôle négatif, ne peut être attribuée à sa plus grande tension. Enfin M. le vicomte Dumoncel vient de donner un nouvel appui à l’opinion que je défends, dans un travail qu’il a adressé en 1859 à l’Académie des sciences. Il a démontré expérimentalement que la puissance physiologique d’un courant d’in- duction n'est pas toujours due à sa tension. L’expérience d’où ressort ce fait im- portant est exposé dans la note suivante, que cet ingénieux et savant physicien a eu l’obligeance de me communiquer. « On arrive, dit-il, à conclure de cette expérience, qui est certainement la Fie. 1. plus curieuse qu’on puisse faire avec l’instrument précédent (voyez fig.|l), que la tension n’est pas la seule cause de l'énergie (sous le rapport des réactions phy- siologiques) que les courants induits peuvent avoir par eux-mêmes, et que les effets différents que M. Duchenne a remarqués entre les courants secondaires et les extra-courants peuvent bien ne pas tenir seulement à leur différence de ten- sion, ce que M. Duchenne cherche à démontrer depuis plusieurs années. » J’ai démontré au moyen de l’appareil représenté ci-dessus (fig. 1), et qui se compose de deux électro-aimants droits munis de deux bobines d’induction B et D à leurs extrémités polaires, que quand les deux armatures EF et GH sont abais- sées sur les pôles de ces aimants, les courants induits excités par la fermeture et l’ouverture du courant inducteur à travers les bobines A et G, quoique étant DIICI1F.NNE. 34 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. g II. — Propriétés thérapeutiques différentielles des courants d’induction. L’électricité d’induction est le seul agent thérapeutique qui, limité à la peau, puisse produire la sensation cutanée la plus aiguë; qui cesse subitement avec l’opération ; qui se gradue depuis le simple chatouillement jusqu’il la douleur la plus vive, soit en passant par tous les degrés intermédiaires, soit en passant subitement d’un extrême à l’autre, sans jamais désorganiser la peau, ne laissant d’autre trace à sa surface qu’un léger érythème ou de petites éle- vures dues à l’érection des papilles. On conçoit qu’un tel agent réponde a une foule d’indications, soit qu’on veuille rappeler la sensibilité de la peau, comme dans les anesthésies de cet organe, soit qu’on veuille seulement produire une révulsion ou une pertur- bation sur un point quelconque de la peau, comme dans les névral- gies, les douleurs rhumatoïdes, etc. Cette excitation cutanée peut être renouvelée fréquemment et portée sur tous les points de la sur- face du corps, même à la face, car elle ne laisse aucune trace visible après elle, et elle s’approprie au degré d’excitabilité de chaque individu, et même de chaque région du corps. 11 est souvent besoin d’un courant des plus intenses dans le traitement de certaines affections musculaires. Dans ce cas, l’élec- tricité d’induction est la seule applicable, parce qu’elle n’exerce pas d’action calorifique comme l’électricité de contact. L’action chimique de l’électricité d’induction est tellement faible, plus intenses au galvanomètre que quand l’armature EF est enlevée, donnent des commotions beaucoup plus énergiques dans ce dernier cas, et pourtant les deux courants mesurés au rhéostat ont la même tension. On ne peut pas attribuer cette différence d’action à la différence de vitesse de désaimantation des noyaux magnétisés dans les deux cas, puisque en interrompant simultanément les deux courants inducteurs et induits au moyen d’une double roue dentée, on trouve toujours les mêmes effets. Du reste, cet effet n’est pas le seul de ce genre qu’on puisse citer, et j’ai également démontré que dans certaines circonstances, le cou- rant inverse, qui ne donne jamais d’effets physiologiques appréciables, en fournit de plus énergiques que le courant direct. D'un autre coté, on sait que c’est le pôle négatif qui réagit le plus énergiquement sur l’économie animale avec les courants induits, et pourtant, d’après les expériences de M. Riess et les miennes, c’est l’électricité positive qui a le plus de tension. On peut donc en conclure, comme je l’ai dit, que les rapports réciproques entre le système nerveux et les effets électriques ne sont pas encore assez connus dans l'état actuel de la science, pour que nous puissions expliquer à priori tous les phénomènes que nous ob- servons. » ELECTRICITE D INDUCTION. — THERAPEUTIQUE. 35 qu’elle ne saurait servir à la coagulation du sang, dans Je traitement des anévrysines. Enfin les appareils d’induction peuvent, sous un petit volume, agir sur la contractilité avec une puissance considé- rable, ce qui facilite singulièrement leur application. A. —Les propriétés différentielles des courants d’induction de la première et de la deuxième hélice ne peuvent être appliquées indifféremment dans la pra- tique. Les deux courants d’induction (de la première et de la seconde hélice), dont les propriétés physiologiques sont si dissemblables, doivent exercer une action thérapeutique différente, et qui répond, pour chacun d’eux, à une indication spéciale. Bien qu’en thérapeu- tique l’expérimentation empirique ait souvent joué le rôle principal, nous n’en devons pas moins choisir: pour guide l’action physiolo- gique des agents médicamenteux. La voie que j’avais à suivre pour l’application des courants de la première et de la seconde hélice à la thérapeutique m’était- donc déjà tracée par l’expérimentation physiologique. Cependant s’il n’avait existé entre les propriétés physiologiques de ces courants d’induction que des différences presque insensibles, je déclare que je n’en aurais tiré aucune déduc- tion thérapeutique, afin de ne pas trop compliquer l’art de l’électro- thérapie, art assez difficile déjà, comme on le verra bientôt. Mais il s’en faut qu’il n’y ait entre ces propriétés physiologiques que de légères nuances. Ainsi je puis dire, sans exagération aucune, que, pour ce qui a trait à l’action exercée sur la sensibilité cutanée, le courant de la première hélice et le courant de la deuxième hélice diffèrent entre eux comme l’eau tiède diffère de l’eau bouillante, comme un fer peu chaud d'un fer rouge à blanc. On ne trouvera pas, il est vrai, une aussi grande différence entre ces deux cou- rants pour les autres propriétés, quoique cette différence soit très notable. Bien plus, appliqués indistinctement dans certains cas et dans certaines conditions, ces courants produiraient des accidents plus ou moins graves. Bien ne pouvait me faire prévoir l’existence de ces propriétés; c’est par une longue expérimentation empirique que j’en ai acquis la connaissance, et cela toujours aux dépens des sujets que j’opérais, c’est-à-dire par des accidents. En veut-on quel- ques exemples choisis dans mes expériences les plus récentes ?— Un jour, faradisant les testicules, dans un cas d’impuissance, avec le courant de la deuxième hélice (deux réophores humides, l’un en avant, l’autre en arrière, étaient placés sur le scrotum au niveau du testicule), le sujet témoignait quelque douleur. Au lieu de dimi- 36 ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. nuer la force du courant, je fais arriver le courant de la première hélice (en tournant l’aiguille du commutateur des hélices) avec la pensée que la tension de ce dernier courant étant infiniment plus faible, il devait pénétrer moins profondément et peut-être produire une sensation moins forte. Ce fut tout le contraire qui arriva, car la douleur fut des plus vives. Il semblait au malade qu’on lui arra- chait, pour ainsi dire, le testicule et son cordon. Le même phéno- mène s’est reproduit chez tous les sujets sur lesquels j’ai répété cette expérience en faradisant comparativement le testicule à des doses variées. L’épididyme et le cordon étaient également beaucoup plus sensibles à l’excitation par la première hélice que par la seconde hélice. — Une autre fois, ayant à traiter une paralysie de la vessie, j’introduis un réophore dans cet organe et un autre dans le rectum (voy. plus loin, chap. IV, comment ces réophores sont construits), et je fais passer le courant de la deuxième hélice à un degré assez intense et avec deux intermittences par seconde; le sujet accuse une sensation très supportable. Mais comme la tension de ce cou- rant est très grande, j'évitais difficilement sa pénétration jus- qu’au plexus sacré, de telle sorte qu’il se produisait de fortes se- cousses dans les membres abdominaux. Je passe alors subitement, sans défiance aucune, au courant de la première hélice dont on connaît le peu de tension. Le sujet éprouve à l’instant une douleur horrible dans le bas-ventre. Trois malades étaient alors en traite- ment, tous ont accusé la même douleur pendant la même opération. J’ai répété bien des fois cette expérience, en agissant isolément sur la vessie ou le rectum avec un réophore double qui sera décrit plus tard, et la sensation produite localement sur ces organes a été incomparablement plus forte par le courant de la première hélice que par celui de la seconde. Ces expériences ne sont pas inofîen- sives, car chez plusieurs sujets ces sensations vives ont plusieurs fois été suivies de douleurs névralgiques des organes surexcités. — La différence d’action entre les deux courants, sur la sensibilité de la rétine, est bien loin d’être aussi grande que dans les cas pré- cédents; cependant j’ai vu un bon nombre de sujets qui étaient incommodés par des phospliènes plus éclatants, produits par le courant de la deuxième hélice, lorsque j’avais à exciter des régions dans lesquelles se ramifiait la cinquième paire (la face, la lan- gue, etc.). Ils étaient quelquefois effrayés pour leur vue, qu’ils disaient être comme un peu troublée par des mouches volantes, à la suite de ces opérations. Ces faits démontrent donc que le courant de la première hélice et le courant de la deuxième hélice ne peuvent être employés indif- féremment ou indistinctement; ils doivent rendre le praticien cir- conspect dans l’application thérapeutique de l’un ou de l’autre de ces deux courants. ELECTRICITE D INDUCTION. — TIIERAI'ECJTKJUE. 37 B. - -Cas dans lesquels on doit employer de préférence le courant de la première hélice ou le courant de la deuxième hélice. Étant donc connue l’action différentielle des courants de la pre- mière et de la seconde hélice, il est facile de prévoir dans quels cas l’un ou l’autre de ces courants doit être employé de préférence. Je ne ferai que les indiquer. L’énergie extrême avec laquelle le courant de la deuxième hélice peut exciter la sensibilité cutanée fournit à la thérapeutique un moyen précieux de combattre les anesthésies de la peau, et de pro- duire une révulsion cutanée ou une perturbation supérieure, au besoin, à celle du feu, sans détruire les tissus, par exemple, dans les affections rhumatoïdes ou névralgiques. Est-il besoin d’ajouter que le courant de la deuxième hélice triomphera dans une foule de cas où le courant de la première hélice aura été impuissant. Combien de fois, en effet, n’ai-je pas vu, par exemple, l’anesthésie cutanée céder promptement sous l’influence d’un courant de la deuxième hélice, alors qu’un appareil qui ne possédait qu’un courant de première hélice plus puissant sur la contractilité musculaire que le précédent n’avait exercé aucune influence thérapeutique appréciable. Si l’on avait à pratiquer l’excitation électrique dans des masses musculaires profondes protégées par des aponévroses épaisses ou recouvertes d’un tissu cellulaire sous-cutané graisseux, épais ou infiltré de sérosité, le courant de la deuxième hélice répondrait par- faitement à cette indication, en raison de sa plus grande tension, ou, en d’autres termes, en raison de sa puissance de pénétration. C’estencoreau courantde la deuxième hélice, qui agit moins sur la sensibilité musculaire que le courant de la seconde, qu’on devrait recourir de préférence, lorsqu’il est indiqué de provoquer des con- tractions énergiques avec moins de sensation douloureuse, comme chez les enfants, et dans les paralysies de cause cérébrale, où l’on doit, autant que possible, éviter de réagir sur les centres nerveux. Le courant de la première hélice, dont la tension est faible, con- viendra parfaitement dans les cas où il faut exciter vivement la sensibilité et la contractilité des muscles superficiels et peu volumi- neux, sans en dépasser les limites. Je citerai, par exemple, les para- lysies avec insensibilité musculaire ou les atrophies locales. Dans la paralysie delà septième paire, où la contractilité électrique est plus ou moins affaiblie, il est indiqué d’exciter vivement les muscles 38 paralysés. Ces derniers offrant peu d’épaisseur, il faut choisir pour cela le courant dont la tension est moindre (le courant de la première hélice), si l’on veut ne pas porter l’excitation trop profondément. ÉTUDE PRÉLIMINAIRE. La propriété singulière que possède le courant de la première hélice d’exciter vivement la sensibilité de la vessie et du rectum est précieuse dans les cas où ces organes sont frappés d’anesthésie iso- lément ou en même temps que leur contractilité est perdue ou diminuée. Je rapporterai parla suite une observation d’anesthésie de la vessie, anesthésie qui constitue à elle seule une affection grave, puisque le sujet, ne sentant pas le besoin d’uriner, laissait distendre sa vessie au point qu’il n’avait connaissance de la plénitude de cet organe que lorsque l’urine sortait par regorgement. Par le fait de cette distension énorme, la vessie fut paralysée secondairement. On conçoit que dans un cas pareil l’application du couranCde la pre- mière hélice soit indiquée; mais si, dans une paralysie musculaire de la vessie, on avait à craindre une surexcitation de la sensibi- lité, le courant de la seconde hélice, qui agit puissamment sur la contractilité et faiblement sur la sensibilité de cet organe, devrait lui être préféré. Les considérations précédentes sont applicables à la paralysie de la sensibilité ou de la contractilité du rectum. Il résulte des faits et des considérations exposés dans ce chapitre, que chacune des sources électriques, dont je viens d’exposer les propriétés physiologiques et thérapeutiques, répond à des indica- tions spéciales ; il devient alors nécessaire d’introduire dans le langage des expressions différentielles qui indiquent clairement leur emploi. Le mot électrisation ne devrait être employé que d’une manière générale. L’application de l’électricité de frottement pourrait être appelée électrisation statique, et celle de l’électricité de contact conserverait i6 nom de galvanisation. Mais sous cette dernière dénomination on a, en général, désigné indifféremment, dans la pratique médicale, l’emploi de l’électricité de contact et de l’électricité d’induction. On comprend les conséquences fâcheuses d’une telle confusion, après les considérations électro-physiologiques et thérapeutiques que j’ai exposées dans ce travail. Puisqu’il est nécessaire de créer un mot qui désigne exactement l’électricité d'induction ou son application, n’est-il pas permis de le tirer du nom du savant qui a découvert cette espèce d’électricité. Ainsi, de même que Galvani a laissé son nom à l’électricité de con- tact, de même aussi on peut, selon moi, donner à l’électricité d’in- duction le nom de Faraday. En conséquence, cette électricité serait METHODOLOGIE. 39 appelée faradisme, et son application désignée par le mot faradisa- tion. Cette dénomination me paraît d’autant plus heureuse, qu’elle établit une distinction bien tranchée entre l’électricité d’induction et l’électricité de contact, en même temps qu’elle consacre le nom d’un savant à qui la médecine doit une découverte bien plus pré- cieuse pour la thérapeutique que celle de Galvani (1). CHAPITRE II. MÉTHODOLOGIE. ARTICLE PREMIER. PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA MÉTHODE D’ÉLECTRISATION LOCALISÉE. Au début de mes recherches, je m’étais conformé aux principes d’électrisation formulés dans les traités spéciaux, et mes premiers essais ayant été, sinon malheureux, du moins peu encourageants, je vis bientôt que ces insuccès pouvaient être attribués à l’imper- fection des procédés opératoires qui sont en usage dans la pratique et auxquels j’avais eu recours jusqu’alors. Bien que je me réserve d’en faire l’examen critique dans le prochain chapitre, je puis dire actuellement que leur plus grand défaut est de ne pas permettre d’agir sur l’organe malade sans exposer les organes sains, et quel- quefois le système nerveux tout entier, aux inconvénients ou aux dan- gers de la stimulation électrique. De plus, il est impossible, en usant de ces procédés, de se livrer avec quelque exactitude à la moindre étude d’électro-physiologie ou d’électro-pathologie musculaires. Il me parut alors qu’on obtiendrait des résultats peut-être plus importants et plus réguliers, s’il était possible, ou d’arrêter l’élec- tricité dans la peau, sans stimuler les organes qu’elle protège, ou de traverser ce tissu, sans l’intéresser, pour concentrer cette puis- sance dans un nerf, dans un muscle, de faire pénétrer enfin l’agent électrique dans les organes profondément situés. § 1. —Comment gouverner à travers les organes un agent aussi puissant, aussi rapide que l'électricité ? Comment lui imposer des limites? Ce problème, si difficile en apparence, était cependant des plus simples. Il suffisait, pour le résoudre, d’analyser avec soin des (1) Aujourd'hui celte dénomination est universellemeut employée dans la pratique médicale. MlilHUDOLUGlf. phénomènes que l’on produit chaque jour dans la pratique, en ap- pliquant sur la peau sèche ou humide les réophores d’un appareil d’induction d’une force moyenne. Voici les principaux faits qui m’ont permis de remplir avec succès la tâche que Je me suis imposée. Ils servent de base à l’électrisation localisée. 1° Si la peau et les réophores métalliques sont parfaitement secs et l’épiderme d’une grande épaisseur, comme cela s’observe chez certains sujets exposés souvent par leur profession au contact de l’air, le courant se recompose à la surface de l’épiderrne, sans tra- verser le derme, en produisant des étincelles et une crépitation particulière, et sans donner lieu à aucun phénomène physiologique. 2° Met-on ensuite sur deux points de la peau l’un des réophores humide et l’autre sec, le sujet soumis à l’expérience accuse, dans le point où ce dernier réophore n’avait développé que des effets phy- siques, une sensation superficielle, évidemment cutanée. Les élec- tricités contraires, dans ce cas, se sont recomposées dans le point de l’épiderme sec, mais après avoir traversé le derme à l’aide du réophore humide. 3° Mouille-t-on très légèrement la peau, dans une région dont l’épiderme offre une très grande épaisseur, il se produit, dans les points où sont placés les réophores métalliques secs, une sensation superficielle, comparativement plus forte que la précédente, sans étincelles ni crépitation. Ici la recomposition électrique a lieu dans l’épaisseur de la peau. U° Enfin, la peau et les réophores sont-ils très humides, on n’ob- serve ni étincelles, ni crépitation, ni sensation de brûlure; mais on produit des phénomènes de contractilité ou de sensibilité très va- riables, suivant qu’on agit sur un muscle ou sur un faisceau mus- culaire, sur un nerf ou sur une surface osseuse. Dans ce dernier cas, on détermine une douleur vive, d’un caractère tout particulier ; aussi doit-on éviter avec soin de placer les réophores humides sur les surfaces osseuses (1). (1) Je vais essayer de théoriser ces phénomènes. Ou sait que l’électricité de tensiou a une grande tendance à s’échapper par les pointes. N’en serait-il pas de même de l’électricité dynamique, quand les recompositions se font entre l’épi- derme et les réophores secs? En effet, l’épiderme et les réophores secs présen- tent une foule d’aspérités par lesquelles les fluides de nom contraire, provenant de la pile ou des appareils d’induction et du corps, s’échappent pour se recom- poser ou se neutraliser, ainsi que le prouvent la crépitation et les étincelles. Si la peau a été traversée, l’excitation est alors superficielle, et ne peut produire que des phénomènes cutanées, c’est-à-dire des sensations cutanées. Mais si ces PRINCIPES F ON ÜA M EMAUX II ressort de ces expériences que, par la faradisation, on arrête à volonté la puissance électrique dans la peau ; que, sans incision ni piqûre, on peut la traverser et limiter l’action du courant dans les organes qu’elle recouvre, c’est-à-dire dans les nerfs, dans les muscles et même dans les os. Cependant on conçoit difficilement que la force électrique puisse aller exciter les organes placés sous la peau, sans agir en mêmetemps, physiologiquement, sur celle-ci. On est porté à penser que les sen- sations qui se manifestent pendant l’électrisation de ces organes sous-cutanés sont le résultat, ou de l’excitation de la peau seulement, ou de l’excitation simultanée de la peau et des organes subjacents. Voici les expériences que j’ai faites dans le but de démontrer que la sensation développée pendant la faradisation de la peau par les réophores secs, appliqués sur sa surface également sèche, est bien le résultat de l’excitation de cette membrane, et que la sensation produite par l’application des réophores très humides sur la peau, et au niveau d’un plan musculaire, ne doit être attribuée qu’à l’excitation directe des muscles. Première expérience. — Ayant trouvé, sur un blessé couché au n° 7 de la salle Saint-Bernard (Hôtel-Dieu), une partie du muscle crural externe dénudé, j’appliquai sur ce muscle, et dans le point dénudé, un réophore métallique sec. La contraction que je produisis fut accompagnée d'une sensation sourde et spéciale à la contraction électro-musculaire. Je plaçai ensuite les mêmes réophores au niveau du même muscle, dans un point où la peau était intacte, et je n’obtins qu’une sensation de brûlure, sans con- traction musculaire. Ayant remplacé les réophores métalliques par des éponges humides enfoncées dans des cylindres excitateurs, et les ayant po- sées sur la peau, dans un point correspondant au muscle crural, je provo- quai la contraction avec la sensation sourde et spéciale que j’avais produite en plaçant le réophore métallique sec sur le muscle dénudé. Deuxième expérience.—Un blessé dont le nerf radial avait été détruit par une balle à la partie inférieure du bras avait perdu la sensibilité et la conlrac- aspérités sont réunies par une nappe d’eau, l’électricité traverse la peau en masse, et se recompose profondément ou dans les muscles, ou dans les os, ou dans les nerfs, et cela d’autant plus profondément que le courant est plus intense. Alors plus d’étincelles ni de crépitations, plus de sensations cutanées; mais on observe des phénomènes physiologiques en rapport avec les fonctions de l’organe excité. Ces derniers phénomènes établissent une différence entre l’action physiologique de l’électricité dynamique et de l’électricité de tension; car celle-ci produit tou- jours une recomposition électrique entre le réophore et l’épiderme, de quelque manière qu’on opère. MÉTHODOLOGIE. iilité électriques des muscles de la région postérieure de l’avant-bras. Mais la sensibilité de la peau était restée intacte à cause de l’intégrité des nerfs cutanés. J'appliquai des réophores métalliques secs sur la peau des régions antibrachiales postérieure et antérieure, et partout il se produisit une sen- sation vive de brûlure. Je remplaçai les réophores secs par des éponges hu- mides enfoncées dans des cylindres; alors je n’observai à la région posté- rieure ni sensation ni contraction, tandis que des contractions accompagnées de sensation se manifestèrent à la région antibrachiale antérieure. Dans cette dernière région, la sensation de brûlure produite par les réophores métal- liques secs était remplacée par une sensation sourde et spéciale à la con- traction musculaire, provoquée par les réophores humides. .l’ai bien des fois répété ces expériences dans d’autres cas patho- logiques, non-seulement sur des muscles, mais aussi sur des troncs nerveux mixtes, et j’ai acquis la conviction que l’excitation élec- trique peut arriver dans un muscle ou dans un nerf sans agir sur la peau qu’elle traverse. Cependant je dois reconnaître que, dans certains cas, on pourrait attribuer uniquement à la sensibilité musculaire des sensations qui en réalité seraient produites par l’excitation de la peau ou des nerfs cutanés. Je dois dire comment on peut éviter cette confusion; mais pour cela il me faut entrer dans quelques détails. a. Il vient d’être démontré expérimentalement que si la peau et les réophores sont suffisamment humectés et mis en contact parfait, celle-ci est traversée par le courant sans être excitée, et que les recompositions électriques se font plus ou moins profondément dans les tissus sous-cutanés. Mais il est un moment où ces réophores et la peau étant mis mutuellement en rapport, le contact n’est pas encore parfait, et alors la surface présente quelques aspérités entre les- quelles se font des recompositions électriques qui produisent une sensation de piqûre, de brûlure et même des crépitations et des étincelles, surtout si l’on fait passer le courant delà deuxième hélice dont on connaît l’action puissante sur la sensibilité de la peau, et si ce courant a une force suffisante. Ces mêmes phénomènes se reproduisent au moment où les réophores sont séparés de la peau. Pour éviter cette excitation électro-cutanée pendant la faradisation musculaire, il ne faut faire passer le courant que lorsque le contact entre le réophoreet la peau humide est parfaitement établi. (J’indi- querai par la suite les précautions à prendre pour ne pas produire ces sensations cutanées.) b. Les réophores humides agissent inévitablement sur les nerfs PRINCIPES FONDAMENTAUX cutanés, lorsqu’ils sont placés sur leur trajet. Pour bien étudier les phénomènes qui résultent de leur excitation, la tension du courant ne doit pas être assez grande pour pénétrer jusqu'aux muscles. La faradisation d’un nerf cutané produit une sensation qui se propage dans le trajet du nerf au delà du point excité et jusque dans ses dernières ramifications, où elle produit des fourmillements et des picotements, proportionnellement au degré d’intensité du courant et de rapidité de ses intermittences. Les sensations sont d’autant plus vives que l’on excite les nerfs dans un point plus voisin de leurs ramifications : ainsi, sur les nerfs collatéraux des doigts et des orteils, on ies produit d’autant plus fortement que le nerf cutané est fara- disé plus inférieurement. — L’excitabilité des nerfs cutanés est très variable. Elle est portée au plus haut degré chez quelques-uns de ces derniers; les frontaux,par exemple, fournis par l’ophthalmique de Willis, ne peuvent être touchés sans provoquer une douleur des plus vives dans le point faradisé et qui se propage jusque dans ses ramifications, tandis que la sensation est tellement obtuse dans d’autres nerfs, que leur faradisation est appréciable seulement par les fourmillements légers qui se produisent dans leur épanouis- sement à la peau. Les nerfs cutanés des membres sont, en général, dans cette dernière condition. La connaissance de ces phénomènes permet de distinguer les sensations complexes, dues à l’excitation simultanée du nerf c utané et d’un muscle, de celle qui est seulement le résultat de l’excitation de ce dernier. En effet, quand les réophores humides se trouvent placés au niveau du tissu musculaire et d’un nerf cutané très exci- table, on en est prévenu par les fourmillements ou par les picote- ments qui se propagent dans les ramifications du nerf faradisé, et par une douleur spéciale limitée au point excité, si ce nerf cutané est très excitable. Qu’on déplace alors les réophores de manière à éviter le nerf cutané, les fourmillements ou les picotements éloi- gnésdu point excité, et la douleur locale, quand elle s’est développée, cessent à l’instant, pour laisser percevoir les sensations purement musculaires. § H. — Pe«it-on concentrer la puissance électrique dans un muscle ? Ici se présente une objection en apparence très sérieuse, qui doit venir naturellement à tous les esprits, et qui a failli m’arrêter au début de mes recherches. S’il est vrai que Von peut concentrer la puissance électrique dans un muscle, est-on aussi certain que l’excita- tion qui en résulte ne produise pas de phénomènes dits réflexes, en MÉTHODOLOGIE. réagissant sur les centres nerveux, ou, en d'autres termes, n'est-il pas à craindre que l'électrisation d'un muscle ne provoque non-seulement la contraction de ce muscle, mais encore celle d'un ensemble d'autres muscles? S’il en eût été ainsi, j’aurais certes renoncé à mon idée comme à une chimère, et toutes les recherches que je dois à sa réa- lisation seraient encore à naître. Voici, en résumé, la série d’expériences qui m’ont démontré que l’action réflexe de la moelle ne vient pas troubler les phénomènes musculaires produits par l’électrisation localisée. Première expérience. — Ayant enlevé la peau de la face chez un lapin vi- vant, j’ai coupé le nerf facial d'un côté seulement, afin que les muscles animés par lui ne fussent plus en rapport avec la moelle épinière ; j’ai ensuite dirigé l’excitation électrique sur chacun des muscles de la face alternative- ment de chaque côté. Les muscles se sont alors contractés individuellement et également des deux côtés. Deuxième expérience. •— J’ai alors détruit le cerveau chez ce même animal, dans le but de placer la moelle dans des conditions favorables à la production des phénomènes réflexes, et j’ai excité de nouveau chacun des muscles comme dans l’expérience précédente ; les résultats ont été absolu- ment les mêmes. La même expérience faite comparativement sur les muscles des membres inférieurs, après avoir enlevé un des nerfs sciatiques, a offert des résultats identiques. Troisième expérience. — Après avoir décapité plusieurs grenouilles, j’ai détruit la moelle chez les unes, tandis que je l’ai laissée intacte chez les au- tres. Chez toutes ces grenouilles, j’ai fait contracter individuellement les muscles, même les petits muscles qui meuvent chacun des doigts, sans qu’il s’y mêlât, chez celles dont la moelle était intacte, la moindre contraction musculaire due à faction réflexe. Quatrième expérience. — Lorsque chez l’homme on fait contracter com- parativement les muscles d’un membre entièrement anesthésique et ceux d’un membre dont la sensibilité est intacte, on n’observe entre les deux côtés aucune différence dans la manière dont les muscles répondent à la faradisa- tion localisée, c’est-à-dire que tous se contractent isolément. Cinquième expérience. — Dans l’hémiplégie de cause cérébrale (condi- tion favorable à la production des phénomènes réflexes), la faradisation loca- lisée produit des contractions isolées tout aussi sûrement du côté paralysé que du côté sain. J’ajouterai que dans toutes les expériences pratiquées chez l’homme et PR1 iN Cl PES FONDÂMENTAÜX chez les animaux, j'ai fait contracter individuellement les muscles et les fais- ceaux musculaires avec autant de facilité et de sûreté que lorsque j’ai agi sur les muscles dénudés de leurs membres fraîchement séparés du tronc. J’ai répété publiquement ces expériences comparatives, à l’Hôtel-Dieu, à la Charité et à l’hôpital Lariboisière. Sixième expérience. — En 1852, j'ai fait à l’hôpital de la Charité quel- ques expériences intéressantes sur un malade couché au n° 19 de la salle Saint-Ferdinand (service de M. Cruveilhier) et chez lequel on développait des phénomènes réflexes avec la plus grande facilité. Ses membres infé- rieurs étaient entièrement privés de mouvement, et cependant il suffisait de la plus légère impression produite sur un point quelconque de la peau de ses membres inférieurs, pour leur voir exécuter des mouvements qu’il lui était impossible d’empêcher. L’excitation cutanée des membres supérieurs, quelque forte qu’elle fût, ne provoquait aucun mouvement dans les membres inférieurs. Si la sensa- tion éprouvée par le malade était légère, comme celle qu’on produirait en pro- menant un doigt sur la cuisse, le mouvement était limité au membre touché, et ce mouvement était faible ; mais si la sensation était plus grande, le mouvement était proportionnellement plus étendu et était exécuté synergi- quement des deux côtés à la fois. Ces mouvements se composaient toujours de la flexion de la cuisse sur le bassin, de la jambe sur la cuisse et du pied sur la jambe. Je n'ai jamais vu alors entrer en contraction les muscles qui produisent des mouvements contraires à ces mouvements de flexion, de quelque manière que je m’y sois pris. On reconnaît dans ces phénomènes musculaires l’action réflexe de la moelle provoquée par l'excitation delà peau des membres paralysés. Je voulus rechercher alors si l’excitation électro-musculaire provoquait dans ce cas l'action réflexe avec la même facilité, en faisant contracter indi- viduellement les muscles des membres inférieurs. A l’instant où j’appliquai des réophores humides sur la peau, au niveau du jambier antérieur, le mem- bre entier exécuta les mouvements de flexion que j’ai décrits plus haut. Ce mouvement réflexe était dû seulement à l’impression causée par l’applica- tion des éponges imprégnées d'eau froide, car l’appareil n’avait pas encore été mis en action. Lorsqu'un instant après le membre fut retombé dans son inertie habituelle, bien que les réophores restassent appliqués sur le même point de la peau (au niveau du jambier antérieur), je déchargeai une intermittence du courant d’induction à un degré modéré; et, à ma grande surprise, le jambier anté- rieur se contracta isolément sans qu’il se produisît en même temps de phé- nomènes réflexes dans les autres muscles. MÉTHODOLOGIE. Je renouvelai sept à huit fois de suite cette expérience (c’est-à-dire avec une seule intermittence du courant d’induction chaque fois), et j’obtins également la contraction isolée du jambier antérieur; bien que l’intensité de l’appareil eût été portée graduellement à son maximum, et que le malade eût chaque fois éprouvé une sensation assez forte. Il me fut facile d’obtenir, on agissant de la même manière, la contraction de chacun des muscles des membres inférieurs. Je répétai ces mômes expériences, mais en dirigeant sur les muscles un courant à intermittences très rapides, au lieu des intermittences éloignées. (L’action sur la sensibilité augmente en raison de la rapidité des intermit- tences. Je reviendrai sur ce sujet dans le chapitre suivant.) Les phénomènes changèrent, car la contraction musculaire isolée fut suivie de contractions énergiques dues à l’action réflexe. La sensation très vive éprouvée alors par le malade avait retenti jusqu'au centre nerveux et avait produit les phéno- mènes de retour dits contractions réflexes. Il ressort de cette dernière expérience que les contractions réflexes sont produites pendant l’excitation électro-musculaire, seulement dans certaines conditions pathologiques, et que l’on peut encore, même dans ces conditions, faire contracter individuellement les muscles en dirigeant sur eux un courant d’induction à intermittences éloignées, c’est-à-dire en ne provoquant qu’une sensation modérée. Il me semble aussi démontré, par cette expérience, que l’excitation de la peau provoque plus facilement l’action réflexe de la moelle que l’excitation de la sensibilité musculaire. J’ai voulu accumuler ici les preuves contre l’objection que je m’étais faite dès!8û8; et si j’y insiste tant aujourd’hui, c’est qu’un écrivain distingué, M. J. Guérin, à qui la science doit de beaux travaux en pathologie musculaire, dans un article critique publié dans la Gazette médicale, a cru, en m’objectant aussi l’action ré- flexe de la moelle, ruiner l’électrisation localisée et toutes les recherches qui en découlent. De l’ensemble de tous ces laits, il ressort de la manière la plus évidente que l’électrisation peut faire contracter individuellement un muscle, sans provoquer d’autres contractions musculaires par l’action réflexe, même dans les conditions favorables à la production de ces derniers phénomènes. Dès lors il m’a été possible de créer cette méthode, qui limite l’excitation électrique dans chacun des organes, sans qu’il soit nécessaire de piquer ni d’inciser la peau. Je vais essayer d’en expo- ser les divers procédés, et je traiterai successivement : 1° de Téléc- ÉLECTRISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. Irisation musculaire ; 2° de l’électrisation cutanée; 3° de l’électri- sation des organes internes, des organes des sens et des organes génito-urinaires. ARTICLE II. ÉLECTRISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. Pour limiter l’action électrique dans chacun des muscles ou des nerfs qui les animent, est-il indifférent de se servir de telle ou telle espèce d’électricité? C'est ce qui ne peut être résolu qu’en étudiant séparément l’électrisation musculaire : 1° par l’électricité statique, 2° par l’électricité de contact (la galvanisation musculaire), 3° par l’électricité d’induction (la faradisation musculaire). g I. — Électrisation musculaire par l’électriolté statique. J’ai démontré précédemment (chap. 1er) que l’électricité statique ne peut pénétrer jusqu’au tissu musculaire sans exciter en même temps la peau à la surface de laquelle elle se recompose tou- jours en produisant une étincelle électrique. Elle ne peut donc servir à l’étude comparative de la sensibilité de la peau et de la sen- sibilité des muscles dans les recherches électro-physiologiques et pathologiques. Les contractions musculaires qu’elle provoque étant inévitable- ment saccadées, ne permettent pas d’en faire usage dans l’étude des fonctions musculaires. Enfin la commotion, qui est inséparable de son action, la déchi- rure des vaisseaux capillaires qu’elle occasionne, l’espèce de torpeur dans laquelle elle jette les organes, le volume des appareils qui la dégagent, toutes ces causes réunies, en un mot, doivent restreindre de plus en plus l’usage médical de l’électricité statique. Néanmoins on aurait grand tort de la rejeter complètement et de lui préférer toujours l’électricité dynamique, sous prétexte que cette dernière n’offre pas les mêmes inconvénients, et qu’elle jouit des propriétés spéciales, merveilleusement appropriées à l’électrisation localisée, comme on le verra par la suite. L’électrisation statique m’a été d’une grande utilité dans certains cas où les autres espèces d’électricité avaient été insuffisantes. En effet, le tissu cellulaire sous-cutané est quelquefois tellement abondant, ou infiltré de sérosité, que les courants les plus intenses des appareils d’induction n’arrivent pas jusqu’aux muscles. C’est alors qu’on trouve dans les décharges de la bouteille de Leyde une tension électrique assez forte pour vaincre la résistance opposée par les tissus derrière lesquels s’abritent les muscles ou les nerfs. MÉTHODOLOGIE. Voici comment je m’y prends pour décharger les deux électricités accumulées dans la bouteille de Leyde, sur le muscle que je veux exciter, en en graduant la force et sans produire une commotion générale. L'appareil dont je me sers dans ce cas se compose d’une machine électrique, d’une bouteille de Leyde et d’un électromètre de Lane placés sur la table de la machine. L’armure intérieure de la bouteille de Leyde A (fig. 2) est mise en communication avec les appendices G du conducteur de la ma- chine B, au moyen du conducteur U. Cette armure intérieure com- munique elle-même avec la boule E d’une des branches horizon- tales de l’électromètre. Cette branche est isolée par le montant de verre F, sur le- quel elle repose. L’armure extérieure G de la bouteille arrive par le conducteur G' au montant H, qui communique avec la seconde branche de l’électromètre. Deux Fig. 2. excitateurs terminés en boule, .1 et K, montés sur de longs mar- ches isolants de verre, sont mis en rapport, l’un, J, avec la bran- che H', l’autre, K, avec l’extrémité L du conducteur de la machine électrique. Les choses étant ainsi disposées, l'opérateur applique sur la peau, et sur le point correspondant au muscle qu’il veut faire contracter, l’excitateur J qui reçoit l’électricité (positive) accumulée à l’extérieur de la bouteille, tandis qu’au moment où il veut produire la contrac- tion musculaire, il approche de la peau, sans la toucher, au niveau de la surface du même muscle, le second excitateur K, qui reçoit, par ÉLECTRISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. l’extrémité L de la machine, électrique le fluide (négatif) accumulé dans l’intérieur de la bouteille A. Il doit toujours avoir soin de tenir chacune des extrémités des excitateurs à une distance de 2 centi- mètres au moins l’une de l’autre. La force de la décharge qu’on désire obtenir se règle sur le nombre de tours imprimés au plateau. Ainsi, veut-on une faible contraction, on approche de la peau l’ex- citateur K, après un ou deux tours imprimés au plateau. Pour en obtenir une plus forte, on compte un plus ou moins grand nombre de tours de plateau avant de décharger la bouteille. Mais il peut arriver que, par suite d’une erreur ou d’une distraction, la bouteille soit chargée outre mesure, et que la décharge qui en résulte occa- sionne, ou une contraction très forte, ou une action qui pénètre dans un des muscles voisins, ou enfin une sensation trop douloureuse et qui produirait une excitation générale contre-indiquée dans le cas particulier. C’est pour éviter ces méprises fâcheuses et quelquefois dangereuses, que je me sers de l’électromètre de Lane. Des deux mon- tants H, F, le premier, mobile, peut être rapproché ou éloigné du second au moyen de la vis M, et une échelle divisée en millimètres, placée à la base du montant H, indique le degré d’éloignement des deux boules J' et E'. Avant de faire une décharge sur un muscle, j’en règle la force en approchant plus ou moins ces deux boules, suivant le degré d’excitabilité du muscle à exciter, suivant la région sur laquelle on agit, enfin suivant le but thérapeutique que je me propose d’atteindre. S’il m’arrive alors de me tromper dans Je nombre des révolutions du plateau ou d’être distrait, la bouteille ne peut se charger outre mesure, car l’électricité vitrée et l’électricité rési- neuse accumulées dans la bouteille se neutralisent en se réunissant entre les deux boules E' et J', à l’instant où elles ont acquis une tension assez forte pour vaincre la résistance de l’air placé entre elles; résistance qui, on le sait, est en raison directe de la distance qui les sépare. Est-il besoin de faire ressortir les avantages de ce procédé d’élec- trisation musculaire, dans l’application de l’électricité de tension ? N’est-il pas évident qu’il concentre son action sur les muscles qui en ont besoin, sans exposer les organes sains et surtout les centres nerveux aux dangers d’une excitation inopportune. Ce procédé permet de diriger les décharges les plus fortes sur les muscles, quand leur état pathologique l’exige, soit leur atrophie, soit la perte ou la diminution de leur irritabilité et de leur sensibilité. Qu’on éloigne au contraire tes excitateurs, ainsi qu’on le pratique généralement, en faisant tenir l’un de ceux-ci dans une main, et approchant l’autre de l’organe ou de la partie malade sur laquelle DÜCHENNE, 50 MÉTHODOLOGIE. on veut diriger l’action thérapeutique de l’électricité, on verra l’ac- tion locale se compliquer de phénomènes de commotion plus ou moins étendus ou généraux, tels qu’on ne pourra, sans danger, dépasser les doses les plus faibles. Ces phénomènes de commotion générale sont toujours le résultat de l’excitation des centres nerveux. C’est un effet analogue à celui que je me propose d’étudier dans le chapitre 111, à l’occasion de l’électrisation par action réflexe. Cette excitation des centres ner- veux peut, il est vrai, trouver son indication en électro-thérapie; mais au moins doit-on l’éviter lorsque cette indication n’existe pas, ou lorsqu’il y a danger à la provoquer. C’est ce procédé d’électrisa- tion qui occasionne, dans certaines conditions, des accidents graves, comme je le prouverai par la suite, et qu’on permet cependant aux saltimbanques de pratiquer sur les places publiques ! On se tromperait fort si l’on croyait pouvoir localiser l’excitation électrique dans un muscle en dirigeant sur sa surface les décharges d’une forte machine électrique. Il suffit, pour se convaincre du contraire, d’analyser les phénomènes de recomposition intérieure qui produisent une sorte de choc en retour, et qui doivent nécessai- rement parcourir tout l’arbre nerveux, quand une portion de l’élec- tricité naturelle dont le corps est pénétré s’échappe par un point de la surface cutanée, pour neutraliser l’électricité de nom contraire qui lui arrive de la machine électrique en mouvement. Un autre avantage que je trouve dans l’usage de la bouteille de Leyde, c’est de ne pas exiger l’emploi d’une machine électrique de grande dimension, d’un prix très élevé, et qui trouverait difficile- ment place dans le cabinet du médecin. Une petite machine à un seul conducteur, et dont le plateau mesure 15 à 16 pouces de dia- mètre, suffit pour charger une forte bouteille de Leyde, dont on peut toujours au besoin diminuer l’action avec l’électromètre de Lane, comme on vient de le voir. § II. — Galvanisation musculaire localisée. J’ai déjà dit, dans le chapitre Ier, qui traite des propriétés physio- logiques et thérapeutiques des différentes espèces d’électricités, que l’électricité galvanique, administrée avec un courant intermittent, se distingue principalement de l’électricité statique, en ce qu’il est possible de lui faire traverser la peau sans l’exciter autant qu’elle, et de localiser plus facilement son action dans les organes sous-cutanés. On voit donc que l’électricité galvanique peut servir à localiser l’ac- tion électrique dans les muscles ou les nerfs qui les animent. GALVANISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. 51 Malheureusement de nombreux inconvénients s’attachent à l’ap- plication de cette espèce d’électricité à l’électrisation musculaire. L’action calorifique et électrolytique du galvanisme, et la propriété qu’il possède d’affecter vivement la rétine, lorsqu’on l’applique à la face, suffiraient, selon moi, pour en faire proscrire l’emploi dans l’étude de l’électro-physiologie ou de la pathologie musculaire, quant à ce qui concerne l’action musculaire individuelle, ainsi que dans le traitement, par courants intermittents, des paralysies du mouve- ment, surtout quand ce traitement exige de fréquentes applications. Les développements dans lesquels je suis entré précédemment (cha- pitre Il!r) me dispensent d’insister davantage sur ce sujet. Les appareils voltaïques de Cruikshank, de Wollaston, de Bun- sen, de Grove et de Daniell, sont difficilement applicables dans la pratique, soit à cause de l’emploi des acides qu’ils nécessitent, soit à cause des gaz qui s’en dégagent, soit à cause de leur volume, soit enfin à cause de la calorification qu’ils développent. Tout le monde sait que la pile de Daniell est celle qui fournit le courant le plus constant (1). Cette pile mérite la préférence pour l’application des courants continus à certaines recherches électro- physiologiques. On aurait certainement tort de dire que la pile de Daniell donne un courant constant. Cette assertion ferait sourire les physiciens, car la moindre pratique de cette pile apprend bien vite combien cette assertion est peu exacte. Depuis plus de dix ans, j’ai constamment en action, dans mon cabinet, 2Ü à 25 éléments de Daniell à ballons, destinés les uns à charger mes appareils, comme je le dirai dans le chapitre IV, les autres à faire marcher, dans mon appartement, un télégraphe, des sonneries et une pendule élec- trique. Ce sont ces éléments réunis auxquels j’ai adjoint, au be- soin, une dizaine d’autres éléments de même espèce qui m’ont servi à une nouvelle étude de l’action des courants continus et les plus constants, étude dont j’exposerai les résultats dans le chapitre 111. Eh bien, je déclare que, malgré les plus grands soins, cette pile est loin d’être constante, et qu’il suffit des moin- dres variations de température pour occasionner d’un jour à l’autre, dans la force de son courant, des changements quelquefois consi- dérables. Ces variations de température diminuent ou augmentent la concentration des solutions salines, d’où résultent des variations proportionnelles dans la force du courant. Pour éviter ces oscilla- tions considérables de la pile, il est nécessaire que la température de la pièce où elle est renfermée soit maintenue constamment au (1) Aussi est-elle généralement employée dans la galvanoplastie. MÉTHODOLOGIE. même degré de température, par un système de chauffage'appro- prié (1). Ces précautions sont indispensables l’hiver, car il sullit d’une gelée pour affaiblir tout à coup la pile d’un quart, de moitié et quelquefois davantage. Ces changements de température occa- sionnent, en outre, des accidents et des détériorations dans la pile, qui alors se salit rapidement, et dont les vases poreux sont brisés par les cristaux qui se déposent dans leurs pores. L’été, la pile de Daniel! est toujours plus puissante, parce que les solutions salines sont plus concentrées; mais elles n’en sont pas moins exposées à des oscilla- tions considérables, quoique moindres que pendant l’hiver. — Dans les meilleures conditions, j’ai toujours dû faire nettoyer ma pile de Daniell au moins toutes les trois semaines. Il faut avoir la pratique de cette pile pour savoir combien cette manipulation est sale et prend de temps. — Si à tous ces embarras, occasionnés par l’usage de la pile de Daniell, on ajoute les soins et les frais nécessités par son en- tretien journalier, on comprendra combien il serait heureux pour la pratique de trouver une pile qui épargnât une telle dépense d’argent et de temps. Ce but me paraît avoir été atteint, en grande partie, dans ces derniers temps, par la pile au protosulfate de mercure de M. Marié- Davy, professeur de physique au lycée Bonaparte. Cette pile a fonc- tionné au ministère de l’intérieur pour le service de la télégraphie électrique, pendant huit mois, sans que l’on ait eu d’autres soins à prendre que de verser de temps en temps un peu d’eau dans cha- que couple au fur et à mesure qu’elle s’évapore. Son courant paraît avoir été, dans cette application à la télégraphie électrique, aussi constant que celui de la pile de Daniell. — .l’ai fait établir dans mon cabinet une pile au sulfate de mercure, de âO éléments, semblable à celle qui est employée au ministère de l’intérieur. Au moment où j’écris ces lignes, elle a déjà fonctionné cinq mois, comparati- vement avec la pile de Daniell, pour les nouvelles expériences électro-physiologiques et thérapeutiques sur les courants constants, expériences dont je rendrai compte dans le chapitre prochain; elle ne paraît pas avoir perdu beaucoup de sa puissance, et mar- chera, sans aucun doute, encore le même espace de temps. J’ai dû seulement faire verser de temps en temps un peu d’eau dans les couples pour remplir les vases. Cette pile ne m’a pas paru aussi sen- sible aux variations de température que la pile de Daniell. Elle a traversé l’hiver sans briser aucun vase poreux. Ses éléments n’ont (1) Les ateliers de galvanoplastie sont, pour celle raison, constamment chauffés à 25 degrés. GALVANISATION M0SCULA1IIE* LOCALISÉE. 53 qu’un tiers de la surface de ceux de Dauiell ; conséquemment elle occupe beaucoup moins de place, donne moins d’électricité de quantité (en d’autres termes, brûle beaucoup moins). Cependant elle jouit d’une puissance physiologique plus grande que la pile de Daniell. J’estime qu’au point de vue de sa puissance physiologique sur la contractilité, ZiO de ces éléments valent 60 éléments de Daniell. Assurément la pile au sulfate de mercure est inférieure à la pile de Daniell. Ainsi elle se polarise davantage, et s’use beaucoup plus rapidement sous l’influence de la fermeture du courant par un conducteur métallique, surtout lorsque ce courant est trop long- temps térmé. Ma pendule électrique, par exemple, qui ferme le courant une demi-seconde par chaque seconde, épuise en quelques jours (en trois jours) une pile au sulfate de mercure dont le vase poreux a été rempli par ce sel, tandis qu’elle marche trois semaines avec la pile de Daniell, à ballons, en conservant une force suffisante. Mais heureusement cette polarisation et cet épuisement rapides de la pile au sulfate de mercure, sous l’influence d’un courant trop prolongé, ne s’observent plus, ou du moins sont-ils très faibles, lorsque le conducteur intrapolaire est organique, en d’autres termes, mauvais conducteurs. C’est ainsi que j’ai pu faire passer un courant continu de ma pile au sulfate de mercure, pendant vingt à trente minutes, à travers les membres supérieurs, les mains plon- geant dans des bassins remplis d’eau et dans chacun desquels étaient placés les électrodes, sans que ce courant fût notablement affaibli après l’opération. Tout le monde comprend l’importance de ce fait pour l’emploi médical de la pile au sulfate de mercure. Un des plus grands inconvénients de la pile de Daniell, surtout pour son emploi médical, c’est de s’épuiser et de se salir il peu près autant lorsqu’elle ne fonctionne pas que lorsqu’elle est en action. 15 éléments de ma pile de Daniell à ballons ont été mis pendant trois semaines en action, pour l’usage de mon appareil de cabinet : de mes sonneries, de mon télégraphe de chambre et de ma pendule électrique; tandis qu’une pile composée de là autres éléments de Daniell est restée au repos pendant le même temps. Eh bien, celle-ci ('■tait affaiblie, épuisée et salie presque autant que la première. La pile au protosulfate de mercure s’épuise au contraire très peu dans l’intervalle de ses applications; c’est sans aucun doute ce qui lui permet de fonctionner un espace de temps aussi considérable (jus- qu'il six à huit mois) pour certains usages. La possibilité de con- server aussi longtemps une pile au sulfate de mercure sans avoir à la nettoyer, et surtout sans devoir lui donner des soins incessants, 54 MÉTHODOLOGIE. lui assure une supériorité incontestable sur la pile de Daniell. En somme, l’ensemble de tous ces avantages me fait donner la préférence à la pile au protosulfate de mercure, pour l’applica- tion des courants continus à la physiologie et à la thérapeutique. La description de cette pile, d’invention toute récente, ne se trouve pas encore dans les livres classiques. C’est pourquoi je juge opportun de décrire ici celle que j’ai fait établir sur le modèle de celle qui fonctionne au ministère de l’intérieur. — Chaque élé- ment de cette pile au protosulfate de mercure se compose, comme le couple de Bunsen : 1° d’un vase extérieur de verre et cylindrique; 2° d’un zinc; 3° d’un vase poreux également cylin- drique, et d’un charbon placé dans ce dernier. Le vase extérieur, de 8 centimètres de hauteur sur 6 centimètres de diamètre, est rempli au tiers d’eau commune, dans laquelle plonge le zinc, qui a 7 centimètres de hauteur et dont le diamètre est de 4 centimètres et demi; le vase poreux, de même hauteur que le zinc et de 3 cen- timètres et demi de diamètre, est rempli au tiers d’une pâte de protosulfate de mercure (1). Dans cette pâte on enfonce un charbon de 12 centimètres de hauteur sur 2 centimètres et demi de largeur et 12 millimètres d’épaisseur. Une lame de cuivre rouge, rivée et soudée par l’une de ses extrémités au zinc de l’élément, est mise en communication avec chaque charbon de l’élément voisin. —Inutile de dire que la pile composée de 40 éléments semblables à celui que je viens de décrire se monte comme toutes les autres piles pour obtenir des effets physiologiques. Ces détails se trouvent dans les traités élémentaires de physique. — Plusieurs inconvénients m’ont d’abord fait douter de l’excellence de cette pile. Les lames de cuivre s’oxydaient rapidement dans les points de contact avec les charbons, et se brisaient par le fait de leur amalgame avec le mercure. J’ai évité ces inconvénients en donnant aux charbons une hauteur telle que le liquide acide et mercuriel remonte plus diffi- cilement jusqu’au point de contact, et j’ai empêché l’endosmose en plongeant l’extrémité supérieure des charbons dans de la cire fondue qui, en se refroidissant, bouche les pores de ces charbons qu’elle avait pénétrés, et, pour plus de solidité, j’ai mis une couche de vernis à l’extrémité supérieure de ces charbons, excepté dans les points de contact. Enfin, j’ai fait platiner les lames de cuivre dans leurs points de contact. (1) Pour préparer cette pâte, il suffit de verser de l’eau sur la quantité de poudre de protosulfate de mercure qui doit servir à charger tous les éléments, et de bien la mêler jusqu'à consistance de pâte. Cette préparation doit être faite au moment de monter la pile. Le prix élevé du sulfate de mercure et les dangers que l’on pour- rait craindre de sa manipulation nuiront à la vulgarisation de cette pile mercurielle. M. Marié-Davy l’a pressenti ; aussi s’est-il em- pressé de chercher à faire disparaître ces inconvénients. Il vient de découvrir que le sulfate de plomb donne des résultats à peu près aussi satisfaisants, pour la durée de la pile, que le sulfate de mer- cure, et il a fait construire une pile au sulfate de plomb très ingé- nieuse, d’un petit volume, presque portative, dont l’entretien est facile et très peu dispendieux. Je l’expérimente actuellement com- parativement avec la pile au sulfate de mercure et avec la pile de Daniell. Quoique je ne sois pas encore en mesure de porter un juge- ment sur sa valeur, je suis heureux de dire que M. Marié-Davy est convaincu que cette pile à bon marché remplacera avantageuse- ment la pile de Daniell, pour un grand nombre d’usages (1). GALVANISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. 55 Pour diminuer certains inconvénients des piles à large surface, on a imaginé des appareils composés d’une multitude de petits couples qui peuvent être réunis dans un étroit espace, et qui don- nent, sous un petit volume, d’assez grands effets physiologiques sur la contractilité musculaire, à l’entrée et à la sortie des courants, sans avoir à craindre une action calorifique trop intense. Voici la description de plusieurs de ces petits appareils électro- moteurs qui constituent réellement un progrès dans l’art de la fabri- cation des piles galvaniques, au point de vue de leur application à certains cas thérapeutiques, bien qu’ils soient loin de réunir l’en- semble des propriétés qu’ils devraient posséder. a. On avait construit depuis longtemps en Angleterre une petite pile à colonnes (diminutif de la pile de Volta), dont chaque disque, formé de deux plaques de cuivre et de zinc soudées ensemble, offrait à peine 1 centimètre et demi de diamètre (2). Cette pile se composait d’un plus ou moins grand nombre de couples. Les disques et les rondelles de drap qui séparent ces couples offraient à leur centre un orifice au moyen duquel on les enfilait sur une mèche de coton, sous forme de colonne. Voulait-on mettre cette petite batterie en activité, on la plongeait dans du vinaigre. Les rondelles et la mèche de coton restaient longtemps imprégnées de ce liquide, après qu’on les en avait retirées. Le courant de cette pile était assez constant, parce que l’acide employé (le vinaigre) attaquait peu les plaques métalliques. (1) La pile au sulfate de plomb est fabriquée par M. Prud’homme, avenue Victoria, 7. (2) 11 en existe un modèle au Conservatoire des arts et métiers. Cette petite pile voltaïque avait l’avantage d’occuper peu d’espace; mais son emploi exigeait qu’on la nettoyât chaque fois; ce qui occasionnait une perte de temps assez considérable. Grâce cependant à la multiplicité des éléments, combinés avec la diminution des surfaces, on augmentait la puissance physiologique de la batterie en diminuant son action calorifique et le volume de l’appareil. C’était évidemment un progrès dont l’utilité, malheureusement, a été peu comprise, car cet appareil est resté à peu près généralement inconnu, et l’idée qui avait présidé à sa construction a été trop longtemps négligée. MKTI10D0I.0G1K. b. Dans ces dernières années, on a imaginé de petits appareils voltaïques connus sous le nom de chaînes galvaniques, qui reposent sur les mêmes principes, c’est-à-dire qui se composent d’un très grand nombre d’éléments et présentent peu de surface. Les premières chaînes de Golberger, qui ne possédaient aucune espèce de propriété, parce que les éléments qui les composaient n’étaient pas disposés dans les conditions nécessaires au développe- ment d’un courant galvanique, ont bientôt donné naissance aux chaînes galvaniques de Pulverrnacher (fig. 3 et h). L’appareil de ce mécanicien est admirablement combiné pour produire, sous un petit volume, des courants galvaniques d’une grande puis- sance physiologique avec une action calorifique modérée. En voici les principales disposi- tions ; Chacun des couples do ces chaînes galvaniques se com- pose d’un fil de zinc enroulé en spires serrées, sans toutefois se toucher, sur un petit cylindre de bois de 1 centimètre et demi à 2 centimètres de longueur et de 5 à 6 millimètres de largeur. Ces couples, réunis entre eux par de petites boucles de cuivre (les fils de cuivre communiquent avec le fil de zinc et vice versa), forment des chaînes dont la lon- gueur varie suivant l’intensité qu’on veut obtenir. On peut ainsi former des batteries qui se composent de 300 à h00 éléments. Ces chaînes , après avoir été trempées dans du vinaigre, donnent nais- sance à des courants, et conservent pendant plusieurs heures cette propriété, qui cependant s’affaiblit notablement dans un temps assez Fig. 3. Fig. 4. court. La chaîne de Pulvermacher, qui, on le voit, est une heureuse modification de la pile de Yolta, a été principalement destinée à être appliquée, sous forme de topique, et l’excitation électro-cutanée qu’elle produit peut être avantageusement employée pour com- battre les douleurs rhumatoïdes ou les névralgies rebelles. Mais les interruptions continuelles dues à sa mobilité en font un appareil mal approprié à l’électrisation musculaire. (Je reviendrai sur cet appareil à l’occasion de l’électrisation de la peau.) GALVANISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. 57 c. Pour éviter les inconvénients de cette mobilité des éléments, j’avais imaginé un petit appareil voltaïque, reposant aussi sur le principe de la multiplication des éléments et de la diminution des surfaces. Il était formé de petits cubes d’un centimètre et demi de hauteur, composés chacun d’un ruban de zinc et d’un ruban de cuivre repliés plusieurs fois sur eux-mêmes et séparés par un petit diaphragme de toile, ou mieux de peau de baudruche ; ces petits cubes, soudés entre eux et disposés de manière que les lames de cuivre communiquassent avec les lames de zinc, étaient placés dans un châssis de bois (fig. 5). On pouvait ainsi réunir 150 de ces petits couples dans un châssis Fig. 5. qui présentait une surface de 16 centimètres sur 12. J’avais donné à ce petit appareil le nom de pile à rubans. Pour le mettre en action, je le laissais plongé pendant quelques minutes dans un bac conte- nant une certaine quantité de vinaigre. Un rhéotome (appareil propre à produire des intermittences), marchant à l’aide d’un instru- ment d’horlogerie et mis en rapport avec l’un des pôles, me per- mettait d’obtenir à volonté des intermittences plus ou moins rapides. Je n’ai pas besoin de faire ressortir les avantages de cette pile vol- taïque dont les éléments étaient fixes et soudés.les uns aux autres, 58 avantages que je n’ai pas trouvés dans les chaînes de Pulvermacher. Celles-ci ne peuvent servir que comme topiques galvaniques ; celles-là sont plus sûres et d’un usage plus commode, quand on veut faire, pour certains cas, de la galvanisation localisée. Enfin cette pile à rubans était tout aussi puissante que la chaîne de Pulvermacher, et n’était pas, comme elle, exposée à une détérioration aussi rapide. J’avouerai que je me servais de ma pile à rubans seulement dans les cas où il est indiqué d’exciter vivement la rétine. d. A ma pile à rubans j’ai préféré le petit appareil électromoteur représenté dans la figure 6. Conçu dans le même esprit, bien que MÉTHODOLOGIE. Fig. 6. ses éléments diffèrent de ceux de la pile à rubans, il est plus habilement construit, d’un maniement et d'une construction plus faciles. Enfin, grâce à un mécanisme ingénieux qui fait corps avec l’appareil, on peut l’appliquer par courant continu, par intermit- tences très rapides, ou plus ou moins lentes, au moyen d’un volant qui tourne seul pendant dix à quinze minutes, lorsqu’une im- pulsion lui a été donnée (1). Voici sa description : (1) Ce petit appareil électromoteur, qui a figuré à l’exposition de 1855, est fabriqué par son inventeur, M. A. Mathieu, mécanicien, rue d’Angoulême, S8. Cette pile ou batterie, d’une petite dimension, est renfermée dans une boîte élégante qui se sépare en deux dans sa hauteur. GALVANISATION MUSCULAIKE LOCALISÉE. 59 La partie inférieure reçoit le liquide nécessaire pour charger la pile. Dans la partie supérieure, une tablette reçoit les extrémités de ZiOO éléments de forme cylindrique, à claire-voie ; ces éléments entrent l’un dans l’autre par paire, un de laiton dans un de zinc, et sont séparés par un léger tube perméable, ce qui fait de ces assem- blages tubulaires autant de couples voltaïques. Le liquide les enve- loppe de tous côtés, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, et, quand la pile fonctionne, il redescend en suivant les parois, qu’il lave constamment. Entre le couvercle, qui est fermé par une glace, et l’espace oc- cupé par la batterie, se trouve placé le mécanisme des intermit- tences. Le mouvement en est fourni par un volant lancé à l’aide d’une crémaillère. Les intermittences rapides sont produites par les vibrations d’un ressort ébranlé par le volant. Les intermittences lentes sont obtenues par le moyen de deux roues dentées, égale- ment conduites par le volant, et qui agissent à l’aide de chevilles sur un levier disposé à cet effet. Chacune des roues produit une intermittence différente ; on met en action l’une ou l’autre roue par le jeu de la coulisse, qui les supporte en tirant plus ou moins la tige B, jusqu’aux arrêts. A droite, sont les boutons qui commandent le mécanisme. A gauche, sont les écrous pour fixer les conducteurs, et avec les- quels la batterie se met en communication sans qu’on ait à s’en occuper. Pour avoir le courant continu, le conducteur attaché à l’écrou N est transporté à l’écrou D. La pile se charge avec le vinaigre ordinaire; ou avec l’acide pyro- ligneux pur ou étendu d’eau ; ou avec l’acide acétique cristallisé, dans la proportion moyenne de 10 grammes par demi-litre d’eau; ou même avec l’eau salée. Si l’on veut transporter l’appareil en ville, on le vide dès qu’il est chargé, et cela fait, il fonctionne toute une journée sans perdre sen- siblement de son intensité. Une coulisse D permet de graduer l’intensité du courant avec une régularité parfaite. L’action calorifique, ai-je dit, est diminuée dans les appareils à petite surtace que je viens de décrire (petite pile à colonnes, chaîne de Pulvermacher, pile à rubans de Duchenne, piles de Mathieu), mais elle ne l’est pas au point de ne pouvoir être utilisée à foc- MÉTHODOLOGIE. casion. En effet, ces appareils désorganisent parfaitement la peau, en la faisant passer par tous les degrés de la brûlure, lorsqu’on limite leur action dans cet organe. Ils peuvent, en conséquence, remplacer, jusqu'à un certain point (1), le moxa et la cautérisation transcurrente. Ils sont même préférables à ces moyens, en ce qu’ils se graduent assez bien pour produire une cautérisation plus ou moins lente, suivant les indications particulières, tandis que le feu désorganise rapidement les tissus, et que la douleur cesse immédia- tement après la formation de l’eschare. Ces appareils, pouvant faire contracter assez énergiquement les muscles, semblent, au premier abord, devoir être très utiles dans le traitement des paralysies. Malheureusement ils sont exposés à s’affaiblir rapidement presque aussitôt après qu’on les a mis en action. Pour en donner une idée, il me suffira de rapporter une des expériences que j’ai faites sur ce sujet avec l’appareil de M. Pulver- macher. Je dirigeai un courant intermittent sur le biceps brachial, l’appareil étant à son maximum. La contraction du muscle fut telle, à la première intermittence, que l’avant-bras se fléchit violemment sur le bras, et que le sujet éprouva une assez vive sensation. Mais la seconde contraction fut un peu moins forte que la première, et les contractions suivantes s’affaiblirent de plus en plus, au point qu’a- près un certain nombre d’intermittences (une vingtaine), le biceps se contractait à peine. Je renouvelai pendant plusieurs jours cette expérience sur différents muscles, et je constatai que cet affaiblis- sement est d’autant plus rapide, que les intermittences sont plus rapprochées. Le courant continu épuise l’appareil plus vite encore que le courant intermittent. Ces petits appareils sont donc puis- sants à la condition, pour ainsi dire, de ne pas être mis en action ! Mais cet affaiblissement n’est que temporaire; car si le cercle est interrompu pendant un quart d’heure, l’appareil se recharge en général et récupère sa force première. L’affaiblissement temporaire de ces petites piles voltaïques, même sous l’influence des courants intermittents, joint à leur épuisement progressif et continu, ne permet que difficilement qu’on ep mesure et qu’on en calcule l’action. En raison de ces causes d’affaiblissement auxquelles est exposée leur puissance physiologique, ces piles à petite surface sont, on le conçoit, inapplicables à la localisation de l’excitation électrique dans chacun des muscles ou des nerfs, sur- (1) Si l’on voûtait produire une cautérisation rapide et profonde, comme avec le moxa, il faudrait employer une batterie à large surface, comme celle qui a été imaginée par M. Regnault, et que j’ai déjà mentionnée page 21, ou mieux encore la pile puissante et ingénieuse de M, Grenet. 4 ARABISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. 61 tout pour les études électro-physiologiques et pathologiques qui exigent une grande précision. Comment, en effet, mesurer une force qui subit de telles variations? Comment la graduer de manière à en proportionner la dose au degré d’excitabilité des organes, si va- riable dans l’état de santé ou de maladie (1)? Les préceptes qu’il conviendrait de suivre pour pratiquer la gal- vanisation musculaire localisée par courants intermittents sont absolument les mêmes que ceux qui vont être exposés à l’occasion de la faradisation musculaire localisée. La polarisation considérable et rapidement reproduite dans ces petites piles voltaïques par le courant continu, ne permet pas de les appliquer à l’étude physiologique ou thérapeutique des courants continus. Des trois espèces d’électricités, l’électricité d’induction estcelle qui convient le mieux à l’électrisation musculaire, surtout quand cette opération doit être longtemps et fréquemment pratiquée. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les propriétés physiologiques et thérapeutiques spéciales dont jouit cette espèce d’électricité, pro- priétés que j’ai exposées dans le premier chapitre. On sait, en effet, que la faradisation peut provoquer les plus fortes contractions mus- culaires, sans exciter vivement en même temps la sensibilité cuta- née, sans produire de commotion, sans jeter les organes dans une sorte de stupeur, sans déchirer les vaisseaux capillaires; en un mot, sans occasionner, comme l’électricité statique, tous les accidents contre lesquels les sujets réagissent quelquefois difficilement. On sait aussi que si le galvanisme et le faradisme possèdent, à peu près, à un égal degré, la vertu de se recomposer plus ou moins profondément sous la peau, comme je le prouverai plus loin, ou, en d’autres termes, de concentrer leur action dans les muscles ou dans les nerfs, sans exciter la peau; ou sait, dis-je, que les pro- priétés chimiques et physiologiques du faradisme sont infiniment peu développées comparativement à celles du galvanisme, et qu’elles sont trop faibles pour être appréciables pendant la faradisation § III. — Faradisation musculaire localisée. (1) M. Remak, critiquant mes idées sur l’action du courant galvanique, a écrit (Galvanolhérapie, Paris, 1860, p. 46): « M. Duchcnne semble ignorer la différence qui existe entre une chaîne constante et inconstante, quoiqu’il vive, à Paris, à coté de M. Becquerel, le célèbre inventeur des chaînes constantes? » Etait-il de bonne foi? ou u’avait-il pas compris les considérations que je viens de développer, cl qui se trouvaient aussi dans l’édition précédente (Paris, 1855, p. 42). 62 MÉTHODOLOGIE. musculaire; ou sait, enfin, que la faradisation produit faiblement le phosphène, et que cette action sur la rétine ne complique pas d’une manière fâcheuse, comme le galvanisme, l’électrisation des muscles de la face. On peut donc dire avec raison que l’électricité faradique, qui n’altère en rien les tissus, est l’électricité essentiellement médicale. C’est lorsqu’il s’agit de limiter exactement la puissance électrique dans chacun des muscles ou '.faisceaux musculaires, dans chacun des nerfs, que l’on comprend l’importance du faradisme et la néces- sité de se servir d’appareils d’induction qui réunissent l’ensemble des propriétés que je viens d’énumérer : tels sont ceux que j’ai dû examiner dans ce but spécial. Le choix d’un bon appareil est d’une telle importance dans la pratique de la faradisation localisée, que j’ai dû consacrer un cha- pitre entier (le chapitre IV) à l’étude de cette question. Les considé- rations que j’aurai à exposer sur ce sujet ne pourront être bien comprises que lorsque j’aurai exposé l’ensemble des données anatomiques et physiologiques sur lesquelles repose la faradisation localisée. Pour le moment, je me contenterai de dire que sans ces appareils de précision, la faradisation localisée eût été à peu près irréalisable, et que je n’aurais pu sans leur secours ouvrir la voie de recherches électro-physiologiques, pathologiques et thérapeutiques, dont l’im- portance est aujourd’hui bien établie. A. — Mode opératoire. La faradisation musculaire se pratique, soit en concentrant l’exci- tation électrique dans les plexus, dans les troncs ou filets nerveux, qui la conduisent aux muscles placés sous leur dépendance, soit en dirigeant cette excitation sur chacun des muscles ou sur chacun de leurs faisceaux. Dans ces ditïérentes opérations, les réophores doi- vent toujours être aussi rapprochés que possible l’un de l’autre. Le premier mode de faradisation produit des mouvements d’en- semble, c’est-à-dire la contraction en masse de plusieurs muscles ou de tous les points d’un muscle : c’est la faradisation musculaire indirecte; le second donne des mouvements plus partiels par l’exci- tation d’un muscle, d’une portion de muscle ou d’un faisceau mus- culaire : c’est la faradisation musculaire directe. Chacun de ces modes de làradisation exige un procédé spécial que je vais décrire. On sait qu’en plaçant sur la peau les réophores humides d’un appareil d’induction, l’électricité concentre sa puissance dans les FARADISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. organes situés immédiatement au-dessous de cette peau. En consé- quence, pour provoquer ia contraction musculaire, il suffira de placer ces réophores sur les points correspondants à la surface ou des muscles ou des nerfs qui les animent. Les réophores sont mis en communication avec les extrémités intrapolaires d’un appareil d’induction par des conducteurs mé- talliques. Sur les muscles du tronc qui présentent une large surface, j’ap- plique des éponges humides enfoncées dans des cylindres ou des disques métalliques (fig. 8) recouverts de peau humide. Ces der- niers se vissent sur des manches isolants, comme dans la figure 7. Pour limiter l’action électrique dans les muscles qui présentent peu de surface, comme ceux de la face, des inlerosseux, je me sers de réophores métalliques coniques (fig. 9 et 10) qui se vissent sur les manches isolants de la figure 7. Les réophores coniques sont recouverts d’une peau (1) trempée dans l’eau, et présentés par leur extrémité aux points qui recouvrent les muscles à faradiser. Ils me servent aussi à porter l’action électrique sur les troncs et les filets nerveux, lorsque je pratique la faradisation musculaire indirecte. La peau humide qui recouvre les réophores métalliques oppose au courant faradique beaucoup moins de résistance que les éponges humides. Ce phénomène est dû à la différence d’épaisseur de ces deux mauvais conducteurs, quidoiventêtre traversés par le courant dirigé sur la sur- face du corps. Aussi, dans certaines circonstances, pré- féré-je aux éponges les rhéo- phores métalliques à large surface (fig. 8), et recouverts également de peau humide, à cause de la propriétéqu’ils ont d’augmenter la force du courant. Ces derniers réo- phores ont, en outre, l’avan- tage de pouvoir être plus ou moins appuyés sur la peau, sans exposer les malades à être gâtés, comme avec les éponges humides, par l’eau trop abondamment exprimée. Fig. 7. Fig. 8. Fig. 9. Fig. 10. (1) Je me sers habituellement de doigts de gant de peau retournés, et dont je coiffe les réophores coniques. MÉTHODOLOGIE. 13. — Faradisation musculaire indirecte. La faradisation musculaire indirecte exige, on le conçoit, la connaissance exacte de la position et des rapports anatomiques des nerfs. Elle est des plus simples sur les membres, où la plupart des troncs nerveux, sous-cutanés dans un point de leur continuité, sont accessibles aux réopbores. Au membre supérieur, l’action électrique peut être limitée exactement, dans le médian, au tiers inférieur et interne du bras ; dans le cubital, à son passage dans la gouttière qui sépare l’épi- trochlée de l’olécrâne. La faradisation du radial se pratique en dehors de l’humérus et à la réunion de ses deux tiers supérieurs avec son tiers inférieur, dans le point où ce nerf se dégage de la gouttière humérale. Il est impossible alors de ne pas stimuler en même temps, d’une manière directe, quelques libres du triceps et du brachial. Le musculo-cutané se faradise dans le creux de l’aisselle. On peut aussi limiter l’action électrique dans quelques branches terminales, par exemple dans celle qui anime les muscles de l’éminence thénar et dans les nerfs collatéraux. Au membre inférieur, la faradisation musculaire indirecte est encore plus simple. On trouve, en elfet, le crural au pli de l’aine, en dehors de l’artère crurale, et les deux poplités dans le creux du jarret. On doit savoir que l’excitation électrique ne peut arriver au poplité interne, qui est protégé par une grande épaisseur de tissu cellulaire, sans un courant assez intense. Le nerf sciatique n’est accessible qu’à son origine dans le bassin, à travers la paroi postérieure du rectum. Le procédé de faradisation qu’il convient d’employer dans ce cas sera exposé plus tard. Dans les autres régions, la faradisation musculaire indirecte de- vient plus difficile et plus délicate. A la face, le tronc de la septième paire, caché dans l’épaisseur de la parotide, est inaccessible à l’ex- citation électrique, quelle que soit l’intensité du courant. On peut atteindre le tronc de la septième paire à sa sortie du trou stylo- mastoïdien, en plaçant dans le conduit auditif externe un réophore conique coiffé d’une peau humide, et enappuyant sur le cartilage inférieur : dans ce point, le tronc nerveux n’est séparé du réophore que de 3 à k millimètres. Ses rameaux doivent être laradisés à leurs points d’émergence de la parotide; la contraction des muscles qui sont sous la dépendance de ces rameaux est l’indice certain de leur excitation électrique. Dans la région sus-claviculaire, le réophore, placé immédiatement au-dessus de la clavicule, agit sur le plexus brachial ; au sommet du triangle sus-claviculaire, il se trouve en rapport avec la branche externe du spinal ; à un travers de doigt au-dessus de la clavicule, au niveau de l’attache claviculaire du trapèze, le rhéophore agit sur le nerf qui anime le grand dentelé et le deltoïde; à la même distance de la clavicule et vers l’attache inférieure du cléido-mastoïdien, ce sont les nerfs qui se distribuent aux pectoraux, aux fléchisseurs de l’avant-bras sur le bras et à tous les muscles de la région antérieure de l'avant-bras qui reçoivent l’excitation (1). Enfin, au niveau du scalène antérieur, il porte l’in- fluence électrique dans le phrénique. J’exposerai le procédé qu’il convient d’employer, quand on veut faradiser ce dernier nerf, à l’occasion de l’étude électro-physiologique et pathologique du dia- phragme. Le grand hypoglosse est presque sous-cutané au niveau de la grande corne de l’os hyoïde, dans le point où il s’engage entre le stylo-hyoïdien et l’hypoglosse. C’est là que doivent être placés les réophores, quand ou veut faradiser ce nerf. Je dirai plus tard com- ment on doit procéder à la faradisation du glosso-pharyngien, du pneumogastrique et du récurrent. FARADISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. 65 G. — Faradisation musculaire directe. La faradisation musculaire directe consiste, on le sait, à faire contracter individuellement chaque muscle ou chaque faisceau musculaire, ou plutôt à exciter directement le tissu musculaire en plaçant les réophores humides sur les points de la peau qui corres- pondent à leur surface. On ne doit administrer aux muscles qu’une dose d’électricité proportionnelle à leur degré d’excitabilité qui est variable pour chacun d’eux. En conséquence, il est nécessaire que l’opérateur ait toujours une main libre, prête à agir, pendant la faradisation, sur le graduateur de l’appareil. Cette même main sert aussi à opérer les intermittences du courant (je dirai plus tard comment elles se pra- tiquent). Cette partie de l’opération ne doit jamais être confiée à un étranger, car le médecin doit ralentir ou presser le mouvement intermittent, suivant les indications particulières. Ces indications se présentent à chaque instant, quelquefois même pendant la faradi- sation d’un seul muscle. Une seule main (la main opposée à celle (1 ) Je ®U'S certain que dans les différents points que j’indique, se trouvent, au milieu du plexus brachial, les fibres nerveuses constitutives de chacun des nerfs qui en naissent; car j’ai répété des milliers de fois ces expériences, et tou- jours en plaçant les rhéophores sur ces points, j’ai vu entrer en contraction les muscles qui reçoivent l’action nerveuse spinale de chacun de ces nerfs. DÜCHENNE. MÉTHODOLOGIE. qui exécute la graduation ou les intermittences) doit tenir et ma- nœuvrer les rhéophores, la poignée de l’un étant placée entre le pouce et l’index, et celle de l’autre entre le médius et l’annulaire ; Fig. il. les doigts sont fléchis de manière à les maintenir dans la paume de la main. Ce procédé permet de pra- tiquer la faradisation avec une grande rapidité. Les figures 11 et 12 sont des- tinées à montrer la manière de tenir les réophores d’une seule main. Dans la figure 11, les réophores cylindri- ques garnis d’éponges humides, ou les réophores à disque recouverts de peau humide, sont placés dans la main gauche, et l’autre main exécute les intermittences rares, en imprimant des mouvements de rotation en sens opposé à la vis G. La figure 12 représente les réophores coniques coiffés d’une peau humide, tenus dans la main gauche et posés sur le muscle triangulaire des lè- vres. 11 faut toujours placer les réopho- res au niveau de la masse charnue des muscles, et jamais au Fig. 12. niveau de leurs tendons; car {(est-il besoin de le dire?) la stimu- lation de ces derniers ne peut produire la contraction musculaire. FARADISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. 67 Pour faradiser complètement un muscle, il serait nécessaire que les réophores recouvrissent toute sa surface; ou s'ils n étaient pas assez larges, ils devraient être appliqués successivement sur tous les points de cette surface. — Plus un muscle est épais, plus le courant doit être intense; car si ce courant est faible, l’excitation n’a lieu que dans ses couches superficielles. Je vais développer cette proposition capitale et en démontrer la vérité : 1° Lorsque l’on pose des rhéophores Immides sur la partie supé- rieure d’un muscle long, on voit, sous l’influence d’un courant d’induction, de force moyenne, cette partie se gonfler, et on la sent se durcir; si les mêmes rhéophores sont placés sur la partie inférieure du même muscle, c’est cette dernière qui se gonfle et se durcit à sou tour. Des rhéophores appliqués sur un point de la surface d’un muscle large font contracter seulement les libres qui se trou- vent en rapport avec lui, tandis que les fibres voisines restent dans le relâchement. H résulte donc de ces faits que l’excitation d’un muscle n’a lieu que dans les points qui sont en rapport avec les rhéophores. 2° Mes recherches m’ont appris que, sous l’influence d’appareils à forte tension, l’électricité pénètre profondément les tissus. Voici quelques expériences à l’appui de cette proposition. Dans la para- lysie saturnine, certains muscles de la région postérieure de l’avant- bras sont atrophiés et ne se contractent pas sous l’influence de la faradisation ; c’est ce que je démontrerai par la suite. Si la tension du courant est modérée, on n’observe aucun mouvement dans le membre, quand les rhéophores sont placés au niveau des muscles paralysés; si la tension du c urantest très grande, on voit les mus- cles situés au-dessous des muscles paralysés entrer en contraction. Dans le premier cas, l’excitation électrique a été limitée dans les muscles paralysés; dans le second, elle les a traversés pour agir sur les muscles qu’ils recouvrent. Chez les sujets très gras ou in- filtrés, l’électricité ne peut arriver aux muscles qu’à l’aide d’un courant à forte tension. 11 ressort donc de ces faits que, dans la faradisation musculaire directe, la tension du courant doit être proportionnée à l’épaisseur des muscles et des tissus à traverser. Il est bien entendu que dans toutes ces.expériences on a soin de ne pas exciter les nerfs musculaires, soit en plaçant les réophores loin de leur émergence ou de leur immersion, soit en opérant à une 68 tension modérée, lorsqu’on ne peut les éviter. En effet, les rhéophores humides ne se trouvant en rapport qu’avec la face externe des muscles, et les nerfs musculaires n’arrivant aux muscles des régions superficielles que par leur face profonde, on est certain qu’à un courant modéré les contractions musculaires n’ont pas lieu par l’in- termédiaire de ces nerfs. MÉTHODOLOGIE. 3° Lorsque les rhéophores humides sont posés dans des points correspondants à la surface d’un muscle, l’excitation produite par les recompositions électriques agit simultanément sur tous les élé- ments anatomiques (fibres musculaires, filets nerveux, moteurs, sensibles et ganglionnaires, vaisseaux artériels et veineux) qui con- stituent le tissu de la portion musculaire excitée; tandis que si la contraction musculaire est produite indirectement, c’est-à-dire en plaçant les rhéophores sur un tronc nerveux et loin du tissu des muscles en contraction, les fibres musculaires sont seules excitées. En conséquence, la faradisation directe d’un muscle n’est pas com- plète alors môme que l’on a produit sa contraction en masse par l’excitation de son nerf propre, si les rhéophores n’ont pas été pro- menés sur tous les points correspondants à la surface de ce muscle. Me faut-il ajouter que chez l’homme vivant, dont on excite les muscles par ce procédé de faradisation directe, on ne peut agir iso- lément sur chacun de ces éléments anatomiques, puisque tous ces éléments reçoivent inévitablement en même temps l’excitation di- recte du courant? Une telle remarque serait, de ma part, une naïveté ou une injure faite gratuitement au savoir de mes lecteurs. Per- sonne, à coup sûr, n’ignore que ces éléments ne peuvent être séparés que par une préparation anatomique. J’ai depuis longtemps préconisé la faradisation musculaire directe dans le traitement des affections où les propriétés musculaires étaient lésées, et principalement dans les atrophies ou les paralysies atrophiques. Ce précepte reposait sur une longue expérimentation ; il ressortait de faits nombreux relatés dans plusieurs mémoires reproduits dans la précédente édition. Ce précepte n’a pas été, sans doute, assez explicitement énoncé dans mes écrits; car certains auteurs ont attaqué avec violence la faradisation musculaire directe. Suivant M. Remak et suivant d’autres auteurs (ses adeptes), je n’agirais sur le muscle, dans ce mode d’électrisation, que par l’intermé- diaire de son nerf propre, en plaçant mes réophores au niveau du point d’immersion de ce dernier. Pour travestir ainsi la mé- thode de faradisation musculaire directe, il faut que mes contra- dicteurs n’aient pas lu que j’ai recommandé, comme on l’a vu plus haut, de promener les rhéopliores humides sur tous les points correspondants à la surface cutanée des muscles. Que par ce pro- cédé le nerf musculaire propre soit quelquefois atteint, si le cou- rant est assez intense, cela est incontestable; mais pour que la faradisation directe soit complète, il n’en faut pas moins porter l’ex- citation sur toute la surface musculaire. Il est vrai que M. Remak nie l’existence de l’irritabilité (1) et de la sensibilité musculaire. Conséquemment, quelle peut-être, pour lui, l’utilité de l’excitation électrique directe du muscle? FARADISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. 69 Accordons, ce que je conteste, que ces propriétés soient tout autant excitées par l’intermédiaire des nerfs que lorsque les réo- phores sont placés sur le tissu musculaire, est-ce qu’il peut être indifférent pour la thérapeutique que l’excitation électrique soit dirigée directement sur les vaisseaux artériels (qui se contractent, on le sait, sous l’influence de cet agent) et veineux, sur les nerfs ganglionnaires, en un mot, sur toutes ces parties constituantes du tissu musculaire. M. Remak est trop bon physiologiste pour ré- pondre négativement? Un peu de réflexion aurait donc dû lui faire comprendre l’importance thérapeutique de la faradisation muscu- laire directe. Rien n’est facile comme la faradisation musculaire directe, sur- tout dans les régions superficielles du tronc et des membres, si l’on possède certaines connaissances anatomiques, et principalement la connaissance de l’anatomie des surfaces. Pour les muscles des régions profondes des membres, la faradisation musculaire directe offre plus de difficultés, bien que la plupart d’entre eux présentent, sous la peau, un point de leur tissu par lequel ils sont accessibles à l’excitation directe. J’aurais pu indiquer dans un tableau synoptique les points sur lesquels les réophores doivent être placés, quand on pratique la faradisation directe et partielle des muscles. Mais un tel travail me (1) M. Remak, en me faisant dire que, par l’électrisation directe, la fibre musculaire se contracte seulement en vertu de son irritabilité (de l’irritabilité hallérienne), m’attribue une énormité que je n’ai jamais commise. Cette asser- tion étrange se trouve dans une brochure intitulée : Ueber melhodische electri- sirung gelœhmter Muskeln (Berlin, 1836), dans laquelle l’auteur attaque vivement (je pourrais dire avec passion) la méthode de l’électrisation localisée. Ma réponse à cette brochure a été publiée en mai 1856, dans un journal allemand très connu et très estimé, et rédigé par mon ami M. le professeur Richter : Jahrbücher fur gesammle Medizin. Elle a été reproduite en 1856, dans un journal français, la Revue médicale. 70 MÉTHODOLOGIE. ferait sortir des limites que je me suis imposées; il serait peu utile, d'ailleurs, à ceux qui n’ont pas oublié leur rayologie. Cependant le praticien qui désire se perfectionner dans l’art de la faradisation localisée, doit étudier la rnyologie à un point de vue spécial, c’est- à-dire qu’il est tenu de connaître exactement les lieux dans lesquels les muscles des régions superficielles ou profondes sont en rapport avec la surface cutanée. Quant à ceux qui sont inaccessibles à la faradisation directe (et ils ne sont pas en grand nombre), on a tou- jours la ressource de leur communiquer l’excitation électrique par l’électrisation musculaire indirecte : par les nerfs qui les animent. D. — Excitabilité des nerfs et des muscles. La faradisation d’un nerf mixte ou d’un muscle produit toujours, à l’état normal, une contraction et une sensation. Il importe surtout à celui qui veut étudier l’art de la faradisation localisée, pour l’appli- quer à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique, de bien connaître le degré d’excitabilité du nerf ou du muscle sur lequel il dirige le stimulant électrique. En effet, si tous les organes jouis- saient du même degré d’excitabilité, la pratique de cette méthode de faradisation serait des plus faciles. 11 suffirait de savoir quelle est l’épaisseur des tissus à traverser et quelle résistance ils doivent opposer au courant, dans quelles conditions de sécheresse ou d’hu- midité doit se trouver la peau, enfin quelle doit être la forme des rhéophores, pour obtenir des actions électriques superficielles ou profondes; il suffirait de bien posséder son anatomie, surtout celle des surfaces, de connaître les points d’immersion ou d’émergence des nerfs musculaires, afin de savoir dans quels points doivent être placés les rhéophores, soit pour agir directement sur chacun des muscles, soit pour les stimuler indirectement, au moyen de leurs nerfs principaux. Mais il n’en est malheureusement pas ainsi, car chaque organe, chaque muscle, chaque nerf possède son degré d’excitabilité, soit de contractilité, soit de sensibilité électriques. 11 serait inopportun d’entrer actuellement dans de longs déve- loppements sur ce sujet; cependant il importe de signaler certains phénomènes dont l’ignorance pourrait être la cause non-seulement de nombreuses déceptions, mais même d’accidents quelquefois graves. a. Excitabilité de la motricité des nerfs et de la contractilité des muscles. La motricité (1) de la branche externe du nerf spinal [nerf (1) Faculté que possède un nerf excité artificiellement de provoquer des con- tractions musculaires (dénomination créée par M. Flourcns). faradisation musculaire localisée. 71 respirateur de Bell) est des plus excitables. En conséquence, ies muscles ou les portions de muscles qu’elle anime doivent entrer en contraction sous l’influence de la plus faible excitation élec- trique. En voici la démonstration. Le muscle sterno-cléido-mas- toïdien, dans sa moitié inférieure, et le muscle trapèze, dans sa portion moyenne et inférieure, sont assez peu excitables. Mais si l’on dirige sur la moitié supérieure du muscle sterno-cléido-mas- toïdien, ou sur le bord externe de la moitié supérieure (la portion claviculaire) du trapèze, un courant trop faible même pour déve- lopper un commencement de contraction dans les autres parties de ces muscles, on voit, du côté excité, la tête s’incliner, ou l’épaule se soulever par un mouvement brusque et violent. Si le rhéophore est placé sur le sommet du triangle sus-claviculaire, les mêmes mouvements se manifestent énergiquement par la contraction simul- tanée d’une partie supérieure du trapzèe et du sterno-cléido-mas- toïdien (!). Il me paraît démontré par cette expérience que cette extrême excitabilité, qui n’existe que dans ces points limités du muscle trapèze et du sterno-mastoïdien, est due à la présence de la branche externe du spinal. Je vais montrer à quels dangers le sujet se trouve exposé pen- dant la faradisation, si l’opérateur n’a pas connaissance de l’impor- tant phénomène électro-physiologique que je viens de signaler. Au commencement de mes recherches, je n’avais pas trouvé dans les auteurs les lumières qui auraient pu me mettre en garde contre les trop nombreux malheurs que j’ai eu à déplorer. Voici, entre autres, un accident qui m’est arrivé en faradisant le muscle trapèze contre une paralysie du membre supérieur. Je dirigeais un courant assez intense sur la moitié supérieure du trapèze, lorsque, passant subi- tement au bord externe de ce muscle, je plaçai un rhéophore sur le sommet du triangle sus-claviculaire, de manière à toucher en même temps une portion de la moitié supérieure du muscle sterno- cléido-mastoïdien. La tête exécuta alors un mouvement de latéralité et d’inclinaison tellement brusque, que le malade sentit un craque- ment et une douleur très vive dans le cou. Il éprouva de plus des étourdissements et des fourmillements dans les extrémités, et dut être saigné immédiatement. Si l’appareil avait été gradué à son maximum, ne pouvait-il pas arriver un accident d’une extrême gravité? Ce fait me conduisit à la découverte de la grande excita- (1) On sait que la branche externe du spinal se distribue à la moitié supé- rieure du sterno-cléido-masloidien et à la moitié supérieure du trapèze, surlout à son bord externe. 72 MÉTHODOLOGIE. bilité du nerf respirateur de Bell, que je crois te plus excitable de tous les nerfs; mais celte découverte, ou le voit, faillit me coûter bien cher (1), b. Excitabilité de la sensibilité des muscles. Il importe beaucoup moins à l’opérateur, surtout lorsqu’il appli- que la faradisation musculaire à la thérapeutique, de connaître le degré d’excitabilité de la motricité des nerfs ou de la contractilité (1) M. Remak a critiqué cette expérience qui démontre la grande excitabilité du nerf expiratcur de Bell, en faisant et en commentant les expériences suivantes. H a placé un rhéophore humide à l’extrémité occipitale du trapèze, et un autre à l’épine de l’omoplate, selon la direction des fibres musculaires, et a fait passer un courant d'induction modéré. Il n’a obtenu alors que de faibles contractions. — Dans une autre expérience, il a laissé l’un des rhéophores en place (ou à la nuque, ou à l’épine de l’omoplate), et a posé le second sur le bord du trapèze, au niveau du point d’entrée du nerf accessoire de Willis, et il a produit avec le môme courant l’in- clinaison de la tête et l’élévation de l’épaule. — Il a fait des expériences analogues sur le biceps brachial, et il a obtenu des résultats semblables, c’est-à-dire une contraction en masse de ce muscle par l'excitation du nerf musculaire, et de très faibles contractions en plaçant les réophores aux extrémités des muscles. La seule conclusion rationnelle que l’on pourrait peut-être tirer de ces expériences, c’est que l’excitation du nerf musculaire fait contracter toutes les fibres auxquelles il se distribue (de là un mouvement considérable), tandis que la faradisation des parties musculaires éloignées des lieux d’émergence et d’immersion du nerf mus- culaire ne fait contracter que le point des fibres musculaires en rapport avec les réophores, et cela d’autant moins profondément, que la tension du courant est plus faible, d’où résulte un mouvement limité et faible. Que l’on agisse alterna- tivement à nu sur un muscle et sur son nerf, et l’on verra que cette conclusion est parfaitement exacte. 11 n’est donc pas surprenant que la faradisation musculaire directe produise moins de mouvements que la faradisation indirecte, puisqu’une quantité infiniment moins grande de fibres musculaires entrent en contraction. De plus, dans cette expérience de M. Remak, les rhéophores sont placés aux extrémités du muscle (sur l’extrémité occipitale du trapèze et à l’épine de l’omo- plate; de même aussi pour le biceps), c’est-à-dire sur des points en grande partie aponévrotiques ou tendineux, de sorte que la contraction a été d’autant plus faible, que très peu de fibres musculaires se trouvaient en rapport avec les rhéophores. Si M. Remak avait mis son rhéophore en plein sur la fibre musculaire, par exemple, un peu au-dessus de la partie moyenne du bord du trapèze, j’af- firme qu’il aurait produit une contraction prononcée de la portion claviculaire du trapèze, ce qu’il ne pouvait obtenir évidemment quand les rhéophores étaient posés sur les extrémités aponévrotiques. On comprend combien il est difficile de déduire la moindre conclusion ligou- reusc d’expériences aussi mal faites. Eh bien! on va voir, à la manière dont il les interprète, combien brille l’imagination de M. Remak. D’abord il ne voit pas que la différence des mouvements obtenus dans ces diverses expériences tient électrique des muscles que de savoir quel est le degré de sensibilité développée par la faradisation.de ces nerfs ou de ces muscles. C’est, en effet, l’exagération de la sensibilité dans certaines régions, ou chez certains sujets, qui rend quelquefois la faradisation mus- culaire impraticable. Lorsque, par la suite, j’exposerai les résultats de la faradisation appliquée au traitement de certaines paralysies, on verra combien l’exaltation de cette sensibilité électro-musculaire FARADISATION MUSCULAIRE LOCALISÉE. 73 à ce que, dans un cas, l’excitation du nerf musculaire fait contracter la somme des fibres auxquelles il se ramifie, tandis que dans l’autre une petite quantité de fibres, c’est-à-dire celles qui, dans le voisinage des fibres aponévrotiques, se trouvant au-dessous des rhéophores humides, entraient en contraction. Tout le monde aurait conclu de cette dernière expérience que les fibres aponévrotiques ou tendineuses ne sont pas irritables (dans l’état normal); mais M. Remak, prenant ces fibres aponévrotiques pour des fibres musculaires, tire de ces expé- riences cette (admirable!) déduction contre l’irritabilité hallérienne; «Ce qui nous frappe le plus (dit-il), c’est que ces expériences pourront, outre leur signifi- cation pratique (cette signification pratique, c’est que, selon M. Remak, il ne faut plus diriger le courant électrique que sur le nerf musculaire, à son point d'émergence ou d’immersion, précepte rétrograde, comme je l’ai démontré), con- tribuer encore essentiellement à la solution de la question, respectable par son âge, de ladite irritabilité! » La solution dont veut parler M. Remak, c’est le renversement de cette doctrine. Un peu plus haut, en effet, soulevant mal à propos la question de doctrine de l’irritabilité, il avait dit : « Il me faut à peine exposer combien ces expériences physiologiques justifient peu la prétendue doctrine de l’irritabilité hallérienne. » Si M. Remak n’a que des arguments de cette force à opposer à l’irritabilité hallérienne, celle doctrine n’a rien à craindre de ses attaques. Ce physiologiste micrographe devrait savoir mieux que personne qu’une telle question ne peut être étudiée expérimentalement qu’en plaçant sur le microscope la fibre muscu- laire séparée de tout élément nerveux anatomique, et en la soumettant à une excitation, par exemple à celle d’un courant galvanique ou d’induction. Or, c’est justement ce qui a été fait par M. Lebert, en 1842, sur la fibre musculaire des insectes, et, plus tard, sur la fibre musculaire des lapins et des chiens ; c’est ce qui a été constaté des centaines de fois par un grand nombre d’observateurs; ce que M. Robin, enfin, enseigne journellement et montre dans scs excellentes leçons. — Si, par hasard, M. Remak se refusait à voir ce qui a été constaté par tout le monde, je lui demanderais s’il ne connaît pas les belles recherches de MM. Cl. Rer- nard et Kolliker sur l’action du curare, qui abolit immédiatement l’excitabilité des nerfs et de la moelle, et laisse intacte l’irritabilité de la fibre musculaire. Cette action spéciale du toxique indien suffirait, à défaut des expériences précé- dentes, pour démontrer la vérité de la doctrine de l’irritabilité hallérienne. Ajoutons à tous ces faits précédents, ceux qui ressortent des recherches de M. Longet et de l’observation pathologique journalière, et nous aurons un ensemble de preuves capables de convaincre les esprits les plus rebelles. METHODOLOGIE. peut rendre la faradisation localisée dangereuse. C’est donc princi- palement sur la connaissance du .degré d’excitabilité de la sensi- bilité électro-musculaire que repose l’art de la faradisation muscu- laire localisée, appliquée à la thérapeutique. Bien que les différences individuelles soient plus grandes à cet égard que pour l’excitabilité de la contractilité électro-musculaire, je suis convaincu que l’on peut trouver une moyenne qui servira de règle générale, comme il existe une moyenne pour l’art de doser les médicaments. Sans entrer dans les détails des recherches que j’ai faites sur ce sujet intéressant, je crois devoir exposer, sur l’excitabilité de la sensibilité de chacun des muscles, quelques généralités qui pourront guider l’opérateur dans la faradisation musculaire directe. L’excitabilité de la sensibilité électrique est très vive dans les muscles de la face; elle est due à la cinquième paire, qui leur envoie des filets nerveux. Dans la faradisation des muscles de la face, on doit toujours éviter de placer les réophores sur les points correspondants aux nerfs sous-orbitaire ou mentonnier. Il résulte- rait de l’excitation de ces nerfs une douleur très aiguë, qui reten- tirait au loin, dans les dents incisives et quelquefois dans le fond de l’orbite. L’excitation des nerfs frontaux fournis par l’ophthalmique de Willis produit des douleurs qui rayonnent dans la tête; c’est pourquoi la faradisation directe du muscle frontal, qui est croisé par ces filets nerveux, est très douloureuse. Les muscles orbiculaires des paupières, pinal radié et pinal transyerse(l), élévateur commun de l’aile du nez et de la lèvre supérieure, carré du menton, de la houppe du menton, orbiculaire des lèvres et triangulaire des lèvres, sont les plus excitables. L’ordre dans lequel je les ai énumérés indique leur degré relatif de sensibilité. Viennent ensuite le grand et le petit zygomatique, le masséter et le buccinateur, qui est com- parativement peu excitable. (Je faradise rarement le canin, dans la crainte de porter l’excitation dans le nerf sous-orbitaire.) Au cou, le peaucier est aussi excitable que la moitié supérieure du sterno-mastoïdien et que le bord externe de la moitié supérieure du trapèze (2). Les autres muscles du cou sont beaucoup moins exci- tables que les précédents. Le grand pectoral et les muscles de la fosse sous-épineuse sont assez sensibles à l’excitation électrique; le deltoïde et les muscles (1) My réforme des auteurs. (2) L’extrême excitabilité du premier me fait présumer que ce muscle reçoit l'influence de la branche externe du spinal. du bras le sont un peu moins. Les muscles de la région antibrachiale antérieure sont beaucoup plus sensibles que ceux de la région anti- brachiale postérieure. faradisation musculaire localisée. 75 Les muscles long dorsal et sacro-lombaire sont très peu sensibles. Les muscles fessiers et tenseur aponévrotique (1) sont très sen- sibles à l’excitation électrique, comparativement aux muscles des régions externe et postérieure de la cuisse; ceux de la région crurale interne sont plus sensibles que ceux de la région crurale externe. Les muscles de la région postérieure de la jambe sont très peu sensibles, comparativement aux muscles de la région jambière an- térieure et externe. 11 est possible de traduire par des chiffres le degré d’excitabilité de chacun des muscles et des nerfs; ces recherches seront le sujet d’un travail spécial. Je suis tellement familiarisé avec la pratique de la faradisation localisée, que je puis, à l’aide de mes nouveaux appa- reils, administrer à chacun des muscles ou des nerfs la dose d’élec- tricité nécessaire à la production d’une contraction musculaire énergique, et cela sans développer une grande douleur. Il faudrait une longue étude de la faradisation pour atteindre ce degré d’assu- rance, qui heureusement ne me paraît pas absolument nécessaire dans l’application de cette opération à la thérapeutique. Il est bien certain, comme je l’ai démontré, qu’un réophore suffi- samment humide, et en contact parlait avec la peau, ne donne lieu qu’à des sensations purement musculaires, à moins qu’il ne soit placé sur le trajet d’un nerf cutané. Mais on ne doit point oublier qu’au moment où il est appliqué sur la peau et avant que le contact avec celle-ci en suit parfaitement établi, une sensation cutanée se mêle à la sensation musculaire. Il en résulte que la faradisation muscu- laire, surtout celle qui est pratiquée avec des intermittences rapides, est beaucoup plus douloureuse au moment où le rhéophore est mis en contact avec la peau. Voici comment il faut alors procéder pour éviter au malade cette sensation mixte, très douloureuse. Avant de poser les rhéophores sur la peau, on les rapproche l’un de l’autre de manière à les mettre en rapport et à neutraliser ainsi les cou- rants. Lorsqu’ils ont été mis en contact parfait avec la peau sur laquelle ils appuient légèrement, on les éloigne un peu l’un de l’autre, de telle sorte que la recomposition électrique se fasse dans le muscle à exciter. J’emploie assez souvent un autre procédé tout aussi simple, qui consiste à ne faire arriver le courant que lorsque (1) De tous les muscles des membres pelviens le tenseur aponévrotique est le plus sensible à l'excitation électrique. 76 MÉTHODOLOGIE. les rhéophores ont été placés sur la peau au niveau du muscle à exciter. c. Des points d'élection dans la pratique de la faradisation muscu- laire localisée. Les préceptes généraux que j’ai exposés dans ce paragraphe sont parfaitement clairs. Les principaux en peuvent être résumés de la manière suivante: Quand l’excitation électrique est localisée dans les troncs nerveux ou dans les nerfs musculaires qui en émanent, c’est la faradisation musculaire indirecte; cette excitation électrique est- elle dirigée sur le tissu musculaire, c’est la faradisation musculaire directe. Mais si le précepte est clair, l’exécution n’en est pas toujours facile, surtout lorsqu’il s’agit de taire contracter individuellement les muscles ou les faisceaux musculaires dans un but électro- physiologique. Les troncs nerveux des membres sont très accessibles, pour la plupart, aux réophores, parce qu’ils présentent presque tous un point de leur continuité, placé immédiatement sous la peau. Mais il n’en est pas de même, on le conçoit, des nerfs musculaires. Quelques- uns d’entre eux, il est vrai, peuvent être atteints dans des points éloignés des muscles auxquels ils se distribuent; ainsi, par exemple, lephrénique, au-devant du scalène antérieur; le nerf du grand den- telé, au-dessus de la clavicule, et cela près de leur point d’émer- gence. Quant aux autres nerfs musculaires (ceux des membres), on ne peut arriver jusqu’à leur point d’émergence ou d’immersion, sans agir en même temps sur une partie du tissu des muscles, der- rière la face profonde desquels ils sont cachés; ce qui n’erfipêche pas cependant de faire pénétrer le courant jusqu’à eux, lorsqu’il est indiqué de le faire. La connaissance exacte des points d’émergence et d’immersion des nerfs musculaires est absolument nécessaire, quand on veut étu- dier l’action propre et l’état des propriétés des muscles ou de leurs faisceaux qui, au point de vue physiologique, constituent eux- mêmes autant de muscles indépendants. Au début de mes recher- ches, j’éprouvais les plus grandes difficultés à limiter exactement l’action des courants dans chacun des vaisseaux musculaires, parce que je ne possédais pas ces notions. Il me fallut donc me livrer à de nouvelles études anatomiques pour déterminer aussi exactement mum de l’appareil. Une fois je fis passer un courant très rapide et peu intense; la douleur fut très vive; la malade se plaignit d’une constriclion profonde, mais ce fut tout; il n’y eut de modification appréciable ni dans la calorification, ni dans la circulation. Je ne laisserai pas ce sujet, sans rapporter une expérience curieuse que j’ai faite sur l’homme, après avoir faradisé le pneumogastrique. Une seule fois, il est vrai, j’ai examiné l’état de l’urine après cette excitation du pneumogastrique, et j’y ai constaté, par les réactifs usuels (la potasse et la liqueur de Barreswil), la présence de la glycose, qui, chez le même sujet, n’existait pas dans son urine nor- male. Je crois que c’est la première fois que l’on exécute, chez l’homme, la belle expérience que M. Cl. Bernard a faite sur les ani- maux, chez lesquels il a produit temporairement le diabète par la galvanisation des pneumogastriques (1). G. — Faradisation du diaphragme. J’exposerai le procédé qu’on doit employer pour faradiser le diaphragme, en faisant l’étude électro-pathologique de ce muscle. H. — Les viscères compris entre l’estomac et le rectum sont inaccessibles à la faradisation directe. On peut exciter l’intestin indirectement par une sorte d’action rétlexe, en plaçant les rhéophores sur deux points très éloignés de ce canal. On sait que M. Leroy (d’Étiolles) a provoqué des selles en faisant passer des courants galvaniques de la bouche au rectum. Un vétérinaire dit avoir employé avec succès sur des chevaux le même procédé et dans le même but. J’ai répété avec M. Leblanc cette expérience sur des chevaux, et j’avoue que nous n’avons pu obtenir d’évacuation alvine, quelque variée qu’ait été (t) Leçons de physiologie expérimentale. Paris, 18S5, t. 1. MÉTHODOLOGIE. l'intensité du courant. Nous avons seulement remarqué que, pen- dant le passage du courant, et lorsque ce courant était très intense et très rapide, les sacro-spinaux et les muscles des membres se tétanisaient. Ce mode d’électrisation de l’intestin agit en même temps par action réflexe, avec une grande énergie sur la moelle épi- nière; c’est l’excitation de ce centre nerveux qui produit la con- traction musculaire d’un grand nombre de muscles. Aussi doit-on être très réservé dans son emploi et n’agir qu’à faible dose. Ce procédé, d’ailleurs dangereux dans certains cas, chez l’homme, ne pourrait être employé qu’à une très faible dose, car le rhéophore, appliqué dans la bouche, agit inévitablement sur la cinquième paire, dont on connaît l’excitabilité extrême, et produit des pbospliènes. J’ai tenté cette opération chez la malade dont il a été question plus haut, mais elle ne put la supporter, bien qu’à faible dose. Je la modifiai de la manière suivante : Un rhéophore étant placé dans l’oesophage, à l’orifice cardiaque, je mis l’autre dans le rectum ; alors il m’a été possible d’agir à forte dose. Tout l’intestin fut évi- demment excité, car la malade eut toute la journée des coliques et des douleurs abdominales; mais, je dois le dire, je ne réussis pas à vaincre sa constipation. Je ne vois pas la nécessité d’employer ces procédés d’une appli- cation pénible pour le malade et qui ne sont pas sans inconvé- nients. Il m’a souvent suffi de placer un rhéophore olivaire dans le rectum, et un second rhéophore humide sur les parois abdominales, pour obtenir une évacuation alvine. Ce mode opératoire a provoqué une selle chez une hystérique de la salle Sain te-Marthe, n° 20, qui avait depuis trois semaines une constipation que M. Briquet n’avait pu vaincre et dont le ventre était énormément ballonné (1). Par ce même moyen, j’ai fait disparaître un étranglement interne de l’in- testin chez un autre malade qui allait être opéré, si je n’avais réussi. Je reviendrai sur ce fait. § 11. — Faradisation des organes des sens. Je vais exposer rapidement les différents procédés de faradisation qui ont le mieux réussi dans les paralysies des sens. A. — Sens du toucher. Appliquer les rhéophores humides sur le trajet des nerfs collaté- raux et sur la pulpe des doigts. (1) Briquet, Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie, Paris, 1859, in-8, p. 661. FARADISATION DES ORGANES DES SENS. 95 B. — Sens de la vue. J’ai 'démontré dans le chapitre précédent que le galvanisme jouit de la propriété spéciale d’exciter très vivement la rétine, en produi- sant des sensations lumineuses, lorsqu’on applique des rhéophores humides sur les points de la face où se ramifie la cinquième paire, et que ces flammes sont d’autant plus vives qu’on se rapproche davantage de la ligne médiane. Il suffit de se rappeler ces faits, pour savoir comment il faut opérer, quand il est indiqué d’exciter la rétine, comme dans l’amaurose. A défaut d’un courant galvanique, on peut recourir au courant d’induction de la deuxième hélice d’un appareil magnéto-faradiquc, dont l’action spéciale sur la rétine, quoique moindre que le courant galvanique, est encore très puis- sante. A l’excitation indirecte de la rétine on peut joindre l’excitation électro-cutanée du pourtour de l’orbite. Je décrirai plus tard les procédés à employer dans la faradisation des muscles moteurs de l’œil, en traitant de la paralysie de ces muscles. C. — Sens de l’ouïe. 1° Remplir d’eau tiède le conduit auditif externe; plonger dans ce liquide un rhéophore métallique, une sonde, par exemple, et fer- mer le courant en posant le second rhéophore humide sur la nuque. Ce procédé de faradisation, sur lequel je reviendrai, m’a permis de faire des recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les usages delà corde du tympan. 2° Le rhéophore du conduit auditif externe étant placé comme ci-dessus, introduire par les fosses nasales, dans l’orifice de la trompe d’Eustache, une sonde d’Itard, isolée par du caoutchouc, excepté à ses extrémités, et fermer le courant en mettant les deux rhéophores en rapport avec les pôles de l’appareil. La sensibilité de la membrane du tympan est très grande; aussi doit-on se garder de la faradiser avec des intermittences rapides et à doses élevées. On verra, par la suite, que certaines surdités ner- veuses et même des surdi-mutités congénitales ont été traitées avec succès par ces procédés. D. — Sens de l’odorat. Un rhéophore humide étant placé derrière la nuque, le second rhéophore par exemple, une sonde métallique d’un petit diamètre et 96 MÉTHODOLOGIE, isolée par du caoutchouc, excepté à ses extrémités, est promenée sur tous les points de la muqueuse nasale. Il m’a souvent suffi d’exciter très faiblement la sensibilité géné- rale de la muqueuse nasale pour rappeler l'odorat perdu ou affaibli. E. — Sens du goût. Les rhéophores métalliques sont promenés sur les bords de la langue et sur la voûte palatine. L’excitation électrique des sens de la vue, de l’ouïe, de l’odorat et du goût doit être faite avec beaucoup de circonspection, car elle retentit vivement dans le cerveau. Elle est en conséquence conlre- indiquée dans les cas oû l’on doit éviter l’excitation cérébrale. On devra toujours, dans ces sortes d’opérations, mettre l’appareil au minimum, élever graduellement la dose électrique, et ne jamais produire de sensation trop douloureuse. Il sera encore prudent d’opérer avec un courant à rares intermittences. § 111. — Faradisation des organes génitaux chez l’homme. Les lésions organiques ou dynamiques qui produisent les paraly- sies musculaires ou cutanées portent assez souvent, en même temps, le trouble danslesfonctionsdesorganes génito-urinaires de l’homme. La conséquence ordinaire de ces troubles fonctionnels, c’est l’im- puissance ou l’impossibilité du coït, la paralysie de la vessie ou la perte de la sensibilité de cet organe. Ayant étudié l’influence théra- peutique de la faradisation localisée sur ces différents états, je vais exposer succinctement les résultats de mes recherches. La sécrétion du sperme peut être diminuée ou pervertie; il en résulte que l’appétit vénérien n’est plus éveillé par l’instinct géné- sique, et que l’érection est nulle ou incomplète. Il m’a paru qu’il était indiqué d’agir sur l’organe sécréteur du sperme, le testicule, et sur les réservoirs chargés d’élaborer cette humeur, les vésicules séminales. La faradisation du testicule est des plus simples. Pour cela, je place les rhéophores humides sur le scrotum, au niveau du testicule ou de l’épididyme; le courant, traversant alors la peau, concentre son action sur ces organes. La sensation développée par cette opé- ration est très douloureuse, et retentit dans les lombes ; elle est ana- logue à celle que produit la compression du testicule ou de l’épidi- dyme. Ce dernier est plus sensible à l’excitation électrique que le testicule. La faradisation du testicule ou de l’épididyme doit être faite avec un courant modéré, leur surexcitation pouvant être suivie FARADISATION DES ORGANES GÉNITAUX CHEZ L’HOMME. 97 d’une névralgie très douloureuse, comme ‘cela est arrivé à un malade que j’ai soumis à ces excitations. Je rappellerai ici que le courant de la première hélice excite plus vivement ces organes que celui de la seconde hélice. La faradisation des vésicules séminales se pratique à l’aide du rhéophore du rectum que j’ai décrit plus haut. Il est introduit dans l’intestin préalablement vidé, et dirigé de manière que l’olive qui le termine se trouve en rapport avec les vésicules séminales. 11 suffit, pour cela, d’imprimer au rhéophore des mouvements de droite à gauche, et vice versa. Sous l’influence d’un courant intense, le cou- rant traverse l’intestin et arrive infailliblement dans les vésicules qu’il excite énergiquement. Je n’ai pas besoin de dire que le cir- cuit doit être fermé, en plaçant un second rhéophore sur un point peu excitable du corps. Quand il n’y a pas de contre-indication, j’introduis un second rhéophore dans la vessie, dont j’excite le bas- fond, de manière à placer les vésicules séminales entre les deux rhéophores. Le liquide séminal coule souvent en bavant, non-seulement par suite d’une sorte de paralysie des vésicules séminales, mais aussi par le fait de la paralysie du releveur et du sphincter de l’anus, et des muscles de l’urèllire. Il convient alors de faradiser les vésicules séminales, comme il vient d’être dit, et de diriger l’action faradique dans chacun des muscles qui concourent à l’éjaculation. La faradisation du releveur et du sphincter de l’anus a déjà été décrite. Les muscles bulbo et ischio-caverneux se faradisent comme les muscles des autres régions du corps, c’est-à-dire en plaçant les rhéophores humides sur les points de la peau qui correspondent à leur surface. Les testicules, la peau du pénis, du scrotum, du périnée, le gland et le canal de l’urèthre, peuvent être frappés d’anesthésie complète. J’ai vu, chez un malade, l’impuissance ne pas reconnaître d’autre cause que cette insensibilité générale des organes génitaux. Voici le procédé de faradisation que j'ai employé dans ces cas : j’ai excité la sensibilité des testicules à l’aide du procédé décrit ci-dessus; puis un rhéophore vésical a été promené longtemps dans le canal de l’urèthre, en agissant principalement sur le point le plus irritable, la fosse naviculaire. Enfin la fustigation électrique par les fils mé- talliques a été employée pour rappeler la sensibilité de la peau du pénis et du scrotum. Je rapporterai, par la suite, ce fait intéressant. Le but de la méthode de faradisation localisée que je viens d’exposer dans les trois articles précédents est de limiter, autant que DUCHENNE. 7 98 MÉTHODOLOGIE. possible, l’action électrique dans les organes. Les applications heu- reuses que j’ai laites de cette méthode à la physiologie, à la patho- logie, à la thérapeutique, démontrent que peu d’organes échappent à l’excitation électrique directe ou indirecte. ARTICLE Y. EFFETS GÉNÉRAUX DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Outre l’action locale et immédiate produite par les recomposi- tions électriques, opérées dans les organes, la faradisation exerce encore des effets généraux dont on doit tenir compte dans la pra- tique. L’influence de l’excitation générale peut activer les sécrétions, la transpiration par exemple ; elle peut se faire sentir sur tel ou tel organe, suivant les dispositions individuelles. C’est ainsi que, dans l’aménorrhée, la menstruation est rappelée ou modifiée par la faradisation, de quelque manière que celle-ci soit appliquée. Je crois avoir démontré que l’excitation électro-physiologique est limitée, en général, aux points qui se trouvent en rapport avec les rhéopliores ; cependant c’est une croyance répandue parmi un grand nombre de praticiens, que le faradisme surexcite toujours les centres nerveux. Si cette opinion est fondée, on conçoit le danger de l’emploi d’un tel agent thérapeutique, dans le traitement de certaines paralysies, surtout de la paralysie cérébrale. En prenant soin de tenir les rhéopliores rapprochés l’un de l’autre, on est certain que l’action des courants ne se fait sentir que très faiblement sur les centres nerveux. Je dirai, dans le chapitre suivant, comment on peut diriger l’excitation sur ces centres nerveux, lors- qu’il est indiqué de les stimuler. Il me sera facile de démontrer que la faradisation réagit sur les centres nerveux seulement par l’intermédiaire de la sensibilité qu’il surexcite. Que l’on provoque, en effet, des contractions, sous l’in- fluence du courant le plus intense et le plus rapide, dans des muscles paralysés consécutivement à une hémorrhagie cérébrale, et privés en même temps de sensibilité, l’excitation électrique sera localisée dans les points faradisés, les muscles se contracteront très énergiquement, et le malade n’en aura pas même la conscience ; quelque longue, quelque fréquente que soit l’opération, il n’en sera jamais incommodé. Si, au contraire, ce même courant est appliqué, chez le même malade, sur des muscles qui jouissent de leur sensibilité normale, il produira non-seulement des douleurs très vives et immédiates dans les muscles, mais encore une surexci- EFFETS GÉNÉRAUX DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 99 tation générale qui pourra occasionner des accidents cérébraux. 11 me parait ressortir de ces considérations que la faradisation localisée réagit très faiblement sur les centres nerveux, quand on la pratique dé manière à ne pas exciter trop vivement la sen- sibilité, pourvu que les rhéophores soient très rapprochés l’un de l’autre. Mais il est un point important pour les applications de l’électri- cité chez l’homme, qui, jusqu’ici, n’a pas encore été agité, que je sache, je veux parler de l'influence dynamique que fait éprouver aux malades le changement d’état occasionné dans leur électricité naturelle par l’électrisation. Pour bien se rendre compte de ces phénomènes, il est essentiel de s’expliquer ce qui se passe physi- quement chez l’homme lorsqu’il se soumet à l’action d’un courant thradique. A l’instant où les rhéophores d’un appareil d’induction sont appliqués sur les points du corps de l’homme, l’électricité naturelle du derme est décomposée et les électricités de noms contraires s’accumulent vers chacun des rhéophores et s’échappent en quantité suffisante pour neutraliser le courant qui est venu trou- bler leur repos. Cette neutralisation opérée, les deux électricités contraires dont le corps est encore pénétré, se réunissent pour reprendre leur état normal et ne se séparent de nouveau que lors- qu’un nouveau courant vient encore les désunir. Telle est la série des phénomènes physiques qui se produisent plus ou moins fré- quemment chez l’homme, suivant la rapidité et la fréquence des intermittences du courant d’induction dirigé sur ses organes. Eh bien, ces modifications apportées dans l’état naturel de l’élec- tricité dont est pénétré le corps de l’homme, ne produisent, en général, aucun effet dynamique appréciable. Mais il faut que l’on sache que, dans certaines conditions nerveuses, difficiles à analyser ou à expliquer, l’homme ne peut éprouver impunément ces chan- gements apportés dans son état électrique naturel. Il se développe alors chez lui des phénomènes généraux qui, s’ils ne contre-indiquent pas l’emploi de la faradisation, préviennent du moins qu’il faut alors être circonspect dans son application. On sait, en effet, que certaines personnes sont très sensibles aux influences électriques de l’at- mosphère. Je connais une dame qui, dans l’état d’orage, est frappée pendant quelques heures d’une paralysie générale. De môme j’ai vu des sujets qui, sous l’influence de la faradisation, éprouvaient des troubles nerveux singuliers. Ces effets généraux n’étaient pas le produit de l’excitation des organes, ils paraissaient déterminés par la modification de l’état électrique du corps. Ainsi, la faradisation occasionnait des éblouissements, un sentiment de défaillance, un 100 engourdissement général, alors même que l'opération, pratiquée très faiblement, n’avait produit aucune sensation locale. J’ai ob- servé, à la Charité, une jeune fille paralytique, tellement sensible à l’influence exercée sur son état général par les cou Amis d’induc- tion que la faradisation fut contre-indiquée chez elle, bien qu’elle n’en ressentît aucune sensation locale. Je vais rapporter, avec quelques détails, cette observation qui offre un grand intérêt. MÉTHODOLOGIE. Observation IV. — Salle Saint-Vincent, n° 26 (service de M. Andral). Eugénie Thouvenin, âgée de seize ans, née à Paris, d’une assez bonne con- stitution, d'un tempérament lymphatique. Contracture continuel des flé- chisseurs des doigts et du pouce de la main gauche ; on ne peut étendre ,ees; doigts, quelque effort que l’on fasse ; la malade peut étendre et fléchit l’aTv a nt- bras gauche ; elle marche sans traîner la jambe gauche, mais elle se fatigué facilement et sent une faiblesse de ce côté. A gauche, une aiguille enfoncée profondément dans les tissus, des coups violents sur les surfaces osseuses, ne produisent aucune sensation ; perte de la sensibilité tactile dans les mains et dans les pieds. Debout ou pendant la marche, la malade ne sent le sol que par la face plantaire du pied droit. Insensibilité de la peau de la face, de la conjonctive et affaiblissement de la vue, à gauche; du même côté, perte de l'odorat, du goût et de la sensibilité générale de la muqueuse nasale et buccale. Quoique la malade soit insensible aux excitants exté- rieurs, elle éprouve souvent des douleurs profondes dans les membres supé- rieurs et inférieurs gauches ; elle ne peut supporter la pression dans un point fixe et limité au-dessous de son sein, siège d’une douleur continuelle ; cinq ou six vomissements, par jour, soit des boissons, soit d'une partie de ses aliments; pas d’accès d’hystérie, jni étranglements, ni palpitations; pas de souffles anormaux au cœur ; souffle carotidien. A la première séance de faradisation, les excitations électro-cutanées, musculaires, osseuses ou périostiques, et même les excitations des troncs nerveux, ne donnèrent lieu à aucune espèce de sensation, du côté malade. Les muscles seuls se contractèrent lorsqu’on les excita, sans que la ma- lade en eût la conscience. A la seconde séance, elle n’éprouva, comme la veille, aucune des sensations locales produites ordinairement par les re- compositions électriques; mais elle se plaignit d’une espèce de point dans le côté gauche, avec étouffement et palpitations, nausées, éblouissemenls et céphalalgie. Ces phénomènes furent d’autant plus prononcés que le cou- rant fut plus intense, et que les réophores furent placés plus près de la région précordiale. Si les rhéophores étaient placés du côté sain, les phéno- mènes ordinaires, produits par les recompositions électriques, se manifes- taient, sans aucun de ces effets généraux. Ces phénomènes bizarres m inspi- rant quelque défiance, je répétai plusieurs fois l'expérience suivante en EFFETS GÉNÉRAUX DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 101 présence de MM. Andral, Thirial, Lacaze, et des élèves qui suivaient habi- tuellement la visite de M. Andral. On fil en sorte que la malade ne pût ni voir ni entendre, et l’on plaça des rhéophores à l'extrémité inférieure de la jambe gauche, de manière à opérer des recompositions électriques dans la peau. Aussitôt que l’appareil fut mis en action, elle accusa les phénomènes que j'ai signalés plus haut. On interrompit la communication avec le cou- rant, en laissant cependant les rhéophores en place et de manière qu’elle ne pût en être prévenue, et à l’instant tout disparut. Les rhéophores, placés sur le côté sain, produisirent ou une sensation de brûlure ou des contractions, avec la sensation qui leur est spéciale, suivant les lieux où se firent les recompositions électriques, mais ils ne développèrent aucun des phénomènes généraux précédents. Celte expériençe, faite un très grand nombre de fois et plusieurs jours de suite, donna toujours les mêmes résultats. La malade fut tellement sensible à l’influence électrique, quelle accusa les plus petits courants du côté malade, tandis que, du côté sain, les phénomènes électro- cutanés développés par ces mêmes courants étaient à peine appréciables. Chaque fois que cette jeune fille fut soumise à l’excitation électrique, quel- que courte que fût la séance, quelque faible que fût le courant, elle conserva longtemps des douleurs de tête et des troubles dans la vue, unimalaise gé- néral, un point dans le côté, et un redoublement de vomissements auxquels elle était sujette depuis quelque temps. Réflexions. — Il est bien difficile de trouver la clef de ces singu- liers phénomènes. La théorie des recompositions électriques locales ne leur est certainement pas applicable, car la malade était privée de sensibilité dans les points sur lesquels j’agissais, et elle n’éprou- vait aucun des effets physiologiques ordinaires des recompositions électriques, opérées dans la peau, dans les muscles, etc. Si c’eût été un effet sympathique, l’excitation douloureuse, développée dans le coté sain parla faradisation, n’eût pas manqué, je crois, de pro- voquer des phénomènes généraux. Je crois, sans attacher toutefois une grande importance à cette explication, que le côté malade se trouvait dans des conditions électro-dynamiques anormales, spé- ciales et que les changements continuels et temporaires, apportés dans l’état de son électricité naturelle, par l’influence du courant intermittent de l’appareil, étaient les seules causes des étranges phénomènes nerveux qu’elle éprouvait. Cette jeune fille était tel- lement sensible à l’influence de l’électricité, qu’on aurait pu la con- sidérer, pour ainsi dire, comme une sorte de galvanoscope animal. Ce n’est pas l’état hystérique qui développe cette extrême sensi- bilité aux influences électriques, car sur plusieurs centaines de femmes plus ou moins hystériques, chez lesquelles j’ai eu occasion 102 CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. de pratiquer la faradisation localisée, je n’ai pas observé une seule fois les phénomènes décrits dans l’observation précédente. Ces phénomènes se produisent même alors que le sujet se trouve dans son état normal habituel. Ainsi, je pourrais citer l’exemple d’un de mes confrères et amis, qui ne peut s’exposer à l’électrisation sans éprouver des vertiges, des éblouissements, etc., quelque faibles que soient les phénomènes électro-physiologiques, provoqués chez lui. Je ne saurais dire quelles sont les causes qui prédisposent à cette extrême sensibilité aux influences électriques. Des faits exposés ci-dessus, je déduis les propositions suivantes : 1° Les changements apportés dans l’état de l’électricité naturelle dont le corps de l’homme est pénétré, peuvent produire, indépen- damment des phénomènes électro-physiologiques locaux, dus (à la faradisation localisée, des elïets généraux d’un ordre particulier. 2° Le plus ordinairement, ces effets généraux ne sont pas appré- ciables. Ils ne se manifestent que dans certaines conditions dyna- miques inconnues et rares. 3° Ces effets généraux, dont les principaux sont des étourdisse- ments, des éblouissements, des nausées et même des vomissements, rendent difficile l’application de l’électrisation même localisée ; quelquefois ils en contre-indiquent l’emploi. CHAPITRE III. QUELQUES CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES SUR PLUSIEURS MÉTHODES d’électrisation. Si je professe autant de préférence pour ma méthode de faradi- sation localisée, ce n’est pas sans avoir expérimenté longuement et comparativement quelques-unes des méthodes d’électrisation qui Font précédée. Ce sont les résultats de mes recherches sur ces diverses méthodes que je me propose d’exposer rapidement dans ce chapitre. ARTICLE PREMIER. GALVANISATION PAR COURANTS CONTINUS DIRECTS OU INVERSES (I). Au début de mes recherches, l’excitation galvanique et par cou- rants continus des troncs nerveux me paraissait le meilleur procédé (1) On produit un courant direct (centrifuge, descendant) en plaçant les rhéo- phores sur le trajet d’un nerf, à une distance de 2 à 3 centimètres l’un de l’autre, d’électrisation applicable aux paralysies en général. Je savais, en effet, que, dès 1795, AI. de Humboldavait ouvert la voie de la galvano- thérapie par une expérience qu’il fit sur lui-même et qui est trop connue pour la relater ici (1), et par l’impulsion qu’il imprima à ces expériences. Je savais qu’immédiatement après la découverte de la pile de Volta les courants galvaniques avaient été appliqués, en Allemagne, au traitement de quelques paralysies et alfections ner- veuses jusqu’en 180A ou 1805, et que ces essais thérapeutiques avaient été repris en 1823 par Aldini et ensuite par Nobili et Matteucci (2). GALVANISATION PAR COURANTS CONTINUS. 103 Il me semblait (pie les découvertes des Galvani, Volta, Ritter, Humbolt, Lehot, et, depuis 1827, celles des Marianini, Nobili, Matteucci, pouvaient, seules, fournir les éléments d’une électro- thérapie rationnelle. Ces travaux nous avaient appris que chez les animaux on peut anéantir ou diminuer l’excitabilité d’un nerf, et en même temps paralyser un membre placé sous sa dépendance, en prolongeant pendant un temps donné le passage d’un courant continu et d’une certaine intensité dans ce nerf; que par un courant intermittent direct ou inverse, dirigé sur ce nerf ainsi modifié dans son excitabilité par le courant continu, on peut agir sur la contrac- tilité ou sur la sensibilité; que l’on peut enfin rétablir l’excitabilité de ces mêmes nerfs en les faisant traverser par des courants en sens contraire (alternatives voltianes). De ces faits principaux établis par une série d’expériences faites sur les animaux, M. Matteucci avait cru pouvoir tirer des déductions électro-thérapeutiques. Je n’en citerai que les plus importantes. En parlant de l’application des divers courants galvaniques au traite- ment des paralysies, cet habile expérimentateur dit : « Nous pou- » vons admettre que dans quelques cas de paralysies les nerfs du » membre sont altérés d’une manière analogue à celle qui y serait » produite par le passage continu d’un courant électrique. Nous le pôle positif étant rapproché des centres nerveux, et le pôle négatif étant plus près des extrémités nerveuses. Pour le courant inverse (centripète, ascendant) les pôles sont intervertis. (1) 11 l’a rapporté dans une brochure intitulée : Versuche über die geréisle muskel und nerven faser. Posen et Berlin , 1797, p. 324. (2) Voici les principaux auteurs qui, de 1797 à 1823, ont expérimenté l’ac- tion thérapeutique des courants galvaniques. — Loder, Journal fur chirurgie, t. III ; — Versuche des galvanismes zur heilung einiger Krank- heilen auzunwenden, Berlin, 1801; — Augustin, Versuch einer Volslaendigen System. Geschichle ; — Struve, System der medicinischen electricitat Ihere mit liückisicht auf den Galvanismus, Breslau et Leipzig, 1802; — J. Aldini, Essai théorique et expérimental sur le galvanisme, Paris, 1804. 104 CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. » avons vu que pour rendre à un nerf qui a perdu, par le passage » du courant, son excitabilité par ce courant, il faut agir sur lui » avec un courant dirige en sens contraire. De même, pour faire cesser » la paralysie, on devra faire passer un courant en sens contraire à » celui qui aurait pu le produire. On voit par là que nous supposons » que la paralysie qu’on doit soumettre au traitement électrique est >• de mouvement ou de sensibilité séparément. Ainsi, pour la para- » lysie du mouvement c’est le courant inverse qui sera appliqué, » tandis que pour la paralysie du sentiment on devra appliquer le » courant direct. Dans le cas de paralysie complète, il n’y a plus » aucune raison pour se décider à appliquer le courant plutôt » direct qu’inverse (1). » § I. — Action physiologique des «durants continus, directs ou Inverses, dirigés dans les nerfs de l'homuie sur la sensibilité ou snr la eonlraetilité musculaire. Je vais exposer les recherches expérimentales que j’ai faites pour juger la valeur des déductions thérapeutiques précédentes (2). Avant de conclure des expériences faites sur les animaux, à l’ac- tion thérapeutique des courants continus sur l’homme malade, il m’a paru qu’il était plus rationnel d’examiner si les phénomènes électro-physiologiques, observés dans les vivisections, se produisent chez l’homme sain. Mais comment diriger un courant dans un nerf, sans le mettre à nu? Personne n’oserait tenter assurément une pareille opération chez l’homme, dans le but unique de se livrer à des recherches scientifiques. L’électropuncture traversant des or- ganes de nature différente et produisant des phénomènes com- plexes, ainsi que je l’établirai bientôt, ne peut servir à l’étude de l’action des courants continus sur les troncs nerveux. Il est aujour- d’hui parfaitement établi, d’après mes recherches, que sans piquer ni inciser la peau, on peut limiter à volonté l’action électrique, ou dans la peau, ou dans les organes sous-cutanés; que par certains procédés l’excitation électrique peut arriver dans un nerf, sans agir sur la peau qu’elle traverse. Certain, dès lors, de limiter l’action électrique dans les princi- paux troncs nerveux, j’ai étudié, sur un assez grand nombre de sujets, l’influence des courants continus sur la contractilité et sur la sensi- bilité. J’ai agi principalement sur les nerfs médian ou poplité (1) Loc. cit., p. 266. (2) Ces recherches publiées dans un mémoire adressé en 1852 à la Société de médecine de Paris, ont été reproduites dans ia précédente édition. interne ou externe, en variant les expériences. Tantôt les rhéophores étaient placés sur le trajet de ces nerfs dans les points où ils sont sous-cutanés, à 2 ou 3 centimètres de distance l’un de l’autre, et tantôt ils étaient aussi éloignés que possible, en mettant, par exem- ple, l’un sur le plexus brachial ou sur le plexus sacré, à travers la paroi postérieure du rectum, et l’autre sur la continuité des nerfs. Les rhéophores étaient placés de manière à ne se trouver en rapport qu’avec la surface des nerfs. GALVANISATION PAR COURANTS CONTINUS CHEZ L’HOMME. 1 05 H est démontré, par de nombreuses expériences faites sur des animaux, qu’un courant continu manifeste son influence spéciale sur la contractilité ou sur la sensibilité, selon la direction dans laquelle il parcourt un nerf dans le sens longitudinal, lorsque l’ex- citabilité du nerf a été diminuée antérieurement par l’action plus ou moins prolongée d’un courant continu. Pour connaître l’influence d’un courant continu, chez l’homme sain, il faut donc que l’excitabilité de ses nerfs ait été préalable- ment modifiée par ce courant continu. Dans ce but, je me suis d’abord servi d’une pile à auges (de Cruikshank), composée de soixante couples, et j’ai fait passer dans les nerfs, pendant vingt à trente minutes, les courants qui en provenaient. Cet essai n’ayant produit aucun résultat, j’ai pensé qu’un courant plus puissant et plus constant pourrait diminuer l’excitabilité des nerfs de l’homme; j’ai employé alors une batterie composée de trente piles de Bunsen. Dans toutes ces expériences, j’ai toujours eu soin d’éviter la con- traction de fermeture en procédant comme je l’ai déjà dit précédem- ment (voy. la note de la page 10). Après vingt à trente minutes d’action du courant continu de cette puissante pile, quelle qu’en fût la direction, je n’ai pas remarqué que l’excitabilité des nerfs eût diminué. En effet, les contractions des muscles animés par ces nerfs étaient aussi énergiques, sous l’influence du courant inter- mittent, après qu’avant l’expérience; les sensations étaient toujours aussi fortes et les mouvements volontaires étaient restés intacts. Dans toutes ces expériences pratiquées sur l’homme sain, je n’ai pas obtenu de contractions sans sensations, et vice versa. Depuis bientôt quinze ans que je pratique chez l’homme la fara- disation avec des courants intenses et avec des intermittences ra- pides, tantôt sur des nerfs, tantôt sur des muscles, je n’ai pas remarqué une diminution notable de l’excitabilité de ces nerfs ou de ces organes, bien que souvent je n’aie pas interverti les pôles ; jamais je n’ai affaibli les mouvements volontaires. Si je n’ai pu diminuer artificiellement l’excitabilité des nerfs de l’homme, j’ai eu du moins l'occasion d’observer certaines paralysies 106 dans lesquelles les nerfs et même les muscles avaient perdu une partie de leur excitabilité. Eh bien, dans ces cas, le courant inverse n’agit pas plus sur la contractilité que le courant direct sur la sen- sibilité. En soumettant ces nerfs à l’action d’un courant continu, je n’ai pas même aboli leur excitabilité. Si je dirigeais sur ces mêmes nerfs un courant intermittent rapide, la paralysie des mouvements volontaires ne paraissait pas augmentée. CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. En résumé, chez l’homme à l’état normal : 1° un courant continu prolongé dans un nerf, pendant vingt à trente minutes, ne dimi- nue pas son excitabilité; 2° si l’on dirige un courant intermittent, centrifuge ou centripète, dans un nerf dont l’excitabilité est normale ou dont l’excitabilité est diminuée sous l’influence de certaines paralysies, on observe toujours les mêmes phénomènes, savoir ; des contractions et des sensations. Jamais l’un ou l’autre de ces deux courants direct ou inverse n’agit d’une manière spéciale sur la sensibilité ou sur la contractilité (1). Je ne chercherai pas à expliquer la différence des résultats obtenus dans les vivisections et dans mes recherches faites sur l’homme à l’état normal. 11 me semble que les faits qne j’ai observés tendent à démontrer qu’on ne peut pas toujours conclure des animaux mutilés â l’homme sain. Ces résultats m’ont causé un véritable désappointement, car je m’attendais à observer chez l’homme les phénomènes signalés par Marianini, Nobili et Matteucci, et leurs prédécesseurs, dont les expériences me paraissent cependant des plus concluantes. On dira, sans doute, que si j’avais dirigé sur les nerfs de l’homme un courant continu plus intense, j’aurais pu diminuer ou anéantir leur excitabilité. Mais cette objection pourrait m’être faite encore si j’avais expérimenté sans succès avec une batterie puissante. Et qui voudrait tenter une pareille expérience sur l’homme? Qui voudrait se prêter à des expériences aussi douloureuses, capables de pro- duire à la peau des vésications et des eschares ? On m’objectera encore que je n’ai pas expérimenté dans les mêmes conditions et que j’aurais dû faire passer les courants dans des nerfs rais à nu. Mais j’ai démontré que j’agis aussi sûrement à travers la peau que sur les nerfs dénudés et isolés. Mon procédé me paraît même préférable à celui qui a été employé par Matteucci et (1) J’ai formulé des conclusions presque semblables dans un mémoire que j’ai présenté en 1848 à l’Académie des sciences. Mais alors je n’avais pas encore essayé, dans mes expériences, de diminuer l’irritabilité des nerfs en les soumet- tant à l’influence d’un courant continu puissant. ses prédécesseurs; car la mutilation d’un nerf et son contact avec l’air peuvent avoir une certaine influence sur sa vitalité ou son excitabilité. GALVANISATION PAR COURANTS CONTINUS CHEZ L’HOMME. 107 § II. — Action thérapeutique des courants continus, dirigés sur les nerfs de l’homme. En présence de ces résultats négatifs, on conçoit que les déduc- tions électro-thérapeutiques de Matteucci n’aient plus de valeur. Cependant j’ai voulu en avoir la preuve, en soumettant les para- lysies du mouvement à l’influence des courants continus, in- verses, ainsi qu’il le conseille. Par l’observation sévère de ces prin- cipes de galvanisation musculaire, je n’ai pas modifié plus heureu- sement les paralysies, que lorsque j’excitais les troncs nerveux dans leur continuité, sans m’astreindre à aucune règle sur la direction des courants. Il ressort aussi de mes recherches, que le courant direct est complètement impuissant contre l’anesthésie musculaire et cutanée, de même que j’ai vu ce courant n’exercer dans l’état normal aucune influence spéciale appréciable sur la sensibilité. Les considérations critiques que je viens de consacrer à l’influence de la direction des courants sur les nerfs de l’homme, soit dans l’état physiologique, soit dans l’état pathologique, étaient d’autant plus nécessaires que les doctrines de M. Matteucci et des physiolo- gistes, en général, ont eu un grand retentissement et ont exercé quel- que influence sur la pratique de l’électrisation. En effet, les méde- cins, ceux surtout qui se livrent à des recherches scientifiques, attachent une grande importance, pour la galvanisation pratiquée chez l’homme, à la direction des courants dans la continuité des nerfs. En résumé, l’action physiologique ou thérapeutique de la direc- tion d’un courant continu dans les nerfs est complètement illu- soire chez l’homme. Faisant abstraction de la direction des courants, peut-on espérer, du moins, que la galvanisation musculaire, pratiquée par l’inter- médiaire des troncs nerveux, modifiera l’état de la paralysie? Les recherches que j’ai faites sur ce sujet m’ont démontré qu’en général ces paralysies ne sont pas modifiées d’une manière très notable par ce mode de traitement. Les faits et les considérations électro-physiologiques et électro- thérapeutiques exposés dans cet article, ont fait le sujet d’un travail publié en 1852, et ont été reproduits dans la précédente édition. Mais depuis lors, M. Remak a de nouveau expérimenté faction des 408 courants continus et constants sur les nerfs de l'homme sain et de l’homme malade; il dit avoir découvert des faits électro-physio- logiques qui ne me paraissent pas encore démontrés, et qui, si leur existence était réelle, n’ont ni la portée ni l’importance pratique qu’il leur donne. On savait que l’électricité galvanique jouit de la propriété de provoquer une contraction musculaire à la fermeture et à l’ouver- ture du courant, la première plus forte que la seconde. On avait dit que dans l’intervalle de ces deux temps le courant continu ne produisait pas de contractions. Quant à moi, j’avais seulement con- staté l’existence de contractions fibrillaires, oscillatoires et irrégu- lières, dans les muscles du membre parcouru par un courant con- tinu, constant et puissant. Lorsque j’avais appliqué des rhéophores humides sur le nerf médian, l’un au niveau du bord interne du biceps, l’autre à son passage au pli du bras, j’avais noté, outre la vive douleur cutanée et progressive au niveau des rhéophores, au point d’être bientôt intolérable, outre des fourmillements et des picotements qui se faisaient sentir dans le trajet de ce nerf, jusqu’il ses dernières ramifications dans les doigts, j’avais noté, dis-je, l’existence de ces mômes contractions oscillatoires dans les muscles animés par le médian. M. Remak a été plus loin ; il croit avoir observé dans des expé- riences analogues aux miennes et faites sur le nerf médian de l’homme sain, avec une pile de trente couples de Daniel, des con- tractions continues qu’il a appelées contractions galvano-toniques, tantôt dans les muscles placés sous la dépendance de ce nerf, tantôt et ordinairement dans les muscles animés par iantagoniste du nerf médian, le nerf radial ! Pourquoi donc n’a-t-on pas observé ce singulier phénomène dans les expériences galvaniques que j’ai faites publiquement sur les nerfs de l’homme? C’est que, sans nul doute, j’ai toujours vu la douleur vive et croissante, produite par le contact des rhéophores, provoquer des mouvements involontaires de flexion ou d’extension des doigts, comme si les sujets avaient voulu se soustraire instinctivement à cette douleur, mouvements qui devaient masquer les contractures gal- vaniques, quand elles existaient. Et puis ces dernières ne se seraient- elles pas développées, dans mes expériences, parce que j’ai toujours évité la contraction de fermeture, comme je l’ai déjà dit, ou parce que les rhéophores étaient trop rapprochés l’un de l’autre ?M. Remak, en effet, applique l’un de ces rhéophores au niveau du poignet et l’autre au pli du coude, tandis que, en général, je les ai tenus éloignés l’un de l’autre seulement de 2 ou 3 centimètres. considérations historiques et critiques. Pour apprécier la valeur de cette explication, j’ai galvanisé bien des Ibis le nerf médian, d’après le procédé indiqué par M. Remak, et en me plaçant dans les mêmes conditions que lui, et je déclare que je n’ai pas observé autre chose que les mouvements instinctifs de flexion ou d’extension des doigts ou du poignet, et quelquefois de flexion de l’avant-bras sur le bras, les mêmes qui s’étaient pro- duits dans mes expériences antérieures, et qui s’expliquent très bien par la douleur horrible et intolérable causée par l’action locale des rliéophores sur la peau. M. Remak reconnaît si bien que ces mou- vements instinctifs se produisent dans cette expérience qu’il a écrit (1) : « Il est, à la vérité, difficile pour beaucoup de personnes de pouvoir s’abstenir de faire agir leur volonté de manière que l’action reste privée des influences qu’une telle innervation en- gendre au moment de l’entrée de ce même courant. » J’ai voulu, ainsi que d’autres personnes qui se sont prêtées à cette expérience, me roidir contre la douleur et empêcher ces mouve- ments instinctifs; mais alors nous n’avons pas vu se manifester dans les muscles animés par l’antagoniste du nerf excité, les pré- tendues contractions galvano-toniques de M. Remak. Une fois seu- lement, dans une des expériences que j’ai faites publiquement, nous avons vu la contraction de fermeture se prolonger dans les muscles placés sous la dépendance du nerf médian excité dans la science, phénomène qui n’est pas aussi nouveau qu’on semble le dire. « Le développement de contractions toniques est (dit M. Remak) ordinairement favorisé par les mêmes circonstances qui facilitent la contracion de fermeture, c’est-à-dire une application subito et prompte des rliéophores sur les nerfs. » J’ai vu, en effet, les mouve- ments du poignet et des doigts se montrer au moment de la ferme- ture du courant, persister quelquefois, mais pendant un temps assez court (phénomène antérieurement observé par Ritter). Il y avait certainement alors complication de phénomènes, à savoir ; la contraction due à la fermeture du courant et la contraction pro- duite par la douleur, ou par le passage du courant selon M. Remak. Pour éviter la contraction de fermeture, j’ai fait passer le courant à travers une couche épaisse de liquide, de manière que sa fermeture ne produisait pas de contraction; puis j’ai augmenté progressive- ment ce courant, à l’aide du procédé indiqué précédemment (page 10), jusqu’à ce qu’il arrivât dans toute sa force; et jamais alors, si nous empêchions les mouvements instinctifs occasionnés par la douleur, nous n’avons observé d’autres contractions que des contractions fibrillaires, oscillatoires. GALVANISATION PAR COURANTS CONTINUS CHEZ L’HOMME. 109 (I) Galvanothérapie. Paris, 1860, iu-8, p. 56. 110 En résumé, il ressort de mes propres expériences (laites pour la plupart publiquement) et des considérations précédentes, que l’exis- tence des contractures par courants galvaniques continus, con- tractures dites contractions galvano-toniques (1), que leur existence réelle, dis-je, n’est pas encore démontrée. Jetais grâce à mes lecteurs des hypothèses nombreuses hasardées par M. Reraak, pour théoriser des faits aussi complexes, aussi irréguliers. C’est cependant sur de tels faits, sur de telles théories, que ce physiologiste a prétendu avoir édifié une nouvelle méthode de gal- vanisation thérapeutique ! Oh ! certes, personne ne contestera la nouveauté de ses théories. Mais en quoi donc consiste la nouveauté de sa manière d’exciter les muscles de l’homme en employant le courant galvanique con- tinu? N’a-t-on pas vu dans cet article, § I et § II, que, dans mes recherches déjà anciennes (et bien d’autres l’avaient pratiqué avant moi), j’ai fait passer un courant continu, constant et puissant ( 20 à '25 éléments de Bunsen ) dans la continuité des nerfs de l’homme. Il est vrai que le plus ordinairement j’ai tenu mes rhéo- phores un peu plus rapprochés l’un de l’autre que ne l’a fait M. Remak. Mais cette petite différence dans le procédé ne constitue pas à elle seule une nouvelle méthode galvano-thérapeutique. Et puis, qui croira qu’une différence aussi minime entre ce procédé employé par M. Remak et le mien, ait pu donner des résultats thérapeutiques si différents? D’ailleurs, j’ai commencé depuis plusieurs mois de nouvelles ex- périences électro-thérapeutiques sur la galvanisation des nerfs par courants continus et les plus constants, en me conformant exac- tement au procédé de M. Remak, comparativement avec la faradi- sation localisée; et je déclare que, pour ce qui a trait au traitement des paralysies, je n’ai jusqu’à présent aucune raison pour modifier les conclusions que j’ai déduites de mes recherches antérieures. Quoi qu’il en soit, en présence du magnifique programme des CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. (1) Pourquoi donc M. Remak a-t-il appelé ces contractures par courants con- tinus : Contractions galvano-toniques? Qu’on ne croie pas cependant que la force tonique joue un rôle dans leur production. L’auteur a-t-il voulu prévenir cette méprise en disant (loc. cit., page 57) : « Il était probable qu’on ne pouvait pas (pour l'explication de ces phénomènes) se reporter à un trouble de l’équilibre d’innervations centrales. » Est-il besoin d’ajouter aussi que les faits électro-phy- siologiques que M. Remak croit avoir observés, n’ont aucune espèce de rapport avec les phénomènes électro-musculaires découverts par M. Dubois-Regniaud, et qui constituent l’électrotonos? ELECTRISATION DES EXTREMITES NERVEUSES PAR ACTION RÉFLEXE. guérisons que M. Hemak dit avoir obtenues par les courants continus et constants (cet habile guérisseur traite même les rhumatismes arti- culaires et d’autres affections inflammatoires par les courants con- tinus ! ), il est de mon devoir de recommencer mes expériences galvano-thérapeutiques par cette méthode que j’avais abandonnée. J’en ferai connaître les résultats en temps opportun. 111 ARTICLE II. ÉLECTRISATION DES TERMINAISONS NERVEUSES PAR ACTION RÉFLEXE. Avant d’étudier l’influence thérapeutique de ce procédé d’électri- sation, il est important de bien connaître son mode d’action physio- logique. Suivant les lois connues de la propagation du principe nerveux dans les nerfs moteurs, la force motrice s’exerce uniquement dans la direction des branches qui se rendent aux muscles, et jamais en sens inverse. Il s’ensuit que l’électrisation des terminaisons ner- veuses des membres ne doit pas faire entrer en contraction les muscles qui reçoivent leurs filets nerveux de nerfs placés au-dessus du point excité. C’est, en effet, ce qui arrive lorsqu’on localise l’excitation élec- trique dans les terminaisons des nerfs, en tenant les deux rhéopbores d’une batterie galvanique ou d’un appareil d’induction dans une seule main (avec la précaution, bien entendu, de ne pas les mettre en contact). On ressent alors quelques contractions dans les muscles des éminences tbénar et hypothénar, avec des fourmillements ou des picotements dans les doigts, produits par l’excitation des nerfs collatéraux ou de la pulpe des doigts; les muscles de l’avant-bras n'entrent pas alors en contraction. Mais si, au lieu de tenir ces deux rhéopbores dans une seule main et à la même hauteur, on les éloigne l’un de l’autre, soit en plaçant l’un dans la main et l'autre sur la partie supérieure du membre, soit en tenant un rbéophore dans chaque main, on voit alors entrer en contraction les muscles de Vavant-bras ou du bras, selon le degré d’in- tensité du courant. Les contractions musculaires, provoquées par ce procédé d’électrisation, sont incomplètes et irrégulières, et ne sont pas en rapport avec l’intensité de la douleur qui les accom- pagne et qui retentit ou dans les poignets ou dans les coudes, ou enfin dans les épaules, quand le courant est intense. Cette sensation, dans ce cas, est très douloureuse, et laisse après elle un brisement dans les jointures. Dans ces diverses expériences, l’excitation est toujours plus 112 CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. forte dans les points qui se trouvent en rapport avec iC pôle négatif. De ces deux expériences, je tire les déductions suivantes. 1° L’électrisation localisée, dans les terminaisons nerveuses d’un membre, ne produit que des phénomènes locaux en rapport avec les fonctions de l’organe excité, c’est-à-dire des sensations limitées au point excité. 2° Pour développer des contractions dans les muscles placés au-dessus des terminaisons nerveuses, il faut éloigner les rhéophores l'un de l’autre, de manière que les courants parcourent longitudinalement les membres ou plutôt leurs nerfs; c’est l’électri- sation par action réflexe. 3° Enfin l’électrisation par action réflexe agit spécialement sur la sensibilité qui retentit sur les racines posté- rieures, affecte les racines antérieures de la moelle, et produit ainsi dans les muscles qui dépendent des nerfs dont les terminaisons ont été excitées, des contractions irrégulières et peu en rapport avec l’intensité des sensations. L’électrisation des extrémités nerveuses, par action réflexe, se pratique en général en plongeant les extrémités du sujet dans deux bassins remplis d’eau, et mis en rapport avec les rhéophores. Ce mode opératoire a joui d’une grande faveur parmi les médecins, à cause de sa simplicité, et surtout à cause de l’énergie de son action. Enfin sou application n’exige pas l’emploi d’un appareil d’une grande per- fection et d’une grande puissance (1). 11 est quelquefois indiqué d’exciter les centres nerveux. C’est dans ce cas qu’on a recours ordinairement à la noix vomique ou à des préparations diverses qui possèdent, on le sait, la propriété spéciale de provoquer des contractions musculaires, en stimulant l’arbre nerveux. L’électrisation par action réflexe agit d’une manière analogue, bien qu’elle excite évidemment plus la sensibilité que la contractilité musculaire. Je l’ai donc appliquée au traitement de certaines para- lysies où je pouvais sans danger porter la stimulation vers les centres nerveux. Je n’ai malheureusement pas à me féliciter de l’emploi de ce mode d’électrisation; quelques-uns des paralytiques que j’ai fara- disés par ce procédé, ont, il est vrai, éprouvé quelquefois une amé- lioration; mais un plus grand nombre d’entre eux ont ressenti des douleurs profondes dans le trajet des nerfs, dont les ramifications (I) On verra dans le cours de ce livre (troisième partie) que Marshall Hall a eu recours à ce procédé d’électrisation croyant étudier ainsi l'état de l’irritabilité musculaire dans les paralysies. ÉLECTRISATION DES EXTRÉMITÉS NERVEUSES PAR ACTION RÉFLEXE. 113 avaient été excitées; douleurs qui oiit souvent persisté sous forme de névralgies. L’excitation énergique des nombreuses ramifications nerveuses, spécialement destinées à la sensibilité, explique la fré- quence de ces accidents. La faradisation par action réflexe expose les malades aux accidents les plus graves, lorsqu’il existe un travail inflammatoire vers leurs centres nerveux. Observation V. — Un étudiant en médecine, M. X..., âgé de vingt-deux ans, avait été frappé d’apoplexie en 1851. L’hémiplégie qui régnait à gauche et qui était due à une hémorrhagie cérébrale, s’était dissipée pro- gressivement en une année. Mais les mouvements volontaires étaient gênés par la contracture continue de quelques muscles, surtout des fléchisseurs de l’avant-bras et de la main, contracture qui s’étendait à un plus grand nombre des muscles quand il voulait faire certains mouvements ou qu’il éprouvait une impression quelconque. Ces phénomènes annoncent un travail cérébral qui, peut-être, favorise la résorption du caillot sanguin, la cicatri- sation, etc,, mais qu’il faut se garder de surexciter, sous peine d’augmenter la contracture et même de provoquer les plus graves accidents. Telle ne fut pas cependant la pensée du jeune étudiant qui, ayant mal interprété une de mes publications, croyait qu’on pouvait sans danger appliquer, dans tous les cas, la faradisation au traitement de l’hémiplégie cérébrale, de six mois à un an après la résorption de l’hémorrhagie cérébrale. Ce jeune homme n’avait pas compris la différence qui existe entre limiter l'excitation électrique dans les muscles et produire leur contraction au moyen d’une forte électrisation par action réflexe. Voici ce qu’il fit dans l’espoir de hâter sa guérison. Ayant mis en action une hélice inductive, dont les intermittences mar- chaient avec une grande rapidité (à l’aide d’un trembleur), il prit dans chaque main un cylindre métallique excitateur, de manière que le courant de l’hélice parcourût ses nerfs brachiaux des extrémités aux centres. Au moment où le courant commença à passer, ses mains se fermèrent avec une grande force, sans qu’il pût lâcher les cylindres. Sentant alors que son membre paralysé se contracturait très douloureusement, il eut la présence d’esprit de renverser d'un coup de pied la pile de Bunsen. Le courant s’arrêta à l’instant, mais il était trop tard ; son action, qui n’avait duré que quelques secondes, avait déjà occasionné les plus graves désordres ; la tôle était extrêmement douloureuse, la contracture avait gagné tout le côté, et une heure après, le pauvre jeune homme, qui se trouvait seul dans sa chambre, fut trouvé étendu sur le plancher, se roulant dans des convulsions. Il fut transporté à la Charité dans le service de M. Piorry, où je recueillis, de sa propre bouche, la malheureuse histoire que je viens de raconter. Sa vie fut pendant plusieurs jours en danger; malgré les saignées réitérées, les pur- DUCHENNE. m CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. galifs et un vésicatoire à la nuque, les contractures douloureuses et comme tétaniques persistèrent plusieurs semaines. Enfin ce ne fut qu'après un assez long séjour à l’hôpital, qu’il put sortir, ayant conservé dans son côté droit des contractures beaucoup plus générales et beaucoup plus fortes qu’avant qu’il eût conçu la malheureuse idée de s’électriser par action réflexe. Si, dans ce cas, l’excitation électrique eût été limitée aux muscles paralysés, malgré les conditions particulières où se trouvait le centre cérébral de ce jeune homme, conditions qui, pour moi, contre-indiquent l’application de la faradisation même localisée, ces accidents graves, évidemment dus ici à une surexcitation centrale, énergique, ne seraient très probablement pas arrivés, ,1e puis l’affir- mer, parce qu’une longue expérience me l’a appris. Combien de fois, en effet, n’ai-je pas, dans mes recherches, faradisé localement les muscles de sujets qui se trouvaient dans le même état que ce jeune homme, sans observer le moindre inconvénient? J’en suis arrivé à conclure que ces applications localisées sont alors seule- ment inutiles, mais non dangereuses, quand elles sont faites avec circonspection. Au début de mes recherches, il m’est quelquefois arrivé de faradiser par action réflexe les muscles contractures des sujets hémiplégiques, et j’ai souvent eu lieu de m’en repentir; aussi ai-je renoncé bien vite à une méthode d’électrisation aussi dan- gereuse. ARTICLE III. ÉLECTROPONCTÜRE. L’application de l’électropuncture au traitement des paralysies a constitué un véritable progrès à l'époque où Sarlaudière l’intro- duisit dans la pratique. Pour bien apprécier l’importance des ser- vices rendus par cette méthode à la thérapeutique, il faut se rap- peler quel était alors l’état de l’électricité médicale. On sait quel enthousiasme cet agent thérapeutique excita dès son origine, à l’époque où fut inventée la machine électrique. On trouve, en effet, des observations de guérisons incontestables, dues à l’élec- tricité de tension, dans les auteurs qui, à cette époque, se sont occupés d’électricité médicale, c’est-à-dire de l7ù7 à 1755. Kruger, professeur à Helmstadt, est le premier qui l’ait employée, comme agent thérapeutique, au commencement de 17àù. Deux années plus tard, en 17à6, quand on fut familiarisé avec les effets de la bouteille de Leyde, dont les tortes décharges avaient d’abord inspiré une grande terreur, Jacobi, Herman-Klyn guérit, avec cet appareil, une ELECTIlUriJiNC l UKE. 115 femme qui était paralysée depuis deux ans. Après eux, viennent l’abbé IVollet, Privata (de Venise), Sauvage, Zindult, médecin sué- dois, qui l’employa dans le traitement de la cborée en 1753, etc. (1). L’électricité médicale, injustement abandonnée quelques années après sa naissance, fut reprise avec une nouvelle ardeur. Mauduit fut nommé rapporteur d’une commission par la Société royale de médecine, à l’effet de déterminer la valeur réelle de l’électricité employée contre la paralysie. Malgré le brillant rapport de ce savant physicien, faiten 1773 et dans lequel la guérison des paralysies par cet agent électrique était présentée comme étant la règle; malgré les travaux de l’abbé Bertholon, en 1779, deGavallo en 1 780, de James Larry, en 1800, et un grand nombre d’écrits qui lurent publiés sur ce sujet en France, en Angleterre, en Allemagne, etc., l’électricité ne put supporter l’épreuve du temps. Les résultats n’ayant pas paru en rapport avec les espérances qu’en avaient conçues quelques esprits ardents, il s’ensuivit une sorte de déconsidération pour cet agent thérapeutique. Cependant la découverte de Galvani, qui date de 1789, et bientôt après, la pile de Volta offrirent à la médecine une nouvelle source d’électricité bien précieuse et dont on fit, ainsi que je l’ai dit précé- demment, de nombreuses applications thérapeutiques, surtout en Allemagne, de 1797 à 180A. Mais, soit que les promesses, peut- être exagérées, de ces expérimentateurs, n’aient pas été réalisées dans la pratique générale, soit qu’on ne sût pas tirer parti de cet agent, soit que les appareils alors en usage fussent insuffisants, d’une action trop irrégulière, ou d’une application trop difficile et trop incommode, l’électricité galvanique ne put sauver l’électricité médicale d’une indifférence générale. Tel était l’état de l’électricité médicale en France, à l'époque où Sarlandière (2) eut l’ingénieuse idée de faire servir l'acupuncture à diriger et à limiter la puissance électrique dans la profondeur des organes. Cette méthode, qui supplée à la faiblesse des appareils en augmentant la puissance de l’action physiologique de l’électricité sans exposer les malades aux effets foudroyants de la bouteille de Leyde, remplaça bientôt les procédés anciens, et donna une nou- velle vie à l’électricité médicale. M. Magendie contribua puissam- ment, par son talent et par l’autorité de son nom, à la vulgariser. (1) On pourrait certainement faire remonter l’électricité médicale au temps les plus reculés, car on sait que l’électricité de la torpille fut employée dès l’an- tiquité, bien avant Galien, comme remède contre un certain nombre de maladies. (2) Mémoires sur Véleclropunclure, Paris, 1825. 116 CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. ,1c vais essayer, cependant, de démontrer que l’électropuncture est loin d’atteindre le but que s’étaient proposé Sarlaudière et M. Magendie. g I. — L’élcctropuncturc ne localise pas exactement l'excitation électrique dans les organes. J’espère fournir la preuve de cette proposition en analysant suc- cessivement les phénomènes de sensibilité électro-cutanée et les phénomènes de contractilité et de sensibilité électro-musculaires, qui se développent sous l’influence de Félectropuncture. Chez les sujets maigres, ou chez ceux dont le tissu cellulaire sous- cutané est peu abondant, des aiguilles enfoncées dans la peau de manière à ne pas aller au delà de l’épaisseur du derme, produisent, même sous l’influence d’un courant assez faible, l’excitation simul- tanée de la peau et des muscles ou des nerfs, si ces aiguilles sont placées au niveau ou de ces muscles ou de ces nerfs. Pour que l’ex- citation électrique soit arrêtée dans la peau, il faut que le tissu cel- lulaire soit abondant ou infiltré de sérosité, et que le courant soit très faible. L’éleclropuncture ne peut provoquer la contraction musculaire sans exciter en même temps la sensibilité de la peau. Pour empêcher l’action des aiguilles sur la sensibilité cutanée, M. Pétrequin a fait recouvrir le corps de ces aiguilles d’une couche de caoutchouc, ne laissant libres que leurs extrémités dans l’étendue de 1 ou de 2 mil- limètres, à partir d’un millimètre de la pointe. Mais l’enduit de caoutchouc qui n’est pas assez épais, s’humecte et se ramollit, quand l’aiguille plonge dans les tissus; alors il se laisse traverser par le courant qui excite la peau presque aussi vivement que si l’aiguille agissait à nu. Les malades sur lesquels j’ai fait l’essai comparatif de ces aiguilles et des aiguilles ordinaires, n’ont observé aucune diffé- rence entre elles, quant à l’influence qu’elles exercent sur la sensi- bilité de la peau. La sensation cutanée développée par Félectropuncture masque la sensation musculaire produite par l’excitation directe du muscle dans lequel l’aiguille est enfoncée. On pourrait penser que ces deux sensations sont les mêmes et se confondent. 11 n’en est pas ainsi, comme on le verra dans les expériences suivantes. Chez des blessés, j’ai enfoncé des aiguilles dans des parties de muscles dénudés, et dans des points où ces muscles étaient recouverts par la peau intacte; puis je les ai électrisés successivement. Dans la première expérience, la sensation fut sourde comme est la sensation spéciale à l’excitation musculaire : elle fut semblable à celle qui se produit ordinairement sous l’influence de rhéophores humides, placés sur la peau intacte. Dans la seconde expérience, la sensation tut très vive; elle eut le caractère propre à l’excitation électro-cutanée par les aiguilles ou par des fils métalliques excitateurs, posés sur la peau sèche. Peut-on produire, à volonté, la contraction d’un muscle ou d’un faisceau musculaire, ou seulement de quelques fibres musculaires? Bien que j’aie eu le soin de placer les aiguilles loin des troncs ner- veux, les contractions musculaires que j’ai observées dans mes ex- périences ont presque toujours été irrégulières et imprévues. Tantôt, en effet, elles étaient fibrillaires et limitées dans un certain rayon de l’aiguille ; tantôt elles s’étendaient au muscle entier, et quelquefois à plusieurs muscles à la fois. Il est évident que dans ces différents cas, les effets ont varié, suivant que l’aiguille a rencontré les filets ner- veux qui s’étendaient à un ou plusieurs muscles, ou qu’elle n’était en rapport qu'avec les fibres musculaires. On voit donc que, dans l’électrisation musculaire par l’électropuncture, le hasard seul préside à la production des phénomènes de contraction et domine la volonté de l’opérateur. Sarlandière prescrivait de placer les aiguilles loin des troncs ner- veux et professait que l’influence thérapeutique de l’électropunc- ture était plus grande en agissant sur les extrémités nerveuses. Contrairement à ces principes, M. Magendie eut la hardiesse de pra- tiquer l’éleclro-puncture en traversant les troncs nerveux avec des aiguilles. Cette opération peut paraître très facile à ceux qui possè- dent quelques connaissances anatomiques; mais elle n’est pas aussi simple qu’on pourrait se l’imaginer, quand on ne l’a pas essayée. S’il est vrai que l’on peut atteindre quelquefois le médian, le cu- bital, le crural, il n’en est pas de même du radial, du sciatique et des poplités. Â la face, il est possible de planter des aiguilles dans les nerfs sous-orbitaire et mentonnier. Mais qui prétendrait piquer à coup sûr le tronc de la septième paire ou les filets de ce nerf? Celle méthode me paraît presque toujours impraticable. D’ailleurs elle ne permet pas de limiter l’action électrique dans les nerfs; car on ne peut arriver à ces derniers sans traverser la peau, qui alors est inévitablement excitée. ÉLECTROPUNCTÜRE. 117 § II, — Dans les anesthésies cutanées on dans les lésions de la sensibilité tactile, réleclropnneture est insuffisante un inapplicable. J'établirai par la suite qu’en général, dans l’anesthésie, la faradi- sation cutanée rappelle la sensibilité seulement dans les points qui 118 CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. sont en rapport avec les rliéophores. Il en résulte donc que, pour obtenir la guérison des anesthésies cutanées par l’électropuncture, il faudrait couvrir d’un grand nombre d’aiguilles toute la surface de la peau dépourvue de sensibilité. On conçoit qu’une pareille opé- ration serait impraticable, surtout si elle devait être souvent renou- velée. Dans certains cas légers, il suffit d’une excitation faite par un très petit nombre d’aiguilles, pour rappeler la sensibilité; mais ces cas sont exceptionnels. L’électropuncture ne peut servir à rappeler la sensibilité tactile ni de la main, ni de la plante du pied; car on ne peut planter des aiguillesxlans les doigts ou dans les téguments de la plante du pied, sans s’exposer à produire des panaris ou une inflammation. § III. — L’éleelropiincture. appliquée au traitement des para* lysies du mouvement, ne parait pas produire les résultats qu'on obtient par l'électrisation localisée de chacun des mus- cles à l’aide des rlicopliores humides, placés sur la peau. Des succès nombreux et incontestables attestent la puissance thé- rapeutique de l’électropuncture, dans le traitement des paralysies. Elle a produit, je le répète, beaucoup plus que les méthodes qui l’ont précédée. Cependant elle doit céder le pas à la faradisation localisée, pratiquée, on le sait, à l’aide des rliéophores humides placés sur la peau intacte, méthode dont j’établirai plus lard, par des faits, l’importance au point de vue thérapeutique. Il n’existe aucune règle pour la pratique de l’électropuncture, dans le traitement des paralysies. Dans quels points des membres paralysés doivent être placées les aiguilles? En quel nombre faut-il les implanter? A quel degré d’intensité doit-on agir? Tout cela est abandonné a la fantaisie de chaque opérateur. Quelques praticiens, a l’exemple de M. iVIagendie, ont essayé de traverser avec des aiguilles les nerfs qui animent les muscles para- lysés. Il ressort de mes recherches que l’excitation électrique des troncs nerveux dans le traitement des paralysies, produit des résul- tats peu favorables. D’ailleurs, ce mode d’excitation fût-il excellent, l’électrisation des troncs nerveux est presque toujours impraticable par l’électropuncture, comme je l’ai dit plus haut. Le procède généralement adopté, dans la pratique de l’électro- puncture, consiste à placer, à la partie supérieure et inférieure du membre, des aiguilles qu’on met en rapport avec les pôles d’un ap- pareil galvanique ou faradique. Par ce procédé, l’excitation élec- trique est faite d’une manière fort inégale, et ne profite qu’a un petit nombre de muscles. Ceux de ces derniers qui n’ont pas reçu direc- électkopunctüre. 119 tentent la stimulation électrique doivent rester le plus souvent paralysés. Pour que l’excitation fût complète, dafis le traitement des para- lysies par rëlectropuncture, il faudrait que des aiguilles fussent implantées dans chacun des muscles paralysés. Déplus, comme il me paraît démontré par des faits nombreux que l’action thérapeu- tique est limitée, en général, aux points qui sont en contact avec les rhéophores, ou du moins qu’elle se répand seulement dans un petit rayon, il faudrait encore que le nombre d’aiguilles destinées à exciter chacun des muscles fût proportionné à la longueur et à la largeur de ces derniers. Une telle opération serait un véritable sup- plice auquel les malades ne voudraient jamais se soumettre, surtout lorsqu’il s’agirait de paralysies de quelque étendue, à cause de la durée de cette opération et des souffrances inévitables qu’elle produirait. Combien est simple et rapide, au contraire, la faradisation loca- lisée dans chacun des muscles paralysés par les rhéophores humides appliqués sur la peau intacte. Dans l’éleclropuncture, l’aiguille traverse l’épaisseur du muscle, tandis que dans la faradisation localisée, les rhéophores humides n’agissent que sur la surface. On pourrait en induire que l’électro- puncture possède plus de puissance thérapeutique que la faradisa- tion localisée par les rhéophores humides. Cette opinion ne serait pas exacte; car j’ai établi précédemment qu’en appliquant un rhéophore humide sur la surface d’un muscle, l’excitation électrique traverse ce dernier d’autant plus profondément, que les courants sont plus intenses. On peut donc, avec les rhéophores humides, traverser un muscle dans le sens de son épaisseur, aussi bien qu’avec les aiguilles. De plus, en promenant ces rhéophores sur toute la surface des mus- cles, on les pénètre, pour ainsi dire, d’électricité en tous sens, ce qu’on ne pourrait jamais obtenir avec l’éleclropuncture. J’ai vu plusieurs paralysies modifiées heureusement sous l’in- fluence de la faradisation localisée par les rhéophores humides, et contre lesquelles l’électropuncture avait cependant complètement échoué. L’électropuncture fût-elle aussi efficace, aussi praticable que la faradisation musculaire, les douleurs qui sont inséparables de son action devraient lui faire toujours préférer cette dernière méthode. J’établirai en effet, par la suite, que l’électrisation douloureuse est dangereuse dans certaines paralysies, dans la paralysie cérébrale, par exemple. L’électropuncture est donc contre-indiquée dans ces cas, ainsi que dans tous ceux qui exigeraient de nombreuses 120 séances. (On verra que la guérison de certaines paralysies demande jusqu’à soixante à quatre-vingts séances.) C’est surtout chez les enfants qu’il importe de pratiquer l’électri- sation sans douleur. Combien de parents, et même combien de médecins n’osent infliger aux jeunes paralytiques le supplice de l’électropuncture, qui est toujours douloureuse, quelque faible que soit l’intensité du courant ! Et cependant, l’électricité est appelée à rendre les plus grands services, non-seulement dans le traitement, mais encore dans le diagnostic et le pronostic de la paralysie de ces enfants, comme on le verra par la suite. Il est encore d’autres inconvénients qui s’attachent à l’électro- puncture, et qui ne sont point à craindre dans la méthode d’électri- sation localisée que je préconise. Je veux parler de la désorganisation des tissus qui sont en contact avec les aiguilles, de leur inflamma- tion, des petits abcès dont ils sont le siège. Je n’insisterai pas sur ces accidents qui sont signalés par tous les observateurs qui prati- quent l’électropuncture. Enfin l’électropuncture développe souvent des névralgies graves et opiniâtres. En voici un exemple : Un des élèves de M. Magendie, A. Bérard, consentit un jour à se prêter à une expérience électro- physiologique, et permit à ce célèbre professeur de lui pratiquer l’électropuncture sur la face. Sa complaisance ou plutôt sa curio- sité lui coûta bien cher; car l’opération fut suivie d’une névralgie faciale qui le lit souffrir cruellement, pendant cinq à six mois. L’élève auquel nous faisons allusion, devint un des plus brillants professeurs de l’École de Paris; malheureusement il fut trop tôt enlevé à la science. Ce fait m’a été rapporté par son frère, le profes- seur de physiologie. Des considérations critiques que je viens d’exposer, il ne faut pas conclure que l’électropuncture doit être exclue de la pratique? Je crois, au contraire, que dans certains cas cette méthode peut être un auxiliaire puissant de la faradisation localisée (1). CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES ET CRITIQUES. (1) L’électropunclure est appelée à rendre encore bien des services surtout dans sou application à la chirurgie, soit pour aider à la résolution de certaines tumeurs ganglionnaires et à la destruction de certains kystes du foie ou de l’ovaire, soit pour coaguler le sang dans le traitement des anévrysmes. APPAREILS FARADIQüES. 121 CHAPITRE 1Y. DES APPAREILS FARADIQÜES, AU POINT DE VUE DE LEUR APPLICATION A LA PHYSIOLOGIE, A LA PATHOLOGIE ET A LA THÉRAPEUTIQUE. Le choix d’un bon appareil est d’une grande importance dans la pratique de l’électrisation localisée. A quoi servirait-il, en effet, de bien posséder cet art, si l’appareil qui doit servir à son application ne répondait pas aux besoins des études physiologiques et patholo- giques, et de la thérapeutique ? Je me propose donc, dans ce chapitre, 1° d’examiner les propriétés que doivent posséder les appareils faradiques, au point de vue de la faradisation localisée et de l’application de cette méthode à la phy- siologie, à la pathologie et il la thérapeutique; 2° d’examiner si les appareils faradiques répandus dans la pratique réunissent l’ensemble de ces propriétés; 3° d’exposer la description et les propriétés des appareils faradiques que j’ai dû imaginer dans le but de poursuivre mes recherches, et qui me paraissent répondre aux progrès de l’électricité médicale. ARTICLE PREMIER. PROPRIÉTÉS QUE DOIVENT POSSÉDER LES APPAREILS. AU POINT DE VUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE ET DE SON APPLICATION A LA PHYSIOLOGIE. A LA PATHOLOGIE ET A LA THÉRAPEUTIQUE. § I. — Tout appareil t'aradique destiné à la pratique médicale, qui ne possède pas la première et la seconde hélices, et dont eelles-ci ne sont pas construites d’après certaines proportions de section et de longueurs de leurs (ils, ne répond pas à tous les besoins de la thérapeutique. Cette proposition n’est qu’une déduction tirée des expériences et des faits exposés dans l’article III du chapitre Ier, et qu’il serait superflu de reproduire ou même de résumer de nouveau. Elle ne serait contestable que si les faits sur lesquels elle repose, étaient eux- mêmes contestables. Or, ces faits ont subi l’épreuve de l’expérimen- tation publique et du temps ; ils ont été sanctionnés par plusieurs commissions académiques, contrôlés et enseignés par un grand nombre d’expérimentateurs, en France et à l’étranger. Ils sont donc acquis à la science, malgré quelques mauvais vouloirs partiels et inexplicables. J’ai précisé les conditions dans lesquelles je me suis placé, pour 122 APPAREILS FaHADIQUËS. obtenir les résultats électro-physiologiques que j'ai exposés, .l’ai dit quelles devaient être, approximativement, la section et la longueur des fils des deux hélices à double induction, lors que l’on veut doter ces derniers du maximum des propriétés différentielles dont elles peuvent jouir. 11 est évident que l’on devra se placer dans les mêmes conditons d’expérimentation, lorsqu’on aura à juger la va- leur de mes recherches électro-physiologiques et des déductions que j’en ai tirées, ou lorsqu’on aura à en taire l’application pra- tique. A ce point de vue, les appareils faradiques médicaux doivent donc être construits d’après les principes que j’ai posés. § II. — Les intermittences, lentes ou rapides, des appareils de faradisation produisent des effets physiologiques spéciaux, qui ne peuvent se suppléer mutuellement dans la pratique. Pour faire ressortir l’utilité ou la nécessité, les inconvénients ou les dangers des intermittences plus ou moins rapides ou plus ou moins lentes des courants faradiques, il me suffira d'exposer les phénomènes physiologiques que l’on voit se développer sous leur in- fluence, et d’en tirer immédiatement des déductions pratiques, déductions qui seront toujours justifiées par les faits publiés dans le cours de ce livre. A. Action des intermittences rapides des courants faradiques. 1. Sur la contractilité électro-musculaire.— Le muscle qui reçoit l'excitation d’une seule intermittence d’un courant d’induction, se contracte, puis retombe immédiatement dans un relâchement com- plet. Si cette intermittence est suivie de plusieurs autres, les cou tractions musculaires se succèdent,et le muscle se relâche d’autant moins pendant les intervalles des intermittences que celles-ci sont moins éloignées. 11 en résulte que les libres musculaires se raccour- cissent d’autant plus que le courant d’induction est plus rapide. Il faut se garder d’en conclure qu’un courant rapide tait contrac- ter plus énergiquement les muscles qu’un courant a rares intermit- tences. Ce serait une erreur, comme le prouve l’expérience suivante. Que Ton fasse contracter avec des intermittences alternativement rares et rapides un muscle paralysé, dont l’irritabilité est intacte, par exemple le fléchisseur des doigts, et qu’on attache un poids à l’ex- trémité des doigts mis en mouvement par la contraction de ce muscle; l’on verra que les intermittences rapides ne donnent pas à ce muscle la force de soulever un poids plus lourd que les inter- mittences rares. Si, par les intermittences rapides, l’étendue de la contraction musculaire est augmentée, si alors le mouvement im- primé au doigt, quand c’est un de ses muscles, est plus étendu ; c'est que les libres musculaires se relâchant peu ou point dans l’In- tervalle des contractions, chaque excitation raccourcit de plus en plus le muscle. Pour obtenir une contraction plus énergique, il faudrait que le courant lût plus intense. Les secousses musculaires, produites par les intermittences, dimi- nuent d’autant plus que ces dernières sont plus rapides, et à une vitesse donnée de ces intermittences, les contractions paraissent con- tinues, comme si elles étaient provoquées physiologiquement par un courant nerveux, c’est-à-dire par la volonté; mais il faut pour cela que les intermittences se fassent avec une rapidité extrême, car, dans le cas contraire, les mouvements seraient compliqués d’une sorte de tremblement. II. Sur la sensibilité musculaire. — Je viens d’établir que la force de la contraction musculaire n’est pas augmentée par la rapidité plus grande des intermittences. 11 n’en est pas de même de la sen- sation produite par l’excitation électro-musculaire, sensation mus- culaire qui est, en effet, d’autant plus grande, que les intermittences se succèdent plus rapidement; cette sensation devient des plus dou- loureuses, presque tétanique, et s’accompagne de crampes au delà d’une certaine vitesse. III. Sur la tonicité musculaire. — Il m’a été démontré par mes recherches que les intermittences rapides augmentent la puissance tonique des muscles, non-seulement lorsque cette puissance est di- minuée, comme on l’observe dans certaines affections musculaires, mais aussi lorsque les muscles sont dans leur état normal. Cette action spéciale des intermittences rapides, lorsqu’elle est longtemps prolongée, peut aller jusqu’à produire la contracture. Les faits desquels ressort la proposition que je viens de formuler seront ex- posés par la suite. On verra alors comment j’ai été conduit à l’ob- servation de ce phénomène, et que, pour le produire, les courants d’induction doivent marcher avec une extrême rapidité. IV. Sur la nutrition musculaire. — La nutrition musculaire se développe infiniment plus sous l’influence des courants à intermit- tences rapides. Les faits nombreux d’atrophie musculaire ou de paralysies atrophiques, dans lesquels j’ai employé comparativement les courants à intermittences lentes et rapides, ne permettent pas le moindre doute à cet égard. V. Sur la sensibilitité électro-cutanée. — Il suffit d’expérimenter sur soi-même pour être convaincu que l’excitation électro-cutanée augmente autant en raison directe de la rapidité du courant qu’en raison de son intensité. PROPRIÉTÉS Qü’lLS DOIVENT POSSÉDER. m m APPAREILS FARALIQÜES. Pour compléter cette étude de l’influence des intermittences ra- pides d’un courant électrique sur la sensibilité, je dirai qu’en géné- ral tout organe qui reçoit des nerfs de la vie animale, est d’autant plus excité douloureusement par un courant, que ses intermittences se succèdent avec plus de rapidité. Enfin les muscles de la vie organique, les intestins, par exemple, se contractent d’autant plus fortement et vite que les intermittences sont plus rapides. B. Indications et contre-indications des intermittences rapides. La connaissance des faits que je viens d’exposer laisse entrevoir les indications ou les contre-indications nombreuses que les inter- mittences rapides des courants faradiques doivent souvent rencon- trer. Je vais faire connaître ce qu’une expérience longue et journa- lière m’a appris sur ce sujet. I. Cas dans lesquels l'emploi des intermittences rapides est indiqué. — a. La propriété que possèdent les intermittences rapides de pro- duire des contractions artificielles imitant parfaitement les mouve- ments volontaires, permet d’en faire l’application à l’élude de l’action individuelle des muscles. Mais on conçoit que ce genre de recherches exige l’emploi d’un courant d’une grande vitesse, sur- tout pour les muscles de la face. Ainsi les appareils électro-magné- tiques, dont les intermittences sont à peine assez rapides pour pro- duire sur les membres et le tronc des contractions musculaires sans tremblement, n’ont pu me servir à l’étude des fonctions musculaires, à la face. Les frémissements continuels dont sont agités les muscles de cette région par les courants de ces appareils, empêchent d’ob- server exactement l’influence que l’action individuelle des muscles exerce sur l’expression du visage. b. L’étude de l’action physiologique des intermittences rapides ou lentes a démontré qu’on peut, à l’aide de ces dernières, agir avec plus ou moins d’énergie sur la contractilité ou la sensibilité muscu- laire. Ainsi, bien que toute excitation électrique d’un muscle pro- duise nécessairement à la fois une sensation et une contraction, on diminue à volonté la force des contractions et l’on augmente la sensation, en combinant un courant de la première hélice dont on connaît l’action spéciale sur la sensibilité musculaire avec des in- termittences rapides, et vice versa. Cette faculté de réveiller énergiquement la sensibilité musculaire, à l’aide des intermittences rapides, peut trouver de très heureuses applications dans les cas où les muscles ont perdu leur sensibilité, et ces cas sont assez fréquents, comme j’aurai l’occasion de le dé- PROPRIÉTÉS QU’lLS DOIVENT POSSÉDER. 125 montrer. Je vais en citer plusieurs exemples : j’ai trouvé fréquem- ment des muscles qui, privés ou non de mouvements volontaires, étaient complètement insensibles à l’excitation électrique. Ainsi je pouvais dans ces cas provoquer les contractions les plus énergiques et avec les courants les plus rapides, sans que les malades en eussent la conscience. Tantôt aussi la peau qui recouvrait ces muscles, était frappée d’anesthésie ; tantôt elle jouissait de sa sensibilité normale. Les sujets privés seulement de la sensibilité de la peau (anesthé- siques ou analgésiques) conservent encore la conscience des mouve- ments qu’ils exécutent ou qu’on imprime à leurs membres, ils res- sentent les coups qu’ils reçoivent et qui atteignent les tissus profonds; quand leurs pieds reposent sur le sol, ils leur semblent placés sur un corps mou, sur un tapis, pas exemple. C’est pourquoi on leur voit frapper fortement le sol en marchant, comme pour mieux le sentir. Sont-ils à la fois privés de sensibilité cutanée et de sensibilité musculaire, comme dans ces derniers cas les os sont aussi privés de sensibilité (ce que l’on constate par l’excitation électrique des sur- faces osseuses), ils ne perçoivent pas les coups les plus violents, ils n’ont plus la conscience de leurs mouvements: ils ne peuvent se tenir dans la station verticale sans regarder le sol qu’ils ne sentent pas; au lit, ils ne retrouvent pas leurs membres s’ils ne les voient pas. Observation VI. — J’ai observé à la Charité, salle Sainte-Marlhe, n° 28, une malade complètement anesthésique qui se croyait comme suspendue dans l’air quand elle ne voyait pas le lit sur lequel elle reposait. Cela lui occasionnait des terreurs continuelles au moment du réveil ; ne sentant pas son lit, elle se croyait menacée d’une chute et n’était bien rassurée que lorsqu’elle avait constaté par la vue qu’elle reposait sur un lit solide. Eli bien, les courants faradiqnes les pins intenses seraient impuis- sants contre ces anesthésies profondes, si leurs rhéophores ne mar- chaient pas à grande vitesse. La malade dont il vient d’être ques- tion, et qui était frappée d’anesthésie générale depuis plusieurs semaines, fut très vite guérie, grâce aux courants à intermittences rapides dont j’opérais la recomposition dans ses muscles, ses nerfs et ses os. .le dois dire que je l’avais vainement faradisée avec des intermittences rares, l’appareil étant au maximum. C’est surtout dans l’anesthésie cutanée, affection si commune, que les intermittences rapides sont nécessaires pour l’influence électro- thérapeutique qu’on veut exercer avec les courants d’induction. Sans elles, on échouerait presque toujours, malgré l’emploi du courant de la deuxième hélice, gradué au maximum. 126 APPAREILS F A1$ AD (QII ES. c. J’ai utilisé, en thérapeutique, la propriété singulière que possè- dent les courants d’induction rapides, d’augmenter la puissance de la tonicité musculaire, cette force qui ne sommeille jamais, et qui, dans l’absence des contractions volontaires, constitue la physio- nomie, à la face, et maintient les membres dans leur attitude na- turelle, qui, enfin, si elle venait à diminuer ou à augmenter, dé- rangerait le mécanisme le mieux combiné, comme cela arrive en pathologie musculaire. On voit, en effet, des muscles se contrac- turer ou perdre plus ou moins leur force tonique. Ce sont des res- sorts qui se tendent ou se relâchent; qu’on me pardonne cette com- paraison triviale, mais juste. Alors la physionomie perd son cachet individuel; les membres prennent des attitudes vicieuses, etc. C’est dans ces circonstances que, pour rétablir l’harmonie des traits du visage, ou pour combattre certaines difformités, on me verra tendre, pour ainsi dire, les ressorts musculaires, tantôt en agissant sur les muscles relâchés, tantôt en opposant une contracture artificielle des muscles antagonistes à la contracture morbide, et cela au moyen de courants d’induction d’une extrême rapidité. Ce sujet important et entièrement nouveau sera traité avec soin dans le cours de ce livre. d. Enfin l’expérience m’a démontré que l’emploi des courants à intermittences rapides est nécessaire au traitement des atrophies musculaires, qu’elles soient ou non compliquées de paralysies. IL Cas dans lesquels les intermittences rapides sont conlre-indiquées. — L’utilité et même la nécessité des courants d’induction rapides me paraissent parfaitement établies par les considérations précé- dentes. Malheureusement toutes les médailles ont leur revers ; on va voir que les propriétés mêmes de ces courants rapides en ren- dent, dans certains cas, l’emploi dangereux ou difficile. a. 11 existe une époque à laquelle les paralysies de cause cérébrale peuvent être avantageusement traitées par la faradisation localisée, c’est lorsque la lésion primitive est disparue ou diminuée. L’épan- chernent sanguin, par exemple, est résorbé en tout ou en grande partie, après six mois, un an. Il peut ne rester, dans le cerveau, qu’une cicatrice ou kyste peu volumineux. L’influence cérébrale arrive librement ou moins difficilement aux muscles; mais ceux-ci ne réagissent plus. Dans ce cas, la paralysie est localisée dans les muscles, et alors la faradisation localisée leur rend leur aptitude motrice, c’est ce que je démontrerai. Mais comment diagnostiquer exactement l’état du cerveau? Est-il jamais possible d’altirmer à coup sûr qu’il n’existe plus autour du kyste cérébral un reste de travail inflammatoire, résolutif, qu’une étincelle pourrait rallumer? PROPRIÉTÉS QU’ILS DOIVENT POSSÉDER. 127 Ne sait-on pas d’ailleurs qu’une première héraorrtiagie cérébrale prédispose à une seconde, et que toute excitation générale trop forte peut retentir sur le centre nerveux et provoquer des accidents du même ordre? L’application d’un appareil dont les intermittences sont rapides, n’en est donc que plus dangereux, dans le traitement des paralysies cérébrales. Je dois avouer que j’en ai fait la triste expérience, au commencement de mes recherches. De tout ce qui précède il ressort que, pour les paralysies céré- brales, on doit être très circonspect dans l’emploi de la faradisa- tion localisée et qu’il faut éviter d’exciter trop vivement alors la sen- sibilité générale, sous peine d’exposer le malade aux plus graves ac- cidents. Or, on le sait, la faradisation par les intermittences rapides provoque vivement la sensibilité. De ce que les courants à intermittences rapides sont dangereux ou inapplicables dans le traitement des paralysies cérébrales, il ne fau- drait pas en conclure que ces paralysies ne doivent pas être sou- mises à la faradisation localisée. Qu’on se rappelle, en effet, qu’il est possible de provoquer par la faradisation localisée les contractions les plus énergiques, sans produire des sensations trop douloureuses, pourvu que les intermittences soient suffisamment éloignées les unes des autres (une ou deux par seconde, par exemple). Pratiquée ainsi avec de rares intermittences, la faradisation localisée ne fait courir aucun danger au malade, et elle peut lui être d’une grande utilité. La faradisation musculaire rapide est nécessaire seulement lors- que les muscles ont perdu à des degrés divers leur sensibilité, ou lorsqu’ils sont menacés dans leur nutrition. Or, la sensibilité des muscles est rarement atteinte dans la paralysie cérébrale, et quant à leur nutrition, j’établirai plus tard que la fibre musculaire reste intacte dans cette affection ; car on ne peut pas considérer comme une lésion dénutrition, l’amaigrissement qui se traduit quelquefois alors, à la longue et uniquement par défaut d’exercice. h. Quand bien même l’état des centres nerveux ne contre-indique- raitpas l’emploi des intermittences rapides, il n’est jamais indiffé- rent de pratiquer la faradisation musculaire avec ou sans douleur, car il est des sujets qui soit par défaut d’énergie, soit en raison de leur excitabilité nerveuse, ne peuvent la supporter. Je citerai comme exemple les femmes et les enfants. Si, d’un côté, la propriété que possèdent les intermittences rapides d’augmenter la puissance tonique des muscles et de produire souvent leur contracture, est quelquefois utilisée en thérapeutique, d’un autre côté, elle peut occasionner de grands désordres. Ainsi j’éta- blirai, par des faits, qu’appliquée à la face, elle produit, dans cer- 128 APPAREILS FARADIQUES. tains cas , des contractures qui entraînent après elles des difformités incurables. c. Enfin il est une foule de circonstances où les besoins théra- peutiques ne demandent que l’application d’un très petit»nombre d’intermittences isolées, comme lorsqu’il s’agit d’exciter la mem- brane du tympan, dans le traitement de la surdité, etc. Ces considérations démontrent surabondamment que la faradisa- tion à intermittences rapides trouve de nombreuses et utiles appli- cations en physiologie et en thérapeutique, mais que dans certains cas où elle est appliquée à l’excitation musculaire, elle est dange- reuse, à cause des accidents ou des difformités qu’elle peut occa- sionner et qu’alors elle est remplacée avantageusement par la fara- disation à rares intermittences. § III. — Dans un grand nombre de cas, les appareils faradiques ne sauraient être trop puissants. Que doit-on entendre par puissance d’un appareil d’induction? Comment mesurer cette puissance? Un appareil est puissant s’il agit avec une grande énergie sur la contractilité musculaire, sur la sensibilité de la peau, des muscles et d’autres organes sous-cutanés, sur la sensibilité de la rétine, et s’il peut traverser une grande épaisseur de tissus, c’est-à-dire si ces recompositions peuvent se faire profondément dans les organes. On sait maintenant, après les faits et les considérations qui ont été exposés précédemment (art. III, chap. Ier), que les propriétés différentielles des courants d’induction, applicables à la pratique, ne se trouvent réunis que dans un appareil à double induction, dont les hélices sont construites d’après certaines proportions. J’ajouterai que la puissance de ces propriétés différentielles est en raison directe de la longueur des fils, c’est pourquoi la puis- sance d’un appareil d’induction est nécessairement proportionnée à son volume et à son poids. (On n’a malheureusement pas encore découvert le moyen de produire une induction très puissante avec une petite quantité de fil de cuivre.) Cependant on s’exposerait à se laisser tromper par l’apparence en jugeant de la force d’un appareil sur son volume et sur son poids, si l’on ne mesurait pas sa puissance réelle, Nous ne sommes plus au temps où, pour décider de la force d’un appareil, on se contentait de prendre un rhéophore dans chaque main. 11 faut, pour cela, diri- ger et limiter tel ou tel courant de cet appareil dans les organes dont on veut rechercher le degré d’excitation produite par ce cou- rant, et procéder, dans ce genre d’expérience, comme je l’ai indiqué précédemment. Je vais prouver rapidement, par quelques exemples, la vérité de cette proposition écrite en tête de ce paragraphe : Dans certains cas les appareils d’induction ne sauraient être trop puissants. J’ai démontré, dans le chapitre II, que, lorsqu’on localise l’excita- tion électrique dans les tissus ou dans les organes placés sous la peau, la recomposition du courant se fait d’autant plus profondé- ment que ce dernier a plus de tension. Il en résulte qu’un courant dont l’intensité est trop faible ne peut pénétrer jusqu’aux muscles, si la couche cellulaire sous-cutanée offre une trop grande épaisseur, ou par suite de l’abondance de la graisse ou d’une infiltration séreuse. Eh bien, les cas dans lesquels le tissu cellulaire sous-cutané oppose par son épaisseur une grande résistance aux courants ne sont pas rares, surtout aux membres inférieurs. Il m’est même arrivé, dans certaines circonstances où la tension de mon plus puissant ap- pareil faradique ne pouvait vaincre la résistance que lui opposait l’épaisseur des tissus sous-cutanés pour arriver aux muscles, de me voir forcé de recourir à la tension plus pénétrante de la bouteille de Leyde. C’est en présence de cas semblables qu’on peut dire qu’un appareil faradique ne saurait être trop puissant. On sait d’ailleurs que, quel que soit son degré de tension, on pourra toujours en faire l’application, sans produire trop de douleurs, pourvu qu’on ait le soin d’éloigner suffisamment les intermittences. Il existe aussi des états pathologiques contre lesquels les appareils faradiques ne sauraient être trop puissants. Parmi les paralysies consécutives aux lésions traumatiques des nerfs, il en est quelques- unes qui enlèvent aux muscles toutes leurs propriétés; ceux-ci perdent alors complètement leur contractilité et leur sensibilité ; la peau et même les os sont aussi frappés d’insensibilité; enfin les membres paralysés se dessèchent et semblent frappés de mort. Dans les cas de ce genre que j’ai observés en assez grand nombre et qui ont fait l’objet d’un travail spécial, il m’a fallu recourir à un appa- reil faradique d’une intensité énorme, et j’ai eu quelquefois à re- gretter de n’avoir pas à ma disposition un appareil plus puissant. C’est seulement lorsque j’ai commencé à rappeler un peu de vie dans les membres, que j’ai pu diminuer l’intensité des courants et qu’un appareil de force moyenne est devenu suffisant. D’autres affections musculaires d’une autre nature, dont il sera question dans le cours de ce livre, exigent l’emploi des appareils les plus puissants. Les anesthésies cutanées hystériques peuvent guérir, en général, avec un appareil de force ordinaire, pourvu que ses intermittences PROPRIÉTÉS Qü'lLS DOIVENT POSSÉDER. 129 DUCHENNE. 130 marchent avec une grande rapidité ; mais j’en ai rencontré parmi ces dernières et parmi les anesthésies cutanées d’une autre nature un assez grand nombre qui, rebelles aux courants d’une intensité moyenne, n’ont cédé qu’aux appareils qui agissaient le plus puis- samment sur la sensibilité cutanée. APPAREILS VOLTA-FAHADIQUES. § IV. Tout appareil de faradisation doit posséder un mode de graduation qui permette de mesurer les doses électriques exactement et proportionnellement au degré d’excitabilité des organes, variable dans l’état de santé et de maladie. Les considérations dans lesquelles je suis entré dans le deuxième chapitre, pour ce qui a trait au degré d’excitabilité spéciale dont jouissent chacun de nos organes, chacun des muscles et des nerfs, chacune des régions de la peau, excitabilité qui varie encore suivant l’état de santé et de maladie, ces considérations, dis-je, devraient suffire pour démontrer l’importance et l’exactitude de la proposition que je viens de formuler. Comment, en effet, limiter la puissance électrique dans les organes, si l’appareil n’est pas construit de manière à pouvoir distribuer à chacun de ces organes la dose qui lui convient? Pour me faire mieux comprendre, je citerai encore quelques exemples. A l’état normal, la sensibilité du col de l’utérus, de la vessie, du rectum, sont peu excitables ; les courants les plus faibles excitent, au contraire, éner- giquement la sensibilité des muscles de la face. Entre ces extrêmes, il existe des degrés d’excitabilité intermédiaires, propres aux autres organes. Pour s’en convaincre, que l’on compare seulement les différences d’excitabilité, qui existent entre les muscles de la face dont le moins excitable l’est encore infiniment plus que les muscles des autres régions, et l’on verra que chacun d’eux est doué d’un degré d’excitabilité, spéciale, qui exige une dose électrique au delà de laquelle on ne doit pas aller, si l’on veut obtenir des contractions partielles ou ne pas provoquer de trop vives douleurs, (,1e ne revien- drai pas sur ce que j’ai déjà dit, dans le chapitre II, du degré d’exci- tabilité individuelle des muscles de la face.) Qu’on se rappelle enfin que le degré d’excitabilité de la sensibilité varie dans chacune des régions et même dans chacun des points de la face. Si ensuite, en outre de ces différences d’excitabilité des organes, on considère les différences qui existent dans l’état anatomique des tissus sur les- quels on agit (la plus ou moins grande épaisseur du derme, de la couche cellulo-graisseuse, sous-cutanée et des aponévroses à tra- verser, ou de la couche musculaire dans laquelle on veut localiser l’excitation), état anatomique qu’il faut connaître pour opérer à coup sûr les recompositions électriques à telle ou telle profondeur, on comprendra la nécessité absolue de donner aux appareils faradiques une graduation exacte et qui se fasse sur une échelle d’une étendue suffisante. Mais pour qu’une graduation soit exacte, il faut qu’il y ait pro- portionnalité arithmétique entre les divisions du graduateur et la force progressive de l’appareil ; il faut encore, si c'est un appareil volta-électrique, que la force initiale de la pile agisse au même degré d’intensité, ou du moins qu’elle soit connue de l’opérateur. On sait, en effet, que la pile qui anime les appareils volta-faradiques est plus ou moins constante, suivant que ses acides sont plus ou moins con- centrés, suivant qu’elle se polarise ou qu’elle s’épuise plus ou moins vite, ou qu’elle s’engorge plus ou moins de sels cristallisés et mau- vais conducteurs. On conçoit qu’avec de telles variations dans la force initiale, la mesure des doses électriques devienne illusoire, et en conséquence qu’il soit impossible de formuler les doses élec- triques qu’il convient d’administrer à chacun des organes. Enfin la graduation s’opère sur une échelle d’une étendue suffi- sante, quand elle mesure tous les degrés d’intensité des courants, proportionnellement au degré d’excitabilité de chacun des organes, ou, en d’autres termes, quand l’appareil faradique peut également distribuer ses courants à des doses très fortes ou à des doses très faibles, ou à toutes les doses intermédiaires entre ces deux extrêmes. PROPRIÉTÉS QU’ILS DOIVENT POSSÉDER. 131 Telles sont les propriétés principales qu’on doit trouver réunies dans tout appareil faradique destiné à l’étude des sciences médicales et à la thérapeutique. Il est d’autres conditions encore qu’il est très important de rechercher dans les appareils faradiques. Ainsi ils doivent être portatifs, d’un maniement facile et d’un prix modéré. Comme ces questions n’ont rien de scientifique, je n’ai pas jugé op- portun de les discuter dans cet article, me réservant d’y revenir par la suite. Quoique secondaires, elles intéressent, au plus haut degré, la vulgarisation de l’électricité médicale. Dans la précédente édition, j’avais fait suivre l’étude des propriétés différentielles du courant des hélices des appareils d’induction, de l’examen critique des appareils faradiques alors en usage dans la pratique médicale, et j’avais démontré que ces derniers ne réunis- saient pas l’ensemble des conditions nécessaires à la faradisation localisée ou à l’application de cette méthode d’électrisation à mes recherches électro-physiologiques. Cette critique ne me paraît plus indispensable et m’entraînerait trop loin. 132 Elle n’est.pas indispensable, parce que l’utilité pratique des pro- priétés de la première et de la deuxième hélices, des intermit- tences lentes ou rapides, d’une graduation exacte et laite sur une longue échelle, est suffisamment établie et vulgarisée, et en con- séquence parce que chacun peut faire cette critique ou s’assurer si l’appareil qu’il a demandé à un fabricant, remplit ou non toutes les conditions dont l’expérience et la pratique m’ont démontré la né- cessité. Cet examen critique, ai-je dit aussi, m’entraînerait trop loin. En elfet, l’utilité de l’application de la faradisation localisée à l’étude de la physiologie et de la pathologie musculaires, et la vulgarisation de l'électrothérapie ont imprimé une grande activité au commerce des appareils d’induction. Il en est résulté que les physiciens et les fabricants, les uns dans un but de progrès, les autres pour s’attirer la préférence des médecins, se sont appliqués à perfectionner les appareils. Aussi le nombre de ces appareils d’induction, perfec- tionnés ou modifiés, s’est-il tellement accru en France et à l’étran- ger, que, pour les examiner ou les critiquer, il me faudrait entrer dans des développements qui me feraient sortir des limites que je suis forcé de m’imposer. Ces efforts très louables ont produit quel- ques appareils très ingénieux. Malheureusement les inventeurs s’étant attachés particulièrement à diminuer leur volume et leur prix, ne se sont pas assez pénétrés des nouveaux besoins de la science et de la thérapeutique, besoinsnés de la création de la méthode defaradisation localisée et de la découverte des propriétés différentielles des cou- rants de diverses hélices. Les observations critiques que j’avais faites sur les appareils ré- pandus en général dans la pratique, m’avaient été inspirées par la longue expérience de ceux qui alors étaient les plus usités. Mais j’avais pensé qu’un nouveau devoir m’était imposé par la sévérité même de cette critique, celui d’essayer de faire mieux. C’est pourquoi je m’étais livré avec ardeur à un nouveau genre de recherches peu en harmonie avec mes habitudes, et qui m’eussent été bien pénibles, si je n’avais eu quelque aptitude et quelque goût pour la mécanique, et surtout si je n’avais eu constamment présente à l’esprit la réali- sation d’une idée, la localisation de la puissance électrique dans les organes et son application aux sciences médicales. Je m’étais donc rais à fréquenter les ateliers où j'avais appris bientôt les secrets de la fabrication, et après bien des essais j’avais pu produire des appareils construits de mes propres mains, quoi- qu auparavant je n’eusse jamais manié la lime ni le marteau. C’est d’après ces modèles que j’avais tracé le plan des appareils volta- APPAREILS VOLTA-FARADIQUES. faradiques et magnéto-faradiques, qui ont été exécutés avec talent par MM. Charrière et Deleuil. Depuis lors ils ont subi de nouvelles et importantes modifications ; j’en vais donner la description dans l’article suivant. fillAND APPAREIL VOLTA-FARADIQUE DE L’AUTEUR. 133 ARTICLE II GRAND APPAREIL VOLTA-FARADIQUE A DOUBLE COURANT. Mon appareil volta-faradique à double courant était assez com- pliqué à son origine; il subissait le sort de tout appareil nouveau. La multiplicité de ses contacts en rendait la description difficile à comprendre, et bien que sa mise en action fût très simple, elle occa- sionnait de fréquents dérangements. L’usage de cet appareil primitif m’ayant bientôt fait connaître tous ses défauts, je lui ai fait subir successivement des modifications importantes qui l’ont ramené à une grande simplicité, et ont diminué conséquernment la fréquence des accidents qui pouvaient en arrêter la marche ou en affaiblir la force. De plus, l’appareil modifié offre aujourd’hui un système de gradua- tion plus partait, des moyens plus variés de produire des intermit- tences plus ou moins rapides. Pour faire mieux ressortir l’importance de ces modifications, j’ai représenté dans la figure 19 l’appareil primitif et dans les figures 20 Fig. 19. et 21 les appareils perfectionnés, l’un (fig. 20) dont les hélices sont cachées par une enveloppe, et l’autre (figure 21), dont les hélices sont à découvert. Ces figures en faciliteront la description. m APPAREILS VOLTA-FARADIQUES. § 1. —Description. A. Grand appareil volta-faradique recouvert. Le premier modèle de l’appareil volta-faradique (fig. 19) (1) se Fig. 20, composait : 1° d’une pile plate 0; 2° de deux hélices superposées; 3° d’un graduateur formé par l’hélice externe mobile et que l’on faisait marcher sur l’hélice interne au moyen de la tige R; d’un rhéomètre V; 5° d’une roue dentée D fixée sur une petite planche enfermée dans le tiroir U, qui, lorsqu’on voulait s’en servir, pouvait être relevée comme dans la figure 1; 6° d’un trembleur A. Le dernier modèle (2) (fig. 20 et 21) diffère du premier ; 1° par la suppression de la roue dentée D (fig. 1), qui est remplacée par une pé- dale rhéotome Y (fig. 2), dont le mécanisme sera expliqué bientôt; cette modification a permis de supprimer les contacts trop multipliés de la figure 1 et de simplifier la fabrication de l’appareil; 2° par la (1) Cet appareil a été présenté à l’Académie des sciences de France par M. le professeur Despretz en 1848. (2) Cet appareil modifié a été présenté en 1850 h l’Académie de médecine de Paris, GRAND APPAREIL V0LTA-FARAD1QUE DE L’AUTEUR. 135 graduation opérée au moyen d’un tube de cuivre rouge B recouvrant plus ou moins les deux hélices qui constituent la double induction ; 3‘ par l’emploi d’un tube F rempli d’eau, appelé modérateur, et qui, combiné avec les tubes graduateurs, permet de mesurer les doses électriques plus ou moins petites comme les doses les plus élevées ; 4° par l’emploi d’un commutateur des hélicesE (fig. 21), dont l’usage Fig. 21. Fig. 22. sera bientôt exposé; 5°enfin, par une modification de la pile consi- dérable et toute récente (datant de 1859). Yoici la description de l’appareil qui a subi les plus récentes modifications. Jerae servirai des figures 20, 21, 22, 23, 2U, 25 et 26 pour en décrire toutes les parties. 1° L’appareil est mis en action par une pile composée de trois éléments. Ces derniers, placés dans des bacs de caoutchouc durci, sont renfermés dans les tiroirs U et U' (lig. 20); il ya deux éléments pour le tiroir supérieur (fig. 23), et seulement un élément pour lo tiroir inférieur (fig. 24). Fig. 23 Fig. 24. 126 APPAREILS VOLTA-FARADIQUES. Chaque élément est constitué : 4° par un charbon plat c(fig. 23), saturé d’acide sulfurique concentré ; 2° par une pièce de tissu de laine D (fig. 23), ou par plusieurs morceaux de drap cousus en- semble avec de la laine, formant une épaisseur de U millimètres, et ayant la même surface que le charbon sur lequel elle est placée, après avoir été trempée dans une solution d’acide sulfurique au dixième; 3° par une plaque de zinc amalgamé (fig. 23); è° par des contacts F', G' E (fig. 23), et IV, N' (fig. 2ü). L’acide sulfurique peut être remplacé par le deuto-sulfate de mer- cure, pour former une pile analogue à celle de M. Marié-Davy, Je dirai bientôt comment cette pile est mise en action. 2'J Les hélices superposées constituant le système d’induction se composent de deux fils de cuivre rouge, différant en diamètre et en longueur, et recouverts par de la soie. Le fil de cuivre le plus gros (1/2 millimètre de section) et le plus court(100 mètres de longueur) est enroulé sur une botte de fil de fer doux, de manière à former une hélice. Les extrémités de ce fil, qui produit le courant de la première hélice (extra-courant des auteurs), aboutissent aux petites plaques platinées fixées sur l’appareil au ni- veau des boutons E, L (fig. 20), qui sont les pôles positif et négatif de la pile enfermée dans les tiroirs U et U'. Le fil le plus fin (un dixième de millimètre de section) et le plus long (1000 mètres de longueur) est enroulé sur le fil précédent; il donne naissance au courant de la deuxième hélice (premier ordre des auteurs); ses extrémités se rendent aux deux ressorts du commu- tateur des hélices. 3° Le commutateur des hélices E représenté dans la figure 21, que l’on ne peut voir dans la figure 20, est destiné à faire passer rapidement et alternativement le courant, ou de la première hélice ou de la seconde hélice, dans les conducteurs attachés aux boutons P et Q (fig. 20) ; je ne crois pas devoir le décrire ici; il suffira de savoir qu’en tournant l’aiguille F (fig. 21), à droite ou à gauche, on conduit l’un ou l’autre courant dans les rhéophores, comme cela, du reste, est indiqué sur la plaque située au-dessus de cette aiguille. h° Le graduateur B (fig. 20) est un cylindre de cuivre rouge qui enveloppe les hélices, et à la partie supérieure duquel existe une échelle de graduation. Le bouton B', fixé cà son extrémité, est destiné à l’attirer ou à le repousser sur cette bobine. 5° Le modérateur se compose d’un tube de verre F (fig. 20), ter- miné à son extrémité inférieure par un fond en métal auquel est soudé un bouton 1, et à son extrémité supérieure par une virole K GRAND APPAREIL VOLTA-FARADIQÜE DE L’AUTEUR. 137 de laquelle part un petit crochet qui sert à mettre le modérateur en rapport avec un des boutons P où se rend un des pôles des hélices des courants. Dans la virole supérieure est placé un petit bouchon traversé par la tige / du modérateur. Le tube est rempli d’eau. 6° Le trembleur se compose d’un fer doux mobile A (fig. 20) et d’une vis platinée S, contre laquelle ce fer doux est repoussé par un petit ressort. 1° La pédale Y (fig 20), qui remplace la roue dentée, est destinée à faire les intermittences éloignées avec le pied ; ce qui laisse les mains entièrement libres, soit pour tenir les rhéophores, soit pour graduer les courants. 8° Le rhéomètre magnétique mesure l’intensité du courant initial. C’est une boussole divisée en quatre parties dont chacune est divisée a son tour en 90 degrés. Ce rhéomètre ne fait plus partie de l’appa- reil, comme précédemment. B. — Grand appareil volta-faradique découvert. J’ai représenté dans la figure 21 l’appareil dont les hélices sont à découvert. Il diffère de l’appareil usuel de la manière suivante : 1° il n’a pas d’enveloppe extérieure, ce qui permet de voir la dispo- sition de la bobine A et la marche du cylindre B sur cette dernière ; 2° il possède deux tubes graduateurs : l’un B qui agit sur la deuxième hélice, et l’autre G qui dépouille la première hélice; 3° son fer doux D est mobile et peut être retiré (D, fig. 22), de manière à pouvoir étudier l’influence des tubes B et G, indépendamment de l’aimanta- tion temporaire; k° outre le commutateur des hélices E, il possède un commutateur des pôles H faisant corps avec lui, ce qui permet de changer rapidement la direction des courants sans déplacer les rhéophores. Ce commutateur a encore d’autres avantages qu’il est inutile d’exposer ici; 5° son trembleur (fig. 25) est construit de ma- nière que la rapidité des intermittences puisse être augmentée pro- gressivement, depuis h h 8 par seconde jusqu’à un nombre presque incalculable dans le même espace de temps. La pile est indépendante et peut être fixée à l’appareil à l’aide des crochets M, M. — Elle est disposée comme celle qui a été décrite ci-dessus, mais elle se compose de h éléments. Cet appareil, comme le précédent, peut être mis en action avec une pile quelconque. §11, — Manière de mettre l’appareil en action. 1° Avec la pile à l'acide sulfurique. —Quand les charbons sont neufs et bien secs, on les charge d’acide sulfurique jusqu’à satura- tion. L’acide, rapidement absorbé, est porté par endosmose dans 138 tous les pores des charbons. Pour entretenir la puissance de la pile, il n’est besoin que de verser, chaque fois qu’ou met l’appareil en action, une petite quantité d’acide sulfurique sur les charbons, que l’on a eu soin de faire sécher. Ainsi préparés, les charbons placés dans leurs bacs en caoutchouc durci, sont enfermés dans chacun des compartiments des tiroirs U et U' (üg. 20), comme dans les figures 23 et 2à. Les charbons du tiroir supérieur U' sont appliqués ; 1° l’antérieur C(fig. 23) contre un morceau de caoutchouc durci, qui fait ressort et sur lequel est rivé le contact G' en platine, 2° le postérieur G' contre un con- tact platiné, soudé au zinc Z qui fait partie du compartiment antérieur. Une pièce de caoutchouc durci, faisant ressort, placé entre la paroi postérieure du bac et le charbon, repousse celui-ci contre le contact. Le charbon du tiroir inférieur (fig. 2à) est posé contre un contact à ressort, comme dans le compartiment antérieur de la figure 23. Après avoir placé sur ces charbons les draps largement humectés par la solution acidulée au dixième, ainsi que je l’ai déjà dit, les zincs sont appliqués sur ces derniers, comme dans les figures 23 et 2à. Alors, s’étant assuré que toutes les pièces de la pile sont bien placées, on enfonce les tiroirs dans l’appareil et l’on tourne le bouton A' (fig. 20) de manière que la barre soit verticale et em- pêche les tiroirs de s’ouvrir. Veut-on obtenir les intermittences rapides du trembleur A (fig. 20), on tourne de droite à gauche le bouton G (fig. 20), qui maintenait fixe la plaque mobile, puis on tourne de droite à gauche les boutons E, G, L, N, jusqu’à ce qu’ils soient en contact avec les petites pièces platinées qui leur correspondent. A l’instant, cette plaque s’agite rapidement entre la vis S et l’aimant temporaire de l’hélice centrale. Si les intermittences doivent être plus ou moins éloignées les unes des autres, les choses étant disposées comme précédemment, on tourne de gauche à droite le bouton G (fig. 20), jusqu’à ce que la plaque A du trembleur soit immobile; on détourne le bouton L de gauche à droite jusqu’à ce qu’il ne soit plus en contact avec la pièce platinée qui lui correspond ; on met en rapport avec ce bouton l’un des conducteurs fixés à l’un des boutons 1 de la pédale rhéotome Y, et l’autre conducteur qui est fixé au second bouton 1' de cette pédale est mis en communication avec le bouton L'. Alors il suffit d’ap- puyer le pied sur le bouton à ressort 2 de la pédale et de le relever ensuite pour fermer et ouvrir le courant. On conçoit qu’il est ainsi facile d’obtenir des intermittences plus ou moins éloignée les unes des autres. APPAIiEILS V0LTA-FARAD1QUES. GRAND APPAREIL VOLTA-FARABIQUE DE L’AUTEUR. 139 Lorsque le graduateur B est entièrement enfoncé dans l’appareil, les courants sont à leur minimum d’intensité ; il suffit donc, pour les augmenter, de faire sortir ce graduateur, ou par millimètres ou par centimètres. L’appareil étant mis en action, on fixe les conducteurs sur les boutons P et Q (fig. 20) auxquels on fait arriver, selon les indications à remplir, le courant de la première hélice ou celui de la seconde hélice, en tournant à droite ou à gauche l’aiguille du commuta- teur ; aux extrémités libresdes conducteurs sont fixés les rhéophores: cylindres, balais métalliques, etc. Doit-on faradiser des organes très excitables, ou mesurer des doses infiniment faibles? La partie supérieure K du modérateur F est mise en rapport avec un des boutons P ou Q, et l’un des rhéophores est fixé à son extrémité inférieure 1. Alors, plus on élève la tige J du modérateur, plus l’épaisseur de la couche d’eau que le courant doit traverser est grande, et conséquemment plus l’intensité de l’ap- pareil est affaiblie. Dans cet état d’affaiblissement, les courants de l’appareil peuvent être divisés et mesurés par le tube graduateur B. La pile étant disposée comme je l’ai exposé ci-dessus, l’appareil doit marcher cinq à six heures. Quand il vient à s’affaiblir ou à s’arrêter, c’est que les draps ne sont plus assez humides ; il suffit alors de les tremper de nouveau dans la solution acide au dixième, et quelquefois de verser un peu d’acide sulfurique sur sa surface, pour lui rendre sa force première (1). Dans l’intervalle des faradisations, ou interrompt le courant en desserrant la vis L ou E, afin de conserver la puissance de la pile. Lorsqu’on n’a plus à se servir de l’appareil, on nettoie avec soin les zincs, après les avoir passés dans l’eau ; on enlève ensuite les diaphragmes de drap, que l’on passe dans de l’eau claire et qu’on laisse sécher ; enfin on place les morceaux de caoutchouc durci entre les zincs et les charbons. Si ces derniers étaient exposés à l’hu- midité, l’acide sulfurique dont ils sont pénétrés, s’en emparerait. C’est pourquoi je conseille de ne point les laisser dans les tiroirs, (1) Il m’est arrivé fréquemment de me servir de mon appareil, pendant deux ou trois jours, sans le nettoyer, quand la température n’était pas très élevée; mais il fallait pour cela que les zincs eussent été bien amalgamés. Après un usage aussi prolongé, on aura soin d’amalgamer les zincs sur la surface desquels le mercure a disparu dans quelques points (rien n’est plus facile que d’entretenir l’amalgame d’un zinc). On humecte ce dernier avec une solution d’acide sulfurique au 10e, après l’avoir nettoyé, et l’on fait tomber sur sa surface une ou deux gouttes de mercure que l’on étale ensuite, avec un morceau de drap ou de linge. 140 dans l’intervalle des séances, surtout si l’on se sert rarement de l’appareil, et de les placer dans un lieu sec et chaud, autant que possible, dans une cheminée, par exemple. 2° Avec la pile ou sulfate de mercure. — Les charbons ayant été trempés dans l’eau commune, jusqu’à ce qu’ils en aient été pénétrés (il est bien entendu qu’ils ne doivent pas contenir d’acide), on étale sur leur surface du deuto-sulfate de mercure en quantité suffisante pour former, lorsqu’il est délayé par l’eau, une pâte d’un demi- millimètre, à peu près, d’épaisseur. Les draps, disposés comme précédemment, sont posés sur la pâte après avoir été trempés dans l’eau commune. Enfin les plaques de zinc reposent sur des draps, et les contacts sont placés comme ci-dessus. Pour la mise en action, les éléments ainsi préparés sont enfermés dans les tiroirs comme pour la pile à acide sulfurique. Dans l’intervalle des opérations, les plaques en caoutchouc durci sont placées entre les draps et le zinc que l’on a eu soin d’essuyer, si l’appareil ne doit pas être de nouveau mis en action, avant plusieurs heures. On remarque, après l’avoir essuyé, que le zinc est amalgamé par l’action propre de la pile. Une pile au sulfate de mercure, ainsi chargée, peut servir deux à trois semaines, en fonctionnant plusieurs heures par jour, sans que l’on ait d’autres soins à prendre que d’entretenir l’humidité des draps et de remuer un peu, chaque jour, avant de s’en servir, le sulfate de mercure étendu sur le charbon. Je recommanderai enfin d'entretenir dans un état de propreté les contacts platinés. Lorsque le deuto-sulfate de mercure est entièrement décomposé (alors la pâte, de jaune qu’elle était primitivement, est verdâtre), on lave le charbon et les draps, et l’on charge la pile avec du nou- veau deuto-sulfate de mercure comme précédemment. APPAREILS VOLTA-FAUAD1QUES. § III. — Théorie de l’appareil volta-faradlque. Si la pile étant enfoncée dans l’appareil, aucune interruption n’a lieu, soit par le trembleur, soit par la pédale, le courant de cette pile qui est transmis par les boutons L, E (fig. 20) au fil delà bobine centrale, est continu et ne donne lieu à aucun phénomène d’in- duction, mais il produit l’aimantation du fer doux de la bobine. Dans cet état de choses, laisse-t-on la liberté à la plaque A du trembleur en desserrant la vis G, cette plaque est attirée par l’aimant de la bobine. A l’instant même le courant étant interrompu, l’aiman- tation cesse; le fer doux du trembleur est repoussé par un ressort GRAND APPAREIL VOLTA-FARAD1QUE DE l’aUTEUR. U1 contre la pointe platinée de la vis S et ferme le courant, qui produit une nouvelle aimantation. Ces aimantations temporaires et ces solu- tions de continuité du courant se succèdent avec une extrême rapidité dans l’appareil recouvert (fig. 20) et à volonté avec plus ou moins de rapidité dans l’appareil découvert (fig. 21). Quoique la théorie du trembleur soit connue, j’ai dû la rappeler, afin d’ex- pliquer le mécanisme de ses différentes pièces. Au moment où le courant de la première hélice est interrompu, on observe des phénomènes physiques et physiologiques qui se produisent en vertu de deux forces combinées, savoir : l’action in- ductrice du courant sur lui-même, par l’influence mutuelle de ses spires et par l’influence réciproque de ce courant et du fer doux aimanté de la bobine. Si les extrémités du fil fin, qui recouvre l’hélice centrale, sont réunies par un corps conducteur, un courant se produit dans la deuxième hélice et se manifeste, à chaque intermittence de cette première hélice, par les effets physiques et physiologiques qu’il dé- veloppe dans les corps placés dans son circuit. Pour la théorie de la graduation par le tube métalliques, voyez plus loin, § 1Y, G). § IV. — Exposition des principales propriétés de mon grand appareil volta-éleetriqne à double courant, et des principes qui m’ont dirigé dans sa fabrication. Les deux hélices de l’appareil volta-électrique que je viens de décrire, jouissent du maximum de leurs propriétés physiologiques différentielles, grâce aux proportions de section et de longueur que j’ai données à leurs fils, proportions que l’expérience m’a fait con- naître comme les meilleures, à ce point de vue. J’ai professé que la puissance des hélices devait être grande, mais l’expérience, ou plutôt les besoins de la thérapeutique m’ont obligé à l’augmenter de plus en plus. C’est ce qui explique pourquoi la longueur de mes hélices, qui n’avait primitivement que 8 centi- mètres, est aujourd’hui à peu près doublée, la longueur de leurs fils ayant été augmentée proportionnellement (jusqu’à 1000 mètres pour le fil fin et 200 mètres pour le fil gros). Il serait Facile d’aller au delà de celte puissance, je n’en vois pas jusqu’à présent l’utilité, et ce serait peut-être imprudent. Cet accroissement de puissance a nécessairement augmenté le poids de l’appareil représenté dans les figures 21 et 22, mais sans rendre son volume plus considérable. A. — Hélices. 142 APPAREILS VOLTA-FARADIQUES. B. — Commentateur des hélices. Dans mes appareils primitifs, les extrémités des fils de chaque hélice se rendaient dans les boutons métalliques (deux inférieurs pour la première hélice et deux supérieurs pour la seconde) aux- quels se fixaient les cordons conducteurs des rhéophores. Il en résultait que lorsque l’on avait à changer d’hélice, il fallait chaque fois déplacer les cordons conducteurs. Cette disposition rendait cer- taines expériences difficiles et était incommode pour la pratique. Il est, en effet, d’autant plus facile de comparer entre elles les pro- priétés différentielles des courants de la première et de la seconde hélices que l’on peut passer plus rapidement de l’une à l’autre de ces dernières; de plus, il arrive fréquemment, dans la pratique, que l’on doit appliquer alternativement ces deux courants chez tin même sujet. Rien n’est alors plus ennuyeux que d’avoir à changer, à chaque instant, l’attache des conducteurs. C’est en outre une perte de temps. Ces exemples font comprendre l’utilité du commutateur des hélices. C. — Graduation des courants d’induction. Si un appareil très puissant est nécessaire au traitement de cer- taines affections, comme Je l’ai démontré, ce même appareil est impropre aux études physiologiques et pathologiques, et devient dangereux, s’il ne peut distribuer l’électricité à chacun des organes, suivant le degré d’excitabilité qui leur est propre. Ou doit à M. le docteur Rognetta un procédé de graduation qu’il a appliqué à l’appareil électro-dynamique de MM. Breton frères, et qui permet de doser l’excitation électrique d’une manière exacte. Il consiste à enfoncer l’hélice centrale dans l’intérieur de l’hélice externe ou à l’en retirer, et à induire de cette façon une plus ou moins grande quantité de spires de la dernière. J’avais adopté ce procédé de graduation, pour mon premier appareil volta-élec- trique, présenté à l’Académie des sciences en 18/17, avec cette seule différence que, dans ces derniers, la bobine externe était mobile et que la bobine centrale était fixée, afin qu’elle pût recevoir le sys- tème du trembleur (1). Mais j’ai bientôt reconnu que ce procédé de graduation n’était pas sans inconvénients, car la bobine mobile nécessitait aussi l’usage des contacts mobiles qui se dérangeaient sans cesse, compliquaient la fabrication des appareils, et dimi- (1) M. Dubois-Reymond (de Berlin) a adopté ce système de graduation pour son appareil d’induction. GRAND APPAREIL VOLTA-FARADIQLIE DE L’AUTEUR. U3 nuaient, en s’oxydant, l’intensité des courants, ou interceptaient leur passage. Un hasard me fit heureusement découvrir un mode de graduation beaucoup plus simple et que je ne tardai pas à appliquer à mes ap- pareils, de préférence à la graduation par l’influence mutuelle des hélices. Voici comment je fis cette importante découverte. Au début de mes recherches, j’avais recouvert d’une enveloppe de cuivre une forte bobine dans le but d’en garantir les fils. Quelle fut ma surprise, quand je m’aperçus que la bobine avait perdu presque toute sa puissance. Mais j’observai, en retirant cette enve- loppe, que plus je découvrais la bobine, plus le courant de cette dernière augmentait. Ce fut pour moi un trait de lumière; car, dès ce moment, la graduation par le tube métallique était trouvée. En effet, je remarquai, après quelques expériences, que le tube mesu- rait l’intensité du courant dans sa dernière moitié avec autant d’exactitude que dans sa première moitié, et que le courant dimi- nuait ou augmentait, suivant qu’on enfonçait ou qu’on retirait plus ou moins le cylindre, dans des proportions arithmétiques. Voici comment un second hasard me fit aussi découvrir que le tube fendu perd son influence sur le courant de la bobine qu’il recouvre. La coiffe métallique du petit appareil dont j’ai parlé plus haut, étant trop juste pour glisser facilement sur la bobine, je fendis le tube dans toute sa longueur, et je vis qu’il ne graduait pas le courant. Je ne m’attendais pas à ce phénomène, car j’avais attribué son action seulement au voisinage de la plaque métallique; alors je soudai à l’une des extrémités du tube un fil de cuivre très fin qui en réunit les bords, et à l’instant mon cylindre recouvra pres- que entièrement ses propriétés. Je fis plusieurs autres expériences desquelles il résulta que, plus la distance qui séparait de la bobine les parois du tube ainsi réunies par un fil était grande, plus son influence diminuait. J’en conclus donc que, pour obtenir le maximum de dépouillement par le tube métallique, il fallait le rapprocher, autant que possible, du fil de la bobine. Mais le tube extérieur ne neutralisait pas complètement les cou- rants d’induction : et, en effet, lorsqu’il recouvrait entièrement la bobine, celle-ci possédait encore une force très notable, de telle sorte que si l’appareil était d’une grande puissance, cette force était encore considérable. Il était cependant de toute nécessité de graduer ce reste de puissance, sur laquelle le cylindre extérieur n’avait aucune action. Je songeai alors à essayer l’influence d’un second tube de cuivre 1 Ixh que je üs glisser dans l’intérieur de la bobine et au centre duquel je plaçai une botte de fds de fer doux. L’excès du courant d’in- duction qui n’avait pas été neutralisé parle tube extérieur fut consi- dérablement diminué, dans cette dernière expérience, par l’influence du tube intérieur, et si je retirais lentement ce dernier, je sentais ce courant augmenter proportionnellement Pour savoir si cette action du tube intérieur tenait à sa puissance neutralisante plus grande que celle du tube extérieur, je plaçai alternativement chacun des tubes à l’intérieur ou à l’extérieur de la bobine, et comparant leur influence sur la puissance de l’induction, je constatai qu’en effet le premier diminuait beaucoup plus que le tube extérieur que la puis- sance physiologique des courants de la première et de la deuxième hélice. Il semblait donc que le tube intérieur une fois enfoncé dans la bobine, le tube extérieur ne devait plus exercer d’action sur le courant d’induction ; il n’en fut cependant pas ainsi, car je sentis que la puissance assez grande que le courant possédait encore, bien que le tube intérieur eût pénétré en entier dans l’appareil, diminuait très sensiblement au fur et à mesure que le tube extérieur envelop- pait la bobine. Dans toutes ces expériences, je n’ai pas remarqué que l’aimanta- tion de la botte des fils de fer placée au centre de la bobine eût diminué parallèlement à l’affaiblissement de la puissance physiolo- gique des courants d’induction. Ainsi, une boussole étant placée à une certaine distance de l’extrémité de la bobine, de manière que l’axe de cette dernière était perpendiculaire à la direction du méri- dien magnétique, on voyait l’aiguille dévier considérablement à l’instant où le fer doux s’aimantait, lorsque le courant était fermé; mais elle n’éprouvait même pas la plus légère oscillation, lorsqu’on enfonçait les cylindres sur la bobine, ou alternativement, ou simultanément. Cette expérience prouvait donc que si l’aimantation avait diminué lorsque les tubes recouvraient le fer doux, cette di- minution devait être bien faible. H ne m’a pas été possible non plus d’apprécier cette diminution de l’aimantation, en faisant porter des poids inégaux à l’électro-aimant, pendant que la bobine était placée sous l’influence des tubes de cuivre. Ce n’est que par les battements plus ou moins bruyants et rapides du trembleur et par l’éclat moins vif de l’étincelle de ce trembleur, que j’ai pu constater que l’aiman- tation du fer doux central diminue réellement, sous l’influence des tubes. Cette influence sur l’aimantation est extrêmement faible par le tube extérieur, car le bruit du trembleur est très peu di- minué, lorsqu’il recouvre entièrement la bobine ; le cylindre inté- rieur, au contraire, diminue assez l’aimantation pour troubler la APPAREILS VOLTA-FARAD1QUES. GRAND APPAREIL VOLT A-FAR ADIQÜE DE L’AUTEUR. marche du trembleur et ralentir la vitesse de ses battements. Puisqu’il m’était démontré que les tubes de cuivre placés inté- rieurement ou extérieurement sur la bobine influençaient si faible- ment l’aimantation du fer doux placé au centre de cette bobine, il fallait donc que ce lût directement sur les courants d’induction que leur influence neutralisante s’exerçât. C’est, en effet, ce que l’expé- rience confirme pleinement; c’est ce qu’il est facile de constater en répétant les expériences précédentes sur la même bobine à laquelle on a enlevé la botte de fils de fer doux. On voit, en effet, que les tubes agissent sur les courants d’induction, comme lorsque le fer doux est placé au centre de la bobine, c’est-à-dire qu’ils neutralisent d’autant plus ces courants d’induction qu’ils s’enfoncent davantage sur cette bobine. Ce n’est pas seulement la puissance physiologique du courant qui diminue alors, c’est également l’éclat des étincelles produites par les intermittences, c’est-à-dire par l’action calorifique du courant. Évidemment aussi, dans ce cas, la tension du courant d’induction diminue; ce que l’on prouve encore par d’autres expé- riences, en faisant passer, par exemple, le courant à travers une couche de liquide dont on le voit vaincre plus ou moins la résis- tance, selon que les tubes recouvrent plus ou moins les fils de la bobine. ( Il va sans dire que, par le fait de l’enlèvement de la botle de fils de fer du centre de la bobine, l’intensité des courants à gra- duer par les tubes était beaucoup moins grande dans ces dernières expériences que dans les premières.) Chacun des tubes influence plus spécialement le courant dont il se trouve plus rapproché : ainsi, lorsque l’hélice centrale est privée de fer doux, l’action du tube intérieur se fait sentir très fortement sur son courant, tandis qu’elle est à peine appréciable sur le courant de la seconde hélice. Le tube extérieur agit sur les Courants de la deuxième hélice dans un sens opposé. Cette expérience rend raison de la différence exercée par les tubes sur la vitesse et l’énergie des battements du trembleur. On comprend, en effet, que l’aimantation du fer doux central étant produite par le courant de la première hélice, cette aimantation doit être plus affaiblie par le tube intérieur qui agit spécialement sur le courant de la première hélice que par le tube extérieur dont l’influence sur ce courant de la première hélice est presque nulle. Je ferai bientôt ressortir l’importance de la con- naissance de ce phénomène. L’appareil à double tube graduateur, dont le fer double est mobile (fig. 21), peut servir à répéter toutes les expériences que je viens de relater. Veut-on étudier l’influence du tube externe B (fig. 21) sur les cou- DUCHENNE. 146 rants, le tube interne C est tiré en dehors de la bobine, comme dans la figure 21. On fait le contraire pour expérimenter l’action du tube interne C. APPAREILS V0LTA-FARAD1QUES. Un mécanisme d’une grande simplicité permet de fixer l’un à l’autre le tube interne et le tube externe, et de les faire marcher ensemble de manière à couvrir ou à découvrir les surfaces interne et externe de la bobine. Il en résulte, on le conçoit, que les courants d’induction sont plus complètement neutralisés que lorsque les tubes fonctionnent isolément. Enfin, la botte de fils étant mobile, on peut facilement expérimenter l’action alternative ou simultanée des tubes, avec ou sans le concours de sa puissance magnétique. En résumé : 1° Un tube de cuivre (appelé aussi diaphragme), placé à l’intérieur ou à l’extérieur d’une bobine composée d’une première et d’une seconde hélice superposées, et dans l’intérieur de laquelle il n’existe pas de fer doux, neutralise d’autant plus les courants, qu’il recouvre une plus grande quantité de spires, en s’in- duisant lui-même à la manière d’un conducteur fermé. 2° Le tube externe agit spécialement sur le courant de la deuxième hélice, tandis que le tube interne affecte principalement le courant de la première hélice. 3° Les tubes diminuent davantage l’intensité des courants de la première et de la seconde hélice, en marchant simul- tanément dans le même sens, que lorsqu’ils agissent isolément. 4° La présence d’une botte de fils de fer doux dans l’intérieur de la bobine ne modifie en rien la propriété que possèdent les tubes inté- rieur et extérieur de neutraliser l’intensité des courants, parallèle- ment à leur progression sur la bobine, et vice versa; car, si d’un côté, l’influence magnétique du fer doux sur les hélices augmente l’intensité de leurs courants, d’un autre côté les tubes de cuivre qui les recouvrent, neutralisent cette intensité proportionnellement et aussi bien que lorsque la bobine est privée de son fer doux. 5° L’aimantation de la botte de fils de fer placée à l’intérieur de la bobine diminue extrêmement peu, quand les tubes de cuivre re- couvrent les hélices ; d’où l’on doit conclure que ces tubes agissent directement sur les courants des hélices, comme le prouvent d’ail- leurs les expériences ci-dessus, et que ce n’est pas la neutralisation de l’aimantation de la botte des fils de fer par le cylindre qui empêche l’induction de se produire (1). (1) Avant la publication de l’important ouvrage de M. De la Rive, où l’état de la science est très savamment et très clairement exposé (Traité de l'électricité théorique et appliquée, Paris, 18S4-1858, 3 vol. in-8), j’ignorais, je l’avoue, que M. Dove, physicien d’un très grand mérite, professeur de météorologie à Rerlin, Ces faits étant bien établis, j’arrive à leur application. Je n’ai pas besoin d’entrer dans de nouveaux développements pour faire res- sortir les avantages de l’application des tubes métalliques à la gra- duation. Il suffit de l’indiquer pour en faire comprendre l’impor- tance et l’utilité dans la pratique de la faradisation localisée. La double graduation par les tubes interne et externe est certaine- GRAND APPAREIL VOLT A-FAR ADIQUE DE l’aüTEUR. eût fait, eu 1842, des recherches sur l’influence qu’exerce un tube de cuivre in- troduit dans l’intérieur d’une hélice, et au centre de laquelle est placée une botte de fils de fer doux. Je croyais donc, quand je présentais à l’Académie de médecine le travail qui fait le sujet de ce chapitre, être le premier qui eût étudié l’influence des tubes métalliques sur les phénomènes de l’induction. (J’espère que l’on me pardonnera mon ignorance sur ce point de l’histoire des découvertes en physique, si l’on veut bien se rappeler que je ne suis pas physicien ; ce que j’ai eu soin de déclarer déjà.) D’ailleurs, les physiciens que j’avais rendus témoins de mes recherches, et que j’avais consultés sur ce point, m’avaient entre- tenu dans celle pensée. Après avoir lu dans le traité de M. De la Rive l’exposé des recherches de M. Dove sur l’influence des masses métalliques introduites dans l’intérieur d’une hélice, et après avoir pris connaissance du travail original de M. Dove, je ne crois cependant pas devoir modifier aujourd'hui les termes dans lesquels j'ai rendu compte de mes recherches dans mon Mémoire adressé en 1831 à l’Académie de médecine. En effet; 1° M. Dove n’a pas étudié l’in- fluence exercée par les tubes métalliques sur les hélices, dans l’intérieur desquels on n’avait pas introduit des fils de fer doux. 2° S’il est vrai que cet expérimenta- teur a découvert qu’un tube métallique introduit dans l’intérieur d’une hélice, et au centre duquel se trouve placée une botte de fils de fer doux, diminue la puissance de l’induction, il est incontestable aussi qu’il n’a pas dit que celte influence du tube augmente en raison directe de sa progression dans l’intérieur de la bobine; et s’il avait connu ce phénomène, il l’aurait signalé sans aucun doute, en raison de son importance pratique. 3° M. Dove n’a pas expérimenté l’influence d’un tube métallique extérieur, c’est-à-dire recouvrant le courant de deuxième hélice, et n’a pas, en conséquence, comparé la différence d’action que le tube intérieur ou le tube extérieur exerce, soit sur chacun des courants, soit sur l’aimantation des fils de fer doux. 4" Enfin ce célèbre physicien ne paraît pas être arrivé aux mêmes résultats que moi dans les expériences qu’il a faites sur les appareils magnéto-faradiques ; car, suivant lui, on ne voit pas l’intensité du courant d'induction diminuer en introduisant un cylindre métallique dans une hélice inductrice et enveloppant les fils de fer qui occupent le centre de cette hélice, lorsque pour aimanter ces fils on en approche un aimant, au lieu de faire circuler des courants vollaiques dans l’hélice. Mes expériences m’ont prouvé cependant que les tubes métalliques neutralisent, en s’induisant, les courants de la pre- mière et de la deuxième hélice des appareils magnéto-faradiques, quand ils enve- loppent leurs bobines, tout aussi complètement que les courants des appareils volta-faradiques. On verra, dans l’article suivant, ces faits démontrés et appliqués à la graduation de mon appareil magnéto-faradique. ment préférable à la graduation par un seul tube, puisque la neu- tralisation des courants est plus complète, lorsqu’on les tait marcher ensemble, et qu’en les enfonçant successivement sur les hélices, on peut disposer au besoin d’une échelle de graduation d’une double étendue. Mais les avantages de cette double graduation ne m’ayant pas paru valoir les frais de fabrication qu’elle nécessiterait, je lui ai préféré la graduation par un seul tube. J’ai donné la préférence au tube externe pour la graduation de mes appareils, en général, parce que le tube intérieur trouble la régularité de la marche du trembleur, en modifiant, plus que ne le fait le tube extérieur, l’état magnétique du fer doux central. appareils volta-faradiques. D. — Modérateur. Le tube graduateur ne dépouille pas complètement les courants aux dépens desquels il s’induit, de sorte que la graduation par ce tube ne commence pas par zéro. Le faible courant qui reste à graduer est insignifiant, quand on a à faradiser les muscles du tronc et des membres. Mais il n’en est pas de même pour les opérations déli- cates, par exemple, pour la faradisation delà face, de la membrane du tympan; je me sers alors du tube modérateur, dont j’ai donné précédemment la description, et qui sert à fixer ou à régler la force de l’appareil. Après avoir diminué, à des degrés divers, l’intensité du courant, en le faisant passer par la couche d’eau plus ou moins épaisse que contient le tube modérateur, on peut, à l’aide du tube graduateur de l’appareil, diviser en doses infiniment petites ce cou- rant déjà réduit au minimum. Cette combinaison de l’action du graduateur et du modérateur m’a même permis de mesurer le degré d’excitabilité de chacun des muscles de la grenouille. E. — Rhéomètre magnétique. Le tube graduateur divise en doses exactes le courant de la pre- mière hélice et le courant de la deuxième hélice; mais il ne mesure pas l’intensité du courant initial, intensité variable pour une foule de causes, et qui en conséquence produit inévitablement des irrégu- larités dans la puissance de l’induction. Vouloir donc doser l’élec- tricité seulement à l’aide du graduateur, me paraît tout aussi absurde que de peser les médicaments avec une balance qui serait juste, mais dont les poids seraient faux. J’ai employé un procédé très simple pour mesurer la puissance du courant initial. Ce procédé fait connaître en même temps la puissance GRAND APPAREIL VOLTA-PARADIQUE DE L’AUTEUR. de l’aimantation du fer doux de la bobine centrale; j’en ai donné déjà la description et la théorie. C’est sur l’action exercée par cette aimantation sur l’aiguille aimantée qu’est fondé le rhéomètre que j’ai appelé magnétique. En effet, le fer doux est aimanté différemment à ses extrémités, suivant la direction du courant. Supposons que l’extrémité du fer doux qui est la plus rapprochée du rhéomètre se trouve être le pôle boréal, l’aiguille, disposée comme je l’ai indiqué plus haut, sera déviée du méridien magnétique par la force attrac- tive de l’aimant sur son extrémité australe, et comme la force de l’aimantation du fer doux est en raison directe de l’intensité du courant initial, le degré de la déviation de l’aiguille indiquera à la fois la force de l’aimantation de l’appareil et l’intensité du courant de la pile. Le rhéomètre magnétique me sert à mesurer et à conserver à peu près au même degré de puissance le courant initial. (J’ai dit que les causes d’affaiblissement du courant des piles sont si nombreuses, qu’aucun de ces appareils ne mérite, à coup sûr, d’une manière absolue, le nom de pile à courant constant.) En somme, ce rhéomètre sert non-seulement à connaître la force du courant initial, mais aussi à la régler de manière à opérer toujours dans les mêmes conditions. L’action combinéedu rhéomètre et du graduateur permet de doser avec précision l’excitation électrique. La simple énon- ciation de cette proposition me paraît suffisante; je ne pense pas qu’il faille entrer dans de nouveaux développements pour démon- trer que si le graduateur seul ne mesure rien, au point de vue de l’application à la médecine, il présente, en combinant son action avec celle du rhéomètre magnétique, toutes les conditions de pré- cision et d’exactitude nécessaires ci l'étude de l'art de formuler les doses électro-physiologiques et thérapeutiques. F. — Pédale rhéotome et trembleur. Pendant la faradisation, les intermittences doivent être rares ou fréquentes, lentes ou rapides, selon l’indicaiion physiologique ou thérapeutique à remplir, ainsi que je l’ai prouvé au commencement de ce chapitre. Tout appareil qui ne peut remplir ces conditions variées est incomplet et même dangereux. C’est dans le but de ré- pondre à toutes ces conditions que j’ai adapté à mon appareil deux systèmes de rhéotomes : une pédale et un trembleur. Pédale. — La pédale (Y, tig. 20) répond à ces différentes condi- tions, puisque, selon la volonté de l’opérateur, elle donne des solu- tions plus ou moins rapprochées. 150 Je me suis longtemps servi, pour pratiquer à volonté les intermit- tences plus ou moins lentes, d’une roue dentée adaptée à l’appareil (voy. D, fig. 19); mais la manœuvre de cette roue me privait de l’usage de la main qui devait être réservée pour celle du gradua- teur, du modérateur, des commutateurs des hélices, des pôles, etc. C’est pourquoi j’ai depuis plusieurs aimées préféré la pédale à cette roue dentée, qui d’ailleurs compliquait la fabrication de l’appareil, ou quelquefois était une cause de sa détérioration. APPAREILS VOLTA-FARAD1QÜES. J’estime peu, en général, les systèmes d’intermittence qui ne sont pas réglés selon les besoins de l’expérimentation ou de la thérapeu- tique. J’ai construit plusieurs petits appareils rhéotomes, et dont le moteur était un ressort tendu qui produisait des intermittences pendant plusieurs heures. L’expérience m’a bien vite appris que ces mouvements mécaniques ne pouvaient pas remplacer ceux qui sont mus par la volonté du médecin; et, malgré la commodité de leur emploi, j’en suis revenu à la roue dentée, et postérieurement à la pédale. Je dirai cependant que je me sers quelquefois avec avantage (dans les applications où il faut de la précision) d’une pendule à laquelle j’ai fait adapter un rhéotome qui me donne exactement, à volonté, un, ou deux, ou trois, ou quatre intermittences par seconde (1). Trembleur. — Quelque rapprochées que puissent être les inter- mittences d’une roue dentée ou d’une pédale, elles ne peuvent jamais atteindre la rapidité du trembleur, rapidité telle que c’est presque un mouvement continu. Les propriétés spéciales de ce mouvement rapide, l’énergique influence qu’il exerce sur la sensibilité, me l’ont fait adopter comme moyen précieux pour l’étude de certains phéno- mènes électro-physiologiques, pour le traitement de certaines lésions dynamiques. Mais ce mécanisme ne saurait toujours remplacer la roue ou la pédale, car il peut occasionner, dans quelques cas, des accidents d’une certaine gravité. Je pense donc qu’un appareil doit être muni d’une pédale et d’un trembleur. Les trembleurs, et j’en ai étudié de toutes les formes, se dérangent si souvent, s’arrêtent si capricieusement, pour ainsi dire, qu’il fau- drait renoncer à les appliquer aux appareils d’induction, si l’on n’y portait remède. Ainsi, il m’est souvent arrivé, avec certains appa- reils, de ne pouvoir faire une expérience ou une application théra- peutique, à cause de l’arrêt, de l’irrégularité ou d’uu caprice de leur trembleur, caprice dont je ne trouvais pas immédiatement la cause. (1) Ce rhéotome, adapté à une pendule électrique avec aiguille à secondes, a été construit par M. A. Mathieu, mécanicien. GRAND APPAREIL VOLTA-FARADIQUE DE L'AUTEUR. 151 En augmentant la puissance d’aimantation du fer doux de la bobine et de la plaque de fer mobile qui exécute les intermittences, en rendant plus facile et plus simple le jeu du trembleur au moyen de la force combinée de son ressort et du poids de son fer doux mobile, j’ai si bien régularisé son action, qu’il ne m’a jamais fait défaut, dans mes appareils, pourvu que la force de la pile fût suffisante. On peut faire des trembleurs avec ou sans vibrations. (Les trem- bleurs sans vibrations sont ceux qui, entre chaque intermittence, sont agités par plusieurs ressauts ou rebondissements très rapides qui rendent la faradisation très désagréable.) La sensation plus douloureuse occasionnée par le trembleur à vibrations rend plus difficiles certaines expériences électro-muscu- laires, même quand j’agis à un degré modéré. Cependant le trem- bleur à vibrations peut être très utile dans les cas où il est indiqué d’exciter très vivement la sensibilité et la nutrition. J’ai imaginé un trembleur dont les battements peuvent être ralentis ou accélérés à volonté: ainsi, il peut ne donner que quatre intermittences par seconde, ou bien produire un nombre incalculable d’intermittences dans le même espace de temps, en passant par tous les degrés de vitesse intermédiaires. J’ai adapté ce trembleur à mon appareil découvert (fig. 21). La figure 25 représente le plan antérieur de cet appareil où se trouve le trembleur à intermittences lentes ou rapides, dont voici le mé- canisme. L’une des extrémités du fil de la première hélice communi- que, l’une avec le bouton E, l’autre extrémité avec la vis C; la pièce mo- bile de cuivre A, qui est repoussée par un ressort placé au-devant d’elle contre la vis C, communique avec le bouton F. On comprend qu’à l’instant où les boutons E et F sont mis en rapport avec les pôles d’une pile, le courant passe dans le ül de la première hélice, et aimante le fer doux central de celle-ci, qui attire le fer doux mobile G. Ce fer doux en- traîne avec lui la pièce mobile de cuivre A qui était appliquée contre la vis C. 11 en résulte une solution de continuité, et conséquemment la cessation de l’aiman- Fig. 25. 152 APPAREILS VOLTA-FARADIQUES. tation et le retour de la pièce A contre la vis C. Alors le courant passe de nouveau dans l’hélice, produit les phénomènes ci-dessus décrits, et ainsi de suite. Jusqu’à présent, on le voit, ce trembleur diffère peu de celui de l’appareil représenté dans la figure 20. Mais voici les modifications qui l’en distinguent. Le fer doux mobile G (lig. 25) est assez éloigné du fer doux placé au centre de l'hélice pour avoir une course beaucoup plus grande à parcourir, quand il est attiré par l’aimant temporaire de la première hélice. Dans cet état, il ne bat que quatre fois par seconde. Mais en tournant graduellement do droite à gauche la vis G, l’étendue de la course du fer mobile G diminue de plus en plus; conséquemment la rapidité du trembleur va progressivement au gré de l’opérateur, qui peut, par ce moyen simple, régler la marche du trembleur, selon les effets qu’il désire obtenir. Pour que l’action magnétique pût s’exercer avec assez de force à une telle distance entre l’aimant temporaire de l’hélice et le fer doux mo- bile G, il m’a fallu augmenter la masse de ce dernier. G’est ce que j’ai obtenu en articulant le fer mobile G avec un barreau de fer doux de 1 k centimètres de longueur, et qui s’étend sur la face su- périeure de la bobine, comme on peut le voir dans la figure 21. L’aimantation de la plaque mobile G par l’influence du fer de l’hélice augmente alors considérablement, comme si elle faisait corps avec le barreau sur lequel elle est articulée. Lorsque la vis G est serrée, le ressort qui repousse la pièce A contre cette vis G est assez tendu pour que les intermittences se fassent sans vibrations. Mais quand on relâche ce ressort en détournant la vis G, chaque battement ou intermittence est suivie d’une vibration dont j’ai exposé plus haut l’action spéciale sur la sensibilité. Cette vibration est telle au maxi- mum de relâchement du ressort de la pièce A, que les intermittences les plus rares du trembleur (quatre intermittences par seconde) produisent des contractions musculaires douloureuses, quoique éloignées. Ces intermittences éloignées à vibrations sont très utiles, quand il est indiqué d’agir à la fois sur la contractilité, la sensi- bilité ou la nutrition des muscles, et alors que les intermittences rapides ne peuvent être supportées par les malades. Ainsi, quand les intermittences rapides produisent des crampes et ne peuvent être appliquées, je les remplace par les intermittences éloignées à vibrations qui, sans offrir cet inconvénient, agissent encore avec assez d’énergie sur la sensibilité et la nutrition. Ces intermittences rares à vibrations sont contre-indiquées dans les cas où il est dangereux de surexciter la sensibilité. En consé- quence, l’appareil pourvu d’un trembleur qui les produit, doit avoir GRAND APPAREIL VOLTA-FARADIQUE DE L’AUTEUR. en outre un rhéotome qui donne des intermittences éloignées sans vibrations. Dans les trembleurs, la pointe de la vis est platinée et se trouve en contact avec une plaque également platinée, soudée à la pièce qui bat contre elle, afin que l’oxydation nuise le moins possible au contact parfait de ces conducteurs: mais le platine, brûlé par l’étin- celle électrique, s’oxyde à la longue, quoi qu’on fasse; l’oxyde dé- posé sur les surfaces platinées s’oppose au passage du courant, d’où il résulte un affaiblissement de la puissance de l’appareil ; le jeu du trembleur, ou se ralentit, ou s’arrête tout à fait, .l’ai remédié à ce défaut en augmentant l’épaisseur de la plaque de platine et en la rendant mobile, de sorte que lorsque, après quelques mois d’un travail de plusieurs heures par jour, elle a été oxydée dans un point, on peut la déplacer un peu à droite ou à gauche. Il faut aussi avoir soin de frotter de temps à autre, sur du drap ou du linge, l’extrémité platinée de la vis du trembleur, pour en enlever l’oxyde. Enfin, pour diminuer l’oxydation du platine, j’ai augmenté la surface de l’extrémité du trembleur; je lui ai donné 2 à 3 milli- mètres de diamètre transversal. G. — Pile. Jusqu’en ces derniers temps, la pile de Bunsen avait été la source initiale de mon appareil volta-faradique, parce qu’elle joignait à la puissance une constance assez grande. Je l’avais seulement con- vertie en pile plate, afin de la mettre dans un tiroir ; et au lieu de plonger le charbon dans l’acide azotique, j’avais versé cet acide sur sa surface jusqu’il ce qu’il en fût pénétré par endosmose, et je le plaçai dans un bac de zinc qui contenait une certaine quantité d’une solution de sel marin, n’ayant pour diaphragme qu’une couche très mince du liquide salin, ce qui diminuait considérablement la ré- sistance de la pile et augmentait proportionnellement sa puissance. Cette pile était parfaitement en rapport avec la force de l’appa- reil primitif. Mais depuis que j’ai dû doubler au moins la lon- gueur des hélices et de leurs fils, elle est devenue insuffisante et ne peut développer toute la puissance que possède l’appareil. J’ai donc cherché à obtenir de la pile beaucoup plus de tension. Pour cela, j’ai diminué de moitié la surface de l’élément, et mon appareil a été alimenté par une pile composée de trois et même de quatre éléments semblables. Pile avec acide sulfuriqne. — Il n’est pas un appareil électro- médical qui, dans ia pratique, puisse résister longtemps, à moins APPAREILS V0LTA-FARAD1QUES. des plus grands soins, à l’emploi do l’acide azotique. Le dégagement inévitable de son gaz nitreux attaque tellement les différentes pièces des appareils, qu’à la moindre négligence, celles qui n’en sont pas garanties par un mastic ou par un autre moyen analogue, ne con- duisent plus ou conduisent mal le courant dans les points de con- tact. Ces inconvénients pouvaient être certainement évités dans mon appareil, comme je l’ai dit, en raison de ses dispositions; mais les praticiens, en général, ne prenaient aucune des précautions que j’avais recommandées, et il en résultait de rapides détériorations. Le remplacement de l’acide azotique par l’acide sulfurique a fait disparaître ces graves inconvénients (1). La construction de cette nouvelle pile est plus simple, car le bac de zinc est remplacé par une plaque de même métal qui est placée au-dessus du charbon, dont elle est séparée par un drap épais trempé dans une solution d’acide sulfurique au dixième (2). On remarquera que ce diaphragme humide suffit pour entretenir l’action chimique de l’appareil, sans qu’il soit nécessaire de plonger le charbon et le zinc dans un liquide acide, qui était gênant dans la pratique, surtout pour le transport de l’appareil. Cette pile, ainsi disposée, est beaucoup plus constante que la pile ordinaire de Bunsen, pourvu que l’amalgame du zinc soit bien entretenu, ce qui est très facile. Elle a pu faire, en effet, marcher mon appareil deux jours entiers, sans que sa force ait diminué d’une manière très appréciable. La puissance de cette pile, composée de trois à quatre de ces éléments, a dépassé vraiment mon attente. Jadis, quand il me fallait agir avec une grande force, par exemple lorsque j’avais à explorer, au point de vue du diagnostic, l’état de la contractilité et de la sen- sibilité musculaires, dans les cas où ces propriétés étaient perdues ou considérablement affaiblies, et lorsque je devais porter l’excita- (1) L’idée de remplacer l’acide azotique par l’acide sulfurique m’a été donnée par mon honorable ami M. le docteur Erdmann (de Dresde), le savant traducteur allemand de ma première édition (De Vélectrisation localisée, et de son application à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique, Paris, 1855, in-8. Depuis plusieurs années il s’en sert avec avantage pour faire marcher la pile de son appareil d’induction, pile plate en forme de tiroir comme la mienne, et qui est composée d’un charbon et d’un zinc. (2) Dans mon appareil primitif, alors qu’il fut présenté à l’Académie des sciences, le charbon était aussi séparé du zinc par un drap humide; mais le poids du charbon, au-dessous duquel il était placé, en exprimait le liquide. D’ailleurs il n’était pas nécessaire, car il suffisait de la couche très mince de liquide qui restait toujours entre le charbon et le zinc pour former diaphragme. tion électrique à une grande profondeur ou traverser des tissus épais et moins bons conducteurs, dans tous ces cas, dis-je, je ne pouvais opérer que dans mon cabinet, où mes appareils sont mis en action par une pile de Daniell de 10 éléments en été et de 12 «à 15 éléments en hiver. Aujourd’hui, avec les U éléments de mon appareil, j’ai tou- jours à ma disposition, et applicable au lit des malades, une puis- sance d’induction presque toujours suffisante (j’estime que trois de ces éléments valent 6 à 8 éléments de Daniell) (1). C’est un grand avantage, au point de vue pratique ; car trop souvent mon appareil était insuffisant, quand je devais me transporter chez les malades. GRAND APPAREIL VOLTA-FARADIQüE DE L’aüTELR. En résumé, les avantages de ces nouvelles piles sont faciles à saisir ; 1° plus de vapeurs nitreuses, et par conséquent plus de dé- térioration de l’appareil; 2° plus de danger de renverser le liquide de la pile en transportant l’appareil, puisque avec le nouveau sys- tème l’humidité des draps suffit pour mettre les piles en action ; 3° l’augmentation du nombre des éléments, dont la surface est moindre, augmente la puissance de l’induction beaucoup plus que ne pourraient le faire 1 et 2 éléments, et double au moins la force de l’appareil. Il est entendu que les vis de contact doivent être propres et dé- capées. A la longue, l’acide dont le charbon est saturé s’affaiblit en absorbant de l’eau : il faut, dans ce cas, le faire sécher à un feu modéré, et le charger de nouveau d’acide sulfurique concentré. Une fois ou deux par an, on le plonge pendant une heure dans l’eau pour le débarrasser des sels qu’il contient, et quand il est bien sec, on le charge de nouveau d’acide sulfurique. Les pièces de communication avec le charbon, composées autre- fois d’une lame de cuivre platinée dans leur point de contact avec le charbon, étaient assez rapidement oxydées et détruites par l’acide; maintenant elles sont remplacées par des fils de platine rivés sur un morceau de caoutchouc durci et faisant ressort, et aplatis dans les points de contact. Ces pièces de communication sont donc inal- térables. Pile au deutosulfate de mercure. — Depuis plus de six mois, je faisais usage de la pile multiple avec acide sulfurique, dont je viens de faire ressortir les avantages, lorsque M. Marié-Davy fit connaître sa pile au sulfate de mercure ; mais dans son procédé ou dans celui (1) Je ferai observer, toutefois, que l’induction de mon appareil n’est pas encore, pour ainsi dire, saturée par ces quatre éléments, car j’obtiens de mon grand appareil une force bien plus grande avec les douze piles de Daniell que je lui applique dans mon cabinet. 156 qui a été suivi par les fabricants (MM. Ruhmkorff et Gœff), le sulfate de mercure plonge dans l’eau qui est versée dans un charbon de cornue creusé, et le zinc est mis en contact avec la surface du liquide. J’ai modifié heureusement cette pile à liquide sans rien changer à la disposition antérieure des différentes pièces de mes couples. Le sulfate de mercure étendu sur le charbon trouve, dans ce dernier qui est très poreux et dans les draps qui font l’office de diaphragme, une quantité suffisante d’eau pour que l’action chimique de la pile ait lieu d’une manière assez constante pendant plusieurs heures. Cette pile humide offre l’avantage de pouvoir être transportée sans que l'on ait à craindre de renverser le liquide, comme cela peut arriver dans l’autre manière de préparer la pile au sulfate de mer- cure, et d’exiger moins de manipulations. En effet, on a seulement à mettre, dans l’intervalle des applications, le caoutchouc durci entre le drap et le zinc essuyé avec soin, et puis, lorsque l’on veut remettre la pile en action, de verser sur les draps un peu d’eau, s’ils sont secs, et d’enlever les plaques de caoutchouc. Le même sul- fate de mercure peut servir de quinze jours à trois semaines. APPAREILS VOLTA-FARADIQDES. La pile avec acide sulfurique m’a paru plus puissante que celle au sulfate de mercure. Cependant je donne la préférence à cette der- nière, parce qu’elle exige moins de manipulations que la première. Les personnes qui auraient de la répugnance à se servir d’un réactif aussi dangereux que le sulfate de mercure préféreront peut -être la première. Quoique M. Marié-Davy ait conseillé de n’employer que le proto- sulfate, je me sers cependant du deutosulfate pour en obtenir plus de puissance. Je n’emploie le protosulfate, comme je l’ai dit, que dans les piles à 30 et 5.0 éléments qui servent à l’application des cou- rants continus et les plus constants. Fabrication des charbons plats. —Après de nombreux essais sur la qualité de la houille grasse et du coke, sur les proportions de leur mélange, sur la manière de tasser ces mélanges dans les moules, sur la forme de ces derniers, et enfin sur le degré de cuisson néces- saire, je suis parvenu à fabriquer des charbons plats, durs et sans fissures. La fabrication de ces charbons étant difficile et dispendieuse, j’avais songé à les remplacer par des charbons sciés dans le coke qui provient des usines à gaz. Le coke qui tapisse la paroi interne des cornues des usines à gaz hydrogène est formé, on le sait, par la matière bitumineuse connue sous le nom de pétrole. Cette matière se carbonise et se dépose couche par couche sur la face interne des cornues dans lesquelles on distille la houille grasse. Elle y forme à PETIT APPAREIL VOLTA-FARADIOÜE DE L’AUTEUR. la longue une croûte épaisse dont il faut les débarrasser de temps en temps. Malheureusement les charbons formés avec le coke des ap- pareils h distillation du gaz hydrogène, excellents quand ils plongent dans l’acide nitrique, et qui, étant très purs et ne contenant pas de matière terreuse comme les piles de Bunsen, paraissent augmenter la puissance des piles, ne conviennent pas au système que j’ai adopté pour mes appareils; car, en quelques minutes (deux ou trois), le courant qu’ils fournissent s’affaiblit de plus des trois quarts, à peu près, quand il est fermé. On observe alors ce singulier phénomène qui se produit dans les piles composées de zinc et de cuivre, de re- couvrer son intensité première en peu de temps, quand le courant est ouvert. J’ai attribué cet affaiblissement rapide à la densité ex- trême de ce coke dont les interstices sont obstrués par les sels dus à l’action chimique de la pile, sels qui se dissolvent rapide- ment, quand le courant reste ouvert assez longtemps. Les char- bons que j’ai fait fabriquer, sans être trop mous, ce qui les ren- drait peu durables, sont cependant assez durs. Ce n’est qu’à la longue (après cinq à six mois d’un usage fréquent) que, les sels résultant de l’action chimique intérieure de la pile se déposent dans ses interstices et en diminuent la puissance en s’opposant au pas- sage du courant. Il est important d’en être prévenu, car la puis- sance de l’appareil diminue considérablement. H. — Commutateur des pôles. Il est avantageux de pouvoir changer la direction des courants rapidement et sans déplacer les rhéophores posés sur les organes. C’est dans ce but que j’ai adapté à mon appareil découvert un com- mutateur des pôles (H, fig. 21), qui, en tournant à droite ou à gauche, change la direction des pôles. Son mécanisme est le même que celui du commutateur des courants. ARTICLE III. PETIT APPAREIL VOLTA-FARADIQUE A DOUBLE COURANT. La valeur thérapeutique de la faradisation localisée est aujour- d’hui solidement établie sur une vaste expérimentation qui, depuis quelques années, s’est faite en Europe et aussi en Amérique. 11 fau- drait être véritablement aveugle ou prévenu pour la contester. Elle est tellement vulgarisée, que la fabrication des appareils en a éprouvé une grande impulsion. Mais les praticiens, en général, recherchent les appareils de petit volume, très portatifs et peu dispendieux. 158 APPAREILS VOLTA-FARADIQUES. Aussi les fabricants se sont-ils ingéniés à construire des appareils qui répondent le mieux à ces besoins ou plutôt à ces exigences. Parmi les plus habiles, en France, je citerai MM. Legendre et Morin, Gœiï, Ruhmkorff. Entre leurs mains les petits appareils volta-fara- diques ont subi d’importantes modifications. Ils possèdent, en effet, 1° une première et une seconde hélice disposées de manièreà pouvoir être appliquées individuellement; T ils sont gradués par les tubes métalliques interne ou externe,procédé préférable à tous les autres ; 3° leurs intermittences peuvent être, à volonté, lentes ou rapides, ou produites par un trembleur. Ces appareils sont ingénieux et très habilement construits. Cependant je leur trouve encore des défauts ou desiderata qui me font donner la préférence à mon petit appa- reil dont j’ai exposé la description dans la précédente édition et auquel j’ai fait subir d’importantes améliorations, au point de vue pratique. Ce petit appareil, de force moyenne, possède l'ensemble des propriétés que l’on doit trouver réunies dans tout appareil mé- dical. C’est une réduction de mon gros appareil volta-faradique à double courant, qu’il peut remplacer dans la pratique, en général. A. — Description. J’ai donné à ce petit appareil la forme d’une boîte plate et d’un carré long, ou d’un volume in-octavo, comme dans la figure 26, Lorsqu’il est ouvert, comme dans la figure 27, on voit qu’il est divisé Fig. 26. en deux parties. A droite, se trouve l’appareil d’induction propre- ment dit; à gauche, sont placés la pile, dans le compartiment infé- rieur A, et les rhéophores, avec leurs conducteurs, dans le compar- timent supérieur B. Le svstème d’induction se compose : 1° d’une bobine longue de PETIT APPAREIL V0LTA-FARAD1QÜE DE L’AUTEUR. 159 6 centimètres, formée par deux hélices superposées et dont les fils de cuivre ont une section et une longueur différentes (le fil de la première hélice a 60 mètres de longueur sur un demi-centimètre de section, et le fil de la deuxième hélice 300 mètres de longueur sur un sixième de millimètre de section) ; 2° d’un fer doux constitué par Fig. 28. Fig. 27. Fig. 29. Fig. 30. une large plaque de fer-blanc, roulée en hélice de manière à être placée au centre de la bobine; 3° d’un commutateur des hélices C (toutes les pièces précédentes sont cachées dans le compartiment de droite); ii° d’un tube graduateur D; 5° d’un trembleur E et d’un rhéotome L pour les intermittences lentes. B. — Manière de mettre l’appareil en action. Un couple électromoteur au deutosulfate de mercure (fig. 30), semblable à l’un de ceux démon gros appareil, est introduit dans le compartiment A ; alors les contacts L' et N' du couple se trouvent en rapport avec les extrémités platinées FF' (fig. 27) des fils de la première hélice, et en fermant la porte G du compartiment A, comme dans la figure 26, ces contacts se trouvent pressés par les ressorts H et H' contre les extrémités platinées FF' de la première hélice. Les solutions de l’électromoleur, générateur de l’induction, sont pro- 160 APPAREILS VOLTA-FARADIQUES. (luîtes parla séparation de la barre horizontale E d’avec le bouton I. Si l’on veut que les intermittences soient faites lentement, on tourne le bouton 1 (fig. 28) de gauche, jusqu’à ce que la ligne tracée sur ce bouton soit dirigée transversalement; puis, en attirant à soi la tige du rhéotome L jusqu’à ce que la barre E du trembleur soit en contact avec le bouton I, ce qui ferme le circuit formé par la pile et le fil de la première hélice, on l’en sépare en repoussant la tige du rhéotome L. On a obtenu alors une intermittence. On peut ainsi produire plus ou moins rapidement des séries d’intermittences.Veut- on obtenir les intermittences rapides du trembleur, on tourne le bouton I de droite à gauche jusqu’à ce que la barre E, repoussée par un excentrique platiné, fixé au bouton, soit assez rapprochée de l’aimant temporaire .1 qui est en contact avec le fer doux placé au centre de la bobine. Ce rapprochement est assez grand lorsque le bruit du trembleur se fait entendre. Il faut régler avec soin ces tremblements, car lorsqu’ils sont trop rapides, par le fait d’un trop grand rapprochement de la barre E et de l’aimant .1, les solutions sont moins franches et les contacts de ces deux pièces du trem- bleur sont moins parfaits. Il en résulte que la puissance de l’induc- tion est moins grande. On peut aussi produire des intermittences lentes avec la pédale rhéotome (fig. 29) qui a été décrite précédem- ment (page 138) et qui s’applique aux gros appareils. Pour cela on attache ses cordons conducteurs aux boutons 3 et h (fig. 27), puis, après avoir tourné le bouton I de gauche à droite jusqu’à ce que la barre E butte contre l’aimant .1 (de cette façon le courant de la pile est ouvert), on fait les solutions avec le pied, comme je l’ai dit pré- cédemment. (Quand on appuie sur le bouton, B, fig. 29, le courant de la pile est fermé.) Les boulons électrodes 1, 2, reçoivent les courants de chaque hélice. On y fixe les cordons conducteurs auxquels sont attachés les excitateurs. On tait arriver à ces boutons le courant de la première hélice ou celui de la deuxième hélice, en poussant à droite ou à gauche, jusqu’au point d’arrêt, la tige du commutateur G de ces hélices. Des chiffres gravés sur la petite plaque de cuivre traversée par cette tige marquent le côté vers lequel la tige doit]être poussée pour faire arriver l’un ou l’autre de ces courants dans les boutons 1 et 2. Enfin la graduation se lait par le tube D, comme dans les autres appareils. Dans l’intervalle des applications, on ouvre le courant de la pile en repoussant la lige du rhéotome L, jusqu a ce que la barre E butte contre le fer doux ,1. Le petit appareil que je viens de décrire est celui dont je me sers actuellement de préférence, dans la grande majorité des cas. Je n’ai APPAREIL MAGNÉTO-FARADIQUE DE L'AUTEUR. 161 recours aux grands appareils que dans certains cas de diagnostic, ou pour certaines expériences électro-physiologiques et pathologiques, et quelquefois au point de vue thérapeutique, comme lorsque la contractilité ou la sensibilité est abolie ou considérablement affaiblie. La puissance physiologique de ce petit appareil est très grande, eu égard au petit volume de sa bobine. Elle est due non-seulement aux excellentes proportions de longueur et de section de ses tils, et à sa bonne construction, mais encore et principalement à la puis- sante aimantation de son fer doux enroulé en hélice, et qui présente ainsi une large surface d’aimantation (1). ARTICLE IV. APPAREIL MAGNÉTO-FAR ADiQDE A DOUBLE COURANT DE L’AUTEUR. Les appareils volta-faradiques dont j’ai exposé la description et les propriétés dans l’article précédent ont servi à mes nombreuses recherches électro - physiologiques, pathologiques et thérapeu- tiques. Ils ont subi cette épreuve avec bonheur; leur utilité m’est aujourd’hui parfaitement démontrée. Malheureusement la prépara- tion de leur pile, toute simple qu’elle est, n’en exige pas moins une certaine manipulation. Ce seul inconvénient a suffi pour les décon- sidérer aux yeux de quelques médecins. On leur a préféré souvent les appareils magnéto-électriques usuels. C’est pour ce motif que j’ai essayé de doter, autant que possible, les appareils magnéto-électriques des propriétés que je crois indis- pensables dans la pratique de l’art de la faradisation. Je vais en donner la description. § I. — Description de I appareil. Mon appareil magnéto-faradique (voy. lig. 31) se compose ; d’un aimant; d’une armature mise en mouvement par un mécanisme particulier; d’un régulateur de l’armature, a la fois modérateur (1) J’ai expérimenté comme fer doux central, cl au point de vue des effets physiologiques, comparativement, des tils de fer (selon la méthode de Dove), des tubes fendus de fer-blanc, enchâssés les uns dans les autres, et isolés, chacun, par une enveloppe de papier, puis une large plaque de fer-blanc enroulée en hélice, cl dont la face interne était isolée par une feuille de papier. C’est ce fer doux eu hélice qui m’a donné les meilleurs résultats pour la puissance des effets physiologiques de l’induction, comme pour la force de l'aimantation. DUCHENNE. 162 APPAREIL MAGNÉTO-FARADIQÜE DE L’AUTEUR. des courants et tenseur magnétique ; de deux hélices dont le fil de cuivre a une grosseur et une longueur inégales ; d’un rhéotome; Fig. 31 d’un régulateur des intermittences; d’un graduateur des courants; d’un commutateur des hélices. L’aimant est formé de deux branches cylindriques parallèles, reliées entre elles, à l’une de leurs extrémités, par un fer doux transversal. A. — Aimant Il est posé à plat et horizontalement sur un support fixé à la partie postérieure de la base de l’appareil. Son extrémité antérieure re- pose sur deux supports. B. — Armature et son système moteur. L’armature G, qui, par son mouvement de rotation, produit les intermittences du courant magnétique, est traversée dans sa partie moyenne par un axe horizontal terminé à ses extrémités par une pointe d’acier très dur, reçue dans deux pièces également d’acier et vissées dans deux montants de cuivre. Ces montants sont solidement fixés, au moyen d’arcs-boutants, à une plaque mobile et quadrila- tère de cuivre G, qui repose sur la base de l’appareil. Entre ces deux montants et à leur extrémité supérieure se trouve adaptée une grande roue A, dont l’arbre traverse d’un côté le montant anté- rieur dans lequel il peut exécuter des mouvements de rotation, DESCRIPTION DE L’APPAREIL. tandis que son extrémité terminée en pointe est reçue dans une pièce fixée au montant postérieur. La manivelle M, qui met la grande roue en mouvement, se retire à volonté. La circonférence de la grande roue A est divisée en 64 dents, qui mettent en action une petite roue à pivot armée de huit dents, et fixée sur l’axe de l’armature, de manière qu’à chaque révolution de la grande roue, cette armature tourne huit fois sur son axe, et produit en consé- quence 32 intermittences du courant d’induction. Comme il est possible d’imprimer deux révolutions par seconde à la grande roue, on obtient donc encore 64 intermittences dans le même espace de temps. C. — Régulateur de l’armature. La plaque mobile G, sur laquelle sont établis l’armature et son système moteur, est rapprochée ou éloignée de l’aimant au moyen d’une forte vis de rappel N, appelée régulateur de l’armature. Cette vis, tournant dans un écrou fixé à l'appareil, agit sur la base d’un des montants faisant corps avec la plaque G qu’elle attire ou repousse. Pour que l’armature exerce une tension sur l’aimant, on tourne la vis N de manière que l’aiguille arrive à la partie moyenne de l’arc de cercle 0, appelé indicateur. Alors l’armature placée trans- versalement, est rapprochée de l’aimant et se trouve en contact parfait avec ses extrémités, puis on le charge, comme je l’indiquerai bientôt. On saura plus loin comment ce régulateur de l’armature sert aussi h modérer les courants d’induction. D, — Hélices. Une hélice de 9 centimètres et demi de longueur, et sur laquelle sont enroulés en spirale 24 mètres de lil de cuivre recouvert de soie et d’un demi-millimètre de diamètre, est fixée sur chaque bras de l’aimant, de manière que son bord antérieur se trouve au niveau du bord libre de l’aimant. La rondelle que forme l’extrémité antérieure de cette hélice repose sur un support qui maintient l’aimant dans une position parallèle au plan de l’appareil. Un second fil de cuivre, d’un sixième de millimètre de dia- mètre, de 600 mètres de long et recouvert de soie, est enroulé sur le fil gros et forme une seconde hélice. Celui-ci est inducteur rela- tivement au fil fin qui est induit par lui. Les deux fils de cuivre superposés sont enroulés dans le même sens, çt l’extrémité de l’un est soudée au commencement de l’autre, APPAREIL MAGNÉTO-FARADIQUE DE L’AUTEUR. tandis que les autres bouts se rendent, ceux du fil central aux res- sorts S et S' qui forment les intermittences sur le commutateur B, et l’un de ceux du fil externe au côté droit du commutateur des hélices U destinés à faire passer le courant de la première hélice dans les boutons auxquels s’attachent les conducteurs des rhéo- phores. Du ressort S' part un fil conducteur qui se rend au com- mutateur U. E. — Rhéotome. Le rhéotome se compose d’une petite bobine B et de deux ressorts S et S'. Cette bobine de bois est fixée sur l’axe du fer doux. Un des ressorts S, mis en rapport avec une extrémité du fil central, appuie sur un anneau métallique, fixé sur la petite bobine. De cet anneau partent quatre dentelures, dont deux sont plus courtes. Le second ressort S' du rhéotome qui communique avec le second bout du til central est mis en contact avec les quatre ou les deux dents, au moyen d’un bouton régulateur du commutateur, fixé à la droite de l’appareil, et qu’on tourne à droite ou à gauche. Une pièce de cuivre est fixée sur la base de l’appareil, à gauche de la grande roue. Elle est traversée par une vis D, sur laquelle est soudé un ressort de laiton 1. A l’aide de cette vis, le ressort exé- cute un mouvement de bascule qui le met en contact, tantôt avec des goupilles a qui se trouvent sur la face postérieure de la grande roue A, tantôt avec la plaque G qui supporte celle-ci. Une des ex- trémités du fil de l’hélice interne et de l’hélice externe communique avec cette plaque G. Le ressort de laiton l est en rapport, par un fil de cuivre, avec le côté gauche du commutateur U. F. — Régulateur des intermittences Deux tubes de cuivre rouge H, recouvrant les bobines qui sont placées sur les bras de l’aimant et réunies par une traverse à leur extrémité postérieure, sont attirés ou repoussés en glissant sur ces bobines au moyen d’une tige quadrilatère B. Cette dernière, fixée à la traverse, terminée par un bouton, d’une longueur égale à celle des bobines, est divisée par centimètres et par millimètres. Lors- qu’elle entre entièrement dans l’appareil, les cylindres recouvrent les bobines, et les courants sont à leur minimum d’intensité. Ces courants sont au contraire à leur maximum, quand la tige est complètement eu dehors de l’appareil. Les degrés de force intermédiaire sont en raison directe de la progression de la tige, et vice-verso.. Cette tige rnérile en conséquence la dénomination de graduateur des courants. G. — Graduateur des courants. THÉORIE DE L’APPAREIL. 165 ti. — Commutateur des hélices. Le commutateur des hélices U est construit comme celui de mon a pparei I vo 1 ta-faradiq ue. § II. — Théorie de l'appareil uiagnétu-faradiquc. Les intermittences simultanées du courant magnétique et de celui de l’hélice centrale, produites par le mouvement rotatoire delà roue A, qui met en action l’armature et le rhéotome B; ces intermit- tences diverses, dis-je, développent des phénomènes d'induction dans le fil de cette hélice centrale. La théorie de ces phénomènes étant la même que celle de l’induction de tous les appareils ma- gnéto-farad iques, je crois pouvoir me dispenser de la développer ici. A l’instant où celte induction se produit dans l’hélice centrale, si la réunion des deux bouts du fil de la deuxième hélice en fait un conducteur fermé, il se développe dans ce dernier, ainsi qu'on le sait, un contre-courant dont la direction a lieu en sens inverse du courant de la première hélice. (La possibilité de cette action induc- trice de l’hélice centrale sur la deuxième hélice a été contestée théoriquement, par quelques physiciens, pour les appareils électro- magnétiques. Je me réserve d’en démontrer bientôt expérimentale- ment la réalisation dans mon appareil.) [lue extrémité des fils de la première hélice et de la deuxième hélice se rendant directement au bouton rhéophore P, et l’autre ex- trémité tle ces hélices communiquant avec la plaque métallique G qui supporte la grande roue, il devient nécessaire de mettre celte plaque en rapport avec le second bouton rhéophore PL Le régulateur des intermittences D remplit parfaitement celte condition, car il communique par un fil de cuivre avec ce second bouton rhéophore P', et il est mis en contact, ou avec la plaque G, ou avec les gou- pilles a de la grande roue A, fixée sur cette plaque, au moyen d’un mouvement de bascule opéré par la vis 1) du régulateur des inter- mittences. Veut-on faire passer les courants rapides dans les cordons con- ducteurs de l’excitateur attaché au bouton rhéophore P', il est évident que la vis D devra mettre le ressort 1 en rapport avec la plaque G, qui elle-même est en rapport avec l’autre extrémité des deux fds. Mais si le ressort 1 ne communique avec la plaque F que par les goupilles «de la grande roue A, les courants if arriveront au bouton rhéophore P' que quatre, ou deux, ou une (ois par révolution de la 166 grande roue A, En conséquence, les conducteurs des électrodes'atta- chés aux boutons électrodes P et P'ne reçoivent que quatre, ou deux, ou une intermittence par révolution de la grande roue, lorsque le ressort touche les goupilles, ou bien ils reçoivent le courant rapide (32 ou intermittences par révolution de la roue), lorsque le res- sort touche la plaque métallique G. Je désigne la vis ü qui tait mou- voir le ressort, sous le nom de régulateur des intermittences. APPAREIL MAGNÉTO-FARADIQUE DE L’AUTEUR. Le commutateur des hélices se manœuvre comme celui de l’appa- reil volta-électrique. Je renvoie, pour la théorie de la graduation des deux courants, à celle que j’ai exposée cà l’occasion de l’appareil volta-faradique à double courant. J’exposerai bientôt comment on peut graduer des doses fortes ou très faibles avec mon appareil magnéto-faradique. L’armature à tension continue a les mêmes propriétés que celle dont l’action est entretenue par la force graduée de la pesanteur. Je reviendrai plus loin sur ce sujet. § III. — Exposition rapide des prineipales propriétés de l’appa- reil magnéto-faradique à double eourant, et des différentes combinaisons qui ont présidé à sa construction. A. — Double induction. Bien qu’avant moi la double induction n’eût jamais été appliquée aux appareils magnéto-faradiques, je n’avais aucun doute sur la possibilité de l’obtenir. J’ai dit dans la précédente édition (page 157 et 158), comment et par quelle série de recherches j’ai réussi à la réaliser. Cependant des physiciens très autorisés dans la science ont con- testé la possibilité de produire cette double induction avec mon appareil magnéto-faradique. Que l’on me permette de démontrer expérimentalement que je ne me suis point fait illusion. Je rappellerai que dans mon appareil volta-faradique la force initiale est mixte ; que l’induction de la première hélice résulte de la modification produite : 1° par le courant de la pile circulant dans les spires de cette hélice, d’une manière intermittente; 2° par l’in- fluence de l’aimant temporaire. J’ai dit (chap. 1, art. 111, § n) qu’un physicien attribuait en partie, à l’influence directe de l’aimant temporaire, les phénomènes phy- siologiques spéciaux du courant de la deuxième hélice. On se rap- pelle que, pour prouver le peu de fondement de cette hypothèse, j’ai expérimenté sans placer le ter doux au centre de l’hélice induc- trice, et l’on a vu que cependant les phénomènes propres au courant PROPRIÉTÉS DE L’APPAREIL. 167 de la deuxième hélice ne s’en sont pas moins produits. L’aimantation temporaire, ai-je dit, agit dans ces appareils comme seconde source initiale, presque à la manière de la pile, sur le fil de la première hélice dont elle renforce le courant, qui à son tour réagit par in- fluence sur le courant de la deuxième hélice. Alors la puissance de ce dernier s’accroît, en conséquence, proportionnellement. Dans les appareils magnéto-faradiques, la force initiale est simple ; ce sont les changements intermittents de l’état de l’aimant fixe qui produisent l’induction dans le fil enroulé immédiatement sur cet aimant. Mais la puissance de cette induction est des plus faibles, lorsqu’elle est exercée seulement par celte intluence, en d’autres termes, par les seuls mouvements rotatoires du contact (armature) modificateur de l’aimant. Pour que l’induction acquière de la puissance, il faut que des solutions soient faites dans le fil de l’hélice, au moment où les modi- fications de l’aimant sont à leur maximum (un peu avant que le contact soit arrivé à la direction horizontale ou verticale). Telles sont les dispositions de la première hélice de mon appareil raagnéto-faradique. Les solutions qui se font sur le rhéotome n'ont lieu que dam le gi'os fil enroulé immédiatement sur l’aimant fixe. Mais le long fil fin (fil de la deuxième hélice) qui est enroulé sur ce gros fil n’a aucune communication avec ce rhéotome. Or donc je maintiens, contrairement à certaines assertions opposées, que, dans ces condi- tions, le courant de la deuxième hélice à fil fin et long est un cou- rant engendré par celui qui circule dans le fil gros central; et je le prouve par l’expérience que je vais exposer. Expérience. —La puissance du courant développée dans le fil fin de mon appareil magnélo-faradique est grande. Mais dès que les solutions du fil de la première hélice opérées sur le rhéotome sont suspendues, ce que l’on obtient dans mon appareil en tournant de droite à gauche le bou- ton a, fig. 3f, c'est-à-dire lorsque le courant formé par le fil de la pre- mière hélice reste ouvert, la puissance du courant de la deuxième hélice est tellement diminuée, qu’on le sent à peine, même en plaçant les rhéophores sur les lèvres. Quand bien même des solutions seraient alors opérées sur le rhéotome, dans le fil de celte deuxième hélice, comme je puis l’obtenir, au moyen d’un mécanisme simple, sur un appareil que j’ai fait construire pour ces expériences, son courant resterait encore infiniment plus faible que lorsque cette même hélice est induite par la première hélice. J’avais cru, et l’idée en est sans doute venue à l’esprit de mes contradicteurs, bien qu’ils ne l’aient pas exprimé très nettement (1), (1) Voici textuellement la critique qu’un de mes savants contradicteurs, 168 APPAREIL M AG N ÉTO-FAR ADIQü E DE L’aUTEHR j’avais cru, dis-je, que peut-être ma première hélice agissait sur la deuxième hélice à la manière d’un tube de cuivre, et masquait ou neutralisait sa puissance; que ce conducteur fermé, eu s’ouvrant tout à coup au moyen de ses intermittences, permettait à l’action physiologique du courant produit dans la deuxième hélice par l’in- fluence de l’aimant, de se manifester dans toute sa force. Si telle est l’influence exercée par la première hélice sur la seconde hélice de mou appareil électro-magnétique, personne assurément n’y verra un phénomène d'induction. Mais l’expérience que je viens de relater prouve que les choses se passent différemment. On a vu, en effet, qu’en supprimant les solutions du (il gros dont le circuit reste ouvert, il n’y a plus que l’influence directe de l’aimant sur la deuxième hélice (à fil fin), et que les effets physiologiques produits par cette influence de l’aimant sur la deuxième hélice se réduisent presque à zéro. Il est donc évident que, dans mon appa- reil électro-magnétique à double courant, c’est le courant développé M. A. Becquerel, a faite de mon appareil magnéto-faradique et des propriétés physiologiques de ses deux hélices: «Dans l’appareil magnéto-électrique de » M. Duchcnne (de ’ oulognc), dit-il, deux fils sont superposés autour d’un aimant » lixe : le premier, plus gros et moins long; le deuxième, plus fin et plus long. » Dans les idées de M. Duchcnne, le courant produit dans le premier (il est un » courant induit de premier ordre (de la première hélice), et le courant pro- » «luiI dans le deuxième (il est déterminé par l’influence du premier. C’est un » courant induit de deuxième ordre (de la deuxième hélice). M. Duchcnne se » trompe. Les courants produits dans les deux fi’s sont tous deux sous l'influence » de l’aimant qui annule l'effet produit par le premier fil sur le deuxième, oti >• plutôt le réduit à très peu do chose. Le courant produit dans le premier, comme » celui produit dans le deuxième fil, sont tous deux des courants induits du pre- >- mier ordre ; seulement le premier produit dans le fil le plus gros et le moins long » est un courant d’une tension moindre que celui produit dans le fil le plus long » et le plus fin, et ayant par conséquent des effets moins énergiques sur la peau » et sur la rétine. » Est-il besoin maintenant de faire ressortir le peu de valeur des expériences suivantes qui, selon mon contradicteur, démontrent irrécusahlemenl la vérité de son assertion. l. «Autour de l’aimant fixe, dit-il, enroulez par superposition deux fils par- » failemenl égaux en diamètre et en largeur, et faites agir l’armature du fer » doux par rotation; il se produira un courant induit de premier ordre dans » chaque fil. » Après les explications que j’ai données précédemment sur le mécanisme de mon appareil magnéto-faradique, mon savant contradicteur abandonnera sans doute cette opinion qui n’est plus soutenable. Dans son expérience, le courant du second fil reçoit évidemment l’influence du courant du premier fil, résultant de dans la première hélice par l’influence simultanée de son fil gros et des modifications temporaires de l’aimant; il est, dis-je, évident que c’est ce courant de la première hélice qui, réagissant sur l’hélice superposée (a fil fin et long), engendre dans son circuit un courant induit d’un ordre supérieur et très puissant. PROPRIÉTÉS DE L’APPAREIL. 169 B. — Rhéotome. Dans mon appareilles intermittences peuvent être obtenues deux fois ou quatre fois par révolution du fer doux, selon les indications particulières, au moyen d’un mécanisme particulier. Pour bien ap- précier l’importance de cette disposition, au point de vue pratique, il faut se rappeler la théorie des phénomènes d’induction qui se produisent dans les appareils magnéto-faradiquesusuels.Cette théorie a été exposée dans le chapitre 1er (p. 21). Il a été démontré, en effet, l’action simultanée de l’aimant et des solutions de ce Cl, comme je l’ai déjà démontre. II. Après avoir rapporté l'expérience précédente, M. A. Becquerel ajoute : « Le courant du premier fil sera plus intense que celui du deuxième, et le » deuxième moins intense que le premier, à cause de son éloignement plus grand » de l’aimant. Aussi le courant du deuxième fil ne produira-t-il plus les effets » spéciaux des prétendus courants de deuxième ordre. » A ce dernier point de \uc, celte expérience ne prouve absolument rien pour plusieurs raisons. 1° Pourquoi changer les conditions ordinaires des appareils électro-médicaux dont nous avons à étudier les propriétés spéciales ? Quel est donc l'appareil à double induction dont les fils ont une égale section? 2“ Il n’est pas un fabricant d’appareils volta-faradiques qui ne sache qu’une des con- ditions principales pour obtenir une grande puissance physiologique dans une seconde hélice induite, c’est que le fil de celle-ci est non-seulement beaucoup plus fin, mais aussi beaucoup plus long que celui du fil inducteur. Pour quelle raison n’en serait-il pas de même pour les appareils magnéto-faradiques à double courant? Restons dans la question ; il s’agit ici de déterminer les propriétés du courant de la deuxième hélice développé dans un fil fin, comparativement aux propriétés du courant de la première hélice (extra-courant) produit dans un fil gros ou fin. J’ai déjà prouvé, pour les appareils volta-faradiques, que les pro- priétés physiologiques d’une même hélice de fil fin différaient suivant que son courant était, suivant le langage usuel, extra-courant ou de premier ordre. On comprendrait difficilement qu’il en fût autrement pour les appareils électro magnétiques. Aussi ma surprise a été grande quand j’ai lu cette assertion de M. A. Becquerel: « Autour d’un aimant fixe n'enroulant qu’un seul fil très fin » et très long, vous aurez un courant à tension très fort et qui aura toutes les » propriétés des prétendus courants de deuxième ordre. » Cette assertion est en contradiction formelle avec les faits qui ressortent de mes recherches expéri- mentales. 170 APPAREIL MAGNÉT0-FARAD1QUE DE l’aUTEUR. 1° que deux intermittences du rhéotoine produisent, par révolution du fer doux, quatre inductions dont deux puissantes ont lieu au mo- ment des intermittences; 2° que quatre intermittences du rhéotorne par révolution du fer doux développent quatre inductions égales en force; 3° que les courants qui naissent de ces différentes inductions marchent en sens contraire et de manière à produire les alternatives voltianes. Si donc on faradise avec deux intermittences par révolution de l’armature, on aura deux actions puissantes, et le courant se diri- gera chaque fois dans le même sens. Les deux autres actions, dont les courants ont lieu en sens contraire, sont tellement faibles, que chez l’homme elles ne donnent lieu à aucun phénomène appréciable, excepté lorsqu’elles sont dirigées sur la rétine où elles produisent le phosphène. En conséquence, à l’aide de son régulateur, le ressort du rhéotorne sera placé de manière à donner deux intermittences, quand il y aura indication de diriger les courants toujours dans le même sens. Ainsi on peut faire servir les appareils magnéto-faradi- ques, dont les bobines sont fixées sur les bras de l’aimant, et dont les intermittences n’ont lieu que deux fois par révolution de l’arma- ture, à l’étude de la direction des courants sur la contractilité ou sur la sensibilité (1). Les mêmes études ne pourraient être faites avec quatre intermittences par révolution de l’armature, car les quatre inductions agiraient avec une égale force et avec des alter- natives en sens contraire, c’est-à-dire avec des alternatives vol- tianes. Les quatre intermittences par révolution de l’armature produisent un courant une fois plus rapide. Leur emploi trouvera donc de nombreuses indications, soit qu’on veuille agir spécialement sur la sensibilité, ou étudier les fonctions musculaires à l’aide de la faradi- sation. Bien qu’avec quatre intermittences, le courant soit une fois plus rapide que dans les appareils de Clark, qui ne donnent que deux intermittences par révolution du fer doux, j’avoue que sa vitesse n’est pas encore assez grande pour étudier les fonctions musculaires de la face. Cette même condition du rhéotorne rend l’ac- tion de ces appareils sur la sensibilité cutanée beaucoup moins puis- sante que celle des appareils volta-électriques dont les intermittences peuvent être faites avec une vitesse incalculable par le trembleur. (1) On sait que M. Matteucci a tiré des déductions thérapeutiques applicables à rhomme, des phénomènes électro-physiologiques produits par les courants dirigés sur les troncs nerveux des animaux. PROPRIÉTÉS DE L’APPAREIL. 171 C. — Régulateur des intermittences. Je puis affirmer que sans le mécanisme qui permet d’éloigner les intermittences au point de donner par demi-seconde une ou deux, ou quatre excitations faradiques, au lieu d’une action presque con- tinue dans le même espace de temps, il n’est pas un seul appareil magnéto-faradique applicable, dans tous les cas, à la thérapeutique. C’est ce mécanisme que j’ai imaginé pour mon appareil magnéto- faradique, et qui permet de l’employer dans tous les cas. Ce méca- nisme est des plus simples. Il suffit de l’indiquer pour faire sentir son utilité ou plutôt sa nécessité. L’action du régulateur des intermittences L) (tig. 31) doit être combinée avec celle du régulateur du rhéotome intermittent. Le pre- mier est réglé de manière à produire un courant très rapide, et le second de manière à toucher les quatre dentelures du commuta- teur. Si, au contraire, le régulateur des intermittences ne doit produire que des intermittences éloignées, le ressort du rhéotome doit toucher seulement les deux dentelures. En voici la raison. Pendant que le ressort des intermittences touche une des gou- pilles de la grande roue, le contact dure quelquefois un peu plus longtemps, et alors il arrive que deux ou quatre inductions se pro- duisent coup sur coup au moment du contact, suivant la position du rhéotome. Si ce dernier touche les quatre dentelures, les quatre inductions redoublées qui se produisent alors excitent une sensation plus forte. Si, au contraire, le ressort du commutateur ne touche que deux dentelures, il est évident que ces actions rapprochées ne pourront avoir lieu au moment où le contact, sera opéré sur les goupilles de la grande roue. Alors les intermittences éloignées et les sensations qu’elles produisent seront plus régulières. D. — Graduation des courants. Le tube graduateur de mon appareil magnéto-faradique mesure les doses électriques tout aussi exactement que l’appareil volta- faradique. Les détails que j’ai exposés à l’occasion de ce dernier me dispensent d’entrer dans de nouveaux développements. Ce système de graduation est le seul qui permette d’administrer aux organes des doses électriques proportionnelles à leur degré d’excitabilité, qui est très variable pour chacun d’eux, ainsi que je l’ai démontré. Cependant la force initiale des appareils magnéto-faradiques n’est- elle pas elle-même trop variable pour que l’on puisse compter sur 172 appareil magnéto - faradiqüe de l’auteur. nue mesure égale? Ainsi, il est établi qu’un aimant qui a subi des arrachements ou des frottements successifs perd presque complète- ment la faculté de porter un poids donné. Cet affaiblissement di- minue-t-il aussi la puissance de l’induction, dans les mêmes propor- tions? J’ai rapporté, dans la précédente édition, les expériences qui me semblent avoir résolu négativement ces questions. E. — Modérateur des courants et tenseur magnétique. I. Dans les appareils magnéto faradiques, comme dans les appa- reils volta-faradiques, les cylindres graduateurs ne neutralisent pas entièrement les courants des hélices qu’ils recouvrent. Il en résulte qu’ils seraient inapplicables aux organes très excitables ou aux ex- périences délicates, si l’on ne pouvait recourir à un modérateur des courants, analogue à celui des appareils volta-faradiques. J’ai trouvé dans l’appareil même les éléments d’un excellent modérateur. a. L’armature et son système moteur pouvant être éloignés de l’aimant de 2 centimètres et demi par la vis de rappel N, appelée régulateur de l’armature, on comprend qu'à celte distance, l’influence du fer doux sera considérablement diminuée. Ce simple modérateur répond à toutes les opérations pratiquées sur l’homme, et permet, en combinant son action avec celle du graduateur, de lui adminis- trer des doses très faibles. h. Mais il est des recherches où les expériences plus délicates en- core, celles qu’on pratique, par exemple, chez la grenouille, peuvent exiger l’emploi de doses électriques beaucoup plus petites, en raison du degré d’excitabilité des organes de cet animal. Voici ce que j’ai imaginé pour rendre l’appareil électro-magnétique infiniment plus sensible. En tournant de droite à gauche une petite vis h placée sur la base du ressort S (l’un des ressorts qui font les intermittences du courant de l’hélice centrale sur les dentelures du commutateur B), j’empêche le courant de cette hélice de se réunir sur ce commu- tateur. On comprendJqu’alors l’induction ne puisse plus avoir lieu que par l’influence du fer doux sur l’aimant. Je ne sais si cette expérience a jamais été faite dans les mêmes conditions, mais je puis dire que l’induction des appareils magnéto-faradiques, ainsi privée des intermittences simultanées, pratiquées dans le fil de l’hé- lice qui recouvre immédiatement l’aimant, est tellement faible, que le courant de mon puissant appareil n’est appréciable qu’en mettant les excitateurs entre les lèvres. Si donc, après avoir placé le fer doux à son plus grand éloignement, on suspend encore, par le pro- cédé ci-dessus, les intermittences qui se font sur le commutateur B, MANIÈRE DE METTRE L’APPAREIL EN ACTION. l’appareil ne’produira plus qu’une induction infiniment faible, qu’on pourra diviser en degrés de plus en plus petits, en faisant marcher les tubes graduateurs sur les hélices. C’est ainsi que le même appareil qui est capable de mesurer des courants d’une grande intensité, peut servir à mesurer le degré d’excitabilité des muscles de la grenouille. H. Les aimants, en général, perdent en peu de temps une grande partie de leur puissance, et cette déperdition est d’autant plus rapide dans les appareils magnéto-faradiques, qu’on en fait un plus fré- quent usage. Comment réparer cet épuisement continuel causé par les mouve- ments rotatoires du fer doux et par l’affaiblissement naturel qui s’opère sous l’influence du temps? Les armatures ordinaires des appareils, construites sans aucune proportion, sont impuissantes. Exercer une tension continue sur l’aimant à l’aide d’une armature proportionnée, ainsi qu’on le fait dans les cabinets de physique poul- ies aimants libres, tel était le moyen, enseigné par l’expérience, d’entretenir, de nourrir, selon la juste expression de M. Pouillet, l’aimant de mou appareil. Les proportions du fer doux calculées d’après les expériences que J’ai exposées ailleurs étant excel- lentes, je n’avais plus qu’à exercer sur l’aimant une tension continue après l’avoir mis en contact avec lui. La construction de la vis de rappel N, qui peut à volonté éloigner le fer doux de l’aimant, rendit facile à résoudre cette dernière partie du problème. Le fer doux étant donc placé en contact avec l’aimant, je fixai dans un trou pratiqué sur la circonférence de la vis N un petit levier courbe, à l’extrémité duquel je plaçai un petit seau c; je mis dans ce der- nier une plus ou moins grande quantité de balles de plomb. Ainsi chargé, le seau tend à faire tourner la vis N de gauche à droite, et par conséquent à séparer le fer doux de son aimant, ce qui arrive quand la charge du seau est trop grande. C’est de cette manière que je mets en tension continue mon appareil magnéto-faradique dans l’intervalle de ses applications. § IV. — de metlre i’appareil en action. L’usage de l’appareil magnéto-faradique est heureusement d’une extrême simplicité, comme ou le verra plus bas. Ne comprît-on pas sa description et sa théorie, qu’il suffirait encore aux médecins pour en faire l’application, de connaître les courtes indications que je vais exposer sur la manière de le mettre en action. Je ne saurais donc trop les engager à lire attentivement et avant tout les lignes suivantes : Pour mettre l’appareil en action, on tourne le régulateur N de Par- APPAREIL MAGNÉTO-FARADIQUE DE L’AUTEUR. mature de gauche à droite, jusqu’à ce que le fer doux n’éprouve plus de frottements contre l’aimant pendant son mouvement rotatoire. Est-il indiqué d’employer un courant rapide, on tourne le régula- teur des intermittences D de droite à gauche, jusqu'à ce que l’on sente un point d’arrêt. Est-il,au contraire, nécessaire de produire des actions éloignées, on tourne ce même régulateur D en sens contraire, et l’on s’arrête quand l’aiguille de l’indicateur marque le nombre d’intermittences que l’on veut obtenir par révolution de la grande roue. La manivelle doit toujours faire deux révolutions par seconde. Pour graduer les courants, il suffit de se rappeler que lorsque la tige est rentrée dans l’appareil, le courant est à son minimum. La division de cette tige en millimètres permet de fractionner les doses électriques proportionnellement aux degrés d’excitabilité des organes et suivant les besoins de la thérapeutique. La région sur laquelle on opère est-elle très excitable, ou, en d’autres termes, est-il nécessaire de mesurer des doses très faibles, on éloigne plus ou moins l’armature de l’aimant, en tournant de gauche à droite son régulateur N. Veut-on enfin expérimenter sur la grenouille, on éloigne le plus possible l’armature de l’aimant, et l’on empêche le courant d’arriver au commutateur, en détournant de droite à gauche la pelite vis b placée sur la base du ressort S. Après avoir ainsi affaibli l’appareil, on peut mesurer des doses infiniment petites avec autant d’exactitude que les doses puissantes. Lorsqu’on ne se sert plus de l’appareil, on remet l’armature en tension en plaçant le fer doux dans une direction horizontale, en tournant la vis de son régulateur N de droite à gauche jusqu’à ce que l’aiguille soit arrivée à la partie moyenne de l’indicateur (). Alors on met l’aimant en tension continue en chargeant le régula- teur de son petit seau c, comme je l’ai indiqué dans la figure 31. Enfin le bouton T du commutateur est tourné de droite à gauche, lorsque l’on veut faire arrirer le courant de la première hélice dans les boutons P et P' auxquels les conducteurs des excitants sont fixés. On tourne au contraire le bouton T de gauche à droite, si l’on veut faire passer le courant delà deuxième hélice dans ces boutons rhéophores. § W — Résume. L’exposition des propriétés que possède mon appareil magnéto- faradique démontre que son invention constitue un progrès réel, non-seulement au point de vue de ses applications aux sciences médicales, mais encore au point de vue purement physique. EESDME. 175 Il est établi qu’il possède plus que les appareils anciens : 1° deux courants fournis par deux hélices superposées qui jouissent de pro- priétés spéciales ; 2° des intermittences lentes ou rapides à volonté ; 3° des courants, ou sans changement de direction, ou avec alterna- tives voltianes; h° une graduation exacte et vraiment médicale, graduation qui mesure également des doses très fortes ou des doses infiniment petites, grâce à la combinaison des tubes graduateurs et d’un mécanisme appelé modérateur des courants. A. — Au point de vue pratique. B. — Au point de vue physique. I. Mon appareil démontre que les cylindres métalliques sont in- duits par les hélices aussi bien dans un appareil magnéto-faradique que dans les appareils volta-faradiques, ce qui était contesté par le célèbre physicien devienne, M. Dove; et de plus, que l'influence mutuelle des hélices et des cylindres ne s’exerce que dans les parties des hélices recouvertes par les cylindres, d’où il résulte que l’action de ces dernières a lieu d’une manière progressive et dans des pro- portions arithmétiques. H. Dans cet appareil, on voit qu’il est possible d’entretenir la puissance de son aimant artificiel, au moyen de son armature, aussi facilement et aussi sûrement que si l’on agissait avec des poids sur un aimant libre. III. Quand, à la longue, et surtout par l’usage, l’aimant finit par s’affaiblir, il n’est pas nécessaire de démonter l’appareil pour lui rendre sa puissance magnétique. L’enroulement du gros fil qui Fournit le courant de ,1a première hélice sur le bras de l’aimant permet de rendre à ce dernier sa puissance magnétique primitive, en faisant passer le courant d’une batterie voltaïque dans l’hélice formée par ce fil. Voici comment il faut agir alors. On met l’arma- ture en contact avec l’aimant, puis on fait passer dans le courant de la première hélice le courant d’une batterie de huit à dix piles de Bunsen, dont on place le pôle positif sur celui des ressorts des intermittences qui correspond au pôle boréal de l’aimant, tandis que le pôle négatif est mis en rapport avec le ressort du côté opposé. A l’instant où le courant voltaïque passe dans la première hélice, l’aimant augmente considérablement de puissance (il porte jusqu’à ÙO kilogr.) ; et lorsqu’on ouvre ce courant, l’aimant perd une grande partie de la force magnétique qu’il devait au courant voltaïque, mais il conserve le maximum d’intensité magnétique dont il jouis- sait en sortant des* mains du fabricant. Place-t-on ensuite les pôles 176 APPAREIL MAGNÉTO-FAR ADIQUE DE l’aUTEUR. delà pile dans un sens contraire à celui* de l’expérience précédente, l’aimant est désaimanté presque complètement. Mais on peut lui rendre immédiatement toute sa puissance en agissant comme la première fois. J’ai répété bien des fois ces expériences, et je me fais un jeu d’aimanter et de désaimanter mon appareil. IV. Grâce à la réunion des deux hélices superposées et dont les fils sont de grosseur différente, on n’a pas seulement l’avantage d’ob- tenir des courants de deux ordres différents dont les propriétés physiologiques sont spéciales, mais on peut encore montrer dans les cours de physique le phénomène de la décomposition de l’eau par le courant de la première hélice, dont le lil est assez gros pour produire cette action chimique, sans avoir à changer de bobines, comme dans l’appareil de Clark. J’ajouterai que le commutateur des hélices qui permet de passer rapidement de l’un à l’autre courant, sans avoir à déplacer les conducteurs, rend cette étude plus facile. V. Enfin, mon appareil peut servir à démontrer l’énorme diffé- rence qui existe entre l’induction produite dans les appareils ma- gnéto-faradiques par la seule influence de l’action de l’armature sur l’aimant, et celle qui est le résultat de solutions de continuité pratiquées dans le circuit de la première hélice, au moment où l’ar- mature s’éloigne ou se rapproche de l’aimant. Le mécanisme qui per- met ces expériences est des plus simples, puisqu’il suffit de tourner en sens contraire la vis a (fig. 31) placée sur la base d’un des,ressorts, pour faire passer ou pour arrêter le courant dont les solutions se font sur l’anneau à dentelures placé sur la petite bobine. De tels résultats constituent, je le répète, un progrès incontes- table. Et cependant comment se fait-il que cet appareil ait été méconnu, pour ne pas dire plus, par quelques physiciens? C’est que ces derniers, ignorant les besoins «les études physiologi- ques, pathologiques et thérapeutiques auxquelles il est destiné, n’ont pu se faire une idée de l’utilité des propriétés dont il jouit ; c’est qu’ils n’ont pas même vu fonctionner ou appliquer cet appa- reil, et qu’ils ne le connaissent «iue par la description qu’ils en ont lue. Ils l’ont trouvé trop compliqué! Que la description que j’en ai donnée leur ait paru difficile à comprendre, je le reconnais volon- tiers; mais cela tient peut-être à l’insuffisance de l’exposition, et non à la complication de l’appareil. Je puis affirmer, en effet, qu’il n’est pas plus difficile à comprendre «jue les autres appareils. Un grand nombre de physiciens l’ont examiné, et il m’a suffi de le leur exposer une seule fois, pour qu’ils en comprissent parfaitement le mécanisme, qu’ils ont exposé ensuite eux-mêmes dans leurs cours ou dans leurs ouvrages. PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NE RI S MIXTES. 177 Quant aux personnes qui ne sont pas familiarisées avec les études physiques, elles auront sans doute plus de peine à en bien saisir la théorie, mais il n’y aura à cela que demi-mal, car la mise en action de cet appareil est simple et facile, et l’on peut en faire l’application sans en connaître parfaitement le mécanisme. CHAPITRE Y. PARALYSIES CONSÉCUTIVES AUX LÉSIONS TRAUMATIQUES DES NERFS MIXTES. Le travail que je vais exposer dans ce chapitre (1) est le produit d’observations nombreuses. Il sera, je crois, l’un des plus impor- tants de ceux que j’ai à publier sur la valeur de la faradisation localisée, appliquée à la thérapeutique : 1° parce que les faits sur lesquels il repose étant le résultat de lésions traumatiques des nerfs, il offre un degré de certitude égal à celui qu’on obtient dans les vivisections; 2° parce qu’il démontre que les paralysies traumatiques, en apparence les mêmes et qu’il est impossible de distinguer entre elles, pendant les premières semaines, en s’ai- dant des signes ordinaires, fournis par la séméiologie, diffèrent cependant essentiellement les unes des autres, quant à leur gra- vité et à leur marche; 3° parce que l’exploration électro-muscu- laire permet de reconnaître celles dans lesquelles les muscles doi- vent rester paralysés et s’atrophier, quoi qu’on fasse, pendant six à douze mois, et celles dans lesquelles la paralysie reviendra, à coup sûr, rapidement ou spontanément, ou à l’aide des médications ordi- naires, et surtout de la faradisation localisée, sans passer par l’atrophie; U° enfin, parce que les paralysies traumatiques les plus graves, celles dans lesquelles la nutrition est profondément altérée, et qui, à cause de cela, ont été regardées comme incurables, sont, pour la plupart, susceptibles de guérir ou de s’améliorer par la fara- disation localisée appliquée convenablement à une certaine époque de la maladie, alors même qu’elles durent depuis quatre ou cinq ans et que les membres sont décharnés. Il suffit de savoir combien ces paralysies traumatiques sont fré- quentes dans la classe ouvrière, et surtout dans l’armée, en temps de guerre, à la suite des plaies d’armes à feu, qui lèsent les troncs (1) Ce travail a été couronné en 1832 par la Société de médecine de Gaud. DÜCHENNE. 178 PARALYSIES PAR LESION TRAÜVIATIQUE DES NERFS MIXTES. nerveux d’une manière plus ou moins grave, pour saisir l’impor- tance d’un travail qui promet de tels résultats. J’aurais désiré, pour économiser le temps de mes lecteurs, ne donner dans ce chapitre que le sommaire des observations où ces buts sont exposés. Je regrette de ne pouvoir le faire et en voici la raison. On a attaqué quelques-unes des propositions qui ressortent de ces observations ; supprimer ces dernières serait donc priver mes lecteurs des preuves de la vérité de mes assertions. Ne sait-on pas que certains critiques ont profité de l’insuffisance de quelques dé- tails, que j’avais effacés avec l’intention d’être plus concis, pour faire dire à mes observations ce qu’elles ne disent pas, ou pour les mettre en opposition avec moi-même? Loin donc d’être trop détail- lées, plusieurs de mes observations pêchent par un excès contraire, comme on le verra. Le seul sacrifice que je puisse faire, quoique à regret, c’est de renoncer à exposer les nombreuses observations que j’ai recueillies depuis la précédente édition et qui sont venues con- firmer la vérité des propositions formulées dans ce travail. Ce chapitre sera donc la reproduction textuelle de celui qui a paru dans la précédente édition, parce que je n’y ai rien à changer ni à modifier. Les faits qui font la base de ce chapitre en composeront le pre- mier article. Les déductions qui découlent de mes observations seront exposées dans les articles suivants. Comme il est impossible d’apprécier la valeur des laits thérapeu- tiques, sans distinguer entre eux les cas particuliers et leur degré de gravité, c’est-à-dire sans poser le diagnostic et le pronostic, je ferai précéder mes déductions thérapeutiques, de quelques considé- rations sur le pronostic ainsi que sur le diagnostic des paralysies traumatiques des nerfs mixtes, pronostic et diagnostic qui ne peu- vent être éclairés que par l’exploration électro-musculaire. ARTICLE PREMIER. EXPOSITION DES FAITS. Je diviserai les paralysies, dont j’ai à relater les observations, en paralysies récentes et en paralysies anciennes. Dans les premières, je réunirai les paralysies qui ne dataient que d’un ou de six septé- naires; dans les secondes, seront comprises celles qui comptaient déjà six mois à quatre années de durée. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉGENTÉS. 179 § I. — Paralysies récentes, consécutives aux lésions trannia- tiques «les nerfs mixtes (datant d’un à six septénaires, au moment du traitement). Observation YII. — Paralysie atrophique du membre supérieur, consé- cutive à une luxation scapulo-humèrale (variété intra-coracoïdienne des modernes), avec atrophie des muscles du bras, de l’avant-bras et de la main. — Diagnostic du degré de lésion de chacun des filets ou des fibres primitives qui animent les muscles paralysés, établi au moyen de la fara- disation localisée. — Pronostic différentiel tiré de l'état de la contractililé électrique de chacun de ces muscles. — Guérison par la faradisation loca- lisée, rapide dans ceux de ces muscles qui ont conservé leur contractililé électrique, et très lente dans ceux qui l'ont perdue. Le dimanche matin, 3 février 4 850, est entré à l’Hôlel-Dieu, salle Sainte-Marlhe, n° 23 (service clinique de M. le professeur Roux), le nommé Vanbelle, tailleur, âgé de vingt-cinq ans, né à Gand (Belgique), demeurant à Paris, rue Bourg-l’Abbe, 48. Son attitude dénotait, a première vue, une affection de l’épaule gauche. Interrogé sur ce qui lui était arrivé, il raconta que pendant une rixe il perdit 1 équilibre et tomba par terre. Ses souvenirs sur la manière dont il tomba sur le sol étaient trop confus pour éclairer le mécanisme de son accident ; aussi se borna-t-on à con- stater son état. il était affecté d’une luxation de l’épaule gauche; le coude était un peu écarté du tronc, Je raccourcissement du membre était peu sensible, la saillie de l’acromion était très prononcée, Je deltoïde très déprimé, et la tête de l’humérus formait une tumeur très manifeste derrière le grand pectoral, dessous la clavicule et en dedans du niveau de l'apophyse cora- coïde. Le diagnostic n offrait donc aucune difficulté; ce malade avait une luxation de l’épaule en avant (variété intra-coracoïdienne des auteurs mo- dernes). Tous les mouvements imprimés au membre provoquaient de vives dou- leurs, et les quelques tentatives faites pour rétablir les os dans leur position naturelle, sans d’ailleurs faire sortir le malade de son lit et sans employer la moindre violence, déterminaient dans tous les muscles du membre de violentes contractions que la volonté du malade ne pouvait empêcher, di- sait-il. Ce qu’il y a d’important à noter, c’est que lorsqu’on se bornait à soutenir son membre sans chercher a lui faire exécuter aucun mouvement, les muscles ne se contractaient pas ; mais si par un mouvement on déter- minait de la douleur, aussitôt tout le membre se roidissait, et des contrac- tions énergiques se manifestaient dans tous les muscles du membre, soit 180 PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMÂTIQUE DES NERFS MIXTES. qu’elles fassent volontaires ou simplement instinctives, comme cela s’ob- serve dans tous les muscles non paralysés qui avoisinent ou protègent une région accidentellement douloureuse. Les indications de la réduction n’étaient pas tellement pressantes que l’on ne pût attendre un peu. On remit l’opé- ration au lendemain. Quand on revit le malade le lundi matin, la tête de l’humérus avait changé de place; elle n’était plus en avant sous le grand pectoral, mais directement en bas, dans le creux axillaire, au-dessous de la cavité glé- noïde ; ce déplacement s’était opéré spontanément. On chercha à imprimer au membre quelques mouvements qui étaient assez douloureux ; mais, con- trairement à ce qui se passait la veille, ses muscles restaient dans une réso- lution complète. On invita le malade à faire quelques mouvements, mais il avait perdu la faculté de faire contracter ses muscles: ceux de la main, de l'avant-bras et du bras notamment, avaient complètement perdu leur motilité; les pec- toraux, le grand dorsal et quelques-uns des muscles de l’épaule conser- vaient leur contractilité et pouvaient imprimer quelques mouvements aux bras. L’action de ces muscles, d’ailleurs, était assez énergique pour que la réduction pût éprouver quelque difficulté ; aussi dut-on faire usage du chloroforme pour opérer la réduction de la luxation, qui se fit sans le moindre obstacle, dès que le malade fut endormi. Un nouvel examen fit constater que la paralysie était bien uniquement limitée aux muscles, et que la sensibilité n’était nullement affectée. La réduction opérée, le malade ne ressentit qu’une douleur modérée dans l’articulation, et dit sentir seulement un peu d’engourdissement dans la main et l’avant-bras du côté gauche. 11 ne pouvait, en aucune manière, faire contracter ses muscles. Au bout de quelques jours, la douleur qui, après l’accident, occupait l’articulation, était dissipée. Cependant le membre restait toujours dans la résolution, et aucun mouvement n’était possible ni dans la main, ni dans l’avant-bras. Le bras seul, à la faveur du grand pectoral, pouvait être ramené en avant, mais l’élévation était complètement empêchée. La sensibilité cutanée, examinée de nouveau, conservait toujours son intégrité. Pendant tout le reste du mois de février, il ne s’opéra aucun changement ; la paralysie musculaire persista aussi complète qu’au commencement, et la sensibilité n’éprouva aucune altération. Cependant le volume du membre diminua peu à peu ; les muscles s’émacièrent. M. Roux me fit alors prier de venir essayer les effets de l’électricité. Le 2 mars (un mois après l’accident) je pus constater les faits suivants : le membre paralysé est notablement moins volumineux que celui du côté sain; les mouvements volontaires sont complètement perdus à la main, au bras et à l’avant-bras; l’épaule peut être élevée au moyen du Irapèze et de l’an- gulaire du scapulum et portée en avant à l'aide du grand pectoral. Mais ce sont là les seuls mouvements possibles de ce membre. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉCENTES. Examen de l’état de la contrüclilité et de la sensibilité électro-musculaires. — Aucun des muscles du bras, de l’avant-bras et de la main n’entre en contraction, quel que soit le degré d’intensité du courant faradique, soit qu’on les excite au moyen des nerfs qui les animent, soit qu’on dirige l’exci- tation dans leur tissu ; les muscles moteurs du bras sur l’épaule possèdent leur excitabilité normale, à l’exception, toutefois, du deltoïde, qui en a perdu une faible partie seulement. Les muscles qui ne se contractent pas sous l’influence électrique sentent cependant son excitation, mais leur sen- sibilité, comparée à celle du côté sain, est diminuée de moitié à peu près. Il en est de même des troncs nerveux, dont la sensibilité est considérable- ment diminuée. L’excitation électro-cutanée éveille des sensations très nota- blement moins fortes à l’avant-bras du côté malade que du côté sain. La tempéialure est diminuée dans le membre paralysé. Traitement. — L’excitation faradique a été dirigée sur chacun des mus- cles paralysés, régulièrement tous les deux jours et pendant huit à dix minutes chaque fois. L’appareil était à son maximum et agissait avec des intermittences très rapprochées, de manière à provoquer vivement la sensi- bilité musculaire. Malgré ce traitement, l’atrophie marcha rapidement, et un mois après on observait les phénomènes suivants : le bras, l’avant-bras et la main étaient considérablement atrophiés ; les muscles du bras et de l’avant-bras ne présentaient aucun des reliefs musculaires ordinaires; au toucher, on n’y sentait plus la résistance du tissu musculaire ; la main était à peu près desséchée ; les éminences thénar et hypothénar avaient disparu ; les tendons des fléchisseurs faisaient un relief considérable dans la paume de la main ; la face dorsale de cette main présentait des sillons profonds dans les espaces interosseux ; les muscles de l’épaule étaient un peu moins développés que du côté opposé. En très peu de temps, cependant, le deltoïde, qui avait peu perdu de son irritabilité, recouvra ses mouvements volontaires ; les nerfs du membre supérieur ressentirent très vivement l’excitation faradique et devinrent très sensibles au toucher. Cette exaltation de la sensibilité gagna aussi les mus- cles du bras, vers le sixième mois après l’accident, et dans l’intervalle des applications électriques, le malade se plaignit de fortes douleurs dans tout le membre et d’un sentiment de chaleur très incommode. Cette surexcitation nécessita une suspension de traitement, pendant quelques jours, durant les- quels le malade prit des bains émollients locaux et appliqua des cata- plasmes ; mais ces phénomènes de surexcitation disparurent bientôt et le traitement faradique fut repris. Alors, des mouvements de flexion et d’ex- tension de l’avant-bras sur le bras commencèrent à se manifester, et les 182 PARALYSIES PAR LÉSION TRAÜMAT1QÜE DES NERFS MIXTES. La figure 32 représente l’état du membre avant le traitement. — La saillie du del toide est un peu moins prononcée que celle du côté opposé. — Le bras et l'avant-bras sont d’un tiers moins volumineux que du côté droit. — La main commence aussi à s’atrophier. Cette figure ne peut donner une idée exacte du degré d’atrophie musculaire dont ce membre fut atteint en quelques semaines, car ce dernier, à l’exception de l’épaule, se décharna complètement, malgré l’emploi régulier de la faradisation musculaire. Fig. 32 (avant le traitement). EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉCENTES. 183 La figure 33 représente le membre para- iysé ayant recouvré, par la faradisation localisée, ses mouvements volontaires et sa nutrition musculaire, à l’exception de quel- ques muscles de l'éminence thénar qui sont en voie de guérison. On sait que le deltoïde, qui avait con- servé sa contractilité électrique, fut guéri en peu de temps (en trois à quatre séances) ; tandis que faction thérapeutique de la fa- radisation ne se manifesta que plusieurs mois plus tard dans le reste du membre, en rappelant d’abord la vie dans les muscles du bras, puis dans ceux de l’avant-bras, et en- fin dans ceux de la main. Quand les muscles du bras et de l’avant- bras eurent recouvré leur nutrition et leurs mouvements volontaires, il y eut un temps d’arrêt assez long dans la marche de la gué- rison, et la main, qui était restée jusqu’a- lors dans une attitude cadavérique, comme dans la figure 23, prit la forme d’une Fig. 33 (après le traitement). PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES, griffe, comme dans la figure 25. Les premières phalanges se plaçant dans une extension forcée et les deux dernières dans la flexion, sous l’influence de la force tonique des extenseurs et des fléchisseurs des doigts, dont l’action n’était plus contre-balancée par les interosseux et par les lombricaux atrophiés, les tendons des fléchisseurs et des extenseurs, qui jusqu’alors étaient à peine visibles,(se ten- dirent et formèrent des cordes saillantes qui soulevaient la peau. Les têtes des métacarpiens s’hypertrophièrent en avant, de telle sorte que les premières pha- langes subluxées en arrière éprouvaient de la part de ces dernières (des têtes des métacarpiens) un obstacle mécanique à leur flexion sur les métacarpiens. Cette saillie des têtes des métacarpiens hypertrophiées est bien indiquée dans la figure 25. Mais les interosseux, les lombricaux et les muscles de l’éminence hypothénar apparaissant à leur tour sous l’influence du traitement, les phalanges reprirent peu à peu leur attitude normale, par l’action continue de la force tonique de ces muscles, longtemps avant le retour des mouvements volontaires. La pression exercée sur la tête des métacarpiens par les premières phalanges fit disparaître leur hypertrophie, et la flexion de ces phalanges gagnant de jour en jour, put enfin se faire à angle droit. Aujourd’hui la flexion et l’extension des trois pha- langes ont lieu normalement, ainsi qu’on le voit dans la figure 23. Entre la guérison des interosseux, des lombricaux, des muscles de l’éminence hypothénar et celle des muscles de l’éminence thénar, il y eut un nouveau temps d’arrêt, dont les causes ont été exposées dans l’observation. Depuis quelques semaines seulement, les muscles de l’éminence thénar se développent très nota- blement; on y sent le tissu musculaire de ceux qui produisent l’opposition du pouce, à travers la peau, qui auparavant était comme collée au premier méta- carpien. Yanbelle commence à exécuter le mouvement d’opposition du pouce. La figure 24 montre qu’il peut opposer ce pouce à l’index: il n’est pas douteux que, prochainement, les muscles de l’éminence thénar auront recouvré entièrement leur nutrition et leurs mouvements primitifs, si la faradisation est continuée. Enfin, la figure 25 montre exactement le degré d’atrophie où en était arrivée la main de Yanbelle, après quelques mois de maladie, et peut donner une idée de l’état dans lequel se trouvaient son bras et son avant-bras, qui s’étaient atrophiés dans les mêmes proportions; le tissu musculaire semblait remplacé, dans ces deux dernières régions, par des espèces de cordes fibreuses qu’on sentait à travers la peau. saillies musculaires reparurent. Les phénomènes de surexcitation se mani- festèrent ensuite à l’avant-bras, dans les nerfs et dans les muscles, annon- çant, comme au bras, le retour des mouvements volontaires. Ces mouve- ments, faibles d’abord, n’apparurent pas à la fois et également dans tous les muscles : ainsi le premier mouvement fut la flexion du poignet et des deux dernières phalanges des doigts, ensuite l’extension des premières pha- langes des doigts, puis celle du pouce, et, en dernier lieu, du poignet. Il fallut un temps considérable pour obtenir ce résultat (plusieurs mois); mais au bout de ce temps les muscles du bras et le long supinateur étaient près- que aussi développés que du côté sain. Leur force était normale, et cepen- dant ils ne se contractaient pas sous l'influence des courants les plus intenses. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉCENTES. Les muscles de l’avant-bras gagnèrent aussi chaque jour en nutrition et en force; mais les muscles de la main paraissaient plus rebelles. L’excita- tion électrique fut alors uniquement appliquée sur ces muscles, et il arriva là, ce qu’on avait observé dans les autres régions : une surexcitation telle, qu’après huit ou dix opérations le malade ne voulut plus suivre le traite- ment. Sa main était brûlante et le siège de douleurs continuelles qui le privaient de sommeil. Il sortit alors de l’Hôtel-Dieu et alla passer six semaines dans son pays. Ne voyant pas revenir entièrement les mouve- ments de la main, il voulut reprendre son traitement. Je remarquai alors Fig. 34 (pendant le traitement). que cette main n'était plus aussi desséchée ; que l’écartement des doigts se faisait faiblement; que les espaces interosseux se remplissaient; que les interosseux avaient, en un mot, recouvré leur action sur les phalanges. Cependant, les muscles de l'éminence thénar ne donnaient, le 26 mai, époque à laquelle il reprit son traitement, aucun signe d’existence ; l’exci- tation faradique de cette dernière région produisit encore les mêmes phé- nomènes que j’ai déjà exposés, c’est-à-dire une sorte d’hyperesthésie mus- culaire avec augmentation de chaleur, et bientôt après un commencement de nutrition, de telle sorte que cette éminence, qui était desséchée, aplatie, grossissait à vue d’œil. En février 1852, les mouvements n’y étaient point encore entièrement revenus ; mais il n’était point douteux que les muscles s’y développeraient comme dans les autres régions, et que la guérison de Vanbelle serait complète, si le traitement était continué. Il importe de mentionner les modifications qui se manifestèrent dans l’état de la calorification et de la circulation du membre paralysé. Avant le traitement, le malade éprouvait un sentiment de froid et était très impres- sionnable à l’air ; on constatait aussi par le toucher une différence de tem- pérature entre les deux membres supérieurs. Il suffit de dix-huit jours de PARALYSIES PAR LÉSION TRAÜMATIQÜE DES NERFS MIXTES. faradisation pour ramener la chaleur à l’étal normal dans le membre ma- lade; la peau était aussi d’un blanc mat et dépourvue de veines apparentes dans les mêmes régions (à l’avant-bras et surtout sur la face dorsale de la main] ; après quelques mois de traitement, les veines dorsales étaient pres- que aussi développées que du côté sain, et la circulation capillaire y parais- sait notablement améliorée. Les figures 32, 33 et 3à sont destinées à rappeler les phases prin- cipales de la guérison progressive qui lut obtenue par la faradisa- tion localisée chez Vanbelle, affecté de la paralysie du deltoïde, des muscles du bras, de l’avant-bras et de la main, du côté gauche, consécutivement à une luxation scapulo-humérale. Les phénomènes musculaires qui furent observés chez Vanbelle, pendant le développement successif de ses muscles, intéressent la physiologie musculaire au plus haut degré ; il ont été exposés dans la deuxième partie de l’édition précédente (1). Cette paralysie doit-elle être attribuée à une commotion du plexus brachial, ou bien à la contusion ou à la déchirure des nerfs qui le composent? Pour ne pas sortir de mon sujet, je ne discuterai pas longtemps cette question, qui a été traitée avec beaucoup de talent par M. Malgaigne, et plus récemment dans une thèse très remarquable par M. Empis, interne distingué et aujourd’hui médecin des hôpi- taux. Je dirai seulement que M. Malgaigne n’a pas trouvé, sur les sujets qui ont eu pendant la vie une paralysie consécutive à une luxation scapulo-humérale, de traces de déchirure et de contusion des nerfs du plexus, et qu’il n’a jamais pu produire sur le cadavre la déchirure des nerfs de ce plexus, quelque traction qu’il eût exer- cée sur le membre supérieur. Ce savant chirurgien a conclu de ces faits que la paralysie consécutive à la luxation scapulo-humérale est le résultat de la commotion du plexus brachial. Je crois, avec M. Empis, que c’est la même lésion nerveuse (la commotion) qui a causé la paralysie du sujet dont l’observation a été rapportée plus haut, et je pourrais étayer l’opinion de M. Malgaigne (la possibilité de la commotion du nerf comme cause de paralysie) d’un autre fait (obs. XXI), qui me paraît établir que la commotion de quelques nerfs du plexus brachial peut occasionner la paralysie atrophique des muscles auxquels ces nerfs se distribuent. Le membre entier, chez Vanbelle, était amaigri ; tous ses mouve- ments étaient également abolis ; il était donc naturel d’en conclure (jue tous ses muscles étaient également affectés, ou, en d’autres termes, que tous les filets nerveux qui les animent avaient également (l) De l’électrisation localisée. Paris, 1855, ia-8, p. 259. souffert; or, on a vu que les muscles situés au-dessous du deltoïde avaient perdu leur contractilité électrique, et que ce sont justement ceux-là qui se sont atrophiés le plus rapidement, tandis que les autres muscles paralysés, qui n’avaient pas été atteints dans cette propriété, non-seulement ont échappé à l’atrophie, mais encore ont recouvré leurs mouvements volontaires en quelques séances ; quant au deltoïde, dont la contractilité électrique était seulement un peu affaiblie, il a fallu un peu plus de temps pour lui rendre sa motilité. On doit en conclure que la perte de la contractilité électrique dans les muscles placés sous la dépendance d’un nerf lésé traumatique- ment, est un signe fâcheux, et cela d’autant plus que cette contrac- tilité est plus affaiblie. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉCENTES. L’absence de la contractilité électrique dans certains muscles pouvait faire craindre que ces derniers fussent perdus à tout jamais ; mais le malade accusant encore quelque sensibilité quand je sou- mettais ces muscles à la faradisation, ce qui annonçait que la com- munication nerveuse n’était pas complètement interrompue (l), je pus annoncer au professeur Roux, en m’appuyant sur des faits antérieurement observés, que tôt ou tard, sous l'influence de l’exci- tation électrique, ces muscles reviendraient à la vie. C’est, en effet, ce qui est arrivé à ces muscles qui, avant de retrouver leur nutrition et leurs mouvements, éprouvèrent, comme on l’a vu, une surexcita- tion de la sensibilité (une byperestbésiemomentanée) sous l’influence du traitement. V hyper est hésie musculaire qui se développe sous l'in- fluence de la faradisation dans un membre paralysé par lésion trauma- tique de ses nerfs, est donc un signe favorable. La succession des phénomènes thérapeutiques qui se manifes- tèrent sous l’influence de la faradisation localisée, chez Yanbelle, est d’autant plus remarquable, que je les ai vus se reproduire dans le même ordre, dans des cas analogues. Voici le résumé de ces phénomènes, dans l'ordre de leur manifestation : 1° retour rapide des mouvements volontaires dans les muscles qui n’avaient pas perdu leur contractilité électrique; 2° exaltation de la sensibilité (byperestbésie) dans les muscles dont la contractilité électrique avait été profondément lésée et dont la sensibilité était seulement dimi- nuée; 3° retour de la nutrition et ensuite des mouvements volon- taires dans les muscles du bras, puis de l’avant-bras, et enfin de la main. L’action thérapeutique de la faradisation localisée, sur les muscles (1) J’avais remarqué que la commotion ou la contusion des troncs nerveux mixtes occasionnait généralement plus de troubles dans la motilité que dans la sensibilité. 188 PARALYSIES PAR LÉSION TRAÜMATIQUE DES NERFS MIXTES, dont la contractilité électrique avait été gravement altérée, a été très lente; il ne pouvait en être autrement, car évidemment la faradisation ne peut donner la vie à des muscles privés de l’action nerveuse. Chez Yanbelle, l’excitation faradique n’a réellement com- mencé à agir sur ses muscles privés de contractilité électrique, que lorsque les nerfs ont permis à l’influx nerveux d’arriver librement jusqu’à eux. La guérison a été si lente, chez notre malade, qu’on serait tenté d’en refuser l’honneur à la faradisation localisée, et de l’attribuer plutôt au temps, et cela avec d’autant plus d’apparence de raison, qu’on a vu, dit-on, des paralysies consécutives à des luxations sca- pulo-humérales guérir spontanément et avec le temps. Dans ces dernières paralysies, les muscles, sans aucun doute, avaient dû perdre très peu de leur contractilité électrique, c’est-à-dire que leurs nerfs n’avaient pas été gravement lésés. Mais quant à Yanbelle, je crois pouvoir affirmer que la temporisation lui eût été fatale, et l’on en verra la preuve dans les observations que je rapporterai bientôt. Si, d’ailleurs, l’action thérapeutique réelle de la faradisation loca- lisée, dans cette espèce de paralysie, n’était pas complètement dé- montrée, les succès que j’en ai obtenus dans certains cas analogues, où elle est intervenue très tard, à une époque où la paralysie et l’atrophie étaient depuis longtemps stationnâmes, porteraient dans les esprits la conviction sur l’utilité, et je puis dire même sur la nécessité de l’emploi de cet agent thérapeutique, dans les paralysies consécutives à la lésion traumatique des nerfs. Je noterai un dernier phénomène, des plus importants au point de vue thérapeutique, et non moins curieux au point de vue scien- tifique : c’est que, malgré l’absence des contractions électro-muscu- laires, l’action thérapeutique de la faradisation ne s’en est pas moins manifestée dans les muscles de Yanbelle. Enfin, ces mêmes muscles ont longtemps joui de leurs propriétés principales (de leurs mouve- ments volontaires, de leur force et de leur nutrition), avant de recouvrer leur aptitude à se contracter sous l’influence de l’excita- tion électrique. Ce fait, que j’ai vu se'produire dans toutes les pa- ralysies traumatiques des nerfs, modifiées par la faradisation loca- lisée, se trouve en opposition avec les idées qui régnent actuelle- ment dans la science; car on n’aurait jamais prévu qu’un muscle vivant pût ne pas se contracter ou se contracter faiblement par l’excitation électrique, alors, qu’un muscle mort se contracte en- core quelques heures après que la vie l’a abandonné. (Je me réserve de traiter spécialement de ce curieux phénomène dans un appendice du chapitre III.) EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉCENTES. 189 Observation VIII. — Paralysie alrophique du membre supérieur, par lésion traumalique des plexus cervical et brachial. — Diagnostic et pronostic différentiels déduits, pour chacun des muscles paralysés, de Vétat de la contractililé électro-musculaire. — Guérison par la faradisation localisée, très lente dans les muscles qui ont été lésés dans leur contraclilité élec- trique. Raby, employé au chemin de fer de Strasbourg, présente à la partie latérale et gauche du cou une plaie contuse, à la suite de laquelle le membre supérieur gauche est resté paralysé. Après avoir reçu pendant un mois les premiers soins de M. Oulmont, médecin de la compagnie du chemin de fer de Strasbourg, ce malade entra à la Charité, dans la salle Saint-Yincent, n° Il, pour être soumis à la faradisation localisée. Je con- statai alors les phénomènes suivants : les muscles qui meuvent l’épaule, le bras, l’avant-bras et la main étaient complètement paralysés, et n’avaient été jusqu’alors le siège d’aucune douleur; la sensibilité cutanée était intacte. Le malade se plaignait d’un sentiment de froid dans l’épaule du côté paralysé; l’état de l’irritabilité de tous ses muscles était très différent dans ces diverses régions; ainsi, la portion claviculaire et le tiers moyen du trapèze se con- tractaient très peu par la faradisation; le deltoïde, le grand pectoral, le sous-épineux et le biceps, avaient perdu, à des degrés divers, leur contrac- tilité électrique ; mais cette dernière propriété était normale dans les autres muscles paralysés. La sensation produite par l’excitation faradique de tous ces muscles était d’autant moins vive que leur contractililé électrique était plus diminuée ; la sensibilité cutanée était affaiblie dans les régions scapulaires et brachiales. — La faradisation pratiquée journellement à une dose mo- dérée, et pendant huit à dix minutes chaque fois, fut dirigée sur chacun des muscles paralysés. Après la deuxième séance, le membre paralysé, princi- palement l’épaule, devient le siège de douleurs profondes, continues et accompagnées d'un sentiment de chaleur incommode. Les muscles, dont l’irritabilité électro-musculaire est diminuée, ne sentent cependant pas plus vivement l’excitation électrique qu’avant le traitement.—Cinquième séance. Raby commence à fléchir et à étendre le poignet et les doigts, à étendre l’avant-bras sur le bras; mais les muscles qui président aux autres mouve- ments du membre, c’est-à-dire, le trapèze, le sous-épineux, le biceps et le grand pectoral, sont aussi paralysés qu’auparavant. On aperçoit môme un commencement d’atrophie dans l’épaule et le bras. Les douleurs et le sen- timent de chaleur sont tellement vifs que la faradisation est suspendue pen- dant plusieurs jours. Des bains généraux sont prescrits. — Dixième séance. Les douleurs ont disparu; mais le sentiment de chaleur persiste. Les mou- vements de la main et l’extension de l’avant-bras sur le bras sont presque entièrement revenus; la flexion de l’avant-bras sur le bras et l’écartement PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQÜE DES NERFS MIXTES, du bras du tronc commencent à se faire. —Quatorzième séance. Le malade porte la main au front, derrière le dos, il élève le bras horizontalement, il rapproche le bras du tronc avec plus de force ; mais il ne peut encore élever l’épaule, ni exécuter la rotation du bras en dehors. L’atrophie a été en croissant dans les muscles trapèze, grand pectoral, deltoïde et biceps. Plus de douleurs. Tel avait été le résultat de la faradisation localisée, lorsque Raby, ne pouvant supporter plus longtemps le séjour de l’hôpital, sortit de la Charité. Réflexions, — Citez ce malade, tous les muscles qui meuvent le membre supérieur avaient également perdu la faculté de se con- tracter sous l'influence de la volonté. Un mois après la blessure qui avait occasionné cette paralysie, rien encore ne pouvait faire soup- çonner que les muscles paralysés fussent inégalement affectés, ou, en d’autres termes, que les nerfs qui prennent leur origine dans les plexus cervical et brachial fussent inégalement lésés. C’est la fara- disation localisée qui m'apprit que le trapèze, le deltoïde, le biceps, le sous-épineux, ou plutôt leurs lilets nerveux, étaient seuls grave- ment lèses, par la diminution ou par l’absence de leur contractilité électrique; ce qui permit d’établir pour chacun d’eux un diagnostic local et un pronostic différentiel dont l’exactitude fut vérifiée par les résultats thérapeutiques. On a vu, en effet, que les muscles de la main, de l’avant-bras et du bras, a l’exception du biceps brachial, ont recouvré promptement leurs mouvements ; tandis que les autres muscles du membre se sont atrophiés et n’ont éprouvé que lente- ment l’influence thérapeutique de la faradisation, bi le malade s’était soumis ace traitement pendant un temps suffisant, il n’est pas dou- teux qu’il n’eût été complètement guéri, et probablement assez rapidement; car les résultats heureux, obtenus en si peu de temps, annonçaient que la lésion des nerfs n’était pas profonde. Enfin, on a remarqué, comme dans l’observation VU, qu’une sorte d’hyper- esthésie, avec augmentation de la calorification, s’est développée sous l’influence de la faradisation des muscles dont l’irritabilité était diminuée, et que ces phénomènes ont été le signe précurseur du retour des mouvements volontaires. Observation IX. — Paralysie alrophique du membre supérieur, consécutive à la luxation scapulo-humer aie. — Diagnostic et pronostic différentiels, portés sur chacun des muscles paralysés, au moyen de la faradisation lo- calisée. — Retour rapide des mouvements dans les muscles qui jouissent de leur contractilité électrique. •— Le malade est en voie de guérison. Hôtel-Dieu, salle Sainte-Marthe, n° i 5. Maillet, âgé de quarante-sept ans, EXPOSITION DES FAITS, — PARALYSIES RÉCENTaS. charron, demeurant à Paris, entré le 3 février 1852. Le 1er février, au soir, il fit une chute dans un escalier. Voulant se retenir à la rampe, il jeta vivement sa main gauche à la rencontre d’un point d’appui. N'ayant pu rien saisir de solide, il tomba de tout son poids sur l’épaule gauche. Le coup porta, dit-il, surtout sur la partie supérieure et postérieure de l’humérus, vers le milieu de la région deltoïdienne de cet os. Pendant deux jours, croyant son mal peu grave, il se contenta de repos et de frictions. Le troi- sième jour, il vint à la consultation de l’Hôtel-Dieu. On constata à son entrée les phénomènes suivants : déformation de l’épaule gauche, gonflement périphérique, dépression sous-acromiale; l’axe de l’humérus, prolongé par la pensée, n’aboutissait plus au centre de la cavité glénoïde, mais au-dessus et en dedans ; la tête de l’humérus pouvait être sentie dans le creux axillaire. On ne put rapprocher le coude du corps; tout mouvement était douloureux, surtout ceux d’adduction et de rotation, que le malade essayait en vain de produire. Mesurée depuis l’épilrochlée jusqu’à l’acromion, la distance était de 0m,27 à gauche, de 0m,25 à droite. On ne put a ces signes méconnaître la luxation en bas et un peu en avant, produite par cause directe. On procéda à la réduction au moyen d’exten- seurs et de contre-extenseurs, pendant que le chirurgien opérait la coap- tation par la méthode ordinaire. Le malade était chloroformé; le succès fut prompt et facile. Le membre fut retenu par un bandage contre le corps, afin de prévenir la reproduction de la luxation. Au bout de quatre à cinq jours, le malade ne pouvait imprimer aucun mouvement au membre supérieur ; le bras, l’avant-bras et la main étaient entièrement paralysés. Il n'y éprou- vait aucune douleur; la peau de ce membre avait perdu un peu de sa sen- sibilité, surtout a la face postérieure de l’avanl-bras ; abaissement de tem- pérature. Je fus invité par le professeur Roux à soumettre cette paralysie au traitement électrique, et je constatai une altération plus ou moins pro- fonde de la contraclililé et de la sensibilité électriques dans le deltoïde et le sous-épineux, dans les muscles qui sont animés par le radial et dans les muscles de l’éminence thénar. Les autres muscles qui meuvent l’omoplate sur le tronc, et l’avant-bras sur le bras, les muscles de la région antérieure de l’avant-bras, et ceux qui reçoivent leur innervation du nerf cubital, avaient conservé presque toute leur aptitude à se contracter sous l’influence de 1 excitation faradique. Cette observation est intéressante, surtout au point de vue du dia- gnostic et du pronostic, qui furent établis avec une grande exacti- tude pour chacun des muscles paralysés. En effet, ayant fait mon exploration électrique, en présence du professeur Roux et des éleves présents à la visite, j’annonçai immédiatement que parmi les muscles du membre, qui paraissaient également frappés de para- PARALYSIES PAR LÉSION TRAÜMATIQUE DES NERFS MIXTES. lysie, un certain nombre recouvreraient leurs mouvements sponta- nément, mais plus rapidement par l’excitation farad ique, et que ces muscles étaient ceux qui n’avaient pas souffert dans leur contractilité électrique; mais qu’au contraire les autres muscles qui étaient lésés deleurcontractilitéet leur sensibilité électriques,s’atrophieraient,quoi qu’on fît, et, cela d’autant plus qu’ils se contractaient moins. Ils ne de- vaient, selon moi, recouvrer leurs propriétés (la nutrition et le mouve- ment) qu’après un temps plus ou moins long, c’est-à-dire, quand la lésion des nerfs étant guérie, l'influx nerveux pourrait arriver libre- ment aux muscles paralysés. C’est alors seulement, ajoutai-je, que le traitement faradique pourra guérir ; c’est alors même qu’il sera nécessaire. En quelques jours, on vit ce diagnostic et ce pronostic se réaliser en partie; car le malade, après plusieurs séances de faradi- sation circonscrite dans chacun des muscles paralysés, put élever les épaules, fléchir et étendre l’avant-bras sur le bras, et commencer à exécuter tous les mouvements commandés par les muscles qui reçoivent leur innervation du cubital et du médian, à l’excep- tion toutefois des mouvements qui dépendent des muscles de l’é- minence thénar. Or, on se rappelle que tous ces muscles, qui, chez ce malade, obéissaient déjà à la volonté, après quelques séances, sont justement ceux qui avaient conservé leur contractilité électrique; quant aux autres, ils sont en voie de dépérissement, malgré la faradisation qui est pratiquée avec énergie et régularité. Il n’est pas douteux, pour moi, que ces muscles s’atrophieront et resteront paralysés, si l’on n’intervient avec la faradisation loca- lisée. Il faut noter que le deltoïde de Maillet, qui avait moins souffert dans son tiers antérieur, commençait à se contracter, et que ce ma- lade pouvait, après une dizaine de séances, porter la main au front; que le sous-épineux et les muscles de l’éminence thénar, dont la con- tractilité électrique était seulement un peu affaiblie, commençaient également à se contracter volontairement : ainsi, le malade pouvait, à l’aide de son sous-épineux, imprimer à l'humérus un mouvement de rotation en dehors, et à l’aide des muscles de l’éminence thénar, il exécutait de légers mouvements d’opposition. Observation X. — Paralysie alrophique de la main, consécutive à la con- tusion du nerf cubital. — Degré de lésion des fibres nerveuses qui ani- ment chacun des muscles paralysés, reconnu à l'aide de la faradisation localisée. — Guérison de la paralysie, très lente dans les muscles qui ont perdu leur contractilité et leur sensibilité électriques Béale, infirmière à l'hôpital de la Charité, âgée de quarante et un ans, se heurte assez violemment, contre une porte, la partie interne du coude du côté droit, l’avant-bras étant à demi fléchi sur le bras. Elle ressent immé- diatement une très vive douleur qui se propage le long de la partie interne du bras jusque dans les deux derniers doigts, où un engourdissement et des picotements se font sentir. Elle s’aperçoit aussitôt que ces deux doigts restent étendus et écartés l’un de l’autre, l’annulaire s’appliquant contre le médius, sans qu’il lui soit possible de les rapprocher. Elle éprouve aussi un peu d’affaiblissement dans le poignet. Elle peut continuer son service en s’aidant des doigts qui ont conservé leurs mouvements et leur force : mais, peu à peu, les mouvements de l’avant-bras deviennent difficiles, et la force musculaire diminue tellement, qu’elle ne peut plus se servir de sa main pour porter les aliments à sa bouche. Quatre jours après, elle réclame les soins de M. Bouillaud, qui, pour combattre la douleur et la paralysie, pres- crit successivement des lotions avec de l’alcool camphré, des vésicatoires, et la strychnine, par la méthode endermique. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉCENTES. Vers la fin d’avril (dix jours après la contusion), la malade n’ayant éprouvé aucune amélioration dans l'état de sa paralysie, M. Bouillaud m’engagea à étudier l’influence thérapeutique de la faradisation localisée dans ce cas rebelle. Je constatai alors, chez elle, que l’interosseux dorsal de l’annulaire du côté droit et l’adducteur du petit doigt ne se contractaient pas sous l'influence du courant le plus intense, et qu’elle n’éprouvait qu’une sensation à peine appréciable pendant la faradisation de ces muscles, même avec les intermittences les plus rapides. Avant de commencer le trai- tement électrique, deux mois environ après la contusion du nerf, je con- statai de nouveau les symptômes suivants. Aucun des muscles de la ré- gion hypothénar ; ni l'interosseux dorsal, ni l'adducteur, ni l'abducteur du petit doigt, ni l’adducteur de l’annulaire, ne se contractaient sous l’influence d’un courant intense. Les autres muscles qui meuvent la main, les doigts et le pouce, possédaient leur contraclililé électrique, et cependant ils étaient semi-paralysés, au point que la malade ne pouvait se servir du membre. Enfin, l’anesthésie cutanée persistait, et la main paralysée était le siège d’une sensation de froid continue. La faradisation localisée restitua, en peu de jours, les mouvements et la force à ceux des muscles paralysés qui n’avaient subi aucun trouble dans l’état de leur contraclililé électrique. L’excitation éleclro-cutanée ramena promptement la sensibilité de la peau dans les points de l’avant-bras où elle avait diminué; enfin, la température du membre revint rapidement, mais il fallut un temps considérable pour guérir les muscles du dernier espace inlerosseux et de l'éminence hypo- thénar, et pour rappeler la sensibilité normale de l’annulaire et du petit doigt. Il est important d’ajouter que peu de temps après la faradisation musculaire, la malade éprouva des douleurs qui furent le signe précurseur du retour des mouvements volontaires. S’il n’était pas permis de croire que, chez celle malade, tous les DÜCHENNE. muscles qui meuvent la main, les doigts et le pouce, étaient égale- ment paralysés, puisque le nerf cubital seul avait été contus, on pou- vait penser du moins que tous les muscles dépendants de ce nerf cubital devaient être compromis au même degré. Mais l’examen par la faradisation localisée a démontré qu’il n’y avait qu’un très petit nombre de muscles profondément affectés, et, en conséquence, que quelques fibres primitives du nerf cubital seulement avaient dû être lésées. PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES. Les nerfs médian et radial n’avaient pas été contus, et cependant les muscles auxquels ils se distribuent étaient paralysés. Ces faits me semblent démontrer qu’il existe une sorte de solidarité entre tous les nerfs d’un membre, et que l’un d’eux ne peut être impunément supprimé tout à coup, sans compromettre l’innervation générale de ce membre. Toutefois le trouble apporté dans l’état des muscles dont les nerfs ne sont pas lésés, n’est que momentané, et se dissipe avec le temps généralement et plus promptement par l’excitation élec- trique, comme on l’a vu chez cette malade et dans les observations VII, VIII et IX. On est frappé aussi, dans l’observation qui vient d’être rapportée, de la lenteur de l’action thérapeutique de la faradisation sur les muscles qui ont perdu leur contractilité et leur sensibilité élec- triques; la cause en a déjà été donnée : c’est que la lésion du nerf n’étant pas guérie, l’influx nerveux n’arrivait pas encore librement aux muscles. Si la faradisation eût été employée plus tard, à une époque où le retour de l’excitant cérébro-spinal dans ces muscles eût été insuffisant pour leur rendre leur propriété, il est probable que l’action thérapeutique eût été plus rapide, ainsi qu’on le verra dans quelques-unes des observations suivantes. Observation XI, — Paralysie atrophique du deltoïde et du long supinateur, de cause traumatique. — Diagnostic de la paralysie de ce dernier muscle tiré de l'état de la contractilité électro-musculaire. ■— Guérison par la faradisation localisée. Haumont, ébéniste, âgé de quarante-cinq ans, demeurant à Paris, rue de Charonne, 23, cour de l’Industrie. Le 29 juillet, passant dans la rue Saint-Antoine, à dix heures du soir, il reçut sur l’épaule gauche une femme qui s’était jetée d'un quatrième étage sur le pavé. La commotion qu’il en éprouva, lui occasionna une syncope qui dura vingt minutes, et quand il revint à lui, il ne ressemit ni douleurs dans l’épaule gauche, ni gêne dans les mouvements. Mais le lendemain, bien qu’il eût passé une excellente nuit, il fut surpris de ne pouvoir écarter son bras gauche du tronc. Les mouvements de l’avant-bras et de la main étaient seuls conservés. Il se fit alors transporter à l'Hôtel-Dieu, salle Sainte-Marlhe (service de M. Houx), où l’on diagnostiqua une paralysie du nerf circonflexe. On ordonna des frictions pratiquées sur le bras avec un Uniment ammoniacal; puis, quinze jours après, la paralysie persistant, on fit placer deux moxas sur l’épaule, et l’on prescrivit la strychnine qui n’améliora pas l’état de celle paralysie. Deux mois après son entrée à l’hôpital, le malade, dont la paralysie restait stationnaire, fut soumis à la faradisation localisée. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉCENTES. État du malade le 4 octobre, avant la faradisation. — Le deltoïde est considérablement atrophié; l'avant-bras du côté paralysé est amaigri; pas de douleurs dans le membre malade ; impossibilité d’écarter celui-ci du tronc; la flexion de l’avant-bras sur le bras se fait avec peine ; sensibilité de la peau normale; sentiment de froid dans l’épaule de ce côté. Les deux tiers antérieurs du deltoïde ne se contractent pas sous l’influence de l’exci- tation électrique; le tiers postérieur de ce muscle se contracte encore, quoi- que moins qu'à l’état normal, par celle même excitation ; le long supinateur a perdu une grande partie de sa contractilité électrique. Le malade éprouve une sensation plus faible, lorsqu’on localise le courant sur les muscles qui ne jouissent pas de l’intégrité de leur irritabilité, que lorsqu’on le dirige sur ceux dont celte propriété est intacte. Traitement. ■— La faradisation fut pratiquée chaque jour et à un courant d’autant plus intense que les muscles ou les parties de muscles paralysés avaient perdu davantage leur contractilité et leur sensibilité électriques. Après la cinquième séance, le malade fléchissait mieux l’avant-bras sur le bras, et commençait à contracter le tiers postérieur du deltoïde, en portant son bras légèrement en arrière et en dedans. Ce muscle (le deltoïde) devint le siège de douleurs continuelles, par moments assez vives, et un sentiment de chaleur remplaça la sensation de froid qu’il avait éprouvée auparavant. Après la douzième séance, il put porter légèrement le bras en dehors ou en avant, ce qui lui permit d’atteindre la bouche avec la main. A dater de celle époque, les douleurs de l’épaule disparurent ; la faradisation étant con- tinuée, la paralysie du deltoïde s’améliora progressivement. Un mois plus tard, Haumont sortit de l’Hôtel-Dieu, élevant son bras horizontalement et portant facilement la main au sommet de la tête; mais l’élévation perpen- diculaire du bras était impossible et il n’avait pas encore assez de force pour reprendre son état. Sa guérison ne fut complète qu'après avoir con- tinué pendant six semaines encore son traitement faradique. Au mois de mars 4 S'il, le professeur Roux constata à sa clinique que le bras droit de ce malade avait recouvré ses mouvements, sa force et son volume normal. Enfin, le deltoïde qui jouissait de la faculté de se contracter volontai- rement, ne possédait pas encore l’aptitude à réagir sous l’influence du courant. Six mois plus lard, Haumont vint m’apprendre que sa guérison PARALYSIES PAR LÉSION TRAÜMATtQOE DES NERFS MIXTES. s’était maintenue, et je constatai de nouveau que son deltoïde ne se con - tractait pas plus par l’excitation électrique qu'avant son traitement. [1 esta remarquer que la paralysie du deltoïde ne s’est montrée, chez Haumont, qu’un certain temps après la lésion du nerf, comme dans l’observation X, après la lésion du nerf cubital. L’examen de l’état de la contractilité et de la sensibilité élec- triques des muscles du membre paralysé avait fait connaître le degré de la lésion dans chacun des faisceaux de son deltoïde; et par la suite on a vu que ceux (les deux tiers antérieurs du deltoïde) dans lesquels la contractilité et la sensibilité électriques étaient plus gravement atteintes, ont été les derniers à guérir par la fara- disation. Le diagnostic de la paralysie du deltoïde ne pouvait certes échap- per à l’observation, parce que ce muscle est le seul qui produise l’écartement du bras en dehors, et que chez Haumont ce mouve- ment était aboli. Mais sans la faradisation localisée, il eût été difficile de diagnostiquer la paralysie du long supinateur, les mouvements propres à ce muscle étant également exécutés par d’autres muscles. En effet, ces mouvements n’étaient qu’affaiblis chez notre malade, et la diminution de la contractilité électrique de son long supina- teur put seule nous faire découvrir que la flexion du bras sur l’avant-bras était privée du concours de ce muscle (1). On com- prend cependant l’importance de ce diagnostic exact pour le traite- ment local qu’il faut faire subir aux muscles paralysés. Les muscles faradisés sont devenus le siège de douleurs spon- tanées qui ont persisté un certain temps ; mais ce symptôme a pré- cédé (comme dans les observations Vil, VIII, IX, X) le retour des mouvements; ce qui prouve une fois de plus que les dou- leurs qui résultent de l’excitation électrique sont, dans ce cas, le signe d’un travail favorable pour la guérison. Observation XII. — Paralysie atrophique du membre supérieur par compres- sion de quelques filets du plexus cervical et du plexus brachial. — Dia- gnostic tiré de l'état de la contraclililé éleclro-musculaire. Un homme d’environ trente-quatre ans est admis à l'hôpital de la Cli- nique, service de M. Nélaton, fait provisoirement par M. Jarjavay, pour y (1) Il existe cependant un moyen sûr, quoique peu connu, de reconnaître, sans l’exploration électrique, la paralysie du long supinateur. Pendant que le malade maintient solidement son avant-bras dans la flexion et la somi-prona- tion, et que l’on cherche à en produire l’extension, on voit et l’on sent, du côté sain, la contraction de ce muscle, tandis qu’il reste mou et flasque lorsqu’il est paralysé. être traité d’une paralysie du membre supérieur droit. Cet homme, d’une constitution assez bonne, avait, comme soldat de marine, habité pendant quelque temps une de nos colonies. Il n’avait pas été atteint de la colique sèche qu'on observe quelquefois chez les marins. Il raconte que, quelques jours avant son entrée à l’hôpital, il s'est réveillé un malin avec une para- lysie du membre supérieur, sans aucune douleur, alors même qu’on impri- mait des mouvements à son membre. 11 n’éprouva d’abord qu’un fourmille- ment dans les doigts et de l’engourdissement avec sentiment de froid dans tout le membre. Trois ou quatre jours après le début de la paralysie, il commença à sentir une douleur lancinante, limitée à la région cervicale droite. Cette douleur se montra d’une manière intermittente et peu intense. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES RÉCENTES. La paralysie qui affectait tous les muscles du bras et de l'avant-bras s'était circonscrite dans les muscles qui meuvent le bras sur l'épaule. A un premier examen, on crut à l’existence d’une paralysie du deltoïde. Le len- demain oe l'entrée du malade à l'hôpital, je fus invité par M. Jarjavay à examiner l’étal de la contractilité électrique des muscles paralysés, et sans aucun renseignement sur l’historique de la maladie, sans chercher quels étaient les muscles paralysés, je portai l’excitation électrique sur chacun des muscles qui meuvent l'épaule et le bras sur l'épaule, alternativement du côté malade et du côté sain, et je constatai les phénomènes suivants: Du côté malade, le trapèze avait perdu sa contractilité dans ses deux tiers in- férieurs, la portion claviculaire de ce muscle étant la seule qui possédât sa contractilité. Le faisceau inférieur du grand dentelé ne se contractait pas, tandis que, du côté sain, la contractilité du même faisceau produisait une élévation de l'épaule par le mouvement de bascule du scapulum. On re- marqua que les muscles sous-épineux et angulaire de l’omoplate avaient conservé leur contractilité électrique normale. Le grand pectoral n’avait perdu qu’une portion de cette propriété; quant au deltoïde, ses deux tiers antérieurs étaient plus profondément atteints que le tiers postérieur. L’examen des mouvements volontaires justifia cette localisation de la pa- ralysie : ainsi le malade ne pouvait élever l’épaule directement, ni rappro- cher le scapulum de la ligne moyenne ; sous l’influence de profondes inspi- rations, la portion claviculaire du trapèze et l'angulaire de l’omoplate se contractaient tous deux comme du côté sain ; on constata, enfin, que le grand dentelé se contractait seulement d’un côté. Cette paralysie, survenue tout à coup pendant le sommeil, sans avoir été précédée de douleurs, chez un homme qui n’avait été exposé à aucune des influences toxiques, à aucune des lésions trau- matiques des nerfs qui produisent les paralysies locales du membre supérieur, devait être rationnellement attribuée à une cause céré- brale. Cette opinion pouvait s’appuyer sur plusieurs observations PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQÜE DES NERFS MIXTES. analogues, que j’avais recueillies à la Charité et publiées dans VUnion médicale (t. V, nos 53 et 55,1852), et sur un fait plus récent qui sera relaté plus loin, à l’occasion du diagnostic différentiel ; mais dans tous ces cas, les muscles paralysés avaient conservé la faculté de réagir sous l’influence électrique ; tandis que, chez ce ma- lade, les muscles avaient perdu plus ou moins cette aptitude. Eu présence de ces phénomènes, je n’hésitai pas à éloigner toute idée de lésion cérébrale, comme cause de la paralysie. Une telle lésion musculaire ne pouvait être rapportée, selon moi, qu’à une altéra- tion ou des nerfs qui animent les muscles paralysés, ou du point de la moelle d’où ces nerfs prennent leur origine, et comme complé- ment de ce diagnostic différentiel, j’annonçai que l’atrophie des muscles paralysés devait marcher d’autant plus rapidement, dans chacun des muscles, que la contractilité électrique avait plus di- minué; tandis que l’atrophie musculaire ne s’observe pas dans la paralysie de cause cérébrale, qui expose seulement le membre qu’elle attaque à un amaigrissement lent, mais limité, par défaut d’exercice. Je plaçai le siège de la lésion principale dans certains nerfs éma- nant des plexus cervical et brachial. En effet, à un examen plus minutieux, on constata dans la région cervicale droite et au ni- veau do l’émergence des nerfs qui constituent ces plexus, l’exis- tence d’un point très sensible à la pression ; cette pression y déter- minait une douleur qui s’irradiait dans tout le membre supérieur droit; c’était aussi dans ce point que le malade rapportait les dou- leurs lancinantes qui revenaient irrégulièrement et spontanément. Non content de remonter ainsi par la faradisation localisée à l’ori- gine de cette paralysie, je diagnostiquai l’état exact de chacun des muscles, et, en conséquence, de chacune des libres primitives qui entrent dans la composition des nerfs des plexus cervical et bra- chial. On a vu, en effet, que chez notre malade certains muscles et même des portions de muscles placés sous la dépendance de ces plexus, avaient conservé leur contractilité électrique ; ce qui annon- çait l’intégrité de leurs filets nerveux. C’est pourquoi ces muscles n’étaient que faiblement paralysés. Ainsi, par exemple, ce malade, qui ne pouvait élever directement l’épaule du côté paralysé sous l’influence de la volonté, parce que le tiers moyen du trapèze qui exécute ce mouvement, était profondément atteint, ce malade, dis-je, élevait instinctivement cette épaule pendant une forte inspiration, grâce à l’intégrité de la portion claviculaire du trapèze et de l’angulaire de l’omoplate (les uniques agents de ce mouvement instinctif de la respiration). La rotation volontaire de l’humérus en dehors, mouvement qui est dû au sous-épineux, se faisait encore. Le mouvement de l’humérus obliquement en dehors et en arrière n’était pas complètement perdu, parce que les libres nerveuses qui animent ces muscles avaient peu souffert ou n’avaient pas souffert du tout, comme l’indiquait la conservation plus ou moins parfaite de leur conlractilité électrique. EXPOSITION DES FAITS. - PARALYSIES ANCIENNES. Traiter l’affection locale, cause de la paralysie, c'est-à-dire la lésion des plexus cervical et brachial du côté droit, telle était la première indication à remplir. M. Jarjavay lit appliquer un vésica- toire sur la région postérieure du cou, et pensa que la faradisation des muscles paralysés pouvait entretenir jusqu’à un certain point la vie locale, ou diminuer le dépérissement inévitable des muscles qui ne pouvaient plus recevoir librement l’excitation spinale. Mais ni les vésicatoires, ni la faradisation localisée, ne purent arrêter la marche de l’atrophie, et ainsi que cela avait été prévu, les muscles paralysés s’atrophièrent d’autant plus rapidement et complètement que leur conlractilité et leur sensibilité avaient été plus ou moins lésées. De plus, les douleurs, primitivement intermittentes et limitées à la région cervicale, devinrent continues et s’irradièrent dans tout le membre en s’exaspérant la nuit. Un mois après l’entrée du malade à l’hôpital, M. le professeur Nélaton, ayant repris son service, lit subir au malade un nouvel examen; le diagnostic local (la lésion des plexus ou de leur ori- gine) fut de nouveau confirmé par moi à l’aide de la faradisation localisée. Mais quelle pouvait être la nature de cette lésion locale? Le savant professeur retrouva dans les antécédents une infection syphilitique, dont le malade présentait alors des symptômes ter- tiaires, et pensa qu’une exostose pouvait bien être la cause de la lésion locale. Un traitement spécitique (le prolo-iodure de merjcure) fut alors prescrit; en peu de jours, les douleurs disparurent, puis la paralysie diminua progressivement dans les muscles qui n’avaient pas perdu leur contractilité électrique. § II* — Paralysies anciennes, consécutives ù la lésion trait- matique des nerfs mixtes (datant de six mois à quatre ans au moment du traitement). Observation XIII. — Paralysie alrophique par compression du nerf radial, datant de six mois. —Diagnostic de l'état de chacun des muscles animés par ce nerf, au moyen de la faradisation localisée. — Guérison plus ra- pide dans les muscles dont la contraciililé électrique est moins lésée. Meloni, âgé de trente-deux ans, tailleur, demeurant à Paris, Piémontais, a été atteint, depuis plusieurs années, d’une maladie de l’humérus du côté PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES, droit, qui a occasionné plusieurs fistules par lesquelles sont sorties quelques portions d’os nécrosé. Il y a cinq mois à peu près, une nouvelle fistule s’est ouverte au milieu du tiers inférieur et postérieur du bras ; mais le travail inflammatoire qui l’a précédée a occasionné un engourdissement dans les doigts de la main de ce côté, bientôt suivi de la paralysie de l’avant-bras et de la main. Le jour où ce malade fut soumis à la faradisation, c’est-à-dire six mois après le début de la paralysie, il présentait les symptômes suivants : l'avant-bras droit était beaucoup moins développé que du côté opposé; l’atrophie affectait principalement toute la masse musculaire située à la ré- gion anlibrachiale postérieure; la sensibilité cutanée était normale et la tem- pérature sensiblement plus basse que du côté sain. Le malade disait éprouver un sentiment de froid continu dans la partie postérieure de l’avant-bras et de la main ; impossibilité d’étendre le poignet et les premières phalanges, de mettrela mainen supination, delà porter dans l’abduction ou dans l’adduction, de placer le pouce dans l’abduction ou d’en étendre les phalanges; la flexion de l’avant-bras sur le bras était très affaiblie; tous les mouvements exé- cutés par les muscles do l’avant-bras, placés sous la dépendance des nerfs médian et cubital, étaient conservés, mais se faisaient avec si peu de force, que le malade était privé à peu près de l’usage de son membre. Les muscles animés par le nerf radial avaient perdu une partie de leur contractilité élec- trique, mais d’une manière inégale: ainsi les muscles radiaux, cubital pos- térieur, long abducteur, long et court extenseur du pouce, étaient ceux qui avaient le moins souffert; quant aux muscles qui reçoivent leur influx ner- veux des autres nerfs de ce membre, ils possédaient leur contractilité élec- trique normale. Chacun des muscles de l’avant-bras et de la main fut fara- disé trois fois par semaine et à un courant d’autant plus intense que les muscles avaient perdu davantage leur contractilité électrique. Après les deux premières séances, on vit les muscles qui avaient conservé leur con- tractilité électrique, recouvrer leur force normale, mais ceux qui reçoivent leur innervation du nerf radial, ne reprirent que lentement et progressi- vement leur molililé. Les muscles radiaux et les muscles du pouce furent les premiers guéris, et les extenseurs des doigts le furent les derniers (après six semaines de traitement). Le membre paralysé reprit sa température normale en quelques séances, et le malade n’y éprouva plus, depuis lors, cette sensation de froid dont il se plaignait avant le traitement. Ce malade retourna en Piémont, et m’écrivit, trois mois après, que sa guérison s’était maintenue et lui avait permis de reprendre son état de tailleur. Une paralysie survenue dans les muscles paralysés, animés par le nerf radial consécutivement à une nécrose d’une portion de l’hu- mérus, située sur le trajet de ce nerf, pouvait faire craindre (c’était l’opinion dé M. Houx) que ce dernier ne fût complètement détruit : l’examen par la faradisation, fait plusieurs mois après le début de la paralysie, démontra qu’il n’en était pas ainsi, puisque les muscles n’avaient perdu qu’une partie de leur contractilité électrique. De plus, cet examen me permit de connaître le degré de lésion de cha- que muscle, ce qui me fit porter un diagnostic et un pronostic favorables, dont l’exactitude fut justifiée, plus tard, par les résultats thérapeutiques. On vit, comme je l’avais prédit, les mouvements et la nutrition revenir d’autant plus vite que les muscles avaient moins souffert dans leur contractilité électrique. On a sans doute remar- qué que les muscles de l’avant-bras, dont les nerfs étaient cepen- dant sains (le médian et le cubital), subissaient, dans une certaine proportion, une influence paralytique, ce qui tendrait à démontrer encore, comme dans l’observation X, qu’il existe une espèce de solidarité entre tous les nerfs d’un membre, et que la suppression subite de l’un d’eux porte une perturbation considérable dans l’in- nervation générale de ce membre ; mais on a vu que ce trouble se dissipe bien vite par la faradisation localisée, puisque chez notre malade quelques séances ont suffi pour rendre leur force normale aux muscles qui jouissaient de toute leur contractilité électrique. La guérison de Meloni a été plus rapide qu’elle ne l’est habituellement, quand le traitement électrique est appliqué à une époque aussi voi- sine du début de la paralysie. C’est que la lésion du nerf (une com- pression, sans doute) était peu considérable, ce qui fut annoncé par la faible diminution de la contractilité électrique dans les muscles placés sous sa dépendance. Que serait devenue cette paralysie, si la faradisation n’eùt pas été pratiquée? 11 est possible qu’avec le temps les mouvements seraient revenus progressivement, parce que les muscles avaient peu souffert dans leurs propriétés (la contracti- lité électrique et la nutrition); cependant un fait que je rapporterai plus loin (obs. XVI) prouve combien il est imprudent de s’en rap- porter au temps pour la guérison de ces paralysies, dans les- quelles les nerfs ne paraissent pas profondément lésés. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES ANCIENNES. Observation XIV. — Paralysie atrophique des muscles de la main droite, consécutive à l'arrachement du nerf cubital. — Attitude vicieuse des pha- langes, avec déformation de leurs surfaces articulaires. — Sous l'influence thérapeutique de la faradisation localisée, retour: \° de la calorification, 2° de la nutrition des muscles animés par le nerf lésé, 3° de la conlracli- lité tonique, puis des mouvements volontaires dans ces mêmes muscles, 4° enfin, amélioration de l'altitude des phalanges, par l’augmentation de la force tonique des interosseux et des lombricaux, sous l'influence de la faradisation. (Voyez plus loin les figures 34, 35, 36 et 37, .représentant la main du sujet de cette observation, avant et après le traitement). PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES. Albert Musset, âgé de dix-neuf ans, ouvrier typographe, demeurant rue Saint-Louis, n° 20, a perdu l’usage de la main droite, à la suite d’une bles- sure qu’il s'est faite à la partie antérieure de l’avant-bras, le 13 novembre 1846. Ayant eu le bras pris dans une mécanique, un instrument tranchant à bords mousses, enfoncé dans les chairs, à la partie interne de l’avant- bras, 4 à 5 centimètres au-dessus du métacarpe, a rasé la face antérieure du cubitus, puis est ressorti en dedans du tendon du grand palmaire (A, fig. 35), en divisant par arrachement tous les tissus qui se trouvaient en avant. En conséquence, le muscle cubital antérieur, les faisceaux internes des fléchisseurs superficiel et profond, le petit palmaire, le nerf cu- bital, l’artère cubitale, et peut-être aussi la terminaison du nerf médian, ont dû être divisés par l’instrument tranchant. Cet ouvrier entra immédiate- ment à l’Hôlel-Dieu, dans le service du professeur Roux, et ne fut guéri de sa blessure que trois mois après son entrée à l’hôpital ; sa main était alors amaigrie, et les deux dernières phalanges des doigts étaient constam- ment fléchies, sans qu’il pût les étendre. Le quatrième et le cinquième doigt de celle main ne pouvaient être étendus mécaniquement; ils semblaient retenus par la cicatrice de l’avant-bras à laquelle adhéraient leurs tendons fléchisseurs. On parvint, au moyen des tractions graduées et continues à rompre les brides qui les retenaient, et à les étendre aussi facilement que les autres doigts. Mais les mouvements d'extension volontaire semblaient perdus à tout jamais ; telle était du moins, au dire du malade, l’opinion de M. Roux. Les figures SU et 35 montrent quel était l’état de sa main avant le traitement. Fig. 34. Altitude vicieuse de la main de Musset vue par sa face dorsale, avant le traite- ment.—La lésion du nerf cubital a été suivie de l’atrophie des inlerosseux et des deux derniers lombricaux. —Les muscles de l’avant-bras jouissant de leurs pro- priétés et se trouvant privés de leurs modérateurs, les phalanges ont été entrai- nées dans des directions vicieuses, et la main a pris la forme d’une griffe. — l a dépression A indique l’origine de la cicatrice occasionnée par la blessure. La grillé formée par l’extension des premières phalanges et la flexion des deux dernières, se prononce encore davantage, quand Musset veut étendre les doigts. — Les premières phalanges sont subluxées eu arrière sur les métacarpiens, et leur flexion est limitée par les têtes de ces métacarpiens hypertrophiées en avant. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES ANCIENNES. 203 Fig. 33. Altitude vicieuse de la main de Musset vue par sa face palmaire, avant le trai- tement, — A. Cicatrice indiquant la direction prise par l’instrument qui a divisé le nerf cubital et les tissus placés au-devant de lui. — B, B, B, B. Têtes des métacarpiens hypertrophiés. — C, D. Régions thénar et hypothénar, où l’on ne sent plus de tissu musculaire à travers la peau, qui semble partout en rapport avec les métacarpiens. On remarque dans les figures 3 i et 33 les reliefs très pro- noncés des tendons extenseurs et fléchisseurs qui soulèvent la peau. Depuis sa sortie de l’Hôtel-Dieu, ce jeune homme a épuisé tous les genres de traitement, sans pouvoir améliorer son état. Le 16 octobre 1830, époque de son entrée à la Charité, c’est-à-dire quatre ans après l’accident, sa main semblait être encore plus amaigrie et lui était plus incommode qu’utile. Traitement commencé le 22 décembre 1 8S0. — Pendant cinq à six séances, pratiquées jour à autre, l’excitation faradique a été dirigée seulement sur les muscles de l’avant-bras, sans que le malade ait éprouvé la plus légère amélioration. La faradisation est alors limitée aux espaces interosseux et aux régions thénar et hypothénar, avec une dose aussi forte que possible et de manière à produire des douleurs. Après la dixième séance, Musset con- serve à la main la sensation d’une chaleur brûlante qui remplace ses an- ciennes douleurs. Mais les doigts lui semblent toujours glacés, engourdis et douloureux ; la main est moins desséchée, les espaces interosseux se remplissent ; les premières phalanges sont moins renversées ; les secondes commencent à s’étendre. Le traitement est suspendu pendant trois semaines, PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES. à cause d’une fièvre continue au début, intermil tente à la fin, après laquelle on observe que la main de Musset n’a rien perdu, quant à l’amélioration de l’attitude des phalanges, amélioration qui s'était montrée pendant la pre- mière période du traitement; on constate, au contraire, que la calorification a gagné les doigts et principalement les deux derniers, au point de le gêner, et que les douleurs et l’engourdissement qu’il y éprouvait constamment, ont presque entièrement disparu. Le traitement étant repris, je joignis à la faradisation musculaire l’excitation de la sensibilité électro-cutanée par les fils métalliques, et bientôt je vis la sensibilité de la peau de la main aug- menter très notablement et en même temps les veines se dessiner et grossir sur la face dorsale de la main, et la peau de cette région reprendre sa colo- ration normale. Les applications faradiques, renouvelées presque chaque jour, développèrent assez rapidement les petits muscles de la main, dont il était impossible de constater jadis l’existence, et l’on vit les phalanges et principalement celles de l’index et du médius se rapprocher de plus en plus de leur altitude normale, sous l'influence du retour de leur force tonique. On constatait alors que la tête des métacarpiens, moins saillante en avant, permettait la flexion des premières phalanges. L’action de la tonicité des muscles inlerosseux sur les phalanges se montra longtemps avant la manifestation de quelques mouvements volontaires ; car, à l’époque où Musset sortit de la Charité (le 4 5 mars 1850), les mouvements volontaires des pha- langes étaient à peine apparents; aussi fléchissait-il les deux dernières pha- langes et ne pouvait-il les étendre ; mais en cessant de contracter ses flé- chisseurs après avoir fermé sa main, ces mêmes dernières phalanges s’éten- daient lentement d'elles-mêmes, c’est-à-dire sous l’influence de la con- traclililé tonique des inlerosseux (1). Tel était l'état du malade lorsqu’il sortit de la Charité, état assurément meilleur, mais qui ne lui permettait pas encore l’usage de sa main. Comp- tant sur une guérison progressive et spontanée, Musset suspendit encore une fois son traitement, pendant deux mois et demi; mais il fut trompé dans son attente; car, lorsqu’il vint réclamer de nouveau mes soins, il n’a- vait rien gagné pour les mouvements volontaires, et sa main était absolu- ment dans le môme état qu a l’époque de sa sortie de l'hôpital. Le traitement fut repris au commencement de juin 4 830 ; les applica- tions faradiques ne furent faites que deux ou trois fois par semaine. Dès lors, les premières phalanges, surtout celles des deux premiers doigts, pri- rent une attitude encore plus fléchie sur les métacarpiens, et les deux der- nières s'étendirent davantage ; en même temps, les mouvements volontaires de ces phalanges et les mouvements d’abduction et d’adduction des doigts (1) On se rappelle que j’ai démontré que ces petits muscles sont extenseurs des deux dernières phalanges et fléchisseurs des premières. commencèrent à se manifester. Celte amélioration des mouvements volon- taires se montra principalement dans l’index et le médius, comme pour l'at- titude des doigts. A partir de cette époque, l’amélioration de la main fut si EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES ANCIENNES. 205 Fig. 36. — Attitude de la main de Musset tenant une plume pour écriref après le traitement. rapide, que Musset put, au mois d’août, écrire et dessiner, et bien qu’il eût interrompu son traitement pendant plusieurs mois et à plusieurs reprises, les premières phalanges de l’index et du médius se fléchirent à angle droit sur les métacarpiens ; les deux dernières s’étendirent complètement ; quant à l’altitude et aux mouvements volontaires des deux derniers doigts, ils furent aussi en voie d’amélioration, et il n’est pas douteux que, dans un avenir prochain, la guérison serait complète, si Musset continuait de se soumettre au traitement faradique. En attendant cette guérison complète, il peut se servir de sa main malade pour exercer l’état d’expéditionnaire, comme on le voit dans la figure 36 qui représente sa main dessinée d’après nature après le traitement, et tenant une plume pour écrire. Fig. 37. Main de Musset vue par sa face palmaire, après le traitement. — J’ai engagé Musset à essayer de placer sa main dans l’altitude pathologique qu’elle conser- vait avant le traitement, pour que la comparaison de l’état antérieur avec l’état actuel fût plus exacte. Dans la figure 37, qui représente la main guérie dans cette attitude, on voit que Musset ne peut parvenir à renverser ses premières pha- langes sur les métacarpiens, comme elles s’étaient placées malgré lui avant le PARALYSIES PAR LÉSION TRAÜMATIQUE DES NERFS MIXTES. traitement; que les tètes des métacarpiens ne font pas plus de saillie qu’à l’état normal, et que les tendons des fléchisseurs ne sont plus visibles dans la paume de la main. De plus, les éminences thénar et hypothénar G, D, forment les reliefs naturels dus aux masses musculaires aujourd’hui bien développées. — Le tissu cellulaire est plus abondant; la pulpe a reparu; enfin, les phalanges n’ont plus cette apparence osseuse comme dans la figure 35. En raison de la longueur de celte observation, j’ai dû négliger de men- tionner les phénomènes thérapeutiques qui se manifestèrent dans les mus- cles des éminences thénar et hypothénar. II suffira de dire que ces émi- nences sont à peu près aussi développées qu'à l'état normal (voy. G D, fig. 37), et qu’on ne voit plus saillir dans la paume de la main les tendons fléchisseurs comme dans la figure 35, et enfin que les mouvements com- mandés par les muscles de ces mêmes éminences sont revenus rapidement et presque complètement. Il est évident que le nerf cubital a dù se trouver compris dans les tissus divisés par l’instrument qui s’est enfoncé dans l’avant-bras de Musset. Mais si le fait avait pu être douteux, la perte de la con- tractilité électrique des muscles placés sous la dépendance de ce nerf établirait ce diagnostic de la manière la plus claire. La difformité de la main de Musset, qui avait été la conséquence de la lésion du nerf cubital, était certainement inexplicable, dans l’état actuel de la science. C’est seulement par la connaissance des faits qui ressortent de mes recherches sur les fonctions des muscles de la main, qu’il est permis d’en expliquer le mécanisme. Je dois rappeler que le retour de la force tonique musculaire, qui ramena les phalanges de Musset à leur attitude normale, se mani- festa quelque temps avant les mouvements volontaires. C’est un phénomène que j’ai observé dans d’autres paralysies. Ainsi, j’ai vu, dans la paralysie saturnine et dans la paralysie de la septième paire, comme dans la paralysie consécutive aux lésions traumaliques des nerfs mixtes, la tonicité musculaire précéder le retour des mouve- ments volontaires. L’action thérapeutique delà faradisation localisée sur la nutrition et sur les mouvements des muscles qui meuvent les doigts et le pouce, a été très rapide chez Musset, comparativement à ce que cette même médication a produit sur le malade de l’observation Vil, dont les nerfs n’étaient certainement pas divisés. J’en ai déjà donné l’explication. J’ai dit que, dans la paralysie par lésion trau- matique des nerfs, la faradisation ne peut guérir qu’après la guéri- son de ces nerfs, alors que l’influx nerveux arrive librement aux EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES ANCIENNES. muscles malades à travers ses conducteurs. Or, cette guérison des nerfs lésés exige un temps plus ou moins long. C’est pourquoi, la guérison du malade de l’observation Y1I s’est fait longtemps attendre, tandis que chez Musset, dont la lésion nerveuse datait de quatre ans, l’excitant cérébro-spinal s’était frayé une voie, soit à travers la cica- trice, soit par d’autres conducteurs (nerfs collatéraux). Laquelle de ces deux hypothèses est la plus exacte? C’est ce qu’on ne saurait décider dans l’état actuel de la science ; mais pour ce qui concerne Musset, on peut affirmer qu’avant la faradisation, la force nerveuse arrivait à ses muscles paralysés et atrophiés, qui avaient,sans aucun doute, besoin de cet excitant électrique pour réagir sous l’influence de l’excitant cérébro-spinal. Qui oserait révoquer en doute, dans cette observation, l'action thérapeutique de la faradisation ? Certes, la nature avait eu le temps d’agir, d’opérer spontanément la guérison, si elle eût été possible sans la faradisation. Il n’est pas nécessaire de dire ce qui serait arrivé, si cette dernière médication n’était pas intervenue. Un fait qui sera exposé dans l’article suivant, fera connaître les suites dé- plorables de la temporisation, dans un cas pareil. J’aurais dû rappeler plutôt, dans ces réflexions, l’heureuse in- fluence que la faradisation localisée a exercée sur la calorification et sur la circulation de la main, chez Musset, parce que ce fut un des premiers effets de cet agent thérapeutique; mais j’ai déjà signalé ce phénomène important qui s’est manifesté dans toutes les observa- tions que j’ai rapportées, et celle que j’ai encore à relater. Observation XV. — Paralysie alrophique des muscles interosseux et lom- bricaux, consécutive à la contusion ou à la commotion du nerf cubital, datant de six ans. — Action thérapeutique rapide et heureuse de la fara- disation localisée. En 1845, M. F..., étudiant en médecine, eut l’imprudence, étant à la chasse, de saisir son fusil chargé par l’extrémité du canon, pour franchir une haie. Le coup étant parti à bout portant, la charge fit balle et pénétra par la face palmaire de la main droite, au niveau du carpe, puis glissant au- devant de ce dernier, elle alla s’arrêter sous la peau de la région anlibra- chiale postérieure, à 6 ou 8 centimètres au-dessus du carpe. M. F... éprouva un grand engourdissement dans la main blessée, mais sans douleurs. Il put, pendant plusieurs heures après la blessure, mouvoir tous les doigts de la main, en leur faisant exécuter leurs mouvements d’extension, de flexion, d’abduction et d’adduction. Il n’y eut pas d'hémorrhagie, ni d’accidents con- sécutifs, et deux mois après, la cicatrisation de la plaie était complète ; mais alors la main était considérablement amaigrie et peu apte à ses usages ha- PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES, bituels. Comme, d’après le dire de M. F..., l’état de sa main n’a point changé depuis lors, jusqu’à l’époque où il vint réclamer mes soins (en décembre 1851) ; voici sommairement les principaux phénomènes que je remarquai, quand je vis ce malade pour la première fois : La main était très amaigrie et pâle, et les veines dorsales y étaient à peine visibles, tandis qu’elles étaient très développées sur la main gauche. La température en était notablement moins élevée qu’à l’état normal, et M. F... y éprouvait constamment du froid; la transpiration y était nulle, tandis que du côté opposé elle était presque habituelle ; sensibilité diminuée, sur- tout dans le tiers interne de la main ; les deux dernières phalanges de l’an- nulaire et de l'auriculaire étaient constamment fléchies sur les premières, qui, au contraire, étaient dans une extension forcée sur les métacarpiens. Le tendon fléchisseur de l’annulaire était adhérent à la peau du carpe et ne permettait pas l'extension mécanique des dernières phalanges de ce doigt. Ces mômes phalanges de l’annulaire pouvaient être redressées mécanique- ment ; les autres doigts et le pouce du même côté jouissaient de leurs mou- vements; mais ceux de l’index et du médius se faisaient si lentement et si difficilement, que le malade ne pouvait s'en servir ni pour écrire, ni pour dessiner. Il écrivait seulement, et avec beaucoup de difficulté, au moyen des mouvements de l’avant-bras et du bras. L’excitation électrique, dirigée sur les muscles de la main, deux à trois fois par semaine, pendant un mois, ramena presque à l’état normal la sen- sibilité et la température de la main blessée. On vil les veines dorsales de la main grossir rapidement, et la transpiration s’y rétablit comme du côté sain. Aujourd’hui, M. F... écrit en fléchissant et en étendant les doigts qui tiennent la plume ; la force est revenue rapidement ; la main est moins décharnée; la première phalange de l’annulaire est moins renversée sur son métacarpien et les deux dernières phalanges s’étendent mieux. Cette action thérapeutique de la faradisation localisée est d’autant plus remar- quable que l étal de M. F... était resté stationnaire depuis 1845 jusqu’en 1851. Si le nerf cubital avait été détruit par la charge de son fusil, M. F... n’aurait pas pu faire exécuter à ses doigts des mouvements d’abduction ou d’adduction, immédiatement après la blessure. Il faut donc admettre que ce nerf a été seulement contus ou qu’il a éprouvé une commotion. J’étais porté à croire que la lésion du cubital n’intéressait pas éga- lement toutes les libres primitives, puisque les deux premiers doigts ont été moins affectés que les deux derniers, soit pour leurs mouve- ments, soit pour l’attitude de leurs phalanges; mais la faradisation localisée a fait voir que la contractilité électrique était aussi proton- dément atteinte dans les muscles des deux premiers espaces inter- osseux que dans les deux derniers, ce qui prouve que les libres du cubital étaient toutes lésées au même degré. Dès lors, comment se fait-il que les mouvements des deux premiers doigts et que l’attitude de leurs phalanges en aient moins souffert? C’est que le nerf médian n’ayant pas été blessé, les deux premiers lombricaux qui reçoivent rinflux nerveux de ce dernier nerf, avaient conservé leur action sur les phalanges des deux premiers doigts, et que cette action des lombricaux est la même que celle des interosseux, pour ce qui a trait aux mouvements en sens inverse de flexion et d’extension des pha- langes (1). EXPOSITION DES FAITS, — PARALYSIES ANCIENNES. Le nerf cubital n’ayant pas été détruit par le coup de feu, M. F... était en droit d’espérer que la paralysie et l’atrophie de ses inter- osseux guériraient avec le temps. Il a été cependant trompé dans son attente; car, quatre ans plus lard, non-seulement ses muscles étaient restés dans le même état, mais encore la vitalité delà main était considérablement affaiblie. Ainsi, la calorification y était dimi- nuée; la circulation y était moins active, au point qu’on n’y voyait pas de veines dorsales; enfin, la transpiration habituelle en était supprimée. L’excitant nerveux spinal arrivait sans obstacle à cette main, mais il était insuffisant pour réparer, à lui seul, les désordres qu’avait causés la suspension momentanée de son influx; Il a fallu, comme on l’a vu, le concours de l’excitant faradique pour rendre à celte main la vie et ses fonctions. Ce fait, en établissant la puis- sance de l’action thérapeutique de la faradisation localisée, dans la paralysie atrophique déjà ancienne par lésion traumatique des troncs nerveux mixtes, démontre qu’il ne faut pas s’en rapporter au temps pour la guérison de ces paralysies, lors même que la lésion du nerf n’est pas très grave. C’est ce que démontrent encore mieux les deux faits suivants. Observation XYI.— Paralysie des interosseux, consécutive à une contusion du nerf cubital, datant de cinq ans. — Guérison par la faradisation loca- lisée en cinq séances. Guillaume Laborie, âgé de quaranle ans, mécanicien, demeurant rue du Faubourg Saint-Ânloine, n’a jamais éprouvé de douleurs ni d’affaiblisse- ment dans les membres supérieurs, antérieurement à la paralysie pour (I) Ces nouveaux faits physiologiques ressortent de mes recherches électro- physiologiques et pathologiques sur les fonctions des muscles de la main. — J'ai lait ressortir, dans mon mémoire sur les fonctions des muscles moteurs de la main, combien il est heureux que les doigts destinés à conduire la plume et le crayon (l'index et le médias) jouissent de cette richesse d’innervation. DICHENNE. laquelle il vient me consulter, il n’a jamais eu de coliques et n'a pas été exposé à l’intoxication saturnine. PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMAPIQUE DES NKUFS MIXTES. En 1847, portant un lourd fardeau sur les épaules, il fit un faux pas, et voulant amortir sa chute, il porta vivement en arrière le bras droit qu’il heurta contre un corps solide, au niveau de son quart inférieur et un peu interne. Le choc ne fut pas très violent, et Laborie ne ressentit, dans le point conlus, qu’une douleur supportable avec dès fourmillements dans les doigts, surtout dans les deux derniers. N’éprouvant aucun affaiblissement dans ce membre, il continua son travail, et ne pensa plus à sa chute. Trois à quatre semaines après sa contusion, alors que la douleur locale avait com- plètement disparu depuis longtemps déjà, il s’aperçut d’une diminution de force et d'une certaine gêne ou d’une maladresse dans les mouvements de la main droite; en même temps il éprouvait des fourmillements dans la moitié interne de la main, et le sens du toucher y était devenu obtus à l’extrémité des doigts ; la peau était aussi moins sensible à la partie interne de l’avant- bras droit. Ces symptômes s’aggravant au point de rendre son travail diffi- cile, et craignant de perdre l’usage de sa main, Laborie entra à la Charité dans le service de M. Cruveilhier. Il dit cependant que la main malade ne paraissait pas plus amaigrie que la main opposée. Les frictions ammonia- cales et térébenthinées, puis les bains sulfureux ayant été employés pen- dant trois à quatre semaines sans aucun résultat, le malade sortit et reprit son travail, bien que l’affaiblissement de sa main rendît ce dernier pénible et peu lucratif. Depuis lors, il n’a suivi aucun traitement, et le mal s’est aggravé; le 10 novembre 1852, il me fut adressé par M. Aran, dans le service duquel il avait été traité pour une fièvre continue (Pitié, salle Saint - Athanase, n° 44), Il n’existe pas, quant au volume, de différence notable entre le membre supérieur droit et celui du côté opposé ; les espaces interosseux de la main droite ne sont’ pas plus creusés qu’à l’état normal; la paume de celte main n’offre rien d’irrégulier. — Lorsqu’on lui place un objet volumineux dans la main droite, il le serre avec une grande force, mais il n’en est plus de même des corps d’un petit volume; ce que l’on apprécie fort bien quand on lui donne alternativement la main ou un doigt à serrer. La force de pression n’est pas égale dans tous les doigts de la main droite; ainsi il comprime en- core avec une certaine énergie les corps placés entre le pouce et les deux pre- miers doigts, tandis qu’il n’a aucune force lorsqu’il les tient entre le pouce et les deux derniers doigts. Quand il veut fermer le poing, les deux dernières phalanges des deux premiers doigts se fléchissent avec force, mais les pre- mières s’inclinent si faiblement c(ue l’extrémité de ses doigts ne peut at- teindre la paume de la main. Ce mouvement des trois phalanges est compa- rativement beaucoup plus borné dans l’annulaire et le petit doigt que dans l’index et le médius. Les doigts peuvent être étendus, mais les premières EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES ANCIENNES. phalanges, surtout celles des deux derniers doigts, se renversent sur les mé- tacarpiens, et les deux dernières restent un peu fléchies sur les premières; c’est ce qui n’a pas lieu du côté gauche. — Pendant l'extension des doigts, ceux-ci s’écartent les uns des autres d'un centimètre à peu près, sans qu’ils puissent être écartés davantage, ni rapprochés par la volonté du malade. Cependant l’index paraît faire quelques mouvements d’abduction. Quand le malade veut rapprocher les doigts, il est forcé de fléchir les premières pha- langes, mais alors il ne peut plus les écarter. — Tous les mouvements du pouce, ceux de flexion ou d'extension du poignet, ou de l’avant-bras sur le bras, sont intacts; l’altitude de la main est normale pendant le repos mus- culaire. La moitié interne de la main droite a perdu sa sensibdité à la douleur et au loucher; les doigts, surtout les deux derniers, ne jouissent plus de leur sensibilité tactile ; le malade dit y éprouver un engourdisse- ment continuel, ce qui, ajouté à la paralysie de ses interosseux, le prive à peu près entièrement de l'usage de la main. L’exploration électro-musculaire démontre que tous les muscles de l’avant- bras jouissent de leur contractililé électrique normale, mais que les inter- osseux et les faisceaux internes du fléchisseur profond se contractent un peu moins et sont moins sensibles à l’excitation électrique ; les muscles du dernier espace interosseux et ceux de l’éminence hypothénar n’accusent au- cune sensibilité, quelles que soient l’intensité et la rapidité du courant d’in- duction. Il est. évident, d’après tous ces phénomènes, que tous les muscles animés par le nerf cubital, sans aucun doute contus à l'époque où Laborie fit sa chute, étaient à peu près entièrement paralysés et dans leurs mouvements volontaires et dans leur sensibilité, et que les filets nerveux qui proviennent du cubital et président à la sensibilité tactile, ne remplissaient plus leurs fonctions, dans les points où ils s’épanouissent. Dès lors, je dirigeai les courants d’induction les plus intenses et les plus rapides sur chacun des muscles animés par le nerf cubital, et après dix mi- nutes au plus de celte excitation, je fus surpris de voir faire au malade à peu près tous les mouvements normaux, toutefois, avec un peu plus de dif- ficulté qu’avec la main gauche. Mais la sensibilité tactile ne paraissant avoir rien gagné, je plaçai les rhéophores humides sur la pulpe des doigts et sur leurs faces latérales (au niveau des nerfs collatéraux), pendant deux à trois minutes, puis je lui promenai les pinceaux métalliques sur la face dorsale de la main, et bientôt après le malade, d’abord insensible à ces excitations, ac- cusa une sensation qui augmenta graduellement, au point de devenir intolé- rable. Après celle première séance, le malade sentait mieux, mais n’avait pas complètement recouvré le sens du toucher. Il fut encore soumis quatre fois à ces excitations électro-musculaires et cutanées ; sa guérison paraît aujourd’hui consolidée. 212 En résumé, Laborio a été privé pendant cinq ans de l’usage de sa main, à la suite d’une contusion qui a dû être légère, puisque les muscles interosseux étaient à peine atrophiés, que la contractilité électrique était faiblement diminuée, et que cinq séances ont suffi pour obtenir une guérison complète qui s’est bien consolidée. PARALYSIES PAU LÉSION TAAtLMATIQUE DES NEUFS MIXTES. Ce lait prouve que les paralysies traumatiques des nerfs, alors même qu’elles sont légères, ne guérissent pas toujours avec le temps. Observation XVII. — Paralysie atrophique des muscles placés sous la dépen- dance du nerf scialique poplité externe., par compression de ce dernier, datant de six mois et suivie d’un pied bot consécutif à l’absence d'antago ■ nisme des muscles paralysés et atrophiés. — Guérison rapide par la fara- disation localisée. — Opération du pied bot, faite avec succès. Charité, salle Sainl-Ferdinand, service de M. Cruveilhier, n° G. — Une jeune fille, tombée du sixième étage sur le pavé, avait été relevée mutilée, puis transportée à la Charité dans le service de M. le professeur Velpeau. Guérie de ses nombreuses fractures et de plusieurs luxations, elle conserva un pied bol consécutif à la paralysie et à la perle de la force tonique des muscles de la région antérieure et externe de la jambe droite. La tôle du péroné ayant été luxée, et un bandage compressif ayant dû être appliqué pendant longtemps, la paralysie qui survint consécutivement, fut attribuée aux tiraillements et à la compression du nerf poplité externe. Six mois après l’accident, les muscles étaient, atrophiés, sensibles à la pression, et le siège de douleurs très aiguës, presque continuelles et augmentant sous l'influence des variations atmosphériques. La température de la jambe et du pied était considérablement abaissée ; la malade y éprouvait constamment une sen- sation de froid ; la circulation capillaire s’y faisait, mal: ainsi, sous l’in- fluence du froid, le pied devenait violacé et s’œdématiait. La malade ne pouvait remuer en aucun sens le pied sur la jambe. Les mouvements de flexion des orteils étaient seuls possibles, mais faibles. Les mouvements mécaniques imprimés aux articulations tibio-tarsiennes et tibio-fémorales déterminaient des douleurs. Dans dételles conditions, devait-on opérer la section du tendon d’Achille pour redresser le pied? M. Cruveilhier, dans ln service duquel se trouvait la malade, pensa qu'il était rationnel d’essayer, avant tout, de rendre le mouvement et la force tonique aux muscles paralysés. La faradisation fut alors pratiquée sur le nerf poplité externe, dont l’excitabilité était notable- ment diminuée. Des contractions et des sensations eurent lieu dans les mus- cles animés par ce nerf, au-dessous du point excité. La séance dura dix minutes, et bien que les intermittences fussent très rapprochées, le nerf ne parut point avoir perdu son excitabilité. Six séances n’ayant produit au- cune amélioration dans l’état de la paralysie, la faradisation fut suspendue pendant plusieurs jours. Lorsque je recommençai mes opérations, je portai l'action électrique sur chacun des muscles paralysés, qu'il fut impossible de faire contracter artificiellement, et après huit ou dix minutes d'excitation, la malade put exécuter quelques mouvements d'extension. Les muscles, douloureux jusqu'alors, l’étaient très peu le lendemain, à l'heure do la vi- site. Après quelques séances de faradisation localisée dans le tissu des muscles paralysés, les mouvements des orteils étaient devenus très étendus ; la malade pouvait s’appuyer sur le pied ; ce que la douleur ne lui avait pas permis de faire jusqu’alors. En huit séances faites à deux ou trois jours d’intervalle, les mouvements avaient repris leur force et leur étendue nor- males ; le membre mesuré présentait une augmentation de volume très notable; sa température s’était élevée; la circulation capillaire s’y faisait mieux. Enfin, celte malade fut ensuite opérée de son pied bot par M. Vel- peau, et sortit guérie de la Charité. EXPOSITION DES FAITS. — PARALYSIES ANCIENNES. Chez celte malade, la lésion du nerf scialique popllté externe était beaucoup moins grave que celledu nerf cubital, observée chez le sujet de l'observation XIV, puisque l’excitation électrique de ce nerf poplité provoquait encore des contractions (faibles, il est vrai) dans les muscles qu’il anime (1). Cependant la paralysie de ces muscles n’en était pas moins complète, et la perte de leur force tonique n’en avait pas moins jeté un grand trouble dans l’attitude du pied qui avait été entraîné par leurs antagonistes, au point d’occasionner un pied bot. La calorification était diminuée; la circulation capillaire était difficile; enfin, les douleurs étaient intolérables et continues, et le temps n’avait modifié en rien l’état de cette pauvre fille. Ce fait démontre encore qu’il ne faut pas s’eu rapporter au temps pour la guérison des paralysies consécutives à la lésion traumatique des nerfs, alors même que l’examen par la faradisation annonce que cette lésion n’est pas des plus graves. 11 ne peut exister ici aucun doute sur l’action thérapeutique de la faradisation, car la paralysie est sortie de son état stationnaire dès l’instant où cet agent a été dirigé sur le tissu musculaire. La faradisation du nerf poplité externe, on l’a sans doute remar- qué, n’a exercé aucune influence thérapeutique sur la paralysie, bien (1) On a sans doute été frappé, dans cette observation, de ce phénomène sin- gulier, savoir, de la production des contractions dos muscles des régions anté- rieure et externe de la jambe par l’excitation électrique du poplité externe, alors que ces mêmes muscles ne se contractaient pas, lorsqu'on les excitait directe- ment. J’ai observé plusieurs fois ce phénomène, d’où j’ai conclu que, physiolo- giquement et pathologiquement, l’excitabilité des nerfs et l'excitabilité de la libre musculaire ne doivent pas être confondues. PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES. qu’e||e produisît la contraction des muscles placés sous la dépen- dance de ce nerf, et là guérison n’a pu être obtenue que par l’exci- tation individuelle de ces muscles Ce fait démontre encore une fois, comme je l’ai déjà établi par des faits nombreux, la nécessité de faradiser individuellement les muscles dans le traitement des paralysies. Souvent, dans les paralysies anciennes par lésion traumatique des nerfs, le membre paralysé devient douloureux, et les muscles et bîs articulations sont très sensibles aux mouvements mécaniques qu’on leur imprime; c’est ce qu’on a observé aussi dans le cas qui vient d’être rapporté. Il a suffi de quelques excitations musculaires pour faire disparaître ces douleurs si vives et si continues chez la malade. Enfin, ce qui est le plus important dans cette observation, c’est la rapidité du retour des mouvements sous l’influence de la faradisa- tion musculaire. 11 est évident que la lésion nerveuse n’existait plus, et que l’influx nerveux, arrivant librement aux muscles avant l’opération électrique, ne pouvait, à lui seul, rendre la vie aux muscles qui avaient été momentanément privés de son concours. L’excitant électrique a rendu à ces muscles, qui sommeillaient pour ainsi dire, l’aptitude à réagir sous l’excitant nerveux. Il a en môme temps rétabli leur nutrition et leur calorification. C’est un fait de plus en faveur de cette proposition déjà émise par moi, à l’occasion de quelques observations précédentes, à savoir : « que dans les para- lysies anciennes par lésion traumatique des nerfs, la guérison au moyen de la faradisation musculaire est plus rapide que dans les paralysies récentes de même nature, parce que, la lésion du nerf étant guérie, la force nerveuse arrive librement aux muscles paralysés. » Bien que j’aie déjà exposé dans cet article les faits principaux qui ressortent de chacune des observations ci-dessus relatées, je vais démontrer dans les deux articles suivants combien ces faits intéres- sent le diagnostic, le pronostic et le traitement des paralysies trau- matiques des nerfs. ARTICLE II. SYMPTOMATOLOG1E, DIAGNOSTIC ET PRONOSTIC DES PARALYSIES CONSÉCUTIVES A LA LÉSION DES NERFS MIXTES, DÉTERMINÉS PAR LA FARADISATION LOCALISÉE. Pour faire mieux servir la faradisation localisée à l’étude du diagnostic et du pronostic des paralysies traumatiques des nerfs SYMPTOMATOLOGIE PAU L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. 215 mixtes, il me paraît essentiel de rappeler, avant tout, les phéno- mènes électro-pathologiques qu’on observealors à l’aide de ce moyen d’investigation. J’essayerai donc d’exposer ces phénomènes, qui constitueront ce que j’appellerai la symptomatologie électrique de ces paralysies traumatiques, en m’appuyant sur les faits qui ont été relatés dans l’article précédent. § —Symptomatologie par l’exploration électrique des paralysies trauinaliques des nerfs mixtes. La contusion, la compression, l’allongement et même la com- motion portée à un certain degré, en un mot, toute lésion trauma- tique d'un nerf mixte occasionne un trouble plus ou moins grave dans l’état de la sensibilité, des mouvements volontaires et de la nutrition des muscles qui sont sous sa dépendance. Mais il existe pour ces mêmes paralysies d’autres symptômes qui n’intéressent pas moins le diagnostic, et dont on doit la connaissance à l’emploi de la faradisation musculaire, je veux parler de la diminution ou de la perte de la contraclilité et de la sensibilité que l’on constate dans les muscles paralysés, quand on les soumet à la faradisation localisée. A. — Lésion de la contraclilité électro-musculaire. Quand la lésion d’un nerf mixte est tellement profonde que toutes les fibres primitives en ont été atteintes, les muscles qui reçoivent des filets nerveux de ce nerf perdent également leur contraclilité électrique. Il arrive quelquefois que des muscles frappés, au même degré, de la paralysie des mouvements volontaires ont perdu fort inégalement la faculté de se contracter par l’excitation électrique. Un seul muscle peut même être atteint dans cette dernière propriété (la contrac- tilité électro-musculaire) d’une manière inégale dans les faisceaux dont il se compose, bien qu’il soit frappé de paralysie dans son entier. J’ai rapporté, comme exemple, l’observation d’un sujet qui ne pouvait exécuter aucun mouvement volontaire avec son deltoïde, lequel pourtant se contractait encore assez énergiquement dans son tiers postérieur, sous l’influence de la faradisation localisée. D’autres fois, certains muscles qui ne paraissent pas affectés dans leurs mouvements volontaires, ont perdu cependant une partie de leur contraclilité électrique. Enfin, il n’est pas rare de voir, dans ces sortes de paralysies, des muscles posséder leur contraclilité électrique normale, bien qu’ils soient paralysés plus ou moins complètement. Je ne crois pas que 216 PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMAT1QÜE DES NERFS MIXTES. dans ces cas les nerfs aient été réellement lésés; aussi les muscles paralysés recouvrent-ils rapidement leurs mouvements. Mais com- ment se fait-il que les nerfs, n’ayant pas été intéressés par la lésion traumatique, soient cependant paralysés? Ce phénomène patholo- gique ne conduit-il pas à admettre l’existence d’une sorte de solida- rité entre tous les nerfs d’un membre? Des lors, si l’un d’eux vient à être gravement lésé, est-il étonnant (pie la motilité ne soit pas uniquement troublée dans les muscles qui sont sous sa dépendance, mais encore dans d’autres muscles dont les nerfs sont intacts ? B. — Lésion de la sensibilité Dans les paralysies qui font l’objet de ce chapitre, les troubles fonctionnels portent moins sur la sensibilité des muscles que sur leur contractilité. Ainsi, par exemple, une luxation de l’épaule ayant occasionné la lésion des nerfs qui animent le bras, l’avant-bras et la main, j’ai vu le malade accuser une sensation musculaire assez notable, alors même (pie ses muscles ne se contractaient pas le moins du monde par l’excitation électrique la plus intense. 11 faut que la lésion des nerfs soit profonde pour que les muscles aient perdu complètement leur sensibilité. La sensibilité cutanée est encore moins affectée que la sensibilité musculaire dans ces mêmes lésions nerveuses. Quand elle a été plus affaiblie, elle est revenue assez rapidement sous l’influence des excitations électro-cutanées. Ces faits semblent démontrer qu’en général les lésions des nerfs mixtes troublent moins la sensibilité que la contractilité volontaire et électrique. Mais il est des cas où la sensibilité de la peau et des muscles est complètement éteinte. C’est qu’alors il n’existe plus de communi- cation nerveuse entre la moelle épinière et le membre paralysé. § 11. — Diagnostic différentiel «les paralysies traiiniali«|iies «les nerfs mixtes tiré «le l'état «le la eoiitraetitité et de la sensibilité éleetri«iues des muscles paralysés. Les phénomènes électro-pathologiques que je viens d’exposer sont précieux pour le diagnostic des paralysies traumatiques des nerfs mixtes; car la séméiologie est presque toujours, pour ne pas dire toujours, impuissante pour l’éclairer complètement. Cette assertion est démonti’ée par tous les faits dont j’ai donné la relation. Je ne prétends pas que l’on puisse confondre facilement une para- lysie cérébrale, hystérique ou saturnine, avec une paralysie trauma- DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL PAR L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. tique des nerfs mixtes, dont la cause occasionnelle est rarement cachée. Ainsi, lorsque la paralysie est consécutive à une luxation ou à la contusion, à la commotion, à la compression, à la destruc- tion, ou eufm à un travail morbide de toute autre nature des nerfs, une telle erreur de diagnostic différentiel doit être rarement com- mise. Mais la cause de la paralysie n’est pas toujours évidente ; une tumeur ou une exostose profondément cachée, par exemple, peut comprimer un tronc nerveux, et produire lentement ou subitement des phénomènes de paralysie. On comprend que, dans ce cas, le diagnostic devienne plus difficile ; c’est alors qu’il est nécessaire de recourir à la faradisation localisée. Elle fait reconnaître, en effet, que la contractilité électro-musculaire est diminuée dans les muscles dont le nerf est comprimé. En conséquence, ce signe (la diminution de la contractilité électro-musculaire) ne permettra pas de con- fondre la paralysie traumatique des nerfs mixtes avec les paralysies cérébrale, rhumatismale et hystérique, dans lesquelles cette con- tractilité électro-musculaire est toujours normale. Pour faire mieux ressortir l’importance et l’exactitude de celte proposition, je rapprocherai, en les comparant, deux faits pour les- quels j’ai été appelé à établir un diagnostic différentiel à l’aide de la faradisation localisée, ils étaient, en apparence, les mêmes, et, cependant, ils différaient essentiellement entre eux par leur cause et par leur nature, comme on le verra plus loin. Les malades, sur lesquels j’ai observé ces faits, étaient entrés l’un à l’hôpital de la Clinique, dans le service de M. Nélatou (son obser- vation a été relatée dans l’article précédent (obs. XII), l’autre à la Charité, dans le service de M. Bouillaud, salle Saint-Jean-de-Dieu. Chez ces deux malades, la plupart des muscles qui meuvent l’épaule sur le tronc et le bras sur l'épaule avaient été frappés subitement de paralysie. Cette paralysie locale dont les muscles homologues du même côté avaient été atteints, par une coïncidence singulière, pouvait être attribuée, dans l’un et l’autre cas, à une même cause, à une hémorrhagie cérébrale, parce qu’elle avait débuté d’une ma- nière subite. Mais l’exploration de la contractilité électrique des muscles paralysés montra bientôt qu’un tel diagnostic eût été erroné. En effet, l'un (le malade de la Clinique) avait perdu plus ou moins la contractilité électrique de la plupart des muscles paralysés; l’autre (le malade de la Charité) avait au contraire conservé intacte celte propriété musculaire. La paralysie, chez le premier, ne pou- vait être rapportée qu’à une lésion de certains nerfs des plexus cervical et brachial, tandis que, chez le second, elle devait être le produit de l’altération delà substance cérébrale. Telle fut du moins PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NEIU-S MIXTES. la déduction que je tirai de la connaissance de ces phénomènes électro-pathologiques. Ce diagnostic, basé sur l’état de laconlrac- tilité électro-musculaire, était d’une grande exactitude, comme le prouve l’histoire do ces deux malades. Ainsi, il est dit, dans l’observation Xll ; 1° qu’il existait, du côté paralysé, au niveau des plexus cervical et brachial, un point dou loureux qui plus tard augmenta et s’irradia dans l’avant-bras; 2° que les muscles paralysés s’atrophièrent rapidement et profon- dément, comme je l’avais, du reste, annoncé immédiatement après l’examen par la faradisation musculaire; 3°que le malade présentant à la surface du corps des traces d’accidents syphilitiques tertiaires, (une exostose) pouvait bien avoir comprimé certains nerfs du plexus, et produit conséquemment la paralysie ; l\° enfin, que cette paralysie a été guérie sous l’influence du traitement spécifique (du proto- iodure de mercure). L’ensemble de ces phénomènes démontre donc l’exactitude du diagnostic porté dans l'observation XII. — Le dia- gnostic différentiel de la paralysie du malade de la Charité ne fut pas moins exact ; car ce malade avait été frappé, un an auparavant, d’une hémiplégie cérébrale, dont il avait été guéri presque com- plètement par la faradisation localisée, appliquée sept mois après le début ; et il est évident que la dernière paralysie dont il avait été atteint était aussi de même nature. 11 fut soumis à mon observation pendant cinq mois, après lesquels les muscles ne parurent pas avoir souffert dans leur nutrition ; ce qui n’a pas lieu dans la paralysie traumatique des troncs nerveux. La seule paralysie qui puisse être confondue, à la rigueur, avec celle qui résulte de la lésion traumatique d’un nerf mixte, c’est la paralysie saturnine. La paralysie traumatique du nerf radial a-, en effet, beaucoup de ressemblance avec la paralysie saturnine limitée à l’avant-bras, .l’en exposerai le diagnostic différentiel, dans le chapitre qui sera con- sacré à l’étude de cette dernière paralysie. La compression des membres est quelquefois suivie de paralysie, mais alors on ne retrouve plus les signes électro-musculaires qui caractérisent la lésion traumatique des troncs nerveux. En voici deux exemples. Observation XVIII. — Paralysie des extenseurs du poignet et des doigts, consécutive à la compression de l'avant-bras, pendant une altitude fausse et prolongée. — Intégrité de la contraclililé électro-musculaire. — Gué- rison par la faradisation localisée. Philippe Petit, âgé de dix-sept ans, fabricant de boites de montre, de- meurant rue Saint-Pierre-Monlmartre, n° 15, d'une bonne constitution, n’a jamais eu de maladie grave, n’a jamais ressenti de douleurs névralgiques ou rhumatismales, ni de paralysie. Pas d'affection syphilitique, pas d’abus vénérien, pas de coliques, ni de constipation, enfin pas d'exposition à l’in- toxication saturnine. — Le 7 mars 1850, étant au spectacle, il fut obligé de rester dans une fausse position, pendant plusieurs heures, les deux mains appuyées sur une rampe, et le poids du corps portant sur les membres su- périeurs, principalement sur le bras gauche. En sortant du théâtre, il s’aperçut que ses poignets tombaient, sans qu’il lui fût possible de les re- lever ; les mouvements des doigts étaient conservés, bien que difficiles ; il ne sentait ni fourmillements, ni picotements, ni engourdissement dans les doigts. Les mouvements du bras et de l’avant-bras sur les bras étaient in- tacts. Pas de céphalalgie, ni de fourmillements dans les membres inférieurs: pas de troubles fonctionnels dans les autres organes. Le lendemain, les mouvements étaient revenus du côté droit ; mais du côté gauche, la paralysie s’était aggravée. — Pendant huit jours, frictions ammoniacales sur la partie postérieure de l’avant-bras et de la main, sans amélioration, puis, plusieurs vésicatoires promenés sur l’avant-bras et pansés à la strychnine. — Pen- dant un mois et demi, le malade éprouvait des secousses générales. Sous l’influence de ce dernier traitement, les mouvements d’extension du poignet étaient seuls revenus, mais faiblement. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL PAR L’l5XPLORATION ÉLECTRIQUE. En présence de cette persistance de la paralysie, le médecin du malade et M. le docteur Cazalis conseillèrent l'application de l’électricité. Je vis le malade vers la fin de juin 4 850, et je constatai les phénomènes suivants : L’avant-bras gauche était moins volumineux que celui du côté opposé ; l'atrophie avait porté principalement sur les muscles de la région antibra- chiale postérieure ; le poignet était fléchi sur l’avanl-bras et ne pouvait exécuter que des mouvements d’extension très limités ; la supination était impossible, et lorsqu’on plaçait la main en supination, la pronation se fai- sait avec force. Extension des doigts, adduction et abduction du poignet per- dues ; écartement des doigts très limité; mouvements du pouce et flexion des doigts conservés (pour constater l’intégrité de ce dernier mouvement, il fallait maintenir le poignet étendu, pendant que le malade contractait les fléchisseurs). Tous les autres mouvements du membre supérieur gauche étaient intacts. La contractilité électrique était à l'état normal dans tous les muscles paralysés, mais la sensibilité cutanée était un peu diminuée. — La faradisation localisée rétablit assez rapidement les mouvements volontaires, car, après huit jours de ce traitement, l’extension du poignet fut presque complète, et les doigts s’étendirent davantage. Les applications faradiques, qui jusqu’alors avaient été pratiquées chaque jour, ne furent plus faites que trois jours par semaine, et un mois après le malade avait recouvré tous ses mouvements, sa force et son habileté. 220 Ici, la cause me paraît évidente; c’est la fausse position du membre qui a produit immédiatement la paralysie. La compression de l’avant- bras, qui s’exerçait principalement sur les muscles de la région postérieure, a-t-elle gêné momentanément l’accès de l’influx ner- veux? Ces cas ne sont pas excessivement rares dans la science. paralysies par lésion traümatiqüe des nerfs mixtes. M. Arnussat père m’a adressé un malade qui avait eu les muscles de la partie supérieure de l’avant-bras gauche, frappés de paralysie après une fausse position du membre. Ce malade s’était endormi, le bras élevé et l’avant-bras placé derrière la tête. A son réveil, son bras était resté engourdi et paralysé. Les muscles paralysés avaient conservé leur contraclilité électrique. Il fut guéri très rapi- dement par la faradisation localisée. J’ai eu occasion d’observer plusieurs autres cas semblables. Observation XIX. •— Paralysie par compression du membre supérieur. — Conservation de la conlractililé électrique dans les muscles paralysés. — Guérison par la faradisation localisée. Un homme, employé an chemin de fer de Strasbourg, entré à la Charité (salle Sainte-Vierge, n° 49, service de M. Velpeau). Il raconte qu’en tra- versant une tranchée, un mois auparavant, il fut surpris par un éboulement de terre considérable qui comprima le membre supérieur gauche. Lorsqu’on l’eut dégagé, il ressentit de la douleur dans toute l’étendue du membre et dans la région de l’épaule du même côté. Plusieurs bains généraux, puis des bains de vapeur et des liniments laudanisés et ammoniacaux ont été employés sans aucun résultat favorable. Le 13 février 1849, M. Velpeau m’engage à essayer l’emploi de la faradisation. Voici dans quel état je trouvai alors le malade: il ne pouvait écarter le bras gauche du tronc, ni le porter en avant ou en arrière, ni lui imprimer des mouvements de rotation, ni porter la main derrière le dos ou sur la tête ; la llexion ou l'extension de l’avant-bras, la pronaiion ou la supination de la main, l'extension ou la flexion des doigts étaient très limitées ; enfin, l’écartement des doigts et les mouvements du pouce étaient nuls. Le malade se plaignait de douleurs s’irradiant dans tout le membre, douleurs qui s'exaspéraient le soir et l’em- pêchaient de dormir. L’excitation électro-cutanée pratiquée sur le membre malade, fit disparaître immédiatement la douleur. Les muscles furent en- suite successivement faradisés, à l’exception de ceux qui meuvent le doigt et le pouce. Je constatai alors que tous les muscles possédaient leur conlrac- tilité électrique normale. Le \ 4, le malade put mouvoir le bras en tous sens avec une extrême facilité; il l'élevait verticalement, portait la main a la tête ou derrière le dos, exécutait des mouvements de pronation ou de supi- nation ; mais les mouvements de flexion ou d’extension des doigts n’avaient rien gagné. Les muscles qui exécutent ces derniers mouvements furent fa- rnoNO.vric par l’exploration électrique, radisés à leur tour, et ils reprirent immédiatement, comme les muscles du bras et de l'épaule, leurs mouvements volontaires. — Le 15, le malade ayant pris un bain simple pendant les applications faradiques, M. le pro- fesseur Velpeau se demanda si ce bain n’avait pas exercé sur son état une influence thérapeutique. Dès lors, je suspendis le traitement jusqu’au 22 sui- vant, et il fut bien constaté que ta paralysie, au lieu de continuer à s’amé- liore'r, s’était aggravée, au contraire, bien que dans cet espace de temps le malade eût pris plusieurs bains. La faradisation localisée fut alors appli- quée de nouveau, et quinze jours après le malade sortit de l’hôpital à peu près guéri. Sa guérison fut complétée par quelques séances de faradisation que je lui donnai dans mon cabinet. En résumé, bien que dans les paralysies par fausse position ou par compression du membre, la contractilité électro-musculaire ait été trouvée normale, je crois qu’il est permis de rapporter ces para- lysies à une lésion traumatique nerveuse, lésion probablement cir- conscrite dans les houppes nerveuses qui s’irradient dans le tissu musculaire comprimé, et qui est trop faible, sans doute, pour porter un grand trouble dans l’état de la contractilité électro-musculaire. § III. — Pronostic des paralysies traumatîqucs des nerfs mixtes tiré île l’état de la contractilité et de la sensibilité éleetro-mus- culaires. A Si le diagnostic différentiel de ces paralysies est en général très facile, il n’en est plus de même quand il s’agit de connaître exac- tement l’état de chacun des muscles qui sont sous la dépendance du nerf lésé C’est ici que l’emploi de la faradisation localisée est abso- lument nécessaire. Pour s’en convaincre, il suffira de se rappeler les phénomènes électro-pathologiques si variés que j’ai exposés pré- cédemment, dans lasymptomatologie électro-musculaire.Faisant un instant l’application de la connaissance de ces phénomènes, si l’on suppose (pic plusieurs malades se présentent avec un membre entièrement paralysé, on apprend par l’histoire de la maladie que, chez tous, la paralysie a été occasionnée par une lésion traumatique d’un nerf, du plexus brachial, par exemple; les mouvements volon- taires étant également abolis, on en déduit un diagnostic semblable pour tous. Eli bien , si l’on fait contracter chacun des muscles paralysés, on trouvera entre ces malades des différences énormes : chez l’un, les muscles de l’épaule auront conservé leur contractilité électrique, laquelle sera, au contraire, complètement détruite dans les muscles du bras, de l’avant-bras et de la main (obs. VII); chez un autre (obs. IX), les muscles du bras et de la région antérieure PARALYSIES PAR LÉSION IRA,ü'VIATIQUE DES NERFS MIXTES, de l’avant-bras et de la main sont les seuls qui jouissent encore de leur contractilitéélectrique normale; chez un troisième (obs. XI11), ce sont les muscles de l’épaule qui ont le plus soulïért dans leur contractilité électrique ; enfin, un dernier malade (obs. XII) a perdu complètement les mouvements du deltoïde et tous les autres mouve- ments de son membre, supérieur sont conservés, bien qu’il y accuse un peu de gêne. Paralysise du nerf circonflexe : tel est le diagnostic rigoureusement porté dans ce dernier cas. On examine plus tard, par la faradisation , l’état individuel de chacun des muscles du membre, et l’on découvre que le tiers postérieur du deltoïde a été moins lésé dans son irritabilité électrique que les autres parties du même muscle; que le long supinateur a perdu une grande partie de cette môme propriété. Ce malade fléchissait bien l’avant-bras sur le bras; mais plusieurs muscles concourant à ce mouvement, on observa, à un examen plus attentif, qu’il contractait le biceps et le brachial antérieur, tandis que le long supinateur restait fiasque et inactif. C’est donc la faradisation localisée qui, dans ce cas, a mis sur la voie de la paralysie du long supinateur, et a fait connaître le pronostic de cette paralysie. B. Il ressort donc des considérations précédentes, que le pronostic des paralysies consécutives à la lésion traumatique des nerfs ne saurait être établi exactement sans l’exploration électro-musculaire. — Cette proposition est démontrée surabondamment par les faits déjà ex- posés. Les observations que je vais rapporter eu établissent beau- coup mieux encore l’exactitude et l’importance. Lai eu à poser le pronostic de deux cas de paralysie des mêmes muscles du membre supérieur droit, produite par une chute sur l’épaule. En voici la relation : Observation XX. — Paralysie traumatique de quelques muscles animés par les plexus cervical et ! rachial. Guille, homme de peine, trente-cinq ans, demeurant rue des Trois- Bornes, n° 21, d’une bonne constitution, était bien portant lorsqu'il fît une chute sur l’épaule le 5 février 1853, en chargeant une voiture; son pied ayant glissé, il se laissa choir sur le côté droit, et l’épaule porta contre le pavé. 11 ne perdit pas connaissance et n’éprouva aucune douleur au moment de la chute, ni par la suite; mais il fut surpris, après s'être relevé, de ne pouvoir ni éloigner le bras du corps, ni lui imprimer le moindre mouve- ment, soit qu'il voulût le porter en avant, en arrière ou en dehors. La flexion de l’avant-bras sur le bras était également impossible. A la main du même côté, il n’éprouva qu'un peu d’engourdissement et de gêne dans les PRONOSTIC PAU L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. 223 mouvements du pouce eide l'index. La sensibilité tactile, comme la sensi- bilité de la peau, était intacte. Traité chez lui d'après les conseils de M. Mal- gaigne, il se fit appliquer des vésicatoires volants sur l’épaule. Après trois semaines de ce traitement, il est entré à l'hôpital de la Clinique, n" \ 5, dans le service de M. Nélaton. Trois semaines après son entrée à l’hôpital (vers la fin d'avril 1853, deux mois après l'accident), je l’examinai pour la pre- mière fois, sur l'invitation de M. Nélaton. Voici les phénomènes que je con- statai alors: perte complète de tous les mouvements exécutés par le del- toïde; l’élévation de l’épaule du côté malade est assez puissante, mais évidemment moins énergique que du côté opposé. — Dans le mouve- ment des épaules en avant et en dehors, l’omoplate droite reste en place, tandis que du côté sain elle exécute son mouvement normal. La flexion de l’avant-bras sur le bras est perdue complètement ; dans les efforts que fait le malade pour exécuter ce mouvement, on ne sent se contracter aucun des muscles fléchisseurs, pas même le long supinateur, le seul qui soit paralysé k l’avant-bras. — Extension de l'avant-bras sur le bras en partie con- servée, mais très faible ; mouvements de rotation, en dehors, de l’humérus sur le scapulum complètement perdus; conservation de la rotation de l’hu- mérus, en dedans. Observation XXI. — Paralysie alrophique du deltoïde, des rotateurs de l'humérus et des fléchisseurs de l'avant-bras sur le bras. — Cause trauma- tiqne. — Guérison en cinq séances. Alphonse Delaplace, âgé de vingt ans, ouvrier employé au chemin de fer d’Orléans (gare d'Ivry), demeurant à Bercy, rue de Charenton, 7. Le 5 octobre 1853, il tomba sur l'épaule droite de la hauteur d’un wagon, en voulant desserrer les freins, au moment du départ d’un train de marchan- dises. Ne pouvant plus se servir de son membre, dans lequel il éprouvait de fortes douleurs, il entra immédiatement à LHôtel-Dieu, dans le service de M.Jobert, salle Saint-Côme, n» 3.Voici, d'après M. Rigal, externe du service, dans quel état était alors son membre supérieur droit. Le volume de l’épaule était considérablement augmenté; la tuméfaction s'étendait d'une manière uniforme à tout le moignon. La pression y déterminait une douleur vive, surtout à la partie antérieure; les mouvements spontanés de ce membre étaient impossibles. L'exploration la plus attentive ne put faire découvrir aucun des symptômes dus soit à la luxation de l’épaule, soit k la fracture de la clavicule. Le malade fut maintenu au lit, et son épaule fut condamnée k l’immobilité au moyen d’un triangle et d’un bandage de corps qui rap- prochait du tronc le membre malade. La clavicule fut couverte de cata- plasmes. Au bout de quelques jours, la douleur et le gonflement avaient disparu, et quinze jours après le malade sortit de l'hôpital, mais sans avoir recouvré l'usage de son membre. Trois semaines après sa sortie de l’hô- PARALYSIES PAR LÉSION TRAÜMATIQUE DES NEUFS MIXTES. pital, Delaplace, ne voyant pas de changement dans l’état de sa paralysie, se présenta au bureau central. M. Dopaul, qui était alors de service, constata l’existence de la paralysie complète du deltoïde et des fléchisseurs de l’avant- bras sur le bras. Sachant que je recherchais ces cas de paralysies traumali- ques, il eut l’obligeance de me l'adresser. Ce fut le 19 novembre 1853 que ce malade se présenta à ma clinique, c’est-à-dire six semaines après le début de la maladie. C’était un jour consacré aux expériences et aux leçons cli- niques, faites dans mou cabinet. Je constatai, en présence de plusieurs con- frères, que ce malade avait complètement perdu l’usage du deltoïde, des rotateurs de l'humérus en dehors et des fléchisseurs de l’avanl-bras sur le bras. En résumé, ces deux malades présentaient une paralysie datant de plusieurs semaines, siégeant dans les mêmes muscles du membre supérieur droit, produite par une même cause (une chute sur le moignon de l’épaule). Le pronostic paraissait devoir être plus grave chez celui qui avait été violemment jeté contre le sol, de la hauteur d’un wagon, et qui en avait éprouvé une forte contusion de l’épaule. On pouvait craindre que le circonflexe et d’autres nerfs du plexus brachial et cervical eussent été plus profondément lésés que chez celui qui était tombé de sa hauteur sur son épaule, et n’y avait au- cune douleur, aucune blessure apparente. Eh bien, voyons si ce pronostic a été confirmé par l’exploration électro-musculaire, et jus- tifié par la marche et la terminaison de la maladie. Voici les phénomènes électro-musculaires que je constatai chez Guille (obs. XX), en présence de M. Nélaton et dos élèves qui suivent sa cli- nique: abolition do la contractilité électrique dans les muscles deltoïde, bi- ceps, sous-épineux, petit rond et long supinateur, faible diminution seu- lement de cette propriété dans les muscles triceps brachial et grand pec- toral ; sensibilité de la peau partout normale; sensibilité, à peu de chose près, abolie dans les muscles privés de contractilité électrique. J’ai posé alors le diagnostic et le pronostic suivants: Paralysie atrophique de quelques muscles animés par le plexus cervical et brachial. Les muscles qui oui perdu leur contractilité et leur sensibilité électro-musculaires vont inévitablement s’atrophier, quoi qu'on fasse, et quand la force nerveuse leur reviendra (dans huit à dix mois), on pourra y rappeler la nutrition et les mouvements par la faradisation localisée. Cette prédiction s’est réalisée ; car, malgré que les boulons de feu aient été appliqués au niveau des plexus cervical et brachial, et que j'aie faradisé Guille régulièrement et énergiquement (trois fois par semaine), les muscles qui y étaient privés de leur contractilité et de leur sensibilité électriques se sont atrophiés rapidement, au point qu'il était im- possible d’en constater l'existence. L’humérus ne semblait plus tenir au scapulum que par la capsule arliculaire, et la léte de l’humérus était telle- ment éloignée de la cavité glénoïde, qu’on pouvait la subluxer dans tous les sens. Les muscles dont la contractilité électrique était peu diminuée, re- couvrèrent presque immédiatement leur force. Les choses restèrent dans cet état jusqu’au neuvième mois, et alors apparurent, sous l’influence de la faradisation, des phénomènes de sensibilité dans les muscles atrophiés. Ce fut pour moi un signe précurseur du retour de la nutrition, et je l’annonçai à M. Nélaton. En effet, je vis reparaître peu à peu la fibre musculaire dans le deltoïde et le biceps. Le 2 juillet 1854, M. Nélaton a constaté à sa cli- nique que ces muscles sont en voie de régénération; il en a montré l’épais- seur en les saisissant entre les doigts, mais au moment où j’écris la période de retour des mouvements n’est pas encore arrivée, et je ne doute pas que bientôt il apparaîtra un commencement de mouvements volontaires. Le traitement faradique sera continué chez Guille jusqu’à ce que j’aie obtenu la guérison complète ; ce qu’il m’est permis d’espérer, d’après les faits analo- gues rapportés dans ce chapitre (1). PRONOSTIC PAR L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. 225 Je vais maintenant exposer les phénomènes électro-musculaires que je constatai chez l’autre malade (Delaplace, ohs. XXI). Les muscles n’avaient perdu qu’une faible partie de leur contraclililé élec- trique et leur sensibilité était normale. J’en déduisis un pronostic favorable, et j’annonçai que non-seulement les muscles ne s’atrophieraient pas, mais que très probablement ils allaient recouvrer assez rapidement leurs mouve- ments volontaires par la faradisation localisée. Après avoir vigoureusement faradisé chaque muscle avec un courant à intermittences rapides, pendant huit à dix minutes, le deltoïde se contracta volontairement, faiblement, il est vrai, mais d’une manière très notable. Les fléchisseurs de l'avant-bras sur le bras ne paraissaient avoir rien gagné. Le dimanche suivant (19 no- vembre), je notai que l’élévation du bras se faisait encore mieux, et que Delaplace commençait à fléchir l’avant-bras sur le bras. Il fut encore fara- disé trois fois à quelques jours d’intervalle, et je constatai, en présence des confrères qui l’avaient vu lorsqu'il s'était présenté la première fois à ma clinique, que sa guérison était complète. Ce malade est venu m’apprendre, en mai 1834, que sa guérison s’était bien maintenue. Ainsi, on vient de voir que l’exploration électro -musculaire m’a permis d’établir le pronostic différentiel, dans ces deux cas de para- (I) Tel était mon espoir au moment où j’ai public cette observation dans la précédente édition. Malheureusement ce malade n’eut pas le courage de continuer son traitement assez longtemps pour obtenir, sinon une guérison complète, du moins une grande amélioration. DUCIIENNE. PARALYSIES PAR LÉSION ÏR AU MA TIQUE DES NERFS MIXTES. lysies traumatiques, qui étaient en apparence semblables, dont le degré de lésion paraissait le même, et qu’aucun autre signe n’aurait pu faire distinguer entre elles. On a vu aussi que ce pronostic a été pleinement justifié même par la suite, puisque Je malade dont les nerfs paraissaient plus gravement lésés (Delaplace, obs. XXI) a guéri en quelques séances (en neuf séances), tandis que chez l’autre malade (Quille, obs. XX), la paralysie est encore dans le même état aujourd’hui, après un an, et que ces muscles paralysés se sont rapidement atrophiés, comme je l’avais annoncé, bien que M. Néla- ton lui ait fait appliquer des boutons de feu au niveau du plexus brachial, et qu’il ait été soumis régulièrement et énergiquement à la faradisation localisée. G. Dans le mémoire que j’ai publié en 1852, j’avais formulé la proposition suivante ; La gravité d’une paralysie consécutive ci la lésion d’un nerf mixte est en raison directe de l’affaiblissement de la contractilité et de la sensibilité électriques des muscles auxquels ce nerf conduit l’excitant nerveux. — Cette proposition, qui était dé- montrée par les faits exposés précédemment, s’est trouvée con- firmée par de nouvelles observations. Je vais en rapporter une. Observation XXII. —Louis Bellet, âgé de cinquante-trois ans, de- meurant rue Descartes, 8, d’une bonne constitution, mécanicien, reçut le 2 novembre 1852 une barre de fer pesant 330 kilogrammes sur la jambe droite, qui fut fracturée, et dans la chute qu'il fit alors sur le bras droit étendu, il se luxa l’épaule. Immédiatement transport à l’hôpital Saint- Louis, salle Sainl-Ferdinand, n° 16, service de M. Malgaigne, provisoire- ment fait par M. Richard, sa luxation fut réduite le lendemain avec facilité. Lorsque dix jours après on le débarrassa du bandage contentif, on s'aperçut que le bras était complètement paralysé. Bellet pouvait seulement fléchir un peu l’avant-bras sur le bras. Le 23 décembre 1852 (31 jours après son entrée) il sortit de 1 hôpital dans le même état et à peine guéri de sa frac- ture. Quatre jours après, le 27 décembre, il se présenta à ma clinique avec une recommandation de M. le professeur Malgaigne, et je constatai les phé- nomènes suivants : il n’existe pas une grande différence dans le volume des deux membres supérieurs; les mouvements du membre supérieur droit sont entièrement perdus, à l’exception d’une légère llexion de l'avant-bras sur le bras. Ainsi, pas de mouvements du bras sur l'épaule; quand on a fléchi son avant-bras sur le bras, il ne peut produire l'extension du premier. Enfin, les mouvements de la main, des doigts et du pouce sont entièrement perdus. A l’exploration électro-musculaire, je constate une faible diminution de la contractilité électrique dans le deltoïde, le triceps brachial, le long supina- PRONOSTIC PAR L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. leur el les muscles de la région postérieure du bras, tandis que les muscles animés par les nerfs médian el cubital ont perdu entièrement celle propriété. La sensibilité cutanée était perdue à la main et à ia face antérieure de l’avanl-bras. Les nerfs médian el cubital avaient aussi perdu toute espèce de sensibilité, ainsi que les muscles placés sous leur dépendance. Sur l’en- semble de ces signes j’établis immédiatement le pronostic suivant; Dans un temps assez court, les muscles dont l'irritabilité n’est que diminuée retrouve- ront les mouvements par la faradisation localisée; quant à ceux qui ont gra- vement souffert dans l’étal de cette propriété el dont la sensibilité est abolie, non-seulement ils resteront paralysés, mais encore une atrophie profonde ne tardera pas à les atteindre. C'est, en effet, ce qui arriva, et ce que je fis re- marquer à M. le professeur Cruveilhier dans le service duquel je fis entrer le malade pour le rendre témoin de ces phénomènes. En effet, après deux mois de faradisation localisée, pratiquée deux ou trois fois par semaine, le malade pouvait écarter le bras du tronc, étendre et fléchir l'avant-bras sur le bras, porter la main à la face, étendre les premières phalanges et le poi- gnet. Mais les muscles de l’avanl-bras et de la main restèrent paralysés, et s’atrophièrent profondément, malgré la faradisation localisée, continuée éner- giquement. Cette atrophie était surtout évidente à la partie interne el supé- rieure de l’avant-bras, dans le point occupé par la masse des muscles qui s'attachent à l’épitroclée. Ce fut seulement neuf mois après l’accident (vers le commencement d’août 1 853) qu’il commença à ressentir des douleurs lancinantes dans la région antérieure de l’avanl-bras et de la main, dou- leurs qui apparaissaient surtout après les séances faradiques. A dater de ce moment, il a pu fléchir un peu les dernières phalanges el le poignet ; le 30 octobre \ 853, bien que la faradisation eût été appliquée irrégulièrement et rarement, ces mouvements augmentèrent progressivement, le malade put fermer la main avec assez de force el lever à peu près 20 kilos, tandis qu’il y a deux mois il ne pouvait prendre avec les doigts fléchis un poids de 2 kilos. La nutrition a marché parallèlement avec le retour du mouvement, car la masse musculaire qui s’attache à Lépitroclée est presque aussi déve- loppée que de l’autre côté. Mais les petits muscles de la main (muscles in- terosseux et des éminences) ont moins gagné, el sans doute qu'il leur faudra encore un temps assez long pour qu’ils recouvrent complètement leur nutri- tion et leur motililé. il est à regretter que le malade ne puisse se faire fara- diser plus souvent (il Lest tout au plus une fois par semaine). Liant privé de l’usage des muscles de la main, il n’a pas encore assez d’habilêlé manuelle pour reprendre son état de mécanicien ; mais il est assez fort pour être em- ployé dans une usine comme chauffeur d’une machine à vapeur. — Bellet est resté quatre mois sans se faire faradiser, les muscles de la main tout rester dans Je même état. Depuis le mois de mars 1854, il a repris son traitement plus régulièrement (deux séances par semaine); aujourd’hui, lin de juin, je 227 228 PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES. constate que les muscles de la main commencent à fonctionner. J'ai oublié de dire que la calorification, qui avait diminué dans le membre paralysé, a augmenté rapidement sous l'influence du traitement. Enfin après un nou- veau traitement de cinq mois, le membre a retrouvé son mouvement, sa force et sa nutrition. En résumé, deux mois de faradisation ont suffi pour rappeler chez llellcl le mouvement dans les muscles dont la contraclilité et la sensibilité étaient seulement affaiblies, tandis que les muscles dans lesquels ces propriétés étaient abolies, sont restés paralysés et se sont atrophiés à peu près complètement, bien qu’ils eussent été également faradisés. Enfin, ce n’est que vers le neuvième mois qu’ils ont commencé à renaître. Ce fait ajouté à d’autres dont on se rap- pelle l’histoire, démontre donc l’exactitude de la proposition for- mulée ci-dessus. D. Le pronostic de ces paroii/sies traumatiques est beaucoup moins grave, quand la contraclilité électro-musculaire étant éteinte, la sensi- bilité des muscles est conservée ou seulement faiblement diminuée. — J’ai vu récemment la démonstration complète de cette proposition importante chez un malade dont je vais résumer l’observation. Observation XXIII. — Paralysie atrophique du membre supérieur gauche, consécutive à une luxation scapulo-humêrale. — inégalité de la lésion nerveuse dans les muscles paralysés, reconnue à l’aide de l'explora- tion musculaire. — Les muscles dont la sensibilité est peu affaiblie ne s'atro- phient pas, malgré la perle de Uur conlractilité électrique, et recouvrent leur rnolUilé vers le sixième mois, tandis que ceux qui ont perdu leur sen- sibilité et leur conlractilité électriques restent paralysés et s'atrophient con- sidérablement. Lambert, canneleur, trente-neuf ans, est jeté par terre clans une rixe et se luxe l'épaule gauche. La réduction est opérée douze heures après l’acci- dent, le 7 mars, par M. Chassaignac. Après la réduction, le malade s'aper- çoit que son membre est complètement paralysé, bien qu’il n’y éprouve au- cune douleur. Vers le 13 avril (un mois après la luxation), il m'est adressé par M. Chassaignac, cl je constate que le membre supérieur gauche est en- tièrement privé de mouvements ; que le muscle deltoïde, les muscles du bras et ceux qui sont sous la dépendance du nerf radial ont perdu leur con- traclililé électrique, et que cette dernière propriété est seulement un peu affaiblie dans les muscles placés sous la dépendance des nerfs médian et cu- bital ; que la sensibilité électrique est normale dans ces derniers, un peu af- faiblie dans le muscle deltoïde et dans les muscles du bras, et enfin qu’elle paraît abolie dans les muscles animés par le nerf radial ; la sensibilité de la PRONOSTIC PAR L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. 229 peau csl partout normale. De l'ensemble de ces signes je déduis immédia- tement, en présence des personnes présentes à ma clinique le pronostic sui- vant : Les muscles animés par les nerfs médian et cubilal sont très légèrement lésés et doivent recouvrer rapidement leur molililé par la faradisation localisée; les muscles du bras et le deltoïde s’atrophieront très peu, et se con- tracteront volontairement dans cinq à six mois ; enfin les muscles placés sous la dépendance du nerf radial s’atrophieront, quoi qu'on fasse, et la nutrition et le mouvement volontaire ne commenceront à revenir que huit à dix mois après le début de la paralysie. L'événement a entièrement justifié ce pro- nostic, car, bien que la faradisation localisée ait été pratiquée exactement et de la même manière sur tous les muscles du membre paralysé, après quel- ques séances (trois ou quatre) le malade fléchissait les doigts, les écartait les uns des autres, fléchissait le poignet, et, en pou de temps, ses mouve- ments se faisaient avec assez de force ; les muscles du bras et du deltoïde ont commencé à obéir à la volonté vers le cinquième mois, et sept mois après l'accident, ces muscles se sont contractés assez énergiquement, bien qu'ds parussent ne pas réagir sous l’influence de l’excitation électrique,et avec les rhéophores humides. Les muscles animés par le nerf radial sont restés pa- ralysés et sont tellement atrophiés que la peau de la région postérieure de l'avant-bras paraît appliquée sur les os. Ainsi, chez ce malade, un grand nombre de muscles avaient perdu complètement leur contractilité électrique, et cependant le degré de la lésion nerveuse n’était pas le môme pour tous, puisque les uns se sont atrophiés faiblement, et ont commencé à recouvrer leurs mouvements vers la fin du cinquième mois, tandis que les autres se sont rapidement et profondément atrophiés, sont restés paralysés, et n’éprouveront très probablement l’influence thérapeu- tique de la faradisation que vers le neuvième ou le dixième mois. C’est que les premiers jouissaient encore de leur sensibilité élec- trique à peu près normale, tandis que les derniers avaient perdu, à la fois, leur sensibilité et leur contractilité électriques. E. La paralysie s’étend quelquefois, par une sorte de solidarité nerveuse, à des muscles dont les nerfs n’ont pas été lésés et dont la contractilité électrique a été trouvée normale. Alors on constate que ces muscles n’ont pas souffert dans leur nutrition, et qu’ils re- couvrent rapidement leurs mouvements. J’en déduis cette proposi- tion, à savoir ; que L’intégrité de la contractilité électrique des muscles paralysés, consécutivement à une lésion traumatique des nerfs mixtes est un signe favorable. F. 11 paraît bien établi aujourd’hui qu’un nerf divisé peut se ci- catriser, qu’un nerf qui a subi une perte de substance peut se régé- nérer. MM. Follin et Brown-Séquard ont constaté par des recherches microscopiques que dans ces cas les fibres nerveuses se continuent sans interruption, à travers la cicatrice. Ces recherches expliquent très bien les laits déjà nombreux dans lesquels on a vu les mouve- ments revenir dans des muscles dont les nerfs ont été divisés ou détruits dans une certaine étendue. PAU Al. YS11'S PAU LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES. On connaît aussi la curieuse expérience de M. Cl. Bernard, qui a détruit dans le canal vertébral d’un chien toutes les racines sen- sibles dans une assez grande étendue, de telle façon que leur régé- nérescence fût impossible, ha perte immédiate de la sensibilité a été la conséquence de cette opération; mais cette sensibilité est bientôt revenue progressivement, et un an après l’opération, l’ani- mal a paru jouir de sa sensibilité normale. Cette expérience dé- montre que l’influx nerveux central sait, au besoin, se passer de ses conducteurs naturels et qu’à la longue il se fraye une nouvelle voie pour arriver aux organes. En conséquence, la cicatrisation et la régénérescence d’un nerf ne seraient pas démontrées, que l’on comprendrait encore très bien qu’un muscle privé de son nerf ne lût pas nécessairement condamné à mourir, comme on l’a cru trop longtemps. Le pronostic ne doit donc pas être trop grave dans les cas de pa- ralysie consécutive à la destruction d’un nerf, alors même que les muscles en ont éprouvé un grand trouble dans leur contractilité électrique et leur nutrition. C’est pour établir cette proposition que j’ai fait cette petite di- gression sur la régénérescence nerveuse, ou sur cette espèce de circulation collatérale du fluide nerveux. Lorsque plusieurs années après la division ou la lésion d’un nerf, les muscles paralysés ne donnent plus aucun signe de vie, et que le membre se trouve réduit, pour ainsi dire, à l’état de squelette, le pronostic est certainement plus grave, sans que pour cela le cas soit désespéré. Je crois en avoir fourni la preuve dans plusieurs des observations que j’ai rapportées. A cette occasion je rappellerai la guérison, presque complète aujourd’hui, de cette main que j’ai trouvée décharnée et privée de mouvements (obs. XLV). Cette paralysie atrophique, on le sait, était consécutive à l’arrachement du nerf cubital, et datait de quatre ans ! G. J’ai cru trop longtemps, avec un grand nombre d’auteurs, que les paralysies consécutives aux lésions trauraatiques des troncs nerveux mixtes, et surtout à la division des troncs nerveux avec ou sans perte de substance, étaient incurables. Cette opinion a exercé sur mon esprit et conséquemment sur ma pratique, une influence fâcheuse, jusqu’au moment où les faits que j’ai publiés, sont venus dissiper mon erreur. Ainsi, m’arrivait-il d’être consulté pour de semblables paralysies, convaincu, comme je l’étais, que l’influx nerveux central ne pouvait arriver librement aux muscles paralysés, ou je dissuadais les malades ou les confrères de l’emploi de l’élec- trisation, comme moyen inutile, insuffisant, ou bien, si je cédais à leurs sollicitations, j’agissais avec si peu de persistance que je n’obtenais rien ou presque rien. En voici, entre autres, deux exemples : PRONOSTIC PAR L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. 231 Observation XXIV. — Un malade dont j'ai rapporté l’observation dans la précédente édition (page 515, obs. LXX1V), et dont le nerf radial avait été atteint depuis neuf mois par une balle, dans les journées de février 1848, se trouvait dans d’aussi bonnes conditions pour guérir que les malades chez lesquels la faradisation a exercé une si heureuse influence. Cependant, étant prévenu, dans ce cas. contre la possibilité de la guérison, je n’eus pas la persévérance de continuer le traitement assez longtemps pour obtenir ce résultat. Le professeur Fouquier dans le service duquel il se trouvait, par- tageant mon opinion, renvoya peu de temps après, comme incurable, ce malade dont les muscles de la région antérieure de l’avant-bras étaient pa- ralysés, et qui ne pouvait aucunement se servir de sa main. Observation XXV. — M. X..., de Rouen, affligé depuis deux ans d'une paralysie de l’avant-bras, survenue à la suite d’une fracture de l’hu- mérus et rebelle à tous les traitements employés jusqu’alors, vint me con- sulter sur l’opportunité de l'application de l’électrisation. Tous les mouve- ments de l’avant-bras et de la main paraissaient perdus, à l’exception de quelques mouvements de flexion des doigts et du pouce qu il exécutait en- core, quoique faiblement. Je reconnus par l’exploration électro-musculaire que le nerf radial était seul lésé, car les muscles qu'il anime étaient les seuls qui ne se contractassent pas sous l’influence de la faradisation localisée. Une lésion nerveuse qui privait ainsi les muscles de leur conlractilité électrique et qui les avait de plus atrophiés, me paraissait, à celte époque, au-dessus des ressources de l’art, et je me refusai à l'application de la faradisation. J’eus tort assurément, car ce malade n’était pas plus incurable que la plu- part de ceux dont j’ai rapporté l'observation. Ces faits démontrent l’influence fâcheuse qu’un faux pronostic exerce sur la conduite du médecin. Il a fallu toute l’évidence des faits que j’ai observés pour modifier aussi profondément et heureu- sement mon opinion sur le pronostic des paralysies traumatiques des nerfs mixtes. 232 PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMAT1QUE DES NERFS MIXTES. ARTICLE III. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE DANS DES PARALYSIES TRAUJIAÏIQÜES DES NERFS MIXTES. J’ai dit au commencement de ce chapitre qu’il est impossible d’apprécier la valeur de l’action thérapeutique de la faradisation localisée, appliquée au traitement des paralysies traumatiques des nerfs mixtes, sans en avoir posé le pronostic, c’est-à-dire, sans en avoir reconnu le degré de gravité, et sans avoir prouvé que leur marche et leur terminaison seraient différentes si cette médication n’était pas employée. L’exposé des faits relatés dans les deux articles précédents, a justifié pleinement cette proposition. On a vu, en effet, que parmi des paralysies qu’on aurait pu croire identiques, les unes guérissaient rapidement par la faradisation, tandis que les autres ne commençaient à être modifiées par ce traitement qu’aprcs un temps plus ou moins long (de six mois à un an); j’ai démontré aussi que la faradisation appliquée au début, à ceux des muscles qui avaient perdu leur contractilité et leur sensibilité électriques, non-seulement ne rappelait pas les mouvements, mais encore qu’elle ne prévenait pas l'atrophie des muscles et les difformités qui en sont la suite. On sait, enfin, qu’a l’aide de l’exploration électro-musculaire, j’ai pu prédire ces résultats avec la plus grande exactitude. Quelles conclusions aurait-on pu tirer de tous ces faits, si je n’avais pas suivi celte méthode dans ces recherches électro- thérapeutiques? Il est évident qu’il en serait résulté une confusion qui aurait rejailli sur la pratique. Tel médecin, par exemple, à qui le hasard aurait fait rencontrer un de ces cas heureux, comme ce- lui de l’observation XXI, aurait eu une foi aveugle dans l’emploi de la faradisation, tandis qu’un autre à qui serait échu un cas sem- blable à celui de Guide (obs. XX), en apparence léger, aurait échoué avec cette même médication ; il n’aurait certainement pas manqué de la condamner. C’est ce qui est arrivé jusqu’à présent pour tout ce qui a trait à l’action thérapeutique de l’électrisation. Les principes que je vais poser, déduits des faits dans la plupart desquels le pronostic a été sévèrement étudié à l’aide de l’exploration électro-musculaire, montreront combien est grande la puissance thérapeutique de la faradisation localisée, qu’aucune autre médi- cation ne saurait jusqu’à présent remplacer dans le traitement des paralysies traumatiques des nerfs mixtes. J’établirai aussi que l’on peut prévoir exactement les cas dans lesquels cette action thérapeu- tique sera plus ou moins rapide. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 233 § I. — Action sur la sensibilité. L’action thérapeutique de la faradisation localisée sur les paraly- sies traumatiques des nerfs mixtes se manifeste en premier lieu sur la sensibilité. On a vu, en effet, que les membres paralysés qui n’étaient le siège d’aucune douleur, sont devenus sensibles après quelques séances, et cela d’autant plus que la lésion du nerf avait été plus profonde. Dans ce dernier cas (obs. QQ) le malade, dont les nerfs et les muscles supportaient un fort courant avant la fara- disation, témoignait une vive douleur sous l’influence de la plus légère excitation. Cette exaltation de la sensibilité se manifestait aussi à la pression ; enfin, ce malade éprouvait des douleurs pro- fondes dans le membre paralysé, dans l’intervalle des opérations. Celte hyperesthésie musculaire développée par la faradisation lo- calisée a toujours été le signal du retour de la nutrition et des mouve- ments, En conséquence, l'exaltation de la sensibilité des muscles et des nerfs, qui est produite par la faradisation localisée, est dans ces cas un signe favorable. Cette proposition me paraît d’autant plus fondée que dans les cas où la paralysie se montre rebelle à tous les traite- ments, j’ai vu cette hyperesthésie musculaire ne pas se manifester. Observation XX\1,— En 1850, un malade était entré à la Charité, salle Sainl-Félix, n° \ I, pour une paralysie à peu près complète du membre supé- rieur, consécutive à une luxation scapulo-humérale et datant de deux ans. Il avait été soumis à l'électrisation à l'hôpital Beaujon quelques mois avant d’entrer à la Charité. Mais, soit qu'on ne sût pas diriger l’excitation dans les muscles paralysés, soit que l’appareil ne fût pas assez puissant, la pa- ralysie n’en éprouva aucune modification avantageuse. Ce malade disait n’avoir jamais eu de douleurs, ni d’exaltation de la sensibilité dans les muscles électrisés; la sensibilité cutanée et musculaire était, au contraire, obtuse au moment où je l’observai à la Charité. Mais sitôt que je dirigeai, à une dose suffisante, l’excitation faradique sur les muscles paralysés, le membre devint le siège de douleurs excessives qui nécessitèrent la sus- pension du traitement, pendant quelques jours. Bientôt après le malade exécuta des mouvements qu’il n’avait jamais pu faire depuis son accident, et put se servir de son bras pour un grand nombre d usages. Malheureuse- ment il ne voulut pas se soumettre assez longtemps au traitement, et son état fut seulement amélioré. Ce fait est une preuve de plus à l’appui de mes assertions. L’exaltation delà sensibilité, produite par le traitement faradique, n’est pas de longue durée; elle disparaît progressivement, en même temps qu’on voit revenir la vie dans les muscles. 234 PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQtîE DES NERFS MIXTES. Je n’ai pas toujours observé que l’hyperesthésie des muscles et des nerfs se développe sous l’influence de la faradisation dans les para- lysies anciennes, comme dans l’observation précédente. On sait que dans ces paralysies anciennes les membres sont dou- loureux lorsqu’on leur imprime des mouvements ou lorsqu’ils sont exposés au froid. La faradisation localisée fait disparaître rapide- ment ces douleurs qui siègent principalement dans les articula- tions. On en trouve un exemple dans l’observation XVI1. § II. — Action sur la calorification et sur la circulation. On constate dans toutes ces paralysies par lésion traurnalique des troncs nerveux, que l’abaissement de température est considérable; ainsi, j’ai trouvé souvent une différence de cinq à six degrés entre le côté sain et le côté malade; les malades eux-mêmes ont toujours accusé un grand refroidissement dans le membre paralysé. La cir- culation s’y fait mal ; les veines cutanées sont peu développées ; la peau est violacée et œdématiée, surtout quand le membre est ex- posé au froid. Un des effets les plus constants et les plus immédiats de lu faradisation localisée, c est de faire disparaître ces phénomènes morbides. Il suffit souvent de quelques séances pour ramener la calo- rification du membre à. son état normal. Cet effet thérapeutique s’est constamment produit dans les faits que j’ai rapportés. Il faut un peu plus de temps pour développer la circulation vei- neuse et capillaire. g III. — Action sur la nutrition La nutrition subit à son tour l’influence de l’excitation faradique. Bien que cette action thérapeutique soit graduelle et la plus lente de toutes, il est cependant facile de constater en mesurant le volume du membre avant et après le traitement. D’ailleurs, les malades ne manquent jamais d’en faire eux-mêmes la remarque. C’est surtout à la main où les veines dorsales sont les plus ap- parentes que l’on voit ces dernières grossir à vu d’œil C’est ce que l’on peut constater sur la figure 38 dessinée d’après le plâtre de la main d’un sujet dont les interosseux avaient été paralysés et s’é- taient atrophiés consécutivement à la blessure du nerf radial. (La relation en a été exposée dans la précédente édition, p. 219, obs. XV). Avant le traitement ces veines dorsales étaient tellement petites qu’on ne pouvait les apercevoir (voy. la fig. 39) La main était desséchée, les espaces interosseux en étaient profondément creusés, et la peau en était flétrie et terreuse. Sous l’influence de la ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. faradisation, les veines dorsales de celte main se sont développées progressivement (voy. la fig. 38). La nutrition et les mouvements Fig. 38 Fig. 39. sont revenus dans les muscles atrophiés et la peau a recouvré sa finesse et sa coloration normales. J’ai photographié et fait mouler quelques mains sür lesquelles on peut observer les mêmes faits. Pendant que la calorification, la circulation et la nutrition éprou- vent une influence thérapeutique aussi manifeste, la motilité elle- même ne tarde pas à revenir. A. — Le retour des mouvements volontaires est toujours précédé de celui de la tonicité musculaire. § IV. — Action sur la contractliité musculaire. Pour démontrer cette proposition, je ne choisirai qu’un exemple. On sait que, consécutivement à la lésion du nerf radial, les extenseurs du poignet et des doigts paralysés sont entraînés dans l’élongation par leurs antagonistes. Sous l’influence de l’excitation faradique* on voit d’abord le poignet se relever et les doigts s’étendre bien avant que le malade puisse faire les moindres mouvements volon- taires. Le retour de l’attitude normale du poignet et des doigts an- nonce évidemment le rétablissement de la tonicité dans les muscles radiaux, cubital, et dans les extenseurs des doigts. Mais bientôt la contractilité volontaire reparaît à son tour, quoique lentement et graduellement. 236 PARALYSIES PAR LÉSION TRAUMATIQUE DES NERFS MIXTES. B. — L’action thérapeutique delà faradisation localisée paraît se manifester d’autant plus vite dans un muscle que ce dernier est plus rapproché du centre nerveux. J’ai déjà dit, en parlant du pronostic de ces paralysies trauma- tiques des troncs nerveux, que l’action thérapeutique de la faradi- sation localisée est d’autant plus efficace et plus rapide que le muscle a moins souffert dans sa contractilité électrique; mais je dois encore signaler un autre phénomène non moins intéressant et que j’ai quelquefois observé, c’est que l’influence thérapeutique de la faradisation localisée s’est manifestée d’autant plus rapidement que les muscles étaient plus rapprochés du centre nerveux. Le ma- lade de l’observation VII en est un exemple remarquable; en effet, c’est d’abord son bras qui guérit; puis quelques mois après, c'est le tour de son avant-bras; enfin les muscles de sa main ont éprouvé, en dernier lieu, l’action salutaire de la faradisation loca- lisée. Pour chacune de ces régions, le malade a passé par la même série de phénomènes, à savoir; l’hyperesthésie musculaire, puis le retour de la nutrition, de la contractilité tonique et enfin de la contractilité volontaire. C. —La lésion de la contractilité électro-musculaire persiste après la guérison, malgré le rétablissement des mouvements volontaires. J’appelle l’attention des observateurs sur un phénomène des plus nouveaux et des plus inattendus, et certainement l’un des plus im- portants au point de vue physiologique, sur celte altération de la contractilité électro-musculaire, qui persiste dans un muscle, après qu’il a recouvré les mouvements, la nutrition et la force par la fa- radisation localisée! Quelle est donc l’importance réelle de celle contractilité électro- musculaire, de cette irritabilité que l’on a considérée si longtemps comme une propriété fondamentale et inséparable de la vie, sur laquelle on a tant écrit et discuté, propriété qu’on retrouve encore, pendant un certain temps, dans un muscle de cadavre et dont ce- pendant peut se passer un muscle vivant, si intéressé, en appa- rence, à sa conservation? Ces faits si imprévus ébranlent évidem- ment certaines vérités fondamentales de la science. Cette question, qui doit faire le sujet d’un article, dans le chapitre VIII, est étran- gère à mon sujet; je no la signale qu’en passant. Cependant il est opportun de dire ici que, jusqu’à présent, j’ai toujours vu revenir la contractilité électro-musculaire, mais incomplètement et très ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. longtemps après le reloir des mouvements volontaires et de la nutrition musculaire. jj ï, — La faradisation localisée guérit, dans la majorité des cas, les paralysies consécutives aux lésions traumatiques des nerfs. Il ne peut venir à l’esprit de personne que l’électricité doive tou- jours triompher des paralysies consécutives aux lésions trauma- tiques des nerfs. Il n’existe, d’ailleurs, aucun agent thérapeutique qui possède cette vertu merveilleuse. Mais je puis affirmer, en m’appuyant sur une expérimentation continuée pendant près d’une quinzaine d’années, que la paralysie traumatique des nerfs guérit, on est amendée très notablement par la faradisation localisée, dans la plupart des cas. La paralysie dont il est ici question est assuré- ment de toutes les paralysies celle sur laquelle la faradisation exerce la plus heureuse influence. Je crains bien que la proportion des guérisons des paralysies traumatiques, que j’ai déduite des faits recueillis dans ma pratique, paraisse exagérée à certains praticiens; je crains môme qu’ils n’ob- tiennent pas exactement les mômes résultats. Qu’on n’en accuse pas la faradisation localisée, mais seulement les difficultés sans nombre d’un traitement qui exige beaucoup de temps et de pa- tience. C’est à tort, en effet, qu’on a cru longtemps et qu’on s’ima- gine encore, dans la pratique, que l’action thérapeutique de l’élec- tricité doive toujours se manifester rapidement. § VI, — Durée du traitement. La durée moyenne du traitement des paralysies traumatiques des nerfs mixtes est de deux à trois mois; mais il en est qui exis- tent jusqu’à plusieurs années. Je citerai, comme exemple, cet ou- vrier (obs. Vil) chez lequel une luxation scapulo-humérale a pro- duit la paralysie et l’atrophie du membre supérieur et qui en est à son dix-huitième mois de faradisation. Son bras et son avant-bras sont guéris; à la main, les muscles de l’éminence thénar ne sont pas encore entièrement revenus. Combien de temps faudra-t-il en- core pour refaire ces derniers muscles? Je ne doute pas cependant que l’éminence thénar ne guérisse aussi bien que le bras et l’avant- bras, parce qu’on y observe les mêmes phénomènes thérapeutiques Le lendemain, on n’observe plus guère de contractions appréciables par l'électro-puncture, et le malade succombe dans la soirée, sans éprouver de convulsions, ayant conservé, durant toute sa maladie, l’intégrité des mem- bres supérieurs et des viscères thoraciques. » Après avoir mis le cerveau et la moelle à découvert, M. Duriau a con- staté les altérations anatomiques suivantes; & Les membranes sont intactes dans toute leur étendue et paraissent plus injectées qu’a l’état normal ; la moelle a conservé sa consistance dans toute sa hauteur, jusqu’à la huitième paire dorsale ; à partir de cet endroit, elle se ramollit de plus en plus à mesure qu’on l’examine plus inférieure- ment. La moelle est incisée dans toute sa longueur ; à la hauteur de la onzième paire, on constate un caillot noirâtre qui occupe toute sa substance grise ; il a 'I centimètre de diamètre. C’est à lenteur de ce noyau que le ra- mollissement est le plus prononcé, et il conserve cet aspect jusqu’à la ter- minaison de la moelle. Les substances blanche et grise sont confondues en une bouillie grisâtre semblable à du séro-pus. Le microscope y a démontré l’existence: 1° de fibres nerveuses larges ; 2° de cellules tripolaires avec leurs prolongements ; 3° de cellules rondes réfractant la lumière et consti- tuées par la moelle nerveuse ; 4° de cristaux rouges d’hématine. PARALYSIES SPINALES. » La queue de cheval est très injectée, » M. Duriau avait eu l’obligeance d’attirer mon attention sur ce malade, dont j’ai exploré, le quatrième jour de la paralysie, l’état de la contractilité électro-musculaire, en présence de M. le profes- seur Piorry. L’irritabilité était à peu près normale; mais j’ai dé- claré, m’appuyant sur l’expérience acquise dans des cas analogues, que, si dans un temps prochain, elle diminuait, elle serait l’indice certain d’une lésion anatomique de la partie inférieure de la moelle; que si elle s’éteignait, le pronostic serait grave, et qu’alors il y au- rait rapidement gangrène du sacrum, suivie très probablement de mort prochaine. On a vu, hélas! que mon jugement n’était que trop fondé. Que l’on me permette, à l’occasion de ce fait, de donner quelques explications sur le mode d’exploration électro-musculaire que l’on doit employer, lorsqu’on veut suivre les modifications diverses ap- portées dans l’état d’irritabilité musculaire par la lésion anatomique de la moelle ou des nerfs mixtes. Ces explications sont rendues né- cessaires par une fausse interprétation des préceptes que j’ai ensei- gnés et pratiqués. La faradisation par les rhéophores humides permet de constater la diminution plus ou moins grande de la contractilité électro-mus- culaire. Lorsque par ce procédé d’électrisation et avec un appareil très puissant, comme ceux que j’ai fait construire (dont le lil de la seconde hélice a 1,000 mètres de longueur), un muscle ne répond plus d’une manière appréciable à l’excitation électrique, je puis affirmer que son irritabilité est à peu près éteinte. Cependant, pour plus de certitude et surtout si je n’ai à ma disposition que les appareils généralement en usage, j’ai recours à l’électropuncture. C’est d’après ces principes que l’exploration électro-musculaire a été pratiquée dans le fait que je viens de rapporter. Qu’on lise dans la première édition de mon livre le chapitre inti- tulé : Recherches sur quelques propriétés musculaires à l'aide delta faradisation localisée (1) ; on y verra que l’électropuncture a été appliquée dans toutes les observations qui y sont relatées. J’ai tou- (1) De l'électrisation localisée et de son application à la physiologie, à la patho- logie et à la thérapeutique. Paris, 1855, in-8, p. 402. PARAPLÉGIES PAR LÉSION ANATOMIQUE DE LA MOELLE. jours eu recours à ce procédé, quand il a été nécessaire de re- chercher exactement si le tissu musculaire était ou non encore contractile; j’en ai fait un précepte pour ces cas particuliers. De ce que les aiguilles implantées dans un muscle à travers la peau ne s’agitent pas sous l’influence d’un courant électrique très fort, je n’ose même pas en conclure d’une manière absolue que l’irritabilité soit complètement éteinte. J’ai écrit en effet, page 105 de mon livre, à la suite d’une observation : « Pour être physique- ment certain que chez ce malade, la contractilité électro-musculaire était complètement éteinte (ses muscles ne se contractaient plus par l’électropuncture), il faudrait que j’eusse pu voir le muscle à nu au moment de la recomposition électrique il me paraît sage de faire quelques réserves à ce sujet. » Tels sont les préceptes et les procédés d’électrisation que j’ai mis en pratique dans mes recherches électro-pathologiques (1). Je terminerai cette étude sur l’état de la contractilité électro-mus- culaire dans les paralysies consécutives à l’altération anatomique de la moelle, par quelques remarques sur les recherches antérieures (I) Je me vois forcé de rappeler ces préceptes pour mettre mes lecteurs en garde contre une assertion étrange d'un auteur qui a écrit : il/. Duchenne et tous ceux qui ont accepté ses doctrines, explorent l’état de contractilité des mus- cles exclusivement au moyen d’éleclrophores humides et à travers la peau (Re- cherches électro-physiologiques sur les propriétés et la nutrition des muscles et des nerfs dans les paralysies (Moniteur des hôpitaux, 19 février, 1859, p. 165). Gomment expliquer une.assertion aussi contraire à la vérité? Il me répugne de croire que cet auteur ait voulu peut-être déconsidérer mes recherches patholo- giques sur l’état de l’irritabilité, bien que la pensée m’en soit venue après'avou- lu un peu plus haut, dans le même mémoire, les lignes suivantes : « Les ap- proximations contradictoires et inexactes dont se contente M. Duchenne ne peuvent suffire ni à la science ni à la pratique. » Et ce qu’il appelle assertions contradictoires et inexactes, ce sont des faits de lésion anatomique de la moelle ou des nerfs mixtes relatés dans mon livre, et dans lesquels j’ai constaté avant la mort que l’irritabilité musculaire avait diminué ou était abolie à des épo- ques variables ; c’est-à-dire que, dans ces cas, je l’ai vu affaiblie du quatrième jour au commencement du second septénaire, et abolie du sixième jour à la troi- sième semaine; de même que dans le nouveau fait relaté par M. Duriau, elle a commencé à diminuer le neuvième jour et a disparu le dix-septième. Tous ces faits ont été rigoureusement observés. Pour la plupart de ceux du même ordre qui sont exposés en résumé dans mon livre, je me suis borné à dire, d’une manière générale, que la contractilité électro-musculaire était abolie, sans indiquer toujours le modus faciendi, sans répéter que l’électropuncturc avait été employée. J’étais forcé de supprimer bien des détails intéressants, car mon livre était déjà trop volumineux ; d’ailleurs toutes mes expériences ont été faites publi- 250 de Marshall-Hall qui, dans une note insérée dans les Archives géné- rales de médecine, avait critiqué mes recherches sur l’état de l’irri- tabilité dans ces paralysies. Ces remarques sont le résumé de ma réponse à cette note. PARALYSIES SPINALES. Voici les principales propositions extraites des mémoires publiés sur ce sujet par ce savant physiologiste : Dans les paralysies des membres, la différence d'irritabilité entre le côté malade et le côté sain peut servir à établir un diagnostic dif- férentiel entre les paralysies cérébrales et les paralysies spinales. Dans les paralysies spinales, Virritabilité diminue dans les muscles paralysés. Dans les paralysies cérébrales, Virritabilité augmente (1). Les cas desquels Marshall-Hall a déduit ces importantes pro- positions, à savoir que, dans les paralysies spinales, l’irritabilité di- minue dans les muscles paralysés, ces cas, dis-je, sont des para- lysies partielles des membres où l’on ne trouve jamais de lésion appréciable des centres nerveux ni des nerfs qui en émanent. Le physiologiste anglais ne cite pas une seule observation dans la- quelle la lésion de la moelle épinière ait été confirmée par l’au- topsio. N’en résulte-t-il pas qu’en admettant même l’exactitude des propositions formulées par cet expérimentateur, on n’en pour- rait trouver la preuve rigoureuse dans les observations qu’il a rap- portées ? Mais c’est principalement sur le mode d’expérimentation employé par Marshall-Hall que doit porter la critique. Ce mode d’expéri- mentation est, à mon avis, tellement défectueux, qu’il conduit in- failliblement à des illusions; aussi ne suis-je point étonné de la dissidence qui existe entre les observateurs qui ont répété ses expé- riences. Dans le but de vérifier les faits énoncés par Marshall-Hall, j’ai ré- quement : ainsi je me rappelle avoir constaté, par l’électropuneture, en présence de plusieurs confrères, l’abolition complète de la conlractililé musculaire dans quelques muscles, le sixième, jour, dans un cas rapporté à la page 750 de mon livre (première édition), et qui est un de ceux dont mou contradicteur, je ne sais vraiment de quel droit, conteste l'exactitude ou la valeur. Pourquoi, dans tous ces cas pathologiques, l’irritabilité ne diminue-t-elle pas ou ne s’éteint-elle pas toujours au même moment? C’est ce qu’il n’a pas com- pris, car il prétend au contraire qu’elle doit dans tous les cas s’éteindre au même moment, comme si tous ces cas étaient identiques, ainsi qu’on peut le produire dans des vivisections. (1) On the condition of the muscular irritai dit y in the paralytic limbs. 18 39- 184 3, London. PARAPLÉGIES PAR LÉSION ANATOMIQUE DE LA MOELLE pété ces expériences sur une grande échelle, chez des paralytiques, et comparativement chez des sujets sains choisis dans différents ser- vices de la Charité, en me conformant au procédé indiqué par l’au- teur. Voici ce procédé : on fait mettre les deux mains du malade dans un bassin contenant une solution de sel marin, et les deux pieds dans un second bassin contenant une solution semblable; on fait ensuite passer le courant intermittent d’une batterie de Cruikshank (plus connue en France sous la dénomination de pile à auges), en variant le nombre des plaques de quinze à vingt, et en commençant l’opération par un courant extrêmement faible. Attri- buant les contractions produites pendant les premières minutes de l’opération, à des influences étrangères à l’action du courant, Marshall-Hall conseille de ne pas en tenir compte dans l’expé- rience. Des faits que j’ai recueillis, je me crois autorisé à conclure ; 1“ Que par le procédé de Marshall-Hall on connaît seulement l’état de l’excitabilité des terminaisons nerveuses des membres, et l’état de la contractilité électro-musculaire (qu’il appelle irritabilité musculaire) reste parfaitement inconnu, l’action galvanique n’ayant pas été portée directement sur le tissu musculaire ; 2° Que par ce procédé, l’excitation électrique des extrémités ner- veuses exclusivement destinées à la sensibilité provoque des con- tractions très irrégulières dans les muscles placés au-dessus du point excité, c’est-à-dire dans un sens contraire à la marche de la force nerveuse motrice, par une sorte d’action réflexe, ainsi que je Fai démontré précédemment (première partie, chap. 3); 3° Que dans les paralysies cérébrales soumises à ce procédé de galvanisation, les contractions musculaires sont plus développées tantôt dans les membres paralysés, tantôt au contraire dans le membre sain ; hn Que sur les sujets sains soumis à ces mêmes expériences, on observe aussi que la contractilité musculaire est inégalement déve- loppée dans les deux côtés du corps, et cela sans cause connue; 5° Enfin, comme dernière conséquence des deux propositions précédentes, je disque la diminution ou l’augmentation de l’exci- tabilité électrique des terminaisons nerveuses dans un des côtés du corps, ne peut même pas servir au diagnostic différentiel entre les paralysies spinales et les paralysies cérébrales. Toutefois, en disant que dans les lésions de la moelle épinière, l’irritabilité diminue, l’éminent physiologiste anglais a annoncé l’existence d’un phénomène qui s’est trouvé être presque toujours d’une exactitude merveilleuse, lorsque l’on examine alors l’état de la contractilité électrique en portant l’excitation sur chacun des muscles paralysés. PARALYSIES SPINALES. §11. — Paraplégie par compression de la partie Inférieure de la moelle. La compression d’un nerf mixte produit toujours, avec la paraly- sie à des degrés divers des mouvements volontaires, l’abolition de la contractilité électrique, do la sensibilité et de la nutrition des mus- cles placés sous la dépendance de ce nerf, ,1e ne connais pas encore une seule exception à cette règle dont on pourrait par conséquent faire une loi. La compression de la moelle ne produit pas toujours des phénomènes symptomatiques, semblables à ceux de la compres- sion des nerfs. Supposons, par exemple, que la moelle soit modé- rément comprimée par une tumeur osseuse, par une incurvation trop brusque, à angle aigu comme dans le mal vertébral, par une lésion quelconque de ses enveloppes séreuses ou fibreuses, dans une affection des méninges, rhumatismale ou inflammatoire, etc., alors les mouvements volontaires seront affaiblis ou abolis, la sen- sibilité sera plus ou moins profondément lésée, des eschares pour- ront même se montrer au sacrum, mais la contractilité électro- musculaire restera intacte et les muscles ne s’atrophieront pas ou n’éprouveront qu’un peu d’amaigrissement. Cette espèce de paraplégie est la plus fréquente des paraplégies spinales, c’est du moins celle dont j’ai eu le plus ordinairement à poser le diagnostic et le pronostic. Combien je pourrais rappor- ter d’exemples remarquables de ces paraplégies produites soit par des exostoses ou des tumeurs syphilitiques qui ont guéri par une médication spéciale, soit par une incurvation à angle aigu de la colonne vertébrale qui occasionnait une compression cause directe de la paralysie, mais à laquelle la moelle s’habituait, pour ainsi dire, à la longue. Toutes ces paraplégies se distinguent par un caractère commun et qui a une grande valeur, comme signe diagnostique : par les mou- vements réflexes. Ainsi l’on voit chez les sujets dont les membres inférieurs sont complètement privés de mouvements volontaires par le seul fait de la compression de la partie inférieure de la moelle, on voit, dis-je, sous l’influence du chatouillement, du pincement de la peau et quelquefois par l’impression du froid, les différents segments de ce membre inférieur s’infléchir brusquement les uns sur les autres, plus ou moins violemment, sans qu’ils puis- sent en être empêchés par la volonté. Je n’ai jamais pu produire ces mouvements réflexes dans les membres paralysés où la cou- PARAPLEGIE PAU COMPRESSION DE LA MOELLE. 253 tractilité électro-musculaire était plus ou moins lésée, lime sera facile de faire comprendre maintenant la valeur de ce signe pro- nostique, puisque son existence dans une paraplégie suffit pour annoncer que la contractilité électrique des muscles paralysés est normale, ce qui veut dire que la moelle n’est pas matériellement altérée dans toutes ses parties constituantes et conséquerarnent que les muscles ne sont pas menacés dans leur nutrition. J’ai fait assez souvent une heureuse application de ces notions au dia- gnostic des paraplégies spinales. Voici la relation d’un lait tout récent, où M. Oulmont, médecin de l’hôpital Lariboisière, m’avait engagé à porter, à l'aide de l’exploration électro-musculaire, le diagnostic de l’état anato- mique de la moelle, chez un sujet de son service qui était affecté d’une paraplégie spinale, avec eschare du sacrum. J’ai déclaré, d’après l’intégrité de la contractilité électro-musculaire et l’exis- tence de mouvements réflexes, que la portion de la moelle qui en- voyait l’innervation dans les muscles paralysés, devait être intacte. L’exactitude de ce diagnostic a été vérifiée par l’autopsie. (Cette ob- servation que je dois à l’obligeance de M. Gampana, interne de M. Oulmont, a été recueillie par M. Lefèvre, externe.) Observation XXXII. — Paraplégie aiguë. — Mal de Polt. — Pas de lésion appréciable de la moelle. « Hôpital Lariboisière, salle Saint-Charles, n° 26. — Bros (Pierre), vingt et un ans, porteur d'eau, malade depuis le 15 janvier 1860, entré le 16 février suivant. — Ce garçon est robuste, fortement musclé. 11 habite Paris depuis deux ans; il est guéri depuis quatorze mois d’une fièvre ty- phoïde, seule maladie qu’il ait jamais eue. » Dans les premiers jours de janvier, le malade a remarqué de l'affaiblis- sement dans ses jambes; sa démarche est devenue chancelante. Il a dû cesser tout travail à partir du 15 janvier pour garder le lit, et un mois plus tard, il est entré à l'hôpital. » Quelque temps avant do cesser de porter son eau, il a ressenti, à la partie postérieure du tronc, des douleurs qui s irradiaient en ceinture au niveau des dernières côtes. La douleur était assez forte pour ne pas permettre au ma- lade de se courber. » Les deux jambes et la moitié inférieure du tronc sont paralysées du mou- vement et du sentiment. On peut y enfoncer des épingles sans que le malade en ait conscience, autrement que par de petites secousses musculaires réflexes qui répondent a la piqûre. Tout mouvement des jambes est impossible au malade; la paralysie s'étend à toute la paroi abdomino-lombaire. La vessie el le rectum sont également atteints et il y a évacuation involontaire de l’urine et des selles. Le sentiment de la température n'est pas perçu plus que celui de la piqûre. Le sentiment revient au niveau de la dixième côte environ. PARALYSIES SPINALES. » Nous avons vu que les membres inférieurs sont le siège de secousses musculaires réflexes quand on les excite parla piqûre, ou par le froid. Ces se- cousses se produisent également en plein repos et le malade en a conscience, bien qu’elles soient tout à fait indépendantes de sa volonté. Il ressent en outre des fourmillements. » A la région dorsale, au niveau de la sixième vertèbre, une des apophyses épineuses fait un angle saillant très sensible. La percussion sur cette apo- physe réveille de la douleur. » L’appétit est bon ; les fonctions digestives et respiratoires s’accomplissent très bien. Les membres supérieurs ont conservé toute leur force. Le malade est plein de vigueur et de jeunesse, il n’a fait aucun excès. La seule cir- constance éliologique qu’on puisse invoquer, est une fatigue plus grande qu a l'ordinaire, le malade étant obligé de faire tout son travail durant le jour, très court à cette époque do l’année. » Sous l'influence de la paralysie du rectum, une constipation opiniâtre s’est déclarée. Le malade ne va plus à la selle qu’avec des purgatifs. » Des eschares commencent à se montrer au sacrum et aux deux trochan- ters. Elles s’étendent avec une rapidité très grande. La santé générale s’affaiblit de jour en jour ; les fonctions digestives s’altèrent profondément. Le malade est pâle et exhale une odeur de gangrène ; la fièvre revient tous les soirs. » Le malade ne mange plus que des bouillons. Les eschares s’accroissent de plus en plus et forment trois larges cavités gangréneuses. Celles des tro- chanters sont les plus profondes et les plus étendues ; le quart supérieur des fémurs est dénudé dans sa moitié externe et nécrosé, les attaches muscu- laires trochantériennes sont disséquées. Les membres inférieurs sont œdé- matiés. » M. Duchenne (de Boulogne) a constaté que les muscles des membres inférieurs ont conservé leur excitabilité par le courant galvanique, et il en conclut qu’il n’y a pas d'altération de la moelle. » La paralysie, qui paraissait d'abord s’arrêter à la dixième côte, a re- monté jusqu’à la septième dans le courant du mois de mars. » Le traitement s’est borné à l’administration de pilules de strychnine, de bains sulfureux et de purgatifs répétés. On a nourri le malade tant que l'appétit a persisté. » Mort du malade ; autopsie le 13 au malin. Los poumons sont sains ; le droit est un peu adhérent. Le foie est volumineux et les deux substances très distinctes. Rien de particulier dans les autres viscères. » Les muscles sont rouges, encore assez développés. PARAPLEGIE PAU COMPRESSION DE LA MOËLLE. 255 » La colonne vertébrale étant mise à nu, on sent, en pressant le long des corps vertébraux, une surface molle, fluctuante, étendue. En inci- sant le ligament vertébral antérieur, on pénètre dans un foyer rempli de pus crémeux demi-solide. Les corps des sixième et septième vertèbres dor- sales ont en grande partie disparu ; au-dessus et au-dessous, le tissu osseux est détruit, mais superficiellement, jusqu’à la troisième vertèbre d’une part, jusqu’à la dixième de l'autre. » En arrière, l’apophyse épineuse de la sixième vertèbre fait un angle sail- lant. Les arcs postérieurs des vertèbres étant enlevés, on découvre la moelle : la dure-mère et le tissu cellulaire qui lui est extérieur, sont rouges, tomenleux et très gonflés dans l'étendue de 6 à 8 centimètres. La moelle elle- même n'est pas altérée d'une manière appréciable à l'œil nu et sa consistance ne présente pas de diminution notable. » La face postérieure des corps des sixième et septième vertèbres est dé- nudée. L’os est même rompu verticalement, soit par suite de la maladie, soit par les violences nécessitées par l’ouverture. Du pus concret pénètre par plusieurs trous de conjugaison ; mais il entre à peine dans le canal ra- chidien. » A côté de ce fait, j’en pourrais rapporter un autre non moins intéressant, au point de vue en question. Observation XXXIII. — En 1 859, M. le professeur Trousseau m’avait engagé à explorer l’état de la contractilité électro-musculaire chez un para- plégique de son service, et à diagnostiquer l’étal de la moelle d’après cet examen. Chez ce sujet, les mouvements et la sensibilité étaient complète- ment abolis dans les membres inférieurs ; il existait en outre une large es- chare au sacrum. De l’intégrité de la contractilité électrique des muscles paralysés qui, en outre, se contractaient par action réflexe, par le chatouil- lement ou par le pincement de la peau, j’avais conclu à l’intégrité de la portion médullaire qui anime les muscles paralysés. L’exactitude de ce juge- ment a été constatée à l'autopsie. Le malade avait succombé, comme dans le cas précédent, à l’eschare du sacrum ; la moelle a été trouvée parfaitement saine (tj. En somme, l’exploration électro-musculaire permet de distinguer les paraplégies qui sont produites par une altération anatomique de la substance médullaire, de la paraplégie symptomatique d’une (l) Ce dernier fait a été publié in extenso dans l'Union médicale, en 1859, par JVI. Moynier, chef de clinique de la Faculté, qui en a fait le sujet d’une note inté- ressante sur l’escharo du sacrum. 256 PARALYSIES SPINALES. simple compression de la moelle. Dans la première la cou tractiiité est altérée, dans la seconde elle est intacte. Mais il existe d’autres espèces de paraplégies dans lesquelles la contractilité électro-musculaire est également intacte et la nutri- tion normale ; telles sont certaines paraplégies périphériques, rhu- matismales et hystériques. Ces paraplégies se distinguent des pré- cédentes par l’absence des contractions réflexes. J’en ai observé aussi qui ne pouvaient être rattachées ni à l’une ni à l’autre de ces dernières, malgré l’intégrité de l’irritabilité et de la nutrition. J’avoue que leur nature m’est restée inconnue. Depuis bien des années, je vois sans comprendre cette espèce de para- plégie que l’on ne saurait classer, bien que certaines d’entre elles pa- raissent déterminées par des lésions viscérales. M. Leroy (d’Etiolles) fils a publié sur cette espèce de paraplégie un travail intéressant ; M.Brown-Séquard a essayé d’en expliquer le mécanisme. Selon cet auteur, elle serait produite par une sorte d’action réflexe de la moelle longuement irritée par l’altération de ces viscères. Cette théorie ne me paraît pas suffisamment démontrée. Dans la plupart des paraplégies que j’ai recueillies, je n’ai pas négligé d’analyser les urines. Une seule fois j’ai constaté l’exis- tence de la glycose, qui ne s’était décélée par aucun des autres symptômes propres au diabète. Observation XXXIV. — La paralysie était limitée au membre inférieur droit; elle était incomplète. Elle datait d’un an. Elle était venue progres- sivement et était accompagnée de douleurs dans le flanc droit, que ni les sangsues, ni les vésicatoires, ni l’excitation électro-cutanée n’avait pu maî- triser. L’intégrité de la contractilité électro-musculaire et de la nutrition, et l'absence de contractions réflexes ne me permettaient pas d’admettre une lésion des nerfs ou de la moelle. On ne trouvait pas dans les antécé- dents du malade de causes ni syphilitiques ni rhumatismales. La santé générale était bonne, rien ne pouvait faire soupçonner la présence de la glycosedans les urines (ce malade m’avait été adressé par M. le professeur Trousseau). Aussi ma surprise fut-elle grande quand l’examen des urines me démontra que ce malade était diabétique. La paraplégie dans ce cas était-elle produite par le diabète, on n’était-elle qu’une simple coïncidence? C’est ce que je ne saurais décider. Le fait n’en mérite pas moins d’en être signalé. J’ai observé dans plusieurs cas une espèce de paraplégie qui n’apparaissait que pendant l’attitude verticale du tronc et qui me semble ne pouvoir s’expliquer que par la compression de la partie inférieure de la moelle. Voici en résumé l’un de ces cas. PARAPLÉGIE RAK COMPRESSION DE LA MOELLE. 257 Observation XXXV. — En 1852, j’ai été appelé en consultation avec M. le professeur Cruveilhier auprès d’une demoiselle âgée de vingt et un ans (la fille d’un contre-amiral), et affectée de paraplégie. — Quand elle était dans la position horizontale, elle pouvait mouvoir ses membres inférieurs dans tous les sens et avec une force qui me paraissait normale. Mais dès que le tronc était placé dans une position verticale, ces membres étaient entiè- rement privés de mouvement. Ainsi, dans la station assise, il lui était ab- solument impossible de faire exécuter à ses membres inférieurs le moindre mouvement partiel ; debout, elle ne pouvait, à plus forte raison, détacher ses pieds du sol, La contractililé électro-musculaire était normale, ainsi que la sensibilité cutanée et musculaire. Cette paraplégie était survenue deux ans auparavant, à la suite d’une chute sur le siège. Pendant une promenade en calèche avec sa famille, les chevaux s’étaient emportés; les roues de derrière s’étant détachées brusquement, celle demoiselle élail tombée sur le siège, et avait perdu connaissance. Quand elle était revenue à elle, une vive douleur se faisait sentir dans les lombes et elle remuait difficilement les membres inférieurs. Une application de ventouses sca- rifiées sur la région lombaire avait enlevé la douleur, mais la paraplégie avait persisté, malgré une médication active et très variée, qui fut ensuite pratiquée (moxas, cautères sur les côtés et à la partie inférieure du ra- chis, bains et douches sulfureuses). La menstruation avait été suspendue pendant plusieurs mois, à la suite de cet accident, et elle était depuis lors irrégulière. J’ai appliqué une vingtaine de fois chez cette malade la fara- disation électro-musculaire, sans résultat appréciable. M.Monnier, professeur d’anatomie au Val-de-Grâce, m’a dit avoir observé récemment une paraplégie analogue à la précédente, ,1e regrette de ne pouvoir en exposer l’histoire détaillée. Quelle est la nature de la lésion centrale qui paralyse ainsi les mouvements des membres inférieurs seulement pendant la position verticale du tronc? C’est ce que je ne saurais dire. Mais ne peut-on pas admettre que, dans cet état morbide, inconnu, de la moelle ou de ses enveloppes, une compression est exercée, sur la partie inté- rieure de ce centre nerveux, par la sérosité ou par un liquide san- guin qui s’y accumule pendant l’altitude verticale du tronc. Enfin, il existe une espèce de paraplégie de cause cérébrale qui a une grande ressemblance avec la paraplégie par compression de la partie inférieure delà moelle. J’essayerai d’en établir le diagnoslicdif- férenliel dans le chapiire consacré à l’étude de la paralysie cérébrale. mcii'VM-:. 258 PARALYSIES SPINALES. ARTICLE IL PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE. En 1853, j’ai écrit; H existe une espèce de paralysie générale, dans laquelle les facultés intellectuelles restent intactes, dans la- quelle le cerveau et ses membranes, contrairement à ce que l’on observe dans la paralysie générale des aliénés, ne présentent aucune altération anatomique ; je l’ai appelée paralysie générale spinale, parce qu’elle trouve parfois sa raison d’être dans la lésion anato- mique de la moelle, et que, dans les cas où elle ne laisse aucune trace matérielle appréciable, on ne peut, en raisonnant d’après les faits physiologiques et pathologiques connus, la rapporter à la lésion d’aucun autre appareil nerveux que la moelle épinière. Les caractères fondamentaux de la paralysie générale spinale sont : 1° l’affaiblissement et progressivement l’abolition des mouve- ments volontaires, affectant en général, premièrement les membres inférieurs et se généralisant ensuite; 2° la perte ou la diminution, dès le début, de la contractilité électro-musculaire dans les muscles paralysés; 3° l’atrophie en masse des muscles paralysés et la méta- morphose graisseuse d’un certain nombre d’entre eux. Les premiers faits de paralysies spinales que j’ai recueillis re- montent à l’année 1857. J’en avais déjà observé l’année précé- dente, mais sans les comprendre. Je les étudiai alors parallèle- ment et comparativement avec l’atrophie musculaire graisseuse progressive dont j’exposerai la description par la suite (chap. 15). Les faits à l’aide desquels j’ai essayé de démontrer l'existence de ces deux espèces morbides nouvelles, ont été réunis dans un tra- vail qui faisait partie d’une série de mémoires adressés par moi, le 21 mai 1859, à l’Académie des sciences, sous le titre de Recherches électro-physiologiques, pathologiques et thérapeutiques (1). Je me propose de reproduire dans cet article ces mêmes faits de paralysie générale spinale, en les faisant suivre de quelques consi- dérations, et de tracer, d’après ces faits, le tableau de la maladie; j’en discuterai ensuite le diagnostic différentiel. § I. — Exposition des faits. Observation XXXV. — Paralysie générale spinale {sans aliénation) ; — avec perle de la contractilité électro-musculaire, et atrophie consécutive. (1) Ces recherches ont été publiées, en partie, dans les Archives générales de wledecine, sous le titre suivant ; Elude comparée des lésions anatomiques, dans iatrophie musculaire graisseuse progressive et dans la paralysie générale■ — Autopsie : métamorphose graisseuse de quelques muscles ; pas de lésion anatomique dans les centres nerveux.— (Charité, salle Saint-Félix, n° 17, service de M. Andral.) PARALYSIE GENERALE SPINALE. — EXPOSITION DES FAITS. Martin, cinquante-cinq ans, ancien militaire, jardinier depuis plusieurs années, d’une assez bonne constitution, n’a pas eu d’affection syphilitique, n'a pas abusé des plaisirs vénériens, n’a pas été exposé à l’intoxication sa- turnine, et n’a, d’ailleurs jamais éprouvé de coliques ni de constipation qui puissent faire attribuer à cette dernière cause la paralysie dont il est atteint; pas de liséré blanchâtre des gencives ; enfin, pas de rhumatismes musculaires, ni de douleurs névralgiques antérieures. Le 28 septembre 1846, ce malade, portant une charge de bois sur l’épaule gauche, fit une chute qui occasionna une entorse, pour laquelle il fut forcé d'entrer à l’hôpital Beaujon. Quoiqu’il éprouvât alors des douleurs au-dessus de l’épaule gauche, on n’y fil pas attention ; et au bout d’un mois, il se déclara dans ce point un phlegmon, qui fut suivi d’une fièvre grave. Vers la fin de mars 1847, il sortit de l'hôpital, mais incomplètement guéri de son entorse, et s’aidant d’une crochette. Quelque temps après sa sortie, il commença à s'apercevoir que ses forces diminuaient dans les membres infé- rieurs. Depuis lors, l'affaiblissement musculaire augmenta graduellement, au point de rendre la station impossible. En octobre 1 847, il fut force de s'aliter, et alors il sentit que les membres supérieurs perdaient aussi leur force; le ma- lade a remarqué que ses jambes diminuaient de volume. Depuis le début de la paralysie, pas de fièvre, pas de troubles de la digestion, pas de paralysie de la vessie ni du rectum. En décembre 1847, époque de son entrée à la Charité, je constatai les phénomènes suivants: station et marche impossibles ; au lit, le malade peut faire exécuter tous les mouvements à ses membres inférieurs, mais lente- ment et avec grands efforts; il s’assied sur le lit et se tourne en tous sens; il éprouve un peu d’affaiblissement dans les membres supérieurs ; pas de paralysie du rectum, pas de douleur dans la tête ni dans les membres, ni dans le rachis. Il n’a point de tremblement des membres, ni de soubre- sauts ; mais en l’examinant avec soin, on voit quelques contractions fibril- laires, rares, soulever la peau dans toutes les régions du corps. État général satisfaisant. Exploration électro-musculaire : contrdclilité électro-musculaire presque abolie dans les membres inférieurs et dans les muscles de l'abdomen, intacte dans les muscles du tronc, de la face et des membres supérieurs. Les nerfs poplités, excités, provoquent encore des contractions faibles dans les muscles qu’ils animent, et qui ne so contractent pas lorsqu’on les excite directement ; sensibilité électro-musculaire et cutanée considérablement diminuée dans les membres inférieurs; sensibilité de la peau normale par- tout ailleurs. PARALYSIES SPINALES. Six mois après [en juillet 1 848), nouvel examen du malade. Les forces ont diminué dans les membres supérieurs comme dans les membres inférieurs ; l'atrophie musculaire a augmenté et a gagné les membres supérieurs. Mais celte atrophie marche d'une manière uniforme, attaquant toute une région, tout un membre à la fois ; elle est beaucoup moins avancée que chez un malade couché au n° 12 de la salle Sainl-Ferdinand, qui marche encore à. l'aide d'une crochelte, et qui est atteint de l'affection musculaire que j'appelle atro- phie avec transformation graisseuse. Le malade conserve son appétit et ne souffre pas; mais il se sent mourir, selon son expression. La parole est lente et difficile, la mastication exige des efforts ; les traits de la face et le jeu de la physionomie n'annoncent pas de paralysie des muscles. Je constate que la contractilité électro-musculaire a disparu à peu près dans tous les muscles, même dans ceux de la face et de la langue, et cela, avec un courant d'induction au maximum. Le temporal et le masséler ont seuls conservé leur irritabilité. La sensibilité électro-musculaire est perdue presque partout. La sensibilité électro-cutanée est intacte sur le tronc et les membres supé- rieurs. Point de paralysie de la vessie ni du rectum. L’intelligence n’a pas subi la moindre atteinte. Ce malade vécut encore quelques mois dans cet état, conservant ses facultés intellectuelles et n'éprouvant aucun trouble dans ses fonctions di- gestives ; mais il s’éteignit peu à peu et mourut sans qu’il fût survenu la moindre complication, pas môme dans la période ultime de sa maladie. L’autopsie a été faite par M, Empis, en présence de M. Pidoux, chargé provisoirement du service de M. Andral. Le cerveau et ses membranes, la moelle épinière et ses racines ont été examinés avec le plus grand soin ; ils n'ont présenté aucune lésion anatomique appréciable. Les antres organes étaient dans un état normal. Les muscles dos membres inférieurs, très éma- ciés, étaient les uns plus ou moins décolorés, d'autres en partie graisseux à l'œil nu, et, chose singulière I le plus grand nombre des muscles de la jambe, bien que très atrophiés, et paralysés dès le début, soit dans leur contractilité volontaire, soit dans leur contractilité électrique, avaient conservé leur colo- ration normale. Examinée au microscope par M. Lebert, la fibre musculaire de ces derniers muscles a été trouvée parfaitement pure, tandis que quelques- uns des muscles de la cuisse, qui étaient plus ou moins décolorés et jaunâtre*, ont été trouvés transformés en graisse à des degrés divers. Voici quelques-unes des considérations que j’avais placées à la suite de celte observation, dans mon mémoire de 1849: « L’affaiblissement musculaire a été le symptôme le plus frap- pant, chez ce malade, affaiblissement tel, qu’il empêchait la marche et la station, à une époque où ses muscles avaient encore un vo- lume suffisant pour l’accomplissement de ces fonctions. L’atrophie musculaire ne pouvait certainement rendre raison de cet anoblis- sement, car dans un autre cas d’atrophie musculaire avec transfor- mation graisseuse qui se trouvait en même temps que ce malade dans les salles de la Charité (1), et oii l’on voyait les muscles des membres inférieurs bien plus émaciés, la marche était encore possible. PAUAI.YSÎK OÉNÊILVI E SPINALE. — EXPOSITION DES FMTS » La lésion du mouvement s'est montrée au début dans les extré- mités inférieures, a envahi peu à peu toutes les régions, même la lace et la langue. » Je ferai remarquer que chez ce malade la perte à peu près complète de la contractilité électro-musculaire a précédé, dans cer- taines régions, la perte des mouvements volontaires, à la face par exemple. En effet, en entendant parler ce malade, en observant le jeu de sa physionomie, on ne se serait pas douté que les muscles de la langue et de la face avaient perdu une grande partie de leur ir- ritabilité électrique. » Cette paralysie générale progressive a présenté quelques sym- ptômes qui pourraient, jusqu’il un certain point, la faire confondre avec la paralysie générale des aliénés, par exemple, l’embarras de la parole, coïncidant avec les troubles généraux de la locomotion. Peut-être trouvera-t-on, un jour, un signe diagnostique différentiel entre ces deux maladies, dans l’état de la contractilité électro-mus- culaire ; car elle est toujours altérée dans la paralysie générale spi- nale, tandis qu’elle doit être intacte dans la paralysie générale des aliénés, puisque cette dernière est cérébrale. C’est ce que je n’ai pas encore eu l’occasion de constater. » L’aulopsie a démontré que certains muscles étaient profondé- ment altérés dans leur tissu et qu’ils étaient graisseux, mais que celte lésion de nutrition était moins générale que dans l’atrophie musculaire avec transformation graisseuse (peut-être parce qu’elle est plus tardive). Enfin, et c’est le phénomène le plus important à noter, les muscles qui, pendant la vie, n’avaient pu se contracter par l’excitation électrique, ont été cependant trouvés, quoique atro- phiés, dans la plus parfaite intégrité, quant à leur coloration et à leur texture. » Telles étaient les réflexions dont je faisais suivre cette observation en 1849, époque à laquelle je professais des opinions que je défends encore aujourd’hui. (1) Quand j’écrivais ces réflexions, je faisais allusion à un malade dont j’ai rapporté l’observation dans la précédente édition (obs. LUI, p. 459). C’était un capitaine au long cours, qui était un véritable squelette vivant, et qui, le troi- sième de sa famille, était atteint d'atrophie musculaire graisseuse progressive. 262 Voici une autre observation dans laquelle on verra que la plupart des phénomènes morbides observés pendant la vie, trouvent leur explication dans la lésion anatomique de la moelle. PARALYSIES SPINALES. Oservation XXXVII.—Paralysie générale qui a débuté par les membres infé- rieurs, — contractîlité électro-musculaire perdue ou diminuée dans les muscles paralysés, — sensibilité cutanée intacte, — mort après sept mois de maladie, — autopsie: intégrité du cerveau et de ses enveloppes; — ra- mollissement et injection des cordons antérieurs de la portion cervicale de la moelle. (Charité, salle Sainte-Anne, n° 12, service clinique de M. Fou- quier.) (1). Constant, teinturière, âgée de quarante et un ans, à Paris depuis vingt- huit ans, d’un tempérament lymphatique, d’une constitution moyenne, ré- glée à quatorze ans, a eu des accouchements naturels ; pas de maladie an- térieure ; pas de douleurs névralgiques ou rhumatoïdes; pas de coliques, ni de constipation, ni de liséré des gencives ; enfin, pas de cause d’intoxica- tion saturnine. En mai 1 847, elle éprouva pour la première fois, sans cause connue, dans la colonne vertébrale, depuis les vertèbres cervicales jus- qu’aux vertèbres lombaires, des douléurs assez vives, beaucoup plus fortes dans la région cervicale, qui s'exagéraient par les mouvements. Bientôt après les mouvements devinrent difficiles et douloureux dans les membres supérieurs, surtout du côté gauche, sans cependant empêcher complètement le travail. Pas de céphalalgie; digestion de plus en plus pénible; commen- cement de constipation. Dans les premiers jours du mois d’août de la même année, elle éprouva tout à coup des fourmillements et un froid très grand dans les mains et les pieds ; la paralysie se déclara ensuite dans les membres inférieurs, et força la malade de s’aliter. Quoiqu'il lui fût impossible de se tenir debout, elle put encore, pendant quelque temps, s'asseoir dans son lit, se mettre sur les côtés, changer ses membres inférieurs de place. Malgré la paralysie, les membres inférieurs étaient restés bien développés; mais, à dater du mois de novembre 1847, ils maigrirent considérablement et rapidement. La consti- pation devint des plus opiniâtres, et l’appétit disparut tout à fait. La ma- ladie progressa ainsi malgré un traitement approprié et employé dès le début (sangsues, purgatifs, cautères sur les côtés de la colonne verté- brale). Depuis le 3 octobre 1 847, époque de son entrée à l’hôpital, les accidents s’aggravèrent, et je constatai, dans les premiers jours de décembre 1847, les phénomènes suivants : décubitus dorsal, perte absolue de tous mouve- ments du tronc, des membres inférieurs et de la tête sur le tronc; les. (1) Observation extraite de mon mémoire de 1849, sur l’atrophie musculaire graisseuse. mouvements de latéralité de la tête sont même impossibles. La malade écarte faiblement et avec de grands efforts le bras gauche du tronc, fléchit un peu les doigts de la main gauche. Les doigts de cette main sont un peu contractures. — Selles et urines involontaires ; amaigrissement extrême ; — conservation de la sensibilité cutanée, quoique un peu diminuée dans le membre inférieur droit; — conservation des facultés intellectuelles, inté- grité de la parole, des sens de la vue, de l’ouïe, de l’odorat et du goût; es- chare au niveau des ischions ; perte d’appétit; pas de fièvre. PARAI,YSIE GÉNÉRALE SPINALE. — EXPOSITION DES FAITS. 263 A l'exploration électro-musculaire, je constate; 1° que la contractai té et la sensibilité électro-musculaires sont entièrement éteintes dans les jambes, diminuées dans les cuisses ; 2° que l’excitabilité électrique (motricité de M. Flourens) est encore assez grande dans les poplités, pour faire entrer en contraction les muscles qui sont sous leur dépendance, et qui ne sont pas contractés lorsqu’on les a excités directement ; 3Ü que les muscles de la ré- gion antibrachiale antérieure droite ont aussi perdu leur contractililé élec- trique, et que celte dernière propriété est considérablement diminuée dans les muscles de la région postérieure de Vavant-bras droit, dans les muscles du membre supérieur gauche, dans les pectoraux, les trapèzes et les muscles de la région sous-épineuse. On voit quelques rares contractions fibrillaires dans les membres supérieurs. Mort le 26 décembre 1 847. — Autopsie faite par M. Oulmont, chef de clinique, aujourd’hui médecin des hôpitaux, en présence de M. Fouquier, pendant la leçon clinique. Les cordons antérieurs de la portion cervicale de lu moelle sont injectés et diffluents dans une étendue de 6 centimètres, à peu près, à partir de la quatrième vertèbre cervicale. Ce ramollissement, qui forme une sorte de bouillie, contraste avec la fermeté des cordons posté- rieurs de cette même portion cervicale, qui ne sont pas même injectés. Dans tous les autres points, la moelle et ses enveloppes n’offrent rien d’anormal. Intégrité parfaite du cerveau et de ses membranes. Rien de particulier dans les autres organes. Les muscles n’ont pas été examinés, mais par le tou- cher, on ne pouvait constater leur existence, surtout aux membres infé- rieurs où la peau semblait appliquée sur les os. A la suite de cette observation, je disais en 1853 : « Dans le fait dont je viens de donner la relation, il existe un rapport satisfaisant de subordination entre la plupart des-phénomènes observés pen- dant la vie de la malade et la lésion anatomique constatée à l’au- topsie. En effet, la lésion du mouvement (la paralysie) trouve su raison d’être dans l'altération profonde d’une portion des cordons antérieurs de la moelle, et la conservation de la sensibilité s’explique par l’in- tégrité de la moitié postérieure de la moelle (i). » (1) Loc. cit. PARALYSIES SPINALES, C’est qu’iilors les cordons antérieurs de la moelle n’avaient pas été dépossédés, par M. Brown-Séquard, des propriétés motrices que M. Longet leur avait attribuées. Mais, comme par le fait de ce ra- mollissement des cordons antérieurs, les racines antérieures se trou- vaient inévitablement séparées de la moelle épinière, source de leurs propriétés motrices, ce ramollissement n’en était pas moins la cause indirecte de la paralysie des mouvements. En tenant compte dans les deux observations précédentes, de la similitude des symptômes, de la marche et de la terminaison, on n’hésite pas à les considérer comme appartenant cliniquement à une môme espèce morbide, bien que la première n’ait laissé dans la moelle aucune lésion anatomique appréciable. Forcé de me resserrer, en raison des nombreuses affections mus- culaires dont j’aurai encore à exposer l’étude dans ce volume, je supprimerai les faits identiques que j’ai rapportés dans la précé- dente édition et d’autres nouveaux cas que j’ai recueillis depuis 1855. § II. — Considérations déduites des faits précédents. A. — Symptômes, marche, durée, pronostic. Des douleurs rachidiennes, de la nuque au sacrum, s’irradiant latéralement, limitées quelquefois à la région cervicale, dorsale ou lombaire, marquent souvent le début de la paralysie générale spi- nale. Les douleurs sont accompagnées ou suivies de fourmille- ments dans les extrémités, surtout dans les membres abdominaux et quelquefois à l’hypéresthésie cutanée. Puis bientôt après, survient un affaiblissement musculaire dans les membres inférieurs. Une seule fois, j’ai vu l’un des membres su- périeurs se prendre le premier. L’affaiblissement ne se montre pas égal dans tous les muscles ni dans les deux côtés. Ce sont les flé- chisseurs du pied sur la jambe qui sont atteints les premiers et plus fortement, ensuite les fléchisseurs de la cuisse sur le bassin, et après cesderniersles extenseurs de la jambe sur la cuisse sont atteints progressivement. L’affaiblissement des membres inférieurs rend la station et la marche fatigantes et difficiles, mais on n’observe alors ni les mouvements désordonnés qui caractérisent, comme on le verra par la suite, certaines affections musculaires appartenant à d’autres espèces morbides. Cette paralysie augmentant progressivement, la marche et la station deviennent bientôt impossibles, puis enfin les mouvements partiels des membres inférieurs sont complètement abolis. PARALYSIE GENERALE SPINALE. —SYMPTÔMES, MARCHE, PRONOSTIC. 265 La paralysie reste limitée un temps plus ou moins long, dans les membres inférieurs avant de gagner les membres supérieurs. Ainsi, tantôt les membres intérieurs sont à peine affaiblis depuis quelques semaines que les mouvements de la main perdent déjà leur force, et tantôt la paralysie, avant de s’étendre, reste à l’état de paraplégie pendant plusieurs mois et même pendant une année. Mais, dès que le membre supérieur commence à se prendre, la paralysie marche progressivement à peu près comme dans les membres inférieurs, s’attaquant d’abord plus fortement aux extenseurs des doigts; puis les muscles du tronc et même de la face sont aussi affectés pro- gressivement. Enfin la paralysie est presque toujours plus prononcée dans l’un des côtés du corps. Les muscles paralysés ne tardent pas à s’atrophier, mais cette atrophie attaque en masse les membres qui semblent se momifier, différant en cela de l’atrophie musculaire graisseuse progres- sive où l’on voit les muscles disparaître partiellement èt irréguliè- rement. Peu de temps après que les muscles ont commencé à s’affaiblir, on voit leur contractilité électrique diminuer et se perdre progres- sivement. J’ai constaté ce fait, une lois entre autres, vers le dixième jour de la paralysie à la Charité dans le service de M. Andral, fait provisoirement par M. Pidoux. J’ai suivi avec beaucoup d’attention l’ordre dans lequel les mus- cles perdent successivement leur contractilité électro-musculaire. Voici ce que j’ai observé en général. Quand la paralysie a gagné les membres supérieurs, ce sont les muscles de la région antibracbiale postérieure qui commencent à perdre leur irritabilité. Après eux viennent les muscles de la main, puis ceux de la région antibrachiale antérieure et ceux du bras ; enfin ceux qui attachent l’épaule au thorax. Dans cette marche progressive de la lésion de l’irritabilité électro-musculaire, les mus- cles de chaque région ne sont pas lésés au même degré. Ainsi, en général, à la région antibrachiale postérieure, les extenseurs des doigts sont les premiers plus affectés ; à la région antibrachiale antérieure, ce sont les palmaires; à l’avant-bras c’est le bi- ceps, etc. Enfin, arrivent le tour des muscles de la face, et en dernier lieu, celui des muscles de la respiration ; c’est alors que la mort par asphyxie ne tarde pas cà venir. Comme pour les membres supérieurs, les muscles de chaque région sont atteints d’une manière inégale. Dans les membres inférieurs, on voit la lésion de l’irritabilité élec- tro-musculaire attaquer d’abord les muscles de la région jambière PARALYSIES SPINALES. antérieure et externe, et ensuite ceux du pied et de la région jam- bière postérieure. Puis les muscles de la cuisse et ceux de l’abdomen sont atteints à peu près en même temps. Dans sa marche progressive, la lésion de l’irritabilité électro- musculaire subit un temps d’arrêt plus ou moins long. Ainsi, on la voit quelquefois siéger longtemps dans une région, dans les ex- tenseurs, par exemple; ou bien, et c’est le cas le plus ordinaire, après avoir attaqué les muscles de l’avant-bras, elle se porte sur les muscles de la jambe, et vice versa. Il ne faut pas non plus s’attendre à voir dans ces cas l’irritabi- lité électro-musculaire s’éteindre complètement (ce qui peut arriver cependant dans la dernière période de la maladie); le plus ordi- nairement l’irritabilité électrique n’est que diminuée, et dans quel- ques cas rares, il faut la plus grande attention pour constater, à un degré peu avancé de la maladie, l’affaiblissement de la contractilité électro-musculaire. Cette affection musculaire est apyrétique, elle laisse intactes les fonctions organiques et les facultés intellectuelles. Sa marche est lente ; en général, elle peut se prolonger pendant plusieurs années, comme on l’a vu dans les deux faits que j’ai rap- portés. Toutefois, elle a été tellement rapide dans un cas, que la mort est survenue à peu près vers le vingtième jour de la ma- ladie. Voici le résumé des principaux phénomènes qui signalèrent ce cas singulier ; je les ai trouvés consignés dans une de mes notes. Observation XXXVIII. — Résumé d’une paralysie générale spinale. Mort le vingtième jour de la maladie. En 1853, une jeune femme, d’une assez bonne constitution, avait éprouvé tout à coup dans les membres inférieurs des fourmillements, un engourdis- sement et un affaiblissement qui ne lui permettaient pas de rester longtemps debout. Cet affaiblissement avait augmenté progrès ivement au point que le deuxième jour elle avait dû garder le lit. Le troisième jour elle se fit transporter à la Charité où on la coucha au n“ 24 de la salle Sainte-Marthe, service de M. Briquet. Je ne la vis que le troisième jour de son entrée à l’hôpital, et alors je constatai que les mouvements du pied sur la jambe et d'extension de celle-ci sur la cuisse étaient complètement perdus. La ma- lade pouvait encore fléchir, mais faiblement, la jambe sur la cuisse et celle-ci sur le bassin. Sa sensibilité cutanée était considérablement dimi- nuée aux pieds et aux jambes. D'une bonne santé habituelle et d’une assez bonne constitution, elle avait éprouvé depuis assez longtemps des cha- grins domestiques, et quelques jours avant de tomber malade, elle avait eu ii supporter, disait-elle, une scène très violente qui lui avait cassé les jambes. Elle était impressionnable et bien qu’elle n'eût jamais eu d’accès hystériques, M, Briquet pensait que sa paralysie pouvait bien dépendre d'un état hystérique. L’exploration électro-musculaire devait jeter un grand jour sur cette espèce de paralysie, car je constatai immédiatement que les muscles moteurs des orteils et du pied sur la jambe réagissaient faiblement sous l’influence de la faradisation la plus énergique. Ce signe ne permettait pas d’admettre ici une paralysie hystérique dans laquelle l’irritabilité est toujours normale ; il me faisait entrevoir, comme point de départ de la ma- ladie, une lésion grave, dynamique ou organique d’un point du centre ner- veux spinal et je portai un pronostic grave. Quelques jours après la para- lysie gagnait les membres supérieurs après s’y être annoncée par des four- millements dans les doigts. La contractililé électro-musculaire que j’y avais trouvée intacte y diminuait notablement. Alors je diagnostiquai une para- lysie générale spinale à marche aiguë et je dis que je redoutais pour celte maladie une terminaison mortelle. La paralysie s’aggrava, en effet, en se généralisant, et je vis à plusieurs reprises et à plusieurs jours d'intervalle la contractililé électro-musculaire diminuer progressivement, suivant de près la paralysie des mouvements volontaires, puis s’éteindre presque com- plètement. La vessie et le rectum se paralysèrent, les mouvements respira- toires furent atteints à leur tour et la malade s'éteignit le dix-neuvième ou le vingtième jour de son entrée à la Charité. — A l’autopsie, on ne trouva aucune lésion anatomique appréciable dans les centres nerveux. PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE. ~DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL. Le pronostic de la paralysie générale spinale est grave, cepen- dant je l’ai vu deux fois arrêté dans sa marche et guérir. B. — Diagnostic différentiel. a. Paralysie générale des aliénés. — Le diagnostic différentiel de la paralysie générale sans aliénation et de la paralysie générale des aliénés, a été soulevé il y a quelques années par M. Brierre de Boismont et moi. La raison qui m’engage, je dirai plus, qui m’oblige à revenir sur cette question, c’est l’opportunité. Dans ces derniers temps, en effet, la Société médico-psychologique a mis à son ordre du jour le dia- gnostic, la nature et le siège de la paralysie générale des aliénés. Les hommes dont la parole est la plus autorisée par le talent et par une longue expérience se sont efforcés, tour à tour, d’élucider cette question de pathologie si complexe et si controversée. Celui qui n’a pas le moins brillé, dans cette grande discussion, est un jeune con- frère, auteur d’une thèse remarquable sur la folie paralytique, M. Falret fils; il a résumé l’état de la science sur ce point avec une 268 PAHALYSIES SPINALES. grande concision, et il a discuté avec talent le diagnostic différen- tiel delà paralysie générale (l). Cependant ce qu’il en a dit m’a fait sentir la nécessité de formuler nettement mon opinion, parce que l’expérience et la réflexion m’ont obligé de modifier celle qu’en 1852 nous avons défendue, M. Brierre de Boismont et moi, en présence de la Société de médecine de Paris. Je dois à ma con- science d’avouer une erreur que j’avais déjà reconnue d’ailleurs en 1855, dans la précédente édition de mon Traité d électrisation lo- calisée. Pour que l’on ne m’accuse pas de versatilité ou de légèreté, j’ex- poserai ici préalablement et succinctement l’historique des recher- ches que j’ai faites en commun avecM. Brierre de Boismont. Déjà, en 18â7, époque à laquelle j’explorais, depuis un certain temps, par la faradisation localisée, l’état des muscles dans les différentes affections musculaires, je recueillais des laits de para- lysie générale spinale. A cette époque, je proposai à mon ami, M. Brierre de Boismont, qui avait été témoin de ces éludes, et dont j’estimais les excellents travaux sur la pathologie mentale, de se joindre à moi pour rechercher comparativement quel était l’état de la conlractilité électro-musculaire, dans la paralysie générale dos aliénés et dans la paralysie générale spinale. Le concours de son expérience et de son autorité m’était absolument nécessaire pour un travail de cette importance. Les faits que nous observâmes en- semble, dans les hôpitaux, nous parurent bientôt assez nombreux pour espérer que l’on pouvait tirer de l’état de la contractililé électro- musculaire un signe diagnostique différentiel entre la paralysie générale des aliénés et la paralysie générale spinale ; dans la pre- mière, la conlractilité électro-musculaire était intacte ; dans la seconde, elle était affaiblie ou abolie. Frappés de ces signes distinctifs et obéissant à une tendance na- turelle à l’esprit humain, nous nous sommés bâtés peut-être un peu trop de généraliser ces faits, en concluant de ces derniers que les si- gnes diagnostiques, tirés de l’état de la conlractilité électro-muscu- laire, devaient servir à distinguer la paralysie générale des aliénés de la paralysie générale sans aliénation; toutefois nous eûmes la pru- dence d’enfermer notre proposition dans un paquet cacheté que nous avons adressé en 18â7 à l’Académie de médecine. Nous sentions qu’une proposition d’une telle portée devait longtemps germer, et ne voir le jour qu’après avoir subi l’épreuve du temps, et surtout en (1) La note lue à la Société médico-psychologique par M. Falret a été publiée dans les Archives générales de médecine, en août 1858. s'étayant d’un grand nombre do faits. Mais, hélas! ces faits étaient observés dans les hôpitaux, et faisaient déjà quelque bruit. L’un d’eux, recueilli à l’Hôtel-Dieu dans le service de M. Rostan, fait prov isoirement par M. Vigla, fut même le sujet de conférences cli- niques, et publié dans un journal de médecine. Nos idées s’ébruitè- rent à ce point que mou honorable collaborateur, M. Rrierre de Boismont, fut obligé d’exposer la substance de notre travail dans les Annales médico-psychologiques. Malheureusement les faits qu’il a rapportés étaient insuffisants par leur nombre et par eux-mémes. Il se crut même fondé à formuler la proposition suivante : « En définitive, on peut donc considérer comme un fait établi dans la science, qu’il existe deux grandes divisions de la paralysie géné- rale, dont l’uue, celle des paralytiques aliénés, conserve à tous les degrés l’irritabilité; tandis que l’autre, celle des paralysies sans aliénation (la paralysie générale spinale), voit ces deux propriétés s'altérer, s’affaiblir, se perdre à mesure que le désordre fonctionnel fait des progrès (1). » Une telle proposition ne pouvait manquer d’attirer un orage sur nos têtes; aussi fûmes-nous bientôt attaqués de toute part. Nous eûmes alors à nous défendre dans la Société de médecine de la Seine, devant laquelle celte importante question fut portée par notre regrettable et savant confrère Sandras. La discus- sion qu’elle souleva, et à laquelle prirent part MM. Brierre de Bois- mont, Baillarger, Bouvier, Delasiauve, Duchenne (de Boulogne), Requin etSandras, eut quelque retentissement. Je n’ai pas eu de peine à faire triompher la vérité des faits qui avaient donné naissance à la proposition formulée par M. Brierre de Boismont dans les Annales médico-psychologiques ; cependant il en est resté pour moi cette con- viction, à savoir: que cette proposition, que j’avais été entraîné à défendre devant notre Société, était née prématurément; que si elle avait été suffisamment mûrie par l’observation et la réflexion, elle serait sortie de notre paquet cacheté moins absolue et surtout moins générale. Aussi, loin de la faire revivre, l’ai-je au contraire déjà modifiée, comme on le verra bientôt. PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE. — DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL. Les considérations précédentes expliquent l’espèce d’avortement du travail que M. de Boismont et moi devions publier à l’appui de la proposition formulée dans notre paquet cacheté. Mais nous ne pouvons plus soutenir aujourd’hui, comme en 1652, que « le signe diagnostique différentiel tiré de l’état de l’irritabilité électro-musculaire peut servir à distinguer la paralysie générale, dans laquelle les facultés intellectuelles sont lésées, de foutes celles dans lesquelles elles sont conservées. » (i) Anna'e nrdic i-psychologiquc, 1850, p. 607. 270 Éclairé par l’observation en 1855, je faisais déjà une déclaration analogue, et en cela je me trouvai en parfait accord avec M. Brierre de Boismont. A l’appui de cette nouvelle opinion, j’ai rapporté un fait recueilli par moi avec le plus grand soin (1), et dans lequel le sujet était atteint, depuis plusieurs années, d’une paralysie géné- rale et d’un embarras de la parole, chez lequel la contractililé électro-musculaire était intacte, qui cependant était mort après avoir toujours joui de ses facultés intellectuelles, et qui n’avait présenté à l’autopsie aucune lésion apparente des centres nerveux. PAKALVS1ES SPINALES. Et puis, ne sait-on pas aujourd’hui qu’il est d’autres paralysies générales, étrangères à la paralysie générale des aliénés, dans les- quelles cependant l’irritabilité électro-musculaire est intacte? Ne l’ai-je pas démontré moi-même, en effet, pour la paralysie générale hystérique et pour la paralysie générale par le sulfure de carbone, dont j’ai signalé, le premier, l’existence (2)? Toutefois ces recherches n’ont pas été sans résultat, car il est au- jourd’hui bien démontré que nous avons eu raison de soutenir, con- (1) De l’électrisation localisée. Paris, 1855, in-8, observation 102. (2) En 1853, faisant allusion aux paralysies générales occasionnées par cer- tains gaz délétères, j’écrivais la note suivante ; « Il en est une surtout dont il n’a pas encore été fait mention dans la science, c’est la paralysie générale par le sul- fure de carbone qui entre dans la composition du caoutchouc vulcanisé. -T’ai vu plusieurs ouvriers, qui avaient travaillé à la fabrication de ce caoutchouc vulca- nisé, atteints de la plupart des symptômes physiques qui appartiennent à la para" lysie générale des aliénés. La seule différence qu’il y ait dans ces cas, c’est que les accidents produits par la fabrication du caoutchouc vulcanisé ne sont qu’ac- cidentels (durent quelques semaines), tandis que la paralysie générale des aliénés marche toujours fatalement, quoi qu’on fasse. J’en ai observé un cas récemment à la Charité (salle Saint-Félix, n° 12, service de M. Andral) chez un homme qui avait travaillé à la préparation du caoutchouc vulcanisé, dans la fabrique de Grenelle, dirigée par M. Gérard. Je ne veux pas faire ici l’histoire de cette para- lysie générale produite par le sulfure de carbone, qui sera, j’espère, prochaine- ment écrite par M. Andral ; mais je ne pouvais me dispenser de l’indiquer dan ce résumé de quelques affections musculaires générales. » (Des lésions anato- miques dans l’atrophie musculaire progressive ; Union médicale, 1853.) Si alors je n’ai pas écrit l’histoire de la paralysie générale par le sulfure de carbone, c’est que j’en étais empêché par un sentiment de convenance, car je possédais cinq faits analogues à celui de la Charité. J’espérais que M. Andral l’aurait écrite lui-même, et je l’y avais fortement engagé, mettant à sa disposi- tion mes observations et mes expériences électro-musculaires.Du reste, la science n’y a rien perdu, car tout le monde connaît le beau travail publié en 1856, sur cette même paralysie, par M. le docteur Delpech, sous le titre suivant : Mémoire sur les accidents que développe chez les ouvriers l’inhalation par le sulfure de carbone. Irai renient aux assertions de Sandras, la proposition suivante : Toute paralysie générale dans laquelle les muscles ne répondent plus ou ré- pondent mal à l’excitation électrique, ne peut être confondue avec la paralysie générale des aliénés. En effet, ce ne peut être alors qu’une paralysie générale spinale ou une paralysie générale saturnine, ou une atrophie musculaire progressive généralisée et arrivée à la période de destruction de tissu. (On verra par la suite que le dia- gnostic différentiel de ces affections diverses est facile à établir.) PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE.— DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL. J’ai recueilli plusieurs cas de paralysies consécutives à des fièvres graves; elles étaient généralisées d’abord et s’étaient ensuite localisées, tantôt dans les membres inférieurs, tantôt dans les mem- bres supérieurs. Ces paralysies sont caractérisées, comme les para- lysies spinales, par la diminution ou l’abolition de la contractilité électro-musculaire. Les muscles dans lesquels l’irritabilité est plus altérée s’atrophient rapidement. J’en ai observé entre autres un cas dans la pratique civile, avec MM. Chomel et Horteloup. La para- lysie, survenue consécutivement à une fièvre typhoïde grave, s’était localisée dans les membres inférieurs, qui étaient très atrophiés. La contractilité musculaire y était très affaiblie. Cette paralysie atro- phique, considérablement améliorée par la faradisation localisée, finit par guérir complètement à la longue. A mon passage à Toulon, en 1852, M. le professeur Roux me fit voir à l’hôpital de la marine, un matelot qui avait eu une paralysie gé- nérale, à la suite du typhus (on y avait observé plusieurs cas ana- logues). Les mouvements étaient revenus progressivement, excepté dans les muscles des membres inférieurs, dont quelques-uns étaient encore très atrophiés. Je constatai que la contractilité électrique était à peine appréciable dans les muscles paralysés. Je me contente de signaler ici ces faits en les rapprochant de la paralysie générale spinale. Je ne les ai pas encore étudiés suffisam- ment et en assez grand nombre pour en faire le sujet d’un travail. b. Paralysie générale ascendante des Allemands ; paralysie ascen- dante aiguë de M. Landry. — 1° Sous le nom de paralysie ascendante on avait désigné en Allemagne un ensemble de symptômes qui ap- partenaient à plusieurs espèces morbides, et dont quelques-uns s’observent dans l’affection musculaire quia été l’objet du présent article, et dans une autre maladie que j’ai appelée récemment ataxie locomotrice progressive. Cette dénomination de paralysie ascendante était synonyme du tabès dorsalis de Rornberg et de la consomption dorsale de Lallemand. Elle était tirée du mode de développement de cette affection musculaire qui attaquait primitivement les membres 272 inférieurs, gagnait ensuite les membres supérieurs et se généralisait. On a vu dans la description que j’ai exposée ci-dessus que c’est ainsi que procède presque toujours l'affection que j’ai appelée paralysie gé- nérale spinale. C’est également la marche d’autres affections muscu- laires, par exemple, de l’ataxie locomotrice, dont quelques sym- ptômes avaient été confondus avec la paralysie. M. Baillarger a d’autre part démontré que la paralysie générale des aliénés débutait quelquefois par les membres inférieurs avant d’atteindre les mem- bres supérieurs (j’en ai observé plusieurs cas). On conçoit, d’après cela, combien cette dénomination de paralysie ascendante est vi- cieuse, puisque plusieurs espèces morbides différentes pourraient la réclamer pour elles-mêmes, à bon droit. Aussi me suis-je bien gardé de la donner à l’affection musculaire que j’ai appelée para- lysie générale spinale. PARALYSIES SPINALES. 2° Sous la même dénomination de paralysie ascendante aiguë, M. Landry a décrit récemment une paralysie qui attaque aussi pri- mitivement les membres inférieurs, et se généralise ensuite en ga- gnant les membres supérieurs. Cette affection est apyrétique; sa marche est rapide; elle se termine en quelques jours par la mort ; son autopsie n’a révélé jusqu’il présent aucune lésion organique appréciable. Tout le monde remarquera sans doute la grande ressemblance qui existe déjà entre la paralysie ascendante aiguë de M. Landry et la paralysie générale spinale qui aussi peut se terminer en jours par la mort; j’en ai recueilli un cas en 1853, à l’hôpital de la Charité (obs. XXXVlll). Cependant ces deux affections se distin- guent entre elles par un signe tiré de l’état de la contractilité électro- musculaire : dans ma paralysie générale spinale cette propriété musculaire est diminuée ou abolie; M. Landry dit qu’elle est au contraire normale dans sa paralysie ascendante aiguë qu’il a ob- servée. Bien que je n’aie pas encore rencontré celte dernière affection sans affaiblissement ou perte de la contractilité électro-musculaire, les faits rapportés par 31. Landry paraissent minutieusement obser- vés; l’exploration électro-musculaire a été faite avec soin et sous les yeux de M. Gubler. Je les crois donc parfaitement exacts. 11 est seu- lement à regretter que M. Landry ait donné à celte affection une dénomination déjà ancienne et qui a été tirée d’un caractère com- mun à plusieurs affections musculaires. J’aurais encore à discuter le diagnostic différentiel de la paralysie saturnine généralisée, de l’atrophie musculaire généralisée et de l’ataxie locomotrice progressive d’avec la paralysie générale spinale. Je me réserve d’exposer cette élude dans les chapitres où je traiterai de ces différentes affections musculaires. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 273 G. — Siège de la lésion nerveuse On a vu que dans l’affection musculaire qui a fait le sujet de cet article, les troubles observés dans l’état des propriétés musculaires (dans les mouvements volontaires, la contractilité électro-muscu- laire, et la nutrition musculaire) sont absolument identiques avec ceux qui sont produits par l’altération organique de la moelle, de cause traumatique ou par hémorrhagie. Aussi, bien qu’à l’autopsie on n’ait pas toujours trouvé une lé- sion anatomique appréciable de la moelle ni de ses racines (on se rappelle que dans un seul des fcas que j’ai recueillis, la moelle était ramollie dans sa moitié antérieure), il m’a paru cependant ra- tionnel de placer dans ce centre nerveux la lésion morbide, maté- rielle ou non, qui occasionne tous ces troubles musculaires. C’est dans cette pensée que j’ai appelé cette espèce morbide : para- lysie générale spinale, la différenciant ainsi de la paralysie générale desaliénés, qui est une paralysie cérébrale. ARTICLE III. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. A. Les lésions traumatiques de la moelle peuvent guérir ou être améliorées par la faradisation localisée, comme les lésions trauma- tiques des nerfs. Ne sait-on pas, en effet, que MM. Flourens, Ollivier (d’Angers) et Jobert ont vu les sections transversales de la moelle se cicatriser? En 1851, M. Brown-Séquard a coupé transversalement la moelle épi- nière sur un pigeon, à la hauteur de la cinquième et de la sixième vertèbre dorsale. 11 va sans dire qu’après l’opération, il n’y a plus eu la moindre trace de sensibilité et de mouvement dans le train postérieur; mais vers le troisième mois, on commença à apercevoir l’existence de mouvements volontaires combinés avecles mouvements réflexes; la sensibilité semblait aussi reparaître. A partir de ce moment, il y eut un retour progressif des mouvements et de la sen- sibilité ; et quinze mois après l’opération, l’animal courait; seule- ment il avait quelque chose de roide dans la démarche. Cette ex- périence, répétée sur plusieurs animaux, donna des résultats iden- tiques. Ces animaux ayant été sacrifiés, M. Brown-Séquard constata DÜCHENNE. avec M. Folüu, que tes cicatrices des plaies anciennes de la moelle épinière renfermaient des fibres nerveuses ayant tout à fait l’aspect normal, et se continuant avec les fibres les parties intactes de la moelle. On trouve la relation détaillée de ces expériences dans un des comptes rendus des séances de la Société de biologie, du mois de juin 1851. PARALYSIES SPINALES, Cette expérience rend parfaitement raison de quelques guérisons de paraplégies consécutives à des lésions traumatiques et spontanées de la moelle, que j’ai obtenues par la faradisation localisée. Je sup- prime, à regret, la relation d’un de ces faits, exposé dans la pré- cédente édition. B. Personne ne songera certes à préconiser la faradisation loca- lisée dans un cas de paraplégie entretenue uniquement par la com- pression de la partie inférieure de la moelle. Mais il peut arriver que l’affection, cause de la compression, vienne à diminuer ou à disparaître, et que cependant la paralysie continue ou ne guérisse pas complètement. Alors la paralysie est périphérique ; ce muscle, longtemps privé de l’excitant nerveux central, a perdu, en tout ou en partie, son aptitude à réagir sous l’influence de la force nerveuse centrale (son excitabilité nerveuse). C’est dans ce moment que la faradisation localisée peut rétablir le mouvement. Les faits électro- thérapeutiques de ce genre ne sont pas rares. Il est vrai qu’il est difficile de bien juger de l’opportunité du moment où il convient de faire intervenir la faradisation localisée, dans cette espèce de paraplégie. Comment, en effet, reconnaître si la compression a diminué ou n’existe plus ; si la paralysie n’a pas été modifiée par le traitement interne, appropriée à l’affec- tion qui a produit cette compression? La faradisation ne peut donc être appliquée dors qu’à titre d’essai et, pour ainsi dire, comme pierre de touche. C’est en tâtonnant que j’interviens habituellement dans cette espèce de paraplégie. Lorsque je n’obtiens pas un résul- tat complet, et même lorsque j’échoue dans une première cure, je conseille de faire plus tard une nouvelle tentative, après avoir con- tinué le traitement approprié à la guérison de la lésion centrale. Et il m’est quelquefois arrivé en procédant de la sorte de trouver le moment opportun, et de guérir ou d’améliorer ces paraplégies qui, par leur durée, font trop souvent le désespoir des malades. On peut rationnellement supposer que la moelle, trop longtemps comprimée ou gênée dans son action, a perdu plus ou moins son excitabilité. C’est dans ce cas que la strychnine a souvent rétabli les mouvements. Ne pourrait-on pas, au même titre et peut-être avec plus d’efficacité, appliquer la méthode de faradisation ou de galva- irisation à l’aide de laquelle on réagit sur le centre nerveux spinal : la faradisation ou la galvanisation par action réflexe, ou les cou- rants continus, dirigés dans la continuité des nerfs? (Ces méthodes ont été exposées dans le chapitre III.) Bien que j’aiejexpérimenté jus- qu’à présent sans succès ces deux méthodes, dans la paraplégie par compression de la moelle, je les conseille et je continuerai de les expérimenter après avoir échoué par la faradisation localisée dans les muscles paralysés. PARALYSIE ATROPHIQUE GRAISSEUSE DE LENFANCE. 275 CHAPITRE VIT. PARALYSIE ATROPHIQUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. ARTICLE PREMIER. ÉLECTRO-PATHOLOGIE. Il n’est sans doute personne qui, en lisant le titre de cet article, ne se demande ce que c’est que la paralysie atrophique graisseuse de l'enfance. Nulle part, en effet, ni dans les monographies, ni dans les traités des maladies de l’enfance, on ne trouve cette dénomina- tion. Les faits que j’exposerai bientôt démontreront, je l’espère, que cette dernière est exacte, sans préjuger l’état des centres ner- veux, qui n’ont pas encore été suffisamment examinés, et qu’elle établit une distinction bien tranchée avec d’autres affections muscu- laires de l’enfance. Si je me propose de lui donner une dénomination nouArelle, ce n’est pas à dire pour cela que la maladie dont il est question n’ait pas encore trouvé sa place dans le cadre nosologique. Bien au contraire, elle a donné naissance à de beaux et nombreux travaux. Michel Underwood, célèbre médecin de Londres, paraît être le premier auteur qui en ait fait mention dans son Traité des maladies des en- fants, publié en 178A (1). Mais ce n’est que de 1822 à 1851 que des monographies importantes ont été publiées sur cette question, entre autres par les docteurs Heine en 18A0, et Rilliet en 1851 (2). Je n’ai (1) Treatise on the diseuses of children. London, 1784. (2) Voici, dans leur ordre chronologique, les noms des auteurs qui, après Undcrwood, ont écrit sur cette maladie de l’enfance. Shaw. Nature and trealment of the distorsions to whick Ihe spine and the bones of the chesl are subject, 1822. Badham. The London médical and surgicat Journal, 1835 (Gaz. de médecine pas l’intention d’exposer l’historique de la maladie qui fait le sujet de ce chapitre; mais, tout en reconnaissant que M. Heine a parfai- tement étudié les périodes paralytique et alrophique, surtout au point de vue des difformités qu’on voit se développer à leur suite, et que MM. Rilliet et Barthez en ont exposé la meilleure description, je ne puis me dispenser de dire que si l’on s’en tenait aux recher- ches de ces auteurs, le diagnostic et le pronostic de cette maladie de l’enfance resteraient dans une grande obscurité. PARALYSIE ATROPHIQUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE, Ainsi, d’après M. Rilliet, qui a donné à cette maladie le nom de paralysie essentielle de l’enfance, tantôt elle guérit rapidement, tan- tôt elle dure longtemps, et laisse après elle des infirmités incurables, sans qu’il soit possible d’en prévoir la gravité pendant la période d’acuité. Puis admettons que par hasard on ait reconnu que la ma- ladie durera plus ou moins, comment reconnaîtra-t-on que certains muscles passeront inévitablement par l’atrophie, pour arriver en- suite à une destruction complète? C’est ce que ces auteurs n’ont pu résoudre. Si, ensuite, on n’est appelé qu’à une période avancée de la maladie, comment la distinguera-t-on d’une autre paralysie de l’enfance qui, lorsqu’elle dure longtemps, se présente sous la même apparence, bien qu’elle laisse les muscles intacts? Comment saura- t-on que, parmi les muscles atrophiés, il en est dont les fibres ont entièrement disparu, tandis que d’autres conservent encore assez de fibres intactes pour former, pour ainsi dire, le noyau, les élé- ments de faisceaux musculaires qui se développeront sous l’in- fluence de certaines médications, de la faradisation localisée, par exemple? Toutes ces questions n’ont pas même été abordées, et elles ne pouvaient l’être, sans l’aide de l’exploration électro-muscu- laire. J’ai la confiance de les avoir éclaircies par mes recherches. C’est du reste ce qui ressortira des faits et des considérations ex- posés dans cet article. de Paris, 1835, p. 325, et dans l’ouvrage de Heine, page 40). Heine. Beobachtungen ueber Lahmungszustande der untern Extremilaten und deren Behandlung, Stuttgard, 1840. Kennedy. Dublin médical Press, 29 septembre 1841. Wdt. Onsome forms of paralysis incident to infancy and childhood (the London médical Gazette, 1845, et dans son Traité des maladies des enfants, p. 135, 1848). Richard (de Nancy). Bulletin de thérapeutique, février 1849, p. 120. Kennedy. Dublin quarlerly Journal of medicine, février 1850, traduit dans les Archives de médecine de juillet 1850. Rilliet et Barthez. Traité clinique et pratique des maladies des enfants. Paris, 1853, t. H, p. 335. ÉLECTRO-PATHOLOGIE. — SYMPTOMES, MARCHE. 277 § I. — Symptômes, marche. Je vais me borner à résumer les principaux caractères de la ma- ladie, en tenant compte des phénomènes électro-musculaires que j’ai découverts et qui sont destinés, comme on le verra, à jeter un grand jour sur son diagnostic et sur son pronostic, et qui, par leur ressemblance avec ceux qu’on observe dans les paralysies spinales, portent à rapporter la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance à un état morbide quelconque de la moelle épinière. Les principaux phénomènes qui caractérisent la paralysie atro- phique graisseuse de l’enfance sont : la paralysie, l’atrophie, et dans quelques muscles une lésion plus profonde de la nutrition musculaire, la substitution graisseuse. La paralysie générale ou partielle se montre dès le début ; elle est accompagnée ou non de quelques jours de fièvre, et quelquefois elle est consécutive à une fièvre continue ou intermittente; elle peut être compliquée d’accidents cérébraux (convulsions, éclampsie, contractures, etc.). Les muscles paralysés perdent, à des degrés variables, leur contractilité et leur sensibilité électriques. Cette paralysie des mouvements volontaires per- siste d’autant plus dans ces muscles, que ces propriétés musculaires sont plus profondément lésées. Ainsi, il est des muscles qui ne restent paralysés que très peu de temps, de quelques heures à quelques jours, et dans lesquels on a constaté que la contractilité électrique est à peu près normale. La période d’atrophie commence généralement plus tôt que ne l’ont cru MM. Heine et Rilliet. Les muscles sont atteints d’autant plus profondément dans leur nutrition, que leur contrac- tilité et leur sensibilité électro-musculaires sont plus diminuées. Ces deux dernières propriétés (la contractilité et la sensibilité électro- musculaires) reviennent progressivement dans les muscles atrophiés, parallèlement avec la contractilité volontaire. Je ne saurais dire au juste combien de temps dure la période paralytique; mais chez la plupart des malades qui m’étaient présentés dans la période d’atrophie, j’ai vu, un an après le début de la maladie, des mus- cles ou des portions de muscles, même ceux qui étaient arrivés aux dernières limites de l’atrophie, se contracter normalement par l’excitation électrique, et souvent aussi par la volonté. Mais quelques muscles avaient disparu complètement ; on ne les retrouvait plus par l’exploration électrique; je me crois fondé à dire qu’ils étaient devenus graisseux, comme j’essayerai de le démontrer par la suite. Les membres dans lesquels on a constaté, au début, l’altération de la contractilité et de la sensibilité électriques, subissent plus ou moins, à la longue et en masse, un arrêt de développement, et leur 278 PARALYSIE ATROPÜIQÜE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. température est moins élevée : les os sont moins développés, ainsi que les artères et les veines. Enfin, les muscles s’atrophient d’une manière inégale; l’équilibre musculaire est rompu; puis les mem- bres et certaines parties du tronc sont entraînés dans des directions anormales ; de là des pieds bots, des attitudes vicieuses des épaules, du tronc, du bassin, etc., etc. Tels sont, en résumé, les principaux phénomènes qui ressortent de l’ensemble des faits que j’ai observés en très grand nombre. J’en rapporterai seulement quelques exemples (1). Observation XXXIX. — Paralysie atrophique graisseuse des membres infé- rieurs, consécutive à une paralysie générale de l’enfance; — fièvre pendant trois jours, au début, avec état comateux, mais sans convulsions. Maurice Piquefeu, demeurant rue Yentadour, n° 5, âgé de neuf ans, d’une constitution délicate, quoique habituellement bien portant, a eu la coqueluche vers l’âge de quatre ou cinq mois et sans suites graves. Il n’était pas sujet à des accès de fièvre éphémère; il n’avait jamais été tour- menté par les vers ; sa dentition n’était pas difficile et n’occasionnait aucun accident fébrile. A fâge de treize mois, en février \ 846, il eut, sans cause connue, une fièvre très forte qui dura trois jours, sans aucune éruption à la peau, sans convulsion du globe oculaire, ni mouvements convulsifs dans les membres, et sans contractures, sans troubles fonctionnels respiratoires ou digestifs. Il était resté dans un état comateux pendant tout le cours de sa fièvre, de sorte qu’on ne s’aperçut qu’après trois jours qu’il avait perdu tous ses mouvements et qu’il ne pouvait même plus soutenir sa tète ni se tenir dans la station assise. On ne sut alors si c’était le résultat d’une fai- blesse générale ou une paralysie. Avant sa maladie, cet enfant marchait seul depuis six semaines, et un mois ou deux après que la fièvre avait dis- paru, alors qu’il avait dû reprendre des forces par une bonne alimentation, il ne pouvait non-seulement se tenir debout ni assis, mais il était incapable de remuer les membres supérieurs. Il était évidemment atteint d’une paralysie générale. Les mouvements ne revenant pas, des vésicaloires volants furent promenés sur le trajet de la colonne vertébrale, saupoudrés avec la stry- chnine, puis on fit des frictions avec une huile ammoniacale. Du reste, son état était assez satisfaisant, et il avait commencé à manger après ses trois jours de fièvre. Après cinq ou six mois de ce traitement, les membres supé- rieurs commencèrent à se mouvoir ; sa tête se soutenait bien, et le petit (1) Depuis plusieurs années (huit à dix ans) mes confrères, connaissant les recherches électro-pathologiques auxquelles je me livre sur ces paralysies de l’enfance, m’en adressent en grand nombre, choisies principalement dans les services des hôpitaux. Il en résulte que les déductions générales que j'ai à exposer sont tirées de plus d’une centaine de faits. ÉLECTRO-PATHOLOGIE. — SYMPTOMES, MARCHE. 279 malade pouvait se tenir assis.—En 1847, d’après l'ordonnance de M. Trous- seau, la strychnine fut administrée, ce qui provoquait des secousses géné- rales. Après cinq ou six mois de cet usage de la strychnine à l’intérieur, les mouvements dans les membres supérieurs et dans le tronc étaient complè- tement revenus; mais la paralysie persistait dans les membres inférieurs. — Deux ou trois mois après le début de cette paralysie générale, la mère de cet enfant s’était aperçue d’un amaigrissement considérable des membres inférieurs, surtout du côté droit, tandis que les membres supérieurs conser- ■vaient leur volume normal ; cet amaigrissement augmentait progressive- ment. — Avant la maladie, les pieds n’étaient pas déformés ; ils n’étaient ni plus en dehors, ni plus en dedans qu’à l’état normal ; mais un an après le début de la paralysie, on vit le pied droit se renverser en dehors et le gauche en dedans, et en même temps ses pieds se raccourcissaient, d’après le dire de la mère, c’est-à-dire que le dos du pied se voûtait pendant que sa plante se creusait. Cette difformité s’accrut pendant une année, sans qu’on songeât à s’y opposer. Ce ne fut qu’en 1850 (quatre ans après le début de la maladie], qu’un appareil orthopédique fut appliqué, dans le but d’em- pêcher la voussure du pied. Il fut gardé pendant sept mois, mais il ne parut agir un peu que sur le pied gauche. — Cette amélioration locale ne mo- difia nullement l’état de la paralysie des membres inférieurs; cependant, sous l’influence des moyens généraux employés sans interruption (les bains salés, aromatiques, de Baréges, les frictions avec des huiles ou des pom- mades excitantes), la cuisse gauche avait pris un peu de développementet l’en- fant pouvait la fléchir un peu sur le bassin. L’intelligence est restée intacte ; après la disparition de la fièvre, ce petit malade a repris sa gaieté habituelle. C'est dans cet état qu’il me fut adressé en novembre 1852,; alors je constatai les phénomènes suivants: La caisse gauche est notablement plus forte que la droite; les jambes sont également grêles. A gauche, talus Fig. 40, Fig. 41. «roux direct (fig. 41). Des deux côtés lu pointe du pied reste constam- PARALYSIE ATKOPHIQÜE (GRAISSEUSE DE L’ENFANCE, ment relevée (talus) ; voussure considérable du pied droit, les premières phalanges étant renversées sur les métacarpiens et les deux dernières flé- chies. A gauche, môme disposition des orteils à un degré moindre. De chaque côté, impossibilité d’étendre la jambe sur la cuisse et de fléchir celle- ci sur le bassin ; toutefois ce dernier mouvement semble se faire un peu à gauche. A l’exploration électro-musculaire, tous les muscles de la cuisse se contractent à gauche. A droite, je ne puis faire contracter, et cela faiblement, que les fléchisseurs de la jambe sur la cuisse et les adducteurs. Tous les muscles de la jambe, qui sont très atrophiés, se contractent électriquement, à l’exception des gastrocnémiens, du jambier antérieur et postérieur à droite, et des péro- niers à gauche. En résumé, on voit dans l’histoire que je viens de relater la sé- rie de phénomènes qui caractérisent la paralysie atrophique grais- seuse de l’enfance à ses différentes périodes et la marche qu’elle a suivie. Dès le début en effet de la maladie, cet enfant ne fait pas de mouvements : on l’attribue à la fièvre intense et à l’état comateux qui l’accompagne ; ce n’est que lorsque la fièvre est tombée, que l’on s’aperçoit qu’il est atteint d’une paralysie générale. On ignore à quel moment de la maladie cette paralysie générale est survenue, parce qu’on ne la soupçonnait pas ; on n’a pas cherché à s’en as- surer.— Vers le sixième mois de la maladie, les mouvements com- mencent à reparaître dans les muscles des membres supérieurs, du cou et du tronc; ils ne sont complètement revenus qu’après cinq mois d’un traitement par la strychnine; mais l’absence de mouvements persiste dans un grand nombre des muscles des membres inférieurs. Malgré leur état de paralysie prolongée, les membres supérieurs ne sont pas atrophiés ; tous les muscles s’y sont conservés intacts, elles os de ces membres supérieurs n’ont point éprouvé, comme les membres inférieurs, d’arrêt dans leur développement. Ce fait prouve qu’il faut plus que l’absence des mouvements pour porter un grand trouble dans la nutrition ; qu’il faut, pour le produire, une lésion nerveuse profonde dont les effets se sont manifestés aux membres inférieurs. J’y ai vu, en effet, par l’exploration électrique, des muscles possédant encore tous leurs faisceaux, quoique très atrophiés, d’autres n’ayant plus qu’un très petit nombre de fibres, d’autres enfin ne donnant plus signe de vie ; à la jambe, certains muscles (ceux qui sont moins atrophiés) ont entraîné le pied et les orteils dans leur direction et occasionné une déformation considé- rable du pied et des orteils (1). (I) Voici la genèse de ces deux pieds bols : le triceps sural étant entièrement ÉLECTRO-PATHOLOGIE. — SYMPTOMES, MARCHE. 281 Enfin la lésion de nutrition s’est évidemment fait sentir dans les os de la jambe et du pied, où l’innervation était plus profondément atteinte. Ces phénomènes morbides qui se sont développés successivement chez cet entant (paralysie, atrophie et substitution graisseuse de certains muscles, puis déformation des membres dans certaines régions, parce que l’atrophie avait frappé les muscles d’une manière inégale, ou plutôt parce que les mouvements sont revenus dans les muscles qui étaient moins atrophiés) ; ces phénomènes, dis-je, se sont manifestés de la même manière dans les autres paralysies atro- phiques graisseuses de l’enfance que j’ai observées. On conçoit que les troubles locaux et les difformités doivent varier selon les ré- gions où la maladie'a établi son siège. Voici la relation d’une paralysie atrophique graisseuse de l’en- fance, qui, après avoir été presque générale au début, se fixe dans le membre supérieur gauche et dans le membre inférieur droit. Dans le premier, elle a détruit le deltoïde et les muscles de la ré- gion sous-épineuse, et atrophié les muscles du bras; dans le se- cond, les péroniers ne donnent plus de signes d’existence. Observation XL. — Pauline Dubois, quatre ans et demi, demeurant rue de l’École-de-Médecine, n° 6, d’une bonne constitution, dont la dentition détruit de chaque côté (ils sont certainement gras comme dans la figure 45, qui représente la préparation anatomique d’un pied bot analogue, mais à un degré moins avancé), les muscles antagonistes, le jambier antérieur, le long extenseur des orteils, l’extenseur du gros orteil, à droite, et les mêmes muscles, à l’exception du jambier antérieur, à gauche, ont entraîné progressivement le pied dans une flexion continue sur la jambe. 11 en est résulté un talus qui a augmenté progres- sivement avec le raccourcissement graduel des fléchisseurs du pied sur la jambe. Pendant que cette déformation du pied se produisait, les muscles fléchisseurs de l’avant-pied sur l’arrière-pied réagissaient en sens contraire. Ainsi, à gauche, le long péronier latéral et le long fléchisseur des orteils infléchissaient l’avant-pied sur l’arrière-pied, et formaient un talus pied creux direct, c’est-à-dire que la face plantaire de l’avant-pied regarde en bas (voy. la fig. 41). A gauche, les fléchis- seurs des orteils agissant seuls, les quatre derniers métatarsiens se courbés sur l’arrière-pied, pendant que le premier métatarsien est resté élevé par le fait de l’absence d’action du long péronier latéral. 11 en est résulté un talus pied creux varus de l’avant-pied, c’est-à-dire que la face plantaire de celle-ci regarde en dedans (voy. la fig. 42). Puis, comme dans tout talus, la malléole devient toujours saillante, ou, en d’autres termes, le pied tourne en dehors par une raison mécanique qu’il serait trop long d’expliquer ici; il s’est formé pro- gressivement aux deux pieds un valgus de l’arrière-pied. En somme, nous avons deux talus valgus dont la face inférieure de l’avant-pied regarde en dedans du côté gauche, et directement en bas du côté droit. a été heureuse et s’est terminée à l’âge de deux ans, a eu vers l’âge de trois ans, la rougeole, sans accidents consécutifs. Trois mois après celte fièvre éruptive (en avril 4 853), on s’aperçut qu’elle ne pouvait pas lever le bras gauche, ni se servir de la main de ce côté ; elle faisait seulement quelques mouvements de flexion et d’extension des doigts, et le poignet tombait sans qu’elle pût le relever. Sa mère affirme que la veille elle se servait bien de ce membre. On n’a pas songé à examiner l’état des membres inférieurs. Le soir du jour où l’on découvrit cette paralysie, l’enfant tomba dans des convul- sions qui durèrent huit jours, et le médecin constata que le membre infé- rieur du côté opposé (côté droit) était également paralysé. On vil aussi que les muscles du tronc et du cou étaient paralysés; car, pendant deux mois, l’enfant ne pouvait rester assise ni soutenir sa tête, et quand elle était couchée, elle ne pouvait faire aucun mouvement. La motilité revient progres- sivement dans les muscles du tronc et du cou, plus lentement dans ces der- niers, puis dans les muscles de l’avant-bras, dans les muscles qui meuvent la cuisse et la jambe; mais les péroniers restèrent paralysés. — En juillet 4 854, cette petite fille m’est adressée par M. Bouvier. Voici les principaux phénomènes que je constate alors. Le membre supérieur gauche est beau- coup moins développé que du côté opposé ; le relief du deltoïde gauche n’existe pas ; on voit, au contraire, dans le point qu’il occupe, un amaigris- sement considérable et une saillie de la tête de l’humérus (qui fait relief sous la peau, et paraît assez éloignée de la cavité glénoïde (elle semble n’ôtre maintenue en rapport avec elle que par la capsule articulaire, voy. fig. 42). Par le toucher, on ne sent pas les muscles de la fosse sous-épineuse, on a de la peine à retrouver à travers la peau les fléchisseurs de l’avant-bras, ainsi que le triceps brachial. Le pied droit est tourné en dedans (équin varus) ; les mouvements des péroniers et du long extenseur des orteils sont seuls perdus. Par l’exploration électrique, on ne retrouve plus les traces du deltoïde gauche ni des mus- cles de la fosse sous-épineuse, mais on sont quelques contractions dans les biceps et triceps brachiaux, bien qu’ils soient très atrophiés. A la jambe droite, les péroniers et le long exten- seur des orteils sont les seuls dont on ne puisse constater l’existence par l’exploration électrique. Enfin, les os ont subi un arrêt de nutrition dans les régions où l’atrophie musculaire a fait le plus de ravage. Ainsi, le scapulum est plus petit du côté gauche (de l’angle inférieur à l’extrémité del’acromion, PARALYSIE ATROPHIQUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. Fig. 42. on trouve une différence de 1 centimètre entre le côté gauche et le côté droit) ; l’humérus a très notablement diminué de volume, ainsi que le tibia et les os du pied. La température du bras gauche et de la jambe droite est diminuée. Après huit séances de faradisation localisée, la flexion et l’extension de l’avanl-bras sur le bras ont commencé à se faire. Ce traitement faradique, continué pendant une quarantaine de séances, a développé considérablement les fléchisseurs de l’avanl-bras sur le bras ; ce qui lui permettra de se servir de sa main dont les muscles sont sains. ÉLECTRO-PATHOLOGIE. — SYMPTOMES, MARCHE. Je vais exposer sommairement un autre cas plus grave encore que les précédents, en ce sens que la maladie a détruit tous les muscles des membres inférieurs, à l’exception de quelques faisceaux muscu- laires des fléchisseurs de la cuisse sur le bassin. Observation XLI. — Paralysie atrophique graisseuse de tous les muscles moteurs des membres inférieurs, à l’exception du tenseur aponévrotique gauche. — Trois heures de convulsions au début. Eugène Sivry, âgé de onze ans, rue de l’Arbre-Sec, impasse des Proven- çaux, n° 6. A l’âge de trois ans, sans cause connue, mouvements convulsifs généraux dans les membres et dans le tronc ; perte de connaissance pendant trois heures. Les parents ne se sont pas aperçus qu’il eût de la fièvre, car après ses convulsions, il recouvra sa gaieté et son appétit, mais il ne pou- vait remuer les membres inférieurs et se relever de son lit, ni se tenir assis. Il ne se plaignait pas de douleurs. Un mois après le début de la pa- ralysie, il peut se tenir assis ; se redresser quand il se penche en avant, mais les membres inférieurs sont restés paralysés, et de plus ils s’amai- grissent rapidement. Une médication assez active paraît cependant avoir été suivie dès le début ; vésicatoires promenés le long du rachis, strychnine, bains sulfureux, rien n’a pu améliorer l’état de ce malheureux enfant qui m’a été présenté en 1858 (huit ans après l’invasion de sa maladie). Yoici ce que j’ai constaté alors. La peau des membres inférieurs est littéralement collée aux os, comme on peut s’en faire une idée, en voyant les figures 43 et 44, dessinées d’après mes photographies. Parle pincement, je n’y recon- nais, dans aucun point, de tissu charnu. L’exploration électrique n’y pro- voque pas la moindre contraction, excepté au niveau du tenseur aponé vrotique droit. Cet enfant ne peut mouvoir ni les orteils, ni les pieds, ni les jambes. Il fléchit seulement très légèrement la cuisse gauche sur le bassin, lorsqu’on le couche sur le côté droit ; mais ce mouvement est tellement faible, qu'il ne saurait vaincre le poids du membre inférieur, comme lors- qu'étant assis il essaye d’élever la cuisse. Si l’on place cette cuisse dans la flexion sur le bassin, il ne peut l’étendre. Du côté opposé les mouvements de la cuisse sont nuls. Une bride formée par le tenseur aponévrotique du côté gauche s’oppose à l’extension complète de la cuisse, et lorsque l’on veut en vaincre la résistance, le bassin se renverse en arrière sur la colonne vertébrale, de manière à former une ensellure très prononcée. Si l’on veut le faire tenir debout, les trois segments du membre inférieur s’infléchissent PARALYSIE ATROPHIQÜE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. Fig. 43. les uns sur les autres, comme dans la figure 43, où on le voit forcé de se tenir au cou de sa mère pour ne pas s’affaisser. Cependant quelques mois après le début de sa paralysie, cet enfant s’est mis comme tous ceux que j’ai vus atteints par cette infirmité, à se transporter d’un lieu à un autre, à la ma- nière des culs-de-jatte, c’est-à-dire en se traînant sur son derrière à l'aide des membres supérieurs. Mais il a trouvé bientôt une manière plus com- mode et plus rapide de progresser sur ses’membres inférieurs ; s’arc-boutant, comme dans la figure 44, il saisit Iss pieds avec les mains et les porta l’un après l'autre en avant, en imitant ainsi le pas de la marche. Il acquit bienlô tant d’habileté dans cet exercice, qu’il se transportait, de cette façon, d’un lieu à un autre plus rapidement qu’en se traînant sur son derrière. Il put même aussi monter un escalier. Quand je le vis, il marchait de cette ma- nière depuis plus de six ans. Il en était résulté que les ligaments de l’arti- culation du coude, trop faibles pour supporter incessamment, à cet âge, le poids du corps, avaient été distendus dans le sens de la flexion, au point ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 285 que l’avant-bras faisait un angle rentrant avec le bras, dans le sens de 1 extension (voy. la fig. 44), quand il prenait pour marcher l’attitude que je viens de décrire. Fig. 44. Ainsi voilà une alfection qui a entièrement détruit à peu près tous les muscles des membres inférieurs, et dont l’invasion subite a été annoncée seulement par trois heures de convulsion. .le ne rapporterai pas ici les cas assez nombreux dans lesquels la paralysie atropbique graisseuse, plus localisée il est vrai, n’est pré- cédée ou accompagnée ni de fièvres, ni de convulsions, ni de dou- leurs, dans lesquels elle se décèle seulement par un trouble de la marche. § II. — Anatomie pathologique. A. — Muscles. Lobstein (1) cite plusieurs cas de paralysie de l’enfance dans les- quels on trouva un certain nombre de muscles de la jambe convertis en une masse graisseuse. (1) Traité d’anatomie pathologique, t. Il, §909, 286 PARALYSIE ATRUPHIQUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. M. Bouvier dit(1 ) ; « Dans les pieds bots anciens, tous ces mus- cles sont minces, pâles, atrophiés, et le plus souvent graisseux. » Ce même observateur en a rapporté un cas avec figure coloriée, repré- sentant les muscles graisseux, dans son travail couronné par l'In- stitut, et un second exemple dans une communication verbale faite à l’Académie de médecine (2). M. Broca a constaté également l’existence de certains muscles graisseux chez des enfants affectés de pied bot; il en a rapporté plusieurs exemples (3). M. Edward Meyron a publié en 1852 (ù) une observation de pa- ralysie de l’enfance qui a offert les symptômes caractéristiques de la paralysie atroplnque graisseuse, et dans laquelle un certain nombre de muscles examinés au microscope ont présenté tous les degrés d’altération de tissu par lesquels passe la fibre musculaire avant d’arriver à la métamorphose graisseuse. M. Meyron a fait représenter ces degrés d’altération dans quatre figures. Dans la pre- mière, on voit les stries transversales qui ont les caractères microsco- piques du muscle, à l’état sain ; dans la deuxième, les stries trans- versales commencent à disparaître et sont remplacées par des gra- nules; dans la troisième et la quatrième, les stries transversales ont disparu et sont remplacées par des granules et par des vésicules adipeuses. Observation XLII. — M. Bouvier m’a fourni récemment l’occasion d’examiner l’état de la fibre musculaire chez une jeune tille nommée Alplionsine Quaras, âgée de douze ans, et qui a succombé en novembre 1859 à une fièvre typhoïde, dans le service de M. Blache, à l'hôpital Necker. Elle était affectée d’une paralysie atrophique graisseuse de l’enfance, qui avait produit, du côté droit, un talus pied creux varus dans sa moitié antérieure. La masse charnue formée par les jumeaux et le soléaire, très atrophiée, était d’un blanc jaunâtre. Il était très difficile de reconnaître exactement où commençait le tissu musculaire dégénéré, où cessait le tissu adipeux qui l’entourait. Cependant, on trouvait dans les jumeaux quelques points qui n’étaient pas encore complètement convertis en graisse. Ils étaient d’un rouge plus ou moins jaunâtre. Ces différents points, examinés au micros- cope ainsi que les parties entièrement décolorées, ont offert tous les degrés de la métamorphose graisseuse, signalés dans les figures de M. Meyrand, (1) Dict. de médecine et de chirurgie pratiqués, t. XIII, p. 73. (2) Bulletin de l’Académie de médecine, Paris, 1838, t. III, p. 231. (3) Bulletins de la Société anatomique, 1849, p, 265; 1850, et p. 40,1851. (4) On granular and fatty degeneralion of Ike voluntar muscles (Médico-chi- rurgical Transactions, vol. XXXV, p. 72). DUCHÜ’Uîî électrisation localisée . p, 286, .Fig.46.'2’ F!5.46»' P.Uektrl auer de] et lith. Imp.Beccju.et. ■ 1 1 Etat anatomique des muscles dans la paralysie atropluque graisseuse de l’enfance . ( Voy.l'observationXLIl.p. 286.) 1 2 Etat anatomique des muscles dans l'atrophie musculaire éraisseuse progressive . i Voy. autopsie de Lecpmte.p. S06.J 1 a ) Atropine de la papille du nerf optique dans l’ataxie locomotrice progressive. ( \oy.l'observation CXXV p.568 et S69. ) Pc-ri s J. Bçre et ülc . ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 287 et que l’on retrouve exactement semblables dans l'atrophie musculaire graisseuse progressive (voir le chapitre XV).— J’ai assisté à quatre autopsies d'atrophie musculaire graisseuse progressive; je déclare qu’à l’œil nu l’al- tération de tissu musculaire est absolument la même que dans la paralysie atrophique graisseuse. Les figures 45 et 46 en donneront, je l’espère, une idée. (Ces deux figures sont lithographiées et coloriées.) La figure 45, des- sinée et coloriée d’après nature par M. Lackerbauer, représente la jambe disséquée de la jeune fille atteinte de paralysie atrophique graisseuse de l’enfance dont il vient d’être question. La figure 46, dessinée et coloriée par M. Lackerbauer d’après la peinture d’un artiste d’un grand talent, M. Gour- lier, représente le membre supérieur d’un nommé Lecomte, qui avait succombé à l’atrophie musculaire progressive (son histoire sera rapportée dans le chapitre XV). A l’exploration électro-musculaire, j’ai toujours trouvé une plus grande quantité de fibres saines dans les muscles contracturés ou rétractés. Quand on a suivi les diverses phases de la paralysie atro- pliique graisseuse de l’enfance, on ne comprendrait pas qu’il en fût autrement. Il ressort, en effet, des faits que j’ai observés et dont quelques-uns ont été relatés dans ce chapitre, qu’au début, tous les muscles du membre affecté sont paralysés; qu’à une période plus avancée de la maladie, certains muscles recouvrent leur contracta - lité après avoir été plus ou moins atrophiés, tandis que d’autres restent paralysés, et subissent très probablement la transformation graisseuse. Eli bien! j’ai démontré que ce sont les premiers muscles qui entraînent le membre dans leur direction, au moment où leur contractilité apparaît, et que leur raccourcissement continu déter- mine à la longue leur contracture ou leur rétraction, puis le rac- courcissement de certains ligaments, la déformation des membres et des surfaces articulaires, etc. En conséquence, c’est dans les antagonistes des muscles contracturés qu’on doit trouver les muscles graisseux. Cependant il est incontestable qu’on a quelquefois vu les muscles contracturés se transformer en tissu graisseux (1). Dans ces cas, ces muscles ont dû se contracturer primitivement, puis s’atrophier et se convertir à la longue en graisse. (I) Quant à l’altération fibreuse des muscles rétractés, son existence réelle ne paraît pas encore démontrée. « Une théorie ingénieuse et célèbre, dit Xf. Broca. a rattaché tous les pieds bots congénitaux à la rétraction convulsive, rétraction reconnaissable, à toutes les époques, par l’altération fibreuse des muscles rétractés. Or je viens de dire que cette altération fibreuse manque presque toujours, sinon toujours. » {Bulletins de la Société anatomique, 1851.) 288 PARALYSIE AÏROPHIQUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. B. — Centres nerveux. Quel peut être le point des centres nerveux dont la lésion dyna- mique ou anatomique occasionne ces troubles dans la contractilité et la nutrition musculaires? En raisonnant par analogie, j’ai été conduit à penser que le point de départ de ces paralysies graves de l’enfance pouvait résider dans le système nerveux spinal. En effet, dans presque toutes les lésions traumatiques de la moelle ou de ses enveloppes qu’il m’a été donné d’observer chez l’adulte, les désordres musculaires symptomatiques de la lésion médullaire sont exactement les mêmes que ceux qu’on observe dans les paralysies atrophiques graisseuses de l'enfance. Admettant un instant cette hypothèse d’une lésion anatomique ou dynamique de la moelle dans les paralysies de l’enfance, examinons- les parallèlement avec les paralysies traumatiques de la moelle ou des nerfs; alors nous voyons que, dans les unes et les autres, la paralysie marque le début de la maladie, puisque après un temps plus ou moins long, les muscles qui dépendent des points de la moelle les plus légèrement atteints par la maladie recouvrent leurs mouvements volontaires et leur nutrition, tandis que ceux qui re- çoivent leur influx nerveux des points plus profondément lésés s’atrophient ou deviennent graisseux. Il est difficile de ne pas re- connaître, dans des phénomènes aussi semblables, l’expression sym- ptomatique d’une lésion analogue de la moelle. Cette similitude entre les symptômes et la marche de la paralysie consécutive à la lésion traumatique de la moelle et ceux de la para- lysie graisseuse de l’enfance m’ont fait présumer de bonne heure que peut-être la contractilité électrique serait plus ou moins dimi- nuée dans les muscles atteints par cette dernière (la paralysie atro- phique graisseuse de l’enfance), ainsi qu’on l’observe dans la pre- mière (la paralysie spinale). Malheureusement je ne me suis pas trouvé dans des conditions favorables pour faire ces recherches, car il m’est rarement donné d’observer la paralysie atrophique grais- seuse de l’enfance, dans sa période d’acuité. Les malades ne me sont adressés, en général, qu’a une époque très éloignée du début (d’un mois à deux ou trois ans). Cependant j’ai eu l’occasion d’en observer quelques cas dans les premières semaines, c’est-à-dire à une époque où les muscles paralysés ont seulement diminué un peu de volume. Eh bien ! par l’exploration électro-musculaire, j’ai trouvé dans ces cas que, parmi ces muscles paralysés, les uns se contractaient plus ou moins, et que les autres ne se contractaient plus du tout. J’ai pu DIAGNOSTIC. 289 suivre ces faits pendant une année ou deux, et voici ce qui est arrivé. Les muscles dont la contractilité électrique était intacte ont recouvré plus rapidement leurs mouvements; tandis que la paralysie s’est dissipée chez les autres d’autant plus lentement, qu’ils se contrac- taient moins par l’excitation électrique; l’atrophie a atteint d’autant plus profondément les muscles, qu’ils répondaient moins à la fara- disation ; enfin ceux dont l’excitabilité n’était pas appréciable, m’ont paru jusqu’à présent menacés d’une entière destruction. § 111. — Diagnostic. A. — Dans la période d’acuité. Le diagnostic et le pronostic de cette affection de l’enfance sont difficiles à établir, à une époque voisine du début, si l’on s’en tient aux données fournies par la sémiologie ordinaire. Ce n’est pas que l’on ait à redouter une terminaison mortelle; je n’en connais pas un seul exemple. Mais combien de temps alors durera la paralysie? Après la guérison de cette paralysie, les muscles s’atro- phieront-ils seulement, ou deviendront-ils graisseux? Quels mus- cles sont ainsi menacés de destruction? On comprend l’impor- tance de toutes ces questions de diagnostic, au point de vue du pronostic, puisqu’une perte plus ou moins grande de mouve- ments, et presque toujours des difformités incurables, sont les con- séquences inévitables ou de l’atrophie ou de la transformation grais- seuse de certains muscles. Or, dans l’état actuel de la science, c’est ce qu’il est impossible de résoudre sans le concours de la faradi- sation localisée. 11 existe une espèce de paralysie de l’enfance décrite par un au- teur anglais, M. Kennedy, sous le nom de paralysie temporaire de l’enfance, que cet observateur attribue ou à l’impression du froid, ou à la compression du membre, et qu’il a vue aussi survenir après des convulsions ou à la suite d’une fièvre éruptive. Elle se déclare avec une fièvre de courte durée, quelquefois sans fièvre, et guérit ordinairement en quelques jours, ou en plusieurs semaines, mais sans laisser de traces. En rapprochant les faits publiés par M. Kennedy des paralysies atrophiques graisseuses de l’enfance que j’ai observées, je n’y trouve aucune différence quant aux symptômes généraux ; il n’en existe que dans les signes fournis par l’exploration électro-musculaire et, DÜCHENNK. PARALYSIE ATUOPHIQUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. plus tard, dans la manière dont l’affection s’est terminée. C’est ce que je vais démontrer par quelques exemples. I. Il est rationnel d’espérer qu’une paralysie qui survient dans un membre, sans fièvre, sans douleur, sans être précédée de con- vulsions, se terminera rapidement par la guérison. M. Kennedy en rapporte, en effet, un exemple. Observation XLIII. — C’était un enfant âgé de quatorze mois, dont le membre supérieur gauche était paralysé. Dans l’absence de toute cause ap- préciable de cette paralysie, la mère soupçonnait que la personne chargée de prendre soin de cet enfant lui avait donné quelques coups sur le bras. La guérison eut lieu en deux jours ; le traitement n’avait consisté qu’en quel- ques poudres altérantes et un bain. En regard de ce cas heureux, j’en vais placer un, aussi simple en apparence, et dont la terminaison a été des plus malheureuses. Observation XLIV. ■— M. H..., âgé de dix-huit ans, demeurant rue du Faubourg-Montmartre, est venu réclamer mes soins pour une paralysie atro- phique graisseuse qui date de son enfance. Voici en résumé son histoire. Il avait quinze mois, époque à laquelle il commençait à marcher, quand sa mère s’aperçut un matin qu’il éprouvait une grande faiblesse dans le mem- bre inférieur droit. Les mouvements du pied sur la jambe et ceux des or- teils paraissaient entièrement abolis. Cette paralysie ne fut précédée ni suivie de fièvre, de douleurs, etc., en un mot, d'aucune espèce de dérangement dans sa santé habituelle. On ne put rapporter cette paralysie ni au travail de la dentition, ni à aucune affection vermineuse ; l’enfant avait toujours joui d’une bonne santé. Enfin, sa mère, qui l’a élevé, est certaine qu’il n’a pas fait de chute, qu’il n’a reçu aucun coup. Malgré les soins les plus éclairés qui lui furent donnés immédiatement (M. Baron était le médecin ordinaire de la famille), la paralysie persista, la jambe s’atrophia, et il se forma un pied bot varus équin, pour lequel la section du tendon d’Achille fut pratiquée avec succès vers l’âge de six ans. (Cette opération dut être prati- quée plusieurs fois, le pied bot s’étant reproduit parce que l’appareil qui maintenait le pied n’avait pas été conservé.) Quand M. H... se présenta à ma consultation, je constatai que la jambe droite était très atrophiée, et que la cuisse droite même était beaucoup moins développée que celle du côté opposé; que le pied droit était plus petit que celui du côté gauche. A l’ex- ploration électro-musculaire, je ne retrouvai plus les péroniers, ni lejam- bier antérieur, ni l’extenseur du gros orteil ; les autres muscles répondaient à l’excitation électrique, mais ils se contractaient avec peu de force, en raison delà petite quantité de leurs fibres musculaires; et la contraction volontaire y était si faible, que M. H... était forcé de maintenir son pied à l’aide d’un appareil orthopédique. DIAGNOSTIC. 291 Ainsi, voilà deux affections musculaires qui se déclarent sans, fièvre, sans aucun trouble dans l’état général, chez deux enfants du même âge ; elles sont en apparence aussi légères l’une que l’autre ; et cependant l’une guérit en deux jours, tandis que l’autre porte un trouble profond dans la nutrition du membre, atrophiant un grand nombre de muscles, détruisant quelques autres de ces derniers, occasionnant enfin une infirmité incurable par la rétraction consé- cutive des muscles qui avaient conservé le plus de fibres intactes. Ces deux affections diffèrent entre elles par le siège; mais je pour- rais rapporter, après l’observation de M. H..., plusieurs paralysies des membres supérieurs très légères aussi en apparence, et qui se sont également terminées par la destruction d’un grand nombre de muscles. J’exposerai par la suite une observation analogue à celle de M. H..., dans laquelle la paralysie a débuté sans fièvre et a dé- truit complètement les muscles de la jambe et du pied. Depuis 1855, j’en ai recueilli sept nouveaux cas semblables, mais dans lesquels j’ai trouvé un plus ou moins grand nombre de muscles atrophiés ou graisseux. II. La plupart des paralysies atropbiques graisseuses de l’enfance que j’ai observées, ont été accompagnées, au début, de quelques jours de fièvre plus ou moins intense, comme dans la plupart des cas rapportés précédemment. J’en ai vu aussi qui survenaient à la suite d’une fièvre continue ou d’une fièvre éruptive, comme j’en ai observé un cas avec M. le docteur Dechambre. Il serait donc rationnel de penser, surtout d’après ces faits, qu’une terminaison par atrophie et transformation graisseuse est à craindre quand la paralysie s’accompagne, au début, d’une fièvre plus ou moins intense, de convulsions, de douleurs cutanées ou musculaires dans les membres, ou quand elle survient dans le cours d’une fièvre éruptive. Eh bien ! un tel pronostic n’est rien moins que cer- tain ; car la plupart des cas de paralysies rapportés par M. Kennedy se sont montrés avec les mêmes symptômes et dans des circonstances semblables, et ils n’en ont pas moins guéri rapidement et radicale- ment (dans un espace de deux à dix jours). MM.Rilliet et Bardiez ont cependant rangé dans une même classe, sous le nom de paralysies essentielles de l’enfance, les paralysies dé- crites par Kennedy, et ces paralysies dont la durée est beaucoup plus longue et qui portent une atteinte si grave à la nutrition des PARALYSIE ATROPIIIQUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. muscles et des os. Si toutes ces paralysies de l’enfance sont réelle- ment symptomatiques d’une même maladie, s’il n’existe aucun signe diagnostique qui les différencie, on conçoit combien doit être embarrassée la position du médecin en présence de telles affections. Mais je ne puis voir une maladie identique dans ces paralysies légères, justement appelées temporaires par le pathologiste anglais, et dans ces paralysies dont la durée se prolonge jusqu’à une année ou deux, et qui, lorsqu’elles sont guéries, laissent les os atrophiés, les membres déformés, certains muscles atrophiés et certains autres transformés en graisse. Je ne puis admettre qu’entre ces diverses paralysies de l’enfance, il n’y ait qu’une différence de degré de la maladie, car les signes de cette différence de degré n’existent pas, ainsi que je viens de le démontrer, dans la période d’acuité. Vraisemblablement ces paralysies temporaires sont dues à un trouble nerveux périphérique occasionné par une influence rhuma- tismale ou par une compression du membre. Je crois, au contraire, que les paralysies de l’enfance qui altèrent profondément la nutri- tion, dans les régions où elles siègent, sont produites par un état morbide quelconque de la moelle ou de ses dépendances, qu’il soit ou non appréciable, après la mort, à nos moyens d’investigation, d’ailleurs fort imparfaits. Cette hypothèse repose, comme je l’ai dit précédemment, sur l’identité des phénomènes qu’on observe dans la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance et dans la paralysie consécutive à la lésion traumatique de la moelle. Un fait de paralysie, dite essentielle de l’enfance, publié par MM. Rilliet et Barthez, dans lequel, à l’autopsie, on ne trouva au- cune lésion anatomique dans les centres nerveux, paraît condamner mon hypothèse. Mais ce fait, à mes yeux, ne prouve rien ; il ne m’est pas démontré que dans ce cas la paralysie appartenait à ce que j’appelle paralysie atrophique graisseuse de l’enfance. Il s’agit, en effet, d’une petite fille âgée de deux ans, dont le membre supérieur avait été paralysé subitement sans cause connue, et sans que la paralysie eût été précédée ni accompagnée de fièvre, de convul- sions, etc. Un mois après, la mort survient par la complication d’une pneumonie lobulaire, et à l’autopsie on ne trouve aucune lésion appréciable ni de l’encéphale ni de la moelle épinière. Cette paralysie pouvait bien être une de ces paralysies temporaires légères, qui guérissent en quelques semaines. Il ne m’est pas prouvé que les muscles se fussent atrophiés ou convertis en graisse, si l’enfant eût vécu. Ce même doute n’existerait pas si j’avais pu savoir si les PRONOSTIC. 293 muscles paralysés avaient perdu plus ou moins leur contraclilité électrique, comme j’ai eu plusieurs fois l’occasion de le constater chez des enfants dont les membres étaient paralysés depuis peu de temps. J’ai pu, à l’aide de ce seul signe, prédire la marche de l’atro- phie et de l’altération graisseuse. J’ai marqué les muscles qui ne devaient que s’atrophier à des degrés divers, selon le degré de di- minution de leur contractilité électrique, et annoncer le retour plus ou moins prochain de leur motilité volontaire, tandis que j’ai an- noncé la destruction très probable de ceux qui avaient perdu et leur contractilité et leur sensibilité électriques. Mon jugement ne s’est que trop bien réalisé pour ces derniers muscles. En somme : 1° Le fait publié par MM. Rilliet et Barthez est incomplet, et conséquemment sans valeur. 2° La dénomination de paralysie essentielle de l'enfance, qu’ils appuient sur cette autopsie, ne me paraît pas justifiée jusqu’à présent. 3° En raison de l’analogie qu’on observe entre les sym- ptômes, la marche et la terminaison de la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance et ceux de la paralysie consécutive à la lésion de la moelle, il est rationnel de rapporter la première para- lysie à un état morbide quelconque de la moelle, appréciable ou non à l’examen nécroscopique. En résumé, le fait principal qui ressort des considérations précé- dentes, c’est que, dans la période d’acuité,il est facile de distinguer par l’exploration électro-musculaire les paralysies temporaires de l’enfance des paralysies atrophiques graisseuses du même âge, puisque, dans les premières, on trouve la contractilité et la sensi- bilité électro-musculaires parfaitement intactes, tandis que ces pro- priétés sont plus ou moins diminuées dans les dernières. B. — Période chronique. Dans la période chronique, il est quelquefois possible de con- fondre la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance avec la pa- ralysie cérébrale de l’enfance et l’atrophie musculaire graisseuse progressive. J’exposerai leur diagnostic différentiel dans les cha- pitres consacrés à l’étude de ces dernières affections. § IV. — Pronostic. Je ne sache pas, ai-je déjà dit, que la paralysie atrophique grais- seuse de l’enfance se soit terminée une seule fois par la mort. Les rares autopsies que l’on en connaît ont été faites chez des sujets qui avaient succombé à des maladies accidentelles, ou à une époque avancée de la vie. PARALYSIE ATROPHIQUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. Bien qu’elle ne menace pas la vie de Tentant, la paralysie atro- pliique graisseuse n’en est pas moins une affection grave, parce qu’en détruisant ou en atrophiant les organes du mouvement, elle com- promet plus ou moins les fonctions musculaires, la conformation et l’attitude normale des membres, ,1e puis donner une idée de la gra- vité de cette affection musculaire en disant que c’est principalement elle qui alimente l’orthopédie. Le pronostic ne doit pas être porté d’après l’étendue de la para- lysie, ni d’après l’intensité ou la durée de la fièvre, ni d’après les convulsions qui apparaissent dans la première période delà maladie. J’ai en effet observé un assez grand nombre de ces affections qui, au début, avaient frappé de paralysie le système musculaire avec ac- compagnement de fièvre intense et de convulsions, et dans lesquelles cependant, après la période paralytique, un très petit nombre de muscles restaient atrophiés ou altérés dans leur texture, tandis que, dans d’autres cas où la paralysie avait envahi un ou plusieurs mem- bres, sans avoir été précédée ou accompagnée de fièvre ni de con- vulsion, tous ou à peu près tous les muscles moteurs de ces membres avaient été détruits par la substitution graisseuse. La gravité du pronostic, dans la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance, est en raison directe du degré de la lésion nerveuse qui doit produire l’atrophie ou l’altération graisseuse des muscles paralysés. Or la connaissance du degré de la lésion nerveuse qui menace la nutrition musculaire ne peut être obtenue que par l’ex- ploration électro-musculaire. En effet, comme pour les paralysies con - sécutives aux lésions des nerfs ou de la moelle, j’ai dit, dans l’étude symptomatologique de la paralysie atrophique graisseuse de Ten- fance, que plus la contractilité et la sensibilité d’un muscle para- lysé sont diminués, plus ce dernier s’atrophie ou devient consécu- tivement graisseux, et plus cette altération de nutrition est rapide. Je dois rappeler ici que l’absence de réaction d’un muscle à l’ex- citation électrique n’a pas la même valeur pronostique à toutes les périodes de cette affection musculaire, car pendant la période para- lytique (dans les sept premiers mois de la maladie), elle annonce seulement que le muscle est menacé dans sa nutrition, tandis que pendant la période de chronicité elle apprend que le muscle est passé à l’état graisseux. Il se peut, toutefois, qu’il reste encore quel- ques fibres musculaires intactes, mais tellement enveloppées de tissu graisseux, que leur contraction soit inappréciable. Est-il besoin d’ajouter que la gravité du pronostic dépend moins du nombre que de l’importance fonctionnelle des muscles qui sont plus ou moins profondément atteints dans leur nutrition, ce que l’exploration électro-musculaire peut seule faire connaître. PRONOSTIC. 295 Pour porter exactement ce pronostic, il faut connaître bien exac- tement les troubles occasionnés dans la forme et dans l’usage des membres par la perte de tel ou tel muscle. C’est ce qui a été mis en lumière par mes recherches électro-physiologiques et pathologiques. Qui aurait cru, par exemple, que le pied est moins déformé et que les fonctions du membre inférieur sont moins compromises par la perte do tous les muscles moteurs du pied que par la paralysie de certains d’entre eux. J’ai représenté dans les figures h5 et â6 le pied d’un jeune garçon de neuf ans, dont tous les muscles moteurs sont paralysés et atrophiés depuis l’âge de six mois. Ce pied a été photo- graphié d’après son plâtre, et j’en possède une demi-douzaine de semblables. On remarque, dans la figure l\5, vue de côté, que sa forme est à peu près normale, et l’on voit dans la figure â6, vue de face, qu’il est un peu dans l’attitude du valgus, comme dans tous les cas analogues. J’ajouterai qu’il est moins développé que celui du côté sain; c’est sa seule déformation. Ce pied bot gène très peu le malade; il a seulement besoin d’être maintenu par une chaus- sure rigide. — Mais qu’un seul muscle soit seulement atrophié, alors on voit à la longue les déformations les plus considérables se déve- lopper progressivement et gêner tôt ou tard la marche et la station, Fig. 45. Fig. 46 et quelquefois même la rendre difficile, sinon impossible. Pour en donner une idée, j’en citerai quelques exemples. Observation XLV. — Un enfant âgé de trois ans m’est présenté pour une légère claudication survenue sans cause connue. A l’ex- ploration électrique et physiologique, je constate l’absence du triceps sural. Je conseille alors la faradisation de ce muscle et l’emploi d’une sandale de nuit qui maintienne le pied dans l’extension con- tinue; ce qui n’a point été exécuté. Six ans plus tard, ce même en- fant m’est présenté avec le talus pied creux direct, valgus, représenté de face dans la figure Zi7, et semblable, quand il est vu de côté, à celui PARALYSIE ATRUPH1QUE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. Fig. 47. Fig. 48. qui est représenté dans la figure 40. Le mouvement de l’articulation tibio-tarsienne était annulé, et la flexion du pied n’était opérée que par un mouvement supplémentaire entre le calcanéum et l’astra- gale, ce qui produisait une flexion avec abduction exagérée, comme on le voit dans la figure ô8. C’est une déformation grave, et qui rend la station et la marche pénibles et difficiles, quand elle existe des deux côtés, comme chez l’enfant de l’observation XXXIX, et qui a de chaque côté un talus pied creux valgus, représenté dans les figures et 41. Je pourrais, prenant individuellement la plupart des autres mus- cles du pied, démontrer par l’observation pathologique que ces pa- ralysies atrophiques partielles sont plus graves que la destruction en masse des muscles du pied, bien qu’au début elle trouble si peu la locomotion qu’il faut une assez grande attention pour les diagnostiquer. Enfin, parmi ces paralysies partielles du membre inférieur ou du membre supérieur, il en est dont la perte lèse les fonctions beau- coup plus que d’autres. — Si, par exemple, la destruction en masse des muscles moteurs du pied sur la jambe ne porte pas un grand trouble dans la locomotion, il n’en est pas de même des muscles moteurs de la cuisse sur le bassin et de celui-ci sur la cuisse. De quelle utilité serait l’intégrité des mouvements du pied sur la jambe au petit malade représenté dans les figures 43 et 44 ! Qu’on lui rende seulement les muscles moteurs de la jambe sur la cuisse, et prin- cipalement les extenseurs de la jambe sur la cuisse et les fléchis- seurs de la cuisse sur le bassin, et son infirmité disparaîtra.—Pour les membres supérieurs, la lésion du deltoïde et du fléchisseur du bras sur le bras annule presque complètement l’usage du membre supérieur, comme chez la jeune fille dont le membre est représenté dans la figure 62. — A la main, les muscles de l’éminence thénar sont de première nécessité. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Je ne fais que rappeler ici ces faits de détails qui sont, on le com- prend, un des éléments principaux du pronostic de la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance. Ils ont été d’ailleurs analysés et exposés dans mes recherches électro-physiologiques et patholo- giques sur les muscles moteurs de l’épaule, de la main et du pied. ARTICLE II. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE, A. — A une époque peu éloignée du début. La faradisation localisée, appliquée à temps, c’est-à-dire à une époque rapprochée du début de la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance, pourrait abréger la durée de la paralysie, diminuer, sinon prévenir, l’atrophie des muscles, et peut-être empêcher leur transformation graisseuse. I. Ce n’est pas au début de la maladie que je proposerai de faire l’application de la faradisation localisée à cette paralysie de l’en- fance, et surtout quand la fièvre annonce un état inflammatoire bien caractérisé. Alors il faut seulement recourir aux moyens antiphlo- gistiques généraux, appropriés à l’âge du sujet. Cette médication doit être dirigée en vue de l’existence d’une lésion de la moelle ou d’un point de la moelle. En conséquence, c’est dans son voisinage et sur son trajet que doivent être appliqués les ventouses sèches ou scari- fiées, les vésicatoires, etc. IL Mais quand la période d’acuité est écoulée (en général après trois ou quatre semaines), il faut faire intervenir l’excitation mus- culaire localisée, en continuant encore pendant un certain temps la médication générale ; les révulsifs à la peau et sur le tube digestif, le calomel à l’intérieur, selon la méthode de Kennedy, les excitants directs des centres nerveux, la strychnine, etc. J’ai démontré que, par ses symptômes et sa marche, cette affec- tion musculaire spontanée de l’enfance se rapproche de la paralysie consécutive à la lésion traumatique des nerfs spinaux ou de la PARALYSIE ATRÔPHIQÜE GRAISSEUSE DE l’ëNEANCE. moelle. On a vu, en effet, qu’au début de ces paralysies un grand nombre de muscles sont également affectés dans leur molilité vo- lontaire, mais que parmi ces muscles il en est qui recouvrent assez rapidement leurs mouvements sans s’atrophier, ou du moins sans que la nutrition soit en souffrance ; qu’il en est d’autres, dans les- quels les mouvements ne reviennent qu’après un temps plus ou moins long, et qui restent plus ou moins atrophiés; que parmi ces muscles, enfin, il en est dans lesquels non-seulement la pa- ralysie persiste, mais qui deviennent graisseux. On a vu aussi que, par l’exploration électro-musculaire, on distingue ceux dans les- quels les mouvements doivent revenir plus vite, de ceux qui seront paralysés plus longtemps et souffriront davantage dans leur nu- trition. Eh bien! n’est-il pas permis d’attendre de l’application de la faradisation localisée une influence thérapeutique aussi heu- reuse dans la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance que dans la paralysie consécutive aux lésions traumatiques des nerfs et de la moelle. Ainsi, il arrive quelquefois que, chez certains sujets, des muscles dont l’influx nerveux éprouve un faible obstacle dans sa marche du centre à la périphérie, par suite d’un degré léger delà lésion du point de la moelle d’où émane cet influx, recouvrent cependant tardivement leur molilité. J’ai cité des cas dans lesquels les mouvements n’étaient revenus qu’après plusieurs mois, bien que les muscles eussent très peu souffert dans leur nutrition; ce qui indique qu’alors la lésion nerveuse était peu intense. Dans des cas de paralysie atrophique graisseuse analogue où l’exploration électro-musculaire aurait pu faire reconnaître que les muscles sont légèrement lésés, l’excitation électro-musculaire hâterait proba- blement le retour des mouvements. Je n’ai pas besoin de faire res- sortir l’importance de ce rétablissement plus prompt de la mo- tilité à une époque de la vie où la nutrition est si active, où les membres peuvent éprouver un arrêt de développement, par suite de leur immobilité absolue. Jadis, lorsque je formulai ces préceptes, je ne pouvais m’appuyer sur une expérimentation suffisante; je prévoyais seulement que leur application devait être couronnée de succès. Aujourd’hui cette ques- tion est jugée, car toutes les paralysies de l’enfance qui se sont pré- sentées à moi, et dans lesquelles la contractilité électro-musculaire était seulement diminuée, ont guéri complètement assez rapidement et sans atrophie ni déformation des membres, quand la faradisa- tion localisée a été appliquée peu de mois après leur début. Les pa- ralysies de l’enfance de même espèce, qui dataient de six mois, d’un an et même de deux ans, dans lesquelles la contractilité électro- musculaire n’était pas plus affaiblie, ont guéri également par la faradisation, mais les membres avaient été plus ou moins amaigris par la durée de la paralysie, et quand elle avait siégé dans les mus- cles moteurs du pied, ce membre avait été plus ou moins dé- formé. La faradisation ne pouvait rien contre ces suites de la paralysie. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. III. On a de la répugnance à soumettre des enfants à de telles excitations, surtout ceux qui ont à peine atteint l’âge d’un an. On craint de réagir sur les centres nerveux, si irritables à cet âge, et d’aggraver la lésion centrale dont on essaye de réparer les désordres. J’avoue que je me suis laissé aller à ces mêmes appréhensions nées de la réprobation dont l’emploi de l’électricité, chez les jeunes en- fants, a été unanimement frappé par les médecins. Il est incontestable que certaines méthodes d’électrisation, cer- tains procédés opératoires, ne peuvent être appliqués sans danger sur les enfants. Ainsi, je voudrais proscrire l’électrisation par action réflexe (méthode dont j’ai exposé la critique précédemment), qui agit à coup sûr sur les centres nerveux; l’électro-puncture, l’ex- citation électro-cutanée, la faradisation à intermittences rapides, la galvanisation parcourants continus, parce que ces procédés ou ces méthodes provoquent de vives douleurs, ou peuvent produire une surexcitation fâcheuse. Mais j’affirme au jourd’hui qu’on peut pratiquer sans aucun danger la faradisation musculaire localisée chez de très jeunes enfants, pen- dant un temps assez long (un ou deux mois) et à une dose assez forte, pourvu que les intermittences du courant soient suffisamment éloignées. Je me fonde, en ceci, sur des expériences nombreuses faites dans ces derniers temps. J’ai excité les muscles de beaucoup d’enfants âgés de trois mois à un an, de manière à obtenir des con- tractions énergiques. Ces enfants, en général, n’ont témoigné aucune douleur, lorsque j’ai eu la précaution de les habituer, en agissant graduellement, à la sensation étrange; mais non douloureuse, qui accompagne la contraction électrique des muscles. L’opération ne tarde même pas habituellement à les amuser. Quelques-uns d’entre eux, d’après la remarque des parents, conservent vers la fin du trai- tement (après une cure d’une trentaine de séances) plus de gaieté et de vivacité, et sont moins disposés à dormir. Alors il est sage de suspendre la cure pendant quelques semaines pour y revenir quand il y a lieu. J’ai à regretter de n’avoir pas connu plutôt cette innocuité de la faradisation musculaire localisée, à intermittences éloignées, sur l’état général des enfants, car, dominé par le préjugé général, il m’est PARALYSIE ATROPHIQÜE GRAISSEUSE UE L’ENFANCE. arrivé trop souvent d’en refuser l’application, dans des conditions où elle aurait pu être utile. IV. Les muscles dont la contractilité est très affaiblie doivent rester longtemps paralysés et s’atrophier considérablement. Bien que l’on n’en puisse empêcher l’atrophie, la faradisation localisée ne laisse pas cette dernière arriver à un degré aussi avancé, et il est permis d’espérer, par ce traitement, conserver aux muscles assez de libres pour remplir leurs fonctions. V. Les muscles dont on ne peut plus provoquer la contraction par la faradisation localisée à une époque voisine du début de cette paralysie de l’enfance s'atrophient complètement ; ce sont ceux-là qui, à la longue, doivent se transformer, partiellement ou en tota- lité, en tissu graisseux. Mais ces muscles sont-ils infailliblement condamnés à mourir? Il m’est permis d’espérer qu’il n’en sera pas toujours ainsi, en raisonnant par analogie. En effet, cette abolition delà contractilité électro-musculaire, dans la paralysie traumatique des nerfs ou de la moelle, annonce, comme je l’ai démontré, un arrêt complet de l’influx nerveux. Or on a vu que, dans cette dernière affection, la faradisation localisée a rappelé la nutrition et les mou- vements dans les muscles, bien qu’ils fussent arrivés aux dernières limites de l’atrophie, lorsqu’elle a été appliquée en temps opportun, c’est-à-dire après la guérison de la lésion nerveuse. Il en doit être de même dans la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance: ainsi, lorsque la lésion spinale étant guérie, la force nerveuse re- vient aux muscles, la faradisation localisée peut, on doit du moins l’espérer, rappeler la nutrition et prévenir la transformation grais- seuse, qui tôt ou tard aurait lieu, comme on le voit dans la para- lysie consécutive à la destruction d’un nerf, quand elle n’a pas été traitée à temps par l’électrisation. VI. Mais à quelle époque doit-on soumettre au traitement élec- trique un muscle qui, dans cette espèce de paralysie de l’enfance, a perdu la faculté de se contracter par l’excitation électrique? Ou bien, en d’autres termes, à quelle époque l’influx nerveux central revient-il aux muscles paralysés? J’ai établi par l’expérimentation (chapitre V), que dans la paralysie traumatique des nerfs, l’appli- cation de la faradisation, faite même régulièrement dès le début, n’empêche pas les muscles dans lesquels l’irritabilité est abolie de s’atrophier à peu près complètement pendant six, huit à dix mois, et que ce n’est qu’après ce laps de temps, que la lésion nerveuse étant guérie et la force nerveuse revenant aux muscles, la faradi- sation peut non-seulement les sauver d’une destruction complète, mais encore rappeler leur nutrition et leur motilité. J’ai écrit dans l’édition précédente: « Il serait imprudent d’at- tendre aussi longtemps avant de soumettre ces muscles à un trai- tement électrique régulier et suffisamment continué ; car, après six mois de maladie, j’ai eu l’occasion de constater, chez un enfant, que plusieurs muscles avaient déjà disparu, et quelque effort que j’aie fait, je n’ai pu les rappeler à la vie. Il n’y aurait rien d’étonnant que sous l’influence d’une cause analogue (d'un état pathologique de la moelle), la transformation graisseuse arrivât plus vite chez l’enfant que chez l’adulte; et comme le moment du retour de l’influx ner- veux, ou, en d’autres termes, de la guérison de la lésion nerveuse, n’est pas encore et sera peut-être difficilement déterminé dans ces paralysies de l’enfance, je conseille de traiter le plus tôt possible par la faradisation les muscles qui ont perdu leur contractilité. En agissant de la sorte, sauvera-t-on plus souvent les muscles d’une destruction complète? C’est ce que l’on est en droit d’espérer, mais l’avenir seul en décidera. » Voici maintenant ce que l’expérience m’a appris depuis que j’ai écrit ces lignes. Des enfants m’ont été adresssés deux à trois mois après l’invasion de la paralysie atrophique grais- seuse. Bon nombre de leurs muscles paralysés ne réagissaient plus à l’excitation électrique la plus énergique. Quelques-uns de ces derniers ont été quelquefois sauvés d’une entière destruction. Eh bien ! il est des muscles dont l’utilité est encore très grande, quelque faibles qu’ils soient, et ce sont ceux que l’on doit s’appliquer à redresser. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 301 VU. Consécutivement à la perte d’un muscle, le membre, obéis- sant à la puissance tonique de ses antagonistes dont l’action exa- gérée n’est plus modérée, est entraîné à la longue dans la direc- tion de ces derniers. De là des difformités, des déformations des surfaces articulaires, des attitudes vicieuses qui peuvent occasionner de grands troubles dans les fonctions. J’ai fait connaître le mode de développement et le mécanisme de ces difformités, quand elles se produisent aux membres supérieurs et inférieurs. On peut prévoir, par exemple, quelle est l’espèce de déformation qui surviendra con- sécutivement à la destruction de tel ou tel muscle. J’entre dans ces détails pour faire comprendre qu’on ne doit pas seulement essayer de rappeler la nutrition dans les muscles menacés de périr, mais qu’il faut aussi prévenir, surtout pour les membres inférieurs, les difformités qui résultent nécessairement de la con- tracture et de la rétraction des muscles antagonistes. J’ai eu re- cours, dans ce but, à une espèce d’orthopédie physiologique dont il sera question par la suite. Cette orthopédie ne peut être éclairée que par l’exploration électro-musculaire, qui seule fait reconnaître quels sont les muscles menacés de destruction. 302 PARALYSIE ATROPHIQÜE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. B. — A une époque très éloignée du début. C’est presque toujours à une période très avancée de cette para- lysie de l’enfance, alors que l’on a épuisé vainement tous les genres de traitement, qu’on songe, comme à une dernière ressource, à l’emploi de l’électricité. Cet agent thérapeutique peut encore rendre alors de grands services ; mais on conçoit que ses chances de succès sont d’autant moins grandes, qu’il est appliqué plus tard. I. Les muscles paralysés qui, au début de la maladie, possèdent intactes leur contractilité et leur sensibilité électriques, recouvrent rapidement, ai-je dit, leur contractilité volontaire, sans souffrir considérablement dans leur nutrition; mais souvent ils restent long- temps affaiblis et notablement amaigris. Il ne faut pas négliger de faradiser ces muscles, après qu’ils ont recouvré leur motilité. Une excitation courte, et à un courant modéré, suffit pour développer leur force en peu de temps, et activer leur nutrition. C’est ce que j’ai observé chez la plupart des petits malades qui m’ont été pré- sentés à une époque très éloignée du début. II. Les muscles dans lesquels la contractilité électrique est plus ou moins affaiblie pendant la période d’acuité recouvrent à la longue cette dernière propriété, ainsi que leurs mouvements volontaires; mais ceux-ci se font quelquefois trop longtemps attendre. La fara- disation localisée rétablit ces mouvements, quand toutes les autres médications ont échoué. Comme preuve, je n’en citerai qu’un exemple. On se rappelle que chez le jeune Piquefeu dont il a été ques- tion précédemment (obs. XXXIX), l’extension de la jambe sur la cuisse ne se faisait pas encore du côté gauche à l’époque où je l’exa- minai pour la première fois, c’est-à-dire après quatre ans de durée de la paralysie, et que les muscles qui exécutent ce mouvement se contractaient normalement sous l’influence du courant électrique. Ces muscles étaient peu atrophiés, ce qui indique, d’après mes re- cherches, que, dans la période d’acuité, leur contractilité électrique ou leur innervation n’avait pas dû être profondément lésée. En peu de temps (après un mois de traitement faradique), cet enfant com- mençait à faire l’extension de la jambe. A dater de ce moment, la force et l’étendue de ce mouvement augmentèrent graduellement, à tel point qu’après plusieurs mois il put se tenir dans la station sur ce membre, et marcher à l’aide d’une béquille. D’autres muscles, qui étaient plus atrophiés, et dont la paralysie avait persisté malgré le retour de la contractilité électrique, ont également recouvré leurs mouvements par la faradisation. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 303 III. Ceux des muscles atrophiés qui, après un mois ou un an de maladie (je ne saurais encore en déterminer exactement l’époque), sont encore complètement privés de leur contractililé et de leur sensibilité électriques, sont très probablement graisseux. Quand cette altération de nutrition a détruit complètement la fibre mus- culaire, on ne peut pas espérer de la régénérer, quelque médication que l’on emploie. Mais la substitution graisseuse est souvent irré- gulière', comme le prouve l’exploration électro-musculaire, d’ac- cord, en cela, avec l’examen microscopique. Dans ce cas, la fibre musculaire saine peut devenir le noyau de nouveaux faisceaux musculaires, et même d’un nouveau muscle, sous l’influence de la faradisation localisée. On voit, en effet, des fibres musculaires de nouvelle formation se développer autour de cette fibre musculaire intacte. Dans un muscle graisseux, il peut rester encore un assez grand nombre défibres saines ; on les retrouve facilement par l’ex- ploration électrique ; mais si ces fibres saines sont plus rares, elles sont perdues dans le tissu adipeux, et tellement enveloppées par lui, qu’on ne les voit plus se contracter quand on explore l’état des muscles. En conséquence, bien que l’absence de la contractilité électrique, à une période très avancée de la paralysie atrophique graisseuse, soit un signe qui annonce l’état graisseux d’un muscle, il est permis, quand ce signe se présente, d’espérer qu’il existe en- core assez de fibres musculaires saines masquées par la graisse, pour former le noyau de faisceaux ou muscles futurs qu’on pourra développer par la faradisation localisée. Je ne croyais pas à la possi- bilité d’obtenir un tel résultat, avant que j’en eusse acquis la certi- tude par l’expérimentation. Observation XLYI. — Paralysie atrophique graisseuse du membre supé~ rieur gauche précédée de trois jours de fièvre. — Guérison par la fara- disation localisée appliquée dans la période d’atrophie, quatre ans après le début. X..., âgé de sept ans et demi, d’une bonne constitution, avait toujours été bien portant, lorsqu’à l’âge d’un an, en juin 1 847, il fut pris tout à coup, et sans cause connue, d’une fièvre modérée qui dura trois jours, et pendant laquelle, ne donnant aucun signe de douleur et ne faisant aucun mouve- ment appréciable, il resta plongé dans un profond assoupissement. Après ces trois jours de fièvre, laquelle ne fut accompagnée ou suivie ni d’éruption cutanée, ni de convulsions, ni de contracture, l’enfant paraissait revenu à son état de santé habituel; mais on s’aperçut qu’il avait complètement perdu l’usage du membre supérieur gauche. Quatre ou cinq jours plus tard, apparut un léger mouvement de flexion des doigts, qui augmenta graduel- PARALYSIE ATROPHIQÜE GRAISSEUSE DE L’ENFANCE. lement et très lentement, et devint complet en un mois. L’extension des doigts fut une année à revenir. Les mouvements du pouce et du poignet ne furent rétablis qu’après ceux des doigts. Enfin, le mouvement de flexion de l’avant-bras sur le bras n’apparut que deux années après ceux de la main. Tous ces mouvements étaient très faibles. L’amaigrissement du membre paralysé commença dans le premier mois de la paralysie et marcha rapide- ment. En février 1852, cet enfant me fut adressé par mon collègue de la Société de médecine de Paris, M. Camus, et je constatai au membre supé- rieur droit les phénomènes suivants : Épaule. — Absence complète de relief du deltoïde ; la peau paraît appli- quée immédiatement sur la tête de l’humérus et sur l’acromion. Saillie con- sidérable de l’acromion, au-dessous duquel existe une dépression demi-circu- laire indiquant que la tête de l’humérus n’est pas en rapport avec la cavité glénoïde. (Le moignon de l’épaule droite représenté dans les figures 42 et 50, dessinées d’après deux autres sujets qui étaient atteints d’une affection musculaire analogue, donne une idée assez exacte de la dif- formité que je décris.) La tête de l’humérus, qui se dessine parfaitement sous la peau, et qui repose habituellement sur la partie inférieure du rebord de la cavité glénoïde, peut être luxée complètement, et facilement en arrière ou en avant. A l’exploration électro-musculaire, je constate l’existence de quelques fibres musculaires dans la portion la plus interne du tiers anté- rieur du deltoïde ; je n’en retrouve plus dans les autres portions de ce muscle. Les pectoraux et les grands dorsaux sont très atrophiés. II en est résulté une contracture de l’élévateur de l’épaule (le tiers moyen du tra- pèze), et conséquemment l’élévation du moignon et du scapulum, comme dans la figure 50. Le bras est à peu près d’un tiers moins volumineux que celui du côté opposé. Le tissu cellulaire adipeux sous-cutané est très abondant. Ainsi, lorsqu’on saisit la peau entre les doigts, on constate une différence d’épais- seur de plusieurs centimètres entre le côté malade et le côté sain. Il en résulte qu’on ne peut juger du volume des muscles par le volume du bras. On sent, en effet, à travers la peau, qu’il reste très peu de tissu apparte- nant à ces muscles. J’obtiens une faible contraction électrique à la partie inférieure du biceps. Quant au triceps, il paraît avoir complètement dis- paru. A Vavant-bras, je ne retrouve plus le long supinateur ni le premier ra- dial, par l’exploration électrique. Main. — L’éminence thénar est atrophiée, je ne puis y faire contracter que le court abducteur du pouce. Le petit malade peut écarter le bras légèrement en avant, et l’on sent alors se contracter quelques fibres internes du tiers antérieur du deltoïde ; tous les autres mouvements du bras sur l’épaule sont perdus, La flexion de l’avant-bras sur le bras est possible, mais elle n’a lieu qu’avec de grands efforts, et l’enfant ne peut soulever le plus .léger poids. L’extension de l’avant-bras n’est produite que par la pesanteur de ce membre. Le poignet est habituellement dans une attitude d’adduction, et si l’on veut le placer dans l’abduction, on éprouve une résistance invincible qui paraît opposée par des ligaments qui unissent le carpe à l’avant-bras. On voit que la surface articulaire formée par l’extrémité inférieure du radius et du cubitus est oblique de dehors en dedans et de bas en haut. L’impossibilité de placer la main dans l’abduction occasionne chez cet enfant une grande gêne dans les usages de cette main. Le pouce ne peut être opposé qu’à l’index, et ce mouvement est très faible ; de là aussi le peu de dextérité de la main. Les os de l’épaule, du bras, de l’avant-bras et de la main, sont moins déve- loppés que ceux du côté opposé. Enfin, la température y est habituellement moins élevée. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Tel était l’état de cet enfant, lorsque je commençai le traitement ; la ma- ladie datait de quatre ans. Chacun des muscles atrophiés fut faradisé trois fois par semaine avec un courant aussi intense et avec des intermittences aussi rapprochées que possible, c’est-à-dire proportionnellement au degré d’excitabilité et de sensibilité de l’enfant. Dans l’intervalle des séances, je fis pratiquer la gymnastique localisée selon la méthode de Ling, associée à la gymnastique nerveuse pour les muscles qui avaient perdu leur action. Ce traitement a été suivi régulièrement depuis deux ans ; la faradisation n’a été suspendue que pendant plusieurs mois de l’été. 11 en est résulté une amé- lioration progressive, quoique très lente. Les fibres de la partie interne du tiers antérieur du deltoïde, qui s’étaient contractées par l’excitation électrique, sont devenues autant de faisceaux qui ont grossi peu à peu; d’autres fibres ont apparu ensuite dans toute la moitié antérieure de ce muscle, et sont devenues le centre de nouveaux faisceaux musculaires, mais il ne s’eu est pas montré dans la moitié posté- rieure. La figure 49, dessinée d’après nature, repré- sente l’état actuel du moignon de l’épaule gauche du jeune X... On voit le relief de la moitié anté- rieure de son deltoïde ; le moignon, bien arrondi, forme un contraste frappant avec l’épaule disloquée d’une jeune fille qui est représentée dans la figure 42 (p. 282) et qui peut donner une idée de l’état dans lequel se trouvait le moignon de l’épaule de notre malade avant le traitement. Fig. 49. DCCHENNE. paralysie atrophique graisseuse de l’enfance. Avec la nutrition musculaire, les mouvements sont également revenus chez cet enfant. Les principales fonction? du deltoïde sont entièrement ré- tablies. En effet, l'élévation des bras en avant ou en dehors est complète. L’absence de la moitié postérieure du deltoïde l'empêche seulement de porter facilement la main à la partie latérale et postérieure du tronc ; il fléchit ou étend l’avant-bras sur le bras ; ces mouvements, il est vrai, se font avec un peu de force, L’atjfcitude d’adduction de la main est beaucoup moins exa- gérée qu’avanl le traitement, le jeune malade porte facilement les doigts sur tous les points de la face et de la partie antérieure du tronc; enfin, il peut opposer le pouce à tous les doigts de la main. La nutrition générale du membre est améliorée : ainsi la calorification y est normale, la peau plus injectée, et le tissu cellulaire sous-cutané a diminué d’épaisseur. Ce dernier phénomène, que j’ai vu se reproduire, dans les cas analogues, pendant le traitement faradique, pourrait être interprété défavorablement ; car lorsqu’il se manifeste, la circonférence du membre diminue. Cette fonte du tissu cel- lulaire sous-culané est un signe favorable , je l’ai toujours vue coïncider avec un retour de la nutrition musculaire. Ce beau résultat, dû, sans aucun doute à la persévérance apportée dans le traitement, a été admirablement secondé par les parents du petit malade. Non-seulement ils ne se sont pas laissé rebuter par la longueur du traitement, mais iis ont pratiqué le massage et la gymnastique localisée avec une grande exactitude. Le fait précédent (1) démontre d’une manière incontestable que là même où l’absence de la contractilité électro-musculaire laisse craindre que le tissu musculaire ne soit devenu entièrement grais- seux, on peut espérer 'qu’il restera encore quelques fibres saines cachées, autour desquelles il sera possible d’en développer d’autres qui, par leur réunion, formeront bientôt.des faisceaux musculaires, des portions de muscles et même des muscles entiers. Mais il faut que l’on sache qu’un tel résultat ne peut être obtenu qu’au prix d’un traitement très long, et qu’il serait inutile d’en commencer un semblable, si l’on ne se sentait assez de force de volonté pour le continuer pendant une année ou deux et même davantage, comme je l’ai fait pour quelques-uns des enfants dont j’ai rapporté l’obser- vation. Si l’on était certain d’obtenir toujours un résultat heureux, le médecin ne reculerait jamais devant les ennuis inséparables d’un traitement aussi long, et les familles devant les frais et les dérange- (l) Depuis la publication de ce fait, j’en ai obtenu un assez bon nombre non moins heureux par la faradisation localisée. Je ne puis les relater sans sortir des limites que je dois m’imposer. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISEE. ments qu’il leur cause. Mais on ne peut malheureusement rien pro- mettre. Je ne citerai qu’un exemple qui modérera l’espoir exagéré que pourrait inspirer le résultat obtenu dans le cas précédent. Chez la jeune fille représentée dans la figure 42, un an et demi de traitement n’a pas produit une seule fibre musculaire dans le del- toïde. Il est vrai que dans ce cas le deltoïde était complètement graisseux, ce que je n’ai pu reconnaître qu’après cette expérience. On a dù remarquer aussi que le traitement faradiquea été appliqué trop tardivement (huit ans après le début). Tout espoir de sauver les muscles d’une destruction complète fût-il perdu, la faradisation serait encore utile et, dans certains cas, nécessaire au développement du système osseux. J’ai dit que la maladie dont je traite n’affecte pas seulement les muscles, comme son nom semblerait l’indiquer. Les os en subissent aussi un arrêt de développement proportionnellement au degré de la lésion nerveuse. Si l’affection siège alors dans l’un des membres inférieurs, il en résulte un raccourcissement qui peut causer un trouble considé- rable dans la marche. J’ai observé chez une jeune fille de neuf ans, consécutivement à une paralysie atrophique datant de l’âge de deux ans, un raccourcissement du membre inférieur de 6 centimètres ; chez une autre, âgée de quinze ans, le raccourcissement allait jus- qu’à 9 centimètres. Ce raccourcissement causait une telle claudica- tion, que l’on devait égaliser la longueur des membres à l’aide d’une chaussure dont la semelle avait une hauteur égale à la diffé- rence de longueur des membres inférieurs. Cette chaussure, on le conçoit, ne pouvait être dissimulée, ce qui était très disgracieux, et elle fatiguait, en raison de cette hauteur, les articulations du pied dont les muscles moteurs étaient presque tous atrophiés. On ne pourrait s’y prendre trop tôt pour prévenir, autant que possible une aussi grande différence dans la longueur des membres. Je ne con- nais pas d’agent qui puisse, dans ce cas, aider à la nutrition des os à l’égal de la faradisation. Je sais combien il faut être circonspect dans toute question thérapeutique, combien il est facile alors de se faire illusion. Mais je puis affirmer, autant qu’il est permis de con- clure d’une longue expérimentation, que sous l’influence de la fara- disation les os, dans cette affection, croissent considérablement en longueur et en grosseur, et que par ce traitement expérimenté sui- des enfants pauvres pendant plusieurs années sans discontinuer, je n’ai eu qu’un raccourcissement de 2 à 3 centimètres dans des cas où, abandonné à lui-même, le membre atrophié eût été probable- ment plus court de 5 à 8 centimètres. 308 PARALYSIES SATURNINES ET VEGETALES. Un mot seulement sur le traitement des paralysies atrophiques graisseuses de l’enfance par les courants galvaniques continus. Les essais que j’en ai faits me font craindre qu’ils soient inapplicables, chez les enfants, à cause des douleurs provoquées par les rhéo- phores. Ceux que j’ai voulu soumettre à l’action des courants con- tinus provenant d’une pile de 10 à 12 éléments de Daniell, ont poussé des cris affreux, et après quelques séances les parents n’ont plus voulu permettre de continuer ce traitement. CHAPITRE Mil. PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES. Je réunis dans le même chapitre l’étude électro-pathologique et thérapeutique des paralysies saturnines et des paralysies consécu- tives aux coliques dites végétales, de Madrid, etc., parce qu’à l’ex- ploration électrique elles offrent les mêmes caractères, et parce qu’elles marchent de la même manière, comme si la cause qui les a produites était identique. ARTICLE PREMIER ÉLECTRO-PATHOLOGIE. § I. — Paralysie saturnine. J’ai étudié l’état des propriétés musculaires, à l’aide de la faradi- sation localisée, dans plus d’une centaine de cas de paralysie satur- nine. Tous, sans exception, ont présenté, à des degrés variés, les phénomènes que j’exposerai dans les observations qui seront rap- portées dans ce paragraphe. La paralysie saturnine est, en général, limitée aux membres supé- rieurs ; quelquefois cependant elle débute d’emblée d’une manière générale. A. — Paralysie saturnine localisée dans les membres supérieurs- Observation XLYII. — Paralysie saturnine des deux avant-bras. Charité, salle Saint-Félix, n° 4, service de M. Andral, fait provisoirement par M. Pidoux. — Gervais, fondeur en caractères depuis 1835, eut pour la première fois, en novembre 1845, une constipation opiniâtre, avec vomis- sements et fièvre. Deux applications de sangsues furent pratiquées sur la ÉLECTRO-PATHOLOGIE. 309 région épigastrique, el la constipation ne coda qu'en dix-sept jours à des lavements purgatifs. Un mois après, l'indicateur et le pouce de la main droite se fléchirent, sans qu'il fût possible au malade do les étendre. Cette paralysie disparut trois mois plus tard, sous l’influence de quelques bains. En novembre 1 846, nouvelle constipation moins opiniâtre que la première, et suivie d’un affaiblissement musculaire dans les membres supérieurs, sans paralysie ni flexion des doigts, ni chute du poignet. En quatre mois, le ma- lade vit revenir ses forces, sous l'influence des bains sulfureux. En 1847, douleurs vives siégeant dans la région antibrachiale postérieure, et aug- mentant à la pression, surtout ou niveau du quart inférieur du radius. Il entra alors à la Charité, dans la salle Saint-Louis, n° 16, et en sortit guéri de ses douleurs quinze jours après. Il s’aperçut bientôt que le médius et l'annulaire de la main droite se fléchissaient, et qu’il ne pouvait plus les étendre. Il n’en continua pas moins de travailler, bien que les autres doigts de la même main se paralysassent à leur tour. L’affaiblissement des muscles de la région antérieure s’ajouta à la paralysie des muscles de la région pos- térieure. En janvier 1 849, la paralysie frappa le médius et l’annulaire du côté gauche. En avril 1 849, douleurs dans les deux bras, suivies de la pa- ralysie des autres muscles de la région postérieure de l’avant-bras gauche, à l'exception des longs extenseur et abducteur du pouce, de l'extenseur du petit doigt et des supinateurs. Il fut alors admisà la Charité, au n°4 de la salle Saint- Félix. Pendant les trois premières semaines, il fut traité dans ce service, sans aucun résultat appréciable, par les vésicatoires, les bains sulfureux, par la strychnine à l’intérieur et par la méthode endermique. Ce der- nier médicament occasionnant des accidents, on dut songer à la faradisa- tion localisée. A son entrée à l’hôpital, je constate les phénomènes suivants : A droite, flexion forcée du poignet et des doigts sans extension volontaire possible ; mais lorsqu’on maintient les premières phalanges relevées, l'extension des deux dernières phalanges est possible (1); adduction du poignet et mouve- ment de supination conservés; atrophie considérable des muscles de la ré- gion postérieure de l’avant-bras. (Le relief musculaire de la région pos- térieure de l’avant-bras a presque entièrement disparu, on y voit une sorte d’enfoncement entre le radius et le cubitus). — A gauche, chute du poignet, qui peut cependant être relevé un peu avec de grands efforts ; flexion et paralysie des trois premiers doigts ; adduction du poignet et mou- vements du pouce et du petit doigt conservés ; les autres muscles de la ré- gion antérieure sont moins paralysés qu’a droite. Sous l’influence de la faradisation localisée dans chacun des muscles de (1) On doit comprendre le mécanisme de ce phénomène depuis que j’ai dé- montré les fonctions et les usages des interosseux. 310 PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES. l’avanl-bras, je note les symptômes suivants : A droite, l’extenseur com- mun des doigts, l’extenseur du petit doigt, le long extenseur du pouce, les radiaux, n’entrent pas en contraction avec les rhéophores humides, l’ap- pareil étant gradué maximum. Uneaiguille étant enfoncée dans ces muscles (l’électro-puncture) ne provoque que des contractions fibrillaires, même à un courant intense. Le long abducteur du pouce se contracte encore, bien qu’il ait perdu un tiers à peu près de sa contractililé électro-musculaire. Les autres muscles de l’avant-bras jouissent de leur contractililé électrique. — A gauche, l’extenseur commun des doigts et le long extenseur du pouce n’ont pas plus de contractililé électrique qu’à droite ; les radiaux ont perdu la moitié à peu près de leur contractililé normale. Les autres muscles de l’avant-bras et de la main jouissent de toute leur irritabilité. Bien que les muscles ne se cont ractent pas sous l’influence de la faradisation localisée, le malade éprouve une sensation analogue à celle qui accompagne la con- traction des muscles sains ; mais cette sensation a diminué notablement dans les muscles lésés dans leur contractililé. Observation XLVIII. — Paralysie saturnine du membre supérieur gauche (Charité, salle Saint-Félix, n* 1, service de M. Andral), survenue gra- duellement chez un peintre qui a eu plusieurs coliques saturnines, et datant de trois semaines. Le poignet tombe à angle droit sur l’avant-bras; les doigts sont fléchis dans la paume de la main , le bras peut à peine être écarté du tronc ; l’ex- tension et la flexion de l’avant-bras sur le bras sont seuls possibles ; amai- grissement général du membre ; diminution du relief des muscles de la ré- gion postérieure de l’avant-bras ; atrophie assez considérable du deltoïde. Je constate à l’aide du faradisme : 1° que l’extenseur commun des doigts et les radiaux ne se contractent pas à un courant intense; 2° que les autres muscles du bras et de l’avant-bras possèdent leur contractililé électrique ; que les faisceaux moyens du deltoïde ne se contractent pas au maximum du courant, tandis que du côté sain le deltoïde se contracte énergiquement à un courant faible; 3° que la sensibilité électro-musculaire n’est que fai- blement diminuée dans les muscles qui ne se contractent pas sous l’in- fluence de la faradisation, et qu’elle est normale dans ceux qui ont con- servé leur contractililé électrique. Réflexions. —Bien que j’aie à taire connaître prochainement l’in- fluence thérapeutique du faradisme dans ces paralysies, je dois dire, dès à présent, qu’en peu de séances (trois ou quatre séances), les muscles qui avaient conservé leur contractilité électrique ont re- couvré, chez ces deux malades, toute leur force, tandis qu’au con- ÉLECTRO-PATHOLOGIE. 311 traire, la guérison des muscles lésés dans cette propriété a demande un temps assez considérable. Je vais rapporter l’analyse de l’observation d’un malade que je n’ai pas traité par le faradisme, mais chez lequel j’ai pu constater l’état de la contractilité électro-musculaire, avant et après son trai- tement par la strychnine. Observation XLIX. — Paralysie saturnine des deux membres supérieurs consécutive à des coliques saturnines chez un peintre (Charité, salle Saint- Michel, n° 9, décembre 1 847, service de M. Bayer). Paralysie complète et amaigrissement général des membres supérieurs ; atrophie considérable des muscles des régions postérieures de l’avant-bras et du bras, et du muscle deltoïde des deux côtés; chute des poignets; flexion continue des doigts; pas de contracture. Par le faradisme, je con- state la perle presque complète de la contractilité électro-musculaire dans les muscles de la région postérieure de l’avant-bras, excepté dans l’anconé, les supinateurs, le long abducteur du pouce, et le cubital postérieur; dimi- nution très notable de la contractilité électrique dans le triceps et le del- toïde. Les muscles lésés dans leur contractilité électrique ont perdu une partie assez notable de leur sensibilité électrique. Dans ces trois cas, la sensibilité de la peau était normale sur tous les points. Je ne rapporterai pas les autres observations de paralysie satur- nine que j’ai réunies, parce qu’elles présentent toutes, sans excep- tion, à peu près les mêmes symptômes et les mêmes phénomènes électro-pathologiques. Réflexions générales sur les observations précédentes. — Dans les observations précédentes, on est frappé d’un phénomène fort bizarre; c’est que la lésion de la contractilité électro-musculaire semble tou- jours se porter de préférence sur certains muscles, alors même que le membre entier est frappé de paralysie. Si l’on étudie, en effet, la marche de cette lésion dynamique, et Tordre dans lequel les muscles sont successivement atteints, on remarque que l’extenseur commun des doigts, et après eux les extenseurs propres de l’index et du petit doigt, puis le long exten- seur du pouce, sont les premiers atteints dans leur contractilité électrique (voy. obs. XLVII). Lorsque l’extenseur commun est seul paralysé, le sujet perd la faculté d’étendre la première phalange du médius et de l’annulaire, l'index et le petit doigt conservant ce mouvement affaibli, il est vrai, grâce à l’intégrité de leurs extenseurs propres. Alors aussi l’affection peut agir inégalement ou isolément, non- seulement sur chacun de ces extenseurs, mais aussi sur chacun des faisceaux de l’extenseur commun des doigts. Ainsi, chez un malade qui présentait une paralysie partielle de la main (Charité, salle Saint-Vincent, n° 11, service de M. Amiral, j’ai observé une diminution assez considérable de la contractilité électrique seule- ment dans l’extenseur propre de l’index et dans le long extenseur du pouce; la force musculaire était généralement un peu affaiblie dans les muscles de l’avant-bras. D’autres fois l’extenseur propre du petit doigt jouit de sa contractilité électrique normale, même quand les autres extenseurs de l’avant-bras ont perdu cette propriété muscu- laire en tout ou en partie (voy. obs. XLVI1). PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES. Des muscles extenseurs de l’avant-bras, la lésion de la contrac- tilité électro-musculaire [s’étend aux muscles radiaux. Les deux radiaux peuvent être affectés à la fois ou isolément. Dans ce der- nier cas (phénomène constant jusqu’à présent), c’est le second radial qui est atteint le premier ; et lorsqu’étant lésés simultanément, ils le sont d’une manière inégale, c’est encore le second radial qui est le plus malade. Enfin, le cubital postérieur, le long abducteur et le court exten- seur du pouce, sont presque toujours les derniers muscles de la région postérieure de l’avant-bras qui perdent la propriété de se contracter sous l’influence de la faradisation (voy. obs. XLVIII). Chez tous mes malades, les supinateurs et l’anconé ont conservé la contractilité électrique dans toute son intégrité. Je n’essayerai pas d’expliquer cette sorte d’immunité de ces muscles, qui, comme les autres cependant, sont sous la dépendance du nerf radial. Dans ces paralysies saturnines, les muscles de la région antibra- chiale antérieure, ceux de la paume de la main, et les interosseux palmaires conservent leur contractilité électrique à l’état normal (voy. obs. XLYII, XLYI11 et XL1X). On sait cependant que ces muscles sont affectés aussi à un faible degré dans leur contractilité volontaire. Je viens de dire que les muscles de la main ne sont pas ordinaire- ment atteints par le poison. (Cependant j’ai vu deux ou trois fois les muscles de l’éminence thénar considérablement atrophiés du côté droit, chez des peintres atteints de paralysie saturnine. Ces muscles, quand ils ne sont pas entièrement atrophiés, conservent, en partie, leur contractilité électrique. J’attribuais autrefois cette atrophie à la compression exercée par le manche de la brosse, et non à l’influence toxique du plomb. Il m’est démontré aujourd’hui que cette explication n’est pas exacte, et que les muscles de l’émi- ÉLECTRO-PATHOLOGIE. 313 nence thénar sont assez souvent atteints par l’intoxication saturnine. La lésion de la contraclilité électrique n’est pas toujours limitée à certains muscles de la région antibrachiale postérieure; elle atteint souvent le deltoïde, en laissant intacts les muscles du bras (voy. obs. XLIX). Enfin au bras, le triceps est plus souvent lésé dans sa contractilité électrique que le biceps. Dans la paralysie saturnine générale du membre supérieur, outre les supinateurs et les muscles de la région antérieure de l’avant- bras, j’ai toujours vu le grand pectoral, le trapèze et les muscles qui s’insèrent dans la fosse sous-épineuse conserver leur aptitude à se contracter sous l’influence de la faradisation. Tel est l’ordre dans lequel on voit les muscles atteints successi- vement dans leur contractilité électrique chez les sujets atteints de paralysie saturnine du muscle supérieur. Le muscle deltoïde se paralyse quelquefois primitivement. Je vais en citer un exemple : Observation L. — Au numéro \ 3 de la salle Saint-Ferdinand, ser- vice de M. Cruveilhier, j’ai observé, en 1 849, un malade atteint d’une para- lysie du deltoïde du côté droit, consécutive à plusieurs coliques saturnines. Chez cet homme, les fibres moyennes avaient complètement perdu leur con- tractilité électrique, qui cependant existait encore, mais à un très faible degré, dans les fibres antérieures et postérieures. Je ferai remarquer toute- fois que l’extension volontaire des doigts ne me paraissait pas complète. La perte ou la diminution de la contractilité électro-musculaire précède-t-elle ou suit-elle la perte de la contractilité volontaire? Je ne possède pas encore les éléments nécessaires à la solution de cette intéressante question. Cependant j’ai toujours remarqué, dans les paralysies même ré- centes, que la lésion de la contractilité électro-musculaire était arrivée au maximum qu’elle doit atteindre, car jamais je ne l’ai vue augmenter progressivement, ainsi qu’on l’observe dans d’autres paralysies. Bien que, dans la paralysie saturnine, les muscles aient perdu en tout ou en partie leur contractilité électrique, ceux-ci n’en conser- vent pas moins une grande partie de leur sensibilité. Il me paraît prouvé, en conséquence, que la sensation qui accompagne la con- traction électro-musculaire n’est pas le produit de cette dernière, mais bien le résultat de l’action directe du faradisme sur la sensi- bilité musculaire. 314 Un membre frappé de paralysie saturnine est généralement amaigri ; mais il est remarquable que l’atrophie s’attaque principa- lement aux muscles qui ont souffert dans leur contractilité électri- que. Je me crois fondé à dire que ces'derniers muscles sont les seuls qui, en réalité, aient subi l’influence délétère de l’intoxica- tion saturnine. J’ai vu, en effet, que les autres muscles du membre paralysé, non-seulement souffrent peu dans leur nutrition, mais qu’ils recouvrent très vite leur force et leurs mouvements volon- taires, sous l’influence du traitement. PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES. L’anatomie pathologique est venue confirmer l'assertion précé- dente, comme le prouve le fait suivant : Observation LI. — Au numéro 15 de la salle Saint-Louis (Charité, service de M. Briquet), est mort en 1851 un homme qui, pendant une ving- taine d’années, avait conservé une paralysie saturnine'double de quelques muscles de la région postérieure de favant-bras. J’avais constaté, pendant sa vie, que ces derniers muscles ne se contractaient pas par l’excitation électrique, tandis que ceux de la partie antérieure de l’avant-bras jouis- saient de toutes leurs propriétés; mais leur force était très affaiblie; ils étaient considérablement atrophiés, à un degré infiniment moindre, il est vrai, que les muscles paralysés. — A l’autopsie, les muscles dans lesquels la contractilité électrique n’existait plus pendant la vie étaient d’un jaune pâle; examinés au microscope, ils furent trouvés en partie transformés en graisse; les muscles de la région antérieure, au contraire, étaient restés à l’état normal. Ce n’est qu’après plusieurs années que les muscles paraissent com- mencer à s’altérer dans leur texture; car j’ai eu l’occasion de voir les muscles d’un sujet qui succomba à une fièvre grave, ayant eu une paralysie saturnine datant de six à sept mois, et limitée aux deux avant-bras. Ces muscles, dans lesquels j’avais constaté la diminu- tion considérable de la contractilité électrique, et qui étaient très atrophiés, offraient cependant à l’examen microscopique des fibres parfaitement pures. Le diagnostic différentiel de la paralysie saturnine, limitée au membre supérieur, sera discuté à l’occasion de la paralysie rhuma- tismale de l’avant-bras (chapitre X). B. — Paralysie saturnine généralisée. La paralysie saturnine frappe quelquefois d’emblée tout le sys- tème musculaire. J’ai vu dans ces cas le diaphragme également ÉLECTRO-PATUOLüGlK. 315 atteint. J’en rapporterai des exemples en traitant de la paralysie du diaphragme. Quand je fis mes recherches sur l’état de la contractilité électro- musculaire dans la paralysie saturnine du membre supérieur, je ne négligeai pas d’étudier aussi l’état de cette propriété musculaire dans la paralysie saturnine généralisée, et je découvris qu’alors même que la lésion des mouvements volontaires s’était étendue à tout le système musculaire, la lésion de la contractilité électro-mus- culaire avait aussi son siège d’élection, comme lorsque la paralysie saturnine est localisée dans le membre supérieur. Observation LU. — Ce phénomène singulier que j’avais vu dès 1847, sans en être frappé d’abord et sans en tirer de déductions, je l’observai de nouveau chez un nommé Schræder, menuisier, qui, se trouvant tout à coup privé de travail, en 1849, fut forcé d’en aller demander à la fabrique de blanc de céruse de Clichy. Il y était à peine employé depuis dix jours qu’il éprouva des coliques de plomb et des douleurs dans tous les membres ; il dut alors se faire transporter à la Charité (salle Saint-Ferdinand, n° 16), service de M. Cruveilhier, où je le vis quelques jours après son entrée. Il était alors frappé de paralysie générale et n’avait conservé que les mouve- ments de la face. Son système musculaire, qui était assez développé avant sa maladie, s’était atrophié avec une grande rapidité. J’explorai alors, sous les yeux de M. Cruveilhier, l’état de la contractilité électro-muscu- laire, et je constatai : 1° Aux membres supérieurs, la perte de la contractilité électro-musculaire dans les extenseurs des doigts, dans les radiaux, dans les extenseurs du pouce, dans les cubitaux, et la diminution de cette pro- priété dans le long abducteur du pouce. Les supinateurs et les muscles de la région antérieure de l’avant-bras et de la main possédaient leur contrac- tilité électrique normale. Les muscles du bras étaient intacts, mais les deltoïdes ressentaient très peu l’action du courant. 2° Aux membres inférieurs, les extenseurs de la jambe sur la cuisse et les extenseurs des orteils se contractaient moins bien qu’à l’état normal par l’excitation élec- trique. 3° Au tronc, les grands pectoraux et les muscles droits de l’abdo- men avaient perdu une faible partie de leur contractilité électrique. Après cinq à six semaines de traitement par les bains sulfureux, les muscles des membres inférieurs, du tronc et du cou avaient recouvré leurs mouvements volontaires, mais aux membres supérieurs les muscles qui avaient perdu leur contractilité électrique étaient restés paralysés et atrophiés. M. Cru- veilhier me livra alors ce malade pour être traité par la faradisation loca- lisée. Ce dernier offrit, après sa guérison, ce phénomène remarquable qui sera l’objet d’une note à la fin de ce chapitre, à savoir, que ses muscles étaient encore privés de leur contractilité électrique, tandis qu’ils se con- tractaient par l’excitation volontaire. 316 PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES. Observation LUI. — J’ai eu l'occasion d’examiner deux autres sujets exerçant l’état de peintre, et qui, après avoir eu des coliques saturnines, avaient été frappés de paralysie générale. L’un d’eux était entré à la Cha- rité, en 1852 (salle Saint-Jean-de-Dieu, n° 1, service de M. Bouillaud). L’autre, en 1851, à la Pitié (salle Saint-Ferdinand, n° 10, service provi- soire de M. Aran). Je constatai que chez ces deux malades la lésion de la contractilité électro-musculaire avait établi son siège d’élection dans certains muscles des membres supérieurs et inférieurs, comme dans l’observation précédente. Je ferai remarquer encore que chez ces deux malades les mou- vements volontaires revinrent assez vite dans les'muscles qui n’avaient pas été atteints dans leur contractilité électrique, et que la paralysie persista longtemps, ainsi que l’atrophie, dans les muscles de la région postérieure de l’avant-bras, qui avaient perdu la faculté de se contracter par l’excitation électrique. En résumé, lorsque l’intoxication saturnine frappe en masse et d’emblée tout le système musculaire de paralysie, la contractilité électrique n’est diminuée ou abolie que dans certains muscles d’élection. On remarquera aussi que les muscles, qui dans ces cas ont con- servé leur contractilité électrique, recouvrent en général rapide- ment leur motilité, tandis que la paralysie et l’atrophie persistent longtemps dans les muscles qui ont perdu cette propriété. Je me réserve d’exposer le diagnostic différentiel de la paralysie saturnine généralisée d’avec les autres affections musculaires géné- rales,[dans le chapitre consacré'à l’étude de l’atrophie musculaire graisseuse progressive. § II. Paralysies consécutives à la colique dite végétale, de Madrid, etc. Rien ne ressemble à la paralysie saturnine comme la paralysie dite végétale, quant aux phénomènes électro-pathologiques qu’on observe dans certains muscles de la région postérieure de ravant-bras. C’est du moins ce qui ressort des faits suivants. Observation LIY. — Paralysie de certains muscles des membres supé- rieurs, consécutive à des coliques dites végétales, chez un cuisinier de na- vire du commerce. — Lésion de la contractilité et de la sensibilité électro- musculaires des mêmes muscles que dans la paralysie saturnine. Yachier (Hippolyte), cuisinier, âgé de trente ans, entré à l’Hôtel-Dieu le 9 juin 1853, salle Sainte-Jeanne, n° 36, service de M. Louis. Cet homme, d’une bonne constitution, est habituellement bien portant ; il se nourrit bien, ne fait aucun excès. Né à la Martinique, il exerce depuis dix-sept ans la profession de cuisinier à bord des bâtiments de commerce pour la traversée de son pays en France. ÉLECTRO-PATHOLOGIE. 317 Il s était toujours bien porté, lorsqu’on 1 848, passant sous la ligne, il éprouva pour la première fois des coliques très vives pendant plusieurs se- maines, avec constipation opiniâtre. De 1848 à 1853 il fut repris cinq ou six fois des mêmes accidents pendant la traversée. Le 10 avril 1853, Yachier quitta la Martinique pour revenir en France, monté sur un navire à cuisine distillatoire ; il était alors très bien portant. Vers le 1 0 mai, il eut quelques vomissements verdâtres, des coliques de médiocre intensité, avec constipation. Ces accidents cessèrent, sans que le malade fît aucun traite- ment. Le 19 mai, il avait travaillé comme d’habitude et croyait avoir re- couvré sa bonne santé habituelle, lorsque le lendemain, à son réveil, il remarqua qu’il ne pouvait plus faire usage de ses mains. Celles-ci étaient fortement fléchies sur les avant-bras; il pouvait à peine étendre les avant- bras sur les bras; l’élévation du bras elle-même était à peu près impossible. En même temps, il éprouvait des douleurs assez vives dans les membres paralysés. La perte du mouvement et des douleurs étaient plus prononcées du côté droit. Quelques jours après, il ressentit, à la région cervicale et entre les deux épaules, une sensation douloureuse qu’il compare à celle d’un fer chaud. Peu à peu les 'membres supérieurs éprouvèrent une véri- table diminution de volume; l’état général resta excellent, à part quelques maux de tête auxquels le malade était d’ailleurs sujet. Après une traversée de quarante-cinq jours, il débarqua au Havre et vint à Paris le 3 juin. Il n’avait fait d’autre traitement que des frictions avec du baume opodeldoch et de l’alcool camphré. Le9 juin, jour del’entrée du maladeà l’Hôtel-Dieu,on le trouva dans l’état suivant : Face naturelle; pouls, 64 à 66; pas de chaleur à la peau; langue humide et rosée; appétit, pas de douleurs de ventre, qui est souple et bien conformé; gencives couvertes d’un liséré grisâtre, ainsi que le collet des dents (surtoutles supérieures). Une garderobe assez facile tous les jours ou tous les deux jours. Rien du côté des organes de la respiration ; pas de céphalée, pas de douleurs à la région cervicale. La peau du membre n’a pas éprouvé de perte de sensibilité. Les membres supérieurs ont subi une diminution de volume considérable. Au niveau du deltoïde, dépression transversale remplaçant la saillie du moignon de l'épaule; les muscles du bras sont flasques et d’un très petit volume. Les muscles extenseurs de l’avant-bras semblent avoir à peu près complètement disparu et sont presque appliqués contre la région inter- osseuse. Le long supinateur et les radiaux sont diminués de volume, atro- phiés, flasques, mous comme ceux du bras ; il en est de même des fléchis- 318 paralysies saturnines et végétales. seurs ; niais ce sont ces derniers qui ont subi le moins d'altération, Â la main, léger effacement des éminences thénar et hypothénar; aplatissement du creux palmaire. M. Louis, dans le service duquel ce malade était entré, eut l'obligeance de m’engager à explorer l’état de ses muscles, et je constatai les phéno- mènes précédents et ceux que je vais exposer : De chaque côté, la main était fléchie à angle droit sur l’avant-bras et ne pouvait être relevée par le ma- lade. Les mouvements de latéralité du poignet étaient perdus à droite, mais à gauche l’abduction était en partie conservée. Les premières phalanges restaient constamment fléchies sur le métacarpien, sans pouvoir être éten- dues; mais si on les maintenait redressées , le malade pouvait étendre ses deux dernières phalanges, alors même qu’on renversait le poignet sur l’avant-bras. La main étant posée sur un plan horizontal, les doigts pou- vaient être écartés ou rapprochés les uns des autres. Le pouce et son méta- carpien étaient portés en dedans dans la paume delà main, sans qu’il pût être ramené en dehors par le malade ; mais si l’on portait le pouce en de- hors, le malade pouvait le placer en dedans. La flexion de la dernière pha- lange était conservée ; mais son extension était perdue. La flexion des doigts paraissait très affaiblie; cependant, si l’on maintenait solidement son poi- gnet dans l’extension, on voyait que les muscles possédaient toute leur force. 11 en était de même des fléchisseurs du poignet sur l’avanl-bras. Les mouvements de l’avanl-bras sur le bras étaient intacts, mais l’élévation du bras était perdue. Par l’exploration électro-musculaire, je constatai la perte complète de la conlraclililé électrique dans les radiaux, les extenseurs des doigts, les extenseurs et l'abducteur du pouce, et dans le cubital postérieur à gauche ; les supinateurs avaient conservé leur contractililé électrique. Enfin, cette dernière propriété était seulement affaiblie dans les deltoïdes et le triceps brachial. Je pourrais faire suivre cette observation d’une douzaine d’obser- vations semblables, et dans lesquelles j’ai constaté des phénomènes électro-pathologiques analogues. Les sujets de ces observations étaient aussi pour la plupart cuisiniers de navires du commerce ou de l’Etat. Voici le sommaire de trois de ces observations qui ont été relatées dans la précédente édition. Observation LY. — Le premier était entré à la Charité en 1847, au n° 20 de la salle Saint-Charles, service de M. Fouquier. 11 arrivait de la Martinique, avait eu des coliques avec constipation pendant la traversée ; puis ses bras s étaient paralysés. J’explorai l’état de la contractililé élec- trique de ses muscles de l’avant-bras en présence de M. Erard, alors chef de clinique de M. Fouquier et maintenant médecin des hôpitaux. Nous con- électro-pathologie. 319 slalâmes alors ensemble que la lésion des mouvements volontaires et de la contractilité électrique avait établi son siège d’élection dans les mêmes mus- cles que dans la paralysie saturnine. Observation LVI. — Le second était un marchand de journaux qui stationnait en 1 849 dans le voisinage de la Charité; il avait longtemps exercé létal de cuisinier sur un navire marchand qui faisait le voyage des Antilles. Mais ayant été paralysé de ses deux mains à la suite de coliques qu’il essuya pendant la traversée en passant sous la ligne, il dut abandonner sa profes- sion. Je retrouvai encore chez ce malade les signes électro-pathologiques qui sont propres à la paralysie saturnine. Observation LVII. — Le troisième, enfin, était aussi un cuisinier de la marine de l’État, nommé Brebion, qui était entré en 1852 à la Charité, dans la salle Saint-Charles, n° 18. Il avait eu également des coliques en passant sous la ligne et avait été frappé consécutivement de la paralysie de certains muscles dans la région postérieure de l'avant-bras avec perte de la contractilité électrique et diminution de la sensibilité dans les muscles pa- ralysés. On remarquait aussi chez lui le liséré des gencives qui existe chez ceux qui ont subi l’intoxication saturnine. Je pourrais encore rapprocher des quatre faits précédents un fait de pa- ralysie générale qui sera rapporté dans ce chapitre, survenu chez un homme qui avait eu aussi antérieurement des coliques végétales avec un grand nombre d’hommes de l’équipage, alors qu’il passait sous la ligne. Les signes tirés de l’état de la contractilité électro-musculaire de ses muscles me firent diagnostiquer chez lui l’existence d’une paralysie saturnine ou végétale gé- nérale, ainsi qu’on le verra par la suite. La similitude parfaite qui existe entre les phénomènes électro- musculaires observés dans les cas précédents, et ceux qui caracté- risent la paralysie saturnine, est un nouvel et puissant argument en faveur de l’opinion de ceux qui ont fait remonter la paralysie végé- tale et la paralysie saturnine à une origine commune, à l’intoxica- tion par le plomb (je rappellerai, en outre, que ces malades offraient sur le collet des dents le liséré caractéristique de l’intoxication saturnine). On sait que cette opinion a été repoussée par la majorité des chirurgiens de la marine, et qu’elle a été combattue avec beau- coup de talent dans ces derniers temps par M. Fonssagrives, chirur- gien de première classe de la marine (1). Cependant je crois qu’il y (1) Voyez son travail intitulé : Mémoire pour servir à l’histoire de la colique nerveuse endémique (Arch. gén. de méd., t. XXIX). — A M. Fonssagrives je puis opposer le travail très remarquable d’un de scs collègues de la marine, M. le docteur 1-efèvre, qui professe une opinion toute contraire à la sienne, appuyée 320 PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES. aurait lieu d’examiner si parmi les coliques et les paralysies végé- tales dues incontestablement, dans certains cas, à l’émanation d’effluves paludéens, il ne s’en trouve pas un'certain nombre qu’on pourrait attribuer avec juste raison à l’action du plomb. Je ferai remarquer, en effet, que les sujets de ces observations étaient des cuisiniers qui, continuellement exposés à la chaleur du foyer, doi- vent être plus altérés et boire une plus grande quantité d’eau. Or, l’eau qu’ils buvaient étaient de l’eau distillée par des appareils dont les serpentins sont de plomb, et qui était conduite de l’appareil au réservoir par un long conduit de plomb. Comme il paraît que plus l’eau est pure, plus elle décompose facilement le plomb avec lequel elle est en contact, n’est-il pas possible que l’eau distillée à bord des navires contienne des sels de plomb dans des proportions toxi- ques pour certaines personnes? J’ajouterai que ces malades ont été atteints par la colique dite végétale, alors qu’ils n’avaient pas été ex- posés aux émanations paludéennes (en passant sous la ligne). C’est une question d’hygiène importante à étudier. Quoi qu’il en soit, on ne saurait nier, si toutes les paralysies vé- gétales ressemblent à celles que j’ai eu l’occasion d’observer, qu’il existe, quant aux symptômes, une parfaite identité entre la para- lysie végétale et la paralysie saturnine. ARTICLE IL VALEUR DE LA FARADISATION LOCALISÉE DANS LE TRAITEMENT DES PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES. H est des paralysies saturnines qui guérissent assez vite par les moyens les plus simples et quelquefois spontanément; d’autres au contraire présentent aux médications diverses qu’on leur oppose une grande résistance. Lorsque les muscles paralysés n’ont perdu qu’une faible partie de leur contractilité électrique, on peut être certain qu’ils recou- vreront rapidement et facilement leurs mouvements. Malheureusement, ce signe ne peut servir à établir sûrement le pronostic pour la paralysie saturnine, comme pour la paralysie traumatique des nerfs; car j’ai vu des saturnins qui, après avoir perdu complètement leur contractilité électro-musculaire, n’en ont pas moins recouvré vite et facilement leurs mouvements et leur force musculaire. Je citerai comme exemple un sujet dont il a déjà par de nombreuses observations (voyez Recherches sur les causes de la colique sèche observée sur les navires de guerre français, particulièrement dans les régions équatoriales, Paris, 1859). VALEUR THÉHAUEUÏigUE DE LÀ FARADISATION LOCALISÉE. été question, et qui, après plusieurs rechutes, guérit, la dernière fois, aussi vite que les fois précédentes, par de simples bains sul- fureux, bien qu’il eût perdu sa conlractilité électro-musculaire. On remarquera toutefois que ses muscles, bien que paralysés et privés de leur conlractilité électrique, étaient très peu atrophiés, et sentaient l’excitation électrique presque autant que les muscles sains. 321 Je crois donc pouvoir poser en principe, que tout saturnin dont les muscles, privés complètement de leur conlractilité électrique, ont également perdu une grande partie de leur sensibilité électrique et sont très atrophiés, que ce saturnin, dis-je, guérira difficilement de sa paralysie. C’est dans ces dernières conditions que j’ai voulu expérimenter l’action thérapeutique de la faradisation localisée, et presque tou- jours après qu’il avait été bien constaté que les autres médications (bains sulfureux, vésicatoires, strychnine à l’intérieur et par la mé- thode endermique) avaient été impuissantes contre la paralysie. Il était évident que ce mode d’expérimentation devait être décisif. Eh bien, malgré les conditions désavantageuses où elle se trouvait placée, la faradisation localisée a presque toujours triomphé là où j’avais vu échouer les traitements les plus énergiques. A l’appui de ce que j’avance, je pourrais rapporter, comme je l’ai fait pour les paralysies traumatiquesdes nerfs, les observations nombreuses que j’ai recueillies depuis une dizaine d’années ; je me bornerai à en rap- peler quelques-unes. Le cas le plus remarquable est assurément celui de M. X... qui, depuis deux ans, avait vu échouer successivement les bains sulfureux, les vési- caloires et la strychnine, à laquelle il avait dû renoncer à cause des acci- dents quelle avait occasionnés. Quand il vint me consulter, ses bras pendaient le long du tronc, sans qu'il pût les écarter; il fléchissait avec beaucoup de peine l’avant-bras sur le bras, l’usage de la main était en- tièrement perdu. On était obligé de l’habiller, de lui porter les aliments à la bouche; ses deltoïdes étaient atrophiés ; la face postérieure de l’avant- bras était tellement atrophiée, que la peau était littéralement collée aux os. Enfin, M. X... en était arrivé à désespérer de sa guérison, et voulait aban- donner son commerce. — Je le faradisai chaque jour, pendant trois se- maines; je portai rexcitation principalement sur les muscles de la région postérieure de l’avant-bras et sur le deltoïde. Je ne négligeai pas de fara- diser les autres muscles du membre supérieur dont la force était affaiblie, et dont la nutrition avait évidemment souffert, bien qu’ils possédassent leur conlractilité électrique normale. Après trois semaines de traitement, 1’élé- DUCHENNE. vation du bras, la (lexion et l’extension de l’avant-bras sur le bras étaient entièrement rétablies. Les fléchisseurs des doigts et les interosseux avaient plus de force, le membre paraissait mieux nourri ; mais les extenseurs du poignet, des doigts et du pouce étaient restés dans le même état. Il ne fallut pas moins de six mois de traitement, les séances ayant lieu jour à autre, pour obtenir la guérison, et encore l’extension du pouce n’est-elle jamais entièrement revenue. PARALYSIES saturnines et végétales. Que Ton parcoure les observations de paralysie saturnine que je rapporterai bientôt à un autre point de vue, on verra que Pastoli (obs. LX, p. 331) n’a été guéri complètement qu’à la vingt-deuxième séance (ces séances étaient pratiquées trois fois par semaine) ; que Guillemart (obs. LXI, p. 333) ne s’est senti assez fort pour re- prendre son état qu’à la cinquantième séance (ces séances avaient également lieu trois fois par semaine) ; que chez Gervais, fondeur en caractères (obs. XLVII, p. 308), qui, pendant les trois premières semaines de son séjour à la Charité, avait été traité par les vésica- toires, les bains sulfureux et la strychnine à l’intérieur et par la méthode endermique, la guérison n’a été complète qu’à la quarante- cinquième séance. Dans le traitement de la paralysie saturnine, la faradisation doit être pratiquée de manière à exciter des sensations douloureuses, j’en dirai bientôt la raison; il en résulte qu’on est forcé quelquefois d’en éloigner les applications, sous peine de provoquer la courba- ture électrique. C’est pourquoi ce traitement est en général très long, et n’exige pas moins de trente à cent séances. Voici un cas rebelle, qui cependant a guéri assez vite en rapprochant les séances. Observation LYIII. — Paralysie saturnine limitée à l'avant-bras droit. — Doré (Joseph), cinquante et un ans, peintre en bâtiments, demeurant rue Saint-Séverin, 6, d’une constitution moyenne, n’a jamais eu d'autre maladie que celle pour laquelle il est entré à la Charité. Depuis trente-deux ans il exerce l’état de peintre; il éprouve souvent des coliques avec consti- pation. Eu juillet \ 850, ayant des coliques plus vives que d’habitude, avec une constipation opiniâtre, et de plus la main droite s’étant paralysée, il s’est décidé à entrer à la Charité, dans la salle Saint-Charles (service de M. Fouquier). Ses coliques ayant été guéries par le traitement de la Cha- rité, sa paralysie a été traitée par les bains sulfureux et par des vésicatoires pansés avec la strychnine. N’ayant obtenu aucune amélioration par ces moyens, M. Fouquier m’engagea à le soumettre à la faradisation localisée. Je constatai alors que du côté droit la contractilité était perdue et la sensi- VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. bilité considérablement diminuée dans les faisceaux extenseurs du médius et de l’annulaire et dans le second radial, et que ces muscles étaient arrivés aux dernières limites de l’atrophie Les autres muscles de l’avant-bras et de la main jouissant de leur contractilité normale, les mouvements volontaires étaient seulement perdus dans les muscles dont la contractilité électrique était lésée. Après six semaines d’excitation faradique pratiquée journellement à haute dose et à intermittences rapides , ce malade recouvra ses mouve- ments volontaires, mais non sa contractilité électrique. Depuis lors, jusqu’en juillet 1852, il put travailler et ne se ressentit plus de son ancienne para- lysie, bien qu'il eût de temps en temps quelques coliques. Mais au com- mencement de juillet 1852, de nouvelles coliques beaucoup plus fortes le reprirent avec un affaiblissement graduel des mouvements de la main. Le 30 juillet de la même année, il se décida à entrer à la Charité, salle Saint- Louis, n° 17 (service de M. Briquet), où, après avoir été guéri rapidement de ses coliques, il fut soumis de nouveau à la faradisation localisée. Alors je constatai que la paralysie existait encore du même côté (côté droit) qu’en 1850, et que les mêmes muscles ou faisceaux musculaires avaient perdu leur contractilité électrique et volontaire, avec cette différence que les faisceaux extenseurs de l’index du petit doigt paraissaient cette fois un peu paralysés. Il guérit comme la première fois en cinq à six semaines. Ce malade a dû être soumis comme les autres à une cinquantaine de séances, mais comme elles ont pu être plus rapprochées, sa gué- rison a été plus rapide. La plupart de ces malheureux ouvriers atteints de paralysie sa- turnine ne sont pas plutôt guéris qu’ils reprennent l’état qui les expose à de nouvelles intoxications ; aussi les rechutes sont-elles fréquentes parmi eux. Ces rechutes cependant n’apparaissent qu’a- près une nouvelle intoxication et après de nouvelles coliques, comme chez le sujet de l’observation précédente. La paralysie saturnine compromet d’autant plus les usages de la main, que ses extenseurs sont plus profondément lésés. Aussi ira- porte-t-il de diagnostiquer exactement l’état de chacun de ces extenseurs qui, sans compter les extenseurs des doigts, sont, on le sait, au nombre de trois : le premier radial, le second radial et le cubital postérieur. L’exploration électro-musculaire est le meilleur moyen de constater leur état exact, mais je préfère indiquer d’au- tres signes tout aussi sûrs, et qui, ne nécessitant pas l’usage d’un appareil, sont d’une application plus pratique. Pour bien saisir la valeur de ces signes et la gravité plus ou moins grande, pour les usages de la main, de la paralysie de ses extenseurs, il faut con- naître bien exactement l’action individuelle de ces muscles. Je suis PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES. obligé ici de taire une courte excursion dans le champ de l’électro- physiologie. Si l’on fait contracter alternativement le premier radial, le second radial et le cubital postérieur, voici ce qu’on observe : le premier radial élève le poignet sur l’avant-bras en le portant dans l’abduc- tion ; le second radial élève directement le poignet sans lui imprimer de mouvement latéral, et le cubital postérieur produit, mais faible- ment, l’extension de la main qu’il entraîne dans l’adduction.—Si, ayant placé la main dans l’adduction, on fait contracter le pre- mier radial en s’opposant à l’extension de la main, on voit celle-ci exécuter un grand mouvement latéral jusqu’à ce qu’elle soit arrivée au maximum d’abduction. Si alors on fait contracter le cubital pos- térieur en s’opposant également à l’extension du poignet, celui-ci exécute un grand mouvement latéral en sens contraire. Ainsi, le premier radial est extenseur abducteur, le cubital postérieur exten- seur adducteur, et le second radial extenseur direct. Voici maintenant ce qu’on observe quand ces muscles viennent à être paralysés ensemble ou partiellement. Les trois muscles précé- dents sont-ils paralysés simultanément, le poignet tombe dans la flexion sans que le malade puisse le relever, quelque effort qu’il fasse et de quelque manière qu’il s’y prenne. — Si le cubital posté- rieur est intact, alors que les deux radiaux sont paralysés, le poignet reste constamment fléchi sur l’avant-bras, comme dans le cas précédent, mais de plus il est tiré dans l’adduction ; de sorte que le cinquième métacarpien fait avec le cubitus un angle rentrant beau- coup plus prononcé que dans l’état normal. Avec les données électro-physiologiques exposées ci-dessus, on doit comprendre le mécanisme de cette attitude du poignet ; l’action adductrice du cubital postérieur n’étant plus modérée par celle du premier ra- dial, son antagoniste pour le mouvement latéral, elle doit néces- sairement changer l’attitude normale du poignet en le plaçant dans une adduction forcée. — La paralysie du second radial occa- sionne aussi la chute du poignet sur l’avant-bras, mais le sujet peut, en fermant la main, c’est-à-dire en neutralisant l’antagonisme des fléchisseurs des doigts ainsi placés dans le raccourcissement, relever le poignet que le plus léger effort d’extension des doigts ferait re- tomber à l’instant.—Si la paralysie du second radial est compliquée par celle du cubital postérieur, lé premier radial, qui n’est plus modéré par son antagoniste latéral direct, maintient le poignet dans l’adduction forcée. 11 n’est sans doute pas besoin d’insister pour faire saisir l’im- portance des signes diagnostiques qu’on peut tirer de la connais- VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 325 sance de ces phénomènes électro-physiologiques et pathologiques. La première fois que j’ai à examiner une paralysie saturnine limitée aux avant-bras, j’engage toujours le malade à porter en avant ses deux membres supérieurs, et à la seule attitude de ses poignets, je juge si tous les extenseurs du poignet sont paralysés ou s'ils ne le sont que partiellement. 1° S’il ne peut relever son poignet, et que celui-ci ne soit pas plus dans l’abduction qu’à l’état normal, je suis certain que ses radiaux et son cubital postérieur sont paralysés. 2° Si le poignet, ne pouvant être relevé par le malade, se trouve entraîné dans l’adduction, j’en conclus à l’intégrité du cubital pos- térieur et à la paralysie des deux radiaux. 3° Quand le malade peut relever son poignet seulement après avoir fermé le poing, pour moi la paralysie est limitée au second radial, si alors le poignet est élevé directement sur l’avant-bras. k° Enfin si, pendant ce mouvement d’élévation, le poignet est entré dans l’abduction, c’est que le cubital postérieur est paralysé, ainsi que le second radial. Je donne ces signes comme certains, car ils ne m’ont jamais trompé. La connaissance exacte du degré de lésion des muscles dans la paralysie saturnine importe d’autant plus que l’excitation électrique doit être portée dans chacun d’eux à une dose d’autant plus forte, et pendant un temps d’autant plus long, qu’ils sont plus profon- dément lésés. Les radiaux sont les muscles qui guérissent les premiers sous l’in- fluence du traitement faradique. C’est fort heureux, car sans eux les usages de la main sont à peu près Ainsi les fléchisseurs des doigts n’ont de force qu’à la condition que les tuteurs du poi- gnet (les extenseurs et les fléchisseurs du poignet) le maintien- nent solidement immobile comme s’il faisait corps avec l’avant-bras. Parmi eux, c’est le premier radial qui guérit le premier, et presque toujours longtemps avant le second radial. J’ai même vu des cas dans lesquels-le second radial conservait une très grande faiblesse. Il eût été fâcheux que ce fût le premier radial qui se montrât plus accessible à l’action toxique du plomb et plus rebelle à l’ac- tion thérapeutique de la faradisation localisée, car ce muscle sert beaucoup plus que le second aux usages de la main. J’en citerai un exemple : Le jeune X..,, dont le membre supérieur est représenté dans la figure û9 (obs. XLVI), a été longtemps privé de son premier radial, sans le secours duquel il pouvait cependant faire l’exten- sion du poignet avec son second radial, son extenseur et son cu- bital postérieur; mais alors son poignet se portait tellement dans l’adduction, que certains usages de la main en étaient très gênés. Ainsi, quand il voulait porter les doigts à la bouche ou à l’oreille 326 PARALYSIES SATURNINES ET VÉGÉTALES, du côté opposé, la main contrariait ses mouvements en s’inclinant sur le cubitus. Les malades ont à peine recouvré les mouvements d’extension du poignet, qu’ils reprennent, pour la plupart, leurs occupations habi- tuelles, malgré la persistance de la paralysie des extenseurs des doigts et de l’extenseur du pouce. Ainsi, ils écrivent assez facile- ment, pourvu que le court extenseur du pouce ne soit pas paralysé ; les peintres tiennent solidement leur brosse. Comme il a fallu déjà un temps assez long pour obtenir ce résultat, les chefs de service des hôpitaux perdent patience et renvoient les malades avant que leur guérison soit complète. Ces malades sont forcés de reprendre leur travail; mais, n’ayant pas encore la force et l’habileté néces- saires, ils ne tardent pas à rechuter. Aussi ai-je tait venir dans mon cabinet ceux d’entre eux que j’ai pu décider à renoncer à la profes- sion qui les exposait à l’intoxication par le plomb, pour leur rendre l’usage de leur main. J’ai suivi ces malades depuis leur guérison, et j’ai eu la satisfaction de constater que n’étant plus exposés à l’in- toxication saturnine, ils n’ont pas essuyé de rechute. J’ai toujours vu, dans la paralysie saturnine, le muscle deltoïde opposer très peu de résistance à l’action thérapeutique de la faradi- sation localisée. Un malade dont l’observation sera rapportée par la suite, qui, depuis deux ans, était privé de l’élévation des bras, avait déjà recouvré à peu près entièrement cette fonction après une dizaine de séances. J’en puis dire autant de ceux que j’ai eu l’occa- sion d’observer dans les mêmes conditions que lui. J’ai démontré que, lors même que la paralysie saturnine s’est gé- néralisée, cette affection spéciale conserve encore son caractère distinctif en privant de leur contractilité électrique les muscles dans lesquels elle établit son siège d’élection. Dans ces paralysies géné- rales, les mouvements et la nutrition reviennent assez vite dans les muscles qui ne sont pas le siège habituel de la paralysie satur- nine partielle. Ainsi, les trois malades atteints de paralysie saturnine générale que j’ai observés ont recouvré rapidement et sans l’inter- vention delà faradisation localisée, tous leurs mouvements, à l’ex- ception de ceux du deltoïde et de certains muscles de la région pos- térieure de l’avant-bras; il a fallu un temps assez long, et même recourir à la faradisation localisée, pour rappeler les mouvements et la nutrition dans ces derniers muscles. J’ai eu l’occasion de traiter trois paralysies consécutives à la co- lique dite végétale par la faradisation localisée, et j’ai constaté que cette médication se comporte dans ces cas comme dans la paralysie VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 327 saturnine, c’est-à-dire qu’elle exerce son action thérapeutique d’abord sur la nutrition et sur la tonicité musculaire, puis sur les mouvements volontaires, et qu’elle obtient la guérison de ces para- lysies, lors même qu’elles se sont montrées rebelles aux autres trai- tements. Je n’en rapporterai qu’un exemple. Observation LIX, — Paralysie végétale des avant-bras et des mains, avec atrophie considérable des muscles paralysés, datant de six mois, guérie par la faradisation localisée. Brebion (François), trente-deux ans, salle Saint-Charles, 4 8, cuisinier sur un navire de l’État, fit un voyage à la Guadeloupe en 4 851. Arrivé à la Basse-Terre, séjour du gouverneur, et après avoir eu un refroidissement étant en sueur, il eut une courbature. Le troisième jour, des coliques se déclarèrent avec tous les phénomènes qui caractérisent la colique sèche végétale. Ces coliques durèrent cinq mois avec des intervalles d’un jour ou deux. Quatre mois après l’apparition des coliques sèches, tremblement dans les bras pendant deux jours, puis paralysie complète des membres supé- rieurs. Revenu en France en mai 4 852, il entra à l’hôpital Saint-Antoine, où il prit des bains sulfureux. Après trois mois de ce traitement, les mou- vements de l’avant-bras sur le bras et des bras sur l’omoplate étaient re- venus, mais les mouvements de la main et des doigts étaient restés para- lysés. — Entré à la Charité dans la salle Saint-Charles, je constatai chez lui les phénomènes suivants : la région postérieure de l’avant-bras est tel- lement atrophiée de chaque côté, que la peau est littéralement appliquée sur les os ; les poignets sont constamment dans la flexion ; les premières phalanges sont fléchies sur les métacarpiens ; lorsqu’on les soutient rele- vées, le malade peut étendre ses deux dernières phalanges ; le pouce a perdu tous ses mouvements. Aucun des muscles de la région postérieure de l’avant-bras, à l’exception des supinateurs, ne répond à l’excitation électrique, et le malade témoigne peu de sensibilité lorsque je les faradise. Les muscles des éminences thénar sont atrophiés surtout à gauche. La faradisation localisée fut pratiquée trois ou quatre fois par semaine, avec un courant intense et rapide. En trois semaines, la nutrition apparut d’une manière notable dans les muscles paralysés, puis les mouvements re- vinrent dans les radiaux et dans le cubital postérieur; l’extension des pre- mières phalanges et les mouvements d’abduction et d’extension du pouce se firent un peu plus longtemps attendre. —Le 26 mai, Brebion se crut ca- pable de prendre le service de valet de chambre, et je constatai avant sa sortie de l’hôpital que la masse musculaire des avant-bras était très déve- loppée, que l’extension du poignet, des doigts et du pouce se faisait norma- lement, mais avec peu de force. Les petits muscles des éminences thénar commençaient à se développer, mais ils n’exécutaient pas encore complé- 328 fement l'opposition. Cet homme, ayant abusé de ses forces, dut rentrer à la Charité, où il est venu compléter sa guérison. PARALYSIES SATURNINES ET VEGETALES Le mode de faradisation que j’ai employé avec le plus d’avantage dans le traitement de la paralysie saturnine est à peu près celui que j’ai appliqué dans les paralysies consécutives aux lésions trauma- tiques des nerfs mixtes. Ainsi, on devra se servir du courant de la première hélice, à intermittences rapides et aussi intense que pos- sible, dirigé principalement sur les muscles dont la contractilité et la sensibilité électriques sont les plus affaiblis. (Le courant de la première hélice à intermittences rapides est, on le sait, celui qui agit le plus puissamment sur la sensibilité et la nutrition muscu- laires, en même temps qu’il rappelle le mouvement volontaire.) Les séances ne dureront pas plus de dix minutes; plus longues, elles pourraient occasionner des courbatures, être suivies de douleurs et produire l’effet contraire à celui que l’on voudrait obtenir. Les malades que j’ai guéris se sont bien trouvés des séances répétées de deux jours l’un. Ils ont été traités seulement par la faradisation localisée. Cependant l’association des bains sulfureux, de la stry- chnine à l’intérieur, de la gymnastique nerveuse et des différentes pra- tiques du massage, ne peut que bâter leur guérison. M, Remak a écrit : « L’obligeance de plusieurs de mes confrères me fournit bientôt l’occasion de traiter un certain nombre de ma- lades, et me convainquit pleinement de l’insuffisance du courant induit dans beaucoup d’états morbides, surtout dans les paralysies rhumatismales et saturnines qui, selon M. Duchenne, doivent en être guéries (1). » Les faits qui viennent d’être exposés dans cet article, et qui de- puis leur publication, déjà ancienne, s’appuient sur de nouveaux faits thérapeutiques que je ne puis plus compter, et sur une vaste expérimentation électro-thérapeutique répétée par de nombreux observateurs, tous ces faits, dis-je, incontestables et publiquement recueillis, permettent d’apprécier, comme elles le méritent, l’asser- tion étrange et contradictoire de M. Remak. Il est vrai que cet expérimentateur s’est proposé de préconiser la supériorité thérapeutique du courant continu qu’il dit guérir mer- veilleusement la paralysie saturnine. Au moment où j’écris ces lignes, j’ai déjà expérimenté ce procédé de galvanisation sur quel- ques sujets affectés de paralysie. Sur quatre malades, deux se sont (i) Galvanolhérapie, ou de l’application du courant galvanique constant au traitement des maladies nerveuses et musculaires. Paris, 1860, p. 4. fatigués de ce traitement douloureux qui, après trois semaines, n’avait pas encore produit d’amélioration. Un troisième me sup- plie d’employer la faradisation localisée qu’il a vu appliquer avec succès chez plusieurs de ses camarades. Le quatrième, qui jusqu’à présent n’a pas été plus heureux que les trois autres, veut bien se laisser appliquer encore le courant continu pendant une quinzaine de jours. PARALYSIE DE LA CONTRACTILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. 329 Certes un tel résultat ne me fera pas chanter les merveilles du courant continu dans le traitement de la paralysie saturnine. Espé- rons, toutefois, qu’une expérimentation nouvelle et plus longue réhabilitera la valeur, tant vantée par le guérisseur allemand, du courant continu appliqué au traitement de cette affection. CHAPITRE IX. PARALYSIE DE LA CONTRACTILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE, OU INDÉPENDANCE MUTUELLE Di LA CONTRACTILITÉ VOLONTAIRE ET DE LA CONTRACTILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. Il est aujourd’hui avéré qu’un muscle peut ne plus se contracter par l’excitation électrique, d’une manière appréciable, par l’excita- tion électrique, quoiqu’il se contracte sous l’influence de la volonté et que sa force paraisse normale. Il existe donc une paralysie de la contractilité électro-musculaire. Le fait est démontré par les expé- riences électro-pathologiques exposées précédemment. Ce fait me semble aussi acquis à la science, parce qu’il a été confirmé par d’autres observateurs et même par un jeune confrère qui s’est imposé la tâche de contredire mes recherches dans ce qu’elles ont de plus incontestable ou bien d’en combattre les déductions que j’ai essayé d’en tirer : « Dans certaines paralysies, dit-il, rien n’est plus vrai, le mouvement volontaire reparaît avant que l’électricité décèle un changement notable dans l’état de l’irritabilité (1). » Et plus loin il dit encore : « Le fait essentiel signalé par M. Duchenne reste pourtant avéré; mais, ajoute-t-il, ce fait doit être formulé d’une manière moins hyperbolique qu’il ne l’a été par cet auteur, » Selon ce critique, je me serais trompé dans mes observations, ou j’aurais exagéré en disant que dans ce cas j’ai constaté l’abolition de la contractilité électro-musculaire. Je pourrais m’accorder le plaisir de réduire à néant son argumentation qui fourmille de contradictions inexpli- (1) Landry, Traité complet des paralysies, p. 231. cables ; mais ce serait abuser du temps et de la patience de mes lec- teurs, Je ferai seulement appel à leur jugement, en me bornant à reproduire ici textuellement l’article que j’ai publié sur ce sujet dans la première édition (page Zi02). Ils verront que je n’ai rien exagéré et que j’ai exposé les faits tels qu’ils se sont présentés à mon obser- vation. PARALYSIE DE LA CONTUACTILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. L’irritabilité (1) n’est pas nécessaire a la motilité, tel est le titre d’un mémoire adressé par moi à l’Académie des sciences, en 1846. Si l’on se rappelle les grandes et savantes discussions soulevées par l’irritabilité ballérienne qu’on a cru jusqu’à présent insépa- rable de la vie, la proposition écrite en tête de cet article doit exciter l’incrédulité. Personne, en effet, n’avait songé à contester le rôle important qu’Haller a assigné à l’irritabilité. S’il est vrai que les physiologistes se soient divisés sur le siège de cette propriété, et qu’ils se soient engagés, à ce sujet, dans de vives et interminables discussions, d’un autre côté ils se sont tous tellement bien accordés sur l’impor- tance de l’irritabilité pour les fonctions musculaires, qu’il n’est venu à la pensée d’aucun d’eux de douter de l’union intime de la con- tractilité électrique et de la contractilité volontaire. Aujourd’hui cependant, m’appuyant sur des faits- nouveaux et nombreux, constatés publiquement dans les services cliniques des hôpitaux, souvent en présence des hommes les plus éminents, je persiste à dire que l'intégrité de la contractilité électro-musculaire n’est pas nécessaire « l’exercice des mouvements volontaires. Voici dans quelles circonstances on observe les phénomènes de quels j’ai déduit la proposition que je viens de formuler. Certaines paralysies sont caractérisées par la perte de la contrac- tilité électro-musculaire; parmi elles, je citerai la paralysie satur- nine, la paralysie consécutive aux lésions traumatiques des nerfs, et la paralysie de la septième paire. Au début de mes recherches, je m’attendais à voir dans ces cas reparaître parallèlement la contractilité volontaire et la contrac- tilité électro-musculaire sous l’influence du traitement. 11 n’est pas un physiologiste qui admette la possibilité du contraire. Cependant j’ai constamment vu la contractilité électrique rester longtemps dans le même état, c’est-à-dire abolie ou très notablement affaiblie, alors que les muscles avaient recouvré leurs mouvements volontaires. Je ne fatiguerai pas le lecteur de la relation de tous ces faits ob- éi) Kst-il besoin de dire qu'il s’agit ici de la contractilité provoquée artifi- ciellement, et surtout de la contractilité électro-musculaire. C’est ce que M. Lan- dry ne paraît pas avoir compris. serves en trop grand nombre (plus d’une centaine) pour trouver place dans cette note, et dans lesquels j’ai répété mes expériences à satiété. Néanmoins je ne puis me dispenser de lui en exposer quel- ques exemples, afin qu’il soit bien convaincu de la rigueur de mes déductions, et pour qu’il puisse en contrôler lui-même l’exactitude, dans des cas analogues. EXPOSITION DES FAITS. 331 Observation LX. — Paralysie saturnine des avant-bras. — Absence com- plète de la conlractilité électrique, appréciable môme par Véleclro-puncture, dans les muscles paralysés. — Retour des mouvements volontaires par la faradisation localisée, et persistance de la paralysie de la conlractilité électro-musculaire. Charité, service de M. le professeur Bouillaud, salle Saint-Jean-de-Dieu, n° 18, 1847, — Pastoli, âgé de vingt et un ans, d’une constitution assez forte, offrant un système musculaire généralement développé, d’une bonne santé habituelle ; à Paris depuis deux ans. — Depuis huit ans, il est peintre en bâtiments. La troisième année de son apprentissage, il éprouva des coli- ques très fortes, qui furent traitées par des purgatifs, des lavements d’eau de son et des cataplasmes de farine de lin appliqués sur l’abdomen. Depuis lors il éprouva tous les trois ou quatre mois des coliques moins fortes que les précédentes, dont la durée fut de trois à cinq jours, et qui furent traitées soit avec de l'eau de Sedlitz, soit avec de l’huile de croton tiglium. Chaqut- fois les accidents se dissipèrent, dès qûe les selles reprirent leur cours habi- tuel. Bien qu’il ne fût point paralysé, il s’aperçut cependant que l’avant- bras droit diminuait de volume. En août 1 847, il dut entrer à l’hôpital de Saint-Cloud, non-seulement pour s’y faire traiter de nouvelles coliques très fortes, mais aussi pour des douleurs très vives qu’il éprouvait dans le poi- gnet gauche, sans gonflement, ni rougeur, douleurs qui ne lui permettaient ni d’étendre les doigts, ni de se servir de la main. La compression, d’abord employée, fut ensuite remplacée par des frictions faites avec l’alcool cam- phré, et les douleurs disparurent. Cependant, voyant son poignet droit tom- ber, les doigts de ce côté fléchir malgré lui, sans qu’il pût les étendre, voyant aussi son avant-bras diminuer de plus en plus de volume, ce malade prit le parti de venir à Paris dans l’espoir d’y trouver des soins plus éclairés. Il entra donc à la Charité en décembre I 847 dans le service clinique de M. le professeur Bouillaud, qui alors me proposa d’étudier sur ce sujet les ,effets thérapeutiques de l’électricité. État de la paralysie avant la faradisation. ■— Le membre supérieur droit est très notablement moins volumineux que le gaucho, La circonfé- rence de l’avant-bras droit, au niveau de la saillie musculaire (c’est-à-dire 35 centimètres au-dessous de l’articulation du coude), est de 24 centimè- tres 5 millimètres. Celle de l’avant-bras gaucho, à la même hauteur, est de 26 centimètres. Le relief des muscles de la région postérieure de l’avant- bras droit a entièrement disparu. Le relief des tendons extenseurs ne se voit pas sur le dos du poignet droit, qui paraît comme œdématié. Le poi- gnet droit tombe à angle droit sur l’avant-bras ; les doigts sont fléchis presque complètement; le pouce exécute ses mouvements de flexion, d’extension et d’opposition. Non-seulement les muscles extenseurs des doigts et les radiaux sont paralysés, mais les autres muscles antagonistes paraissent aussi avoir perdu le mouvement, à tel point que le malade est entièrement privé de l’usage du membre. Il fléchit et étend le bras, mais il peut à peine l’écarter du tronc. L’état général est bon. Liséré blanchâtre sur le collet des dents. PARALYSIE DE LA CONTRACT1L1TÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. La faradisation est appliquée pour la première fois, le 9 décembre, et je constate ; \0 qu’à la région postérieure les extenseurs des doigts et les radiaux ont entièrement perdu leur contractilité électrique, lorsque je pratique la faradisation à l’aide d’éponges humides, et au maximum de mon appareil volta-faradique ; 2° que l’électro-puncture pratiquée énergiquement sur ces mêmes muscles ne paraît pas déterminer la plus petite contraction fibril- laire ; 3° que dans ces muscles la sensation électro-musculaire est un peu moins développée que dans les muscles sains du côté opposé ; 4° que les su- pinateurs, le cubital postérieur, les long abducteur et extenseur du pouce, les interosseux dorsaux, les muscles de la région antibrachiale antérieure et ceux du bras du même côté jouissent de leur contractilité normale; 5° que le muscle deltoïde a perdu un peu de sa contractilité, surtout dans sa partie moyenne. La séance dure dix minutes ; elle est renouvelée chaque jour. A la cinquième séance, les muscles de la région antérieure de l’avant- bras, qui, on le sait, avaient conservé leur irritabilité, ont recouvré une partie de leurs mouvements volontaires et de leur force. En effet, le malade peut fermer le poing assez fortement, mais l’extension des doigts est abso- lument impossible. La puissance tonique des muscles paralysés commence à reparaître dans les radiaux, car, pendant le repos musculaire, le poignet est un peu moins fléchi sur l’avant-bras. A la huitième séance, le bras peut être écarté du tronc et la main portée au front ; les extenseurs des doigts, les radiaux et les muscles du pouce commencent à se contracter sous l’influence de la volonté, mais nullement sous l’influence de l’excitation électrique la plus puissante ; le relief des muscles de la région postérieure de l’avant-bras droit est mieux dessiné ; la circonférence de l’avant-bras droit, mesurée 23 centimètres au-dessous du coude, a augmenté de 2 centimètres. A la vingt-deuxième séance, la paralysie des mouvements volontaires est guérie ; le malade dit avoir autant de force qu’autrefois ; les muscles de la région postérieure de l’avant-bras présentent une saillie musculaire aussi EXPOSITION DES FAITS. 333 considérable que du côté opposé. Je constate alors, en présence de M. le pro- fesseur Bouillaud, des médecins et des élèves qui suivent la clinique, que l’irritabilité n'a pas été rétablie par le faradisme dans les muscles exten- seurs communs des doigts ni dans les radiaux, bien que tous ces muscles jouis- sent de leur contractilité volontaire, de leur force et de leur sensibilité. En voyant ces muscles autrefois atrophiés présenter aujourd’hui un développement considérable, et se contracter avec force sous l’influence de la volonté, on ne les soupçonnerait pas atteints d’une grave lésion vitale, privés de leur irritabilité. L’observation de Pastoli présente tous les caractères d’authenti- cité désirables, puisqu’elle a été recueillie dans un service clinique de la Faculté, où les faits sont soumis au contrôle le plus sévère. Elle suffirait à la démonstration complète de cette proposition écrite en tète de cet article ; Lirritabilité n'est pas nécessaire à la motilüé. Si les muscles de Pastoli avaient offert la plus petite contraction sous l’influence de l’excitation électrique, on aurait pu l’apprécier par la vue, car sa peau offrait peu d’épaisseur ; on aurait aussi vu les aiguilles implantées dans ses muscles s'agiter au moment de la contraction. Cependant, pour être physiquement certain que, chez ce malade, la contractilité électrique musculaire était complètement éteinte, il fau- drait que j’eusse pu voir le muscle à nu, au moment de la recomposition électrique. En conséquence, quoique je sois porté à, penser que l'irrita- bilité électrique des muscles de Pastoli était entièrement abolie, il me paraît sage de faire quelques réserves à cet égard (1). Je donne l’observation de Pastoli comme le type de toutes celles dans lesquelles j’ai observé des phénomènes électro-dynamiques analogues. Cependant je dois dire qu’après le retour des mouve- ments volontaires, on voit assez souvent reparaître, à un faible degré il est vrai, la contractilité électro-musculaire, mais alors on observe encore qu’il n’existe aucun rapport entre l’état de la con- tractilité électrique et celui de la contractilité volontaire. On en trouve un exemple dans l’observation suivante. Observation LXI. — Paralysie saturnine avec absence de la contractilité électrique (même par l’éleclro-puncture). — Retour de la contractilité volontaire par la faradisation musculaire, et de quelques contractions fibrillaires par ïéleclro-puncture. Hôtel-Dieu, salle Saint-Louis, n° 27 bis (service de M. C.homel) (1) Ces réserves, que j’ai toujours faites, expliquent parfaitement ma pensée, et répondent victorieusement aux attaques dont il a été question précédemment, et dont je cherche vainement la raison d’ètre. PARALYSIE DE LA COSNTRACTlLlTÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. Guillemart, âgé de vingt-neuf ans, d’une bonne constitution, dont la profes- sion consiste à mettre en couleur la poterie en biscuit, a été atteint à de longs intervalles de deux coliques de plomb, traitées par des purgatifs à 1 hô- pital Saint-Antoine. Vers le milieu du mois de mars 1848, il s’aperçut pour la première fois d’un affaiblissement dans les mouvements de la main gauche. Huit jours après les doigts de cette main se fléchirent sans qu'il lui fût pos- sible de les étendre. Alors la main droite fut prise à son tour, et en quel- ques jours la paralysie saturnine régna au même degré des deux côtés avec tous ses caractères spéciaux. Le 2 mars, il 'fut atteint d’une colique plus violente que les premières, et dut entrer à la Charité dans le service de M. le professeur Andral pour s’y faire traiter. 11 fut rapidement guéri de ses co- liques par des purgatifs et par des bains sulfureux. Le 17 mars, M. An- dral me permit de tenter à l’aide de la faradisation localisée la guérison de la paralysie, qui n’avait pas été modifiée depuis son entrée à l’hôpital. État de la paralysie saturnine, le 17 mars, avant la faradisation. — Les avant-bras sont amaigris et présentent un aplatissement notable à la face dorsale et au niveau du relief des muscles de la région postérieure. Au tou- cher, on éprouve dans ce point la sensation d’une sorte de membrane tendue, et non l’élasticité ordinaire du tissu musculaire. Les mains sont violettes et offrent un abaissement de température très sensible, comparativement avec celle de Pavant-bras et du bras. Leur face dorsale est arrondie, un peu œdé- matiée, et ne présente aucun relief osseux ni tendineux. Les doigts sont flé- chis dans la paume de la main, et ne peuvent s’étendre sous l'influence de la volonté du malade, à l’exception des deux dernières phalanges. Il n’existe pas de contracture. Les mouvements de supination et de pronation, la flexion de l’avant-bras sur le bras, les mouvements du bras et de l’épaule sont intacts. Ces phénomènes ont lieu des deux côtés : à l’aide de la faradi- sation par les éponges et au maximum d’appareil, je constate que la contrac- tilité est perdue dans les radiaux, dans les extenseurs des doigts, dans les muscles long extenseur et abducteur du pouce. Avec l’électro-punoture, ces muscles n’éprouvent même pas de faibles contractions fibrillaires. Ces faits ont été constatés à la Charité par la plu- part des médecins, et à l’Hôtel-Dieu par MM. Chomel, Louis, Honoré, Martin-Solon et Philippe Boyer. J’ai oublié de noter qu'à droite les fais- ceaux extenseurs du petit doigt et de l’annulaire ont conservé leur irritabi- lité. Celle-ci est normale dans les autres muscles des membres supérieurs. Le nerf radial faradisé au tiers inférieur et externe du bras produit la flexion de l’avant-bras sur le bras par le grand supinateur et la supination par le court supinateur ; les autres muscles animés par ce nerf n’entrent pas en contraction. La sensibilité électro-musculaire est un peu diminuée dans les muscles privés d’irritabilité. Chaque jour la faradisation est pratiquée pendant huit à dix minutes. Je ne suivrai pas tontes les phases du traitement de Guillemart. Je dois dire qu'ayant suspendu mes recherches à la Charité pour observer quelques faits pathologiques à l’Hôtel-Dieu, je fis entrer ce malade dans cet hôpital (dans le service de M. Chomel, salle Saint-Louis, n° 27), où je le faradisai jusqu a ce qu’il fût entièrement guéri. EXPOSITION DES FAITS. 335 A la quarantième séance, l’extension volontaire des doigts était presque complète, ainsi que l’extension du poignet. Le relief de la masse musculaire de la région postérieure des avant-bras était assez prononcé. A la cinquantième séance, le malade se sentit assez fort de ses membres supérieurs pour s’engager dans la garde mobile. Avant sa sortie, je fis con- stater par les médecins qui avaient observé l’état de l’irritabilité de ses mus- cles avant l’application de la faradisation localisée, que la contractilité élec- tro-musculaire n’était pas modifiée chez lui, malgré le retour complet de la motilité, de la nutrition et de la puissance tonique de ses muscles. Plusieurs mois après sa sortie de l’hôpital, j’ai présenté Guillemart à MM. Andral, Bouillaud, Cruveilhier et Fouquier, qui ont pu constater que les muscles de la région postérieure de son avant-bras sont très développés ; que ce sujet jouit de tous ses mouvements, de sa force et de son agilité nor- males, et que cependant l'irritabilité est dans le même état qu avant le trai- tement, c'est-à-dire que les excitateurs humides ne peuvent faire contracter, même avec le courant le plus intense, les muscles suivants : les extenseurs des doigts (excepté les faisceaux extenseurs propres du petit doigt et de l'annulaire du côté droit), les radiaux, les longs extenseur et abducteur du pouce. Ces muscles se contractent très faiblement et (ibrillairement par l'électro-puncture. Cet état de l'irritabilité n’a pas empêché Guillemart de se servir très ha- bilement de son fusil. Aucun signe extérieur ne pourrait le faire soupçonner atteint d’une telle lésion dynamique. Cette observation ne diffère de la première qu’en ce qu’au moyen del’électro-puncture, à un courant très intense, on a pu produire des contractions faibles et fibrillaires après le traitement, Faut-il en conclure que, chez Guillemart, l’irritabilité n’était pas complète- ment éteinte dans la libre musculaire? L’aiguille enfoncée dans Je tissu du muscle ne pouvait-elle pas rencontrer des nerfs ou des filets nerveux? J’ai recueilli en effet plusieurs observations dans les- quelles les nerfs possédaient encore à un assez haut degré la faculté de produire des contractions quand je les excitais directement, bien que l’irritabilité n’existât plus dans le tissu musculaire. Les autres médications rétablissent aussi les mouvements volon- taires sans rappeler la contractilité électro-musculaire. Ainsi j’ai vu des paralysies saturnines guéries parla strychnine, dans lesquelles PARALYSIE DE LA C0NTRACT1LITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE, cependant les muscles ne se contractaient pas plus par l’excitation électrique qu’avant le traitement. Je vais rapporter un cas de paralysie saturnine dans lequel j’ai vu reparaître les mouvements volontaires sous l’influence des bains sulfureux, sans que la contractilité électro-musculaire fût à peine modifiée. Observation LXII. — Deville (Victor), vingt-deux ans, peintre et fils de peintre, demeurant à Dieppe, rue de l’Escalier. Dès son enfance, il a tou- jours été employé à broyer du blanc de céruse. — A l’âge de dix-huit ans il a été atteint pour la première fois par la colique de plomb, suivie de dou- leurs dans les membres, qui durèrent cinq mois. Un mois après l’apparition de ces douleurs, ses poignets tombèrent, et il ne put étendre les doigts. Il fut guéri par les bains simples et les vésicatoires. — A dix-neuf ans (en 1849), nouvelle colique de plomb suivie d’une paralysie semblable à la précédente. La colique fut seule traitée et la paralysie guérit spontanément en quatre mois. — En 1850, nouvelle colique avec tremblement dans les membres pendant huit jours et paralysie des extenseurs du poignet et des doigts. Pas de traitement ; guérison complète après cinq mois.— En 1851, mêmes accidents qui se terminent de la même manière. — Enfin le 28 novembre 1852, il entre à la Charité, salle Saint-Charles, n° 1 9, pour s'y faire traiter d’une nouvelle paralysie des avant-bras qui était revenue, comme les fois précédentes, à la suite d’une colique de plomb, mais qui cette fois semblait vouloir persister, car elle datait de sept mois et n’était pas améliorée. On lui fit prendre des bains sulfureux de deux jours l’un, et après quinze jours de ce traitement, il relevait les poignets et étendait complètement les doigts. Les muscles de la région postérieure de son avant-bras offraient leur déve- loppement normal. J'explorai alors pour la première fois Vêlai de la con- tractilité électrique des muscles qui avaient été paralysés, et je ne pus faire con- tracter ces derniers ni par les excitateurs humides, ni par Véleclro-puncture. Ces expériences furent faites avec le plus grand soin, chaque matin, en pré- sence de M. Andral, de M. Cruveilhier et d'un grand nombre de confrères. J’avais soin d’enfoncer profondément les aiguilles (d’un demi-centimètre â un centimètre), agissant comparativement sur les muscles jadis paralysés. La décharge provoquait dans les premiers une contraction énergique, tandis quelle ne produisait aucune contraction apparente dans les derniers; et ce- pendant cette excitation électrique occasionnait une sensation également forte dans les uns et les autres. Ce malade ne jouissant pas encore de toute sa force musculaire, malgré le retour de ses mouvements volontaires, il fut soumis chaque jour à la faradisation localisée. Quand il sortit, le 16 dé- cembre 1853, il n’éprouvait aucune gêne dans l’usage de ses membres supé- rieurs (il faisait le service de garçon de salle), mais la contractilité élec- EXPOSITION DES FAITS. 337 trique de ses muscles, jadis atteints par l’intoxication, était à peu près dans le même état. Je ne pouvais obtenir la plus faible contraction par les rhéo- phores humides; seulement quand il était soumis à l'électropuncture, les aiguilles étaient très faiblement agitées. Ce faible retour de la contractilité électrique était-il le résultat des excitations faradiques auxquelles il avait été soumis? Je pourrais encore rappeler ici quelques observations de paraly- sies tralunatiques des nerfs, qui ont été exposées dans le chapitre V, dans lesquelles j’ai vu revenir les mouvements volontaires, alors que les muscles restaient privés de leur contractilité électrique; mais ce serait donner inutilement trop d’extension à ce travail. Les faits que j’ai rapportés prouvent surabondamment qu’un muscle, privé de sa contractilité électrique (autant qu’il est toute- fois permis de le constater chez l’homme), peut cependant posséder intégralement sa contractilité volontaire. L’absence de la contractilité électrique dans un muscle qui pos- sède sa contractilité volontaire a été jusqu’à présent le résultat d’un état pathologique, c’est-à-dire que je n’ai observé ces phénomènes que chez des sujets qui, après avoir été paralysés, avaient recouvré les mouvements volontaires. Les muscles qui ont perdu leur contractilité électrique, la recou- vrent-ils tôt ou tard? et à quelle époque la recouvrent-ils? Je me réserve de revenir sur cette question. Pour le moment, il me suffit d’avoir démontré par des faits cette proposition importante, sans chercher à la commenter, à savoir que l'intégrité de la contractilité électro-musculaire n'est pus nécessaire à l'exercice des mouvements volontaires (1). De ce qu’une aussi profonde lésion de l’irritabilité ne trouble en rien les fonctions musculaires, est-ce à dire que cette propriété soit superflue? Telle n’est pas ma pensée; je professe au contraire que tout a un but dans la création. Mais d’après les faits précédents, il est évident que l’utilité de la contractilité électro-musculaire, de cette irritabilité sur laquelle on a tant écrit, tant discuté, est encore à rechercher. (1) Je ferai remarquer que cette proposition, qui a été traitée, par l’auteur dont il a été trop souvent question dans cet appendice, de faute de physiologie, d’erreur pathologique, etc., bien qu’il ait écrit; le fait signalé par M. Duchenne reste pourtant avéré, je ferai remarquer, dis-je, que cette proposition n’est que l'expression des faits que je viens d’exposer ; qu’elle n’est pas même une déduction, ni une explication que je laisse à d’autres le soin de chercher. DUCIIF.NNE. paralysies cérébrales. CHAPITRE X. PARALYSIES CÉRÉBRALES (Par hémorrhagie, ramollissement, compression, etc.). ARTICLE PREMIER. ÉLECTRO-PATHOLOGIE. — DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DES PARALYSIES CÉRÉBRALES, TIRÉ DE L’ÉTAT DE LA CONTRACTIL1TÉ ÉLECTRO - MUSCULAIRE. § I. — État de la contractllité électro-musculaire. Marshall-Hall a écrit; « Dans la paralysie cérébrale, l’irritabilité est augmentée (1). » J’ai démontré précédemment {chap. VI, p. 250) que, par le pro- cédé d’expérimentation appliqué par le célèbre physiologiste à ses re- cherches sur l’état de 1 irritabilité musculaire dans les paralysies spinales et cérébrales, on pouvait seulement connaître l’état de l’ex- citabilité réflexe de la moelle, et que, pour déterminer exactement l’état de la contractilité électro-musculaire dans les paralysies, il était absolument nécessaire de localiser exactement l’excitation dans les muscles paralysés. C’est à l’aide de cette méthode de faradisation que j’ai recherché s’il est vrai que l’irritabilité est augmentée dans les paralysies cérébrales. Il faut, dans ce genre de recherches, se tenir en garde contre diverses causes d’erreur que je vais signaler. A. Les contractures qui compliquent fréquemment les paralysies cérébrales peuvent masquer l’état de l’irritabilité des muscles para- lysés, et même faire croire à la diminution de cette propriété mus- culaire. Supposons, par exemple, que dans un cas d’hémiplégie de cause cérébrale, on ait à examiner, du côté paralysé, l’état de l’irri- tabilité des muscles extenseurs de la main chez un sujet dont les flé- chisseurs sont contracturés ; les muscles se contracteront faiblement sous l’influence d’un courant, qui serait cependant assez fort pour, mettre énergiquement en action les muscles homologues du côté sain. D’un autre côté, les muscles contracturés ne répondent pas mieux que les précédents à l’excitation électrique. On n’en con- clura certes pas que la contractilité est diminuée, car dans le pre- mier cas, les muscles maintenus dans l’élongation par leurs anta- (1) Loc. cil. gonistes contracturés, ne peuvent manifester leur contractilité électrique, et dans le second les muscles, déjà raccourcis par la con- tracture, ne peuvent plus se contracter davantage. 11 faut donc, dans ce genre de recherches, expérimenter sur des membres en complète résolution, sans complication de contracture. ÉTAT DE LA CONTRACTILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. 339 B. On ne doit pas tenir compte des différences très faibles que l’on pourrait observer dans l’état de la contractilité des deux côtés du corps, surtout lorsqu’on expérimente a minima selon le procédé Marshall-Hall ; car cette faible inégalité entre les deux côtés du corps existe à l’état normal. Cette opinion repose sur un très grand nombre de faits. Voici comment j’ai expérimenté pour arriver à la connaissance de ce fait ; plaçant alternativement les rhéophores sur les mêmes points et au niveau des muscles homologues, puis le courant étant extrêmement faible, j’ai augmenté graduellement ce dernier jusqu’à ce que le muscle commençât à se contracter. J’ai répété ces expériences sur un très grand nombre de sujets sains, et j’ai noté à quel degré de faradisation les muscles de chaque côté du corps entraient en contraction. Eh bien, j’ai toujours observé que les muscles de l’un des côtés du corps étaient plus excitables, mais cela d’une manière irrégulière, tantôt à gauche et tantôt à droite. Ces expériences, faites dans les paralysies cérébrales non compli- quées de contractures, ont donné des résultats identiques. Lors donc que, par hasard, les muscles du côté paralysé sont entrés les premiers en action, je me suis gardé de conclure de ces expériences faites avec des courants excessivement faibles que l’irritabilité était augmentée, comme l’a fait Marshall-Hall (1). Existe-t-il, à l’état normal, une légère différence entre les deux côtés du corps, ou bien cela tient-il à la résistance plus grande op- posée au courant par la plus grande épaisseur de tissu à traverser existant tantôt à gauche, tantôt à droite? Cette dernière raison me paraît la plus vraisemblable. Je n’ai pas besoin d’ajouter, après ce qui précède, que l’on doit toujours tenir compte de l’état anatomique des membres et des régions sur lesquels on expérimente, car il est évident que si, par exemple, ils sont œdématjés, le courant pour arriver au muscle devra toujours être plus intense. (1) Ce physiologiste a expérimenté seulement avec des minima, et le hasarda pu l’induire en erreur, car j’ai répété ses propres expériences en galvanisant comme lui les muscles par actions réflexes sur des sujets sains et sur des sujets frappés d’hémiplégie cérébrale, et les résultats ont été les mêmes que dans les expériences que j’ai faites par la faradisation localisée dans les muscles, en pro- cédant par minima. Ayant évité toutes les causes d’erreur que je viens de signaler, il m’a été impossible de constater dans les milliers de cas qui ont été soumis à l’exploration électro-musculaire, que l'irritabilité est aug- mentée par le fait de la paralysie cérébrale, ainsi que l’a prétendu Marshall-Hall ; je l’ai toujours trouvée dans son état normal. PARALYSIES CÉRÉBRALES. Enfin la sensibilité électro-musculaire est en général intacte dans la paralysie cérébrale. L’hémiplégie cérébrale est certes facile à diagnostiquer. L’inté- grité de la contractilité électrique des muscles paralysés doit la dis- tinguer, à coup sùr, des paralysies qui ont été étudiées dans les chapitres précédents, et qui ont toutes un caractère commun : la diminution ou l’abolition de la contractilité électrique; cependant il est des circonstances dans lesquelles le plus habile pourrait encore y être trompé, comme le prouve le fait suivant : Observation LXIII. — Hémiplégie consécutive à une hémorrhagie cérébrale datant de deux ans et demi et limitée au membre supérieur gauche. — Er- reur de diagnostic causée par les rapports mensongers du malade, et re- dressée par l'exploration électro-musculaire. Au n° 30 de la salle Saint-Michel (service de M. Rayer), j’observai, en 1849, un malade exerçant la profession de peintre, et qui était affecté d’nne paralysie du membre supérieur gauche. La paralysie, me disait-il, datait seulement de quelques semaines et avait été précédée de plusieurs coliques saturnines. Comme il traînait un peu la jambe gauche, je lui demandai s’il avait eu tout le côté paralysé. Il me répondit négativement, et je le crus sur parole. Cette paralysie du bras, survenue chez un peintre, après des coli- ques saturnines, paraissait devoir prendre rang parmi les paralysies satur- nines ; le diagnostic fut du moins ainsi porté dans le service où il se trou- vait; mais en explorant l’état de ses muscles paralysés, je découvris qu’ils avaient conservé l’intégrité de leur contractilité et de leur sensibilité élec- triques. Les traits du malade me rappelèrent un individu que j’avais fara- disé dans un service voisin, deux ans auparavant, pour une hémiplégie cé- rébrale. Mais il me jura cependant qu’il se trouvait pour la première fois à la Charité. Enfin, cette paralysie qui, au dire du malade, était survenue lentement, après des coliques de plomb, et sans avoir été précédée d’hémi- plégie, ne dut laisser dans les esprits aucun doute sur sa nature. C'était donc une paralysie franchement saturnine, dans laquelle la contractilité électro-musculaire était intacte. Ce fait, contradictoire avec ceux que j’avais observés jusqu’alors, devait, on le comprend, singulièrement m’embarrasser. Aussi, bien qu’il fallût l’ac- cepter provisoirement, puisqu’il ne paraissait pas niable, je ne cessai de ÉTAT DE LA C0NTKACTIL1TÉ ÉLECïttÜ-MUSCULAlUE. l’observer avec la plus grande méfiance. Quelques semaines plus tard, ayant retrouvé parmi mes observations celle du paralytique que j’avais faradisé en 1847 dans le service de M. Cruveilhier, je découvris que le malade de la salle Saint-Michel m’avait trompé. Je voulus établir son identité au bu- reau, et je constatai sur le registre que Guillemain (c’est le nom de notre ma- lade), âgé de trente-sept ans, né à Limoux, demeurant rue Cocatrix, n° 1 6, était entré le 9 décembre dans la salle de Saint-Ferdinand, ayant une hé- miplégie cérébrale, qu’il était sorti le 7 février 1848, et que ce môme individu était de nouveau entré le 21 septembre 1849 dans la salle Saint- Michel, n° 30. Possédant ces renseignements, j’interrogeai Guillemain de nouveau sans lui laisser deviner que je connaissais la vérité ; il persista dans son système de mensonge. J’ajouterai, pour expliquer cette singulière conduite du malade, qu’en 1847 il fut renvoyé de l'hôpital pour insubordi- nation et que, sans doute, il craignait d’étre reconnu. Je ne rapporterai pas dans tous ses détails l’observation de ce malade, qui fut recueillie en 1847 par l’interne du service de M. Cruveilhier. Il est démontré dans cette observation que l’hémi- plégie était consécutive à une hémorrliagie cérébrale, et qu’elle était complète. Depuis lors, le membre inférieur gauche avait recouvré presque tous ses mouvements, et le bras seul était resté paralysé. Les auteurs qui ont rapporté des cas d’hémiplégie saturnine ont sans doute été trompés par les apparences, comme on pouvait l’étre dans le fait suivant : Observation LXIV. — Hémiplégie survenue tout à coup chez un peintre pen- dant qu'il souffrait de coliques saturnines. — Doutes sur la nature de l'hémiplégie dissipés par l'exploration électro-musculaire. — Diagnostic justifié par l’autopsie. Un malade entre à la Charité pour des coliques saturnines; il exerce l’étal de peintre et a sur les lèvres le liséré caractéristique. Tout à coup survient une hémiplégie, pendant le cours de sa maladie. On se demande alors (un instant c’était la pensée du chef de service) si ce n’est pas là un exemple d’hémiplégie saturnine. Cette question m’est alors posée. Pour la résoudre, j’explore l’étal de la contraclililé et de la sensibilité électro-mus- culaires. Ayant trouvé partout ces propriétés intactes, je n’hésite pas à dia- gnostiquer une hémiplégie de cause cérébrale. Le malade succombe quel- ques jours après et à l’autopsie on trouve un vaste épanchement sanguin dans l'un des lobes cérébraux. Si ce malade avait survécu à son attaque, il serait resté peut-être HÉMIPLÉGIE CÉRÉBRALE DE L’ENFANCE. quelques doutes sur la nature de l’hémiplégie. L’exploration électro- musculaire, on l’a vu, ne permit pas de commettre une telle erreur. Il est vraiment à regretter que la proposition formulée par Marshall- Hall ait été trouvée inexacte, car l’augmentation de l’irritabilité eût été le caractère propre des paralysies cérébrales, et aurait été un signe diagnostique précieux qui nous aurait permis de les distinguer des autres paralysies (des paralysies hystériques et rhumatismales) dans lesquelles l’irritabilité est toujours normale. Je reviendrai sur ces questions de diagnostic différentiel, en traitant des paralysies hystériques et rhumatismales et des affections musculaires générales. §11. — Diagnostic différentiel des paralysies cérébrales de l’en- fance d’avec la paralysie atrophique graisseuse de l’enfanee et d’avec certaines paralysies trauniatiques congénitales. On peut avoir à établir le diagnostic d’une paralysie cérébrale de l’enfance, soit hémiplégique, soit générale, soit (ce [qui pourra sur- prendre) paraplégique. A. — Hémiplégie cérébrale de l’enfance, L’hémiplégie de l’enfance, produite ou par une affection tuber- culeuse ou par une hémorrhagie, etc., est la forme la plus com- mune des affections cérébrales de l’enfance, celle du moins que j’ai eu l’occasion d’observer le plus fréquemment. Je l’ai vue quel- quefois limitée au membre supérieur ou au membre inférieur, mais j’ai presque toujours pu constater que primitivement elle avait été complète. Eh bien, il n’est pas rare de voir la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance se comporter de la même manière. J’en ai recueilli une dizaine de cas. Et puis, comme celle-ci survient tout à coup et qu’ordinairement elle est précédée ou accompagnée au début de convulsions, on est exposé, si l’on n’y prend garde, à la confondre avec l’hémiplégie de cause cérébrale. L’exploration élec- tro-musculaire peut mettre l’observateur à l’abri de l’erreur. En effet, l’affaiblissement ou la perte de la coutractilité électro- musculaire qui caractérise, pendant les premiers mois, la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance (période paralytique) établit une distinction bien tranchée entre cette dernière affection et l’hémiplégie cérébrale, qui laisse toujours intacte l’irritabilité musculaire. Mais comme dans la seconde période (période de chronicité, d’atrophie et de substitution graisseuse), l’irritabilité électrique revient avec la contractilité volontaire dans les muscles qui n’ont pas subi l’altéra- DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL, tion graisseuse, le signe diagnostique, tiré de l’état de la contractilité électro-musculaire semble devoir manquer. Cependant il est extrê - mement rare qu’un plus ou moins grand nombre de muscles n’aient pas encore entièrement disparu sous l’intluence du travail de substi- tution graisseuse. Je pourrais dire que c’est la loi, puisque sur plus de deux cents cas que j’ai observés, je n’en ai pas rencontré une seule exception. N’y eût-il alors qu’un seul muscle graisseux, ce muscle ne se retrouverait plus par l’exploration électro-musculaire; ce qui suffirait encore, dans une période très avancée, pour distin- guer la paralysie atrophique graisseuse de la paralysie cérébrale. Les mouvements réflexes qui, dans la paralysie cérébrale, sont provoqués par les mouvements volontaires ou certaines excitations, et qui n’ont jamais lieu dans la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance, viendront confirmer l’exactitude du diagnostic électrique. Enfin, que l’on ait à diagnostiquer (ce qui m’est arrivé quelque- fois) deux anciennes affections où les membres, complètement privés de mouvements, sont également atrophiés ; que l’une d’elles ait été produite par une lésion cérébrale, tandis que l’autre appartient à l’espèce des hémiplégies atrophiques graisseuses de l’enfance, il sera facile de les distinguer l’une de l’autre par l’exploration électro- musculaire. En effet, dans la paralysie cérébrale, les membres, en général, s’amaigrissent en masse à la longue [bien que dans certains cas, sur lesquels je reviendrai bientôt, les muscles paralysés s'hyper- trophient). L’amaigrissement ou l’arrêt du développement peut être alors extrême, mais jamais je n’ai vu les muscles transformés en graisse, alors même que depuis la naissance les muscles n’avaient pas donné signe de vie. L’absence complète de mouvements dans l’af- fection cérébrale n’est pas nécessairement suivie, à la longue, de l’altération musculaire graisseuse. 11 faut pour la production de ce travail morbide une lésion et une cause spéciales. J’ai rapporté à l’appui de cette opinion lecas d’une jeune fîlleâgée de douze ans dont les muscles du membre supérieur étaient intacts, c’est-à-dire se contractant normalement par la faradisation localisée, bien qu’ils n’eussent pas donné, avant cette expérience, de signe de vie, au point que l’on avait jusqu’alors douté de leur existence. M. Cru- vèilhier, de son côté, m’a dit avoir eu plusieurs fois, ainsi que je l’ai déjà dit, l’occasion de constater que, dans ces paralysies an- ciennes de l’enfance, la fibre musculaire reste intacte, quoiqu’il en ait trouvé les muscles pâles et très atrophiés. Dans l’autre affection (l’a paralysie atrophique graisseuse), au con- traire, tantôt la nutrition musculaire est lésée inégalement, de telle sorte qu’on voit, par l’exploration électrique, que des muscles sont HÉMIPLÉGIE CÉRÉBRALE DE L’ENFANCE. plus ou moins atrophiés et que d’autres ont entièrement disparu, et tantôt, ce qui est plus rare, tous les muscles des membres sont complètement détruits. Ainsi, des enfants m’ont été quelquefois présentés comme atteints de paralysies plus ou moins localisées dans les membres supérieurs ou inférieurs, et leur maladie datait d’un à dix ans, et plus; ces paralysies paraissaient identiques (même lésion des mouvements, même atrophie générale du membre en apparence, même diagnostic porté dans les consultations antérieures). Cependant, explorant l’état des muscles paralysés par la faradisation localisée, je constatai chez ces enfants l’intégrité parfaite de tous ces muscles, quelque atro- phiés qu’ils fussent; tandis que je trouvais chez les autres les mus- cles détruits partiellement et à des degrés différents : ici un muscle avait disparu en entier, là il n’avait perdu qu’une partie de ses faisceaux musculaires. Les muscles ou les portions de muscles qui étaient intacts se contractaient fort bien par la volonté et par l’ac- tion électrique. Je ne pouvais rapporter cette lésion plus profonde de la nutrition musculaire à la durée plus grande de la maladie; car, chez des enfants paralysés depuis dix à douze ans, je trouvai la fibre musculaire parfaitement normale et jouissant de toutes ses propriétés, tandis que, chez les autres, le tissu musculaire était sou- vent déjà profondément altéré après quelques mois de maladie. En présence d’un état si différent de la fibre musculaire, je ne pouvais rapporter ces diverses affections à une maladie identique. C’est l’observation de ces faits qui m’a mis sur la voie de mes recherches sur la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance. Tout récemment encore, j’ai eu à établir le diagnostic dans deux cas en apparence semblables, et qui cependant différaient essentiellement entre eux, comme on le verra bientôt par l’état de la fibre muscu- laire. Observation LXV. — En juin 4 852, M. Bouvier m’adresse deux en- fants, dont les mouvements du pied et des orteils du côté droit étaient en- tièrement abolis depuis quelques mois après la naissance. Ces enfants étaient à peu près du même âge. L’un était un garçon de sept ans, nommé Charles Leroux, demeurant rue des Amandiers, n° 19, et l’autre une jeune fille de huit ans, mademoiselle de C... Chez ces deux enfants, la jambe malade était peu développée, et moins longue que celle du côté sain. Il eût été dif- ficile de trouver à la vue une différence entre ces deux jambes privées de tout mouvement volontaire. — A l’exploration électrique, je constatai chez mademoiselle do C... l’existence de tous les muscles de la jambe et du pied, que je fis très bien contracter individuellement. Chez Charles Leroux, au contraire, je ne trouvai plus un seul des muscles de la jambe et du pied. Au toucher, on ne sentait chez ce dernier enfant que du tissu adipeux sous la peau, tandis que chez la première on sentait, à travers la peau assez épaisse, le tissu musculaire bien que peu développé.— Sans me renseigner sur l’histoire de la maladie de ces enfants, et d’après cette seule explora- tion, je n’hésitai pas à dire que chez mademoiselle de C... la paralysie des muscles de la jambe était symptomatique d’une affection cérébrale. En effet, dans les premiers temps de la maladie, l’hémiplégie avait été complète, l’intelligence avait longtemps souffert, et l’on retrouvait dans l’histoire de la maladie tous les symptômes qui sont propres à une affection cérébrale. Chez l’autre, Charles Leroux, au contraire, j’attribuai l'affection à une lésion nerveuse, à laquelle le cerveau était incontestablement étranger. Voici, en effet, comment la maladie de cet enfant s’était développée. A l’âge de trois mois, après avoir été exposé à la pluie (c’est du moins la seule cause qu’on puisse reconnaître), on s'aperçut que les mouvements du pied droit n’existaient plus, et depuis lors ils ne sont jamais revenus (son pied est représenté dans les figures 45 et 46). Cet enfant n’a cependant jamais eu ni fièvre ni convulsion, ni souffrance. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL. On dira, sans doute, qu’il suffit de consulter les symptômes et la marche de la maladie chez ces deux enfants pour diagnostiquer une affection nerveuse centrale différente, puisque, chez le petit garçon, il n’y eut pas de phénomènes cérébraux, et qu’il n’eut pas même de fièvre, et enfin, que la paralysie avait tou jours été limitée au membre inférieur. Mais j’ai rapporté des faits de paralysie atrophique grais- seuse semblable à celle de cet enfant, et dans lesquels on a vu la paralysie accompagnée au début d’une fièvre de quelques jours (trois ou quatre), ou d’un état comateux, ou de convulsions, pré- senter, en un mot, des phénomènes qui auraient pu porter à penser que la paralysie était liée à une affection du cerveau, si plus tard on n’avait trouvé dans l’altération de nutrition d’un plus ou moins grand nombre de muscles paralysés un signe qui prouvait que l’af- fection musculaire était indépendante d’une lésion cérébrale. Les accidents cérébraux ne sont alors qu’une complication. Je vais terminer cette étude sur le diagnostic différentiel de la pa- ralysie cérébrale, hémiplégique de l’enfance, en exposant quelques cas de paralysies traumatiques du membre supérieur, d’un diagnostic difficile, et dans lesquelles l’exploration électro-musculaire a été d’une grande utilité. HEMIPLEGIE CÉRÉBRALE DE L’ENFANCE. Observation LXVI. — Paralysie de cause cérébrale du membre supérieur droit, paralysie alrophique, du même côté, des muscles animés par le nerf cubital et des muscles radiaux datant de la naissance. En 1855, je fus appelé en consultation par M. Hérard, médecin des hô- pitaux, pour un jeune garçon âgé de dix ans, et dont la main droite était déformée comme dans la figure 51. Cette main moins développée que la main gauche, avait la forme d’une griffe, beaucoup plus prononcée dans les deux derniers doigts dont les premières phalanges étaient renversées sur les métacarpiens, tandis que leurs dernières phalanges étaient fléchies sur la première. Les muscles des espaces interosseux et des éminences étaient atrophiés, la main était dans une flexion continue sur l’avant-bras et un peu dans l'abduction. Quand on voulait la relever et la porter en de- hors, on éprouvait un obstacle mécanique qui s’opposait à ce mouvement, et cet obstacle paraissait dépendre de la contracture du muscle cubital antérieur et de la déformation de l’articulation radio-carpienne. — Les mouvements du membre supérieur droit étaient exécutés faiblement, difficilement et incom- plètement. Cependant les muscles du bras et de l’épaule n’étaient pas alro- Fig. 51. Fig. 52. phiés.Tous les mouvements volontaires du membre supérieur droit provo- quaient des spasmes dans les muscles de ce membre, comme on l’observe dans la paralysie cérébrale. ■—A l’exploration électro-musculaire, je trouvais que la contractilité était très affaiblie dans les muscles animés par le nerf cu- bital, dans les muscles des éminences et dans les muscles radiaux. Elleélait normale dans les autres muscles. Ainsi voilà une paralysie du membre supérieur qui présente l’ensemble DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL. 347 des caractères propres à la paralysie de cause cérébrale et à la paralysie atro- phique par lésion des nerfs, dans les muscles de la main et dans quelques muscles de l'avant-bras, c’est-à-dire, la réunion, dans un même membre, des troubles pathologiques occasionnés par deux maladies différentes. L’his- toire des antécédents démontre, en effet, que ces deux maladies ont existé. Cet enfant est né, en effet, dans des circonstances fâcheuses. Il s était présenté par l'épaule, le cordon ombilical était enroulé autour de son cou. L’accouchement de sa mère a été long et laborieux. Il est né asphyxié et il a été rappelé difficilement à la vie ; puis il avait le cubitus fracturé près de l’articulation du coude. Après sa naissance, il n’a pas remué le membre su- périeur droit. Ou ne voyait pas de différence entre les deux côtés, mais en quelques mois la main est arrivée progressivement à sa déformation actuelle (voy. la fig. 51). Le membre de ce côté s’est moins développé. Puis sous l’influence du temps et des soins très variés le bras droit a retrouvé quelques mouvements compliqués, comme je l’ai dit, de contractions ré- flexes. On voit donc dans cette observation que l’enfant est né avec une hémiplégie du membre supérieur, de cause cérébrale, occasionnée très probablement par la compression exercée sur le cou par le cor- don ombilical ; que la paralysie atrophique et la déformation de la main sont le résultat de la lésion de quelques nerfs intéressés dans la fracture des os de l’avant-bras, pendant la manœuvre de l’ac- couchement. Tel fut le diagnostic que* je portai dans la consultation avec M. Hérard, diagnostic qui fut ensuite confirmé par les ré- sultats obtenus par la faradisation localisée. Je vis en effet, sous l’influence de la faradisation localisée, les muscles paralysés et atrophiés par lésion traumatique de leurs nerfs se développer progressivement , et la forme de la main revenir à son état normal par le retour de leur tonicité. La figure 52 a été dessinéeM’après la photographie que j’ai faite de la main du petit malade après son traitement. Qu’on la compare à la figure 51 pho- tographiée et dessinée avant le traitement. On remarque que la griffé n’existe plus, c’est-à-dire que les deux phalanges se sont étendues et que les premières se sont un peu fléchies. Ce rétablissement de la forme normale de la main est dû au développement des interos- seux. Les éminences se sont aussi également développées ainsi que les muscles atrophiés de l’avant-bras. Les troubles fonctionnels, causés par les spasmes réflexes qui avaient lieu pendant les mouvements vo- lontaires, sont restés à peu près ce qu’ils étaient avant le traitement. Il est vrai que les mouvements du membre supérieur ont gagné en force et en étendue, mais ils n’ont pas recouvré leur indépendance. Le jeune malade ne peut les localiser; ils sont toujours gênés par les spasmes réflexes dus à la lésion cérébrale. Avec le temps, et aussi avec une gymnastique bien dirigée, les spasmes réflexes diminue- ront ou disparaîtront. hémiplégie cérébrale de l’eneange. En résumé, ce fait, intéressant à plus d’un litre, démontre qu’a- lors même que l'on trouve réunies chez le même individu et sur un même membre deux paralysies, l’une de cause cérébrale, et l’autre par lésion des nerfs, on peut encore en faire le diagnostic diffé- rentiel par l’exploration électro-musculaire (1). J’ai vu confondre avec l’hémiplégie cérébrale et congénitale du membre supérieur la luxation postérieure et externe de l’épaule, appelée luxation sous-acromiale par M. le professeur Malgaigne (2), et qui est quelquefois produite par certaines manœuvres de l’accou- chement. Cette espèce de luxation scapulo-humérale, très rare jadis, a été trouvée plus fréquente dans ces dernières années, sans doute, parce qu’on savait mieux le diagnostiquer (M. Malgaigne dit en avoir réuni 36.]. Aucune de ces luxations n’a été produite par les manœuvres de l’accouchement. Cette dernière cause de luxation doit être cependant assez fréquente, si toutefois j’en juge d’après mon observation personnelle. Dans moins d’un mois, en effet, il s’en est présenté quatre à ma consultation, et toutes m’étaient adressées pour être traitées comme paralysies congénitales du membre supérieur. Voici la relation d’un de ces cas. Observation LXV1I. — En mars 1857, un jeune garçon, nommé Théo- phile Bigot, âgé de six ans, demeurant boulevard de Vaugirard, n° 21, m’est présenté pour être traité d’une paralysie congénitale du membre supérieur droit. Les mouvements de ce dernier étaient, en effet, tellement gênés de- puis sa naissance, qu’il ne pouvait s’en servir. Tous les muscles répon- daient normalement à l’excitation électrique. Son épaule droite était dé- formée ; l’attitude du membre supérieur de ce côté était anormale (voyez (1) Au point de vue thérapeutique, ce fait n’est pas moins important, car il nous montre la guérison par la faradisation localisée d’une paralysie atrophique, traumatique, datant de la naissance, chez un enfant âgé de sept ans. Ce fait thérapeutique fera, je l’espère, réfléchir ceux qui dans l’enseignement officiel professent encoie, au moment où j’écris ces lignes, qu’ils ne croient pas à la valeur thérapeutique de l’électricité. Est-il possible de méconnaître que, par la faradisation, cette main amaigrie, que cette griffe (fig. 51) avant le traitement, a été complètement transformée (voy. la fig. 52) ? (2) Traité des fractures et des luxations. Paris, 1855, t. II, p. 531. la figure53, dessinée d’après la photographie que j’en ai faite). On remar- quait sur la face postérieure du moignon de l’épaule, un peu aa-dessous de l’angle postérieur de l’acromion, un relief arrondi qui indiquait, dans ce point, la présence de la tête de l’humérus; ce que, du reste, l’on reconnaissait parfai- tement par le toucher. En avant, le moi- gnon de l’épaule offrait une dépression sous- acromiale légère, mais sans relief apparent de l’apophyse coracoïde, et l’on ne retrou- vait plus la tête de l'humérus dans sa place normale. Cette tête de l’humérus paraissait être à cheval sur le bord postérieur de la cavité glénoïde. Elle n'était certainement pas dans la fosse sous-épineuse, chose que l’on s’explique difficilement ; mais ce qui était incontestable, c’est qu’elle était restée ainsi incomplète pendant six ans. Le coude porté un peu en avant était écarté du corps et ne pouvait en être approché. Ces tentatives provoquaient de la douleur. L’humérus était maintenu dans la rotation en dedans, et l’on ne pouvait lui imprimer mécaniquement le moindre mouvement en sens contraire, sans arracher des cris à l’enfant. L’avant-bras était un peu fléchi sur le bras, sans que l’on pût l’étendre complètement. Les mouvements volontaires du bras étaient faibles et limités comme ceux de l’avant-bras. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL. Fig. 53. * Trois autres enfants m’ont été adressés vers la même époque avec la même déformation de l’épaule et avec les mêmes troubles dans les mouvements du bras sur l’épaule. On reconnaissait citez tous ces petits malades les signes caractéristiques de la luxation posté- rieure et externe de l’épaule. La cause de cette luxation paraissait dans tous ces cas identique. Les parents des enfants racontaient en effet que leur naissance avait été laborieuse; que pour les extraire on avait dû exercer des tractions longues et violentes, à l’aide d’un crochet passé sous l’une des aisselles et que le membre exposé à ces tractions avait été privé de mouvements après leur naissance. C’était justement de ce côté qu’existait la luxation dont la produc- tion s’explique très bien par les violences exercées par l’aisselle. On peut comprendre que la luxation de l’épaule dont ces enfants étaient affectés depuis leur naissance, ait pu être méconnue (plu- sieurs d’entre eux avaient été présentés aux consultations des bô- 350 HÉMIPLÉGIE CÉRÉBRALE DE l’ENFANCE. pitaux), et que les troubles de la molliité du membre luxé aient été attribués à une simple paralysie, car les signes de cette luxa- tion sont si peu apparents, qu’il m’a fallu les voir disparaître après sa réduction pour être bien certain de son existence réelle. J’ai en effet adressé tous ces enfants à M. Cbassaignac qui a réduit facile- ment leur luxation. Un bandage de corps approprié et porté pen- dant cinq à six semaines a maintenu parfaitement la réduction de cette luxation qui depuis lors ne s’est plus reproduite. On retrou- vait alors la tête dans ses rapports normaux. Cette luxation était si peu apparente, qu’elle avait échappé d’abord à mon attention, attirée principalement sur les troubles de la locomotion que je ne pouvais expliquer complètement par la paralysie du membre. Ce fut seulement après avoir observé peu de temps après trois autres cas analogues dans lesquels le membre avait la même attitude et l’épaule la même déformation, que je reconnus, après un examen attentif, que la tête de l’humérus ne se trouvait pas dans son rap- port normal avec la cavité glénoïde. Les désordres occasionnés chez ces enfants, dans les mouvements et dans l’attitude du membre, par la luxation sous-acromiale, peu- vent bien faire croire à l’existence d’une paralysie congénitale du membre supérieur, car dans l’un et l’autre cas l’élévation du bras est difficile et limitée, puis la main et le bras sont dans la pronation et les mouvements en sens contraires sont impossibles. S’il n’y avait eu que les troubles de la locomotion propres à la luxation sous-acromiale, l’erreur de diagnostic eût été difficile, mais chez tous ces enfants il existait en outre une véritable paralysie occa- sionnée. par la lésion du plexus brachial et qui était plus ou moins complète et plus ou moins grave. Ainsi chez l’un d’eux (Jules Tête- d’Homme, âgé de huit mois, demeurant à Vaugirard, Grand’Rue, n° 221) quelques muscles étaient atrophiés ou répondaient faible- ment à l’excitation électrique (le biceps et le brachial antérieur), ou avaient perdu leur contractilité électrique (les fléchisseurs des doigts et les interosseux). — Chez un autre enfant (Eulalie Perrot, âgée de quinze mois, demeurant avenue Trudaine, n° 8), les mou- vements étaient complètement abolis, mais la contractilité électro- musculaire était intacte, excepté dans le faisceau extenseur de l’index. Chez l’enfant dont j’ai relaté l’observation ci-dessus et dont la photographie a été reproduite par la gravure dans la figure53, tous les mouvements étaient affaiblis, et la contractilité électro-muscu- laire était partoutun peu diminuée. Enfin chez un quatrième dont j’ai perdu le nom et l’adresse, les interosseux et les extenseurs du poi- gnet et du pouce étaient atrophiés et ne se trouvaient plus par l'ex- PARALYSIE GÉNÉRALE CÉRÉBRALE DE L’ENFANCE. 351 ploration électrique. Le trouble que cette paralysie atropliique avait occasionné dans l’équilibre des forces toniques qui président à l’attitude des doigts, du pouce et du poignet, avait produit à la longue la dé- formation de la main re- présentée dans la ligure 5U qui a été dessinée d’après nature (1). En somme, on peut, à toutes les périodes de la maladie et à quelque degré que soit arrivée l’atrophie des muscles, distinguer facilement l’hémiplégie cé- rébrale de l’enfance, de la paralysie atrophique graisseuse du même âge ou d’autres paralysies atrophiques de causes traumatiques, lorsque celle-ci est localisée dans l’un des côtés du corps. Fig. 54. B. —Paralysie générale cérébrale de l’enfance. Les considérations précédentes sont parfaitement applicables à la paralysie générale cérébrale de l’enfance. Je n’ai besoin, pour le faire comprendre, que de citer un exemple. A la suite d’une fièvre continue plus ou moins longue (de quelques jours à plusieurs semaines), pendant laquelle on a observé des mouvements convul- sifs des membres, du globe oculaire, un enfant est atteint d’une paralysie générale. Est-ce une paralysie par lésion cérébrale ou une paralysie atropliique graisseuse? (J’ai démontré précédemment, on se le rappelle, qu’un assez grand nombre de paralysies atrophiques (1) Dans l’un des cas dont il vient d’être question (chez Eulalie Perrot, âgée de huit mois) les mouvements revinrent après la réduction de la luxation sous- acromiale, excepté dans l’index, dont il me fallut faradiser une dizaine de fois les faisceaux extenseurs avant que sa première phalange pût être étendue par l’en- fant. Quant aux autres, la réduction de la luxation ne modifia pas leur paralysie. La faradisation, appliquée pendant assez longtemps, améliora seulement leur état. Chez tous ces enfants, l’attitude continue du bras, dans la rotation en dedans, avait produit des rétractions fibreuses ou musculaires qui s’opposaient à la rotation du bras en dehors; aussi ai-je dû prescrire certains exercices gyrnnas- liques et l’application d’appareils à forces élastiques, dans le but de vaincre cet obstacle à la rotation du bras en dehors. graisseuses de l’enfance, générales au début, se localisent, après un certain temps, dans les membres ou dans l’un des membres supé- rieurs ou intérieurs. .1 ’en ai rapporté plusieurs exemples, entre autres, dans l’observation XXXIX, où l’on a vu la paralysie générale, pendant plusieurs mois, se localiser dans les membres inférieurs, dont elle a détruit la plupart des muscles. Quelquefois cependant ces paralysies restent généralisées.) Il n’existe pas, dans la sympto- matologie, un autre signe que celui que l’on peut tirer de l’état de la contractilité électro-musculaire, qui, dans la première période, permette de différencier ces deux maladies, car dès le deuxième septénaire l’irritabilité est diminuée dans la paralysie atropbique graisseuse, tandis qu’elle reste toujours intacte dans la paralysie cérébrale. PARALYSIE GÉNÉRALE CÉRÉBRALE DE L’ENFANCE. Qui ne voit l’importance d’un tel diagnostic, quand il sait la diffé- rence de la marche et du pronostic de ces deux maladies? L’enfant est-il, en effet, atteint d’une paralysie générale cérébrale, sa vie est menacée d’une mort'prochaine. S’il échappe à ce premier danger, on n’a pas moins à craindre pour sa vie pendant plusieurs années, car on sait que souvent cette maladie se termine d’une manière fatale après quatre ou cinq ans de durée. S’il ne succombe pas, rien n’est plus affligeant pour la famille que de lui voir traîner pénible- ment son existence. En effet, après être resté entièrement paralysé pendant un temps très long (d’un an à trois ou quatre ans), ses mouvements reviennent progressivement, il est vrai, mais incom- plètement, compliqués de contractures et de mouvements réflexes qui empêchent ou gênent considérablement l’exercice de ses fonc- tions musculaires. Son intelligence quelquefois est normale, mais le plus souvent elle reste très affaiblie oumulle; sa parole est souvent lente, difficile, etc. Tels sont les principaux traits de cette maladie cérébrale. Le tableau est loin d’être aussi sombre, lorsqu’au contraire on a diagnostiqué chez cet enfant une paralysie atrophique graisseuse, bien que celte maladie puisse affecter plus ou moins gravement le système musculaire et osseux, puis changer la forme et l’attitude des membres. Ainsi que je l’ai déjà dit, je n'ai pas connaissance que, malgré sa fréquence, elle ait donné une seule fois la mort. Elle ne compromet jamais, comme la paralysie générale cérébrale, l’intel- ligence de l’enfant. Quoiqu’au moment où on l’examine, la paralysie soit générale et compliquée peut-être de contractures, l’atrophie et la métamorphose peuvent ne menacer qu’un petit nombre de mus- cles (ce que l’exploration électrique découvre et peut annoncer à coup sûr, comme je l’ai déjà dit). Enfin jamais dans cette espèce PARAPLÉGIE HYPERTROPHIQUE DE L’ENFANCE DE CAUSE CÉRÉBRALE. de paralysie de l’enfance les contractions réflexes ne viennent mettre obstacle à l’exercice des mouvements volontaires. La paralysie générale cérébrale est fréquemment congénitale. Elle se comporte dans ce cas exactement comme lorsqu’elle atteint les enfants après leur naissance. Les considérations précédentes peu- vent donc leur être appliquées. La paralysie générale cérébrale de l’enfance, qu’elle soit survenue avant ou après la naissance, se termine quelquefois (je dirais fré- quemment, si je ne consultais que mes propres observations) par la paraplégie; en d’autres termes, on voit dans cette paralysie, après un temps plus ou moins long (d’un mois à un an, deux ans), les membres supérieurs recouvrer leurs mouvements normaux, tandis que les membres inférieurs restent semi-paralysés, déformés par des rétractions ou des contractures, et génés ou empêchés, dans leurs fonctions locomotrices, par des contractions réflexes qui sont provoquées par les mouvements volontaires ou instinctifs. G. — Paraplégie hypertrophique de l’enfance de cause cérébrale. Il est rare qu’on ne retrouve pas alors quelques anciennes traces de la paralysie générale primitive ou un reste de faiblesse dans les mouvements des membres supérieurs, ou une maladresse manuelle occasionnée par un peu de contraction réflexe, ou un strabisme, ou une faiblesse intellectuelle, ou une sorte d’engourdissement qui rend la parole traînante, tous phénomènes qui décèlent une para- lysie générale primitive par lésion du cerveau. Cependant ces signes peuvent faire complètement défaut au mo- ment où l’on est consulté pour le jeune malade. Si l’on n’y prend pas garde, on est exposé à attribuer la paraplégie à une lésion de la moelle, surtout si les membres inférieurs sont amaigris, Cette erreur de diagnostic est déplorable, parce qu’elle fait entrer dans une fausse voie thérapeutique. C’est ainsi que j’ai trouvé sur les côtés du rachis d’enfants atteints de l’espèce de paraplégie dont il est ici question les traces de cautères ou de cautérisations anciennes qui indiquaient que leur paraplégie avait été attribuée à une lésion de la moelle. En 1859, j’en ai vu un exemple à l’hôpital des Enfants (service deM. Bouvier). L’exploration électro-musculaire, qui nous montre dans ces cas l’intégrité de l’irritabilité, ne permet pas de confondre ce? paraplégies cérébrales avec la paraplégie atrophique graisseuse, eipuis, lorsque les mouvements commencent à être exé- cutés, ils sont accompagnés et gênés par des spasmes qui sont le propre de la paraplégie cérébrale. Lue lésion du cerveau paralyse t-elle quelquefois d’emblée les DUCHENNE. membres inférieurs; en d’autres termes, la paraplégie peut-elle être primitivement cérébrale? J’ai déjà répondu affirmativement par des faits observés chez l’adulte, et que j’ai exposés dans la précédente édition. De plus, quelques cas de paraplégies primitives (une demi- douzaine) congénitales et incomplètes, produites évidemment par une lésion cérébrale, et que j’ai recueillis depuis cette époque, vien- nent donner un nouvel appui à cette opinion. PARAPLÉGIE HYPEItTROPUIQUE DE L’ENFANCE DE CAUSE CÉRÉBRALE. J’ai à signaler ici un phénomène de nutrition musculaire des plus remarquables, et dont je ne connais pas un seul exemple dans la science : c’est que dans tous ces cas de paraplégies cérébrales con- génitales, la nutrition musculaire, loin d’être en souffrance par le fait de la paralysie, est au contraire d’une telle richesse dans les membres inférieurs et dans les muscles extenseurs du tronc, que ces muscles, quoique paralysés, y sont pour ainsi dire hypertrophiés, tandis que les membres supérieurs, qui jouissent de tous leurs mouvements, sont au contraire très grêles. Ce fait m’a paru si extra- ordinaire que j’en ai photographié deux cas ; j’ai fait dessiner l’un d’eux d’après sa photographie (voy. les fig. 55 et 56). Je vais en relater brièvement l’observation. Observation LXVIII. —Paraplégie cérébrale, congénitale, hypertrophique. Joseph Sarrazin, âgé de neuf ans, demeurant rue Rousselet, n°7, est né bien conformé et bien portant, remuant bien ses membres. On s'aperçut seulement vers l'âge de cinq à six mois, lorsqu’on voulut lui apprendre à se tenir sur les jambes et à marcher, qu’il avait delà faiblesse dans les mem- bres inférieurs. S’il essayait de se tenir debout, il retombait toujours, et lors- qu’on le plaçait dans un chariot, il n’y pouvait rester longtemps. Cependant ses membres inférieurs étaient forts, et la musculation était beaucoup plus riche qu’on ne l’observe d'ordinaire. Ce n’est que vers l’âge de dix-huit mois qu’il a essayé, mais vainement, de se tenir dans la station ou de marcher sans être aidé ou soutenu. Son intelligence était faible et sa parole a été tar- dive. Les membres supérieurs n’ont pas paru affectés dans leurs mouvements. Il m’a été présenté pour la première fois en \ 888, à l’âge de neuf ans. Voici ce que j’ai alors constaté : les muscles des membres inférieurs et sacro- spinaux étaient tellement développés et faisaient un tel contraste avec les membres supérieurs qui sont grêles, que j’en fis immédiatement la photo- graphie (voy. les fig. 53 et 56). Tous ses muscles répondaient parfaitement à l’excitation électrique. Ils étaient fermes, comme hypertrophiés et sem- blaient faire hernie, surtout les sacro-spinaux et les gastro-cnémiens, à tra- vers la peau amincie et distendue. Aussi n’ai-je point été médiocrement surpris d’apprendre que ces muscies d'athlète avaient toujours été privés de force depuis la naissance et qu’ils avaient été très peu exercés, cet enfant ayant de la répugnance à mouvoir ses membres inférieurs el restant en consé- quence presque toujours assis ou couché. Tous les mouvements des mem- bres inférieurs se font, mais la force de chacun d’eux mesuré individuelle- PARALYSIE HYPERTR0PH1QUE DE I. ENFANCE DE CAUSE CÉRÉBRALE. Fig. 55. Ftg. 56. ment, est très faible. Si, étant assis, on fait pencher cet enfant en avant, il ne peut se redresser, bien que ses sacro-lombaires se gonflent énormément. Dans la station il doit prendre un point d’appui pour ne pas tomber. Soutenu, il peut marcher, mais péniblement. Ces exercices de station et de marche le fatiguent énormément et ne peuvent être que de courte durée. Il existe de chaque côté un equin varus au premier degré ; et dès que l’enfant veut fléchir le pied sur la jambe, les muscles fléchisseurs entrent en action, mais son antagoniste, le triceps sural, se contractant en même temps plus énergique- ment, le pied s’étend au lieu de se fléchir. Ces contractions réflexes ont lieu aussi pendant la station et la marche qui en sont considérablement gênées. La force des membres supérieurs est un peu faible, mais elle me paraît en 356 PARALYSIES CÉRÉBRALES. rapport avec le peu de développement des muscles ; ici, d’ailleurs, point de contracture pendant les mouvements volontaires, qui viennent entraver leurs usages. — L'intelligence est obtuse et la parole difficile; bien que le crâne ne soit pas bien volumineux, les régions temporales sont extrême- ment saillantes, comme on l’observe chez certains hydrocéphales. Intégrité de la contractilité électro-musculaire, de la nutrition musculaire qui, au contraire, est quelquefois plus active et 'plus riche (1); contractions involontaires réflexes, pendant les mouve- ments volontaires, tels sont les caractères offerts par cette para- plégie, que l’on n’observe pas dans les lésions de la moelle, et qui appartiennent aux paralysies du cerveau. Mais dans quel point du cerveau siège celte lésion et quelle en est la nature? Les reliefs con- sidérables des temporaux et le peu de développement des facultés intellectuelles que l’on observe dans ces cas, ne peuvent-ils pas être rapportés au même état pathologique du cerveau qui a produit la paraplégie? En résumé, il a été démontré dans ce paragraphe que la para- lysie cérébrale de l’enfance, qu’elle soit hémiplégique, générale ou paraplégique, peut toujours et à toutes les périodes de la maladie être distinguée de la paralysie atrophique graisseuse du même âge. ARTICLE II. ACTION THÉRAPEUTIQDE DE LA FARADISATION LOCALISÉE, APPLIQUÉE AU TRAITEMENT DES PARALYSIES CÉRÉBRALES. § I, — Paralysies consécutives à l’hémorrliagîc cérébrale. Est-il rationnel d’appliquer la faradisation localisée au traitement de la paralysie consécutive à l’hémorrhagie cérébrale, c’est-à-dire d’employer une médication qui n’agit que sur la périphérie, dans une affection qui est consécutive à la lésion d’un point du centre cérébral? C’est la question que je me suis posée en commençant mes recherches électro-thérapeutiques sur la paralysie cérébrale ; et l’on comprend que, envisageant ces recherches sous ce point de vue, je n’en attendais guère de résultats favorables. (1) Jusqu’à ce jour, la paralysie musculaire et l’hypertrophie musculaire ont été considérées comme deux états morbides qui ue peuvent longtemps coexister. Cependant les faits ci-dessus relatés prouvent le contraire. Bien qu’au premier abord ces derniers paraissent inexplicables, ne serait-il pas rationnel d’attribuer cette hypertrophie des muscles paralysés, que l’on observe dans ces cas, aux ex- citations réflexes par lesquelles ils sont fréquemment agités depuis de longues années? ACTION THÉRAPEUTIQUE UK LA FARADISATION LOCALISÉE. 357 11 est incontestable qu’à une certaine période, quelques paralysies cérébrales sont guéries ou améliorées par la faradisation. Ma surprise fut grande quand je vis certaines paralysies consécu- tives à l’hémorrhagie cérébrale guérir ou être modifiées par des excitations faradiques parfaitement localisées dans les muscles para- lysés, excitations qui, certainement, n’avaient pu modifier l’état des centres nerveux. Je reconnus même que l’action thérapeutique du faradisme était limitée aux muscles dans lesquels j’avais localisé l’excitation électrique. J’en ai rapporté un exemple remarquable dans la précédente édition. Ce n’est, en général, qu’après le sixième mois à partir de l'attaque, que j’ai vu la faradisation localisée exercer son influence thérapeu- tique. Je prouverai bientôt qu’on fait courir des dangers inutiles aux malades, en appliquant cette médication à une époque trop rap- prochée du début. Après la résorption de l’épanchement, l’influx nerveux cérébral peut revenir aux muscles qui ont perdu leur aptitude à réagir ; sous l’influence de ce dernier, la paralysie est alors localisée dans les muscles ; la faradisation rend à ces muscles la propriété qu’ils avaient perdue d’obéir à l’excitation volontaire. Que se passe-il donc dans les différentes phases d’une paralysie consécutive à une hémorrhagie cérébrale? Pendant les premiers mois, la paralysie est symptomatique de la lésion centrale. On com- prend que, dans de telles conditions, une excitation, quelle qu’elle soit, ne puisse rendre le mouvement aux muscles paralysés. Plus tard, après la résorption de l’épanehement sanguin, alors que toute compression a disparu et que le foyer hémorrhagique est remplacé par un kyste ou une cicatrice, le stimulus cérébral revient plus ou moins aux muscles, qui peuvent rester paralysés. Si alors les mus- cles paralysés recouvrent leurs mouvements volontaires, après avoir été soumis à la faradisation localisée, il est évident que celle-ci leur aura rendu une propriété qu’ils avaient perdue ; celle de réagir sous l’influence de l’excitant nerveux, qui leur arrivait aussi bien avant qu’après l’opération. En conséquence, il existe deux phases bien distinctes dans la paralysie consécutive à l’hémorrhagie céré- brale : une première, dans laquelle la paralysie est symptomatique de la lésion organique centrale, et une seconde, dans laquelle la paralysie s’est localisée dans les muscles, c’est-à-dire que, par suite de la suspension trop prolongée de l’excitation cérébrale, les muscles ont perdu leur aptitude à réagir sous l’influence de l’agent nerveux, alors que celui-ci leur revient, après la guérison de la lésion cérébrale. Dans la première phase de la paralysie cérébrale, 358 PARALYSIES CÉRÉBRALES. la faradisation n’a certainement aucune chance de succès, tandis que c’est uniquement dans la seconde que l’on compte les succès ob- tenus par cette méthode de traitement. Voici le résumé général des recherches que j’ai faites sur l’action thérapeutique de la faradisation localisée appliquée au traitement de la paralysie consécutive à l’hémorrhagie cérébrale. La faradisation localisée appliquée pendant la période de résorption n’a produit aucun résultat favorable; elle est alors quelquefois dangereuse. Je viens de démontrer qu’on ne pouvait espérer modifier cette paralysie, avantla résorption de l’épanchement sanguin, en général, avant le sixième ou le septième mois après l’attaque. Malgré la quasi- certitude que j’en avais préconçue, j’ai voulu en avoir la preuve expérimentale. J’ai faradisé, à la Charité et à l’Hôtel-Dieu, un assez grand nombre de sujets atteints d’hémiplégies récentes, consécu- tives à l’hémorrhagie cérébrale, et, dans aucun cas, je n’ai obtenu la moindre amélioration appréciable. J’ai observé, au contraire, qu’à une époque trop rapprochée de l’attaque, la faradisation loca- lisée n’est pas sans danger. Quelques accidents produits par ces applications prématurées m’ont rendu très réservé pour l’emploi de la faradisation localisée, dans les premiers temps d’une paralysie par hémorrhagie cérébrale. On sait que, pendant le travail de la résorption de l’épanchement sanguin, les mouvements reviennent, progressivement dans les membres paralysés, d’abord dans le membre inférieur, puis, beau- coup plus lentement, dans le membre supérieur. Plus rarement le membre supérieur recouvre le premier sa motilité. Si la faradi- sation localisée était appliquée pendant cette période, on pourrait lui faire l’honneur d’une guérison ou d’une amélioration qui ne serait que la conséquence de la marché naturelle de la maladie, de la résorption de l’épanchement. Il est donc sage (et honnête) de ne recouririr à la faradisation localisée que lorsqu’il est bien établi que la paralysie est restée stationhaire, et après que le temps ordinaire pendant lequel se fait la résorption, est écoulé. Dans la seconde période (après la résorption de l’épanchemenl sanguin) la faradisation a été quelquefois suivie de succès. C’est presque toujours dans ces dernières conditions que j’ai ex- périmenté l’action thérapeutique de la faradisation localisée. Non- seulement alors je n’agissais que lorsque la paralysie me paraissait depuis longtemps stationnaire, mais encore après que les vésica- toires, les purgatifs et la strychnine avaient été successivement em- ployés. Eh bien, voici les résultats généraux que j’ai obtenus : dans un très petit nombre de cas (à peine dans le vingtième des cas), j’ai vu guérir presque radicalement la paralysie ; assez souvent elle a été plus ou moins améliorée (dans le quart des cas approximative- ment) ; plus fréquemment encore, je suis forcé de le reconnaître, je n’ai observé aucune espèce d’influence appréciable. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISEE. Il me semble que la gravité des désordres occasionnés par l’hé- morrhagie cérébrale rend parfaitement compte des différences de résistance que la paralysie oppose alors à la faradisation localisée. Je suppose qu’un épanchement sanguin, qui s’est fait dans le cer- veau, se résorbe promptement et qu’il soit bientôt remplacé par un kyste peu volumineux, et qu’à la longue le foyer béraorrhagique soit seulement marqué par une cicatrice ; il arrivera, dans ces cas, 1* ou que l’influx nerveux, en revenant aux muscles, les trouvera prêts à obéir à son excitation, et alors la paralysie guérira rapidement par les seuls efforts de la nature (c’est heureusement ce qui arrive quelquefois); 2° ou que les muscles, trop longtemps privés de l’ac- tion cérébrale, auront perdu leur aptitude à réagir, lorsque èe sti- mulus leur arrivera librement. C’est dans ce dernier cas que l’on voit triompher complètement la faradisation localisée. Les dernières conditions dont je viens de supposer l’existence dans une paralysie cérébrale hémorrhagique, sont les plus favorables que l’on puisse rencontrer. Malheureusement, ainsi que je l’ai déjà dit, ce sont les plus rares. Mais voici ce qui arrive ordinairement : une certaine portion du cerveau peut avoir éprouvé soit unealtérationplus ou moins profonde, soit une compression exercée par un kyste plus ou moins volumineux. La paralysie étant alors symptomatique de la lésion centrale, on conçoit que la faradisation localisée sera d’au- tant plus impuissante que cette lésion sera plus grande. Après la ré- sorption de l’épanchement, ne reste-t-il qu’un kyste peu volumi- neux, qui gêne faiblement l’action cérébrale, la faradisation loca- lisée pourra amender la paralysie ; mais elle ne la guérira pas en- tièrement. Si le kyste est encore très volumineux ou s’il siège dans un point plus central, et dont la fonction soit plus importante, si le cerveau a éprouvé une perte de substance considérable, évidemment la faradisation localisée ne produira aucun résultat. Données sur lesquelles on peut s’appuyer pour diagnostiquer approximativement l’état du foyer hémorrhagique après le terme ordinaire de sa résorption, ou pour prévoir les résultats probables de la faradisation localisée, appliquée au traitement de l’hémiplégie cérébrale. Il serait donc très important de pouvoir diagnostiquer ces diffé- rents états du foyer hémorrhagique, lorsque le temps nécessaire, 360 dans les conditions ordinaires, à la résorption du caillot, s’est écoulé. Ainsi, une hémiplégie persistant après cinq, six ou huit mois, est- elle uniquement locale, ou, en d’autres termes, dépend-elle de ce que les muscles ont perdu leur aptitude motrice, par suite de la suspension de l’excitant cérébral? Ou bien l’hémiplégie persistant, est-elle symptomatique d’un kyste qui exerce une compression trop considérable sur les parties environnantes, pour que l’influx ner- veux puisse arriver librement aux muscles; annonce-t-elle, en un mot, que le cerveau a éprouvé une perte de substance? paralysies cérébrales. Je ne crois pas qu’il soit jamais possible de déterminer d’une ma- nière exacte quel est, dans ces différents cas, l’état ou le degré de la lésion anatomique du cerveau. Cependant voici des faits qui peuvent, dans ces circonstances, servir à établir approximativement le diagnostic. C’est sur ces données, du moins, que je m’appuie, lorsque j’ai à me prononcer sur l’opportunité ou sur les résultats probables de l’application de la faradisation localisée. Les malades qui, cinq, six, huit mois et plus après le début d’une hémorrhagie cérébrale, ont conservé une paralysie plus ou moins complète, mais sans la moindre contracture, ont guéri, pour la plu- part, rapidement, par la faradisation localisée. Ceux dont les membres affectés étaient restés contractures d’une manière permanente, et dont certains muscles se contracturaient sous l’influence d’une impression quelconque, ou lorsqu'ils vou- laient faire un mouvement volontaire, n’ont tiré aucun profit ap- préciable de la faradisation localisée. Je m’abstiens d’exposer la trop longue liste des insuccès que la faradisation localisée a enregistrés dans ces conditions. J’ai cru pouvoir conclure de ces faits ; 1° que l’hémiplégie con- sécutive à l’hémorrhagie cérébrale, qui n’est pas compliquée de contractures, après cinq à six mois de durée, n’est plus entretenue par la lésion centrale, mais qu’elle s’est localisée dans les muscles qui ont perdu leur aptitude motrice ; 2° (pie l’hémiplégie qui, au contraire, présente des phénomènes de contracture, est très proba- blement entretenue par une perte de substance cérébrale considé- rable ou par un kyste très volumineux, qui fait obstacle au cours de l’action nerveuse. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de vérifier ces faits par l’autopsie. Ce diagnostic, tiré de l’existence de contractures actives dans l’hémiplégie cérébrale, est confirmé par les données physiologiques. Ou sait, en effet, que des phénomènes appelés réflexes se dévelop- pent chez les animaux auxquels on a enlevé les hémisphères céré- braux. Le simple pincement de la peau suffit pour provoquer alors ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. la contraction d’un grand nombre de muscles, qui cependant ont perdu leurs mouvements volontaires. On a cherché à expliquer ces phénomènes de la manière suivante : dans les conditions physiolo- giques normales, le cerveau dépense l’activité de la moelle épinière, mais l’action cérébrale vient-elle à être suspendue, l’excitabilité de la moelle augmente et devient telle que la moindre excitation de la sensibilité réagit sur elle et provoque des contractions involontaires. Si l’on applique ces données à l’observation pathologique, on s’ex- pliquera facilement pourquoi, dans certaines hémiplégies cérébrales, alors que les mouvements volontaires sont en grande partie re- venus, les malades ne peuvent empêcher la contraction involontaire d’un plus ou moins grand nombre de muscles (des fléchisseurs en général), quand ils veulent faire un mouvement ou quand ils sont impressionnés d’une manière quelconque. La moelle épinière ac- quiert chez eux un tel excès d’excitabilité par le fait du défaut d’action cérébrale nécessaire à l’écoulement de la force spinale, que le cerveau ne peut exciter un point de cette moelle pour pro- duire un mouvement volontaire, sans que l’excitation s’étende bien au delà et provoque ainsi des contractions musculaires involontaires qui viennent gêner ou neutraliser le mouvement. Il résulte de ces considérations que les phénomènes réflexes, très développés dans l’hémiplégie, annoncent que le cerveau est très gêné dans son ac- tion ; en d’autres termes, ou qu’il a éprouvé une perte de substance considérable, ou qu’un kyste volumineux comprime fortement les parties saines. Il existe des degrés de lésion du cerveau intermédiaires, dans lesquels on obtient une amélioration plus ou moins prononcée par la faradisation localisée. Entre les deux extrêmes que j’ai choisis pour établir le diagnostic, ou plutôt le pronostic de l’hémiplégie cérébrale après cinq à six mois de durée, il existe, on le conçoit, des degrés intermédiaires qui permettent d’espérer de la faradisation localisée une améliora- tion plus ou moins grande. J’ai rapporté, dans l’édition précédente (l), un cas de paralysie cé- rébrale datant de six mois, dans lequel le sujet (une femme âgée de soixante et un ans) offrait ces phénomènes réflexes à un certain de- gré et qui cependant a été rapidement et considérablement amé- lioré par la faradisation localisée. A l’époque où je fis cette expérience, je ne croyais pas qu’une (1) Observation GXXXIX, p. 719. 362 excitation musculaire localisée pût modifier une paralysie dont la cause me paraissait siéger uniquement dans le centre nerveux. J’avais choisi avec intention ce cas rebelle aux médications ordi- naires, comme un défi jeté à la faradisation localisée. Je disais, avec tous ceux qui observaient cette malade, que si, dans un cas pareil, l’excitation électro-musculaire modifiait l’état de la paralysie, l’ac- tion thérapeutique de la faradisation localisée, dans la paralysie cé- rébrale, serait définitivement jugée. Etait-il possible, en effet, d’agir dans des conditions plus défavorables? La paralysie était restée entièrement stationnaire après six mois, malgré une médication très active, au point que la malade ne pouvait se mouvoir dans son lit, et cela chez une femme sexagénaire. PARALYSIES CÉRÉBRALES. Quelques contractions réflexes s’étaient montrées avant le traite- ment. Cependant elles n’ont pas empêché l’amélioration considé- rable de la paralysie par la faradisation localisée; mais si, dans ce cas, la guérison n’a pas été complète, c’est sans doute que la lésion centrale était encore trop grande pour rendre une entière liberté à l’action du cerveau, et cette lésion centrale était annoncée par la persistance de quelques mouvements réflexes. La contracture permanente dos muscles annonce un travail inflammatoire du cerveau, qui contre-indique l’emploi de la faradisation localisée. La contracture permanente des fléchisseurs, contracture quelque- fois accompagnée de douleurs, me paraît être, lorsqu’elle est portée très loin, le signe d’un travail inflammatoire cérébral qui se fait dans les parois du kyste; mais il ne faut pas confondre cette con- tracture avec la roideur que présentent certains muscles (les fléchis- seurs, les muscles moteurs du bras sur l'épaule) par le fait du rac- courcissement dans lequel ils se sont longtemps trouvés. Ainsi, chez la malade dont il a été question ci-dessus, les bras étaient restés constamment rapprochés du corps; l’avant-bras et les doigts étaient dans une demi-flexion continue. Cet état de raccourcissement mus- culaire avait, à la longue, roidi, pour ainsi dire, les muscles. Il m’a suffi d’une élongation forcée et souvent renouvelée pour vaincre leur résistance. Ce n’est pas certainement par de tels moyens qu’on parviendrait à vaincre la résistance opposée par la contracture continue, occa- sionnée par un travail inflammatoire du cerveau. Je l’ai vu employer à la Charité chez un jeune étudiant dont l’histoire a été rapportée précédemment (obs. V, p. 113), et qui était affecté d’une hémiplégie avec contracture évidemment occasionnée par un travail intlam- matoire du centre cérébral. On parvint à maintenir dans l’extension, à l’aide d’une attelle et d’une bande roulée, son avant-bras, qui était constamment fléchi depuis plusieurs jours ; mais, un quart d’heure après, la douleur était devenue intolérable, et la contrac- ture musculaire avait gagné tout le côté, qui était comme tétanisé. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. L’existence de ces contractures me paraît contre-indiquer l’em- ploi de toute espèce d’excitation électrique. Je puis affirmer, du moins, qu’il m’est arrivé plusieurs fois des accidents, quand alors j’ai appliqué la faradisation localisée, et je me suis assuré que ces accidents ne pouvaient être attribués à une autre cause qu’à ces excitations inopportunes. La faradisation guérit, eu général, facilement l’hémiplégie faciale et la paralysie de la langue qui accompagnent la paralysie des membres; mais cette médi- cation expose, dans ce cas, les malades à des accidents cérébraux nouveaux. L’hémiplégie faciale et la paralysie de la langue persistent quel- quefois après la résorption de l’épanchement sanguin ; la première occasionne une distorsion des traits ; la seconde fait éprouver aux malades une grande gêne pour parler et pour manger. La faradisation localisée guérit facilement cette paralysie de la face et de la langue. J’en ai rapporté des exemples dans la précé- dente édition. Cet heureux effet de la faradisation localisée sur les paralysies de la face et de la langue est contre-balancé par les risques que cette opération fait courir au malade atteint de para lys je cérébrale, sur- tout lorsque celle-ci est récente, ou que le malade a conservé une prédisposition à la congèstion du cerveau (1). En voici un exemple: Observation LX1X. —Charité, salle Saint-Ferdinand, n9 19, service de M. Cruveilhier, mars 1 848. — Hémiplégie droite, suite d'hémorrhagie cé- rébrale, datant de deux ans et demi, chez un homme âgé de trente-huit ans et qui a eu plusieurs attaques. État du malade avant la faradisaition ; la commissure des lèvres est plus abaissée du côté droit que du côté gauche, la langue est déviée à droite ; la parole est difficile ; contracture active, intermittente du grand pectoral, du fléchisseur du bras, de l’avant-bras et de la main, contracture disparais- sant par la chaleur du lit et pendant la nuit, et augmentant lorsque le ma- (I) Je démontrerai, par la suite, que la faradisation des muscles de la face, pratiquée dans les paralysies de la septième paire, ne me paraît offrir aucun danger. PARALYSIES CÉRÉBRALES. ladeest impressionné; même contracture dans le membre inférieur droit, occasionnant de la douleur et tournant le pied en dedans; absence complète de mouvement dans le membre supérieur droit, depuis la première attaque; mouvements assez étendus dans le membre inférieur et qui permettent au malade de marcher avec une crochette. Pendant la marche, le membre infé- rieur fauche considérablement, et tous les mouvements sont roides et sac- cadés, à cause de la contracture. Le pied ne peut porter à plat sur le sol.— Faradisation du trapèze, du deltoïde et des muscles antagonistes pendant dix séances. Après quelques séances, le malade écarte le bras du tronc presque à angle droit, porte la main au front, étend un peu les doigts, fauche moins en marchant et pose mieux le pied sur le sol. Mais là s’arrête l’influence de la faradisation, malgré dix ou douze séances pratiquées assez régulière- ment. Un accident grave et inattendu me fait renoncer définitivement à ce traitement. La faradisation des muscles de la face et de la langue du côté droit ayant été pratiquée avec assez d’énergie, le malade fut presque immé- diatement frappé d’une nouvelle attaque d'apoplexie, qui nécessita plusieurs saignées. La faradisation des muscles de la face me paraît être ici la cause évidente des accidents cérébraux qui ont mis la vie de ce malade en grand danger. Sur dix cas d’hémiplégie faciale de cause céré- brale, dans lesquels j’ai eu l’occasion d’appliquer la faradisation localisée pendant les années 18ft7 et 18ù8, trois fois j’ai vu des phénomènes cérébraux plus ou moins graves suivre l’opération. La faradisation localisée des muscles de la face est une opération des plus délicates, qui exige la connaissance du degré d’excitabilité de ces muscles et l’emploi d’un appareil qui se gradue sur une échelle d’une assez grande étendue. On remarquera que les acci- dents cérébraux dont je viens de parler sont arrivés à une époque où j’avais encore peu d’habitude de la faradisation localisée. Quoi qu’il en soit, malgré la connaissance que je possède aujour- d’hui du degré d’excitabilité de chacun des muscles de la face, et malgré la précision de mes appareils, qui me permettent de leur administrer exactement la dose qui leur convient, ce n’est jamais sans hésitation et sans crainte que j’excite les muscles de la face ou de la langue, dans l’hémiplégie de cause cérébrale. Nécessité de distinguer l’hémiplégie faciale, de cause cérébrale, de la paralysie de la septième paire, en raison de la différence de traitement à opposer à chacune de ces paralysies. Les dangers auxquels ou expose un malade atteint de paralysie cérébrale, en pratiquant la faradisation à la face, font comprendre ACTION THÉRAPEÜTIQITE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. la nécessité de distinguer l’hémiplégie faciale, de cause cérébrale, de la paralysie de la septième paire, qui peut être soumise à la faradi- sation localisée sans le moindre inconvénient, et qui souvent même ne guérit que par ce mode de traitement. Avant que M. le professeur Bérard eût bien fait connaître, dans un travail publié en 183A dans le Journal des connaissances médico- chirurgicales (1), les fonctions spéciales de la septième paire, et qu’il eût démontré la fréquence de ia paralysie de ce nerf, toute hémi- plégie faciale, quand elle n’était pas accompagnée de la paralysie des membres, était attribuée à une hémorrhagie ou à un ramollis- sement du cerveau. Mais, depuis que ce travail a vulgarisé la con- naissance de la paralysie de la septième paire, un mouvement en sens contraire s’est opéré dans les esprits, et toute hémiplégie limitée à la face n’est plus considérée que comme symptomatique d’une lésion quelconque de la septième paire. C’est une erreur fâcheuse, car l’hémiplégie de cause cérébrale, limitée à la face n’est pas infini- ment rare, et l’erreur est grave, en raison de la différence des indi- cations thérapeutiques à remplir. , Quels sont donc les signes qui distinguent l’hémiplégie de cause cérébrale, de la paralysie de la septième paire? Dans l’une et l’autre paralysie, on observe une distorsion des traits, pendant le repos musculaire et pendant les mouvements ; la parole et la mastication sont également gênées. Comme signe dis- tinctif, on observe que l’orbiculaire des paupières n’est pas paralysé dans l’hémiplégie de cause cérébrale. En conséquence, toute hémi- plégie faciale dans laquelle l’orbiculaire des paupières est paralysé, ne peut être rapportée à une lésion du cerveau, et dépend unique- ment d’un état pathologique du nerf facial (2). Mais de l’absence de (1) Sur les fonctions du nerf facial et la paralysie faciale (Journal des connais- sances médico-chirurgicales, 1834, p. 354). (2) Récamier a, le premier, dit que l’orbiculaire des paupières n’est pas para- lysé dans l’hémiplégie faciale, de cause cérébrale, et il en a fait un signe distinctif de la paralysie de la septième paire, dans laquelle ce muscle est paralysé. Il est incontestable que cette observation est très juste dans la grande majorité des cas. Mais le signe diagnostique indiqué par Récamier a perdu beaucoup de sa valeur depuis la publication d’un travail publié par M. Duplay (De la paralysie faciale produite par une hémorrhagie cérébrale chez les vieillards ; Union médicale, 28 août 1854), dans lequel cet excellent observateur rapporte plusieurs cas d’hé- miplégie faciale, où la cause cérébrale est démontrée par l’autopsie, et dans les- quelles cependant l’orbiculaire des paupières était paralysé. Ces nouveaux faits font encore mieux ressortir la valeur du signe diagnostique différentiel de l’hémiplégie cérébrale de la face et de la paralysie de la septième paire, signe tiré de l’état de la contractilité électro-musculaire. 366 la paralysie de l’orbiculaire des paupières, dans une hémiplégie faciale, on ne peut conclure à l’existence d’une paralysie de cause cérébrale, parla raison suivante; dans une paralysie de la septième paire , le filet nerveux qui anime les paupières, n’est pas toujours compris dans la lésion du nerf facial, et cette paralysie peut bien alors revêtir les signes extérieurs de l’hémiplégie cérébrale. Les pa- ralysies partielles de la septième paire ne sont pas très rares, en effet et pour ma part, j’en ai observé quelques-unes, dans un court espace de temps. Je n’en citerai qu’un cas. PARALYSIES CÉRÉBRALES. Observation LXX. — Paralysie de la septième paire, limitée à la moitié inférieure de la face du côté droit, comme dans l’hémiplégie faciale de cause cérébrale. — Diagnostic établi par l'exploration électro-muscu- laire. En 4 846, j’observai à la Charité, salle Saint-Joseph, n° 13, service de M. Bouillaud, un malade qui depuis trois mois avait une paralysie partielle du côté droit de la face. 11 s’était réveillé un matin avec une distorsion des traits. Quand je l’examinai, la commissure droite des lèvres était plus abaissée que du côté opposé, mais l’ouverture palpébrale était aussi grande d’un côté que de l’autre ; quand il riait, le côte gauche entrait seul en con- traction et attirait vers lui la joue droite. 11 ne pouvait froncer les lèvres, du côté droit, pour siffler ; sa joue droite se gonflait alors, et l’air s’échappait par une large ouverture qui se formait entre les lèvres de ce côté. Les aliments tombaient, à droite, entre la joue et les dents; enfin il éprouvait de la diffi- culté pour articuler les labiales. Mais il rapprochait les paupières, fronçait ou élevait les sourcils aussi bien du côté droit que du côté gauche. Je trouvai donc chez ce malade tous les signes apparents de l’hémiplégie faciale de cause cérébrale.Mais l'exploration électro-musculaire dissipa bientôt tous les doutes, car je constatai que les muscles paralysés avaient perdu leur contractililé électrique, phénomène que l’on trouve toujours dans la paralysie de la septième paire et qui n’existe pas dans l’hémiplégie de cause cérébrale. J’avoue que, sans cette examen, j’aurais été très embar- rassé pour poser ici le diagnostic, le malade ne se rappelant pas s’être ex- posé à un courant d’air. On ne trouvait dans son histoire rien qui pût laisser supposer une compression du nerf. Il fut soumis à la faradisation localisée, et sorti à peu près guéri quelques semaines après (il n’avait pas voulu at- tendre la fin de son traitement). J’ai vu un bon nombre de paralysies de la septième paire dont il avait été difficile de trouver la cause. A coté de ce fait, j’en vais placer un autre qui a une grande ressemblance avec lui, et qui, ce- pendant, reconnaissait une cause cérébrale. Observation LXX1.— En 1852, je visitai aux Néothermes, avecM.Vigla, médecin des hôpitaux, un malade âgé de quarante-neuf à cinquante ans, qui. trois semaines auparavant, avait été tout à coup frappé d’une hémi- plégie faciale droite ; sa commissure des lèvres était abaissée de ce côté, et pendant le rire, sa bouche était entraînée à gauche; quand il soufflait, sa joue droite se gonflait et l’air sortait entre les lèvres de ce côté; ses ali- ments tombaient entre la joue droite et les dents de la mâchoire inférieure. Il fermait les yeux, fronçait les sourcils et le front également des deux côtés. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISEE. 367 On voit quelle analogie existe entre ces deux hémiplégies, quant à leur apparence. Il est vrai que, dans le dernier cas, le malade éprouvait de la pesanteur de tète, des tournoiements qui pouvaient faire pencher le diagnostic du côté d’une lésion cérébrale, par exemple, d’une hémorrhagie cérébrale très limitée. C’était le dia- gnostic vers lequel M. Yigla inclinait, mais il restait pour moi une grande incertitude. L’exploration électro-musculaire nous ayant montré que les muscles paralysés avaient conservé leur contractilité électrique intacte, il fut bien établi que l’hémiplégie était due à une lésion cérébrale. Je lis alors entrevoir les dangers de la faradisation localisée, appliquée, dans de telles conditions, au traitement de cette hémiplégie faciale, et bien m’en a pris, car, peu de temps après, ce malade fut frappé d’une nouvelle attaque d’apoplexie qui lui pa- ralysa tout le côté droit du corps. M. Aran a observé un cas d’hémiplégie limitée au côté gauche de la face; j’ai constaté avec lui que les muscles paralysés avaient conservé leur contractilité électrique normale. Le malade ayant succombé, on trouva un ramollissement dans la paroi inférieure du ventricule latéral droit, autour d’un ancien foyer hémorrha- gique. Comment doit-on pratiquer la faradisation localisée dans le traitement de la paralysie consécutive à l’hémorrhagie cérébrale? Cette question est très importante à examiner, car de la manière d’opérer dépendent non-seulement les résultats plus ou rnoin heu- reux du traitement, mais aussi les accidents plus ou moins graves qu’il peut provoquer. A. L’expérience a établi que tout individu qui a été une fois frappé d’apoplexie est, en général, prédisposé à une nouvelle at- taque. On sait, de plus, qu’il s’opère dans les parties qui avoisinent le kyste, un travail inflammatoire, qui se manifeste par des contrac- tures et des douleurs dans les membres. En conséquence, toute excitation trop vive des centres nerveux peut provoquer soit une PARALYSIES CÉRÉBRALES. nouvelle congestion ou hémorrhagie cérébrale, soit une augmenta- tion du travail inflammatoire dans les parois du kyste, et aggraver la situation du malade. Ces principes une lois posés, on se gardera bien d’appliquer au traitement de la paralysie cérébrale la méthode d’électrisation que j’ai appelée électrisation par action réflexe, et qui consiste à taire passer les courants des extrémités aux centres nerveux. Un l'ait que j’ai rapporté (obs, V) et dans lequel ce mode d’électrisation a fou- droyé, pour ainsi dire, un hémiplégique, en démontre le danger, quand on l’applique au traitement de l’hémiplégie de cause céré- brale. Pour éviter cette excitation réflexe des centres nerveux, il faut rapprocher autant que possible les rhéophores l’un de l’autre, de telle sorte que les recompositions électriques se fassent, sans que les courants aient à parcourir les membres dans une longue éten- due. On limite ainsi les recompositions électriques dans les or- ganes. Mais cela ne suffit pas pour localiser l’excitation des courants, c’est-à-dire pour empêcher cette excitation de réagir sur les centres nerveux. Il faut encore que les intermittences des courants soient éloignées les unes des autres. J’ai démontré, en effet, que la faradisation mus- culaire provoque à la fuis des sensations et des contractions ; que la force des sensations augmente en raison directe du rapprochement des intermittences, et qu’à un degré donné de rapidité de ces in- termittences, les sensations deviennent excessivement douloureuses et comme tétaniques. Or, on comprend que de telles sensations douloureuses produi- sent inévitablement une excitation générale qui peut réagir sur les centres nerveux, de manière à provoquer, dans certaines condi- tions, une congestion ou une nouvelle hémorrhagie ou des acci- dents cérébraux d’un autre ordre. Les intermittences éloignées ont l’avantage de permettre d’agir à forte dose, sans provoquer de sensations trop douloureuses, surtout lorsqu’on se sert du courant de la seconde hélice, et d’opérer les recompositions électriques dans la couche profonde de chaque muscle aussi bien que dans la couche superficielle, c’est-à-dire de porter l’excitation dans toutes les fibres musculaires. Au contraire, par les courants rapides qui sont trop douloureux pour permettre d’agir a haute dose, les muscles ne sont excités que superficielle- ment. Le but qu’on se propose dans la faradisation musculaire appli- quée au traitement de l’hémiplégie cérébrale, est de provoquer le retour des mouvements volontaires, en produisant des contractions musculaires artificielles. Ce but est atteint par les courants farad i- ques à rares intermittences. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. D’ailleurs, je ne vois pas la nécessité de produire ici des sensa- tions douloureuses à l’aide d’intermittences rapides, dont l’applica- tion est indiquée seulement lorsque les muscles ont perdu de leur sensibilité, ou lorsqu’ils sont menacés dans leur nutrition, comme dans les paralysies traumatiques des nerfs ou dans les paralysies saturnines et dans l’atrophie musculaire. B, Je crois avoir démontré que, par le fait de la suspension de l’excitation cérébrale, les muscles paralysés dans l’hémiplégie con- sécutive à l’apoplexie perdent leur aptitude à réagir ou à se con- tracter par l'influx nerveux, qui leur revient librement après la ré- sorption de l’épanchement sanguin; ou, en d’autres termes, que la paralysie, primitivement symptomatique de la lésion du cerveau, s’est localisée dans les muscles. 11 ressort aussi des faits exposés ci- dessus que c’est seulement dans ces conditions que l’hémiplégie consécutive à l’hémorrhagie cérébrale peut être modifiée par la fara- disation localisée. La déduction à tirer de ces faits, c’est que l’exci- tation électrique doit être dirigée alors sur chacun des muscles para- lysés, et que les muscles qui ont perdu la faculté d’obéir à la volonté, doivent être soumis plus longtemps et plus souvent à l’ex- citation électrique. J’ai vu cette proposition confirmée par l’expéri- mentation. On voit donc que, dans le traitement de l’hémiplégie cérébrale, il importe d’exciter individuellement les muscles paralysés, pour rappeler les mouvements d’une manière égale, et pour rétablir l’équilibre des forces musculaires. C. Lorsqu’il existe chez l’hémiplégique un certain degré de contracture active ou réflexe, c’est sur les antagonistes des muscles contractures qu’on doit principalement diriger la fara- disation. Ici je dois citer un phénomène important, que j’avoue ne pas comprendre; c’est qu’en général l’excitation des muscles antagonistes fait cesser ordinairement la contracture à l’instant même et pour un temps plus ou moins long. Les malades éprouvent moins de roideur après l’opération. Malheureusement, les contractures revien- nent dans l’intervalle des applications, et bien que je les aie quel- quefois vues diminuer après le traitement, je n’oserais pas faire hon- neur de cette amélioration à la faradisation localisée. D. Les séances ne doivent pas être trop prolongées, sous peine DUCHENNE. 370 de produire de la courbature ou de la surexcitation, ce qu’il faut éviter autant que possible dans le traitement de l’hémiplégie Géré- braie. PARALYSIES CÉRÉBRALES. La durée du traitement doit être assez limitée, contrairement à ce qu’on observe dans les paralysies traumatiques des nerfs ou dans les paralysies saturnines. Dans ces dernières, où la nutrition mus- culaire est profondément altérée, il faut refaire en quelque sorte la libre musculaire et rappeler le mouvement, tandis que dans la pa- ralysie consécutive à l’hémorrhagie cérébrale, où les muscles sont peu atrophiés et ne sont pas altérés dans leur tissu, on a seulement à faire appel à la contractilité volontaire. Si, après ces quinze ou vingt séances, les muscles ne paraissent pas recouvrer leurs mouve- ments, c’est que la cause de la paralysie siège ailleurs que dans les muscles, c’est que le cerveau n’a pas encore recouvré sa liberté d’action. Ce premier insuccès ne doit pas faire renoncer pour toujours à la faradisation localisée, car il peut arriver que le kyste soit assez di- minué quelques mois plus tard pour laisser un libre cours à l’action nerveuse cérébrale. Alors une nouvelle tentative pourrait être plus heureuse que la première. Les considérations électro-thérapeutiques que je viens d’exposer sont, en grande partie, applicables à toutes les espèces de paralysies par lésion organique du cerveau. Citons des exemples; une tumeur syphilitique ou de toute autre nature peut se résoudre, sous l’influence d’une médication spé- ciale. La paralysie produite primitivement par la compression qu’elle exerce sur le cerveau, diminue ou guérit en général, par le seul fait de la cessation de cette compression. Mais s’il arrive que la paralysie persiste, ce n’est pas l’action nerveuse centrale qui est alors en défaut; la paralysie est périphérique, en d’autres ternies, les muscles seuls, ainsi que je l’ai démontré à l’occasion de la para- lysie consécutive à l’hémorrhagie cérébrale, ont perdu leur aptitude à réagir sous l’influence de l’excitant nerveux cérébral. Dans ce cas, la faradisation peut rendre aux muscles paralysés cette aptitude motrice. Trop longtemps je me suis figuré que la faradisation appliquée au traitement des paralysies cérébrales de l’enfance était dangereuse, en ce sens qu’elle provoquait de nouveaux accidents cérébraux, à cause de l’excitabilité plus grande à cet âge. Conséquemrnent, bien que chez l’adulte j’eusse conseillé quelquefois ce traitement, dans la paralysie cérébrale, je le proscrivais toujours chez l’enfant. Tels étaient les principes que j’enseignais encore dans la précé- dente édition. C’était un reste de préjugé dont l’expérimentation ne m’avait pas encore permis de juger le peu de fondement. Celte expé- rimentation est complète aujourd’hui ; elle a été faite sur un très grand nombre d’enfants, de la classe pauvre, qui me sont adressés des hôpitaux. Eh bien, je déclare que je n’ai pas observé, chez eux, un seul accident cérébral, provoqué par la faradisation musculaire, quelque jeunes qu’ils fussent. Mais je me hâte de dire qu’il ne m’est jamais arrivé de m’écarter, pour le procédé opératoire, des prin- cipes que j’ai exposés ci dessus, en traitant de la faradisation appli- quée aux paralysies consécutives à l’hémorrhagie cérébrale. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 371 Les résultats produits par la faradisation appliquée au traitement de paralysies cérébrales de l’enfance sont vraiment encourageants, même lorsqu’elles ont été congénitales. Ainsi il m’est démontré par des faits bien observés que certaines paralysies cérébrales congéni- tales, restées longtemps stationnaires, ont été singulièrement amé- liorées par la faradisation musculaire localisée. Quelque favorables que soient les conditions dans lesquelles on applique la faradisation au traitement d’une hémiplégie cérébrale, on ne doit jamais oublier que les malades sont toujours sous le coup d’une nouvelle hémorrhagie qui peut survenir pendant le traite- ment ou après que l'on en a obtenu les meilleurs résultats. Au mo- ment où j’écris ces lignes, un malheur semblable m’est arrivé. Observation LXXII. —Vers la fin de 1 859, j’ai été appelé à donner des soins à une dame âgée de cinquante-cinq ans, qui depuis sept mois élait affectée d’une hémiplégie cérébrale. Elle avait une telle confiance dans l’électricité que dès le quatrième mois de sa maladie elle en demandait l'application â son médecin, M. Gery, à qui j'en fis entrevoir les dangers à une époque aussi rapprochée du début, et surtout dans une circonstance défavorable, car celte paralysie était accompagnée do contracture. J’a- vais conseillé d’attendre le septième mois de la maladie, avant de faire intervenir ce traitement; ce qui ne fut pas oublié par la malade qui me fit appeler, quand le moment que j’avais indiqué fut arrivé. La paralysie était compliquée de contractures moyennes ; la station et la marche étaient, on peut le dire, impossibles, car la malade ne pouvait se tenir debout sans être soutenue par plusieurs personnes, et portait à peine et péniblement on avant le membre inférieur qui alors se roidissaiten masse et dont les exten- seurs du pied se conlracturaienl. L'usage du membre supérieur élait nul. C’est dans ces conditions que je commençai le traitement par la faradisa- tion localisée, dont le résultat a été heureux au delà de mon attente. En 372 effet, après une trentaine de séances les mouvements, bien que contrariés encore par des spasmes réflexes, avaient gagné considérablement; la ma- lade marchait seule et sans s’appuyer sur un bras ou sur une canne, quoi- qu'un traînant encore la jambe. Elle portait la main à la tête, derrière le dos et commençait à s’en servir. PARALYSIES CÉRÉBRALES. Ce traitement était à peine suspendu depuis une quinzaine de jours, pour être repris plus tard, que la malade fut frappée du côté opposé d’une nou- velle apoplexie à laquelle elle succomba en quelques jours. Le traitement faradique avait donc singulièrement amélioré cette hémiplégie cérébrale. Appliqué par moi-même, avec une grande prudence, il n’avait aucunement surexcité la malade que j’avais laissée dans un état parfait. On ne pourrait certes accuser ce traite- ment d’avoir provoqué la seconde hémorrhagie. Cependant cette nouvelle apoplexie étant survenue peu de temps après l’application de la faradisation (comme elle aurait pu frapper également la malade pendant ce traitement), je me serais exposé à laisser quelque arrière-pensée dans l’esprit de sa famille et de ses amis, si je n’avais eu la précaution de les éclairer sur l’imminence d’une nouvelle hémorrhagie cérébrale, par le seul fait d’une héraor- rhagie antérieure. En raison de cette imminence d’une nouvelle hé- morrhagie qui existe chez tout sujet qui a été frappé une fois d’apo- plexie, connaissant cette tendance du vulgaire à nous appliquer le post hoc ergo propter hoc, j’éprouve toujours quelque répugnance à intervenir dans les paralysies consécutives à l’hémorrhagie céré- brale. Aussi n’ai-je jamais négligé, quand il a été de mon devoir d’agir dans de telles conditions, de mettre ma responsabilité à l’abri, en laissant entrevoir à la famille du malade la possibilité d’une nou- velle hémorrhagie, indépendamment de toute espèce de traitement. L’application des couvants galvaniques continus au traitement des paralysies et des contractures de cause cérébrale, a été préco- nisée, dans ces dernières années, par W. Reinak. Si les promesses merveilleuses faites par cet expérimentateur étaient réalisables, l’électro-thérapie lui serait certes redevable d’un grand progrès. Il prétend que les courants continus peuvent guérir les paralysies et les contractures de cause cérébrale, celles que j’ai déclarées, moi, incurables par la faradisation localisée. Que l’on veuille bien se rappeler les laits et les considérations électro-thérapeutiques exposés dans le présent article. Il en est ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. ressorti, il est vrai, que dans l’hémiplégie consécutive à l’hémor- rhagie cérébrale, la faradisation localisée est utile dans les cas où la paralysie n’est plus entretenue par la lésion centrale, et alors qu’elle est seulement périphérique; que dans ces cas, la faradisa- tion localisée restitue aux muscles leur aptitude à obéir à l’influence nerveuse de retour, aptitude qui était perdue ou pour ainsi dire en- gourdie parle fait de la suspension de l’excitation cérébrale. Mais il est également prouvé par ces faits que toute paralysie uniquement symptomatique de la lésion centrale ne peut être modifiée par la faradisation pratiquée périphériquement, et que les spasmes qui ac- compagnent ces paralysies cérébrales qui, lorsqu’ils sont continus (contractures), sont le signal d’un travail inflammatoire du centre cérébral, et qui, lorsqu’ils sont réflexes, annoncent une insuffisance cérébrale ; il est démontré, dis-je, que ces spasmes ne peuvent pas être guéris par cette méthode de traitement. J’ai même enseigné d’après une expérimentation longue et faite toujours publiquement dans nos hôpitaux que, dans telles circonstances, la faradisation lo- calisée n’était pas toujours sans danger. A l’appui de cette assertion, j’ai rapporté les accidents graves, provoqués quelquefois immédiate- ment par la faradisation, lorsqu’elle a été appliquée dans ces condi- tions et surtout de manière à réagir vivement sur les centres ner- veux, c’est-à-dire par action réflexe. Ce sont cependant ces paralysies symptomatiques de la lésion cé- rébrale et même ces contractures symptomatiques d’un état inflam- matoire du centre cérébral que M. Remak a la prétention de guérir par les courants continus! J’ai déjà dit que la méthode de galvani- sation qu’il préconise réagit inévitablement et très fortement sur les centres nerveux par la douleurhorrible qu’elle produitdansles points où sont appliqués les rhéophores. Rien plus, selon la théorie même de M. Remak, l’action thérapeutique qu’elle exerce sur cette para- lysie et sur les contractures (symptomatiques de la lésion centrale) ne peut s’expliquer que par l’action réflexe du courant continu sur le centre nerveux : « Les contractions galvanotomiques (celles qui sont produites par les courants continus) sont (dit-il) produites par des excitations centrales qui ont leur point de départ dans les nerfs sensitifs (1). » C’est donc une telle méthode de galvanisation que M. Remak ose conseiller, dans une affection où le malade, après une première lié- morrhagie cérébrale, est incessamment menacé d’une seconde ! Et, (1) Galvanolhérapie ou de l’application du courant galvanique constant au traitement des maladies nerveuses et musculaires■ Paris, 1860, p. 58. 374 PARALYSIES CÉRÉBRALES. loin de s’arrêter prudemment devant les signes évidents d’un état inflammatoire du foyer hémorrhagique, celui qui se dit l’auteur de cette méthode de galvanisation, la préconise particulièrement dans ces cas. Il serait fastidieux d’examiner de nouveau si le courant continu, dirigé dans les nerfs des membres paralysés consécutivement à l’hé- morrhagie cérébrale peut guérir ces paralysies et ces contrac- tures symptomatiques de la lésion cérébrale. Quoique j’aie démon- tré toute excitation électrique, et surtout celle qui se fait sentir dans les centres nerveux est formellement contre-indiquée, M. Re- mak veut faire appel à l’expérimentation empirique. Ce n’est certes pas moi qui le suivrai dans cette voie périlleuse. L’expé- rience que j’ai acquise sur ce sujet a déjà coûté trop cher aux ma- lades pour que je consente à expérimenter de nouveau, dans de telles conditions, cette méthode incendiaire qui consiste à « faire passer par les troncs nerveux un courant continu très fort et très doulou- reux. » Une lois cependant, et cela récemment, j’ai essayé le courant con- tinu contre une paralysie de cause cérébrale et consécutive à un coup reçu sur le côté. On va voir que l’état du malade, loin d’étre amélioré, a au contraire empiré sous l’influence du courant con- tinu. Observation LXXIII. — Un jeune officier de notre armée était hémiplé- gique depuis deux ans. Un coup violent qu’il reçut, sur la tête, d'un soldat contre lequel il avait dû sévir, l’avait laissé sans connaissance pendant plu- sieurs heures; quand il fut rappelé à la vie, il était hémiplégique du côté droit. Il s’était fait évidemment dans l’hémisphère gauche de son cerveau un épanchement sanguin. Ses mouvements étaienten grande partie revenus dans le membre inférieur, lorsqu'il me fut adressé en février 1860, mais le membre supérieur était resté presque entièrement paralysé, et l’avant-bras était maintenu constamment dans la flexion par une contracture un peu douloureuse, de même que le poignet et les doigts de la main. Rien n’avait pu vaincre celte contracture, ni rappeler les mouvements ; la faradisation localisée avait même été appliquée par un confrère. Comme l'hémorrhagie cérébrale était due à une cause traumalique, je pensai qu’il n’y avait nul danger d’en provoquer une nouvelle par l’application d’un courant continu, à haute dose, dirigé sur les troncs nerveux du membre supérieur, et je me décidai à essayer sur lui l’action thérapeutique de ce courant continu, après lui avoir donné connaissance des annonces merveilleuses do M. Re- mak, sans toutefois en garantir l’exactitude. J’ai fait passer dans les nerfs du membre supérieur droit, le courant continu de quinze éléments au sul- PARALYSIES HYSTÉRIQUES. 375 fate de mercure, et j’ai augmenté graduellement la puissance de la pile jus- qu’à trente éléments, en donnant à son courant la direction indiquée par M. Remak pour combattre la contracture. La séance a duré cinq à dix minutes; j’ai recommencé ces applications une dizaine de fois. Malgré la douleur horrible produite par ce genre de galvanisation, le malade eut Je courage de s’y soumettre. Hélas! loin d'en obtenir quelque soulagement, ses con- tractures devinrent si fortes et si douloureuses qu'il dut renoncer à ces es- sais qui peut-être n’étaient pas sans danger. CHAPITRE XI. PARALYSIES HYSTÉRIQUES. ARTICLE PREMIER. ÉLECTRO-PATHOLOGIE. La faradisation localisée appliquée à l’étude des paralysies hysté- riques m’a démontré l’existence de certains troubles dans l’état des propriétés musculaires. Ces signes morbides concourent à établir le diagnostic différentiel de ces paralysies. La contractilité électro-musculaire est normale dans la paralysie hystérique ; la sensibilité électro-musculaire est, au contraire, diminuée ou abolie dans cette même affection. La proposition que je viens de formuler est déduite d’une très longue expérimentation. Contrôlée par d’autres observateurs, elle me paraît au jourd’hui si bien établie, qu’il serait oiseux de rapporter des observations à l’appui de leur exactitude. Grâce à l’exploration électro-musculaire, il n’est plus possible de confondre aujourd’hui la paralysie hystérique avec les paralysies caractérisées par l’abolition ou la diminution de la contractilité électro-musculaire (les paralysies par lésion de la moelle ou des nerfs, les paralysies saturnines végétales, etc.). Si l’augmentation de l’irritabilité était un signe propre à la para- lysie cérébrale, comme Marshall-Hall l’avait inféré de ses expé- riences, il serait difficile de confondre cette dernière avec la para- lysie hystérique ; malheureusement je n’ai que trop bien démontré qu’il faut renoncer à ce signe diagnostique, puisque j’ai dû con- clure de mes expériences que dans la paralysie cérébrale, l’irrita- bilité n’est ni augmentée ni diminuée. 376 Heureusement la coexistence ;de la diminution ou de l’abolition de la sensibilité électro-musculaire et de l’intégrité de l’irritabilité, que l’on observe dans la paralysie hystérique, distingue presque toujours celle-ci de la paralysie cérébrale, où la sensibilité électro- musculaire est en général intacte. Faisons maintenant l’application de ces principes. Il n’est personne qui n’ait vu la paralysie hystérique revêtir quel- quefois la forme hémiplégique. En conséquence, l’hémiplégie n’étant pas seulement produite par une lésion cérébrale, une paralysie qui reconnaît pour cause une tumeur, un kyste, etc., siégeant dans un des hémisphères du cerveau, pourrait, dans certains cas, être pris pour une hémiplégie hystérique. En voici un exemple : PARALYSIES HYSTÉRIQUES. Observation LXXIV. — En \ 882, une jeune fille était entrée à la Cha- rité (salle Sainte-Madeleine, n° 5), pour s’y faire traiter d’une hémiplégie gauche datant de six mois, et qui était survenue graduellement. Sa para- lysie était incomplète, c’est-à-dire quelle consistait dans un affaiblisse- ment des mouvements. Elle était habituellement bien portante avant sa paralysie, mais depuis lors elle était mal réglée. On constatait chez elle l’exis- tence d’un souffle carotidien. Bien qu’elle n’eût jamais eu d'accès d’hys- térie, M. Beau, qui dirigeait alors provisoirement le service, pensa que son hémiplégie pouvait bien être sous la dépendance d’un état hystérique, et m’engagea à l’examiner, au point de vue de mes recherches. A l’exploration électro-musculaire, je constatai l’intégrité de la contractilité et delà sensi- bilité électriques dans les muscles paralysés. Ce dernier phénomène (l’inté- grité de la sensibilité musculaire) ne me permit pas de partager l’opinion de M. Beau sur la nature de la paralysie. On se rappelle, en effet, que la paralysie hystérique présente une perturbation dans l’état de la sensibilité qui est ordinairement diminuée dans les muscles ou quelquefois augmentée à la peau. En l’absence de ce dernier signe, et en présence de l’intégrité de la contractilité électro-musculaire, je diagnostiquai chez cette jeune fille une lésion cérébrale, par exemple un tubercule occupant le côté droit de la base du cerveau ; la possibilité de la présence d’un tubercule cérébral me paraissait s’appuyer encore sur l’existence d’une expiration prolongée au sommet du poumon gauche. Celte jeune fille mourut rapidement par suite d’une suffusion séreuse dans les méninges et les ventricules. On trouva à l’autopsie un tubercule du volume d’un haricot dans le pédoncule cérébral droit. Je crois que clans la plupart des cas analogues à celui que je viens de rapporter, on pourrait diagnostiquer l’existence d’une tumeur cérébrale sans l’exploration électro-musculaire, car on observe alors en général une hémiplégie faciale du côté correspondant à l’hémiplégie des membres : phénomène que je n’ai jamais rencontré dans l’hémiplégie hystérique, qui présente seulement quelquefois une diminution de la sensibilité de ce côté de la face. Mais il est in- contestable que, lorsqu’il existe alors quelque incertitude dans le diagnostic, les signes tirés de l’état des'propriétés musculaires sont d’une grande utilité. VALEUR DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 377 On pourrait également confondre une hémiplégie hystérique avec une hémiplégie de cause cérébrale. Les mêmes signes qui, dans le cas précédent, ont servi à distinguer l’hémiplégie cérébrale de l’hémiplégie hystérique, éclaireront alors le diagnostic. Je ne rap- porte pas les faits dans lesquels j’ai eu l’occasion d’établir le dia- gnostic différentiel de l’hémiplégie hystérique par l’exploration électro-musculaire. J’ai fréquemment rais ce moyen de diagnostic à l’épreuve, dans des circonstances semblables, à la Charité, parti- culièrement dans le service de M. Briquet, où se trouve réuni un très grand nombre d’hystériques. Voici comment nous avons pro- cédé dans ces recherches : M. Briquet me signalait les sujets atteints de paralysies qui entraient dans son service après qu’il les avait examinés et qu’il avait établi son diagnostic sur les signes fournis par la symptomatologie. J’explorais alors l’état de la contractilité et de la sensibilité des muscles paralysés, sans interroger les malades, et c’était uniquement des signes fournis par l’état de ces propriétés musculaires que je déduisais mon diagnostic. Est-il besoin de dire encore que l’on doit toujours rattacher les signes fournis par l’exploration électro-musculaire, aux autres symptômes de la ma- ladie? Si j’ai procédé autrement à la Charité, c’était pour démontrer aux confrères et aux élèves qui fréquentaient cet hôpital l’utilité des signes diagnostiques tirés de l’état de la contractilité et de la sensi- bilité électro-musculaires, et pour m’édifier de plus en plus moi- même sur leur valeur réelle. ARTICLE II. ÉLECTRO-THÉRAPIE. A. — Valeur de la faradisation localisée, appliquée au traitement des paralysées hystériques. 1. — Depuis le commencement de mes recherches, il s’est passé peu de jours sans que j’aie eu à expérimenter l’influence thérapeutique exercée par la faradisation localisée sur la paralysie hystérique (1). (1) Dans son Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie (1859), page 711 et suiv,, M. Briquet expose ses propres recherches sur cette affection dont il s’est 378 PARALYSIES HYSTÉRIQUES. Je pourrais publier sur ce sujet plus d’une centaine d’observations, dans lesquelles on compte un assez grand nombre de guérisons, dont quelques-unes étaient inespérées ou ont été obtenues avec une rapidité vraiment surprenante, après avoir résisté longtemps à des médications variées et rationnelles. Ces faits sont certainement sa- tisfaisants, car ils prouvent que la faradisation localisée est une mé- dication que l’on peut souvent opposer avec succès à la paralysie hystérique. Cependant je suis forcé d’avouer que tout est imprévu dans celte action thérapeutique de la faradisation localisée sur cette affection, car j’ai vu trop souvent échouer dans telle paralysie de ce genre, le procédé de faradisation qui avait triomphé dans des cas en apparence absolument identiques, et ce même moyen guérir, alors qu’il semblait irrationnel d’en attendre la moindre influence. Quelles règles déduire de ces faits dans lesquels on ne pourrait prévoir ce qui doit arriver sous l’influence de cette médication? Incapable d’établir par mes recherches sur la paralysie hystérique aucuns principes sur lesquels on pùt s’appuyer pour annoncer le résultat de la faradisation localisée, je ne ferai pas un vain étalage des guérisons obtenues par ce moyen, en relatant les nombreuses observations que j’ai recueillies. Je crois qu’il suffira seulement d’en rapporter quelques-unes, comme exemples, et qu’il sera plus utile de rapprocher les succès des insuccès, pour démontrer que s’il est incontestable que la faradisation localisée est une excellente médication à essayer contre la paralysie hystérique, il faut cepen- dant se garder de se laisser entraîner à une confiance trop exclusive dans son emploi. II. — On doit, en général, dans la paralysie hystérique, porter l'exci- tation électrique dans chacun des organes affectés, et continuer le trai- tement quelque temps après le retour des mouvements, afin de fixer pour ainsi dire la guérison. Cette proposition est déduite d’un grand nombre de faits, je n’en citerai qu’un exemple. Ce lait sera rapporté avec détails, parce qu’il offre un ensemble assez complet de phénomènes hystériques et paralytiques affectant à la fois les mouvements, la sensibilité et les sens, et que ces troubles fonctionnels, qui avaient résisté jusqu’alors aux autres médications, ont été successivement combattus avec succès par chacun des pro- cédés spéciaux de la faradisation localisée. Le lecteur trouvera dans ces détails un grand enseignement pratique. particulièrement occupé et relate les applications que nous avons faites ensemble de la faradisation à des paralysées hystériques. VALEUR DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 379 Observation LXXY. —Charité, salle Saint-Marlhe, n° 31, service de M. Briquet. — Hystérie, paraplégie incomplète et affaiblissement muscu- laire dans le membre supérieur gauche ; anesthésie cutanée, musculaire et osseuse ; perte de la sensibilité de la conjonctive, de la muqueuse nasale, buccale et linguale du côté gauche ; perte des sens du loucher, de l'odorat et du goût, du même côté ; aménorrhée. — Guérison par la faradisation loca- lisée. Marie Roussel, trente-deux ans, marchande des quatre-saisons, née d’une mère qui avait de fréquentes attaques d’hystérie, fut prise brusquement, à l’occasion d’une contestation qu’elle eut avec ses maîtres, d’un accès hystérique très fort, avec convulsions, grincement de dents et perte de connaissance. Depuis ce moment, elle est devenue sujette à ces accès, qui ont lieu tous les deux ou trois mois. — Entrée à la Charité le 23 septembre 1 848. Etat actuel. —Céphalalgie pulsative et lancinante, même dans l’état de repos; sentiment presque continu de strangulation à la gorge; douleur à la pression de la région épigastrique, des parois abdominales du côté gauche, des muscles de la région sus-pubienne, du rachis, de la sixième à la dou- zième vertèbre dorsale, de la région scapulaire des muscles de la portion lombaire de la gouttière vertébrale gauche; insensibilité presque complète de la peau du côté gauche du dos, depuis le haut jusqu’en bas; l’insensibi- lité de la peau s’étend au côté gauche de la face, de la tête et des membres. La malade dit qu’avanl l’anesthésie la peau était très sensible au toucher dans les mômes régions, et qu’en même temps elle éprouvait des douleurs profondes dans les membres ; insensibilité de la muqueuse conjonctivale, nasale et buccale du côté gauche; du même côté, léger trouble dans la vue, perte de l’odorat et du goût; perte du sens du loucher de la main gauche, perte de la sensibilité de la plante du pied gauche ; affaiblissement muscu- laire dans le membre supérieur gauche et dans les membres inférieurs, datant » de six à sept mois ; la paraplégie est arrivée au point de rendre la marche presque impossible sans l'aide d’un brus ; la malade traîne les membres infé- rieurs, sans pouvoir les lever. Après l’emploi des divers moyens usités, l’état de la malade ne changeant pas, M. Briquet me permet d’étudier l’influence thérapeutique de la faradi- sation, que j'applique pour la première fois le 11 octobre 1848. Le 20. En une seule séance de cinq minutes, la sensibilité de la face est revenue sous l’influence de l'excitation cutanée par la main électrique. En deux séances, les sens de l’odorat et du goût ont reparu au moyen des pro- cédés de faradisation que j’ai exposés dans le chapitre II (p. 93). Excitation électro-cutanée du membre supérieur. — Les balais métalli- ques, excitateurs, placés sur la peau, n’éveillent aucune sensation pendant les premières minutes, l’appareil étant au maximum et marchant avec des 380 intermittences rapides ; mais bientôt après apparaissent, clans les points qui sont en rapport avec ces rhéophores, les phénomènes suivants : rougeur, cha- leur, léger chatouillement rapidement suivi d’une sensation de brûlure, de piqûre intolérable, ce qui me force de remplacer les balais métalliques par les rhéophores métalliques pleins, et de diminuer l'intensité du courant de moitié. Dans le point où l’excitateur est placé, la sensibilité de la peau est revenue, mais l’insensibilité persiste dans les autres points. Toute la surface cutanée du membre supérieur, excité par le même procédé, recouvre ainsi sa sensibilité normale. PARALYSIES HYSTÉRIQUES. Faradisation de la pulpe desdoigts, des nerfs collatéraux de la main gauche et de la peau de la main. — L’épiderme de la main étant épais et sec, les rhéophores n’exercent aucune action physiologique, même avec un courant des plus intenses. La peau est alors légèrement humectée, et l’excitation électrique devient à l’instant très vive lorsqu’on promène les balais métalli- ques sur la face dorsale de la main surtout sur la pulpe des doigts. En dix minutes, le sens du toucher est presque normal; la malade distingue les différentes parties d’un crayon, la tête d’une épingle qu’elle attache à son mouchoir, ce qu’elle n’a pu faire depuis longtemps. Le 12. Retour de la menstruation, absente depuis trois mois. Les mus- cles sont faradisés, au maximum de l’appareil, et bien que les excitations soient très énergiques, la malade n’en a pas la conscience dans les points où existe l’anesthésie. Si l’excitation électro-musculaire est prolongée dans un muscle et que les intermittences soient un peu rapprochées, la sensibilité électro-musculaire reparaît, et la malade ne peut supporter un courant, même très modéré. Quoique le muscle ait recouvré sa sensibilité normale, la peau qui lui est superposée, reste insensible. Si l’excitation électro-cutanée rappelle la sensibilité dans un point de la peau, le muscle subjacent de- vient sensible lui-même. Ces expériences, répétées à plusieurs reprises sur différents points du corps, ont toujours donné les mêmes résultats. La faradisation a été suspendue pendant plusieurs jours, et cependant les résultats acquis précédemment ont été conservés. Excitation électro-cutanée du pied gauche. — Retour rapide de la sensi- bilité. Après l’opération, la malade sent la résistance du sol, mais elle ne peut marcher seule ; il lui semble que ses jambes pèsent énormément ; elle ne peut soulever le membre inférieur gauche. La veille, deux accès hystériques très forts ont été suivis d’un engour- dissement et d’un fourmillement dans tout le côté gauche. Ce matin, tous les points du corps auxquels la sensibilité avait été rendue sont de nouveau frappés d’anesthésie, à l'exception de la peau du pied, qui a été faradisée la veille. Il suffit de passer rapidement les rhéophores métalliques pleins, et à un degré élevé au graduateur, pour rappeler la sensibilité perdue. Depuis l’accès hystérique, douleurs vives dans la tête et à l’épigastre. VALEUR DE LA FARADISATION LOCALISÉE. La douleur frontale a persisté depuis le dernier accès, et comme elle de- vient intolérable, j'essaye de l’enlever par la faradisation cutanée, au moyen de la main électrique; ce moyen a réussi complètement. (Pour être certain que l’imagination seule n’avait pas influencé cette action de la faradisation sur la céphalalgie, j’avais longtemps frictionné le front sans fermer le courant, et je n’avais pas modifié la céphalalgie.) Les douleurs épigaslriques ont été enlevées par la fustigation électrique, pratiquée sur l’épigastre. 381 Le 1er novembre. Faradisation musculaire pendant cinq à dix minutes. Pour fixer la sensibilité dans les points autrefois anesthésiés, l’excitation électro-cutanée est pratiquée de temps en temps. Le 10. Plusieurs accès hystériques ont eu lieu, et n’ont pas fait dispa- raître la sensibilité dans les lieux où la faradisation a été souvent appliquée; mais l'anesthésie reparaît là où l’excitation électro-culanée a été appliquée une seule fois. Le 24. Sensibilité de la peau partout normale. La force musculaire est complètement revenue depuis longtemps dans le membre supérieur. Dans le membre inférieur, la motilité n'a reparu que progressivement, et aujour- d’hui la marche et la force musculaire paraissent intactes. La menstruation a reparu une seconde fois, mais peu abondante. L’excitateur utérin (voyez sa description, p. 89), appliqué sur le col de l'utérus, ne donne lieu à une sensation spéciale qu’à un courant très intense. Cette sensation consiste en une douleur sourde dans l’hypogastre et dans les reins. D’abord légère, elle devient assez forte, si l'opération est prolongée. Elle a été suivie de coliques utérines qui ont duré plusieurs jours. L’écoulement menstruel, ar- rêté depuis deux jours, a reparu immédiatement, mais peu abondant et pour quelques heures. Cet écoulement a été suivi d’un peu de leucorrhée, qui a disparu complètement aujourd’hui. Plus de céphalalgie, de douleurs intercostales, abdominales et des fausses côtes ; plus de douleurs dans les membres. Malgré cette amélioration, les attaques hystériques ont lieu comme de coutume et sans cause appréciable, seulement elles sont moins fortes que d’habitude. Peu de jours après, la malade est sortie complète- ment guérie de sa paralysie musculaire et cutanée. Deux mois après sa sortie, j’ai revu cette femme, dont la guérison paraissait solidement établie, malgré plusieurs accès d’hystérie. On a vu que, dans le cas précédent, il m’a fallu porter l’excitation sur chacun des organes dont la fonction était troublée et que par- tout l’action de la faradisation a été immédiate. Mais pour que l’effet thérapeutique obtenu fût conservé, les excitations taradiques ont dû être renouvelées après la guérison. Cette règle de conduite, dans la pratique de la faradisation, est déduite d’ailleurs de la con- naissance de ce fait important, mis en lumière par M. Gendrin, à 382 PARALYSIES HYSTÉRIQUES. savoir, que les nouveaux accès hystériques tendent à faire retomber les malades dans leur état de paralysie ou d’anesthésie. L’expé- rience m’a démontré que les organes ainsi menacés d’une rechute résistaient d’autant mieux qu’ils avaient été plus souvent faradisés. Aussi, m’a-t-on souvent entendu dire, au lit des malades, qu’il lallait continuer le traitement faridique après le retour des mouve- ments ou de la sensibilité pour fixer la guérison. C’est souvent ainsi que j’ai dû agir dans les cas de paralysies hystériques où j’ai expérimenté l’influence de la faradisation localisée. III. — Cependant il ma quelquefois suffi d’une seule excitation électro-cutanée pour guérir la paralysie hystérique. En voici un exemple bien remarquable. Cette observation est trop importante pour n’être pas exposée avec quelques détails. Observation LXXYI. — Paralysie hystérique datant de deux ans, avec anesthésie cutanée. — Guérison par une seule excitation électro-cu- tanée. Marie Picard, âgée de quarante-deux ans, chapelière, rue Grande, n° 49. Entrée à la Charité, salle Sainte-Marlhe, n° 22, le 23 mai 4 854. D’une bonne santé et d’un caractère calme, non sujette à des accidents nerveux; bien portante jusques il y a quatre ans. A cette époque, elle a eu de fortes préoccupations d’esprit (jalousie) qui ont duré un an. C'est à la suite de ces contrariétés qu’elle a eu sa première attaque d’hystérie. Dans les premiers temps, les attaques avaient lieu trois ou quatre fois par jour; il en fut de môme pendant cinq à six mois ; puis peu à peu elles se sont éloignées, et aclu'ellement il n’y en a plus guère que deux ou trois fois par an. Elle a ressenti, il y a dix-huit mois environ, de la douleur dans les reins, puis peu à peu des fourmillements à la plante des pieds et des roidisse- ments dans les membres inférieurs; vers la même époque, elle a éprouvé de la difficulté à aller à la garderobe, et une paralysie de la vessie. Il y avait déjà quelque temps que la paralysie s’était déclarée dans les membres inférieurs, quand les supérieurs sont devenus lourds, avec im- possibilité de mouvements. Cette paralysie a duré cinq ou six mois. La pa- ralysie a été bien plus forte du côté gauche que du côté droit. Il paraît y avoir eu une forte anesthésie de tout le côté gaucho du corps; la sensibilité était en partie conservée, mais un peu obtuse dans le côté droit. Depuis dix mois, les membres supérieurs ont repris leurs mouvements. — Depuis cinq mois, la paralysie a diminué un peu dans les membres inférieurs. —En un mot, la santé de cette malade allait en s’améliorant , quand depuis six se- maines à deux mois, l’affaiblissement des membres inférieurs a augmenté VALEUR DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 383 de nouveau. Il y a une quinzaine de jours qu’elle a eu sa dernière attaque. Etat actuel. — A son entrée à la Charité, coloration assez animée de la face; un peu d’agitation d'esprit, point de céphalalgie. Du côté gauche, diminution notable de la vue, de la sensibilité de la conjonctive et de la peau de toute la face, ainsi que de la main. Du même côté perte de l’odorat, du goût et de la sensibilité tactile dans la bouche et dans la langue; dimi- nution très notable de l’ouïe du même côté, mais sans bourdonnement d’oreille ; insensibilité complète du côté gauche du corps (tronc et mus- cles). L’anesthésie paraît n’atteindre que la peau; elle est bornée exacte- ment par la ligne médiane. Faible diminution dans la force musculaire du membre supérieur gauche. Un peu d'affaiblissement du membre inférieur droit, beaucoup plus prononcé dans le membre inférieur gauche. Point de douleur à la région précordiale ; douleur en arc au contour du bassin en avant. Point de douleur au côté gauche; douleur du rachis entre les deux épaules. Au moment de l’entrée, on a constaté que le membre inférieur droit était faible et ne supportait le poids du corps qu’en tremblant. Le membre inférieur gauche était beaucoup plus faible; la malade ne pouvait marcher que lentement et en s’appuyant sur les objets environnants. La paralysie a dû être asse» prononcée avant son entrée à la Charité, puisqu’à la maison de santé du faubourg Saint-Dénis, on lui a fait appliquer deux cautères sur les côtés du rachis, et des vésicatoires dans la région lombaire. Elle a, à cette époque, gardé le lit pendant cinq mois, sans éprouver d’autres sym- ptômes morbides que la faiblesse des membres inférieurs. Elle est sortie de la maison de santé sans être améliorée. Le 9 juin, j’ai faradisé une seule fois la peau des membres supérieurs et inférieurs. Au bout de quelques secondes, la malade a senti vivement l’ex- citation électrique. Un instant après, elle a marché comme s’il n’y avait plus de paralysie. Quelques instants auparavant, j’avais constaté que les muscles se contractaient vigoureusement sous l’influence de l’électricité, et il est remarquable qu’il n’y avait pas eu d’amendement produit dans la paralysie par cette excitation électro-musculaire. Le 10 juin, la sensibilité est presque normale partout, peut-être un peu moins vive à gauche qu’à droite ; les mouvements se sont conservés comme la veille. — 14 juin. La malade est sortie. La marche s’exécutait très bien. J’ai observé à la Charité, dans le service de M. Briquet, un assez grand nombre d’hystériques dont les membres du côté gauche étaient plus ou moins anesthésiés, et surtout le membre supérieur. Ordinairement cette anesthésie était accompagnée d'affaiblissement musculaire. Il me suffisait presque toujours, dans ces cas, de rap- peler la sensibilité cutanée pour voir reparaître la force musculaire normale. 384 PARALYSIES HYSTÉRIQUES. 'est sans doute en allant exciter les centres nerveux par une sorte d'action réflexe que la faradisation cutanée rappelle les mouve- ments dans ces paralysies hystériques. Il est même des cas où elle semble mieux réussir que la faradisation musculaire. J’en ai rapporté un exemple dans la précédente édition (obs. CLI, p. 743), Y.—Les faits que fai recueillis ne mont pas permis de reconnaître les signes qui annoncent si la faradisation guérira ou non la paralysie hystérique. Quand on a été témoin de ces guérisons obtenues par la faradisa- tion localisée chez des hystériques dont la paralysie a résisté jus- qu’alors, et quelquefois depuis longtemps, aux médications les plus énergiques, on se sent pris d’une sorte d’admiration pour la puis- sance thérapeutique de l’électricité. Ainsi, dans un des cas précé- dents (obs. LXXYI), on a vu une paralysie évidemment hystérique rebelle à toutes les médications; la malade qui possédait une cer- taine aisance, s’était fait longtemps soigner par un médecin habile, sans obtenir d’amélioration. Elle s’était fait ensuite transporter dans la maison de santé de la rue Saint-Dénis, où elle avait été traitée énergiquement pendant cinq mois par M. Vigla (par des cautères placés de chaque côté du rachis, la strychnine, etc.), et d’où elle était sortie exactement, disait-elle, dans le môme état qu’avant son entrée. Elle se fait alors transporter à la Charité, où on lui avait dit qu’elle trouverait des soins spéciaux. Je la soumets une seule fois à la faradisation localisée, et la voilà qui guérit de cette paralysie jusqu’alors si rebelle ! Ici point de doute sur la réalité des phénomènes accusés par la malade, car elle n’avait évidemment aucun intérêt à simuler, comme le font quelques hystériques, et elle avait fait des sacrifices d’argent pour obtenir sa guérison; enfin elle est sortie avec une grande joie de l’hôpital, aussitôt qu’elle a été guérie. Ce fait et d’autres analogues ont vivement impressionné les per- sonnes qui les ont observés. Si le hasard ne leur faisait rencontrer que des cas semblables, on conçoit qu’il y aurait de quoi leur ins- pirer une foi bien grande dans cette médication ; mais la confiance qui peut naître de pareils faits, diminue singulièrement quand on voit cette même médication échouer complètement dans des para- lysies identiques, en apparence, avec celle dont on vient de la voir triompher si facilement. ObservationLXXVII.—En 1852, jevis, en consultation avec MM. Blaclie et Rayer, une jeune personne demeurant rue Joubert, à Paris, et qui, de- valeur de Là faradisation localisée. 385 puis une année, était entièrement privée des mouvements des membres in- férieurs. Sa paralysie était survenue à la suite d'un saisissement, et était compliquée de phénomènes hystériques. On avait eu recours à des moyens très variés et très énergiques qui n’avaient point amélioré son état. On luj avait même appliqué des moxas sur le trajet de la colonne vertébrale, d’après le conseil d’un médecin qui attribuait la paralysie à une myélite. Lorsque je fus appelé par M. Blache à essayer l’influence thérapeutique de la fara- disation localisée, je constatai que les muscles paralysés possédaient leur contractilité électrique normale, et que les excitations les plus fortes de la peau et des muscles n’occasionnaient pas la plus légère sensation. Il existait de plus une hyperesthésie au niveau des gouttières vertébrales. Il était im- possible, en présence de ces symptômes joints à l’histoire de la maladie de méconnaître l’existence d’une paraplégie hystérique. J’espérais que celte paralysie guérirait facilement, m’appuyant sur des faits semblables où la guérison avait été obtenue par la faradisation localisée. Eh bien, celte mé- dication, appliquée pendant un mois, n’exerça pas la moindre influence sur l’état de la paralysie ; l'excitation électro-cutanée avait seulement rappelé légèrement la sensibilité de la peau. La résistance opposée par celte para- lysie à toutes les médications semblait justifier le diagnostic de myélite porté par l’un des médecins appelés à donner des soins à cette demoiselle, lorsque l’obstacle à l’action nerveuse motrice que n’avait pu vaincre la faradisation localisée disparut tout à coup et complètement, bien qu’on n’eût rien fait de nouveau pour combattre la maladie. Depuis lors, cette guérison spontanée s’est parfaitement maintenue. Observation LXXVIII. — A côté de cet insuccès de la faradisation localisée, j’en pourrais placer un autre parfaitement identique, et que j’ai observé chez une demoiselle (mademoiselle F...) atteinte de paralysie hys- térique depuis un an, et qui m’avait élé adressée par M. Ricord. Des cautères placés sur la colonne vertébrale, la strychnine, etc., avaient été employés sans résultats; trente séances de faradisation localisée n’avaient pas modifié la paralysie, qui, peu do temps après, guérit spontanément et complètement. Dans le premier des deux faits que je viens de rapporter (obs. LXVVII), la guérison eut lieu peu de temps après l’application de la faradisation, de sorte que l’on pourrait à la rigueur faire honneur de cette guérison à l’action tardive de la faradisation, de même qu’on attribue souvent à l’action des eaux minérales des guérisons qui n’ont lieu que quelques mois après qu’on les a prises. Il serait in- téressant d’examiner si réellement les effets thérapeutiques de cer- taines médications qui n’impriment aucune modification à la ma- ladie pendant qu’on les applique, ne se manifestent que tardivement. DUCHENHE. 386 PARALYSIES HYSTÉRIQUES. Quant à moi, j’affirme avoir vu des névroses et des névralgies long- temps rebelles à tous les remèdes, disparaître seulement quinze jours à un mois après l’application de la faradisation localisée, bien qu’elles n’eussent subi aucune modification appréciable pendant le traitement. Cependant, les deux cas cités ci-dessus sont pour moi des insuc- cès: s’ils étaient interprétés autrement par quelques personnes, je pourrais rapporter d’autres faits de paralysies hystériques qui ont persisté plusieurs années, bien que je les eusse traitées par la fara- disation localisée. * VI, —La paralysie hystérique guérit cependant fréquemment par la faradisation localisée. — La forme paraplégique est celle dans laquelle les chances de succès paraissent le moins grandes. Sur plus d’une centaine de paralysies hystériques que j’ai traitées par la faradisation localisée, j’ai obtenu la guérison dans la moitié des cas; mais j’observerai que souvent je n’ai été appelé à agir que dans les circonstances les plus défavorables, c’est-à-dire lorsque les autres médications avaient échoué. On sait, en effet, qu’on songe en général à recourir au traitement électrique seulement comme à une dernière ressource. Il est donc permis d’espérer que la propor- tion des guérisons augmentera quand la faradisation sera placée dans les mêmes conditions que toutes les autres médications, et qu’on ne lui livrera plus seulement les cas difficiles. On sait que la paralysie hystérique revêt des formes variées. M. Briquet a démontré par des faits (1) que la plupart de ses mani- festations morbides, les paralysies du mouvement, les hyperesthésies ou anesthésies cutanées, les paralysies des sens, de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût, siègent presque toujours du côté gauche. Celte règle, qui a été formulée dans les thèses publiées par ses élèves, découle des nombreuses recherches de ce savant obser- vateur sur l’hystérie. J’ai vu, en effet, ces phénomènes souvent limités dans le côté gauche, aux membres, au tronc et à la face, et quelquefois dans le membre supérieur gauche. Tantôt la paralysie se généralise, et tantôt elle se fixe dans les membres inférieurs. (Quand, dans ces derniers cas, elle prédomine dans un côté, c’est presque toujours dans le côté gauche. Je signale ce fait en passant, car il peut éclairer certains cas de diagnostic difficile.) Eh bien, il ressort des faits que j’ai observés, que c’est le plus ordinairement lorsque la paralysie hystérique s’est fixée dans les membres infé- rieurs, que la faradisation localisée a échoué. (1) Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie. Paris, 1859, p. 441 et suiv. VALEUR DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 387 B. — Comment on doit pratiquer la faradisation lorsqu’on l’applique au traitement de la paralysie hystérique. La sensation provoquée par l’excitation électrique, alors même qu’elle n’est pas douloureuse, est tellement étrange, anormale, qu’elle peut provoquer une attaque d’hystérie chez les personnes qui n’y sont pas habituées. Cette sensation les impressionne d’autant plus que leur imagination leur fait redouter presque toujours ces applications. Dans les premiers temps de mes recherches, il m’arri- vait fréquemment de provoquer des accès hystériques que j’attri- buais uniquement à l’influence de l’électrisation, et qui ne faisaient qu’augmenter les préventions que les malades et même les per- sonnes qui les entouraient, avaient conçues déjà contre son applica- tion. Ayant eu le soin d’habituer graduellement les malades à la sensation électrique, en commençant par des doses très faibles, et en dissipant ainsi leurs préventions, je n’ai plus vu survenir ces crises nerveuses produites évidemment par une influence morale. Je conseille donc de consacrer la première séance à habituer ainsi les hystériques aux sensations électriques. En agissant de la sorte, on ne tarde pas à pouvoir administrer les doses les plus intenses. La diminution de la sensibilité musculaire, qui complique la paralysie hystérique, indique l’emploi du courant de la première hélice et des intermittences rapides qui agissent énergiquement sur la sensibilité musculaire, en même temps qu’elles provoquent le retour des mouvements. Mais la faradisation musculaire à intermit- tences rapides n’est pas toujours applicable chez les hystériques. Ainsi, j’en ai vu un bon nombre qui pouvaient supporter les excita- tions musculaires les plus fortes, les plus douloureuses, pourvu que les intermittences du courant fussent assez éloignées les unes des autres, et chez lesquelles les contractions produites par un courant rapide ne manquaient jamais de produire une attaque d’hystérie. Ce n’était pas que ces malades trouvassent ce mode de faradisation mus- culaire plus douloureux, car j’avais le soin d’agir avec un courant peu intense ; mais la sensation toute spéciale qu’il produisait occasionnait des tournoiements, des éblouissements, un malaise général bientôt suivi d’une crise nerveuse. Je n’en ai pas moins continué d’employer ce mode de faradisation chez quelques-unes de ces malades, qui, loin de s’y habituer, en conservaient une impression si désagréable, que l’idée qu’elles allaient être faradisées de la même manière suf- fisait pour les faire tomber en convulsions. Mais à l’instant où je recommençais à faire contracter leurs muscles avec un courant à 388 intermi ttences éloignées, les accès d’hystérie cessaien l de se reprod uire pendant l’opération. Je signalerai encore un phénomène curieux chez ces mêmes malades, que la faradisation musculaire à courant rapide faisait tomber en spasme nerveux : je pouvais produire les sensations cutanées les plus douloureuses par la faradisation de la peau à un courant rapide, sans provoquer le moindre accès nerveux. En résumé, bien que la faradisation musculaire à intermittences rapides soit le meilleur mode d’électrisation qu’il convienne d’ap- pliquer au traitement de la paralysie hystérique, il ressort des considérations précédentes, que l’on doit y renoncer lorsqu’il provoque des crises nerveuses, et le remplacer par la faradisation musculaire à rares intermittences. PARALYSIES HYSTÉRIQUES. Il faut en général diriger l’excitation musculaire sur chacun des muscles paralysés, sans négliger de stimuler les troncs nerveux. J’ai dit, et j’en ai donné la preuve dans les faits que j’ai rapportés, qu’il suffit quelquefois d’exciter la sensibilité cutanée pour guérir la paralysie hystérique; c’est ce qu’on aura plus de chance d’obtenir quand la sensibilité cutanée sera considérablement diminuée dans la paralysie hystérique qu’on aura à traiter. On devra donc ne pra- tiquer, dans ce cas, que la faradisation électro-cutanée pendant les deux ou trois premières séances, afin déjuger du degré d’influence que ce mode d’excitation exerce sur la paralysie musculaire. Si cette dernière était ainsi notablement améliorée, on y joindrait la faradi- sation musculaire localisée, en insistant moins sur celle-ci que sur la faradisation cutanée. Mais, si l’on n’obtenait aucun amendement dans l’état de la paralysie, on n’emploierait plus l’excitation élec- tro-cutanée qu’autant que cela serait nécessaire au rétablissement de la sensibilité de la peau, et l’on aurait recours seulement à la faradisation musculaire localisée. Le traitement est beaucoup plus douloureux par l’excitation électro-cutanée ; aussi rencontre-t-on quelques malades qui refusent de s’y soumettre. Je n’ai pas besoin de dire que dans ce cas on doit essayer de guérir la paralysie par la faradisation musculaire à rares intermittences, et ne recourir à l’excitation électro-cutanée qu’après avoir vu échouer le premier mode d’excitation. Les procédés de faradisation que l’on doit appliquer au traite- ment des autres paralysies hystériques, de la vessie, des intestins, de la voix, de l’ouïe, de la vue, de l’odorat et du goût, dont il a été déjà question, page 9û et suivantes, seront exposés, par la suite, avec plus de détails, en traitant spécialement de ces espèces de paralysies locales. PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. 389 CHAPITRE XII. PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. Je comprends sous ce titre la paralysie de la sensibilité électro- musculaire et la paralysie du sens musculaire de Ch. Bell, parce qu’elles me paraissent inséparables l’une de l’autre, ou, en d’autres termes, parce qu’elles sont produites par une lésion identique de la sensibilité musculaire. La paralysie de la sensibilité musculaire ne constitue pas, par elle- même, une espèce morbide distincte; elle est symptomatique d’af- fections diverses; ce qui sera démontré par la suite. J’expose son étude dans ce chapitre, car, jusqu’à ce jour, je l’ai plus fréquemment observée dans l’affection hystérique, isolée de toute paralysie des mouvements volontaires, ou compliquée seu- lement d’un affaiblissement de ces mouvements, de manière qu’il m’a été possible d’analyser tous les troubles fonctionnels qu’elle porte dans la locomotion. Je me propose : 1° de mettre en lumière l’existence de la sensibi- lité électro-musculaire, niée par certains observateurs; 2° de mon- trer l’identité ou l’union intime de la sensibilité électro-musculaire et du sens musculaire de Ch. Bell, qui constituent ce que j’appelle la sensibilité musculaire; 3° enfin d’exposer rapidement la sympto- matologie, le diagnostic différentiel, le pronostic et le traitement de la paralysie de la sensibilité musculaire. § I. — Preuves de l'existence de la sensibilité électro- musculaire. 11 a été souvent question delà sensibilité électro-musculaire dans ce livre. Je me suis d’abord appliqué à démontrer expérimentale- ment l’existence de cette propriété musculaire. J’ai prouvé ensuite qu’elle joue un rôle important au point de vue du diagnostic et du pronostic des nombreuses paralysies, dont j’ai eu à exposer l’étude électro-pathologique. Nier donc aujourd’hui que les muscles sont doués de sensibilité, c’est montrer qu’on veut résister au mouvement scientifique, c’est contester un fait établi aussi solidement par l’expérimentation sur le muscle à nu que par l’observation pathologique. Et cependant, un physiologiste allemand, M. Retnak, dont j’ai déjà dû combattre l’espèce d’hérésie sur l’irritabilité hallérienne, 390 PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. dans le cours du chapitre II, a nié aussi dans ces derniers temps l’existence de la sensibilité électro-musculaire. Je ne crois pas pou- voir me dispenser de défendre ce point de doctrine attaqué par ce savant contradicteur. Une seule expérience suffirait pour démontrer rigoureusement que le muscle est sensible, c’est celle que j’ai faite sur la fibre mus- culaire dénudée et excitée directement par un courant d’induction (elle a été rapportée à la page 29 de ce livre) et que j’ai pratiquée sur un blessé, à l’Hôtel-Dieu de Paris. J’ai dit que ce sujet accusait une sensation sourde pendant la faradisation de la fibre musculaire, — et M. Remak en a conclu que le muscle n’est pas sensible ; comme si une sensation sourde signifiait absence de sensation. En vérité! cette manière de lire ou d’interpréter un auteur est désespérante. J’ai écrit, en effet, et prouvé, par des faits disséminés dans mon livre, que la sensation musculaire est sourde, quand les intermittences du courant sont très éloignées et qu’alors on peut agir à dose moyenne sans produire de douleurs, mais que la sensa- tion augmente d’autant plus que ces intermittences sont plus ra- pides, au point de devenir tétaniques. Eli bien, M. Remak n’y a rien compris ; il me fait dire que l’excitation directe du muscle est toujours sourde et indolente : d’où il conclut que le muscle n’est pas sensible. Pour que M. Remak ne puisse plus, à l’avenir, interpréter l’expé- rience que j’ai faite sur le muscle dénudé, d’une manière aussi étrange et en faveur de sa doctrine de l’insensibilité musculaire, j’ai répété publiquement, à l’Hôtel-Dieu, sous les yeux de M. Adolphe Richard, chargé provisoirement du service chirurgical de M. le pro- fesseur Laugier, cette même expérience sur une portion du grand pectoral dénudé d’un sujet chez lequel la peau et les nerfs sous-cu- tanés avaient été enlevés par une opération chirurgicale. Dans ce cas, le rhéophore étant appliqué sur le tissu musculaire, loin du point d’émergence et d’immersion du nerf du grand pectoral, les sensations qui accompagnaient la contraction limitée au point ex- cité, ont été sourdes avec des intermittences éloignées d’une se- conde et a une intensité modérée; puis ces sensations ont augmenté en raison du rapprochement de ces intermittences, au point de de- venir très douloureuses, quand la rapidité des intermittences était assez grande pour produire la contraction tétanique de la portion du muscle excité. Passons maintenant à l’observation pathologique. Que l’on se rap- pelle ces cas dans lesquels le nerf radial est lésé traumatiquement. Si l’on pose alors les rhéophores humides sur les points où la peau PREUVES DE L’EXISTENCE DE LA SENSIBILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. a conservé sa sensibilité, et au niveau des muscles animés par le nerf lésé, on observe que le sujet n’accuse aucune sensation. — Mais lorsqu’au contraire les nerfs cutanés sont lésés et que les nerfs mus- culaires ont conservé leur innervation intacte, les rhéopliores hu- mides provoquent, en même temps que la contraction musculaire, des sensations qui ne peuvent être attribuées qu’à la sensibilité des muscles. — Ces laits parlent assez d’eux-mêmes pour que je sois dispensé d’en tirer une conclusion. Les maladies internes m’ont offert quelquefois l’occasion d’ob- server l’abolition soit de la sensibilité et de la contractilité muscu- laires, soit seulement de la sensibilité musculaire, alors que la sen- sibilité de la peau était restée intacte ; mais le plus ordinairement ces affections abolissent ou affaiblissent seulement la sensibilité de la peau. Dans ce dernier cas, on constate aussi que les nerfs cutanés ont également perdu leur excitabilité, et cependant les contractions musculaires, provoquées parla faradisation localisée sont accompa- gnées de la sensation musculaire spéciale que j’ai signalée plus haut. — Rien n’est plus facile que d’observer par l’exploration électro- musculaire ces phénomènes qui prouvent l’existence de la sensibi- lité des muscles. On connaît les longues recherches que j’ai faites sur ces faits pathologiques. On a apprécié l’importance des déduc- tions que j’en ai tirées, au point de vue du diagnostic et du pro- nostic des affections musculaires. L’exactitude d’un grand nombre de ces faits pathologiques a été constatée par d’autres observa- teurs. Eh bien, d’un trait de plume, M. Rernak supprime tous ces tra- vaux, en disant que les muscles ne sont pas sensibles...! Et sur quoi londe-t-il une pareille opinion? Ce n’est pas sur de nombreuses recherches pathologiques (il n’en a fait aucune), ni sur de longues méditations; mais seulement sur quelques expériences, dont j’ai donné précédemment un spécimen, en rapportant celle qu’il a faite sur le trapèze, expériences sur lesquelles on ne peut discuter sérieusement. Je ne puis me dispenser de faire une prompte justice de plu- sieurs autres assertions inexactes qu’il a déduites de ces expé- riences. Suivant cet observateur, la contraction d’un muscle produite par l’excitation de son rameau nerveux n’est pas accompagnée de sen- sation (c’est de ce fait qu’il a aussi conclu que les muscles ne sont pas sensibles!). — Ici M. Rernak commet une erreur matérielle. En voici la preuve expérimentale: quand on faradise un rameau mus- culaire avec un courant d’une intensité modérée, on obtient une 392 PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. contraction assez forte avec une sensation sourde, indolente ; si la force du courant est augmentée et que ses intermittences soient plus rapides, les sensations augmentent proportionnellement, au point de devenir douloureuses. Ces sensations douloureuses peuvent même se prolonger après l’opération et se transformer en douleurs né- vralgiques. Il ressort incontestablement de l’ensemble des considérations pré- cédemment exposées, que les nerfs musculaires, et conséquerament les muscles, sont doués de sensibilité ; ce qui concorde avec l’ana- tomie, puisque les nerfs musculaires sont mixtes; mais cette sensi- bilité, qu’elle soit ou ne soit pas douloureuse, est spéciale et difticilement excitable par d’autres agents que les courants élec- triques. Après avoir nié l’existence de la sensibilité musculaire, M. Re- mak attribue la sensation produite par la faradisation muscu- laire directe (par les rhéophores humides, appliqués sur la peau, au niveau du tissu musculaire) uniquement à l’excitation des nerfs cutanés. J’ai fait connaître les précautions qu’il faut prendre dans ce genre d’expérience, pour éviter une telle confusion, je n’ai donc pas à revenir sur ce sujet (1), § II. — Identité de la paralysie de la sensibilité électro-mus culaire et de la paralysie du sens musculaire de Ch. Bell. La paralysie de la sensibilité électro-musculaire et la paralysie du sens musculaire de Ch. Bell (sentiment d’activité musculaire de Gerdy) sont symptomatiques d’une lésion identique de la sensibilité muscu- laire; elles constituent l’affection morbide que Von doit désigner sous le nom de paralysie de la sensibilité musculaire. Dans toutes les paralysies musculaires dont j’ai eu à exposer l’étude électro-pathologique, nous avons vu jusqu’ici la sensibilité électro- musculaire abolie ou diminuée parallèlement avec les mouvements volontaires, que la contractilité électro-musculaire fût ou non con- servée. Il était donc impossible d’observer, dans ces cas, les troubles fonctionnels, produits par la paralysie de la sensibilité électro-mus- culaire, pendant l’exercice des mouvements volontaires. Mais s’il est (1) La pathologie démontre aussi que les muscles possèdent, en outre, la sen- sation de pression. Combien de fois n’ai-je pas vu des sujets qui avaient perdu complètement la sensibilité de la peau percevoir la pression que l’on exerçait au niveau des muscles sous-cutanés ? Cette sensation de pression n’existe jamais lorsque les muscles sont insensibles à l’excitation électrique. IDENTITÉ DE LA SENSIBILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. vrai que, dans la paralysie hystérique, les mouvements volontaires soient ordinairement perdus ou affaiblis en même temps que la sen- sibilité électro-musculaire, il arrive cependant quelquefois que cette dernière propriété est paralysée isolément. Dés 18/i8, j’observais un fait analogue à l’hôpital de la Charité; c’est en faisant allusion à ce fait que j’écrivais dans un mémoire publié en 1850 : « Une fois nous avons observé l’anesthésie muscu- laire spontanée chez une hystérique, bien que les mouvements fussent conservés (1). » Depuis lors, j’ai eu l’occasion de recueillir un certain nombre de faits analogues au précédent. Les sujets atteints de cette espèce de paralysie éprouvent dans la locomotion des troubles fonctionnels dont les principaux ont été parfaitement, quoique très succinctement décrits par Ch. Bell, qui en a conclu à l’existence d’une propriété musculaire qu’il a appelée sens musculaire. Ce grand physiologiste, qui déjà avait enrichi la science en se li- vrant spécialement à des vivisections, a dû cependant la découverte de cette propriété musculaire nouvelle uniquement à l’observation pathologique. Il est vrai que, faisant allusion à ses recherches sur les propriétés différentielles des racines antérieures et postérieures de la moelle, il dit avoir déjà démontré, par des expériences, l’exis- tence de cette propriété musculaire. Mais quelles sont ces expé- riences? Ch. Bell ne les ayant pas rapportées, ne sommes-nous pas autorisé à en conclure que très probablement ce n’était alors chez lui qu’une simple vue de l’esprit? L’honneur d’avoir exécuté le premier et d’avoir interprété avec un talent admirable les expé- riences indiquées par Ch. Bell reviendrait donc tout entier à M. Cl. Bernard. Tout le monde comprend que je veux parler ici des belles leçons que le célèbre professeur du Collège de France a faites en 1857 sur l’influence du sentiment sur les mouvements (2). Voici l’un des faits qui forment la base des ingénieuses déduc- tions de Ch. Bell. Observation LXXIX.—Paralysie du sens musculaire d'un côté et paralysie des mouvement de l'autre. — « Une mère (dit Ch. Bell) nourrissant son en- fant, atteinte de paralysie, perd la puissance musculaire d'un côté du corps, et, en même temps, la sensibilité de l’autre. Circonstance extraordinaire et (1) Recherches sur l'étal de la contractililé et de la sensibilité électro-musculaires dans les paralysies des membres supérieurs (Archives générales de médecine, IVe série, 1830). (2) Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux. Paris, 1838, 2 vol. in-8. 394 PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. fâcheuse ! aussi longtemps qu’elle regardait son enfant, elle pouvait le pré- senter à son sein, du bras qui avait conservé la puissance musculaire; mais, si les objets environnants venaient à distraire son attention de la position de son bras, les muscles fléchisseurs de ce dernier se relâchaient peu à peu, et l’enfant courait le risque de tomber. » Nous voyons d'abord dans ce cas (ajoute-t-il) que les nerfs du bras jouissent de deux propriétés distinctes, qui disparaissent ou sont con- servées selon la perte des uns et l’intégrité des autres; ensuite, que ces deux propriétés doivent l’existence à un ordre spécial de nerfs, et enfin que la puissance musculaire est insuffisante pour régler les mou- vements des membres, si la sensibilité musculaire n’est là pour l'accompa- gner (1). » Ch. Bell rapporte cette observation « comme une dernière preuve concluante de la nécessité de l’association du sens musculaire et du sens du toucher, » dans l’exercice des fonctions musculaires. Mais il ressort de l’ensemble de son travail que, dans son esprit, sens musculaire et sensibilité musculaire étaient choses identiques; il va même jusqu’il déterminer les conditions anatomiques qui président à celte propriété musculaire. « Ce fut, dit cet observateur, la con- viction que nous percevons l’action des muscles, qui m’engagea à porter l’investigation dans leurs nerfs, d’abord pur l'anatomie, puis par l’observation, .le fus à même de démontrer que les muscles sont pourvus de deux ordres de nerfs; qu’en excitant l’un, le muscle se contracte; qu’en excitant l’autre, aucun mouvement n’a lieu, et que le nerf qui n’a pas d’action directe sur le muscle est destiné à produire la sensation. Il était ainsi prouvé que les muscles sont en communication avec le cerveau par l’intermédiaire d’un cercle nerveux; qu’un même nerf ne peut transmettre ce qu’on peut appeler influence nerveuse dans deux directions à la fois; en d’autres termes, qu’un nerf ne peut simultanément, et par lui-même, porter la volonté aux muscles, et la sensation au cerveau ; mais que, pour la régularité de l’action musculaire, deux nerfs distincts sont nécessaires : d’abord un nerf de sensibilité, pour porter au sensoriurn la connaissance de la condition des muscles, et puis un nerf de mouvement, pour porter au muscle le message de la volonté.... Dans mes lectures (cours), dit-il ailleurs, j’ai toujours exposé les mêmes vues. Je me suis attaché à prouver que pour l’exer- cice parfait du sens du toucher, le mouvement de la main et des (1) The hand; ils mechanism and vital endowments, acevincing design, by sir Charles Bell, fifth édition ; 1852. Ch. IX, Of Ihe muscular sense, p. 244. IDENTITÉ DE LA SENSIBILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. doigts, et le sentiment de l'action (1) des muscles en produisant ce mouvement, doivent être combinés avec la sensation de contact de l’objet. A cette conscience de l’effort, je donne le nom de sens mus- culaire,, l'appelant un sixième sens. » Ce sixième sens, de même que la dénomination choisie par Ch. Bell, furent rejetés par les physiologistes, qui ne virent, avec raison, selon moi, dans les faits exposés par Ch. Bell qu’un phénomène de sen- sibilité générale. Si, en effet, l’on avait accepté les principes du physiologiste anglais, il n’y aurait plus eu de raison pour ne point diviser la sensibilité générale en autant de sens qu’il y a d’organes. On aurait créé, par exemple, un sens rectal, vésical. (Je rappor- terai par la suite un fait qui démontre la grave perturbation mus- culaire apportée dans les fonctions de la vessie par le seul fait de l’insensibilité de cet organe.) Il est donc à regretter que Ch. Bell ne se soit pas contenté d’ap- peler sensibilité musculaire cette propriété, dont il avait si bien dé- montré l’existence par la théorie et par l’observation pathologique. Cette dénomination eût passé d’emblée dans la science, et un autre physiologiste d’un grand talent (Gerdy que nous avons tous admiré et aimé) n’aurait pas, après Ch. Bell, embarrassé le langage physio- logique d’un nouveau nom, pour désigner cette nouvelle propriété musculaire ; il ne l’aurait pas appelée sentiment d'activité musculaire. Cette dénomination, qui n’est qu’une superfétation ou une explica- tion du phénomène de la sensibilité musculaire, n’a pas même le mérite de lui appartenir, puisqu’on a vu plus haut que Ch, Bell explique ce phénomène dans les mômes termes (1). Loin de moi la pensée de déprécier les beaux travaux de notre savant compatriote; mais on peut dire, sans être injuste envers lui, ou plutôt Gerdy lui- même dont la probité scientifique nous était connue, déclarerait aujourd’hui, dans l’intérêt de la vérité, qu’il n’a rien ajouté aux faits découverts et si judicieusement commentés par l’illustre phy- siologiste étranger. Les physiologistes, ceux du moins que j’ai consultés, tout en admettant le rôle important de la sensation d’activité musculaire dans la locomotion, semblent avoir ignoré, jusqu’en ces derniers temps, que c’est a Ch. Bell que revient l’honneur d’avoir démontré le premier l’existence de cette propriété musculaire, et cela par l’observation pathologique. C’est que le chapitre admirable qui traite du sens musculaire est perdu dans un livre peu connu où (1) On a vu en effet ci-dessus (p. 39i, ligne 20) que Ch. Bell appelle aussi le sens musculaire sentiment de l’action des muscles. 396 l’on ne devait guère s’attendre à l’y trouver. Un lord qui avait perdu l’usage de la main avait promis un prix de 30,000 francs à celui qui publierait le meilleur traité sur la main. Cli. Bell, dont le nom était déjà illustre dans la science, envoya à ce concours son livre sur la mécanique de la main. Ce livre, dans lequel on trouve beau- coup d’anatomie et de physiologie comparée, n’ajoute vraiment rien à ce que l’on savait alors sur l’usage de la main, mais on y dé- couvre un tout petit chapitre (la perle de ce livrej’qui traite du sens musculaire (Of the muscular sense). Ce livre, illustré par un grand nombre de figures (dessinées par l’auteur, qui était aussi un grand artiste), n’a pas été traduit en français, ce qui explique pourquoi il est si peu connu parmi nous. Si je n’avais dû le consulter avant de publier mes recherches sur la main, j’ignorerais encore l’exis- tence du curieux chapitre dont j’ai traduit précédemment un ex- trait. PARALYSIE DE LA SENSIBILITE MUSCULAIRE. Faut-il s’étonner maintenant qu’un jeune auteur, M. Landry, ait publié en 1853 des faits de physiologie pathologique (1) qui ne sont que la reproduction de ceux de Ch. Bell, sans citer même le nom de cet illustre physiologiste, et qu’il ait remplacé la dénomination de sens musculaire, donnée primitivement par Ch. Bell au nouveau phénomène musculaire dont il avait fait la découverte, par celle de sentiment d'activité musculaire, de telle sorte qu’il semble rapporter tout l’honneur de cette découverte à Gerdy, l’auteur de cette der- nière dénomination. Faut-il s’étonner aussi qu’il ait pu se croire le premier qui soit venu nous démontrer par la pathologie l’existence du sens musculaire de Ch. Bell! B a écrit en effet, après avoir relaté des observations identiques avec celles deCh. Bell : « Je ne pense pas que rien de semblable aux faits précédents ait été consigné dans aucun écrit (2), » En 1853, j’ai eu soin de protester, dans une note à l’Académie des sciences (3), contre cette ignorance des recherches de Ch. Bell sur cette propriété musculaire, eu rappelant que le phénomène ap- pelé sentiment d'activité musculaire par Gerdy et qu’il ne fallait pas confondre avec ce que j’appelais conscience musculaire, avait été dé- couvert par le grand physiologiste anglais et dénominéjpar lui sens musculaire. Aussi ai-je été étrangement surpris de voir encore, en 1858, le même auteur auquel j’avais eu l’intention de reprocher (1) Recherches physiologiques et pathologiques sur les sensations tactiles [A rch. gén. de médecine. 1833, 4e série, t. IX, de la page 268 à la page 275). (2) Loc. cil., p. 270. (3) Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur la conscience mus- culaire. indirectement de n’avoir pas suffisamment connu ce point de litté- rature médicale, exposer de la manière suivante l’historique des re- cherches sur le sentiment d’activité musculaire : « Le sentiment d’activité musculaire (dit-il) entrevu par Darwin, nettement indiqué par Gerdy et reconnu par tous les physiologistes, n’était admis que par induction, sans preuves expérimentales ou pathologiques, lorsque je publiai en 1852 trois faits pathologiques qui démontrent son ori- gine et son rôle précis. » (Moniteur des hôpitaux, 1858, page 1174.) — Cet auteur, on le voit, ne se contente pas de taire ici le nom de celui qui a découvert le phénomène de sentiment de l’action des muscles, mais il va jusqu’cà s’approprier la démonstration que cet homme de génie en avait fait par l’observation pathologique ! IDENTITÉ DE LA SENSIBILITÉ ÉLECTRO-MUSCULAIRE. En somme, l’existence de la sensibilité musculaire et de la para- lysie de cette propriété me paraît suffisamment démontrée par les faits observés et si admirablement commentés par Ch. Bell. Peut-être cette démonstration avait-elle besoin d’être étayée par les faits élec- tro-physiologiques et pathologiques que j’ai exposés dans ce para- graphe, et desquels il ressort, d’une manière incontestable, que le muscle est doué de sensibilité et que celte sensibilité peut être para- lysée ou isolément ou conjointement avec les autres propriétés mus- culaires. De même que, pour la sensibilité de la peau, l’observation pa- thologique a mis en lumière différentes espèces de sensibilité (la sensibilité à la douleur qui appartient à la sensibilité générale et la sensibilité au toucher, et conséquemment la paralysie de ces pro- priétés ; l’analgésie et l’anesthésie cutanée), de même n’est-il pas possible d’admettre aussi l’existence de différentes espèces de sensi- bilité musculaire? Les faits seuls auraient pu juger cette question. Or jusqu’à ce jour, je n’en connais aucun qui donne quelque appa- rence de vérité à l’hypothèse que je viens de formuler. Toujours, en effet, j’ai vu la paralysie de la sensibilité électro-musculaire mar- cher de pair et parallèlement avec la paralysie du sens musculaire de Ch. Bell (et avec la paralysie de la sensibilité à la pression), tandis que l’indépendance mutuelle de l’analgésie et de l’anesthésie est aujourd’hui parfaitement établie. C’est sur cette indépendance mutuelle de ces deux espèces de paralysie de la sensibilité de la peau, qu’est fondée l’existence réelle des deux sortes de sensibilité de la peau : la sensibilité générale et la sensibilité tactile. Conséquemment le sentiment de l’activité musculaire, comme l’ap- pelait Gerdy, ne constitue pas plus une sensibilité spéciale (un sens musculaire spécial, sixième sens de Ch. Bell) pas plus que la sensi- PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MOSCULAlîtE. 398 bilité électro-musculaire et la sensation de pression musculaire partiennent à d’autres espèces de sensibilité. Voici un des faits les plus curieux parmi ceux que j’ai recueillis et qui prouve l’indépendance absolue de l’analgésie et de l’anes- thésie. Observation LXXX.—J’ai observé, avec mon honorable confrère, M. Géry père, une malade, coloriste, dont les mains étaient complètement privées de sensibilité, mais d’une manière différente de chaque côté ; sa main droite avait perdu la sensibilité tactile et avait conservé la sensibilité douloureuse; à gauche, c’était l’inverse. Ni l’excitation électro-cutanée au maximum, ni le feu ne produisaient, de ce dernier côté, la moindre sensation; cependant elle percevait le plus léger frottement du derme et reconnaissait les objets qu'on lui présentait, bien qu'elle ne les regardât point. De la main droite au contraire, qui était sensible aux excitations douloureuses de la peau, mais où elle avait perdu la sensibilité musculaire, elle ne distinguait aucun des objets qu'on lui mettait dans la main, et si sa vue était masquée, elle les laissait tomber. Ces phénomènes d’anesthésie et d’analgésie, parfaitement isolés dans chaque main et chez la même personne, sont très remarquables. La nature de celle affection nous est restée inconnue. Cette femme n’était pas hystérique; elle avait, sans cause connue, éprouvé, pendant plusieurs années, des douleurs dans l’avant-bras. Eh bien, malgré l’abolition de la sensibilité musculaire, tous les mouvements de sa main et de ses doigts étaient parfaitement normaux et étaient exécutés sagement et sans brus- querie, quand on ne l’empêchait pas de voir. En résumé, bien que j’eusse désiré conserver à l’espèce d’affection morbide dont il a été question dans ce paragraphe, la dénomina- tion de paralysies du sens musculaire, afin d’en rappeler l’inventeur illustre quia mis à toutes ses découvertes le cachet du génie, j’ai préféré à cette dénomination celle de paralysie de la sensibilité mus- culaire, parce que, exprimant l’ensemble des phénomènes morbides (la paralysie de la sensibilité électrique, delà sensation de pression musculaire et du sentiment de l’activité musculaire) occasionnés par la maladie dans l’état îles muscles, elle ne peut donner lieu, comme la dénomination précédente (la paralysie du sens musculaire) à aucune fausse interprétation physiologique ou pathologique. § 111.—Description de la paralysie de la sensibilité musculaire. La paralysie de la sensibilité musculaire (du sens musculaire du sentiment d’activité musculaire) avait été observée seulement dans DESCRIPTION. 399 un but physiologique. Mais son étude, au point de vue patholo- gique, avait été négligée. Quelle était la valeur diagnostique et pro- nostique de ce trouble fonctionnel? C’est ce qu’il importait de recher- cher, ainsi que l’a parfaitement compris Landry qui, le premier, a essayé de décrire cette espèce de paralysie, sous le nom dq paralysie du sentiment d'activité musculaire. Mais hélas ! je regrette d’avoir à le dire, il a défiguré la paralysie du sens musculaire de Ch. Bell, en la confondant avec un état pa- thologique qui fera le sujet du prochain paragraphe, que j’ai appelé de la conscience musculaire, et avec une espèce morbide qui s’en dis- tingue par ses symptômes, sa marche et son pronostic, et que je dé- crirai dans le chapitre XVI, sous le nom d’ataxie locomotrice pro- gressive. Je vais essayer d’exposer aussi rapidement que possible les sym- ptômes principaux, le diagnostic dilférentiel et le pronostic de la paralysie de la sensibilité musculaire. A. — Symptômes. La paralysie de la sensibilité musculaire s’observe sous trois formes différentes : elle peut exister ou avec conservation des mou- vements volontaires, ou avec un affaiblissement des mouvements volontaires ou avec la perte complète des mouvements volontaires. Sous la première forme, la paralysie de la sensibilité présente l’en- semble de tous les symptômes qui la caractérisent. Je me bornerai à en relater un cas, choisi de préférence parmi les faits nombreux de paralysies, de la sensibilité musculaire que j’ai eu l’occasion d’observer, et de cause hystérique, pour me renfermer plus spéciale- ment dans le sujet de ce chapitre consacré à l’étude de la paralysie hystérique. Je l’ai rapporté avec détails dans mon mémoire sur l’ataxie locomotrice progressive, je n’en donnerai ici que le ré- sumé. Observation LXXXI. —Madame D..., âgée d’une cinquantaine d’an- nées, à la suite d’une violente émotion (elle avait été trompée dans ses af- fections), est prise de suffocation et tombe dans une véritable attaque de nerfs. A partir de ce moment, elle perd le sommeil et l’appétit, devient chloro-anémique (souffle continu très fort dans les carotides) ; elle éprouve des engourdissements dans les pieds et dans les mains. Ces accidents sui- »vent une marche croissante et bientôt madame ü..., se voit dans l’impos- sibilité de continuer son travail. Elle marchait difficilement, elle laissait tomber les objets qu’elle tenait à la main, quand elle ne les regardait pas. 400 PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. Ses membres inférieurs étaient insensibles aux piqûres et aux pincements, si ce n’est la partie moyenne et interne des cuisses où il existait un peu d’hyperesthésie. Aux membres supérieurs la pulpe des doigts était seule- ment anesthésiée. Un traitement a été institué en vue d'une affection de la moelle (ventouses scarifiées et vésicatoires nombreux sur le rachis, purga- tifs, etc.); mais les troubles fonctionnels, au lieu de s’amender, se sont aggravés et le médecin de la malade, mon ami, M. Lemaire, ancien chef de clinique de la faculté, la soumet à mon examen, après neuf mois de maladie. Voici, en résumé, les phénomènes principaux que je constate alors. La force des mouvements partiels du pied sur la jambe, de celle-ci sur la cuisse, et de cette dernière sur le bassin, est normale. Aux membres supé- rieurs, la force des mouvements de la main est à peu près normale; la con- tractilité électro-musculaire est intacte de chaque côté, mais la sensibilité électro-musculaire est perdue aux, pieds, aux jambes, aux cuisses, aux mains et aux avant-bras. Dans ces mêmes régions, l'excitation électro- cutanée ou osseuse ne provoque aucune sensation, excepté à la partie in- terne de la cuisse, où la sensibilité de la peau est seulement affaiblie. Quand ses yeux sont fermés, la malade ne perçoit pas les mouvements imprimés mécaniquement ou électriquement du pied sur la jambe, de la jambe sur la cuisse, des doigts et de la main. Quand elle ne voit pas, elle meut ses pieds, ses jambes, ses mains, mais elle ne perçoit pas la contraction musculaire ‘ alors elle ne peut se tenir debout ou marcher, et elle laisse tomber ce quelle tient à la main. Si au contraire elle s'aide de la vue, elle remplit assez bien ces fonctions, sans faire aucun mouvement désordonné. C’était évidemment la paralysie simple de la sensibilité muscu- laire et de la sensibilité tactile qui était ici la cause des désordres de la locomotion. Cette paralysie de la sensibilité ne pouvait être rap- portée, d’après l’ensemble des symptômes et la marche de la ma- ladie, qu’à un état hystérique. J’en déduisis un pronostic favorable et j’annonçai à mon confrère, en m’appuyant sur mes expériences antérieures, la guérison rapide, probable, de ces troubles fonction- nels, par la faradisation cutanée, guérison qui, en effet, a été obtenue en quelques séances, ainsi que M. Lemaire le dit dans son observation, guérison qui s’est maintenue jusqu’à ce jour. On peut résumer en quelques lignes les symptômes de la para- lysie de la sensibilité musculaire, lorsque la motilité est intacte. Les muscles frappés d’anesthésie ne sont sensibles nia l’excita- tion électrique ni à la pression (1). — Les mouvements imprimés (l) Il me faut rappeler ici comment j’ai constaté ce phénomène chez quelques- uns de ces sujets dont la peau, les muscles, les troncs nerveux et enfin les os n'étaient pas excitables par la faradisation localisée. J’ai rappelé isolement la aux articulations dont les muscles moteurs sont insensibles, ne sont pas perçus. Le sujet, par exemple, dont les muscles moteurs du pied sur la jambe sont insensibles, ne perçoit pas les mouvements de ses articulations tibio-tarsienne et calcanéo-astragalienne, qu’ils soient produits mécaniquement ou volontairement, et ainsi de suite pour les autres mouvements articulaires ; quand il ne voit pas ses membres, il ne sait pas s’ils ont été ou non exécutés. 11 en résulte qu’il ne peut marcher dans l’obscurité ou sans suivre des yeux les mouvements des membres inférieurs, si leurs muscles moteurs sont frappés d’insensibilité, bien qu’il ait conservé le pouvoir de mouvoir ces membres avec force, même sans l'aide de la vue. Il a seulement perdu, selon l’explication textuelle de Cb. Bell, le sentiment de l’action de ses muscles en mouvement, et selon l’expression de Gerdy, le sentiment d’activité musculaire. L’usage des membres supérieurs sera également perdu dans l’obscurité ou sans l’aide de la vue, quand l’anesthésie musculaire y régnera ; le malade laissera tomber les objets qu’il tiendra dans la main, s’il ne les regarde pas, il ne distinguera pas un corps léger d’un corps pesant - il bri- sera entre ses doigts les objets fragiles, s’il ne les regarde pas, parce qu’il ne pourra pas mesurer sa force. La vue vient heureusement suppléer, quoique incomplètement, dans les cas précédents, l’ab- sence du sentiment de l’activité musculaire, en rectifiant les mou- vements qui sont alors exécutés avec précision ; la marche devient possible; les sujets exécutent des ouvrages manuels qui exigent une certaine habileté; je les ai vus alors coudre ou broder assez facile- ment. — Lorsque la paralysie de la sensibilité musculaire est com- pliquée de la paralysie complète des mouvements volontaires, le seul symptôme qui puisse en signaler l’existence, c’est l’absence de sensibilité électro-musculaire et de sensation de pression. — Mais il arrive fréquemment que la paralysie de la sensibilité mus- culaire coexiste avec un affaiblissement, à des degrés divers, de la force musculaire ; alors on observe, outre un affaiblissement de la force musculaire, les troubles fonctionnels occasionnés, pendant DESCRIPTION. sensibilité de la peau par l’excitation électro-culanée ; alors la peau était sensible au toucher, à la piqûre, au pincement, à l'excitation électrique, limitée dans son tissu. Mais quand, mouillant largement la peau et les rhéophores, je localisais les recompositions dans les muscles situés au-dessous d’elle, les sujets n’y perce- vaient plus les excitations électriques, ni la pression exercée sur ces points. Chez les sujets qui, au contraire, ont seulement une insensibilité de la peau (ce que l’on observe fréquemment chez les hystériques), la sensibilité électro-musculaire et la sensation à la pression restent normales au-dessous des points où la peau est anesthésiée. DDCHENNE. PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. i’exercice des mouvements volontaires, par l’absence simultanée du sentiment d’activité musculaire et de la vue, et que j’ai décrits ci-dessus. G. — Diagnostic, La paralysie de la sensibilité musculaire peut être confondue avec la paralysie de la conscience musculaire et avec l’ataxie locomo- trice progressive. J’en renvoie le diagnostic différentiel à l’étude spéciale de ces dernières affections. D. — Pronostic. La paralysie de la sensibilité musculaire ne constitue pas, par elle-même, une espèce morbide spéciale, car elle est symptomati- que de plusieurs affections diverses. Je l’ai rencontrée, en effet, dans l’hystérie, dans certaines affections rhumatismales, etc. On la voit aussi associée à l’ataxie locomotrice progressive. Conséquerament son pronostic doit varier selon l’espèce morbide dont elle n’est qu’un symptôme plus ou moins important. Le pronostic de la paralysie de la sensibilité musculaire hysté- rique est le même que celui de la paralysie des mouvements volon- taires, c’est-à-dire que sans être grave, en ce sens que la termi- naison de cette paralysie n’est jamais fatale, elle peut guérir rapi- dement sous l’influence de la faradisation ou spontanément, et quelquefois, mais cela rarement, résister très longtemps à toute es- pèce de médication. Le fait de la paralysie de la sensibilité muscu- laire hystérique, rapporté ci-dessus (obs. LXXlX),est un exemple frappant de guérison rapide obtenue par la faradisation. Elle donne une idée du peu de gravité du pronostic de cette affection. J’ai observé trois cas de paralysie de la sensibilité musculaire, con- sécutive à l’angine couenneuse et survenue pendant que j’obtenais par la faradisation la guérison de la paralysie du voile du palais. Dans ces cas, les malades privés, dans les membres supérieurs, de la sensibilité musculaire, de la sensibilité cutanée et du sentiment d’activité musculaire, ne m’ont pas paru éprouver un affaiblissement très notable de la force musculaire. Dans l’obscurité ou privés de voir, ils présentaient l’ensemble des troubles musculaires que j'ai déjà décrits. Je les ai vus tous guérir; l’excitation faradique m’a paru avoir exercé une influence notable sur cette guérison. On verra combien, au contraire, le pronostic est grave dans l’ataxie locomotrice progressive, où la paralysie de la sensibilité musculaire est ordinairement un des symptômes de cette espèce morbide. PARALYSIES RHUMATISMALES DES MEMBRES, Enfin j’ai déjà démontré dans un des chapitres précédents (cha- pitre V) la valeur du signe pronostique tiré de l’état de la sen- sibilité musculaire dans les paralysies traumatiques des nerfs, ca- ractérisés on le sait par l’abolition ou la diminution de la sensibilité et de la conlractilité électro-musculaire. CHAPITRE XIII. PARALYSIES MUSCULAIRES RHUMATISMALES DES MEMBRES. J’ai observé très fréquemment des paralysies localisées dans les muscles animés par le nerf radial ou dans les muscles moteurs du bras sur l’épaule, qui ne reconnaissaient pas d’autres causes que l’exposition à un courant d’air, l’impression du froid, une habita- tion humide, etc., et qui, pour cette raison, doivent être rangées dans la classe des paralysies rhumatismales. L’impr.ssion du froid produit aussi dans les membres inférieurs des paralysies analogues. L’intégrité de la conlractilité électro-musculaire est un caractère commun à toutes les paralysies rhumatismales des membres (ce qui les distingue d’une autre espèce de paralysie rhumatismale; la paralysie rhumatismale de la septième paire, dont l’étude sera exposée par la suite, et dans laquelle l’irritabilité est toujours di- minuée ou perdue). ARTICLE PREMIER PARALYSIE RHUMATISMALE DU NERF RADIAL La paralysie rhumatismale du nerf radial est assez fréquente. Elle compromet considérablement les usages de la main. Ses caractères propres la distinguent des autres espèces de paralysies ; cependant on Ta confondue trop souvent avec ces dernières, et surtout avec la paralysie saturnine. Enfin, elle exige, en général, un traitement spécial. Toutes ces considérations font ressortir l’importance de l’étude de la paralysie rhumatismale du nerf radial. I. — Électropathologlc. Depuis longtemps déjà j’ai appelé l’attention des observateurs sur la paralysie rhumatismale du nerf radial (1), en établissant ses (1) Recherches sur Vêlai de la conlractilité et de la sensibililé éleclro-musculaire dans les paralysies du membre supérieur (Archives générales de médecine, janvier 4850, 4e série, t. XXII, p. 34). caractères distinctifs tirés de l’état de la contractilité électrique des muscles paralysés. PARALYSIES IIHUMATISMALES DU NEUF RADIAL. A. — Symptômes, marche, causes. La paralysie rhumatismale du nerf radial n’est annoncée par aucun symptôme précurseur. C’est ordinairement après s’élro en- dormi, l’avant-bras ayant été exposé à un courant d’air ou appuyé sur le sol humide et froid, que les malades éprouvent, à leur ré- veil, un engourdissement ou un fourmillement jusqu’à l’extrémité des doigts. Ils ne peuvent alors ni relever le poignet ni étendre les doigts. L’exploration physiologique des mouvements volontaires dé- montre que tous les muscles animés par le nerf radial sont frappés de paralysie, et que celle-ci est parfaitement limitée à ces muscles. On ne peut constater ces faits (pie de la manière suivante ; 1° le malade ayant placé son avant-bras dans la demi-flexion et dans la demi-pronation, si on l’engage à le fléchir davantage, pen- dant que l’on s’oppose à ce mouvement, on ne voit ni l’on ne sent le long supinateur se durcir. C’est le signe de la paralysie de ce muscle qui, comme je l’ai établi expérimentalement, est prona- teuret fléchisseur de l’avant-bras. 2° Le bras étant dans l’extension et dans la pronation, la supination ne peut être obtenue sans que le biceps se contracte énergiquement et mette l’avant-bras dans la demi-flexion (ce qui n’aurait pas lieu, si le court supinateur pouvait agir, car il est le seul muscle supinateur indépendant, tandis que le biceps produit à la fois la supination et la flexion. C’est donc un signe de la paralysie du court supinateur que je n’ai jamais trouvé affecté dans la paralysie saturnine. 3° Le poignet, constamment in- fléchi à angle droit, ne peut être relevé par le malade ni être mû latéralement quand il est posé sur un plan horizontal ; signes de la paralysie des muscles radiaux et du cubital. h° Le malade ne peut étendre ses premières phalanges infléchies sur les métacarpiens parle fait de la paralysie des extenseurs communs des doigts. 5° Les doigts étant ainsi infléchis dans la paume de la main, il ne peut les écarter les uns des autres ; on serait autorisé à en conclure que ses inlerosseux sont paralysés ou affaiblis ; mais si la main est placée sur un plan horizontal, on voit qu’il peut éloigner ou rapprocher ses doigts les uns des autres. 11 est d’ailleurs facile de démontrer l’intégrité des interosseux par cet autre moyen : on maintient les premières phalanges relevées sur les métacarpiens, et l’on voit que le malade peut étendre ses deux dernières phalanges sur les pre- SYMPTÔMES, MARCHE, CAUSES. mières. (Pour comprendre la possibilité d’étendre les deux dernières phalanges, malgré la paralysie des extenseurs des doigts, il faut se rappeler que j’ai démontré que les interosseux sont les extenseurs des deux dernières phalanges.) 6° Lorsque l’on se fait serrer la main par le malade, on sent que les fléchisseurs des doigts ont très peu de force. Cependant ces muscles ne sont pas paralysés. Pour le constater, il suffît de maintenir alors son poignet solidement relevé, et l’on voit que les fléchisseurs des doigts se contractent avec énergie. La faiblesse de ces muscles n’est donc qu’apparente ; elle était seu- lement produite par l’état de raccourcissement dans lequel ils se trouvent par la flexion du poignet, consécutivement à la paralysie de ses muscles extenseurs. A l’exploration électrique, on trouve que les muscles paralysés ont conservé leur contractilité électro-musculaire intacte, et en général, que la sensibilité musculaire a augmenté dans les muscles paralysés. La plupart des usages de la main sont à peu près anéantis par la paralysie du nerf radial. Une seule fois, sur les trente cas que j’ai observés, la sensibilité de la peau était affaiblie a l’avant-bras et à la main, bien que la sensibilité musculaire fût augmentée. Tel est l’ensemble des symptômes qui caractérisent, au début, cette paralysie. Les muscles paralysés s’amaigrissent progressivement. Cette atro- phie peut être considérable à la longue, mais jamais je n’ai vu la fibre musculaire disparaître et être remplacée par de la graisse, comme on l’observe dans certaines affections musculaires que j’ai décrites. A la longue aussi, les autres muscles de l’avant-bras et de la main tombent dans un état de serni-paralysie, surtout les fléchisseurs des doigts et les inlerosseux. Ainsi, le malade ferme la main avec très peu de force, alors même que l’on maintient son poignet relevé, et détend difficilement ses deux dernières phalanges quand on relève ses premières phalanges dans l’extension. Cet affaiblissement des fléchisseurs des doigts et des interosseux est produit par l’inaction et le raccourcissement continus de ces muscles, car il suffit de faciliter leur exercice, à l’aide d’un appareil qui soutienne le poi- gnet et les premières phalanges dans l’extension, pour voir leur force revenir rapidement. La paralysie rhumatismale du nerf radial est par elle-même indolente; cependant il arrive fréquemment que la flexion continue du poignet finit par provoquer une grande fatigue dans les articula- l’AltALYSIES RHUMATISMALES DU NEUF RADIAL. lions du carpe et une tuméfaction douloureuse de la face dorsale de celui-ci, tuméfaction qui me paraît due à la distension des tendons extenseurs des doigts ou de leur coulisse synoviale. L’espèce de paralysie que je décris, est produite, ai-je déjà dit, par l’impression du froid humide, d’un courant d’air, etc., agissant spécialement sur l’avant-bras. Le nombre des faits que j’ai recueillis est d’au moins trente. Dans tous ces cas, l’action prolongée d’un refroidissement sur l’avant-bras a produit immédiatement la pa- ralysie complète du nerf radial, et chose singulière, presque tou- jours après le sommeil. Il importe donc desavoir comment cette paralysie peut se produire. Des ouvriers se sont endormis par exemple sous un hangar, exposés à un courant d’air; l’un des bras, ordinairement nu, soutenant la tête et appuyé sur le sol frais ou humide ; ils ont dormi ainsi une heure ou deux. C’est à leur réveil qu’ils se sont vus paralysés de ce bras. J’ai observé plusieurs individus qui, après s’être endormis de la même manière sur l’herbe et à l’ombre, avaient contracté immédiatement une paralysie sem- blable. 11 n’est pas moins dangereux de s’endormir les bras nus, hors du lit, et placés sur la tête, car il suffit alors d’un courant d’air arrivant sur un des bras en moiteur pour produire cette même paralysie ; j’en possède plusieurs exemples. Dans deux cas, enfin, j’ai vu cette paralysie se produire de la manière suivante ; deux sujets s’endorment les bras nus et croisés sur la poitrine auprès d’un poêle et dans une pièce peu spacieuse, la croisée ou la porte étant entr’ouverte (dans un cas, c’était une portière qui s’était en- dormie le soir dans sa loge% après avoir fait une petite lessive, et les bras encore humides; dans l’autre, c’était un coiffeur qui faisait sa sieste en manches de chemise). A leur réveil, les voilà paralysés comme les sujets précédents, et le bras atteint est justement celui sur lequel était tombé le courant d’air. En voilà certes assez pour démontrer que la cause de cette espèce de paralysie est rhumatismale. La lésion qui produit cette paralysie siége-t-elle dans le nerf ou bien est-elle périphérique? Si la cause rhumatismale (le courant d’air, le contact du sol humide et froid) avait réellement agi, dans ces cas, périphériquement, c’est à-dire directement sur les muscles, ceux de la couche superficielle, de la face postérieure de l’avant- bras, seraient plutôt atteints que ceux de la couche profonde. Or, tous les muscles animés par le nerf radial sont toujours également paralysés. Et puis, on ne voit pas pourquoi les muscles voisins de ceux qui sont animés par le nerf radial et qui sont également expo- DIAGNOSTIC Dll'TÉüEiVriliL lé AVEC LA PAUALvSIE SATURNINE. sés à ce refroidissement, n’ont pas été également frappés de para- lysie. Mais si la lésion existe réellement dans le nerf radial, pourquoi donc les muscles paralysés n’ont-ils pas perdu leur irritabilité comme dans la paralysie de la septième paire? On pourrait, je crois, expliquer la différence qui existe entre ces deux paralysies, dont la cause rhumatismale est identique, par la différence de leurs con- ditions anatomiques. En effet, s’il est vrai que sous l’influence rhu- matismale, les nerfs augmentent de volume, le canal osseux (aque- duc de Fallope) parcouru par la septième paire doit s’opposer à cette augmentation de volume, et conséquemment comprimer ce nerf de manière à diminuer l’irritabilité des muscles auxquels il se distribue. Cette cause de compression n’existant pas pour le nerf radial, on comprend que la paralysie de ce nerf puisse exister, sans que la contractilité électro-musculaire soit affaiblie. B. — Diagnostic différentiel de la paralysie rhumatismale, du nerf radial et de la paralysie saturnine. On se rappelle que j’ai renvoyé l’étude du diagnostic différentiel de la paralysie saturnine, limitée à l’avant-bras, au chapitre qui traite du diagnostic de la paralysie rhumatismale de ce membre. C’est que ces deux diagnostics sont inséparables l’un de l’autre. En effet, la paralysie rhumatismale et la paralysie saturnine de l’avant- bras présentant presque toujours les mêmes signes extérieurs, sont caractérisées par les mêmes troubles fonctionnels; dans certains cas, enfin, rien n’est plus facile que de les confondre si l’on ne procède pas méthodiquement. La question de diagnostic différentiel que je professe ici est, on le voit, une des plus importantes à agiter ; elle ne peut être résolue, en général, que par l’exploration électro-musculaire. Quoi déplus facile cependant que de distinguer une paralysie dans laquelle la contractilité électro-musculaire est intacte de celle dans laquelle elle est affaiblie ou abolie. Et c’est justement lecarac- tère qui distingue la paralysie rhumatismale du nerf radial delà paralysie saturnine de l’avant-bras. Il est très vrai (pie le signe diagnostique de la paralysie saturnine (la lésion de la contractilité électro-musculaire) est en général facile à reconnaître, car, dans la très grande majorité des cas, celle propriété musculaire est considérablement affaiblie, sinon complè- tement abolie ; mais dans les autres cas très rares où la contracti- lité électro-musculaire n’est que légèrement diminuée, ce signe dia- gnostique peut échapper à l’observation, si l’on ne sait pas quel doit être le degré d’excitabilité du muscle paralysé à l’état normal, ou si l’appareil dont on se sert ne jouit pas d’une grande précision et d’une graduation exacte. Pour apprécier, dans ce cas, le degré d’affaiblissement de la contractilité électrique du muscle paralysé, il faut le faradiser d’abord avec un courant très faible, et augmen- ter graduellement le courant jusqu’il ce que le muscle commence à se contracter, puis comparer ce degré d’excitabilité avec celui du côté sain, lorsque la paralysie est limitée dans un seul membre. PARALYSIES RHUMATISMALES DU NERF RADIAL. C’est pour n’avoir pas agi de cette manière que plusieurs obser- vateurs ont dit avoir quelquefois trouvé la contractilité électro- musculaire normale dans la paralysie saturnine. On conçoit qu’ayant employé un courant un peu trop fort, ils n’aient pas pu constater une faible diminution de la contractilité électro-musculaire. Ces erreurs de diagnostic deviennent encore plus faciles lorsqu’on ne localise pas avec soin' la fadarisation. Ainsi la paralysie saturnine est-elle limitée dans quelques faisceaux musculaires, dans *ceux du médius et de l’annulaire, par exemple, ce phénomène doit passer inaperçu si, au lieu d’exciter individuellement chacun de ces fais- ceaux, on provoque des contractions d’ensemble. Quant, à moi, je déclare n’avoir pas rencontré, jusqu’il présent, une seule exception à cette loi que j’ai formulée, à savoir que dans la paralysie saturnine la contractilité électrique diminue dans certains muscles d’élection. J’ai examiné les faits exceptionnels qui m’ont été signalés, et j’ai constaté que ces prétendues exceptions étaient des erreurs de dia- gnostic, dont j’ai exposé précédemment les causes diverses. Je vais exposer quelques-uns des faits que j’ai recueillis et en dis- cuter le diagnostic différentiel pour faire mieux ressortir les diffi- cultés et en même temps l’importance de ce diagnostic. Observation LXXXII. — En 185$, deux individus atteints d’une para- lysie rhumatismale de l’avant-bras étaient entrés en même temps à la Charité, dans le service de M. Briquet. L’un d’eux, artilleur, couché au n° I I de la salle Saint-Louis, avait une paralysie de l'avant-bras gauche ; il n’y éprouvait aucune douleur. Son poignet était fléchi sur son avant-bras, sans qu’il pût le relever; il en avait aussi perdu les mouvement de latéralité. Les premières phalanges de sa main gauche étaient inclinées sur les méta- carpiens, et il lui était impossible d'en opérer l’extension. Les muscles long et court extenseur et long abducteur du pouce du même côté avaient perdu leurs mouvements ; le pouce entraîné en dedans par les muscles de l’émi- nence thénar, restait constamment dans la paume de la nuin. Si l’on écar- tait ce pouce, on voyait que les muscles de l’éminence n'étaient pas para- lysés, car le malade pouvait le ramener volontairement et énergiquement en dedans. Lui maintenait-on les premières phalanges étendues, il éten- dait ou fléchissait facilement les deux dernières, et écartait ou rapprochait les doigts les uns des autres. Enfin, il serrait la main avec force quand on lui soutenait le poignet dans l’extension. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL D’AVEC LA PARALYSIE SATURNINE. Les phénomènes présentés par le second malade, couché au n°13, et qui était cocher de fiacre, étaient absolument les mêmes que dans le cas précédent, c’est pourquoi je ne rapporterai pas son obser- vation . Un troisième malade, se trouvant à la même époque dans la même salle (n° 1, salle Saint-Félix), avait une paralysie double de l’avant- bras. 11 eût été difficile d’établir la moindre différence entre ce cas et les deux précédents, quant à la paralysie des mouvements et à l’attitude de la main et du poignet. Mais, comme ce malade était peintre et que sa paralysie lui était survenue après une colique de plomb, il nous était venu naturellement à l’esprit que sa paralysie devait être saturnine, tandis que chez les deux autres qui, par leur profession, n’avaient pas été exposés à l’intoxication par le plomb, et qui d’ailleurs n’avaient pas éprouvé de douleurs d’entrailles, avec constipation opiniâtre, la paralysie devait être attribuée à une cause rhumatismale, et cela avec d’autant plus d’apparence de raison que ces deux malades avaient été paralysés à la suite de l’impression d’un air froid et humide. En effet, l’artilleur avait dormi pendant plusieurs heures sur le sol humide, et s’était ré- veillé paralysé justement du bras qui était resté appuyé sur le sol. Le cocher, ayant été, d’après son dire, mouillé jusqu’aux os, avait été frappé de paralysie du côté exposé à un courant d’air. Mais un tel diagnostic eût été peu certain, et je me suis assuré : 1° que chez le malade du n° 1 les signes électro-musculaires étaient bien ceux qui caractérisent la paralysie saturnine, c’est-à-dire que ses muscles paralysés ne se contractaient pas par la faradisation localisée, et que les supinateurs jouissaient de leur immunité contre la paralysie saturnine; T que les malades des nos 11 et 13 possé- daient leur contractilité électrique normale dans les muscles para- lysés, et que de plus, ces derniers muscles étaient plus sensibles à l’excitation électrique que ceux du côté sain (ce dernier signe uni à l’intégrité de la contractilité électro-musculaire, appartient, on le sait, à la paralysie rhumatismale). On a remarqué sans doute que, dans les faits de paralysie rhu- matismale ci-dessus relatés, la paralysie n’existait que d’un côté. C’est ce que j’ai toujours observé jusqu’il présent. En admetlantque ce phénomène soit constant (on conçoit cependant que la paralysie rhumatismale puisse exister des deux côtés à la fois), on pourrait avoir la pensée d’en faire un signe diagnostique différentiel d’avec la paralysie saturnine qui, suivant quelques auteurs, existe toujours des deux côtés. Cette dernière opinion n’est certainement pas fondée, il n’est pas rare, au contraire, de voir l’intoxication saturnine n’exercer son action que sur un seul bras. En voici une preuve : pendant que les deux sujets dont il vient d’être question, étaient à la Charité, j’observai au nu 5 de la salle Saint-Ferdinand, service de M. Gruveilhier, une paralysie limitée à l’avant-bras droit chez un jeune peintre, qui était entré à la Charité pour s’y faire traiter d’une colique de plomb. J’ai rencontré plusieurs cas semblables à la Charité, entre autres chez un nommé Doré, peintre, qui était en 1850 dans la salle Saint Charles, service de M. Fouquier. Sa para- lysie, rebelle aux vésicatoires et à la strychnine, a été guérie par la faradisation localisée (son histoire a été rapportée à la page 322). La localisation de la paralysie des muscles de la région antibrachiale postérieure de l’avant-bras, dans un seul côté, ne saurait donc être considérée comme un signe distinctif de la paralysie rhumatismale de l’avant-bras. PARALYSIES RHUMATISMALES DU NERF RADIAL. L’absence de coliques, de douleurs intestinales, ne peut faire dis- tinguer la paralysie rhumatismale de la paralysie saturnine, car il est très avéré qu’il existe des cas de paralysies saturnines qui n’ont été précédés d’aucune colique ni d’aucun trouble dans les fonctions de l’intestin. J’ai noté ce phénomène assez rare, il est vrai, chez plu- sieurs malades. Enfin, ce n’est pas sur la profession du malade ou sur les cir- constances dans lesquelles il s'est trouvé, et qui peuvent l’avoir exposé à l’intoxication saturnine, que l’on peut appuyer le diagnostic différentiel de la paralysie rhumatismale et de la paralysie saturnine de l’avant-bras. En effet, si l’un des malades dont je viens de rap- porter l’observation, avait ressenti des coliques de plomb antérieu- rement au moment où il a éprouvé les premières atteintes de para- lysie rhumatismale de l’avant-bras, le jugement porté sur ce genre d’affection eût été certainement différent. On n’aurait pas manqué d’attribuer alors la paralysie à l’intoxication saturnine. Getteerreur de diagnostic eût été inévitable sans l’exploration électro-musculaire, car, on se le rappelle, l’attitude de la main et des doigts est la même dans la paralysie rhumatismale et dans la paralysie saturnine, tan- dis que ces affections se distinguent l’une de l’autre par l’état de la contractilité et delà sensibilité électriques des muscles paralysés. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL d’aVEC LA PARALYSIE SATURNINE. Supposons maintenant qu’une paralysie saturnine vienne à frap- per les muscles de la région postérieure de l’avant-bras, chez une personne dont la profession, la position ou les habitudes éloi- gnent toute idée d’intoxication saturnine. On prévoit ce qui arri- vera infailliblement, si l’exploration électro-musculaire ne met pas le médecin sur la voie de la vérité. L’intoxication sera méconnue et la paralysie sera mise sur le compte d’une influence rhumatismale. On comprend la gravité d'une telle erreur de diagnostic. 411 La question de diagnostic que je soulève ici est de la plus haute importance, car rien n’est fréquent comme ces intoxications satur- nines latentes. L’eau, le vin, la bière, le thé, le tabac, etc., peuvent contenir différents sels ou de la poussière de plomb et produire des empoisonnements que l’on n’aurait pas soupçonnés ou reconnus, sans l’exploration électro-musculaire. Je vais le démontrer par des faits. Observation LXXXI1I.—Un charretier qui avait été guéri d’une paralysie rhumatismale de l’avant-bras par la faradisation localisée, me présente un jour un de ses camarades atteint, disait-il, de la même paralysie que la sienne ; et, en effet, chez cet homme le poignet tombait, les doigts étaient fléchis sur les métacarpiens, en un mot, je reconnus que les mêmes muscles étaient paralysés. Cet homme était cultivateur, il n’avait jamais été exposé, d’après son dire, aux causes d’intoxications saturnines, et ayant eu seule- ment quelques douleurs d’entrailles qui avaient été traitées comme une in- flammation des intestins par des applications de sangsues, je crus que sa paralysie était de même nature que celle de son camarade, c’est-à-dire rhu- matismale. Mais pour assurer mon diagnostic, j’examinai l’état de la con- tractilité et de la sensibilité électro-musculaires, et à ma grande surprise, je trouvai chez lui tous les signes pathognomoniques de la paralysie satur- nine. Le malade niait toujours qu’il eût pu être empoisonné par le plomb ; le vin des environs de Paris, le seul qu’il bût, disait-il, coûte trop peu pour être falsifié. Je n’en fus pas moins convaincu, cependant, d’après cette exploration, que sa paralysie était saturnine. Je le fis entrer à la Charité, dans le service de M. Fouquier (salle Saint-Charles, n° 4 5), où deux jours après son entrée il eut une colique de plomb des mieux caractérisées. Enfin, les bains sulfureux firent déposer sur sa peau une grande quantité de sulfure de plomb. Malgré ces preuves irrécusables, ce malade n’a jamais cru qu’il eût été réellement empoisonné par le plomb, et je n’ai pu décou- vrir la voie par laquelle cet agent toxique avait pu s’introduire dans son économie. 412 Observation LXXXIV. — Le cuisinier de la princesse Mathilde me fui adressé par son médecin ordinaire, au commencement de l’année 1855, pour une paralysie double des avanl-bras. Je constatai chez lui l’absence de la contraclilité électrique que l’on rencontre habituellement dans la pa- ralysie saturnine. Je basai mon diagnostic sur ce seul signe, et remontant dans l’historique de sa maladie, j’appris que depuis plusieurs années il était sujet à des douleurs intestinales qui revenaient fréquemment, et par inter- valles, avec constipation ; qu'on les avait considérées comme le produit d’une inflammation d’intestins, et qu’elles avaient été traitées en consé- quence par de nombreuses sangsues. C’était la première fois que l’attention était portée sur la possibilité d’une intoxication. Le malade offrait cepen- dant le liséré caractéristique. Il était arrivé aux dernières limites de l’anémie saturnine à laquelle il ne tarda pas à succomber. PARALYSIES RHUMATISMALES DU NEUT RADIAL. Depuis que j’ai commencé ces recherches spéciales, j’ai rencontré un si grand nombre de paralysies saturnines chez des personnes qui, par leur position, semblaient devoir en être à l’abri, qu’il m’est resté la conviction que nous sommes fréquemment exposés à l’in- toxication par le plomb. Ordinairement, il m’a été impossible de retrouver le corps du délit. Toutefois, j’ai quelquefois été assez heu- reux pour être mis sur la voie de la cause qui avait produit la pa- ralysie, par la connaissance de l’état de la contraclilité et de la sen- sibilité électro-musculaires. Voici maintenant la preuve de ce que j’avance Observation LXXXV. — Dans le mois de décembre, M..., valet de cham- bre, m’est adressé par un confrère, M. Monod, pour déterminer la nature d’une paralysie de l’avanl-bras droit dont il était affecté. Los extenseurs du poignet, les extenseurs des doigts et du pouce étaient paralysés et avaient perdu leur contraclilité électrique. Sur ce dernier signe, je lui dis qu’il avait dû éprouver antérieurement de vives coliques avec constipation, ce qu'il dit être parfaitement vrai : les douleurs d’entrailles, ajouta-t-il, sont atro- ces; elles se sont déclarées pour la première fois au mois d'avril de l’an- née 1 853, ont duré trois mois avec une constipation opiniâtre, et sont reve- nues chaque année à peu près à la même époque, au retour des chaleurs, toujours accompagnées de constipation, et durant, chaque fois, le même es- pace de temps. De plus, il présentait le liséré caractéristique des gencives. Je lui déclarai alors qu’il était empoisonné par le plomb, ce qu’il repoussa comme chose impossible, puisqu’il n’avait bu, disait-il, que du bon vin (celui de son maître) et qu’il n’allait jamais au cabaret. Cependant le cas n’était pas niable, et il finit par se rendre à mon jugement. Mais par où le plomb avait-il pénétré? Cette idée le tourmenta (à bon droit), et après avoir scruté bien attentivement toutes ses habitudes, il vint m’apprendre que depuis trois ans et demi, il s’était imaginé de casser du sucre sur une large plaque de plomb ; qu'il en réservait les gros morceaux pour ses maîtres, mats conservait la poussière et les petits morceaux pour son usage particulier ; enfin, que depuis plus de trois ans H n avait jamais consommé d'autre sucre que celui-là. Puis il remarqua que les coliques s'étaient déclarées six mois après avoir commencé à faire usage de cette poussière de sucre, qui était la cause probable de cette intoxication. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL D’AVEC LA PARALYSIE SATURNINE. Si l’exploration musculaire n’avait pas établi aussi nettement le diagnostic de cette intoxication saturnine, il ne serait venu à l’esprit de personne que ce valet de chambre eût pu s’empoisonner de cette manière. Il aurait continué de faire usage de cette poudre de sucre, et aurait pu finir (comme le cuisinier de la princesse Mathilde, qui peut-être s’était empoisonné par quelque moyen analogue) sans qu’on ait jamais pu le découvrir. Observation LXXXVI. — M. X..., marchand de thés, place Vendôme, affecté d’une paralysie double des membres supérieurs depuis deux ans, me fut présenté en 1847 par son médecin pour être traité par la faradisation localisée. Sa paralysie, attribuée par les médecins qu’il avait successive- ment consultés à une cause rhumatismale, avait été traitée sans succès jus- qu’alors par les bains sulfureux, les vésicatoires et la strychnine. Ses bras tombaient le long du corps, sans qu’il lui fût possible de les remuer ; la flexion de l'avant-bras sur le bras était impossible. Les poignets fléchis à angle droit sur l’avant-bras et les doigts fléchis dans la paume de la main ne pouvaient être étendus. L’atrophie était considérable, surtout à la région postérieure de l’avant-bras. A la vue de celte paralysie des deux avant- bras, ma première pensée fut que la cause de la maladie pouvait être une intoxication saturnine. Mais, ne trouvant dans la profession de ce malade rien qui pût légitimer un tel diagnostic, et ne pouvant être éclairé d’ailleurs par l’examen de ses gencives (il avait perdu toutes ses dents, et il portait un double râtelier), j’attribuai, comme mes confrères, la paralysie à une cause rhumatismale. Eh bien, ce diagnostic, basé seulementsur l’apparence extérieure de la paralysie et sur la recherche des causes qui avaient pu la produire, fut démontré erroné par l’exploration électro-musculaire; car je découvris que les muscles de la région postérieure de l’avant-bras étaient lésés dans leur contractilité électrique, ainsi que les deltoïdes. Je déclarai alors que la paralysie ne devait être attribuée qu’à un empoisonnement satur- nin ; ce qui fut repoussé par le malade, qui affirmait n’avoir jamais été exposé à un pareil empoisonnement. Cependant il m’apprit que pendant une quin- zaine d’années il avait fait, dans ses moments perdus, de petits sacs avec les feuilles de plomb dont sont doublées les caisses de thés, et que la poussière métallique dont ces feuilles sont couvertes, avait pu s’introduire dans l’éco- nomie par les voies respiratoires. Alors il se rappela que chaque fois qu'il travaillait à ces petits sacs sa salive était sucrée, et il m’apprit qu'il avait été traité plusieurs fois pour une gastro-entérite, dont le principal caractère était une constipation accompagnée de coliques violentes. PARALYSIES RHUMATISMALES DU ISERE RADIAI.. Ou voit donc que rien ne manquait pour caractériser cette para- lysie saturnine, et que c’est l’exploration électro-musculaire qui m’a mis sur la voie de la cause qui l’avait produite. J’ajouterai que ce malade guérit assez vite, par la fadarisation localisée, pour reprendre la direction de sa maison de commerce. Il s’est bien gardé, depuis sa guérison, de remuer les feuilles de plomb qui garnissent les caisses de thé, et il n’a plus éprouvé ces douleurs intestinales et ces constipations opiniâtres qui l’avaient fait tant souffrir pendant de longues années. On verra encore dans l’observation suivante que, sans l’exploration électro-musculaire, la sérnéiologie est quelque- fois impuissante dans le diagnostic de la paralysie saturnine, et que l’erreur, dans ce cas, a coûté la vie au malade. Observation LXXXVII.—En 1 848, je fus appelé par mon honorable con- frère, M. Tanquerel-Desplanches, auprès d’un malade arrivé au dernier degré de l’anémie saturnine. Ce malade, praticien distingué de Paris, après avoir éprouvé de longues souffrances intestinales, fut atteint d'une paralysie des membres supérieurs, malgré les conseils les plus éclairés. Sa maladie intestinale fut considérée comme uneentéralgie,et sa paralysie fut attribuée a une cause rhumatismale. Ce ne fut que longtemps après le début de la pa- ralysie, et après avoir vu échouer successivement tous les traitements, qu'on admit, mais, hélas! trop lard,la possibilité d'un empoisonnement saturnin. On chercha donc par quelle voie et sous quelle forme le poison avait exercé son influence délétère, et l'on trouva la présence d’un sel de plomb dans le même vin qu’il buvait depuis plus de vingt ans, et qui était fourni [de con- fiance] par un de ses clients. Depuis le début de la paralysie, il n’avait cessé d'en boire; l’anémie générale exigeait qu’il en prît même une plus grande quantité. Je ne vis ce malheureux confrère que peu de semaines avant sa mort, et je pus constater, en présencede M. Tanquerel-Desplanches, l’absence complète de conlraclilité électrique dans les muscles des régions postérieures de l’avant-bras, excepté dans les supinateurs. Bien que les autres muscles des membres supérieurs fussent réduits à 1 état rudimentaire, la conti actiiité y était très développée. Ces signes étaient donc plus que suffisants pour caractériser la paralysie saturnine. Dans un cas pareil, où les signes fournis par la séméiologie ne peuvent éclairer le diagnostic, la faradisation appliquée au début, comme moyen de diagnostic de la paralysie, mettrait à temps le médecin sur la voie de la'vérité, et pourrait sauver la vie du malade. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL d’aVEC LA PARALYSIE SATURNINE. En 1854, M. Chevallier, membre du conseil d’hygiène, a publié plusieurs cas de coliques de plomb produites par le tabac à priser. Les paralysies produites par ce mode d’intoxication saturnine ne sont peut-être pas rares. Mais comment les reconnaître? Pour ma part, je n’ai pas eu l’occasion d’en observer, bien que j’aie vu plu- sieurs grands priseurs atteints de paralysie saturnine, sans pouvoir retrouver le corps du délit (ni dans leur tabac, ni dans leurs bois- sons que j’ai fait analyser). L’intoxication remontait d’ailleurs aune époque déjà trop ancienne, et peut-être n’avons-nous pu mettre la main sur le tabac ou sur le vin sophistiqué. Un médecin de Berlin, qui pratique la fadarisation localisée avec talent, M. le docteur Mayer, a été plus heureux que moi. Il a recueilli trois obser- vations de paralysie saturnine produite par du tabac à priser dans lequel la présence d’une grande proportion de sel de plomb a été décelée par l’analyse (4). Il a établi son diagnostic sur les signes tirés de l’état de la contractilité électro-musculaire; ce sont eux qui l’ont mis sur la voie de cette espèce d’intoxication. Lorsque le plombon ses préparations se trouvent mêlés aux bois- sons, dans de fortes proportions, les phénomènes d’empoisonne- ment sont tellement rapides et violents que l’on est bien vite mis sur sa trace. C’est ainsi qu’en 1842, le plomb a trahi sa présence dans le cidre fabriqué à Paris, par les nombreux et rapides accidents qu’il a occasionnés. Mais lorsque les proportions de sels de plomb dis- sous ou suspendus dans les boissons sont beaucoup plus faibles, les phénomènes toxiques qu’ils peuvent provoquer se manifestent très tardivement, et seulement chez un certain nombre d’individus qui présentent sans doute moins de résistancè à l’intoxication. Alors, on voit apparaître de temps à autre des douleurs d’entrailles, que l’on prend facilement pour des entéralgies, ou pour des paralysies dont on est loin de soupçonner la cause, eu raison de la profession ou des habitudes des malades. C’est dans des cas analogues que j’ai tiré un parti heureux de l’exploration électro-musculaire. J’en vais rapporter un exemple. (1) M. Mayer avait communiqué ces faits intéressants au congrès des natura listes de Vienne, auquel j’ai eu l’honneur d’assister en 1856. Je me suis empressé de les faire publier dans la Gazelle des hôpitaux, d’après le désir que m’en avait exprimé ce savant confrère. Observation LXXXY1I1.—M. D..., âgédequarante-six ans, contre-maître associé d’une maison de filature de coton, demeurant à Lille, est venu me consulter sur la cause d'une paralysie double des avant-bras. En i 84S, il a commencé à éprouver, dans ses mouvements, de la faiblesse qui disparais- sait de temps à autre. Mais depuis le mois d’août 1853, l'extension despoi- gnelsel des doigts est entièrement perdue, et les poignets restent constam- ment fléchis sur les avant-bras. A l’exploration électro-musculaire, je constate qu’à droite, les extenseurs des doigts ont perdu leur contractililé électrique, que leur sensibilité est considérablement diminuée, que les ra- diaux se contractenlencore, mais très faiblement, par l’excitation électrique, et que les supinaleurs sont dans leur état normal. A gauche, les extenseurs des doigts et du pouce ont également perdu leur contractililé électrique. A ces signes électro-musculaires, il est impossible de méconnaître la para- lysie saturnine. De plus, je retrouve dans les antécédents du malade les phénomènes suivants : en 1847, il a ressenti, sans cause connue, des douleurs assez vives au niveau de l’ombilic, avec constipation. Dulaudanum futadminis- tré parla bouche,par le rectum, et deux saignées abondantes furent prati- quées ; un purgatif salin fut ordonné après douze jours de constipation. Trois jours après, les lavements purgatifs ayantétérenouvelés, M. D....fut entière- ment guéri de ses coliques. Huit mois plus lard, nouvelles coliques traitées par deux saignées et des lavements purgatifs. Guérison après quinze jours de traitement. Depuis lors, M, D a éprouvé chaque année les mêmes accidents intestinaux. Enfin, pour compléter l’ensemble des signes qui ne laissent pas de doute sur la cause de la paralysie, je dirai que M. D... offrait le liséré grisâtre des gencives. M. D... ne parut croire à son empoisonne- ment par le plomb que lorsque, sans l’interroger sur ses antécédents, et par la seule exploration électrique de ses muscles, je lui déclarai que sa para- lysie ne pouvait être attribuée qu’à cet empoisonnement. Mais par quelle voie le plomb pouvait-il avoir pénétré dans son économie? En l’interrogeant sur ses habitudes, il me déclara qu’étant grand amateur de bière, c’est à l'es- taminet qu’il en a fait la plus grande consommation, selon l’usage général de la ville qu’il habite (Lille). Or, dans cette ville comme dans la plupart des villes du Nord, la bière consommée dans les estaminets se conserve en tonneaux dans les caves, et on la conduit par des tuyaux de plomb dans les salles où elle est distribuée aux consommateurs. PARALYSIES RHUMATISMALES DU NERF RADIAL. Est-il possible que la bière, qui est toujours plus ou moins acide, se trouve en contact avec les tuyaux de plomb, sans attaquer ce métal et sans en entraîner une certaine quantité à l’état de sel?Le hasard a-t-il voulu que M. D... ait bu de la bière qui tenait une plus grande quantité de sel de plomb en dissolution? D’autres faits analogues donnent quelque apparence de vérité à l’affirmative. En effet, l’intoxication de M. D... n’est malheureusement pas un cas isolé et exceptionnel à Lille, car j’ai été consulté par d’autres habi- tants de cette ville, dont l’histoire est à peu près la même que celle que je viens de rapporter, qui ont les mêmes habitudes d’estaminet, et qui par leur profession devraient être à l’abri de l’intoxication saturnine. Il résulte enfin des renseignements que j’ai fait prendre, qu’il existe à Lille un assez grand nombre de paralysies de l’avant- bras, qui sans doute ont la même origine. PARALYSIES RHUMATISMALES DU NERF RADUL. Je puis, à l’appui de l'opinion que je viens d’émettre sur la pro- babilité des qualités toxiques de la bière qui traverse les tuyaux de plomb, rapporter une observation qui a été publiée en 1852 dans le Bulletin de thérapeutique (1). Observation LXXXIX. — Le sujet de cette observation était un charcutier de Bergues, qui. ayant été frappé de paralysie des deux mains, était venu chercher sa guérison à Paris. Il était entré dans le service de M. Cruveilhier (Charité, salle Saint-Ferdinand, n° 15), où je l’observai. Sa paralysie avait été précédée de coliques et de constipation, et de plus il présentait le liséré caractéristique des gencives. M. Cruveilhier entrevoyait une paralysie sa- turnine, mais en présence des protestations du malade qui niait s’étre ja- mais exposé à un pareil empoisonnement, et dans l’impossibilité de trouver la voie par laquelle le plomb avait pu pénétrer chez lui, il lui restait encore quelques doutes. Ces doutes furent dissipés par l’exploration électro-mus- culaire que je pratiquai, en présence de M. Cruveilhier, et qui nous fit voir chez ce malade tous les signes palhognomoniques de la paralysie saturnine. J'appris alors de lui qu'il consommait journellement une grande quantité de bière à l’estaminet, où elle est conduite des caves dans les salles de con- sommation par des tuyaux de plomb. Des renseignements que l'on fit prendre dans ce pays nous ont appris aussi que la paralysie des avant-bras n’y est pas rare. Il appartient à la chimie de déterminer s'il est vrai que la bière qui passe dans des tuyaux de plomb pour être livrée à la consom- mation, peut décomposer ce métal et en contenir une quantité suf- fisante pour produire l’empoisonnement saturnin, et si le plomb ou quelques-unes de ses compositions ne sont pas employés dans certains procédés de fabrication de la bière, de manière à compro- mettre la santé des consommateurs. Enfin, l’exploration électro-musculaire m’a mis sur la voie d’in- (I) Voyez surtout divers mémoires de M. Chevallier {Annales d’hygiène pu- blique. Paris, 1853, t. XL1X, p. 69; 1854, t. I, p. 314; 1.1, p. 335). DUCHENNE. toxications saturnines dans des cas de paralysie où il m’a été impos- sibledene pasadmettre, comme cause probable de cette intoxication, le passage des eaux dont les malades faisaient habituellement usage, dans des tuyaux de plomb, ou leur séjour dans des réservoirs de même métal. Mais je craindrais, cri insistant davantage sur ces faits, de donner trop d’extension à l’examen de questions qui intéressent plus particulièrement l’hygiène que l’électropathologie. Si j’en ai parlé incidemment et avec quelques développements, c’est pour faire mieux ressortir l’importance de l’exploration électro-muscu- laire, comme moyen de diagnostic de la paralysie rhumatismale de l’avant-bras et de la paralysie saturnine. PARALYSIES RHUMATISMALES. En résumé, il ressort des faits et des considérations précédentes ; 1" que la paralysie rhumatismale du nerf radial et la paralysie sa- turnine de l’avant-bras sont facilement confondues entre elles, et que l’on ne peut, en général, les distinguer l’une de l’autre sans l’exploration électro-musculaire ; 2° que l’application de l’explora- tion électro-musculaire a déjà fait reconnaître un grand nombre de paralysies qui avaient été ou auraient pu être attribuées à d’autres espèces de paralysies, et particulièrement à la paralysie rhumatis- male du nerf radial ; 3° enfin, que cette méthode d’exploration a mis sur la voie de plusieurs intoxications saturnines (par la poussière des feuilles de plomb qui recouvrent la face interne des caisses de thé, par la poudre du sucre mis en morceaux sur une plaque de plomb, parla poudre de tabac, par certaines boissons sophistiquées, entre autres la bière, enfin par l’eau qui coulent dans des conduits de plomb). §11. — De plusieurs autres variétés «le paralysies rhumatismales. Les paralysies rhumatismales partielles dont il a été question jusqu’ici, sont très fréquentes ; mais on conçoit que le nerf médian ou le nerf cubital puisse être aussi paralysé isolément et de la même manière; je n’ai pas eu encore l’occasion d’en observer. Il n’existe aucune raison pour que la conlractilité électro-musculaire ne soit pas normale, et la sensibilité électro-musculaire augmentée dans ces paralysies comme dans les précédentes. J’ai recueilli quelques faits de paralysies du membre inférieur qui étaient survenues chez des individus qui, par leur profession, ont. habituellement les pieds dans l’eau, comme les débardeurs, les Jardiniers. Ces paralysies sont précédées ou accompagnées de dou- PARALYSIES RHUMATISMALES. leurs locales ; les paralysies rhumatoïdes du deltoïde en sont un exemple. — Le nerf poplité externe paraît plus exposé à cette espèce de paralysie. Les muscles affectés dans ces cas conservent aussi leur contractilité électrique. Je vais rapporter brièvement un cas de paralysie rhumatismale du membre inférieur droit. Observation XC. — Paralysie rhumatismale du membre inférieur droit, de cause rhumatismale, datant de deux ans, rebelle à toutes les médi- cations, guérie par la faradisation localisée. M. G...., chef de service des contributions indirectes, âgé de trente-deux ans, a été dans l'obligation, pendant quatre années consécutives, d’entrer fréquemment dans des appartements souterrains, dans des caves humides, alors qu’il était en transpiration, et après des marches longues et forcées. C’est à cette cause qu’il attribue la paralysie du membre inférieur pour la- quelle il est venu me demander des soins. — 11 y a deux ans, après avoir éprouvé, pendant plusieurs jours, des douleurs générales dans ce membre, douleurs augmentant par les mouvements, il s’est trouvé incapablede se mou- voir ni de se tenir appuyé sur lui dans la station debout. Il n'a point eu de fièvre. Depuis lors, il a dû faire usage de béquilles. Une médication assez éner- gique a cependant été employée (onctions et cataplasmes laudanisés contre les douleurs, vésicatoires, purgatifs, bains et douches sulfureuses, bains de va- peur). Quand ce malade m'a été présenté, j’ai constaté que le membre infé- rieur droit était complètement paralysé, qu’il était un peu moins volumi- neux que du côté opposé, que la contractilité électrique des muscles paralysés était normale, mais que leur sensibilité à l’excitation électrique était aug- mentée. La peau de ce membre était moins sensible que du côté sain. —La faradisation localisée à intermittences rapides a guéri rapidement cette para- lysie rebelle aux autres médications. Après la première séance, le malade pouvait mouvoir les orteils ; puis les autres mouvements du pied sur la jambe, de celle-ci sur la cuisse, et de la cuisse sur le bassin, sont revenus pro- gressivement et dans toute leur force, en une vingtaine de séances. Un an après-, le malade m’a informé que sa guérison s’était maintenue. L’histoire de la maladie et les signes tirés de l’état de la contrac- tilité électro-musculaire m’avaient démontré que cette paralysie du membre inférieur droit était rhumatismale et périphérique. Aussi en avais-je tiré un pronostic favorable, en présence de son pa- rent, le docteur ***, qui me l’avait présenté. Je lui avais donné l’espoir très probable d’une prompte guérison par la faradisation localisée. Le résultat de ce traitement a confirmé complètement mon jugment. J’ai vu l’action directe et prolongée du froid humide, comme le séjour dans l’eau à une température très basse, frapper de paralysie, en masse, les nerfs d’un membre ou d’une partie d’un membre. Dans ces espèces de paralysie, la contractilité électro-musculaire est normale. PA « AI. YSI ES Jl il ü M AT1S VIA LES. En voici un exemple pour l’avant-bras et la main. J’ai observé, en 1858, à la Charité, salle Saint-Félix (service de M. Amiral, fait provisoirement par M. Charles Bernard), un bel exemple de paralysie rhumatismale de tous les muscles moteurs de la main et des doigts, survenue immédiatement après que la main et l’avant-bras avaient été longtemps immergés dans l’eau glacée. La contractilité électro-musculaire était normale. Le sujet a guéri rapidement par la faradisation. L’observation a été recueillie avec soin par un interne distingué, M. Millard, qui avait eu l’obligeance de me signaler ce fait important. Un bain de siège froid, pris à une température trop basse, peut produire une paraplégie. J’en ai observé plusieurs cas dont je re- grette de ne pas avoir recueilli l’observation détaillée. Je n’en puis parler que de souvenir. Observation XCI. — Paraplégie rhumatismale produite par un bain de siège à la glace. — Je me rappelle une paraplégie rhumatismale qui m'a été adressée en 1 858 par le docteur Cramoisie, et qui s’était déclarée après un bain de siège pris, pour ainsi dire, à la glace. J’ignore la raison qui avait fait prescrire ce bain, mais je sais qu’en le prenant le malade fut saisi immédiatement d’un refroidissement général, avec claquement de dents, qu'il tomba en syncope, et que lorsqu’il en revint (après une demi-heure de soins), les membres inférieurs restèrent paralysés ainsi que la vessie et le rectum. Cet état dura longtemps, et quand je fus consulté par ce ma- lade (deux ans après le début), les mouvements du pied sur la jambe n’é- taient pas encore revenus et ceux de la cuisse sur le bassin étaient extrême- ment faibles. Les membres inférieurs étaient très amaigris, cependant je constatai que la contractilité électro-musculaire était normale, môme dans les muscles qui, depuis deux ans, étaient complètement paralysés. Je ne me rappelle pas si la sensibilité électro-musculaire était ou non augmentée. Je n’ai plus revu ce malade ; ce qui explique pourquoi son observation n’a pas été recueillie. La paralysie consécutive à la névralgie d’un nerf mixte se rap- proche de la paralysie rhumatismale, en ce sens que celte sciatique est souvent produite par l’impression du froid humide ou trop long- temps prolongé sur un point du corps. La contractilité électro- musculaire est-elle ou non diminuée dans cette espèce de paralysie? C’est ce qu’il sera plus opportun d’examiner à l’article qui traitera de la névralgie. ACTION THERAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 421 ARTICLE IL ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE SUR LA PARALYSIE RHUMATISMALE. § 11. — Paralysie du nerf radial. Une paralysie des muscles animés par le nerf radial qui ne gué- rirait pas, serait une affection grave, car elle annule la plupart des usages de la main. Mais je m’empresse de dire que jusqu’à présent (dans tous les laits que j’ai recueillis) je l’ai toujours vue céder à la faradisation localisée, alors même qu’elle avait résisté longtemps aux autres médications. Que serait-il advenu dans ces cas re- belles sans l’intervention de la faradisation? La paralysie eût-elle été incurable? c’est ce que j’ignore. Quoi qu’il en soit, il est permis de dire aujourd’hui, en s’appuyant sur mes recherches, que la paralysie rhumatismale du nerf radial n’est pas grave, puisqu’elle guérit toujours par la faradisation localisée. Arrivons maintenant à la preuve des assertions précédentes. Bien que les muscles souffrent peu, en général, dans leur nutri- tion et que leur irritabilité, comme je l’ai dit, ne soit point dimi- nuée, la plupart de ces paralysies n’en sont pas moins rebelles aux médications ordinaires (aux vésicatoires, à la strychnine), tandis qu’elles guérissent par la faradisation musculaire. J’en rapporterai plusieurs exemples. Observation XCII. — Charité, salle Saint-Michel, n° 11. — Brivard, charretier, âgé de vingt-huit ans, demeurant rue du Faubourg-Saint- Denis, n° 109, d'une constitution athlétique, n’ayant jamais été exposé à des émanations mercurielles ni saturnines, n’ayant jamais eu de paralysie. En mai 1849, cet homme passe une nuit exposée à un courant d’air alors (ju’il était dans un état de transpiration ; en se réveillant, il sent sa main et son avant-bras engourdis et paralysés ; il n’éprouve cependant aucune dou- leur. Cet état persistant malgré des onctions excitantes et deux vésicatoires, le membre paralysé diminuant de volume, il se décide à entrer à la Charité le 11 août 1 849 (trois mois après le début de la paralysie). Il y est soumis à l’électrisation delà manière suivante : unrhéophore était placé dans la main ou surde dos de la main, et un second rhéophore humide est posé à la partie supérieure du bras. N'ayant obtenu aucune amélioration après neul'applica- tions avec cette méthode d’électrisation, il demande sa sortie. Le malade se présente quelques jours après à ma consultation ; je constate alors que tous les muscles animés par le nerf radial sont paralysés. Les muscles paralysés jouissent de leur contractilité électrique; la sensibilité était augmentée, ce- pendant ils étaient notablement atrophiés. Je localisai l’excitation faradique dans chacun des muscles paralysés, et comme le malade était très sensible à celle excitation, je n’agis qu’avec des courants à rares intermittences, à forte intensité, pour pénétrer l’épaisseur du muscle, et je renouvelai ces applications tous les deux jours. Après la deuxième séance, Brivard rele- vait le poignet, auquel il faisait exécuter des mouvements latéraux. Après la cinquième séance, les premières phalanges et le pouce avaient recouvré une partie de leurs mouvements. Après trois semaines de faradisation localisée, la guérison était complète. PARALYSIES RHUMATISMALES. Chez ce malade, l’influence thérapeutique de la faradisation loca- lisée est des plus évidentes, car elle a été immédiate, et cela après trois ou quatre mois d’un état stationnaire. On a remarqué qu’une première application de l’électricité avait échoué et l’on en com- prend la raison ; on avait placé les rhéophores très éloignés l’un de l’autre, de manière que le courant parcourait le membre dans le sens de sa longueur. Ce mode de faradisation avait produit des contractions irrégulières, et par action réflexe. Le malade dit ce- pendant avoir beaucoup souffert de ce mode d’électrisation qui est, on le sait, très douloureux. Ce fait prouve donc une fois de plus combien il importe de diriger l’excitation électrique sur chacun des muscles paralysés. Observation XCIII.—Madame Marshall, blanchisseuse et concierge, de- meurant rue Saint-Antoine, n° 160, âgée de quarante-sept ans, n’a jamais eu de douleurs névralgiques dans les membres, n’a pas été exposée à l’in- toxication saturnine, n’a pas eu de coliques. Elle n’est pas sujette à des atta- ques d’hystérie. Elle habitait un logement humide depuis trois mois, quand, s’étant endormie un soir, sur sa chaise, les bras nus et croisés, elle se ré- veilla avec un engourdissement des doigts de la main droite ; sa main tom- bait sans qu’il lui fût possible de la relever. Les doigts étaient aussi para- lysés. Elle n’avait aucune douleur, mais elle éprouvait des fourmillements et des engourdissements dans les doigts du côté paralysé ; la sensibilité de la peau était diminuée à l’avant-bras et le sens du toucher perdu. Un mé- decin fit appliquer sur la face postérieure de l’avant-bras malade des vésica- toires volants dont le dernier fut pansé à la strychnine. Ce traitement n’amena aucune amélioration. Au commencement du mois de juin 1830 (deux mois et demi après le début), elle réclama mes soins, et. je constatai que les mus- cles qui sont sous la dépendance du nerf radial étaient paralysés, et que ceux de l’avant-bras eide ia main étaient seulement affaiblis. La contrac- tion électro-musculaire était partout normale, mais la sensibilité musculaire paraissait un peu augmentée dans les muscles paralysés, bien que la sensi- bilité cutanée fût diminuée à la région postérieure de l’avant-bras. Sous l’influence de la faradisation localisée pratiquée tous les deux jours, la gué- rison fut complète après trois semaines de traitement, J’ai revu celle ma- lade longtemps après ; sa guérison s’était maintenue. ACTION THÉllAl’tUTIQLE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Je pourrais rapporter encore un grand nombre d’autres exemples de ces paralysies rhumatismales de l’avant-bras, qui ont guéri par la faradisation localisée, après avoir résisté aux vésicatoires et à la strychnine. Il ne faudrait pas en conclure qu’elles ne guérissent que par la faradisation ; j’en ai vu plusieurs qui ontcédé à l’applica- tion de quelques vésicatoires. Observation XCIV. —J’ai observé le 22 juin 1854 un malade nommé Quinquet, âgé de dix-neuf ans, coiffeur, demeurant rue de la Calandre, n°13, couché au n° 1 8 de la salle Saint-Ferdinand (Charité), qui, s’étant endormi sur l’herbe par un temps froid et humide, se réveilla au bout d'une heure avec une paralysie de l’avant-bras droit (c’était le côté appuyé sur l’herbe), bien qu’il n’y éprouvât aucune douleur. Le lendemain, 30 mai 1854, il en- tra à la Charité où je constatai que tous les muscles qui sont sous la dépen- dance du nerf radial étaient paralysés; les muscles de la région antérieure de l’avant-bras et ceux de la main jouissaient de leurs mouvements. La con- tractilité électrique des muscles paralysés était intacte ; leur sensibilité pa- raissait augmentée. M. Cruveilhier me proposa de le traiter par l’électricité, mais je le priai de vouloir auparavant essayer l'action des vésicatoires, pour expérimenter l’influence de celte médication. Cinq vésicatoires ont été pro- menés sur la région postérieure de l’avanl-bras ; l’un d’eux fut placé sur le cou, au niveau de l’origine du plexus brachial. Vers le dixième jour du trai- tement, il y eut un commencement d’action sur les radiaux, dont les mou- vements et la force revinrent graduellement. Les extenseurs des doigts et le long supinateur montrèrent plus de résistance. Enfin, ce malade guérit après un mois de ce traitement. Ce fait prouve donc que la médication par des vésicatoires peut guérir ces paralysies rhumatismales de l’avant-bras, mais n’obtien- drait-on pas une guérison plus rapide en les traitant au début par la faradisation localisée? C’est ce que je n’ai pas encore suffisam- ment expérimenté. Cependant voici en résumé un premier fait que j’ai recueilli à ce point de vue. Observation XCV. — Madame Loré, concierge, âgée de cinquante ans, demeurant à Paris, quai de Bélhune, n» 36, ayant fait un lavage dans la journée du 27 mai 1853, s’endort le soir sur sa chaise, par un temps froid et humide. En se réveillant, elle sent sa main et son avant-bras du côté droit froids et engourdis. Elle ne peut plus s’en servir, son poignet tombe, ses doigts sont fléchis, et son pouce a perdu ses mouvements. Un vésica- loire est immédiatement appliqué sur la face postérieure de l’avant-bras ; mais huit jours après la paralysie est dans le même état. Elle se présente à la consultation de M. Briquet, qui me l’adresse. Je constate alors que les muscles qui sont sous la dépendance du nerf radial sont seuls paralysés, qu’ils jouissent de leur contractililé électrique normale, mais qu’ils sont plus sen- sibles à l’excitation que ceux du côté sain. Elle est à l’instant faradisée jour à autre, et en dix séances elle a recouvré ses mouvements. PARALYSIE de la conscience musculaire. Ce dernier cas est le pendant de celui qui a été rapporté plus haut (obs, XCIII), et dans lequel les vésicatoires ont été seuls employés. On voit que la guérison n’a pas été beaucoup plus rapide par la faradisation localisée. Toutefois, je le répète, ces faits sont à l’étude, et l’on ne peut encore rien en conclure. Il ressort, en résumé, des faits que j’ai observés, que la faradisa- tion localisée peut triompher des paralysies rhumatismales de l’avant-bras dans lesquelles les médications ordinaires ont échoué. Ce sont les cas où j’ai été le plus souvent appelé à intervenir. CHAPITRE XIV. PARALYSIE ÜE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. J’ai eu l’occasion d’observer des sujets privés de la sensibilité de la peau, des muscles, des os, des nerfs, chez lesquels, en un mot, il était impossible de provoquer artificiellement la moindre sensation. Ces anesthésies profondes, souvent limitées à un seul membre ou à une région du corps, étaient cependant quelquefois générales et affectaient en même temps, dans certains cas, un ou plusieurs sens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût). Bien que j’aie vu cette insensibilité se développer chez l’homme sous l’influence de causes rhumatis- males, c’est principalement dans l’hystérie que je l’ai observée plus fréquemment ; j’en ai rapporté plusieurs exemples dans une série de mémoires publiés ou présentés depuis 1849 à nos Académies des IMKALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULA1KE. sciences et de médecine. J’ai dit alors comment il m’avait été pos- sible de constater dans ces cas, au moyen de la faradisation loca- lisée, que chacun des organes était (rappé d’insensibilité. On m’a vu ramener, dans ces cas, la sensibilité, tantôt dans la peau, en lais- sant les organes qu’elle recouvre dans leur état d’insensibilité, et tantôt dans les muscles, les os, etc., sans rappeler la sensibilité cutanée. Si je me suis borné, à cette époque, à relater ces faits pa- thologiques et ces expériences électro-pathologiques, sans parler de l’influence que ces différents états de la sensibilité musculaire avaient exercée sur la contractilité volontaire, c’est que ces faits m’avaient offert un ordre de phénomèmes étranges, peu en har- monie avec les idées reçues en physiologie, et que je voulais multi- plier mes expériences et mes observations avant d’en publier les résultats. Aujourd’hui, elles sont assez nombreuses et mûries par le temps et la réflexion ; je vais en exposer le résumé. Les sujets qui n’ont perdu que la sensibilité cutanée sont analgé- siques ou anesthésiques, c’est-à-dire qu’ils ont perdu toute espèce de sensibilité tactile, et qu’ils ne sentent pas la douleur provoquée par la piqûre, la brûlure (1) ou par l’excitatien électro-cutanée ; mais ils ressentent la pression ou le pincement de leurs muscles, les coups portés sur leurs membres; ils perçoivent les mouvements mécaniques qu’on leur imprime, l’étendue des mouvements qu’ils exécutent eux-mêmes, la résistance que l’on oppose à ces mouve- ments, la pesanteur ; chez eux, enfin, la contractilité volontaire n’éprouve aucun trouble dans son action physiologique. Si à la perte de la sensibilité de la peau s’ajoute celle des organes (des muscles, des os, des nerfs) placés au-dessous d’elle, on observe, non-seulement les troubles exposés plus haut, mais encore les phé- nomènes suivants : les coups les plus violents, portés sur les masses musculaires du membre anesthésié, ne sont pas ressentis par le malade ; quand il est dans l’obscurité, ou si on l’empéche de voir, il ne perçoit pas la position de ce membre, ni les mouvements les plus brusques qu’on lui imprime ou qu’il exerce lui-même. 11 a perdu le sens musculaire de Ch. Bell. L’excitation électrique directe de ces muscles, de ses nerfs, ne provoque aucune sensation, quelque in- tense et rapide que soit le courant d’induction, et quoique les mus- cles se contractent avec une grande énergie, sous son influence (2). J’ai relaté tous ces faits dans les mémoires précités. (1) Est-il nécessaire de rappeler que l’on doit à M. Beau la découverte de ces deux espèces de sensibilité cutanée? (2) On reconnaît dans l’ensemble de ces phénomènes pathologiques le résumé Mais il existe une autre série de phénomènes morbides qui me paraissent démontrer l’existence d’une propriété musculaire que j’appellerai conscience musculaire, et servant à l’accomplisse- ment des mouvements volontaires. Ces phénomènes ont une haute portée, au point de vue physiologique, surtout quand on les soumet au contrôle des expériences électro-pathologiques que j’ai à expo- ser. Leur étude fera le sujet de ce chapitre. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. Une seule objection invaliderait, si elle était fondée, ces faits et les expériences qui vont suivre; je dois donc la prévenir. On pour- rait craindre, en effet, quelessujets de ces observations aientsimulé l’insensibilité. Pour répondre à cette objection, je dirai que je me suis tenu en garde contre celte cause d’erreur, et que, avant d’ad- mettre la vérité des phénomènes qu’ils accusaient, je n’ai jamais négligé défaire subir aux malades l’épreuve de l’excitation électro- cutanée ou musculaire, épreuve qu’on rend au besoin plus sensible que celle du feu. Sur ce point, l’erreur n’a donc pas été possible. J’ajouterai que, dans tous les cas analogues recueillis par moi, les phénomènes ont été identiques. Quant aux illusions auxquelles j’au- rais pu me laisser entraîner, j’espère avoir offert toutes les garan- ties possibles en expérimentant publiquement et en présence de savants confrères dont le nom seul est une autorité. Je me propose d’exposer d’abord les observations qui forment la base de ces recherches et je les ferai suivre de considérations qui ont trait au sujet de ce chapitre; puis je résumerai, dans des con- clusions générales, les faits principaux qui en découlent. Observation XCVI. —Vers la fin de 4 848, un malade d'environ une quarantaine d'années se présente à ma consultation pour se faire traiter de très anciennes douleurs qu’il éprouvait dans les membres inférieurs. Il en avait aussi ressenti jadis dans les membres supérieurs, dans le cou et dans le dos; la peau de ces régions était aussi, disait-il, très sensible au toucher et au frottement de la chemise. Depuis plusieurs mois, cesdouleurs avaient disparu et avaient fait place à une insensibilité complète des membres supé- rieurs. Aux pieds comme aux mains, il avait perdu la sensibilité tactile, il avaitconservé l’intégrité de ses mouvements, bien qu’il éprouvât une grande gêne pour marcher à cause de l’insensibilité de ses pieds. Mais pendant la nuit, disait-il, il était paralysé du membre supérieur droit. Le caractère in- termittent de celte paralysie locale avait paru indiquer l’emploi du sulfate de quinine, qui lui fut ordonné par son médecin, sans que son état en fût de l’étude exposée dans l’avant-dernier chapitre sur la paralysie de la sensibilité musculaire. Il faut les avoir bien présents à l’esprit pour comprendre combien ils diffèrent des phénomènes spéciaux que je vais décrire. modifié. Enfin, il attribuait sa maladie à son état de jardinier, qui l’oblige d’avoir presque continuellement les pieds et les mains dans l’eau. Telle est l’histoire qu’il me raconta. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. Je constatai alors que le membre supérieur droit était entièrement anes- thésié, quelque moyen que j’employasse pour exciter la peau ou les tissus sous-jacents, voire même l'excitation électro-cutanée la plus intense. Je vis aussi que la sensibilité était considérablement diminuée dans le membre supérieur gauche, ainsi que dans les pieds, mais qu’elle n'y était pas entiè- rement perdue, que sa marche était mal assurée, bien qu'il se sentît fort et pût faire sans fatigue de longues marches. Les membres supérieurs avaient conservé tous leurs mouvements ; leur force était égale des deux côtés ; mais il ne savait plus distinguer les corps lourds des corps légers, lorsqu’il se servait de celui du côté droit. Tels sont les faits que j’observai d’abord. 11 en est un autre que je dois mentionner, malgré sa bizarrerie, parce qu’il me mit sur la voie d’un nouvel ordre de phénomènes jusqu’alors incon- nus dans la science. Le malade, qui gesticulait beaucoup en me parlant, maintenait cependant son bras droit immobile le long du corps. Quand je lui en fis l'observation, il se mit à le mouvoir, mais en le regardant, et ses gestes n’étaient pas naturels. Alors, je lui dis de me donner la main, en le priant de fixer son regard du côté opposé. A mon grand étonnement, le membre ne bougea pas, bien que le malade crût m’avoir donné la main, et en regardant de ce côté, il me la présenta vivement et serra fortement la mienne. Ce fait m’impressionna; cependant, comme si mon esprit se fût révolté contre sa bizarrerie, je ne poussai pas plus loin mon exa- men, et ne songeai plus qu’à débarrasser mon malade de ses dou- leurs, seul service qu’il attendît de moi. Je n’entendis plus parler de ce malade dont j’avais négligé de prendre le nom et l’adresse ; je l’avais même entièrement oublié, lorsqu’un second fait vint me le rappeler quelques mois après. Observation XCYII. — C’était une paraplégie qui survenait seulement dans l’obscurité chez une femme dont les membres inférieurs étaient com- plètement insensibles. Ainsi, disait-elle, elle ne pouvait se relever de sa chaise lorsqu’elle était surprise par la nuit. Étant couchée, il lui était impossible de mouvoir ses membres inférieurs. Et cependant elle marchait assez bien le jour, et restait longtemps debout sans se fatiguer. Je constatai encore chez elle quelle ne pouvait mouvoir les membres inférieurs quà la condition de les regarder. L’excitation électro-cutanée et musculaire fit disparaître assez vite ces troubles de la motilité et de la sensibilité. Bien que je n’eusse pas saisi d’abord toute l’importance des deux faits dont je viens d’exposer l’analyse, et que je les eusse observés tort légèrement, il me parut en ressortir que, dans certaine con- dition, les mouvements volontaires ne pouvaient s’effectuer sans le secours de la vue, et que cette condition était peut-être l’anes- thésie complète des membres. Je me rais dès lors à observer, dans cette direction, tous les anesthésiques que je rencontrai dans les hôpitaux. J’en vis un bon nombre dont la sensibilité était complète- ment abolie, et qui cependant pouvaient mouvoir leurs membres sans les regarder. J’ai rapporté des observations de ce genre dans plusieurs de mes mémoires; mais parmi ces anesthésiques, il y en eut quelques-uns chez lesquels la contractililé volontaire était plus ou moins com- plètement enrayée par la privation de la vue. Je n’exposerai pas ces derniers faits et les expériences très variées auxquelles ils donnèrent lieu, parce qu’ils se résument dans l’observation suivante que je vais rapporter avec détail. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. Observation XCVIII. —Pelletier (Désirée), âgée de dix-huit ans, bro- deuse, demeurant rue Saint-Jacques, n° 175, d'une bonne constitution, d’un tempérament lymphatique, réglée à quatorze ans, mais peu abondam- ment et irrégulièrement. Sa mère est morte paralysée des membres inférieurs à quarante et un ans. Elle dit avoir eu, à l'âge de sept ans, la fièvre typhoïde, dont elle fut entièrement rétablie après six mois. A onze ans, en 1848, ayant été maltraitée par les maîtres chez lesquels elle était en ap- prentissage, elle eut pour la première fois une attaque d'hystérie qui dura vingt-quatre heures. Cet accès ne fut suivi d’aucun dérangement dans sa santé. Quand la menstruation apparut pour la première fois (à l'âge de qua- torze ans), elle eut une deuxième attaque d’hystérie. Depuis lors, ces accès revenaient fréquemment (à peu près tous les huit jours) et duraient peu de temps (dix minutes à un quart d’heure). Ils étaient caractérisés seulement par de l'étouffement, des envies de pleurer, quelques mouvements nerveux, sans perte de connaissance. Sa santé était du reste excellente, à l’excep- tion de douleurs à l’épigastre et dans le côté gauche, au niveau du sca- pulum. La menstruation revenait irrégulièrement, à des intervalles de deux à trois mois, peu abondamment et durait un ou deux jours; pas de perte en blanc. En juillet 1851, se promenant en canot avec sa maîtresse, elle tomba à l’eau et en fut retirée immédiatement, mais elle perdit connaissance pen- dant deux heures. A la suite de cet accident, ses accès n’en devinrent pas plus fréquents. En mai 1852, les accès hystériques se rapprochant et durant deux ou trois heures, avec perle de connaissance, elle dut entrer à la Pitié au n° 29 de la salle du Rosaire (service de M. Gendrin). La sensibilité delà peau était alors seulement perdue aux membres supérieurs, excepté à la pulpe des doigts, mais elle n’éprouvait aucun trouble dans ses mouvements. Elle fut traitée par des bains froids, prolongés pendant deux heures et quotidiens, par l’opium à haute dose et par l’éther. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. Après seize mois de ce traitement, efle n’avait encore éprouvé aucune amélioration; l’opium l’éther furent alors suspendus. A dater de ce mo- ment, dit la malade, les attaques s’éloignèrent peu à peu et devinrent de plus en plus courtes. Désirée n'ayant pas éprouvé un seul accès pendant deux mois, elle se crut en état de sortir de la Pitié le 17 novembre 1853. Mais huit jours ne s'étaient pas écoulés depuis sa sortie de l’hôpital, que des attaques nouvelles, très fortes et très longues, reparurent tous les deux ou trois jours et furent bientôt suivies d’insensibilité générale. Elle était très maladroite de ses mains, ne pouvait marcher qu’en regardant ses membres inférieurs. Elle se sentait cependant assez forte et pouvait rester debout sans fatigue; mais après un certain temps, ses jambes tremblaient. La nuit elle ne pouvait remuer dans son lit, et au jour elle se retrouvait dans la même position où elle s’était placée en se couchant ; alors seulement il lui était possible de se mettre sur les côtés, do se lever et de marcher. Une nuit, ayant eu une courte attaque, elle fut jetée de son lit sur le parquet, et dut, quand elle revint à elle, rester dans une position très gênante jusqu'à ce que lejour vînt lui permettre de se relever. Elle se fil conduire alors à l’hô- pital de la Charité où elle est entrée le 2 décembre 1 853, au n° 49 de la salle Sainte-Marlhe. Quelques jours après son entrée, M. Briquet eut l'obligeance de m’inviter à examiner ce cas, qui lui paraissait offrir, quant aux troubles de la sensibilité, beaucoup d'analogie avec ceux que nous ob- servions journellement dans son service. Ainsi, M. Briquet avait constaté que Désirée avait perdu la sensibilité tactile et la sensibilité à la douleur sur toute la surface du corps, quelle ne sentait même pas l’excitation élec- tro-cutanée ; que les tissus placés sous la peau (muscles ou os, ou troncs nerveux) étaient aussi insensibles que la peau, excepté dans un point limité du côté gauche du thorax où la pression était douloureuse, et dans lequel se faisaient sentir même souvent des douleurs spontanées ; que la face était également insensible à toutes les excitations; que l’odorat était perdu, et enfin que la vue était très affaiblie à gauche. Quant aux mouvements, nous avions retrouvé les phénomènes que nous avions déjà notés sur les malades frappés, comme elle, d’insensibilité générale et profonde. Lui donnait-on la main, par exemple, elle la serrait avec assez de force ; elle fléchissait ou éten- dait de môme l’avanl-bras sur le bras, etc.; mais elle ne pouvait modérer ses contractions musculaires, de sorte qu’elle serrait toujours avec la même force, si on lui disait de prendre légèrement la main qu’on lui offrait ; elle ne pouvait non plus faire de différence entre un corps léger et un corps pesant; elle ne sentait pas la résistance qu on opposait à ses contractions musculaires ; phé- nomènes qui caractérisent la paralysie du sens musculaire de Ch. Bell. Depuis son entrée, la force musculaire avait encore diminué dans les membres in- férieurs, de sorte qu’elle ne pouvait se tenir debout sans trembler. Enfin, il est encore un autre phénomène que nous avions observé, M. Briquet et moi, dans ces cas d’insensibilité générale et profonde, et qui existait chez elle : c’est qu’on pouvait frapper violemment ses membres, les agiter, les secouer fortement, les changer de place, sans qu’elle en eût la conscience ; puis, comme elle ne sentait pas le lit dans lequel elle reposait, elle éprouvait des saisissements continuels au moment de son réveil, en se croyant menacée d’une chute, et elle n’était complètement rassurée que lorsqu’elle se voyait réellement couchée dans son lit. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. En me livrant à l’examen de cette malade, j’avais découvert qu’elle présentait au plus haut degré Je phénomène qui fait l’objet spécial de ce chapitre. Ainsi, m'étant penché de manière à l'empêcher de voir sa main au moment où je lui disais de la fermer, cette main était restée immobile, bien quelle crût l’avoir fermée; ensuite pendant que je lui avais fait étendre et fléchir l’avant-bras sur le bras, ayant détourné son reyard de ce membre, le mouvement s’était arrêté tout à coup, et le membre était resté dans cette position comme s’il eût été tétanisé. J’ajouterai que la malade, que je voyais pour la première fois, igno- rait ce que je cherchais à constater. Je me décidai alors à livrer à l’observation publique ces phénomènes que j’avais vus assez souvent se reproduire de la même manière depuis plusieurs années, pour être bien certain de leur réalité. Je fis donc constater par les per- sonnes présentes à la visite ce que je venais d’observer chez Désirée, et j’essayai de rendre même ces phénomènes plus saillants en variant les expériences. 1° Après avoir masqué la vue de cette malade, lui disait-on de fléchir l’avant-bras sur le bras ou de l’étendre, quand on l’avait placé dans la flexion, de fermer ou d’ouvrir la main, le membre restait immobile à droite comme à gauche; on voyait seulement quelques mouvements irréguliers et limités du membre, qui an- nonçaient les efforts auxquels elle se livrait pour faire les mouve- ments qu’on lui commandait. Elle croyait les avoir exécutés, et manifestait un étonnement mêlé de chagrin, lorsqu’on lui laissait voir que son membre était resté dans l’inertie. Je variai ces expé- riences aux membres inférieurs comme aux membres supérieurs, jusqu à ce qu il fût bien établi que chez cette malade la contraction volontaire ne pouvait se faire sons le secours de la me, symptômes propres à la paralysie de la conscience musculaire. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE, 2° Voici une autre expérience qui montra, en outre, que ïaction de la volonté unie au concours de la vue était nécessaire à la cessation de la contraction une fois produite. Si, après s’être fait serrer la main, on l’empêchait de voir, et qu’on lui dît de cesser tout effort, on sentait que la contraction de ses fléchisseurs continuait, et il fallait em- ployer une grande force pour lui ouvrir la main; ou bien si, après lui avoir fait fléchir l’avant-bras, on l’empêchait de voir, l’avant- bras restait dans la flexion, et résistait également aux efforts d’ex- tension que l’on exerçait sur lui (on se rappelle que la malade, privée de toute sensibilité, n’a pas la conscience des mouvements qu’on imprime à ses membres). L’expérience suivante établit qu’/è ne suffit pas que le sujet voie pour que ses mouvements soient obtenus, mais qu’il faut encore que son attention soit alors fixée sur le membre à mettre en mouvement. Ayant placé les mains de la malade assez rapprochées l’une de l'autre pour qu’elle pût les voir également bien, je l’invitai à les fermer et les ouvrir toutes les deux à la fois. La flexion des doigts se fil, mais alternativement de chaque côté, et il en fut de même pour- leur extension. Quelque effort qu’elle fît pour obtenir ce résultat, elle ne put faire contracter à la fois les muscles homologues. On voyait que pendant les contractions, elle fixait alternativement son regard sur la main qui entrait en mouvement. 11 ne lui fut pas plus possible de fléchir ou d’étendre simultanément ses avant-bras sur les bras. 3° Cette espèce de suspension de faction motrice volontaire dépen- dait-elle d’un état pathologique des centres nerveux, ou des organes périphériques? Dans cette dernière hypothèse, était-elle l’effet d’un état morbide de la sensibilité cutanée ou des propriétés muscu- laires? Voici les expériences que je lis pour juger ces diverses ques- tions. J’essayai de rétablir la sensibilité de la peau de l’avant-bras et de la main par la faradisation cutanée. Pendant les premières minutes, Désirée n’éprouva aucune sensation dans les points excités, bien que le courant fût intense et rapide. Mais bientôt après elle accusa d’abord un chatouillement, puis une sensation de piqûre et de brûlure qui alla croissant et lui arracha des cris, au point que je fus forcé de diminuer l’intensité du courant. Après quelques minutes de celte excitation, la sensibilité de la peau était en partie revenue dans le point faradisé, mais elle n’en franchissait pas les limites. Je pro- menai de la même manière l’excitation électro-cutanée sur tous les PARALYSIE DE LA CONSCIENCE Ml’SCULAIRE. points de la région antérieure et postérieure de l’avant-bras et de la main, et sur la pulpe des doigts. Après celte opération, la malade sentait vivement les plus légers pincements de la peau, et lorsqu’elle promenait ses doigts sur les draps de son lit, elle en appréciait bien les inégalités; enfin, elle distinguait les corps chauds des corps froids. La sensibilité tactile et douloureuse étant ainsi rappelée en partie, je commandai à Désirée de mouvoir la main ou les doigts sans les regarder, mais elle ne remua pas plus qu’auparavant, bien que je stimulasse sa sensibilité cutanée en frottant ou en pinçant la peau de son avant-bras et en frappant sur la pulpe de ses doigts, ce qui l’affectait désagréablement. Il m'était démontré par cette expé- rience que la sensibilité de la peau ne pouvait remplacer chez elle le sens de la vue dans la production des mouvements volontaires. ,1e dirigeai ensuite l’excitation électrique sur les muscles de l’avant-bras et de la main du côté opposé (du côté droit), commen- çant par les interosseux de la face dorsale de la main, de manière que la malade ne pût voir les mouvements partiels de ses doigts. La contraclilité électro-musculaire était parfaitement normale, mais Désirée ne commença à ressentir l’excitation qu’après trois ou quatre minutes. La sensation qu’elle comparait d’abord à une pulsation devint bientôt presque douloureuse. Cessant alors l’excitation mus- culaire, je lui commandai de faire un mouvement quelconque de sa main droite, que je ne lui laissai pas regarder (bien entendu), et je vis très distinctement ses doigts exécuter seulement les mouvements qui appartiennent à l’action propre des interosseux, c’est-à-dire que ses premières phalanges se fléchirent pendant que les deux dernières s’étendaient ; mais le pouce resta immobile. Plusieurs fois dé suite elle fit ce même mouvement, après que je lui avais placé les doigts dans différentes positions. (Si l’on venait à m’objecter que j’ai été la dupe de quelques supercheries, ce que les expériences déjà faites sur la malade ne me permettaient pas de craindre, je répondrais seulement en rappelant cette dernière expérience, à moins cepen- dant qu’on ne suppose que Désirée connaissait l’action de ces mus- cles.) Je localisai successivement l’excitation électrique dans les muscles du pouce, qu’elle put contracter à leur tour, puis dans les extenseurs et les fléchisseurs des doigts et du poignet, de sorte qu’elle recouvra successivement à ma volonté tous les mouvements de la main. J’avais eu soin d’humecter largement la peau de manière à ne pas l’exciter; c’est pourquoi cette peau était restée aussi insensible qu’avant l’excitation musculaire. Ainsi, je pouvais la pincer, la piquer, la brûler, sans que la malade en eût la conscience. Mais si je comprimais le bras, si je le frappais, elle éprouvait une sensation profonde que je pouvais porter jusqu’il la douleur. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. Je dois noter ici que souvent la malade a perdu, par de nouvelles attaques, ce qu’elle avait gagné la veille, de sorte qu’il m’a été pos- sible de renouveler chaque jour ces expériences. Elles ont été faites en présence d’un grand nombre d’observateurs, parmi lesquels j’en pourrais citer qui jouissent d’une grande autorité. J’ajouterai enfin que, pendant que je rappelais la sensibilité cutanée au membre supérieur gauche, M. Briquet la rappelait au membre inférieur du même côté avec les sinapismes et l’huile de croton tiglium ; que le retour de la sensibilité cutanée aux membres inférieurs n’avait pas plus modifié l’état des mouvements qu’au membre supérieur de ce côté, tandis que l’excitation musculaire du membre inférieur droit y avait, comme au membre supérieur de ce côté, rappelé en partie l’aptitude aux mouvements volontaires sans le secours de la vue. Puisque dans cette dernière expérience, la faradisation muscu- laire a rendu aux muscles la faculté de se contracter volontaire- ment, sans l’aide de la vue, puisque le rétablissement de cettefaculté a été parfaitement limité à chacun des muscles qui avaient reçu cette excitation directement, il est permis d’en conclure que cette espèce de faculté motrice indépendante de la vue, siège dans les muscles, a moins que l’on dise que l’excitation faradique, quoique localisée dans le muscle, a exercé par l’intermédiaire de son nerf propre, une action sur un point du centre nerveux qui envoie le mouvement à ce muscle. Mais de ces deux hypothèses, la première me paraît la plus vraisemblable. On a remarqué que la faradisation musculaire a rétabli, à la fois, et la sensibilité musculaire et la contraclilité volontaire, indépen- dante de la vue. Il semblerait alors rationnel, au premier abord, d’en conclure que la sensibilité musculaire (ou sens musculaire de Ch. Bell) et que l’aptitude que possède le muscle à se contracter volontairement et indépendamment de la vue (la conscience mus- culaire), sont absolument identiques, et que la paralysie de la se- conde est seulement un degré plus avancé de la première. C’est une objection qui m’a été faite. Il me sera facile de démontrer qu’elle n’est que spécieuse. On n’a pas oublié, en effet, que des sujets privés complètement de sensibilité (ni le feu, ni la faradisation, ni les coups, ni les mouvements les plus violents, imprimés à leur membres, ne provoquent la moindre sensation et s’ils ont alors les yeux fermés, ils ne perçoivent pas les violences exercées sur ces membres), que ces sujets, dis-je, peuvent cependant exécuter, même avec force, toute espèce de mouvements dans l’obscurité. Ils ont DÜCHENNE. IVUtAI.VSIK l)K I.A CON CîENCE MlISf.UUIllK seulement perdu alors la sensation d'activité musculaire. le sens musculaire de Ch. Bell. Consêquemment si leurs membres vien- nent ensuite à être frappés de paralysie absolue, par le seul fait de la suspension de la vue, il serait irrationnel, pour ne pas dire ab- surde, de l’attribuer à un plus haut degré de paralysie de la sen- sibilité musculaire? On doit donc seulement conclure de cette dernière expérience que la faradisation musculaire qui a modifié l’état de la paralysie de la sensibilité des muscles, a modifié en même temps l'état de para- lysie de l’espèce d’aptitude motrice que j’ai appelée conscience mus- culaire. Quelle critique acerbe m’a déjà value cette dernière dénomination ! Examinons donc si elle était nécessaire et si elle est juste. 1° A tout phén mène nouveau ou inconnu dans la science, il faut une dénomination nouvelle, sinon, comment le désigner, dans le discours ou dans le langage, autrement que par une définition ou une circonlocution? Or, le phénomène physiologique et pathologique qui fait l’objet de ce paragraphe est incontestable. 11 a déjà subi l’épreuve du temps et de l’observation clinique; car, depuis la publication de mon pre- mier travail sur cette question (depuis 1856), des faits nouveaux sont venus corroborer mes premières observations. L’un d’eux a été recueilli à l’hôpital de la Charité, je l’ai publié dans mon mémoire sur l’ataxie locomotrice progressive (1). Lu second fait, recueilli à l’Hôlel-üieu, service de M. Jobert (de Lamballe), a fait le sujet d’une note intéressante publiée dans la Gazette médicale (1856) par M. le docteur Martin Magron, qui l’a interprété, au point de vue physiologique, dans un sens favorable à l’existence réelle de cette propriété musculaire (dont il a critiqué, peut-être avec raison, je l’avoue, la dénomination que je lui ai donnée) (1). Non-seulement ce phénomène est incontestable, mais il est nou- veau dans la science. Ce fait est reconnu par tout le monde, même par celui qui a le plus puissamment combattu les déductions que j’en ai tirées (2). Donc, le phénomène physiologique et pathologique dont je dé- fends l’existence étant incontestable et nouveau dans la science, il lui fallait une dénomination distinctive. 2° La dénomination que j’aie choisie (conscience musculaire) est- (1) Archives générales de médecine, 1859. (2) Voici en quels termes il a reconnu l'existence réelle du phénomène dont il est question : « Il paraîtrait même que dans certains cas ils (les malades dont elle juste? La meilleure dénomination est, à mon sens, toujours attaquable, et je savais que j’allais prêter le flanc à la critique en donnant un nom au phénomène musculaire dont je venais de dé- couvrir l’existence. Comme elle a été attaquée, je dois dire pourquoi je l’ai adoptée, bien que je sois prêt à en faire le sacrifice, si l’on en trouve un autre qui soit plus juste. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. Donner le nom de sens musculaire de Ch. Bell ou de sentiment d’activité musculaire à ces phénomènes, c’était soutenir, contraire- ment à toute logique, Videntité des faits pathologiques dans lesquels, par le fait de lasuspension de la vue, la motilité est complètement abo • lie, et de ceux dans lesquels les mouvements peuvent toujours être exécu- tés sans l’aide de la vue. J’aurais pu appeler ce phénomène aptitude motrice indépendante delà vue, puisque, dans les faits pathologiques qui l’ont mis en lu- mière, les malades avaient perdu celte propriété. Celte dénomina- tion, qui n’est que l’expression du fait, eût été irréprochable, mal- heureusement elle était trop longue, et je n’ai pas trouvé un mot simple qui pût remplacer cette circonlocution. Alors je lui ai pré- féré une dénomination courte qui rappelle la théorie de ce phéno- mène musculaire. Je vais dire comment j’en comprends la mécanique. Il est évident que chez tous les sujets qui ont été atteints de l’affection que j’ai appelée paralysie de la conscience musculaire, la volonté n’avait le pouvoir de mettre les muscles en contraction qu’à une seule con- dition : c’était qu’elle fût éclairée par la vue. On savait déjà que le sens de la vue exerce une grande influence sur la motilité. Tout le monde connaît l’expérience curieuse de M. Chevreul qui démontre cette influence de la vue sur le mouvement. On connaissait aussi, j’ai rapporté les observations) perdent la faculté de se mouvoir, lorsqu'on les prive de la vue... C’est à M. Duchenne {de Boulogne) qu’est due la découverte de celte particularité intéressante. Je n’ai pas eu l’occasion d’observer ce fait aussi nettement que M. Duchenne. Il est cependant impossible de le nier, en présence des détails si précis fournis par cet observateur.» {Moniteur des hôpitaux, 1858, p. 1198.) Gomment, après cet aveu, comprendre que ce même auteur soit venu soutenir, dans le travail même où il publie la note précédente, que mes faits sont iden- tiques avec ceux qu’il a publiés en 1833 {loc. cit.)? Pourquoi donc, faisant gémir la presse de ses lamentations, a-t-il crié au plagiaire dans un langage qui a affligé tous les amis de la science, et qui ne m’a pas permis de le suivre sur ce terrain? Pourquoi aussi ces réclamations de priorité pour les faits qu’il a publiés eu 1833, et qui se trouvent être, sans qu’il s’en doute (je veux bien le croire) la reproduc- tion publiée par Ch. Bell? depuis les recherches de Ch. Bell, le concours important que la vue peut apporter à la faculté coordinatrice des mouvements, puisque cette faculté, qui ne peut s’exercer dans l’obscurité quand la sensi- bilité musculaire est paralysée, recouvre toute sa liberté d’action par le seul concours de la vue. Mais ou ignorait que le pouvoir du sens de la vue pût aller jusqu’à rétablir intégralement la contrac- tilité volontaire alors que, dans certaines conditions pathologiques, elle était complètement suspendue. PARALYSIE DE LA CONSCIENCE MUSCULAIRE. La pathologie nous montre donc que la mécanique des mouve- ments volontaires n’est pas aussi simple qu’on le croyait en phy- siologie. Elle nous apprend que pour que la volonté puisse produire un mouvement, il ne suflit pas que le cerveau, l’organe moteur, ait conservé la propriété de faire osciller ou vibrer la matière impon- dérable (le tluide nerveux) qui provoque la contraction musculaire, qu’il ne suffit pas que la moelle, les nerts et les muscles jouissent de leur excitabilité; mais qu’il faut, pour que les ordres moteurs de la volonté soient exécutés, que le cerveau soit encore éclairé ou par la vue ou par une autre faculté spéciale qui puisse au besoin suppléer le sens de la vue. 11 ressort en effet des faits pathologiques que j’ai rapportés que sans cette dernière faculté ou sens (comme on voudra l’appeler), nous ne pouvons pas nous mouvoir dans l’obscurité, que nous ne pouvons exécuter le moindre mouvement sans que le regard se fixe sur le membre et même sur la partie d’un membre à mettre en mouvement, à tel point qu’il serait impossible, par exemple, de fermer ou d’ouvrir les deux mains à la fois, et que ces deux mou- vements ne se feraient qu’alternativeinent et nécessairement avec le concours du regard et de l’attention. Ce sens qui paraît résider dans le muscle (puisqu’on peut le rap- peler, par la faradisation de ce muscle, quand il est abolie) qui n’est pas la sensibilité musculaire, qui établit une relation intime entre le muscle et le cerveau, qui enfin permet à celui-ci de pro- voquer le mouvement sans l’intervention de la vue, j’ai cru bien l’ex- primer par le nom de conscience musculaire. Mais hélas! celte dé- nomination, comme je l’ai déjà reconnu, ne repose que sur une théorie. Si celle-ci n’est pas exacte (ce que l’avenir jugera), qu’on cherche une autre dénomination, je fais bon marché de la mienne. Je défends seulement ici le fait physiogique et pathologique que je crois acquis à la science. Conclusions. — I. 11 paraît exister un sens qui siège dans le muscle et qui sert à l’accomplissement de la contraction musculaire volontaire, qui, dans l’absence de la vue, éclaire, pour ainsi dire, ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. le cerveau, avant que ce dernier, obéissant aux ordres de la volonté, provoque la contraction musculaire. II. Il ne faut pas confondre la conscience musculaire, qui, dans l’acte des mouvements volontaires, semble précéder et déterminer la contraction, avec la sensation qui donne le sentiment de la pe- santeur, de la résistance, etc., et qui a été appelée sens musculaire par Ch. Bell, et sensation d’activité musculaire par RI. Gerdy. Cette dernière sensation est le résultat ou le produit de la contraction musculaire. 111. La conscience musculaire peut exister indépendamment de la sensation d’activité musculaire. IV. Elle est nécessaire à la contraction musculaire volontaire et à la cessation de cette contraction. Cependant le sens de la vue est l’auxiliaire de la conscience musculaire qu’il peut suppléer. V. La perte de la conscience musculaire et du sens de la vue pro- duit nécessairement la paralysie des mouvements volontaires (1). CHAPITRE XY. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Quelques considérations historiques. Les recherches qui ont été faites sur cette maladie, les dénomina- tions diverses sous lesquelles on l’a désignée, sont toutes contempo- raines. Aussi ne peut-on en parler sans toucher à des questions de personnes. Les intéressés sont toujours de mauvais juges dans ces questions de priorité, et fussent-ils d’une parfaite loyauté, ils s’ex- posent toujours en les soulevant à laisser quelque arrière-pensée (l) Muller me semble avoir entrevu la propriété dont je viens de démontrer l’existence par l’observation pathologique. « Il n’est pas bien certain, dit-il, que l’idée de la force employée à la contrac- tion musculaire dépende uniquement de la sensation. Nous avons une idée très exacte de la quantité d’action nerveuse parlant du cerveau qui est nécessaire pour produire un certain degré de mouvement 11 serait très possible que l’idée du poids et de la pression, dans le cas où il s’agit soit de soulever, soit de résister, fût, en partie du moins, non pas une sensation dans le muscle, mais une notion de la quantité d’action nerveuse que le cerveau est excité à mettre enjeu « [Manuel de physiologie, trad. Jourdan, 2e édition revue et annotée par E. Littré. Paris, 1851, t. H, p. T90.) atrophie musculaire graisseuse progressive. dans l’esprit du public. Cependant tout le monde sait aujourd'hui combien la Faradisation localisée a contribué à mettre en lumière cette alîection musculaire. Et puis il ne m’est plus permis de passer sous silence un travail électro-pathologique connu maintenant de beaucoup de personnes, et que j’ai adressé, en mai 1849, à l’Aca- démie des sciences, dans le but de démontrer l’existence de cette espèce morbide. 11 n’est donc pas inopportun (ne serait-ce que pour mieux faire ressortir l’importance de ma méthode d’électrisation et les découvertes que l’on doit à son application) de dire quelques mots sur l’origine de mes recherches sur ce point de pathologie. Je commençais à peine mes expériences électro-musculaires, que déjà j’étais Frappé de certains phénomènes étranges que je pris d’abord pour des anomalies, mais qui, en raison de leur Fréquence, devinrent pour moi les signes d’une maladie nouvelle, ou du moins non encore décrite. C’est cette maladie que j’appelai plus tard atrophie musculaire avec transformation graisseuse. Ces phénomènes, sur lesquels j’attirais publiquement, chaque jour, l’attention de mes confrères (et parmi eux je puis citer mes amis, MM. Brière de Boismont et Thirial), en répétant mes expériences aux lits des malades, me conduisirent à étudier comparativement, à l’aide de la faradisation localisée, les autres espèces d’atrophies musculaires spontanées. Deux années après, j’étais en mesure d’é- crire un travail sur ce sujet. Le passage suivant que j’extrais de l’introduction de ce travail peut donner une idée de l’importance de mes recherches sur l’atro- phie musculaire. « On a pu jusqu’à présent confondre, sous le nom d’atrophies musculaires, des maladies essentiellement différentes par leurs causes, par leurs caractères anatomiques, par les troubles Fonction- nels qui les accompagnent, et enfin par le traitement qui leur est applicable. Ce sujet, peu exploré jusqu’à présent, me paraît un des plus intéressants de la pathologie. » Il est certaines conditions pathologiques dans lesquelles on voit les muscles diminuer de volume. A quelque degré que soit porté cet état, les fibres musculaires sont toujours alors conservées avec tous leurs caractères anatomiques, bien qu’elles pâlissent un peu, bien que leur quotité ne soit plus la même. Les fibres ne perdent aucune de leurs propriétés, seulement la force musculaire est dimi- nuée en raison du degré de l’atrophie et de l’anémie du muscle. C’est un simple amaigrissement musculaire. » Sous l’influence d’autres causes que nous exposerons plus tard, non-seulement le muscle s’atrophie jnais il est profondément altéré dans sa nutrition. Ou voit, par exemple, des libres disparaitre peu à peu, en tout ou en partie, pour faire place à du tissu graisseux. Ainsi, certains muscles n’olïrent plus que de la graisse; d'autres sont plus ou moins altérés dans quelques points seulement, et les libres mus- culaires non encore détruites sont décolorées. Souvent aussi, dans certains cas, dès le début de la maladie, on observe que le muscle a perdu quelques-unes de ses propriétés, la contractilité volontaire et électrique. {Ceci ne s’applique pas, bien entendu, au muscle qui, n’étant plus composé que de tissus graisseux et fibreux, ne peut plus jouir des propriétés qui lui sont spéciales.) QUELQUES CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES. » En résumé, bien que l’atrophie musculaire soit le point de dé- part des lésions musculaires dont nous venons d’esquisser les prin- cipaux traits, nous voyons que leur marche et leur terminaison dif- fèrent essentiellement entre elles. En effet, dans l’une, les muscles s’amaigrissent et perdent une plus ou moins grande quantité des fibresqui les composent, tandis que, dans l’autre espèce d’atrophie, la fibre musculaire est altérée dans sa texture ou disparaît pour faire place à du tissu graisseux. » Il résulte des considérations précédentes que, pour éviter toute confusion, ces affections diverses doivent être désignées sous des noms différents : ainsi, le nom à'atrophie musculaire simple nous paraît convenir à celle dans laquelle la fibre musculaire est toujours intacte, tandis que celui d'atrophie musculaire avec transformation graisseuse, appliqué à l’autre lésion de nutrition de la fibre muscu- laire, rappelle un de ses caractères principaux. » Etudiant ensuite l’atrophie musculaire simple, je rangeai dans cette première classe celle qu’on observe dans le marasme essentiel (sans lésion connuedes organes) celle qui est produite par le défaut d’alimentation (1), par les maladies chroniques, par les cachexies, et enfin celle qui est occasionnée par le défaut de mouvement, (1) Je dois à l'obligeance de M. le docteur Lebert, dont l’autorité est grande en micrographie, la communication d’une note qui a trait à cette question, et que j’avais insérée dans mon travail Je me fais un plaisir d’en citer un extrait qu’il m’avait autorisé à publier... «Dans le premier de ces cas (lorsque l’atro- phie musculaire est la conséquence de l’émaciation) le résultat de nos observa- tions faites sur des animaux inférieurs ou sur des vertèbres soumis à un jeûne prolongé a été tout à fait conforme à celui obtenu dans l’étude des muscles chez l’homme, lorsqu’une maladie aiguë, telle que la fièvre typhoïde, ou une maladie chronique, telle que la phthisie tuberculeuse ou le cancer, a conduit le malade au dernier degré d’érnacialion. Dans tous ces cas, la texture des muscles n’est pas positivement altérée. Peut-être y a-t-il diminution dans les enveloppes cellu- leuses comme le périmisium, mais le fait est que l’on constate dans ces circon- comme on l’observe souvent à la suite des paralysies de causes cérébrales. Je citerai encore à cette occasion un passage de mon travail. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. « Consécutivement aux lésions organiques du cerveau, on ob- serve souvent, abstraction laite de l’état des mouvements volon- taires, l’atrophie musculaire. Mais, quel que fût le degré de la para- lysie, quelque ancienne que fût la maladie, nous avons jusqu’à pré- sent constaté que les muscles avaient conservé leurs propriétés, c’est-à-dire leur contractilité et leur sensibilité électro-musculaires. Dans ces cas, le tissu musculaire n'est pas transformé en tissu grais- seux, il est seulement pâle et a subi une espèce d’amaigrisse- ment. » La seconde classe d’atrophies musculaires, celle dans laquelle la fibre musculaire estaltérée dans son tissu, me paraissait appartenir à trois espèces de maladies parfaitement distinctes ; la première est produite par le défaut d’influx nerveux spinal consécutivement à la lésion soit de la moelle, soit des nerfs qui en émanent; la seconde dépend d’une seule cause spécifique, l’intoxication saturnine, par exemple ; la troisième espèce, enfin, dont la cause ne me paraissait pas alors pouvoir être attribuée à une lésion appréciable des centres ner- veux, et que je rapportai ci une lésion périphérique, m'apparaissait comme une maladie nouvelle, non encore décrite. Dons les deux pre- mières espèces d’atrophie, les troubles du mouvement sont les premiers phénomènes musculaires qui apparaissent ; V atrophie des muscles, leur altération de tissu ne sont que secondaires. Ce sont des paralysies atrophiques avec transformation graisseuse. Dans la troisième espèce d'atrophies, l’altération de nutrition de la fibre musculaire est primi- tive, l’affaiblissement ou la perte des mouvements est principalement le résultat de la diminution et de la transformation graisseuse des fibres musculaires. Cette dernière affection est l'atrophie musculaire avec transformation graisseuse proprement dite. C’est sous cette der- stances l’intégrité des éléments propres aux muscles et surtout l’absence de trans- formation graisseuse. Nous n’avons pas pu confirmer l’observation faite par M, Valentin, que dans l’inanition, les libres ou plutôt les faisceaux primitifs des muscles subissent une espèce de ramollissement central. La seule exception de transformation graisseuse, dans le marasme, se trouve dans ces cas infiniment rares, que M. Bizot (de Genève) a signalés le premier, dans lesquels le cœur subit, dans une période assez avancée de la phthisie, une véritable infiltration graisseuse. » — De mou côté, j’avais produit artificiellement le dernier degré de l’atrophie musculaire, chez des chiens, par une alimentation insuffisante. Jusqu’à leur dernier soupir j’avais constaté l’existence de leurs muscles par l’intégrité de la contractilité et de la sensibilité électro-musculaires. nière dénomination que je proposai, dans mon travail à l’Jnstitut, de la foire entrer dans le cadre nosologique. QUELQUES CONSI DÉ HATIONS HISTORIQUES. 441 J’ai démontré aussi dans ce travail que l’atrophie musculaire avec transformation graisseuse, locale au début, tend toujours à se géné- raliser, qu’elle est quelquefois héréditaire, et que le travail forcé de la contraction musculaire est une de ses principales causes occa- sionnelles. Telle est l’analyse rapide, ou plutôt tel était le plan de mon travail sur les atrophies musculaires, dont le but unique était de démontrer par des faits qu'il existe une affection purement musculaire, qui se distingue par ses symptômes, sa marche et sa terminaison, des para- lysies dans lesquelles on observe l’atrophie musculaire consécutivement, aux lésions du cerveau, de la moelle ou de ses nerfs et à l’intoxication saturnine ;je voulais prouver enfin que ces dernières affections sont des paralysies atrophiques simples ou graisseuses, tandis que la première est uniquement une lésion de nutrition caractérisée par l'atrophie et par la transformation graisseuse de la fibre musculaire, comme l'indiquait la dénomination que je lui avais donnée. Ges faits curieux d’atrophie musculaire avec destruction de tissu, dont chaque matin depuis 1847, je démontrais l’existence par l’exploration électro-musculaire, dans les différents services de la Charité, faisaient quelque bruit. Déjà j’entendais parler de thèses qui allaient être publiées sur ce sujet par des élèves qui sui- vaient mes expériences. Aussi ai-je vu avec plaisir que l’histoire de cette maladie allait être écrite par une plume savante, par mon ami M. Aran, qui déjà, en 1848, avait publié un cas d’atrophie semblable à ceux que j’avais déjà recueillis, et dans lequel nous avions examiné ensemble l’état de la contractilité et de la sensibilité électro-musculaires. Désirant couper court à toutes les interpréta- tions désobligeantes qui ont été faites sur ce sujet, M. Aran m’avait engagé à déclarer que cette histoire est notre œuvre commune. Je ne l’ai pas jugé nécessaire : 1° parce que dans son travail, mon honorable ami avait prévenu le lecteur que je l’avais autorisé à ex- traire toutes les observations de mon mémoire, et conséquemment qu’il avait pris connaissance de ce mémoire; 2° parce qu’il a écrit que nous avons exploré ensemble l’état de la contractilité et de la sensibilité musculaires dans les autres observations dont il est question dans ce travail; 3° enfin, parce qu’il a accepté et déve- loppé les propositions qui ressortent de tous ces faits et que j’avais déjà formulées. Mais je me hâte d’ajouter que l’honneur de la ré- daction et de la composition de son travail lui revient en entier. Il s’est trouvé, pour l’atrophie musculaire graisseuse progressive. comme pour toutes les espèces morbides nouvellement décrites, que la symptomatologie n’avait pas complètement échappé à l’ob- servation. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. 11 résulte, en effet, des recherches bibliographiques exposées par M. Aran, que les faits d’atrophie musculaire graisseuse progressive ne sont pas absolument nouveaux dans la science, comme je l’avais cru primitivement. Cet auteur en a réuni qui étaient généralement inconnus et qui avaient été publiés isolément par Ch. Bell (1), Abercrombie (2), M. ,1. Darwall (3) (observation d’une espèce par- ticulière de paralysie) et M. le docteur Dubois (observation d’atro- phie des muscles moteurs de l’humérus). Ces faits isolés montrent incontestablement que les auteurs qui les ont publiés ont entrevu l’atrophie musculaire dont il est question dans ce chapitre; mais ils ne pouvaient en démontrer l’existence réelle, comme espèce mor- bide distincte, car ils n’en possédaient pas les éléments de dia- gnostic différentiel, puisés dans la connaissance des affections mus- culaires avec lesquelles on peut la confondre et dont on ne peut la distinguer sans l’exploration électro-musculaire. C’est ce que j’éta- blirai, du reste, dans ce chapitre. Enfin, pour compléter ces considérations historiques, je dois rap- peler (ce que j’ai toujours été heureux de reconnaître) que la prio- rité des recherches anatomo-pathologiques, surtout sur l’état des centres nerveux, revient tout entière à M. le professeur Cruveilhier, qui, en 1853, a fait à l’Académie de médecine une savante commu- nication sur cette importante question (û). Mais il n’en est pas moins bien établi, contrairement à certaines assertions, que l’anatomie vivante (l’exploration électro-musculaire) et l’étude clinique de cette maladie avaient devancé l’anatomie pathologique. D'ailleurs, pour ce qui a trait à cette question d’anatomie pathologique, j’aurai à dé- montrer que le fait principal découvert par mon éminent maître (l’atrophie des racines antérieures de la moelle) n’a plus la valeur qu’il lui avait attribuée primitivement, puisque ce fait n’est pas constant. Je démontrerai en outre que s’il eut été réellement con- stant et le point de départ de la maladie, il eût renversé la plus belle découverte de Ch. Bell : la propriété motrice des racines an- térieures de la moelle. (1) Traité sur le système nerveux, p. 160. (2) Maladie de l’encéphale, trad. de Geudrin, p. 612. (3) Tandon médical Gazette, t. VII, p. 301, 1831. (4) Sur la paralysie musculaire progressive alrophiquc (Archives générales de médecine, 1853, p. 561). PATHOLOGIE ET ELECTRO-PATHOLOGIE. 443 ARTICLE PREMIER. PATHOLOGIE ET ÉLECTRO-PATHOLOGIE. Il a été établi, dans les considérations historiques précédentes, 1° que la première description de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, publiée par M. Aran, en 1850, a été écrite, en grande partie, d’après les laits que j’avais recueillis; 2° que l’auteur de cette belle description en avait tiré des déductions semblables, pour le fond, aux propositions que j’avais formulées moi-même, en 1849, dans mon mémoire à l’Institut, au point de vue de la symptomato- logie, du diagnostic différentiel et des causes de celte maladie. La publication tardive de ce mémoire très court et qui avait été écrit seulement dans 1e but de démontrer l’existence d’une entité morbide, musculaire, nouvelle, eût donc été une superfétation. C’est pourquoi je me suis borné depuis lors à publier trois études sur celte affection musculaire. — La première a puru en février 1853, dans le Bulletin de thérapeutique sous le titre suivant : De la valeur de iélectrisation localisée comme traitement de l’atrophie musculaire progressive. Elle sera reproduite eu partie dans ce chapitre. — La seconde a été publiée en avril 1853, dans les Archives générales de médecine, sous le titre suivant : Etude comparée des lésions anato- miques dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive et dans la paralysie générale. J’en extrairai les idées principales en temps opportun. — Enfin, dans une troisième étude, j’ai traité du dia- gnostic différentiel de l’atrophie musculaire progressive d’avec d’autres paralysies générales. Cette courte étude a été exposée dans la précé- dente édition de ce livre, page 612. En 1849, je n’avais recueilli qu’une douzaine d’observations d’atrophie musculaire graisseuse progressive qui ont été les élé- ments de la description de cette maladie progressive; et en octobre 1859, j’en possédais déjà 159 cas, sur lesquels j’ai recueilli des ob- servations ou des notes, sans compter un grand nombre d’autres cas que j’ai vus trop passagèrement pour en avoir conservé le souvenir. C’est d’après ces faits nombreux, recueillis pendant une période de dix années, qui me sont venus d’un grand nombrede points du globe, c’est, dis-je, d’après cette vaste observation que je vais essayer d’é- crire une nouvelle description de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, en m’attachant surtout à contrôler l’exactitude des di- verses propositions qui ont été émises sur cette affection musculaire ou à les compléter par de nouvelles observations. C’est donc une étude critique autant qu’une description que j’ai à exposer. Les limites de ce livre me commandent de le taire succinctement. Je serai donc forcé de supprimer la plupart des observations dont la relation occuperait plusieurs centaines de pages. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. § I. — Symptômes. A.— Troubles apparents dans la contraclililé volontaire, occasionnés par l'atro- phie des membres. —Contractions fibrillaires. — Diminution de la chaleur. I. Le premier phénomène morbide accusé par les malades atteints d’atrophie musculaire progressive, est toujours ou une gêne ou une faiblesse d’un mouvement ou l’impossibilité de l’exécuter. Us ne manquent jamais d’attribuer ce trouble fonctionnel à une paralysie musculaire; c’est aussi la première idée qui frappe alors l’esprit du médecin. Cependant, si l’on examine attentivement l’état du muscle producteur du mouvement lésé, on observe que ce muscle est atro- phié en raison directe du degré de la faiblesse de ce mouvement. Il n’est pas possible de constater l’existence de cette atrophie avec la vue, lorsque le muscle est situé dans les couches profondes. Si, par exemple, l’atrophie du deltoïde est toujours facile à reconnaître, il n’en est pas de même de celle du grand dentelé qui est situé pro- fondément. L’abondance du tissu cellulo-graisseux sous-cutané masque également l’atrophie musculaire. Je ferai voir bientôt que l’exploration électro-musculaire seule peut, dans ces cas, mettre en évidence l’existence de l’atrophie musculaire. Supposons, cependant, que l’atrophie primitive ait passé inaperçue, on ne tarde pas alors à constater, malgré cela, qu’elle joue le rôle le plus important dans les troubles fonctionnels de la locomotion, si l’on suit la marche et le développement de l’affection musculaire dont il est ici question. En effet, d’autres muscles bientôt atteints à leur tour s’atrophient progressivement, et l’on remarque qu’ils n’en continuent pas moins d’obéir à la volonté. Mais quand ils ont perdu une certaine partie de leur volume, alors seulement la puissance de leur contraction commence à diminuer d’une manière appréciable. Cet affaiblissement de la force musculaire progresse parallèlement avec la diminu- tion de la quantité des libres musculaires. C’est seulement dans une période ultime, alors que ces dernières sont altérées dans leur tissu ou bien lorsqu’elles ont fait place à un tissu graisseux, que la con- traction volontaire a complètement disparu dans le muscle lésé. (Je reviendrai en temps opportun sur ce dernier fait d’anatomie pa- thologique.) Tel est le fait clinique qui, sauf quelques rares exceptions, s’est SVMPI’.—TROUBLES APPARENTS DE LA CONTRACTIL1TÉ VOLONTAIRE. reproduit constamment dans les cas que j’ai recueillis; c’est ce que j'ai démontré des centaines de fois dans les hôpitaux et dans ma polyclinique, par l’analyse des mouvements volontaires et par l’ex- ploration électro-musculaire. Je ne sache pas que l’atrophie muscu- laire se soit comportée différemment dans les cas rapportés par les auteurs qui ont étudié cette maladie. Il est donc parfaitement établi par l’observation clinique, que la faiblesse ou l’absence de mouve- ment dans un muscle atteint par l’affection musculaire dont il est ici question, est le produit de l’atrophie de ce muscle ou de son altération de tissu, et non le résultat de sa paralysie, c’est-à-drre du défaut d’action nerveuse motrice. Est-ce à dire que le muscle qui souffre ainsi dans sa nutrition conserve toute l’énergie de contractilité dont il pourrait jouir, à l’état normal, avec la même quantité de libres? Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. L’on comprendrait difficilement, d’ailleurs, qu’un tel travail morbide de cet organe laissât complètement intacte la force musculaire, bien que j’aie souvent vu des muscles posséder encore une force considérable, après avoir perdu un bon tiers de leur volume. Je crois que cette force musculaire n’était pas normale, quelquefois même, mais c’était l’exception, j’ai constaté qu’elle avait diminué notablement, qu’elle n’était pas en rapport avec le volume des muscles. Mais c’était toujours le produit du travail morbide et organique, local, et toujours aussi les muscles, qui se contractaient, pour ainsi dire, jusqu’à ce que la dernière de leurs fibres fût frappée de mort, jusqu’à ce que leur tissu fût détruit. II. Les muscles menacés ou affectés dans leur nutrition, sont souvent agités par de petites contractions librillaires ou partielles. Quand les contractions fibrillaires ont lieu, on voit la peau alter- nativement soulevée et déprimée comme par des cordes très fines qui se tendent et se relâchent ensuite dans la direction des muscles dans lesquels elles se produisent. Elles sont très courtes, mais se succèdent assez rapidement (à des intervalles de deux à quatre se- condes), et se montrent sur plusieurs points de la surface des mus- cles. D’autres fois on les voit agités par de petits mouvements comme vermiculaires. H est des sujets chez lesquels ces contrac- tions sont presque continues, occupant tout un membre et une grande partie de la surface du corps; chez d’autres, au contraire, il faut une grande attention pour en constater quelques-unes rares et faibles. Il faut pour ainsi dire les appeler soit en provoquant une contraction volontaire ou électrique, soit en frappant, ou en com- primant, ou en pinçant les muscles. C’est après ces excitations qu’on les observe plus fortes et plus nombreuses. Les contractions partielles ou par faisceaux impriment quelque- fois aux membres de petits mouvements, appréciables surtout dans les doigts et le pouce. Elles sont comme les mouvements précédents, très courtes et intermittentes, mais plus rares. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Les contractions musculaires partielles et übrillaires sont per çuespar les malades qui comparent les premières à un léger frémis- sement superficiel, et les secondes à des secousses très faibles et très limitées. Il ne faut pas accorder à ces petits spasmes partiels ou fibrillaires une importance exagérée, et croire, ainsi que plusieurs auteurs l’ont écrit, qu’ils sont inséparables de l’atrophie musculaire graisseuse progressive. En effet, on ne les rencontre pas toujours dans cette affection ; il ne m’a pas été possible, du moins, de constater leur existence, dans un bon cinquième à peu près des cas que j’ai eu l’occasion d’observer. J’ai même vu des sujets arriver au dernier terme delà maladie sans avoir accusé une seule fois ce symptôme. D’autre part, les contractions fibrillaires se montrent dans plusieurs autres affections musculaires. III, L’abaissement de la température du membre affecté est un symptôme constant de l’atrophie musculaire graisseuse progres- sive ; mais je ne l’ai vu apparaître que lorsque la maladie est arrivée à une période assez avancée. Les malades éprouvent d’abord dans le membre atrophié une sensation de refroidissement; ils sont très sensibles au froid, et plus tard on constate par le toucher un abaissement de température de ce membre. Alors la circulation capillaire y est moins active; les veines cutanées sont développées, et la peau prend rapidement une coloration violette par l’impres- sion du froid. B. Étal de la contractilité et de la sensibilité électro-musculaires. I. La contractilité électro-musculaire est normale dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Ce fait est mis hors de doute par une longue expérimentation. Cependant, à une période avancée de l’atrophie d’un muscle, il faut prendre garde de se laisser tromper par les apparences. Ainsi, faradise-t-on ce muscle réduit à un très petit volume, alors qu’il est arrivé aux dernières limites de l’atro- phie, on remarque qu’il ne meut pas ou ne meut que faiblement le membre ou la portion du membre auquel il est destiné, surtout si ses muscles antagonistes intacts s’opposent à son action par leur résistance tonique. On aurait tort d’en conclure que la contrac- tilité de ce muscle est affaiblie ; cela signifie seulement que la SYMPTÔMES. — É 1 AT DE I.A CONTRACTII.ITK ÉLECTRO-MOSCül.AIRE. quantité doses libres n’est plus assez grande pour mouvoir nor- malement le membre. On doit donc, dans ce cas, ne pas tenir compte du mouvement imprimé au membre et ne voir que la ma- nière dont les faisceaux de ce muscle se contractent, ayant soin de les placer dans le raccourcissement; alors on constate que sa con- tractilité est normale. On verra par la suite que lorsqu’un muscle est en partie graisseux, les faisceaux de ce muscle, encore intacts, peuvent être enveloppés de graisse, ou coupés transversalement par une ou plusieurs portions de leurs fibres qui ont été altérées dans leur tissu. Ces faisceaux intacts jouissent de leur contractilité électrique, mais on conçoit que, dans ces conditions anatomiques, on percevra difficilement leur contraction à travers la peau, lors- qu’on les excitera, et l’on n’en conclura pas que leur irritabilité est affaiblie. 11 est même une autre sorte d’erreur contre laquelle je dois prémunir l’observateur. Lorsque l’on provoque la contrac- tion d’un muscle dont les antagonistes sont atrophiés et graisseux, le mouvement produit par cette contraction se fait avec une telle brusquerie et même avec une si grande énergieque l’on croirait tout d’abord que la contractilité électro-musculaire est au-dessus de l’état normal, tandis que ce n’est que le résultat de l’absence de résistance tonique des muscles antagonistes. On se gardera donc d’en conclure que dans cette expérience la contractilité électro-mus- culaire est augmentée. L’importance de l’exploration musculaire par la faradisation lo- calisée n’échappe à personne. Cette espèce d’autopsie vivante, faite journellement dans tous les services de la Charité, chez des sujets qui présentaient quelques troubles dans la musculation, devait mettre nécessairement en lumière l’existence de l’atrophie muscu- laire graisseuse progressive, même bien avant que la nécropsie nous eût appris que cette altération de tissus était une substitution grais- seuse ou d’une autre nature, suivant M. Ch. Robin. Voici comment cela m’était démontré : j’avais vu des muscles, par exemple le del- toïde, arrivés aux dernières limites de l’atrophie. Alors, ce muscle, quoique réduit à une minceur extrême, répondait encore parfaite- ment, dans tous les points de sa surface, à l’excitation électrique, en imprimant des mouvements faibles au membre supérieur ; la volonté le faisait contracter de la même manière. Mais, plus tard, la contractilité disparaissait progressivement à ce point qu’après un temps plus ou moins long, l’on ne voyait plus que de très petits faisceaux musculaires soulever partiellement la peau comme des cordes fines sous l’influence de l’excitation électrique. Je ne pouvais attribuer à un état purement dynamique ces disparitions ou ces ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. conservations aussi partielles de la contractilité électro-musculaire qui survenaient dans un même muscle. Je pressentais (et je le di- sais aux personnes qui suivaient mes expériences) que dans les points où la contractilité n’existait plus, le tissu de la fibre muscu- laire devait être détruit, parce que j’avais toujours remarqué que, dans d’autres affections musculaires atrophiques (la paralysie satur- nine, la paralysie générale spinale, la paralysie traumatique des nerfs), la contractilité électro-musculaire était lésée en masse dans les muscles atteints. Aussi n’ai-je point été surpris, quand plus tard la première autopsie faite à la Charité par M. le professeur Gru- veilhier vint nous montrer que, dans ces points atrophiés où je n’avais pu provoquer la contraction, le tissu de la fibre musculaire était, en effet, profondément altéré. J’appris seulement alors des mi- crographes que les stries transversales et que les fibres longitudi- nales avaient disparu plus ou moins et qu’elles avaient été rem- placées par de la graisse. Et puis, sans cette exploration électro- musculaire, comment distinguerait-on l’atrophie musculaire grais- seuse de ces affections musculaires atrophiques avec conservation de l’irritabilité et qui ne subissent pas d’altération de tissu? Enfin, c’est la faradisation localisée appliquée à la physiologie et à la pathologie musculaire qui a mis en évidence la fréquence de l’a- trophie musculaire graisseuse progressive. On sait, en effet, que ce sont les sujets atteints de cette affection qui ont servi à mes expé- riences électro-musculaires, dans mes études sur les fonctions des muscles moteurs de la main, de l’épaule, du pied. 11. Tous les auteurs qui ont écrit sur l’atrophie musculaire grais- seuse progressive ont dit que la sensibilité est toujours normale dans cette affection. Ils possédaient certainement trop peu d’obser- vations pour formuler d’une manière aussi générale celte propo- sition qui n’est pas exacte. J’ai, en effet, constaté, dans un bon tiers des casque j’ai observés, que la sensibilité électro-musculaire était plus ou moins affaiblie, ainsi que la sensibilité cutanée. Cette anes- thésie est quelquefois si grande que les malades ne perçoivent ni les excitations faradiques les plus fortes ni l’action du feu. J’en ai vu qui s’étaient laissé brûler profondément les parties anesthé- siées, parce qu’ils n’avaient pas perçu l'action des corps incandes- cents ; ils n’avaient pas été prévenus par la vue que ces parties se trouvaient en contact avec eux. Celle anesthésie s’observe, en gé- néral, au membre supérieur et va en diminuant de la main à l’épaule. Quelquefois, cependant, elle se montre irrégulièrement et n’est pas toujours en raison directe de l’atrophie. Ainsi, je l’ai vue limitée à une région du tronc ou à l’épaule; d’autres fois, elle était SYMPTÔMES. — SIÈGE PÉRIPHÉRIQUE ET PROGRESSION. complète dans tout le membre supérieur droit, tandis qu’elle était faible dans le membre opposé, qui cependant était beaucoup moins atrophié. Cette anesthésie musculaire et cutanée n’est survenue, en général, que chez des atrophiques qui avaient éprouvé, dans ces ré- gions, des douleurs que l’on pouvait attribuer à une influence rhu- matismale. Peut-être n’est-elle alors qu’une complication? C. — Siège périphérique et progression de l’atrophie musculaire, L’atrophie musculaire graisseuse progressive, avant de se géné- raliser, établit ordinairement et primitivement son siège dans les membres supérieurs, dont elle détruit les muscles successivement et d’une manière irrégulière. Elle débute alors en attaquant succes- sivement les muscles de l’éminence thénar, de la couche superfi- cielle à la couche profonde. Dès que le court abducteur du pouce est atrophié, son absence est signalée par une dépression qui existe au niveau de la place qu’il occupe, et par l’attitude, pendant le repos musculaire, du premier métacarpien, qui se trouve plus rapproché du second (voyez la figure 57). Lorsque les muscles de la couche Fig. 37, Fig. 58. Fig. 37 et 58. — Mains d’un sujet atteint d’atrophie musculaire progressive et à une période très peu avancée. Les muscles court abducteur et opposant du pouce gauche (fig. 57) ne donnent plus signe d’existence, à Fexploration élec- trique ni physiologiquement. Ils dépassent de l’éminence thénar gauche, signe visible de cette atrophie contrastant avec le relief normal de la main droite du même sujet (fig. 58), chez lequel l’atrophie progressive n’a détruit jusqu’à présent que deux muscles de l’éminence thénar gauche. DÜCHENNE. 450 ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. profonde sont ensuite atteints, l’éminence thénar s’aplatit tout à fait, et le premier métacarpien est toujours sur le même plan que Fig. 59.1 Fig. 60. Fig. 59. — Main d’un sujet chez lequel l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive a détruit tous les muscles de l’éminence thénar. On voit que le pre- mier métacarpien est entraîné en arrière, sur le même plan que le second métacarpien, par le long extenseur du pouce encore vivant et antagoniste des muscles qui concourent à l’opposition du pouce. — Fig. 60.—Main droite, vue de face et de dos, dont les interosseux sont presque entièrement détruits, ainsi que les muscles de l’éminence thénar. Lorsque le sujet veut ouvrir la main, les doigts prennent la forme d’une griffe. Les mouvements d’opposition sont perdus comme dans la figure 59.—Chez ce sujet, l’atrophie musculaire grais- seuse progressive est restée depuis six ans limitée aux muscles moteurs des deux mains, grâce, je crois, à l’intervention de la faradisation musculaire. le second (voyez la figure 59). Après l’éminence thénar, la dépression de l’éminence hypothénar et des espaces interosseux annonce que les muscles de ces régions sont affectés à leur tour. La destruction des interosseux s’annonce aussi par la forme d’une griffe que pren- nent les doigts pendant l’extension de la main (voyez les figures 60, 61 et 62). Les troubles fonctionnels occasionnés par ces atrophies partielles sont considérables. Ils ont été décrits dans mes études électro-physiologiques sur la main. Leur mécanisme sera rappelé par la suite. Si ensuite les muscles fléchisseurs et extenseurs des doigts vien- nent à s’atrophier à leur tour,_Ia main, qui avait la forme d’une griffe, comme dans les figures 60 et 61, alors que l’atrophie avait détruitseuleœent les interosseux, prend une attitude et une forme SYMPTÔMES. — SIÈGE PÉRIPHÉRIQUE ET PROGRESSION. cadavériques comme dans la figure 62, et les bras sont littéralement desséchés. D’autres fois, mais rarement, ce sont les faisceaux musculaires Fia. 61. Fig. 62, Fig. 61 et 62. — Mains dont presque tous les muscles sont détruits par l’atro- phie musculaire graisseuse progressive, qui dans ce cas est arrivée, eu deux années, à sa période de généralisation (voyez l’observation XCIX). Dans la figure 61, les interosseux et les muscles des éminences thénar et hypothénar n'existent plus; les extenseurs et les fléchisseurs des doigts et du pouce, quoique très atrophiés, obéissent encore à la volonté et à l’excitation élec- trique. C’est pourquoi les doigts ont la forme d’une griffe lorsque le sujet ouvre la main. 1/attitude du pouce s’explique par l’atrophie de l’éminence thénar. — Dans la figure 62 les doigts ont l’attitude d’une main de cadavre, parce que tous les muscles moteurs eu sont détruits, à l’exception toutefois de quelques faisceaux du long extenseur du pouce qui donnent encore signe de vie, et qui entraînent le premier métacarpien sur le plan du second méta- carpien. de la région postérieure de l'avant-bras f[ui, primitivement, sont atteints partiellement. Dans ces cas mômes, les muscles précédents ne tardent pas à être pris. L’atrophie peut rester ainsi localisée plusieurs années, soit dans ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. la main, soit dans celle-ci et dans l’avant-bras, dont les muscles s’atrophient ensuite, mais très lentement. J’ai toujours eu soin d’examiner l’état des muscles de toutes les régions du corps, et j’ai constaté que, généralement, l’atrophie était, dans les cas précédents, parfaitement limitée à la main et aux avant- bras. Mais lorsqu’elle franchit cette limite, les muscles du bras et du tronc s’atrophient en général simultanément, irrégulièrement et partiellement. Ce sont les fléchisseurs de l’avant-bras sur le bras, puis le deltoïde qui s’atrophient les premiers, tantôt ceux-ci Rivant ceux-là, et vice versa. Le triceps brachial est le dernier des muscles du membre supérieur qui soit atteint par l’atrophie ; une lois, cependant, je l’ai vu entièrement détruit, alors que les autres muscles moteurs du bras sur l’épaule étaient encore intacts, comme on le voit dans la figure 63. Toutes les fois que les muscles d’un bras étaient atrophiés, j’ai Fig. 63. Fig. 64. Fig. 63 et 64. — Membre supérieur gauche d’un sujet dont les muscles moteurs des doigts ont disparu, à l’exception de quelques faisceaux déjà très atrophiés des fléchisseurs des doigts. Le relief du long supiuateur contraste avec l’atro- phie des autres muscles de 1 avant-bras, au niveau desquels la peau est litté- ralement collée sur les os. Au bras, le triceps brachial a entièrement disparu (voy. la fig. 63), tandis que le biceps est encore assez développé ; ce que l’on peut voir dans la figure 63, dessinée sur une face qui permet de voir le relief de ce muscle. SYMPTÔMES. — SIEGE PÉRIPHÉRIQUE ET PROGRESSION. trouvé un plus ou moins grand nombre des muscles du tronc dans le même état. Les malades ignorent presque toujours à quel mo- ment ces derniers ont commencé à diminuer de volume, parce que, n’en étant pas très gênés dans l’exercice de leurs fonctions locomo- trices, leur attention n’a pas été attirée sur ce point, à moins que le muscle grand dentelé, un des plus utiles pour les mouvements d’élévation du bras, n’ait été alïecté un des premiers, comme je l’ai observé chez les sujets représentés dans les figures 67 et 70. Voici, en général, dans quel ordre les muscles du tronc s’atrophient suc- cessivement. C’est d’abord le trapèze, dont la moitié inférieure dis- paraît; alors le bord spinal de l’omoplate est plus éloigné de la ligne médiane que du côté sain. C’est la portion claviculaire de ce mus- cle qui, presque toujours, est 1 ’ultimurn moriens de tous les muscles du tronc et du cou. On voit ensuite s’atrophier successivement et dans l’ordre suivant, les pectoraux, les grands dorsaux, les rhom- boïdes, les angulaires des omoplates, les extenseurs et les fléchis- seurs de la tête, les sacro-spinaux, et les muscles de l’abdomen. Presque toujours, à ce moment de la maladie, j’ai vu se prendre les muscles de la respiration et de la déglutition, et les muscles de la face. L’atrophie envahit également les membres inférieurs, mais alors que les muscles des membres supérieurs et du tronc sont, eu grande partie, détruits. Elle semble se concentrer dans les fléchisseurs du pied sur la jambe et de la cuisse sur le bassin; les autres muscles du membre inférieur s’amaigrissent seulement à la longue. Je n’ai pas vu l’atrophie attaquer d’emblée les deux côtés simul- tanément ; mais quand un muscle ou un ordre de muscles est affecté, leurs muscles homologues sont ordinairement atteints dans un temps assez rapproché et avant que la maladie s’étende à d’autres régions. C’est ainsi que j’ai observé un certain nombre de cas dans lesquels les deux mains avaient été successivement privées des mêmes muscles moteurs. Il en a été de même pour les deltoïdes, les grands dentelés, etc. Tel est le siège périphérique, ou plutôt le mode de développement habituel de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, dans sa marche envahissante. Cependant il faut savoir qu’elle peut se comporter différemment. En voici un exemple. Observation XCIX. — Ainsi, j’ai soigné avec le professeur Trousseau un malade (de Barcelone, âgé de trente-deux ans) chez lequel, en deux années, l’atrophie s’est généralisée. Voici dans quel ordre les mus- des ont été successivement atteints. Les muscles moteurs de la main droite se sont atrophiés les premiers, et après eux les muscles Üéchisseurs du pied ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Fig. 65. Fig. 66. Fig. 65 et 66. — Attitudes différeutes du tronc (ou lordoses) produites par l’atrophie ou des muscles sacro-spinaux, ou des muscles de l’abdomen. — La figure 65 représente un sujet chez lequel les sacro-spinaux sont atrophiés (voy. l’obs. G). Dans la station debout, il se renverse de manière que la ligue de gravité du corps tombe en arrière des sacrum, comme cela est indiqué par la ligue ponctuée de cette figure. Lorsqu'il veut se tenir plus droit, son troue tombe en avaut, sans qu’il puisse se redresser, et cela par le fait de l’absence d’action des extenseurs atrophiés du tronc. — Dans la figure 66, la malade a perdu-presque tous les muscles de l’abdomen (voy. l’obs. CI), et son tronc est courbé en arrière par leurs antagonistes; les sacro-spinaux sont intacts. Il en résulte que, pendant la station debout, elle porte la ligne de gravité du tronc en avant (comme l’indique la ligne ponctuée), afin d’en faire supporter tout le poids aux extenseurs du tronc, qui jouissent de toute leur force. L’atrophie a également détruit ses grands dentelés, ses trapèzes, ses rhomboïdes, en res- pectant ses angulaires; ce qui explique l’attitude anormale de ses omoplates qui s’écartent du tronc à la manière d’une aile, et dont on voit l’angle infé- rieur A saillir sous la peau. gauche sur la jambe; la main gauche s’est ensuite atrophiée, et après elle SYMPTÔMES. — SIÈGE PÉRIPHÉRIQUE ET PROGRESSION. les muscles fléchisseurs du pied droit et les fléchisseurs des cuisses sur le bassin. Puis, l’atrophie a atteint, à des degrés divers, et dans l’ordre sui- vant, lebiceps, les deltoïdes, les muscles du tronc, les muscles du cou et de la face. Aujourd’hui, le diaphragme et les muscles qui président à la déglu- tition sont assez gravement affectés pour mettre en danger la vie du malade, qui est menacé de mourir de faim ou asphyxié. (La faradisation, dirigée principalement sur ces derniers muscles, a amélioré les fonctions auxquelles ces muscles président. Les figures 61 et 62 représentent l’état actuel de ses mains et de ses avant-bras; elles ont été dessinées d’après la photographie que j’en avais prise.) L’atrophie musculaire graisseuse ne débute pas toujours par les membres supérieurs, j’en fournirai la preuve. Il n’est pas rare qu’elle atteigne, dès le début, les muscles du tronc. J’en possède une douzaine d’exemples. Une fois je l’ai vue se localiser primitivement dans les muscles sacro-spinaux. En raison de sa rareté et de l’attitude singulière que prit le tronc pendant la station, consécutivement à cette atrophie des muscles extenseurs du tronc, je vais en relater l’observation, et représenterai l’espèce de lordose qui se produit alors pendant la station, dans une ligure dessinée sur la photographie que j’en avais faite d’après nature. Observation G. — Atrophie musculaire graisseuse progressive des sacro- spinaux (voy. la fig. 65). — Gaulard, âgé de trente et un ans, porteur au marché à la volaille (à la Vallée). Pendant plusieurs années, chaque été, il a passé ses nuits couché sur les dalles de la halle. Il n’avait jamais souffert dans sa santé. Depuis quelques années son genre de travail avait changé. Au lieu de porter comme autrefois dans de grands paniers la volaille sur le dos, il fut forcé de la placer sur la tête, dans des paniers plats (des éventaires), les bras étant dans une élévation continue. C’est à partir de l’époque où il se livra à ce genre de travail des plus fatigants, selon son dire, qu’il s’aperçut d’un commencement d’amaigrissement de certains mus- cles du tronc et des membres supérieurs, amaigrissement qui fut bientôt suivi d’un affaiblissement siégeant principalement dans les régions lom- baire et cervicale, et pendant l’élévation des bras. Du reste, sa santé gé- nérale était bonne. Il n’en continua pas moins son travail ; mais les forces lui manquant, il se décida, en février 1850, à consulter M. Yillecoq. Ce praticien lui ordonna des frictions avec un Animent ammoniacal, des bains sulfureux, et, quelque temps après, il lui administra lui-même un traitement électrique. L’état du malade s’aggravant, M. Villecoq me l’adressa vers le mois de mai 1 850, Voici les phénomènes que je constatai alors chez ce ma- lado. Pendant la station debout, le tronc est fortement renversé en arrière, tandis que la me est fléchie sur la poitrine. Si le malade essaye de placer le tronc ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Fig. 67. Fio. 68. Fig. 67 et 68.—Représentant un même sujet vu de face et de dos, dont les muscles pectoraux, trapèzes, excepté leur portion clavieulaire, grands dorsaux, biceps et brachial antérieur gauches, longs supinateurs ont presque entièrement disparu (voy. l’obs. CXXI). On remarque dans la figure 67 que la face antérieure de la poitrine est décharnée et creusée par l’atrophie des pectoraux ; que le biceps gauche est réduit à un très petit volume, et que les avant-bras sont devenus fusiformes par l’atrophie des longs supinateurs. — La figure 68 montre l’atti- tude vicieuse du scapulum pendant le repos musculaire, consécutivement à l’atrophie des trapèzes, les angulaires de l’omoplate étant encore intacts. Les angles inférieurs B, B, sont plus rapprochés de la ligne médiane, tandis que les angles internes A, A, en sont plus éloignés ; le bord spinal de cet os a une direc- tion oblique de bas en haut et de dedans en dehors; les moignons des épaules sont plus abaissés et le cou est allongé. dans sa rectitude normale, il tombe en avant. Le mouvement d’élévation des bras est très limité, et pour peu qu'il porte les membres supérieurs en avant, il SYMPTÔMES, — SIÈGE PÉRIPHÉRIQUE ET PROGRESSION. perd l’équilibre. Il en résulte que plus il veut élever ses bras en avant, plus il se renverse en arrière et se cambre fortement. Lorsqu’il se met sur les genoux et sur les mains (à quatre pattes), la tête s'infléchit sur la poitrine, sans qu’il puisse la redresser, et il parvient avec la plus grande peine à se rele- ver. Il éprouve de la maladresse et une assez grande faiblesse dans les mouvements des mains. On voit des gouttières profondes de chaque côté de la colonne vertébrale, dont les apophyses épineuses font une saillie con- sidérable, depuis la nuque jusqu’au sacrum. Les deltoïdes ont perdu les deux tiers de leur volume normal ; les fosses sous-épineuses sont dépri- mées. Les autres muscles présentent un développement très considérable. A l’exploration électro-musculaire, je fais à peine saillir les masses sacro- lombaires ; je ne retrouve plus le tiers moyen des trapèzes ; les del- toïdes et les sous-épineux se contractent, mais on voit que leur masse a considérablement diminué. Je constate l’existence des contractions fibril- laires dans toutes les régions du corps, même dans les membres inférieurs; le malade n’en a jamais eu la conscience et ne les avait jamais remar- qués, etc. Pas de douleurs. La sensibilité de la peau est partout normale, mais les muscles atrophiés sont profondément anesthésiés, ce que l’on con- state facilement par l’excitation électro-musculaire. Chez un malade nommé Bonnard, l’atrophie avait détruit pres- que toute l’écorce musculaire du tronc (les pectoraux, les tra- pèzes, les grands dorsaux) (voyez les figures 67 et 68) avant de gagner quelques muscles du membre supérieur droit, le long su- pinateur et une grande partie du biceps brachial. On verra par la suite qu’après avoir restauré par la faradisation les fléchisseurs de l’avant-bras, j’ai été assez heureux pour arrêter depuis six ans la marche de la maladie, qui avait laissé intacts les muscles moteurs des mains (voy. l’obs. CXXl). Tout récemment, en mai 1859, j’ai observé un manœuvre (Thaïs, quarante-six ans, faubourg Saint-Jacques, 83, malade depuis deux ans) chez lequel l’atrophie musculaire graisseuse progressive a mar- ché de la même manière, en détruisant les mêmes muscles du tronc et des membres supérieurs. Je l’ai fait dessiner d’après les photo- graphies que j’en ai tirées. Dans la figure 69, on voit qu’il porte les épaules en avant. A ce mouvement concourent puissamment les pectoraux, que l’on voit, dans l’état normal, se gonfler et faire re- lief sous la peau. Mais chez ce sujet on voit, au lieu d’un relief, un creux considérable qui marque la place de ses pectoraux atrophiés. On distingue encore, cependant, un léger relief formé par le petit pectoral gauche qui n’est pas complètement détruit. Ce creux qui existe ici sous les clavicules, se produit, on le conçoit, à des degrés divers pendant le même mouvement chez tous les sujets dont les pectoraux sont plus ou moins atrophiés. Je l’ai vu aussi très profond ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Fig. 69. Fig. 70. Fig. 69 et 70. — Représentant un sujet qui a perdu par l’atrophie musculaire progressive les mêmes muscles que le sujet des figures 67 et 68. Au lieu du relief des pectoraux, on voit un enfoncement considérable à la face antérieure de sa poitrine, occasionné par l’atrophie de ces muscles pectoraux. La peau y est littéralement collée sur les os, au point que l’on peut compter tous ses espaces intercostaux comme dans la figure 67. Je lui ai fait porter les épaules en avant (voy. la figure 69), et les creux sous-claviculaires ont encore augmenté, tandis qu’à l’état normal les pectoraux qui concourent à ce mouvement font relief sous la peau. On remar- que cependant la saillie du petit pectoral gauche, qui n’est pas encore entière- ment détruit. — La figure 70 montre l’attitude de ses épaules occasionnée par l’atrophie du tiers inférieur (portion adductrice) de ses trapèzes. On voit que le bord spinal des omoplates est assez éloigné de la ligne médiane à cause de l’atrophie de cette portion adductrice; mais ce bord spinal n’a pas une direction oblique comme dans la figure 69, parce que la portion acromiale des trapèzes est encore saine et soutient bien l’angle externe du scapulum. chez Bonnard (fig. 67) et chez un autre sujet qui sera représenté plus loin (fig. 71). — On remarque dans la figure 70 que les omo- SYMPTÔMES. SIÈGE PÉRIPHÉRIQUE ET PROGRESSION. plates n’ont pas la même attitude que chez Bonnard (lig. 68). C’est que le malade n’avait perdu que le tiers inférieur de ses trapèzes, dont la portion acromiale, assez développée, soutenait l’angle externe du scapulum et l’empêchait de basculer comme chez Bonnard, dont le trapèze était presque entièrement atrophié. Chez un autre sujet, espèce d’athlète, les muscles pectoraux, grands dorsaux et grand dentelé droit étaient seuls atrophiés. Fig. 71. Fig. 72. Les figures 71 et 72 représentent un même sujet vu de face et de dos, et dont les muscles pectoraux, trapèzes, grands dorsaux et grand dentelé droit, ont en- tièrement disparu. — La figure 71 montre la face antérieure de sa poitrine décharnée, et contrastant avec le développement athlétique de ses membres supérieurs qui n’ont pas encore été atteints par l’atrophie musculaire grais- seuse progressive. — Dans la figure 72 on voit que le bord spinal du scapu- lura droit s’éloigne du thorax, à la manière d’une aile, pendant que le membre supérieur est porté dans l’élévation en avant. C’est le signe pathognomouique du défaut d’action du grand dentelé. Aussi la maigreur du tronc contrastait-elle d’une manière frap- partie avec la riche musculature des membres supérieurs, qui étaient tous encore intacts au moment où je l’observais (voyez la figure 71). L’atrophie de son grand dentelé droit ne se recon - naissait que lorsqu’il élevait les deux bras en avant; alors l’omo- plate droite se détachait du thorax en forme d’aile (voyez la ligure 72.) Observation CI. — J’ai été appelé à soigner conjointement trois fem- mes qui avaient perdu de chaque côté les grands dentelés, les trapèzes et les rhomboïdes, après avoir porté de lourds fardeaux sur les bras pendant un temps très long. Leurs membres supérieurs étaient intacts. Deux de ces femmes, bonnes d’enfant pendant plusieurs années, alors qu’elles étaient fort jeunes, avaient porté sur leurs bras des enfants pendant des journées entières. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Une de ces femmes, âgée de vingt-trois ans , rapporte qu’à l’âge de onze ans le maître d’école de son village lui imposait pour punition do porter une grosse pierre dans chaque main, les bras étant dans l’élévation et pendant qu'elle était à genoux sur des sabots. Cette punition barbare a été continuée pendant près d’une année et plusieurs heures chaque jour. C’est à partir de cette époque que ses épaules ont fait une saillie en arrière, et qu’a commencé l’énorme cambrure du tronc qu'on observe chez elle quand elle est dans la station debout (voyez la figure 66). Ce sont les muscles qui vont du tronc au scapulum (les trapèzes, les rhomboïdes, les grands dentelés) qui se sont atrophiés les premiers (j’ex- pliquerai plus tard le mécanisme des troubles que l’on observe dans l’atti- tude et les mouvements de son scapulum, par le fait de chacun de ces mus- cles). Les muscles de l’abdomen se sont ensuite atrophiés, car elle dit que son corps s’est renversé en arrière après la déformation de ses épaules. J’ai dia- gnostiqué l’atrophie des muscles de l’abdomen par l’exploration électrique et par les mouvements que je lui ai fait exécuter. Ces muscles ne se con- tractaient pas par l’excitation électrique ; puis, étant couchée sur le dos, elle ne pouvait se relever, tandis qu’étant penchée en avant, elle se redressait avec force, et l’on sentait ou voyait ses sacro-spinaux se contrac- ter et se gonfler vigoureusement. La maladie tend à se généraliser chez cette malheureuse femme, car elle a en outre perdu l’orbiculaire des lèvres et quelques autres muscles de la face, et les membres inférieurs commen- cent à s’atrophier. On observe chez cette malade un phénomène bizarre propre à celte mala- die, c’est qu’à côté des muscles détruits on voit les autres muscles parfaite- ment intacts. On est surtout frappé du développement des pectoraux et des muscles des membres supérieurs. Je dois encore signaler ici un fait im- portant qui s’est montré chez cette malade et que j’ai noté assez souvent dans d’autres cas; c’est l’absence de contractions fibrillaires. Enfin, cette femme n’a jamais éprouvé la moindre douleur. Chez le sujet représenté dans la figure 73, la plupart des muscles du tronc sont ruinés (les pectoraux, les trapèzes, les rhomboïdes, les grands dorsaux, les grands dentelés, les fléchisseurs de la jambe sur la cuisse et d’autres muscles des membres inférieurs, etc.); ce- pendant ce malade n’a perdu, aux membres supérieurs, que les longs supinateurs, ce qui donne à sesavant-bras une forme singu- SYMPTÔMES. — SIÈGE PÉRIPHÉRIQUE ET PROGRESSION. lière (ils sont fusiformes). Les muscles lléchisseurs de l’avant-bras sur le bras commencent seulement à s’atrophier. Fig. 73.—Cette figure, dessinée d’après natu- re, représente un su- jet atteint d’atrophie musculaire graisseuse progressive générali- sée, et dont la face postérieure du tronc a été représentée dans la figure 74 (voy. obs. CIV). — Ce sujet a perdu une grande par- tie de ses pectoraux et de ses muscles de l’abdomen ; ses trapè- zes, ses grands dente- lés, son rhomboïde gauche, ses grands dorsaux, sont atro- phiés.—Au bras gau- che, il reste à peine quelques traces du biceps, tandis que le triceps est encore assez développé; c’est l’in- verse pour le bras droit. — Son deltoïde est atrophié à droite et très développé à gauche. — Ses deux longs supinateurs ont entièrement disparu ; les autres muscles de l'avant-bras et ceux de la main sont in- tacts. (L’atrophie du longsupinateur donne à l’avant-bras une forme de fuseau.) — Aux membres inférieurs, l’atrophie a atteint les muscles de la cuisse, surtout ceux de la région antérieure, mais elle a respecté ceux de la jambe et du pied. — Ce sujet est représenté portant, autant que possible dans l’élévation en avant, ses bras qui, en conséquence, sont vus en raccourci. Cette élévation est Fig. 73, ATR0PII1E MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. très limitée, comme on le voit dans la figure 73. Pendant ce mouvement, ses scapulums basculent au point que ses angles internes A, A, font une saillie con- sidérable sur les côtés du cou. Alors aussi sa cambrure, habituellement très prononcée par le fait de l’atrophie de ses muscles abdominaux, augmente encore davantage, et le tronc se renverse en arrière. Enfin deux fois sur mes cent cinquante-neuf cas, j’ai vu l’atrophie musculaire graisseuse débuter par les membres inférieurs, en atta- quant les muscles fléchisseurs du pied sur la jambe. D. — Changements dans la forme et dans l’attitude des parties. — Troubles de la locomotion. Les changements de forme, d’attitude des parties, et les troubles de la locomotion occasionnés par l’atrophie musculaire graisseuse progressive sont, en général, propres à cette dernière affection. En effet, à l’exception de la paralysie atrophique graisseuse de l’en- fance, dans laquelle, à une période avancée de la maladie, on voit des muscles s’atrophier ou devenir graisseux isolément et par por- tions, les autres paralysies musculaires frappent en masse un ou plusieurs membres ou toute une région d’un membre. (11 est sous- entendu qu’il n’est pas ici question de quelques paralysies trauma- tiques ou rhumatismales partielles, comme la paralysie du deltoïde ou du grand dentelé.) Or, les troubles fonctionnels causés par ces paralysies en masse sont bien différents de ceux qui sont produits par défaut d’action motrice ou tonique des muscles atrophiés in- dividuellement, par portions et d’une manière irrégulière. Les signes locaux de l’atrophie partielle des muscles, abstraction faite de ceux que l’on peut obtenir par l’exploration électro-muscu- laire, se reconnaissent ; 1° à la déformation de la surface du corps et des membres, c’est-à-dire à des dépressions irrégulières corres- pondantes aux muscles atrophiés; 2° au changement d’attitude des membres pendant le repos musculaire, changements occasionnés par la rupture de l’équilibre des forces musculaires toniques; 3° aux désordres apportés dans l’exercice des mouvements volontaires, par le défaut de l’action partielle d’un muscle, soit pour produire le mou- vement qui lui est propre, soit pour coopérer à la synergie muscu- laire. Je vais exposer l’étude de ces signes dans les considérations suivantes. 1° Déformation de la surface des membres et du tronc. — Un des caractères les plus frappants de cette singulière maladie, c’est de détruire lentement et partiellement les muscles, en laissant ntactes toutes les autres fonctions. De même on voit, sur la SYMPTÔMES. — CHANGEMENTS DANS LA FORME, ETC. branche d’un arbre très vivace, des feuilles jaunir et tomber. Il en résulte des altérations bizarres de la forme extérieure des membres et du tronc, dans les régions qui sont atteintes par la maladie, in- dépendamment des troubles partiels occasionnés dans l’attitude des membres et dans la locomotion. Ainsi, un muscle peut être atro- phié à côté d’autres muscles parfaitement intacts, bien que tous soient animés par le même nerf; de telle sorte que des saillies mus- culaires normales font place à des dépressions qui contrastent avec le volume des parties voisines. Cette espèce de déformation, un des principaux caractères de l’atrophie musculaire graisseuse progres- sive, en est presque le faciès. Il suffit, en effet, de l’avoir observée une fois, pour reconnaître cette maladie à la première vue. C’est pour faire bien connaître ce faciès que je l’ai représenté dans un grand nombre de figures photographiées ou dessinées d’après na- ture. Elles peuvent jusqu’à un certain point suppléer l’observation clinique pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de rencontrer cette étrange maladie sous ses formes variées. Est-il, par exemple, une autre affection dans laquelle on voit une poitrine décharnée contrastant avec le volume plus ou moins con- sidérable des membres supérieurs, comme dans les figures 67, 69, 71? Remarquez surtout dans la figure 71 les muscles athlétiques des membres supérieurs, contrastant surtout avec la poitrine décharnée et creusée. Cette déformation de la poitrine est due chez ces sujets à l’atrophie des pectoraux. La figure 74 (qui a été dessinée d’après le sujet représenté de face dans la figure 73) nous montre les dépres- sions occasionnées par l’atrophie des trapèzes, des rhomboïdes, et qui mettent en relief les saillies osseuses des omoplates. Le sujet de la figure 68 n’avait perdu en arrière que ses trapèzes et ses grands dorsaux ; ses omoplates faisaient moins de relief, parce que les parties comprises entre les bords spinaux de ses omoplates étaient moins creuses; cependant l'atrophie de ces mus- cles donnait à son dos, comme on le voit, un aspect anormal. — Voyez aussi la forme singulière des avant-bras dans la figure 73. C’est la disparition des longssupinateurs qui les a rendus fusiformes. — Et ces autres membres supérieurs (voy. les figures 63, 64 et 75) dont les muscles de la main et de l’avant-bras doivent être entiè- rement transformés en graisse (ce que j’ai constaté par l’explora- tion électrique), à l’exception du long supinateur et des radiaux qui font un relief considérable au milieu de ces ruines musculaires. Je ferai remarquer aussi combien, dans la figure 75, la richesse delà nutrition musculaire du bras et de l’épaule contraste avec l’atrophie de la main et de l’avant-bras. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Je regrette de ne pouvoir représenter ici toutes les régions ainsi déformées par ces atrophies partielles et disséminées. Mais les ligures que j’en ai données suffisent pour que l’on ait une idée du faciès étrange de cette affection musculaire. Fig. 74 Fig. 75. Fig. 74. —Sujet déjà représenté vu de face dans la figure 71. — On remarque l’attitude vicieuse de ses scapulums pendant le repos musculaire, attitude produite par l’atrophie des trapèzes et des grands dentelés. Cette attitude vicieuse est beaucoup plus prononcée à droite, parce que l’atrophie des muscles précédents y est beaucoup plus avancée qu’à gauche. Le bord spinal s’écarte un peu de la paroi thoracique; à droite, l’angle inférieur A est remonté pres- que au niveau de l’angle externe B; l’angle interne du même os s’est porté en haut, et, soulevant la peau, il interrompt la ligne qui va du cou au moignon de l’épaule. — Fig. 75. — Atrophie complète des muscles de la main et de l’avant-bras, à l’exception du trapèze, dont on voit le relief. Cette momifica- tion de la main et de l’avant-bras contraste avec la riche musculature du bras et de l’épaule. On a déjà vu dans les figures 68 et 69 la même localisation de l’atrophie musculaire graisseuse progressive. SYMPTÔMES. - CHANGEMENTS DANS LA FORME, ETC. 465 Ce faciès est cependant quelquefois masqué par un embonpoint considérable, même chez les sujets dont un grand nombre de mus- cles sont entièrement atrophiés et graisseux. En voici un exemple remarquable. Celait est tellement important, sous d’autres rapports (au point de vue de l’hérédité et de la marche de la maladie), que j’exposerai l’observation détaillée, bien que je me sois imposé le devoir de supprimer les observations qui forment la base de ce chapitre. Observation Cil. —Atrophie musculaire graisseuse progressive, localisée de chaque côté dans les muscles pectoraux, trapèzes, rhomboïdes, grands dorsaux, grands dentelés, héréditaire chez les aînés d'une famille, depuis trois générations. M, X..., d'Aix en Provence, âgé de vingt-deux ans, d’une taille élevée, d’une forte constitution, d’un tempérament sanguin, d’un embonpoint con- sidérable, n’a pas eu d’autre affection que celle pour laquelle il vient récla- mer mes soins. Son bisaïeul, son aïeul et son père, les aînés de la famille, ont été atteints de la môme maladie, le premier à l’âge de vingt à vingt-deux ans, le second à l’âge de vingt-quatre ans, et le troisième à dix-sepl ans. Chez tous ces malades, la lésion musculaire a atteint successivement les muscles qui meuvent l’épaule, puis ceux du bras, et en dernier lieu, les flé- chisseurs de la cuisse sur le bassin et du pied sur la jambe. Chez M. X..., la maladie a commencé à se faire sentir à l’âge de dix-sept ans. Jusqu’il cette époque il était assez maigre; dès l’âge de dix-huit ans, il a engraissé progressivement, au point d’être réformé à la conscription pour cause d’obésité. C’est depuis le début de cette obésité (laquelle s’est développée éga- lement chez son père et ceux de ses ancêtres qui ont été atteints de la même affection musculaire), c'est depuis cette époque, dis-je, que l’affaiblisse- ment de certains mouvements a commencé. D’abord, l’élévation du bras ou l’action de porter la main au front, comme pour saluer, devint de plus en plus pénible. Pendant ce mouvement d’élévation, les omoplates faisaient une saillie considérable, et leur angle inférieur, au lieu de se porter en de- hors et en avant, se portait en arrière, comme dans la figure 77. Ces phénomènes ont été en augmentant jusqu a ce jour. M. X... dit éprouver depuis un an un peu de fatigue en marchant, et surtout en montant. Il n’a jamais souffert; point de rhumatisme articulaire, ni musculaire antérieur. Pas d’affection syphilitique. Telle est l’histoire qui m’est racontée par M. X... La maladie dont sont atteints les aînés de sa famille, depuis trois générations, est restée un mys- tère jusqu’à ce jour. Bien qu’il ait déjà perdu en grande partie l’élévation des bras, il espère encore échapper à sa destinée. Il croit que la maladie est DUCHENNE. limitée aux muscles qui président à ce mouvement d’élévation du bras. Le développement de ses membres et des parties molles qui recouvrent son corps le rassurent à cet égard. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Fl6. 76. Fis. 77. Fig. 76 et 77. — J’ai photographié le sujet en pied dans la figure 76, afin de montrer la richesse apparente de sa nutrition générale. Cependant il a perdu, outre ses pectoraux, comme je le dis dans la légende de la figure 75, scs grands dorsaux et ses grands dentelés. L’atrophie de ces derniers muscles est décelée pendant l’élévation des membres supérieurs (voyez la figure 77) par le mou- vement pathologique de ses omoplates qui s’écartent du thorax à la manière d’une aile. Sujet représenté aussi de face dans la figure 78. Voici cependant les principaux phénomènes que j’ai observés chez ce ma- lade. A l’exploration électro-musculaire, j’ai constaté que les pectoraux avaient disparu en grande partie, et je n’ai plus retrouvé de traces des tra- pèzes, des rhomboïdes, des grands dorsaux et du long supinateur. Les au- tres muscles étaient très développés et réagissaient très fortement par l’exci- tation électrique. M.X... nepouvait élever les bras au-dessus de la direction SYMÉfÔMES; — CHANGEMENTS DANS LA FORMÉ, ETC, horizontale, et ericëfe Itti fallait-il pour cela faire de grands efforts, jf’ehdant ce mouvement (voyez la figure 77), le bord spinal de l’omoplàtè se déta- chait du thorax èt l’angle inférieur së rapprochait dè la langue médiane. Dans cette attitude, l’omoplate représentait un triangle dont le sommet est formé par son angle’ îhterné, et la baëe par son bord axillaire. L'atrophie des autres muscles ne paraissait pas causer une grande perturbation dans les mouvements. Enfin, je Üëpèrèëvais dans aucune région la plus petite contraction fibrillaire, et M. X... disait n’avoir jamais ressenti ni sautille- ment, ni frémissement musculaires. Du reste, la santé générale était ex- cellente. Fig. 78. Fig. 78. — Atrophie des pectoraux masquée par le tissu cellulo-grais- seux soüs-cutané très abondant, chez un sujet âgé de vingt-deux ans, et qui, à l’âge de dix-sept ans, a été atteint par l’atrophie musculaire graisseuse progressive héréditairement (son bisaïeul, tfoh aïeul et son père, comme lui les aînés de la famille, ont eu la môme maladie). Il a aussi perdu le tiers inférieur de ses trapèzes* de ses grands dorsaux et ses grands den- telés. A la seule vue des formes do M. X,.., on ne croirait certainement pas que l’atrophie musculaire a déjà exercé chez lui de grands ravages. La figure 78, photographiée d’après nature, représente sa poitrine; si on la compare à celles qui sont représentées dans les figures 67, 69, 71 et 73, on n’admettra pas qu’il soit possible que ces poitrines, dont les unes sont si des- séchées et dont l’autre annonce une si riche nutrition, puissent être au même degré dépourvues de muscles pectoraux. La face postérieure du tronc pa- raît normale et très nourrie, quand les bras pendent sur les côtés du tronc (voyez la figure 76); cependant l’exploration électro-musculaire fait dé- couvrir l’absence des trapèzes, des rhomboïdes, des grands dorsaux. S’il n’avait pas perdu ses grands dentelés, on ne soupçonnerait pas que d'autres muscles (signalés ci-dessus) sont atrophiés et probablement déjà réduits à 468 ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. l’état graisseux; car ces muscles sont d’une utilité secondaire. M. X... fut très étonné quand il m’entendit lui annoncer que tous ces muscles lui man- quaient, et surtout ses longs supinateurs, alors que ses membres supérieurs étaient pourvus de muscles vigoureux. L’absence de ses grands dentelés, dont la lésion a, dès le début, occasionné une grande gêne dans les mouve- ments d’élévation des membres supérieurs, lui a annoncé qu’il était frappé du môme mal que ses ancêtres. La difformité toute spéciale que l’on observe pendant l’élévation du bras, à la suite de l’absence de concours du grand dentelé, est le seul signe extérieur qui annonce, chez ce malade, 1 existence d’une affection musculaire. En effet, si l’omoplate conserve son attitude normale, quand M. X... laisse tomber le bras (voyez la figure 76), on voit au contraire, dans la figure 77, qu’elle affecte l’attitude pathologique et pa- thognomonique de la paralysie du grand dentelé, pendant l’élévation des bras, .l’ai photographié M. X... nu et en pied pour montrer le beau déve- loppement de ses formes et de sa nutrition. Hélas! cette masse de graisse cache bien des ruines qui se verraient comme dans toutes les figures pré- cédentes, si elle ne les masquait pas. A une période très avancée de la maladie, le faciès de l’atrophie musculaire est changé. Ce ne sont plus des dépressions anormales contrastant avec des reliefs et des bosselures ; toute la couche mus- culaire disparaît à peu près complètement, surtout au tronc et aux membres supérieurs ; la peau y est littéralement collée sur les os. Les malades offrent alors un aspect spécial que l’on ne saurait con- fondre avec celui du marasme produit par d’autres maladies. Il faut avoir vu cette période de l’atrophie musculaire graisseuse aussi pour la reconnaître ; c’est pourquoi j’en représente un cas de face et de dos dans les figures 79 et 80. On remarque, dans ces figures, que l’embonpoint de la face con- traste avec la maigreur du tronc et des membres. Dans le marasme, au contraire, la maigreur et les rides de la face sont en harmonie avec la maigreur des membres et du tronc. Dans le marasme on retrouve encore les rudiments des reliefs musculaires ; dans l’atro- phie musculaire, tout le relief musculaire a entièrement disparu. L’altitude des membres pendant le repos musculaire est sous la dépendance de la force tonique des muscles qui les meuvent. Or, il n’est pas un muscle qui n’ait son antagoniste. En conséquence, un des muscles antagonistes vient-il à être affaibli ou détruit par l’atrophie, l’équilibre des forces toniques, d’où résulte l’attitude normale des membres, se trouve rompu, et ces derniers sont néces- sairement entraînés dans la direction de la force tonique prédomi- 2° Attitudes vicieuses des membres pendant le repos musculaire. SYMPTÔMES. — ATTITUDES VICIEUSES DES MEMBRES. liante, c’est-à-dire de l’action propre du muscle ou faisceau muscu- laire prédominant. Telle est la genèse des attitudes vicieuses et des déformations que l’on observe dans l’atrophie musculaire grais- seuse progressive, à la main, à l’épaule et au tronc. Fig. 79. Fig. 80. Fig. 79 et 80. — Sujet vu de face et de dos, atteint d’atrophie musculaire grais- seuse progressive généralisée, datant de quatre ans. Aux membres supérieurs, tous les muscles sont presque entièrement détruits ; on n’en retrouve plus que quelques faisceaux très atrophiés, incapables de concourir à une fonction quelconque, bien qu’ils se contractent encore électriquement et volontaire- ment. Sur le tronc, il ne reste des muscles pectoraux, grands dorsaux, trapèzes, rhomboïdes et grands dentelés, que de rares faisceaux contractiles. Les mus- cles extenseurs du tronc commencent à être atteints par la maladie; c’est pourquoi le sujet se renverse un peu en arrière pendant la station debout. Les extenseurs de la tète sont atrophiés au point que, lorsque celle-ci est inclinée eu avant, il la redresse avec peine. Aussi remarque-t-on qu’il la tient habi- tuellement un peu renversée en arrière (voyez les figures 79, 80) afin d’en faire porter le poids par les sterno-mastoïdiens moins atrophiés. Enfin les muscles fléchisseurs du pied sur la jambe ont presque entièrement disparu. Si l’on possède bien le mécanisme de ces attitudes vicieuses, mé- canisme dont la connaissance est acquise par l’étude de l’action individuelle des muscles et même des faisceaux musculaires, il sera facile d’en déduire l’espèce de signes dont il est ici question, et qui sont les principaux caractères des atrophies musculaires partielles. A'J’RQPHIE MUSCULA1RJÎ GRAISSEUSE PROGRESSIVE, L’étude du mécanisme des altitudes et de la valeur sé- miotique de celles-ci, au point de vue du diagnostic des atrophies partielles de la main et de l’épaule, sera assez longuement exposée dans les chapitres où je formulerai les déductions pathologiques que j’ai tirées de mes recherches électro-physiologiques sur la main et sur l’épaule. Un grand nombre d’attitudes vicieuses produites par les atrophies musculaires partielles y sont représentées dans des figures ; il serait donc superflu de m’étendre ici sur ce sujet. Les troubles fonctionnels qui, pendant les mouvements volon- taires, caractérisent l’atrophie d’un muscle ou d’une portion de muscle, sont de deux ordres; ils portent sur le mouvement propre exercé par ce muscle ou sur la synergie musculaire, à laquelle ces derniers sont appelés à concourir ; car, on le sait, tout mouvement volontaire se compose de la contraction du musçle producteur du mouvement principal et de la synergie d’autres muscles qui assu- rent, ou règlent, ou modèrent ce mouvement. 3° Troubles fonctionnels pendant les mouvements volontaires. — a. Les mouvements propres des muscles n’ont pas tous le même degré d’utilité pour les mouvements volontaires. Ainsi, il est tels muscles dont la lésion compromet l’usage d’un membre, tandis qu’il en est d’autres d’une utilité secondaire. C’est ainsi que j’ai vu des sujets qui avaient, pour ainsi dire, perdu toute l’écorce mus- culaire du tronc (les pectoraux, les grands dorsaux, les trapèzes, les rhomboïdes, muscles d’une utilité secondaire), et qui cepen- dant ne s’en doutaient pas, tant ils en avaient été peu troublés dans l’exercice de leurs mouvements (1). Ils n’avaient songé à se mettre en traitement que lorsque des muscles absolument nécessaires à certains mouvements avaient été affectés. Celui-ci, par exejnplp, ne me consultait que pour l’impossibilité ou la difficulté de lever son bras (son deltoïde était atrophié)1; pelui-là pour la perte ou la faiblesse de la flexiau de l’avant-bras sur le bras, ou des mouvements de la main, etc. ; mais aucun d’eux ne se plaignait de la perte d’un grand nombre des muscles du tronc, dont je constatai cependant l’atro- phie par l’exploration électro-musculaire et par l’attitude vicieuse de l’épaule ou par les déformations du tronc. C’est pourquoi l’on (l) Cela ne veut pas dire que ces muscles soient des muscles de luxe. J’ai au contraire exposé, dans mes recherches électro-physiologiques qui traitent des muscles moteurs de l’épaule sur le tronc, leur degré d’utilité pour certains mou- vements qui exigent un grand déplacement de forces et pour l’attitude des épaules au repos musculaire. Mais ils ne sont pas absolument indispensables au mou- vement du membre supérieur. SYMPTÔMES. — TROUBLES PENDANT LES MOUVEMENTS VOLONTAIRES. ne doit jamais négliger d’inspecter les muscles de toutes les ré- gions, même lorsque le sujet atteint de la maladie dont nous nous occupons ne se plaint que d’une atrophie partielle d’un membre. b. Les troubles occasionnés dans la synergie musculaire par l’atrophie partielle des muscles ne sont pas moins importants à connaître comme signes réels de l’atrophie partielle. Je dois en rappeler un cas comme exemple. On voit quelquefois pendant l’élé- vation du bras le scapulum s’éloigner du thorax sous la forme d’une aile (voyez les figures 72 et 77). C’est la synergie musculaire du grand dentelé qui fait alors défaut. Ce mouvement pathologique est donc un signe du défaut d’action du grand dentelé. Certains troubles dans la synergie musculaire peuvent faire croire à l’existence de l’atrophie d’un muscle qui cependant est intact. Ainsi, l’action des muscles fléchisseurs des doigts est-elle affaiblie ou perdue isolément,le sujet, quand il veut fermer la main, ne peut empêcher l’extension exagérée de son poignet ; ou bien les extenseurs des doigts (des premières phalanges) n’agissent-ils plus, c’est au contraire la flexion du poignet qui se fait avec force, quand le sujet veut étendre ses doigts parallèlement aux métacarpiens. A l’époque où j’observai ces phénomènes pour la première fois, je crus que dans le premier cas les fléchisseurs du poignet (les palmaires), et dans le second les extenseurs du poignet (les radiaux et le cubital postérieur), étaient détruits, et cependant il n’en était rien. Il serait trop long d’expliquer ici le mécanisme de ce trouble singu- lier dans la synergie musculaire que j’ai fait connaître dans mes recherches sur la physiologie pathologique de la main. Il était op- portun de le rappeler ici. On comprend combien il importe de connaître les troubles de la locomotion propres à la paralysie de chacun des muscles ou de chaque portion musculaire, et de se rendre compte de son méca- nisme. Je renvoie donc le lecteur aux chapitres consacrés à l’étude pathologique des mouvements partiels de la main, du pied, de l’é- paule et du diaphragme. Pour compléter l’étude des troubles fonctionnels de la locomo- tion, que l’on observe dans l’atrophie musculaire graisseuse progres- sive, je vais dire ici quelle est l’attitude du tronc pendant la sta- tion, consécutivement à l’atrophie des muscles extenseurs ou flé- chisseurs du tronc. Voici représentés dans les figures 65 et 66 deux sujets affectés de lordose par atrophie musculaire. Au premier aspect, ces deux ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. lordoses sont semblables, et cependant on a vu dans leur his- toire, relatée succinctement ci-dessus (obs. LXXXVI1I et LXXX1X), qu’elles sont produites par l’atrophie de muscles qui agissent en sens inverse sur le tronc. Et puis il est facile de démontrer qu’elles diffèrent essentiellement l’une de l’autre. Que l’on examine, en effet, l’attitude de la colonne vertébrale, on constate qu’une ligne fictive conduite verticalement de haut en bas à partir de la première dorsale, passe, dans la figure 65, sur un plan postérieur au sacrum, tandis que dans la figure 66 cette ligne tombe au contraire sur un plan antérieur à la moitié infé- rieure de cet os. Je vais essayer d’expliquer le mécanisme physiologique de la dif- férence d’attitude de la colonne vertébrale dans ces deux espèces de lordoses. A l’état normal et dans la station, les sacro-spinaux maintiennent dans l’extension la colonne vertébrale qui est sollicitée à s’infléchir en avant par le poids des membres supérieurs et des viscères situés sur un plan qui lui est antérieur. L’inflexion du tronc en avant est donc la conséquence forcée de l’atrophie des sacro-spinaux. Pour éviter cette chute du corps en avant, le sujet représenté dans la figure 65 rejetait instinctivement en arrière la ligne de gra- vité de son tronc, de telle sorte que les muscles encore intacts du plan antérieur de ce dernier étaient seuls chargés de résister à la force (le poids des viscères et des membres supérieurs) qui solli- citait la colonne vertébrale à s’incliner en arrière, remplissant ainsi, pendant la station, l’office, mais dans un sens opposé* des sacro- spinaux impuissants. La lordose consécutive à l’atrophie des muscles de l’abdomen, que nous observons dans la figure 66, est moins facile à expliquer. Toutefois je crois avoir trouvé sa genèse ; je vais l’exposer. J’ai démontré bien des fois, dans mes recherches, que l’attitude normale des membres dépend de l’équilibre de la force tonique des muscles antagonistes qui meuvent les articulations, et que si une des forces toniques antagonistes vient à être affaiblie ou abolie par l’atrophie musculaire, les membres, obéissant à la force tonique prédominante, affectent nécessairement une attitude vicieuse. Les articulations de la colonne vertébrale n’ont pas échappé à cette loi commune à toutes les articulations. Or, la force tonique des mus- cles étant en raison directe delà quantité de leurs fibres, on peut juger de celle des sacro-spinaux par leur masse énorme. Mais les muscles de l’abdomen, quoique comparativement si faibles, contre- balancent l’action de celle force tonique, grâce à la longueur plus grande de leur bras de levier, qui est mesurée par la distance de la colonne vertébrale à la base du thorax, auquel ces muscles s’insèrent supérieurement. Lorsque donc l’atrophie affaiblit ou détruit ces derniers muscles, la force tonique des sacro-spinaux agit sur le rachis d’une manière exagérée en augmentant la courbure postérieure de la région lombaire. Et comme il en résulte que dans cette attitude de la colonne vertébrale toute la charge du tronc, au lieu d’être supportée par les sacro-spinaux, retomberait, comme dans le cas précédent (voy. fig. 65), sur les muscles de l’abdomen, et que ces derniers sont impuissants, le sujet reporte instinctive- ment la ligne de gravité du tronc en avant, en inclinant celui-ci sur le tronc (voy. fig. 66). SYMPTÔMES GÉNÉRAUX. 473 Quelle que soit l’exactitude des théories que je viens d’exposer, la valeur sémiotique de ces deux espèces de lordoses par atrophie musculaire n’en reste pas moins bien établie par les faits précé- dents, desquels il ressort que la lordose par atrophie musculaire, dans laquelle la ligne de gravité du tronc, conduite verticalement de la première apophyse épineuse dorsale au sacrum, tombe en arrière de cet os, annonce la faiblesse ou le défaut d’action des extenseurs du tronc et des sacro-spinaux, tandis que la lordose, également par atrophie musculaire, dans laquelle la ligne de gra- vité du tronc tombe en avant du sacrum, est le signe de fai- blesse ou du défaut d’action des fléchisseurs du tronc et des mus- cles de l’abdomen. Suivant M. Bouvier, l’atrophie des extenseurs du tronc sur la cuisse peut produire une lordose semblable à celle qui est consécutive à l’atrophie des muscles de l’abdomen (1). Je regrette de ne pas partager cette opinion de mon savant ami, pour cette raison que l’extension du tronc sur la cuisse n’est pas pos- sible quand les extenseurs de celui-ci sur le bassin étant paralysés, le bassin se trouve infléchi sur la cuisse. Enfin, la lordose par atrophie des muscles de l’abdomen offre quelque ressemblance avec celle qui est produite par la contracture des fléchisseurs du tronc sur la cuisse ou par la luxation congéni- tale double du fémur ; mais les signes propres à cette dernière affection rendent toute confusion impossible. E. — Symptômes généraux. L’atrophie musculaire graisseuse progressive peut arriver à sa dernière période (à la période de généralisation) en restant parfai- tement localisée dans les muscles de la vie animale, sans occa- siqnner d’autres troubles que ceux que l’on observe dans la nutri- tion musculaire. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Elle n’a provoqué la fièvre la plus légère dans aucun des cas que j’ai observés. Celle-ci n’apparaît qu’avec les accidents ultimes qui enlèvent le malade. La digestion se fait toujours parfaitement ; mais l’alimentation devient difficile lorsque les muscles qui président à la mastication et à la déglutition sont eux-mêmes atteints par l’atrophie. Parmi les masticateurs, ce sont les abaisseurs de la mâchoire inférieure que j’ai vus les premiers et le plus gravement lésés. Dans ce cas, l’abaissement de la mâchoire inférieure ne se fait plus qu’avec effort et devient de plus en plus limité, et dès que ces muscles abais- seurs de ce dernier os sont détruits, l’écartement volontaire des mâchoires étant impossible, l’alimentation, même par les potages, est très difficile. Le malade alors porte sa mâchoire inférieure en avant (sans doute à l’aide des ptérygoïdiens), de manière à laisser un intervalle libre entre les dents du maxillaire inférieur et celles du îpaxiHah’e supérieur. C’est par ce petit espace libre et en écartant fortement les lèvres qu’il parvient à faire pénétrer dans la bouche les potages ou les liquides. J’ai observé ces phénomènes pendant plus d’une année chez un malade. Il a d’abord commencé à ne pouvoir ouvrir la bouche sans efforts, A ce moment j’avais constaté un amaigrissement ponsidérable des muscles abaisseurs du maxil- laire inférieur ; ces derniers étaient à peine assez forts pour vaincre la résistance tonique (très forte, on le sait) des élévateurs du maxil- laire inférieur- Ensuite la possibilité d’écarter ses mâchoires a di- minué peu à peu; et quelques mois avant de mourir, lorsqu’il vou- lait ouvrir la bouche, il commençait par avancer sa mâchoire infé- rieure et il l’abaissait ensuite de 1 à 2 centimètres. Enfin , ce dernier mouvement d’abaissement du maxillaire inférieur étant devenu im- possible, il portait seulement pet os horizontalement en avant, comme je l’ai déjà dit. On voit donc combien est grave l’atrophie des mus- cles abaisseurs du maxillaire inférieur. Ce trouble de la mastication ou de la préhension des aliments est ordinairement accompagné ou précédé par une déglutition laborieuse. 11 est bon de savoir qu’une salivation en apparence plus abondante, parce qu’étant avalée diffi- cilement elle tombe au dehors, est le premier phénomène qui annonce les troubles de la déglutition. Bientôt après ou en même temps, la déglutition des aliments est déjà pénible. Ce trouble fonc- tionnel s’aggrave progressivement, au point que le malade perd le peu de forces qui lui pestent, par le fait d’une alimentation insuffi- sante; quelquefois même il est exposé à mourir de faim. Il n’existe point de paralysie du rectum ni de la vessie dans cette affection, bien que la défécation et la miction deviennent moins faciles quand les muscles de l’abdomen sont atrophiés. SYMPTÔMES GÉNÉRAUX. La respiration reste normale tant que les muscles chargés de la mécanique de cette fonction sont intacts. J’exposerai par la suite les troubles fonctionnels occasionnés par le défaut d’action du diaphragme; je dirai seulement ici que l’atro- phie de ce muscle, tout en occasionnant une grande gêne dans la respiration et surtout dans la phonation, ne cause pas immédia- tement d’accidents graves; mais que, dans ce cas, une simple bronchite peut donner la mort, ce que j’ai observé avec SI- le pro- fesseur Cruveilhier : conséquemment, lorsque lq diaphragme est atteint, la vie du malade est en péril. Les muscles intercostaux s’atrophient, tantôt avant, tantôt après le diaphragme, et tantôt en même temps que lui. Comme ils sont inspirateurs (1), on comprend qu’à l’instant où ils cessent d’agir, en même temps que le diaphragme, l’asphyxie a nécessairement lieu. Deux fois j’ai eu l’occasion d’observer l’atrophie des intercos- taux, tandis que le diaphragme était resté intact ou presque intact. Alors il m’a été donné d’observer le degré d’utilité de ces muscles et les troubles fonctionnels occasionnés par leur atrophie isolée. Les sujets dont les intercostaux étaient atrophiés ne pouvaient ni crier ni chanter ; ils n’étaient pas complètement aphones, grâce à l’intégrité de leur diaphragme: leur voix était faible et leurs phrases étaient fré- quemment entrecoupées par la nécessité de respirer. Ils nepouvaient faire une longue inspiration, et alors la Région épigastrique se sou- levait fortement, ainsi que la base du thorax (sous l’influence du diaphragme); mais les deux tiers supérieurs du thorax restaient immobiles. S’ils voulaient souffler, la colonne d’air expulsée avait si peu de force, qu’elle agitait faiblement la flamme d’une bougie, et quelque effort qu’ils fissent, ils ne pouvaient l’éteindre, ce qui ex- plique la faiblesse fie la phonation. Bien qu’ils pussent faire une longue inspiration, l’expiration était toujours très courte. C’est pourquoi ils ne savaient articuler deux ou trois mots à la suite les uns des autres sans faire une nouvelle inspiration. Il est toujours facile, pourvu que l’attention soit attirée sur ce point, de recon- naître l’atrophie des interosseux, surtout lorsque, comme on l’ob- serve en général à ce moment de la maladie, les pectoraux sont presque entièrement détruits et laissent ainsi à découvert les es- paces interosseux. On est frappé par l’enfoiipement de ces espaces intercostaux, par l’absenpe de l’agrandissement de la partie supé- rieure clu thorax pendant les efforts d’inspiration, contrastant avec ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. l’intégrité de la respiration diaphragmatique. J’avoue que j’ai long- temps méconnu les signes de l’atrophie partielle des intercostaux, et que je n’ai été bien fixé sur leur valeur réelle qu’après avoir constaté à l’autopsie l’atrophie de ces muscles. On peut comprendre la possibilité de cette erreur de diagnostic. Lorsqu’on effet on voit ces sujets, après une inspiration longue, ne pouvoir taire qu’une expiration courte, on ne manque pas d’en accuser les expirateurs, les muscles de l’abdomen. Il suffit heureusement d’un peu d’atten- tion pour reconnaître que ces muscles sont sains. On les voit en effet se contracter vigoureusement ; mais ils n’ont d’action que sur la base du thorax, qu’ils rétrécissent, et puis ils ne peuvent que diminuer le diamètre vertical des poumons, en refoulant de bas en haut le diaphragme par l’intermédiaire des viscères abdominaux qu’ils dépriment. Je dois me hâter de dire aussi que la force expiratrice est diminuée de moitié au moins par le fait de l’atrophie des inter- costaux ; ce qui s’explique par le défaut de retrait élastique des côtes qui, dans ces cas, restent affaissées (on sait que ce retrait élas- tique des côtes joue le rôle principal dans l’expiration). La force élastique des côtes qui tend à rétrécir la cage thoracique est telle, qu’elle a besoin d’être modérée par la puissance tonique et antago- niste des intorosseux. La poitrine, en effet, se rétrécit chez les sujets dont les intercostaux s’atrophient. L’atrophie de ces derniers me paraît aussi grave que celle du diaphragme. 11 suffit, dans l’un et l’autre cas, d’une simple bronchite pour produire l’asphyxie. J’ai déjà dit qu’il n’existait pas, dans l’atrophie musculaire grais- seuse progressive, d’autres troubles de l’innervation qu’une diminu- tion de la sensibilité musculaire marchant de pair avec l’atrophie, et que l’on observait aussi quelquefois une anesthésie cutanée dans les régions atrophiées.—J’ai dit aussi que si, chez quelques ma- lades, l’atrophie avait été accompagnée ou précédée de douleurs névralgiques ou rhumatismales, ces douleurs devaient être consi- dérées comme une complication, parce que la grande majorité des malades n’en ont point éprouvé. — Enfin, point de troubles psy- chiques dans cette maladie ; les malades possèdent au contraire toute leur lucidité, conservent toute leur mémoire. § II. —• Étiologie. L’atrophie musculaire graisseuse progressive est une maladie de l’âge adulte; c’est la règle. Je n’y ai rencontré qu’une exception, dans une famille où le frère et la sœur ont été atteints par cette ÉTIOLOGIE. affection dès l’âge de dix à douze ans. Ce fait sera rapporté plus loin (obs. CVI). Elle attaque, dans la grande majorité des cas, le sexe masculin. Elle me paraît naître dans tous les pays et sous tous les climats. On m’en a adressé en effet de Russie (de Moscou, de Saint-Péters- bourg), de différents points de l’Allemagne, d’Espagne, d’Afrique, de Turquie, du Brésil. Toutefois la très grande majorité m’est venue de la France ; j’en ai observé le plus grand nombre à Paris. J’ai vu quelquefois le froid et l’humidité prendre une certaine part au développement de cette maladie, mais le plus souvent la fatigue en est la cause occasionnelle dans la classe ouvrière. Observation GUI.— L’influence rhumatismale, et par-dessus tout l’ac- tion musculaire immodérée, ont évidemment contribué d’une manière puis- sante à la production de l’affection musculaire d’un malade nommé Lecomte, que j’ai faradisé à l’hôpital de la Charité pendant plusieurs années, dans le service de M. le professeur Andral, et que j’avais engagé à passer ensuite dans le service de M. le professeur Cruveilhier, où il est mort. —• Son his- toire, recueillie par M. Aran et moi, à l’époque où il était dans le service de M. Andral, a été publiée pour la première fois avec détail dans la des- cription de l’atrophie musculaire progressive par M. Aran, à qui j’avais signalé ce cas. M. le professeur Cruveilhier a également écrit son observa- tion dans la note qu'il a communiquée à l’Académie de médecine sur cette maladie qu’il a cru devoir appeler paralysie alrophique (1). — Je suis sur- pris qu’on n’ait pas insisté davantage, dans cette dernière relation, sur la fatigue musculaire, comme cause de sa maladie. Ce malheureux m’a en- tretenu fort souvent de sa vie agitée et pleine de labeur. Grâce à son intel- ligence et à son activité, il s’était élevé de la condition de valet de saltim- banque à celle de directeur d’une troupe d’animaux savants. (C'est lui qui avait, en 1847, installé sur le boulevard Beaumarchais un petit théâtre où il montrait une troupe de chiens et de singes qui faisaient l’exercice à feu, montaient à l’assaut, etc.) «Mais, pour arriver là, me disait-il, j’ai usé mon corps à force de fatigue. » Ce qui l’acheva, ce fut la révolution de 1848 ; son théâtre fut alors déserté, et il dut réduire ses prix d'entrée pour attirer la foule (une place qui valait jadis cinquante centimes, n’était plus payée que cinq). Alors, voulant se rattraper sur la quantité, il donna des représenta- tions du matin au soir. Malgré tant de fatigues et d’activité, il ne put ce- pendant faire ses frais, et fut forcé de louer sa baraque pour des clubs ou des réunions patriotiques, seul spectacle, disait-il malicieusement, en vogue à cette époque. Mais les patriotes payaient trop mal pour nourrir ses ani- (1) Bulletin de l'Académie de médecine. Paris, 1852-1853, t. XVIII, p. 490. maux. II dut alors parcourir les campagnes, suivi de sa ménagerie, élevant lui-même sa baraque, voyageant continuellement la nuit, et donnant des représentations le jour, dormant peu, et couché le plus souvent sur le sol et en plein air. Un jour, surpris par la neige au milieu des champs et voya- geant à pied, il faillit mourir de fatigue et de froid. C’est dans ces circon- stances que s’est développée plus rapidement son affection musculaire. — Je suis entré dans ces détails pour démontrer que l’abus de l’action muscu- laire a eu pour le moins une aussi grande part que l’influence rhumatis- male dans la maladie de Lecomte. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Mais ces causes, auxquelles on pourrait en ajouter d’autres (l’ona- nisme, l’abus des plaisirs vénériens, etc.), sont seulement occasion- nelles, comme le prouvent les faits, hélas î trop nombreux, dans lesquels oh voit l’atrophie musculaire graisseuse progressive se développer sans cause connue, ou sous t'influence d’une prédisposi- tion héréditaire. Èn moins d’une année, écrivais-je dans la précédente édition, j’ai vu fatfophie musculaire graisseuse progressive atteindre une dizaine de personnes de la classe riche ou aisée, chez lesquelles il m’a été impossible de découvrir une cause occasionnelle quel- conque qui aurait pu provoquer le développement de cette maladie. J’en ai rapporté plusieurs exemples, et entre autres le suivant : Observation CÎV. — M. B..., dont j’ai fait représenter dans les figures 73 et 74 les difformités produites par l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive, est âgé de vingt-deux ans, d’une haute stature, et très musclé, si l’on en juge par ce qui lui reste démuselés. En 1846, il s’aperçut d’une diminution de force pendant l’élévation du bras (il était chasseur, et pou- vait difficilement mettre son fusil en joue) . C’est à cette époque qu’il fait remonter le commencement de sa maladie. Vers la même époque, il vit qde ses cuisses maigrissaient en même temps qu’elles s’affaiblissaient ; le tronc maigrissait également. On n’y prêta pas une grande attention, et ce ne fut qu’en 1851 qu’un médecin d’Apt, consulté sur h difficulté des mouvements des membres supérieurs, fit porter un corset orthopédique destiné à maintenir les omoplates qui faisaient une saillie considérable. Ce corset ne put être supporté par le malade. L’affaiblissement et l’amaigrissement de certaines parties dü corps allèrent croissant, jusqu’au moment où il me fut adressé par son médecin, M. le docteur Chauvin, au commencement de décembre 1853. Alors je constatai a droite, à l’aide de l’exploration électro-muscu- laire, que le biceps avait à peu près entièrement disparu, mais que le tri- ceps brachial était encore considérablement développé ; je ne retrouvai pas le long supinateur, mais tous les autres muscles de l’avant-bras et de la main étaient intacts; le deltoïde, les sous-épineux, le grand rond, le sus- épineux et l’angulaire de l’omoplate étaient à peu près à l’état normal* mais le trapèze, le rhomboïde, le grand dentelé et le grand dorsal avaient dis- paru. A gauche, les muscles du bras étaient également atrophiés, mais en sens inverse, c’est-à-dire que le triceps était presque entièrement détruit, et que le biceps avait beaucoup moins souffert que du tôté opposé, où il n’y avait plus de long supinateur, de grand dorsal, de trapèze, ni de grand den- telé, Aux membres inférieurs, les extenseurs de la jambe sur la cuisse étaient considérablement atrophiés, mais j’en retrouvai encore des traces par l’exploration électro-musculaire. J’ai décrit précédemment les désor- dres occasionnés dans l’attitude de ses épaules et dans les mouvements de ses membres supérieurs, je n’ai donc point à y revenir. ÉTIOLOGIÊ. On peut se faire une idée des désastres occasionnés chez ce mal- heureux jeune homme, à la vue de la figure 73. Eh bien! il m’a été impossible de découvrir la cause de sa maladie. Il n’a jamais été malade avant 18ù6 ; il n’a jamais éprouvé la moindre douleur ; il affirme n’avoir pas abusé des plaisirs vénériens, ni s’être livré à l’onanisme. En sortant du collège, il ne s’accordait d’autres occupa- tions, d’autres plaisirs que la chasse, à laquelle il s’est livré sans abuser de ses forces. Enfin, personne dans sa famille n’a été atteint d’une maladie semblable à la sienne. J’ai rapporté dans l’édition précédente (observation, p. 586) l’his- toire d’une atrophie qui s’était développée chez un homme qui ne s’était livré qu’à des études littéraires, qui n’avait subi de privations d’aucune espèce, qui n’avait jamais souffert, qui n’avait pas eu d’autre maladie, chez lequel, en un mot, il était impossible de dé- couvrir la moindre cause qui eût pu provoquer cette affection. Observation CV. — M. le professeur Velpeau m’a adressé en 1833 un malade atteint depuis deux ans d’une atrophie musculaire graisseuse progressive qui s’est généralisée. Ce malade, M. M..., négociant, demeu- rant boulevard Beaumarchais, n° 72, a toujours été dans une position très aisée, n’a jamais souffert du froid ni de l’humidité ; il n’a fait aucun abus de ses forces, ni des plaisirs vénériens ; personne dans sa famille n’a eu de maladie semblable à la sienne. Enfin, on ne peut découvrir la cause de cette affection, quia marché progressivement, comme dans les cas précé- dents. Les autres cas que j’ai observés en consultation avec des confrères (MM. Chomel, Nélalon, Patouillet, etc.) se sont déclarés sans qu’il ait été possible d’en déterminer la cause occasionnelle. Parmi ces malades on comptait cinq dames. Depuis 1855 (époque où fut publiée l’édition précédente), com- bien d’histoires, toutes aussi déplorables, pourrais-je ajouter aux précédentes, et qui démontrent que l’atrophie musculaire graisseuse se déclare souvent sans cause connue ou occasionnelle, et qu’il n’existe pas de classe privilégiée qui ne soit pas exposée aux atteintes de cette maladie. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. L’influence héréditaire est démontrée par l’histoire d’un capitaine au long cours (1), qui a vu son frère et un de ses oncles maternels périr de l’atrophie musculaire, à laquelle il a succombé lui-même, ainsi qu’il s’y attendait. Observation CYI. — A ce fait lugubre je puis ajouter celui d’un jeune homme que j’ai vu en consultation avec mon confrère, feu M. Maubec, et qui vers l’âge de dix ans a perdu successivement et graduellement presque tous les muscles commandés par les septièmes paires, et une grande partie des muscles du tronc, des bras et des cuisses. J’ai retrouvé, à l’aide de la faradisation, les débris de quelques-uns de ces muscles, dont on pouvait encore provoquer de faibles contractions, sur le tronc et sur les membres ; et puis, phénomène bizarre que l’on n’observe que dans cette maladie! au milieu de ce désastre musculaire, on voyait sur ce jeune homme les mus- cles des avant-bras, des mains et, des jambes excessivement développés et jouissant d’une force athlétique. Malgré le soin que M. Maubec et moi avons mis à fouiller dans les antécédents de ce malheureux jeune homme, nous n’avons pu découvrir d’autre cause de sa maladie qu’une influence hérédi- taire; et, en effet, sa sœur, à peine âgée de douze ans, perd déjà, comme lui, les muscles de la face. Enfin, je rappellerai ici ce singulier principe héréditaire en vertu duquel, depuis plusieurs générations, l’atrophie musculaire grais- seuse progressive est transmise aux aînés d’une même Camille. (Ce fait a été rapporté précédemment observation CH, et représenté dans les figures 76, 77 et 78. Il ressort de tous ces faits que, si des causes occasionnelles variées peuvent provoquer ou hâter le développement de l’atrophie mus- culaire graisseuse progressive, il n’en est pas moins démontré qu’il existe chez les sujets qui en sont atteints une sorte de diathèse, mal- heureusement inconnue, quelquefois héréditaire, qui produit cette affection musculaire. (1) Son histoire a été rapportée dans l’édition précédente : De Vélectrisai ion localisée. Paris, 18S5, in-8, p. 459. MARCHE, DURÉE, PRONOSTIC. § 111. — Marche, durée , pronostic. A. — Marche. En exposant les symptômes de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, j’ai dû rechercher quel était son siège d’élection habi- tuel, et conséquemment, dans quel ordre elle détruisait progressi- vement, quoique partiellement et capricieusement, les muscles de la vie animale. On se rappelle qu’il a été constaté alors que si, ordi- nairement, elle débute par les membres supérieurs en affectant d’abord de préférence certaines régions (les muscles de l’éminence thénar et les interosseux), elle peut aussi attaquer quelquefois pri- mitivement, mais rarement, certains muscles des membres inférieurs (les fléchisseurs du pied sur la jambe ou ceux du tronc (les sacro- spinaux, les grands dentelés). Mais j’ai démontré qu’en général elle ne s’écarte de la marche habituelle que sous l’influence de certaines causes occasionnelles. Enfin il est essentiel de remar- quer que les muscles qui président à la déglutition, à l’articulation des mots et à la respiration sont atteints les derniers, en général, par cette maladie. B. — Durée. La durée de l’atrophie musculaire graisseuse progressive est très variable. Cette affection peut arriver à sa période ultime en moins de deux années, c’est-à-dire que j’ai constaté; qu’en cet espace de temps elle avait altéré, à des degrés divers, un grand nombre de muscles des membres supérieurs et du tronc, quelques-uns des muscles des membres inférieurs, de la face et dans les deux der- niers mois ceux qui président à la déglutition et à la respiration. C’est la marche la plus rapide qu’il m’ait été donné d’observer dans cette maladie. Il n’est pas rare cependant de la voir rester station- nais pendant un temps plus ou moins long, et même s’arrêter défi- nitivement après avoir envahi une ou plusieurs régions. C’est ainsi que j’observe depuis huit à neuf ans des malades chez lesquels elle reste localisée dans un plus ou moins grand nombre des muscles, soit de la main, soit du tronc. J’ai trouvé dans mes notes, un cas, où, après avoir été limitée pendant une quinzaine d’années dans les muscles de l’éminence thénar, elle a repris sa marche progressive. Mais heureusement les malades peuvent vivre de très longues an- nées, alors môme que l’atrophie est déjà généralisée, pourvu que les muscles essentiels à la vie soient respectés. On se rappelle en düchenne. 482 effet que dans une même famille, plusieurs sujets ont vécu jusqu’à un âge très avancé, bien que depuis l’âge de dix-huit à vingt ans l’atrophie musculaire graisseuse fût à peu près généralisée. Ils n’ont pas même été enlevés par cette affection musculaire. Mais chez ces malades, les muscles de la respiration et de la déglutition avaient été respectés. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. C. — Pronostic. Les faits et les considérations que j’ai exposés en traitant des symptômes et de la marche de l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive, ont déjà montré combien est grave le pronostic de cette affection. En effet, son diagnostic une fois bien établi, on a toujours à craindre, même dès le début, ou la perte des muscles essentiels à l’usage des membres, ou sa généralisation et sa terminaison dans un temps quelquefois assez prochain, par la faim ou par une as- phyxie lente. Cependant le médecin ne doit pas toujours voir ce côté le plus sombre du tableau que j’ai tracé de cette terrible ma- ladie. Il se rappellera surtout que j’ai établi par des faits qu’elle ne marche pas toujours vers cette terminaison, comme on l’a voulu dire antérieurement pour d’autres affections musculaires générales, en les appelant progressives. Ne viens-je pas en effet de dire que l’on peut l’arrêter dans sa marche envahissante ou qu’elle reste même quelquefois spontanément localisée dans un plus ou moins grand nombre de muscles, sans atteindre ceux qui sont essentiels à la vie? Oh ! certes, si les muscles respirateurs ou de la déglutition étaient frappés dès le début, cette maladie serait rapidement mortelle; mais heureusement, comme je l’ai déjà dit, dans les faits très nom- breux que j’ai observés, j’ai vu ces muscles mourir en général les derniers. Je vais montrer qu’il est encore un autre espoir auquel on peut, dans certains cas, se laisser aller. On sait, hélas! qu’en général cette maladie, dans sa marche destructive, abolit successivement l’usage de la main, puis du membre supérieur, et qu’ensuite la marche et la station deviennent difficiles, etc. Une telle perspective pour le malade est affreuse, et j’en connais qui depuis des années sont condamnés à vivre dans cet état déplorable. Eh bien! j’ai re- marqué que, lorsque les muscles du tronc dont un grand nombre sont d’une utilité secondaire, sont attaqués primitivement, les mus- cles moteurs des membres et surtout ceux qui meuvent la main, ne sont atteints que très tardivement et même restent intacts. Ainsi je rapporterai plus tard l’histoire d\m mécanicien (véritable sque- DIAGNOSTIC. Jette) qui, quoique depuis huit ans déjà l’atrophie graisseuse lui ait enlevé la plupart des muscles du tronc, a cependant conservé intacts ceux des membres supérieurs; ce qui lui permet d’exercer son état. Lors donc que l’atrophie débutera par les muscles du tronc, le pronostic paraît être moins grave que lorsqu’elle attaquera primitivement les muscles de la main. Que l’on me permette encore quelques considérations qui peu- vent, dans certains cas, éclairer le pronostic de cette maladie. J’ai dit, en traitant des causes de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, qu’assez fréquemment cette affection se déclare sans raison appréciable, et conséquemment qu’il existe pour elle une dia- thèse comme pour un grand nombre d’autres maladies. Du degré de puissance de cette diathèse (que l’on appelle germe en termes vulgaires) dépend évidemment le degré de gravité du pronostic. Voici, je crois, dans quelles circonstances on peut reconnaître si, dans un cas donné, cette diathèse est légère ou profonde. J’ai re- marqué que cette maladie, lorsqu’elle se développe sans cause connue, comme on l’observe dans les classes riches ou élevées, se généralise plus rapidement et se termine ordinairement d’une ma- nière fatale; tandis que chez les ouvriers, où l’atrophie provoquée par un travail forcé se manifeste dans les muscles qui ont fatigué davantage, ou la maladie reste souvent localisée dans ces derniers, ou elle progresse moins rapidement, ou elle oppose moins de résistance à l’action curative de la faradisation localisée. Ne ressort-il pas de ces faits que, dans ce dernier cas, la puissance delà diathèseest moins grande que dans le premier, et que, sans la cause occasionnelle, l’abus du travail par exemple, l’atrophie ne serait pas sans doute développée? J’en conclus donc que le pronostic doit être moins grave lorsque l’atrophie se montre localisée primitivement dans les muscles qui ont été fatigués par un travail excessif et trop continu. § IV. — Diagnostic. Les symptômes de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, sa marche et sa terminaison offrent à l’observation un ensemble de signes qui suffisent pour en constituer cliniquement une espèce morbide parfaitement distincte. Les désordres qu’elle occasionne dans l’attitude des membres et du tronc, et dans la forme de ces derniers dont elle altère le modelé, lui donnent un faciès spécial qui la fait reconnaître à la première vue. Cependant j’ai rencontré des affections qui, ayant quelques points de ressemblance avec cette maladie, pourraient être confondues avec elle. Ces affections sont : 1° la paralysie que j’ai appelée paralysie gé- nérale spinale, la paralysie générale des aliénés et la paralysie satur- nine généralisée ; 2° la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance ; 3° une espèce d’atrophie musculaire de la main que j’ai observée dans une des formes de l’éléphantiasis ; k° l’atrophie et la défor- mation de la main et du membre supérieur consécutivement aux douleurs rhumatoïdes ou névralgiques et au rhumatisme articu- laire chronique de la main ; 5° la paralysie progressive des muscles de la langue, du voile du palais et du pharynx ; 6° quelques affections musculaires coïncidentes. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. A. — Paralysie générale spinale, paralysie générale des aliénés et paralysie saturnine généralisée. L’atrophie musculaire graisseuse progressive, quand elle est généralisée, présente dans ses caractères extérieurs un cachet dis- tinctif qui ne permet pas de la confondre avec la paralysie générale spinale, ni avec la paralysie générale des aliénés ni avec la paralysie saturnine généralisée. Il suffit de l’avoir bien observée une fois pour la reconnaître à son faciès. Ainsi, tandis que dans la paralysie gé- nérale des aliénés, lorsque les malades tombent dans le marasme, l’atrophie [frappe en masse et d’une manière égale tout le système musculaire ; tandis que dans la paralysie spinale, on voit s’atro- phier, à la fois et d’une manière égale, tous les muscles des mem- bres inférieurs, puis progressivement et de la même manière ceux des autres régions ; enfin, tandis que, dans la paralysie saturnine généralisée, la contractilité électro-musculaire est primitivement affaiblie ou abolie dans certains muscles d’élection (dans quelques muscles de la région postérieure de l’avant-bras), on voit au con- traire l’atrophie musculaire détruire capricieusement et inégalement chacun des muscles, de sorte qu’à côté d’une dépression marquant la place d’un muscle qui n’est plus, on voit la bosselure, le relief plus ou moins considérable d’un muscle voisin qui a été respecté ou moins attaqué par la maladie, et qui cependant était placé sous la dépendance du même nerf. Cependant ces signes diagnostiques, tirés de la forme extérieure, sont beaucoup moins frappants lorsque l’atrophie graisseuse est arrivée à une période très avancée, bien qu’on découvre çà et là quelques muscles ou portions de muscles encore appréciables au toucher ou à la vue. Si alors l’atrophie musculaire graisseuse est généralisée, il faut une certaine attention et la connaissance clinique de cette maladie, pour ne pas la confondre, ou avec la paralysie générale des aliénés, ou avec la paralysie générale spinale, ou avec la paralysie saturnine généralisée. C’est alors que l’examen de l’état de la contractilité électro-musculaire devient un élément précieux de diagnostic. Cette question est d’une telle importance que je de- manderai la liberté d’agiter, comparativement et en m’appuyant sur quelques exemples, le diagnostic différentiel de ces trois affec- tions musculaires généralisées. DIAGNOSTIC. — PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE. Étant donné un sujet atteint d’une affection musculaire générale dans laquelle la nutrition musculaire est profondément lésée et la motilité abolie, ce sujet ayant en outre un embarras de la parole et jouissant de ses facultés intellectuelles, quelle est cette affection musculaire ? 1 ° Est-ce une atrophie musculaire graisseuse progressive générale? — Je rapporterai par la suite l’histoire d’un saltimbanque qui a suc- combé à l’atrophie musculaire généralisée, et qui offrait cet en- semble de phénomènes. En voici plusieurs autres exemples que j’ai observés dans la pratique civile. Observation CV1I. — En 1853, j’ai été appelé en consultation avec MM. Chomel et Néîaton, par M. Patouillet, pour une de ses clientes qui présentait cet état général du système musculaire. Les muscles des mem- bres supérieurs du tronc et du cou avaient disparu en grande partie ; on en retrouvait quelques faisceaux par l’exploration électro-musculaire. La pa- role de cette malade était embarrassée comme dans l’aliénation ; la déglu- tition était difficile comme dans une période avancée de cette dernière ma- ladie, et cependant elle est morte ayant toujours conservé l'intégrité de ses facultés intellectuelles. Observation CV1II. — Un peu plus tard, j’ai vu aussi en consultation, J 7 avec un membre de l’Académie de médecine, M. Gimelle, une malade, ma- dame A..., rue du Colysée, n° 1 6, qui était à peu près dans le même état du côté des muscles, de la parole, de la déglutition, et qui est morte peu de temps après avec toute son intelligence. L’exploration électro-musculaire démontra que ces deux dames étaient atteintes d’une atrophie musculaire graisseuse progressive. Leurs muscles étaient atrophiés ou devenus graisseux inégalement et d’une manière bizarre dans toutes les régions, ce que l’on n’ob- serve ni dans la paralysie générale spinale, ni dans la paralysie générale des aliénés, ni dans la paralysie saturnine généralisée (qui d’ailleurs n’affecte jamais la parole). ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. OnsERVAiiON C1X. — En février 1 854, on a pu voir au numéro 17 de la salle Saint-Ferdinand (Charité), un malade qui offrait des phénomènes semblables aux précédents. Il se nommait Mousseau; je l’avais fait entrer, le 12 novembre 1 833, dans ce service, afin de le soumettre à l'observation de mon excellent maître, M. Cruveilhier. Ce malade offrait dans son en- semble l'apparence d’un marasme général ; mais en l’examinant avec plus d’attention, on voyait qu’un grand nombre de ses muscles avaient disparu complètement aux membres supérieurs ; que ceux dont on pouvait encore constater l’existence par les mouvements qu’on lui faisait exécuter et par l’exploration électrique, avaient conservé très peu de fibres ; sur le tronc, l'écorce musculaire avait disparu en partie et au cou, c’étaient les fléchis- seurs, à l’abdomen, les muscles droits; ceux des membres inférieurs étaient en voie d’atrophie. Les muscles du pharynx étaient sans doute également atteints, car la déglutition était très difficile. Sa langue ne paraissait pas atrophiée, bien qu’on y vît quelques contractions fibrillaires ; la parole était embarrassée, coupée, accompagnée d'un tremblement des lèvres, comme on l’observe dans la paralysie générale des aliénés. La peau était soulevée par des contractions fibrillaires générales partout où il existait de la fibre mus- culaire. Ce malade a été visité par des aliénistes qui n’ont pu s’empêcher de dire, en le voyant, qu’avant les travaux récents sur l’atrophie graisseuse progressive, l’affection dont il était atteint eût été infailli- blement rangée dans la paralysie générale des aliénés ; cependant l’intelligence de cet homme était parfaitement intacte, et je me crus fondé à affirmer, d’après (les faits nombreux que j’avais observés, que cette intelligence n’était pas en danger. Son affection était une atrophie musculaire graisseuse généralisée. En effet : 1° par l’ex- ploration électrique on constatait qu’un grand nombre de ses mus- cles avaient entièrement disparu; ce qui ne s’observe jamais dans la paralysie générale des aliénés; 2° chez ce malade là où il existait encore de la fibre musculaire, l’excitation électrique et la volonté pouvaient provoquer des contractions, phénomène qui no permettait pas d’admettre l’existence de la paralysie générale spi- nale. Ce malade est mort quelque temps après avec toute son intel- ligence. 2° Est-ce une paralysie générale spinale? — Voici, entre autres, un cas de paralysie générale spinale dans lequel existait un embarras de la parole, et pour lequel j’ai été appelé en consultation par mon confrère M. Charrier. (Je n’en mentionnerai pas les antécédents qui ont été rapportés dans la précédente édition, p. 616.) Observation CX. — En septembre 1 847, madame D s’aperçut pour la première fois d’un affaiblissement dans son membre supérieur droit et dans ses membres inférieurs. En octobre 1848, elle ne put plus se servir du bras droit. La paralysie gagna bientôt le membre supérieur gauche, et en novembre 1848, elle fut entièrement percluse. La 'parole devint difficile en août 1 849, ainsi que la déglutition. DIAGNOSTIC. — PARALYSIE GENERALE DES ALIÉNÉS. Appelé par mon confrère M. Charrier, à explorer cette dame par la fara- disation localisée, je constate les phénomènes suivants : l’excitation élec- trique, même par l’électropuncture, ne peut 'provoquer la contraction des muscles de la région antérieure et externe de la jambe; à la région posté- rieure de la jambe l’électropuncture ne produit que des contractions fibril- laires. La contractilité électrique, affaiblie à la cuisse, est encore assez développée, quoique au-dessous de l’étal normal. Les rhéophores appli- qués sur la région postérieure de l’avant-bras droit ne provoquent que la contraction affaiblie de l’extenseur du pouce. Les muscles de la région an- térieure ne se contractent un peu que par l’excitation du nerf médian. Cette contraction n’a lieu que sous l’influence d’un courant très intense. Les mus- cles du bras sont plus contractiles, mais il leur faut un courant assez élevé. A gauche, les muscles du membre supérieur ont conservé plus de contrac- tilité électrique. Les muscles de l’abdomen se contractent moins qu’à l’état normal ; ceux du tronc paraissent avoir conservé toute leur contractilité électrique. A la face, les muscles ont perdu à un léger degré cette propriété musculaire. Tous les muscles étaient atrophiés en masse et les mouvements n’avaient pas été atteints partiellement pendant la marche progressive de la maladie. — L’intelligence est intacte, la sensibilité cutanée normale et les fonctions digestives naturelles. •— Deux mois après cette exploration, cette dame succomba avec une parfaite intégrité de ses facultés intellec- tuelles. Cette observation de paralysie générale, avec embarras de la pa- role, ne saurait être confondue avec aucune des autres affections dont nous agitons le diagnostic différentiel. 3° Est-ce une paralysie générale dans laquelle la folie ambitieuse doit se déclarer tôt ou tard? —Je n’ignore pas qu’en général cette folie paralytique, comme l’appelle M. Parcbappe, suit une marche toute différente et présente des caractères qui la distinguent des affections musculaires précédentes (l’atrophie graisseuse progres- sive, la paralysie générale spinale et la paralysie saturnine géné- ralisée). Mais il arrive quelquefois que, dans la paralysie générale des aliénés, les troubles du mouvement, au lieu de débuter d’emblée, d’une manière générale, se localisent au début dans les membres inférieurs ou supérieurs, et qu’après être restée localisée, elle affecte progressivement tout le système musculaire ; on voit aussi quelque- fois la difficulté de la parole se montrer tardivement. En outre, le malade peut avoir éprouvé des douleurs dans les membres; les muscles peuvent être plus ou moins amaigris ou émaciés, et pré- senter des contractions fibrillaires. Alors, on le conçoit, le dia- gnostic de la paralysie générale des aliénés n’est plus aussi facile. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. La question de diagnostic que je viens de poser se présente quelquefois dans la pratique ; j’ai eu à la résoudre dans les différents cas cités ci-dessus. Est-il besoin de dire que sa solution non-seule- ment intéresse le malade, mais aussi qu’elle importe au repos des familles? En effet, il y a quelques années à peine, tout malade présentant l’ensemble de ces troubles musculaires généraux avec embarras de la parole, eût été infailliblement suspecté d’être atteint de paralysie générale des aliénés. On comprend que ce diagnostic qui faisait peser un tel doute sur l’intégrité des facultés intellectuelles d’un malade, pouvait, dans certains cas, soulever des questions médico-légales graves et difficiles à résoudre. Grâce à l’exploration électro-musculaire, le doute ne peut plus exister dans ces cas. En effet, si les muscles malades ne répondent pas cà l’excitation électrique, l’affection musculaire générale com- pliquée d’embarras de la parole, et sur le diagnostic dedaquelleon est appelé à se prononcer, ne peut pas appartenir â la paralysie générale des aliénés, dans laquelle tous les muscles faradisés indi- viduellement possèdent toujours leur contractilité électrique nor- male, quel que soit leur degré d’atrophie. Il sera facile ensuite de distinguer entre elles la paralysie générale spinale de l’atrophie graisseuse progressive ; car dans la première, tous les muscles ont perdu, en masse et à des degrés divers, leur contractilité électro- musculaire ; tandis que l’on trouve, dans la seconde, des portions de muscles qui, survivant encore au milieu des muscles devenus grais- seux, se contractent très bien par la faradisation localisée. On re- marquera de plus, dans ce dernier cas, que ces portions muscu- laires se contracteront encore sous l’influence de la volonté du malade. Enfin, les signes tirés de l’état delà contractilité électro-muscu- laire acquièrent un très haut degré de certitude lorsqu’on les rat- tache aux symptômes qui sont propres à chacune des affections dont il vient d’être question. Est-ce une paralysie saturnine généralisée? — La séméiologie ordinaire n’indique aucun moyen de distinguer, dans certains cas, la paralysie saturnine généralisée de la paralysie générale des aliénés, de la paralysie générale spinale et de l’atrophie musculaire graisseuse progressive généralisée. Je vais fournir la preuve de ce que j’avance: qu’un homme ait eu des coliques de plomb, ou que seulement il ait été exposé par sa profession à l’intoxication saturnine; qu’il lui soit ensuite survenu une paralysie générale, puis des désordres de l’intelligence, en apparence, voilà une paralysie générale des aliénés, de cause saturnine. Dans l’état actuel de la science, telle du moins qu’on l’enseigne, personne n’est certainement en mesure de prouver que ce diagnostic est erroné. D’ailleurs, des faits analogues ont été publiés, et des aliénistes éminents (MM. Esquirol, Calmeil (1), Delasiauve, etc.) professent que la paralysie saturnine générale peut produire les troubles intellectuels qu’on observe dans la paralysie générale des aliénés. DIAGNOSTIC. — PARALYSIE GÉNÉRALE SATURNINE. Les mêmes coïncidences ou conditions individuelles pourraient aussi faire attribuer à l’action du plomb l’atrophie musculaire grais- seuse progressive. Les sujets atteints de paralysie saturnine généralisée, ayant pré- senté, comme je l’ai démontré, une lésion plus ou moins grande de la contractilité électro-musculaire, dans certains muscles d’é- lection, ainsi qu’on l’observe dans la paralysie saturnine limitée à l’avant-bras, je songeai de bonne heure à appliquer la connaissance de ces phénomènes au diagnostic différentiel de la paralysie géné- rale saturnine. J’étais déjà suffisamment fixé en 1848 sur la valeur de ces signes diagnostiques pour en faire une application heureuse dans un: cas de paralysie générale très obscur qui se présentait dans le service de M. Fouquier. J’en ai exposé l’analyse page 463 de la précédente édition, obs. LV, à cause de la paralysie du dia- phragme, qui compliquait cette paralysie générale. Voici, en résumé, les raisons pour lesquelles ces symptômes de- viennent un signe précieux pour le diagnostic différentiel de la pa- ralysie générale saturnine. 1° L’on n’observe pas ces phénomènes chez les sujets atteints de la paralysie générale des aliénés, dont les muscles, on le sait maintenant, conservent intacte leur contractilité électrique, quelque atrophiés qu’ils soient. 2° On ne trouve pas non plus, dans la paralysie générale spinale cette action élective de l’in- toxication saturnine, puisque les muscles de la région antérieure de l’avant-bras et ceux de la main perdent successivement de leur contractilité électrique, comme les muscles de la région antibra- chiale postérieure, et que la lésion de la contractilité électro- musculaire s’étend àtoutes les régions du corps. 3°Enfm, l'atrophie musculaire graisseuse progressive qui détruit capricieusement et (1) Traité des maladies inflammatoires du cerveau. Paris, 1859, t. I. 490 partiellement chacun des muscles indistinctement, dans laquelle les muscles conservent leur excitabilité électrique et leur contractilité volontaire tant que la fibre n’est pas entièrement transformée, ne saurait être confondue avec la paralysie saturnine généralisée, qui frappe en même temps certains muscles d’élection, dans leur con- tractilité électrique. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. B. — Paralysie atrophique graisseuse de l’enfance. La paralysie atrophique graisseuse de l’enfance, quand elle est arrivée à sa dernière période, surtout lorsqu’on en observe les suites chez les sujets avancés en âge, pourrait être confondue avec l’atro- phie musculaire graisseuse progressive. Ainsi, dans l’une et l’autre affection musculaire, on voit, par la faradisation, certains muscles atrophiés ne plus donner signe de vie, tandis que d’autres muscles voisins, également atrophiés, se contractent encore ou en entier, ou partiellement, ou fibrillairement ; les muscles, les faisceaux ou fibres musculaires qui réagissent sous l’influence électrique, obéissent également à la volonté. Observation CXI. — J’ai observé à la Charité (salle Sainte-Vierge, service de M. Velpeau) une malade nommée Clémence Quille, âgée de vingt-huit ans, demeurant à Paris, rue Notre-Dame-des-Champs, n° 76, entrée à l’hôpital, le 29 mars 1854, pour se faire traiter d’une affection can- céreuse du sein, et qui, dans son enfance (à l’âge de dix-huit mois), a eu une paralysie de tous les membres, accompagnée au début de trois ou quatre jours de fièvre, et à la suite de laquelle elle a perdu l’usage de quel- ques muscles de l’avant-bras et de la main du côté droit. J’ai constaté par l’exploration éleclro-musculaire, que quelques muscles de l’avant-bras et de la main (le cubital postérieur, les muscles de l'éminence thénar, l’inter- osseux abducteur de l’index) avaient entièrement disparu. Les autres muscles de l’avant-bras, quoique très atrophiés, possèdent leur contractilité électrique et volontaire normale. Le membre supérieur droit est plus court et la main est plus petite que du côté opposé. Observation CXIII. — J’ai encore observé deux cas analogues à la Charité en 1852, l’un au n° 22 de la salle Saint-Jean-de-Dieu, service de M. Bouillaud, et l’autre au n° 25 de la salle Sainte-Vierge. Dans ces deux cas, les sujets avaient conservé, à la suite d’une paralysie de l’enfance, survenue après une fièvre qui dura quelques jours, une atrophie d’un des membres supérieurs, dont la plupart des muscles ne se retrouvaient plus par l’exploration électro-musculaire. Au milieu de cette destruction générale des muscles, on voyait ici un faisceau, là quelques fibres, se contracter par DIAGNOSTIC. — ATROPHIE CONSÉCUTIVE AUX DOULEURS RHÜMATOÏDES. l'excitation électrique. La volonté ne pouvait mettre en mouvement que les portions de muscles dont les fibres étaient encore assez nombreuses. Chez ces sujets, le membre malade était beaucoup moins long et moins volumi- neux que celui du côté sain, et sa température était moins élevée. Dans la pratique civile, on rencontre un grand nombre de faits semblables, qu’il serait facile de prendre pour des cas d’atrophie musculaire graisseuse progressive de l’adulte, alors qu’elle est lo- calisée, ainsi que j’en ai rapporté plusieurs exemples. Dans ce cas même, on évitera l’erreur en se rappelant que chez l’enfant atteint de la paralysie atrophique graisseuse, le squelette subit un arrêt de développement, ce que l’on constate comme dans les deux faits précédents, à un âge avancé, dans les membres at- teints par l’atrophie ou par la substitution graisseuse musculaire, tandis que dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive (qui ne s’observe que chez l’adulte) les os ne sont pas atrophiés.) C, — Atrophie et déformation de la main et du membre supérieur consécutive- ment aux douleurs rhumatoïdes ou névralgiques et au rhumatisme articulaire chronique de la main. 1. Depuis que l’atrophie musculaire graisseuse progressive est entrée dans le cadre nosologique, on voit fréquemment, dans la pratique, rapporter à cette espèce morbide des atrophies musculai- res, qui lui sont complètement étrangères. Après un tel diagnostic, les malades nous arrivent justement effrayés de l’avenir qui les me- nace. Parmi les affections musculaires qui sont le plus souvent exposées à ces erreurs de diagnostic, je mettrai en première ligne l’atrophie musculaire du membre supérieur, consécutive aux dou- leurs rhumatoïdes ou névralgiques. Les douleurs rhumatoïdes du membre supérieur siègent habi- tuellement dans le deltoïde et s’étendent quelquefois à d’autres muscles del’épaule. Je les ai vues occuper tous les muscles moteurs du bras et de l’avant-bras. Après un certain temps, les muscles affectés par ces douleurs s’atrophient souvent au point que les fonc- tions du membre en sont gênées ou annulées. C’est alors que l’on voit quelquefois naître des doutes sur la nature de la maladie. Mais il est heureusement un caractère propre à l’affection rhuma- toïde et que je n’ai jamais rencontré dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive ; c’est la douleur siégeant dans les muscles at- teints par l’atrophie, douleur exagérée ou ayant augmenté pendant la contraction volontaire. On se rappelle, en effet, comment je l’ai dé- 492 ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. montré dans l’étude des symptômes, qu’en général l’atrophie mus- culaire graisseuse progressive est indolente, et que, lorsque de temps à autre, des douleurs apparaissent, elles se font ordinairement sentir de la région cervicale postérieure en s’irradiant quelquefois vers la l’égion dorsale ou latéralement. II. J’ai eu l’occasion d’observer un bon nombre d’atrophies mus- culaires des extrémités et surtout delà main, s’étendant quelquefois à l’avant-bras, accompagnées ou précédées de douleurs cutanées très vives, singulièrement augmentées par le toucher. J’ai rencontré cette espèce d’atrophie musculaire, avec hyperesthésie cutanée, par- ticulièrement chez des jardiniers des environs de Paris ou chez des gens qui, par leur état, étaient comme eux forcés d’avoir les mains ou les pieds constamment ou fréquemment dans l’eau ou exposés à l’humidité. En 1858 et 1859, j’en ai observé aussi trois cas dans les hôpitaux, l’un à l’Hôtel-Dieu, salle Saint-Louis, service de M. Le- groux, et deux autres à la Charité, dans le service de M. Rayer. Les caractères qui distinguent cette espèce d’atrophie de l’atrophie mus- culaire graisseuse progressive sont : 1° l’iiyperesthésie cutanée des extrémités qui ne s’observe pas dans la dernière ; 2° la marche de l’atrophie qui frappe les muscles en masse et au même degré, sans altérer leur tissu, tandis que dans l’atrophie musculaire graisseuse, les muscles sont attaqués partiellement et inégalement et finissent par passer à l’état graisseux. III. Op sait que les petites articulations de la main sont ordinaire- ment les premières altérées par l’arthrite chronique (rhumatisme articulaire chronique, goutte asthénique primitive, nodosité des jointures) et que leurs muscles moteurs s’atrophient. Il résulte que les doigts prennent des attitudes vicieuses et exécutent des mouve- ments pathologiques, que l’on pourrait quelquefois confondre avec ceux que l’on observe dans l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive. M. Charcot, médecin des hôpitaux, a parfaitement décrit, dans son excellente thèse pour le doctorat (1), ces déformations des doigts produites par l’arthrite chronique de la main et les a rap- portées à deux types principaux qu’il a subdivisés en plusieurs va- riétés. Je lui emprunterai deux des figures qui représentent ces variétés (voyez les figures 81 et 82), pour les comparer à des dé- formations analogues delà main (voyez les fig. 83 et 84) produites par l’atrophie partielle de ces muscles moteurs. On voit dans la figure 81 une griffe (flexion des deux dernières phalanges et extension des (1) Éludes pour servir à Vhistoire de Vaffection connue sous les noms de Goutte asthénique primitive, nodosité des jointures. Paris, 1853. premières) due à l’atrophie des interosseux et des lombricaux’ griffe qui se produit surtout quand le sujet veut étendre les doigts parallèlement à la direction des métacarpiens. La figure 81 représente une griffe de la main analogue à la pré- DIACNOSTIC. — ATROPHIÉ PAR RHUMATISME ARTICULAIRE. Fig. 82. Fig. 81. cédente appartenant à un sujet atteint de rhumatisme chronique. Ici la difformité est occasionnée par la contracture simultanée des Fig. 83. Fig. 84. extenseurs des premières phalanges (dits extenseurs des doigts) et des fléchisseurs des deux dernières (dits fléchisseurs superficiel et ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. profond). On voit donc que dans ces deux cas c’est l’action simul- tanée des mêmes muscles qui produit la griffe de la main, bien que la cause pathologique soit différente. Lorsque les fléchisseurs sublime et profond sont atrophiés, la force tonique des muscles interosseux maintient les deux dernières pha- langes dans une extension continue. Or, j’ai démontré que l’exten- sion des phalanges par les interosseux est limitée par la connexion qui existe entre ces derniers et le tendon médian de l’extenseur commun, grâce aux petites brides aponévrotiques qui vont de la face antérieure de ce tendon à la face postérieure de la première phalange. Mais, dans le cas dont il s’agit, ces petites brides aponé- vrotiques cèdent, à la longue, à l’action continue des interosseux, qui, n’étant plus limités, renversent progressivement la phalangine sur la phalange, et la phalangette sur la phalangine. J’ai appelé cette déformation : griffe renversée. Si le fléchisseur sublime est seul atrophié, la phalangine seule est étendue sur la phalange, tandis que la phalangette reste fléchie , comme dans le médius et l’annu- laire de la figure 83. A un certain degré de renversement de la phalangine, l’extrémité inférieure de celle-ci déprimant d’arrière en avant l’extrémité supérieure de la phalange s’oppose à l’extension de cette dernière, au point que l’extenseur des doigts lui-même augmente encore par sa contraction le renversement de la phalan- gine, et exagère la flexion de la phalange, déjà produite par fin- terosseux. C’est ainsi que s’est formée la déformation du médius de la main représenté dans la figure 83, On comprend maintenant que la contracture des interosseux, qui a lieu fréquemment dans certaines arthrites chroniques de la main doive aussi agir sur les articulations des doigts de la même manière que dans les cas pathologiques précédents, comme on en voit un exemple dans les doigts de la figure 82. Bien qu’il existe une grande ressemblance dans la forme et dans la genèse des déformations de la main, produites par l’atrophie musculaire graisseuse progressive et par l’arthrite chronique, il est toujours facile de distinguer ces déformations l’une de l’autre, non-seulement par les douleurs articulaires et musculaires, par les gonflements et par les nodosités des petites jointures, etc., qui caractérisent l’arthrite chronique, mais aussi par les signes suivants : 1° dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive, les muscles passent à l’état graisseux et ne se retrouvent plus par la faradisation localisée; dans l’arthrite chronique les muscles, quoique très atrophiés, répondent toujours à cette excitation ; 2° dans la première il n’existe jamais de roideur articulaire, tandis que dans la seconde des contractures musculaires DIAGNOSTIC. — ATROPHIE LÉPREUSE. 495 et des brides celluleuses qui doublent les synoviales, s’opposent toujours au redressement des jointures. D, — Atrophie musculaire de la main dans une des formes de l’éléphantiasis. J’ai eu l’occasion de recueillir trois cas d’éléphantiasis contracté dans différentes parties de l’Amérique. Dans ces trois cas qui pré- sentaient les symptômes de la forme de l’éléphantiasis appelée en Norvège spedalskheld anesthésique par les docteurs Danielssen et Boek, il existait une atrophie musculaire de la main ayant quelque ressemblance avec celle que l’on observe dans l’atrophie muscu- laire graisseuse progressive, mais qui en différait par la contracture des fléchisseurs des doigts. Cette atropine dela'main avec courbure des doigts et distorsion des articulations coexistait avec l’éléphantiasis ; ce n’était pas une simple coïncidence, c’était un des symptômes de cette dernière maladie. Depuis Rbases, en effet, qui a signalé la déformation de la main que l’on observe dans la lèpre (1), plusieurs auteurs (2) ont aussi mentionné l’atrophie spéciale de la main qui dans l’éléphanliasis occasionne sa déformation. Voici comment MM. Danielssen et Boek ont décrit cette déformation de la main : « Les doigts deviennent successivement paresseux et courbés : le dos des mains s’aplatit; les premières phalanges prennent de l’extension, tandis que les autres acquièrent de la curvité, d’où il résulte que la main passe intérieurement à l’état de convexité et extérieurement à l’état de concavité (voir la pl. XV) (3). » Mais dans cette atrophie de la main les muscles disparaissent-ils complètement? C’est ce que j’ai recherché pendant la vie des ma- lades par l’exploration électro-musculaire. Je vais exposer les trois faits qui montrent en quoi cette espèce d’atrophie diffère de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, (Bien que je ne traite qu’accidentellement de ce sujet, je serai forcé de relater les obser- vations d’atrophie lépreuse que j’ai recueillies, en raison de leur importance et de leur nouveauté.) Observation CXIII, — J’ai rapporté dans la précédente édition (p. 253, obs. XIX) l’observation d’un M. X..., né à la Basse-Terre (Guadeloupe) et qui s’était présenté à ma consultation, se plaignant de certains troubles (1) « Et curvanlur digiti et deturpatur forma et spasmantur juncturæ et tuberosæ liunt juncturæ. » (2) Les auteurs arabes, Schilling, Heusler, Gilbert, etc. (3) Traité de la spedalskheld. Paris, 1848, p. 272. fonctionnels des usages de la main, qui dataient de cinq ans et avaient ré- sisté jusqu’alors à tous les traitements. A. l’exploration électro-musculaire il fut constaté que ses interosseux et son court fléchisseur du pouce étaient atrophiés en grande partie. Aussi M. X... présentait-il pendant le mouve- ment et le repos musculaire, les troubles fonctionnels qui caractérisent la lésion de ces muscles. Je m’étais servi de ce fait pathologique observé chez M. X..., seulement au point de vue de l’étude des fonctions du court ab- ducteur du pouce. La main droite était la seule région atteinte par l’atro- phie, et il me parut alors résulter de l’ensemble des antécédents et des Symptômes, que raffection de M. X... ne pouvait être rapportée qu’à l’atrophie musculaire graisseuse. La faradisation localisée améliora consi- dérablement la nutrition et les mouvements de la main de M. X. .. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Six ou huit mois plus tard, j’appris par M. le docteur Forget, son mé- decin ordinaire, que ce pauvre jeune homme était atteint de la lèpre la mieux caractérisée dans le membre supérieur droit ; alors je sus qu’avant de venir en France, il en avait éprouvé les premières atteintes, comme le jeune homme dont je vais bientôt rapporter l'observation. Il n’avait pas fait mention de ces phénomènes, afin de s’étourdir sur la maladie connue sous le nom de lèpre dans son pays, et dont il se voyait atteint. Cette atrophie de la main était-elle symptomatique de l’éléphantiasis ou n’était-ce qu’une simple coïn- cidence? C’est ce qu’il ne me fut donné de résoudre que trois ans plus tard. Je vais rapporter le fait qui m'éclaira sur cette question. Observation CXIY. — Atrophie des muscles de la main chez un jeune homme skheld anesthésique). offrant les symptômes delà première période de la lèpre dite sèche (spedaF M. M..., né à Barcelonne Venezuela (côte ferme, Amérique du Sud), a été bien portant jusqu’en 1851. Alors, sans cause connue (cependant il dit avoir pris la veille un bain de mer, étant en moiteur), il éprouva des dou- leurs dans les articulations, avec fièvre. 11 garda le lit pendant trois mois en suivant un traitement (salsepareille, vomitifs, purgatifs). Il n’en conserva que de la faiblesse. Pendant le cours de cette maladie, il survint des plaques rouges de la largeur d’une pièce de cinq francs, apparaissant sur la face dor- sale des membres et durant deux jours à trois semaines avant de dispa- raître, elles prenaient ensuite une coloration café au lait. Ces éruptions cu- tanées caractérisées par des taches rouges, puis passant à une couleur café au lait, revinrent deux à trois fois par an jusqu’en 1855. Elles ne causaient aucun trouble dans la santé générale, seulement elles étaient sensibles au toucher. Après un certain temps survenait une insensibilité de la main dans les points correspondants aux taches. Plus tard l'anesthésie cutanée s’étendit à la face dorsale des avant-bras et des mains. Les phénomènes constatés à Saint-Thomas (où la lèpre existe, généralement, cependant sous une autre forme hypertrophique el tuberculeuse) ont été constatés par son mé- decin M. le docteur Thomassin. Il conseilla alors un voyage en Eu- rope, ce qui fut exécuté en 1853. Des douleurs profondes, comme muscu- laires, précédaient toujours l’apparition des taches. Toujours les crises étaient accompagnées de fièvre pendant les fortes douleurs, les deux ou trois premiers jours. Quand ces douleurs apparaissaient y les doigts étaient maintenus fléchis par contractures douloureuses. En 1852, on s’aperçut d’un amaigrissement des mains el d’un commencement de déformation des doigts. Ces phénomènes ont été croissant, et aujourd’hui en 1855, voici les phé- nomènes que j’ai constatés. Depuis son retour en Europe, les douleurs et les taches sont revenues deux fois, la première fois en 1 853, et la seconde fois en 1 855. Auparavant, ces crises revenaient trois à quatre fois par an. De- puis un an, après les bains salins de Rehme en Prusse, M. M.,., n’a vu re- paraître ni les taches cutanées, ni les douleurs qui les précédaient. 11 existe, au milieu de la plante du pied gauche, une petite plaie qui a beaucoup de peine à se cicatriser (appelée dans le pays sept peaux). Ce mal est venu spontanément il y a trois ans. Depuis cette époque aussi, une sérosité coule assez abondamment par le nez qui est un peu rouge lie de vin et hyper- trophié. DIAGNOSTIC. — ATROPHIE LÉPREUSE DE LA MAIN. En somme, M. M... a longtemps habité un pays où la lèpre règne épidé* miquement; il a présenté un ensemble de phénomènes qui ne peuvent être rapportés qu’à la première période de l’éléphantiasis dite anesthésique en Norvège el appelée la lèpre sèche à la Guadeloupe. Ce sont, en effet, ceux que M. X... (de la Guadeloupe) (voir lobs. CXIII) a éprouvés avant d’ar- river à une période plus avancée, symptômes que j’aurai à exposer plus loin dans l’observation d’une lépreuse que j’ai observée à l’hôpital de la Charité. Après avoir bien établi le diagnostic de la lèpre dont M. M..., est atteint, j arrive à l’atrophie musculaire de ses mains. A la main droite, les inler- osseux ont presque entièrement disparu ; les espaces interosseux sont pro- fondément creusés. Au niveau du court abducteur et de l’opposant du pouce, existe un creux indiquant l’absence de ces muscles. A l’exploration électro- musculaire on retrouve à peine les traces des interosseux; le court abduc- teur, l’opposant et les muscles de l’éminence thénar ne donnent pas le moindre signe de vie. La main a la forme d’une griffe qui s’exagère encore quand le malade veut étendre les doigts ; le rapprochement et l’écartement des doigts sont abolis. La main a perdu la plupart de ses usages. Sa tem- pérature est abaissée, la peau y est terreuse, lepiderme épais, les veines sous-cutanées très petites. Cette main crochue offre, en un mot, un aspect cadavérique. J’ajouterai encore qu’il existe un léger degré de rétraction des fléchisseurs profonds. La main gauche est aussi en voie d’atrophie, mais à un degré peu avancé. La sensibilité de la peau et des parties profondes de DÜCHENNE. la main et de la pulpe des doigts est entièrement abolie ; l’excitation élec- trique, au maximum, ne réveille pas la moindre sensation. Cette main gauche a également perdu une grande partie de sa sensibilité. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Si l’on remarque dans les deux faits précédents la similitude des phénomènes appartenant sans doute à une première période de la lèpre, on n’est pas moins frappé de la ressemblance de l’atrophie musculaire de la main dont les deux malades ont été atteints. En présence de ces deux faits, j’étais donc déjà porté à rapporter ici à une seule et même maladie, à la lèpre, l’atrophie musculaire de la main qui s’était ajoutée aux autres symptômes, quand un troi- sième fait semblable aux précédents, mais arrivé à une période plus avancée de la lèpre, vint quelques jours après changer mes présomptions en conviction. Le voici : Observation CXV. — Atrophie des muscles de la main chez une femme atteinte de la lèpre sèche de l'ile Bourbon (hôpital de la Charité). Madame veuve Bellamy, âgée de soixante ans, journalière, demeurant à Paris, rue de Clichy, n° 66. D'une santé qu’elle dit être délicate, elle n’a jamais cependant eu de maladie grave avant celle qui fait l’objet de cette observation. Née à Paris, elle quitta la France en 1832, pour aller à l’île Bourbon, où elle a exercé le commerce de comestibles dans la ville Saint- Dénis pendant vingt ans, jusqu’en 1852. Vers l’âge de cinquante ans en 1845, la menstruation disparut. C’est à cette époque que sa santé se dé- rangea (dit-elle). Mais cinq à six mois auparavant, elle vit apparaître sur la peau des membres et un peu sur le tronc, des taches rouges lie de vin, qui, après quelques jours, passèrent à la couleur café au lait. Elles étaient plus ou moins grandes; les plus petites étaient larges comme la main. Après un certain temps (après un mois en général) elles pâlissaient ou disparais- saient, et la peau où elles avaient siégé était insensible. Ces phénomènes étaient accompagnés de douleurs profondes, continues dans les membres in- férieurs et moins fortes dans les membres supérieurs. Elle n’avait pas de fièvre ; cependant on lui fit à plusieurs reprises des saignées aux jambes, des applications de quinze à vingt sangsues sur les mêmes points. Après avoir épuisé vainement pendant deux ans des médications très variées contre ces éruptions accompagnées de douleurs qui revenaient à de très courts in- tervalles, elle se décida à prendre la médecine dite Leroy (purgatif dras- tique très énergique) pendant trois mois, ne laissant par semaine qu’un jour ou deux d'intervalle. Elle dit avoir été entièrement guérie pendant deux ans par ce remède. En 1849, la maladie revint avec les symptômes décrits plus haut et persista depuis lors. La face elle-même fut envahie à son tour, comme les autres points de la surface du corps ; elle est restée depuis lors DIAGNOSTIC. — ATROPHIE LÉPREUSE DE LA MAIN. constamment rouge-brun par points, et la peau de cette région s’est hypertro- phiée. Dans tout le cours de cette maladie, il ne s’est jamais produit d’ul- cération à la peau. Dès le début de la maladie, elle s'aperçut d'un amaigrissement de la main droite dont elle avait de la peine à étendre les doigts ; puis elle vit l'éminence thénar s'aplatir, et les mouvements du pouce devinrent de plus en plus diffi- ciles. La main gauche fut prise ensuite de la même manière. Elle revint en Europe en 1 850 et habita la Suisse, où sa maladie continua avec des pa- roxysmes d’éruptions cutanées et de douleurs dans les membres. En mai 1855, elle vint à Paris pour se faire traiter. C’est alors qu’elle entra à la Charité, où je la vis quelques mois après son entrée. Ce qui me frappa le plus au premier abord, ce fut l’aspect de ses mains qui sont littéralement desséchées. J’ai photographié sa main droite sous trois faces, de sorte qu’on peut se faire une idée assez exacte de la déformation que ses deux mains Fig. 83. Fig. 86. présentent. Cette difformité est une véritable griffe que la figure jointe à cette observation me dispense de décrire ; elle est due à l’atrophie des mus- cles interosseux (voy. fig. 28). A l’exploration électro-musculaire, je n’en ai plus retrouvé de traces ; les muscles des éminences ont également disparu, à l’exception de l’adduc- teur du pouce que l’excitation électrique fait encore contracter. Ce muscle obéit aussi à la volonté. Les deux dernières phalanges sont tenues dans une flexion continue par les fléchisseurs rétractés. La sensibilité tactile et dou- loureuse de la face dorsale des avant-bras, des mains, des pieds, de la face externe des jambes est complètement abolie. La sensibilité n’est que dimi- nuée dans les autres parties des membres. Amaigrissement général. La face est hypertrophiée et couverte de larges taches d’un rouge livide ; les membres présentent çà et là des taches d’un jaune sale. 500 Pendant son séjour à l’hôpital, j'ai été témoin d’une de ses crises habi- tuelles, qui a été caractérisée par des douleurs dans les membres et par des taches d'un rouge vif d'abord, puis d’un rouge foncé, qui ont passé à la cou- leur café au lait et ont fini par disparailre après quelques semaines. Au ni- veau de ces taches, la sensibilité cutanée était augmentée pendant le temps que les taches étaient d’un rouge vif, mais cette sensibilité disparaissait lorsque celle rougeur perdait de sa vivacité ou passait à la couleur café au lait. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Aux symptômes que je viens d’exposer on reconnaît la lèpre. Ce qui donne plus de poids encore à ce diagnostic, c’est que celle affection règne à l’île Bourbon et qu’il existait une léprosieà peu de distance delà ville habitée par notre malade. En résumé, cette malade atteinte de la lèpre a offert, dès le début de la maladie, comme les malades précédents, une atrophie musculaire de la main. C’est ce que je voulais établir en rapportant celte observation. Les trois faits précédents me paraissent démontrer que l’atrophie musculaire des muscles delà main est un des symptômes que l’on observe dans certaines formes de l’éléphanliasis ou lèpre sèche. Dans quelques cas, on pourrait donc, comme cela m’est arrivé, la confondre avec l’atrophie musculaire graisseuse progressive qui souvent débute par les muscles de la main. Puisqu’alors les signes fournis par les troubles fonctionnels de la main sont les mêmes, et que l’atrophie musculaire de la main peut être un des signes précurseurs de la lèpre, ou qu’elle peut appar- tenir à une première période de cette maladie, il ne faut jamais négliger, lorsqu’on observe cette lésion musculaire à la main, de s’informer si le sujet s’est trouvé dans des conditions favorables à sa production de la lèpre, ou s’il n’a pas déjà présenté les sym- ptômes que j’ai exposés dans les trois cas rapportés ci-dessus. 11 ne faut cependant pas attacher trop d’importance à quelques- uns de ces symptômes pris isolément. Ainsi, l’anesthésie cutanée des extrémités des membres, qui est un des caractères de la lèpre, se rencontre quelquefois aussi dans l’atrophie musculaire grais- seuse progressive. J’ai longtemps observé, à la Charité, un individu nommé Gervais, dont les muscles interosseux et ceux de l’éminence thénar étaient en grande partie détruits par l’atrophie musculaire graisseuse progressive. J’ai photographié la main d’après son moule (voy. la figure 8A, p. A93). Il avait perdu, comme les sujets dont il vient d’être question, la sensibilité tactile et douloureuse. L’excita- tion électro-cutanée au maximum ne produisait aucune sensation sur ses membres supérieurs. Je n’ai pas besoin d’ajouter que ce ma- lade, né à Paris qu’il avait toujours habité, n’était pas lépreux. Je vais attirer l’attention sur un phénomène qui me paraît être un des signes distinctifs de l’atrophie musculaire de la lèpre ; je veux parler de la contracture des fléchisseurs des doigts. C’est un phéno- mène que j’ai observé dans les trois cas de lèpre précédents et sur- tout dans le dernier. La figure 86, photographiée d’après la main atrophiée de la lépreuse, couchée au n° 10 delà salle Saint-Vincent, à l’hôpital de la Charité, représente une griffe, comme dans la figure 8/1, photographiée d’après la main de Gervais, dont il vient d’être question ci-dessus. Si l’on compare la face antérieure de ces figures, on voit que chez la lépreuse (figure 86) les deux dernières phalanges sont au plus haut degré de flexion et tournées vers le pouce, tandis que dans la figure 8Z1, les deux dernières phalanges sont en demi-flexion. Dans le premier cas, j’ai constaté l’existence de la rétraction des fléchisseurs sublime et profond, que je n’ai jamaisrencontrée dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. En effet, dans tous les cas d’atrophie des muscles interrosseux, la main prend la fortne de la griffe, mais les doigts n’opposent au- cune résistance lorsqu’on les étend (1). DIAGNOSTIC. —AFFECTIONS MUSCULAIRES COÏNCIDENTES. E. — Paralysie de la langue et des muscles intrinsèques. Cette affection singulière, des plus graves, peut être confondue avec l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Je renvoie son diagnostic différentiel d’avec l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive au chapitre où j’aurai à démontrer l’existence de cette espèce de paralysie. F. — Affections musculaires coïncidentes. On sait qu’une maladie peut, en général, exister coïncidemment avec une ou plusieurs autres affections et marcher ainsi deux àdeux, (1) Bien que la lèpre soit une maladie générale, le traitement local par la faradisation localisée appliquée à l’atrophie de la main en a modifié heureuse- ment la nutrition et les fonctions. — Ainsi, chez M. X... (de la Guadeloupe), j’ai vu les muscles de l’éminence thénar grossir, et la calorification augmenter, les veines dorsales de la main, qui étaient à peine visibles grossir, et enfin les fonctions locales s’améliorer. — M. M... de Saint-Thomas a été soumis à ce même traitement faradique pendant trois semaines. Il en a éprouvé une influence aussi heureuse sous le rapport de la nutrition et des fonctions de la main. — Mais on conçoit que lorsque l’atrophie en est arrivée au degré où on la voit dans les figures 83, 86, on ne peut rien attendre de la faradisation localisée. 502 trois à trois, etc. C’est ce que j’ai observé dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Ces complications sont exceptionnelles, ou du moins, je ne les ai observées que très rarement ; c’est heureux, au point de vue du diagnostic, car elles jettent, on le conçoit, une grande obscurité sur le diagnostic de l’atrophie musculaire grais- seuse progressive. Trop souvent on voit certains esprits agressifs, aimant la contradiction, s’armer de ces faits complexes, excep- tionnels, pour attaquer des travaux qui reposent sur de longues et nombreuses recherches ; ou bien d’autres observateurs distin- gués et sérieux, mais qui ne connaissent pas suffisamment telle espèce morbide, déjà décrite cependant, viennent de temps à autre mettre le trouble dans les faits pathologiques les plus clairs et [les mieux établis, en les confondant avec quelques faits rares, com- plexes et recueillis par hasard. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Afin que l’observateur se tienne en garde contre de pareilles er- reurs, pour ce qui a trait à l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive, il ne doit pas oublier que cette dernière espèce morbide peut être compliquée par l’une des autres affections musculaires dont j’ai exposé précédemment l’étude ou que j’ai encore à décrire. Je ne parlerai ici que de quelques-unes des principales complica- tions que j’ai observées dans l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive. Sur les 159 cas que j’ai recueillis, une fois j’ai vu la démence s’associer à l’atrophie musculaire graisseuse progressive. L’obser- vation en a été publiée dans VUnion médicale, le 19 avril 1856, par M. Bail, interne de M. Moreau (de Tours), médecin de Bicêtre, et dans le service duquel le malade était entré le 16 mars 1856. Je renvoie le lecteur à ce journal pour les détails de ce cas intéressant dont je ne citerai que les principaux traits. Observation CXVI. — M. de Y..., âgé environ de quarante-cinq ans, était atteint depuis 1837 d’une atrophie musculaire graisseuse progressive qui lui avait déjà détruit un grand nombre des muscles des membres supé- rieurs, lorsqu’il vint réclamer mes soins. La faradisation localisée fut, hélas! impuissante contre la marche de cette maladie qui envahit bientôt les muscles sacro-spinaux et principalement les extenseurs de la tète, au point qu’il ne pouvait plus la redresser lorsqu’elle était infléchie en avant.' — En janvier 1856, la perte de sa fille aînée est venue jeter le trouble dans son esprit déjà très affecté du triste état dans lequel il se trouvait et qui le mettait dans l'impossibilité de se livrer aux travaux de sa profession d’in- génieur civil. A partir de ce moment, son caractère toujours emporté de- vient d'une violence alarmante ; son intelligence jusque-là respectée, s’affaiblit ; il. perd la mémoire, et se lance dans les spéculations qui achè- vent de le ruiner. Au mois de février 1856, M. de V... présentait un état d’aliénation mentale coniirmée et l’on n’a pas tardé à comprendre la néces- sité de le transférer à Bicêtre où il est entré le 16 mars 1856. DIAGNOSTIC. — AFFECTIONS MUSCULAIRES COÏNCIDENTES. Les deux affections que l’on a vues coexister dans l’observation précédente, sont évidemment deux espèces morbides parfaitement distinctes et indépendantes l’une de l’autre. Le hasard seul les avait réunies. Telle ne paraît pas être cependant l’opinion de M. Bail. Suivant cet observateur distingué, « l’atrophie musculaire après s’être lentement développée pendant plusieurs années, chez M. de V..., semble avoir préparé les voies à la démence». Et poursuivant cette idée, M. Bail pose les questions suivantes ; Est-ce dans Ven- céphale que la lésion des cordons moteurs se serait développée? Est-ce au contraire par une marche ascensionnelle quelle serait partie de l'axe médullaire pour atteindre l'encéphale ? (Loc. cit., 1856, p. 19A.) Il est aujourd’hui démontré que la lésion cérébrale qui trouble les facultés intellectuelles peut quelquefois affecter primitivement la locomotion. Depuis les recherches de M. Baillarger sur la para- lysie générale, tout le monde admet, en pathologie mentale, l’exis- tence de cet ordre de faits. Mais j’ai démontré, on se le rappelle, que dans celte espèce de paralysie cérébrale les muscles conser- vent intacte leur contractilité électrique et qu’ils ne subissent pas l’altération de tissu qui caractérise l’atrophie musculaire grais- seuse progressive dont j’ai constaté l’existence chez M. de V.... De plus, l’examen nécroscopique a démontré que dans cette dernière espèce- morbide l’encéphale ne présente aucune altération anato- mique. En conséquence, quand bien même on aurait trouvé dans le cas précédent, cas très exceptionnel, l’altération cérébrale qui rendrait raison des troubles des facultés intellectuelles, cela ne prouverait nullement qu’elle est le produit de l’extension au cerveau de la lésion anatomique centrale ou périphérique, que l’on a ob- servée dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Une fois j’ai vu l’atrophie musculaire graisseuse progressive sur- venir et se généraliser chez un individu qui avait eu, quelques années auparavant, une paralysie saturnine limitée aux avant-bras; et une autre fois, une apoplexie frapper un sujet déjà atteint depuis longtemps d’atrophie musculaire graisseuse progressive. Il serait oiseux d’insister sur ces faits complexes que l’on saura toujours diagnostiquer. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Mais l’atrophie musculaire graisseuse progressive peut s’associer à deux autres espèces morbides qui n’ont pas encore été décrites et qui seront le sujet des deux chapitres suivants, sous le titre d'ataxie locomotrice progressive et de paralysie progressive de la langue, du voile du palais et de Vorbiculaire des lèvres. Je reviendrai sur ces complications en traitant de ces affections musculaires. § V. — État anatomique de la fibre musculaire et des centres nerveux. — Nature. A. — État anatomique de la fibre musculaire. Le sujet chez lequel j’ai le mieux et le plus longtemps étudié cliniquement et par l’exploration électro-musculaire l’atrophie musculaire progressive, Lecomte (1), dont il a été déjà question (obs. CIV, p. 577), est celui dont l’autopsie a mis le plus en lumière l’état anatomique de la libre musculaire et des centres nerveux dans cette maladie. M. le professeur Cruveilhier, dans le service duquel ce malade a succombé, et qui savait que depuis plusieurs années et avant qu’il entrât dans la salle Saint-Bernard, j’avais suivi jour par jour toutes les phases et les envahissements progressifs de la maladie, me permit, avec sa bienveillance habituelle, d’examiner, de mon côté, l’état anatomique de la fibre musculaire de ce malade. Cette étude me parut tellement importante que j’ai fait graver avec le plus grand soin les figures qui représentent les différents états dans (1) Ce malade, chez lequel j’avais diagnostiqué au moment de son entrée à l'hôpital l'affection musculaire dont il était atteint, est un de ceux qui m’ont servi à démontrer publiquement l’existence de cette espèce morbide, non encore décrite à cette époque. C’est à ma prière que M. Andral voulut bien le garder près de deux ans dans son service. Chaque matin l’on me voyait aller à son lit, soit pour le faradiscr, soit pour l’encourager à la patience. Aussi avait-il con- tracté une grande affection pour moi. Je lui faisais toujours entrevoir, sinon la guérison, du moins la possibilité d’améliorer son état. Il savait d’ailleurs, sur la fin de sa vie, qu'il ne'pouvait respirer sans la faradisation de son diaphragme. Quand M. Andral ne voulut plus le garder dans son service, il désira retourner dans son pays et revoir ses animaux savants; mais je le décidai à entrer dans le service de M. Cruveilhier. Sans cette circonstance, ce malade eût été entière- ment perdu pour la science. lesquels MM. Mandl, Aran et moi avons vu ses fibres musculaires, examinées au microscope. (Ces figures ont été dessinées par M. Mandl, dont on connaît l’autorité en micrographie.) M. Cruveil- hier m’a dit que ces résultats de l’examen microscopique sont iden- tiques avec ceux qui ressortent d’un examen semblable fait sur les muscles du même sujet par M. le docteur Galliet, ancien aide d’ana- tomie à la Faculté, aujourd’hui professeur de physiologie, dans une école secondaire, et dont j’ai eu l’occasion d’apprécier le sa- voir. Ces figures ont d’autant plus de prix qu’elles sont réelle- ment les seules jusqu’à présent qui représentent l’état de la fibre musculaire dans la maladie dont il est question. M. Edward Meryon a publié, il est vrai, dans un journal anglais, une observation de transformation graisseuse musculaire, accompagnée de figures qui ont les plus grands rapports avec celles que j’ai vues sous le mi- croscope de M. Mandl. Mais en lisant cette observation avec atten- tion, je n’y ai reconnu aucun des signes qui caractérisent l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Le sujet de cette observation me paraît avoir été atteint d’une affection musculaire commune dans l’enfance, que j’ai appelée paralysie atrophique graisseuse de Ven- fance (voir le chapitre VU). ÉTAT ANATOMIQUE DE LA FIBRE MUSCULAIRE. 505 Avant de décrire les résultats de l’examen microscopique des muscles de Lecomte, je vais rappeler les principales phases de sa maladie, au point de vue seulement de l’état de la contractilité électrique des muscles explorés à diverses époques. (Voir, pour les antécédents de Lecomte, l’observation CIY, p. 477.) J’ai fait une première exploration électro-musculaire chez ce malheureux, en février \ 850, époque de son entrée à la Charité, dans le service de M. Andral (salle Saint-Félix, n° 11), et je constatai alors, qu’à l’exception des abduc- teurs de l’index et du médius, les interosseux de la main droite ne répon- daient plus à l’excitation électrique ; que les muscles des éminences thénar et hypothénar se contractaient très faiblement par celte même excitation. — Cette main était alors très atrophiée ; elle affectait déjà la forme d’une griffe. — Dans les autres régions du corps, on constatait l’existence de tous les muscies à l’aide de l’exploration électrique, bien que ces muscles s’atrophiassent déjà, surtout ceux du membre supérieur gauche, et qu’ils fussent le siège de contractions fibrillaires presque continues. — Certains usages du doigt et du pouce de la main droite étaient seuls perdus, mais les autres mouvements s’exécutaient, quoique avec moins de force qu’à l’état normal. — La parole était embarrassée, et cependant la langue un peu atrophiée, il est vrai, se contractait bien par la faradisation. J’ai vu s’atrophier un à un la plupart des muscles de Lecomte, et j’ai 506 constaté que chacun d’eux s’est contracté, soit par la volonté, soit par l’élec- tricité, jusqu’à la dernière fibre musculaire, l’absence complète du mouve- ment (la paralysie) n’ayant lieu que lorsqu’on ne pouvait plus constater l’existence du muscle par la conlraclililé électrique. A1ROP111E MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Il serait trop long d’indiquer ici l’époque de l'extinction de chacun de ces muscles, je dirai seulement que depuis trois ans au moins avant sa mort on ne trouvait de contractilité à la main droite que dans les muscles de l’éminence hypothénar, où j’ai pu obtenir quelques faibles contractions jusqu’à la mort; que, depuis plus d’un an, la langue et le deltoïde très atrophiés ne se contractaient plus par l’électricité ; enfin, que la plupart des muscles du bras, bien que très atrophiés, et évidemment malades depuis son entrée à l’hôpital (depuis le commencement de 1850) se contractaient encore très notablement par l’excitation électrique, peu de jours avant la mort. Autopsie de Lecomte.—J’ai fait peindre par un artiste de talent (M. Gour- lier, l'auteur d’une des fresques de l’église Saint-Eustache), le membre supérieur droit, disséqué de Lecomte, afin de représenter exactement le degré d atrophie de chacun des muscles, et principalement pour montrer à quels degrés divers de décoloration de ces muscles correspondaient leurs différents degrés de transformation graisseuse, déterminés par l’examen microscopique.Cette peinture est reproduite dans la figure 2, planche litho- graphiée et coloriée. Dans cette figure, on voit que presque tous les muscles du bras, bien qu’arrivés aux dernières limites de l’atrophie, ont conservé leur coloration à peu près normale ; ces muscles n’ont offert aucune altération de nutrition, même à l’examen microscopique. Ces muscles ont conservé leur contracti- lité jusqu’à la mort de Lecomte. Le brachial antérieur seul est profondément altéré et présente une coloration d’un gris pâle. Sa contractilité électrique était éteinte. A la face antérieure de l’avant-bras, le cubital antérieur, le grand et le petit palmaires n’étaient plus que des tendons auxquels s’atta- chaient quelques fibres musculaires. Chose bien singulière! ces fibres qui étaient encore pour la plupart assez colorées, d’un rouge un peu pâle, et revêtaient le caractère de la fibre normale, ces fibres, dis-je, n’étaient plus contractiles ; leurs stries transversales ont été trouvées irrégulières ou avaient disparu. Il ne restait plus de traces du rond pronateur. Plus pro- fondément on trouvait les débris de faisceaux musculaires appartenant aux fléchisseurs superficiel et profond, et au carré pronateur dont ’les fibres offraient différents degrés de décoloration, depuis le rouge un peu jaunâtre, jusqu’au gris pâle. Les fibres qui étaient arrivées à ce dernier degré de dé- coloration ressemblaient plutôt à de la gélatine qu’à de la fibre musculaire. Tous les muscles de la face palmaire de la main étaient arrivés au der- nier degré d’altération de tissu, à l'exception de quelques fibres mus- culaires de l’éminence hvpothénar qui étaient encore très colorées et con- tractiles. ÉTAT ANATOMIQUE DE LA FIBRE MUSCULAIRE, Si j’avais voulu parcourir toutes les régions du corps, on aurait vu qu’à côté des muscles entièrement graisseux il en existait d'autres dont la fibre était encore pure, quoique très atrophiée. , Examen microscopique. — Les fibres musculaires, examinées au micros- cope ( I), ont été trouvées normales, quant à leur volume et à leur tissu, dans les muscles ou faisceaux musculaires qui avaient conservé leur colo- ration, et chez lesquels j’avais constaté, pendant la vie, l’existence de la conlractililé électrique et volontaire (2). La figure 87 représente ces fibres normales à stries transversales. On voit dans quelques-unes les tracesde fibres longitudinales. Les autres fibres musculaires, plus ou moins décolorées, avaient subi à divers degrés la transformation graisseuse, Voici les caractères qui distinguent chacun de ces degrés : Il g. 88, 89, Les stries transversales deviennent moins distinctes ; elles FI BÉE NORMALE. PREMIER DEGRÉ. Fig. 87. Fig. 88. Fig. 89. sont fréquemment interrompues, disparaissent d’abord par-ci, par-là, et finissent par s’effacer complètement. Les fibres longitudinales, au contraire, deviennent de plus en plus marquées. (1) M. Mandl a eu l’obligeance de dessiner sous mes yeux les figures qui repré- sentent les différents degrés de transformation graisseuse et de m’en rédiger la description. (2) Je transcris ici la relation de cet examen microscopique telle qu’elle a été publiée dans mon mémoire et dans la précédente édition. Mais je m’empresse de dire que très probablement une erreur a été commise, quant aux diamètres des faisceaux musculaires, je reviendrai sur ce sujet. 508 Fig. 90. Le faisceau musculaire se compose uniquement de fibres Ion gitudinales; les stries transversales ayant complètement disparu. On ob ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE, DEUXIÈME DEGRÉ. Fig. 90. Fig. 9t. serve, en dehors de la fibre musculaire, du tissu adipeux, composé de cel- lules (a] arrondies ou longitudinales. 11 existe, en outre, des gouttelettes de graisse (6) déposées dans la fibre musculaire. Fig. 91. Les fibres longitudinales ont encore conservé leur contractililé et sont ondulées. Fig. 92, 93. Les fibres longitudinales deviennent moins distinctes; les molécules de graisse (a), de plus en plus abondantes, les recouvrent presque entièrement dans la figure 93. Fig. 94. Les fibres longitudinales ont disparu. On ne voit que des mo- lécules graisseuses très serrées et peu distinctes, surtout vers l’axe du faisceau. Fig. 95. La graisse devient plus abondante, plus diffluente, ce qui donne plus de transparence au faisceau musculaire. * Fig. 96. On n’aperçoit plus de molécules de graisse distinctes ; le fais- ceau se compose d’une masse amorphe. Chaque degré de transformation graisseuse correspondait à un degré de décoloration de la fibre musculaire, ou, en d’autres termes, l’altéra- tion de tissu de la fibre musculaire était en raison directe de sa décolo- ration. Voici les réflexions dont je fis suivre la relation du fait ana- tomo-pathologique précédent, dans mon Mémoire, publié en 1855, sur l’anatomie pathologique de l’atrophie’musculaire progressive : « L’examen microscopique des muscles de Lecomte vient de confirmer un fait d’anatomie pathologique que j’avais annoncé en dans un Mémoire intitulé : Recherches sur l'atrophie muscu- laire avec transformation graisseuse. ETAT ANATOMIQUE DE LA FIBRE MUSCULAIRE. 509 » Je m’empresse de déclarer que la découverte de ce fait d’ana TROISIÈME DEGRÉ. Fig. 92. Fig. 93. tomie pathologique appartient en entier à M.Criiveilliier, et je saisis l’occasion de donner quelques explications sur ce sujet. » Depuis longtemps, mes recherches électro-physiologiques et pathologiques m’avaient permis d’observer, dans ma pratique privée QUATRIÈME DEGRÉ. Fig. 94. Fig. 95. Fig. 96, et dans plusieurs hôpitaux, un certain nombre d’affections muscu- laires, confondues jusqu’alors avec les paralysies partielles ou gé- nérales, et qui pour moi, cependant, n étaient rien moins que des 510 paralysies. J’avais vu, en effet, dans ces différents cas, les muscles s’atrophier isolément, de la manière la plus irrégulière, et con- server leur contractilité volontaire, jusqu’il ce que l’atrophie fût arrivée à ses dernières limites. La contractilité électro-musculaire elle-même n’avait disparu alors qu’avec la contractilité volontaire. Enfin, j’avais noté la contractilité fibrillaire comme un symptôme assez fréquent et qui annonçait, dès le début, un travail morbide lo- calisé dans les muscles. L’ensemble de tous ces phénomènes me pa- raissait appartenir à une maladie non encore décrite ; ils avaient déjà formé la base de mon travail. Sur ces entrefaites, j’observai dans le service de M. Cruveilhier (Charité, salle Saint-Ferdinand, n° 15) un sujet, nommé Legrand, qui me paraissait entrer dans la catégorie de ceux qui avaient présenté cette même affection musculaire, mais cette fois plus généralisée (1). J’en fis faire la remarque à M. Cru- veilhier, qui, déjà à cette époque, secondant mes recherches, me permit d’explorer chez ce malade l’état de la contractilité électro- musculaire. Peu de temps après, Legrand étant mort à la suite d’une variole, M. Cruveilhier en fit l’autopsie, et voulut bien m’en communiquer verbalement les résultats : à l’œil nu, il avait trouvé chez ce sujet un grand nombre de muscles entièrement graisseux. » atrophie musculaire graisseuse progressive. C’est la connaissance de ce fait qui m’a décidé à donner à la maladie, qui faisait l’objet de mon Mémoire à l’Institut, la dénomi- nation d'atrophie musculaire, avec transformation graisseuse, déno- mination qu’elle aurait toujours dû, selon moi, conserver, comme je le prouverai par la suite. Lorsqu’en 1853 j’ai rapporté à M. le professeur Cruveilhier l’hon- neur de la découverte de la transformation ou substitution grais- seuse qui a lieu dans une période avancée de l’affection musculaire dont il est ici question, découverte qui venait donner l’explication de l’absence de contractilité électrique dont j’avais antérieurement démontré l’existence à une certaine période de l’atrophie des mus- cles, à cette époque, dis-je, je n’avais pas connaissance d’un mé- moire que le docteur Paget a publié en 18à7, dans London médical Gazette, sur la transformation graisseuse du tissu musculaire. M. le docteur Constant Poignet qui a traduit un extrait de ce mémoire dans son excellente thèse pour le doctorat, sur l’atrophie mus- culaire progressive, attribue à ce savant anglais la priorité des (1) C’est à cette même époque que M. Rayer engagea M. Aran à publier l’ob- servation d’un sujet de son service atteint d’une affection musculaire semblable à celle dont je démontrai déjà publiquement et depuis longtemps l’existence au lit du malade, comme espèce morbide distincte. ÉTAT ANATOMIQUE DE LA FIBRE MUSCULAIRE. 511 recherches sur la transformation graisseuse musculaire. Son appré - ciation, clans cette question de priorité, peut-être exacte d’une ma- nière générale, mais non pour ce qui a trait à l’atrophie musculaire graisseuse progressive. 11 fallait en démontrer, avant tout, l’exis- tence comme espèce morbide distincte d’antres affections muscu- laires analogues, quant à l’altération du tissu musculaire, par exemple laparalysie générale spinale, et la paralysie atrophiquegrais seuse de l’enfance. Or, c’est ce que n’a pas fait le docteur Paget. La priorité des recherches anatorao-pathologiques sur la transformation graisseuse des muscles, dans l’espèce morbide dont nous traitons, reste donc tout entière à M. le professeur Cruveilhier. M. Ch. Robin ne partage pas l’opinion de MM. Mandl et Galliet, quant au mode d’altération de tissu de la fibre musculaire propre à l’atrophie musculaire progressive. « Celte affection, dit ce savant micrographe, est caractérisée par la dimi- nution graduelle du volume des vaisseaux striés dont l’enveloppe ou sarco- lemme revient sur elle-même, sans se plisser pourtant. A mesure que son contenu strié disparaît, à mesure aussi, on voit les stries transverses et lon- gitudinales devenir de moins en moins évidentes, et des granulations se dé- poser dans les faisceaux. Les stries n’ont pas tout à fait disparu, et le fais- ceau n’a complètement l’aspect granuleux qu a l’époque à peu près où le cylindre a perdu la moitié de son diamètre. Il n’est pas rare pourtant de voir des faisceaux qui n’ont pas de stries et ne sont pas encore devenus moitié plus petits, tandis que d’autres, réduits au tiers de leur diamètre, ont encore des stries longitudinales et transversales évidentes. Les granu- lations des faisceaux musculaires qui s’atrophient sont, dans le contenu du sarcolemme et non dans l’épaisseur de celui-ci, parsemées dans la matière amorphe qui le remplit, matière formée par la substance corticale altérée. Beaucoup sont grisâtres, fines beaucoup aussi sont jaunâtres, la plupart dépassant le volume des précédentes et pouvant atteindre jusqu a 2 mil- lièmes de millimètre. Ces granulations rendent les faisceaux altérés qui les renferment moins transparents que les faisceaux striés de même volume. Les granulations jaunâtres dont il vient d’être question, offrent toutes l’as- pect extérieur des granulations graisseuses, mais toutes n'ont pas leur na- ture; beaucoup, en effet, mais pas toutes, se dissolvent dans l'acide acétique, et non dans l’éther, tandis que c'est l'inverse pour celles qui sont formées de principes gras. Quelque réduit de volume que soit un faisceau, le sarcolemme se comporte avec l’acide comme dans l’état normal. « Dans le cas dont il s’agit, les faisceaux diminuent insensiblement de volume, prenant quelquefois un diamètre un peu différent, suivant les points 512 atrophie musculaire graisseuse progressive. de leur longueur ; ce diamètre peut descendre à 3 ou 4 millièmes au-des- sous de son diamètre normal (qui est de 50 à 70 millièmes de millimètre) avant de disparaître tout à fait. » Lorsqu’ils sont réduits à un volume aussi petit, les faisceaux ressem- blent à de petits cylindres transparents, granuleux à l'intérieur, et y ren- fermant, d'espace en espace, des corps de nature azotée, allongés, étroits, comme de petits bâtonnets (longs det2à 20 millièmes de millimètre, larges de 20 environ) isolés ou placés trois ou quatre à la suite les uns des autres. Il n'est pas rare d’en rencontrer dans lesquels les deux faces du cylindre creux qui représente le sarcolemme se touchent, le cylindre étant aplati, par suite de l’absence complète de granulations dans une longueur plus ou moins étendue d’espace en espace. Dans celte sorte d'atrophie, il riy a pas plus de vésicule graisseuse au sein du tissu malade que dans les muscles normaux; dans le cas de substitution ou transformation graisseuse, il y a atrophie préalable du faisceau musculaire strié, et remplacement par des vési- cules adipeuses de nouvelle génération qui naissent à leur place. Ici les fais- ceaux perdent leur régularité et se remplissent de granulations moléculaires bien longtemps avant d’avoir diminué de volume de moitié. Lorsque leur volume est réduit à ce point, aucun n’offre plus de trace de stries, et se trouve rempli de granulations grisâtres de volume presque uniforme. Ces granulations ne sont pas graisseuses, du moins il en est fort peu qui le soient. » Les faisceaux ainsi devenus granuleux ne diminuent guère de volume au-dessous de la moitié du diamètre normal; arrivés à ce point, ils se ré- sorbent tout à fait: 4° soit en offrant çà et là des interruptions, disparais- sant comme des barres de plomb qui fondent par leurs bouts, et devenant de plus en plus courtes, sans perdre beaucoup de leur diamètre; 2° soit en étant comprimés par les vésicules graisseuses voisines et s’aplatissant avant de disparaître tout à fait; alors, au fur et à mesure que les faisceaux dis- paraissent, les vésicules adipeuses en prennent la place, et se substituent aux éléments musculaires (1). » M. Ch. Robin est, jusqu’à ce jour, le seul anatomo-pathologiste qui n’admette pas la métamorphose graisseuse dans cette espèce d’atrophie musculaire progressive. Malgré mon vif désir de voir triompher sa manière de voir, je ne puis passer sous silence l’opi- nion contraire des savants qui jouissent d’une autorité non moins grande que la sienne. (1) Note sur l’atrophie des éléments anatomiques, par M. Ch. Robin, professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris (Comptes rendus des séances de la Société de biologie, 1854, t. I de la 2e série, p. 3 et 6). Voici sur ce sujet l’opinion professée par l’un des princes des anatomo-pathologistes allemands, dans un passage que j’extrais de son livre intitulé : Pathologie cellulaire, etc. ÉTAT ANATOMIQUE DE LA FIBRE MUSCULAIRE. a Une des pièces soumises à notre examen présente une altération patho- logique intéressante, c’est la portion du muscle rouge dont l’un des fais- ceaux présente l’atrophie (graisseuse) progressive. Le faisceau dégénéré est plus petit et plus étroit que les autres ; des globules graisseux sont inter- posés entre les stries longitudinales. L’atrophie agit sur les muscles en diminuant le diamètre du faisceau primitif. A mesure que celle graisse se développe, la substance contractile diminue de volume; le pouvoir con- tractile du muscle devient moins intense à mesure que le contenu de ses faisceaux primitifs devient moins abondant, et dans l’atrophie graisseuse, la graisse remplace peu à peu le contenu de la fibre musculaire. Plus il y a de graisse, moins nous trouvons de substance contractile. En un mot, le pou- voir contractile du muscle devient plus faible à mesure que le contenu normal de ses faisceaux primitifs diminue. » Le docteur Oppenheimer, professeur agrégé à Heidelberg, a publié en 1855 la relation d’un cas d’atrophie musculaire progres- sive recueilli à l’hôpital d’Heidelberg, service du professeur Hasse. L’examen microscopique de la fibre musculaire, fait avec le plus grand soin, ne laisse aucun doute sur la métamorphose graisseuse, dans ce cas d’atrophie musculaire progressive. On en trouvera la preuve dans le passage suivant, que j’extrais de cette observation. Je ne citerai ici que ce qui a trait à l’examen de l’état anatomi- que des muscles. Observation CXVII. — « A l’œil nu, trois choses nous frappèrent 1°des musclesqui paraissaient décolorés, étaient plus ou moins jaunâtres et s’étaient amincis d’environ la moitié de leur épaisseur ; 2° les deux pectoraux étaient réduits en une couche plate, transparente, blanchâtre, semblable à une aponévrose ; 3° les deltoïdes avaient une forme irrégulière et otfraient l’as- pect de graisse blanche ; ils étaient élastiques à la pression. » L’examen microscopique de ces formes différentes montra une quan- tité variable de Qbres musculaires altérées et conservées. La première forme nous offrit, dans une préparation microscopique, passablement de libres en bon état, tandis que la préparation des deuxième et troisième formes ne renfermait que fort peu de fibres normales, et celles-ci seule- ment dans les rares parties du muscle qui paraissaient encore tant soit peu rouges. Les altérations des fibres, avec places décolorées, sont assez con- cordantes avec la description de Virchow (Archiv., vol. IV, p. 263). Déjà dans les parties tout à fait rouges on trouve des fibres musculaires avec DUC11ENNE. 514 stries transverses évidentes qui, sous le microscope, n'avaient plus une nuance jaunâtre, mais paraissaient, plus pâles, bien que rien ni à l’extérieur ni à l’intérieur des fibres ne laissât soupçonner une altération. Dans des parties où le muscle est pâle et décoloré, on voit encore des fibres avec stries trans- ver&es évidentes, mais ces stries ne sont plus si régulières et sont plus prononcées à la périphérie de la fibre qu’à son centre. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. » Parfois, on voit sous le microscope des fibres dont les stries transverses sont irrégulières aux extrémités et peu visibles, et ont disparu totalement au milieu ; à leur place, se trouve également une masse de fines granula- tions, Plus loin, on voit des fibres qui présentent des granulations dans toute leur étendue, ces fibres sont plus larges que des fibres musculaires normales et sont très élastiques. » Traitées par l’acide acétique et l’éther, ces fibres montrent les propriétés suivantes : des fibres peu altérées, irrégulières et radiées transversalement devinrent plus pâles après l’addition d’acide acétique; par l’addition d’éther, la radiation transverse parut mieux. Les fibres musculaires à fines granula- tions traitées de la môme manière, ne devinrent pas beaucoup plus pâles ; l'éther fit disparaître les granules ; alors seulement elles devinrent pâles et homogènes. Ceci permet de conclure que parmi ces éléments se trouve déposée une substance de la nature de la protéine (est-ce du suc nutritif normal ou altéré pathologiquement?) qui n’est pas susceptible de s’organiser à l'état de substance musculaire, mais qui se métamorphose en graisse. La preuve que le contenu était bien de la graisse, me fut acquise, lorsque je vis une fibre avec un appendice globuleux et brillant. Cet appendice tenait à la fibre par un filament dont la pression le sépara et le fit apparaître comme une grosse gout- telette de graisse. » Les .changements ultérieurs sont difficiles à suivre. On aperçoit de grandes gouttelettes graisseuses, en forme de chapelet, que je considère comme une métamorphose ultérieure des fibres à fines granulations, » Voici maintenant l’opinion tout récemment formulée sur la mé- tamorphose graisseuse dans cette maladie par M. Lebert, l’une des plus grandes autorités en micrographie. « Cette maladie qui n’a été connue exactement que dans ces derniers temps, et que l’on a décrite, à faux, sous le nom de paralysie musculaire pro- gressive, consiste en un état morbide des muscles, qui s’atrophient d’abord et subissent alors une dégénérescence graisseuse. » Anatomie pathologique. — Quelques groupes des muscles principale- ment des extrémités supérieures, et en premier lieu de l’épaule, ou une grande partie de tous les muscles volontaires commencent à s'amaigrir et montrent une structure moins prononcée, quoique encore entourée de fibres et de faisceaux musculaires sains. Bientôt les stries transversales et plus lard les fibres longitudinales sont moins apparentes. Ensuite les cylin- dres musculaires contiennent de petites granulations graisseuses, et enfin des gouttelettes de graisse. De même le tissu graisseux des interstices augmente considérablement, de manière que successivement des parties des éléments mus- culaires de plus en plus étendues sont remplacées par des parties graisseuses ; une dégénérescence graisseuse étendue est la fin de la maladie. » ÉTAT ANATOMIQUE DE LA FIBRE MUSCULAIRE, 515 De l’ensemble des opinions et des faits que je viens d’exposer, il ressort que, dans l’espèce d’atrophie musculaire en question, tous les anatomo-pathologistes ont reconnu la diminution du volume des faisceaux musculaires, ensuite la disparition des stries transver- sales et longitudinales, et enfin, comme terminaison de l’altération du tissu musculaire, la formation de granulations ; que, selon M. Charles Robin, ces granulations ne sont pas graisseuses, tandis que d’après tous les autres anatomo-pathologistes non-seulement elles sont graisseuses (solubles dans l’éther), mais que l’on voit encore dans le contenu du sarcolemme des gouttelettes dégraissé, qu’en un mot dans cette maladie la fibre musculaire subit la métamorphose (transformation, substitution, dégénérescence) graisseuse. Que toutes les granulations soient ou non graisseuses, clinique- ment, cette question me paraît très secondaire ; dans l’un et l’autre cas, le tissu musculaire n’en est pas moins détruit. Le fait signalé par un observateur aussi distingué que M. Robin ne sera certes contesté par personne. Il importe de rechercher s’il est en contradiction avec les observations des autres micrographes, et si, comme semble le dire M. Robin, il peut servir à distinguer {post mortern] l’atrophie musculaire progressive des autres espèces d’atrophies graisseuses. Mais je m’empresse de déclarer mon incom- pétence dans cette question de micrographie où je ne remplis qu’un rôle d’historien. Il m’a donc fallu recourir à d’autres lumières. M. le professeur Virchow, à qui j’ai soumis cette question dans une visite que je lui ai faite à Rerlin en juillet 1860, a bien voulu me donner son opinion sur l’explication des faits différents qui ont été observés par lui et par M. Robin. Cette explication se trouve exprimée dans la note suivante, rédigée par M. le docteur Aronssohn fils, de Strasbourg (1), presque sous la dictée du savant professeur. « Les résultats différents auxquels sont arrivés MM. Virchow et Robin, (1) J’ai pensé que M. le docteur Aronssohn, qui suivait à cette époque les cours de l’illustre professeur et qui possède une grande science, quoique bien jeune encore, pouvait rendre la pensée de son maître beaucoup plus fidèlement que moi. C’est pourquoi je l’ai prié de vouloir bien se charger de ce soin. Qu’il me permette de l’en remercier ici. Cette note a été relue par M. Virchow. par l'examen microscopique des fibres musculaires dans l’atrophie muscu- laire progressive, pourraient bien n’exprimer que deux stades différents d’un même procès morbide. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. » En effet, d’après la Pathologie cellulaire du professeur Virchow, l'irri- tation inflammatoire, a pour premier effet, dans les parenchymes, de rendre granuleux et opaque, le contenu des éléments cellulaires, qui redeviennent transparents par l’addition d’acide acétique, tandis que l’éther ne change pas leur opacité. A un degré plus avancé de l’affection, ce conlentum subit la transformation graisseuse et on voit, dans les cellules, des gouttelettes de graisse, sur lesquelles l’acide acétique ne réagit pas, tandis que l’éther les dissout. » C’est ainsi que dans la maladie de Bright, au début, les cellules épithé- liales des tubes urinifères deviennent opaques et leur contenu granuleux; plus tard, elles ont subi la dégénérescence graisseuse (4). j Les opacités de la cornée donnent encore un exemple des plus pro- bants de ces transformations que subissent les cellules qui sillonnent la substance intercellulaire hyaline de la cornée (2). En éliminant le cas où le muscle aurait subi la décomposition cadavérique, circonstance dans la- quelle M. Virchow a observé ce même contenu granuleux dans les fibres musculaires primitives, on peut, des faits précédents et de l’interprétation qu’en a donnée le professeur Virchow, admettre comme vraisemblable que : » Les fibres musculaires à contenu granuleux, soluble dans l'acide acé- tique et insoluble dans l'éther, décrites par M. llobin, indiquent un degré moins avancé de la même altération où d’autres ont vu. dans le sarco- lemme, des séries de petites gouttelettes de graisse qui ne sont pas at- teintes par l’acide acétique, etc., se dissolvent dans l'éther. » Si tel est le détail anatomique de la transformation graisseuse de la fibre musculaire primitive dans l’atrophie musculaire progressive, on ob- serve, dans cette même affection, la production de graisse dans l’interstice des fibres primitives; c’est tout un autre ordre de phénomènes anatomi- ques queM. Virchow a observé et décrit le premier dans l’atrophie mus- culaire progressive (voy. Archives de Virchow, t. VIII, 1853, observation d’atrophie musculaire progressive). Il s’agit ici, non plus d'une transfor- mation simple du contenu de l’élément, mais d’une série de transformations des éléments du tissu conjonctif (Bindegewcbskorper) interfibriliaire que l’on peut suivre depuis leur forme normale fusiforme et étoilée, jusqu’à leur métamorphose en véritable cellule adipeuse. » Ainsi, dans la môme affection, M. Virchow admet deux formes de (1) Virchow, Pathologie cellulaire, fondée sur l’étude physiologique et patholo- gique des tissus, trad. par M. Paul Picard. Paris, 1861, in-8, avec fig. (2) Voy. Palhol, cellul. ÉTAT ANATOMIQUE DE LA FIBRE MUSCULAIRE. 517 lésions anatomiques : dans l'une, la libre primitive subit la dégénérescence graisseuse, ce serait la forme parenchymateuse ; dans l’autre, le tissu inter- fibrillaire subit la transformation graisseuse, ce qui constituerait la forme interstitielle. Ces deux formes se rencontrent aussi simultanément. » M. Friedrich, professeur de clinique interne à l’Université d’Hei- delberg, et antérieurement professeur d’anatomie pathologique, que je suis allé consulter sur ce point à Heidelberg en revenant de Berlin, a eu l’obligeance de me communiquer trois cas de nécropsic d’atrophie musculaire graisseuse progressive. (Désirant ne laisser aucun doute sur l’exactitude de son diagnostic, il a bien voulu me conduire auprès d’une jeune femme atteinte d’atrophie mus- culaire graisseuse progressive et qui se trouvait dans son hôpital où les trois sujets dont il a été question ci-dessus, avaient suc- combé à la même maladie et avec des symptômes analogues. J’ai reconnu que c’était un cas type d’atrophie musculaire graisseuse progressive.) Dans un de ces cas, il a constaté le fait signalé par M. Ch, Robin, à savoir la présence, dans les faisceaux muscu- laires primitifs où les stries transversales et les libres longitudinales avaient disparu, d’un grand nombre de granulations insolubles dans l’éther et solubles dans l’acide acétique, tandis que dans les autres cas il a trouvé par les mêmes réactifs la transformation graisseuse des faisceaux musculaires, c’est-à-dire que les granula- tions dans le sarcolemme étaient solubles dans l’éther et insolubles dans l’acide acétique. J’aurais demandé à M. le professeur Friedrich la liberté de pu- blier in extenso ces observations importantes, s’il ne s’était proposé d’en faire le sujet d’un travail particulier. Il m’a cependant autorisé à annoncer les faits précédents. M. le professeur Friedrich explique ces différents états des granulations des faisceaux musculaires pri- mitifs dans l’atrophie musculaire progressive de la même manière que M. le professeur Virchow. Il est un fait important sur lequel on n’a peut-être pas assez in- sisté dans les relations de nécropsies de cette affection musculaire ; je veux parler de l’énorme quantité de tissu adipeux qui se forme dans les interstices des fibres musculaires (on a vu plus haut que M. Virchow a le premier étudié la transformation du tissu con- jonclif ou interfibrillaire, en tissu adipeux, dans l’atrophie muscu- laire progressive). J’ai examiné, à ce point de vue, les muscles de plusieurs des sujets, à l’autopsie desquels j’ai assisté. J’ai enlevé, par exemple, un des pectoraux de l’un d’eux. La moitié interne de ce muscle avait, dans toute son épaisseur, un aspect graisseux 518 ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. d’un blanc jaunâtre, tandis que vers son attache humérale, à peu près dans son tiers externe, ce muscle, quoique déjà très atrophié, était encore d’un rouge vit (1). J’ai exposé à un feu modéré deux portions de ce muscle, égales en poids et provenant l’une de la portion rouge et l’autre du tissu musculaire altéré et d’apparence graisseuse. Celui-ci a fondu rapidement en laissant couler une telle quantité de graisse qu’un petit verre en fut bientôt rempli ; l’autre, au contraire, en se desséchant fournit à peine quelques gouttelettes de graisse. Il suffit d’ailleurs de presser dans une feuille de papier ces muscles décolorés ou jaunâtres, pour en exprimer une quan- tité plus ou moins considérable de graisse. J’ai constaté aussi que cette quantité de graisse n’augmente qu’au moment où le muscle commence à se décolorer, c’est-à-dire au moment où les fibrilles des faisceaux primitifs s’effacent, au mo- ment où des granulations se déposent dans la sarcolemme ; alors aussi, le muscle a perdu la propriété de se contracter par la volonté et par l’excitation électrique ; il est mort. B. — État anatomique des centres nerveux. — Nature. 11 est ressorti de deux autopsies faites par M. le professeur Cru- veilhier, que le cerveau et ses membranes ne subissent aucune alté- ration anatomique, dans l’atrophie musculaire graisseuse progres- sive. C’est ce qui rend compte de la conservation des facultés intellectuelles et de l’absence de tout phénomène morbide annon- çant une lésion cérébrale quelconque, pendant tout le cours de cette maladie. La moelle épinière et ses enveloppes ont été aussi trouvées par ce savant anatomo-pathologiste dans un état d’intégrité parfaite. C’est pourquoi, dans mon mémoire de 'J8â9 sur l’atrophie musculaire avec transformation graisseuse, je formulai ma première conclusion de la manière suivante : « L’atrophie musculaire avec transforma- tion graisseuse peut exister, quoique l’arrivée de l’influx nerveux ne soit empêchée ni par la lésion de la moelle épinière, ni par la des- truction ou la compression des nerfs. » Cette conclusion était déduite du fait d’anatomie pathologique observé chez le nommé Legrand, qui était mort à la Charité (salle (1) Je ferai remarquer, en passant, que j’ai toujours vu par l’exploration électrique, le grand pectoral s’atrophier et s’altérer de dedans en dehors. C’est toujours vers son attache à l’humérus que l’on trouve le plus grand nombre de fibres ou les seules fibres encore contractiles. C’est ce que j’ai constaté chez les sujets représentés dans les figures 67, 71, 73. ÉTAT ANATOMIQUE DES CENTRES NERVEUX. 519 Saiut-Ferdinand, n° 13). M. Cruveilhier, qui en avait fait l’autopsie, m’avait déclaré n’avoir rien trouvé d’anormal chez lui ni dans le cerveau, ni dans la moelle, ni dans les nerfs, ni enfin dans le sys- tème circulatoire. Mais depuis lors, M. Cruveilhier a fait faire un grand pas à l’ana- tomie pathologique de cette affection musculaire. On sait, en effet, qu’il a annoncé en 1853 à l’Académie de médecine, avec toute l’autorité qui s’attache à son nom, que chez Lecomte, dont j’ai précédemment rappelé l’histoire (voy. obs. CIY), les racines anté- rieures de la moelle épinière étaient considérablement atrophiées. Il faut lire tous les détails du travail remarquable de M. Cruveilhier, pour se faire une idée du soin avec lequel l’autopsie de Lecomte a été faite. D’ailleurs, les doutes sur la parfaite exactitude de ce nou- veau fait d’anatomie pathologique se seraient dissipés, s’il avait été possible qu’ils existassent, à la vue de la pièce anatomique qu’il eut le soin de mettre sous les yeux de l’Académie, et sur laquelle on constatait, de la manière la plus évidente, que les racines antérieures de la moelle de Lecomte étaient considérablement atrophiées, sur- tout dans la portion cervicale. Dans un cas récent (observé en mai 1860) d’atrophie musculaire graisseuse progressive, observé à l’Hôtel-Dieu (service de M. le professeur Trousseau), les racines antérieures de la moelle ont été trouvées notablement atrophiées (cette autopsie a été faite, sous les yeux de M. Aran et les miens, par M. Sappey, professeur agrégé et directeur des travaux anatomiques à l’école pratique). C’est donc une confirmation de la découverte due au savant professeur d’ana- tomie pathologique de la Faculté de médecine de Paris. S’il était constant ou s’il était considéré comme cause productrice de la lésion musculaire, dans cette maladie, ce fait d’anatomie pa- thologique (l’atrophie des racines antérieures de la moelle), rappro- ché des phénomènes symptomatiques observés pendant la vie, remettrait en question des faits scientifiques qu’on pouvait croire dé- finitivement jugés : je veux parler de ce que l’on connaissait sur les rapports de subordination qui existent entre les différentes parties constit uantes de la moelle épinière, et entre la nutrition, la contracti- lité électrique (l’irritabilité) et la contractilité volontaire des muscles. Je ne reproduirai pas les arguments que je faisais valoir, en 1853, à l’appui de cette proposition, et que j’ai exposés dans l’édition précédente (1), parce qu’ils s’appuyaient sur une doctrine aujour- d’hui battue en brèche par les expériences de M. Brown-Séquard, (1) De l’électrisation localisée et de son application à la physiologie, à la pa- thologie et à la thérapeutique. Paris, 1835, in-8, p. 574 et suiv. 520 doctrine séduisante, habilement édifiée par M. Longet qui nous avait appris que les racines spinales puisent leurs propriétés spé- ciales dans les cordons de la moelle, en d’autres termes, que les propriétés physiologiques des racines et des cordons sont identiques. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Mais la doctrine de Ch. Bell est heureusement restée debout au milieu de tant de ruines accumulées depuis quelques années par M. Brown-Séquard, et il reste encore aujourd’hui bien déraontréque l’on ne peut couper les racines antérieures de la moelle sans para- lyser immédiatement les mouvements volontaires. Dès lors, comment admettre que ces mêmes racines puissent être atrophiées sans que les mouvements volontaires soient en même temps abolis? Or, chez Lecomte, dont les racines antérieures de la portion cervicale étaient en très grande partie atrophiées, la con- tractilité volontaire, comme la contractilité électrique, est restée in- tacte jusqu’à la mort, dans les faisceaux musculaires qui n’étaient pas altérés dans leur tissu, et qui, cependant, se trouvaient sous la dépendance de ces racines. La théorie appuyée sur la connaissance des propriétés physiologi- ques des racines antérieures de la moelle démontre donc que, chez Lecomte et dans les autres faits analogues, l’atrophie de ces racines antérieures doit avoir été consécutive à l’atrophie et à la transforma- tion graisseuse des muscles. Depuis que j’ai soutenu cette thèse, l’anatomie pathologique elle- même est venue prouver, d’une manière péremptoire, que l’atrophie des racines antérieures de la moelle n’est pas la cause productrice nécessaire de cette lésion de nutrition musculaire. En effet, les racines antérieures de la moelle ont été trouvées parfal- ternent normales dans trois cas d'atrophie musculaire graisseuse pro- gressive observés dans les hôpitaux de Paris. Dans l'un de ces cas, l'autopsie a été faite par un interne d'un grand mérite, M. Axenfeld, aujourd'hui professeur agrégé à la Faculté de Paris et médecin des hôpitaux, sous les yeux de M. le professeur Audral et en ma pré- sence, chez un sujet que j’avais observé pendant la vie. Les deux autres appartiennent à M. Aran, qui m’a autorisé à annoncer ces faits, en se réservant de les publier. Le fait observé dans le service de M. Andral est le premier qui soit venu démontrer que l’atrophie des racines antérieures de la moelle n’est pas la lésion anatomique primitive et productive de l’atrophie et de la transformation graisseuse dont je discute ici la nature. Il a une telle importance que je vais l’exposer in extenso. L’observation en a été rédigée par M. Axenfeld qui a eu l’obligeance de me la communiquer. ÉTAT ANATOMIQUE DES CENTRES NERVEUX. Observation CXYIII. — Atrophie graisseuse des muscles. — Choléra. — Autopsie : pas d’altération appréciable des racines spinales.— Lejeune (Louis), cinquante-trois ans, entré à l'hôpital de la Charité le 9 août, d’une grande taille, d’une constitution robuste, ayant été successivement cultivateur et colporteur, d’une bonne santé habituelle, attribue à l’action du froid la maladie dont il a été atteint, à savoir: en 1818 une fièvre intermittente qu’il aurait contractée en plongeant dans l’eau au moment où le corps était en transpiration, cette fièvre a duré quatre mois ; une déviation de la face du côté droit, accident survenu une quinzaine d’années plus lard et disparu huit ou dix jours après sa manifestation, par l’effet de l’avulsion d’une dent ; une affection aiguë dont il a été atteint en 1840 et pour laquelle on lui a appliqué des ventouses sur la poitrine et fait prendre des loochs blancs; durée une huitaine de jours. 521 Les premiers symptômes de la maladie actuelle datent de 1843 : à celle époque le malade commença à traîner le pied gauche, dont il ne souffrait cependant pas ; en 1 851 il commença à y éprouver des fourmillements qui dans l’espace de six mois s’étendirent du pied à la jambe, puis à la cuisse. Un an plus tard douleurs dans le ventre d’une nature bien différente des coliques, douleurs plus intenses vers la région lombaire et donnant la sen- sation d’une barre à la hauteur de l’ombilic et acquérant au bout d’un mois une très grande violence, exaspérées par la toux, gênant la respiration. Vers le même temps, incontinence des matières fécales, à moins de consti- pation. Le 9 août 1853, Lejeune entre à la Charité, salle Saint-Michel (service de M. Rayer). M. Bonnefin constate alors l’état suivant : La poitrine présente en avant une concavité très prononcée, due à la fois à l’atrophie des muscles pectoraux et à la projection antérieure des deux épaules. En effet, d’une part, lorsqu’on engage le malade à rapprocher les bras du tronc et qu’on s’oppose à ce mouvement d’adduction, on voit les grands pectoraux atrophiés dans leurs deux tiers inférieurs, réduits aux faisceaux sternaux et claviculaires qui font forte saillie dans le creux axil- laire ; d’une autre part les clavicules (dont la droite a été fracturée il y a une vingtaine d’années) ont leur extrémité interne très développée, saillante; au-dessous d’elles on sent les côtes non recouvertes de fibres musculaires; les deux omoplates sont situées sur la même ligne horizontale, toutes deux sont portées en dehors. En outre la droite a éprouvé un mouvement de bas- cule par suite duquel son angle inférieur est porté un peu en haut, en de- dans et surtout en arrière, de manière à former à l’état de repos une petite saillie. Le bras est-il porté en avant, celte saillie devient énorme, le sca- pulum paraît détaché du thorax. Le trapèze du côté droit forme un corps dur , non élastique, appliqué sur 522 les côtes; la sensation d’une masse musculaire ne se retrouve que dans une petite étendue (2 centimètres environ) de sa portion supérieure. Tel est également l’état du trapèze du côté gauche depuis son insertion crânienne jusqu’à la sixième vertèbre cervicale. ATROPINE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Un courant môme énergique ne donne aucune contraction dans les masses musculaires dont la déformation annonce l’atrophie (grands pectoraux, tra- pèzes) ; il ne provoque non plus que des contractions fibrillaires dans le rhomboïde, dans la portion inférieure du grand dentelé, dans le grand dorsal du côté droit, tandis que du môme côté le sous-épineux, le grand rond, le petit rond se comportent comme à l’état normal ; cependant le sous- épineux se contracte moins bien à droite qu’à gauche. De ce côté, d’ailleurs, les mêmes muscles se présentent à peu de chose près avec les mêmes ca- ractères qua droite; l'atrophie y paraît seulement un peu moins avancée. On note à la môme époque une atrophie complète du premier interosseux dorsal du pouce droit, d’où un creux profond dans la région correspondante delà main; les mouvements d’opposition sont cependant conservés presque intégralement. Même atrophie, mais à un moindre degré à la main gauche. De plus on voit des deux côtés entre le quatrième et le cinquième métacar- pien, une dépression longitudinale due à l’atrophie de l’interosseux dorsal correspondant, et qui est le siège de cuissons assez fortes parfois pour em- pêcher le sommeil. Les autres muscles des membres supérieurs paraissent sains. Quant aux membres inférieurs, on note le long de la crête du tibia une dépression longitudinale profonde due à l’absence presque complète du jam- bier antérieur à gauche et à l’atrophie notable du même muscle à droite; ce fait est confirmé par l’exploration galvanique. Les extenseurs commun des orteils et propre du gros orteil ne peuvent se contracter sous l’influence de la volonté. Les péroniers latéraux sont complètement atrophiés et incon- tractiles. Les cuisses, les mollets paraissent être à l’état physiologique. L’état des autres muscles n’est pas indiqué avec des détails suffisants. L’attitude du malade y faisait reconnaître de graves altérations : la marche était très difficile et ne pouvait s’effectuer qu’à l'aide d’un bâton, la colonne vertébrale immobile, fortement cambrée à la régien lombaire, tendait à se renverser en arrière, à quoi s’ajoutaient la tendance des pieds à se tourner en dedans et la presque impossibilité de les projeter en avant. Le malade accuse des engourdissements dans tous les membres. Les fonctions digestives, respiratoires, circulatoires se font bien. Un peu d’œdème aux jambes. Le traitement consiste à administrer chaque jour un bain sulfureux et à pratiquer des séances de galvanisation . M. Clément Bonnefm chargé de celte dernière partie du traitement, se sert de l’appareil électro-moteur de Legendre et Morin ; il applique les exci- tateurs sur les côtes de la colonne vertébrale, puis sur chacun des muscles de l’épaule dont l’atrophie a été constatée; viennent ensuite lesjambiers antérieurs, les interosseux des mains. A la fin de la séance M. Bonnefin fait passer un courant par les membres inférieurs, puis à la fois par les mem- bres supérieurs et inférieurs. Les séances durent de quinze à vingt mi- nutes, elles sont quotidiennes ; s’il arrive qu’on les interrompe pendant un jour ou deux, le malade accuse de la faiblesse : c’est toujours après l’heure de repos qui suit l’électrisation qu’il dit se sentir le mieux. ÉTAT ANATOMIQUE DES CENTRES NERVEUX. 523 A partir du 2 octobre, M. Bonnefin note une amélioration sensible. Ainsi ce jour-là, pour la première fois depuis quatre ans, le malade peut marcher sans bâton ; les orteils du pied gauche (qui était le plus malade) ont de légers mouvements volontaires ; le malade commence à pouvoir coudre, et ne laisse plus échapper l’aiguille, faute de la sentir, comme cela lui arrivait aupara- vant. Le 8 octobre, il coud beaucoup mieux, il peut sortir du bain sans être aidé; l’œdème des jambes a disparu ; mais la cuisson le long du bord cu- bital des mains persiste, elle s’exaspère la nuit ; les mains sont engourdies. Le 4 2 octobre cet engourdissement disparaît aux mains, mais se fait sentir aux pieds et aux genoux où le malade dit éprouver une sensation de liga- ture. Le 13 et le I 4 octobre il se promène dans le jardin, sans bâton. Le 20 octobre il essaye d’écrire ; il ne peut tenir la plume, elle lui semble en coton ; sa main tremble. On constate que la rotation de la tête à droite et à gauche est très limitée. Le 5 novembre, il annonce qu’une douleur vive dans le flanc droit que provoquait anciennement le décubitus de ce côté a disparu. Le 5 décembre, il marche mieux; au lieu de décrire des zigzags, il se dirige en droite ligne, les mains ont retrouvé tous leurs mouvements et une partie de leur force. Depuis une quinzaine de jours, il écrit aussi facilement qu’autrefois. A ce moment il passe dans la salle Saint-Félix (service de M. Andral) où l’observation est continuée chaque jour, sauf une interruption du 1er au 1 5 février. L’amélioration se prononce de plus en plus : le \ 4 mars, le malade a pu se faire la barbe en tenant le miroir d’une main et le rasoir de l’autre; vers le même temps, on voit reparaître des contractions dans le grand pectoral du côté gauche (rien à droite) ; le 22 mars le grand pec- toral droit, le seul des deux qui ont été électrisés depuis le 'I 4 mars, il reste quelques contractions légères, mais sensibles dans toutel’étendue du muscle. Le sentiment de cuisson du bord interne des deux mains, loin de diminuer, semble s’accroître ; pendant trois ou quatre jours les excitateurs sont pro- menés sur la partie douloureuse à gauche seulement, la sensation diminue considérablement, tandis qu’elle persiste tout aussi vive du côté non élec- trisé. Le malade semble prendre chaque jour plus de forces ; le 23 avril il fait dans Paris plus de deux lieues, sans aucun aide. 524 ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Le 27 avril, dans la journée, il est pris de choléra; il meurt le 1er mai 1854 avec tous les symptômes de l’algidilé. L’autopsie faite le 3 mai (en présence de M. Andral et de M. Duchenne (de Boulogne) et d’un assez grand nombre d’élèves), indépendamment des altérations qui se rattachent au choléra, fait reconnaître les particularités suivantes dans le système musculaire et nerveux. Muscles. — Tous ceux dont le nom ne figure pas dans l'énumération qui va suivre ont été trouvés complètement sains; ils tranchaient par leur belle couleur rouge, leur volume considérable, enfin par tous les signes d'une nutrition normale, avec les muscles voisins qui étaient, les uns, complète- ment remplacés par un tissu jaunâtre et même complètement blanc, d'appa- rence graisseuse ; les autres, décolorés, amincis et mêlés du même tissu en proportions diverses. Bien plus le même contraste entre le tissu charnu sain et altéré se rencontrait par places dans la continuité du même muscle. Les aponévroses des muscles malades sont devenues celluleuses fines, ou même manquent entièrement. Muscles atrophiés ; — Côté gauche. — Tous les muscles de la gouttière vertébrale; l’altération y est d’autant plus marquée qu’on les examine plus près du bassin ; là on ne trouve guère qu’un tissu blanchâtre ; trapèze, grand dorsal, grand dentelé jusqu’à la cinquième côte (limite supérieure); grand fessier seul altéré et incomplètement ; tous les muscles de la partie postérieure de la cuisse ainsi que le grand adducteur, grand pectoral, quel- ques fibres charnues à la partie inférieure seulement ; long supinateur dé- coloré, jaunâtre; interosseux de la main légèrement altérés. — Côté droit. — Muscles de la gouttière vertébrale comme à gauche; trapèze, grand dorsal,grand dentelé (dans sa totalité), comme à gauche; de plus le rhom- boïde très altéré ; ici le grand fessier presque sain ; les muscles de la partie postérieure de la cuisse, et le grand adducteur comme à gauche ; le demi- membraneux normal à quelques fibres près ; grand pectoral : fibres demeu- rées charnues à leur attache humérale ; petit pectoral (sain à gauche) com- plètement transformé; deltoïde ; long supinateur; lombricaux ; extenseur propre du pouce, extenseur commun (à leur partie inférieure), adducteur du pouce ; muscles droits et larges du ventre, partiellement des deux côtés. Système nerveux. — Quelques nerfs ont été examinés, le sciatique, le crural, le radial, le médian. Ils ont paru à quelques personnes avoir un vo- lume moindre que ne le comportait celui des membres. Le cerveau n’a présenté aucune altération. Il en est de même de la moelle; forme, volume, consistance, tout parais- sait naturel. Une attention toute particulière a été donnée à l’examen des racines spi- nales. Il a été impossible d’y découvrir aucune atrophie. ÉTAT ANATOMIÇUE DES CENTRES NERVEUX, 525 Jo ne sache pas qu’en Allemagne, les autopsies d’atrophie muscu- laire graisseuse progressive aient confirmé une seule lois le fait d’anatomie pathologique découvert par M. Cruveilhier. 11 existe, au contraire, plusieurs faits négatifs qui ont été publiés. Voici, sur ce sujet, l’opinion exprimée par quelques pathologistes éminents de ce pays, où l’anatomie pathologique est pratiquée avec infini- ment de soin et d’habileté. « La controverse principale (dit le professeur Hassé, dans son Traité des maladiesdu système nerveux) existe toujours sur la nature de l’atrophie musculaire graisseuse progressive. » Les cas de cette maladie ont été considérés très différemment. Déjà Ch. Bell etRom- berg citent des exemples qui semblent appartenir à cette catégorie ; mais ce sont principalement les travaux des pathologistes français qui ont dirigé l’attention vers cette maladie. Cruveilhier, à qui, malgré plusieurs observations et dissections, celte maladie était restée une énigme, s’est prononcé, après une dernière dissection, en ce sens, qu’il fallait considérer cette maladie comme reposant sur une atrophie des racines antérieures de la moelle épinière et surtout de l’origine des nerfs moteurs périphériques. Aran et Duchenne, s’appuyant sur les mêmes cas, considéraient la maladie comme une affection des muscles, et ce dernier (Duchenne) insiste pour lui donner le nom d’atrophie musculaire progressive graisseuse. Moi- même, ayant eu l’occasion d’observer plusieurs cas de cette maladie avec M.üppenheimer [décrits par celui-ci, Heidelberg, 1853 (1)], j’ai pu faire l’autopsie complète (vollstandige Leichenuntersuchung) d’un excellent cas. L’analyse anatomique et microscopique des organes (1) J’ai cité (page 62) un extrait du mémoire de M, Oppenheimer sur l’examen nécroscopiquc et microscopique de l’état des muscles dans l’un de ces cas. Je vais compléter cette citation en faisant connaître l’état anatomique des centres nerveux dans ce même cas d’atrophie musculaire. « Le cerveau, la moelle épinière et leurs enveloppes ont une couleur, un volume et une consistance normales. Un examen microscopique attentif de différentes coupes de la moelle ne laisse voir nulle part des cellules granulaires, ou autre chose d’anormal. Les racines des nerfs périphériques furent examinées l’une après l’autre et les antérieures comparées aux postérieures. Nulle part nous ne trouvâmes des rapports extraordinaires; au contraire, nous les trouvâmes en les mesurant, comme Blandin, plus considérables que ne les indique Cruveilhier. Nous ne pûmes pas trouver une seule paire de racine dont le rapport des posté- rieures aux antérieures soit : : A : 1. Les fascicules nerveux et les fibres primi- tives, tant celles des racines que celles des nerfs périphériques, furent trouvés parfaitement sains sous le microscope. Les plexus sont aussi forts que chez des gens bien portants. « 526 centraux, des origines cérébrales et spinales des nerfs et des troncs nerveux périphériques, ne montra aucun changement (abweichuny) dans l’état normal, et je n’hésite pas, en m’appuyant sur toutes les observations des vivants et après la mort, à rayer cette maladie du rang des paralysies proprement dites (dans le sens strict de ce mot) et la ranger parmi les affections des muscles. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Depuis la publication de faits recueillis par MM. Hassé etOppen- heimer, M. le professeur Friedrich a examiné à l’œil nu et micros- copiquement l’état anatomique des centres nerveux chez trois sujets (dont il a été question précédemment) qui ont succombé, à l’hopilal d’Heidelberg, à l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive. Dans ces trois cas, les racines antérieures de la moelle examinées aussi à l’œil nu et au microscope étaient parfaitement saines. De l’ensemble des faits et des considérations exposés précédem- ment, il ressort de la manière la plus évidente l°que l’atrophie des racines antérieures, observées par M. le professeur Cruveilhier, dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive, n’étant pas une lésion constante, ne peut pas avoir été primitive, qu’elle ne constitue pas, en un mot, la maladie ; 2° que l’altération de nutrition musculaire est probablement périphérique, comme nous l’avons toujours sou- tenu M. Aran et moi, à moins qu’elle ne dépende d’une lésion du système ganglionnaire (1). § ¥1. — Dénomination. Les faits et les considérations que je viens d’exposer sur l’ana- tomie pathologique et sur la nature de la maladie qui est le sujet de ce chapitre, permettent déjuger la valeur des différentes dénomi- nations sous lesquelles elle a été désignée. En 1858, je lui ai donné, dans le travail que j’ai adressé à l’Académie des sciences, le nom d’atrophie musculaire avec transformation graisseuse. En 1850, M. Aran, dans la description qu’il en a exposée dans les Archives générales de la médecine, l’a appelée atrophie musculaire progressive. Enfin, en 1853, M. Cruveilhier, dans la note qu’il a adressée à (1) Je rappellerai que j’ai toujours fait cette réserve, regrettant que, dans les autopsies, des recherches n’aient pas été faites dans cette direction. M. Schnierogt, professeur de clinique à la Faculté de médecine de La Haye, et que j’ai eu l’hon- neur de rencontrer en 1836 au congrès de Vienne, m’a dit avoir constaté une altération du trisplauchnique chez un sujet qui avait succombé dans son service à l’atrophie musculaire progressive. Il en a fait le sujet d’un travail sur l’ana- tomie pathologique de cette affection musculaire, qu’il a publié en 1853 dans Canslalt’s Jahresbericht. l’Académie de médecine sur cette affection musculaire, a proposé de l’appeler paralysie atrophique (1). DÉNOMINATION. 527 M. Cruveilhier avait pensé que sa nouvelle dénomination était plus rationnelle que celle que je lui avais donnée primitivement et que celle de M. Aran, parce qu’elle lui paraissait, sans doute, plus en harmonie avec la lésion anatomique centrale que l’autopsie lui avait révélée, l’atrophie des racines antérieures de la moelle. La découverte de cette lésion anatomique fait certainement honneur à ce savant maître ; cependant il m’est impossible de ne pas per- sévérer dans une opinion que j’ai émise depuis longtemps, à savoir, que la dénomination choisie par lui est malheureuse et doit être définitivement abandonnée pour les raisons suivantes : 1° elle est en contradiction manifeste avec les faits cliniques, desquels il ressort d’une manière incontestable que, dans cette affection, le muscle conserve sa contractililé volontaire et électrique jusqu’à ce qu’il soit altéré dans son tissu, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il ait cessé d’exister organiquement; ce qui prouve, conséquemment, qu’il n’est pas pa- ralysé, mais seulement détruit, de même qu’il pourrait l’être par toute autre affection organique du tissu musculaire; 2° il est au- jourd’hui bien établi, par de nouvelles autopsies, que l’atrophie des racines antérieures n’est pas constante, et que lorsqu’elle a existé, elle a été nécessairement secondaire. Tout cela est aujourd’hui démontré surabondamment. J’ajou- terai que la dénomination adoptée par M. Cruveilhier est d’autant plus fâcheuse qu’elle jetterait le trouble et la confusion dans la no- menclature des affections musculaires qui, dès le début, sont des paralysies réelles, arrivent progressivement à l’atrophie et se ter- minent quelquefois par la métamorphose graisseuse. Pour ces espèces de paralysies seulement, doit être réservée la dénomina- tion de paralysie atrophique, et lorsqu’elles se terminent par la dégénérescence graisseuse , on peut rappeler dans la dénomi- nation ce mode de terminaison. C’est ainsi, par exemple, que j’ai appelé paralysie atrophique graisseuse de tenfance certaines para- lysies qui surviennent très communément à cet âge. (Cette para- lysie de l’enfance a fait le sujet du chapitre VII.) Je me résume en disantque donner le nom de paralysieà l’espèce d’affection musculaire à laquelle Lecomte a succombé, dans laquelle la lésion de nutrition musculaire est le fond, le point de départ de la maladie, dans laquelle le mouvement est seulement affaibli, parce que le muscle souffre dans la nutrition , affaibli principale- (I) Bulletin de l’Académie de médecine. Paris, 1852-1853, t. XVIII, p. 490 et suiv. 528 ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. ment en raison de la diminution de la quotité des libres, à cette affection, enfin, dans laquelle le mouvement ne se fait plus que lorsque l’instrument de ce mouvement est détruit, c’est employer une dénomination qui donne de cette maladie l’idée la plus inexacte, la plus contraire à la vérité. La question que je soulève ici n’est pas une vaine discussion sur la valeur d’un mot, car un des plus graves inconvénients d’une dénomination aussi éloignée de la signification réelle des phéno- mènes symptomatiques de cette maladie, serait de laisser le méde- cin dans une fausse sécurité sur l’état des muscles déjà menacés dans leur existence, et de n’appeler son attention que lorsque le mouvement est aboli, c’est-à-dire à un moment de la maladie où il ne reste plus de chances de succès à l’intervention thérapeutique. Après avoir démontré que la dénomination de paralysie atrophique n’est pas l’expression réelle de la lésion de nutrition musculaire dont il est question, il convient d’examiner si ceWad'atrophie muscu- laire progressive, choisie par mon ami, M. Aran, peut donner une idée plus exacte de la marche et de la nature de la maladie. Ce n’est pas sans avoir longtemps observé et réfléchi que je me dé- cide à discuter la valeur de cette dénomination. Je crois, avec cet observateur, et je l’ai démontré plus haut, que l’affection muscu- laire qu’il a si bien décrite est une lésion de nutrition. Cependant, je le dis à regret, la dénomination qu’il lui a donnée de préférence à celle que j’avais choisie antérieurement, me paraît incomplète, à double sens, et peut en conséquence exercer une influence lâcheuse sur le diagnostic et sur le pronostic de la maladiequ’elledésigne. C’est cette raison seulequi motive la critique que je vais essayer de justifier. L’autopsie de Lecomte, on ne l’a pas oublié, a démontré, comme celle qui avait été faite aussi dans un cas analogue, en 18â9, par M. le professeur Gruveilhier, que la lésion de nutrition dont ses muscles avaient été atteints, présentait deux périodes bien tranchées ; une première dans laquelle les fibres musculaires avaient diminué de volume et peut-être disparu en plus ou moins grande quantité (c’est réellement la période d’atrophie musculaire) ; et une seconde, (la période ultime) dans laquelle les fibres qui restent avaient été altérées dans leur tissu, en même temps que les vésicules adipeuses, normalement interposées aux faisceaux striés, avaient augmenté considérablement en quantité (c’est la métamorphose, transforma- tion, substitution, dégénérescence) graisseuse selon tous les ana- tomo-pathologistes, à l’exception de M. Ch. Robin, qui, en admet- tant la destruction des faisceaux musculaires (disparition des stries transverses et longitudinales), soutient que les granulations qui se forment dans le sarcolemme, et remplacent les stries, ne sont pas toutes graisseuses. DÉNOMINATION. 529 Eh bien ! la dénomination d’atrophie musculaire progressive n’in- dique que la première période de la maladie, période d’atrophie simple que l’on observe dans une autre affection musculaire. En effet, il existe une maladie qui frappe en masse le système muscu- laire d’atrophie; qui marche graduellement et quelquefois assez rapidement, maladie à laquelle convient parfaitement la dénomina- tion d’atrophie musculaire progressive, et qui, cependant, diffère essentiellement de celle que l’auteur de cette appellation a entendu désigner. Voici un exemple de cette affection musculaire que M. Vigla a eu l’obligeance de soumettre à mon observation. La relation en a été rédigée par M. Vidal, interne de son service. Observation CXIX.—Marasme essentiel; — pas de contractions fibrillaires; — intégrité de la contractililé et de la sensibilité éleclro-musculaires. — Mort. — Autopsie : muscles bien colorés et non altérés dans leur tissu. « ( Maison municipale de santé, service de M. Vigla, 1852.) — Le nommé Leroyer, âgé de quarante-sept ans, garde-ligne du chemin de fer de Lyon, grand, maigre, d'un tempérament bilieux, avait toujours joui d'une bonne santé. Depuis près d’un an, sans cause connue, il s’est affaibli peu à peu. — Digestions faciles, appétit conservé, constipation opiniâtre. — L’amaigrissement a augmenté progressivement; les forces se sont épuisées, et il est entré à la Maison de santé dans l'état suivant : Maigreur excessive, affaiblissement très grand ; il marche encore à l’aide d’une canne ; l’affaiblisse- ment est plus marqué dans le bras et la jambe du côté droit, et le malade se plaint d'un refroidissement pénible dans la jambe. Teinte jaune cachectique. Tout le système musculaire est très atrophié uniformément; le tissu adipeux semble avoir disparu presque complètement. On voit les fibres musculaires se contracter très énergiquement sous l’influence de l’électricité, ctM. Du- chenne (de Boulogne), qui a bien voulu examiner le malade, pense que les fibres musculaires ont pu diminuer en quantité, mais sans subir de trans- formation, et que l’atrophie a porté principalement sur le tissu cellulaire. Tous les organes, interrogés avec soin, paraissent sains ; le foie est plus petit qu’à l’état normal. L’appétit a beaucoup diminué depuis deux mois. Consti- pation opiniâtre ; langue normale; peau sèche, terreuse ; pouls petit, régu- lier, d’un rhylhme normal. On cherche à combattre la constipation avec la rhubarbe et la magnésie. Le 3 juin, à la constipation succèdent des selles diarrhéiques, peu colorées, blanchâtres, très abondantes, mais non fré- quentes (deux et rarement trois en vingt-quatre heures). Julep opiacé, 0,05; DlïCIIENNE. 530 ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. lavement opiacé. Le 7 juin, il y a de la fièvre ; les selles sont toujours dé- colorées, moins abondantes; le malade est très affaibli. Le 8 juin, deux selles dans la journée. Le 9, prostration extrême; évacuations involon- taires ; le malade a toute sa connaissance. — Le 10, il succombe dans un état d’affaiblissement complet. « A l’autopsie, nous trouvons quelques tubercules miliaires en très petit nombre au sommet des deux poumons. Aucun n’est ramolli. Le foie est ra- tatiné, plus petit au moins d’un tiers qu’à l’état normal ; son enveloppe est épaisse et ridée, sa densité très grande ; il est comme carnifié. La vésicule biliaire, décolorée, est distendue par un liquide semblable à une solution gommeuse. La rate offre à peu près le volume normal ; elle est carnifiée. Intestin dilaté, aminci, très transparent ; on aperçoit à peine quelques fibres de la musculeuse, tellement elle est atrophiée, même à l'estomac. Le cœur, petit, coloré, n’offre pas d’altération. Les reins et la vessie sont sains. Le cerveau, examiné avec soin, paraît sain. La moelle n’a pas été ouverte. Les muscles sont très grêles, mais très colorés, et ils n'ont pas subi de trans- formation. » M. Vigla me dit, en me montrant son malade : Voilà une atro- phie musculaire progressive par excellence. En effet, tout le sys- tème musculaire s’était atrophié assez rapidement en masse, sans cause organique, et cette atrophie avait progressé depuis le début jusqu’à la mort du sujet ; la contractilité volontaire et la contractilité électrique étaient intactes, et l’affaiblissement musculaire avait aussi augmenté en raison du degré de l’atrophie. Mais c’était un piège tendu par mon spirituel confrère ; car il savait très bien que ce n’était pas l’espèce morbide appelée par M. Aran atrophie mus- culaire progressive, et que, dans cette dernière et à ce degré d’a- trophie, un grand nombre des muscles seraient déjà transformés en graisse; qu’elle en différait, enfin, essentiellement par sa marche et sa terminaison. Cependant, on ne saurait le nier, la dénomina- tion d’atrophie musculaire progressive, que M. Vigla donnait à l’affection de son malade, n’en était pas moins juste. Ce fait que j’ai observé avec M. Vigla n’est pas infiniment rare : Lobstein en rapporte un exemple. Observation CXX. —J’en ai observé deux nouveaux cas, en 1860, l’un à l’hôpital Lariboisière (service de M. Oulmont), l’autre à l’hôpital de la Cha- rité (service de M. Beau). Ces cas dans lesquels le marasme ne pouvait être rapporté à aucune maladie, ni à aucune lésion appréciable, m’ont été pré- sentés comme des types d’atrophie musculaire générale. Celui de Lariboi- sière est plus remarquable et plus complet, car l’examen nécroscopique en a été fait. Le sujet était arrivé progressivement à un tel état d’amaigrisse- DÉNOMINATION. 531 ment, que je n’aurais pu soupçonner, ni à la vue, ni au toucher, l’existence de ses muscles, si je ne les avais vus se contracter par l’excitation électrique ou par la volonté. Eh bien I l’autopsie nous a montré ces muscles, malgré leur émaciation extrême, d’un rouge vif et non altérés dans leur tissu. Qui u’a vu, d’ailleurs, ces squelettes vivants qu’on offre à la cu- riosité publique? Tous ces sujets sont atteints d’un marasme mus- culaire essentiel, que Lobstein a dit être nerveux; ce qui n’apprend rien, quanta la caRse qui le produit. En résumé, les faits précédents démontrent la nécessité de distin- guer cette atrophie musculaire simple de l’atrophie décrite par M. Aran. Je crois qu’on évite toute confusion, en appelant cette dernière affection atrophie musculaire graisseuse. Cette dénomination rappelle, en effet, l’altération de tissu qui constitue la période ultime de cette maladie, et qui atteindrait tous les muscles atrophiés si le principe de cette dernière existait dans tous au même degré, pé- riode qu’on n’observe pas dans l’affection à laquelle ont succombé les malades de MM. Vigla et Oulmont, ainsi que l’a démontré l’au- topsie. C’est cette dénomination que j’avais choisie dans mon mémoire à l’Institut. Elle est parfaitement convenable, parce que le muscle, après s’être atrophié, prend un aspect graisseux, et qu’alors on en exprime une quantité considérable dégraissé, parce que cette aug- mentation du tissu graisseux des interstices aux faisceaux primitifs coïncide avec la destruction de ces derniers, c’est-à-dire avec la disparition des stries et avec le dépôt, dans lesarcoiemme, de granu- lations graisseuses, selon les micrographes, à l’exception de M. Ch. Robin, qui soutient, sans doute avec raison, que ces granulations ne sont pas toujours toutes solubles dans l’éther. J’ai eu le regret de ne pas voir cette dénomination primitive adop- tée par mon ami M. Aran, à qui j’avais communiqué mon travail (1). Le mot progressif, ajouté à celui d’atrophie graisseuse, donne- t-il une idée exacte de la marche et de la terminaison de cette maladie? (1) Lorsqu’à l’époque de la publication de son mémoire, je demandai à M. Aran le motif qui lui avait fait rejeter ma première dénomination d’alrophie musculaire avec transformation graisseuse, il me répondit que la seule autopsie (celle de Lecomte) dans laquelle cette transformation graisseuse avait été con- statée par l’examen microscopique, ne suffisait pas pour faire considérer cette lésion de nutrition comme un des caractères principaux de cette maladie. Au- jourd’hui celte objection n’a plus de valeur. 532 Lorsqu’on veut appliquer à une maladie une dénomination qui a déjà cours dans la science, il faut bien se pénétrer du sens que l’inventeur de cette dénomination y attache lui-même, sous peine de porter la confusion dans le langage. Or, Requin, en appelant pro- gressivela paralysie générale, a voulu désigner une affection mus- culaire qui attaque tout le système musculaire (les membres inté- rieurs et supérieurs), et qui, une fois déclarée, marche toujours, quoi qu’on fasse, et se termine fatalement par la mort. ATU0P1IIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Eh bien ! tel n'est pas le sens que M. Aran a |>aru attacher à la dénomination d’atrophie musculaire progressive, si toutefois on s’en tient à la définition qu’il en donne au commencement de son mé- moire; il a dit, en effet, que dès l’instant que cette maladie s’est montrée dans une portion du système musculaire, elle a de la ten- dance à s’étendre au reste du membre, quelquefois même à en- vahir le reste du système musculaire général. SiM. Aran a voulu seulement rappeler, à l’aide de l’adjectif pro- gressive. cette tendance envahissante de la maladie, il a eu certai- nement une idée des plus heureuses; car on ne saurait trop rap- peler que c’est là ce qui constitue le plus grand danger de cette terrible affection, et que c’est cette généralisation qu’on doit s’effor- cer de prévenir ou de combattre. On ne peut se dissimuler, cependant, après avoir pris connais- sance de l’ensemble de son travail, que, dans la pensée de M. Aran, cette maladie marche toujours fatalement vers la destruction, et, comme il le dit lui-même, « qu’elle ne paraît pas susceptible de ré- trograder; que tout au plus on peut espérer d’en suspendre pour un moment le travail morbide. » A l’époque où cet observateur écrivait son travail, l’expérimen- tation électro-thérapeutique était peu avancée en ce qui a trait à cette maladie, qui ne faisait elle-même que de naître, pour ainsi dire; elle n’avait pas produit tout ce qu’on pouvait en espérer. M. Aran avait certainement raison de porter alors le pronostic affligeant qu’il a exprimé dans les lignes suivantes ; « Il n’y a peut- être, dit-il, aucune maladie qui soit autant au-dessus des ressources de l’art.... Il (le traitement électrique) n’a pas guéri, et lorsque les malades sont sortis de l’hôpital, se croyant mieux, et ont repris leurs travaux, ils sont rentrés, quelques mois après, dans un état plus grave. » C’est, sans doute, sous l’influence de ces sombres pensées que M. Aran a appelé progressive la maladie dont il écrivait l’histoire : ce qui veut dire maladie dont la marche ne s’arrête pas et se termine fatalement parla destruction; ce qui signifie aujourd’hui atrophie VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. musculaire qui aboutit infailliblement à la destruction du tissu mus- culaire (transformation graisseuse ou altération de tissu autrement dénommée par M. Ch. Robin). Tel était aussi le pronostic que je portai dans mon mémoire à l’institut; mais ce jugement n’était pas tout à fait sans appel, car les recherches électro-thérapeutiques auxquelles je me suis livré depuis, sans relâche, ont heureusement modifié ce triste pronostic. Ces histoires si malheureuses que j’ai rapportées ne sont que trop présentes à mon esprit. Cependant je suis en mesure de démontrer, ainsi que je le ferai dans l’article suivant, que cette maladie, quoique déjà généralisée, peut être arrêtée dans sa marche ; que non-seu- lement on l’arrête dans sa marche, niais aussi qu’il est quelquefois possible de rappeler la nutrition dans des muscles arrivés à un degré très avancé d’atrophie, pourvu, toutefois, que ces muscles ne soient pas altérés dans leur tissu. Si donc il est bon d’ajouter le mot progressive à la dénomination d’atrophie graisseuse musculaire, pour rappeler que la maladie qu’elle désigne a une tendance à se généraliser, et que les muscles atrophiés peuvent arriver à une entière destruction, il faut bien se garder d’accorder à ce mot le sens fatal qui lui a été appliqué principalement par Requin. En somme, la dénomination d'atrophie musculaire graisseuse pro- gressive des muscles me paraît mieux convenir à cette maladie, en ce qu’elle en rappelle les phases principales, et qu’elle la distingue d’autres affections musculaires avec lesquelles on la confondrait inévitablement, si on l’appelait seulement atrophie musculaire pro- gressive. ARTICLE If. VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. L’atrophie musculaire graisseuse progressive se généralise-t-elle toujours et se termine-t-elle fatalement par la destruction, comme semble l’indiquer l’adjectif progressif dans la dénomination qui lui a été donnée par M. Aran? Existe-t-il, au contraire, un agent thé- rapeutique capable de l’arrêter dans sa marche ? C’est par des faits seulement que je veux répondre à ces deux questions, choisissant les plus graves parmi ceux que j’ai recueillis, ceux, en un mot, qui me paraissent les plus propres à résoudre ce problème. Quand on a vu mourir un à un, pour ainsi dire, les muscles de ce pauvre saltimbanque dont j’ai rapporté la triste histoire (obs. GUI), et chez qui les organes essentiels à la vie étaient restés dans la plus parfaite intégrité, et cela malgré les médications les plus diverses, on accepte dans toute sa rigueur le sens de la dénomination fatale d'atrophie musculaire progressive, dénomination qui veut dire : ma- ladie qui, une fois déclarée, marche toujours, quand même, vers la destruction. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Telle était, je le répète, l’opinion que je formulai en 18â9, dans mon mémoire sur l’atrophie graisseuse. Cet affligeant pronostic avait été porté par moi principalement sous l’influence de l’impres- sion que me fit l’histoire de ce capitaine au long cours dont j’avais recueilli alors l’observation, et dont il a été question dans l’édition précédente (page â59). Cet homme avait aussi la conviction que sa maladie devait le conduire au tombeau, et il faisait entendre ces tristes paroles, qui sont restées gravées dans ma mémoire: «Le jour où j’ai vu, me disait-il, un commencement d’amaigrissement dans une partie de mon corps, j’ai compris que j’étais perdu, car trois mem- bres de ma famille (un frère et deux oncles maternels) avaient suc- combé à une maladie quia commencé et marché comme la mienne. J’ai encore deux frères qui s’attendent au même sort. C’est une maladie de famille ! » Ses pressentiments n’étaient que trop fondés ; puisque, quelques jours plus lard, il mourait asphyxié comme le saltimbanque, faute de muscles respirateurs. A côté de ce fait, j’en pourrais placer quelques autres tout aussi tristes, que j’ai observés depuis lors, et qui justifieraient encore mieux la gravité de mon pronostic. Mais si je n’avais que des histoires aussi lugubres à rapporter, je ne viendrais pas aujourd’hui proclamer l’impuissance de la théra- peutique; j’attendrais de nouveaux essais, des tentatives plus nom- breuses, avant de faire un aveu aussi désespérant. Le lecteur doit comprendre, par ces dernières lignes, que, jusqu’à présent, je ne lui ai fait voir que le côté le plus sombre du tableau ; il prévoit déjà, sans doute, que les recherches électro-thérapeu- tiques auxquelles je me suis livré sans relâche depuis 18à9 ont heureusement modifié le pronostic que je portais à cette époque sur l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Je crois, en effet, pouvoir affirmer aujourd’hui que cette maladie, quoique déjà généralisée, peut être arrêtée dans sa marche, alors même que les malades sont placés dans des conditions où elle peut se développer ; que non-seulement on l’arrête, mais encore qu’il est quelquefois possible de rappeler la nutrition dans des muscles arrivés à un degré très avancé d’atrophie, pourvu toutefois que le muscle ne soit pas altéré dans sa texture. VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Or, il résulte des faits exposés précédemment : 1° que, dans cette affection, la destruction du tissu musculaire commence à se pro- duire seulement dans la période ultime, que l’on peut appeler pé- riode de transformation ; 2° que la période qui la précède (période d’atrophie), qui est caractérisée seulement par l’atrophie simple des muscles, par la diminution de la quantité des fibres musculaires et par la diminution de volume des libres primitives, a une très longue durée. 535 En conséquence, aussi longtemps que les muscles répondront à l’excitation électrique et aussi longtemps que durera la période d’atrophie simple, il sera permis d’espérer de les sauver d’une des- truction complète, et peut-être même de les développer plus ou moins en y rappelant la nutrition, et cela par la faradisation localisée. Il me faut prouver maintenant qu’il n’y a rien d’exagéré dans ce que j’ai dit de l’heureuse influence de la faradisation, comme agent modilicateur de cette terrible maladie, comme moyen le plus puis- sant de rappeler la nutrition dans les muscles déjà réduits à l’état rudimentaire. L’extension considérable que j’ai donnée à l’étude pathologique de cette maladie ne me permet pas de relater les faits nombreux que j’ai recueillis, et qui viennent à l’appui de cette assertion. Il en est une cependant que je ne passerai pas sous silence, c’est l’obser- vation de Bonnard, dont il a été question assez souvent dans ce livre et qui a été représentée dans les figures 67 et 68. En raison de son importance, je l’exposerai avec quelques détails. Observation CXXI. -— Bonnard, mécanicien, âgé de vingt-cinq ans, demeurant rue du Canal-Saint-Martin, n° 9, d’une haute stature, d’une bonne constitution, n’a jamais eu ni syphilis ni rhumatisme, ni aucune autre affection. Il avait toujours joui d’une bonne santé, lorsque après les jour- nées de février 4 848, ayant dû forcer son travail, il ne tarda pas à éprouver une grande faiblesse musculaire et moins d’habileté manuelle. Chargé d’une nombreuse famille, et gagnant peu, par suite du trouble apporté dans l’in- dustrie par les événements politiques, il prolongea son travail, prenant peu de sommeil et s'imposant des privations de toute nature. En quelques mois son bras gauche s’amaigrit progressivement (il est gaucher), ainsi que les muscles du tronc. Il affirme n’avoir jamais éprouvé de douleurs. Interrogé avec le plus grand soin, il dit qu’il n’a jamais été exposé à aucun courant d’air, ni à l’humidité, et que son habitation est saine. Malgré son affaiblisse- ment graduel, il n’en continua pas moins son état jusqu’en 4 850, époque à 536 laquelle il dut renoncer à toute espèce de travail. C’est vers le mois de dé- cembre de la même année qu’il vint me consulter pour la première fois. Je constatai alors les phénomènes suivants : ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Le tronc est d’une maigreur extrême. A la face antérieure de la poitrine, la peau semble appliquée immédiatement sur les côtes et s’enfonce dans chaque espace intercostal, de telle sorte que cette poitrine offre l’aspect d'un thorax de squelette ; les clavicules et les épaules sont très saillantes en avant, et creusent transversalement la face antérieure de la poitrine (voy. fig. 67). A la partie postérieure du tronc, les omoplates ont une alti- tude vicieuse pendant le repos musculaire; elles sont très éloignées de la ligne médiane, et leurs bords spinaux (voy. A, B, fig. 68) ont une direction oblique de bas en haut et de dedans en dehors ; les moignons des épaules sont beaucoup plus abaissés qu’à l'état normal ; on voit entre ces épaules et au cou des reliefs musculaires, désignés par les lettres F, E, qui n’existent pas à l’état normal ; au-dessous des omoplates, jusqu’à la région lombaire, la peau paraît appliquée sur les côtes. Le bras gaucho est un tiers à peu près moins volumineux que le bras droit; le biceps (voy. fig. 67) offre à peine le volume de l’index à sa partie supérieure, dans l’étendue de deux pouces à deux pouces et demi, et se termine inférieurement par un tendon long et grêle ; le biceps, bien qu’atrophié, paraît encore assez développé. A l’avant-bras gauche il existe une atrophie très évidente du long supinateur et des radiaux. Exploration électro-musculaire et cutanée. — Quelque intense que soit le courant de l’appareil d’induction, l’électrisation localisée provoque à peine des contractions fibrillaires très rares dans les pectoraux, dans les deux tiers inférieurs du trapèze et dans les grands dorsaux; et encore faut-il que les rhéophores soient placés dans certains points, où l'on trouve seulement de la fibre musculaire non altérée dans son tissu ; le biceps se contracte un peu dans sa partie la plus développée. Je ne puis constater l’existence des autres muscles delà face antérieure du bras. Le triceps gauche, assez atro- phié, se contracte cependant énergiquement, et produit l’extension de l’avant-bras sur le bras ; à l’avant-bras du môme côté, je retrouve tous les muscles; mais le long supinateur elles radiaux impriment au membre des mouvements moins énergiques que du côté opposé. La sensation produite par la faradisation musculaire est diminuée propor- tionnellement dans les muscles atrophiés; cependant la sensibilité de la peau est normale, même dans les points qui recouvrent les muscles les plus atrophiés et les moins sensibles. Le développement considérable des mus- cles non atrophiés forme un contraste frappant avec ceux dont je viens d’ex- poser le degré d'atrophie. On constate dans la plupart de ces muscles des contractions fibrillaires, même plus fréquentes et plus nombreuses que dans les muscles atrophiés. Ces muscles, évidemment malades et ayant déjà subi VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA tARABISATION LOCALISÉE. un commencement d’atrophie, jouissent de leurs mouvements volontaires et de leur force à peu près normale. Je ne décris pas actuellement les troubles fonctionnels et le mécanisme des difformités produites par l’atrophie musculaire complète de certains muscles, car ces phénomènes sont l’objet d’une étude spéciale dans mon mé- moire sur les fonctions des muscles de l’épaule. Je dirai seulement qu’à gauche, la flexion de l’avant-bras sur le bras était impossible, et que l’ex- tension delà main sur l’avant-bras se faisait avec peine, à tel point que Bonnard, qui est gaucher, ne pouvait plus exercer son état de mécanicien. Depuis longtemps déjà il n’avait plus la force de forger; mais ce n’est qu’en dernier lieu qu’il fut incapable de se servir du marteau même le plus léger. Bonnard n’éprouve aucun dérangement dans son état général ; toutes ses fonctions se font bien. Son appétit est bon ; cependant, depuis un mois, dit-il, il éprouve des troubles très graves du côté de la respiration, sans que l’auscultation puisse en rendre raison. (Je crois avoir établi déjà (1) que ces phénomènes morbides dépendaient de l’atrophie de ce muscle ; on les trouvera décrits et discutés dans ce travail.) L’électrisation des nerfs phréniques, pratiquée immédiatement et répétée trois ou quatre fois par semaine, fut suivie, en quelques semaines, de la guérison des troubles de la respiration. Bonnard, qui ne pouvait marcher sans être essoufflé et s’ar- rêter à chaque pas, fit depuis lors de très longues courses, et monta les escaliers avec la même facilité qu’autrefois. Ses muscles atrophiés du tronc n’ayant qu’une utilité secondaire (voyez mon travail sur les muscles de l’épaule), je consacrai tout le temps dont je pouvais disposer principalement aux muscles atrophiés du membre supé- rieur gauche ; c’est-à-dire au biceps, au long supinateur et aux radiaux du côté gauche, afin qu’il pût reprendre son état le plus tôt possible. Trois fois par semaine j’excitai ces muscles pendant huit à dix minutes chaque fois. Sous l’influence de ce traitement, Bonnard sentait ses forces augmenter progressivement dans les mouvements de son bras gauche ; il voyait ce membre augmenter sensiblement de volume, mais il ne put reprendre son état qu’après six mois de faradisation ; et alors son biceps égalait en épais- seur au moins deux travers et demi de doigt ; son long supinateur et ses radiaux avaient aussi augmenté de volume. A dater de celte époque, Bon- nard a pu exercer jusqu’à ce jour son état de mécanicien et nourrir sa fa- mille. Chaque année Bonnard vient me visiter. Aujourd'hui, en mai 1860, sa guérison s'est maintenue depuis huit ans. Ce malade, dont la couche superficielle des muscles du tronc avait presque entièrement disparu, était devenu pour moi un sujet d’expérimentation et (1) Recherches électro-physiologiques, pathologiques et thérapeutiques sur le diaphragme {Union médicale, mars et avril 1852). 538 de démonstrations électro-musculaires. (C’est sur lui que je fis voir, dans une des leçons de M. le professeur Bérard, l’action du diaphragme sur les côtes en excitant chacune de ses moitiés isolément, et l’action des intercos- taux, du rhomboïde, du grand dentelé, etc.) J’eus alors l’occasion de faire contracter assez souvent tous ces muscles, et quelquefois même les mem- bres inférieurs: ce fut un bonheur pour Bonnard; car sous l’influence de ces excitations, les contractions fibrillaires disparurent, et ses forces revin- rent entièrement. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Il est vrai que ses pectoraux, ses trapèzes, ses grands dorsaux, sont restés dans le même état qu’avant le traitement; mais Bonnard n’en éprouve pas une très grande gêne dans l’exercice de sa profession, parce que ces mus- cles sont d’une utilité secondaire. Cette dernière observation suffirait pour démontrer la puissance et la nécessité de l’intervention delà faradisation localisée dans le traitement de l’atrophie musculaire graisseuse progressive. On vient de voir, en effet, qu’à l’époque où Bonnard est venu réclamer mes soins, la maladie avait envahi un grand nombre de ses muscles, ayant déjà détruit ou atrophié les uns à des degrés va- riables, et produisant chez les autres des contractions fibrillaires presque continues. On ne peut, certes, nier que cette atrophie était en grande voie de généralisation. J’avoue que lorsque j’observai Bonnard pour la première fois, je le croyais d’autant plus prochaine- ment voué à la mort, que son diaphragme était lui-même atteint; après ce muscle, me disais-je, viendra sans doute le tour des inter- costaux (car, on le sait, la plupart des muscles du tronc avaient cessé d’exister), et alors l’asphyxie sera inévitable. Tout cela me paraissait fatalement écrit. Je commençai donc, sans le moindre espoir, le trai- tement faradique dont on connaît aujourd’hui les beaux résultats. Ainsi, arrêt de la marche envahissante de cette atrophie ; retour de la nutrition et de la fonction dans un muscle essentiel à l’usage du membre supérieur ; disparition des contractions fibrillaires des muscles déjà atteints par la maladie, et enfin persistance de la gué- rison depuis huit ans, malgré la reprise des ü’avaux manuels ; tels sont les résultats incontestables du traitement par la faradisation localisée chez le sujet de l’observation dont je viens de donner la relation. Il ne faudrait pas en conclure que les malades dont l’atrophie mus- culaire progressive est arrêtée dans sa marche envahissante, et dont les muscles atrophiés se sont développés sous l’influence de la fara- disation localisée, peuvent toujours s’exposer impunément aux causes occasionnelles qui avaient provoqué leur maladie, et princi- paiement à la fatigue musculaire. L’observation m’a démontré, en effet, que l’action musculaire exagérée, et surtout la contraction continue, sont les principales causes occasionnelles de l’atrophie musculaire progressive. VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Celle affection est beaucoup plus souvent produite par la con- traction continue et exagérée. Cette proposition a été formulée en 18ù9 dans les conclusions générales de mon mémoire à l’Institut, de la manière suivante ; « L’atrophie musculaire, avec altération de nutrition ou transfor- mation graisseuse, est générale ou locale. La première se déclare quelquefois spontanément sans cause occasionnelle ; la seconde est ordinairement produite par un travailforcé et continu. La continuité et l’excès du travail sont deux conditions ordinaires de la produc- tion de ce vice dénutrition. En effet, de même que les professions qui exigent une grande dépense de forces musculaires, produisent l’augmentation du volume des muscles, pourvu que le travail soit intermittent ; de même les professions qui, au contraire, demandent un exercice forcé et continu, empêchent le développement muscu- laire, donnent lieu ou à l’atrophie ou à la production graisseuse, dernier degré de la maladie, chez les sujets prédisposés à l’atrophie musculaire avec transformation graisseuse. J’avais déduit cette conclusion des observations rapportées dans le cours de ce chapitre. Les nombreux faits que j’ai recueillis depuis 18ù9 en ont confirmé l’exactitude. La déduction la plus importante à en tirer, à ce point de vue thé- rapeutique, c’est qu’il est prudent de conseiller au malade qu’on a eu le bonheur de guérir de l’atrophie musculaire progressive, ou dont l’état a été amélioré, c’est, dis-je, qu’il est sage de lui con- seiller de renoncera l’exercice de sa profession, quand son influence fâcheuse a été bien établie. Malheureusement, l’ouvrier qui n’a pas d’autres ressources que son état ne peut pas toujours suivre ces sages conseils, bien qu’il en comprenne la valeur. Le plus souvent, pressé par la nécessité, sitôt qu’il se sent la force de reprendre son travail, il abandonne son traitement sans en attendre la fin. Telle est la raison des rechutes trop fréquentes dont ces malheureux ma- lades sont atteints, et de la difficulté d’obtenir chez eux une gué- rison complète. En voici un exemple remarquable : Gaulard, dont j'ai exposé antérieurement l’état (voyez l’observation C, p. 455, figure 65), avait, !au moment où je le vis pour la première fois, recouvré presque toute sa sensibilité musculaire après un mois de faradi- sation. Le tronc commençait à se redresser ; l’élévation des bras se faisait 540 jusqu’à la direction horizontale ; les muscles se développaient d’une manière très sensible; les mouvements de la main s’étaient améliorés. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Alors il se crut presque guéri, et se hâta de reprendre son travail, bien qu’il en eût à peine la force. Vers le mois d’août, il revint me trouver dans le même état que la première fois, et j’obtins de lui qu'il rentrât à la Charité, où M. Briquet le reçut, le 1 5 août 1 850, dans son service (salle Saint-Louis, n° 7). Je n’ai pas besoin de décrire de nouveau son état, qui était exactement le môme que celui que j’ai exposé précédemment. Gaulard fut do nouveau vigoureusement faradisé chaque jour avec un appareil assez puissant, et deux fois par semaine on me l’envoya dans mon cabinet, afin que je pusse lui appliquer mon appareil de grande force. Des bains sulfureux (deux à trois par semaine) furent aussi employés comme moyen auxiliaire. Sous l’influence de ces moyens réunis, les muscles se développèrent à vue d’œil, les gouttières verticales se remplirent; le tronc et la tête se redressèrent, l’élévation des bras fut bientôt complète. Enfin, après un mois de traite- ment faradique, il sortit à peu près guéri. Je continuai encore la faradisa- tion dans mon cabinet, pendant un mois après sa sortie de l’hôpital, et alors, ayant recouvré tous ses muscles et sa force musculaire, il reprit son état de porteur à la halle. Je dois ajouter, enfin, que l’excitation faradique fut, de temps en temps, dirigée sur toutes les régions du corps où je voyais des contractions fibrillaires, lesquelles avaient complètement disparu à sa sortie de l’hôpital. La guérison de Gaulard se maintint pendant près d’une année ; mais ayant de nouveau abusé de ses forces, en portant des charges de 150 à 200 livres sur la tête pendant plusieurs mois de suite, il fit une rechute et fut forcé de renoncer encore à son travail. Les mêmes muscles s’étaient de nouveau atrophiés, quoiqu’à un moindre degré ; Gaulard se cambrait beaucoup moins pendant la station, et pouvait relever la tête quand il la fléchissait; mais il suffisait de la plus légère im- pulsion pour le faire tomber en avant. Il fut de nouveau soumis à la fara- disation localisée et guéri. La guérison rapide obtenue chez ce malade est un fait excep- tionnel, car on ne parvient ordinairement à rappeler la nutrition et à développer les muscles qu’après un traitement faradique assez prolongé. Enfin, la reprise de sa profession fatigante a reproduit sans cesse l’atrophie des mêmes muscles. Bien que la faradisation localisée l’ait déjà guéri plusieurs fois, il n’est pas douteux pour moi que Gaulard perdra ses muscles définitivement, tôt ou tard, s’il ne re- nonce pas à un travail évidemment au-dessus de ses forces. VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Il me reste encore à exposer quelques considérations sur les phé- nomènes thérapeutiques obtenus par la faradisation localisée dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Comme il est démontré aujourd’hui que l’atrophie des racines antérieures de la moelle n’est pas une altération anatomique con- stante, et conséquemment, que cette affection musculaire est péri- phérique, on comprend facilement que la faradisation puisse arrêter sa marche envahissante et rappeler même la nutrition dans les muscles déjà arrivés à un degré d’atrophie assez avancé. Et par contre, cette atrophie des racines antérieures ne rendrait-elle pas raison de l’incurabilité, dans certains cas, de cette même maladie? Avant que de nouvelles autopsies m’eussent appris que cette atrophie des racines antérieures n’est pas constante, j’avais cepen- dant essayé d’expliquer, en 1852 (1), la possibilité de la guérison par la faradisation, malgré cette lésion anatomique, de la manière suivante : « Un tel résultat thérapeutique (la guérison), obtenu malgré l’atrophie des racines antérieures de la moelle épinière, s’explique en admettant que la force nerveuse motrice qui émane des parties constituantes de la moelle, toujours parfaitement saines dans cette maladie, s’est frayé nécessairement une nouvelle voie pour ali- menter les muscles. » Une expérience très ingénieuse, de M. Cl. Bernard, rend mon hypothèse très vraisemblable. Cet habile physiologiste a arraché sur un chien, le lendemain de sa naissance, les racines postérieures de la moelle, de manière à en rendre la cicatrisation ou la réunion impossible. La sensibilité a été immédiatement abolie; mais après un certain laps de temps (plusieurs mois), elle a commencé à re- paraître, et, deux ans après cette opération, la sensibilité est com- plètement revenue. Il est évident que, chez ce même chien, des con- ducteurs nerveux de nouvelle formation ont dû remplacer les racines postérieures arrachées, pour que la sensibilité qui émane de ces cordons postérieurs ait pu arriver ainsi aux organes de l’ani- mal. Quels sont ces conducteurs nouveaux ? Ce n’est pas ici le lieu d’agiter cette question. Actuellement, il me suffira de faire observer que c’est sans aucun doute par un mécanisme analogue que, dans l’atrophie musculaire progressive, l’influx nerveux de la moelle arrive encore aux muscles malgré l’atrophie des racines antérieures, atrophie qui, d’après M. Cruveilhier, constitue la lésion nerveuse anatomique de cette maladie. (1) Bulletin de thérapeutique. » La sensibilité est revenue spontanément et assez rapidement chez le jeune chien, sans doute parce que la lésion des racines pos- térieures a été produite dans les premiers temps de la vie, à une époque où la nutrition est plus active. Mais, dans les faits d’atro- phie musculaire progressive observés jusqu’ici, la maladie se déve- loppe à une époque avancée de la vie ; on comprend dès lors que la nutrition musculaire, qui a profondément souffert de la sus- pension ou de la gêne apportée au cours de l’influx nerveux spinal par suite de la lésion de racines antérieures, ne reprenne pas son action normale, alors même que cet influx nerveux arrive libre- ment aux muscles. C’est dans ces conditions que l’agent électrique rend à ces muscles cette propriété que Bichat appelait contractilité organique insensible. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. » C’est aussi dans des conditions à peu près identiques quej’ai vu la faradisation localisée rappeler la nutrition dans des muscles arri- vés aux dernières limites de l’atrophie, consécutivement à la lésion traumatique des troncs nerveux, et cela alors que la communica- tion entre les centres nerveux et les muscles paraissait interrompue depuis plusieurs années. Si avant l’électrisation l’action nerveuse n’était pas arrivée, par des conducteurs nouveaux, à ces muscles atrophiés, la faradisation localisée ne les aurait certainement pas fait sortir de l’espèce de léthargie dans laquelle ils paraissaient plongés, en rendant les muscles sensibles à l’agent nerveux, en exci- tant leur nutrition et en leur donnant la propriété de réagir sous l’influence de la volonté. » J’ai démontré, on se le rappelle, que l’affection musculaire dont il s’agit n’est point une paralysie, et j’ai dit : « Appeler cette affection paralysie atrophique, ce n’est pas seule- ment donner une idée complètement inexacte sur la nature de cette maladie, sur ses symptômes réels; c’est s’exposer à laisser le méde- cin dans une fausse sécurité sur l’état des muscles menacés dans leur existence, et n’attirer son attention sur cette maladie qu’à une époque où il ne reste plus aucune chance de succès à l’intervention thérapeutique. » En effet, la croyance que la paralysie est le sym- ptôme primitif, comme le lui rappellerait sans cesse cette fausse appellation de paralysie atrophique, le conduirait naturellement à ne diriger le traitement que sur les muscles dont les fonctions seraient affaiblies, c’est-à-dire, alors que ces muscles seraient déjà arrivés aux dernières limites d’atrophie ou d’altération de tissu. Si, au contraire, le médecin est prévenu que chez le malade qui réclame ses soins seulement pour lui rendre l’usage perdu ou com- promis de quelques muscles, les autres muscles, dont les mouve- ments et la force paraissent intacts, sont tout autant menacés dans leur existence, quand ils ont subi un commencement d’atrophie et qu’ils sont en môme temps agités de contractions tibrillaires, il n’attendra certainement pas pour agir que ces muscles ne remplis- sent plus leurs fonctions, en d’autres termes, qu’ils soient entière- ment détruits. Alors il lui sera possible, en intervenant à temps, d’arrêter la marche envahissante de cette maladie, ainsi que j’en ai rapporté plusieurs exemples. VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Je professe depuis longtemps que la faradisation localisée, con- venablement appliquée, refait (que l’on veuille bien me passer cette expression) de la fibre dans l’atrophie musculaire; rien n’est plus évident. Ne résulte-t-il pas, en effet, de l’examen microscopique, que, dans cette maladie, la quantité des fibres diminue dans les mus- cles qui s’atrophient, c’est-à-dire qu’un grand nombre de fibres musculaires disparaissent alors complètement ? Si donc un muscle atrophié a augmenté de volume par la faradisation localisée, on peut dire rigoureusement, que celle-ci augmente le nombre des fibres dont il se compose, en d’autres termes, qu’elle en a refait de toutes pièces. Or, c’est ce qui heureusement arrive assez fréquem- ment, par l’emploi de l’électricité dans le traitement de l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Jusqu’à présent je n’ai pas vu, dans cette dernière affection musculaire, la nutrition musculaire se produire dans les points où l’absence de contraction électro-musculaire accusait la destruction du tissu musculaire; mais partout où je rencontrais quelques fibres musculaires contractiles, fréquemment ces fibres musculaires deve- naient pour ainsi dire le noyau, le centre de faisceaux musculaires dont le volume augmentait très notablement, et dont la puissance s’accroissait aussi proportionnellement par la faradisation loca- lisée. La question de thérapeutique est intimement liée à la question de pronostic; que l’on me permette donc de revenir à cette dernière. Les faits rapportés dans ce travail, et qui établissent de la ma- nière la plus évidente que l’atrophie musculaire progressive peut être arrêtée dans sa marche envahissante, et que l’on reproduit même de la fibre musculaire dans les muscles qui en ont déjà perdu une grande partie, ont modifié, j’espère, de la manière la plus heureuse le pronostic de cette maladie, qu’on avait trop de tendance à mettre en parallèle avec la paralysie générale progressive, au point de vue de l’incurabilité. Toutefois, en pareil cas, le médecin mettra beau- coup de réserve dans son pronostic, en se rappelant ces histoires si tristes, exposées au commencement de ce travail, et dans lesquelles ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. il semble que l’atrophie musculaire progressive, quoi qu’on ait fait, ait marché vers la destruction. Il serait important de savoir dans quelles circonstances celte ma- ladie doit suivre une marche aussi fatale. Je ne suis malheureuse- ment pas encore en mesure de fournir des données certaines à cet égard. Il m’a paru cependant que l’atrophie musculaire graisseuse progressive qui était survenue héréditairement, spontanément, seu- lement sous l’influence d’une diathèse (qui nous sera, sans doute, longtemps inconnue), offrait une beaucoup plus grande résistance aux agents thérapeutiques que lorsqu’elle avait été provoquée par une cause occasionnelle, comme la contraction musculaire con- tinue et forcée. C’est dans ces dernières conditions que j’ai obtenu des résultats heureux de la faradisation localisée. On remarquera que les faits de guérison ou d’amélioration que j’ai rapportés appar- tiennent à cette dernière catégorie. Ne pourrait-on pas aussi attribuer, dans ces cas divers, la diffé- rence de gravité de l’atrophie musculaire graisseuse progressive à une différence de degré d’atrophie des racines antérieures de la moelle ? Toutes les fois que les racines antérieures seraient profondé- ment lésées, l’atrophie musculaire se déclarerait spontanément, sans qu’aucune cause occasionnelle quelconque dût intervenir; tandis qu’à un degré moins avancé d’altération de ces mêmes racines, l’influx nerveux spinal, gêné dans son cours, ne suffirait plus à la nutrition des muscles, seulement lorsqu’ils se contracteraient d’une manière exagérée ou trop continue. Dans le premier cas, la résis- tance delà maladie aux agents thérapeutiques s’expliquerait parla gravité de la lésion des racines antérieures. Dans le second, l’influx nerveux central, ne pouvant suffire à une trop grande dépense de forces, à la nutrition musculaire, serait heureusement secondé par les excitations faradiques dirigées sur le tissu des muscles en voie d’atrophie. Onnedoit pas poser en principequel’atrophie musculairegraisseuse est incurable, quand elle est survenue spontanément ou sous l’in- fluence d’une cause héréditaire? Dans tous les cas de ce genre que j’ai eu l’occasion d’observer, les malades m’ont été adressés alors qu’un grand nombre de leurs muscles étaientdéjà ruinésou presque tous considérablement atrophiés.. On comprend qu’à une époque aussi avancée de la maladie, le traitement par la faradisation loca- lisée avait peu de chances de réussite. Si la maladie attaquait, au début, un muscle qui commande un mouvement, le deltoïde par exemple, sans lequel l’élévation du bras est impossible, le médecin serait certainement appelé avant la VALEUR THÉRAPEUTIQUE DL LA FARADISATION LOCALISÉE. destruction complète de ce muscle et avant que d’autres muscles lussent aussi très atrophiés. Mais il n’en est pas de môme ordinai- rement si les muscles sont, ce que j’oserai dire, d’une utilité secon- daire. Ainsi, j’ai cité plus haut des malades chez lesquels je ne retrouvais plus, quand ils se présentaient à moi pour la première luis, les traces des trapèzes, des rhomboïdes, des pectoraux, des grands dorsaux, soit d’un côté, soit des deux côtés à la fois, et qui n’en éprouvaient pas le moindre trouble dans les mouvements, bien qu’ils se livrassent à des travaux manuels. Il m’a fallu analyser chacun de leurs mouvements, chacune de leurs attitudes, pour re- connaître l’utilité ou l’usage de ces muscles. (C’est ce que j’ai dé- montré du reste dans mon mémoire sur les muscles de l’épaule.) Ces considérations expliquent pourquoi la faradisation est et sera souvent, dans ce cas, appelée à une époque trop avancée de l’atrophie musculaire progressive, pour avoir beaucoup de chances de succès. Les premiers phénomènes qui annoncent l’existence de la ma- ladie qui fait l’objet de ce travail sont les contractions fibrillaires et la diminution de la sensibilité électro-musculaire (j’attache une grande importance à la réunion de ces deux signes). Il ne faut pas un traitement bien long pour faire disparaître ces symptômes de l’atrophie musculaire progressive , c’est-à-dire pour arrêter la marche de cette maladie dans les muscles qui commencent à en être atteints. Il n’en est plus de même, généralement, lorsque l’atrophie est très avancée. Dans quelques cas exceptionnels, comme chez le por- teur à la halle (obs. G, p. à55 et 539), la nutrition est revenue en quelques semaines ; mais le plus ordinairement, j’ai eu à compter par mois et même par années pour arriver à un résultat satisfaisant. Il s’ensuit que les sujets atteints par celte affection musculaire peu- vent être difficilement traités dans les hôpitaux. Après un mois ou deux de traitement, les chefs de service perdent patience et les ma- lades eux-mêmes désespèrent de leur guérison. Mais ces malheureux, ne pouvant suffire à leur existence à cause de leur infirmité, vont chercher un asile dans les hôpitaux et finissent par coûter bien cher à l’administration. Il m’a été rarement donné de pouvoir compléter le traitement des atrophies que j’ai rencontrées dans les hôpitaux. Après la sortie des malades, j’ai dû, pour arriver à un résultat aussi complet que possible, continuer dans mon cabinet, pendant un temps considérable, le traitement de ceux qui m’inspiraient un intérêt scientifique ou d’humanité. Si je n’avais pas pris ce parti, je ne serais pas plus avancé aujourd’hui qu’en 18à9, dans la question thérapeutique de celte maladie. DUCIIENNE. 546 Puisque le traitement de l’atrophie musculaire progressive exige un temps assez long, il est irnportantde savoir quels sont les muscles sur lesquels on doit principalement diriger l’excitation électrique. Je dirai d’abord que ce serait perdre un temps précieux que de s’attacher à rappeler la nutrition dans les muscles déjà graisseux, ce que l’on reconnaît par l’absence de contractilité électrique dans les muscles atrophiés. Parmi les muscles qui ont conservé quelques fibres contractiles, et que l’on peut, en conséquence, non-seulement sauver d’une destruction complète, mais même encore développer, il faut taire un choix intelligent. ATROPHIE MUSCULAIRE GRAISSEUSE PROGRESSIVE. Il existe, ainsi que je l’ai dit, des muscles d’une utilité secondaire, tandis que les autres sont les agents indispensables au mouvement. C’est sur ces derniers, sur ceux dont les usages sont les plus néces- saires, qu’il faut diriger l’excitation électrique. Bonnard , par exemple (obs. CXX1) avait perdu la plupart des muscles du tronc et les fléchisseurs de l’avant-bras ; il était aussi menacé de perdre un grand nombre d’autres muscles agités de contractions fibrillaires et moins sensibles à l’excitation électrique. Après avoir arrêté la marche progressive de la maladie en excitant tout son système mus- culaire, je concentrai l’action électrique sur les muscles dont il avait le plus besoin pour l’exercice de sa profession, c’est-à-dire sur les fléchisseurs de l’avant-bras sur le bras. A force de temps et de patience, je parvins à leur donner assez de volume et de force pour qu’il pût reprendre son état de mécanicien. Je ne me suis pas ap- pliqué à lui refaire (qu’on me pardonne ce mot) les muscles du tronc, dont l’utilité est très secondaire et dont la perte lui est peu sensible. C’est ainsi, je crois, qu’il est convenable d’agir, en général, si l’on veut arriver à un résultat réel; car s’il m’avait fallu donner à chacun des muscles du tronc de Bonnard tout le temps que me prenaient les fléchisseurs de l’avant-bras, je n’en aurais certaine- ment eu ni le temps, ni la patience. Le traitement de l’atrophie musculaire progressive exige l’em- ploi d’appareils de très grande forceet à intermittences très rapides. Caulard (obs. C) n’avait éprouvé aucune influence favorable de la faradisation appliquée, pendant plusieurs mois, par M. le docteur Yillecoq, àqui j’avais indiqué cependant la manière d’agir dans ce cas, et qui pratiquait fort bien et très régulièrement cette opéra- tion, tandis que j’obtins chez lui une guérison très rapide. C’est cer- tainement à la puissance de mon appareil que je dois attribuer cet heureux résultat. La sensibilité des muscles, d’abord obtuse, aug- mente en général très vite; il est évident qu’il faut alors diminuer proportionnellement l’intensité du courant, tout en continuant d’agir à une dose aussi élevée quepossible. Enfin, la durée de chaque application ne doit pas être trop prolongée (huit à dix minutes), sous peine d’achever la ruine des muscles, ainsi que je l’ai produite malheureusement à une époque où j’avais moins d’expérience. ATA.XIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. Après cette étude sur la valeur de la faradisation localisée dans le traitement de l’atrophie musculaire progressive, il eût été certaine- ment intéressant d’examiner comparativement la valeur des autres méthodes de traitement dans cette même affection ; je n’aurais pu le faire sans sortir des limites que je me suis imposées. Cependant je dois dire que les malades atrophiques qui m’ont été adressés avaient, pour la plupart, épuisé les traitements les plus divers sans aucun résultat favorable, et que la faradisation localisée, convenablement pratiquée, me paraît jusqu’il présent le moyen le plus efficace qu’on puisse opposer à l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Je ne crois pas qu’il soit rationnel de s’en tenir à un traitement purement local dans cette sorte de phthisie du système musculaire. Il me paraît indiqué de prescrire en môme temps les toniques géné- raux (les ferrugineux) et une alimentation très animalisée. Le traite- ment par la faradisation localisée étant, en général, très long et nécessitant des interruptions , on pourrait le faire alterner avec l’usage des eaux sulfureuses, naturelles ou artificielles, en bains ex- ternes ou en douches, et enfin avec l’usage de la gymnastique suédoise. Cette gymnastique, qui n’est pas assez connue en France, consiste à provoquer la contraction volontaire des muscles dans lesquels on veut développer spécialement la nutrition. C’est une sorte de gymnastique localisée, dont l’usage, très répandu en Alle- magne, exige des connaissances physiologiques exactes, et ne peut être appliquée que par le médecin ou sous sa direction. CHAPITRE XVI. ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. RECHERCHES SUR UXE MALADIE CARACTÉRISÉE SPÉCIALEMENT PAR DES TROUBLES GÉNÉRAUX DE LA COORDINATION DES MOUVEMENTS. Considérations générales. Abolition progressive de la coordination des mouvements et para- lysie apparente, contrastant avec l’intégrité de la force musculaire, tels sont les caractères fondamentaux, mais incomplets, de la ma- ATAX1K LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. ladiequeje me propose de décrire. Ses symptômes et sa marche en font une espèce morbide parfaitement distincte. Je l’appelle ataxie locomotrice progressive, me réservant de justifier bientôt cette dénomination. Voici comment je suis arrivé à la connaissance de cette maladie. Depuis quelques années (huit ans), je me suis mis à rechercher l’état de la force des mouvements partiels, dans les conditions de santé et de maladie. Je n’ai pas tardé à reconnaître alors qu’un assez grand nombre d’affections dont les mouvements semblaient affaiblis ou abolis, et que l’on désignait sous le nom de paraplégies ou de paralysies générales, n’étaient rien moins que des paralysies; que dans ces cas, au contraire, la force des mouvements était considé- rable, si je la mesurais, les malades étant assis ou dans la position horizontale. Je remarquai en outre que les malades ne pouvaient conserver la station sans osciller ou tomber, ni marcher sans appui et sans projeter les membres inférieurs en avantetd’une manière pins ou moins désordonnée. Ces troubles fonctionnels, qui n’avaient lieu que pendant l’exercice des mouvements volontaires et qui n’étaient compliqués ni de tremblements des membres, de la langue ou des lèvres, ni de spasmes cloniques, qui enfin ne s’observaient que chez l’adulte, étaient évidemment produits par une lésion fonctionnelle, par la perte de la coordination des mouvements. Les individus qui en étaient affectés présentaient un ensemble de phénomènes identiques : même début, mêmes symptômes, même marche, même terminaison. — Ainsi, chez la plupart, la paralysie de la sixième paire ou de la troisième paire, ou l'affaiblissement et même la perte de la vue avec inégalité des pupilles, étaient des phénomènes ou de début ou précurseurs des troubles de la coordi- nation des mouvements. Des douleurs térébrantes caractéristiques, vagabondes, erratiques, de courte durée, rapides comme l’éclair ou semblables à des décharges électriques, revenant par crises et atta- quant toutes les régions du corps, accompagnaient ou suivaient ces paralysies locales. Ces phénomènes constituaient une première pé- riode.— Puis, après un temps plus ou moins long (de quelques mois à plusieurs années), apparaissaient, dans une seconde période, des vertiges, des troubles de l’équilibration et de la coordination des mouvements, que la vue ne pouvait empêcher; bientôt après et quelquefois en même temps, la diminution ou la perte de la sensibilité tactile et douloureuse (analgésie et anesthésie) d’abord dans les membres inférieurs ou plus rarement dans les membres supérieurs. — Enfin, dans une troisième période, la maladie se généralisait. Pendant le cours de la maladie, survenaient souvent des désor- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 549 (1res dans les fonctions du rectum et de la vessie, sans présence de glycose ou d’albumine dans les urines. L’intelligence l'estait nor- male ; la parole n’était ni hésitante ni embarrassée; la contractilité électro-musculaire était intacte, et les muscles n’éprouvaient pas d’altération de nutrition ou de tissu. Ordinairement, enfin, la mala- die était progressive dans le sens (faussé) que lui avait donné Requin, c’est-à-dire que non-seulement elle avait une tendance à la généralisation, mais aussi qu’elle se terminait souvent d’une ma- nière fatale. Tout le monde verra sans doute, ainsi que moi, dans cette pein- ture rapide, une espèce nosologique nouvelle; j’essayerai du moins de démontrer que sa description exacte, et surtout l’étude de sa marche, de son diagnostic différentiel, de son pronostic, sont encore à exposer. Une fois sur la voie de cette affection, j’ai bientôt reconnu qu’elle était fréquente; en peu de temps, j’en ai recueilli une vingtaine de cas, sans les chercher. Ils appartiennent tous à ma pratique civile ou sont tirés de ma clinique. En 1857, j’ai fait à la Société de méde- cine de Paris une communication sur l’existence de cette maladie, comme espèce morbide distincte (cette communication était la sub- stance du présent mémoire). Quelques semaines seulement avant la publication de mon mémoire sur cette maladie, j’ai signalé, dans différents services de la Charité et de l’Hôtel-Dieu, plusieurs cas types d’ataxie locomotrice progressive, à une période plus ou moins avancée. Lorsque l’on a à exposer la description d’une maladie que l’on croit nouvelle ou mal décrite, on pense, en général, qu’il est con- venable d’exposer tous les faits qui peuvent concourir à démontrer la nécessité d’en faire une espèce nosologique : cette méthode est incontestablement utile, au point de vue de la démonstration com- plète d’une vérité scientifique. Je devrais donc, à l’exemple d’un grand nombre d’auteurs, et pour faire la preuve des faits que j’avance, relater toutes les observations que j’ai recueillies; mais je ne crois pas me tromper en disant qu’eu général on a trop abusé de cette méthode dans les monographies modernes. Les détails des observations que j’ai recueillies sont certainement intéressants; leur analyse était pour moi nécessaire; mais tous ces faits ont une telle ressemblance entre eux, que la lecture en serait fastidieuse et sans profit. Aussi, pour ne point abuser du temps de mes lecteurs, et dans le désir d’être aussi concis que possible, je me bornerai à rapporter avec détail un cas type de la maladie dont je veux offrir l’élude et la 550 ATAXIE LOCOMOTRICE EROGHESSIVE. description, me réservantde n’exposer ensuite que le résumé on les traits principaux des faits qui offriront un intérêt particulier ou qui seront nécessaires à la démonstration d’une assertion nouvelle. Avant d’entrer dans l’étude plus approfondie de l’ataxie locomo- trice progressive, je vais relater une observation rédigée par le ma- lade, homme intelligent et instruit. Celle que j’ai recueillie moi- même, d’après l’interrogatoire méthodique du sujet, serait incon- testablement plus scientifique, mais elle aurait, je pense, moins de valeur réelle ; car, quelque honnêtes que nous soyons, nous subis- sons toujours, sans nous en douter, l’influence d’une idée précon- çue, en interrogeant les malades. Trop souvent les observations ont été recueillies systématiquement, en vue de la démonstration d’une théorie; trop souvent un même fait, relaté par plusieurs personnes, a été interprété d’une manière différente. Voici cette observation, qui m’a été adressée en 1856 par le ma- lade, M. X..., négociant, âgé de quarante-huit ans, demeurant à Marsigny-sur-Loire. Les passages les plus importants sont imprimés en petit texte. Observation CXXII. — Cas type d’ataxie locomotrice progressive à la troisième période. — « Le sujet est âgé de quarante-huit ans; il a long- temps habité une maison humide où le soleil ne pénétrait jamais; me- nant une vie très active, ses affaires lui ont donné beaucoup de soucis. — En 1835, il éprouva, pendant une nuit, dans les mollets, de violentes douleurs, qui se dissipèrent par l’exercice de la marche ; ce ne fut que plu- sieurs mois après qu’il les ressentit de nouveau. Peu à peu les crises se rapprochèrent, elles eaux d’Aixlui furent ordonnées en 1840 et 1841. Il revint très affaibli de la seconde saison, et s’aperçut alors, en valsant, de la difficulté d’effectuer les mouvements en rond. Très insensiblement ses forces diminuèrent. A la fin de 1842, la marche était devenue embarrassée, comparable à celle d’un homme ivre, et très incertaine, surtout dans l’ob- scurité. — A la fin de février 1 843, il fut consulter à Lyon, où les méde- cins le déclarèrent atteint d’une maladie de la moelle épinière. » On le soumit aussitôt aux violents traitements adoptés par la thérapeutique (administration de la strychnine, cautères ordinai- res, cautères actuels, moxas sur la colonne vertébrale, frictions de térébenthine de Venise, etc.). » En juillet, il prit les eaux de Bourbon-Lancy, pendant cinquante jours, qui parurent lui faire du bien et rappelèrent la sensibilité aux jambes. » Mais, pendant l’hiver, la maladie reprit le dessus, malgré la con- tinuation des remèdes violents. L’électricité par la machine élec- trique et par la pile à godets, l’acupuncture, les eaux de Balaruc, de Bourbon, lurent successivement employées sans résultat. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 551 » La maladie continuait toujours sa marche lente. » Dans l’hiver de 18fiA à 18è5, traitement hydrothérapique de six Thèmes (banlieue de Paris), qui arrêta les progrès du mal et fortifia le sujet, qui le continua chez lui pendant un an encore. — Il a passé en 1856 une nouvelle saison de trente-huit jours à Bourbon. Son médecin lui conseilla beaucoup d’exercice et lui appliqua la machine do Breton : pendant le traitement des eaux, ses jambes se réchauffèrent et prirent de la force. » Etat du malade en 1856. — Tous les sens ont été plus ou moins affectés par cette maladie, à laquelle il ne savait quelle cause assi- gner, n’ayant jamais eu d’attaque ni lait aucun excès, ayant vécu très sobrement pour le boire et le manger. » Ouïe. — L’oreille gauche, entièrement perdue, n’entendait pas même le mouvement d’une forte montre appliquée contre elle; sif- flement continu dans cette oreille. Il entend de l’oreille droite: mais, si l’on élève la voix, qu’il y ait trop de sonorité dans les appar- tements, ou que plusieurs personnes parlent à la fois, il n’entend que le bruit ; tandis qu’en plein air il ne perd pas un mot. Pas de sifflement dans l’oreille droite. » Vue. — Au début de sa maladie, les yeux se croisèrent, et le strabisme était fort apparent. Depuis lors ce dernier a à peu près disparu ; mais la vue, qui était parfaite, a été fort affaiblie. L’œil gauche est presbyte, et l’œil droit myope. De ce dernier, il lit très facilement sans lunettes, le gauche ne fonctionnant pas à une certaine distance. » Odorat et goût. — Ces deux sens ne paraissent pas avoir été altérés. » Toucher. •— Le bras et la main gauche sont légèrement engourdis, et le toucher assez obtus ; il est meilleur du côté droit, et le malade écrit en- core assez facilement. Les mouvements n'obéissent pas à la volonté et ont besoin de la vue pour les guider. En fermant les yeux, la main gauche ne peut trouver le bout du nez, mais la main droite y arrive moins difficilement. » Dans son lit, même de la main droite, il ne saurait, à tempéra- ture égale, s’il touche son matelas ou sa cuisse. En grattant légère- ment l’épiderme, il sent que c’est à lui; mais il ne peut se rendre compte si c’est la cuisse droite ou la gauche. » Lorsqu’il marche entre des perches, où il peut fairejusqu a douze cents pas dans trois séances, en se reposant tous les cinquante pas, il est obligé 552 ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. de regarder constamment ses pieds pour les diriger, la plante ne sentant pas le contact du sol. Bien que le sujet puisse se tenir droit pendant cinq mi- nutes, s’il se maintient en équilibre en se cramponnant à un meuble, la moindre impulsion le ferait tomber. » L’estomac est resté fort bon. — La parole a toujours été libre. » Les facultés intellectuelles n’ont pas été altérées. — Les selles, bien qu’un peu difficiles, se font assez régulièrement, mais il ne peut retenir ses matières, s’il y a dévoiement. Une incontinence d'urine, qui avait lieu au commencement de la maladie, n’existe plus. — Tous les membres se nourrissent bien, et à les voir nus, on ne soupçonnerait aucune maladie, sauf les hanches, qui sont un peu amaigries. » Le sommeil est très léger et trop court ; sou absence est ce qui fatigue le plus le malade. Sa diminution doit être attribuée aux souffrances qui vont être décrites. — Lors des changements atmos- phériques, le malade éprouve des tiraillements douloureux qui lui parcourent le corps avec la rapidité de l’éclair, avec retentissement dans l’oreille gauche; sauf la colonne vertébrale et toute la partie postérieure du tronc, ces tiraillements affectent toutes les parties du corps, depuis les doigts du pied jusqu’au sommet du crâne. » Ces douleurs no se font sentir ordinairement que sur un très petit es- pace à la fois et durent par série de douze heures, vingt-quatre, trente-six, jusqu’à soixante-douze. Elles commencent sourdement, avec des intermit- tences qui se rapprochent, au point de ne pouvoir respirer quatre fois sans avoir un élancement : dans le genou, par exemple, comme si une aiguille à bas le traversait lentement ; dans le pied, comme si un cheval l’écrasait de son sabot ; dans les cuisses et les mollets, comme si un râteau de fer les arrachait; dans les bras, les poignets, la poitrine, comme s’ils étaient com- primés dans un étau. C'est surtout dans la tête que ses souffrances sont inouïes: ce sont tantôt do violents coups de marteau sur le cervelet, tantôt des secousses si violentes dans les nerfs du cou, que la tête en est ébranlée, comme une cloche violemment agitée, et qu’il est obligé de se faire tenir dans le sens opposé au tiraillement. » Ses souffrances ont été diminuées, à diverses époques, par dif- férents remèdes purgatifs et sudorifiques, et par cette dernière sai- son des eaux de Bourbon. » Ou a trouvé dans cette observation les phénomènes qui caracté- risent la maladie dont j’ai esquissé précédemment les principaux traits ; il est seulement à regretter (pie le malade ne les ait pas tous classés, suivant l’ordre de leurs premières manifestations. Mais, comme M. X... est venu me consulter en 1858, je puis heureuse- ment remédier à ce défaut d’ordre et compléter son observation en faisant connaître ce que j’ai observé de visu. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 553 En interrogeant avec soin les souvenirs de M.X.voici, en ré- sumé, les faits que j’ai constatés. 1° La diplopie a existé au début de la maladie (vers 1835) ; l’œil gauche était alors tourné en dedans, sans chute de la paupière ; la sixième paire était donc paralysée. Cette diplopie avait duré seulement quelques mois ; mais sa vue, autrefois excellente, s’était affaiblie. — A la même époque, ses douleurs, de plus en plus vives, se sont montrées à toutes les périodes de la maladie. — Cet ensemble de phénomènes initiaux semblait constituer une première période, qui avait duré plusieurs années. 2° Une seconde période s’était annoncée (à la fin de 1841) par des troubles de la molilité et de la sensibilité tactile limités aux membres inférieurs : M. X... déclare en effet qu’au moment où il commença à perdre son équilibration dans certains mouve- ments (en valsant, en tournant sur lui-même), la sensibilité était déjà obtuse dans la plante des pieds; il sentait mal le sol, il lui sem- blait toujours qu’il marchait sur un tapis. Plus tard, le mal s’aggra- vant, il sentit sous la plante des pieds comme des coussins élastiques qui le faisaient bondir en marchant ; puis l’équilibre devint telle- ment difficile, qu’il ne pouvait se tenir debout sans soutien. Dans la progression, il jetait ses membres inférieurs en avant, de la ma- nière la plus désordonnée. Ce fut alors (à la fin de 1843) qu’une paraplégie par lésion de la moelle fut diagnostiquée et traitée en conséquence ; il en porte d’ailleurs les traces profondes sur les côtés durachis. 3° Quelques mois après seulement (en 1844), ont apparu les troubles de la sensibilité tactile des membres supérieurs, troubles caractérisés par un engourdissement dans les quatrième et cin- quième doigts de la main gauche d’abord, et ensuite de la main droite ; c’était le passage de la maladie à une troisième période, c’est-à-dire la généralisation des troubles de la coordination des mouvements. Déjà, en effet, les fonctions de la main commençaient à être difficiles, non-seulement à cause de la diminution de la sen- sibilité tactile, mais parle fait d’une certaine difficulté que M. X... éprouvait à produire les contractions synergiques nécessitées par les usages des doigts. Cet état s’aggrava rapidement, et bientôt tous les muscles mo- teurs des membres supérieurs furent atteints à leur tour, à tel point que M. X... ne put se suffire pour les soins de sa personne et qu’il éprouva tle la peine à porter sûrement les aliments à la bouche. ATAX1E LOCOMOTHICE PROGRESSIVE. Lorsqu’on 1858 j’ai vu M. X... pour la première lois (deux ans après l’envoi de son observation écrite), il ne pouvait se relever de son siège, rester dans la station, ou marcher sans le secours de plu- sieurs personnes, et encore ne faisait-il que quelques pas en jetant ses membres de la manière la plus étrange ; il se servait aussi mal des muscles des membres supérieurs. J’ai oublié de dire que la vue ne pouvait rectifier les troubles de la coordination des mouvements. Il attribuait alors son inhabileté à une diminution de la force musculaire, ou, comme on le lui avait toujours dit, à une affection paralytique; aussi fut-il bien surpris quand je lui démontrai, le dynamomètre à la main, [que la force de tous ses mouvements partiels était au moins égale à la mienne. J’ai analysé avec soin les désordres fonctionnels qui se produisaient chez lui dans les diffé- rents temps de la marche ou dans l’usage de la main. Cette analyse est importante au point de vue du diagnostic différentiel de l’ataxie locomotrice; je me réserve de revenir sur ce sujet, quand je trai- terai de sa symptomatologie. Je ne dois pas oublier de dire que la paralysie de la sixième paire, qui, on se le rappelle, d’après l’observation de M. X..., avait à peu près disparu, est revenue complète en 1857, et qu’elle existe encore aujourd’hui. J’ai constaté que les douleurs sont toujours aussi intenses et ont conservé les caractères si bien décrits par M. X... Je signalerai ce- pendant ici une singularité qui n’est pas sans intérêt : les douleurs accusées par M. X... sont toujours profondes; cependant, lorsqu’on exerce une pression sur les points douloureux, au moment de l’ac- cès, il éprouve un grand soulagement, tandis que si, au niveau de ce même point douloureux, on exerce un léger frottement, la dou - leur devient atroce et superficielle, comme si on lui déchirait la peau. J’ai noté aussi que les muscles avaient conservé leur contractilité électrique, mais que leur sensibilité électrique avait très notablement diminué ; leur nutrition était intacte. M. X... est devenu progressivement impuissant à partir de la deuxième période. Enfin l’urine, analysée par M. Mialhe et par moi, a été trouvée normale. ARTICLE PREMIER SYMPTÔMES. La physionomie ou le faciès de l’ataxie locomotrice progres- sive se reconnaît dans les traits principaux à l’aide desquels je viens d’essayer d’esquisser cette maladie ; je n’ai donc pas à y revenir. SYMPTÔMES. — TROUBLES DE LA COORDINATION Je ne classerai pas non plus les symptômes, dont je me propose d’exposer l’étude particulière d’après l’ordre de leur apparition, mais seulement suivant l’importance du rôle qu’ils jouent dans la symptomatologie. § I. — Troubles de la coordination des mouvements. — Faiblesse apparente et conservation de la force musculaire. Au premier rang, je place les troubles de la coordination des mouvements, contrastant avec l’intégrité, pour ainsi dire latente, de la force musculaire, parce qu’ils constituent le caractère fonda- mental de l’ataxie locomotrice progressive. A. — Troubles de la coordination des mouvements. I. Les phénomènes qui, en général, signalent cette perturbation de la locomotion dans les membres inférieurs, c’est la difficulté, ou de rester dans la station sans osciller et'sans prendre un point d’appui, ou d’exécuter certains mouvements en marchant, par exemple les mouvements en rond ou de latéralité. Le malade sent alors qu’il est menacé de perdre l’équilibre ; quelquefois il accuse comme un sentiment de faiblesse dans les membres inférieurs. Ordinairement, la sensibilité tactile de la plante des pieds ne tarde pas à être émoussée ou altérée d’une autre manière. Tantôt, en effet, lorsque les malades marchent sur un sol dur (le pavé ou un parquet), il leur semble que leurs pieds reposent sur un corps doux, ou sur de la paille, ou sur un tapis ; d’autres fois, au moment où ils appliquent leurs pieds sur le sol, ils croient qu’ils appuient sur un corps élastique ou sur des ressorts qui les font comme bondir en marchant ; ils se sentent, disent-ils, poussés en avant par une force invisible; aussi sont-ils moins solides dans la marche et crai- gnent-ils de tomber, quand ils vont un peu vite ou en descendant un escalier. Dès ce moment, les mouvements instinctifs des mem- bres inférieurs commencent à être plus ou moins désordonnés, surtout dans l’accomplissement des différents temps de la marche, qui devient de plus en plus pénible et difficile. Ils ne peuvent plus, en effet, marcher sans projeter follement les membres en avant et sans frapper fortement le sol avec le talon. Ces mouvements sont quelquefois tellement violents et brusques, que le corps en est ébranlé à chaque pas, et qu’ils en perdent l’équilibre ; aussi ne se ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. hasardent-ils pas à marcher sans l’aide d’un bras. Ces troubles fonctionnels vont encore en s’aggravant, au point que la station et la marche leur deviennent à peu près impossibles. Il faut alors les porter, pour ainsi dire, et, s’ils veulent laire quelques pas, on les voit agiter violemment leurs membres de la manière la plus étrange, sans pouvoir les diriger ; ils se sentent bien vite épuisés par ces efforts, et demandent qu’on les reconduise dans leur fauteuil. Dans cet état, les malades passent leur vie assis ou couchés, Les mouvements désordonnés qui viennent d’être décrits ne peuvent être régularisés par la vue et une attention suivie, que le sujet soit ou non atteint de diplopie. B, — Faiblesse apparente, contrastant avec l’intégrité latente de la force. Le malade, que le plus léger choc renverserait, qui ne peut se tenir debout ni marcher sans appui ou sans l’aide d’un bras, qui laisse échapper les objets qu’il tient dans ses mains, ou se sert dif- ficilement de ses membres supérieurs, qui enfin, pendant la loco- motion, lutte en vain et avec fatigue contre son impuissance, ce malade, on le conçoit, se croit atteint de paralysie. Telle a été aussi, dans ces cas, l’opinion des médecins consultés par les sujets dont j’ai recueilli les observations; telle a été également la mienne avant ces dernières recherches. Aussi comprendra-t-on combien on doit être surpris lorsque, mesurant la force des mouvements partiels, on constate qu’elle est considérable. L’examen de la force des mouvements partiels peut se faire sur le sujet assis ou couché ; cependant il est plus avantageux et plus commode pour les membres inférieurs de les placer dans la position horizontale. Je fais d’abord exécuter les mouvements que je veux étudier ; puis, lorsque les muscles qui les produisent sont dans le raccourcissement et maintenus fortement contractés par le malade, j’agis sur l’extrémité du membre en mouvement, en sens contraire du mouvement exécuté, en faisant maintenir la partie du membre qui doit servir de point fixe aux muscles qui sont contractés. Si, par exemple, j’ai à mesurer la force des extenseurs de la jambe sur la cuisse, le sujet étant couché sur le coté opposé, je fais maintenir très solidement la cuisse à sa partie inférieure, et, pendant que le ma- lade continue l’extension de sa jambe avec force, j’agis sur cette dernière en sens contraire, en plaçant la puissance au niveau des malléoles, jusqu’à ce que j’aie obtenu la flexion des membres. J’ai imaginé, il y a deux ans, un dynamomètre médical (voy. lig. 97) reposant sur le principe de la romaine; il est d’un petit SYMPTÔMES. — FAIBLESSE APPARENTE, ETC. 557 volume, et m’a permis de mesurer la force de tous les mouvements partiels, depuis 1 kilogramme jusqu’il 100 (1), Ce dynamomètre me donne alors la mesure de la force du mou- vement d’extension dépensée par le sujet de l’expérience. Pendant cette exploration, le sujet déploie en général une très grande force, sans éprouver de fatigue, tandis que dans la station ou la marche, il se sent vite épuisé. Dans ce cas, c’est qu’il se livre à de vains efforts pour exécuter régulière- ment ces fonctions, et que sans doute les centres nerveux dépensent, dans un trop court espace de temps, une somme de force qu’ils ne peuvent ré- parer; aussi le malade éprouve-t-il le besoin de se reposer souvent. II. I /extension des troubles de la coordination des mouvements aux membres supérieurs, s’annonce pres- que toujours par un engourdissement et des fourmillements dans les doigts auriculaire et annulaire; une seule fois, j’ai vu l’engourdissement se faire sentir d’abord dans les doigts animés par le nerf médian. L’engourdissement des doigts est bientôt suivi d’un affaiblis- sement de la sensibilité. Ces troubles de la sensibilité, qui n’existent d’abord que d’un côté, envahissent bientôt le côté opposé et s’étendent, à la longue, à tous les doigts, en restant toutefois prédominants dans l’annulaire et l’auriculaire, ou dans les doigts animés par le nerf médian, quand l’engourdisse- ment s’est déclaré primitivement dans ce dernier. Fig. 97. Avec l'affaiblissement de la sensibilité tactile de la main, appa- raissent des troubles de la coordination dans les mouvements des doigts et des phalanges. Ils sont des plus étranges; j’essayerai de les décrire bientôt. Il en résulte une grande maladresse dans les usages de la main, et, plus tard, l’abolition de ses principales fonc- tions. Ces désordres fonctionnels de la motilité affectent tous les mouvements des membres supérieurs. J’ai observé, par exemple, un sujet qui portait difficilement son verre à la bouche (obs. CXXII). Les mouvements de son bras étaient alors curieux à observer. Voici (1) Cet instrument a été fabriqué par M. Charrière fils. 558 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. comment il s’y prenait : il tenait solidement son verre dans la main, mais il ne pouvait l’approcher de ses lèvres qu’en exécutant lente- ment une série de zigzags, sans secousse et sans tremblement ; et encore fallait-il, pour cela, qu’il le suivît constamment du regard et qu’il y mît toute sa force de volonté. La moindre inattention lui fai- sait renverser son verre, ou bien, par une flexion brusqué de l’avant- bras, il se lançait à la face le liquide qu’il contenait. § 11. — Anesthésie. Plusieurs fois j’ai constaté l’existence des troubles de la coordina- tion bien avant l’apparition de l’anesthésie cutanée ou musculaire. Cependant la sensibilité des pieds et des mains est plus ou moins diminuée, en général, dès l’apparition des troubles de la coordina- tion des mouvements, surtout aux faces plantaire et palmaire, ainsi que je l’ai dit précédemment. Il importe d’entrer dans l’étude approfondie de cette anesthésie, et de déterminer aussi exactement que possible la part qu’elle prend alors à ces désordres de la loco- motion. C’est ce que je me réserve de faire bientôt en traitant du diagnostic différentiel de l’ataxie. La sensibilité se perd ou s’affaiblit, à des degrés divers, dans la peau, dans les tissus sous-cutanés (muscles et os), et dans les arti- culations. A la peau, la sensibilité tactile et la sensibilité doulou- reuse sont quelquefois lésées simultanément ; mais plus souvent la sensibilité douloureuse est intacte ou peu altérée. La sensibilité à la température est la dernière affectée ; j’ai ren- contré des individus chez lesquels elle était normale, bien qu’ils fussent complètement analgésiques et anesthésiques. Je ne dois pas oublier de dire qu’assez souvent les sensations arti- ficiellement produites arrivent lentement des extrémités inférieures au sensoriurn commune. J’ai alors compté deux ou trois secondes entre l’excitation et la perception de cette excitation ; j’ai même observé un malade qui ne sentait la douleur que neuf ou dix se- condes après le pincement de la peau ou après la faradisation cutanée. L’anesthésie et l’analgésie qui régnent aux faces plantaire et pal- maire s’étendent ordinairement du pied à la cuisse et de la main au bras, quelquefois même à d’autres régions du tronc, mais à un degré moindre. § IH. — Douleurs. La plupart des sensations douloureuses que l’on voit habituelle- ment figurer parmi les symptômes généraux de l’ataxie locomo- SYMPTÔMES. — DOULEURS. 559 trice progressive sont caractéristiques, et peuvent aider singulière- ment au diagnostic, à une époque peu avancée de cette maladie, comme on le verra par la suite. Je n’en ai pas observé de semblables dans les névroses, dans les névralgies, ou dans les douleurs sympto- matiques d’autres affections. Voici la forme ordinaire de ces douleurs : elles sont térébrantes, comparables à une sensation que produirait un instrument que l’on enfoncerait dans les tissus et auquel on imprimerait un mouve- ment de torsion ; presque tous les malades les dépeignent ainsi. Quelquefois c’est seulement un élancement qui se propage au loin. Ces sensations douloureuses sont circonscrites dans un point très limité. Au niveau de ce point, la peau est hyperestliésiée, seulement pendant la durée de la douleur, dans l’étendue de 1 à 3 ou 4 cen- timètres ; le plus léger frottement y est extrêmement sensible, ce- pendant le malade paraît soulagé quand on y exerce une forte pression. Ces douleurs reviennent, en général, par accès qui durent de quelques minutes, à douze, vingt-quatre, quarante-huit heures et plus. Elles sont très courtes ; tantôt rapides comme l’éclair (fulgu- rantes), une décharge électrique ou un coup de marteau; tantôt durant une, deux ou trois secondes, revenant à des intervalles de quelques secondes à quelques minutes. Elles sont habituellement vagabondes (passent d’une région à une autre) ; mais, pendant chaque accès, elles se montrent dans un même point. Elles sont atroces, arrachent des cris au malade, ou lui font contracter d’au- tant plus douloureusement les traits, qu’étant suivies d’un court intervalle de repos, elles le surprennent, pour ainsi dire, toujours, A ces douleurs s’en ajoutent quelquefois d’autrés, qui, pendant toute la durée de l’accès, sont constantes et siègent sur une plus grande surface, et de préférence sur le tronc, à la tempe et à la nuque. Enfin, les malades disent parfois qu’ils sentent une partie de leurs membres comme saisie dans un étau, fortement serrée dans un anneau, ou la base de la poitrine comprimée douloureusement dans une sorte de cuirasse. On comprend que surexcités ou exaltés par ces douleurs horribles et souvent rebelles, ils les expriment presque toujours d’une manière exagérée, et telles que je ne sau- rais les dépeindre avec les mêmes couleurs. Toutefois je crois avoir décrit assez exactement les douleurs principales, dont ils manquent rarement de se plaindre tous, à peu près dans les mêmes termes. Les crises douloureuses subissent les influences de l’atmosphère; elles sont provoquées par les mauvais temps, et annoncent, comme le baromètre, le passage d’un temps sec à la pluie, au vent, et vice 560 ATAX1J5 LOCOMOTRICE PI'.OGlUiSSIVE. versa. Très souvent aussi elles surviennent sans cause connue, quelquefois enfin elles s’exaspèrent le soir ou la nuit. Presque toujours ces douleurs apparaissent, au début de la ma- ladie, seules ou accompagnées ou précédées d’autres phénomènes initiaux importants, dont il sera bientôt question ; faibles d’abord, elles s’aggravent progressivement et torturent les pauvres malades. § IV. — Paralysie des nerfs moteurs de l’œil et amaurose. îp A. La paralysie d’un des nerfs moteurs de l’œil est, en général, un des phénomènes initiaux de l’ataxie locomotrice progressive. Sur les vingt faits que j’ai recueillis, je ne l’ai vue manquer que trois fois ; dans ces mêmes cas, j’ai noté que la sixième paire a été plus souvent atteinte que la troisième paire. Au moment où j’ai publié cette étude pathologique dans les Archives générales de médecine, on a pu constater ce dernier fait chez des sujets de la Charité et de THôtel-Dieu, qui étaient des exemples de la maladie que je dé- crivais (1). J’ai observé trois fois la paralysie double de la sixième paire ; dans tous les autres cas, la paralysie de la sixième ou de la troisième paire n’existait que d’un côté. La paralysie des nerls moteurs de l’œil peut s’améliorer ou gué- rir, sans que pour cela la maladie cesse de marcher et de s’aggraver progressivement. On se rappelle en effet que M. X... (obs. CXXII), diplopique au début de sa maladie, n’a plus vu double après quel- ques mois, et que cependant celle-ci n’en a pas moins marché. On sait aussi que cette diplopie, causée par la paralysie de la sixième paire, n’est revenue que quatre ans plus tard, alors que la maladie était déjà généralisée. Si donc la paralysie des nerfs moteurs de l’œil peut être tempo- raire, dans la maladie que je décris, comme cela est démontré par le fait précédent, l’observateur ne doit jamais négliger, dans l’étude des antécédents, de rechercher si ce trouble fonctionnel s’est ou non manifesté, car le malade ne songe pas ordinairement à le signaler. Le fait suivant fait ressortir l’importance de cet examen. Observation CXXIII.—En 1 856, je suis appelé par M. Chomel à donner des soins à M. C... Il offrait l’ensemble des symptômes de falaxie locomo- trice limitée aux membres inférieurs : troubles de la coordination des mou- (1) Un seul de ces malades (Charité, salle Saint-Louis, n° 40) avait une paralysie de la troisième paire; les autres étaient affectés de la paralysie de la sixième paire. vements, rendant la stalion et la marche impossibles, et cependant conser- vation de la force musculaire pour les mouvements partiels et dans la po- sition assise ou horizontale ; anesthésie incomplète de la plante des pieds et douleurs caractéristiques profondes, erratiques, mobiles, rapides comme l'éclair, revenant par crises ; tournoiements, éblouissements fréquents ; constipation et difficulté dans l’émission des urines, constatées cependant parfaitement saines par l'analyse et l’examen au saccharimètre; facultés intellectuelles parfaites; pas d’hésitation de la parole ni de tremblement des lèvres. On le disait, et il se croyait atteint d’une paraplégie par lésion de la moelle épinière. Il était entré dans des détails minutieux et insignifiants sur tout ce qu’il avait éprouvé de spécial au début de sa maladie, et ce- pendant il ne songeait pas à me signaler une diplopie qui lui revenait de temps à autre, pendant un temps plus ou moins long. Il me fallut bien fixer ses souvenirs pour apprendre enfin de lui que la diplopie avait été un des premiers accidents qui avaient signalé le début de sa maladie. Quelquefois, disait-il, il voyait double, mais cela durait peu et ne l’incommodait pas. Alors que je le soignais, il fut diplopique pendant huit à dix jours, et je constatai une faible paralysie de la sixième paire gauche; dès ce moment mon diagnostic et mon pronostic ne furent plus douteux, et je prévis la généralisation de sa maladie. Bientôt en effet il se plaignit d’une anesthésie des deux derniers doigts de chaque main et d’une certaine difficulté pour se servir de la main. Depuis lors je l’ai perdu de vue, mais j’ai appris que son état était de plus en plus grave et s’était généralisé. SYMPTÔMES. — STRABISME ET AMAUROSE. 561 La paralysie de la troisième paire échappe difficilement à l’obser- vation, parce que la chute de la paupière supérieure, qui est un des symptômes de celte lésion, attire dès l’abord l’attention. 11 n’en est pas de môme de la paralysie de la sixième paire, qui n’affecte que le muscle droit externe de l’œil sans déformer la pupille, et cela surtout si elle est incomplète ; mais le mouvement plus ou moins difficile du globe oculaire en dehors, et la diplopie accusée par le malade lorsqu’il regarde obliquement de ce côté, ne tardent pas à éclairer l’observateur. Il faut savoir toutefois que ce dernier signe diagnostique (la diplo- pie) peut manquer, alors même que le mouvement de l’œil en de- hors est incomplet ; c’est ce que j’ai constaté, quand la paralysie des moteurs de l’œil était double. J’ai actuellement en observation deux cas de paralysie double de la sixième paire, chez des sujets atteints d’ataxie locomotrice, et qui n’ont jamais vu double. Chez l’un d’eux, cette paralysie est faible, et je n’en aurais certainement pas reconnu l’existence, si je n’avais constaté qu’en le faisant regar- der en dehors, alternativement de chaque côté, le bord de la cornée DUCHENNE. 562 ne peut atteindre l’angle externe de l’œil, et qu’il en reste éloigné de 1 à 2 millimètres (1). ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. La paralysie d’un des nerfs moteurs de l’œil, comme phénomène initial associé à d’autres symptômes de l’ataxie locomotrice, m’a plusieurs fois éclairé dans des cas difficiles. Je reviendrai sur la va- leur de ce signe, en traitant du diagnostic et du pronostic de cette maladie. B. L’affaiblissement de la vue (amblyopie), et plus tard une amau- rose complète, compliquent souvent à des degrés divers la paralysie des nerfs moteurs de l’œil, dans l’ataxie locomotrice progressive; c’est du moins ce qui ressort des faits que j’ai recueillis. Chez la plupart de mes diplopiques atteints d’alaxie locomotrice, la vue était en effet plus affaiblie. (On sait que cet affaiblissement de la vue n’existe pas dans le strabisme simple, et qu’il suffit, dans ce der- nier cas, de faire regarder d’un seul œil, pour que la vue de- vienne parfaitement distincte.) J’ai même rencontré des cas dans lesquels le strabisme diminuait ou disparaissait, bien que la vue continuât à s’affaiblir progressivement. Cependant le strabisme et l’amaurose marchent ordinairement parallèlement. Enfin l’amau- rose à l’état d’amblyopie ou même complète existe quelquefois sans strabisrrte, au début de la maladie. J’en citerai un exemple dans l’observation CXXYII. L’amaurose n’affecte ordinairement qu’un œil, et quand elle est compliquée de strabisme, elle existe de ce côté ; trop souvent, ce- pendant, elle règne des deux côtés à la fois ; trop souvent aussi, résistant à toutes les médications, elle éteint complètement la vision, même avant que les désordres de la locomotion aient apparu ou se soient généralisés. Rien n’est plus affligeant que l’existence de ces malheureux aveugles, lorsque l’ataxie est arrivée à sa dernière pé- (1) L’absence de la diplopie, dans ce cas léger de paralysie double de la sixième paire, m’a jeté dans l’incertitude sur la réalité de la paralysie. On pouvait attri- buer cette faiblesse des muscles droits externes à un état natif, car le malade ne s’en était jamais aperçu depuis le début de sou affection ; seulement son regard avait quelque chose d’incertain que je ne saurais décrire. Mais un fait d’un autre genre me prouva bientôt qu’une paralysie double, complète, d’un nerf moteur de l’œil, peut exister réellement de chaque côté, sans produire de diplopie, et dissipa tous mes doutes. J’ai observé à l’Hôtel-Dieu (salle Saint-Louis, n° 8, service de M. Legroux) une paralysie complète et double de la troisième paire. Si l’on soulevait les paupières, la malade ne voyait pas double, à quelque dis- tance que fût placé l’objet qu’elle regardait. J’ai répété plusieurs fois cette expé- rience, en présence de mon honorable confrère, M, Legroux, et des personnes qui suivaient sa visite. SYMPTÔMES. — AUTRES PARALYSIES, ETC. 563 riode. Privés déjà de la faculté de coordonner les mouvements des membres inférieurs, percevant mal la résistance du sol, et ne pou- vant plus s’aider de la vue, dont on connaît l’influence sur la loco- motion, la progression et la station leur deviennent plus difficiles ou extrêmement pénibles, et s’accompagnent des mouvements les plus désordonnés ; puis, quand la sensibilité des pieds est complètement perdue, ces fonctions musculaires sont absolument impossibles, bien que ces malades disposent toujours d’une force musculaire considérable. § V. — Autres paralysies on troubles fonctionnels partiels. Je n’ai décrit jusqu’à présent que les symptômes qui forment le cortège habituel de l’ataxie locomotrice progressive, et qui, à ce titre, constituent par leur caractère individuel et par leur ensemble cette espèce morbide. Ceux dont il me reste à parler jouent compa- rativement un rôle moins important; je me bornerai à les signaler. D’autres nerfs crâniens que ceux de l’œil peuvent être affectés en même temps que ces derniers; mais ces cas sont exception- nels dans les observations d’ataxie locomotrice que j’ai recueillies. Ainsi j’ai vu deux fois la paralysie de la cinquième paire coexister avec la paralysie de la troisième. Dans un de ces cas, ces deux pa- ralysies existaient du même côté ; dans l’autre, la paralysie de la cinquième paire était double, et la paralysie de la troisième paire régnait à gauche. Ici, en outre, la paralysie s’étendait au voile du palaiset au larynx. J’ai vu aussi une fois la paralysie de la septième paire exister d’un côté avec celle de la troisième paire. Chez tous mes malades atteints d’ataxie locomotrice, l’odorat est resté intact; chez un seul (obs. CXX1I), l’ouïe a été abolie du côté où le strabisme existait. La fonction génératrice chez l’homme a presque toujours éprouvé une modification plus ou moins considérable : une fois elle a été surexcitée; chez les autres malades, elle a été affaiblie ou abolie. J’en ai observé un cas avec M. Trousseau, dans lequel elle s’est con- servée normale, bien que l’ataxie soit généralisée. L’excrétion des matières fécales et urinaires est tantôt difficile ou impossible (paralysie à des degrés divers du rectum ou de la vessie) ; tantôt au contraire les malades ne peuvent retenir leurs matières ou leurs urines (paralysie des sphincters). Une fois cepen- dant le sujet n’avait éprouvé qu’un peu de constipation, bien qu’il fût arrivé déjà à une période assez avancée de la maladie. J’ai fait l’analyse des urines, dans la plupart des cas, soin 564 ATAXllî LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. de la soumettre, autant que possible, au contrôle de M. Mialhe, qui, à l’analyse chimique, a toujours joint l’examen au sacchari mètre et au microscope. Dans aucun cas, nous n’avons trouvé ni fibrine ni sucre dans ces urines. Quelquefois les malades avaient eu, au début, une paralysie de la vessie, accompagnée, comme d’habitude, de catarrhe vésical, de sorte que j’aurais pu, sous l’influence d’idées préconçues, attribuer alors les troubles de la locomotion à la maladie des voies urinaires, et cela d’autant plus que les phénomènes ordinaires de la première période font quelquefois défaut ou arrivent tardivement ; mais tôt où tard la maladie se généralisant et se démasquant complètement, il était impossible de ne pas la ranger dans l’ataxie locomotrice pro- gressive. La lésion primitive des organes urinaires n’avait été qu’un des effets de la maladie. Des vomissements n’ont jamais signalé le début de l’ataxie loco- motrice, comme on l’observe dans l’apoplexie cérébelleuse, d’après un excellent travail de M. Hillairel (1), ou dans les tumeurs céré- belleuses, selon M. Hérard, qui en a récemment publié un cas re- marquable, que je me réserve de reproduire et de discuter bientôt. Des troubles gastriques se sont montrés quelquefois, sans cause connue, dans le cours de la maladie. Souvent, dès le début, j’ai observé des tournoiements, des étour- dissements provoqués ou augmentés ordinairement par le renverse- ment de la tête en arrière. Je n’ai jamais constaté dans les cas sim- ples (c’est-à-dire sans complication), ni hésitation de la parole, ni tremblement des lèvres ou de la langue, ni la folie ambitieuse; j’ai été au contraire frappé de l’intégrité des facultés intellectuelles, qui se conserve, comme l’intégrité de la force musculaire, jusqu’au terme de la maladie. La contractilitéélectro-musculaire est toujours intacte; les mus- des ne deviennent pas graisseux. Enfin l’ataxie locomotrice progressive est apyrétique. ARTICLE IL MARCHE, DURÉE, TERMINAISON. § I. — Marche. Dansl’étudesymptomatologiquedel’ataxie locomotrice, nous avons vu un certain nombre de symptômes caractériser isolément cette maladie; mais ce qui en fait réellement une espèce morbide dis- (1). Archives générales de médecine, 5e série, t. XI, 1858. Marche. 565 tincte, c’est Ja régularité, en général, de* son modo d’apparition et du développement de ses symptômes; c’est leur filiation, en d’autres termes, leur marche. Cette proposition est capitale: elle ressort déjà des faits exposés dans le paragraphe précédent ; j’en vais démontrer la vérité d’une manière incontestable. Il n’est personne qui, malgré le soin que j’ai pris d’isoler chacun de ses symptômes, pour mieux les analyser ou pour en apprécier plus justement la valeur individuelle, n’ait cependant remarqué, en lisant leur description, que l’ataxie locomotrice, toujours locale au début, est essentiellement envahissante ou tend toujours à se géné- raliser. Il est ressorti également de cette étude des symptômes que l’ataxie locomotrice peut être divisée dans sa marche en trois pé- riodes distinctes, caractérisées : la première, par la paralysie d’un ou de plusieurs nerfs moteurs de l’œil, compliquée de la paralysie du nerf optique, et par des douleurs térébrantes, erratiques; la deuxième, par l’apparition des troubles de la coordination, et bien- tôt après ou simultanément, par l’insensibilité musculaire et cutanée dans les membres inférieurs, en général, ou quelquefois dans les membres supérieurs; la troisième, enfin, par la généralisation de la maladie. Les troubles fonctionnels de la vessie, du rectum, des organes génitaux, etc., ne sont que des épiphénomènes. L’observation CXXI11 suffirait à la démonstration de tout ce qui précède; mais quelques personnes pourraient croire que ce tait est unique et a été choisi pour le besoin de la thèse que je soutiens. Il est donc nécessaire de la corroborer de quelques autres, que je rap- porterai aussi succinctement que possible. Observation CXXIV.— M. X..., rentier, âgé de quarante ans, n’a jamais eu d’affection syphilitique, il accuse seulement une simple gonorrhée ; il ne s’est pas livré à l’onanisme, il n’a pas eu de perles séminales nocturnes ou diurnes. En 1 840, gastro-entérite légère à la suite d’écarts de régime. Peu de temps après, pendant la convalescence de celle maladie, paralysie de la troisième paire gauche. Trois mois plus tard cette paralysie guérit, bien qu’il n’ait pris qu’un peu de calomel à petite dose et de temps à autre. En 1845 et en 1847, la paralysie de la troisième paire gauche revient et disparaît de la même manière, après trois à quatre mois de durée. La vue, qui avait toujours été excellente, s’était affaiblie notablement à gauche, dès l’apparition de la paralysie de la troisième paire. C’est à cette 566 époque que se firent sentir, dans les membres inférieurs, les douleurs carac- téristiques que j’ai décrites dans la symplomatologie. ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. En 1848, nouvelle paralysie de la troisième paire gauche, avec troubles gastriques caractérisés par des digestions difficiles, par un sentiment de gêne au bas-ventre, par une constipation opiniâtre, mais avec absence de fièvre. Il était tourmenté par des érections nocturnes sans pertes séminales. Diète blanche et sélon à la nuque. La vue s’affaiblit graduellement des deux côtés. Après quelques mois, le sélon est supprimé, et le malade attribue à cette suppression l’amélioration de la vue et la disparition de la diplopie qui s’ensuivirent. Un traitement sudorifîque par lerob Laffecteur rappelle les troubles gas- triques ; il se résout à ne plus faire que de l'expectation. Son état s’amé- liore, surtout à la suite de bains de mer pris en 1849. La vue était, il est vrai, restée faible, et de temps à autre il ressentait des douleurs spé- ciales dans les membres inférieurs, mais il n’avait plus de strabisme ap- parent. 11 se croyait en voie de guérison, lorsque, sans cause connue, il fait une rechute complète en 1832 : paralysie de la troisième paire gauche, affai- blissement considérable de la vue des deux côtés ; augmentation des dou- leurs erratiques, térébrantes et fulgurantes ; troubles gastriques semblables aux précédents. A ces phénomènes s’ajoutent des tournoiements de tête, la perte de l'équilibre pendant la station et la marche. M. X... affirme quà celte époque la sensibilité des membres inférieurs n était pas encore diminuée, car (dit-il) je sentais parfaitement bien le sol et j'avais la conscience des mouvements des membres inférieurs, même sans les regarder. — Cautère sur la colonne vertébrale; une saison aux eaux de Balaruc. Aggravation. Des fourmillements se font sentir dans les doigts, maladresse des mains ; gé- néralisation des douleurs. —En 1853, hydrothérapie suivie d’amélioration. — En 1 854, nouveaux troubles gastriques et perte complète de la vue. De- puis lors jusqu’en 1856, époque à laquelle je fus consulté par M. X..,, l’état de la vue, de la locomotion et des douleurs, n’a pas changé. Je con- statai alors les phénomènes principaux suivants : 10 existence d’une amaurose complète ; d'une paralysie de la troisième paire à gauche, mais incomplète, car la paupière se relevait à peu près normalement ; d’une paralysie de la sixième paire à droite (le malade n’en avait pas fait mention dans l’histo- rique de sa maladie); de la dilatation considérable des pupilles, complète- ment immobiles quand on l’expose à une vive lumière; 2° force normale de tous les mouvements partiels, mais s’exécutant de la manière la plus brusque et la plus désordonnée sitôt que les mouvements fonctionnels doivent être un peu complexes. (Je renvoie, pour leur description, aux détails dans les- quelsje suis entré à l’occasion de l’analyse des symptômes.) Il faut ajouter ici que ce malade ne pouvait s’aider de la vue, mais que l’anesthésie de ses MARCHE. 567 membres était incomplète. Il sentait en effet les mouvements passifs qu'on imprimait à ses membres ; quand je lui disais de les porter en dedans ou en dehors, de les étendre ou de les fléchir, il le faisait d’une manière étrange, il est vrai, sans pouvoir coordonner ni maîtriser ses mouvements, mais il sentait bien qu'il exécutait ces mouvements. Le sentiment d’activité mus- culaire était évidemment affaibli, mais non éteint; la sensibilité tactile était considérablement émoussée. A l’exploration électrique, je constatai cetta altération de la sensibilité; mais il était évident que les troubles si étranges de la coordination des mouvements n’étaient pas occasionnés par la dimi- nution du sentiment d’activité musculaire, car, dans les paralysies simples, et complètes, de la sensibilité musculaire, je n’en ai jamais observé de semblables. Pour compléter cette observation, j’ajouterai qu’il n’existait chezM.X..., ni hésitation de la parole, ni tremblement des lèvres ou de la langue, ni troubles des facultés intellectuelles ; que les urines, analysées par M. Mialhe, ont été trouvées normales; enfin que l’irritabilité et la nutrition muscu- laires étaient intactes. En résumé, la marche progressive et envahissante de la maladie, malgré certaines alternatives d’améliorations et de rechutes, est ici de toute évidence. Trois périodes y sont parfaitement distinctes: la première est caractérisée par un strabisme amaurotique qui revient chaque année pendant plusieurs mois, pour se fixer ensuite définitivement après trois rechutes, et dont la guérison apparente trompe toujours le malade en entretenant son espoir, et par les dou- leurs térébrantes et fulgurantes. Cette période, que Ton pourrait appeler céphalique, a duré douze ans (de I8/1O à 1852). La deuxième période, dans laquelle apparaissent les troubles de la coordination des mouvements des membres inférieurs, a duré à peu près un an. La troisième période (période de généralisation) a commencé en 1853, et je l’ai trouvée dans tout son développement en 1856. J’ai observé dans quelques cas les troubles gastriques, qui ont compliqué chez ce malade l’ataxie locomotrice. Si je ne craignais d’abuser du temps de mes lecteurs, je rappor- terais, à la suite de la précédente, d’autres observations analogues. Je ne puis cependant résister au désir de signaler ici un nouveau cas observé à la Charité. Je ne donne que le sommaire des principales phases de cette observation, dans laquelle on voit encore, avec ses trois périodes bien tranchées, la régularité de la marche de l’ataxie locomotrice progressive. L’examen du fond de l’œil, pratiqué à l’aide de l’ophthalmoscope, chez des sujets ataxiques dont la vue était considérablement affaiblie 568 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. ou complètement éteinte, m’a appris que la papille de leur nerf optique était atrophiée; ce qui annonce, on lésait, la lésion du nerf optique à son origine ou dans sa continuité. J’en rapporterai plus loin un cas remarquable (obs. CXXV), dans lequel l’image ophthal- moscopique du fond de l’œil est représentée dans la figure 97, planche I. Je n’en conclurai pas cependant que l’amaurose de l’ataxie locomotrice est toujours produite par cette lésion anato- mique, car j’avoue avoir négligé de faire cette exploration ophthal- moscopique chez la plupart des ataxiques atteints d’amaurose ou d’amblyopie.—Mais je crains que celte atrophie de la papille ne soit fréquente, sinon constante. 11 importe donc d’examiner à l’ophthal- moscopele fond de l’œil des sujets atteints d’ataxie locomotrice, dès que l’amaurose s’annonce chez eux par un peu d’affaiblissement de la vue (par une amblyopie légère), afin d’étudier le mode de déve- loppement de cette espèce d’atrophie de la papille et les accidents peut-être congestifs qui peut-être le précèdent. Observation CXXV. —Au n° 13 de la salle Saint-Ferdinand (service de M. Nonat), est couché le nommé Ducat, âgé de trente ans, confiseur, de- meurant à Paris, rue Guillaume, 4 0, entré à la Charité le 44 août 4858. Voici en résumé les antécédents, la marche et les différentes phases de sa maladie. En 4 844, rhumatisme articulaire, à la suite duquel on constate une in- suffisance aortique, bien qu’il jouisse d’une bonne santé. En 4 852, chaudepisse cordée avec chancre autour du gland. En 1848, chancre induré, traité à l'hôpital du Midi par M. Ricord. En 4 854, strabisme gauche. A celte époque, affaiblissement de la vue des deux côtés, douleurs térébrantes dans les membres inférieurs, dans le tronc. En janvier 4 855, troubles de la coordination dans les membres inférieurs pendant la station et la marche, sans perte de sensibilité. Celle-ci n’a com- mencé à diminuer d’une manière appréciable à la plante des pieds, aux jambes, aux genoux, qu’en mars ou avril 4 855. En octobre 4 855, fourmillements dans les deux derniers doigts de la main droite, et plus tard dans la main gauche; troubles dans le mouvement delà main et du membre entier, et cependant conservation de la sensibilité de la peau et des tissus profonds aux avant-bras et aux bras. En juin 4 856, contraction des extenseurs du pied (ce dernier phénomène est une complication que je n’ai rencontrée dans aucun autre cas). En 1858, époque de son entrée à la Charité, sa vue était déjà considérablement affaiblie des deux côtés. Je l’a examiné do nou- -MARCHE. 569 veau en septembre 1860, et cette fois j’ai exploré l’état du fond du globe oculaire à l’aide de l’ophthalmoscope. Je vais exposer avec quel- ques détails les phénomènes morbides de la vue et l’état anatomi- que du fond des globes, tels que je les ai alors constatés. (M. Xavier Galenzowski, chef de clinique de M. Desmarres, a bien voulu me prêter son concours, et il a eu l’obligeance de dessiner et de colorier l’image ophthalmoscopique représentée dans la figure 1, planche X.) L’amblyopie est double, plus marquée à gauche ; les yeux ont une expression vague; l’œil gauche offre un strabisme convergent avec impossibilité de le mouvoir en dehors. De ce dernier œil le malade peut distinguer les grands objets, et compte avec difficulté les doigts ; de l’œil droit il compte facilement les doigts à la distance de dix pouces; mais il ne peut reconnaître le cadran d’une montre, même à la distance de six pouces. Le champ périphérique interne et supérieur est sensiblement diminué; les phosphènes internes exis- tent, mais ils sont à peine marqués, les autres phosphènes man- quent. La pupille est peu mobile, un peu dilatée à gauche, et se dilate difficilement sous l’action de l’atropine; l’iris a sa couleur normale. Les milieux réfringents de l’œil sont complètement trans- parents. Tout le fond de l’œil se présente d’une couleur rouge foncée avec des taches noires (voyez la figure 1, planche X), qui ne sont autre chose que le pigment déplacé (macération de la cho- roïde). 'La papille du nerf optique présente les modifications sui- vantes. La moitié externe (a) présente une couleur d’un blanc gri- sâtre avec bords bien tranchés; les vaisseaux capillaires y ont complètement disparu. Les vaisseaux sanguins centraux [sont dé- placés sur la moitié interne de la papille (6), dont la couleur est d’un blanc rougeâtre. Les veines (ce) sont engorgées; les artères, princi- palement la branche supérieure (d), ont diminué d’épaisseur et sont plus pâles. —Rien dans la macula, — Tous ces signes sont suffisants pour conclure qu’il y a : 1° une atrophie partielle de la papille du nerf optique, avec une légère excavation, ou plutôt ré- traction (selon Graefe) ; 2° une paralysie de la sixième paire gauche. J’ai observé àla même époque, à la Charité (salle Saint-Louis, n° 10) un autre cas où la maladie a marché à peu près de la même ma- nière, bien qu’elle ne lut encore qu’â sa seconde période. Nous verrons aussi, dans le fait suivant que je résumerai, les trois périodes bien tranchées de l’ataxie locomotrice ; il diffère seule- ment des précédents en ce que les troubles de la locomotion se montrent d’abord dans les membres supérieurs et sous forme hémi- plégique. C’est en raison de cette particularité qu’il peut trouver ici sa place. 570 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. Observation CXXYI. — M. X..., âgé de quarante-huit ans, ne s'étant pas livré à l’onanisme, n’ayant pas eu de pertes séminales, n’ayant pas abusé des plaisirs vénériens. Il a eu une affection syphilitique (chancres primitifs) traitée par M. Cullerier fils ; il a travaillé longtemps dans un bureau humide ; il est sujet à des douleurs rhumatoïdes depuis l’âge de vingt ans, bien que sa santé générale ait toujours été bonne. En 1856, sans cause connue, diplopie sans chute de la paupière, mais avec gêne dans les mouvements en dehors du globe oculaire droit (paralysie de la sixième paire droite), et en même temps affaiblissement de la vue de ce côté. Avec la diplopie sont survenues des douleurs bien différentes de celles auxquelles il était sujet depuis longtemps, et qu’il appelait rhumatismales. Ces douleurs, qu’il dépeint avec de vives couleurs, font, dit-il, le supplice de sa vie. Douleurs térébranles, erratiques, siégeant surtout dans les mem- bres supérieurs, rapides comme l’éclair, ou durant chacune trois ou quatre secondes ; revenant toutes les minutes, et lui arrachant des cris pendant des crises de vingt-quatre heures de durée, et qui se renouvellent deux ou trois fois par semaine ; hypereslhésie cutanée limitée à ce point douloureux et disparaissant avec la douleur térébrante. En janvier 1855, fourmillements et diminution de la sensibilité tactile dans les deux derniers doigts de la main gauche, qui devient maladroite et inapte à un grand nombre d’usages, les fonctions musculaires de la main provoquant dans les doigts des mouvements étranges. Vers la fin de la même année, aux troubles précédents, qui se sont aggravés, ainsi que ces dernières douleurs, s'ajoutent des fourmillements dans les membres infé- rieurs et de la difficulté dans la marche: il commence à trébucher du côté gauche et à ne plus pouvoir régler sa marche; il oscille dans la station. En septembre 1856, le côté droit se prend, comme le côté gauche, d’abord dans le membre supérieur, puis, quelques semaines après, dans le membre inférieur ; de sorte que les troubles de la coordination des mouvements sont généralisés (ces troubles, dans la marche, sont ceux qui caractérisent l’ataxie locomotrice). Les médications les plus variées ont échoué et n’ont pu ar- rêter la marche envahissante de celte terrible maladie ; ces soins ont été on ne peut mieux dirigés par M. Cusco, qui est à la fois l’ami et le médecin du malade, et qui me l’a adressé en 1858. Alors j’ai appris du malade l’his- toire dont je viens de donner l’analyse, et j’ai constaté dans son étal actuel l’existence de tous les symptômes qui caractérisent l’ataxie locomotrice à sa dernière période, et qu’il serait oiseux de relater ici. La faradisation ayant complètement échoué chez ce malade, M. Cusco nous réunit en consultation avec M. Ricord, et bien que l’iodure de potassium n’eût déjà produit aucun résultat, nous avons pensé qu’en raison des antécé- dents du malade, quoiqu'il n’éprouvât ni douleurs nocturnes, osléocopes, et que les accidents tertiaires ordinaires ne se fussent jamais manifestés, l’iodure de potassium associé aux préparations mercurielles était encore indiqué. MARCHE. 571 La première période de l’ataxie locomotrice progressive peut se développer irrégulièrement ou manquer en partie ou en totalité. La maladie n’en suit pas moins sa marche progressive; alors les sym- ptômes de la première période apparaissent tôt ou tard, quoique tardivement dans les périodes suivantes. J’ai dit que ces faits font exception parmi ceux que j’ai recueillis depuis cinq ans ; car à l’époque où je publiais mon mémoire, j’en possédais seulement deux exemples. L’observation m’oblige d’a- jouter aujourd’hui que ces faits exceptionnels sont moins rares que je ne le croyais alors. Ainsi une fois seulement j’avais vu la paralysie des nerfs de l’œil et l’amaurose faire défaut; les douleurs caractéristiques avaient seules signalé le début de la maladie. Mais depuis lors, j’en ai observé avec M. Trousseau quatre cas analogues. Je ferai remarquer ici que de tous les phénomènes de la première période, les douleurs spéciales des membres sont celles qui man- quent le plus rarement. Voici sommairement un autre exemple d’irrégularité dans l’ordre d’apparition des symptômes de la première période. Observation CXXVII. — Le malade est âgé de cinquante ans, ancien professeur de langues. Il y a une quinzaine d’années, il a eu la vérole con- stitutionnelle (chancres indurés, pas d’accidents tertiaires), pour laquelle il a suivi un traitement, dit-il, complet, par les préparations mercurielles et par l’iodure de potassium. Depuis sept ans il ressent des douleurs ful- gurantes, térébrantes, dans les membres inférieurs, revenant par crises plus ou moins longues, avec hyperesthésie cutanée au niveau dos points dou- loureux et ne durant que le temps des douleurs profondes. Les crises dou- loureuses, rares pendant la première année, se sont rapprochées et sont devenues de plus en plus longues. Elles ont été considérées et traitées comme étant de nature rhumatismale. Il y a six à huit mois, le malade s’est aperçu d’un affaiblissement de la vue, qui a progressé au point qu’il ne pouvait plus lire, lorsqu’il est venu me consulter en juin 1 860. Il n'avait eu jusqu'alors ni strabisme, ni diplopie. Deux mois plus tard, sa troisième paire droite s est paralysée, et sa vue s'est presque éteinte. A l’ophthalmos- cope on constate une atrophie du nerf optique. Enfin, il n’est plus sûr de son équilibre dans la station ou dans la marche, bien qu’il ait soin de mas- quer l’œil paralysé pour ne pas être troublé par la diplopie. 572 En résumé, ce cas est un exemple d’irrégularité de développe- ment des phénomènes de la première période del’ataxie. En effet, on a vu les douleurs apparaître les premières ; six ans plus tard, l’amaurose, et en dernier lieu, la paralysie d’un des nerfs mo- teurs de l’œil; tandis qu’en général les symptômes de la première période se montrent dans l’ordre suivant : 1° paralysie d’un ou de plusieurs nerfs moteurs de l’œil, 2° amaurose, 3° douleurs spéciales dans les membres. ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. Une seule fois, à l’époque où je publiai mon mémoire dans les Archives, j’avais vu l’ataxie locomotrice débuter d’emblée par la lésion delà coordination des mouvements des membres inférieurs. Ce cas mérite d’être rapporté, en raison de cette marche insolite, ou du moins à cause de l’absence complète des phénomènes initiaux. Le malade, très intelligent, a rédigé son observation ; la voici tex- tuellement : Observation CXXVIII.— a C’est vers la fin de février 1836 que j’ai res- senti les premières atteintes de gêne dans la marche, et voici comment : « Un soir, j'eus un étourdissement assez violent pour me faire traverser une rue malgré moi, et me contraindre à m'arrêter quelque temps pour re- prendre mon aplomb. Dès ce moment, j’eus de la difficulté à courir, et j’éprouvai une impossibilité complète à détacher mes pieds de terre pour sauter. » Jusqu’à cette époque, je n’avais jamais eu de maladie grave ; mes seules indispositions (très fréquentes, il est vrai) consistaient en constipa- tions persistantes accompagnées de lourdeurs de tête, et depuis quelque temps seulement j’éprouvais des tiraillements d’estomac qui me rendaient les digestions difficiles. » A la suite de cet étourdissement, je consultai le docteur Viollet, qui pensa que cela pouvait être le début d’une paraplégie ; mais il espéra que s’il pouvait faire disparaître la constipation, il couperait court à la maladie. Le traitement qu’il me fit suivre à cette époque fut, si je ne me trompe, di- rigé dans ce but, mais sans succès. d Jusqu’au mois d’août de la même année, ma situation ne changea pas, et, à cette époque, on me conseilla d’aller à Baréges, où je restai six se- maines. Le docteur, à Baréges, me fit alors espérer qu’après quelques mois de repos, l’action des eaux se faisant sentir, je serais complètement débar- rassé de ma maladie, que je ne pouvais croire sérieuse, tant elle me gênait peu. En effet, mes maux d’estomac avaient complètement disparu, et je fai- sais journellement, sans fatigue, de très longues marches dans la montagne (jusqu’à 25 kilomètres); l’embarras que je ressentais dans les pieds dispa- raissait presque après quelques minutes de marche. i> Je cessai tout traitement jusqu'en août 1857, époque à laquelle je re- tournai à Baréges ; j'espérais qu’une seconde saison aux eaux amènerait le mieux qu'on m’avait promis. Il n'en fut pas ainsi : pendant un mois que j’y restai, le temps fut continuellement froid et pluvieux, et cela m’engourdit les jambes au point que je ne pouvais me tenir debout sans osciller, et marcher sans jeter mes jambes en dehors de la manière la plus désordonnée. Le médecin inspecteur des eaux, le docteur Pagès, attribua cette aggrava- tion de la maladie à l’état de l’atmosphère, et me conseilla de retourner dans un climat plus chaud. Effectivement, vingt-quatre heures après mon dé- part, en arrivant à Toulouse, je me trouvai aussi capable de marcher que je l’étais un mois auparavant. MARCHE. 573 » C'est vers cette époque que je commençai à m apercevoir que mes pieds devenaient insensibles. » Encore une fois je cessai tout traitement jusqu’au mois de février 1858, et, pendant ce temps, la maladie fit des progrès assez rapides, au point qu’il me devint très difficile de rester debout sans faire des mouve- ments. De plus, je crus remarquer dans les deux derniers doigts delà main droite un manque de tact et une maladresse qui ne m'étaient pas liabituels. » Le docteur Yiollet commença alors à me faire l’application de cau- tères sur la colonne vertébrale, et il a continué jusqu’à présent (j’en suis à la cinquième paire) sans que cela ait eu de résultat favorable apparent. » Septembre 1 858.—Marche très pénible, le pied droit posant souvent à faux; les genoux très faibles; station debout impossible, même avec une canne ou tout autre appui, et en regardant mes pieds; dans la marche, les mouvements des jambes s’exécutent mal et obéissent difficilement à une volonté attentive. » La main gauche bonne, bien que j’aie senti des fourmillements dans le petit doigt. A la main droite, l’annulaire tout à fait insensible au loucher, le petit doigt et le médius moins malades; en écrivant, ces trois doigts s'allongent et se raidissent, ce qui rend très difficile la tenue de la plume ; de plus les mouvements de la main sont saccadés. La sensibilité émoussée rend la préhension des corps difficile ; la main étant libre, les doigts se meu- vent facilement de haut en bas, comme pour toucher du piano, mais il n'en est pas de même pour les rapprocher ou les éloigner les uns des autres dans un même plan, ou pour opérer les mouvements circulaires. » M. X... me fat présenté par son médecin, M. le docteur Viollet, le 28 septembre 1858. Lorsqu’il m’eut raconté l’histoire que l’on vient de lire, j’éprouvai, au premier abord, quelque hésitation pour classer sa maladie. Je constatai immédiatement que ce n’était point une paralysie ; car, dans la position horizontale ou assise, la force des mouvements partiels était considérable. Je notai aussi ataxie locomotrice progressive. qu’à l’exploration électrique, la sensibilité des muscles moteurs situés aux jambes, aux pieds, à l’avant-bras et à la main gauche, était notablement diminuée, et que la sensibilité tactile et doulou- reuse de la peau était également très affaiblie. La sensibilité à la température était intacte. M. X... percevait mal la résistance du sol; il ne pouvait se tenir debout, ni marcher dans l’obscurité; il laissait tomber les objets qu’on lui mettait dans la main droite, s’il ne les regardait pas. Tous ces phénomènes pathologiques étaient évidemment l’indice de la paralysie de la sensibilité musculaire et tactile des extrémités; mais cette insensibilité tactile et musculaire n’était certainement pas en rapport ici avec les troubles de la loco- motion. M, X... percevait les mouvements qu’on imprimait ou qu’il imprimait lui-même à ses membres ; pendant qu’il tenait les yeux fermés, il en reconnaissait la direction. Cependant, malgré la pim grande attention, et quoiqu'il suivît des yeux tous ses mouvements (on sait que sa vue était excellente), il ne pouvait les maîtriser ; il était incapable de les coordonner, quand la fonction exigeait des combinai- sons musculaires complexes : comme pour écarter ou rapprocher les doigts les uns des autres sur un plan horizontal, ainsi qu’il l'a fort bien décrit lui-même, ou bien comme pour rester dans la station, fonction musculaire qui exige, on le sait, une des combinaisons mus- culaires les plus savantes pour tenir le corps en équilibre, bien que celte combinaison se fasse instinctivement. Il existait donc chez M. X... une lésion de la faculté de coordonner ses mouvements, indépendamment de la paralysie de la sensibilité musculaire, qui n’était qu’une complication de l’autre lésion fonctionnelle. D’ailleurs, s’il pouvait exister quelques doutes sur cette opinion, les phénomènes morbides qui ont signalé le début de la maladie et la marche de cette dernière suffisent pour les dissiper entièrement. C’est en effet par un tournoiement (phénomène céphalique) qu’a débuté subitement la maladie, en février 1856, et par une impul- sion en avant qui forçait M.X... de traverser une vue sans qu’il pût s’arrêter. Depuis ce moment, sa marche éprouvait des troubles qui dépendaient certainement d’une lésion de la coordination des mou- vements. Il ne pouvait plus en effet marcher vite ou courir, ou sau- ter, et cela parce qu’il ne savait plus maîtriser ses mouvements ; il se sentait alors poussé comme par une force invisible qui lui faisait perdre l’équilibre. D’autres fois, s’il voulait sauter, ses pieds res- taient comme cloués au sol, parce qu’il ne savait plus combiner les contractions musculaires instinctives nécessaires à l’accomplisse- ment de cette fonction. Remarquons enfin ce fait, qui est d’une extrême importance dans la question que j’agite, à savoir : que ces troubles fonctionnels ont régné pendant un an et demi avant que les premiers troubles de la sensibilité apparussent dans les mem- bres inférieurs. «C’est, dit-il, vers cette époque (août 1857) que je m'aperçus, pour la première fois, que mes pieds commençaient à devenir insensibles. » DUREE. 575 L’absence des phénomènes qui marquent habituellement la pre- mière période de l’ataxie locomotrice progressive suffit-elle pour ne pas ranger le cas dont l’observation vient d’être rapportée dans cette dernière espèce morbide? Je ne l’ai pas pensé, parce que, abs- traction de cette première période, la maladie a suivi la même marche. Nous avons vu, en effet, les troubles de la coordination limités aux membres inférieurs, pendant deux ans, sous la forme apparente d’une paraplégie, s’annoncer ensuite dans le membre supérieur droit, comme d’habitude, par des fourmillements dans les doigts animés par le nerf cubital, l’annulaire et le petit doigt, puis compromettre bientôt les usages de la main droite. Depuis que j’observe M. X..., les signes précurseurs des troubles de la coordi- nation apparaissent dans la main gauche. Bien plus, voilà que M. X... commence à éprouver, de temps à autre, des douleurs qui ont quelque ressemblance avec celles qui sont propres à l’ataxie. Les phénomènes de la première période doivent-ils se développer ici tardivement, si la maladie n’est pas arrêtée dans sa marche ? § II. — Durée. Il est difficile de déterminer exactement la durée de l’ataxie loco- motrice, parce que souvent les sujets tombent rapidement, et avant l’entier développement de cette maladie, dans un épuisement ner- veux qui leur enlève toute résistance aux causes morbides qui les environnent, et les fait succomber aux maladies intercurrentes. Ce- pendant les faits que j’ai exposés montrent que la durée de l’ataxie locomotrice est longue, en général, puisque nous avons vu la pre- mière période seule, constituée par le strabisme et les douleurs, durer douze ans. Observation CXXIX. — J’ai donné des soins à une dame qui, depuis 1 836, éprouve les douleurs horribles de l’ataxie locomotrice. En 1851, sa vue a commencé à s’affaiblir et s’est éteinte graduellement vers la fin de celte année, dans l’œil gauche d’abord, et trois ans après, dans l’œil droit (elle présente cette particularité ; c’est qu’étant complètement amaurotique, ses pupilles sont toujours resserrées, même dans l’obscurité). En 1836 seu - lement (vingt ans après le début), cette dame a commencé à entrer dans 576 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. la seconde période de la maladie, c’est-à-dire que debout elle oscillait et était menacée de tomber, si elle ne prenait un point d’appui; qu’en mar- chant elle ne pouvait modérer son pas, et se sentait comme poussée en avant par une force invisible; et tout cela, quoiqu’elle sentît parfaitement le sol et qu’elle n’eût aucune diminution apparente de la sensibilité dans les membres inférieurs. Les troubles de la coordination n'ont pas progressé; la maladie paraît devoir marcher très lentement et durer encore longtemps, à moins qu’une maladie intercurrente ne vienne mettre un terme à cette vie déjà épuisée par de si longues souffrances. Tout le monde prévoit l’hor- rible avenir de celte malheureuse dame. Depuis quelque temps (à la fin de 1857), sa sensibilité commence à s’émousser dans la plante des pieds. La malade perdra sans doute, dans un temps plus ou moins rapproché, sa sen- sibilité musculaire dans les membres inférieurs ; de sorte que, privée de la vue, elle sera condamnée à une immobilité complète, bien avant que les troubles de la coordination l’aient réduite à l’inaction, alors même qu’elle aurait conservé la vue. Je connais des malades qui sont atteints d’ataxie locomotrice depuis plus de vingt ans, et qui, mangeant et digérant bien, parais- sent encore disposés à vivre ainsi de longues années. En résumé, il ressort de ce qui précède, qu’en général l’ataxie locomotrice progressive a une longue durée. § 111. — Pronostic. L’ataxie locomotrice peut-elle rétrograder? Je me hâte de décla- rer que je n'ai aucun doute à cet égard, et que ce n’est pas dans le sens fatal et faussé que Requin attachait au mot progressif, que j’ai appelé celte maladie progressive; d’ailleurs ce mot progressif n’est employé ordinairement, en pathologie, que pour faire entendre que la maladie a une tendance à se généraliser ou à envahir progressi- vement et successivement un plus ou moins grand nombre d’or- ganes. Cependant, quelque optimiste que l’on soit ou que l’on doive être (car est-il une mission plus pénible que la nôtre, quand il ne nous est plus permis d’espérer?), on ne peut se dissimuler que le pronostic de l’ataxie locomotrice est des plus graves. On en trouve la preuve, hélas ! trop évidente dans les tristes histoires que j’ai rapportées. ARTICLE III. DIAGNOSTIC. L’ataxie locomotrice progressive, arrivée à son entier développe- ment, est facile à diagnostiquer ; mais, comme elle offre, en général, dans sa marche trois périodes distinctes, comme elle met à les par- courir un temps plus ou moins long, il est de toute nécessité d’en étudier le diagnostic différentiel dans chacune de ces périodes. DIAGNOSTIC. 577 Première période. — Tout strabisme, toute diplopie survenue spontanément doit donner l’éveil sur le début de l’ataxie locomo- trice progressive, puisque, dans la grande majorité des cas, ces mêmes lésions fonctionnelles ont signalé ce début. Est-ce dire pour cela que la paralysie des nerfs moteurs de l’œil soit toujours un signe précurseur des troubles de la coordination des mouvements? Non, certes, car il existe dans la science un grand nombre de guérisons incontestables de ces paralysies. J’en pourrais rapporter un certain nombre tirées de ma pratique et obte- nues par la faradisation ou par la galvanisation à courants inter- mittents. Toutefois le fait suivant nous enseigne que l’on doit encore dans ces cas faire quelques réserves. Observation CXXX. — J'ai rapporté dans la précédente édition (observa- tion II, p. 22) une guérison merveilleuse, d’une diplopie, obtenue par la galvanisation à courants intermittents. J’ai pu croire que j’avais guéri celte diplopie; car quelques intermittences d'un assez fort courant galvanique en avaient eu raison, bien qu'elle se fût montrée jusqu’alors rebelle à une médi- cation des plus actives, dirigée par nos spécialités les plus renommées, et parce que cette diplopie n’est plus revenue. Il est vrai que cinq à six mois après celte guérison, le malade a éprouvé des douleurs très aiguës qui lui venaient depuis plusieurs semaines, et se faisaient sentir dans les membres inférieurs. Ces douleurs présentaient les caractères de celles qui sont propres à l’alaxie locomotrice ; mais, à cette époque, n’en con- naissant pas encore la valeur sémiotique, et les croyant rhumatismales, je lui conseillai les bains sulfureux et des purgatifs. Depuis lors je n'ai plus revu ce malade qu'en mai 1860 (huit ans après la guérison de sa di- plopic). Voici en résumé ce qui lui est arrivé, dans l'intervalle de ces huit années : Sa diplopie était guérie, mais les douleurs pour lesquelles il était venu me consulter, et qui revenaient par crises toutes les deux à trois semaines, et duraient chaque fois de quelques heures à un jour, n’ont pas cessé de le faire souffrir; elles ont même augmenté de fréquence et d’intensité, sans l'empêcher toutefois d’exercer son état. 11 y a deux ans seulement (six ans après la guérison de la diplopie) qu'ont apparu les premiers troubles de la locomotion, de l’alaxie locomotrice, qui ont progressé au point que ce pauvre homme ne peut se tenir debout ni marcher sans soutien. Il possède toute sa force musculaire, mais il a perdu l’équilibration et la coordination de ses mouvements. DUCI1ENNE. 578 Si l’on cherchait ce que sont devenus les sujets soi-disant guéris de paralysies partielles des muscles moteurs de l’œil, combien en trouverait-on qui n’aient pas été atteints tôt ou tard d’ataxie loco- motrice progressive, comme celui dont je viens de rapporter l’his- toire et que j’avais cru guéri. ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. J’ai fait remarquer que tous les cas de strabisme, liés à l’ataxie locomotrice et rapportés dans ce travail, avaient d’autant plus de valeur diagnostique, dans la maladie dont il est ici question, qu’ils étaient compliqués d’amaurose incomplète (amblyopie) ou com- plète. Cependant ce signe diagnostique n’a isolément qu’une valeur restreinte ; on ne peut fonder sur lui qu’une présomption plus ou moins forte. L’amaurose, chez les ataxiques, n’affecte ordinairement qu’un œil, et lorsqu’elle est compliquée de strabisme, elle existe de ce côté; trop souvent aussi elle règne des deux côtés à la fois. Alors, résis- tant à toutes les médications (ce qui s’explique par l’atrophie de la papille, elle éteint complètement la vision, quelquefois même avant que les désordres de la locomotion soient généralisés. Les douleurs fulgurantes, mobiles, erratiques, très circonscrites, térébrantes, et accompagnées d’hyperesthésie cutanée, ces dou- leurs qui parcourent toutes les régions du corps, sont caractéris- tiques ; on les a vues quelquefois constituer à elles seules la pre- mière période pendant plusieurs années (une fois pendant quinze ans, obs. CXX1X). Elles doivent donc tenir l’observateur en garde contre l’ataxie locomotrice progressive, bien qu’isolées, elles n’aient pas plus de valeur, dans le diagnostic de cette affection, que le signe précédent (le strabisme compliqué d’amblyopie ou d’amau- rose). La réunion de ces douleurs avec le strabisme amaurotique ou avec l’amaurose acquiert une bien plus grande signification, sans être encore un signe pathognomonique de l’ataxie locomotrice ; c’est en effet sous cette forme que se présente, en général, la pre- mière période dont nous étudions le diagnostic. Deuxième et troisième période. — Jusqu’ici le diagnostic reste incertain; mais, à l’instant où l’on voit apparaître, soit dans les membres inférieurs, soit dans les membres supérieurs, les premiers troubles de la coordination des mouvements, après les symptômes de la première période, le doute se change presque en certitude. Plusieurs fois j’ai eu occasion de mettre ce jugement à l’épreuve ; en voici un exemple : Observation CXXXI.— En 1853, M.X..., âgé de vingt-huit ans, d’une DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL. 579 riche constitution, d’un tempérament sanguin, d’une bonne santé habi- tuelle, vient réclamer mes soins pour cause d’impuissance datant d’un an: c’était la seule chose dont il se plaignît. Son regard, qui me paraissait vague et étrange, attira de prime abord mon attention. Les mouvements de ses globes oculaires se faisaient bien dans tous les sens, mais sa cornée droite se trouvait au-dessous du niveau de sa cornée gauche, quand il regardait en face de lui. Il n’était pas alors diplopique ; cependant, depuis deux ou trois ans (il ne pouvait en fixer exactement l’époque), il lui était arrivé fré- quemment d’avoir la vue incertaine, trouble, et quelquefois de voir double pendant plusieurs semaines. Si je n’avais pas rappelé ses souvenirs sur ce point, il ne m’en aurait point entretenu, car il n’y attachait aucune impor- tance; je fus très préoccupé de ce synlptôme, sans toutefois le lui faire en- trevoir. Une impuissance apparaissant chez un homme jeune et robuste, sans cause appréciable (pas d’abus de l’onanisme, du coït ; pas d’affection syphilitique, pas de pertes séminales, pas d’orchite), et puis une diplopie qui revient temporairement, d’une manière irrégulière, n’était-ce là qu’une simple coïncidence ? Ou bien étaient-ce des phénomènes précurseurs des troubles de la coordination des mouvements, qui devaient apparaître dans un temps plus ou moins rapproché? On voit donc que mon attention était déjà éveillée sur l'ataxie locomotrice ; mais je restai dans le doute. Les urines furent analysées et trouvées normales. Je traitai l’impuissance par la faradisation (qui, je dois le dire, ne produisit aucun résultat). M. X... avait à peine commencé son traitement, qu’il accusait déjà de nouveaux symptômes : il se plaignait de n’être plus sûr de son équilibre, sans pouvoir se rendre compte de ce qu’il éprouvait. il se sentait comme une légère ivresse. Mar- chait-il vite ou voulait-il courir, descendait-il les escaliers , il craignait de tomber. Ces troubles augmentèrent progressivement ; il lui sembla bientôt qu’il marchait sur des ressorts, et qu’une force invisible le poussait en avant. C’était donc la réalisation de mes pressentiments, bien qu’il n’eût éprouvé aucune des douleurs caractéristiques qui apparaissent habituelle- ment dans la première période. En présence de l’ensemble des phénomènes qu’il avait présentés (diplopie, strabisme, troubles de la coordination des mouvements, et peut-être impuissance), le doute ne m’était plus permis ; M. X... était atteint d’ataxie locomotrice progressive. Le diagnostic ne fut que trop bien confirmé par la suite, car la maladie continua sa marche en- vahissante. Diagnostic différentiel. — Le diagnostic est moins facile lorsque les symptômes céphaliques ou les douleurs caractéristiques ne pré- cèdent ou n’accompagnent pas la deuxième et la troisième période. On est exposé alors à confondre l’ataxie locomotrice progressive avec d’autres paralysies partielles ou générales delà sensibilité muscu- 580 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. laire, ou avec d’autres affections musculaires dans lesquelles ou observe également des troubles de la locomotion. Je vais exposer le diagnostic différentiel de ces affections, comparativement avec l’ataxie locomotrice progressive. A. — Paralysie de la sensibilité musculaire. De toutes les affections musculaires, la paralysie de la sensibilité musculaire est celle qu’il est le plus facile de confondre avec l’ataxie locomotrice progressive. Une telle méprise serait on ne peut plus dé- plorable, parce que, comme je l’ai déjà dit précédemment, le pro- nostic est en général favorable dans la première, et que la guérison s’en obtient souvent, facilement, rapidement, tandis que dans la seconde le pronostic est toujours grave, môme dès le début. Avant que j’eusse fait une étude assez approfondie de l’ataxie locomotrice, j’attribuai la perte de la coordination des mouve- ments à la paralysie de la sensibilité musculaire; mais il m’a suffi, pour reconnaître l’inexactitude de cette explication, de comparer les mouvements désordonnés de l’ataxie locomotrice aux troubles de la rnotilité que l’on observe dans d’autres maladies, chez les sujets qui sont seulement anesthésiques. Je vais démontrer qu’une telle confusion n’est pas possible, quand on analyse avec soin ces phéno- mènes différentiels, comme je vais essayer de le faire. I. Troubles de la locomotion occasionnés par Vataxie locomotrice progressive.—Les mouvements désordonnés qui caractérisent l’ataxie locomotrice, et que je n’ai décrits précédemment que superficiel- lement, sont difficiles à bien dépeindre; j’espère cependant qu’après l’analyse que je vais essayer d'en faire, le lecteur diagnostiquera parfaitement cette affection au lit du malade. Mais on ne saurait comprendre le mécanisme de ces divers mouvements pathologi- ques, sans être bien fixé sur celui de la locomotion; or, avec les données fournies actuellement par la physiologie, et avec certains principes nouveaux qu’on a voulu introduire dans la science, il serait difficile, sinon impossible, de se rendre compte delà plupart de ces mouvements pathologiques. Comme ces derniers ne me pa- raissent bien explicables qu’avec la connaissance de quelques faits qui ressortent de mes recherches électro-physiologiques et patho- logiques, et que j’ai déjà exposés dans des publications antérieures, je vais les résumer et les faire servir à l’étude des mouvements pathologiques dont il est ici question. La coordination des mouvements se compose de deux ordres de DIAGNOSTIC DIFFÉR.—PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. phénomènes ou fonctions musculaires, dont la lésion s’observe isolément dans l’ataxie locomotrice, et constitue deux degrés diffé- rents des troubles de la coordination des mouvements Au premier ordre je donne le nom cl 'harmonie des antagonistes, dont l’existence a été méconnue ou non démontrée en physiologie ; le second est constitué par les associations musculaires instinctives ou volontaires qui président à tout mouvement physiologique. Je vais étudier ou analyser séparément ces deux ordres de phé- nomènes, dont la connaissance exacte est d’une grande importance dans l’étude du diagnostic différentiel do l’ataxie locomotrice. 1° Contrairement à la doctrine de Galien sur l’inaction des muscles antagonistes, pendant l’exercice des mouvements volontaires (1), doctrine qui s’est propagée de siècle en siècle jusqu’à nos jours, j’ai démontré expérimentalement que tout mouvement volontaire des membres et du tronc est le résultat d’une double excitation ner- veuse, en vertu de laquelle les deux ordres de muscles qui possè- dent une action contraire (fléchisseurs et extenseurs)sont mis simul- tanément en contraction, les uns pour produire ce mouvement, les autres pour le modérer (2). Sans cette espèce de solidarité des anta- gonistes, que j’ai appelée harmonie des muscles antagonistes, le mouve- ment perd inévitablement de sa précision et de sa sûreté. Ce doit être d’ailleurs un principe élémentaire en mécanique, et l’on s’étonnera qu’il ait échappé à l’esprit profond de l’auteur du De usu partium. Agissez en effet avec un peu de force sur un levier, vous verrez qu’il (1) Le célèbre médecin de Pergame professait, en effet, que pendant les mou- vements volontaires, certains muscles se contractent, tandis que leurs antago- nistes restent inactifs ; voici un passage dans lequel il exprime très nettement cette opinion : « Le muscle contracté attire donc vers soi, tandis que le muscle relâché est attiré conjointement avec la partie. Pour cette raison, les deux mus- cles se meuvent pendant l’accomplissement de chacun des deux mouvements ; mais ils n'agissent pas tous les deux, car l'activité consiste dans la tension de la partie qui se meut, et non pas dans l'action d’obéir : or un muscle obéit quand il est transporté inactif, comme le serait toute autre partie du membre, « (OEu- vres de Galien : De l’utilité des parties, traduction de M. Daremberg. Paris, 1856. t. il).—Les muscles antagonistes seraient donc, d’après Galien, seulement passifs, inactifs, pendant les mouvements physiologiques. Il ajoute, dans un autre pas- sage, que ces muscles n’interviennent activement et concurremment avec d'autres muscles que pour maintenir les positions fixes. (2) Mes expériences, qui démontrent le peu de fondement de la théorie du repos alternatif des muscles antagonistes pendant les mouvements volontaires, ont été exposées dans un travail intitulé : Orthopédie physiologique, ou déductions pratiques de recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les mouvement du pied (Bulletin thérapeutique, 1858). 582 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. est impossible de l’arrêter exactement en un point donné, s’il n’est pas retenu par une force opposée modératrice. Cette harmonie des muscles antagonistes, de laquelle dépendent la précision et la sûreté des mouvements, est affectée une des pre- mières dans l’ataxie locomotrice progressive. Est-elle troublée ou abolie, le sujet perd la faculté instinctive de régler la portée ou l’étendue de ses mouvements, bien que l’association des contrac- tions musculaires nécessaires à l’exercice des mouvements physiolo- giques se fasse encore normalement. C’est ainsi, par exemple, que l’on voit, dans cette désharmonie des muscles antagonistes, les ma- lades exagérer la plupart des mouvements de la marche, dont ce- pendant ils peuvent encore exécuter les différents temps. C’est sur- tout dans le second temps de la marche qu’ils lancent brusquement le membre inférieur en avant sans pouvoir le retenir, et dépassent ainsi la longueur du pas. Cette force de projection, qu'ils n’ont pas le pouvoir de maîtriser ou de modérer, leur donne une impulsion telle, qu’ils n’osent plus marcher vite ou courir, sans craindre de perdre l’équilibre ; ils se sentent, disent-ils, comme poussés par une force invisible. Des désordres analogues ont lieu dans les membres supérieurs. N’a-t-on pas vu, dans l’observation GXX1I, que le ma- lade, en portant le verre à ses lèvres et bien qu’il le suivît très attentivement du regard, avait la plus grande peine à ne pas le briser contre ses dents, parce que ses mouvements allaient au delà de sa volonté? Que l’on me permette, en passant, de tirer de ce qui précède la déduction physiologique suivante. Si l’existence de l’harmonie des antagonistes n’avait pas été démontrée par mes expériences anté- rieures, les faits pathologiques que je viens d’analyser suffiraient pour mettre en lumière cette fonction musculaire, pour ainsi dire latente à l’état normal. 2" Les contractions musculaires isolées ne sont pas dans la na- ture; elles ne s’obtiennent que par des moyens artificiels, la faradi sation localisée, par exemple. Lorsqu’on les observe, on sent que souvent elles engendreraient des difformités ou occasionneraient des accidents. D’autre part, les fonctions musculaires nécessitent un plus ou moins grand nombre de mouvements simultanés, qui individuelle- ment sont eux-mêmes la résultante de forces composantes. Ces contractions musculaires si complexes s’obtiennent cependant instinctivement et sans efforts; mais si l’ataxie locomotrice, après avoir détruit l’harmonie des muscles antagonistes, vient à s’aggra- ver, les muscles se désassortent, et alors le malade perd bientôt DIAGNOSTIC D1FFÉR.—PARALYSIE DELA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. la faculté de produire instinctivement les savantes combinaisons musculaires desquelles dépendent la station, la marche, l’usage de la main, etc. Les symptômes qui caractérisent cette dernière lésion de la coor- dination des mouvements (la désassociation des contractions mus- culaires) doivent être étudiés de nouveau avec soin, parce qu’ils ont une certaine ressemblance avec d’autres mouvements pathologi- ques. De même que pour l’étude de la désharmonie des muscles antagonistes, je ne saurais exposer clairement l’analyse de ces sym- ptômes, sans les comparer aux fonctions musculaires normales; il me faut conséquemment rappeler le mécanisme de ces dernières aussi brièvement que possible. D’ailleurs ces notions doivent tou- jours être présentes à l’esprit de l’obs.ervateur qui veut étudier l’ataxie locomotrice. Dans la marche normale, le membre inférieur, situé en arrière, exécute sa demi-oscillation d’arrière en avant, autour du centre de la cavité cotyloïde, non pas seulement à la manière d’un pendule et en vertu d’une force physique (la pesanteur), mais principale- ment par le fait de la contraction des muscles qui fléchissent la cuisse sur le bassin. Comme le membre ne pourrait osciller sous la cavité cotyloïde s’il était dans l’extension, ses trois segments (cuisse, jambe et pied) s’infléchissent les uns sur les autres sous l’influence de la contraction synergique des muscles qui opèrent ces mouve- ments, et non par la seule action du membre oscillant, considéré, d’après la théorie de MM. Weber frères, comme un pendule com- posé de trois segments de longueur différente. J’ai déjà combattu, dans un autre travail, la théorie de ces savants physiologistes, qui voudraient remplacer ici la vie par une force physique; je crois avoir prouvé alors que celte théorie se trouve en contradiction manifeste avec l’observation pathologique. Si elle avait été réellement fondée, nous ne verrions pas les malades atteints d’ataxie locomotrice exécuter, par le fait de la désassociation des contractions musculaires, les mouvements les plus désordonnés pendant le second temps de la marche, puisque, suivant eux, « les muscles tombent dans l'inaction pendant ce second temps w (1). (1) Eq 1836, ces deux célèbres physiologistes, à qui la science doit la décou- verte de faits nombreux qui jettent un grand jour sur le mécanisme de la marche et de la course, ont déduit de leurs expériences que le mouvement d’oscillation qui a lieu pendant la marche est produit par la seule force de la pesanteur. Cette expérience, on le sait, consiste à faire osciller, en l’écartant de la verticale et en l’abandonnant à lui-même, l’un des membres inférieurs d’un sujet vivant ou mort, que l’on a placé sur une base élevée, de manière que ce membre ne puisse Après ce temps de la marche (le deuxième), au moment où le membre achève sa demi-oscillation, le pied se pose à terre, en pro- cédant du talon aux orteils: alors se produisent les phénomènes qui constituent ce que l’on est convenu d’appeler le premier temps de la marche, pendant lequel le bassin , et conséquemment tout le membre inférieur opposé, déjà séparé du sol, sont poussés en avant, .le ne crois pas devoir décrire ici ces phénomènes, sur lesquels tout le monde est d’accord. ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. On sait que ces mouvements si complexes de la marche se font instinctivement, avec une précision admirable; mais, sitôt que l’ataxie locomotrice a désassocié les muscles qui concourent habi- tuellement et synergiquement à l’exécution des mouvements, la faculté instinctive ne suffit plus à la progression, l’attention doit être constamment tenue en éveil. Le malade alors ne peut plus, quoi qu’il fasse, même en s'aidant de la vue, exécuter régulièrement les diffé- rents temps de la marche. Tantôt, en effet, au lieu de poser son pied tranquillement et sûrement sur le sol, après le second temps de la marche, on le voit étendre la: jambe sur la cuisse avant que le rencontrer le sol pendant ses mouvements d’osciîlation. Elles sont longuement exposées dans te livre intitulé : Trailé de la mécanique des organes de la loco- motion, par MM. G. et E. Weber (Encyclopédie anatomique, traduction de l’al- lemand par A.-J.-L. Jourdan. Paris, 1843, t. II, liv. 3). c II y aurait, (disent ces expérimentateurs) perte de force musculaire, si le mouvement d’oscillation d’arrière en avant du membre inférieur suspendu au tronc avait été opéré par les muscles; car, les membres inférieurs étant, comme nous l’avons vu, unis au tronc d’une manière très mobile et pouvant osciller sur lui à la façon d’un pendule, la pesanteur suffit déjà seule pour faire avancer, par rapport au tronc, le membre inférieur resté en arrière, et suspendu au reste du corps ; pendant ce temps, les muscles tombent dans l’inaction. » Cette assertion de MM. Weber, à savoir, que les muscles tombent dans l’inaction pendant le second temps de la marche, est une pure hypothèse, comme je l’ai démontré; ces savants ne l’auraient jamais formulée, s’ils avaient fait subir à leurs expé- riences le contrôle de l’observation pathologique. Voici une des conclusions que j’ai déduites des faits pathologiques que j’ai pu- bliés eu 1833 {Union médicale, 1 3 et 15 septembre 1855): « Attribuer uniquement à l’action de la pesanteur, avec MM. Weber frères, et après eux avec la plupart des auteurs modernes, les mouvements d'oscillation et de flexion des différents segments du membre inférieur qui ont lieu pendant le second temps de la marche, c’est professer (une opinion en contradiction manifeste avec l’observation patho- logique. Voici les faits qui prouvent la vérité de cette assertion : » 1° Un homme qui est privé de l’action des muscles fléchisseurs de la cuisse sur le bassin veut-il accomplir les mouvements du second temps de la marche, il est forcé d’abord d’élever la hanche et l’épaule du côté correspondant, pour membre ait terminé son mouvement d’oscillation, et cela si brusquement, que tout son corps en est ébranlé; alors le pied retombe lourdement et avec bruit sur le sol. D’autres fois, quand il veut faire osciller un des membres inférieurs d’arrière en avant, il ne peut plus fléchir ses différents segments les uns sur les autres; au lieu des muscles fléchisseurs, ce sont les extenseurs de la jambe sur la cuisse qui répondent à son appel, en se contractant avec une grande énergie, de sorte que ce membre reste dans une complète extension en se portant en avant. S’il parvient à fléchir les trois segments du membre inférieur pour le faire osciller en avant, les muscles, qui cette fois lui ont obéi, se contractent d’une manière si exagérée, que le rhythrne de la marche eu est considérablement troublé, ou bien le membre inférieur est jeté irrégulièrement en dehors ou en dedans, ou oscille latéralement, au lieu de se mou- voir en avant, suivant la direction de la résultante des forces com- posantes qui, à l’état normal, fléchissent la cuisse sur le bassin. Comme, à ce degré de maladie, l’harmonie des antagonistes est complètement perdue, ces mouvements désordonnés sont exécutés DIAGNOSTIC D1FFÉR.— PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. détacher le pied du sol; puis il projette le membre inférieur en avant, eu impri- mant un mouvement de rotation au bassin sur le condyle opposé. Sans ce mou- vement de rotation, le membre inférieur, placé en arrière au moment où il est détaché du sol, n’oscille que lentement et faiblement, et s’arrête quand il est arrivé à la direction verticale ; l’action de la pesanteur ne peut le faire aller au delà, même quand le sujet a déjà fait un certain nombre de pas. Il suffit même que les muscles fléchisseurs de la cuisse soient affaiblis pour que le second temps de la marche ne puisse se faire sans un balancement plus ou moins grand du bassin. » 2° Si les muscles fléchisseurs de la jambe sur la cuisse ont perdu leur action, la flexion qui doit avoir lieu dans l’articulation du genou, avant que le pied se détache du sol, se fait difficilement et incomplètement, ce qui occasionne un retard dans la production du second temps de la marche. » 3° Enfin la flexion du pied sur la jambe, qui est un des mouvements essentiels du second temps de la marche, et dont l’étude a été trop négligée en physiologie, cette flexion, dis-je, vient-elle à se perdre ou à s’affaiblir, le membre ne peut plus osciller au-dessous du condyle, sans que la pointe du pied butte contre le sol ; de là la nécessité d’exagérer les mouvements de flexion de la cuisse pendant l’oscillation du membre inférieur, ce qui occasionne une sorte de claudication. » De l’ensemble des faits pathologiques précédents, on peut conclure que la contraction des muscles fléchisseurs de la cuisse sur le bassin, de la jambe sur la cuisse et du pied sur la jambe, est la cause productrice réelle des mouvements du membre inférieur, qui constituent le second temps de la marche, et que l’ac- tion de la pesanteur ne concourt que très faiblement à l’oscillation physiologique de ce membre. » 586 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. sans aucune modération; alors les membres, projetés avec force, brisent ou renversent les objets contre lesquels ils se heurtent. Enfin l’anarchie des mouvements en arrive au point que la marche est absolument impossible. La difficulté de rester dans la station sans osciller, ou l’impossi- bilité de se tenir debout, encore que le sujet regarde ses pieds, s’explique parfaitement par la perte de faculté instinctive, et même volontaire, d’associer ou d’équilibrer les forces qui main- tiennent dans l’extension et dans la ligne de gravité toutes les par- ties du corps qui ont une tendance à s’infléchir les unes sur les autres. Quelques mots seulement sur les troubles fonctionnels de la main. J’ai démontré, on le sait, que, dans la plupart des usages de la main, les premières phalanges s’étendent sur les métacarpiens, sous l’influence des muscles des extenseurs des doigts, pendant que les deux dernières phalanges s’infléchissent sur les premières, par la contraction synergique des fléchisseurs superficiel et profond, les mouvements opposés ayant lieu sous l’influence des interosseux et des lombricaux. On n’observe rien de semblable, lorsque l’ataxie générale locomotrice a envahi les membres supérieurs; rien n’est alors plus étrange que les mouvements des doigts. Le malade veut- il, en effet, saisir un objet, on voit ses doigts, les uns étendus et roides, les autres fléchis, s’agiter d’abord dans des directions diffé- rentes, puis converger avec peine vers cet objet, qu’ils saisissent difficilement. L’écartement des doigts étendus est encore curieux à observer : ce mouvement résulte de la contraction synergique des interosseux et des extenseurs des doigts ; les premiers produisent l’abduction ou l’adduction, et étendent les deux dernières phalanges sur les premières qu’ils abaissent en même temps, en sorte que, pour maintenir les doigts étendus sur les métacarpiens, les exten- seurs des doigts doivent se contracter synergiquement, de manière à neutraliser cet abaissement des premières phalanges. On voit combien sont complexes les combinaisons musculaires que l’on exécute ordinairement si facilement : aussi le malade atteint d’ataxie locomotrice les exécute-t-il de la manière la plus bizarre, quoiqu’il soit éclairé par la vue. Tout cela est vraiment difficile à décrire; je craindrais d’abuser du temps de mes lecteurs en ana- lysant les autres mouvements pathologiques du membre supé- rieur. 11 suffit, au reste, d’avoir bien observé une fois ces mouve- ments désordonnés, pour ne plus s’y tromper, et reconnaître, pour ainsi dire, à distance la maladie à laquelle ils appartiennent. DIAGNOSTIC D1FFÉR.— PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. 587 II. Troubles de la locomotion occasionnés par la paralysie de la sensibilité musculaire. — Revenons maintenant à la question de pa- thologie qui fait le sujet principal de ce sous-paragraphe : à l’étude des troubles de la locomotion occasionnés par la paralysie de la sensibilité musculaire, comparés à ceux de l’ataxie locomotrice. Les considérations physiologiques précédentes et celles que j’ai exposées en traitant de la paralysie de la sensibilité musculaire (chap. XII) abrègent, en l’éclairant, ce qui me reste à dire sur cette étude. Les sujets atteints de la paralysie de la sensibilité musculaire perdent en même temps, pour la plupart, la sensibilité tactile aux extrémités, surtout à la face plantaire du pied et à la face palmaire de la main ; ils ne peuvent, quand ils ne voient pas, marcher ou se tenir debout, parce qu’ils ne perçoivent pas la résistance du sol et qu’ils n’ont pas, selon Ch. Bell, le sentiment du muscle en action ; ils remplissent aussi mal les autres fonctions musculaires dans l’obscurité. Mais le jour, avec l’aide de la vue et avec une attention sou- tenue, les malades exécutent assez bien ces fonctions, et ils ne pré- sentent aucun de ces troubles de la coordination des mouvements qui caractérisent l’ataxie locomotrice, et que j’ai décrits dans le sous- paragraphe précédent. Les faits de ce genre sont très communs ; on les observe chez les sujets qui sont seulement anesthésiques, chez des hystériques, dans des affections rhumatismales, dans cer- taines névroses. J’en pourrais rapporter un grand nombre d’exem- ples choisis dans ma pratique et dans les faits que j’ai publiés; je me bornerai à emprunter à un mémoire de M. Landry un fait sem- blable aux précédents, et qui me paraît parfaitement et minutieu- sement observé, bien que l’auteur l’ait faussement interprété (1). Observation CXXXII. — « Salle Saint-François, n° 12 (Beaujon), B... (Alphonse), quarante et un ans, entré le 2 juillet 4 831, pour une paraplégie; analgésie et anesthésie incomplète. Aujourd’hui (20 novembre 1851), à la visite, ce malade dit à M. Sandras que, lorsqu’il essaye de marcher, dès qu’il ne voit plus ses pieds, il ne sait où il les pose et ne peut mesurer leurs mouvements, ce qui est manifeste pour toutes les personnes présentes. Averti par ses paroles, j’ai examiné de nouveau le malade, et constaté ce qui suit : Le malade ne regardant pas, je soulève l’un des mem- bres inférieurs, je l'incline à droite, à gauche ; je l’élève, je l’abaisse, soit en totalité, soit en partie. Il na absolument conscience d'aucun de ces mou- vements. (1) Recherches physiologiques et pathologiques sur les sensations tactiles (Ar- chives générales de médecine, juillet 1852). 588 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. » Je le fais marcher soutenu par deux personnes ; quand il regarde à ses pieds, il les pose assez facilement où il veut. Je le fais coucher, et je lui in- dique des points où je lui ordonne de porter le pied; il y arrive avec la plus grande précision, en regardant; au contraire, s3il cesse de voir aller ses jambes, le mouvement qu’il fait est bien dans le même sens, mais tellement démesuré, qu’il dépasse de fort loin le but proposé; et le malade dit très bien qu’il n’a pas conscience de l’ampleur du mouvement exécuté. L’élec- tricité détermine de violentes contractions; il a le sentiment de la douleur électrique sur les parties sensibles des membres inférieurs, mais non celui de la contraction musculaire. Il ne se doute nullement des mouvements étendus et très énergiques que l’électricité fait exécuter à son pied dans tous les sens. Si, lui ordonnant de résister, je fais effort pour fléchir le membre inférieur tendu, je n’y puis parvenir. De même, quand il est averti, il sup- porte sur la face antérieure de la jambe un poids très lourd, sans que le genou plie ; mais il n’apprécie ni l’énergie de mon effort, ni la valeur du poids. Si au contraire, lui faisant fermer les yeux, et sans le prévenir, je renouvelle les mêmes essais, le membre fléchit, et il n'a conscience ni de l’attouchement, ni du mouvement du membre, ni de l’effort que j’ai dé- ployé, ni de la pression d’un poids assez considérable (15 kilogrammes environ). Je dois dire ici que ce malade, appartenant à la classe moyenne de la société, d’un esprit cultivé, d’une intelligence très saine et développée, me rend parfaitement compte de tout ce qu’il éprouve, et que ses réponses très précises sont incapables d’induire en erreur. » Ce fait, l’un des trois cas de paralysie de la sensibilité musculaire rapportés dans le mémoire de M. Landry, est parfaitement identi- que, on le voit, à ceux publiés par Ch. Bell ; il est des plus concluants. Comparez-le maintenant aux cas d’ataxie dont j’ai exposé les ob- servations, et plus particulièrement à celui qui a été relaté dans l’ob- servation CXXII : vous remarquerez que le malade de M. Landry est complètement anesthésique; qu’il n’a absolument la conscience ’ d’aucun des mouvements qu’on imprime aux membres inférieurs s’il ne les voit pas ; que cependant, lorsqu’il marche et quil regarde à. ses pieds, il les pose assez facilement oit il veut, et que s’il est couché, et qu’on lui ordonne de porter les pieds dans certains points, il y ar- rive avec la plus grande précision en regardant. Mon malade, au contraire, n’est pas complètement anesthésique comme celui de M. 1 jandry ; on ne peut imprimer aucun mouvement à ses membres sans qu’il en ait la conscience, même en ne les regardant pas; il jouit, comme l’autre, de toute sa force musculaire. Cependant, s’il veut marcher, il ne peut coordonner ses mouvements, quoiqu'il voie bien ses pieds ; il jette alors ses membres dans tous les sens, de la DIAGNOSTIC DIKFÉR.—PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. manière la plus désordonnée, sans arriver à exécuter les différents temps de la marche, et, pour le maintenir dans la station, comme pour le faire marcher, il faut pour ainsi dire le porter. Ces désor- dres fonctionnels étaient évidemment produits par la désharmonie des antagonistes et par la désassociation des muscles qui président aux fonctions musculaires. Je conviens que dans les cas où les troubles de la coordination des mouvements et l’anesthésie musculaire existent simultanément (ce sont les cas les plus fréquents), l’erreur est possible, si l’analyse des symptômes morbides n’est pas faite avec une grande attention. Mais lorsque l’ataxiedes mouvements règne isolément, le diagnostic est, on le conçoit, des plus simples et des plus faciles. Ces cas ne me paraissaient pas fréquents, bien que, dans mon mémoire sur l’ataxie, j’eusse déclaré en avoir recueilli plusieurs. En mai 1860, j'en ai ob- servé un nouvel exemple avec MM. Trousseau et Déguisé père et fils. Observation CXXX11I. — Ataxie locomotrice à sa deuxième pé- riode, avec intégrité parfaite de la sensibilité musculaire et cutanée. — Première période caractérisée seulement par les douleurs ; pas de strabisme ni d’amaurose. — Obligé de me resserrer et craignant d’inquiéter le malade qui pourrait se reconnaître dans la relation de ce fait, je n’en exposerai pas les détails. Je dirai seulement qu’il est venu fort heureusement démontrer à M. le professeur Trous- seau la différence et l’indépendance complète des troubles de la lo- comotion dus à l’insensibilité musculaire d’avec les troubles fonc- tionnels occasionnés par la lésion de la faculté de coordonner les mouvements, et qui sont un des caractères principaux de l’ataxie locomotrice progressive. Nous avons constaté, en effet, que ce ma- lade percevait parfaitement le sol pendant la station et la marche ; que la plante de ses pieds était très sensible au simple chatouil- lement ou a la pression ou à la température; qu’aux jambes et aux cuisses, la peau et les muscles jouissaient également de leur sen- sibilité normale, et cependant la coordination des mouvements y était profondément lésée. Ainsi, le jour il ne pouvait se tenir debout sans osciller considérablement ; pendant la marche, il jetait les membres d’une manière désordonnée, sans pouvoir modérer ou régler son pas. Dans l’obscurité, ces troubles de la coordination étaient encore augmentés, car il lui était alors impossible de se tenir debout ou de marcher. (Ce fait offrait aussi un autre intérêt, car la vue du sujet n’avait pas encore été troublée par la diplopie ni par l’amaurose ; les douleurs fulgurantes et térébrantes étaient les seuls phénomènes initiaux qui se fussent mon très dans la première période.) 590 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. En voici encore un nouveau cas. Observation CXXXIY. — En septembre 1860, M. le docteur Walther, médecin en chef de l’hôpital de Dresde, m’a adressé le prince Z.._, qui, de- puis huit ans, est affecté d’une ataxie locomotrice, aujourd’hui généra- lisée. La station et la marche sont impossibles sans l’aide d’un bras, bien que la force des mouvements partiels soit normale. Le prince a perdu seu- lement la faculté de coordonner ses mouvements, car la sensibilité muscu- laire et cutanée des membres inférieurs est intacte. En somme, ces laits d’ataxie locomotrice progressive et ceux de paralysie de la sensibilité musculaire que j’ai exposés diffèrent essentiellement entre eux ; il faudrait vraiment fermer les yeux à la lumière pour ne pas les distinguer les uns des autres, aussi n’in- sisterai-je pas davantage. Aux membres supérieurs, la perte de la sensibilité musculaire occasionne des troubles fonctionnels qu’on ne saurait non plus con- fondre avec les désordres de l’ataxie locomotrice. J’ai déjà dit en effet (chapitre XII) : « Combien d’hystériques n’ai-je pas vues exé- cutant régulièrement leurs mouvements habituels pour les divers usages de la main, et dont je n’aurais pas soupçonné l’anesthésie si je n’avais pas interrogé directement l’état de leur sensibilité tac- tile et musculaire? Elles étaient seulement maladroites; elles lais- saient tomber les objets qu’elles tenaient entre leurs doigts, quand elles ne les regardaient pas, parce qu’elles avaient perdu la sensi- bilité tactile, ou bien elles les brisaient quand ils étaient fragiles, parce qu’elles avaient perdu le sentiment d’activité musculaire. » En résumé, il est démontré, par les faits et les considérations exposés dans ce paragraphe, que les troubles de la coordination des mouvements, observés dans l’ataxie locomotrice, et qui sont symptomatiques de la lésion d’une faculté psychique, ne sauraient être confondus avec les désordres fonctionnels produits uniquement par la paralysie de la sensibilité musculaire, décrite par Ch. Bell sous le nom de paralysie du sens musculaire, et qui n’est que l’in- dice d’une lésion de la sensibilité générale. B. — Kystes ou tumeurs du cervelet. Les kystes ou les tumeurs du cervelet peuvent occasionner dans la locomotion des désordres fonctionnels semblables à ceux que l’on observe dans les deuxième et troisième périodes de l’ataxie locomotrice progressive. Il importe donc de rechercher comment cette dernière espèce morbide se distingue des kystes et tumeurs du cervelet. DIAGNOSTIC D1FFÉR,—PARALYSIE DE LA SENSIBILITÉ MUSCULAIRE. 591 M. le professeur Bouillaud a le premier signalé les troubles fonc- tionnels produits par les tumeurs cérébelleuses. Il en a publié quelques cas dans un mémoire (1) où il s’était proposé de démontrer que l’observation pathologique concordait avec ses recherches ex- périmentales sur les fonctions du cervelet. Parmi les cas les plus récents de tumeurs cérébelleuses, je n’en connais pas d’aussi complet et d’aussi bien observé que celui qui a été communiqué à la Société médicale des hôpitaux de Paris par M. Hérard, médecin de l’hôpital Lariboisière (2). J’en reproduirai textuellement l’observation dans tous ses détails, en raison de son importance. Observation CXXXV. — Le nommé Pierre Bourgoin, âgé de cinquante- cinq ans, marchand de vins, d’un tempérament sanguin et d’une forte con- stitution, a toujours joui d’une excellente santé. Parmi les causes possibles de sa maladie, on ne trouve gère à signaler que l’usage quelquefois immo- déré du vin, et la suppression d’hémorrhoïdes anciennes par l’emploi fré- quent de lotions alcooliques. Le début de l'affection a été lent et sa marche progressive. Sa femme, de qui je tiens tous les détails antérieurs à son admission dans nos salles, m’a raconté que, dès le mois de mai 1859, elle avait remarqué un change- ment notable dans le caractère de son mari, qui, jusque-là doux et affectueux, était devenu violent, emporté, indifférent pour les personnes et les choses qu’il aimait le mieux auparavant. Dès cette époque, la mémoire commençait à s’af- faiblir. Au mois de juillet, survint une céphalalgie extrêmement vive, con- tinue, quelquefois intolérable, dont le siège resta constamment fixé à la partie frontale supérieure droite. Un mois plus tard, Bourgoin accusait une grande difficulté à se tenir en équilibre sur les jambes; sa marche était chancelante, incertaine; et bien des fois sa femme, en le voyant rentrer au logis dans un état de titubation pro- noncée, le crut complètement ivre. Ce défaut d'équilibration dans la pro- gression devint si marqué dans le mois de septembre, qu’on n’osait plus le laisser sortir seul, dans la crainte qu'il ne lui arrivât quelque accident. Sa force musculaire était cependant conservée, et l’on aura une idée de son (1) Recherches expérimentales et cliniques tendantes à réfuter l’opinion de Gall sur les fonctions du cervelet {Arch. gén. deméd., 1838). Voyez aussi : Des signes propres à faire distinguer les hémorrhagies cérébelleuses des hémorrhagies céré- brales; considérations de physiologie pathologique, leçons professées par M. le professeur J. Bouillaud et recueillies par M. le docteur A. Voisin. Paris, 1839 (Union médicale). (2) Union médicale, 4 août 1860. 592 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. énergie, si j’ajoute qu’un jour, vers ia fin do septembre, ayant trompé la surveillance de sa femme, il alla à pied de l'bôtel de ville à Yincennes. » Aux symptômes précédents s'ajoutèrent, à celle époque, des vomissements incessants, et une toux continuelle accompagnée d’une expectoration muqueuse abondante. Ces deux phénomènes durèrent sans interruption pendant plus d'un mois, et cessèrent spontanément au bout de ce laps de temps. » Depuis le 1 5 octobre, la station debout était devenue si difficile, que Bour- goin s’était résigné à garder le lit. Il remuait très bien les deux membres supérieurs, saisissait avec force les objets, frappait violemment du poing dans ses moments d’humeur et d’emportement, mais il lui était impossible de combiner des mouvements un peu compliqués, et c'est ainsi qu’il ne pouvait porter une cuiller à la bouche, et qu’ou était obligé de lui donnera manger comme à un enfant. Dans les derniers jours d’octobre, le médecin lui ayant conseillé de quitter le lit, Bourgoin put encore descendre un petit escalier, appuyé sur le bras de sa femme, et fit avec elle, dans Paris, une promenade à pied d’environ une demi-heure. Amené à l'hôpital, il monta lui-même les escaliers, avec l’aide d’une seule personne. » Entré à l’hôpital Lariboisière (salle Saint-Landry, n° 28), le 2 no- vembre 1 859. Examen le 3 novembre et les jours suivants : La physio- nomie du malade ne trahit aucune souffrance. Loin de là, l’expression est tout à fait naturelle et pleine de bonhomie. Le visage est légèrement injecté ; les traits de la face ne présentent aucune déviation ; sur lè front à droite, on aperçoit les traces de vésicatoires volants, appliqués pour combattre la douleur dont il se plaint depuis le mois de juillet. Celle dou- leur, ainsi que nous sommes à même de le constater, se manifeste surtout dans les mouvements du malade, et particulièrement lorsqu'il se redresse dans son lit, pour prendre la position assise. A ce moment, la douleur éclate dans la région frontale droite, avec une telle intensité, que tous ses traits se con- tractent et qu’il lui est impossible de contenir l’expression de ses vives souf- frances. En l’absence de tout mouvement, la céphalalgie peut se montrer encore, mais elle est bien moins aiguë. Le malade répond avec vivacité a la plupart des questions qui lui sont adressées. Cependant quelques-unes de ses réponses sont erronées ou incohérentes. La mémoire parait surtout singulièrement diminuée. C’est ainsi que, le lendemain de son entrée à l'hô- pital, il nous soutient qu’il est dans notre service depuis quinze jours. Du reste, pas d'agitation, pas de délire. Il n existe aucune apparence de para- lysie aux membres supérieurs et inférieurs. Les deux mains serrent avec une égale force; il lève les deux bras en l’air et les maintient dans cette posi- tion aussi longtemps qu’on le désire. Je lui ordonne de fléchir l’avant-bras sur le bras, et je m’efforce d’étendre l’avant-bras, en lui recommandant de lésister à mes efforts de traction. 11 contracte avec tant de vigueur les muscles du bras, qu’il m’est impossible de vaincre leur résistance; j'en DIAGNOSTIC DIFFÉR, —PARALYSIE DE LA SENS1RILITÉ MUSCULAIRE. conclus que la force musculaire est parfaitement conservée. Je fais la même constatation sur les muscles de l’avant-bras et de la main. Aux extrémités inférieures, mômes tentatives, mêmes résultats. Les deux cuisses fléchies sur le ventre, les deux jambes fléchies sur les cuisses ne peuvent qu’à grand’peine être ramenées dans l’extension. Le malade soulève les deux membres inférieurs, et les maintient avec une facilité à une certaine hau- teur, pendant un temps assez long. » Mais, maintenant, vient-on à faire lever le malade et à lui enjoindre de marcher, on voit alors un individu chancelant, incapable de se maintenir dans la slalion verticale et de faire quelques pas, s’il n’est soutenu par deux per- sonnes ; dans celle condition, ilpeutmqrcher, mais la fatigue arrive prompte- ment. Pour ce qui est des membres supérieurs, nous constatons que bien que les muscles aient, ainsi que nous l'avons dit, conservé toute leur puis- sance contractile, quoique le malade, d’un autre côté, réclame quelques ali- ments, il ne peut se servir de sa main droite pour porter une cuiller à la bouche, et l’on est obligé de lui présenter la nourriture comme à un enfant. Du reste, pas de crampes dans les membres, pas de secousses convulsives, pas d’engourdissement ni de fourmillements, pas d’anesthésie, pas d'hyperes- thésie, mais sensibilité normale de la peau des membres parfaitement con- servée. Les mouvements de la langue sont libres et les mots bien articulés. La déglutition est facile ; il n’y a plus de vomissements; mais la constipa- tion persiste ; toutefois le malade sent le besoin d’aller à la garderobe, demande le bassin, et perçoit le passage des matières excrétées ; les urines sont rendues sans difficulté; il n’y a ni érections, ni éjaculation sperma- tique involontaire. Absence de fièvre. Il n’y a plus de toux, plus d’expec- toration. Les battements du cœur sont normaux. » Le traitement a consisté en ventouses à la nuque, purgatifs, vésica- toires, et un peu plus lard sélon à la nuque. a Nous ne remarquâmes aucune amélioration dans l’état du malade pen- dant les deux semaines qui suivirent son entrée à l'hôpital, si ce n’est peut- être que la douleur frontale devint un peu moins vive et ne se manifesta plus chaque fois qu’il se redressait sur son séant. Tous les autres symptômes persistèrent, s’aggravèrent même. L’intelligence alla graduellement s’obs- curcissant. Nous le trouvions, à la visite, souvent endormi, et au lieu de sa conversation vive, enjouée, il ne nous répondait plus que par brefs mo- nosyllabes, et retombait promptement dans son assoupissement. A cette époque, il recommença à tousser et expectora des crachats épais, qui bientôt devinrent brunâtres et manifestement sanguinolents. Les selles et les urines, très fétides, furent rendues involontairement. Un seul vomisse- ment eut lieu. Dans les premiers jours de décembre, Bourgoin tomba dans une sorte de coma dont on pouvait cependant encore le tirer par instants, et il expira le 31 décembre au matin. Jusqu’au dernier moment, nous con- 'DUCHKNNE. ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. slatons l’absence de paralysie dans Vun ou l'autre des membres supérieurs ou inférieurs, et la conservation de la sensibilité. » Autopsie après vingt-quatre heures. — Température très froide. — Les vaisseaux des méninges sont fortement congestionnés, et à l’ouver- ture de la boîte crânienne, il s’échappe une notable quantité de sang. Le cerveau a sa consistance normale. Toutes ses parties constituantes sont examinées avec le plus grand soin et ne présentent aucune lésion. L’hémi- sphère droit du cervelet paraît plus volumineux que celui du côté gauche ; la face supérieure surtout fait une saillie très évidente. Le vermis superior est légèrement dévié à gauche. Au niveau de la voussure indiquée plus haut, le doigt perçoit une fluctuation manifeste. Une incision pratiquée dans ce point donne issue à un liquide jaune citrin, dans lequel nagent quelques flocons blanchâtres. Le liquide, dont laquanlité peut être évaluéeà'iO grammes, est contenu dans une cavité creusée au centre de Vhémisphère et tapissée d’une sorte de kyste membraneux légèrement arborisé. A la partie externe de ce kyste se trouve une petite masse rougeâtre de la grosseur d'un pois, dont la nature (caillot sanguin ou fongus hématode) n’a pu être exactement déter- minée. Le liquide, examiné au microscope, contenait quelques globules sanguins, il ne renfermait pas d’échinocoque, et il était coagulable par l'acide nitrique. Ce kyste séreux, avons-nous dit, était creusé au centre de l’hémisphère, dont il avait détruit la plus grande partie. 11 ne restait plus de la matière cérébelleuse qu'une épaisseur d’environ 2 à 3 millimètres à la face supérieure, et 3 à 4 millimètres à la face inférieure. — Les poumons étaient fortement congestionnés, et présentaient une apoplexie sanguine à l’état d’infiltration et de noyaux. — Le foie et la rate étaient hypérémiés, mous et friables. — Les reins étaient également le siège d'une congestion très prononcée. On voyait à leur surface plusieurs petits kystes séreux, et d’autres contenant une matière noire hématique. — Les autres organes étaient sains. » En résumé, un changement de caractère (en mai 1859), qui devient irascible, et un affaiblissement de la mémoire, signalent le début de la maladie. Un mois à un mois et demi après (en juillet) survient à droite une douleur frontale vive, quelquefois intolérable, continue, augmentant par le mouvement, et qui a persisté Jusqu’à la mort de ce sujet. Un peu plus tard encore (en août) apparaissent des vomis- sements continus, qui après quelques semaines cessent tout à coup spontanément, et en même temps que ces vomissements on observe des troubles de la coordination dans les membres inférieurs, trou- bles qui s’aggravent progressivement et se généralisent au point que bientôt (le 15 octobre suivant) la difficulté de l’équilibration force le malade à garder le lit, et qu’il porte les aliments à la bouche avec une grande maladresse. Ces troubles de la coordination con- trastaient avec la force des mouvements partiels et de la sensibilité cutanée et musculaire. Enfin huit mois après le début (en décembre 1859), le malade est mort dans cet état à l’hôpital de Lariboisière, où l’autopsie a révélé l’existence d’un kyste considérable au centre de l’hémisphère droit du cervelet. DIAGNOSTIC DIFFÉR. - PARALYSIE GÉNÉRALE DES ALIÉNÉS. On voit donc qu’il existe une grande ressemblance entre les trou- bles fonctionnels de la locomotion produits par un kyste du cer- velet et ceux que l’on observe dans l’ataxie locomotrice progressive. Mais heureusement l’ensemble des autres phénomènes qui consti- tuent cette dernière espèce morbide, et qui manquent dans l’autre affection, suffît pour les distinguer l’une de l’autre. Dans celle-ci en effet (dans le kyste cérébelleux), point de paralysie des nerfs mo- teurs de l’œil, point d’amaurose, point de ces douleurs caractéris- tiques (fulgurantes et térébrantes, erratiques) dans les membres, tous phénomènes qui apparaissent ordinairement dans la première période de l’ataxie locomotrice progressive, quelquefois plus tardé vement, il est vrai, mais qui ne manquent jamais. Et puis je ne con- nais aucun cas d’ataxie locomotrice progressive dans lequel l’anes- thésie cutanée et musculaire des extrémités inférieures ne soit pas venu s’ajouter tôt ou tard aux troubles de la locomotion , comme on l’a observé dans le cas de kyste cérébelleux ci-dessus. Pour compléter le diagnostic différentiel en question, j’ajouterai qu’il est des phénomènes symptomatiques du kyste cérébelleux qui n’existent pas dans l’ataxie locomotrice progressive, comme je vais le faire remarquer. 1° Les vomissements continus et opiniâtres, sym- ptomatiques de toute tumeur, kyste ou hémorrhagie du cervelet (phénomène symptomatique mis en lumière par les recherches de M. Hilairet), manquent complètement dans l’ataxie locomotrice. 2° Je n’ai jamais observé dans l’ataxie locomotrice progressive, ni les douleurs frontales fixes, des plus vives, augmentant par le mou- vement, produites par le kyste cérébelleux, ni l’affaiblissement de la mémoire, ni le changement de caractère (caractère plus irascible), symptômes morbides signalés dans l’observation du kyste cérébel- leux recueillie parM. Hérard. C. — Paralysie générale des aliénés. Les troubles de la locomotion que l’on observe dans l’affection mentale connue sous le nom de paralysie générale des aliénés doi- vent-ils réellement être considérés comme un symptôme de para- lysie de la motilité? Cela ne me paraît pas contestable ; car, dès la 596 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. deuxième période, la force musculaire est déjà diminuée notable- ment, et se perd progressivement, au point d’être complètement abolie dans la troisième période. Pendant cette diminution gra- duelle de la force musculaire, on observe des rémissions fréquentes. Le diagnostic différentiel de la paralysie générale des aliénés à ses deux dernières périodes, et de l’ataxie locomotrice, ne saurait être douteux, puisque la force est toujours normale dans cette der- nière affection. La faiblesse musculaire n’apparaît donc pas encore à la première période de la paralysie générale des aliénés; les sujets, au con- traire, déploient alors une grande force dans tous leurs mouve- ments. Il existe seulement, à des degrés divers, avec plus ou moins de constance et de variations, et avec des rémissions, un tremble- ment qui, en général, constitue le premier symptôme de la ma- ladie, et qui apparaît à la fois dans les membres, dans les lèvres et dans la langue. Le tremblement des membres supérieurs n’a aucune similitude avec les troubles de la locomotion propres à l’ataxie locomotrice; il occasionne seulement de la gêne, de la maladresse, dans les usages manuels. Si donc les troubles de la locomotion que l’on observe dans la première période du délire paralytique se montraient tou- jours aux membres supérieurs, on saurait les distinguer, à coup sûr, de l’ataxie locomotrice, surtout quand il s’y joint un trem- blement des lèvres, de la langue, et une hésitation de la pa- role, phénomènes morbides qui n’existent pas dans la dernière affection. Mais il est aujourd’hui parfaitement établi, depuis les recherches de M. Baillarger, que, dans la paralysie générale des aliénés, le cer- veau frappe parfois primitivement les membres inférieurs, et qu’alors les désordres de la locomotion restent ainsi localisés pen- dant un temps plus ou moins long. Or ce n’est plus alors un léger tremblement semblable à celui des membres supérieurs. « Le nom de tremblement (dit M. Lasègue, qui, dans une excellente thèse, a étudié les symptômes physiques de la paralysie générale des aliénés d’une manière plus approfondie que ses devanciers) s’applique moins bien à l’état des jambes ; le malade peut souvent conserver son immobilité dans la station, bien que déjà la marche ait pris un caractère spécial ; le paralytique lance sa jambe plus qu’il ne la dirige ; la marche s’exécute par une série de mouvements sac- cadés, d’où résulte une progression toujours rapide (1). « On voit (1) De la paralysie générale progressive, thèse de concours pour l’agrégation en médecine, 1853, p. 14. DIAGNOSTIC DIFFÉR. — PARALYSIE GÉNÉRALE DES ALIÉNÉS. que flans ces conditions, les troubles intellectuels étant encore latents, les désordres de la locomotion propres à cette maladie men- tale peuvent être, jusqu’à un certain point, confondus avec ceux de l’ataxie locomotrice à sa deuxième période, quand le strabisme amaurolique et les douleurs caractéristiques de cette dernière ma- ladie ont fait défaut. Dans ces deux affections, en effet, les malades ne possèdent plus la faculté de mesurer la portée de leurs mouve- ments pendant la marche, à cause de la perte de ce que j’ai appelé précédemment harmonie des muscles antagonistes ; de là cette projec- tion folle de la jambe en avant pendant la progression, qu’ils ne savent plus modérer ou ralentir. Malgré la similitude de leurs mouvements pathologiques, il est encore facile de différencier ces deux affections. Dans la paralysie générale des aliénés, en effet, contrairement à ce que l’on observe dans l’ataxie locomotrice, les sujets possèdent toujours la science instinctive des combinaisons musculaires, en vertu desquelles ils exécutent parfaitement les mouvements spéciaux des différents temps de la marche, bien qu’ils les exagèrent en partie ; ils cessent de marcher seulement par le fait de la paralysie. En somme, on peut, à toutes les périodes, établir le diagnostic différentiel de l’ataxie locomotrice et de la paralysie générale des aliénés, rien qu’en s’appuyant sur les troubles de la locomotion. Dans l’étude du diagnostic que je viens d’exposer, je me suis placé dans des conditions exceptionnelles pour ces deux affections: ainsi nous avons supposé que l’ataxie locomotrice était arrivée à sa deuxième période, sans présenter les symptômes qui caractérisent sa première période. Mais celte maladie, poursuivant sa marche habituelle, est-elle escortée de strabisme ou d’amaurose, ou de ces deux paralysies partielles à la fois, de ses douleurs caractéristiques, toute confusion devient alors impossible. Le strabisme n’appartient pas, en effet, à la symptomatologie de la paralysie générale des aliénés : <' il est remarquable, dit M. La- sègue, qu’à la période du début, et lors même que des affections cérébrales graves ont précédé, il n’existe aucun trouble dans la mo- bilité des yeux (1). » On peut en dire autant de l’amaurose. L’inégalité des pupilles, que l’on observe fréquemment dans la paralysie générale des aliénés, n’est point ici un signe diagnostique différentiel ; car ce phénomène, auquel M. Baillarger accorde une importance peut-être trop grande, se voit aussi quelquefois dans l’ataxie locomotrice. (4) Loc, cit,, p. 46. 598 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. Les douleurs caractéristiques de celle-ci manquent toujours dans la première. Quant à l’anesthésie des extrémités, indiquée par M. de Crozant comme appartenant à la première période de la paralysie générale des aliénés, je me contenterai de dire, d’après un grand nombre d’observateurs, que le plus souvent la sensibilité reste intacte, tandis qu’elle est toujours plus ou moins altérée dans la dernière période de l’ataxie locomotrice. D. — Paralysie générale spinale et paraplégie. L’affaiblissement musculaire ou l’absence des mouvements vo- lontaires, caractères communs à la paralysie générale spinale et à la paraplégie, qu’elle dépende ou non de la lésion de la moelle, sont des signes suffisants pour distinguer ces affections de l’ataxie locomotrice où la force musculaire est normale. La lésion de l’irri- tabilité et de la nutrition, caractère propre à la paralysie générale et à la paraplégie spinales, ne fait que s’ajouter aux signes distinc- tifs précédents. La paraplégie spinale ne frappe pas toujours tous les muscles des membres inférieurs; alors certains mouvements seulement sont affectés partiellement; la marche est encore possible, mais elle en éprouve des troubles dont j’ai fait une étude spéciale ailleurs, et que j’ai rappelée précédemment, en résumé, dans une note (p. 585). Ces mouvements pathologiques pourraient être facilement confondus avec ceux qui sont produits par les troubles de la coordination, s’ils n’étaient pas analysés avec soin. C’est pour avoir méconnu la cause ou le mécanisme de ces mou- vements pathologiques, occasionnés, dans certaines paraplégies incomplètes, par la paralysie partielle de quelques mouvements, qu’on a pu les confondre quelquefois avec les troubles de la coor- dination des mouvements, produits par la lésion de la faculté psy- chique. E. — Paralysie saturnine. J’ai démontré que, dans la paralysie saturnine locale ou généra- lisée, certains muscles perdent, à des degrés divers, leur contracti- lité électro-musculaire, tandis qu’il existe une sorte d’immunité pour les autres muscles. Ces caractères ont certainement une grande valeur au point de vue du diagnostic différentiel. De même que toutes les autres paralysies, la paralysie saturnine se distingue de l’ataxie locomotrice par l’affaiblissement ou par l’absence de cer- DIAGNOSTIC D1FFÉR. — ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE. tains mouvements volontaires. Indépendamment donc des signes tirés de l’état de l’irritabilité électro-musculaire, ce dernier signe diagnostique différentiel est ici suffisant. F. — Atrophie musculaire graisseuse progressive. L’atrophie musculaire graisseuse progressive débute presque tou- jours par les membres supérieurs, et habituellement par les muscles de la main. On pourrait donc la confondre avec l’ataxie locomotrice, lorsque celle-ci se montre primitivement aux membres supérieurs. Cette erreur est d’autant plus facile à commettre, que l’atrophie musculaire graisseuse est quelquefois, comme dans l’autre affection, compliquée de douleurs, d’anesthésie de la main, et que l’atrophie d’un plus ou moins grand nombre de muscles occasionne une per- turbation singulière dans les mouvements physiologiques de la main, perturbation qui varie, on le conçoit, selon que tel ou tel muscle vient à faire défaut dans la synergie musculaire. Mais, avec un peu d’attention, l’erreur ne saurait être de longue durée. Je ne décrirai pas ici les nombreuses variétés de mouvements pathologiques pro- pres à l’atrophie de tel ou tel muscle. Il n’existe certainement au- cune ressemblance entre les mouvements désordonnés de l’ataxie musculaire et entre ces mouvements pathologiques, qui, malgré l’absence de certains muscles, se font tous sagement et posément, dans lesquels on retrouve tous les mouvements partiels propres à chacun des muscles, et qui ne sont pas dans la nature. D’ailleurs l’attitude des doigts seule trahit l’atrophie musculaire, quand la main est au repos. En effet, un interosseux est-il atrophié, le doigt auquel il est destiné prend la forme d’une griffe; les muscles de l’éminence thénar sont-ils atteints, le pouce a la même attitude que chez le singe. Je n’insiste pas sur ces détails, que l’on trouvera dans mes recherches antérieures. Or on ne voit rien de semblable dans l’ataxie locomotrice: la main conserve toujours, au repos, son atti- tude normale. On sait aussi que l’atrophie musculaire change la forme des membres de la manière la plus bizarre; que les dépressions occa- sionnées par les atrophies partielles font un contraste frappant avec les saillies qui accusent l’intégrité des muscles voisins. Dans l’ataxie locomotrice, au contraire, la nutrition musculaire n’est pas altérée, et conséquemment la forme reste normale, bien qu’à la longue ces derniers puissent être plus ou moins amaigris. On trouve encore dans l’exploration électro-musculaire un signe diagnostique différentiel. Â toutes les périodes de l’ataxie locomo- 600 trice, les muscles répondent parfaitement à l’excitation électrique, tandis que dans l’atrophie, les muscles graisseux ont évidemment perdu leur excitabilité. Je dirai enfin, pour compléter cette étude de diagnostic différentiel, que la paralysie des nerfs de l’œil (le strabisme et l’amaurose) ne s’observe pas dans l’atrophie musculaire comme dans l’ataxie locomotrice progressive. ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. G. —Quelques autres affections musculaires que l’on pourrait confondre avec l’ataxie locomotrice progressive. Les maladies caractérisées par le tremblement ou par l’agitation des membres (tremblement alcoolique, mercuriel, paralysis agi- tons, tremulans), ou par des spasmes cloniques (chorée, folie mus- culaire de M. Bouillaud), ou enfin par des contractures quelconques (crampes des écrivains, petite chorée), se distinguent facilement de l’ataxie locomotrice. Tout récemment encore j’ai eu l’occasion d’observer, dans le ser- vice de M. le professeur Trousseau, un certain nombre de sujets affectés de tremblements de diverses espèces. Ces malades exécu- taient leurs mouvements avec des tremblements ou des agitations à des degrés divers; mais aucun d’eux n’avait perdu la science instinctive des combinaisons musculaires, en vertu de laquelle a lieu la locomotion : nous avons constaté, par exemple, qu’ils accom- plissaient parfaitement tous les temps de la marche, malgré une agitation et un tremblement extrêmes qui imprimaient à la pro- gression une vitesse assez difficile à modérer. Il arrive quelquefois, dans l’ataxie locomotrice, que le malade est plus ou moins agité, quand il veut rester un instant dans la sta- tion, sans prendre un point d’appui. Alors le corps oscille d’abord lentement en tous sens et surtout d’avant en arrière ; puis, si le sujet persiste à conserver cette attitude, ces mouvements oscillatoires de- viennent progressivement plus étendus et plus rapides, et choréi- formes. Dès qu’il s’assied, tout rentre dans l’ordre. On peut être trompé, au premier abord, par ce phénomène et croire un instant à l’existence d’une de ces affections appelées ou même chorée ; mais il est facile de voir que ces mouvements oscillatoires ne sont rien autre chose que des efforts pour maintenir l’équilibration perdue par le fait de la lésion de la coordination des mouvements. Le malade, en un mot, est comparable, jusqu’à un certain point, à un individu qui, sans balancier, se maintiendrait difficilement en équilibre sur une corde tendue.. D’ailleurs la chorée se distingue principalement par des spasmes cloniques qui ont lieu même au repos musculaire, excepté pendant le sommeil. DIAGNOSTIC DIFFÉR.—QUELQUES AUTRES AFFECTIONS MUSCULAIRES. Une erreur de diagnostic, que je commis un jour au sujet d’une crampe apparente des écrivains, peut servir ici d’enseignement. Observation CXXXYI. — M. X..., employé d’une maison de commerce, éprouvait depuis plusieurs années, pour écrire, une difficulté qui avait aug- menté graduellement, au point qu’il en était arrivé à ne pouvoir faire que sa signature et d’une manière illisible. Il plaçait assez difficilement la plume entre ses doigts, et s’il voulait écrire, ses doigts se roidissaient et se refusaient absolument à sa volonté, ou laissaient tomber la plume et exécu- taient des mouvements singuliers ; il éprouvait souvent des douleurs dans les membres supérieurs. Je ne poussai pas plus loin mon examen, que je crus suffisant, et qui, je l’avoue, fut fait, je ne sais avec quelles préoccupa- tions ; je diagnostiquai alors l’affection dite crampe des écrivains (I). A quelques jours de là, lorsqu’il vint me revoir, je fus frappé d’une différence légère dans l’élévation de ses paupières. Il m’apprit alors, pour la première fois, que six à huit mois avant d’éprouver de la gêne en écrivant, il avait été atteint d’une maladie qu’on avait appelée paralysie de la troisième paire, qu’il avait vu double et qu’il en avait été guéri. 11 n’était plus, en effet, diplopique depuis longtemps, et il ne restait qu’un peu de faiblesse dans l’élévation de la paupière supérieure et du droit supérieur du globe oculaire. Ce renseignement un peu tardif fut pour moi comme un trait de lumière, et après un examen plus attentif, je constatai que ce strabisme avait été accompagné de douleurs siégeant dans la partie postérieure de la tête et d’éblouissements ;; que des douleurs fulgurantes caractéristiques, décrites précédemment, s’étaient fait sentir peu après dans les membres supérieurs. Puis, étaient survenus des fourmillements avec engourdissement dans les quatre premiers doigts, surtout à droite ; la sensibilité était obtuse et les mouvements des doigts étaient extrêmement gênés, non-seulement pour écrire, mais aussi pour tous les usages manuels. Alors, analysant chacun des mouvements du membre supérieur, je constatai l’existence des troubles fonctionnels, dus uniquement à la perte de la coordination des mouvements. Enfin je vis que la maladie était entrée dans sa troisième période, depuis un an à peu près (le malade ne pouvait préciser exactement). Bien que la sensibilité des membres inférieurs et de la plante des pieds fût normale, il ne pouvait, pendant la marche un peu rapide, modérer ses (I) Cette maladie peut siéger dans toutes les régions, atteint toutes les pro- fessions, est provoquée par l’abus d’une action musculaire spéciale ; c’est une contracture fonctionnelle et quelquefois une paralysie partielle, qui apparaît tem- porairement et seulement pendant l’exercice d’une fonction musculaire. C’est ce que je démontrerai bientôt. 602 mouvements (il existait une désharmonie des antagonistes) ; il n'osait plus courir, ni même marcher un peu vile, parce qu’il était comme poussé par une force invisible et qu’il se sentait bondir. Il craignait alors de tomber en avant, surtout quand il pressait son pas ; enfin je dois noter ici un phénomène curieux et important, au point de vue du siège physio- logique de la lésion centrale, phénomène que plusieurs malades m’ont spontanément révélé, et que j’aurais observé peut-être plus souvent chez les autres, si je les avais interrogés dans cette direction : il arrivait souvent à ce malade de ne pouvoir marcher droit devant lui. ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. Les troubles fonctionnels de la main eussent-ils même existé iso- lément chez notre malade, que la plus légère attention aurait dû me faire éviter l’erreur de diagnostic commise primitivement chez lui. En effet : 1° dans la crampe des écrivains, l’action d’écrire est seule troublée, et les fonctions musculaires restent intactes pour tous les autres usages de la main ; 2° il n’existe aucune ressemblance entre les phénomènes morbides musculaires qui caractérisent la crampe des écrivains et ceux qui sont propres à l’ataxie locomo- trice. Dans le premier cas, en effet, c’est un spasme et presque tou- jours le même qui est localisé dans tel ou tel des muscles moteurs des doigts de la main ou de l’avant-bras et même de l’épaule; dans le second, ce sont des mouvements désordonnés en tous sens, sur- tout des doigts, sans contractures, pendant toute espèce de mouve- ments volontaires de la main. On va voir ici l’influence d’une préoccupation. L’idée de crampe des écrivains m’était donnée, de prime abord, par le malade, qui se plaignait seulement de ne plus pouvoir écrire. 11 n’avait pas songé à me parler de son strabisme, ni de sa diplopie déjà ancienne, parce que, disait-il, il en était guéri depuis longtemps; il ne se plaignait pas des phénomènes étranges qu’il éprouvait de temps à autre dans la marche, parce que cela ne le préoccupait pas, et qu’il ne dési- rait qu’une chose: la possibilité d’écrire, pour l’exercice de son état. Sans une espèce de hasard, qui fixa mon regard sur l’attitude de ses paupières, si ce malade m’avait échappé après la première consultation, la terrible maladie dont il est atteint, l’ataxie locomo- trice progressive, aurait été probablement longtemps encore mé- connue. H. —Affections musculaires coïncidentes. Lorsqu’une affection musculaire vient à coïncider avec l’ataxie locomo- trice progressive, les symptômes appartenant à l'une et à l’autre maladie jettent, en se mêlant, de la confusion.sur le diagnostic. On peut cepen- DIAGNOSTIC DIFFÉR. — AFFECTIONS MUSCULAIRES COÏNCIDENTES. dant, par l’analyse de ces symptômes, et surtout en possédant les notions exposées dans le chapitre XY, consacré à l’étude de l’atrophie musculaire graisseuse, reconnaître encore facilement l’ataxie locomotrice. Le fait suivant, que j’ai observé dans le service de M. le profes- seur Trousseau, en est un exemple remarquable; il a été recueilli par mon ami M. le docteur Foucart, qui, en le publiant, l’a fait suivre de réflexions judicieuses (1). .le reproduis textuellement cette curieuse observation. Observation CXXXVII. — « Alaxie locomotrice progressive coïncidant avec l'atrophie musculaire graisseuse progressive. — Potard, âgé de trente-neuf ans, sergent de ville, marié, est entré, le 27 septembre 1858, à l’Hôtel-Dieu, salle Sainte-Agnès, n° 11 bis. Il n’a jamais eu de rhuma- tisme. Il a joui autrefois d’une très bonne santé, et passait même parmi ses camarades pour être robuste, bien que ses membres aient toujours été d’une gracilité remarquable. La singulière affection dont il souffre actuel- lement remontait, suivant lui, à dix-huit ou vingt mois. Il parle d’un coup violent appliqué sur la nuque comme ayant pu occasionner sa maladie ; mais, comme celle-ci n’éclata que très longtemps après, il est probable que la violence en question n’y a été pour rien. » Il y a vingt mois environ, il fut atteint de diplopie avec sensation de gravier dans les yeux; strabisme externe ou divergent de l’œil droit et chute de la paupière correspondante : accidents qui ne disparurent que pour envahir, dans le même ordre, l’œil du côté opposé. Il guérit au bout de quatre semaines par l’emploi simultané d’un séton au cou, de l’électri- cité et de bains de vapeurs pris tous les deux jours. » L’organe de la vision était à peine débarrassé, que l’attention du ma- lade fut appelée vers ses pieds, devenus, ainsi que le bas des jambes, le siège d’un froid intense et d’engourdissements qui gênaient beaucoup la marche. A peu près dans le même temps, les doigts annulaire et auricu- laire de chaque main commencèrent à s’engourdir, leurs phalanges ne jouaient plus avec autant de facilité les unes sur les autres, et une sorte de rigidité semblait s’être emparée de ces extrémités. A la face dorsale de la main gauche, au niveau des parties molles, un creux s’était formé entre les deux premiers métacarpiens ; cette vue effraya Potard. Il consulta un mé- decin, qui lui prescrivit un purgatif. » A quelques jours de là, il eut une rétention d’urine, et fut pris, dit-il, d’une grande faiblesse dans les jambes. Obligé d’interrompre son service, il passa dix-huit jours chez lui. Depuis lors, sa maladie alla toujours en em- (1) Voyez France médicale et pharmaceutique, 9 octobre 1838. 604 pirant, et il arriva un moment où l’atrophie de ses muscles, qui ne s’est faite que lentement, le força à entrer à l'hôpital. ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. » État actuel. — L’état général du malade, sauf un peu de tendance à la constipation, est excellent; il mange, boit et dort bien ; toutes les fonc- tions de la vie organique, en un mot, s'accomplissent chez lui aussi régu- lièrement que possible. Son habitude extérieure est loin cependant d’an- noncer une santé aussi florissante, car Potard est bien maigre de tout le corps. En outre, certaines régions, celles, par exemple, où la substance musculaire a subi une plus grande déperdition, étant plus aplaties et plus rentrées que les autres, il en résulte entre les parties un défaut d'har- monie qui ne laisse pas que d’être assez grotesque. Voici les muscles qui manquent ou plutôt qui sont en voie d’atrophie. » Les sterno-mastoïdiens sont affaiblis. Le malade a perdu l'action du grand dentelé, à gauche, et lorsque le sujet étend le bras en avant, l’omo- plate s’écarte du tronc, en forme d’aile, d'une façon caractéristique. Le tiers interne du deltoïde, du même côté, est en train de s’atrophier ; les muscles sous-épineux et pectoraux, également en voie d’atrophie. Il en est de même des intercostaux. Le diaphragme est sain ; lorsque le malade, couché sur le dos, respire fortement, le thorax reste immobile, et la respi- ration se fait par le diaphragme ; les parois abdominales s’élèvent et s’abais- sent à chaque mouvement respiratoire. Le malade a perdu le cubital posté- rieur de chaque côté ; il a conservé les interosseux de la main droite, tandis que ceux de la main gauche sont presque entièrement perdus. L’adducteur du pouce manque des deux côtés. Dans l’éminence thénar, à gauche, il ne reste plus que le court fléchisseur. Mais, comme nous venons de le dire, il en reste encore quelques fibres, et aucun de ces muscles n’ayant disparu en totalité, tous sont susceptibles d'exécuter encore quelques mouvements. Seulement ces mouvements manquent de coordination: les doigts, par exemple, vont à l’aventure et obéissent maladroitement à la volonté. Ils marchent encore, mais comme s'ils étaient ivres. Quoi qu’il en soit, ces muscles atrophiés sont le siège de contractions fibrillaires et, qu’on nous passe le mot, de palpitations, d’ondulations très évidentes. » Le malade dit éprouver aussi, de temps à autre, des crampes, des soubresauts dans les tendons, et même de véritables douleurs qui aug- mentent surtout d’intensité dans les parties atrophiées, et répondent, retentissent, pour la plupart, dans l’épigastre. Enfin ce malade dit être très sensible au froid, principalement au creux de l’estomac et au bas des jambes. » Pour compléter l’examen, nous avons voulu le voir debout : la station est impossible, et c’est à grand'peine qu’il peut rester quelques instants dans cette position, soutenu par deux personnes vigoureuses. On essaye de le faire marcher : il jette ses jambes en avant et de côté de la manière la plus désordonnée, et ce n’est qu’avec la plus grande difficulté que ses deux soutiens peuvent l'empêcher de tomber. DIAGNOSTIC DIFFÉR. — AFFECTIONS MUSCULAIRES COÏNCIDENTES » Une fois replacé dans son lit, il reste parfaitement immobile, et sans être agité de ces mouvements continuels qui existent chez les choréiques, même à l'état de repos. Assis sur son séant dans son lit, il tient la tête for- tement penchée en avant, preuve que les muscles de la nuque sont égale- ment détruits ou en voie de destruction. » Tel était l’état du malade lorsque M. le professeur Trousseau eut l’obligeance de signalera mon attention ce cas remarquable d’atro- phie musculaire graisseuse progressive. A la vue de ses mains en forme de griffe, des sillons qui creusaient les espaces interosseux de ces mains, des dépressions nombreuses qui remplaçaient les saillies musculaires normales, aux éminences thénar, aux épaules, à l’avant- bras, sur le tronc, je reconnus tout de suite le faciès de l’atrophie musculaire graisseuse; mais comme aux mouvements pathologiques dus au défaut d’action des muscles atrophiés s’ajoutaient des mou- vements désordonnés qu’il ne pouvait maîtriser, ce que je n’avais jamais observé dans cette maladie, je soupçonnai l’existence d’une ataxie locomotrice coïncidente. L’examen des mouvements des membres inférieurs, qui n’avaient pas été envahis par l’atrophie, confirma bientôt mon soupçon. Ces mouvements étaient en effet des plus désordonnés, et bien que la force de ces mouvements partiels fût considérable (les mouvements partiels des trois segments des membres inférieurs étaient tellement forts, que je ne pouvais ni les fléchir ni les étendre contre la volonté du malade), il était ce- pendant incapable de se tenir debout sans être soutenu par deux aides, et s’il voulait marcher, il projetait ses membres dans tous les sens de la manière la plus bizarre. Pour compléter ce tableau de l’ataxie locomotrice, il nous fallait retrouver les phénomènes de la première période, c’est-à-dire le strabisme amaurolique et les dou- leurs caractéristiques. Le malade, interrogé dans cette direction, nous apprit alors que son affection avait débuté par une diplopie (il ne restait plus chez lui la moindre apparence de strabisme), et qu’en même temps il avait ressenti dans les membres des douleurs téré- brantes et fulgurantes qui revenaient par crises, qui avaient augmenté progressivement, et dont il souffrait toujours. (Ce fait important, sur lequel j’ai plusieurs fois interrogé le malade avec soin, a échappé à M. Foucart, qui, dans son observation, dit seulement que de temps à autre il éprouvait des crampes.) L’état général de notre malade était resté satisfaisant pendant son séjour de quelques mois à l’hôpital, lorsque, sans cause connue, il 606 ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. fut enlevé tout à coup par des accidents ultimes, comme cela s’observe habituellement dans l’ataxie locomotrice progressive. La veille de sa mort, il a voulu se faire transporter chez lui, de sorte que cette autopsie a été malheureusement perdue pour la science. Quelques jours avant sa mort, j’avais encore constaté l’intégrité de la force de ses mouvements partiels. Pour ne pas donner trop d’extension à mon travail déjà bien long, je ne rapporte pas les autres cas d’affections musculaires associées à l’ataxie locomotrice, que j’ai eu l’occasion d’observer. Ainsi j’ai vu l’hémiplégie par hémorrhagie cérébrale, la paralysie générale des aliénés, marcher de pair avec l’ataxie locomotrice, l’une ayant pré- cédé l’autre, et vice verso.. Ce sont ces faits de coïncidence excep- tionnels, mal diagnostiqués, qui de temps à autre donnent nais- sance à des descriptions étranges qui, embrouillant les questions les plus claires et les mieux établies, font reculer ainsi la patho- logie ou en arrêtent les progrès. ARTICLE IV. CAUSES, SIÈGE, TRAITEMENT, CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES. § I. — Causes. L’ataxie locomotrice progressive a débuté, en général, chez les sujets dont j’ai recueilli les observations, à l'âge de dix-huit à qua- rante-deux ans. Dans trois cas, les malades appartenaient au sexe féminin, .le n’en conclurai pas, d’une manière absolue, que l’ataxie locomotrice est une maladie de l’adulte, et qu’elle s’attaque surtout à l’homme, parce que je sais que ces faits ont besoin d’être con- firmés par le temps ou par de plus nombreuses observations. Cepen- dant, pour donner plus de valeur à la conclusion que l’on peut, à la rigueur, déduire de mes faits, j’ajouterai que ceux que j’ai ob- servés en dehors de ceux que j’ai recueillis concordent avec ces der- niers. (N’ai-je pas dit déjà que j’ai rédigé seulement les faits ob- servés dans ces dernières aimées, parce que je savais mieux les dia- gnostiquer, mais qu’aujourd’hui mes souvenirs me rappellent que les cas d’ataxie locomotrice antérieurs leur étaient parfaitement semblables ?) Rien ne me paraît plus difficile à déterminer que les causes de l’ataxie locomotrice; à cet égard, il ne peut vraiment exister de cer- titude. 11 est bien entendu qu’il n’est ici question que des faits que j’ai observés. Malgré le soin extrême que j’ai mis à étudier les an- técédents des malades, je n’ai pu, dans quelques cas (j’en citerais six au besoin), entrevoir la moindre cause prédisposante ou déter- minante CAUSES. 607 Voici maintenant les causes auxquelles, à la rigueur, on pour- rait, d’après mes faits, attribuer l’existence de l’ataxie locomo- trice. Chez une jeune fille âgée de dix-huit ans (son observation n’a pas été rapportée), un onanisme effréné parait être la seule cause de la maladie; mais c’est le seul cas de ce genre, à moins que l’on ne considère comme cause ordinaire de l’ataxie locomotrice les rapports sexuels plus ou moins réitérés auxquels se livrent la plu- part des hommes. S’il en était ainsi, cette maladie serait bien fré- quente ! Quelques malades accusent des refroidissements subits ou trop prolongés, des suppressions de transpiration. Ainsi, par exemple, c’est un chasseur au marais, qui souvent est resté longtemps les pieds ou les jambes dans l’eau. Les premiers phénomènes de cette maladie se sont montrés, une fois, après un bain de siège froid trop prolongé, et une autre fois (chez un glacier), à la suite d’une suppression de transpiration pendant qu’il préparait ses glaces. En vérité, peut-on déduire, de ces quelques faits rares, que l’ataxie est produite ici par une cause rhumatismale? 11 en est de même des autres causes auxquelles on peut quelquefois rattacher la ma- ladie. Quelques sujets (j’en ai rapporté des exemples dans le cours de mon travail) ont subi l’infection syphilitique constitutionnelle; c’était la seule cause rationnelle ou apparente de i’ataxie locomo- trice, mais elle n’était rien moins que certaine, car en dehors des caractères propres à la syphilis, à ses différentes périodes, l’ataxie locomotrice ne présentait, dans ces cas, aucun symptôme nouveau ou spécial. Quelquefois, il est vrai, les douleurs propres à cette maladie s’exaspéraient la nuit ou se faisaient sentir le plus ordinai- rement la nuit ; mais c’est ce que l’on observe également lorsqu’il n’existe pas de cause syphilitique. La médication spécifique, pres- crite ordinairement alors, aurait pu du moins servir de pierre de touche. Hélas ! on a vu, dans les cas que j’ai relatés, qu’elle n’a paru exercer aucune influence favorable sur la marche de la maladie. En somme, les diverses causes qui, parmi les faits que j’ai ob- servés, paraissent avoir exercé quelque influence sur i’ataxie loco- motrice, ont si peu de rapport entre elles, qu’elles ne me paraissent jeter aucune lumière sur l’étiologie de cette maladie. 608 ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. § H. — Siège- Les phénomènes qui apparaissent aux diverses périodes de l’ataxie locomotrice progressive sont-ils symptomatiques de la lésion ana- tomique d’un point quelconque des centres nerveux? Je ne suis pas encore en mesure de traiter complètement cette question d’anatomie pathologique. J’ai déclaré, on se le rappelle, que les laits qui for- ment la base de ce travail sont tous tirés de ma pratique civile et de ma polyclinique. On conçoit que dans de telles conditions, l’examen nécroscopique est difficile, sinon impossible. Cette ques- tion d’anatomie pathologique, que je n’ai pas voulu étudier dans nos hôpitaux avant la publication de mes recherches purement clini- ques, doit donc être réservée jusqu’à ce que j’aie réuni un assez grand nombre de faits. Elle ne peut tarder à être résolue ou élu- cidée par de nouvelles recherches, car l’ataxie locomotrice est, hélas ! une trop fréquente affection musculaire. Je dirai cependant que j’ai assisté récemment à l’autopsie d’un sujet qui depuis deux ans était atteint de cette maladie. Je ne don- nerai ici que le résumé de cette observation, qui sera publiée avec détail en temps opportun. Observation CXXXVIIÏ. —Demay (Victor), artiste peintre, demeurant à Paris, Faubourg-Montmartre, n° 8, âgé de vingt-huit ans, est venu me consulter en mai 1858. J’ai constaté alors chez lui les symptômes de l’alaxie locomotrice arrivée au commencement de sa troisième période : paralysie double, mais incomplète, de la sixième paire ; douleurs térébrantes et fulgu- rantes caractéristiques, revenant surtout la nuit ; intégrité de la force musculaire contrastant avec la perte complète de la coordination des mou- vements des membres inférieurs, ce qui rendait la station et la marche im- possibles, même quand il s’aidait de la vue ; fourmillements et engourdisse- ments des deux derniers doigts de chaque main, datant seulement de quelques mois; sensibilité considérablement diminuée à la plante des pieds et aux jambes; contractilité électro-musculaire intacte (je ne note pas ici les autres symptômes, qui sont d’un intérêt secondaire). L’ataxie locomotrice datait de deux ans, et avait suivi sa marche progressive habituelle. La cause apparente était une affection syphilitique contractée en 1849, et qui avait été traitée par le protoiodure de mercure , par des bains de su- blimé, etc. Je conseillai à ce malade d’entrer à la Charité, où il succomba en 1858, dans le service de M. Nonat, à une affection intercurrente. L'encéphale cl la moelle épinière, examinés avec le plus grand soin, n’ont présenté aucune lésion anatomique appréciable à l'œil nu. Me réservant, ainsi que je l’ai dit, de revenir dans un autre tra- vail sur l’anatomie pathologique de l’ataxie locomotrice progressive, je ne tirerai aucune conclusion de ce fait isolé. S’il était confirmé par un nombre suffisant d’autres faits bien observés, il prouverait donc qu’à l’œil nu, l’ataxie locomotrice progressive, semblable en cela à bien d’autres affections, ne laisse après elle aucune altéra- tion anatomique appréciable des centres nerveux. Il est à regretter que l’examen microscopique des centres nerveux n’ait pas été fait. SIEGE. 609 Quoi qu’il en soit, en s’éclairant seulement des données four- nies par la physiologie, et en raisonnant par induction, on ne saurait méconnaître que les principaux symptômes de l’ataxie loco- motrice décèlent un travail morbide quelconque, appréciable ou non après la mort, hypérémique peut-être, d’un point circonscrit de l’un des centres nerveux. La coordination des mouvements, faculté psychique composée, ainsi que je crois l’avoir démontré dans ce chapitre, de l’harmonie des muscles antagonistes et de la science des combinaisons muscu- laires instinctives, est profondément affectée dans l’ataxie locomo- trice.Ce trouble fonctionnel est nécessairement produit par une lésion, soit anatomique, soit dynamique, du point nerveux central où siège cette faculté. C’est le cervelet qui, depuis les belles recherches de M. Flourens (1), est considéré comme le coordinateur des mouve- ments (2). M. le professeur Bouillaud, qui a répété et varié les expé- riences du savant physiologiste, a exposé avec plus de détail les phénomènes qui se produisent chez les animaux dont il a cautérisé le cervelet. Ces phénomènes, comme on va le voir, ont une grande ressemblance avec ceux de l’ataxie locomotrice. « Les seuls phéno- mènes constants, et en quelque sorte pathognomoniques, qui nous frappent dans ces expériences, sont les lésions, les désordres des fonctions locomotrices et de Y équilibration. Ces phénomènes sont d’autant plus remarquables, qu’ils ne sont accompagnés ni de paralysie, ni de convulsions proprement dites. En effet, nous avons vu que les animaux privés de leurs facultés d’équilibra- tion et de progression jouissent du pouvoir de fléchir, d’étendre, de remuer dans tous les sens les différents membres, et que le plus ordinairement même ces mouvements s’exécutent avec une vitesse et une fougue extraordinaires ; d’où il suit que l’on (1) Recherches sur les fonctions et les propriétés du système nerveux dans les animaux vertébrés, 2' édition, Paris, .1842, iu-8. (2) Recherches cliniques propres à démontrer que le sens du langage articulé et le principe coordonnateur des mouvements de la parole résident dans les lobules antérieurs du cerveau. Paris, 1848, iu-8. DüCHENNKi 610 doit admettre dans le cervelet l’existence d’une force qui préside à l’association des mouvements dont se composent les divers actes de la locomotion et de la station, force essentiellement distincte de celle qui régit les mouvements simples du tronc et des membres, bien qu’il existe entre elles deux les connexions les plus intimes (1) . » AtAXlE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. Cette description ne rappelle-t-elle pas celle des troubles de la locomotion propres à l’ataxie locomotrice? On sait en effet que nos malades qui avaient perdu la faculté de coordonner leurs mouve- ments au point de ne pouvoir ni marcher ni se tenir dans la station, exécutaient cependant tous les mouvements partiels facilement et avec une force extraordinaire. Plus loin, M. Bouillaud, précisant plus exactement les limites du pouvoir coordinateur du cervelet, ajoute : « M. Flourens paraît » s’être écarté de la vérité, en avançant que le cervelet était le coor- » dinateur de tous les mouvements dits volontaires. Jusqu’ici les » expériences ne nous autorisent qu’à regarder cet organe comme » le centre nerveux qui donne aux animaux vertébrés la faculté de » se maintenir en équilibre et d’exercer les divers actes de la loco- » motion. Je crois d’ailleurs avoir prouvé, dans un autre mémoire, » que le cerveau coordonnait certains mouvements, ceux de la pa- » rôle en particulier, plus merveilleux encore que ceux' dont il s’agit » ici. » Ici encore les expériences de M. Bouillaud concordent avec mes observations. Les faits d’ataxie locomotrice que j’ai observés démontrent en effet que la faculté de coordonner les mouvements des membres est parfaitement indépendante de la faculté du lan- gage, puisque chez tous nos malades la parole a été conservée intacte. Le strabisme amblyopique et amaurotique, ou l’amaurose seule, sont une des complications ordinaires de l’ataxie locomotrice. Ces mêmes phénomènes se sont également produits dans les expériences de M. Bouillaud Voici l’explication qu’il en donne, et qui s’applique parfaitement à l’ataxie locomotrice: « Comme les tubercules qua- » drijumeaux (lobes optiques des oiseaux) sont, dit-il, contigns au » cervelet, il n’est pas rare qu’ils soient lésés en même temps que » lui, ou que l’irritation de celui-ci se communique à eux, et dès » lors on observe des troubles dans la vision et des dérangements » dans les mouvements des yeux. De là aussi cet état singulier des » yeux que j’ai observé souvent et qu’il est difficile de définir (2), » Il dit aussi que les facultés intellectuelles n’éprouvent aucune altération directe par suite de ces lésions. C’est également ce que l’on observe dans l’ataxie locomotrice. (1) Loc. cit. (2) Loc. cil. Les douleurs térébrantes el fulgurantes de l’ataxie locomotrice s’expriment par la lésion des pédoncules cérébelleux supérieurs ou inférieurs. Ces organes, on le sait, deviennent très excitables sous l’influence d’un travail inflammatoire, et alors les sensations dou- loureuses semblent venir de la périphérie. SIÈGE, 611 Plusieurs malades atteints d’ataxie locomotrice ont accusé des symptômes qui décelaient un travail morbide qui s’étendait au pé- doncule moyen du cervelet. Je regrette d’avoir oublié de signaler ce phénomène important dans l’étude des symptômes. Que l’on me permette donc de revenir, quoiqu’un peu tardivement, sur ce phé- nomène dont je vais rapporter un exemple en résumé. Observation CXXXIX. — Garcin, âgé de quarante-deux arts, mar- chand ambulant, demeurant à Paris, rue Bellefonds, 36. En 1840, affection syphilitique (chancre induré, syphilis) traitée par le sublimé, par M. Devergie. En 1 850, diplopie avec affaiblissement de la vue, qui existe encore au- jourd’hui (il est atteint d’une paralysie double de la sixième paire). Vers la même époque, douleurs térébrantes et fulgurantes dans les mem- bres, revenant par crises, et qui ont augmenté progressivement jusqu’à ce jour. En 1854, station fatigante, marche vacillante, incertaine et difficile à modérer, quand elle est plus rapide. Ces troubles de la locomotion sont restés stationnaires. Mais, depuis le commencement de 1858, il lui arrive fréquemment de ne pouvoir marcher en ligne droite ; il est alors poussé irrésistiblement toujours à gauche. Ainsi, s’il longe le côté droit d’une rue, il ne peut s'empêcher d’appuyer à gauche, et arrive bientôt obliquement au côté gauche de celte rue. Ce phénomène dure plusieurs minutes et se re- produit de temps à autre. La physiologie nous apprend que cette tendance éprouvée sou- vent par notre malade à dévier à gauche, et quelquefois à tourner sur lui-même, ne peut être causée que par un état pathologique de l’un ou de l’autre de ces pédoncules cérébelleux moyens. Quel doit être, dans ce cas, le pédoncule lésé? Les divergences d’opinion qui existent sur ce point entre les physiologistes ne me permettent pas d’émettre ici une opinion. En résumé, suivant l’ordre d’apparition et de progression habi- tuelles des symptômes qui appartiennent aux trois périodes de l’alaxie locomotrice progressive, le travail morbide central qui pro- duit les phénomènes symptomatiques de cette maladie commence, en général, par les nerfs moteurs de l’œil et par les tubercules qua- 612 ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. drijumeaux, et de là s’étend aux pédoncules cérébelleux supérieurs ou inférieurs, et enfin au cervelet (1). Après ces considérations, il serait superflu de discuter si l’ataxie locomotrice progressive doit être considérée comme une affection périphérique. § III. -— Traitement. J’ai voulu seulement exposer dans ce chapitre les recherches pathologiques que j’ai faites sur l’ataxie locomotrice progressive ; en conséquence, je me serais abstenu de parler du traitement de cette maladie, si je n’avais craint de laisser mes lecteurs sous la triste impression des histoires vraiment désespérantes que j’ai relatées. On a vu en effet que les sujets dont j’ai recueilli les observations, appartenant pour la plupart à une classe riche ou aisée, ont été soi- gnés dès le début de leur maladie ; que presque tous ont consulté ce qu’ils appellent les princes de la science, et que cependant la maladie n’en a pas moins progressé et parcouru toutes ses périodes, n’éprouvant quelquefois que des améliorations passagères sous l’in- fluence de nouvelles médications. On peut en conclure, ainsi que je l’ai fait, que l’ataxie locomotrice est une affection des plus graves ; mais cela ne veut pas dire qu’elle soit incurable ou que la théra- (1) Les expériences de MM. Flourens, Magendie, Bouillaud, etc., sur les fonc- tions du cervelet, ont été répétées des milliers de fois et par un grand nombre de physiologistes. Cependant, s’il faut en croire un expérimentateur habile et infa- tigable, M. Brown-Séquard, qui a déjà révolutionné une partie de la physiologie des centres nerveux, le cervelet ne serait pas l’organe de la faculté de la coordi- nation; ce qu’il s’engage à nous démontrer prochainement, ainsi qu’il le dit dans les lignes suivantes: « Nous démontrerons ailleurs que le cervelet n’étant ni le siège de la volonté ou du sensorium, ni le lieu du passage des conducteurs pour la sensibilité et le mouvement, ni l’organe d’une prétendue faculté de coordina- tion, etc. » {Journal de la physiologie de l’homme et des animaux, p. 535). M. Brown-Séquard, qui a eu l’obligeance de nie donner quelques explications verbales sur ce sujet, m’a déclaré qu’il ne met pas en doute l’existence d’une faculté d’équilibration, comme on pourrait le croire d’après la mauvaise construc- tion de la phrase que je viens de citer, mais qu’il conteste au cervelet la faculté de présider à la coordination des mouvements. Ses expériences lui auraient démontré que le siège de cette faculté existe seulement dans un point de la partie postérieure de la protubérance, ce qu’il a du reste enseigné dans des leçons faites à Londres et publiées dans le journal The Lancel. Que la faculté de coordonner les mouvements siège dans le cervelet ou dans un point de la protubérance, — ce que l’avenir décidera, — ces organes n’en sont pas moins conligus aux autres organes dont la lésion rend, comme on vient de le voir, parfaitement raison des ntttres symptômes de l’ataîie locomotrice. peutiquc n’exerce sur elle aucune influence favorable. Si en effet l’on considère que, dans tous ces cas, le diagnostic a été mal établi (l’étude de l’ataxie locomotrice étant encore à faire), on comprendra que le traitement a dû s’en ressentir. En effet, dans le principe, la maladie n’était considérée que comme une affection locale de l’œil (strabisme ou amaurose), et, si les douleurs apparaissaient seules, on la traitait comme une affection rhumatismale ou comme une névrose. Dès que les membres inférieurs étaient atteints, les trou- bles de la raotilité étaient confondus avec ceux de la paraplégie caractérisée par un affaiblissement ou par la perte de la force mus- culaire dans les membres inférieurs ; alors toute la médication était déduite de l’hypothèse d’une lésion de la partie inférieure de la moelle. Lorsque enfin la maladie s’était généralisée, c’était en- core la lésion de la moelle qui était mise en cause ; on l’appelait paralysie spinale ascendante, et le traitement, bien qu’un peu modifié, restait au fond le même, c’est-à-dire qu’on agissait sur toute la longueur du racbis, au lieu de s’en tenir à sa moitié infé- rieure. J’ai retrouvé sur le dos de mes malades, dans toute l’étendue du rachis, les traces ou les cicatrices de ventouses scarifiées, de vé- sicatoires, de moxas, de cautères longtemps entretenus; ces traces attestaient les erreurs de diagnostic qui avaient été commises, et expliquaient jusqu’à un certain point l’insuccès de cette médication, efficace ordinairement dans les lésions réelles de la moelle épinière qui produisent des paralysies vraies, c’est-à-dire, caractérisées par l’affaiblissement ou par la perte de la force et de l’irritabilité mus- culaires. TRAITEMENT. 613 J’ai démontré que l’ataxie locomotrice peut toujours être diagnos- tiquée, même à une époque assez voisine de son début. 11 sera donc plus facile d’apprécier la valeur des différentes médications qu’on peut lui opposer. Il m’est permis d’espérer, si j’en juge du moins par les faits que j’ai observés, que reconnue et traitée à temps, cette terrible maladie cédera ou se montrera moins rebelle à une théra- peutique rationnelle. L’ataxie locomotrice est une des affections musculaires pour les- quelles les malades et souvent aussi les médecins réclament tôt ou tard l’intervention de l’électrisation (1), soit contre les paralysies des nerfs moteurs de l’œil ou contre les douleurs qui appartiennent à la (1) C’est pour cette raison que j’en ai vu affluer en aussi grand nombre dans mon cabinet; c’est aussi ce qui m’a permis de décrire cette espèce morbide. Depuis la publication de mon mémoire (depuis quatre mois), j’en ai observé vingt nouveaux cas à différentes périodes. ATAX1E LOCOMOTRICE PKOGKESSIVE. première période, soit contre les troubles de la locomotion des deux dernières périodes. Je ne saurais formuler une opinion bien arrêtée sur la valeur de la faradisation appliquée au traitement de celte affection, car mes recherches sur ce point ne sont pas encore suffisantes. Toutefois les faits que j’ai recueillis me portent à penser que la faradisation est un des meilleurs agents modificateurs qui, à un certain moment de l’ataxie musculaire progressive, puissent amé- liorer l’état des malades. J’ai été fréquemment appelé à agir contre les paralysies locales de l’oeil et contre les douleurs propres à la première période de l’ataxie. Les paralysies de l’œil, les diplopies rebelles aux traitements anté- rieurs, ont pour la plupart guéri par la faradisation des muscles pa- ralysés ou par la galvanisation à courant intermittent ; le fait d’une guérison d’une diplopie rebelle, rapporté dans l’observation X, n’en est-il pas un exemple bien remarquable? J’ai vu aussi pendant la première période de la maladie les douleurs de l’ataxie diminuer immédiatement, ou disparaître temporairement sous l’influence de la faradisation cutanée. A une période plus avancée de la maladie, l’excitation faradique ne m’a pas paru modifier aussi favorablement les paralysies des nerfs moteurs du globe oculaire et les douleurs. Cependant je conseillerai d’essayer encore cet agent modificateur, qui produit quelquefois une amélioration notable. J’ai vu souvent diminuer, par la faradisation cutanée, l’anesthésie cutanée et musculaire, qui à une période avancée de l’ataxie locomotrice, vient aggraver les troubles de la coordination des mouvements. Il en résulte une grande amélio- ration dans la locomotion. J’ai appliqué sans aucun résultat les courants continus dans cette même affection. Mais je ne veux rien conclure encore d’une expéri- mentation que je reconnais insuffisante. Est-il besoin de dire que la faradisation incontestablement utile pour combattre certains symptômes de l’ataxie locomotrice ne peut constituer le fond du traitement. N’avons-nous pas vu en effet cer- tains symptômes (la diplopie par exemple) guérir par ce traitement, et cependant la maladie marcher quand même et parcourir toutes ses périodes. J’en dirai autant de l’hydrothérapie, que j’ai toujours vue amé- liorer l’état des malades. J’ai fait prescrire quelquefois ce traitement avec la faradisation. Ces deux traitements bien associés produisent de bons effets ; mais administrés simultanément, ils fatiguent et surexcitent les malades. Une médication interne doit évidemment former la base du trai- tement de l’ataxie locomotrice. Lorsque l’on constate chez le malade l’existence d’une vérole constitutionnelle, ou que l’on retrouve dans son histoire des antécédents syphilitiques, l’emploi des prépa- rations mercurielles, seules ou associées à l’iodure de potassium, ou de ce dernier médicament isolé, est formellement indiqué. Il est bien entendu que le choix de ces divers médicaments est subor- donné à la période des accidents (secondaires ou tertiaires) de l’af- fection syphilitique, existant chez le malade. TRAITEMENT. 615 Mais à quelle médication interne doit-on soumettre un sujet chez lequel l’ataxie locomotrice ne peut être rapportée à une cause syphi- litique ? L’iodure de potassium administré avec persévérance, à une dose modérée et appropriée a la tolérance du sujet, me semble être jusqu’à présent Je meilleur médicament que l’on puisse opposer à la marche de cette affection. Cette médication a d’autant plus de chances de succès qu’elle est administrée à une époque plus voisine du début de la maladie. Il résulte même des faits que j’ai recueillis, que son action thérapeu- tique est nulle à une période avancée de la maladie. Le plus grand nombre des sujets dont j’ai recueilli les observations n’avaient com- mencé à faire usage de l’iodure de potassium qu’après que les trou- bles de la locomotion s’étaient déclarés depuis plus ou moins de temps. C’était déjà un peu tard, sinon trop tard. Si dans ces cas on avait su reconnaître les phénomènes initiaux (la diplopie amblyo- pique ou amaurotique, et les douleurs spéciales) qui précèdent le début d’une maladie qui menace de marcher et de se terminer d’une manière fatale, on n’eùt pas attendu autant pour faire intervenir très activement et d’une manière continue cette médication interne. Tant qu’à moi, dès que j’ai diagnostiqué l’existence de l’ataxie locomotrice progressive à sa première période, je prescris l’usage des préparations iodurées (protoiodure de mercure, iodure de potas- sium, suivant les cas), en même temps que j’attaque localement, s’il y a lieu, les désordres symptomatiques delà maladie par la faradi- sation. Lorsque la médication locale et périphérique triomphe du symptôme morbide, je ne m’endors pas dans une fausse sécurité, et je n’en continue pas moins et pendant longtemps cette médication interne. Tels sont les principes qui me dirigent dans le traitement de l’ataxie locomotrice. Mais je me garderai bien de conclure d’une expérimentation qui ne date que de deux ans. Découvrira-t-on une médication meilleure que celle que je viens d’exposer, un spécifique de l’ataxie locomotrice progressive ? Il faut 616 ATAXIE LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. bien l’espérer. Mais à ceux qui voudraient se livrer à ces expériences thérapeutiques, je leur rappellerai ce précepte capital ; Principiis obsta, précepte dont je m’estime heureux d’avoir facilité l’application en posant les bases du diagnostic sûr de la première période de cette redoutable maladie. § IV, — Quelques considérations historiques. Contrairement à l’usage consacré, je n’ai fait précéder ce travail sur l’ataxie locomotrice d’aucunes considérations historiques ; j’en dois l’explication à mes lecteurs. Lorsqu’on veut se livrer à l’observation des phénomènes de la na- ture indépendamment de toute influence étrangère, il faut bien se garder de se remplir l’esprit des travaux antérieurs qui ont trait au sujet dont on fait une étude spéciale. C’est du moins un principe dont je ne me suis point écarté dans toutes mes recherches expéri- mentales, me réservant toujours de faire plus tard les recherches bibliographiques qui ont trait à mon sujet, et en général de ne men- tionner les travaux antérieurs aux miens qu’après la composition ou la publication de ces derniers. En agissant autrement, il m’eût été impossible de ne pas regarder à travers le prisme d’autrui, qui aurait pu gêner mon observation personnelle ou altérer quelquefois la vérité. Pour voir les faits, pour ainsi dire, de mes propres yeux, j’ai dû même m’efforcer d’oublier les connaissances que je possé- dais en littérature médicale ; c’est en suivant cette méthode d’ob- servation qu’il m’a été possible d’exposer les faits d’ataxie locomo- trice tels que je les ai vus, et de coordonner, après de longues ré- flexions, après plusieurs années de recherches, les idées qu’ils ont fait naître dans mon esprit. Je m’empresse de reconnaître que la symptomatologie de l’ataxie locomotrice progressive n’est pas nouvelle, bien que sa description laissât beaucoup à désirer. On trouve en effet, dans les auteurs, des observations qui ont une certaine ressemblance avec celles qui for- ment la base de mon travail. Il ne pouvait en être autrement, car cette maladie est fréquente, et, sans aucun doute, a toujours existé; mais ces observations, ou sont incomplètes, ou ne paraissent se rap- procher des miennes que par quelques symptômes, ou sont expo- sées de manière qu’il est impossible d’y reconnaître les différentes phases de la maladie dont j’ai fait une espèce morbide. Il résulte de tout cela qu’on ne saurait les diagnostiquer à coup sûr. En outre, les faits dont il est question, ont été confondus avec d’autres faits QUELQUES CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES. 617 essentiellement différents. Quelques auteurs se sont crus cependant autorisés à fonder, sur l’ensemble de ces faits différents, une seule es- pèce nosologique ; conséquernment les symptômes de tous ces faits, appartenant à des maladies diverses, se trouvent confondus dans la même description. Que l’on me permette de citer les plus importants de ces travaux, et de justifier les remarques critiques que je crois fondées. Un des cliniciens les plus célèbres de l’Allemagne, M. le profes- seur Romberg (de Berlin) qui a doté la pratique d’un beau traité des maladies nerveuses (1), a décrit, sous le nom de tabès dorsalis, une affection (2) qui se rapproche, pour un grand nombre de sym- ptômes, de l’ataxie locomotrice. Ce travail est très remarquable; je regrette d’avoir à dire, pour ce qui a trait à mon sujet, que les observations critiques précédentes lui sont, en partie, appli- cables. Ainsi les malades observés par ce savant praticien éprouvaient une perturbation dans l’équilibration ; mais on ne saurait décider, d’après l’exposition des symptômes qu’ils ont présentés, si cette per- turbation dépendait de la perle de la sensibilité ou de la lésion do la faculté psychique qui préside à la coordination des mouvements. Ajoutez à cela qu’il est dit que l’on a constaté chez ces malades de la faiblesse musculaire, ce qui n’a pas lieu dans l’ataxie locomo- trice, où la force musculaire reste au contraire intacte. M. Romberg rapporte, entre autres, l’observation très curieuse d’un médecin de campagne qui, exposé aux variations du temps, avait été atteint d’une paralysie des extrémités inférieures et d’une amblyopie double qui se termina par une amaurose. Sa sensibilité était normale, elle malade distingua jusqu’à sa mort les différences de température. Cependant, à la partie inférieure de la moelle, où le volume de celle-ci avait diminué de plus d’un tiers, la substance médullaire des racines postérieures (racines sensibles) avait disparu presque complètement, ce qui leur avait donné une teinte jaune et grisâtre. Après ce fait, M. Romberg en relate d’autres dans lesquels il a constaté tantôt que la substance grise de la moelle s’était no- tablement ramollie, tantôt que la partie lombaire et une partie de la portion dorsale de la moelle étaient presque à l’état fluide. Ces lésions anatomiques de la moelle ont dû occasionner pendant la vie une perturbation profonde dans les propriétés musculaires, c’est- (I) Lehrhuch der Nervenkrankeilen, 1851. (2) Cette maladie est le sujet d’un chapitre de l’ouvrage que je vieus de citer. 618 à-dire l’affaiblissement ou l’abolition de la contractilité volontaire et électrique, l’atrophie et l’anesthésie. Or, ces phénomènes caracté- risent la paralysie spinale, dont j’ai fait précédemment le diagnostic différentiel, et qui ne peut, dans aucun cas, être confondue avec l’ataxie locomotrice progressive. A part cette confusion regrettable, je suis heureux de reconnaître que M. Romberg a le mieux observé et décrit la plupart des symptômes propres à l’ataxie locomotrice progressive. ATAXIE LOCOMOTRICE PKÜGKESSIVE. J’espérais trouver, dans les belles recherches de Lallemand sur la consomption dorsale consécutive aux pertes séminales, des faits analogues à ceux de l’ataxie locomotrice progressive. J’en ai vaine- ment cherché les symptômes dans les observations relatées par cet auteur. Tous ses tabescents étaient tourmentés par des désordres nerveux dont quelques-uns agissaient sur la locomotion, en pro- duisant surtout un affaiblissement musculaire. Ces désordres, occa- sionnés par un épuisement nerveux, sont très irréguliers, et varient, comme il le dit lui-même, selon les constitutions individuelles. M. le professeur Bouillaud (1), dans la classe des maladies qu’il appelle ataxies des centres nerveux, signale certaines altérations de la myotilité, qui diffèrent des convulsions et des paralysies, et consis- tent en un désordre, une incoordination, une ataxie du mouvement ; il y rapporte la chorée, certains tremblements, certains troubles de la progression et de la station observés dans la paralysie générale des aliénés ; il entrevoit qu’on pourra y rattacher les symptômes de quelques affections dites nerveuses; mais, en même temps, il a soin d’ajouter que les observations manquent pour tracer une histoire pathologique de l’incoordination du mouvement, phénomène que, d’après ses recherches de physiologie expérimentale, il attribue à une lésion du cervelet. Dans ces divers passages, on trouve l’indi- cation du symptôme ataxie locomotrice; mais, quant à la maladie que j’ai désignée sous ce nom, pour en rappeler un des caractères, sa description clinique restait tout entière à faire, et c’est là juste- ment le but de ce mémoire. Sandras relate (2) un fait que l’on serait tenté de ranger dans l’ataxie locomotrice progressive, parce que le sujet a éprouvé pri- mitivement, et pendant tout le cours de sa maladie, de ces douleurs erratiques qu’il a comparées lui-même à des éclairs, « parce qu’il a (1) Traité de nosographia médicale. Paris, 1846, t. V, p. 317 et suiv. (2) Traité pratique des maladies nerveuses, t. II, chap. Ier, p. 12, » perdu ensuite son équilibration, et que ses mouvements brus- » ques, saccadés, désordonnés, ne se font, pour ainsi dire, pas sous » l'influence de la volonté. La sensibilité y est diminuée de façon » que le malade ne sait pas s’il est dans son lit, entre ses draps ou » dehors, s’il est dans son pantalon ou non. » Ces troubles de la motilité étaient-ils dus seulement à la perte de la sensibilité muscu- laire ou à la lésion delà faculté de la coordination des mouvements? la force musculaire était-elle intacte? C’est ce qu’il est impossible de démêler parmi les longs détails dans lesquels se noient les sym- ptômes principaux de ce fait. Ce qui ferait au contraire douter de l’intégrité de la force musculaire chez ce malade, c’est que l’auteur dit « qu’il consigne d’autant plus volontiers cette observation dans » ce chapitre, qu’elle offre un tableau presque complet de la para- » lysie simultanée du mouvement et du sentiment, dont elle fait » l’objet. » QUELQUES CüNSIDÉHATIONS HISTORIQUES. 619 Et ce tableau, confusion étrange! représente pêle-mêle la para- lysie saturnine, la paralysie hystérique, la paralysie rhumatis- male, etc. Ch. Bell, on le sait, avait découvert l’existence de la paralysie de la sensibilité musculaire en 1822, et en avait conclu à l’existence d’un sixième sens, qu’il proposait d’appeler sens musculaire, et qui n’était pas autre chose que la sensibilité musculaire. En 1850, je signalais des faits pathologiques analogues à ceux de Ch. Bell. En 1852, M. Landry publiait (1) des observations semblables à celles du grand physiologiste anglais, et en tirait des déductions qui démontraient l’existence de la propriété musculaire décou- verte par Ch. Bell, et appelée plus tard, par Gerdy, sentiment d'activité musculaire. M. Landry, qui ignorait à cette époque que Ch. Bell, le premier, avait observé la paralysie de la sensibilité mus- culaire, et qu’il l’avait étudiée au même point de vue physiologique, mais avec cette supériorité qui caractérise le génie, s’écriait, après avoir publié ses observations de paralysie de la sensibilité muscu- laire: « Je ne crois pas qu’il existe dans la science des faits analo- gues. » Ces faits historiques ont été établis d'une manière incon- testable dans ce livre, chapitre XII ; je ne fais que les rappeler ici. Enfin, en 1856, M. Landry, ignorant encore, sans aucun doute, les belles recherches de Ch. Bell, a publié un nouveau mémoire sur la même paralysie de la sensibilité musculaire, qu’il présente comme une maladie nouvelle, sous le litre de paralysie de la sensibilité mus- (1) Archives générales de médecine, 1853. 620 culaire. Cette maladie jusqu’alors n’avait été étudiée qu’au point de vue physiologique; sa description n’était pas faite; le travail de M. Landry pouvait donc être d’une grande utilité pour la science et pour la pratique. Malheureusement cet auteur n’a pas su distinguer les troubles fonctionnels provenant de la perte du sentiment du muscle en contraction, comme disait Ch. Bell, de ceux qui sont oc- casionnés par la lésion de la faculté psychique de la coordination des mouvements, et conséqucmment il a relaté, comme faits identi- ques, des cas de paralysie de la sensibilité musculaire et des cas qui, tout incomplets qu’ils soit, appartenaient évidemment à la maladie que je décris sous le nom d'ataxie locomotrice progressive. C’est parce que ces deux maladies, faciles à confondre, diffèrent essentiellement entre elles par l’ensemble de leurs symptômes, par leur marche, par leur pronostic et par leur traitement, que j’en ai exposé longuement, on se le rappelle, le diagnostic diffé- rentiel. ATAX1E LOCOMOTRICE PROGRESSIVE. Des considérations précédentes, il ressort que l’ataxio locomo- trice progressive, dont il existait, il est vrai, dans la science, des faits incomplets et confondus avec d’autres faits pathologiques es- sentiellement différents, était inconnue comme espèce morbide distincte, et que quelques-uns de ses symptômes, son diagnostic, sa marche et son pronostic, étaient encore à décrire. Il était nécessaire de lui donner un nom. ,l’avoue que j’aurais été heureux de m’en dispenser, car, ne pouvant la désigner par sa lésion anatomique, qui, si elle existe réellement, est encore à re- chercher, il me fallait choisir une dénomination qui rappelât l’en- semble de ses principaux symptômes. On conçoit que cette dénomi- nation aurait été alors une longue suite de mots, et qu’elle aurait désagréablement affecté la langue et l’oreille, si, sacrifiant à l’usage du néologisme moderne, j’avais, pour la composer, consulté le glos- saire grec. Convaincu donc que le nom d’une maladie tiré de la symptomatologie doit toujours être mauvais ou insuffisant, puis- qu’on ne peut y faire entrer une définition complète, je me suis ré- signé à dénommer la maladie qui fait le sujet de ce mémoire, d’après l’un de ses principaux symptômes ; la perte progressive de la coor- dination des mouvements. Le nom ataxie locomotrice progressive m’a paru donner l’idée la plus exacte de cette espèce de troubles de la locomotion. PAR. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES. 621 CHAPITRE XVII. PARALYSIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES, AFFECTION NON ENCORE DÉCRITE COMME ESPÈCE MORBIDE DISTINCTE. Depuis 1852, j’ai recueilli 13 cas d’une affection paralytique (1) qui, sans cause connue, envahit successivement les muscles de la langue, ceux du voile du palais et l’orbiculaire des lèvres; qui produit conséquemraent des troubles progressifs dans l’articula- tion des mots et dans la déglutition; qui, à une période avancée, se complique d’étouftèments fréquents ; dans laquelle enfin les su- jets succombent ou à l’impossibilité de s’alimenter, ou pendant une syncope. Dans ces 13 cas, la maladie a débuté, a marché et s’est terminée de la même manière. Ses symptômes ne m’ont pas permis de la con- fondre avec toute autre affection. A l’ensemble de ses caractères, je n’ai pu méconnaître une espèce morbide distincte de toutes les au- tres affections musculaires ; conséquemment elle me paraît devoir être classée dans le cadre nosologique, et mériter, à ce titre, une description particulière qui sera le sujet de ce travail. Les malades chez lesquels j’ai observé d’espèce de paralysie que j’ai à décrire appartenant à la pratique civile, il n’a pas été possible d’obtenir l’autopsie de ceux qui ont succombé. C’est pourquoi je ne puis offrir à mes lecteurs qu’une étude clinique, qui cependant est bien suffisante, comme j’espère le démontrer, pour en établir le diagnostic différentiel. M. le docteur Dumesnil, chef des travaux anatomiques à l’école dejnédecine de Rouen, a publié, en 1860, un fait qui a beaucoup d’analogie avec ceux qui font la base de ce travail ; mais ce fait est complexe. La paralysie de la langue, du voile du palais et de la face, était en effet associée à l’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive, et cependant l’auteur considère cette paralysie locale comme une variété de la dernière affection. La relation de ce fait est d’un profond anatomiste et d’un observateur sagace, mais je re- (l) Au moment où je corrige les épreuves de ce chapitre, j’en observe deux houveaux cas. Je viens d’être appelé en consultation pour l’un deux par mon honorable confrère M. Lamouroux ; l’autre m’a été adressé par M. Moynier, chef de clinique de M. Trousseau. PAU. MUSC. PROGU. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVftES. grette d’avoir à dire que M. Dumesnil a évidemment fait une confu- sion ; car l’espèce morbide dont il sera question dans mon mémoire est une paralysie sans atrophie, tandis que l’atrophie musculaire graisseuse est une lésion de nutrition musculaire sans paralysie. La première s’observe parfaitement isolée, de son début à sa termi- naison, bien qu’elle puisse, dans quelques cas, ainsi que je l’ai prouvé par des faits, être compliquée, comme toutes les espèces morbides, d’une ou de plusieurs autres affections : de l’atrophie musculaire graisseuse, par exemple. C’est ce qui ressortira, du reste, des faits et des considérations que je vais exposer. § I. — Symptômes. En 1852, j’ai eu, pour la première fois, l’occasion d’observer, avec mon regrettable maître, M. Chomel, la paralysie progressive des muscles de la langue, du voile du palais et de l’orbiculaire des lèvres. Un malade lui avait été adressé comme étant atteint d’une angine de nature obscure. L’histoire de ce malade est identiquement celle de tous les autres cas analogues que j’ai recueillis plus lard; elle offre la symptomatologie à peu près complète de l’es- pèce morbide que j’ai à décrire ; elle me servira donc à en tracer le tableau. Observation CXL. — L’affection dont il va être question dans la pré- sente observation datait à peu près de sept mois, quand elle fut adressée à M. Chomel ; elle avait débuté sans cause appréciable, sans être précédée ni accompagnée de douleurs, par une gêne de la déglutition et par un peu de difficulté dans l’articulation des mots. Pendant les deux premiers mois, le malade s’en trouvait si peu incommodé, qu’il ne s’en préoccupait pas. Ce- pendant ces troubles augmentaient progressivement, et bientôt la dégluti- tion devint difficile ; il eut surtout de la peine à avaler la salive qui s’écou- lait quelquefois au dehors ou qu’il était forcé de recevoir dans son mou- choir. Puis sa prononciation était devenue si embarrassée et si étrange qu’il lui était, par moments, impossible de se faire comprendre. Une mé- dication active (des vésicatoires promenés autour du cou, des purgatifs, des gargarismes astringents) n’avait exercé aucune influence sur la marche de son affection. M. Chomel reconnut que tous les troubles fonctionnels dont il souffrait étaient probablement occasionnés par une lésion des muscles qui prési- dent a la déglutition et à l’articulation des mots, et m’invita à faire l’examen physiologique et électro-physiologique des muscles qui président à ces fonctions. Voici ce que je constatai. La langue était affaissée et comme fixée derrière l’arcade dentaire infé- rieure; sa surface était un peu ridée, elle avait très peu de mobilité; le malade ne pouvait en relever la pointe ni en appliquer la face dorsale contre la voûte palatine; enfin il lui était seulement possible de la porter un peu en avant et latéralement. symptômes. 623 On ne remarquait aucune déformation du voile du palais ni de la luette, qui se contractaient normalement lorsqu’on les titillait. La phonation était normale quant à sa puissance, mais le malade faisait de grands efforts pour articuler les mots. Je n’avais observé cette espèce de trouble de la prononciation dans aucune autre affection : il dépendait évi- demment de l’immobilité presque absolue de la langue. Je ne saurais ni le décrire ni même l’exprimer ; on peut cependant en avoir une idée en essayant de parler pendant que l’on maintient la langue solidement à la partie inférieure de la bouche, la pointe fixée derrière les dents du maxil- laire inférieur. La voix était un peu nasonnée. Le malade ne pouvait souffler avec force, ni éteindre une chandelle; mais , si l’on pinçait alors son nez, l’air sortait avec assez de force pour éteindre la lumière. L’articulation des labiales, comme p ou b, était plus nette que lorsque les narines étaient maintenues fermées comme ci-dessus. Ces phénomènes morbides démontraient un affai- blissement des muscles du voile du palais; ce que l’on n’aurait certes pas soupçonné en voyant l’énergique contraction réflexe produite par la titilla- tion de la luette, qui n’était pas déviée. Toutefois cette articulation des labiales n’était pas encore normale, et il était évident que l’orbiculaire des lèvres se contractait faiblement. C’est en effet ce que je constatai quand je voulus lui faire prononcer la voyelle o ; ce qui lui était impossible. Il ne pouvait non plus contracter les lèvres comme pour donner un baiser, et, par la même raison, il lui était impossible de siffler. Une salive abondante et un peu visqueuse remplissait incessamment sa bouche; il ne pouvait cracher, de sorte que cette salive s écoulait au dehors, et qu’il était forcé de s’en débarrasser avec un mouchoir. Lorsqu’il buvait, il mettait un intervalle entre chaque gorgée, qui ne passait que difficile- ment et avec effort ; alors une partie du liquide revenait par le nez. Les aliments solides n'étaient avalés que lorsqu’il les avait coupés en très pe- tits morceaux et mêlés à du liquide ; encore fallait-il qu’ils fussent broyés longtemps par les dents. La sensibilité générale et gustalive de la langue était intacte. Enfin le malade éprouvait de temps à autre une grande gêne pour res- pirer, bien que les mouvements de la respiration fussent parfaitement nor- maux. 11 était dans un étal de faiblesse générale depuis deux ou trois mois ; il avait perdu de son embonpoint. Mais je constatai que la nutrition musculaire, que les mouvements des membres et du tronc étaient restés intacts. PAR. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES. La faradisation fit contracter la langue à peu près comme à l’état normal, et il me parut que les muscles de la face, surtout l’orbiculaire des lèvres, et que les muscles du voile du palais, jouissaient de leur contractilité élec- trique. La faradisation, dirigée sur les muscles affectés pendant une quinzaine de jours, parut améliorer d’abord l’état du malade ; la langue avait repris ra- pidement son volume normal : sa surface était devenue unie ; ses mouve- ments et ceux des lèvres avaient évidemment gagné ; la prononciation était plus facile et plus distincte ; mais la déglutition était toujours aussi pé- nible, et la salive continuait de s’écouler au dehors. L’alimentation devenant de plus en plus difficile, le malade perdait rapi- dement ses forces. Je me décidai alors à porter un rhéophore dans le pha- rynx et même dans l'œsophage. Ces nouvelles excitations faradiques furent, hélas ! tout aussi impuissantes que les précédentes. Le malade, fatigué, re- tourna dans son pays, où il mourut quelques mois après, épuisé lentement par une alimentation insuffisante. Pendant les derniers mois de sa vie, on avait dû injecter fréquemment dans son estomac des bouillons et des lai- tages par la sonde œsophagienne. Sa faim ne pouvait jamais être satisfaite. Je dirai enfin que les accès de suffocation devinrent de plus en plus fré- quents, et que le malade est mort dans un de ces accès. En somme, tous les troubles fonctionnels étaient évidemment dus, dans ce cas, à la paralysie de la langue et à un défaut d’action suffisante des autres muscles qui président à la déglutition et à l’ar- ticulation des mots. (Nous verrons bientôt que les suffocations et les syncopes qui survenaient de temps à autre annonçaient une autre lésion nerveuse tout aussi grave.) La relation que je viens de faire est une peinture assez fidèle des symptômes que j’ai observés chez tous les autres malades; c’est bien ainsi que leur affection a marché et qu’elle s’est terminée. Toutefois on doit s’attendre, comme dans toutes les espèces morbides, à ren- contrer quelques différences individuelles. Revenons sur chacun des symptômes de la maladie. A. La paralysie de la langue apparaît, en général, la première. Elle constitue toute la maladie, car c’est elle qui menace la vie en em- pêchant l’alimentation. Les troubles qu’elle occasionne dans la pro- nonciation sont caractéristiques, La difficulté ou l’impossibilité d’appliquer la pointe de la langue derrière l’arcade dentaire supé- heure et la face dorsale de cet organe contre la voûte palatine ren- dent incomplète ou impossible l’articulation de certaines consonnes. Les signes de cette affection sont peu apparents d’abord ; cependant il suffit d’avoir entendu une fois cette espèce d’articulation patholo- gique, pour la reconnaître facilement. J’ai déjà dit que, pour s’en faire une idée, il fallait, en parlant, retenir sa langue abaissée et fixée au plancher de la bouche : alors on n’entend que les linguales; les palatines et les dentales sont articulées comme ch, et cela d’une ma- nière d’autant plus sensible, que la langue peut moins s’élever. La parole devient de plus en plus inintelligible par l’affaiblissement progressif des mouvements de la langue, et lorsqu’elle ne peut plus se mouvoir, l’articulation des consonnes précédentes devient tout à fait impossible. SYMPTÔMES. 625 En même temps que l’on observe ces troubles dans l’articulation des mots, la déglutition éprouve une perturbation qui n’occasionne pendant quelque temps qu’un peu de gêne; mais plus tard les ma- lades avalent difficilement les liquides. Alors aussi la bouche se rem- plit d’une salive qu’ils rejettent incessamment au dehors, et dont ils remplissent leur mouchoir. Cette augmentation de la quantité de la salive et sa viscosité s’expliquent de la manière suivante. Dans l’état normal, la salive est avalée au fur et à mesure qu’elle est sécrétée, et à chaque effort de déglutition de cette salive, effort qui se fait instinctivement et incessamment, l’extrémité antérieure de la langue et ses côtés s’appliquent assez fortement contre les parties corres- pondantes de la voûte palatine, de manière à présenter un plan incliné d’avant en arrière et de haut en bas, sous forme de gouttière ; ensuite toutes les parties de la face dorsale de la langue pressent suc- cessivement contre le palais, de la pointe à la base. Dès l’instant que ces mouvements de la langue sont affaiblis, la salive est avalée incomplètement, et plus tard la déglutition en est impossible. Alors elle s’accumule dans la bouche, où elle devient visqueuse par le long séjour qu’elle y fait. Aussi s’écoule-t-elle abondamment au de- hors; et lorsque le malade ouvre la bouche, on voit se former un grand nombre de colonnes ou de filaments produits par cette salive visqueuse, et adhérant par leurs extrémités aux lèvres, à la langue, à la voûte palatine, etc. Cette salive est quelquefois tellement gluante, que le malade a de la peine à la détacher des parois buccales ; il en éprouve une si grande gêne, qu’on le voit se nettoyer continuel- lement la bouche avec ses doigts ou avec son mouchoir. On ne constate cependant ni rougeur ni altération quelconque de la muqueuse buccale ou pharyngienne. Bientôt les aliments solides ne sont pas mieux avalés quelesbois- DÜCHENNE. 40 PAU. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES. sons, et la déglutition des aliments demi-liquides ou des potages est seule possible Enfin, lorsque la langue est entièrement privée de • mouvement, la déglutition est tout aussi impossible que lorsque la bouche est maintenue largement ouverte et la langue abaissée. Il suffit, en un mot, de se rappeler l’importance physiologique de la langue dans le premier et le second temps de la déglutition, pour comprendre la gravité de la paralysie complète de tous les muscles chargés de l’exécution de ces mouvements. B. La paralysie des muscles moteurs du voile du palais vient ag- graver singulièrement les désordres fonctionnels occasionnés par la paralysie de la langue. La phonation en est affectée; l’articulation des labiales, qui était restée normale, s’en trouve altérée : le p et le b sont alors articulés comme me, fe ou ve. C’est que l’orifice postérieur des narines ne peut plus être fermé par l’espèce de sphincter formé par l’action synergique de quelques muscles du voile du palais et du constricteur supérieur du pharynx, sphincter découvert par Gerdy et encore mieux étudié par Dzondi, et sur le mécanisme duquel j’aurai l’occasion de revenir ; c’est qu’alors la colonne d’air expulsée, au lieu de sortir seulement par la bouche et de séparer plus ou moins fortement les lèvres, rapprochées l’une de l’autre pour l’articulation de ces labiales, se divise en deux colonnes, l’une qui s’engage par cet orifice béant et fait entendre un son ou souffle nasal particulier, tandis que l’autre va séparer mollement et faible- ment les lèvres. Cette division de la colonne d’air expulsée rend encore plus confuse l’articulation des autres consonnes, déjà tant altérée par la paralysie de la langue. A la difficulté de la déglutition causée par la paralysie de la langue s’ajoute, consécutivement à la paralysie des muscles moteurs du voile du palais, le passage d’une partie des boissons ou des aliments liquides par les fosses nasales. 11 est facile de reconnaître la paralysie des muscles moteurs du voile du palais à la déviation de la luette ou à l’inégalité des arcades formées par les piliers du voile du palais, lorsque la paralysie n’existe que d’uu côté ou qu’elle y prédomine. Mais, dans la grande majorité des cas, je n’ai vu ni déviation de la luette ni inégalité des arcades; c’est qu’alors la paralysie est égale des deux côtés. On pourrait doue méconnaître l’existence de la paralysie des muscles moteurs du voile du palais, et cela d’autant plus facilement, que la sensibilité de cet organe étant ordinairement intacte ou seulement diminuée, sa titillation provoque souvent la contraction réflexe de ses muscles moteurs eu même temps que celle des muscles du pha- SYMPTÔMES. 627 rynx, comme on le voit dans un effort de vomissement. La phona- tion nasale et l’articulation vicieuse des labiales, ci-dessus décrites, sont, dans ce cas, les seuls symptômes qui en décèlent l’existence. On en acquiert la preuve évidente lorsque l’on force le volume d’air à passer avec plus de force par l’ouverture buccale, en pinçant le nez du malade au moment où on lui fait prononcer ces labiales, dont l’articulation devient beaucoup plus nette. G. L'orbiculaire des lèvres se paralyse progressivement dans la maladie dont j’expose la symptofnatologie. Les malades éprouvent d’abord quelque difficulté à prononcer disiincternentlesvoyelles o, u, comme si les lèvres étaient semi-paralysées par le froid, et bientôt ils ne peuvent plus contracter l’orbiculaire des lèvres, comme lorsque l’on veut siffler ou donner un baiser. Alors aussi ils ont de la peine à maintenir leurs lèvres assez rapprochées l’une de l’autre pour que l’articulation des labiales soit nettement articulée, et, plus tard, cet affaiblissement augmentant, cette articulation est tout à fait impos- sible. A ce moment, j’ai parfois constaté que le muscle élévateur de la lèvre inférieure (le muscle de la houppe du menton) a consi- dérablement perdu de sa force, et qu’il est même quelquefois entiè- rement paralysé. Quelquefois aussi le carré et le triangulaire des lèvres sont également affectés, ce qui ne permet plus au sujet de prononcer les voyelles e, i. Je n’ai jamais vu l’orbiculaire des paupières ni les muscles zygo- matiques, canins, élévateurs de la lèvre supérieure, moteurs des ailes du nez, affectés d’une manière appréciable dans l’espèce mor- bide que j’étudie ; je ne crois même pas que le buccinaleur soit lésé. Au premier abord, on pourrait croire que ce dernier muscle est paralysé, parce que le sujet ne peut siffler ; mais la plus légère attention fait bien vite reconnaître que cela dépend de la paralysie de l’orbiculaire des lèvres. En effet, maintient-on avec les doigts les lèvres serrées l’une contre l'autre, et fait-on ensuite souffler le ma- lade, on voit ses joues s’appliquer contre les arcades alvéolaires au lieu de se gonfler, comme lorsque le buccinateur est paralysé. La paralysie de l’orbiculaire des lèvres donne une prédominance de force tonique aux muscles qui meuvent les commissures et qui agissent sur les lèvres. Il en résulte que la ligne qui sépare les lèvres, quand elles sont rapprochées, s’agrandit, transversalement, et que les lignes naso-labiales se creusent et s’arrondissent par l’ac- tion des élévateurs de la lèvre supérieure, ce qui donne à la phy- sionomie un air pleureur. J’ai trouvé ce faciès spécial chez tous mes malades. J’en ai même vu un dont les lèvres s’écartaient eu tous 628 PAR. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES, sens pendant le rire ou le pleurer, sans qu’il lui fût possible de les ramener à leur position normale. Toutes ses dents restaient alors découvertes jusqu’à ce qu’il eût rapproché ses lèvres l’une de l’autre avec ses doigts. N’est-il pas curieux de voir, dans cette affection, la paralysie se localiser dans les muscles qui président aux mêmes fonctions : dans ceux qui commandent l’articulation des mots et la déglutition? C’est pourquoi lorsque la maladie est arrivée à son entier dévelop- pement, le sujet n’émet plus que des sons inarticulés, et quand il veut avaler, les liquides et même le bol alimentaire repassent par ses lèvres et par ses narines. D. Des troubles delà respiration s’ajoutent fréquemment aux sym- ptômes que je viens de décrire ; ce sont des étouffements qui re- viennent par accès, et d’autant plus fréquemment, que la maladie approche davantage de sa fin. Ils sont provoqués souvent par les mouvements, la marche par exemple; mais ils arrivent également sans cause connue. Ils ont lieu le jour comme la nuit. Témoin de plusieurs de ces accès, j’ai pu constater qu’il n’existe alors aucun trouble dans le mécanisme de la respiration, qu’il n’y a ni paralysie ni contracture du diaphragme. Cependant ces étouffements produi- sent quelquefois des syncopes qui s’aggravent dans la période ultime et peuvent faire périr le malade. Trois des derniers cas que j’ai observés dans le cours de l’année 1859 se sont terminés de cette manière. Je vais rapporter briève- ment l’observation de l’un deux. On y retrouvera, outre la série des symptômes décrits dans ce paragraphe, le mode de terminaison dont il est ici question. Observation CXLI. — J'ai été appelé, en \ 859, à donner des soins con- curremment avec MM. Chassaignac, Nélaton, Restan, et Trousseau, mé- decins consultants, à M. P..., fabricant, âgé de quarante-cinq ans, demeu- rant rue de Charonne. La lésion dont il était atteint, parfaitement localisée dans les muscles moteurs de la langue, dans quelques muscles de la face et du voile du pa- lais, avait débuté progressivement, malgré une médication très active, comme dans le cas dont j’ai déjà exposé la relation ci-dessus (obs. CXL). Elle avait présenté les mêmes caractères, c’est pourquoi je n’en relaterai pas l’observation détaillée. Je noterai seulement que la langue, complètement immobile, était maintenue abaissée sur le plancher de la bouche, derrière l’arcade alvéolaire inférieure ; qu’elle était un peu plissée longitudinale- ment à sa surface et en atrophiée; que le malade ne pouvait en SYMPTÔMES. 629 relever la pointe, ni le dos, ni la base, mais que si je la soulevais avec les doigts, il pouvait la tirer assez fortement en bas; en conséquence, que les muscles abaisseurs de la langue n’étaient point paralysés, et que c’était sans doute leur action tonique prédominante sur celle de leurs antago- nistes paralysés qui la maintenait fixée au plancher do la bouche. Le bol alimentaire et les liquides étaient repoussés fortement au dehors par les narines et la bouche, lorsqu’il voulait les avaler. La faradisation loca- lisée, appliquée bien tard, il est vrai (dans les derniers mois de la vie du malade), avait en deux séances relevé la langue, qui avait repris son volume normal ; elle avait aussi donné un peu plus de mouvements aux muscles de la langue, des lèvres et de la joue, et l’articulation des mots s'en était aussi trouvée améliorée ; mais ce traitement n’avait exercé aucune action sur la déglutition, qui était devenue impossible, au point que l’alimentation ne pouvait plus se faire que par des bouillons injectés dans l’estomac à l’aide de la sonde œsophagienne. L’insuffisance de l’alimentation avait épuisé le malade, qui, jusqu’au dernier jour, a été tourmenté par la faim. Il n’en est pas mort cependant, car il a succombé à une syncope survenue pendant un des accès d’étouffement qui, de même que dans le premier cas dont j’ai relaté l’observation, lui revenaient fréquemment, et qui s’étaient aggravés depuis quelques mois. La maladie, dans le cas précédent, était, il est vrai, arrivée à ses dernières limites ; le sujet serait inévitablement mort d’inanition dans un temps rapproché, par impossibilité d’avaler ; on pourrait dire que la syncope qui l’a enlevé était un accident ultime de la maladie. Mais voici deux autres faits dans lesquels les sujets ont été enlevés par une syncope survenue pendant un accès d’étouffement, alors que la maladie n’était pas encore arrivée à une période aussi avan- cée que dans le cas ci-dessus. Observation CXLII.—M. P... (le sujet de l’observation précédente) venait à peine d’expirer, que j’étais appelé, en 4 859, par mon honorable confrère M. Chateau, à porter mon diagnostic dans un cas de dysphagie qui avait été attribuée à une angine chronique. Le malade, âgé de soixante ans, M. le comte de X..., demeurant rue Saint-Lazare, avait commencé à éprouver un peu de gêne en avalant et en parlant ; la langue lui fourchait (disait-il). Ce- pendant il ne ressentait aucune douleur dans la gorge, pas même dans la déglutition. On ne voyait ni rougeur ni aphthes sur la muqueuse buccale. Il se contenta de faire quelques gargarismes astringents qui lui-avaient été prescrits et qui ne modifièrent en rien son état. Les troubles de la parole et de la déglutition augmentaient sans qu’il s’en inquiétât davantage pendant 630 PAR. MUSC. PROGK. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES, les premiers mois, parce qu’ils ne l’incommodaient presque pas, parce qu’ils ne lui occasionnaient aucune douleur, et aussi parce qu’on lui disait que son affection était légère. Mais plus tard celle-ci s’était aggravée pro- gressivement, au point de rendre la déglutition des aliments solides et des liquides de plus en plus difficile, et l’aniculalion des palatales, des labiales presque inintelligible. En même temps la salive, ne pouvant plus être avalée, s’accumulait et s’épaississait dans sa bouche ; il était obligé de la rejeter au dehors ; il en remplissait ses mouchoirs. Puis le timbre de sa voix était devenu nasal pendant l’articulation des consonnes, et à ce moment les boissons revenaient en grande partie par les fosses nasales, au moment de la déglutition. Dès qu’il lui a été impossible d’avaler des aliments solides et qu’il a dû se nourrir de bouillies et de viandes haché >s, sa force muscu- laire a diminué peu à peu et ses membres se sont amaigris. Son appétit n’était jamais satisfait et ses digestions étaient bonnes ; il a toujours con- servé sa sensibilité gustative. Depuis plusieurs mois, sa respiration s’est embarrassée de temps à autre; il a éprouvé des accès d’étouffement sou- vent provoqués ou augmentés par les mouvements, par une marche rapide Quelquefois aussi il a eu des éblouissements. Il a consulté un grand nombre de médecins des plus célèbres; il a pris bien des remèdes; rien cependant n’a pu arrêter la marche de sa maladie. Enfin il ne savait à quelle cause attribuer celte affection. — Telle est l'histoire qui m’a été rapportée par M. de G..., doué d’une grande intelligence et qui l’a conservée intacte jus- qu’à la terminaison fatale de la maladie. On voit que cette histoire ne dif- fère en rien des précédentes. — Au moment où j’ai été appelé à examiner ce malade, j’ai retrouvé tous les troubles fonctionnels de la déglutition et de la prononciation observés dans les cas précédents, et qu’il serait fasti- dieux de décrire de nouveau. J’ai constaté l’existence d’une paralysie des muscles moteurs de la langue, du voile du palais et de l’orbiculaire des lèvres, paralysie qui rendait raison de tous les désordres fonctionnels dont il était affecté. — La faradisation appliquée une douzaine de fois avait produit une amélioration notable dans la prononciation, et le malade avalait un peu mieux les hachis de viande. Mais ses accès de suffocation étaient plus fréquents et plus prolongés. Quand ils arrivaient, il disait qu'il man- quait d’air et se sentait défaillir; ils duraient quelques minutes et cessaient complètement, laissant la respiration parfaitement libre dans leurs inter- valles. L’auscultation et la percussion ne faisaient cependant entendre rien d’anormal dans les organes de la respiration. M. de X... prit une bronchite qui me fit suspendre le traitement faradique. Cette bronchite légère avait à peine provoqué une réaction fébrile, mais les accès d’étouffement qui la com- pliquaient, et qui revenaient plus souvent, lui donnaient une certaine gra- vité. M. Chateau, médecin ordinaire de M. de X..., provoqua une con- sultation. L’auscultation ne fît craindre aux consultants aucun danger pro- SYMPTÔMES. 631 chain, mais l’expérience acquise dans les cas précédents ne me permit pas de partager leur sécurité, et je déclarai que le malade était menacé de périr dans un de ses accès de suffocation. C’est ce qui arriva le surlen- demain. En somme, le sujet de cette dernière observation a été enlevé par une syncope consécutive à l’un de ses accès de suffocation, à une époque beaucoup moins avancée de sa maladie que le sujet de l’ob- servation précédente. L’alimentation était encore possible; il n’était pas arrivé, comme ce dernier, à un épuisement extrême ; il aurait, en un mot, pu vivre encore assez longtemps, sans l’accès de suffo- cation ou la syncope qui l’a enlevé. Observation CXLIII.—En t 860, une femme âgée de quarante-deux ans, auprès de laquelle j’ai été appelé en consultation par mon confrère et ami M. Costilhes, et chez laquelle j’ai constaté l'existence de l’espèce morbide qui fait le sujet de ce travail, a succombé également dans une syncope sur- venue pendant un de ses accès d’étouffement, alors que la maladie n’était pas arrivée à sa dernière période. Comme ses accès d’étouffement étaient fréquents et qu'ils étaient quelquefois suivis de défaillance, je portai un pro- nostic grave, et j’annonçai sa fin prochaine. Quinze jours après, cette malade était morte, ainsi que je l’avais prévu, et dans une syncope. Je n’expose pas les détails de cette observation, semblable à toutes les autres. D’ailleurs M. Costilhes s’est réservé d’en faire le sujet d’une lecture à la Société de médecine de la Seine. J’ai à regretter de n’avoir pas été une seule fois témoin des syn- copes qui arrivent à la suite des accès de suffocation, accès qui sont un des symptômes de la maladie que je décris ; je n’en parle que d’après le rapport des malades ou de ceux qui les soignent ; je ne saurais dire, en conséquence, si ces malades meurent par asphyxie ou par un arrêt des battements du cœur. On me pardonnera, j’espère, d’avoir oublié de signaler dans mon premier travail un accident qui est la conséquence des troubles considérables occasionnés dans la déglutition par la paralysie mus- culaire de la langue, et surtout des muscles qui, en portant la langue en arrière, appliquent l’épiglotte sur la glotte : je veux parler du passage, au moment de la déglutition, d’une portion des aliments ou des boissons dans le larynx. Tous mes malades se sont plaints de cette introduction des boissons dans les voies aérifères à une époque avancée de leur affection, 632 Observation CXLIV. — J’ai été témoin de cet accident chez un sujet qui m’a été adressé tout récemment. Souvent (me disait-il) il avalait de travers en buvant; alors il étranglait tellement, qu’un jour il avait perdu connais- sance, et que pendant quelques moments on l’avait cru mort. Quelquefois c’était sa salive qui, s’accumulant dans sa bouche sans qu'il pût l’avaler, tombait dans son pharynx et s’introduisait dans son larynx. C’est ce qui lui est arrivé une fois dans mon cabinet. Pendant longtemps il fit les efforts les plus violents sans pouvoir s’en débarrasser : sa face était injectée, ses lèvres violettes ; ses mouvements convulsifs indiquaient qu’il étouffait. Pendant quelque temps, en un mot, il m’inspira les plus vives inquiétudes. PAR. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU P.VLAIS ET DES LÈVRES. N’est-il pas possible que les sujets atteints par la maladie que je décris aient péri quelquefois de cette manière, surtout lorsque, pen- dant leur sommeil, la salive accumulée dans leur bouche s’est introduite ainsi dans leurs voies aérilères? E. On observe aussi à une période avancée de [la maladie, alors que l’articulation des mots n’est plus possible, des troubles dans la phonation, que je vais essayer d’analyser ou d’expliquer. J’ai déjà dit que les muscles qui président au mécanisme de la respiration ne sont pas paralysés ; je m’en suis assuré en engageant les ma- lades à inspirer et à expirer lentement et largement. Cependant, quand ils ne peuvent plus articuler les mots, la parole les fatigue au point qu’après avoir fait entendre quelques sons assez forts, ils se sentent souvent épuisés, et que leur voix s’affaiblit. On pourrait expliquer ce fait par les efforts qu’ils doivent faire pour être compris : car, chose singulière ! ils ont en général la manie de vouloir parler, quand bien même ils ne peuvent plus émettre que des sons inarticulés. Le malade dont il a été question ci-dessus (obs. CXLIV) répondait toujours avec une voix forte aux questions qu’on lui adressait, quoiqu’il ne pût faire entendre que la voyelle a. Il savait cependant qu’on ne le comprenait pas. Après de longs efforts qui l’épuisaient, sa voix s’éteignait, et alors il se déci- dait à se faire comprendre par signes ou en écrivant. J’ai observé la même chose chez les sujets qui étaient arrivés à la même période de cette maladie. Cet affaiblissement de la voix dé- pend-il, dans ces cas, d’un état nerveux particulier, de même que l’on remarque que la phonation est également affaiblie et fatigante chez les sujets qui sont affectés d’une paralysie du voile du palais? Ou bien existe-t-il en même temps un certain degré de paralysie des nerfs qui président à la phonation, par exemple du nerf laryngé inférieur? Je crois que ces deux causes agissent à des degrés divers. Ainsi j’ai même vu une dame qui, arrivée à une période très avancée de la maladie que nous étudions dans ce chapitre, dont la voix était faible, quand elle voulait parler, sans pouvoir articuler, et qui pous- sait des cris perçants pendant des accès d’hystérie auxquels elle était sujette depuis longtemps.—Plus tard la paralysie du larynx devient quelquefois plus évidente. J’observe, par exemple, dans ce moment une malade dont il sera question par la suite (obs. CXLVI), et dont la voix s’est éteinte presque complètement depuis qu’elle ne peut plus articuler. Mais c’est la seule chez laquelle l’aphonie soit arrivée à ce degré. Les autres sujets que j’ai vus succomber avaient conservé la phonation, qui était seulement affaiblie. SYMPTÔMES. 633 F. Symptômes généraux. — La paralysie progressive de la langue, du voile du palais et de l’orbiculaire des lèvres, est apyrétique ; je n’ai pas observé une seule fois, au début ni dans le cours de cette maladie, la fièvre, qui ne survient ordinairement que dans la pé- riode ultime. Les fonctions digestives ne s’accomplissent que trop bien. Quoi- que les malades ne puissent plus se nourrir que de bouillies, leur appétit n’est jamais satisfait ; leur désir de manger des aliments so- lides, ou de boire, est d’autant plus vif, qu’en général ils conservent intacte leur sensibilité gustative ; ils subissent un véritable supplice de Tantale. Ils perdent graduellement leurs forces, mais ils ne sont pas para- lysés ; ce qui le prouve, c’est qu’ils ont pu venir se faire traiter dans mon cabinet à une période très avancée de la maladie. Ils montaient ou descendaient chaque jour plusieurs étages. Ils commencent à s’affaiblir dès qu’ils ne peuvent plus avaler des aliments solides ou satisfaire leur appétit; ils attribuent leur affaiblissement à cette seule cause. Ils ont peut-être raison ; cependant je dois faire, à cet égard, quelques réserves. Ne doit-on pas en effet faire entrer en ligne de compte, comme une des causes de cet affaiblissement, la perte de la salive; car j’ai noté que chez tous mes malades les forces diminuaient rapidement, dès qu’ils ne pouvaient plus avaler cette salive. On connaît l’in- fluence de la salive sur la digestion ; on sait qu’elle doit cette pro- priété à la présence de la diastase. En outre, des expériences faites sur des animaux semblent démontrer que la salive est nécessaire à la nutrition. M. le docteur Yella (de Turin), professeur agrégé de physiologie, a pratiqué des fistules salivaires parotidiennes chez le cheval, de manière que toute sa salive s’écoulât au dehors. L’animal n’en éprouva aucun trouble apparent dans sa digestion; seulement la sécheresse du bol alimentaire rendait la déglutition difficile, et 634 PAR. MUSC. PROOR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES, l’on était forcé, pour la rendre facile, de mêler des liquides à ses éléments. Bien qu’il fût très richement nourri et surtout avec de l’avoine, il tomba rapidement dans un état de faiblesse et de mai- greur extrêmes (cette expérience a été faite publiquement à l’école vétérinaire de Turin). M. Yella me l’a rapportée, lorsque je lui ai montré deux sujets affectés de paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres. Il pensait que leur affaiblissement pouvait être attribué en partie à la perte de la salive qu’ils ne pou- vaient plus avaler depuis plusieurs mois. Je partage entièrement son avis. Mais alors n’y a-t-il. chez nos malades qu’un affaiblissement dû î» un trouble dans la nutrition. On ne doit pas oublier, en effet, qu’ils ont assez souvent des étourdissements qui les feraient tomber, s’ils ne s’appuyaient sur un bras pendant la station debout ou pendant la marche. N’est-il pas possible que la lésion centrale qui cause ces étourdissements soit aussi pour quelque chose dans l’affaiblissement général? Pour être parfaitement exact, je dois même ajouter que, dans un cas que j’ai observé avec M. Trousseau (et dont la relation sera, je l’espère, publiée par la suite), l’un des membres supérieurs était notablement affaibli. C’est le seul cas de ce genre que j’aie ren- contré. Etait-ce uneextension exceptionnelle de la paralysie, ou une complication ? C’est ce que l’observation pathologique jugera par la suite. Enfin l’intelligence reste parfaitement intacte. Je ne dois pas oublier de dire cependant que certains sujets qui sont privés de la parole (les femmes principalement) sont très faciles a émouvoir, à une période avancée de cette maladie. La moindre allusion à leur triste situation excite leurs larmes. Gel état moral s’explique par le désespoir dans lequel tombent ces malheureuses, qui ont vu tout échouer contre cette terrible maladie, et qui se sentent mena- cées de mourir de faim ou de soif. Cet état désespéré les préoccupe sans cesse. Mais on ne saurait confondre cette espèce d’exaltation morale avec un trouble quelconque des facultés intellectuelles, que les malades ont conservées au contraire parfaitement intactes) usqu’à leur dernière heure. § 11. •— Marche, durée, pronostic. Généralement les muscles de la langue sont les premiers affectés, c’est ce qui ressort de tous les faits que j’ai rapportés. Quelques mois plus tard, les muscles moteurs du voile du palais sont atteints à leur tour, et, après ces derniers, l’orbiculaire des lèvres. Enfin, MARCHE, DDRÈE, PRONOSTIC. 635 dans une dernière période, surviennent des accès de suffocation et des syncopes. Tel est l’ordre dans lequel se manifestent les phéno- mènes morbides de cette maladie ; cependant, dans un cas, — le seul, il est vrai, — la paralysie du voile du palais et de l’orbicu- laire des lèvres a précédé la paralysie de la langue. Voici ce fait en résumé ; Observation CXLV. — En 1853, M. Reveillé-Parise me fit appeler au- près d’une dame âgée d'une soixantaine d’années, demeur ant rue de Seine, n° 1, pour une difficulté de déglutition et de l'articulation, maladie qui da- tait déjà de cinq mois. Il n’existait pas d’angine gutturale. Cette affection, très légère en apparence pendant les premiers mois, avait augmenté pro- gressivement. Au moment où je vis la malade pour la première fois, la voix était nasonnée pendant l’articulation des consonnes, qui, en outre, se déta- chaient moins nettement qu’à l’état normal. La déglutition était gênée, et les boissons repassaient en partie parles fosses nasales. A ces signes, je reconnus la paralysie du voile du palais. La luette était, en effet, déviée à droite, et les arcades du voile du palais étaient inégales. Quand je fermais l’orifice antérieur des fosses nasales en pinçant le nez, les consonnes, à l’exception des labiales, étaient nettement articulées ; ce qui démontrait que les mouvements de la langue étaient bien exécutés, mais que ceux des lèvres n’étaient pas normaux. Je constatai, en effet, que la langue pouvait se mouvoir dans tous les sens, tandis que l’orbiculaire des lèvres était presque entièrement paralysé. Celte malade ne pouvait rappro- cher assez fortement les lèvres pour articuler le p, qu’elle prononçait comme v. Il lui était tout à fait impossible d’arrondir l’ouverture buccale ou de porter les lèvres en avant ; aussi prononçait-elle très indistinctement l'o et l u. D’autres muscles de la lèvre inférieure me paraissaient un peu affaiblis. Ainsi celte lèvre et le menton s’élevaient avec peine, ce qui annonçait une faiblesse du releveur de la houppe du menton; la lèvre inférieure était abaissée difficilement, preuve du peu de force du carré des lèvres et du triangulaire des lèvres. Les autres muscles de la face jouissaient de leur force habituelle : le buccinaleur appliquait fortement les joues contre les ar- cades alvéolaires ; l'œil se fermait bien, etc. La conlraclililé électrique était partout normale, dans les muscles du voile du palais comme dans l’orbicu- laire des lèvres. Enfin le goût était conservé et les fonctions digestives se faisaient normalement. En somme, la paralysie était localisée dans les muscles du voile du palais et dans l’orbiculaire des lèvres. La faradisation appliquée une vingtaine de fois a été tout au-si impuissante contre cette paralysie que les autres médi- cations antérieures. J’ai appris plus tard que la prononciation et la dégluti- tion ont été de plus en plus gravement affectées ; que la malade s’est 636 PAR. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES, affaiblie progressivement, sans toutefois être paralysée des membres, et quelle est morte dans une syncope. Bien que, contrairement aux autres faits, la paralysie de la langue ne soit survenue qu’après celle du voile du palais et de l’orbiculaire des lèvres, ce cas n’en appartient pasmoins_à l’espèce morbide dé- crite dans ce mémoire. La marche de cette maladie est toujours chronique; je ne l’ai pas vue durer moins d’une année, ni plus de trois ans. Dans aucun des faits que j’ai recueillis, elle n’a rétrogradé dans sa marche; elle n’est pas même restée stationnaire, quelles qu’aient été les médications employées. Son pronostic est donc des plus graves, et l’appellation de paralysie progressive, sous laquelle Re- quin désignait toute affection paralytique qui, une fois née, mar- chait toujours, quand même, pour se terminer d’une manière fatale, lui est certainement applicable. § III. — Diagnostic. Le diagnostic de la paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres est difficile à son début et dans sa première période, parce que cette paralysie ne frappe pas d’emblée et simul- tanément la langue, le voile du palais et les lèvres, et surtout parce qu’elle commence par un simple affaiblissement musculaire, localisé généralement dans la langue. Mais lorsqu’à une période plus avancée et que l’on peut appeler seconde période, elle a gagné les muscles du voile du palais et l’orbiculaire des lèvres, alors que l’affaiblissement a augmenté progressivement, ses signes diagnostiques deviennent des plus évidents, et ne permettent pas de la confondre avec toute autre espèce morbide. Enfin le diagnostic n’en est pas moins sûr à laitroisième période, dans laquelle, la paralysie étant à son maximum ou presque complète, la parole et la déglutition sont à peu près im- possibles; dans laquelle les accès de suffocation sont plus fréquents, ainsi que les syncopes; dans laquelle, en un mot, le malade est me- nacé de périr prochainement, ou par défaut d’alimentation, ou par syncope, ou par asphyxie. Il importe d’étudier le diagnostic différentiel de cette maladie à ces diverses périodes, en passant rapidement et comparativement en revue quelques-unes des affections avec lesquelles il serait pos- sible de la confondre. DIAGNOSTIC. 637 A. — Pharyngite gutturale et stomatite simples. Dans la première période de la paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, alors que, sans cause connue, la dé- glutition est un peu gênée, on pourrait croire, au premier abord, à l’existence d’une pharyngite (angine) gutturale simple et des plus légères, en raison de l’absence de lièvre et de douleur. Chez presque tous les sujets auprès desquels j’ai été appelé pour l’affection dont il est question dans ce mémoire, tel avait été en effet le diagnostic porté primitivement, et c’est dans cette pensée que le traitement avait été prescrit. Lorsque plus tard la salive, ne pouvant plus être avalée ou ne l’étant que difficilement, s’accumulait dans la bouche et était rejetée au dehors sous la forme d’un liquide filant et épais, on pensait que ce n’était qu’une extension de l’irritation à la langue et au palais; c’était, disait-on alors, une stomatite simple. La voix devenait-elle nasonnée, les liquides repassaient-ils en partie par les narines, on l’attribuait à l’inflammation du voile du palais, que l’on observe en effet aussi quelquefois dans l’angine gutturale. On a été même jusqu’à conseiller l’enlèvement des amygdales quand elles étaient volumineuses, dans la pensée qu’elles pouvaient être pour quelque chose dans la gêne de la déglutition, ou qu’elles entrete- naient cette prétendue inflammation subaiguë de la muqueuse buc- cale ou pharyngienne. H est très vrai que ces troubles fonctionnels existent à des degrés divers dans la pharyngite et dans la stomatite simples ; mais il est d’autres symptômes qui caractérisent ces dernières, et qui font dé- faut dans l’espèce paralytique dont j’ai à exposer le diagnostic dif- férentiel : c’est la fièvre de début, la rougeur, le gonflement de la muqueuse pharyngienne ou buccale ; c’est aussi la douleur locale, augmentant par la déglutition. D’un autre côté, on n’observera jamais dans l’angine gutturale ni dans la stomatite les troubles de la prononciation qui distinguent la paralysie des muscles de la langue et de l’orbiculairedes lèvres. Enfin, dans une période plus avancée, l’immobilitéde la langue et des lèvres vient dissiper tous les doutes. Il suffit donc d’un examen attentif et plus complet pour éviter une telle erreur. Chomel, à qui le sujet de l’observation CXL avait été adressé pour une pharyngite et une stomatite chronique, et qui, on le sait, avait fait une étude particulière de cette affection, n’admit pas ce diagnostic, justement à cause de l’absence de toute douleur et d’altération apparente de la muqueuse pharyngienne et buccale. Il soupçonnait chez ce malade l’existence d’une paralysie, comme 636 PAR. MUSC. PUÔGR. DE LA LANGUE, üU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES. cause de tous les troubles fonctionnels qui, depuis le début, s’étaient aggravés progressivement. C'est pour en établir le diagnostic exact qu’il m’avait fait appeler en consultation. B. — Paralysie simple du voile du palais et du pharynx. Bien que la paralysie simple du voile du palais occasionne de la gêne dans la déglutition et qu’elle fasse repasser les boissons en partie par les fosses nasales, elle ne va jamais jusqu’à empêcher la déglutition de la salive, qui, en conséquence, ne s’accumule pas dans la bouche, comme dans la paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres. Dans la première, il est vrai, les consonnes sont moins nettement détachées et s’articulent avec une voix nasonnée ; mais leur prononciation n’a pas le caractère spécial de la seconde ; les palatines, par exemple, ne sont pas articulées comme ch. Est-il besoin de dire que l’intégrité des mouvements de la langue et des lèvres, que l’on observe dans la paralysie simple du voile du palais, suffit d’ailleurs pour la distinguer de l’autre espèce morbide ? A une période avancée de la maladie, le pharynx semble para- lysé. Quelques sujets m’ont, été en effet adressés pour être traités d’une paralysie de cet organe. Mais à un examen attentif, j’ai reconnu que leurs muscles constricteurs du pharynx étaient intacts, et que la difficulté ou l’impossibilité d’avaler dépendait uniquement de la paralysie de la langue et du voile du palais. Ainsi, par exemple, chez le sujet de l’observation CXLÜ, dont les muscles moteurs de la langue et du voile du palais étaient complètement paralysés, les boissons et les aliments étaient repoussés fortement par la bouche et par les fosses nasales, au moment de la déglutition, par le fait de la contraction des constricteurs du pharynx ; ce qui n’aurait certai- nement pu se produire si ces muscles avaient été paralysés. Toute- fois je ne nie pas que les constricteurs du pharynx, et même l’œso- phage, ne puissent être quelquefois aussi paralysés; mais je déclare que je ne l’ai pas encore observé. C. — Paralysie de la septième paire. Personne ne confondra la paralysie de l’orbiculaire dès lèvres, qui est un des symptômes de la maladie que je décris ici, avec l’hé- miplégie faciale ; car la distorsion des traits, signe caractéristique de cette derniere, n’existe pas dans l’autre, qui affecte toujours égale- ment les deux côtes des lèvres. Cette erreur de diagnostic serait possible seulement, s’il existait 639 une paralysie double de la septième paire, en admettant toutefois que, dans ce cas, elle puisse être limitée à l’orbiculaire des lèvres ; ce dont il n’existe pas un seul exemple dans la science. DIAGNOSTIC. L’intégrité de la contractilité électrique du muscle orbiculaire des lèvres distingue l’affection dont j’expose l’étude diagnostique de la paralysie de la septième paire, qui, ainsi que je l’ai démontré ailleurs, est caractérisée par l’affaiblissement ou par la perte de cette propriété musculaire. Ce signe distinctif m’a servi dans l’un des cas rapportés précédemment (obs. CXLY), et qui, on se le rap- pelle, avait débuté exceptionnellement par la paralysie de l’orbicu- laire des lèvres. La malade ne pouvait froncer les lèvres ni les rapprocher forte- ment, et articulait très mal les labiales. On croyait à un commence- ment de paralysie double de la septième paire. Mais ayant trouvé la contractilité électro-musculaire normale, ce diagnostic ne m’a pas paru admissible. J’ai pressenti alors que cette paralysie des lèvres, compliquée d’une paralysie du voile du palais, et qui me rap- pelait un cas antérieur analogue, était peut-être le symptôme d’une affection très grave. On sait qu’en effet la paralysie s’est étendue plus tard à la langue, et que la malade a été enlevée fatalement par une syncope. D. — Atrophie de la langue, dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. La paralysie atrophique de la langue, du voile du palais et de l’orbiculairè des lèvres, pourrait être prise pour le début de l’atro- phie musculaire graisseuse progressive ; ou vice versâ, l’atrophie de la langue et des lèvres que l’on observe quelquefois dans cette der- nière affection pourrait être confondue avec la première. Sur 159 cas d’atrophie musculaire graisseuse progressive que j’ai observés, je n’ai point vu une seule fois la langue atteinte par l’atro- phie, au début ou dans la première période de cette affection. En conséquence, si, chez un sujet qui n’offre sur les membres ou sur le tronc aucune trace de l’atrophie musculaire graisseuse progres- sive, on rencontre des troubles dans la prononciation des consonnes et dans la déglutition, il est très probable qu’ils ne dépendent pas de cette maladie. Je dis seulement que cela est probable, car de ce que je ne l'ai jamais vue et qu’il n’en existe aucun exemple authen- tique dans la science, je ne veux pas encore en conclure que l’atro- phie des muscles de la langue et des lèvres ne se présentera jamais au début ou dans la première période de l’atrophie musculaire graisseuse progressive. PAR. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES. Admettant donc que, dans quelques cas infiniment rares, l’atro- phie de la langue et des lèvres se soit présentée dans les premiers temps de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, voici les signes qui distingueraient alors cette atrophie de la paralysie pro- gressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, dont nous agitons ici le diagnostic différentiel. L'une est une paralysie sans atrophie; l’autre, au contraire, est une atrophie sans paralysie. Les deux faits suivants, choisis comme exemples parmi les derniers que j’ai observés, démontrent l’exacti- tude et l’importance de cette distinction. Observation CXLVI. — Paralysie musculaire progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres. Je donne actuellement des soins à une femme âgée de quarante-sept ans (madame B..., piqueuse de bottines, rue Rochechouart, 1 4), dont les muscles de la langue, du voile du palais et de l’orbiculaire des lèvres se sont paralysés progressivement. Voici son histoire. D’une bonne santé habituelle et d’une forte constitution, bien réglée, elle éprouve, en octobre 1 859, un peu de diffi- culté en parlant et en avalant, sans douleur aucune et sans fièvre ni trouble dans la santé générale. Elle n’a jamais eu de maux de gorge; ses amyg- dales ont un volume normal. Elle ne se préoccupait pas de son état, dit-elle, parce qu’elle ne souffrait pas. Cependant sa gène dans la déglutition et dans la prononciation va croissant, et bientôt elle ne peut plus détacher net- tement les palatales ef les dentales, les consonnes t, d, sont prononcées comme le ch, et les labiales p et b sont les seules consonnes qui soient arti- culées. Elle commence à avaler difficilement sa salive, qui s’accumule dans sa bouche et devient visqueuse. Un mois après le début de sa maladie (en no- vembre 1 859), sa voix devient nasonnée, et souvent les boissons repassent en partie par les narines. A dater de ce moment, la déglutition des liquides et des solides, et conséquemment l’alimentation, sont de plus en plus diffi- ciles. Plus tard (en janvier 1860), la malade éprouve quelque peine à froncer les lèvres, à les rapprocher fortement l’une de l'autre ; les labiales, qu’elle articulait moins nettement depuis que la voix était nasonnée, se font à peine entendre: par exemple le p est prononcé avec peine et faiblement. Enfin, vers la même époque, elle a de temps à autre des étouffements, surtout lorsqu’elle marche; elle dit aussi quelle a quelquefois des étourdissements et des éblouissements, Son appétit a toujours été bon ; elle goûte parfaite- ment les aliments. Le 20 avril 1860, je constate tous les troubles fonction- nels qui caractérisent la paralysie delà langue, du voile du palais et de l’or- biculaire des lèvres. Ces troubles sont considérables : la malade ne fait plus entendre que des sons inarticulés ; la déglutition est difficile; l'alimenta- DIAGNOSTIC. 641 lion étant insuffisante, elle en est tombée dans un grand affaiblissement. La salive, qui ne peut plus être avalée, s’écoule constamment au dehors. La contractilité électro-musculaire est normale dans tous les muscles para- lysés. Le voile du palais tombe, ainsi que la luette, qui est déviée à gauche. La sensibilité de la muqueuse du pharynx, de la bouche et de la langue, est à peu près normale ; la titillation de la luette ou des autres points du voile du palais et du pharynx provoque la contraction de tous les muscles de cette région et des nausées. Les lèvres ne peuvent être froncées ni arrondies pour prononcer o, u, elles sont rapprochées difficilement. La langue est à peu près immobile ; la malade la porte seulement un peu en avant ou laté- ralement, mais.il lui est complètement impossible d’en relever la pointe ni d’en élever le dos ou la base. Eh bien, quoique celte paralysie date de plus de six mois, la langue est largement développée ; ses bords sont lisses, et ses muscles ne présentent pas le plus léger signe d'atrophie. Les facultés affectives sont très surexcitées chez celte malade depuis qu’elle a perdu, il y a deux ans, une fille de quatorze ans, et dont le sou- venir la poursuit toujours. La moindre allusion à sa maladie la fait égale- ment pleurer. Ce qui l’affecte le plus, c’est de ne pouvoir parler ; c’est aussi son état désespéré. Malgré cette surexcitabilité de la sensibilité, son intel- ligence est intacte. — Enfin, depuis une quinzaine de jours, aujourd’hui 20 octobre t860, elle est presque aphone. Sa fin est prochaine. On voit, en somme, dans cette observation, que dès le début la langue a été frappée de paralysie ; que cette paralysie a augmenté progressivement, en s’étendant au voile du palais et à l’orbiculaire des lèvres; qu’après six mois de durée, alors qu’elle était à son maximum, la langue cependant a conservé toute son ampleur, et que les muscles ne se sont pas atrophiés. C’est ce que j’ai toujours observé. Une fois, chez, un sujet dont l’observation a été relatée précédemment (obs. GXLI), j’avais été trompé par les apparences. J’ai dit, en effet, que dans ce cas la langue, complètement immobile, était abaissée sur le plancher de la bouche; qu’elle était un peu plissée longitudinalement et en apparence un peu atrophiée. Mais on a vu qu’en deux séances de faradisation, cette langue s’était relevée et qu’elle s’était largement développée, en acquérant un peu plus de mobilité. Cela ne serait certes pas arrivé presque instantanément (en deux séances), si les muscles avaient été atrophiés, car il faut toujours un temps assez long pour exercer sur la nutrition une action thérapeutique appréciable. Je vais maintenant montrer, dans le cas suivant, que, dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive, les phénomènes DUCHENSE. 41 642 PAR. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES, symptomatiques de l’atrophie de la langue (1) sont bien diffé- rents. Observation CXLYil. —En 1859, j’ai été appelé à soigner, concurrem- ment avec MM. Trousseau et Yosseur, M. F..., de Barcelone, affecté de- puis deux ans d’une atrophie musculaire graisseuse qui était déjà généra- lisée, et qui depuis quelques semaines avait atteint les muscles moteurs de la langue (il a déjà été question de ce sujet dans ce chapitre, page 453, observation XCIX); sa prononciation était un peu gênée, et la langue me semblait avoir un peu diminué de volume. J'ai suivi pendant près d’une année les progrès de celte atrophie de la langue, qui, en mai 1860, était considérablement amincie, et dont la longueur et la largeur avaient diminué proportionnellement. Eh bien, cette langue si atrophiée pouvait cependant se mouvoir en tous sens ; la force de ses mouvements était seulement affaiblie, et il en résultait que la prononciation et la déglu- tition étaient devenues de plus en plus difficiles ; la parole était lente et pé- nible ; l’articulation des consonnes était moins nette, moins bien détachée, mais elle ne ressemblait nullement à celle que l’on entend dans la paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, et qui est pro- duite principalement par l’impossibilité d’élever l’extrémité antérieure ou le dos de la langue pour les appliquer contre la voûte palatine. La gêne de la déglutition obligeait M. F... à faire un effort et à avaler lentement, mais elle n’allait pas jusqu’à l’empêcher de déglutir des aliments solides, sa boisson ou sa salive. Enfin M. F... éprouvait aussi, comme la malade de l’observa- tion précédente (obs. CXLVI), des troubles de la respiration, mais ils étaient occasionnés uniquement par l’atrophie incomplète du diaphragme et des intercostaux; ce qui produisait une grande perturbation dans le méca- nisme de la respiration. (J’ai décrit ces phénomènes pathologiques dans mes Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur le diaphragme.) 11 ressort donc des deux faits précédents, qui ne sont relatés ici que comme types des deux espèces morbides différentes (la paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres d’une pari, et de l’autre l’atrophie musculaire graisseuse progressive): 1° que, dans la première, les troubles de la prononciation et de la dégluti- tion sont produits par la paralysie de la langue, sans atrophie de cet organe, tandis que, dans la seconde, ils ne sont causés que par I atrophie de la langue, qui jouit de tous ses mouvements, affaiblis seulement en raison directe de la diminution de la quantité et du (1) Phénomènes exactement semblables à ceux que j’ai notés dans huit cas d’atrophie musculaire graisseuse progressive. volume de ses faisceaux musculaires; 2° que les signes symptoma- tiques que l’on observe dans ces cas permettent d’établir le dia- gnostic différentiel de ces deux maladies. DIAGNOSTIC. E. — Maladies associées. La paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, peut exister coïncidemment avec une autre affection mus- culaire. 11 en résulte que l’observateur, s’il n’a pas eu l’occasion d’étudier chacune de ces affections isolées, et surtout s’il ne possède pas de connaissance suffisante sur ces deux espèces morbides, est exposé à ne voir dans leur association accidentelle qu’une seule et même maladie. J’ai été exposé moi-même à commettre cette erreur de diagnostic, dans un cas d’atrophie musculaire graisseuse pro- gressive, coïncidant avec une paralysie progressive de la langue. Observation GXLYJII. — Paralysie progressive de la langue, du voile du palais el des lèvres, coïncidant avec l'atrophie musculaire graisseuse progressive limitée ù quelques muscles des membres supérieurs. Un employé du mont-de-piété, M. X..., vient, en mars 1858, réclamer mes soins pour une affection musculaire des membres supérieurs, qui le gène dans l'exercice de sa profession. Il dit que depuis près de deux mois il voit sa main droite s’amaigrir progressivement, ainsi que son avant-bras de ce côté, et que la maladie a commencé par la diminution du relief qui, dans la paume de la main, se trouve au-dessus de l’origine du pouce (du relief de l'éminence thénar); qu’à partir de ce moment, l’usage de sa main est devenu de plus en plus difficile. Ainsi il a de la peine à écrire quelques mots; il ne peut plus faire ni défaire les paquets qui sont apportés au mont- de-piété. 11 ajoute que sa main droite a commencé à s’amaigrir et à s'affai- blir également depuis quelques mois. Il n’a jamais éprouvé de douleurs, et il ne sait à quelle cause attribuer sa maladie. Telle est l’histoire qu’il me rapporte, et je constate en effet chez lui l’état suivant : A droite, l’éminence thénar a presque entièrement disparu, les espaces interosseux sont profon- dément creusés, l’opposition du pouce est perdue, la flexion et l’extension de sa dernière phalange sont seules exécutées ; quand il veut ouvrir la main, ses premières phalanges s’étendent d’une manière exagérée et ses deux der- nières phalanges sont un peu infléchies sur les premières phalanges. Cette griffe de la main est cependant inégale dans chaque doigt ; ainsi elle est plus prononcée dans l’index. La flexion des doigts et les mouvements en tous sens du poignet sont exécutés, mais sans force. A gauche, je trouve 1 eminence thénar légèrement aplatie et l’absence des mouvements pro- pres au court abducteur du pouce. A l’exploration électro-musculaire du 6/li PAU. MUSC. PUOGU. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES, côté droit, les muscles de l’éminence thénar et les interosseux de l'index ne réagissent plus ; les autres interosseux répondent à peine à cette excitation ; les muscles de l’avant-bras se contractent normalement, bien qu’ils soient déjà très atrophiés. Cet état pathologique expliquait les troubles fonction- nels accusés par ce malade. Mais, poussant plus loin mes investigations, je découvris que l’atrophie musculaire avait fait d’autres ravages, ce dont il ne se doutait pas. Ainsi je ne retrouvai plus le tiers inférieur des trapèzes ; le long supinateur du côté gauche, et plusieurs autres muscles étaient atro- phiés inégalement et par portions sur le tronc et aux membres supérieurs, sans être toutefois détruits, c’est-à-dire qu’ils répondaient à l’excitation volontaire et électrique. Enfin, on voyait la peau soulevée par des contrac- tions fibrillaires dans un grand nombre de régions. Je trouvais donc chez ce sujet les signes pathognomoniques de l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Cette affection, dont j’avais déjà recueilli un si grand nombre d’exemples, n’excitait plus vivement mon intérêt ; mon attention était plutôt attirée par un trouble de la prononciation qui rendait sa parole presque inintelli- gible, et qui avait un caractère que je n’avais jamais rencontré dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Son origine remontait seulement à six semaines à peu près ; cependant le malade ne m’en avait pas entretenu, parce que, disait-il, la perte de l’usage de ses mains le préoccupait seule. Ce trouble de la prononciation était-il produit par l’atrophie des muscles de la langue? C’était ma pre- mière pensée. Sur cent cinquante-neuf cas d’atrophie musculaire graisseuse progressive, j’avais vu treize fois la langue atteinte par l’atrophie, mais à une période beaucoup plus avancée, alors que la maladie était généralisée. Cette considération, et le mode d’arti- culation tout particulier, chez ce malade, que je n’avais jamais entendu que dans la paralysie de la langue, m’inspirèrent quelques doutes; et, poussant plus loin mon examen, voici ce que j’observai : La langue, loin d’être atrophiée, était largement développée et unie à sa surface; elle était comme fixée au plancher de la bouche : le malade n’en pouvait relever ni la pointe ni le dos pour l’appliquer contre la voûte palatine ; il la portait seulement un peu en avant, ou latéralement. Sa bouche était remplie d’une salive épaisse, filante, qu’il avalait difficilement et incom- plètement. La déglutition était considérablement gênée; cependant son voile du palais n’était pas paralysé et sa voix n’était pas nasonnée. Il ne pouvait froncer les lèvres ni arrondir l’ouverture buccale. Il articulait mal toutes les consonnes et de la même manière que dans la paralysie de la langue et de l’orbiculaire des lèvres. J’ai suivi ce malade pendant un mois et DIAGNOSTIC. demi, et j'ai vu la paralysie s'étendre aux muscles du voile du palais, et, augmenlant progressivement, occasionner des troubles fonctionnels de plus en plus graves dans la déglutition et dans la prononciation, bien que la langue eût conservé son volume normal. I! commence à éprouver de temps à autres des étouffements, et cependant les muscles qui président au mé- canisme de la respiration n’étaient pas atteints par l’atrophie musculaire. Après un mois de traitement sans résultat appréciable, cet homme n’est plus revenu me voir, et j'ignore comment s’est terminée sa double affection. Il est de toute évidence que le sujet dont je viens de rapporter l’observation avait deux maladies différentes : l’une, l’atrophie mus- culaire graisseuse progressive, avait détruit les muscles de sa main, et atrophié à des degrés divers un assez grand nombre d’autres muscles, sans paralyser toutefois les mouvements, qui n’étaient plus exécutés que lorsqu’il n’y avait plus de muscles, ou qui étaient seu- lement affaiblis en raison de la diminution de lu quantité des fais- ceaux musculaires ; l’autre, au contraire, la paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, avait aboli d’emblée les mouvements, sans léser la nutrition musculaire. Le hasard seul, une simple coïncidence, comme cela peut arriver dans toutes les maladies, avait réuni ces deux espèces morbides distinctes, et que l’on voit, en général, naître, marcher et se terminer isolément et indépendamment. La paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres est infiniment plus grave que l’atrophie musculaire grais- seuse progressive, parce qu’elle donne la mort dans un temps très court (six mois à trois ans), tandis qu’en général l’atrophie mus- culaire graisseuse progressive marche lentement, ou reste long- temps stationnaire, ou s’arrête définitivement, après avoir détruit proportionnellement plus ou moins de muscles. Dans les cas même où cette dernière affection a atteint les muscles de la langue, les troubles de la prononciation et de la déglutition ne deviennent considérables que lorsque l’altération graisseuse a détruit ces mus- cles, ce qui n’a lieu que très lentement et tardivement. Ainsi, M. F..., de Barcelone, atteint d’une atrophie musculaire généralisée, et dont il a été question précédemment (obs. CXLV11), avait déjà la langue un peu atrophiée, quand je l’ai vu pour la première fois. Un an après, sa langue avait perdu les deux tiers de son volume, et elle jouissait encore de tous ses mouvements, quoiqu’ils fus- sent affaiblis proportionnellement à l’atrophie. Chez un autre malade que j’ai vu succomber à l’atrophie musculaire généralisée, l’atrophie avait mis deux années à détruire les muscles de la langue. 646 Ces faits et ces considérations démontrent combien il est impor- tant de ne pas confondre ces deux affections parfaitement distinctes et indépendantes l’une de l’autre. PAR. MUSC. PROGR. DE LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES. Un praticien distingué, M. le docteur Dumesnil, a publié (1) un fait postérieurement observé à celui que j’ai relaté ci-dessus (obs. CXLV1II), et qui a unegrande ressemblance avec lui. C’est aussi un cas d’atrophie musculaire graisseuse progressive limitée au membre supérieur, et associée à une paralysie progressive de la langue, du pharynx et des lèvres. Cette dernière affection musculaire dont je recueille des faits depuis 1852, n’ayant pas encore été décrite comme espèce morbide distincte, on s’expliquera facilement que M. Dumesnil, observateur sagace, ait pu, dans les savantes considérations anatomiques dont il a fait suivre l’exposé de son observation, confondre cette affection avec l’atrophie musculaire graisseuse progressive, en rapportant à une seule et même maladie l'atrophie musculaire limitée à l’un des membres supérieurs, et la paralysie, sans atrophie, de la langue et de quelques muscles de la face, lésions musculaires qu’il a vues réunies chez son malade. « Parmi les observations déjà si nombreuses d’atrophie des ra- cines antérieures des nerfs rachidiens, écrit M. Dumesnil, nous n’en connaissons aucune dans laquelle l’altération se soit étendue aux nerfs céphaliques, et cette particularité nous a paru introduire dans l’histoire de cette affection un élément assez important pour que nous nous empressions de la signaler (2). » Il est à regretter que cet observateur n'ait pas été plus au courant de l’histoire de l’atrophie musculaire graisseuse progressive (paralysie atrophique de M. Cruveilhier), et qu’il n’ait pas su que, dans cette affection, les muscles de la langue ont été atteints par l’atrophie, dans plu- sieurs cas) dont j’ai exposé la relation, et que, dans l’un de ces cas, M. Cruveilhier, « a vu le tissu musculaire presque entièrement transformé en tissu adipeux, et la substance nerveuse proprement dite (du grand hypoglosse) réduite à des proportions qui ne dé- passaient pas la sixième partie. Plusieurs divisions de ce nerf étaient même réduites au névrilème ; d’autres ne présentaient qu’un fila- ment nerveux très délié, moins blanc que de coutume. Mais, ce qui rendait l’atrophie du nerf grand hypoglosse plus frappante encore, c’était la comparaison de ce nerf avec le nerf lingual, qui avait conservé son volume normal et dont les gros filets nerveux, bien (1) Gazette hebdomadaire, juin 1859, p. 390. (2) Ces faits ne sont pas si nombreux; il n’en existait alors que trois, qui d’ailleurs se trouvaient en contradiction avec trois autres cas négatifs. CAUSES, SIEGE, NATUKE. blancs et bien nourris, contrastaient avec l’exiguïté du tronc et des divisions du nerf grand hypoglosse (1). » J’ai vu chez Lecomte, dont M. Cruveilhier rapporte ci-dessus l’autopsie, la langue diminuer de volume progressivement pendant deux ans, et j’affirme qu’il a pu faire mouvoir sa langue jusqu’à ce que les muscles en fussent entièrement détruits, avec d’aulant moins de force, bien entendu, que la langue était plus atrophiée. Si M. Dumesnil avait eu connaissance de ce fait, il aurait senti qu'il ri y a pas de rapport entre son cas de paralysie complète de la langue dont il a trouvé, à l’autopsie, les muscles sains, possédant leur volume normal, et Vatrophie graisseuse de la langue, que l'on observe quelquefois dans la période ultime de Vatrophie musculaire graisseuse progressive. § IV. — Causes, siège, nature et traitement Pour compléter l’étude pathologique de la paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, il faudrait connaître ses causes, le siège et la nature de sa lésion centrale; j’avoue que sur ces différentes questions je ne possède que des données ou obs- cures, ou insuffisantes, pour ne pas dire nulles. I. J’ai recherché avec le plus grand soin, mais vainement, les causes possibles de cette affection. Une fois (obs. CXLVI) elle parais- sait s’être développée sous l’influence de profonds chagrins. Dans deux autres cas que je n’ai pas relatés, il existait, chez l’un, des acci- dents syphilitiques tertiaires, chez l’autre, un état rhumatismal, qui se traduisait depuis plusieurs années par des douleurs rhu- matoïdes générales. Dans aucun des autres cas, il ne m’a été pos- sible de découvrir la moindre cause appréciable. La maladie est venue, d’une manière insidieuse, surprendre pour ainsi dire les ma- lades dans des conditions de santé qui présageaient une existence longue et heureuse. Qu’il me suffise d’en rappeler ici plusieurs exemples choisis parmi les observations qui ont été rapportées dans le cours de ce travail. M. le comte de X (obs, CXLII) arrive à l’age de cinquante-six ans, sans avoir eu de maladies. Doué d’une forte et belle constitution, d’une force musculaire peu commune, il ne se rappelle même pas avoir eu la plus légère indisposition ; son existence s’est écoulée heureuse jusqu’au moment où, sans souf- france et sans cause connue, il est surpris par cette terrible maladie. L’histoire des autres malades est à peu près la même. M. P (I) Archives générales de médecine, 1853, t. I, p. 590, (obs. CXL1), ayant toujours joui d’une bonne santé et d’une riche constitution, se retire des affaires à l’âge de quarante-cinq ans, espé- rant jouir de la fortune considérable qu’il a amassée. C’est alors qu’il est atteint, sans cause appréciable, de cette maladie dont personne n’a soupçonné la gravité, et dont la terminaison est fatalement pro- chaine, au moment où je suis appelé auprès de lui. D’un caractère heureux, aimant la vie, le vin, la bonne chère, et goûtant tout ce qui touche au palais, il pleure toujours de ne pouvoir avaler, quoiqu’il ait toujours faim et soif; il pleure de ne plus pouvoir parler ; il pleure en pressentant sa fin prochaine, se sentant mourir, dit-il, seulement de faim. PAR. MUSC. PROGR. DU LA LANGUE, DU VOILE DU PALAIS ET DES LÈVRES. La paralysie progressive delà langue, du voile du palais, est une maladie de l’âge adulte, du moins je ne l’ai observée que de qua- rante à soixante ans. Cette maladie me paraît assez fréquente, car j’en ai observé quinze cas dont sept en moins d’une année. Depuis la publication de mon mémoire, depuis deux mois, quatorze nouveaux cas m’ont été com- muniqués par des confrères; ce qui fait un total de dix-neuf cas de paralysie de la langue, du voile du palais et de l’orbiculaire des lèvres. II. Le siège périphérique de cette maladie est facile à connaître pour ce qui a trait aux troubles musculaires. J’ai démontré, dans l’étude des symptômes, qu’elle se localise dans les muscles moteurs de la langue, du voile du palais et de l’orbiculaire des lèvres, sans nier qu’elle s’étende quelquefois à quelques muscles voisins de ce dernier. Malheureusement il ne m’a pas été permis jusqu’à ce jour de faire une seule nécropsie dans cette maladie, les sujets que j’en ai vus mourir ayant appartenu à la pratique civile. Cette question reste donc à élucider. Elle ne peut tarder à l’être, car, ainsi que je l’ai dit plus haut, la paralysie progressive de la langue, du voile du palais, n’est pas rare, et, après la description que j’en ai faite, le diagnostic en sera facile. Tout le monde comprend qu’il faut, avant tout, étudier les cas simples : c’est pourquoi je ne tiens aucun compte du cas de né- cropsie complexe recueilli par M.Dumesnil, et dont il a été question dans le paragraphe précédent (§ 111). Ce fait, pour le moment, ne peut que jeter de l’obscurité sur celte question d’anatomie pathologique. Peut-il exister une lésion anatomique centrale, soit anatomique, soit hypérémique, soit dynamique quelconque, qui rende raison de la localisation des troubles fonctionnels périphériques ? Il faudrait pour cela que, dans cette espèce morbide, la même et unique lésion intéressât toujours à leur origine, et cela sans s’étendre aux nerfs ou aux filets : 1° le grand hypoglosse; 2° les fibres motrices du voile du palais, qui proviennent de la branche motrice de la cin- quième paire; 3° les filets moteurs de l’orbiculaire des lèvres et peut-être le pneumogastrique. Il est certes difficile d’admettre une pareille localisation pathologique dans un point du centre nerveux. TRAITEMENT PAR LA FARADISATION. 649 Admettant cependant que la lésion morbide siège réellement dans ces nerfs ou filets nerveux, comment expliquer que les mus- cles, animés par ces derniers, puissent être paralysés sans perdre leur contractilité électrique, tandis que, par exemple, ainsi que je l’ai démontré, il suffit de la plus légère altération des nerfs mixtes et de la septième paire pour affaiblir ou abolir cette même contrac- tion électro-musculaire? Et puis, pour quelle raison, dans cette espèce morbide, la lésion anatomique affecte-t-elle toujours les mus- cles qui président à l’articulation des mots et la déglutition? Toutes ces considérations font entrevoir les difficultés de la question anato- mique à résoudre. Quelle est la nature de cette maladie? Dans quelle classe de pa- ralysie doit-elle être placée? Si elle n’offre pas de lésion anatomi- que, doit-on la ranger dans les névroses? Ce sont des problèmes dont la solution se fera peut-être longtemps attendre. Traitement par la faradisation. Ce n’est pas lorsque l’étude clinique d’une maladie vient à peine de naître qu’il est possible de porter un jugement sur la valeur de sa médication, quelle qu'elle soit. Toutefois, m'appuyant sur l’expé- rience déjà acquise, la faradisation des muscles affectés, appliquée à temps, me paraît être un des meilleurs moyens à opposer à l’affec- tion dont nous nous occupons. Los sujets auprès desquels j’ai été appelé en ont en effet éprouvé une amélioration plus ou moins grande, bien qu’ils se trouvassent alors dans une période très avan- cée de la maladie. Sous l’influence de cette médication locale, la parole est devenue rapidement plus facile, et quelquefois même la déglutition s’est améliorée. Ainsi la malheureuse femme dont l’obser- vation a été rapportée précédemment (obs. CXLVI) ne pouvait, avant que la faradisation lui fût appliquée, prononcer la moindre articu- lation ; elle avalait difficilement les liquides et les aliments solides. Après quelques séances, son état s’était amélioré au point qu’elle articulait quelques mots assez distinctement, quoique avec infini- ment de peine, et qu’elle avalait des aliments solides, des viandes 650 rôties. Cette alimentation riche et solide avait augmenté ses forces. Mais, hélas! il est trop tard, cà en juger par les faits antérieurs : cette malheureuse est vouée à une mort certaine ; dans quelques semai- nes sans doute elle périra, comme les autres, dans une syncope. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. Appliquée au début ou à une époque voisine du début, la faradi- sation guérira-t-elle cette maladie ou en arrêtera-t-elle la mar- che? Bien que je n’ose l’espérer, cela n’est certes pas impossible. Je ne conseillerai cependant pas de s’en tenir à ce moyen. Je crois au contraire que, même dès le début, on doit lui associer une autre médication énergique. Mais quelle doit être cette médication? c’est ce qu’il faudra rechercher, même empiriquement. CHAPITRE XVIII. PARALYSIES MUSCULAIRES PARTIELLES DE LA TÊTE , DES ORGANES THORACIQUES, ABDOMINAUX ET GÉNITAUX. J’exposerai dans ce chapitre les recherches électro-pathologiques et thérapeutiques que j’ai faites sur quelques paralysies muscu- laires partielles de la tête et des organes qui président à la pho- nation, à la respiration, à la défécation, à la miction et aux fonc- tions génitales de l’homme. Ces paralysies diverses feront le sujet de plusieurs articles sous les titres de : 1° paralysie de la septième paire; 2° paralysie des muscles moteurs de l’œil ; 3° paralysie du voile du palais, du pharynx, de l’œsophage et du larynx; U° para- lysie du diaphragme; 5° paralysies du rectum, de la vessie et des organes génitaux de l’homme. Je les ai réunies dans un même chapitre, parce que pour la plupart elles ne constituent pas, comme les paralysies décrites dans le cha- pitre précédent, des espèces morbides distinctes, parce qu’elles peu- vent être symptomatiques de maladies différentes. ARTICLE PREMIER. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. L’histoire et la symptomatologie de la paralysie de la septième paire, qui sont toutes modernes (1), sont trop connues pour que (1) Avant que Ch. Bell ait découvert la propriété motrice de la septième paire, toute hémiplégie faciale était attribuée à une lésion de l’hémisphère céré- bral opposé. C. Bérard, professeur de physiologie, est le premier qui ait bien décrit la paralysie de ce nerf à son point d’émergence ou dans sa continuité. 01UGINE RÉELLE DE LA SEPTIÈME PAIRE. 651 je doive exposer de nouvelles considérations sur ce sujet. Je me bornerai à exposer quelques-unes de mes recherches électro-patho- logiques et thérapeutiques sur les lésions de ce nerf et sur sa para- lysie rhumatismale que j’ai eu l’occasion d’observer et de traiter plus de deux cents fois. On a parfaitement décrit la distorsion des traits qui caractérise la paralysie en masse de tous les muscles animés par la septième paire. Je n’en puis dire autant des paralysies partielles qui s’observent fréquemment, soit au début, soit pendant le cours de la maladie. Il eût fallu connaître, pour cela, l’action individuelle des muscles de la lace, au point de vue des mouvements et au point des lignes ex- pressives. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer cette étude qui m’en- traînerait dans de trop longs développements, et qui d’ailleurs a été le sujet d’un mémoire adressé en 1850 à l’Académie de médecine de Paris (1), et que j’ai reproduit dans la précédente édition (2). Cette étude, sur laquelle j’ai fait de nouvelles recherches, sera publiée dans le livre d’électro-physiologie musculaire, actuellement sous presse ; j’y renvoie le lecteur. Il est cependant un petit muscle de la face dont il importe de bien déterminer ici la fonction (qui me paraît avoir été entièrement méconnue) ; car sa paralysie occasionne un trouble considérable dans l’absorption des larmes; je veux parler du muscle de Borner. Voici les conditions pathologiques dans lesquelles j’ai pu étudier l’action propre et la fonction de ce muscle. Depuis longtemps j’ai remarqué que parmi les sujets atteints de paralysie de la septième paire et dont les paupières sont également privées de mouvement, il en est chez lesquels les larmes ne sont plus absorbées et s’écoulent abondamment sur la face, tandis que chez les autres l’épiphora est à peine apparent. Chez ces derniers, le grand angle est arrondi et à peine déformé, tandis que, chez les premiers, ce grand angle est aigu et les points lacrymaux plus éloignés, en dehors, d’un à deux millimètres. Dans ces cas divers, les muscles palpébraux ont perdu leur contractilité électrique, comme on l’observe dans tous les muscles paralysés à la suite de la lésion de la septième paire; mais si l’on place les rhéophores à pe- (1) Application de la galvanisation localisée à l’élude des fonctions des muscles de la face (Bulletin de l’Académie de médecine. Paris, 1849-1850, t. XV, p. 491, 553, 634). —Voyez aussi le rapport de M. le professeur Bérard, sur ce mémoire (Bulletin de l’Académie de médecine, 1850-1851, t. XVI, p. 609). (2) De l’électrisation localisée. Paris, 1855, in-8, 2e partie, ch. iv. Électro- physiologie des muscles de la face, p. 373. 652 tite surface sur la partie interne des paupières, en dedans des points lacrymaux, on voit, chez les sujets dont le grand angle de l’œil a conservé sa forme arrondie, normale, ces points lacrymaux saillir d’un millimètre à un millimètre et demi et plonger dans le lac lacrymal, en se portant en dedans. Au contraire, lorsque le grand angle de l’œil est déformé et que les points lacrymaux sont plus éloignés du sommet et de l’angle interne qu’à l’état normal, l’exci- tation ne produit aucun mouvement de ces points lacrymaux. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. Dans ce dernier cas, le muscle de Horner est paralysé et a perdu sa contractilité électrique (comme les portions palpébrales de l’or- biculaire des paupières) ; c’est à cette paralysie que sont dus : 1° la déformation du grand angle de l’œil, qui est aigu; 2° l’éloi- gnement en dehors des points lacrymaux ; 3° l’écoulement des larmes, qui ne sont pas absorbées, les points lacrymaux ne pouvant plus plonger dans le lac lacrymal, dont ils restent toujours éloignés par le fait de la paralysie du muscle de Horner. •— Dans l’autre cas, les portions palpébrales de l’orbiculaire sont seules paralysées et ont perdu leur contractilité électrique; puis, grâce à la force to- nique du muscle de Horner et de ses mouvements volontaires, le grand angle de l’œil a conservé sa forme arrondie ; les points lacrymaux qui sont à leur distance normale du sommet du grand angle de l’œil peuvent, en allant plonger dans le sac lacrymal, ab- sorber les larmes; enfin l’intégrité de la contractilité électrique du muscle de Horner, coexistant avec l’abolition de cette propriété dans les portions palpébrales de l’orbiculaire des paupières, permet de faire contracter par la faradisation localisée isolément le muscle de Horner et d’en connaître ainsi exactement l’action propre, comme on l’a vu ci-dessus. En résumé, il est démontré par les faits pathologiques précé- dents et par l’expérimentation électro-pathologique ; l°que le muscle de Horner fait saillir les points lacrymaux pour les porter en dedans et les plonger dans le lac lacrymal, où ils vont puiser les larmes (fonction qui a lieu pendant le clignement des paupières); 2° que la force tonique de ce muscle donne à l’angle interne de l'œil sa forme arrondie; 3° que, par sa paralysie, l’angle interne de l’œil devient aigu, que les points lacrymaux s’écartant en dehors et ne pou- vant plus plonger dans le lac lacrymal, les larmes s’écoulaient au dehors. Quant à la prétendue compression exercée sur le sac lacrymal par le muscle de Horner (seule fonction qu’on lui ait attribuée jus- qu’à ce jour), je ne le crois pas possible dans les conditions nor- males,, car il faudrait pour cela que l’attache externe de ce muscle devînt fixe comme son attache interne ; alors on comprendrait que sa tension pourrait comprimer le lac lacrymal. Or, ce n’est pas ce que l’on observe lorsque l’on fait contracter isolément le muscle de Borner, dans les circonstances que j’ai fait connaître précédem- ment. On voit alors, au contraire, que cette attache externe du muscle de Borner est très mobile, et qu’il épuise toute son action à mettre en mouvement les points lacrjftnaux; et l’on ne peut vrai- ment comprendre comment il pourrait alors comprimer le sac lacrymal. ORIGINE REELLE DE LA SEPTIEME PAIRE. 653 On verra par la suite l’importance pratique de ces notions phy- siologiques et pathologiques, au point de vue du diagnostic et du traitement par la faradisation localisée. Mes recherches sur la paralysie rhumatismale de la septième paire, que j’ai déjà fait connaître en 1855, dans la précédente édi- tion, sont inséparables de l’étude de la contracture consécutive à la paralysie de la septième paire, et qui, ainsi que je l’établirai, est, à certains degrés de lésion de ce nerf, une terminaison habituelle de la paralysie rhumatismale. Cette espèce de contracture est peu connue, elle avait été seulement signalée par Magendie, mais non étudiée à mon point de vue, antérieurement au travail que j’ai publié sur ce sujet avant 1855. § I. — Exposé des recherches anatomiques et physiologiques qui ont été faites sur l’origine réelle de la septième paire. Depuis longtemps j’ai établi par des faits que, de même que pour les nerfs mixtes, toute lésion de la septième paire diminue ou abolit la contractilité électrique des muscles qui en reçoivent leur inner- vation; que cette altération delà contractilité électro-musculaire peut se manifester dans le cours du premier septénaire après la lé- sion, et qu’elle persiste même souvent après le retour de la contrac- lilité volontaire. Mais ces recherches électro-pathologiques n’avaient trait qu’aux lésions du nerf facial à son origine apparente (à son émergence de la fossette sus-olivaire) et dans sa continuité. A l’époque où parut la précédente édition de mon livre sur l’électrisation localisée, en 1855, je n’étais pas encore fixé sur l’état de la contractilité élec- trique de la paralysie faciale, consécutive à la lésion des filets ori- ginels de la septième paire. Cette étude électro-pathologique, sur laquelle les belles recherches de M. Yulpian sur l’origine de plu- sieurs paires de nerfs crâniens avaient déjà attiré mon attention PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. depuis 1853 (1), me paraît aujourd’hui assez avancée pour que je puisse, à ce sujet, formuler une opinion appuyée sur mes observa- tions et mes expériences électro-pathologiques. Je ne saurais le faire clairement, sans exposer l’état de la science sur l'origine réelle de la septième paire et sur les recherches phy- siologiques faites sur ce point de l’histoire du nerf facial. Je mon- trerai ensuite les heureuses applications que l’on a faites de ces connaissances anatomiques et physiologiques à l’étude de certaines paralysies dites alternes; enfin j’exposerai les recherches que j’ai laites sur l’état de la contractilité électro-musculaire dans ces pa- ralysies alternes. Tous les anatomistes s’accordent sur l’origine apparente de la septième paire, mais il n’en est pas de même de son origine réelle. La plupart d’entre eux avouent qu’ils n’ont pas pu le suivre au delà de son point d’émergence. Parmi ceux qui ont cherché son origine réelle, on cite Malacarne, qui l’a poursuivi jusqu’au plancher du quatrième ventricule, et M. Cruveilhier, qui a écrit que « l’on peut la suivre, à travers le corps restiforme, jusque dans l’épaisseur de la protubérance, où l’on voit ce nerf s’épanouir en filaments, dont les uns se portent en dedans du côté de la ligne médiane de la pro- tubérance , les autres en dehors du côté du cervelet. J’ai pu suivre (dit l’éminent anatomiste) quelques-uns de ces filaments, dans l’épaisseur du faisceau innommé, au voisinage du sillon médian du calamus scriptorius. » D’autres anatomistes avaient aussi tenté de déterminer l’origine profonde du nerf facial ; mais Slilling en 18à6, et plus tard, en 1853, MM. les docteurs Yulpian et Philipeaux, ont poursuivi la racine de la septième paire beaucoup plus loin que leurs devanciers; leurs recherches anatomiques présentent un caractère de certitude qui ne se trouve pas dans les travaux antérieurs. Les expériences phy- siologiques sont d’ailleurs en parfaite concordance avec les faits anatomiques que ces auteurs ont signalés. Ces recherches anato- miques et physiologiques sont tellement importantes que je deman- derai la liberté d’exposer ici un extrait du mémoire de MM. Yulpian et Philipeaux. « Nous devons commencer par dire que toutes les radicules qui corapo- (1) Essai sur l’origine de plusieurs paires de nerfs crâniens (troisième, qua- trième, cinquième, sixième, septième, huitième, neuvième et dixième), thèse pour le doctorat en médecine, par F.-F. Alfred Yulpian, 1853. —Ce travail,pré- senté par M. Yulpian pour sa thèse inaugurale, a été réimprimé sous son nom et sous celui de M. Philipeaux, avec qui il avait fait les recherches qui en forment la base. EX PEU. POYSIOL. SUR L’ORIGINE RÉELLE DE LA SEPTIÈME PAIRE, sent la racine du nerf facial suivent, exactement la même direction ; celles- là même qui s’enfoncent entre les arceaux inférieurs de la protubérance vont bientôt se rallier au gros de la racine. » Les radicules du nerf facial plongent directement d’avant en arrière dans le bulbe, et pénètrent, par conséquent, au-dessous de la protubérance dans le faisceau bulbaire qui forme le fond de la fosse de l’éminence oli- vaire. Elles traversent toute l’épaisseur du bulbe, en suivant la même direc- tion. Dans ce trajet, au travers du bulbe, la racine du nerf facial s’aplatit de dehors en dedans. Celte racine atteint le plancher du quatrième ventri- cule, au niveau de son bord externe ; elle devient alors superficielle, et change de direction. Elle marche alors de dehors en dedans et un peu d’ar- rière en avant: à mesure qu’elle s’approche du sillon médian, elle devient de plus en plus superficielle ; elle l’est tout à fait à deux lignes du sillon, A ce niveau, elle n’est, pour ainsi dire, recouverte que par la membrane qui tapisse le plancher du quatrième ventricule, et elle s’élargit en éventail. » Lorsqu’on enlève avec soin la membrane qui tapisse la paroi antérieure du quatrième ventricule, on peut très facilement suivre les radicules du nerf facial jusqu’à la ligne médiane. Là, les radicules du nerf facial droit s’entrecroisent, en grande partie, avec celles du nerf facial gauche : cet entrecroisement est des plus évidents, nous l’avons toujours trouvé. * Toutes les radicules du nerf facial droit ne semblent pas s’entrecroiser avec celles du nerf facial gauche, au niveau du plancher du quatrième ven- tricule. Quelques-unes, les moins superficielles, paraissent pénétrer dans le sillon médian du plancher du quatrième ventricule et se mêler aux fibres antéro-postérieures qui traversent l’étage supérieur de la protubérance entre les faisceaux intermédiaires, fibres que l’on retrouve aussi sur toute la hauteur du bulbe. Or, nous avons vu ces fibres, une fois arrivées au-des- sous de l’étage supérieur de la protubérance, s’entrecroiser d’un côté à l’autre, pour se continuer, les unes avec les fibres transverses de la protu- bérance, les autres avec les faisceaux ascendants des pédoncules céré- braux. Ces radicules n échappent donc point à l’entrecroisement. » Une remarque sur laquelle nous ne saurions trop insister, c'est que la racine du facial est une: on poursuit ses radicules jusqu’au plancher du quatrième ventricule, sans qu’aucune d'elles s’écarte des autres. Il n’y en a aucune qui vienne soit de la protubérance, soit des corps restiformes. » Pendant qu’elles traversent le bulbe, les radicules du nerf facial ren- contrent la racine descendante du nerf trijumeau. Elles passent en dedans de cette racine, et, à ce niveau, elle seule les sépare des radicules du nerf auditif. Elles sont encore en rapport avec les filets originels de la sixième paire, qui marchaient à leur côté interne, mais ce rapport n’est point immé- diat comme le précédent. » M. Vulpian, revenant sur ses recherches anatomiques, dans une note adressée, en décembre 1858, à la Société de biologie, a indi- qué avec une grande précision la hauteur à laquelle a lieu l’entre- croisement des filets originels de la septième paire. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. « Si l’on prend, dit-il. aussi exactement que possible, en traversant le mésocéphale à l'aide d’une épingle, le point de la paroi antérieure du qua- trième ventricule qui correspond au bord postérieur (ou inférieur) delà pro- tubérance, au niveau de la partie supérieure du sillon inlerpyramidal, on voit que les filets transversaux superficiels du facial commencent à 4 milli- mètres en avant (ou au-dessus) du point ainsi déterminé. » Si l’on établit de la même façon le point qui correspond au bord anté- rieur (ou supérieur), on trouve que les filets originels sont à 16 millimètres en arrière (ou au-dessous) de ce bord. » C’est dans le point que je viens d’indiquer (dit M. Vulpian) que se fait la décussation des filets qui s’entrecroisent. Les fibres entrecroisées dépas- sent à peine la ligne médiane, mais s’enfoncent presque immédiatement d’arrière en avant dans le sillon médian de la protubérance. Que deviennent ces fibres? Vont-elles se mêler aux fibres pyramidales de la protubérance et monter avec elles dans les pédoncules cérébraux? Se terminent-elles dans celles d’un foyer de substance grise faisant partie de la protubérance elle- même? C’est ce qu’il m’a été impossible de décider (1). » Expériences physiologiques sur les filets originels de la septième paire. C’est avec ces notions anatomiques exactes que MM. Vulpian et Philipeaux ont institué de curieuses vivisections pour rechercher les propriétés physiologiques des filets originels du nerf facial. « Il résulte (disent-ils) de la disposition du nerf facial au niveau du quatrième ventricule, qu’une lésion même légère, superficielle, du plancher de ce ventricule, vers le milieu de sa hauteur et en dehors du sillon médian, doit diviser les radicules du nerf, et produire une paralysie faciale du même côté. Nous le démontrerons plus loin par une expérience. » Sur un jeune chien, nous avons mis à nu l'espace losangique qui sé- pare l’occipital de l’arc postérieur de l’atlas ; puis nous avons coupé les ligaments, la dure-mère et l’arachnoïde. Après l’écoulement du liquide, nous avons eu sous les yeux la face supérieure du bulbe rachidien. » Nous avions coudé une longue épingle à angle droit et à'un millimètre (1) Pour bien comprendre cette description, il faut savoir que M. Vulpian aura placé la protubérance sur un plan horizontal, et qu’ainsi le bord supérieur de la protubérance devient antérieur. tout au plus de sa pointe ; nous avons introduit celle épingle entre le cer- velet et le plancher du quatrième ventricule, à plat, de manière à ne blesser ni le cervelet ni le plancher venlriculaire. Lorsque notre instrument fut ainsi enfoncé à une certaine profondeur, calculée d’avance sur un cerveau de chien, nous le retournâmes de façon que sa pointe pénétrât dans la paroi antérieure du quatrième ventricule, un peu à droite du sillon médian de cette paroi ; nous tirâmes vers nous l’épingle ainsi dirigée, dans l’espace d’un demi-centimètre à peu près ; puis après une nouvelle rotation, nous déga- geâmes la pointe, et nous la retirâmes à plat, comme nous l'avions enfoncée. Pendant cette opération l’animal jeta des cris qui accusaient une assez vive souffrance; il n’en résulta aucune paralysie, soit du sentiment, soit du mouvement dans les membres ; mais aussitôt l'animal fut frappé d'une hé- miplégie faciale droite et d’une paralysie de la sixième paire du côté droit. EXPÉR. PHYSIOL. SUR l/ORlGINE RÉELLE DE LA SEPTIÈME PAIRE. » Au bout d’une demi-heure, les phénomènes n’étaient pas modifiés: le chien fut sacrifié. A l’autopsie, nous trouvâmes une section anléro-posté- rieure de la paroi antérieure du quatrième ventricule. Cette section avait de 1/2 millimètre à 1 millimètre de profondeur, et 6 millimètres de lon- gueur; elle avait été faite très régulièrement, dans toute sa longueur, à droite de la ligne médiane et à 1 millimètre de celte ligne ; elle commen- çait à 3 millimètres en arrière de la bandelette blanche qui se trouve entre les nerfs pathétiques et se terminait à 4 millimètres du bec du calamus. Sur ce jeune chien la paroi antérieure du quatrième ventricule avait 1 1 mil- limètres d’étendue d’avant en arrière. » La sensibilité delà face était peut-être un peu diminuée à droite. » Celte expérience a-t-elle besoin de commentaires? Après avoir lu nos descriptions des origines du nerf facial et de la sixième paire, qui no verra qu’une section, faite comme nous venons de l’indiquer, devait nécessaire- ment intéresser à la fois ces deux origines? Peut-être d’autres racines ont- elles été aussi plus ou moins atteintes, entre autres la racine superficielle de l’acoustique ; mais nous n’avons pas pu nous en assurer complètement. » B, — Application des faits anatomiques et physiologiques précédents à l’étude de certaines paralysies de la face et des membres du côté opposé, dites para- lysies alternes. Les recherches anatomiques et physiologiques de Stilling (1), do MM. Vulpian etPhilipeaux, ne pouvaient tarder à élucider certaines espèces de paralysies de la septième paire autrefois anatomiquement inexplicables : je veux parler de ces paralysies qui frappent simul- tanément ou successivement les muscles d’un côté de la face et la (1) Disquisitiones de structura et functionibus cerebri. Icnæ, 1846, in*foI. avec planches. DUCIIENNE. 658 moitié du corps du côté opposé, et souvent en même temps un ou plusieurs nerfs moteurs de l’œil, la cinquième paire, le nerf acous- tique ; je veux parler de ces paralysies qui semblaient être sym- ptomatiques de lésions multiples du centre nerveux, tandis qu’elles étaient produites seulement par la lésion d’un point donné de la protubérance. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. A M. Millard, aujourd’hui médecin des hôpitaux, appartient le mérite d’avoir le premier observé cet ordre de faits pathologiques, au point de vue anatomique et physiologique, si bien étudié par les auteurs que nous venons de citer. En 1856, M. Millard s’était demandé, à l’occasion de deux cas de cette nature, si l’hémiplégie de la face et du côté opposé du corps ne pourrait pas devenir le signe précieux des épanchements sanguins du mésocéphale (1). Mais l’honneur d’avoir exposé l’étude complète de cette espèce de paralysie, étude appuyée sur un grand nombre de faits, revient tout entier à M. Gubler, qui en a fait le sujet de plusieurs mémoires et qui a désigné cette espèce de paralysie sous le nom de paralysie alterne (2). G. — État de la contractilité électro-musculaire consécutivement à la lésion de la protubérance au-dessous ou au-dessus de l’entrecroisement de la septième paire. 1° Avant les dernières recherches anatomiques et physiologiques sur les fdets originels de la septième paire, recherches dont je viens de faire l’exposé ; avant même que l’hémiplégie simultanée de la face et du côté opposé du corps eût reçu le nom de paralysie alterne, j’avais eu déjà l’occasion de rencontrer quelquefois cette espèce de paralysie, parmi les nombreuses paralysies de la septième paire qui se sont offertes à mon observation. Dans tous ces cas la contractilité électrique des muscles paralysés était abolie ou affaiblie à la face et normale dans les membres. J’avoue qu’alors je prenais cette coexis- tence de l’hémiplégie faciale et de la paralysie du côté opposé du tronc pour une simple coïncidence, pour une complication, comme il peut du reste s’en être trouvé parmi ces faits. Mais depuis que l’anatomie a établi, d’une façon nette, le trajet des filets originels (1) Bulletins de la Société anatomique, mai 1856. (2) De l'hémiplégie alterne, envisagée comme signe de lésion de la protubérance annulaire et comme preuve de la décussation des nerfs faciaux. Paris, 1856, in-8. — Mémoire sur les paralysies alternes, et particulièrement sur l’hémiplégie alterne, avec lésion de la protubérance annulaire. Paris, 1857, in-8, 79 p. —Voyez aussi Gazette hébdom. de médecine, 1856 et 1859. de la septième paire à travers la protubérance, ses rapports avec les filets originels d’autres nerfs crâniens; depuis que la physiologie expérimentale a montré que certaines lésions d’une moitié de la pro- tubérance produisent une paralysie faciale du même côté, depuis 1853 j’ai pu diagnostiquer les cas de cette espèce de paralysie de la face et des membres. Bien que chez ces malades qui appar- tiennent à la pratique civile, il ne m’ait pas été donné, comme dans les faits rapportés dans le beau travail de M. Gubler, de faire la vérification nécroscopique, mes observations n’en sont pas moins intéressantes au point de vue clinique. Eh bien ! dans ces derniers cas comme dans les précédents, fai toujours constaté à la face l'affaiblissement ou Vabolition de la contractilité électrique des mus- clés paralysés, tandis que les membres paralysés du côté opposé jouis- saient de leur irritabilité normale. EXPÉR. PHYSIOL. SUR L ORIGINE RÉELLE DE LA SEPTIÈME PAIRE. Parmi les faits que j’ai recueillis, je choisirai le cas suivant, dans lequel il m’a été possible d’établir le diagnostic et même de prévoir la marche d’une paralysie delà septième paire qui avait été précédée et compliquée de douleurs excessives dans les ramifications de la cinquième paire du même côté, et dans lequel j’ai vu survenir plus tard, du côté paralysé, l’insensibilité de la face, puis une paralysie de la sixième paire, et enfin une hémiplégie des membres du côté opposé ; dans lequel enfin j’ai constaté que la contractilité électrique des muscles paralysés était à peu près éteinte. Observation CXLIX. — En mars 1858, M. le comte de P... m’a été adressé par M. le professeur Bouillaud pour être traité par la faradisation localisée d’une hémiplégie faciale, datant de quelques semaines, qui était accompagnée de douleurs atroces, en apparence névralgiques, siégeant à la face du côté paralysé. Ces douleurs augmentaient par la pression exercée sur les nerfs sous-orbitaires et menlonniers. La distorsion des traits à l’état de repos et de mouvement, et l'impossibilité de mouvoir les paupières, an- nonçaient que tous les muscles animés par la septième paire étaient com- plètement paralysés. La contractilité électrique était presque éteinte dans tous ces muscles. Ce fut pour moi le signe certain de la lésion d’un point quelconque du nerf facial à son origine réelle, à son émergence ou dans sa continuité. La luette étant déviée à droite (par le fait de la paralysie du palato-staphylin, il était évident que la lésion du nerf était située au- dessus delà sortie du trou stylo-mastoïdien. Les recherches de M. Yulpian m’ayant appris que les filets originels de la cinquième paire traversent d’avant en arrière la partie inférieure de la protubérance, dans le voisinage (en dedans) des filets originels de la septième paire, j’eus la pensée de rat- tacher les douleurs de la face et la paralysie de la septième paire à une 660 PARALYSIE DR LA SEPTIÈME PAIRE. lésion unique, agissant sur la paroi antérieure du quatrième ventricule, au- dessous du point d’entrecroisement des filets de la septième paire. Des éblouissements et des étourdissements qui anivaient assez fréquemment, et quelques troubles dans la phonation et dans la déglutition, me faisaient craindre que mon diagnostic anatomique ne fût que trop exact. D’ailleurs la paralysie ne pouvait être rapportée à aucune influence rhumatismale. Je fis part de mes craintes à M. Bouillaud et à la famille. Ce qui n’était alors qu’un pressentiment parut se réaliser par la suite. En effet, M. de P... fut frappé d’une paralysie de la sixième paire du côté droit en avril 1859. Je constatai aussi que la peau de la face avait perdu du même côté sa sensibi- lité au toucher, au pincement, à la piqûre et à l’excitation électrique ; ce qui n’empêchait pas les douleurs de la face de se faire sentir plus vivement que jamais. La lésion du quatrième ventricule, qui antérieurement avait altéré les filets originels de la cinquième et la septième paire, avait sans doute atteint les filets originels de la sixième paire, qui se trouvent situés dans le voisinage et en dedans de ceux de la septième paire. L’anesthésie de la face ne tenait-elle pas à l’altération plus grande delà cinquième paire? Enfin le 10 mars 1860, M. de P... fut tout à coup frappé d’une hémi- plégie du côté gauche du corps (du côté opposé à la paralysie des sep- tième et sixième paires) , hémiplégie qui très probablement était pro- duite par l’extension de la lésion du quatrième ventricule (ramollissement, hémorrhagie, kyste* tumeur] aux filets pyramidaux de la protubérance. Les symptômes qui se sont montrés successivement clans le cas qui vient d’être relaté démontrent que la lésion centrale a dû siéger primitivement dans la paroi droite du quatrième ventricule, au- dessous du point d’entrecroisement de la septième paire; attaquant d’abord les filets originels de la cinquième paire, gagnant ensuite, quelques mois plus tard, ceux delà septième paire, puis un an après ceux de la sixième paire, et enfin, quelques mois encore après avoir produit cette dernière paralysie, faisant tout à coup irruption dans les filets pyramidaux de la protubérance et paralysant alors les membres du côté opposé. C’est alors que cette espèce de paralysie a pris la forme que M. Gubler a appelée paralysie alterne. Je ne veux pas discuter ici la nature de celte lésion de la protu- bérance ; il importait seulement d’en déterminer le siège anato- mique pour résoudre la question de pathologie que j’ai voulu sou- lever. Les faits assez nombreux d’hémiplégie alterne que M. Gubler a réunis dans son intéressant travail sont plus complets que les miens, parce qu’ils ont tous subi l’épreuve de L examen nécrosco- pique, et que dans tous on a trouvé, au-dessous du point d’entrecroi- EXPÉR. PHYSIOL. SUR L’ORIGINE RÉELLE DE LA SEPTIÈME PAIRE sement des filets originels de la septième paire, une lésion anato- mique de l’un des lobes de la protubérance. Comme dans mes ob- servations la symptomatologie a été la même que dans celles de M. Gubler, il m’est permis de croire que dans les faits que j’ai re- cueillis, il devait exister aussi une lésion anatomique dans les mêmes points de la protubérance, c'est-à-dire, dans la portion de la protu - bérance située au-dessous de l’entrecroisement de la septième paire (portion bulbaire de M. Gubler). En résumé, je crois avoir démontré que la lésion des fdets origi- nels de la septième paire affaiblit ou abolit la contractilité électrique des muscles animés par ce nerf. 2° L’anatomie ne peut suivre la septième paire au delà de l’en- trecroisement de ses filets originels. Mais la pathologie décèle encore son passage dans la portion de la protubérance qui est située au- dessus de ce point d’entrecroisement (portion pédonoulaire de M. Gu- hier), qui a lieu, suivant M. Yulpian, à 16 millimètres au-dessous du bord supérieur de la protubérance. Dans cette dernière portion de la protubérance, la septième paire ne peut plus être considérée comme un nerf, non-seulement parce que sa présence matérielle échappe à toute espèce d’investigation, mais parce qu’elle y a perdu ses propriétés. Soutenir le contraire, autant vaudrait dire que les nerfs spinaux moteurs existent encore dans le cerveau, parce que la lésion d’un de ses hémisphères abolit la motilité dans les membres animés par ces nerfs. Je vais du reste fournir la preuve de mon assertion. De même que la lésion d’un hémisphère cérébral, la lésion unilatérale de la portion pédonculaire de la protubérance occasionne la paralysie du côté opposé de la face et du corps (elle ne produit plus la paralysie alterne), parce que l’influence des nerfs n’y arrive qu’au-dessus de leur décussation. Au-dessus de cette décussation, l’altération des points où les nerfs moteurs manifestent leur passage pathologique- ment, ne fait plus perdre aux muscles paralysés, comme la lésion de ces mêmes nerfs moteurs au-dessous de leur entrecroisement, la faculté de se contracter par l’excitation électrique. Ainsi j’ai établi que la lésion des racines motrices spinales affaiblit ou abolit la contractilité électrique dans les muscles où elles portent l’innerva- tion, tandis que la lésion des filets pyramidaux de la protubérance (qui sont la continuation des filets moteurs de la moelle jusque dans les pédoncules et dans les hémisphères cérébraux , mais au-dessus de leur entrecroisement dans le bulbe) laisse intacte la contractilité électro-musculaire. 11 en est de même de la lésion de la portion bulbaire de la protubérance (au-d§ssus de l’entrecroisement des 662 paralysie de la septième paire. filets originaux de la septième paire) qui n’altère en rien cette même propriété musculaire (l’irritabilité électrique). §11. — Diagnostic différentiel éclairé par l’exploration électro- musculaire. Étant donnée une hémiplégie faciale, elle peut être symptomatique soit d’une lésion du cerveau (hémorrhagie, tumeur syphilitique ou de toute autre nature, kyste, tubercule) ou de la portion pédon- culaire de la protubérance (au-dessus de l’entrecroisement de la septième paire), soit d’une lésion de la portion bulbaire de la pro- tubérance (au-dessous de l’entrecroisement de la septième paire) ou du nerf facial à son émergence ou dans sa continuité. 1° Si les muscles dans lesquels règne l’hémiplégie faciale ont con- servé leur contractilité électro-musculaire intacte, il ne peut exister qu’une lésion circonscrite de l’hémisphère cérébral ou de la moitié de la portion pédonculaire de la protubérance, lésion centrale sié- geant du côté opposé à l’hémiplégie faciale. On peut alors redouter que la paralysie s’étende à la moitié du corps correspondant à l’hé- miplégie faciale. L’hémiplégie faciale de cause cérébrale, sans être fréquente, n’est pas non plus infiniment rare. J’en ai rapporté deux exemples (p. 367) dans l’un desquels l’examen nécroscopique a montré un ramollissement d’un point de la paroi inférieure du ventricule latéral opposé au côté de la face paralysé. M. le docteur Duplay, qui a publié les recherches qu’il a faites sur la paralysie faciale pro- duite par une hémorrhagie cérébrale (Union médicale, 1856), a re- laté plusieurs observations dans lesquelles l’autopsie lui a révélé l’existence de petits foyers hémorrhagiques dans des points circon- scrits de l’un des hémisphères cérébraux, opposé à la paralysie. J’ai déjà traité précédemment (voy. le chap. X) du diagnostic différentiel de l’hémiplégie faciale de cause cérébrale ou par lésion de la septième paire à son émergence ou dans sa continuité : je n’ai donc plus à y revenir. Mais comment distinguer l’hémiplégie faciale consécutive à une lésion de l’un des hémisphères cérébraux d’avec l’hémiplégie faciale par lésion de la portion pédonculaire de la protubérance, hémi- plégies qui laissent intactes la contractilité électro-musculaire et frappent également la face et les membres du côté opposé à la lésion centrale? Si l’on se rappelle que MM. Yulpian etPhilipeauxont suivi les radicules de la troisième paire dans la portion pédonculaire de la protubérance, et qu’«7s ont vu ces nerfs s"entrecroiser sur la ligne médiane, au-dessous de la membrane qui tapisse la paroi inférieure de l'aqueduc de Sylvius, c'est-à-dire au-dessus du bord supérieur de la protubérance, on verra bien à priori qu’une lésion unilatérale de la portion bulbaire de la protubérance (comme une lésion d’un pé- doncule cérébral) peut déterminer en même temps une paralysie de l’oculo-moteur commun du même côté, et une paralysie de la face et des membres du côté opposé. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL PAU [/EXPLORATION ÉLECTRIQUE. L’anatomie pathologique n’est pas encore venue confirmer ces déductions tirées de notions anatomiques sur l’origine réelle de la troisième paire, mais elle ne peut tarder à le taire. En attendant que l’étude complète de cette espèce de paralysie soit plus avancée, il m’est permis de croire que j’en ai fait l’observation clinique* Observation CL. — J’ai trouvé en effet dans mes notes deux cas d’hé- miplégie de la face et du tronc du même côté avec intégrité de la contracti- lité électro-musculaire existant avec une paralysie (incomplète, il est vrai) de la troisième paire. Dans un cas, il y avait strabisme externe sans chute bien prononcée de la paupière supérieure; dans l’autre, la paupière supérieure tombait légèrement et les mouvements du globe oculaire en dedans étaient incomplets. D’après les données anatomiques exposées ci-dessus, nlpst-on pas autorisé à attribuer ces paralysies à une lésion du c0t * de la portion pédonculaire de la protubérance (ou à une lésion du pédon- cule) opposé à l’hémiplégie de la face et du corps ? 2° L’exploration électro-musculaire, à l’aide de laquelle il est possible de distinguer l’hémiplégie faciale par lésion de la septième paire d’avec l’hémiplégie faciale par lésion ou du cerveau, ou des pédoncules cérébraux, ou enfin de la portion pédonculaire de la protubérance, ne peut servir à reconnaître si ce nerf a été atteint, ou à son origine réelle (au niveau de sa portion bulbaire), ou à son émergence ou dans sa continuité, lorsque la paralysie est limitée à la face. Cependant, si alors cette paralysie est compliquée de douleurs sié- geant dans les ramifications de la cinquième paire, on peut pres- sentir que les filets originels de la septième paire sont affectés ainsi que ceux de la cinquième paire. L’anesthésie cutanée de la face donne encore plus de probabilité à ce diagnostic. On se rappelle que dans un cas analogue ce diagnostic n’a été que trop juste (obs. CXLÏX). En 1860, j’ai porté le même diagnostic chez un ma- lade demeurant boulevard des Capucines, n° 11, auprès duquel j’ai été appelé par mon honorable confrère M. Charruau, diagnostic, hélas! aujourd’hui trop fondé. 664 PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. Lorsqu’à la paralysie de la septième paire clans laquelle existe l’altération de la contractilité électro-musculaire, se joint la paralysie de la sixième paire, l’exactitude de ce diagnostic devient presque certaine. Enfin le doute ne me paraît plus permis, dès qu’aux sym- ptômes précédents s’ajoute l’hémiplégie du corps, du côté opposée On pourrait alors penser avec raison que la lésion anatomique a primitivement siégé dans le quatrième ventricule au-dessous de l’entrecroisement de la septième paire, et qu’elle a gagné, de proche en proche et d’arrière en avant, les filets pyramidaux de la protu- bérance. C’est ainsi que la lésion de la protubérance a dû se com- porter dans le cas relaté dans l’observation CXL1X. Quand la lésion intéresse primitivement la face antérieure de la portion bulbaire de la protubérance, on conçoit que la paralysie alterne doive se déclarer d’emblée ; car la lésion ne peut atteindre les filets originels de la septième paire sans diviser en même temps les fibres pyramidales de la protubérance. Alors le dia- gnostic reste moins longtemps incertain que dans le cas 'précé- dent. Toutefois on doit faire encore quelques réserves ; car il est possible que la paralysie de la face et l’hémiplégie du corps du côté opposé ne soient qu’une simple coïncidence, et qu’elles aient été occa- sionnées par la lésion directe du nerf dans sa continuité et de l’un des hémisphères cérébraux. J’en rapporterai un exemple. Observation CLI. •— Hémiplégie faciale droite par la lésion Iraumalique directe de la septième paire de ce côté, et hémiplégie gauche du corps par lésion traumatique de Vhémisphère droit. En 1859, M. M... de Saint-Thomas, a été atteint à la tête et à l’épaule gauche par les débris d’une maison qui s’était écroulée, et dont il n’avait pas eu le temps de s’éloigner assez vite. Une pièce de bois très aiguë lui avait ouvert la peau au-dessous du côté droit de la mâchoire inférieure, à une distance de 4 centimètres de la symphyse, et avait pénétré profondé- ment d'avant en arrière sous ce tégument, jusqu’au delà (dit-il) de l’angle de l’os maxillaire inférieur. En tombant sur l’épaule gauche, il s’était luxé aussi l’humérus. Bien qu’il perdît une grande quantité de sang, il put regagner à pied son domicile, qui était éloigné à peu près d’un kilomètre ; il avait conservé son intelligence et avait été seulement un peu étourdi sur le coup. Quand on pansa la plaie du cou, on vit que sa face était paralysée de ce côté ; le lendemain seulement on trouva les membres supérieur et inférieur du côté opposé (à gauche) entièrement paralysés. En 1 860, M. M... est venu à Paris, où il s’est confié aux soins de M. le docteur Leperre. Je constatai que tous les muscles du côté droit de la face étaient paralysés ; ce qui occasionnait une distorsion considérable des traits et empêchait foc- clusion des paupières ; mais les palato-staphylins et les autres muscles du voile du palais étaient sains. Les muscles paralysés do la face avaient perdu leur conlractilité électrique, tandis que cette propriété musculaire était nor- male dans les muscles paralysés des membres du côté opposé. CAUSE ET NATURE. 665 Dans le cas précédent, l’absence de la contractilité électrique des muscles paralysés de la lace était un signe pathognomonique de la lésion de la septième paire, tandis que l’intégrité de l’irritabilité des muscles des membres indiquait une lésion de l’hémisphère opposé. § III. — Cause et nature. S’il est nécessaire de rechercher le siège anatomique de la lésion qui produit la paralysie de la septième paire, il n’importe pas moins, surtout au point de vue du pronostic et du traitement, d’en con- naître la cause et la nature. Ainsi la lésion qui paralyse la septième paire est-elle anatomique ou rhumatismale ? Pour répondre à la première question, il faudrait rechercher si la lésion anatomique qui a intéressé la septième paire est unehémor- rhagie, ou un ramollissement, ou un kyste, ou un tubercule, ou une tumeur ou exostose syphilitique, ou enfin une altération osseuse quelconque. Je regrette de ne pouvoir m’étendre ici sur cette ques- tion, que je me contenterai pour le moment de poser. Je ne traiterai que du diagnostic de la paralysie rhumatismale (par refroidissement et surtout par courant d’air), parce qu’elle est extrê- mement fréquente. Je n’ai pas rencontré une seule paralysie rhumatismale de la septième paire (et j’en ai observé un très grand nombre) dans laquelle la contractilité électro-musculaire n’ait pas été affaiblie ou abolie. Comment donc distinguer cette espèce d’hémiplégie faciale de celle qui est occasionnée par la compression ou par toute autre lésion traumatique de la septième paire. Ce diagnostic différentiel ne peut être établira l’aide de l’exploration électro-musculaire, qui dans ces cas différents donne des résultats identiques; il n’est éclairé alors que par la connaissance des antécédents de la maladie. L’hé- miplégie faciale par la lésion de la septième paire, la plus simple en apparence, pourrait être, ainsi qu’on l’a vu dans les faits et les con- sidérations précédentes, le début d’une affection des plus graves; je ne saurais trop insister sur l’importance de l’étude de sa cause. Malheureusement l’étiologie de cette paralysie n’est pas toujours facile. 11 est vrai que la paralysie rhumatismale survenant immédia- tement après un refroidissement ou un courant d’air, les malades 666 reconnaissent en général qu’ils y ont été exposés, lorsqu’on les in- terroge sur ce point. Ainsi il est des cas où cette cause leur échappe complètement, et alors on ne parvient à la découvrir qu’en la re- cherchant avec le plus grand soin. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. Observation CLII. — Il y a quelques années j’ai été appelé en consul- tation avec mon maître et ami M. Louis, dans une famille où deux sœurs avaient été frappées la nuit pendant leur sommeil, et successive- ment à une année d’intervalle, d’hémiplégie faciale du même côté. Dans les deuxcas,lacontractilité était considérablement affaibliedans les muscles para- lysés. C’était donc une hémiplégie par lésion de la septième paire. Mais quelle pouvait en être la cause? Ces demoiselles affirmaient ne s’être exposées à aucun courant d’air, à aucun refroidissement. Ne trouvant aucune cause rhumatismale appréciable, je m’alarmais déjà; j’admettais la possibilité d’une lésion anatomique quelconque du nerf à son origine réelle, ou à son émergence ou dans sa continuité, lorsque j’en découvris la nature après avoir visité leur chambre à coucher. Leur lit était disposé de manière qu’un courant d’air qui arrivait par une porte toujours ouverte, venait, en passant entre le mur et les rideaux, frapper l’un des côtés de la face pendant le som- meil, et c’était justement ce côté qui avait été atteint de paralysie. Cette chambre était occupée par l’aînée, qui la première y avait gagné une hémi- plégie faciale. Aussitôt après son mariage, sa sœur était venue occuper sa chambre, et n’avait pas tardé à être paralysée à son tour de la même ma- nière et du même côté. (Ces deux paralysies ont été guéries par la faradi- sation localisée.) § IV. «— Pronostic. A. — Pronostic de l’hémiplégie faciale par lésion traumatique. Le pronostic de l’hémiplégie faciale par lésion anatomique de la septième paire dépend du siège et de la nature de cette lésion. 11 est évident que si celle-ci avait établi son siège dans la protubérance ou dans son voisinage, le pronostic serait infiniment plus grave que si cette lésion intéressait le nerf dans sa continuité : dans le premier cas, la paralysie pourrait s’étendre de la face aux muscles du corps et de l’œil, elle menacerait même la vie du sujet ; tandis que dans le dernier, il n’y aurait qu’une distorsion des traits pendant le repos et le mouvement. Cette proposition ne demande pas de développe- ments. Quant à la cause, est-il besoin de dire qu’une paralysie de la septième paire, occasionnée par une hérnorrhagie, un ramollisse- ment, un kyste, un tubercule, est infiniment plus grave qu’une tumeur ou une exostose syphilitique? Les faits qui le prouvent abondent, hélas ! et je pourrais me donner le plaisir d’en relater quelques-uns choisis dans ma pratique, mais ce serait abuser du temps de mes lecteurs dont la conviction sur ce point doit être suffi- samment établie. PRONOSTIC PAR L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. 667 Admettant que le nerf soit affecté dans sa continuité, on peut, à l’aide de l’exploration électro-musculaire, établir le degré de sa lésion, ou, en d’autres termes, le pronostic local des muscles para- lysés. Les considérations que j’ai exposées précédemment (chap. V) à l’occasion du pronostic des lésions traumatiques des nerfs mixtes, sont applicables aux lésions anatomiques de la septième paire dans sa continuité. Je ne reviendrai donc pas sur ce sujet. B, —Pronostic de la paralysie rhumatismale de la septième paire, tiré de l’état de la contractilité électrique des muscles paralysés. Il me sera facile de démontrer que l’on peut aussi exactement porter le pronostic local de l’hémiplégie rhumatismale d’après l’état de la contractilité électro-musculaire. Les recherches que j’ai faites sur ce sujet sont tellement intéressantes, surtout en raison de la fré- quence de cette paralysie, que je vais les exposer avec quelques détails. Pour apprécier à sa juste valeur une médication quelconque, il im- porte, avant tout, de bien préciser les cas dans lesquels elle a été ap- pliquée, et surtout d’en établir sûrement le pronostic. C’est l’incer- titude du pronostic qui n’a que trop accrédité dans le monde cette opinion, à savoir, que la médecine est une science conjecturale. C’est à cause de cette incertitude que l’on voit prôner contre une même affection tant de médications diverses et souvent opposées. Un jour, en effet, telle affection grave cédera à l’expectation ou à des moyens équivalents à l’expectation ; un autre jour, une affection absolument identique en apparence se terminera d’une manière fatale. On a porté aussi loin que possible la science du diagnostic diffé- rentiel des maladies. Mais a-t-on mis le même soin à distinguer entre eux les différents cas d’une même maladie? A-t-on toujours cherché quelles sont les causes qui constituent la gravité plus ou moins grande de ces cas particuliers, alors même qu’ils se présen- tent sous le même aspect? Je crains de dire vrai en répondant né- gativement. Ces réflexions s’appliquent spécialement à l’hémiplégie rhumatis- 668 male de la face. En effet, qu’on interroge les praticiens sur le pro- nostic de cette affection: l’un dira que c’est une affection très légère, qui cède aux moyens les plus simples (à une application de sangsues ou à un vésicatoire derrière l’oreille) ; l’autre, au contraire, aura toujours vu cette affection guérir difficilement, lentement et quel- quefois même résister à tous les traitements. Il n’est pas rare, en effet, de rencontrer de ces paralysies de la septième paire qui n’ont pas d’autre origine qu’un courant d’air, et qui cependant défigu- rent des malades depuis de longues années. D’où peut donc dé- pendre une telle divergence d’opinions sur le pronostic des hémi- plégies rhumatismales de la face? C’est évidemment que l’on n’a pas su distinguer entre eux les divers degrés d’hémiplégies qui se présentent avec une égale distorsion des traits, et parmi lesquelles, cependant, il en est de très légères, et d’autres, au contraire', très rebelles à tous les traitements. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. J’ai trouvé, dans l’affaiblissement plus ou moins prononcé de la contractilité électro-musculaire, les signes diagnostiques qui per- mettent de distinguer les divers degrés de la paralysie de la sep- tième paire, et d’en établir, en conséquence, le pronostic avec une grande certitude. Les faits qui vont être relatés en fourniront la preuve. Observation CLIII. — Paralysie rhumatismale de la septième paire.— Con- tractilité électro-musculaire faiblement diminuée. — Guérison rapide par la faradisation localisée. M. X..., âgé de trente-huit à quarante ans, commissionnaire en librairie, sujet à des douleurs rhumatoïdes, reste quelques instants dans une allée, le côté droit de la face étant exposé à un courant d’air, pendant une des froides journées de 1849. Il ne ressent aucune impression douloureuse; mais quand il rentre chez lui, sa famille est effrayée de la distorsion de ses traits. Il avait, en effet, le côté droit de la face paralysé, sans qu’il s’en fût aperçu. Quelques jours après (six à huit jours), M. X... vient réclamer mes soins. Voici en résumé quel est alors son état : Pendant le repos muscu- laire, la joue droite est comme attirée vers le côté gauche,; à droite, la commissure des lèvres est abaissée et rapprochée de la ligne médiane, tandis qu’à gauche elle s’élève en s’éloignant de la ligne médiane plus qu’à l’état normale; à droite, les paupières sont tellement écartées, qu’il semble exister une cxophlhalmie. On n’observe aucun mouvement volontaire, aucune expression de ce côté; quand M. X... veut souffler ou siffler, sa joue droite se gonfle, et ses lèvres, relâchées à droite, s’écartent et laissent échapper l’air. Pendant la mastication, les aliments tombent à droite, entre la joue et les gencives, sans qu’ils puissent être ramenés sous les dents. Point de PRONOSTIC PAR L’EXPLORATION ÉLECTRIQUE. 669 déviation de la luette ni de la langue. Je traite immédiatement par la fara- disation localisée celte hémiplégie faciale, qui guérit- en un petit nombre de séances. J’ai revu plusieurs mois après ce malade, et j’ai appris de lui qu’il n’a point eu de rechute ; ses traits sont parfaitement réguliers, et le jeu de sa physionomie est égal de chaque côté de la face. La guérison rapide et facile de cette paralysie, qui était complète, me surprit d’autant plus, que d’autres hémiplégies faciales rhuma- tismales, alors en traitement, opposaient une résistance désespé- rante, et que celles que j’avais eu h traiter auparavant avaient de- mandé un temps plus ou moins long à guérir. Mais j’avais remarqué que, dans celte dernière hémiplégie faciale, les muscles paralysés n’avaient perdu qu’une partie de leur contractilitéélectrique, tandis que dans les autres cas je n’avais pu provoquer de contractions mus- culaires avec le courant le plus intense. Ce fut pour moi un trait de lumière. Des recherches que je fis alors dans celle direction, il est bientôt ressorti que toute hémiplégie faciale de cause rhumatismale, récente, dans laquelle les muscles n’ont perdu qu’une faible partie de leur contractilité électrique, guérit, en général, facilement et ra- pidement, quel que soit le traitement employé (1). Il me faut aller au-devant d’une objection qui, si elle était fondée, détruirait la valeur du signe pronostique tiré de l’état de la contrac- tilité électro-musculaire, de ce signe qui permet de prévoir qu’une paralysie de la septième paire offrira une plus ou moins grande ré- sistance aux différents agents thérapeutiques qu’on lui opposera. S’il est vrai, comme l’enseignent quelques physiologistes, que la lésion du nerf facial ne fait perdre aux muscles leur irritabilité qu’après quelques semaines, on ne pourra diagnostiquer à temps le degré de maladie de ce nerf. Il n’en est heureusement pas ainsi; car j’ai établi par des faits que la contractilité électrique est quelquefois abolie avant la fin du premier septénaire chez des sujets frappés d’hémiplégie faciale à la suite d’un courant d’air. En conséquence, il est possible de diagnostiquer de bonne heure (à la fin du premier septénaire), à l’aide de l’exploration électro-musculaire, le degré de la lésion nerveuse, dans l’hémiplégie faciale. Je reconnais en conséquence à la paralysie rhumatismale de la septième paire deux degrés ; le premier degré caractérisé par une diminution faible de la contractilité électrique des muscles para- (1) Ce signe pronostique n’a plus la même valeur dans l’hénbplégie de la face ancienne, car j’ai vu quelquefois dans ces cas la contractilité électrique revenir en partie, bien que les muscles restassent plus ou moins paralysés. 670 PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. lysés, et le second degré par l’abolition on la diminution considé- rable de cette propriété. Depuis longtemps j’établis le pronostic de l’hémiplégie faciale rhumatismale sur le degré d’affaiblissement de la contractilité électro-musculaire, et je n’ai pas encore été trompé par ce signe diagnostique. En voici deux exemples : Observation CLIV. — Deux cas de paralysie rhumatismale de la septième paire, lune au premier degré, Vautre au second degré, diagnostiqués par l'exploration électro-musculaire. — Guérison rapide de la première para- lysie, et l7-ès lente de la seconde paralysie, qui s est terminée par la contrac- ture de quelques muscles. Mademoiselle Annette Père, âgée de dix-huit ans, blanchisseuse, demeu- rant rue des Colonnes, n° 4, n’a jamais eu d’affection antérieure semblable à 1 affection actuelle. Le 2 novembre 1 883, n’ayant éprouvé auparavant au- cune douleur de tête ni d’oreille, elle s’aperçut tout à coup, vers le milieu du repas, que les aliments ne lui occasionnaient aucune sensation gustative du côté droit, et qu’elle avait de la peine à les ramener sous les dents de ce côté ; elle fut obligée d’appuyer la main sur la joue droite pour y par- venir. On lui fit remarquer alors qu’elle ne riait que du côté gauche ; que l’œil du môme côté ne se fermait pas; enfin que la commissure droite des lèvres était plus abaissée que celle du côté opposé. Avant de se mettre à table, elle avait travaillé auprès d’une croisée que l’on avait entr’ouverte pour ventiler la pièce, qui était chauffée par un poêle dont la température était trop élevée. Elle dit avoir ressenti ensuite une légère douleur de tête. Du reste, sa santé ne s’était pas dérangée. Elle était à son époque; les rè- gles n’en avaient éprouvé aucun dérangement. —M. Malgaigne, consulté trois jours après par la malade, à l’hôpital Saint-Louis, me l’adressa. Je la vis pour la première fois le sixième jour, et je constatai alors les phénomènes suivants: Distorsion considérable des traits à gauche ; la commissure de ce coté est abaissée et rapprochée de la ligne médiane, tandis que la commis- sure opposée est plus élevée et attirée vers l’oreille ; l’œil gauche est plus grand que le droit ; la narine droite est affaissée. Elle a perdu à droite tous ses mouvements volontaires et expressifs ; la mastication se fait mal de ce côté; les aliments tombent entre la joue et les gencives, et ne peuvent être ramenés entre les dents. Je constate que les muscles paralysés n’ont perdu qu’une faible partie de leur contractilité électrique. G était un jeudi (jour consacré à des expériences et à des études cliniques dans mon cabinet) que cette jeune fille venait d’être examinée, et ce jour-là précisément une autre malade, atteinte d’hémiplégie faciale également rhu- matismale, s’offrait pour la première fois à mon observation. Voici, en ré- sumé, son histoire: Mademoiselle X..., demeurant rue de Clichy, n° 63, PRONOSTIC PAR L’EXPLORAT[ON ÉLECTRIQUE. 671 après s’être exposée à un courant d'air, avait le côté droit de la face paralysé depuis huit jours. Je crois inutile d’entrer dans les détails de cette observa- tion. Je dirai seulement que la distorsion des traits existait chez elle au même degré que chez mademoiselle Annette Père, dont je viens de rap- porter les antécédents. 11 y avait cependant entre ces deux malades cette différence importante au point de vue du pronostic, à savoir, que chez ma- demoiselle Annette Père, la contractilité électrique n’était qu’un peu affai- blie, tandis que chez mademoiselle X..., cette propriété musculaire avait entièrement disparu. J’annonçai alors aux personnes présentes à cet examen que la première malade guérirait très rapidement, tandis que très certaine- ment il me faudrait un traitement long pour guérir la seconde. C’est, en effet, ce qui est arrivé: car chez mademoiselle Annette Père, la face avait repris sa régularité normale et les mouvements volontaires étaient revenus après la troisième séance; mademoiselle X..., au contraire, n’est pas en- core entièrement guérie après quatre mois de faradisation localisée. Il est de plus survenu chez elle un accident dont j’aurai à traiter bientôt : la con- tracture de quelques muscles. J’en rapporterai en résumé un autre exemple. Observation CLY. —Mademoiselle C..., élève du Conservatoire, pre- nant une leçon de chant dans le voisinage d’une croisée entr’ouverte, est tout à coup frappée d’hémiplégie faciale droite (c’était de ce côté que lui était arrivé le courant d’air). Quelques jours après, elle m’est adressée par son médecin, M. Pidoux, pour juger s’il est opportun d’appliquer le traite- ment électrique. Cette hémiplégie faciale était aussi complète que possible, mais je trouvai la contractilité électrique seulement un peu affaiblie dans les muscles paralysés. J’en déduisis un pronostic très favorable, et je décidai que mademoiselle C... pouvait guérir assez vite par les moyens habituels, sans l’aide de la faradisation. Je priai donc mon ami, M. Pidoux, de tenter la guérison par les vésicatoires volants, placés dans le voisinage de la sep- tième paire. Huit jours après, l’état de mademoiselle C..., qui avait suivi ce traitement, était considérablement amélioré. La distorsion des traits avait presque entièrement disparu pendant le repos musculaire, mais la paralysie des mouvements volontaires était dans le même état. Très pressée de guérir, mademoiselle C... insista pour que le traitement électrique fût commencé immédiatement. Je cédai à son désir, et la guérison fut obtenue en quelques séances, comme je l’avais annoncé. En résumé, les faits que je viens d’exposer suffisent pour établir : 1° que certaines paralysies graves en apparence guérissent facile- ment et rapidement, quelle que soit la médication employée, tandis PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. que d’autres paralysies qui paraissent absolument identiques par leurs signes extérieurs offrent une grande résistance aux moyens qu on leur oppose, ou sont quelquefois même incurables; 2° que 1 exploration électro-musculaire permet de distinguer entre eux ces différents degrés de paralysie rhumatismale de la septième paire. § — Contracture des muscles de la face comme terminaison fréquente de la paralysie rhumatismale «le la septième paire au deuxième degré. La contracture des muscles de la face est une des terminaisons ordinaires de la paralysie rhumatismale de la septième paire au deuxième degré. Elle occasionne une difformité incurable et quel- quefois une grande gène dans les mouvements de la face. L’appari- tion de la contracture des muscles de la face, pendant le cours de la paralysie de la septième paire, peut contre-indiquer l’emploi de la faradisation localisée, ou exiger qu’on en modifie le mode d’applica- tion, 11 est donc important de la diagnostiquera temps, sous peine de l’aggraver, quand on soumet à cette médication une paralysie de la septième paire. Mais avant d’en exposer les symptômes et le diagnostic, il me faut démontrer par des faits que la contracture est une des terminaisons fréquentes de la paralysie de la septième paire. A. — Faits démontrant que la contracture est une terminaison assez fréquente de la paralysie de la septième paire au deuxième degré. J’avais à peine commencé mes recherches électro-pathologiques, que déjà je remarquais que certains sujets frappés d’hémiplégie faciale, consécutivement à la lésion de la septième paire, étaient affectés, pendant ou après le traitement que je leur appliquais, de difformités variées de la face, qui évidemment dépendaient unique- ment de la contracture d’un plus ou moins grand nombre de mus- cles. Je voyais des muscles qui, après avoir recouvré quelquefois ra- pidement leur tonicité, rétablissaient d’abord la régularité des traits, puis les accentuaient graduellement au delà même de l’état normal. Ainsi, chez des sujets atteints de cette hémiplégie de la face, ou le petit zygomatique arrondissait, en la creusant, la ligne naso-labiale et donnait une expression chagrine; ou le grand zygomatique élevait la commissure et donnait une expression de gaieté ; ou le carré des lèvres renversait et abaissait de son côté la lèvre inférieure; ou l’or- biculaire palpébral diminuait l’ouverture des paupières; ou enfin CONTRACTURE DES MUSCLES DE LA FACE. 673 la l'ace était comme crispée par le froid, sous l’influence de la ré- traction en masse de tous les muscles paralysés, etc. Ces phéno- mènes se manifestèrent cependant chez des sujets dont les traits étaient restés affaissés pendant un temps plus ou moins long (d’un à plusieurs mois), par suite de la perte de tonicité des muscles pa- ralysés ; mais dans tous ces cas la contracture et la difformité con- sécutive de la face avaient été si légères, qu’elles pouvaient certai- nement échapper à l’observation et être confondues avec les inéga- lités ou les irrégularités que l’on voit souvent régner entre les deux côtés de la face, à l’état normal. Aussi ai-je rencontré des observa- teurs qui n’étaient pas convaincus que ces phénomènes fussent réel- lement produits par la contracture musculaire. Le fait suivant, que j’observai en 1851, vint bientôt dissiper tous les doutes à cet égard. Observât.on CLY1. — Le nommé Vaneuille, contrôleur de l'Hippo- drome, demeurant tue Vivienne, n° 36, couché au n" 15 de la salle Saint- Louis (service de M. Andral), avait été affecté d une paralysie de la sep- tième paire, qu’il attribuait à un courant d'air. Mais cette paralysie était ac- compagnée. contrairement à'ce qu’on observe habituellement, de douleurs de tête et d'oreilles qui furent combattues par plusieurs applications de sangsues. — La faradisation ayant été appliquée pendant cjnq à six se- maines sans résultat appréciable, on le soumit successivement à un traite- ment mercuriel et à l iodure de potassium (Vaneuille avait eu une affection syphilitique). Celle tentative n’eut pas plus de succès que les moyens an- térieurs.— Un mois après, la faradisation fut reprise, et je vis en une quin- zaine de jours quelques-uns des traits naturels se prononcer chez ce ma- lade, dont la face avait jusqu’alors offert la distorsion la plus complète. Ainsi la commissure droite des lèvres s’était relevée, et de telle sorte qu à l'état de repos la distorsion des traits avait à peu près entièrement disparu. Les mouvements volontaires ou expressifs étaient cependant restés para- lysés. N’ayant rien obtenu de plus, trois semaines après, je renonçai de nou- veau à la faradisation. — Le traitement était à peine suspendu depuis huit à dix jours, que les traits s’étaient affaissés comme auparavant. J’eus alors la curiosité d’exciter encore les muscles paralysés, et je vis de nouveau les mômes muscles reprendre leur tonicité en relevant la commissure au niveau de celle du côté opposé, pour la perdre bientôt après une nouvelle suspen- sion de la faradisation. — Je résolus enfin de le traiter d’une manière plus régulière et plus continue, et alors non-seulement le côté malade s’harmo- nisa parfaitement avec le côté sain, mais les mouvements volontaires corn mencèrent à revenir d abord dans le grand zygomatique, puis dans le bue cinateur, dans les orbiculaires des paupières et des lèvres, etc. — Le re- DUCHENNK 674 tour des mouvements volontaires était lent, mais il n’en fut pas de même de la force tonique des muscles, qui ne s’arrêta pas à ses limites normales. En effet, la commissure se releva de plus en plus, au point que pendant le repos musculaire, vu de profil et du côté affecté, le malade semblait toujours rire, et que vu de face, la commissure gauche était plus abaissée que du côté lésé. Mais s’il venait à rire réellement, les deux zygomaliques se contrac- taient à peu près également, et la difformité disparaissait. La contracture ne s’arrêta pas là: l’élévateur commun releva l’aile du nez et la lèvre su- périeure d’une manière très disgracieuse, et l’ouverture des paupières se rétrécit. Je n’en continuai pas moins de faradiser ces muscles pour rappeler leur contractilité volontaire, qui était très limitée, avec des intermittences rapides (on verra par la suite que ce fut une grande faute). Les mouve- ments volontaires augmentèrent progressivement, mais, quoi que je fisse, je ne pus arrêter la contracture musculaire, qui s’aggrava de plus en plus ; en vain je lui fis exercer des tractions continues dans un sens opposé à l’action des muscles contracturés, soit avec la main, soit avec des plombs attachés à une serre-fine plate qui pinçait la lèvre supérieure, le malade sortit avec sa contracture, bien que ces muscles paralysés eussent recouvré une grande partie de leurs mouvements volontaires. — Pendant tout le temps que ce malade est resté à la Charité, il m’a servi de sujet de démonstration pour établir que la contracture est une des terminaisons de la paralysie de la septième paire. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. Voici un autre cas de contracture plus généralisée, survenue à la suite d’une hémiplégie faciale rhumatismale, chez une jeune per- sonne habitant la province, et pour laquelle on me demandait un avis. L’observation a été rédigée par le médecin ordinaire de la malade. Observation CLVII. — « Mademoiselle X..., vingt ans, s'étant ex- posée à un courant d’air, fut prise le lendemain de paralysie complète du côté gauche de la face. La joue du côté affecté était pendante, immobile et entraînée par les contractions du côté sain. Après treize jours, durant les- quels il ne fut fait d’autre traitement que des applications de vésicatoires volants derrière l’oreille, on eut recours à l’emploi du courant d’induction. — On se servit du premier appareil électro-dynamique de Breton frères. Les applications en furent faites journellement pendant deux mois. Au bout de ce temps, il y avait une amélioration sensible. On avait continué à placer des petits vésicatoires saupoudrés de strychnine. L’emploi de l’électricité ayant été interrompu, la strychnine fut donnée à l’intérieur jusqu’à produire des secousses. La strychnine, la vératrine, l’aconitine, fu- rent tour à tour employées en pommades, concurremment avec des dou- ches de vapeur; pilules de Yallet et bains sulfureux. Tous ces moyens furent suspendus pendant l’hiver. — Voici l’état dans lequel la patiente fut trouvée en avril 1851 (deux mois et demi après le début) : Santé générale satisfaisante; menstruation régulière, point désignés de chlorose. Du côté paralysé, le front est lisse, le sourcil abaissé ; l’œil, petit, a perdu sa forme en amande; le nez est régulier; le sillon naso-labial est creusé profondément, entraîné en dehors avec la joue correspondante; la bouche est un peu tirée du côté sain et aplatie, elle a perdu sa forme arquée, elle est collée contre les dents ; le menton est aplati obliquement du côté affecté. Aucun des mus- cles de la face n’est entièrement privé de son action ; mais il en est qui l’emportent sur les autres en force. Ainsi, le nez, dévié dans l’origine, a par- faitement repris sa forme ; le sourcilier fronce très bien le sourcil; le grand zygomatique se contracte assez bien ; enfin, l'orbiculaire des paupières pa- raît avoir repris toute son énergie. Le peaucier du côté affecté présente un état semblable; son bord antérieur offre une saillie très appréciable sous la peau ; il parait être en état de contraction permanente. L’orbiculaire des lèvres ne fronce que la moitié saine. La parole est assez gênée, le sifflement impossible. Le buccinateur fonctionne bien, la mastication est facile. Les dents du côté gauche ne peuvent être découvertes, la bouche s’entr’ouvrant à peine. C’est pendant le rire surtout que la face, qui, au repos, ne semble pas trop difforme, se laisse entraîner ; le côté sain semble avoir acquis un excès d’énergie. Tel était l’état de la patiente à l'époque (8 avril) où les séances électriques furent reprises. CONTRACTURE DES MUSCLES DE LA FACE. 675 n On fit choix, cette fois, d’un appareil à interruptions rapides. Les séances eurent lieu tous les jours, d’un quart d'heure à une heure, selon qu'elles étaient plus ou moins supportées. L’électrisation fut ainsi appliquée jusqu’au 1er oc- tobre. Voici quel était l’état de la face à cette époque ; Le sourcil est presque constamment abaissé; l’œil est très petit; pendant l’action de parler, de lire, de travailler à l’aiguille, l'œil se ferme davantage. Lorsqu’au contraire la face est calme et que la patiente ne se sent pas observée, il arrive que les sourcils se placent au même niveau, et que l’œil, par moments, s’ouvre presque comme l’autre. Dans ces moments, le front est lisse, les fossettes creusées au niveau du sourcilier sont effacées. La volonté ne parvient qu’à grand’peine à marquer les plis transverses du front, et à élever le sourcil. Le nez, qui, au mois d’avril, était droit, s’était déformé sensiblement ; dans le courant du mois d’août, l’aile tendait à prendre une position horizontale, la narine s’ouvrait largement. Après quelques efforts infructueux, faits pour remédier à cet état en excitant le transverse et le myrtiforme, on reconnut que l’électrisation du pyramidal rendait encore les meilleurs services. En effet, l’aile du nez, en octobre, avait repris sa direction normale. La bouche, dont la moitié gauche avait perdu son expression, reprit peu à peu la forme arquée qui lui est propre, Les bords des lèvres purent se froncer légère- 676 ment; le Irait du sourire revint à l’angle, de sorte qu'au repos de la face, on apercevait à peine la trace de la maladie. Le menton s’était arrondi et, à part quelques fossettes variables d'un jour à l’autre, sa forme était rede- venue symétrique. Malgré cette amélioration manifeste dans la forme gé- nérale de la région buccale, les fonctions des lèvres dans la parole et la préhension des aliments restaient sensiblement entravées. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. «Tandis que la lèvre supérieure s’améliorait sous ce rapport, l’inférieure , au contraire, devint le siège d'une roideur particulière dont l'origine re- monte assez loin, mais qui, dans les six mois d’été, se prononça de plus en plus, La patiente avait la sensation d’un cordon roide et tendu qui, de l'angle de la bouche, descendait vers la mâchoire, dans la direction du muscle triangulaire. Le toucher permit de constater qu’il existait dans cette région un cordon faisant une légère saillie sous la muqueuse buccale. Au dehors, rien n était apparent. Depuis lors, cet état de roideur sembla s’étendre au carré du menton d'un côté, au buccinaleur de l’autre. Le jeu de la lèvre inférieure est manifestement entravé : elle ne peut pas être renversée au de- hors, ni projetée en avant, restant accolée aux dents. La parole devient dif- ficile et n’est articulée que par le côté droit de la bouche. Depuis quinze jours que les séances galvaniques sont suspendues, celle roideur augmente encore. L’aile du nez s’est de nouveau renversée en dehors, le sillon naso- labial s’est creusé davantage, et s’étend au delà de l'angle de la bouche ; celle-ci a perdu de nouveau sa forme naturelle ; les lèvres se sont aplaties , la joue est entraînée en dehors. L’œil est plus petit que jamais (c’est en partie parce que la paupière inférieure est remontée); les fossettes du sour- cilier sont très profondes; le sourcil est abaissé, le front sans mouvement. L’expression générale de la face est tiraillée plus qu’auparavant. » Telle est la relation très succincte de ce qui a été observé jusqu a ce jour. Avant de reprendre un traitement qui, jusqu’à présent, n’a réussi qu’a empêcher le mal de faire des progrès, on voudrait s’éclairer de l’expérience de M. Duchenne (I). « A l’époque où je fus consulté pour cette contracture de la face, j’en avais déjà observé neuf à peu près semblables, mais moins gé- néralisées. Depuis lors, j’en ai vu un bon nombre dont j’ai suivi la marche avec le plus grand soin. En résumé, je crois pouvoir conclure des faits que j’ai recueillis, (1) Celte observation se terminait par les questions posées par le médecin de la malade. Je regrette que l’espace ne me permette pas de donner, en note, la consultation que je rédigeai à ce sujet. On me demandait, entre autres choses, si je jugeais opportune la section dos muscles conlracturés, conseillée par quelques confrères. CONTRACTURE DES MUSCLES DE LA FACE. 677 quo la contracture partielle ou générale des muscles paralysés est une terminaison assez fréquente de l’hémiplégie faciale rhuma- tismale. B. — Signes diagnostiques précurseurs de la contracture des muscles, dans l’hémiplégie rhumatismale de la face. S’il est une maladie à laquelle on doive appliquer celte maxime : Principiis obsta, c’est certainement la contracture des muscles de la face ; car, à un certain degré, elle est incurable et peut être ag- gravée, comme je l’ai déjà dit, par certaines médications. Pour la prévenir, il faut la diagnostiquer à temps, ce qui n’est pas toujours facile. C'est dans quelques-uns des symptômes suivants qu’il faut chercher les signes qui annoncent le début de cette affection mus- culaire. 1, — Un spasme qui survient dans un muscle paralysé de la face, sous l’influence d’une excitation artificielle, est un signe précurseur de la contracture de ce muscle. Cette proposition m’a été démontrée par des faits nombreux. J’en vais rapporter plusieurs. Observation CLVI11. — Mademoiselle X..., voyageant sur un chemin de fer, reçoit, les glaces de son waggon élan! entr’ouvertes, un courant d’air sur le côté droit de la face. Elle est immédiatement frappée d’hémiplégie faciale de ce côté. Un médecin, croyant à l’existence d’une affection céré- brale, la saigne presque immédiatement. D’autres moyens (sangsues, vési- catoires, strychnine) sont employés sans résultat, pendant plusieurs se- maines, après lesquelles je suis appelé à lui donner des soins. Je trouvai la paralysie aussi complète que possible; la contractilité électro-musculaire était profondément altérée. Je jugeai opportun le traitement par la faradisa- tion localisée. A la première application que j’en fis, le muscle pinnal radié se contrac- ture ; le nez resta pincé de ce côté, et en même temps la naissance du sillon naso-labial, qui n’était plus apparent depuis la paralysie, se creusa profondément ; mais quelques secondes après l’excitation, tout avait disparu, c’est-à-dire que, par la perte de tonicité du pinnal radié paralysé, l’enfon- cement qui, à l’état normal, se voit derrière l’aile du nez, était soulevé à droite, et que le sillon naso-labial était, comme auparavant, entièrement effacé. Le spasme momentané du pinnal radié fut pour moi le signe certain de la contracture prochaine de ce muscle, dont la contractilité tonique était cependant alors abolie, et je dirigeai mon traitement dans cette prévision, comme je le dirai plus tard. Je prévins la famille do ce qui devait arriver, ou plutôt de ce qui arriva ; en effet, ce muscle s’est contracturé, chez cette 678 PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. demoiselle, avec une portion de l’élévateur de l'aile du nez et de la lèvre supérieure; ce qui vieillit ce côté de la face et le fit grimacer. Il suffit quelquefois d’une légère friction ou d’un massage pra- tiqué sur les muscles paralysés, pour provoquer ce spasme précur- seur de la contracture. Observation CLIX. — Madame Varinot, rue d’Ulm, n° 7, est frappée d’hémiplégie faciale droite, à la suite d’un courant d’air : distorsion de la face du côté droit et perte complète des mouvements annonçant une lésion de la septième paire, enfin abolition de la contractililé électrique des muscles paralysés. Une légère friction pratiquée sur la face interne de la joue droite détermine la contracture du petit zygomalique et du faisceau du buccina- teur qui s’attache au bord alvéolaire supérieur, laquelle a pour effet d’ac- centuer davantage le sillon naso-labial et le sillon de la commissure. Après trois mois de traitement par la faradisation localisée, les mouve- ments volontaires sont à peu près revenus. L’expression habituelle est égale de chaque côté pendant le repos musculaire, mais le petit zygomalique et le faisceau du buccinateur sont légèrement contracturés. IL — Le retour rapide de la force tonique dans un muscle de la face paralysé et privé de sa contractilité électrique annonce générale- ment sa contracture prochaine.—Le spasme précurseur de la contrac- ture musculaire n’existe malheureusement pas toujours ; de sorte qu’on ne reconnaît cette affection que lorsqu’elle a déjà déformé les traits. Cependant j’ai remarqué que.les sujets chez lesquels la con- tracture s’est déclarée avaient recouvré la tonicité de leurs muscles paralysés plus rapidement que ceux qui n’avaient pas eu de con- tracture. Ainsi, j’ai dit précédemment que les muscles dont la con- tractilité électrique était abolie recouvraient leur tonicité bien avant les mouvements volontaires. Cette première période de retour de la tonicité à l’état normal a lieu ordinairement dans un certain ordre. Il faut, en général, deux ou trois semaines dans la paralysie de la septième paire au deuxième degré pour que le premier mouvement tonique'se manifeste. C’est d’abord le buccinateur qui paraît avoir le plus de tendance à recouvrer sa puissance tonique ; après lui vien- nent le grand zygomatique, le petit zygomatique, l’élévateur commun de l’aile du nez et de la lèvre supérieure, le pinnal radié, le carré, le triangulaire des lèvres, le releveur de la houppe du menton, l’or- biculaire des lèvres, l’orbiculaire des paupières, le frontal et le sour- cilier, le triangulaire du nez et le dilatateur de l’aile du nez. Ces dé- tails ont une importance réelle, car j’ai remarqué que si un de ces muscles paralysés de la face reprend plus rapidement que d’ordi- CONTRACTURE DES MUSCLES DE LA FACE. 679 naire sa tonicité (dans le premier septénaire), et surtout quand ce muscle retrouve cette propriété, pour ainsi dire, avant son tour, j’ai remarqué, dis-je, que ce phénomène, heureux en apparence, était le commencement d’une contracture qui ne tardait pas à accentuer les traits plus qu’à l’état normal, puis à s’aggraver progressivement. J’indique donc ce retour rapide et insolite de la puissance tonique dans un muscle paralysé au deuxième degré, comme un signe pro- bable de la contracture prochaine de ce muscle, signe précieux de diagnostic dans l’absence du spasme musculaire. Quelques malades ont éprouvé des douleurs névralgiques sié- geant dans les divisions de la cinquième paire. Chez d’autres sujets, les muscles étaient sensibles à la pression ; mais ce n’était qu’une complication dont on ne pourrait faire un signe diagnostique, car la plupart des malades affectés de contracture n’ont pas éprouvé la moindre souffrance. On verra bientôt combien il importe au médecin de reconnaître les signes précurseurs de la contracture musculaire, quand il est appelé à juger l’opportunité de l’emploi de la faradisation localisée ou à indiquer le mode d’application qu’il convient de choisir dans le traitement de l’hémiplégie rhumatismale de la face. C. — Symptômes de la contracture musculaire consécutive à la paralysie de la septième paire. J’ai dit ci-dessus, en exposant les signes précurseurs de la con- tracture qui survient dans le cours d’une paralysie de la septième paire, que les traits ou quelques-uns des traits primitivement affaissés reprennent progressivement leur expression naturelle par le retour de la force tonique dans les muscles paralysés, et que ces traits se prononcent de plus en plus. Si la contracture se déclarait à la fois dans tous les muscles para- lysés de la face, la physionomie prendrait une expression tellement étrange, que l’attention en serait immédiatement frappée; mais c’est toujours partiellement que les muscles sont frappés au (lébut de cette affection, alors même qu’elle doit se généraliser par la suite; il faut une assez grande attention pour la diagnostiquer quand elle se fixe dans certains muscles. On la reconnaît facilement si elle se montre dans le grand ou le petit zygomatique. Dans le premier cas, la commissure est plus élevée, pendant le repos musculaire, du côté malade que du côté sain ; dans le second cas, la ligne naso-labiale est plus creuse et plus arrondie ; mais quand la contracture établit son siège dans d’autres petits muscles, comme le pinnal radié, le 680 PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. transverse du nez, lcreleveur de la houppe du menton, etc., le dia- gnostic exact de cette affection devient difficile, si l’on ne connaît pas exactement l’action individuelle des muscles. Je me trouvais dans d’excellentes conditions pour observer ces contractures par- tielles des muscles de la lace; car ayant pu produire parla faradisation localisée chacune des contractions individuelles de ces muscles, je connaissais parfaitement l’expression qui leur est propre, depuis le premier degré jusqu’au degré le plus avancé de la contraction. Ces expressions, ou plutôt ces signes caractéristiques de la contraction individuelle des muscles sont, on le conçoit, ceux de la contracture. Pour la description de ces signes de la contraction ou de la con- tracture individuelle des muscles, je renvoie le lecteur au travail dans lequel j’exposerai l’étude de l’action individuelle et des fonc- tions des muscles de la face par la faradisation localisée. En même temps ou après que les muscles paralysés de la face se sont contracturés, on les voit ordinairement recouvrer leurs mou- vements volontaires. Une fois seulement j’ai observé une paralysie rhumatismale de la septième paire, qui, après quatre ans, était encore complète, et dans laquelle quelques-uns des muscles paralysés étaient contrac- turés. En voici la relation abrégée. Observation CLX.—M. X..., horloger, après avoir été exposé à un courant d’air, eut le côté droit de la face immédiatement paralysé. Après quatre ou cinq semaines de traitement, M. X..., dont les traits avaient été complètement affaissés du côté paralysé, vit sa commissure droite remonter progressivement au niveau de celle du côté sain. Il crut alors à sa guérison prochaine ; mais il attendit en vain le retour de ses mouvements volon- taires. Il renonça, trois mois après, à toute espèce de traitement. Sa com- missure droite, qui était restée d’abord quelques jours au niveau de la com- missure gauche, continua à s’élever, quoique lentement, en se portant en dehors. Quatre ans après son accident, je constatai chez M. X... une contracture du grand zygomatique droit. En effet, pendant le repos musculaire, la com- missure droite des lèvres était tellement tirée en dehors et en haut, que M. X... semblait s’abandonner à une gaieté folle. Mais si on le regardait en face, on remarquait que la commissure gauche n’était pas plus élevée qu’à l’état normal, et qu’elle était un peu attirée vers la ligne médiane avec toute la joue gauche (côté sain). Malgré cet état de contracture, les muscles du côté droit étaient restés privés de tous mouvements volontaires. Ainsi, lorsqu’il riait, la commissure droite, qui auparavant était très élevée et tirée en dehors, et qui avait attiré de son côté la commissure gauche, était en- CONTRACTURE DES MUSCLES DE LA FACE. 681 traînée à son tour vers la ligne médiane par la contraction du grand zygo- malique sain. Il en résultait que le côté droit de la face, qui, chez M. X. avait une expression de gaieté folle, même quand il était sous l’influence d’une impression triste, devenait très sérieux quand il éprouvait de la joie, laquelle était seulement exprimée du côté gauche. Ce contraste entre les deux côtés de la face, que l’on voit toujours comme animés par des senti- ments contraires, exprimant la gaieté à gauche et la tristesse à droite, et vice versel, donne à la figure de M. X... la physionomie la plus singulière. Enfin j’ai constaté que la contractilité électrique était très notablement di- minuée dans ses muscles paralysés. Le fait que je viens de rapporter a, sous un certain rapport, quelque analogie avec l’observation de Vaneuille (obs. CLY1), qui aussi avait une contracture du grand zygornatique et offrait le même contraste entre les deux côtés dans l’expression de la face, à l’état de repos. Mais ce dernier, on se le rappelle, avait recouvré en grande partie ses mouvements volontaires du côté contracturé ; de sorte qu’il riait des deux côtés à peu près également. Les muscles contracturés se rétractent quelquefois à la longue, et alors ce n’est plus une simple difformité de la face qui tour- mente les malades, c’est une gêne considérable dans les mouve- ments. Observation CLXI. — En 1851, un confrère me présenta un de ses clients, M. X..., demeurant rue d’Alger, n° o, qui avait été affecté, deux ans auparavant, d’une hémiplégie faciale gauche, occasionnée par un cou- rant d’air. Ses mouvements étaient revenus incomplètement ; sa joue, pri- mitivement flasque et gonflée, .était devenue roide et s’était aplatie progres- sivement. Celte roideur lui occasionnait une gêne continuelle pour tous les mouvements de la face; l’écartement des mâchoires était plus limité. En portant le doigt dans la bouche, je sentis une sorte de corde dure, inexten- sible, formée évidemment par le buccinateur rétracté, et tellement saillante en dedans, que le malade se mordait la joue quand il rapprochait les mâ- choires, ce qui lui causait une grande gêne pendant la mastication. On se rappelle aussi que mademoiselle X... (obs. CLVII) éprou- vait également une très grande gêne de la rétraction de son bucci- nateur, et que, de plus, son orbiculaire des paupières était rétracté au point que la cornée en était presque entièrement couverte. Je ne crois pas devoir décrire les signes de la rétraction de chacun des muscles de la face, puisqu’ils sont ceux de la contracture ar- rivée à ses dernières limites, et qu’elle en diffère seulement par l’im- 682 PAKALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. possibilité où l’on est de la faire disparaître par des tractions exer- cées sur les muscles dans le sens de leur longueur. Si je suis entré dans d’aussi longs développements sur la contrac- ture consécutive à la paralysie rhumatismale de la septième paire, c’est que l’histoire de la contracture consécutive à la paralysie de la septième paire n’ayant pas encore été écrite, que je sache, et la science en possédant seulement quelques cas incomplètement étu- diés, je devais prouver sa fréquence, en faire connaître les sym- ptômes et la marche, en même temps que j’en posais le diagnostic local, fondé sur la connaissance de l’action expressive de chacun des muscles de la face. § VI. — Action thérapeutique de la faradisation localisée appli- quée au traitement de l’hémiplégie faciale. A. — Premier degré de la paralysie rhumatismale de la septième paire. Il m’est quelquefois arrivé de refuser d’appliquer la faradisation dans les cas légers d’hémiplégie faciale rhumatismale, c’est-à-dire quand la contractilité électro-musculaire n’était qu’affaiblie ; alors j’ai vu la paralysie guérir rapidement, soit spontanément, soit après un simple vésicatoire. Observation CLX1I. — C’est ainsi que j’ai agi en 1859 chez un jeune homme qui m’était adressé par mon confrère et ami M. Blache (dont il se disait le parent), et chez lequel la distorsion considérable et la paralysie complète d’un côté de la face pouvaient faire croire à une lésion grave de la septième paire.—En sortant d’une soirée, dans un état de moiteur, il s’était exposé, un instant, à un courant d’air très froid, et avait, disait-il, senti que sa face tournait. Je le vis quinze jours après le début de sa paralysie. Ayant trouvé un peu affaiblie la contractilité électrique des muscles paralysés, je portai un pronostic léger, et lui conseillai de s’abstenir de toute médication, espérant que sa paralysie guérirait spontanément. C’est en effet ce qui est arrivé assez rapidement. Bien que ce lait démontre que la paralysie de la septième paire peut guérir sans l’intervention de la faradisation, il ne faut pas ce- pendant toujours s’en lier au temps pour la guérison de ces cas légers, laquelle, si l’on n’intervient pas, pourrait se faire attendre, comme le prouvent les faits exposés précédemment. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA EAUAD1SAT10N LOCALISÉE. 683 B. — Quelle est l’actiou thérapeutique de la faradisation localisée dans le deuxième degré de la paralysie rhumatismale de la septième paire. I. — La paralysie rhumatismale delà septième paire, lorsqu’elle existe au deuxième degré, c’est-à-dire alors que les muscles para- lysés ne se contractent pas par l’excitation électrique, oppose une grande résistance aux différents agents thérapeutiques. On en voit (et elles ne sont pas très rares) qui, ne reconnaissant pas d’autres causes qu’un simple courant d’air, restent complètes au bout de quelques années. Ces paralysies, cependant, avaient été traitées la plupart énergiquement par les moyens ordinairement mis en usage. Eh bien ! je puis dire que parmi tous les cas d’hémiplégie faciale rhumatismale bien caractérisés et arrivés à ce deuxième degré, sur lesquels j’ai expérimenté l’influence de la faradisation localisée, je n’en ai pas vu un seul qui n’ait été guéri ou notablement amélioré par ce traitement convenablement appliqué, alors même qu’une médication énergique n’avait produit aucun résultat. J’en vais rap- porter un cas, comme exemple. Observation CLXIII, — Flavie, domestique, âgée de vingt-huit ans, rue de Grenelle-Saint-Germain, se présenta à ma consultation, le 10 février 18 49, avec une hémiplégie faciale du côté gauche datant de seize mois. Ayant eu l’imprudence de laisser ouverte une croisée qui était à peu de dis- tance et en face de son lit, elle eut en se réveillant un sentiment de roideur et de gêne dans les mouvements du côté gauche de la face qui se trouvait du côté de la croisée. N’éprouvant aucune douleur, elle n’en continua pas moins à se livrer à ses occupations habituelles ; mais ses maîtres ayant été frappés du bouleversement de ses traits, elle vit avec surprise, en se re- gardant dans une glace, que le côté gauche de sa figure restait complète- ment immobile.— Des sangsues furent appliquées derrière l’oreille gauche, puis des vésicatoires pansés à la strychnine; une dérivation puissante fut faite aussi sur l’intestin au moyen de purgatifs aloétiques; et après ce trai- tement actif, continué pendant trois semaines, sans aucun résultat satisfai- sant, la faradisation localisée lui fut conseillée. État de la malade le 1 0 février 1 849. — A gauche, la joue est boursouflée à sa partie inférieure ; on ne voit aucun sillon à sa surface ni sur la peau du front, ce qui forme un contraste singulier avec le côté opposé, où ces lignes sont très accentuées ; l’aile du nez est affaissée, et obstrue presque complè- tement la narine ; la commissure des lèvres se trouve à un centimètre au moins au-dessous de la commissure opposée; la moitié gauche des lèvres est flasque et appliquée contre les dents, tandis que la moitié droite est un 684 peu portée en avant, et présente la ligne ondulée qui sépare la peau de la muqueuse labiale, qui elle-même, étant un peu froncée, offre de petits plis verticaux ; la paupière inférieure gauche esté 2 ou 3 millimètres au-dessous de sa position normale, d’où résulte, en apparence, une saillie énorme du globe oculaire ; de ce côté, le sourcil est abaissé de 4 millimètres. La ma- lade est complètement privée de mouvements volontaires de ce côté de la face; ainsi les paupières sont toujours écartées l'une de l’autre; tous les mouvements sont accompagnés, du côté droit, d’une distorsion énorme de gauche à droite ; pendant le rire, la commissure droite remonte seule vers l’oreille, et la bouche s'agrandit démesurément ; pendant la mas- tication, la malade est forcée d’appliquer la main sur la face pour repousser les aliments, qui tombent toujours entre la muqueuse buccale et les dents. La salive, comme les larmes, coule involontairement. Si la malade veut siffler ou souffler, la joue gauche se gonfle, et la moitié gauche des lèvres est repoussée par l’air expulsé, qui s’échappe par une large ouverture, tandis qu’au contraire la joue droite s’applique contre les dents, et que les lèvres se froncent et se serrent l’une contre l’autre. Enfin la parole est difficile, surtout la prononciation des labiales, bien que les mouvements de la langue soient intacts; pas de déviation de la luette ni de déformation du voile du palais. PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. La malade n’éprouve aucune douleur à la face; la pression, exercée sur le point d’émergence des nerfs sous-orbitaire et mentonnier, sur les nerfs frontaux et temporaux, n’occasionne aucune sensation douloureuse. L’excitation électrique, dirigée sur chacun des muscles et des nerfs mo- teurs de la face, ne provoque pas de contraction du côté paralysé, bien que le courant soit aussi intense que possible. Je faradisai, de deux en deux jours, chacun des muscles paralysés avec un courant aussi intense que possible, et dont les intermittences étaient des plus rapides ; chaque séance durait huit à dix minutes. Ce ne fut qu’à la douzième séance que je constatai à gauche un commencement de retour de la force tonique du grand zygomatique, par une petite élévation de la com- missure des lèvres; puis la ligne naso-labiale se prononça, et l’œil fut un peu plus recouvert par les paupières. Quinze jours après, le sourire com- mençait à relever la commissure gauche. A partir de ce jour, les mouve- ments volontaires, comme la tonicité des muscles, revinrent progressi- vement à leur état normal. Il m’a fallu six semaines de traitement pour obtenir ce résultat. — J’ai revu Flavie en mars 1854 (cinq ans après sa guérison), et j'ai constaté une harmonie parfaite entre les deux côtés de la face. Je dois dire que j’ai choisi cette observation parmi les autres, comme un exemple de la guérison la plus complète que l’on puisse ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. obtenir par la faradisation localisée dans une paralysie rhumatis- male de la septième paire arrivée au deuxième degré (avec aboli- tion de la contractilité électro-musculaire). La guérison de Flavie a été assez rapide; car au degré où en était sa paralysie, il faut en général de trois à six mois de traitement. De plus, il est malheu- reusement rare que l’on puisse, comme dans le cas précédent, ra- mener à l’état normal la contractilité volontaire. Il reste souvent, au contraire, une inégalité générale ou partielle entre les deux côtés pour les mouvements expressifs. II. — Les premiers effets du traitement électrique se manifestent par le retour progressif de la puissance tonique dans les muscles paralysés : ainsi la commissure se relève, le sillon naso-labial se pro- nonce de plus en plus ; la narine affaissée s’agrandit, l’ouverture des paupières revient à l’état normal, et cela bien avant que la malade ait gagné le moindre mouvement volontaire ou expressif. Mais ce rétablissement de la force tonique annonce, en général, le retour prochain de la contractilité volontaire. Je dois prévenir cependant le lecteur qu’il m’est quelquefois arrivé de n’obtenir un premier mou- vement volontaire que trois semaines, un mois après le retour de la physionomie à l’état normal pendant le repos musculaire. C’est, en général,le grand zygomalique qui commence à se contracter; et pour constater le phénomène, il faut engager le malade à sou- rire. — Après ce muscle viennent, dans l’ordre suivant ; l’éléva- teur commun de l’aile du nez, le petit zygomatique, le buccinateur, les orbiculaires des lèvres et des paupières, le triangulaire et le carré des lèvres, etc. Pour constater le jeu de ces muscles, il faut bien connaître leurs fonctions et leur action sur la physionomie, engager le malade à exécuter les mouvements ou à rendre les expressions auxquels ils président.—Mes recherches sur les fonctions des muscles de la face m’ont singulièrement aidé dans cet examen de l’état de la con- tractilité volontaire individuelle des muscles. On va comprendre l’importance de cet examen minutieux pour la réussite du traitement. J’ai dit plus haut qu’en général les mou- vements volontaires reviennent successivement dans les muscles; mais il arrive quelquefois que certains d’entre eux résistent davan- tage à l’action thérapeutique de la faradisation ou restent plus ou moins paralysés. C’est sur ces derniers principalement qu’il faut alors diriger l’excitation électrique, sinon certaines expressions et certains mouvements restent irréguliers et disgracieux. 686 PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. G. — A quelle époque de la maladie convient-il d’appliquer la faradisation localisée au traitement de la paralysie rhumatismale de la septième paire? — Comment la faradisation doit-elle être pratiquée?—Quelles modifications doit-on apporter au traitement, lorsque se manifestent les signes précurseurs de la contracture dans les muscles paralysés, ou lorsque cette complication existe à un degré plus ou moins avancé ? I. — Est-il plus rationnel de traiter, dès le début, une paralysie rhumatismale de la septième paire par la faradisation localisée ? Plusieurs des observations précédentes démontrent que ce dernier mode de traitement appliqué à une époque très rapprochée du début peut guérir rapidement certaines paralysies rhumatismales de la septième paire. Mais je ferai observer que chez les sujets de ces ob- servations les muscles paralysés n’avaient perdu qu’une faible partie de leur contraclilité électrique, ce qui est pour moi, comme je crois l’avoir établi, le signe du premier degré de la paralysie de la septième paire. C’est seulement dans les cas semblables que je crois que l’application immédiate de la faradisation a souvent des chances de succès. Mais je ne conseillerai pas la même méthode de traitement dans l’hémiplégie rhumatismale de la face au second degré. La perte complète de la contractilité électrique, qui caractérise ce degré de la maladie, annonce en effet qu’il existe un trouble profond dans l’innervation, trouble occasionné sans doute parla compression du nerf facial. Or, si cette compression est exercée, comme on l’a sup- posé dans ce cas, par le névrilème sur la fibre nerveuse enflammée et tuméfiée, il me parait rationnel de combattre cette inflammation par les seuls moyens qui puissent la faire tomber : des sangsues appliquées derrière l’oreille, des vésicatoires promenés sur la ré- gion malade, des purgatifs, etc., etc. C’est seulement lorsque l’in- flammation a dû cesser, quand la force nerveuse centrale peut reve- nir dans les muscles (après deux ou trois semaines d’un traitement antiphlogistique et révulsif), qu’il me semble indiqué de recourir à la faradisation localisée, qui constitue le traitement principal de la paralysie. Bien que j'aie agi jusqu’à présent d’après ces principes et d’après l’hypothèse de l’existence d’une inflammation ou d’un état hy- pérémique du nerf, je dois cependant faire mes réserves à cet égard; car jusqu’à présent l’expérience ne m’a pas démontré que ce soit la meilleure manière d’agir, et rien ne prouve qu’en appli- quant immédiatement le traitement électrique dans la seconde ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. comme dans la première période, on n’obtiendrait pas plus facile- ment la guérison. G’est ce que je me propose d’expérimenter. II. — On sait que la faradisation musculaire de la face peut être pratiquée, ou en opérant les recompositions des courants dans le nerf de la septième paire, ou en localisant l’excitation dans chacun des muscles paralysés. 1° Le premier mode d’électrisation (la faradisation musculaire indirecte) ne m’a pas donné de résultats aussi satisfaisants que le second (la faradisation musculaire directe), dans le traitement de la paralysie de la septième paire. En voici la cause : tantôt les mus- cles sont partiellement ou irrégulièrement paralysés ; tantôt la pa- ralysie, primitivement uniforme, est modifiée d’une manière irrégu- lière pendant le cours du traitement. Ainsi on voit, par exemple (et c’est ce qui arrive ordinairement), le grand zygomatique recouvrer plus ou moins sa contraclüité, alors que les autres muscles restent paralysés. Plus tard ces derniers recouvrent aussi très inégalement leur contractllité tonique et volontaire. Il est alors nécessaire d’exci- ter plus spécialement les muscles dans lesquels la maladie présente le plus de ténacité, sous peine de laisser une difformité ou une irré- gularité choquante dans les traits de la face. Or il est impossible, on le conçoit, d’atteindre ce résultat par la faradisation musculaire indirecte, qui porte l’excitation d’une manière égale dans tous les muscles animés par la septième paire. Quelques exemples feront comprendre l’importance de cette loca- lisation. Parmi les muscles qui, dans l’hémiplégie rhumatismale de la face, restent habituellement plus longtemps paralysés, ou qui résistent davantage aux différents traitements, je signalerai le fron- tal, le carré des lèvres, le peaucier, l’orbiculaire palpébral et le muscle de Horner. Alors les mouvements expressifs ou autres, qui sont rendus par l’élévation du sourcil ou l’abaissement de la lèvre inférieure, n’ont lieu que d’un côté, ce qui est disgracieux ou gênant. On n’obtient la guérison dans ces cas qu’en localisant l’excitation électrique dans chacun de ces muscles. J’ai observé, par exemple, un individu qui, ayant été affecté d’une paralysie rhumatismale de la face, avait recouvré la plupart des mouvements par la faradisation de la septième paire. 11 en résultait une grande irrégularité dans les mouvements et dans l’expression de sa face. Il me fallut localiser l’excitation dans les muscles qui s’étaient montrés rebelles à cette faradisation indirecte; mais ce qui gênait le plus ce malade, c’était un larmoiement continuel. L’orbiculaire palpébral avait cependant recouvré assez de motilité pour rappro- cher ses paupières, et il n’y avait pas de tumeur lacrymale qui expli- paralysie de la septième paire. quât ce larmoiement. Mais le muscle de Borner était resté para- lysé; ce que je reconnus aux signes que j’ai exposés précédemment (page 651). La faradisation localisée de ce muscle en rétablit bientôt les fonctions, et je vis progressivement le grand angle de l’œil re- prendre sa forme normale, les points lacrymaux recouvrer leurs mouvements et l’épiphora disparaître. Il peut arriver aussi que certains muscles venant à se contrac- turer pendant le cours du traitement, il faille alors modifier ou éviter leur excitation. Dans ces cas, la faradisation indirecte est plus nuisible qu’utile, car elle ne permet pas d’isoler l’excitation électrique. Enfin j’ai établi d’une manière générale que les para- lysies sont plus heureusement influencées par l’excitation directe des muscles que par l’intermédiaire de l’excitation du nerf qui les anime. Les considérations qui précèdent démontrent donc l’importance de la faradisation musculaire directe dans le traitement de l’hémi- plégie faciale. 2° Rappeler la tonicité musculaire et la contraclilité volontaire, tel est le but qu’on se propose dans le traitement de l’hémiplégie rhumatismale de la face. — Or, je l’ai déjà démontré, — les inter- mittences rapides répondent à cette double indication. Le retour de la tonicité musculaire, ai-je dit, précède ordinaire- ment l’apparition des mouvements volontaires, de sorte que l’on est forcé de prolonger le traitement électrique quelquefois longtemps encore après que les traits ont repris leur expression naturelle. Il serait imprudent alors de continuer à pratiquer la faradisation loca- lisée avec un courant à intermittences rapides, car on doit se tenir en garde contre la terminaison ordinaire de la paralysie de la sep- tième paire : la contracture, que l’on peut provoquer par l’abus de ces intermittences rapides qui ont la propriété de contracturer arti- ficiellement la fibre musculaire, même à l’état normal. B faut donc éloigner les intermittences (d’une à quatre par seconde), qui de celte façon agissent sur la contraclilité volontaire sans surexciter la con- tractilié tonique, comme cela ressort de mes recherches, et comme j’aurai bientôt une nouvelle occasion de le démontrer. Lacontrac- tilité tonique revient dans les muscles paralysés d’une manière iné- gale, de sorte qu’il est des muscles sur lesquels on doit continuer à diriger un courant rapide, tandis que d’autres ne doivent plus être excités que par des intermittences éloignées. 11 faut apporter une grande attention dans ce genre d’opération, car on pourrait donner plus ou moins de force tonique aux mus- cles et fausser la physionomie, si l’on n’y prenait garde. Les muscles ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. qui son! le plus souvent mis en jeu pour l’expression des pensées et des passions les plus habituelles conservent pendant le repos mus- culaire une prédominance de force tonique, et impriment à la phy- sionomie son cachet distinctif. Eh bien ! cette physionomie, qui est l’œuvre de cette sorte de gymnastique de l’âme, est détruite souvent à tout jamais par la paralysie de la septième paire. L’opérateur peut, avec de l’habileté, rétablir l’harmonie entre les deux côtés du visage, en prenant le côté sain pour modèle ; mais je ne saurais dire tout ce qu’il faut de temps pour obtenir une régularité parfaite. Il est peu de malades qui aient la patience de suivre le traitement jusqu’il complète guérison. III. — 1° Lorsqu’on voit se manifester dans un muscle para- lysé les symptômes précurseurs de la contracture, on doit cesser à l’instant de l’exciter avec des intermittences rapides, ou tout au moins ralentir ces intermittences autant que possible, quand bien même les traits seraient encore affaissés. Mais la contracture une fois déclarée, convient-il d’abandonner le traitement? J’ai étudié celte question avec le plus grand soin, et je suis arrivé à conclure de mes recherches qu’en agissant de la sorte on laisse aux malades deux infirmités au lieu d’une. Le sujet de l’observation CLX en est un exemple frappant : on a vu, en effet, que pendant le repos musculaire, son grand zygomatique droit est contracturé, et que, s’il vient à rire, le grand zygomatique gauche se contracte seul, et entraîne de son côté son homologue qui se laisse distendre. Si ce malade avait été traité par la faradisation, il eût très probablement recouvré ses mouvements volontaires du côté para- lysé, comme tous ceux qui se trouvaient dans le même cas, et il aurait aujourd’hui des mouvements expressifs égaux de chaque côté, on à peu près égaux. Je suis convaincu par l’expérience qu’en agissant prudemment, c’est-à-dire en éloignant les intermit- tences, en ne rapprochant pas trop et en ne prolongeant pas déme- surément les séances, on n’aggrave pas la contracture, et qu’on réussit à rappeler les mouvements volontaires ; mais alors on arrive plus lentement au but. Voici des faits à l’appui de ce que j’avance. Observation CLXIV, — Mademoiselle X... s’exposa à un courant d’air qui lui paralysa immédiatement le côté gauche de la face. Après plusieurs traitements inutiles, elle fut soumise à l'action d’un petit appareil d’induc- tion à intermittences rapides. Les excitations furent répétées fréquemment, agissant toujours sur les muscles animés par le rameau maxillaire de la septième paire, de sorte que quelques-uns de ces derniers ne tardèrent pas DUCHENNE. 690 PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIIlE. à se contracturer. Ainsi le sillon naso-labial gauche était beaucoup plus creusé et plus arrondi que du côté opposé ; à la naissance et au-dessous de ce sillon, existait un enfoncement qui se continuait avec une dépression située derrière l’aile du nez de ce côté. Cette difformité, qui était causée par la contracture du pinnal radié et du petit zygomalique, vieillissait et attris- tait singulièrement ce côté de la face. Les mouvements volontaires com- mençaient à reparaître dans ses muscles grand zygomalique, orbiculaire des paupières et buccinateur. Enfin les muscles animés par la septième paire du côté gauche n’entraient pas en contraction sous l’influence de l’exci- tation électrique. J’essayai, dans l’espoir de rétablir l’harmonie des deux côtés de la face, de diriger un courant rapide sur les muscles paralysés, et j’eus la satisfaction de voir le résultat du traitement dépasser mon attente. Je n’entrerai pas dans les détails de ce traitement, qui fut très long et exigea des précautions infinies. Je dirai, toutefois, que les muscles contraclurés furent excités rarement et avec des intermittences éloignées, et que je pus diriger un courant rapide sur les autres muscles qui restèrent les derniers paralysés, et principalement sur le carré des lèvres, le triangulaire et le peaucier. Pendant que mademoiselle X... était soumise à ce traitement, je lui faisais exercer des tractions sur les muscles contraclurés, fréquemment et d’une manière aussi continue que possible. Aujourd’hui il reste à peine des traces de la contracture ; les traits se sont régularisés progressivement; les mouvements volontaires sont revenus en grande partie ; j’ai obtenu enfin sinon une parfaite régularité des traits, du moins une amélioration qui équivaudra à une guérison. Observation CLXV. —Chez M. D..., notaire, atteint en juin 1853 d’une hémiplégie faciale gauche, de cause rhumatismale, et chez lequel les muscles paralysés avaient perdu leur contractilité électrique, j’observai qu’après avoir massé un peu fortement les muscles paralysés, quelques-uns de ces derniers se contracturaienl pendant une ou deux secondes. Dès lors, je ne les excitai qu’avec un courant à intermittences lentes, suspendant le trai- tement de temps à autre pendant une ou deux semaines. Les mouvements volontaires revinrent progressivement, mais lentement, et la force tonique fut maintenue à peu près dans ses limites normales. Aujourd'hui, il n’existe plus de difformité apparente quand la face n’est pas en mouvement ; M. X... éprouve seulement de la roideur dans la joue gauche, qui est un peu crispée. Observation CLXVI. — Chez une demoiselle Grapin, cuisinière, âgée de trente ans, rue Nolre-Dame-de-Lorette, n° 19, atteinte d’une hémiplégie rhu- matismale de la face et rebelle depuis six semaines à un traitement énergique, je constatai une distorsion extrême du côté droit, au repos et pendant les ACTION THÉUAPEUTIQÜE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. mouvements. Les muscles paralysés avaient perdu leur contractililé élec- trique ; mais quand l'excitation était portée avec un courant rapide sur les fibres du buccinateur qui se continuent dans la lèvre inférieure, je voyais ces fibres, qui ne se contractaient pas pendant l’excitation électrique, se con- tracter spasmodiquement pendant quelques secondes après l’excitation. Ce fut pour moi un signe précurseur de contracture, et en conséquence je n’excitai ces muscles qu’avec un courant à intermittences éloignées et deux fois par semaine. Après quatre mois de traitement, les mouvements volontaires sont revenus, et la régularité des traits est à peu près normale aujourd’hui. Les faits que je viens d’exposer, et auxquels je pourrais, au be- soin, en ajouter beaucoup d’autres analogues, démontrent que, dans l’hémiplégie rhumatismale de la face, on peut soumettre à la fara- disation localisée les muscles menacés de contracture et même déjà contracturés, sans aggraver la contracture, pourvu que les inter- mittences du courant soient suffisamment éloignées. M’autorisant de mes recherches, je crois pouvoir affirmer que si, dans les cas rapportés ci-dessus, j’avais dirigé un courant à inter- mittences rapides sur les muscles qui n’étaient que faiblement con- tracturés, j’aurais aggravé les accidents de contracture, comme cela m’est arrivé chez le sujet de l’observation CLVI, dont j’ai fara- disé si longtemps les muscles contracturés avec un courant à inter- mittences rapides. A l’époque où je traitais ce malade, j’ignorais cette propriété spéciale des intermittences rapides des courants d’in- duction; je n’avais pas encore découvert qu’il est possible d’aug- menter la puissance tonique d’un muscle à l’état normal, jusqu’à le mettre dans une sorte de contracture (j’en rapporterai un exemple à la fin de cet article, obs. CLXYII). La contracture générale et si grave du côté de la face, qui a été la terminaison de l’hémiplégie rhumatismale de mademoiselle X... (obs. CLY1I), me paraît avoir été augmentée, sinon provoquée par les longues et fréquentes séances de galvano-puncture et d’électrisation à intermittences rapides, auxquelles elle a été imprudemment soumise. Ce n’est pas un blâme que je veux déverser sur les confrères qui lui ont donné des soins, puisque les mêmes malheurs me sont arrivés, et que ce sont ces malheurs qui m’ont mis sur la voie des faits que je publie au- jourd’hui. 2° Lorsque, pendant le cours de la maladie, la contracture s’est manifestée dans un muscle paralysé, je n’ai pas négligé de la com- battre par l’élongation du muscle contracturé, tout en continuant à faradiser ce dernier de la manière que je viens d’indiquer. Pour 692 PARALYSIE DE LA SEPTIÈME PAIRE. pratiquer cette élongation, tantôt les malades exercent eux-mêmes des tractions sur les lèvres, les joues, les paupières, dans le sens des fibres musculaires; tantôt je leur fais placer, entre la joue et les mâchoires, une bille aussi grosse que possible, de manière à dis- tendre fortement la joue, et conséquemment les muscles contrac- tures. Il faut que cette élongation soit pratiquée d’une manière con- tinue et plusieurs heures par jour. 3° La contracture d’un des muscles de la face n’occasionne sou- vent une difformité que par le contraste choquant qui existe alors entre les deux côtés du visage. Dans un cas de paralysie de la sep- tième paire, où je n’avais pu empêcher la contracture du petit zygo- matique qui donne une expression de chagrin, j’ai essayé avec succès de rétablir l’harmonie entre les deux côtés de la face, en contracturant au même degré le petit zygomatique du côté sain. Ce fait m’a engagé dans une voie de recherches nouvelles dont j’ai communiqué les résultats à la Société de médecine de Paris (1). 11 a trop d’importance pour être passé sous silence. Observation CLXVII. — Paralysie faciale guérie par la faradisation loca- lisée; ■— contracture consécutive du petit zygomalique du côté antérieu- rement paralysé. — Rétablissement de l'harmonie des traits de la face par la contracture artificielle du petit zygomalique du côté opposé, obtenue au moyen de la faradisation localisée. M. G..., âgé de trente-huit ans, sous-lieutenant au 28e de ligne, après s’être exposé à un courant d'air, s’aperçut, un malin, que sa bouche était tirée à gauche, et que la commissure droite de sa lèvre tombait; qu'il ne pouvait fermer l’œil droit ; qu’il ne riait que du côté gauche, etc. Après plusieurs traitements, la paralysie se montrant rebelle, je con- statai chez ce malade une distorsion considérable des traits. Du côté droit de la face, la commissure des lèvres était abaissée au moins d’un centi- mètre ; le sillon médian de la lèvre supérieure avait une direction oblique à droite; la joue, abaissée en masse, paraissait gonllée au niveau de l’os maxillaire inférieur; la paupière inférieure, tirée en bas, laissait à décou- vert une grande partie du globe oculaire, qui paraissait près de sortir de l’orbite ; la narine gauche, plus basse que celle du côté opposé, était à demi-close ; le nez était dévié à droite. Du côté gauche, la commissure était plus tirée vers l’oreille qu’à l’état normal ; mais si le malade venait à rire, cette commissure était tirée encore davantage vers l’oreille, et sem- blait entraîner en masse et de son côté tout le côté opposé du visage ; les paupières supérieure et inférieure du côté gauche étaient entièrement privées de mouvement. (1) Voyez le compte rendu de la séance dans la Revue médicale de 1852. ACTION THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 693 Le traitement électrique, commencé le 8 juin 1852, et consistant en quatre ou cinq séances par semaine, durant huit à dix minutes chacune, n’eut un commencement de résultat que vers le 15 septembre. Alors je constatai, pour la première fois, que la commissure droite se relevait un peu, et que le malade se mordait un peu moins la joue du côté paralysé en mangeant. A partir de ce moment, le traitement étant continué avec la même persévérance, raffaissement des traits diminua de jour en jour, et la naissance du sillon naso-labial commença à se dessiner; l’aile du nez s’ou- vrit mieux, et le nez se redressa. Vers la fin d’octobre, on voyait, quand le malade souriait, un petit mouvement dans la commissure gauche ; M. G... disait aussi qu’il ramassait mieux les aliments qui s’accumulaient entre les joues et l'arcade dentaire, ce qui annonçait que son buccinateur se contractait un peu. Enfin, il commençait à mieux rapprocher les paupières paralysées. La force de la contraclilité tonique et de la contraclilité volontaire con- tinua à progresser ainsi lentement, sous l’influence de la faradisation loca- lisée. 11 arriva un moment où la tonicité des muscles paralysés était reve- nue à son état normal, et où les deux côtés de la face étaient devenus parfaitement symétriques pendant le repos musculaire. Il eût été à désirer, pour la régularité des traits de son visage, que le mouvement tonique de ces muscles s’arrêtât là. 11 n’en fut malheureusement pas ainsi, pour cer- tains muscles du moins. En effet, le petit zygomalique se contracturant, le sillon naso-labial droit se creusa et se releva en s’arrondissant, au point de'relever la lèvre supérieure de ce côté et de découvrir un peu les dents. 11 en résulta un changement d’expression dans la moitié droite de la face, qui faisait un contraste singulier avec la moitié gauche, où la ligne naso-labiale était à peine indiquée. Ainsi, lorsqu’on regardait alternativement chaque moitié du visage en cachant l’autre moitié avec la main, on trouvait du côté droit (côté malade) une expression très prononcée de chagrin, tandis que le côté opposé paraissait froid, impassible; mais si l’on regardait les deux côtés à la fois, la physionomie était des plus disgracieuses. Les contractures que j’avais vues se développer, dans certains cas, sous l’influence de la faradisation à intermittences rapides, me suggérèrent une idée singulière, mais dont je prévoyais l’importance, .si cette idée se réalisait. Puisque, me disais-je, l’excitation électrique avait pu, jusqu’à un certain point, produire la contracture dans les muscles paralysés qui avaient môme perdu leur tonicité, n’était-il pas possible de produire artifi- ciellement cette contracture dans un muscle dont la puissance tonique était à l’état normal? Passant immédiatement de l’idée à l’application, j’essayai de mettre le petit zygomalique du côté sain en étal de contracture artificielle, en diri- geant sur lui un courant à intermittences rapides. J espérais, en agissant PARALYSIES DES NERFS MOTEURS DE L’OEIL, ETC. sur ce muscle, le mettre dans le même état que celui du côté malade, et rétablir ainsi l’harmonie dans l’expression des deux côtés du visage. Celle expérience, qui exigea un assez grand nombre de séances, fut couronnée d’un plein succès. Go fait démontre donc que l’on peut, à l’aide de la fadarisation à intermittences rapides, augmenter la force tonique d’un muscle de manière à rétablir l’harmonie ou la régularité des traits déformés par la contracture d’un de ses muscles expressifs. ARTICLE II. PARALYSIES DES NERFS MOTEURS DE L’OEIL, DU VOILE DU PALAIS, DU PHARYNX ET DU LARYNX. § I. — Paralysies des nerfs moteurs de l’œil. Je n’ai à faire connaître, sur la symptomatologie et sur le dia- gnostic local des paralysies des nerfs moteurs de l’œil, aucun phé- nomène nouveau ou qui ne soit bien connu. Il ne m’à pas même été possible d’étudier l’état de la contractilité électro-musculaire dans les diverses espèces de paralysies de ces nerfs moteurs, parce que jusqu’à ce jour je n’ai pas réussi à localiser l’excitation électrique dans les muscles de l’œil. Il serait donc inopportun d’exposer ici, sur les symptômes et sur le diagnostic de'ces paralysies, des consi- dérations que l’on trouve d’ailleurs dans les traités de pathologie ou dans les traités spéciaux. Mais rien n’est plus obscur et plus ignoré que le diagnostic diffé- rentiel des paralysies simples et parfaitement locales des muscles moteurs de l’œil d’avec celles qui sont symptomatiques d’autres affections musculaires graves, et conséquemment rien n’est plus difficile ou incertain que le pronostic des paralysies des nerfs mo- teurs de l’œil, en général. C’est de ce sujet principalement que je traiterai dans ce paragraphe, bien qu’il en ait été déjà question dans ce livre. J’aurai ensuite à exposer quelques considérations sur le traitement de ces paralysies par la faradisation localisée. A. — Diagnostic différentiel et pronostic. Trop souvent la paralysie des nerfs moteurs de l’œil est sympto- matique d’affections musculaires graves, qui tôt ou tard se générali- sent ou s’étendent à d’autres régions. On a pu en acquérir la triste conviction par la lecture des faits exposés dans le chapitre XV et DIAGNOSTIC ET PRONOSTIC. 695 dans l’article précédent. N’a-t-on pas vu, en effet, que la paralysie de l’un des muscles moteurs de l’œil se montre comme un des phé- nomènes initiaux de l’ataxie locomotrice progressive ? Ce seul signe m’a suffi quelquefois pour annoncer, plusieurs années d’avance, l’imminence de cette terrible affection. N’a-t-on pas vu aussi, dans le chapitre précédent, la paralysie de la sixième paire précéder la paralysie alterne? Cependant il me paraît (je l’ai déjà reconnu précédemment) que la paralysie des muscles moteurs de l’œil peut exister parfaitement isolée et limitée à l’un des nerfs de l’œil, que la cause en soit rhu- matismale ou syphilitique ou qu’elle soit même essentielle. Combien de livres, de brochures, de journaux, fourmillent de guérisons de ces espèces de paralysies locales ! Moi-même je crois en avoir ob- tenu un certain nombre et j’en rapporterai bientôt plusieurs cas. Mais aussi quelle est la valeur réelle de ces guérisons? Lorsque je sais que la plupart des sujets atteints d’ataxie locomo- trice progressive, — et ils sont nombreux, — ont passé par les mains des oculistes; qu’un certain nombre d’entre eux a été guéri, pendant un temps plus ou moins long, de la paralysie locale des nerfs moteurs de l’œil, paralysie qui n’était qu’un phénomène ini- tial de cette maladie, paralysie qui revient tôt ou tard, combien je dois apporter de réserves, quand je dis ou quand je crois avoir, guéri une paralysie de l’un des nerfs moteurs de l’œil! J’ai rapporté, en effet, un cas d’ataxie (obs. CXXll) dans lequel la paralysie de la sixième paire a guéri ou plutôt disparu temporairement (pendant plusieurs mois) jusque cinq fois, pour se fixer définitivement. Et chaque lois que cette paralysie disparaissait, le malade en rappor- tait tout riionneur à son oculiste! J’ai vu d’autres ataxiques qui se croyaient guéris depuis plusieurs années de leur strabisme, et qui ne tardaient pas à en être de nouveau affectés pendant que je leur donnais des soins : exemple, un malade d’Anvers auprès duquel j’ai été appelé en consultation avec mes amis MM. Pidoux et Trousseau. Si au moins il existait quelque signe qui permît de distinguer, à coup sûr, une paralysie purement locale des nerfs moteurs de l’œil? A l’époque où je publiais dans les Archives générales de méde- cine mon mémoire sur l’ataxie musculaire progressive, je croyais que tout strabisme qui appartenait au début de cette dernière ma- ladie devait être compliqué d’amblyopie ou d’amaurose, et j’en avais fait un signe diagnostique différentiel du strabisme simple, il me faut, hélas ! renoncer aujourd’hui à ce signe diagnostique. 696 PARALYSIES DES NERFS MOTEURS DE L’OEIL, ETC. Observation CLXVIII. — En 1 860, j’ai vu en consultation avec M. Trousseau, rue Caumartin, n° 23, un Russe, atteint depuis huit ans d’une ataxie progressive parfaitement caractérisée, et dont la vue était en- core excellente dans chaque œil, bien qu’il eût présenté au début de celle maladie une paralysie de la troisième paire droite, dont il avait été, disait-il, guéri depuis six ans par un habile oculiste. Son strabisme, quand il exis- tait, n’était pas compliqué d’amblyopie. Observation CLXIX. —M. Sée, médecin de l’hôpital des Enfants, m’a fait appeler, en 1860, chez un sujet affecté depuis six ans d’une ataxie musculaire progressive à sa troisième période, et qui, au début, avait eu une paralysie de la troisième paire, dont il avait été, disait-il, guéri après six mois de traitement. Il lui était resté seulement un peu de faiblesse dans l’élévation de la paupière supérieure. Mais il n’avait jamais eu d'amblyopie, et sa vue était encore très bonne au moment où j’étais appelé à lui donner des soins. Aujourd’hui que l’on sait que les filets originels des nerfs mo- teurs de l’œil remontent assez haut dans la protubérance où ils s’en- trecroisent, qui pourrait assurer qu’une paralysie bien localisée dans un de ces nerfs, et simple en apparence, n’est pas le début d’une paralysie qui plus tard s’étendra aux membres, soit du même côté, soit du côté opposé (paralysie alterne)? En résumé, les faits et les considérations que je viens d’exposer démontrent qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, dé distin- guer la paralysie simple ou parfaitement locale des nerfs moteurs de l’œil de celle qui est symptomatique d’une autre affection muscu- laire grave. B. — Valeur thérapeutique de la faradisation localisée. I. La faradisation localisée est quelquefois contre-indiquée dans le traitement des paralysies des nerfs moteurs de l’œil, bien qu’elle puisse être aussi, dans certains cas, d’une utilité incontestable. Il est évident que personne ne la conseillera lorsque l’on aura quelque raison pour attribuer la paralysie à un travail hypéré- mique, comme un ramollissement ou une hémorrhagie siégeant dans un point de la protubérance. Si la paralysie est présumée ou reconnue de cause syphilitique, c’est-à-dire produite par une compression exercée sur le nerf, par une exostose ou par une tumeur, etc., c’est la médication spé- cifique qui, avant tout, est indiquée. Quelques cas de guérison de certaines paralysies syphilitiques par l’iodure de potassium ont été VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. publiés dans ces derniers temps par les journaux de médecine. M. J.-Ch. Beyran a écrit une note intéressante sur la paralysie syphilitique de la sixième paire, lien rapporte six cas de guérison par l’iodure de potassium (1). Mais il peut arriver que le traitement spécifique soit insuffisant, qu’il faille recourir alors à la faradi- sation pour obtenir la guérison, ainsi que j’ai eu l’occasion de l’observer, entre autres, chez un malade qui me fut adressé en 1856 par M. Gibert, médecin à l’hôpital Saint-Louis. Alors la paralysie est analogue à une paralysie traumatique des nerfs, dans laquelle on voit, après la lésion de ces nerfs par compression, par contusion, et lorsque celle-ci n’existe plus, la paralysie persister cependant, et guérir ensuite par la faradisation localisée. Dans un bon nombre de cas j’ai obtenu, par la faradisation loca- lisée et en quinze à vingt séances, la guérison de paralysies des nerfs moteurs de l’œil dont la cause était restée inconnue et qui me pa- raissait simple. Je n’en fais pas la relation, parce que, ayant encore à traiter d’un grand nombre de matières, je suis forcé de me resserrer pour que mon livre ne soit pas trop volumineux. J’en rapporterai seulement brièvement une assez récente, et qui m’a été présentée par M. Dubois, doyen de la Faculté de médecine de Paris. Observation CLXX. — Une demoiselle âgée de vingt-quatre ans, d’une bonne santé habituelle, avait seulement des migraines depuis plusieurs an- nées, et avait éprouvé tout à coup et sans cause appréciable, une diplopie, d’abord légère, et qui avait augmenté graduellement pendant quelques jours. En même temps son œil se tournait en dedans sans qu’il lui fût possible de le mouvoir en dehors. Des sangsues appliquées à la tempe et derrière l’oreille du côté paralysé, des vésicatoires promenés sur ces mêmes régions, des purgatifs, enfin le sulfate de strychnine par la méthode endermique, furent employés successivement sans produire aucune modification dans l’état de la paralysie. Trois mois après le début de cette paralysie, la fa- mille se décida à la conduire à Paris, où M. Dubois, consulté d’abord, me fit appeler à lui donner des soins. Je constatai alors une paralysie de la sixième paire, et nous arrêtâmes, M. Dubois et moi, que la faradisation localisée serait immédiatement appliquée. Les résultats de ce traitement furent immédiats, mais progressifs: en une vingtaine de séances, la gué- rison fut complète ; elle s'est maintenue jusqu’à ce jour. C’est incontestablement à la faradisation localisée que l’on doit attribuer la guérison de cette paralysie, comme dans toutes les para- ît) Union médicale, 7 et 21 juillet 1860. lysies des nerfs moteurs de l’œil où je l’ai vue agir de la môme ma- nière. Mais pourrais-je affirmer que celte guérison est définitive, que tout est fini ; que cette guérison n’a pas été un phénomène ini- tial d’une autre affection musculaire et surtout de l’ataxie locomo- trice progressive? Hélas! les faits pathologiques que j’ai exposés dans ce livre ne me permettent plus d’en répondre. PARALYSIES DES NERFS MOTEURS DE L’OEIL, ETC. Procédé opératoire. — Quelques mots seulement sur le procédé opératoire. Une petite tige métallique (d’argent ou de maillechort) longue de 5 à 6 centimètres, d’un demi-millimètre de diamètre, isolée par une couche de gutta-percha ou de gomme laque jusqu’à un centimètre de ses extrémités, dont l’une est terminée par une olive d’un millimètre de diamètre, destinée à être introduite sous l’une ou l’autre paupière, et l’autre par un bouton à vis qui est mis en communication avec l’un des électrodes de l’appareil.-—Tel est le rhéophore dont jemesuis toujours servi pour la faradisation localisée des muscles moteurs de l’œil (1). Le contact du bord libre des pau- pières avec tout corps étranger est tellement sensible, qu’il en pro- voque presque toujours des spasmes. Pour éviter ce contact avec le rhéophore, il suffit d’écarter la paupière du globe oculaire, en tirant sur la peau qui la recouvre et que l’on pince entre le pouce et l’index, puis d’introduire sous la paupière ainsi soulevée et dont on évite de toucher le bord, l’extrémité olivaire du rhéophore, la concavité de ce dernier regardant le globe de l’œil. Alors on place ce rhéophore dans la direction du muscle à exciter en l’appuyant sur la surface de ce dernier. Je préviens l’opérateur que les commis- sures des paupières sont très sensibles au moindre contact, et que l’on doit éviter d’introduire le rhéophore par les angles interne et ex- terne de l’œil, lorsque l’on veut porter le rhéophore sur les muscles droit interne ou droit externe. Le rhéophore, ainsi introduit sous la partie moyenne de la paupière, peut arriver jusqu’aux muscles quand il est dirigé obliquement d’avant en arrière, soit en dedans, soit en dehors. L’excitabilité de la région sur laquelle on opère com- mande lapins grande circonspection. Ainsi l’intensité du courant faible d’abord est augmentée graduellementet sans aller jusqu’à pro- voquer de la douleur ; les intermittences du courant doivent être éloi- gnées chacune d’une demi-seconde. Enfin le courant de la première hélice mérite la préférence, en raison de son action excitante sur la rétine. (1) J’avais primitivement terminé ce rhéophore par une petite éponge, mais j’ai remarqué que scs aspérités irritaient la conjonctive plus que la surface polie delà petite olive; et d’ailleurs cette petite éponge est, dans ce cas, inutile. VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 699 C, — Traitement de la mydriase par la faradisation localisée. La mydriase peut guérir par la faradisation du constricteur de l’iris. Voici le procédé que j’ai employé contre la paralysie de ce muscle (procédé que, depuis une dizaine d’années, on m’a vu sou- vent mettre en pratique à la Charité, pour démontrer l’action du constricteur de l’iris sur des sujets qui venaient de succomber). J’applique l’extrémité de deux petits rhéophores métalliques (extré- mité mousse ou terminée par une olive comme celui décrit ci- dessus pour la faradisation des muscles do l’œil), de chaque côté de la cornée, 2 à 3 millimètres en dehors du bord libre de celle-ci et au niveau d’une ligne transversale fictive qui diviserait la cornée en deux moitiés égales. Alors au moment où le cou- rant arrive aux rhéophores avec des intermittences rapides, le muscle constricteur de l’iris se contracte jusqu’à fermer complè- tement la pupille. Mais ce procédé est assez douloureux; il ne peut pas toujours être toléré, ou irrite quelquefois trop la conjonctive. Dans ce cas, on peut le modifier de la manière suivante. On appli- que l’un des rhéophores ci-dessus décrits sur la sclérotique, à 2 ou 3 millimètres du bord de la cornée, sur l’un des points correspon- dants à l’un des nerfs ciliaires, tandis qu’un autre rhéophore hu- mide est posé, ou sur la tempe, ou derrière l’oreille du même côté, au niveau de l’apophyse mastoïde. Puis on fait passer dans les rhéophores un courant d’induction de premier ordre, à un degré extrêmement faible, que l’on augmente graduellement et avec de rares intermittences (d’une à quatre par seconde). Ce procédé, par- faitement supporté par les malades, et ne surexcitant pas la con- jonctive, a obtenu la guérison dans le cas suivant. Observation CLXXI.— Mydriase gauche idiopathique guérie par la faradisation du constricteur de l'iris. M. le comte X..., âgé de trente-huit ans, d’une bonne santé habituelle, n’a pas éprouvé les accidents de la syphilis constitutionnelle, bien qu’il ait eu des chancres non indurés, contre lesquels il a subi un traitement appro- prié, quinze ans avant le début de la mydriase. Sans cause connue, sans dérangement dans la santé, sans douleur aucune, M. X... s’aperçut, dans les derniers jours de mars 1838, d’une dilatation considérable de la pupille gauche ; puis, en regardant de cet œil, il éprouva un trouble de la vue assez marqué, sans perte toutefois de la faculté de voir assez distinctement et de lire. Tous les mouvements du globe oculaire étaient intacts. L’examen à 700 l’ophlhalmoscope, fait par M. Siebel, ne montra aucune lésion organique dans le fond de l’œil. M. le comte X... m’a été adressé en 1838 par M. le pro- fesseur Nélaton. La mydriasc était alors dans le même état, c’est-à-dire que la pupille gauche était considérablement dilatée, et qu’elle n’éprouvait aucune influence des impressions lumineuses, pendant que la pupille du côté droit se resserrait vivement. Le fond de l’œil était normal. La vue du côté gauche était troublée, les objets étaient rapetissés, mais la vue devenait normale quand on faisait regarder l’œil malade à travers un petit trou pra- tiqué dans une carte, C’étaitdonc une mydriase unilatérale, idiopathique. Je pratiquai immédiatement la faradisation du muscle constricteur do l’iris, d'après le procédé indiqué ci-dessus. Le premier contact du rhéophore avec la conjonctive fut seulement désagréable, et bientôt le malade s’y habitua. L’intensité du courant, très faible d’abord, fut augmentée graduellement.- Une intermittence par seconde n’agissait pas sur la pupille d’une manière appréciable, tandis que trois à quatre intermittences dans le même espace de temps la resserrait presque jusqu’à la fermer complètement. Comme cette rapidité des intermittences n’était pas très douloureuse et ne surexcitait pas la conjonctive, je continuai d'agir de cette manière pendant cinq mi- nutes, en laissant un petit repos de quelques secondes, à chaque minute. Après la séance, la pupille s’était agrandie de nouveau, mais semblait moins dilatée qu’avant la faradisation de l’iris. Les séances suivantes, pra- tiquées de la même manière, donnèrent un résultat analogue, c’est-à-dire une diminution progressive de ia dilatation de la pupille ; de telle sorte qu’après une vingtaine de séances, elle était revenue à son état normal. En môme temps que la pupille se resserrait, l’impression de la lumière fit con- tracter légèrement l’iris, et la vue fut moins trouble. Cette amélioration fut progressive, et l’excitabilité de l’iris revint à son état normal. PARALYSIE MUSCULAIRE DU VOILE DU PALAIS. J’ai commencé nue série d’expériences sur l’influence de la fara- disation musculaire localisée dans certains cas de chute congé- nitale de la paupière supérieure (blépliaroptose) ou de strabisme simple. Sans me prononcer d’une manière absolue sur la valeur réelle de ces recherches, je suis en droit d’en attendre d’heureux résultats. § II. — Paralysie musculaire du voile du palais. J’ai eu l’occasion d’observer et de traiter par la faradisation localisée un assez grand nombre de paralysies musculaires partielles ou com- plètes du voile du palais. Les causes de ces paralysies sont multiples. Ainsi j’ai trouvé assez souvent l’un des palato-staphylins paralysé dans des lésions rhumatismales de la septième paire, qui remon- PARALYSIE MUSCULAIRE DU VOILE DU PALAIS. 701 talent à une certaine hauteur dans le canal ou au-dessus de lui; j’ai vu la paralysie musculaire du voile du palais exister comme signe symptomatique de la maladie qui a l'ait le sujet du chapitre précé- dent, sous le titre de paralysie musculaire progressive de la langue, du voile du palais et de l’orbiculaire des lèvres. J’ai recueilli plu- sieurs cas d’atrophie du voile du palais dans la période ultime de l’atrophie musculaire graisseuse progressive, et quelques cas de paralysies simples des muscles moteurs du voile du palais. Ainsi plusieurs fois j’ai observé et traité par la faradisation, la paralysie de tous les muscles moteurs du voile du palais, paralysie causée par une simple pharyngite, comme RI. Trousseau l’a signalé le pre- mier (1). M. le docteur Maingault a recueilli des laits semblables à la même époque ; ils ont été relatés plus tard dans sa thèse pour le doctorat (2). Enfin huit cas de paralysie consécutive à l’angine couenneuse m’ont été adressés pour être traités par la faradisation localisée. Il m’eût donc été possible avec ces matériaux d’écrire une mono- graphie intéressante sur la paralysie du voile du palais. Mais comme ces paralysies ont été parfaitement étudiées par MM. Orillard, Bre- tonneau, Troussean(3), Lasègue, Faure,Moynier, etc,,et surtoutpar M. Maingault, qui en a fait le sujet d’un mémoire important (4), ce que j’aurais à en dire ne serait que la confirmation des faits signalés et développés dans cet excellent travail. En conséquence, ne voulant exposer dans ce livre que des faits nouveaux ou qui ont été incom- plètement étudiés, je m’abstiendrai de parler ici de mes propres recherches pathologiques sur les paralysies musculaires du voile du palais. Que l'on me permette cependant d’exprimer ici mon opinion sur la spécialité de la paralysie diphthérique. Si j’avais eu à décrire cette espèce de paralysie, j’aurais facilement démontré qu’elle est parfai- tement distincte des autres espèces de paralysies. 11 ressort, en effet, de l'ensemble des faits qui ont été publiés, que cette paralysie est rarement limitée au voile du palais; qu’elle s’étend souvent de ce dernier aux membres, dans lesquels elle affaiblit ou abolit la (1) Du nasonnement à la suite des angines. (2) Paralysies du, voile du palais et du pharynx, thèse inaugurale, 13 août 1834. (3) Clinique médicale de l’Hôtel-Dieu. Paris, 1861, t. 1, p. 370 et suiv. (4) De la paralysie diphlhérique. Recherches cliniques sur les causes, la nature et le traitement de celte affection. Paris, 1860, in-8. 702 PARALYSIE MUSCULAIRE DU VOILE DU PALAIS. sensibilité et ensuite la motilité. Quelquefois la sensibilité est seule affectée, et la force musculaire reste normale. En voici un exemple : Observation CLXX1I. — J’ai observé en \ 859 une anesthésie des extré- mités, survenue consécutivement à une angine couenneuse et à la paralysie du voile du palais, qui avait guéri par la faradisation localisée. Le sujet possédait sa force normale, mais il laissait tomber les objets qu’il tenait à la main, s’il ne les regardait pas, et il ne pouvait marcher dans l’obscurité. Il avait perdu la sensibilité tactile et la sensibilité musculaire aux mains, aux pieds et aux jambes. La faradisation localisée a triomphé rapidement de la paralysie du voile du palais; mais il n’en a pas été de même de l’in- sensibilité des extrémités, qui a résisté plusieurs mois à ce traitement; ce qui m’est arrivé, du reste, dans tous les cas de paralysie diphthérique de la sensibilité des extrémités, liée ou non à la paralysie du mouvement. Je crois que les faits analogues cà celui que je viens de rapporter sont exceptionnels. Pour les constater, il faut examiner avec soin la forme des mouvements partiels, et ne pas dire qu’ils sont para- lysés du mouvement seulement parce que les malades laissent tomber les objets qu’ils tiennent à la main, ou parce qu’ils marchent difficilement, lorsqu’ils ne voient pas. Peut-être alors ces faits seront-ils moins rares? Quoi qu’il en soit, la sensibilité et la motilité sont en général paralysées. Dans la plupart des cas que j’ai observés, la paralysie des mouvements n’existait pas au même degré que la paralysie de la sensibilité; ce n’était qu’une diminution de la force musculaire, comme cela a été constaté dans les faits de paralysies diphtbériques qui ont été publiés. C’est ce qui pourrait faire douter de l’existence réelle de la paralysie musculaire, et ferait plutôt considérer cette paralysie comme un affaiblissement général, analogue à celui qui est produit par beaucoup d’agents toxiques. Cette opinion ne me paraît pas soutenable en présence des faits que j’ai recueillis : 1° j’ai presque toujours observé que l’un des côtés était un peu plus affaibli, ce qui ne peut être produit que par une paralysie; 2° j’ai communiqué à M. Maingault un cas de paralysie diphthérique limité à l’un des membres inférieurs. En voici le sommaire : Observation CLXXIII. — Une petite fille de dix ans, à la suite d’une angine couenneuse grave, est atteinte d’une paralysie du voile du palais, qui guérit rapidement par la faradisation localisée ; puis, à quelques jours d’intervalle, elle commence à ressentir des fourmillements, mais ces four- millements sont limités au pied et à la jambe du côté droit, où l'on constate PARALYSIE MUSCULAIRE DU VÜ1LE DU PALAIS. 703 une insensibilité presque absolue. Celte petite malade éprouve une extrême difficulté à mouvoir ce membre inférieur; elle ne peut s’appuyer sur lui sans que la jambe fléchisse; en marchant, son pied, qu’elle ne peut fléchir sur la jambe, butte contre le sol. La contractilité électro-musculaire est partout normale. Il n’existe pas d’atrophie. La faradisation a guéri celte paralysie en quelques semaines. Ces faits suffisent pour démontrer que la paralysie diphthérique des membres est réellement une paralysie. Mais, dira-t-on, cette paralysie n’a rien de spécial, car elle res- semble aux paralysies que l’on observe quelquefois consécutive- ment aux fièvres éruptives ou aux fièvres continues, paralysies qui, elles-mêmes, sont identiques. Telle est l’opinion professée par M. Gubler dans une récente discussion soulevée par M. Sée à la Société de médecine des hôpitaux, sur la paralysie diphthérique. Je regrette de me trouver ici en désaccord avec un observateur aussi distingué que M. Gubler, et d’avoir à dire que cette opinion pèche par sa base. Bien que je ne sois pas encore en mesure d’ex- poser les signes diagnostiques différentiels de toutes les paralysies consécutives aux fièvres, parce qu’il en est plusieurs que je n’ai pas observées en assez grand nombre, je puis cependant affirmer que ces paralysies ne sont pas identiques, et que la plupart diffèrent essentiellement de la paralysie diphthérique. Voici sommairement quelques-uns des faits principaux que j’ai observés et qui prouvent l’exactitude de mes assertions. Rappelons d’abord ce qui se passe dans la paralysie diphtérique, pour ce qui a trait seulement à l’état de l’irritabilité et de la nutrition musculaire. Dans cette espèce de paralysie, j’ai toujours trouvé la contractilité électro-musculaire normale. J’ai vu aussi les membres paralysés tantôt un peu amaigris, tantôt ayant conservé leur volume normal. Je pourrais rapporter, comme exemple, à l’appui de cette dernière assertion, l’observation d’une darne qui, consécutivement à l’angine couenneuse, a éprouvé, dans l’ordre suivant, les différents phénomènes morbides qui caractérisent la marche de la paralysie diphthérique : 1° la paralysie du voile du palais; 2° après celle-ci; l’insensibilité des extrémités inférieures et ensuite des extrémités supérieures ; 3° plus tard un affaiblissement très notable des mouvements dans les membres inférieurs et supé- rieurs, affaiblissement prédominant à droite et accompagné d’un sentiment de lassitude. Cette malade m’a été adressée par M. le docteur Gros, après deux mois de maladie, et cependant ses mem- bres n’avaient pas diminué de volume, et sa musculature, qui était PARALYSIE MUSCULAIRE DU VOILE DU PALAIS- très riche, n’avait souffert en rien dans sa nutrition. —Enlin, je n’ai jamais vu, dans cette espèce de paralysie, les muscles affectés s’atrophier partiellement. Eh bienl ce n’est pas ainsi que se comportent les paralysies consécutives aux fièvres éruptives ou continues; je vais le prouver. Des enfants qui avaient été atteints de paralysie des membres après la rougeole ou après la scarlatine, et qui n’avaient éprouvé aucun trouble ni dans la phonation ni dans la déglutition, m’ont été présentés à des périodes différentes de leur paralysie. J’ai constaté chez ces enfants les symptômes qui caractérisent l’espèce de paralysie que j’ai décrite dans le chapitre VII, sous le nom de paralysie atrophique graisseuse de l’enfance. Je puis d’abord rappeler ici un fait dont il a déjà été question à la page 291, chapitre VII, et qui a été soumis à mon observation par le docteur Dechambre. En voici le résumé: Observation CLXXIV. — C’était un jeune garçon de six à sept ans, chez lequel l’un des membres inférieurs avait été paralysé pendant la con- valescence de la rougeole. Il n'avait point eu de paralysie du voile du palais. Lorsque M. Dechambre me le présenta, la paralysie datait d’un mois ; j’ai constaté alors que dans le membre paralysé, certains musclés jouissaient de leur contractililé électro-musculaire, et que celte propriété était affaiblie ou abolie dans les autres muscles. La faradisation localisée a rappelé rapidement les mouvements volontaires dans les muscles qui n’avaient pas perdu leur contractililé électrique; quelques-uns de ces muscles se sont atrophiés en raison de l'affaiblissement de cette dernière propriété, et ceux que je n’avais pu faire contracter par l’excitation élec- trique et qui aussi avaient perdu leur sensibilité, sont restés paralysés et se sont très probablement transformés en graisse, comme ceux que j’ai repré- sentés dans la figure 43, planche I. Aujourd'hui cet enfant a un pied creux. Voici un autre fait analogue au précédent. Observation CLXXV. — J’ai observé aussi chez une jeune fille de douze ans une paralysie atrophique graisseuse, qui s’élail déclarée vers l’âge de quatre ans, pendant le cours d’une fièvre éruplivo (les parents ignoraient si c’était une rougeole ou une scarlatine). La paralysie était générale au début. Les mouvements étaient revenus progressivement, dans l’espace de cinq à six mois; mais un grand nombre de muscles étaient restés atrophiés et d’autres ne donnaient plus signe d'existence à l’exploration électrique. Ces derniers (le deltoïde gauche, les fléchisseurs de l’avant-bras sur le bras à droite, les fléchisseurs du pied sur la jambe gauche) étaient sans aucun doute graisseux. PARALYSIE MUSCULAIRE DU VOILE DU PALAIS. 705 J’ai observé des phénomènes analogues dans les paralysies consé- cutives aux fièvres continues. J’ai réuni quelques cas de paralysies atrophiques graisseuses, survenues chez des enfants pendant le cours d’une fièvre continue, et diagnostiquée fièvre typhoïde par le médecin traitant. Dans les paralysies que j’ai vues survenir, chez l’adulte, pendant le cours ou à la suite de la fièvre typhoïde, la contractilité électro-musculaire était affaiblie ou abolie, et les muscles s’étalent atrophiés en raison du degré de la lésion de cette propriété musculaire. La sensibilité des extrémités était également affaiblie. En voici un exemple; Observation CLXXVI. — En 1 851, j’ai été appelé en consultation avec MM. Chomel et Horleloup chez une dame qui avait été atteinte d’une para- plégie consécutivement à la fièvre typhoïde. La contractilité électro-muscu- laire était affaiblie à des degrés divers dans les muscles paralysés, et abolie dans quelques-uns d’entre eux. Les muscles étaient atrophiés en raison du degré d’altération de la contractilité électro-musculaire. La sen- sibilité était également affaiblie dans les pieds et les jambes. Enfin, j’ai eu l’occasion d’examiner, à l’hôpital deToulon, l’état des muscles chez plusieurs sujets qui avaient été paralysés consécutive- ment au typhus d’Orient. Les muscles avaient perdu aussi, à des degrés divers, leur contractilité électro-musculaire; ils étaient atrophiés inégalement; quelques-uns même ne donnaient plus aucun signe d’existence. En résumé, les faits que je viens d’exposer démontrent que la paralysie diphthérique des membres diffère essentiellement des paralysies consécutives aux fièvres éruptives ou continues. Il est vrai qu’il est des paralysies dans lesquelles on observe, comme dans la paralysie diphthérique, l’intégrité de la contractilité électrique, la diminution ou la perte delà sensibilité des extré- mités et l’intégrité de la nutrition musculaire. Je citerai, par exemple, certaines paralysies hystériques et la paralysie par le sul- fure de carbone; mais la marche de ces dernières ou l’ordre de succession des phénomènes paralytiques suffiraient pour les distin- guer de la paralysie diphthérique, si dans celle-ci la paralysie des membres n’était pas toujours précédée de la paralysie du voile du palais, qui n’existe jamais dans les autres. Les considérations que je viens d’exposer démontrent surabon- damment que la paralysie diphthérique constitue une espèce mor- bide parfaitement distincte des autres paralysies. Je me propose de faire connaître, dans ce paragraphe, quelques DUCHF.NNE. 706 expériences électro-physiologiques que j’ai faites sur l’action indi- viduelle de plusieurs muscles moteurs du voile du palais, dans Je but de faire mieux comprendre les troubles fonctionnels occa- sionnés par les paralysies de ces muscles, et les signes distinctifs de leurs paralysies partielles. Puis j’exposerai quelques faits qui démontreront la valeur de la faradisation appliquée au traitement de ces paralysies. PARALYSIE MUSCULAIRE DU VOILE DU PALAIS, A. — Action individuelle des muscles du voile du palais démontrée par l’expéri- mentation électro-musculaire. — Déductions applicables au mécanisme de la déglutition. (Mes expériences ont été faites sur des sujets dont la motilité et la sensibilité du voile du palais étaient complètement paralysées; le toucher n’y provoquait aucune contraction réflexe.) I. Action individuelle des muscles du voile du palais. — 1° Pka- ryngo-staphylin. — Le pbaryngo-stapbylin a une triple action : il rapproche à l’instar d’un rideau le pilier postérieur du voile du palais de celui d’un côté opposé, laissant entre eux, au niveau de l’isthme, un intervalle d’environ un centimètre. Il abaisse puissamment le voile du palais, en môme temps il élève le pharynx. Le rapprochement des piliers du voile du palais, sous l’influence du pbaryngo-stapbylin, avait été signalé par Gerdy (1) et encore mieux décrit par Dzondi (2). Cependant il n’était pas admis par tous les physiologistes, et entre autres par M. Martin-Magron, qui dans ses cours ne manquait jamais de combattre l’opinion de Gerdy et de Dzondi. Je l’ai rendu témoin de mes expériences, et en présence de cette action évidente des pharyngostaphylins, il est convenu très loyalement que sur ce point il s’était trompé jusqu’alors. Pla- çant en effet un excitateur sur chacun de ces muscles, au niveau de l’isthme, il a vu les piliers se rapprocher l’un de l’autre en s’élar- gissant à la manière de deux rideaux, et cela rapidement, quand le courant était assez intense, ou lentement, dès que j’augmentais graduellement le courant. Mais quelque puissant que fût ce courant, les piliers ne se rap- prochaient pas complètement, il restait toujours entre eux un intervalle d’un centimètre à peu près. On verra bientôt l’importance de ce fait. Au moment où se produit le mouvement précédent, le voile du (1) Bulletin universel, janvier 1830, page 33, et article Digestion du Diction- naire en 30 volumes. (2) Die fonclionen des weichen Gnumeus, 1831, ÉLECTRO-PHYSIOLOGIE DES MUSCLES DU VOILE DU PALAIS. palais est abaissé de manière à présenter un plan oblique d’avant en arrière et de haut en bas, et avec une si grande force, que, vou- lant l’empêcher avec mes doigts appliqués contre le voile du palais, je craignis de le rompre. Enfin pendant que le voile du palais était ainsi abaissé, je voyais le pharynx s’élever. 2° Palato-stapkylin. — Le palato-staphylin ne raccourcit pas seu- lement la luette, ainsi qu’on l’a dit; il la redresse avec force en la portant horizontalement d’avant en arrière. Ce fait était des plus évidents chez le sujet sur lequel je faisais cette expérience, en présence de M. Martin-Magron (parce que sa luette était longue et que la paralysie de la sensibilité et de la motilité de cette région et même du pharynx permettait d’en exci- ter tous les muscles sans provoquer de mouvements réflexes). On voyait la luette se raccourcir, se redressant d’avant en arrière, sa pointe aller s’appliquer contre la paroi postérieure du pharynx. Si alors j’essayais de l’abaisser avec un petit crochet, je sentais qu’elle résistait assez fortement. La luette, en se contractant sous l’in- fluence de l’excitation électrique, entraîne la partie moyenne du voile du palais. 3° Péristaphylin interne. — Les péristaphylins internes élèvent le voile du palais en agissant principalement sur sa partie moyenne, de telle sorte que cette membrane décrit une courbe à concavité infé- rieure. Au maximum de contraction de ces muscles, la partie la plus élevée de cette espèce de voûte formée alors par le voile du palais s’élève un centimètre environ au-dessus de la direction hori- zontale, et alors il ne ferme pas l’orifice postérieur des fosses na- sales, bien qu’il en diminue inévitablement un peu l’ouverture. IL Déductions applicables au mécanisme de la déglutition. — Ces faits électro-physiologiques étant bien connus, voyons maintenant quel doit être le mécanisme du second temps de la déglutition, c’est-à-dire, ce qui se passe après que le bol alimentaire a franchi l’isthme du gosier. Alors le péristaphylin interne élève le voile du palais en lui donnant la forme d’une espèce de voûte dont le som- met est à peu près à un centimètre au-dessus de son attache à l’os palatin. La capacité du pharynx s’en trouve ainsi augmentée pour recevoir le bol alimentaire. M. Debrou avait démontré par une autre expérience que le voile du palais s’élevait pendant la déglutition ; l’expérimentation électro-musculaire vient aussi de le prouver. 11 faut en démontrer l’utilité. Au moment de la contraction du péristaphylin interne, la constriction supérieure du pharynx doit se contracter, car sans cela une partie du bol alimentaire repasserait par l’ouverture postérieure des fosses nasales. J’ai en effet constaté 708 PARALYSIE MUSCULAIRE DU VOILE DU PALAIS. que pendant la contraction du péristaphylin interne, il restait un es- pace vide assez grand entre le bord libre du voile du palais et la paroi postérieure du pharynx, tandis que dès que je faisais contracter en même temps que le péristaphylin interne le constricteur supérieur du pharynx, la paroi postérieure du pharynx se tendait au niveau de ce muscle en s’avançant sur le bord libre du voile du palais contre lequel il s’appliquait. Pour bien se rendre compte de cette action du constricteur supé- rieur du pharynx, on se rappellera que son bord antérieur et supé- rieur s’attache à la partie inférieure de l’aile interne de l’apophyse ptérygoïde. C’est surtout au niveau de ce point, qui se trouve situé au-dessus du voile du palais, que j’ai senti avec mon doigt les fibres courbes du constricteur supérieur se tendre fortement transversa- lement comme une corde en devenant rectilignes, pendant la con- traction de ce muscle. Au mouvement d’élévation du voile du palais, que je viens de décrire, succède son abaissement, dont le mécanisme, des plus curieux, est éclairé par l’expérimentation électro-musculaire. Ce mouvement d’abaissement, méconnu jusqu’ici, est opéré par le péristaphylin externe et ensuite par le pharyngo-staphylin. Le péristaphylin externe, en tendant transversalement le voile du palais et en l’abaissant jusqu’au niveau du crochet de l’aile interne de l’apophyse ptérygoïde, le ramène à une direction horizontale ; ce mouvement d’abaissement est continué, sinon exécuté synergi- quement, avec plus de force par le pharyngo-staphylin. J’ai dé- montré en effet ci-dessus, expérimentalement, que le pharyngo- staphylin, en se contractant, abaisse avec force le voile du palais, jusqu’à lui donner une direction oblique de haut en bas et d’arrière en avant. Ainsi donc le voile du palais, que l’on avait cru jusqu’à présent passif dans la déglutition, est au contraire actif pendant que le bol est refoulé de haut en bas vers l’œsophage. Mais le bol alimentaire, pressé alors d’avant en arrière par la base de la langue qui s’applique contre lui d’arrière en avant, par le con- stricteur du pharynx, et de haut en bas par le voile du palais qui est abaissé, pourrait s’échapper en partie en passant par le bord libre du voile du palais et la paroi postérieure du pharynx. Heureuse- ment cette solution de continuité du canal pharyngien est empêchée par le mouvement de rideau des piliers postérieurs du voile du palais produit par la contraction des pharyngo-staphylins, de ma- nière à diviser le pharynx en deux portions, l’une supérieure, com- muniquant avec les fosses nasales, et l’autre inférieure, où se trouve le bol alimentaire. Cependant ces deux piliers ou rideaux ne peu- 709 vent se rapprocher complètement, et laissent entre eux un espace d’un centimètre environ occupé par la luette, espace par lequel pourrait encore passer une portion du bol alimentaire. Ayant fait en effet contracter à la fois les pharyngo-staphylins et les constricteurs supérieurs, il m’a été facile de faire passer une sonde de caoutchouc de plusieurs millimètres de grosseur entre la luette relâchée et la paroi postérieure du pharynx. Mais si alors je faisais contracter for- tement les palato-staphylins, la luette, en se redressant et en se roidissant fortement, allait s’appliquer contre la paroi postérieure du pharynx, tendue elle-même par son constricteur supérieur, et empêchait ainsi le passage de cette sonde. Cette expérience me semble démontrer que les palato-staphylins prennent une part active du second temps du mouvement de déglutition pour fermer complètement l’espace libre qui sépare encore les piliers du voile du palais pendant la contraction des pharyngo-staphylins. DIAGNOSTIC DES PARALYSIES PARTIELLES. B. — Application des notions précédentes à l’étude du diagnostic local des paralysies du voile du palais. —Valeur thérapeutique de la faradisation, dans le traitement de ces paralysies. Les notions que je viens d’exposer facilitent singulièrement l’étude des paralysies musculaires partielles du voile du palais en faisant connaître exactement quels doivent être alors les changements de forme de cette membrane et de ses piliers, à l’état de repos et de mouvement, et les troubles fonctionnels qui en sont la suite. Je vais les exposer rapidement, et j’examinerai, chemin faisant, s’ils ont tous été confirmés par l’observation pathologique. 1° Paralysie partielle du palato-staphylin. — Dans la paralysie unilatérale du palato-staphylin, la luette doit être déviée du côté opposé à la paralysie. Cette déviation est causée, au repos musculaire, par la prédominance tonique du muscle sain ; elle augmente néces- sairement pendant la contraction du palato-staphylin sain. L’observation pathologique confirme ces déductions tirées de la connaissance de l’action propre du palato-staphylin. On ne saurait méconnaître une paralysie unilatérale de ce muscle, comme cela se rencontre dans certaines paralysies de la septième paire, la luette étant toujours alors déviée pendant le repos musculaire. Si cette paralysie unilatérale apparaît toujours évidente à la simple inspec- tion du voile du palais, il n’en est pas de même de la paralysie double de ce muscle, parce qu’au repos musculaire la luette est seulement alors plus allongée. Ce n’est qu’en la titillant que l’on re- connaît, à son immobilité, que ses muscles élévateurs sont paralysés. La paralysie unilatérale du palato-staphylin n’est pas suivie de troubles appréciables dans la déglutition, dans la phonation ; tandis (pie la paralysie double de ce muscle occasionne presque toujours une gêne continuelle par l’effet du contact de la luette sur la base de la langue; ce qui sollicite incessamment des efforts de dégluti- tion, comme s’il existait un corps étranger dans le fond du pharynx. En interrogeant ces malades avec soin, on apprend que de temps en temps les boissons repassent un peu par les fosses nasales, et qu’ils nasillent un peu quelquefois. Ce dont se plaignent le plus les malades, c’est la chute de la luette, et pour les en débarrasser, on vajusqu’à la leur exciser. J’ai eu l’occasion d’expérimenter quel- quefois, dans des cas analogues, l’influence thérapeutique de la fara- disation localisée, et toujours elle a obtenu la guérison en donnant aux palato-staphylins leur force tonique et leur contractilité normale. 710 PARALYSIE MUSCULAIRE DU VOILE DU PALAIS. 2° Paralysie du péristaphylin interne et du péristophylin externe. — La paralysie du péristaphylin interne, qui est le plus puissant élévateur du voile du palais, doit occasionner l’abaissement de cette membrane, pendant le repos musculaire; mais cet abaissement est sans doute faible si le péristaphylin externe est sain. Lorsqu’on excite sa contraction réflexe par la titillation de la luette (1), le voile du palais ne décrit plus une courbe à concavité inférieure; il est seulement tendu transversalement par le pérista- phylin externe, pendant que son bord postérieur est un peu tiré en bas par le pharyngo-staphylin. Tels doivent être les signes de la paralysie locale du péristaphylin intente. Mais je ne saurais affirmer que je l’ai trouvée ainsi parfaite- ment isolée; je n’ai à présent que des présomptions que je fonde sur les faits suivants. J’ai rencontré des paralysies incomplètes du voile du palais dans lesquelles, pendant la titillation de la luette, les pharyngo-staphylins et les glosso-stapbylins se contractaient syner- giquement, tandis que le voile du palais restait complètement abaissé. Ici les péristaphylins interne et externe étaient évidemment para- lysés. Puis j’ai observé d’autres paralysies incomplètes du voile du palais dans lesquelles la même excitation de la luette provoquait, outre la contraction des pharyngo-staphylins, un peu d’élévation et d’extension horizontale du voile du palais, opérée sans doute par le péristaphylin externe, mais sans élever davantage et sans lui faire décrire une courbe à concavité inférieure. Me trompai-je en pen- sant que, dans ce cas, le péristaphylin interne était paralysé isolé- ment? Dans ce dernier cas, les boissons repassaient en partie par les (1) La titillation de la luette, à l'état normal, provoque la contraction syner- gique de tous les muscles du voile du palais, et l’on voit alors cette membrane former la voûte. DIAGNOSTIC DES PARALYSIES PARTIELLES. 711 fosses nasales, et la voix était nasonnée ; mais ces troubles étaient bien plus prononcés lorsque l’abaissement en masse et complet du voile du palais annonçait la paralysie des péristaphylins interne et externe. 3° Paralysie des pharyngo-staphylins. — L’affaiblissement ou la perte de la force tonique des palato-staphylins agrandit nécessaire- ment la courbe décrite par les piliers postérieurs du voile du palais, et diminue ou tend à faire disparaître le relief de ces piliers ; le mécanisme de ce changement de forme de l’isthme du gosier s’ex- plique par l’action connue de ces muscles. C’est en provoquant la contraction réflexe des pharyngo-staphy- lins que l’on doit trouver le signe évident de leur paralysie. Alors le mouvement de rideaux qu’ils exécutent lorsqu’ils sont sains ne peut plus avoir lieu, ou il se fait incomplètement ou d’un seul côté. Une seule fois, je crois avoir bien observé la paralysie isolée du pharyngo-staphylin, dans un cas où les autres muscles du voile du palais avaient recouvré leurs mouvements par la faradisation. Les piliers postérieurs et leurs arcs étaient il peine visibles. La titilla- tion du voile du palais provoquait la tension et l’élévation de cette membrane, et en même temps la luette se raccourcissait en se re- dressant; mais les piliers restaient largement écartés l’un de l’autre, et ne formaient pas, par leur mouvement de rideaux décrit précé- demment, la cloison qui intercepte en grande partie la communi- cation de la portion buccale du pharynx avec sa portion nasale. La voix n’était plus nasonnée; mais la déglutition, et surtout celle des boissons, était gênée; ces dernières repassaient encore en partie par les narines, beaucoup moins toutefois que lorsque tous les muscles moteurs du voile du palais étaient paralysés. La faradisation localisée guérit en général assez rapidement les pa- ralysies simples du voile du palais, c’est-à-dire celles qui ne sont pas symptomatiques d’une altération organique ou de l’espèce morbide décrite, dans le chapitre XVII, sous le nom de paralysie progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres. J'ai eu l’occasion de faradiser une douzaine de paralysies consécutives à l’angine couen- neuse, et, bien qu’elles eussent résisté à tous les traitements anté- rieurs, — l’une d’elles datait même de huit mois,—elles ont toutes guéri en quinze à trente séances. (Forcé de me resserrer, je regrette de ne pouvoir rapporter ici quelques-uns de ces faits.) Le procédé opératoire est le même que celui que j’emploie pour faradiser individuellement les muscles du voile du palais, et qui a été décrit précédemment. Je conseille de n’appliquer qu’un courant à rares intermittences, et celui de la première hélice, qui excite moins énergiquement le phosphène électrique. 712 PARALYSIE DU PHARYNX ET DE l/OËSOPHAGE. § III. — Paralysie du pharynx, et de l'oesophage. Bien que mes recherches ne m’aient encore rien appris de parti- culier ou de nouveau sur la pathologie de la paralysie musculaire du pharynx et de l’œsophage, je ne puis cependant la passer com- plètement sous silence, après avoir parlé de la paralysie du voile du palais à laquelle elle se trouve liée, à des degrés divers. J’aurais désiré exposer les signes diagnostiques qui différencient les unes des autres les paralysies partielles du pharynx, de l’œso- phage et du voile du palais. Les données fournies par la physio- logie font bien prévoir quels doivent être ces signes ; mais n’ayant pas encore eu l’occasion de rencontrer parfaitement isolées la pa- ralysie du pharynx ou celle de l’œsophage, je ne m’engagerai pas dans des considérations qui ne reposeraient que sur des hypothèses, et qui, malgré leur importance, doivent ici céder la place à des faits établis par l’expérience et par l’observation. Je me bornerai à rappeler que la paralysie du pharynx est d’une extrême gravité, car, complète, elle rend la déglutition impos- sible, et par conséquent occasionne la mort par inanition. Sitôt donc que l’on a diagnostiqué cette paralysie, on no doit rien négliger pour l’arrêter dans sa marche. Lorsqu’elle n’est pas symptomatique d’une lésion organique, ni d’un état inflammatoire local, la faradisation localisée appliquée à temps peut être utile et même guérir, alors qu’elle s’est montrée rebelle à toutes les autres médications. Je dis qu’il faut l’appliquer à temps, c’est-à-dire que l’on ne doit pas attendre qu’elle soit arrivée à son maximum. Plusieurs fois, en effet, j’ai été appelé, in extremis, à faire intervenir thérapeutique- ment la faradisation localisée; dans aucun de ces cas ce traitement n’a exercé d’influence appréciable sur la paralysie du pharynx. C’est le sort des meilleures médications; mais il n’en est plus de même à une période moins avancée de cette paralysie. Je pourrais en donner la preuve en rapportant des cas de guérison, par la faradisation, de paralysies simples ou essentielles du pharynx dans lesquelles la déglutition, quoique encore possible, était très difficile. Le procédé opératoire applicable à la paralysie musculaire du pharynx a été exposé dans le chapitre H (page 90) consacré à la méthodologie de la faradisation localisée, et auquel je renvoie le lecteur. PARALYSIE MUSCULAIRE DU LARYNX. 713 § IV. — Paralysie musculaire du larynx (aphonie). — Valeur thérapeutique de la faradisation localisée. L’aphonie peut guérir par la faradisation localisée, quand elle n’est pas symptomatique d’une autre maladie ou d’une lésion orga- nique, ce dont on peut s’assurer aujourd’hui à l’aide de la laryn- goscopie. On lit dans quelques auteurs que l’électricité compte de fréquents succès dans le traitement de cette maladie; mais on ne trouve pas dans la science d’observations propres à fixer l’opinion sur ce point. J’espère démontrer par quelques faits, qui seront exposés dans cet article, l’efficacité de la faradisation localisée dans le traitement de la paralysie des muscles du larynx. Observation CLXXYU.—Aphonie précédée d’une pharyngite qui a duré trois jours, traitée sans succès pendant six par les médications les plus variées, et guérie par la faradisation localisée. Mademoiselle G. A.... de Lille, âgée de dix-sept ans, d’une bonne consti- tution, d’un tempérament nervoso-sanguin, jouissant habituellement d’une bonne santé, réglée à quinze ans, et voyant régulièrement depuis lors, n’a jamais eu de maladie grave ; elle est seulement sujette aux maux de gorge. Point d’affection tuberculeuse, ni d’aphonie dans sa famille. — Vers le com- mencement du mois de février 1853, elle fut prise d'un mal de gorge, au- quel elle dit être sujette, et qui ne fut point accompagné de fièvre, ni de trouble dans l’état général. Des boissons rafraîchissantes et un simple gar- garisme fait avec de l’eau miellée et légèrement vinaigrée la guérirent en trois jours de son mal de gorge ; mais ce dernier fut remplacé par une aphonie complète qui survint tout à coup. Mademoiselle A... ne pouvait plus parler qu'à voix basse ; elle n’éprouvait ni douleur au larynx, ni cha- touillement qui la forçât de tousser. Une médication énergique, très variée, a été opposée à cette aphonie (sangsues au début, plusieurs vésicatoires sur la partie antérieure du cou, purgatifs, gargarismes alumineux). La ma- lade a suivi pendant plusieurs mois un traitement sous la direction deM. le professeur Trousseau, qui lui a cautérisé le larynx avec le nitrate d’argent en solution, el lui a fait pratiquer une gymnastique vocale qui consiste à essayer de pousser un cri après avoir fait une grande inspiration (moyen excellent que j’ai employé une fois avec succès). Elle a été ensuite envoyée aux bains de mer, mais rien n’y a fait ; mademoiselle A... est restée aussi aphone que le premier jour. — Vers le mois de septembre \ 853, la malade est conduite à M. Chôme!, qui, ayant vu échouer toutes les médications employées jusqu’alors, conseille l’emploi de l’électricité, et me demande mon avis sur l’opportunité de son application. Je constate alors que made- PARALYSIE MUSCULAIRE DU LARYNX. moiselle A... ne peut parler qu’à voix basse, et qu’elle doit faire un certain effort pour se faire entendre. Elle ne tousse pas ; elle n’éprouve aucune dou- leur dans la gorge, et d'ailleurs on n'aperçoit aucune rougeur anormale dans le pharynx. Elle ne se plaint d’aucun dérangement dans sa santé ; elle est bien réglée, elle n’éprouve aucun phénomène hystérique. La percussion et l'auscultation ne laissent aucun doute sur l'état de ses organes respiratoires. Je commençai immédiatement le traitement de la manière suivante. Deux rhéophores humides furent placés sur la partie antérieure du cou, l’un au- dessus du corps thyroïde, l’autre au niveau de l’espace crico-thyroïdien. (Je me servis dans ce cas de rhéophores coniques (voy. les figures 9 et 1 0, p. 63), recouverts de peau humide, afin de pouvoir déprimer la peau au- dessus du corps thyroïde et de mieux localiser l’excitation dans l’espace crico-thyroïdien) ; puis je fis passer un courant à intermittences d’abord assez éloignées les unes des autres (d’une seconde) et à un degré modéré, et la malade s’étant habituée à la sensation électro-musculaire, j’augmentai progressivement l’intensité et la rapidité du courant. La séance dura huit à dix minutes. N’ayant obtenu aucune amélioration appréciable après deux séances appliquées de deux jours l’un, j’ajoutai à l’opération précédente l’excitation électro-cutanée, pratiquée pendant quatre ou cinq secondes au niveau du larynx, et je continuai d’agir ainsi pendant le reste du traite- ment. A la cinquième séance, je n’avais rien obtenu, et j’allais conseiller l’abandon de la faradisation localisée, que je croyais aussi impuissante que les moyens employés antérieurement. Mais la famille insista pour que ce traitement fût continué. Immédiatement après la septième séance, made- moiselle A... put émettre des sons faibles, il est vrai, et qui ne reve- naient que pendant quelques instants. Le lendemain, elle m’apprit que la voix lui était revenue plusieurs fois, et qu'elle avait pu parler à haute voix pendant un quart d’heure à vingt minutes, mais que dans l’intervalle elle retombait dans le même état qu’auparavant. La huitième séance rappela sa voix, quelle conserva pendant plusieurs heures; mais je dois dire que le timbre n’en était pas très clair, et que le son en était faible encore. Enfin, après la quinzième séance, la voix était complètement rétablie à son état normal. Je crus prudent de continuer encore le traitement pen- dant une huitaine de jours, pour consolider celte guérison, qui s’est par- faitement maintenue jusqu’aujourd’hui, 1860. Comment expliquer cette aphonie qui s’est montrée tout à coup après trois jours d’un léger mal de gorge? De même que l’inflam- mation du larynx gagne la muqueuse du voile du palais et en para- lyse quelquefois les muscles, de même aussi ne peut-on pas sup- poser que chez mademoiselle A... cette inflammation aurait gagné le larynx et causé la paralysie des muscles du larynx, l’aphonie. Mais, dans ce cas, la laryngite, quelque légère qu’elle fût, aurait été caractérisée par les symptômes qui lui sont propres (douleurs, picotements dans cette région, toux); son début eût été graduel; l’action de parler eût été pénible ou douloureuse. Comme made- moiselle A... se plaignait surtout de difficulté pour avaler, ne se pourrait-il pas que cela tint à l’inflammation de la muqueuse pha- ryngienne, et que l’irritation se fût propagée par contiguïté au nerl laryngé inférieur? Il me paraît difficile de ne pas rattacher à la pharyngite qui a marqué le début de la maladie, cette aphonie qu’on ne saurait attribuer à une autre cause. VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. Quelle que soit la valeur de l’explication que je viens de donner, l’action thérapeutique de la faradisation localisée est ici des plus évidentes, car elle a été employée seule (mademoiselle A..., fati- guée de l’inutilité des autres remèdes, s’était refusée à l’emploi de tout autre moyen). La supériorité de cette médication ressort d’au- tant mieux, que l’aphonie avait résisté jusqu’alors à différents trai- tements (antiphlogistiques, révulsifs, cautérisation du larynx) dirigés avec une grande habileté. Deu x rnod es d’excitation ont été appliqués chez mademoisel le A..., l’excitation électro-musculaire et l’excitation électro-cutanée de la région malade. Le muscle crico-aryténoïdien est le seul muscle sur lequel la faradisation ait agi directement. Les autres muscles du larynx ont pu recevoir la stimulation, mais d’une manière moins certaine. C’est pourquoi j’avais proposé à mademoiselle A... d’in- troduire dans le pharynx le rhéophore pharyngien par le procédé décrit page 91, et qui aurait été, je n’en doute pas, suivi d’un résultat plus prompt. Mais je ne pus vaincre la résistance qu’elle éprouvait pour l’emploi de ce moyen. Alors, ainsi que je l’ai dit, je joignis à la faradisation musculaire l’excitation électro-cutanée, pratiquée au niveau de l’espace crico-thyroïdien. Est-ce à ce dernier mode d’ex- citation ou à la faradisation musculaire, ou est-ce à leur coopéra- tion qu’il faut attribuer la guérison de l’aphonie? C’est assurément ce qui ne peut être décidé. Lorsque le procédé de faradisation appliqué chez mademoiselle A... ne donne pas de résultat, il faut alors recourir à une excitation plus directe et plus sûre des muscles qui président à la phonation, comme je le fis avec succès dans un cas d’aphonie rebelle depuis plusieurs années, et dont je vais rapporter l’analyse. Observation CLXXVIII,—En ] 852, M. Chomel m’adressa une dame qui, depuis deux ans et demi, était affectée d’une aphonie que rien n’avait pu améliorer, bien qu’on eût employé, comme dans le cas précédent, des mé- 716 dications très variées (vésicatoires, gargarismes alumineux, cautérisation par le nitrate d’argent) : tout avait échoué. Cette malade était allée prendre alors les eaux du Mont-Dore deux années de suite sans en éprouver la moindre modification dans l’état de son aphonie ; seulement sa santé générale s’était améliorée. En raison de cette persistance de l’aphonie et de la constitution délicate de la malade, plusieurs médecins avaient paru craindre que cette aphonie ne fût symptomatique d’une affection tuberculeuse; mais M. Chomel n’ayant trouvé par la percussion et l’auscultation aucun des signes de cette maladie, porta un diagnostic différent et rapporta cette affection à une pa- ralysie simple des muscles du larynx de nature inconnue. Celte dame n’avait jamais éprouvé de phénomènes hystériques; mais d’un tempérament très nerveux, elle avait toujours été très excitable, et était sujette à des dou- leurs, de sorte qu’il était rationnel de rapporter son aphonie à une influence purement nerveuse. Je dois dire encore, pour mieux justifier celte opinion, que l’aphonie avait apparu subitement, et qu’elle n’avait été accompagnée ni de pharyngite ni de laryngite. Ce diagnostic, porté par M. Chomel, fut complètement justifié par le résultat de la faradisation localisée. Voici com- ment elle fut appliquée : Je commençai par l’excitation électro-cutanée et musculaire pratiquée de la même manière que dans le cas précédent. Mais n’en ayant rien obtenu en quatre séances, je me décidai à porter directe- ment l’excitation électrique sur le nerf laryngé inférieur et sur les muscles du larynx (voyez pour la description de ce procédé, page 91). Immédiate- ment après cette opération, la malade, qui jusque-là avait parlé à voix basse, fit entendre quelques sons faibles de temps en temps. Le lendemain la même opération produisit un effet analogue ; la phonation fut plus complète et dura plus longtemps. Enfin, après trois ou quatre séances, la voix était par mo- ments normale. La malade fut forcée malheureusement de quitter Paris, mais quinze jours après je reçus de son mari une lettre dans laquelle il m’annonçait la guérison de sa femme. Cette lettre a été communiquée à M. Chomel, qui a vu dans celte guérison la démonstration de la justesse de son diagnostic. PARALYSIE MUSCULAIRE DU LARYNX. Je pourrais joindre aux deux exemples précédents de guérison de l’aphonie paralytique par la faradisation localisée plusieurs faits dans lesquels on verrait l’altération du timbre et une diminution de la force de la voix, survenues chez des personnes obligées de parler en public à voix haute ou de crier comme pour le com- mandement, guéries ou améliorées par la même médication. Je pourrais même rapporter des faits dans lesquels j’ai vu, chez des chanteurs, et entre autres chez une cantatrice célèbre, la voix dont le timbre était altérée ou qui avait perdu de son étendue depuis un temps plus ou moins long, revenir à son état normal, sous l’influence de la faradisation. VALEUR THÉRAPEUTIQUE DE LA FARADISATION LOCALISÉE. 717 J’ai voulu seulement mettre hors de doute l’efficacité de la fara- disation localisée dans le traitement de l’aphonie et d’une altéra- tion quelconque de la voix, indépendante d’une lésion organique et non symptomatique d’une autre maladie ; je crois ce but atteint par la relation des faits précédents. Je dois me hâter de dire que, d’après mes expériences, il en est malheureusement de l’aphonie comme de bien d’autres affections nerveuses paralytiques, dans lesquelles on voit la faradisation loca- lisée tantôt guérir, tantôt échouer sans que l’on puisse en dire ou en prévoir la raison. Cette incertitude diminue à mes yeux la valeur d’un agent thérapeutique. Puis-je dire au moins dans quelle proportion on peut obtenir ces guérisons? On conçoit que pour faire une pareille statistique, il me faudrait avoir recueilli un plus grand nombre de faits; et puis je ne me trouve pas dans des conditions favorables à la solution d’une question de statistique. On enseigne en effet généralement, et à tort selon moi, que l’on ne doit recourir à l’électricité que lorsque tous les autres moyens ont échoué, et il en résulte que je ne puis expé- rimenter que dans les plus mauvais cas, c’est-à-dire dans les plus re- belles. 11 faudrait, pour être juste envers la médication électrique, et pour que l’on pût établir un parallèle entre elle et les autres médi- cations, qu’elle fût appliquée plus tôt et non comme dernière res- source; les malades y trouveraient probablement leur profit. A mérite égal, tout le monde préférera cette application aux vésica- toires et à la cautérisation du larynx. Toutefois il semble ressortir des faits que j’ai observés, que le traitement de l’aphonie consécutive à la paralysie simple des muscles du larynx guérit mieux par la fara- disation localisée que par les autres médications, puisqu’on vient de voir triompher cette méthode dans deux des cas où ces dernières avaient échoué. En conséquence, si on l’employait plus tôt, quand il n’existe pas de contre-indication, on épargnerait aux malades une perte de temps et des souffrances inutiles; on augmenterait enfin les chances de guérison, car, en reculant trop l’emploi d’un bon moyen, on peut rendre la guérison impossible. Ce n’est pas à dire pour cela que l’on doive appliquer exclusive- ment la faradisation localisée au traitement de l’aphonie; je crois au contraire qu’on fera bien d’employer concurremment d’au- tres médications. Par ce moyen, on arrivera plus tôt et plus sûre- ment au but. Le concours d’une autre médication devient même nécessaire quand il y a lieu de soupçonner que l’aphonie se trouve liée à l’existence d’une autre affection spéciale. 718 PARALYSIE ET ATROPHIE DU DIAPHRAGME. ARTICLE III. PARALYSIE OU ATROPHIE Dü DIAPHRAGME. Mes recherches électro-physiologiques sur le diaphragme ont été naturellement suivies d’une série d’études électro-pathologiques et thérapeutiques sur ce muscle. Ainsi, quels sont ou quels doivent être les troubles fonctionnels occasionnés par l’atrophie ou par la paralysie du diaphragme? Quels en sont les signes diagnostiques? Dans quelles limites l’intervention thérapeutique de la faradisation localisée peut-elle combattre cette affection? Quels sont enfin les avantages de l’excitation électrique du diaphragme, par l’intermé- diaire des nerfs phréniques, comme moyen de produire la res- piration artificielle dans l’asphyxie? La connaissance exacte de l’action propre du diaphragme par l’application de la faradisation localisée a facilité singulièrement ces recherches, qui vont faire l’objet de cet article. J’ai cherché vainement dans les auteurs une description quel- conque de la paralysie du diaphragme. Selon la plupart d’entre eux, la paralysie du diaphragme est trop rapidement mortelle, pour qu’on ait eu le temps d’en observer les symptômes, de sorte que s’ils en reconnaissent l’existence, ce n’est que théoriquement. Je n’ai donc pas à faire l’historique de la paralysie du diaphragme. J’exposerai d’abord les observations d’atrophie et de paralysie du diaphragme que j’ai recueillies, et ferai suivre chacune d’elles de quelques considérations cliniques ; je tirerai ensuite de l’ensemble de toutes ces observations les déductions qui peuvent servir à l’étude du diagnostic, du pronostic et du traitement de ces affections. § I. ■— Exposition des faits. A. — Atrophie du diaphragme. Observation CLXX1X. — Atrophie du diaphragme chez un homme atteint d'une atrophie musculaire graisseuse progressive. — Mort asphyxié par une bronchite simple et sans fièvre. Hôpital de la Charité, salle Sainl-Ferdinand, n° 21 (service de M. Cru- veilhier). M. X.,., capitaine au long cours, âgé de quarante-cinq ans, d’un tempérament sanguin, n'a jamais eu de maladie grave; n’a jamais eu la syphilis ; il a usé modérément des plaisirs vénériens ; il a navigué toute sa vie, et s’est toujours convenablement nourri. Une de ses sœurs et deux de ses oncles maternels ont été atteints d’atrophie musculaire générale, et ont succombé à cette maladie. Cependant trois autres frères et deux sœurs vivent encore, et ne paraissent pas jusqu a présent menacés de cette ma- ladie de famille. Il y a deux ans, sans cause connue, sans avoir ressenti de douleurs dans le rachis, il éprouva pour la première fois dans le membre supérieur des crampes qui revenaient plus souvent dans les avant-bras ; puis il s'aperçut que ses bras diminuaient de volume et perdaient leurs forces. Prévenu de la gravité de cette lésion par les affections analogues qu’il avait observées dans sa famille, il se soumit dès le début au traitement le plus énergique, et malgré des moxas, des cautères, malgré la cautérisa- tion transcurrente appliquée sur le trajet de la colonne vertébrale, malgré une foule d’autres remèdes en usage dans les lésions présumées de la moelle épinière, l’atrophie se généralisa, et n’atteignit qu’en dernier lieu les mus- cles des membres inférieurs. L’atrophie, dans sa marche, a toujours été précédée de crampes ou de douleurs profondes. EXPOSITION DES FAITS. 719 Bien que le malade fût réduit à l’état de squelette au moment de son en- trée à l’hôpital, je retrouvai encore tous ses muscles, mais à l’état rudimen- taire, à l’exception de quelques muscles de l’éminence thénar et de la jambe qui étaient entièrement atrophiés ; il se tenait encore debout et pouvait mar- cher à l’aide d’un bras. Dans la position horizontale, il ne pouvait se mettre sur son séant, ni se placer sur les côtés. Les membres supérieurs avaient conservé leurs mouvements volontaires ; les mouvements d’opposition du pouce étaient seuls perdus. Aux membres inférieurs, la flexion des orteils du côté droit était seule détruite. Depuis quelque temps, il éprouvait de la gêne dans la respiration ; il était essoufflé au moindre mouvement; en par- lant, il était forcé de s'arrêter pour reprendre haleine. Pendant l’inspiration, les parois de l’abdomen, loin de se soulever, s’enfonçaient au contraire, tandis que les parois thoraciques se dilataient. Enfin, on voyait dans toutes les ré- gions du corps la peau soulevée par des contractions fibrillaires. La santé de ce malade était assez bonne ; l’auscultation n’avait fait décou- vrir aucune affection bronchique ou pulmonaire. La faradisation localisée, pratiquée une douzaine de fois, avait augmenté ses forces, quand il con- tracta une simple bronchite sans fièvre. Il n’eut pas alors la force d’expec- torer, et les mucosités qui s’amassèrent dans ses bronches l’asphyxièrent en quelques jours. Comme il ne voulait pas mourir à l’hôpital, dans la crainte, disait-il, d’affliger sa famille, il s’était fait transporter à son domi- cile. L’autopsie ne put être faite. On remarque dans cette observation que l’atrophie musculaire graisseuse progressive n’a atteint le diaphragme qu’après avoir suc- cessivement envahi la plupart des autres muscles. On a vu aussi que le malade en repos respirait assez bien; mais qu’il était essoufflé au moindre mouvement, ou lorsqu’il parlait. Il 720 PARALYSIE ET ATROPHIE DU DIAPHRAGME. eût vécu sans diaphragme, aussi longtemps que les intercostaux n’eussent pas été atteints; quant aux autres muscles inspirateurs (trapèzes, grands dentelés, etc.), on ne pouvait guère compter sur eux, car ils n’existaient plus qu’à l’état rudimentaire. Il eût, je le répète, vécu sans diaphragme, comme le prouveront d’autres ob- servations, s’il n’avait pas contracté une bronchite, qui, bien que des plus simples, l’a lait succomber par asphyxie. Mais était-ce bien l’inertie du diaphragme qui, pendant l’inspira- tion, occasionnait chez ce malade la dépression de l’épigastre et des hypochondres, tandis que la poitrine s’agrandissait latéralement? Ce diagnostic me fut inspiré par cette expérience physiologique dans laquelle on observe, après la section des nerfs phréniques d’un animal, la même perversion des mouvements naturels de la poitrine et de l’abdomen. J’en démontrerai expérimentalement l’exactitude dans l’observation suivante, qui offre une marche et des symptômes analogues, bien que la terminaison en ait été plus heureuse. Observation CLXXX. —Atrophie du diaphragme chez un homme dont un grand nombre de muscles ont déjà été détruits par l’atrophie musculaire graisseuse progressive. — Signes de celte atrophie. — Guérison par la faradisation localisée. Bonnard, dont il a été question dans le chapitre XV, page 535, et chez lequel l’atrophie musculaire qui avait débuté en 1848, s’était déjà généra- lisée en 1850, éprouvait une grande gêne dans la respiration quand il me fut adressé par un confrère, gêne qui augmentait par la marche ou par le moindre exercice ; il était essoufflé après avoir fait quelques pas, ou après avoir monté un escalier et il était forcé de s'arrêter à chaque instant pour reprendre haleine. Il ne pouvait parler sans fatigue. S'il était resté quelque temps en repos, s'il ne parlait pas, les mouvements de la poitrine et de l’abdomen étaient réguliers pendant l’inspiration ; mais pour peu qu’il s’agitât, l’isochronisme des mouvements de la poitrine était perverti; pen- dant l’inspiration, Vépigaslre et les hypochondres s’affaissaient, tandis que la poitrine se soulevait, et. pendant l'expiration, les mouvements du thorax et de l'abdomen avaient lieu dans un sens inverse. Ces phénomènes, que j’avais observés chez le malade précédent, annon- çaient la lésion du diaphragme, qui avait été si fatale à ce dernier. Ils n’étaient accompagnés d’aucun bruit anormal, appréciable par l'ausculta- tion ; ils étaient récents (le malade ne les faisait remonter qu’à une quin- zaine de jours). Je résolus dès lors de combattre celte lésion naissante du diaphragme, que j’attribuai à un commencement d’atrophie, à l’aide de l’excitation électrique dirigée sur ce muscle par l’intermédiaire des nerfs phréniques. (C’est sur Bonnard que je fis, pour la première fois, celle expérience, que j'ai répétée bien souvent et publiquement depuis lors.) Après quelques semaines d’excitation de son diaphragme, Bonnard n’éprouvait plus de gêne de la respiration ; il faisait de longues courses, montait les escaliers sans s’arrêter ; enfin, ses mouvements respiratoires n’offraient plus rien d’anormal. EXPOSITION DES FAITS. 721 Chez ce malade on remarque les mêmes symptômes que dans l’observation précédente, c’est-à-dire l’affaissement de l’épigastre et des hypochondres pendant l’expansion inspiratrice de la poi- trine. Si le diagnostic de la paralysie du diaphragme, déduit de la per- version des mouvements naturels du thorax et de l’abdomen qu’on observe après la section des nerfs phréniques d’un animal vivant, ne paraissait pas suffisamment établi dans les deux observations précédentes, les expériences faites sur Bonnard me semblent devoir compléter la démonstration. Ainsi, lorsqu’au moment de l’inspiration je faisais passer un courant dans un des nerfs phré- niques, l’hypochondre et la poitrine du côté excité étaient sou- levés en même temps, tandis que du côté opposé la poitrine et l’hy- pochondre continuaient de se mouvoir en sens contraire. Lorsque j’excitais les deux phréniques à la fois, les mouvements inspirateurs se faisaient des deux côtés, comme à l’état normal. L’affaissement des hypochondres ne se manifestait chez Bonnard que pendant les grandes inspirations, tandis que dans la respiration tranquille, alors qu’il restait en repos ou qu’il n’était pas agité, les mouvements de la poitrine et de l’abdomen étaient normaux. Cela signifie que le diaphragme avait encore assez de force pour empê- cher l’ascension des viscères quand la poitrine ne se dilatait pas trop, ou, en d’autres termes, que l’atrophie de ce muscle était en- core peu avancée. On sait, en effet, que la gêne de la respiration était récente. Enfin, je puis dire, après la guérison des troubles fonctionnels respiratoires, qui fut obtenue dans ce cas par la faradisation des nerfs phréniques : Naturam morborum curationes ostendunt. B. — Paralysie du diaphragme. — 1° Paralysie du diaphragme de cause saturnine. Observation CLXXXI. — Paralysie du diaphragme chez un homme atteint d’une paralysie générale présentant tous les caractères de la paralysie saturnine. (Il a déjà été question de ce malade à la page 318, à l’occa- sion de la paralysie végétale.) M. M ex-représentant du peuple, entra le 7 février 1849 à la Cha- DUCHENNE. rilé, salle Saint-Charles, n° 17, pour s’y faire traiter d’une paralysie géné- rale dont j'ai rapporté l’histoire détaillée dans la précédente édit ion. Mais je dois dire que celle paralysie datait de deux mois ; que la contraclilité électrique paraissait abolie dans les extenseurs des avant-bras, diminuée dans les extenseurs de la jambe sur la cuisse, et que la paralysie ayant été précédée de coliques avec constipation opiniâtre pendant un temps assez long, je fus porté à l’attribuer à une intoxication saturnine. Enfin, j’ajou- terai, pour justifier ce diagnostic, que ce malade, chef d’atelier dans une usine de machines à vapeur, roulait souvent dans les mains un mastic com- posé de céruse et de minium, et que, de plus, on voyait encore sur ses gen- cives le liséré caractéristique. paralysie et atrophie du diaphragme. Lorsque je l’observai à la Charité, je fus frappé de la gêne de sa respira- tion, que nulle affection aiguë ou chronique des voies respiratoires ne pou- vait expliquer. Il ne pouvait parler sans respirer à chaque mot ; il n’avait point d’aphonie, mais sa voix était extrêmement faible ; sa respiration, ha- bituellement fréquente, le devenait encore davantage quand il avait pro- noncé quelques mots ou qu’il faisait le plus petit mouvement. Cependant il n’avait aucune douleur dans la poitrine ni dans les côtés. Enfin, durant l'inspiration, qu’elle fût tranquille ou agitée, I’épigaslre et les hypochondres s'affaissaient pendant que les parois thoraciques se dilataient ; l'expiration produisait des mouvements opposés, c'est- à-dire que l'abdomen se soulevait pendant que la poitrine se resserrait. Les bains sulfureux, l'iodure de potassium, furent prescrits par M. Fou- quier contre cette paralysie, qu’il croyait, comme moi, saturnine. La fara- disation localisée fut aussi appliquée sur chacun des muscles des membres, me réservant de tenter plus tard la guérison de la paralysie du diaphragme par l’excitation des nerfs phréniques. Après cinq ou six séances, on avait déjà obtenu une amélioration notable dans certains muscles. Ainsi il fléchis- sait l’avant-bras sur le bras, il écartait celui-ci du tronc; dans les membres inférieurs, il commençait à fléchir la jambe sur la cuisse, et celle-ci sur le bassin. Malheureusement, une arthrite rhumatismale intercurrente me força d’interrompre ces excitations électro-musculaires, pour faire place à un trai- tement purement anliphlogistique (saignées, sangsues, cataplasmes, etc.). Après la guérison de ce rhumatisme (un mois plus tard), la faradisation localisée allait être reprise pour activer la guérison de la paralysie, quand le malade dut demander sa sortie pour affaires d’intérêts. Il commençait à marcher, et la paralysie n’existait plus que dans les muscles de la région antibrachiale postérieure ; mais son diaphragme était encore paralysé. Ce malade vint me consulter six mois plus tard, et il me dit que, peu de temps après sa sortie de la Charité, la gêne de la respiration avait disparu, sans qu’il eût rien fait pour arriver à ce résultat. Je constatai alors que le soulèvement de l’abdomen avait lieu comme à l’état normal pendant l’inspi- ration. 11 me dit ensuite que la faiblesse générale et la paralysie de ses avant-bras l'empêchant de se livrer à ses affaires, il avait dû aller compléter sa guérison à l’hôpital Beaujon ; qu’il y avait, il est vrai, retrouvé ses forces sous l’influence des bains sulfureux, mais que la paralysie de ses extenseurs de l’avant-bras était peu améliorée. Je constatai, en effet, de nouveau, que ces muscles ne se contractaient pas par l’électricité. EXPOSITION DES FAITS, 723 J’ai démontré dans le chapitre VIII que la paralysie saturnine ou végétale établit habituellement son siège d’élection dans cer- tains muscles de la région antibrachiale postérieure, et que ces muscles perdent la faculté de se contracter par l’excitation élec- trique. J’ai également démontré que lorsque l’intoxication saturnine produit une paralysie générale, on trouve encore le cachet de cette paralysie saturnine dans ces mêmes muscles de la partie posté- rieure de l’avant-bras, qui, aux membres supérieurs, sont les seuls qui aient perdu leur irritabilité. C’est ce caractère distinctif de la paralysie saturnine généralisée qui me mit sur la voie de la nature de la paralysie, dans le lait que je viens de rapporter. Ce diagnostic différentiel fut plus tard plei- nement justifié. J’ai dit que la paralysie générale saturnine conservait son cachet distinctif, dans certains muscles de l’avant-bras, par la perte de l’irritabilité électrique; c’est dans ces muscles qu’on la voit géné- ralement persister, alors même que les mouvements volontaires sont revenus depuis longtemps dans les autres muscles. Je pour- rais rapporter un assez grand nombre de faits à l’appui de cette opinion. On a vu que la paralysie générale a suivi la même marche curative chez M. M.... 11 ressortirait donc de ce fait que le dia- phragme, alors qu’il est atteint par la paralysie saturnine ou végé- tale généralisée, se trouverait heureusement au nombre des muscles qui sont le moins profondément affectés, puisqu’il recouvre un des premiers ses fonctions. Observations CLXXX1I elCLXXXIII.—La paralysie du diaphragme n’est pas infiniment rare dans la paralysie saturnine, car je me rappelle en avoir observé une en 1 845, à la Charité, salle Saint-Michel, n° 40, et en 1852 j’en ai rencontré une autre à la Pitié, chez un malade couché au n° 10 de la salle Sainl-Ferdinand, service provisoire de M. Aran, avec qui j’ai con- staté l’existence des symptômes de celte paralysie du diaphragme. Les deux sujets qui étaient atteints de cette paralysie du diaphragme exerçaient la profession de peintre et avaient eu des coliques saturnines. Chez eux, la 724 PARALYSIE ET ATROPHIE DL DIAPHRAGME. paralysie s’était généralisée. Eh bien ! ces deux malades présentaient, comme signes diagnostiques de la paralysie du diaphragme, les mêmes sym- ptômes que j’ai décrits dans les observations précédentes, c'est-à-dire la perversion des mouvements naturels de la poitrine et de l’abdomen, qui ont lieu pendant l’inspiration et l’expiration. Le malade de la Charité eut une bronchite qui le mit dans une situation des plus graves ; celui de la Pitié, qui n'avait aucune affection thoracique, n’éprouvait pas une grande gêne pour respirer, lorsqu’il était en repos.- Comme à l’époque où j’observais ces malades, mon attention n’était pas fixée sur la paralysie du diaphragme, j’ai négligé (et je le regrette bien aujourd’hui) d’analyser avec soin tous les troubles fonctionnels qui résultent de la lésion dont ils étaient affectés ; j’avouerai même que j’ignore entièrement comment cette paralysie s’est terminée chez eux. 2° Paralysie du diaphragme de cause hystérique. Observation CLXXXIV. — Louise Deschamps, modiste, âgée de trente ans, fille d’une forte constitution, éprouve depuis l’âge de seize ans des troubles nerveux, de nature hystérique, et qu’elle attribue à une vive contrariété. (Je décrirai seulement les sym- ptômes qui ont trait au sujet dont il est question dans ce chapitre. Cette exposition très détaillée peut être considérée comme des- cription complète des symptômes de la paralysie du diaphragme. Pour que la lecture en soit plus facile, elle ne sera pas imprimée en petit texte.) Le 5 février 1852, alors qu’elle commençait à guérir d’une para- plégie qui lui était survenue quelques mois auparavant, elle fut prise d’œsophagisme complet, avec impossibilité absolue d’avaler aucun liquide. On tenta alors la faradisation du pharynx le 11 fé- vrier, et la malade commença, le lendemain, à avaler; mais elle était aphone, et sa respiration était gênée, jusqu’au 10 novembre 1852, époque à laquelle elle sortit de l’hôpital. Pendant tout ce temps, la malade a été sujette à des migraines et à des douleurs fixes au sommet de la tête, revenant par intervalles et avec des alternatives de bien et de mal ; la respiration a été plus calme, à plusieurs reprises, pendant huit à dix jours, mais l’aphonie a toujours persisté. Les traitements suivis par la malade ont été très variés (valériane en poudre et en tisane, asa fœlida, opium à haute dose, pilules d’oxyde de zinc, ferrugineux, vésicatoires à la partie antérieure du cou et du thorax, cautérisation du pharynx avec EXPOSITION DES FAITS. 725 l’ammoniaque). Ces divers traitements n’ont jamais amené qu’une amélioration passagère. Etat de la malade quand je Vai examinée.—Elle respire habituel- lement quarante-deux fois par minute; sa respiration est encore plus précipitée quand elle parle ou lorsqu’elle fait quelques mou- vements; elle n’a cependant aucune affection thoracique ; elle n’éprouve aucune douleur; enfin, l’auscultation ne fait rien en- tendre qui puisse rendre raison de la fréquence de sa respiration. Pendant 1 inspiration, Vépigastre et les hypochondres s'affaissent, tandis que les parois thoraciques se dilatent. Ce mouvement de dépres- sion est beaucoup moins marqué dans les autres régions de la paroi abdominale, de telle sorte que l’enfoncement que l’on voit au- dessous de la base du thorax, au moment de l’inspiration, forme alors une espèce de ceinture. Quand la malade est agitée ou qu’elle a parlé un peu, sa poitrine se dilate davantage, et alors ce n’est plus une dépression circulaire que l’on voit au-dessous de la poitrine pendant l’inspiration, c’est un enfoncement considérable de toute la région épigastrique qui semble rentrer dans la poitrine. L'expi- ration présente des phénomènes tout à fait inverses, c est-éi-dire que les régions épigastriques et hypochondriaqucs se soulèvent pendant le res- serrement de la poitrine. La paroi thoracique se dilate en masse dans toute sa hauteur, sans que l’on puisse rapporter ce mouve- ment plutôt à la respiration costale supérieure qu’à la respira- tion costale inférieure. Les mouvements respiratoires ressemblent à ceux d’une personne essoufflée; cependant la malade n’éprouve pas une trop grande gêne dans la respiration, quand elle se tient en repos; et comme alors on ne sent se contracter ni ses tra- pèzes, ni ses dentelés, ni ses pectoraux, on est bien forcé de reconnaître que la poitrine est élevée et dilatée par ses scalènes, par une partie ou par la totalité de ses intercostaux, dont on perçoit la contraction par le toucher. Mais sitôt que la malade s’agite un peu, elle étouffe et soulève sa poitrine avec tous les muscles inspirateurs; alors la tête se renverse, les épaules s’élèvent, on voit les saillies musculaires de la portion claviculaire du trapèze et des sternoïdiens se développer pendant l’inspiration. Lorsqu’un malade éprouve de l’orthopnée, il ressent un grand plaisir ou un soulagement en res- pirant longuement et largement ; mais pour notre malade, qui a tou- jours besoin d’air, le mouvement instinctif qui la porte à dilater plus largement ses poumons ne fait qu’augmenter son étouffement: car si, en agrandissant sa cavité thoracique, elle fait arriver l’air en plus grande quantité, le vide virtuel qui se fait alors dans la poi- trine augmente l’ascension des viscères qu’elle semble aspirer, et 726 PARALYSIE ET ATROPHIE DU DIAPHRAGME. qui refoulent de bas en haut ses organes respirateurs. Aussi, rien ne peut peindre l’anxiété qu’elle éprouve quand, après avoir parlé un peu ou après avoir éprouvé une émotion, elle ne peut maîtriser les efforts instinctifs de ses muscles inspirateurs. Elle exprime très bien ce qu’elle éprouve alors, quand elle dit que ses intestins l’étouf- fent en remontant dans sa poitrine. Je n'ai pas besoin d’ajouter, après ce qui précède, qu’elle ne peut soupirer sans étouffer. Elle ne peut retenir sa respiration plus de deux ou trois secondes, sans avoir besoin de faire une nouvelle inspiration ; elle ne peut laisser sortir lentement l’air qu’elle a inspiré ; elle ne peut souffler pendant plus de trois secondes, quelque effort qu’elle fasse ; il lui est même im- possible d’éteindre une chandelle. L’aphonie est complète ; la ma- lade est forcée de reprendre haleine après avoir prononcé deux ou trois mots ; la phrase la plus courte la met dans un état d’anhélation extrême. La défécation est très pén-ble, très longue à s’accomplir, bien que les parois abdominales ne soient pas paralysées. Enfin, la coloration du visage, des lèvres, annonce que l’hématose n’est pas gênée par le fait de la paralysie du principal muscle de la respiration, le dia- phragme. La santé générale est bonne. 3° Paralysie du diaphragme par inflammation des organes voisins. Un observateur judicieux, M. Aran, que j’avais entretenu de mes recherches sur le diaphragme, n’a pas tardé à recueillir aussi des faits de paralysie de ce muscle. Ces faits, qu’il a eu l’obligeance de me communiquer, sont la confirmation de ceux que j’ai exposés pré- cédemment. Il a vu la paralysie du diaphragme compliquer une fois la métro- péritonite, une autrefois l’hydro-pneumothorax. Ces deux cas peu- vent donc être rangés dans l’ordre des paralysies du diaphragme par propagation de l’inflammation des organes voisins. Le premier de ces cas a une importance d’autant plus grande, que M. Aran a trouvé, à l’autopsie du sujet, des lésions anatomiques qui rendent compte de la paralysie du diaphragme observée pen- dant la vie. Malgré l’intérêt que pourrait offrir la relation complète de cette observation, j’en extrairai seulement ce [qui est relatif à la para- lysie du diaphragme. Observation CLXXXV. — « Hôpital de la Pitié, salle du Rosaire, n° 3 I, Marie Moudet, âgée de vingt-sept ans, domestique. Métro-péritonite par cause interne, survenue chez cette malade le 3 janvier, et à laquelle elle a succombé le 6 janvier 1853, avec un ballonnement considérable du ventre. Ce qui frappa surtout notre attention, ce fut le mode de respiration, qui était précipitée, courte, costale (48 inspirations). Nous notâmes de la ma- nière la plus évidente, que dans l'inspiration la paroi abdominale sus-ombi- licale, au lieu de se soulever, se rétractait en arrière. EXPOSITION DES FAITS. 727 » L’autopsie nous révéla la cause de celte paralysie du diaphragme. In- dépendamment de plusieurs altérations qu’il n’est pas utile de mentionner, et en particulier d’une péritonite générale, nous trouvâmes des fausses membranes assez nombreuses à la face inférieure du diaphragme, et un verre ou deux de pus colligé et circonscrit par des fausses membranes à la face supérieure du foie. Il est à remarquer que c’était surtout de ce côté que la dépression sus-ombilicale était marquée au moment de l’inspiration. » On a vu, dans ce fait, que l'inflammation, s’étendant de proche en proche du péritoine au diaphragme, a paralysé l’action de ce der- nier muscle. On prévoit que l’inflammation de la plèvre doit produire des résultats analogues, quand elle gagne aussi le diaphragme. La paralysie des muscles intercostaux, signalée depuis si long- temps par Laennec, comme un des signes de l’inflammation de la plèvre, devait aussi faire pressentir la paralysie du diaphragme dans les mêmes conditions. Raisonnant ainsi par induction, un ob- servateur distingué, M. Williams Stokes, a été conduit à entrevoir cette paralysiedu diaphragme comme conséquence probable de cer- taines inflammations chroniques de la plèvre. Dans un excellent travail (1), cet auteur a cru pouvoir déduire de ses recherches, faites dans cette direction, que le diaphragme est paralysé dans l’em- pyème, tandis que, selon lui, l’action de ce muscle serait conservée dans l’hydrothorax (dans les épanchements séreux symptomatiques), et il en a tiré un signe diagnostique différentiel de ces deux affec- tions. Selon l’observateur anglais, on voit dans l’empyèrae une tumeur, un soulèvement des parois abdominales au-dessous de la base du thorax. Cette tumeur serait due à la dépression des vic'eres abdomi- naux consécutivement à la perte de l'innervation du diaphrame. Voilà donc le signe diagnostique de la paralysie du diaphrame proposé par M. Stokes ! Ai-je besoin de faire remarquer que ce signe diagnos- tique repose sur des idées antiphysiologiques, et en conséquence qu’il ne peut avoir aucune valeur? N’est-il pas démontré maintenant (1) Publié dans le Journal de Dublin, et traduit par M. Richelot dans les Archives générales de médecine, 2e série, 1836, t. X, p. 3i3. 728 que la paralysie du diaphragme doit être suivie d’un effet contraire à celui que lui attribue M. Stokes, c’est-à-dire que dans ce cas le diaphragme doit s’élever dans la cavité thoracique? Ne sait-on pas aussi que l’abaissement de ce muscle ne peut être que le pro- duit de sa contraction ou d’une action purement mécanique, par exemple, celle de la pesanteur du liquide épanché dans la poitrine. C’est probablement à celte dernière cause qu’il faut rapporter la dépression du diaphragme, et consécutivement celle des viscères abdominaux, ce que M. W. Stokes dit avoir observé dans l’em- pyème. Non-seulement le soulèvement des parois abdominales, qui est proposé par lui comme signe pathognomonique de l’empyème, ne peut traduire la paralysie du diaphragme ; mais encore il résulte d’un fait que je viens d’observer, que ce soulèvement (s’il se montre quelquefois), n’est pas même constant dans l’affection dont il est question. Je le prouverai bientôt. PARALYSIE ET ATROPHIE DU DIAPHRAGME. Mais après avoir établi que M. Stokes n’a pas décrit les signes qui peuvent faire reconnaître la paralysie du diaphragme comme conséquence de l'inflammation de la plèvre, je ne m’empresse pas moins de reconnaître que cet habile observateur a entrevu cette paralysie; car je vais démontrer, par des faits, qu’elle existe réelle- ment dans certaines inflammations de la plèvre. On verra que la paralysie du diaphragme se trahit encore dans ces derniers cas par les troubles qu’elle apporte dans l’isochronisme des mouvements des parois thoraciques et abdominales. Mais qu’on ne s’attende pas à trouver toujours alors les signes de cette paralysie aussi tranchés que dans les observations rapportées précédem- ment. Dans les faits de paralysie du diaphragme produite par un épan- chement pleurétique, que j’ai eu l’occasion d’observer, je n’ai pas vu parfaitement dessinés, au premier abord, des signes de pertubation dans l’isochronisme des mouvements du thorax et de l’abdomen. Mais si, appliquant chaque main à plat et en travers sur les parois de l’abdomen, de manière à couvrir l’épigastre et les hypochon- dres, j’exerçais une pression égale et légère, et si alors je faisais respirer largement les malades, mes mains paraissaient mues en sens contraire, c’est-à-dire que pendant l’inspiration, la main corres- pondant au côté sain était soulevée, tandis que l’autre, restant im- mobile, semblait s’enfoncer du côté malade, et vice versa, pendant l’expiration. Enfin, à l’aide de cette exploration, je sentais, pen- dant l’inspiration, une certaine résistance des parois abdominales du côté sain, tandis que le côté malade n’en opposait aucune. A l’appui des considérations précédentes, je vais rapporter plu- sieurs observations de paralysie partielle du diaphragme, survenues consécutivement à des épanchements pleurétiques. EXPOSITION DES FAITS. 729 Observation CLXXXVI.—Au n° 22 de la salle Saint-Antoine (Hôtel-Dieu, service de M. Rostan), était couchée la nommée Yillemère, âgée de vingt- quatre ans, qui me fut signalée par M. Lebled, chef de clinique, comme offrant un type d’épanchement pleurétique très abondant, consécutif à une pleurésie datant de quatre semaines.—Je ne rapporterai pas 1 ’histoire de la pleurésie qui produisit cet épanchement, et qui, d’ailleurs, n’a offert rien de particulier dans sa marche ; j’insisterai seulement sur ce qui a trait aux signes qui permettent de reconnaître la paralysie du diaphragme et sur la lésion anatomique qui fut trouvée dans ce muscle. — Voici donc les phéno- mènes qu’il importe de noter pour le moment. Le côté gauche du thorax, beaucoup plus dilaté qu’à droite, restait complètement immobile pendant les mouvements respiratoires ; on n’observait aucune tumeur, aucun soulè- vement de l’abdomen au-dessous de la base du thorax (tumeur signalée par M. Stokes comme signe de l’empyème) ; pendant l’inspiration ou l’expira- tion, on ne voyait aucune différence appréciable entre les deux côtés de l’abdomen; l’épigastre se soulevait légèrement. Mais en appliquant, de chaque côté, les mains sur les parois abdominales, entre l’ombilic et la base de la poitrine, il semblait que chacune d’elles était agitée en sens contraire pendant les mouvements respiratoires, comme je l’ai indiqué précédem- ment : ainsi la main appliquée du côté de l'épanchement restait immobile, et l’autre était soulevée malgré la résistance qu’elle opposait. Cette expé- rience, faite successivement par M. le docteur Challoux et moi, produisit des résultats analogues. J’avais observé, quelques jours auparavant, ces mêmes phéno- mènes sur un jeune malade de la Charité (salle Saint-Jean-de- Dieu, n° 23), qui avait aussi un épanchement pleurétique abondant, et cela en présence de MM. V. Racle et Lemaire, chefs de clinique de la Faculté, qui avaient répété tour à tour cette même expérience sous mes yeux, et avec des résultats toujours identiques. Depuis lors, M. Racle m’a dit avoir de nouveau constaté ces mêmes signes delà paralysie du diaphragme en employant mon mode d’explo- ration chez un malade de son service, qui avait un épanchement pleurétique abondant. Voici une note que M. Racle a bien voulu rédiger sur ce sujet, et qui résume très clairement le fait que nous avons observé ensemble : Observation CLXXXVII. — a Le nommé Duboc (Cyrille), âgé de vingt et un ans, étudiant en théologie, est entré dans le service de M. Bouillaud, le 730 PARALYSIE ET ATROPHIE DU DIAPHRAGME. 12 février 4 853, pour y être traité d’une pleurésie, et il a succombé le 25 du même mois. » Ce jeune homme était scrofuleux, et portait des cicatrices d’abcès froids sur diverses parties du corps, et une nécrose de l’extrémité inférieure des os de l’avant-bras. » Il était affecté d’une pleurésie du côté gauche, datant de six mois. L’épanchement était extrêmement abondant et avait produit un refoulement du cœur si considérable, que la pointe de cet organe battait à droite du sternum. » M. Duchenne (de Boulogne) me pria de rechercher avec lui, dans cette circonstance, unphénomène physique relatif au mouvement du diaphragme, qu’il avait déjà eu l’occasion d’observer dans des cas semblables à celui-ci. Je cherchai ce phénomène, qui consiste en un défaut d'abaissement du dia- phragme du côté qui correspond à l’épanchemenl, et j’en constatai en effet l’existence. A la vue, ce défaut d'action n’était pas appréciable, mais il se révélait à la palpation. En appliquant les mains sur les hypochondres, d'une manière symétrique et en appuyant également des deux côtés, on sentait et l'on voyait que la main droite était fortement soulevée et portée en avant dans le mouvement d'inspiration, tandis que la gauche, qui correspondait au côté de Tépanchement, était absolument immobile. Il était manifeste que le côté gauche du diaphragme ne se contractait plus pendant les mouvements inspiratoires. L’autopsie du malade n’a pu être faite. » Dans un autre cas de pleurésie avec épanchement du côté gauche éga- lement, j’ai constaté le même phénomène ; la quantité du liquide paraissait être peu abondante. » De l’ensemble de tous ces faits, j’avais conclu que, dans ces trois cas, le diaphragme était paralysé dans sa moitié correspondant à l’épanchement. On pouvait m’objecter cependant que l’inertie du diaphragme dépendait peut-être alors de la dépression continue exercée sur lui par le poids du liquide épanché dans la cavité pleurale. Mais comme j’ai vu que ces signes de la paralysie du diaphragme ne se rencontraient que dans certains épanchements pleurétiques presque aussi abondants (j’en ai observé un exemple avec M. V. Racle, au n° 9 de la salle Saint-Jean-de-Dieu, service de M, Bouillaud) (1), j’en ai déduit que cette cause mécanique (le poids du liquide épanché) ne suffisait pas pour paralyser le diaphragme, et que dans les trois cas dans lesquels on a observé les signes de la paralysie du (t) Voyez, pour la relation complète, Y. Racle, Traité de diagnostic médical, 2e édition. Paris, 1859, in-12, p. 87. EXPOSITION DES FAITS. 731 diaphragme, il devait certainement exister une cause qui produisait cette paralysie. Quelle pouvait donc être cette cause? C’est ce que va nous ap- prendre l’autopsie de la malade qui a succombé à l’Hôtel-Dieu. L'ouverture de la cavité thoracique gauche donna issue à une quantité considérable de pus, qui, en comprimant le poumon, l’avait réduit à un très petit volume; une fausse membrane molle tapissait la plèvre costale etdia- phragmatique. Cette fausse membrane étant enlevée sur le diaphragme, on voyait que le tissu musculaire de ce muscle était d’une coloration jaune orangé, qui était la même à la face péritonéale. Cette décoloration du dia- phragme gauche contrastait d’une manière frappante avec la coloration rouge à peu près normale du diaphragme du côté opposé. Enfin le dia- phragme était évidemment atrophié à gauche. L’examen microscopique fait par M. Mandl, en ma présence, a démontré que le diaphragme était entiè- rement dégénéré à gauche ; on n'y voyait plus ni stries transversales, ni fibres longitudinales ; il ne restait de ses fibres musculaires qu’un assem- blage de granulations. Du côté droit, les fibres musculaires du diaphragme avaient conservé une grande partie de leurs stries transversales ; maison voyait que quelques-unes d’entre elles avaient subi un commencement d’al- tération, c’est-à-dire que ces stries transversales étaient interrompues par des granulations, ce qui annonçait que l’inflammation s’était propagée, jus- qu’à un certain degré, de gauche à droite. Dans cette observation, l’autopsie rend compte de la paralysie diagnostiquée pendant la vie, et donne plus de valeur aux signes qui l’ont fait reconnaître. On comprend, en effet, que la partie gauche du diaphragme, qui était entièrement désorganisée dans son tissu, devait être paralysée. On voit aussi que cette altération du tissu du diaphragme est due à l’inflammation qui s’est étendue de la plèvre au diaphragme. Quelle est l’utilité pratique du fait que je viens d’exposer? Peut-il servir, comme l’a écrit M. W. Stokes dans son intéressant travail, à distinguer l’hydrothorax de l’empyème, et même à mesurer le degré d’intensité de l’inflammation dans un cas donné de cette der- nière maladie? Je suis porté à l’admettre, si je ne tiens compte que des faits que j’ai observés moi-même. En effet, chez la malade de l’Hôtel-Dieu, rien ne pouvait faire prévoir que l’épanchement fût plutôt purulent que séreux. La surface cutanée de la paroi thora- cique du côté malade n’était pas plus polie que celle du côté sain ; les espaces intercostaux n’étaient pas plus déprimés que du côté opposé (on sait que ce sont les principaux signes de l’em- 732 pyème). Enfin M. Lebled croyait que le liquide devait être séreux. Aussi, quelle ne fut pas notre surprise en voyant s’écouler, à l’ou- verture du thorax, une quantité considérable de pus concret ! PARALYSIE ET ATROPHIE DU DIAPHRAGME. Je suis d’autant plus porté à accorder une valeur réelle à ce signe tiré de l’existence de la paralysie du diaphragme, qu’il ne s’est point rencontré dans des circonstances en apparence les mêmes, c’est-à-dire dans des épanchements pleurétiques aussi considéra- bles. N’est-il pas possible, en effet, que dans ces derniers cas, l’in- flammation de la plèvre n’ait pas été assez intense pour gagner le diaphragme sans en altérer le tissu, et pour produire consé- quemment la paralysie? J’avoue, cependant, que ces faits ont be- soin d’être encore étudiés. En résumé, quelle que soit, dans l’avenir, l’utilité pratique des laits que je viens d’exposer, je crois pouvoir en conclure aujour- d’hui que la paralysie partielle du diaphragme est quelquefois pro- duite par certains épanchements pleurétiques, et que les signes tirés de la perturbation qu’elle occasionne dans l’isochronisme des mouvements respiratoires peuvent seuls la faire diagnostiquer. § 11. — Déductions tirées des observations précédentes, appli- cables aux au diagnostic, au pronostic et au traite* ment de l’atrophie et de la paralysie du diaphragme. Je n’ai pas la prétention de tracer ici l’histoire complète de la paralysie et de l’atrophie du diaphragme. Je résumerai seulement les faits principaux qui ressortent des observations que je viens de relater, et qui peuvent éclairer la symptomatologie, le diagnostic, le pronostic et le traitement de ces lésions musculaires du dia- phragme. A. — Symptômes. Quand le diaphragme a perdu son action physiologique, c’est seulement pendant la respiration que l’on reconnaît les principaux symptômes de ce trouble fonctionnel. Ces symptômes sont les suivants ; Au moment de Vinspiration, l’épigastre et les hypochondres se déplument, tandis qu'au contraire la poitrine se dilate; les mou- vements de ces mêmes parties se font dans un sens opposé pendant l'expiration. L’action du diaphragme est-elle seulement diminuée, les phéno- mènes que je viens d’exposer ne se manifestent plus que dans les respirations grandes ou agitées; et si la respiration est tranquille, les mouvements de soulèvement de l’abdomen et d’expansion de la poitrine, et vice versa, s’exécutent synergiquement, comme à l’état normal. SYMPTÔMES, DIAGNOSTIC, CAUSES, PRONOSTIC. 733 Enfin, lorsque le diaphragme droit ou gauche (l’électro-physio- logie et la pathologie s’accordent pour démontrer que le diaphragme est formé par deux muscles indépendants et pouvant agir ou être malades isolément) ; lorsque, dis-je, l’un ou l’autre diaphragme est paralysé, c’est de son côté seulement que l’on observe la perturbation de l’isochronisme des mouvements respiratoires. Le défaut d’action ou d’inertie du diaphragme produit encore d’autres troubles fonctionnels qu’il est important de signaler et que je vais exposer. Les mouvements respiratoires sont alors habituellement plus fré- quents qu’à l’état normal, bien que la respiration n’en paraisse pas beaucoup plus gênée à l’état de repos. On ne soupçonnerait pas le malade atteint d’une lésion aussi grave en le regardant respirer pendant le sommeil; on voit, en effet, les mouvements alternatifs du thorax se faire sans effort, c’est-à-dire sans le secours des mus- cles que Galien a appelés respirateurs extraordinaires (les muscles trapèzes, sterno-mastoïdiens, dentelés, pectoraux, grands dor- saux). Ces mouvements se font évidemment alors par les scalènes que l’on sent se contracter sous les doigts et par les intercostaux. Mais que le malade vienne à faire quelque effort, soit pour mar- cher, soit pour parler; qu’il éprouve la plus légère impression, à l’instant sa respiration s’accélère (à8 ou 50 inspirations par mi- nute) ; les muscles trapèzes, sterno-mastoïdiens, dentelés, grands pectoraux, grands dorsaux, entrent en contraction ; la face rougit, le malade étouffe; il est forcé, s’il marche, de s’asseoir après quel- ques pas, ou s’il veut parler, de reprendre haleine pour continuer sa phrase qu’il ne peut terminer sans s’arrêter à chaque instant. Le sujet dont le diaphragme ne se contracte plus ne peut inspirer longuement sans être suffoqué ; veut-il soupirer, il sent, comme il l’exprime fort bien, ses viscères remonter dans sa poitrine et l’étouffer. Il en résulte qu’au heu de chercher à respirer longue- ment, comme on l’observe dans les autres affections thoraciques où le besoin d’air se fait sentir, il s’efforce instinctivement d’empêcher la trop grande expansion de sa poitrine. La phonation n’est pas perdue, mais la voix est plus faible, et la plus légère émission de son occasionne de l’essoufflement, ainsi que je l’ai déjà dit. Dans un seul des cas que j’ai rapportés (obs. CLXXXIV), l’aphonie était complète, mais il ne m’est pas démontré qu’alors les muscles du larynx n’étaient pas également paralysés. Je n’ai pas besoin de dire que la toux, l’éternument, etc., pro- 734 voquent aussi une grande gêne dans la respiration. L’expectora- tion et l’expuition sont difficiles, quelquefois même impossibles; enfin, la défécation exige de grands efforts et se fait avec peine. PARALYSIE ET ATROPHIE DU DIAPHRAGME. Tel est le tableau, bien imparfait sans doute, des troubles fonc- tionnels occasionnés par l’abolition de l’action du diaphragme. On comprend qu’entre la perte complète des fonctions de ce muscle et la simple diminution de sa puissance ou la paralysie d’une de ses moitiés seulement, il doit exister bien des nuances sur lesquelles je ne puis insister, et qui d’ailleurs ont été décrites particulièrement dans les observations. B. — Diagnostic. Je ne sache pas qu’il existe une autre raison que le défaut d’ac- tion du diaphragme qui puisse expliquer la perversion de l’iso- chronisme des mouvements de dilatation ou de resserrement du thorax et de l’abdomen pendant la respiration, surtout quand on fait respirer largement le malade. Ces phénomènes sont donc les signes patbognomoniques de l’inertie du diaphragme résultant de l’atrophie ou de la paralysie de ce muscle. Il serait facile, si cela était nécessaire, de démontrer que ces phénomènes tiennent bien réellement au défaut de contraction du diaphragme : on le démon- trerait en dirigeant l’excitation électrique sur le nerf phrénique ; on verrait immédiatement l’abdomen se soulever en même temps que la poitrine, pendant l’inspiration forcée que ferait le malade. Ce signe diagnostique fourni par l’exploration électro-musculaire doit manquer rarement, car dans la paralysie du diaphragme, la contractilité électrique de ce muscle est normale, et, d’autre part, il faudrait que l’atrophie du diaphragme fût arrivée à un degré bien avancé, pour que ce muscle ne se contractât pas quand on excite lé nerf qui l’anime. On est certainement déjà très avancé dans son diagnostic, lorsque l’on a reconnu que le diaphragme ne fonctionne plus ou fonctionne mal ; mais il reste encore à déterminer s’il est atrophié ou para- lysé. Dans ce dernier cas, quelle est la cause ou la nature de la pa- ralysie ? Puisqu’il paraît ressortir des observations d’atrophie musculaire graisseuse progressive que j’ai recueillies, que le diaphragme n’est pas atteint le premier dans cette maladie, on sera en droit de dia- gnostiquer une paralysie du diaphragme, quand l’abolition des fonctions de ce muscle apparaîtra d’emblée. Toutefois il est évident que si ce même trouble fonctionnel du diaphragme ne survient que lorsque d’autres muscles auront été détruits par l’atrophie muscu- laire graisseuse progressive, il sera rationnel de le rapporter à la même cause, à cette atrophie progressive. CAUSES, PRONOSTIC, TRAITEMENT. 735 Quant à savoir si la paralysie du diaphragme est essentielle, si elle dépend soit de la lésion d’un point quelconque du système ner- veux, soit de l’inflammation du musclé lui-même ou des tissus qui lui sont contigus, comme la plèvre, le péritoine, enfin si cette para- lysie est de cause rhumatismale, saturnine, etc., ce n’est pas ici le lieu de discuter ces différentes questions de diagnostic différentiel. Je dirai cependant que ce point du diagnostic différentiel est, en gé- néral, facile à déterminer ; car il suffît, dans ces divers cas, dont on trouve des exemples dans les observation» que j’ai rapportées, de remonter dans l’histoire de la marche de la maladie pour arriver à la solution du problème. G. — Causes. Toutes les causes qui abolissent ou diminuent l’action mus- culaire peuvent exercer leur influence sur le diaphragme. Quant à la nature de la paralysie de ce muscle, elle dépend, en général, de l’espèce morbide à laquelle elle se trouve liée. Bien que les faits rapportés dans ce travail soient en petit nombre, il en ressort déjà que le diaphragme a été atteint dans l’atrophie mus- culaire graisseuse progressive (obs. CLXXIX, CLXXX), dans la paralysie saturnine (obs. CLXXXI, CLXXX1I et CLXXXIII), dans la paralysie hystérique (obs. CLXXXIV), dans la péritonite et l’em- pyèrae (obs. CLXXXV, CLXXXVJ). L’inertie ou l’interruptiou de la contractilité du diaphragme sera sans aucun doute observée soit dans d’autres espèces de paralysie, soit comme complication ou point de départ de quelques affections thoraciques, maintenant, surtout, que les signes de l’inertie du dia- phragme sont bien établis. D. —* Pronostic. Une respiration qui ne pourrait plus se faire que dans la moitié supérieure de la poitrine ne suffirait pas à l’hématose, et l’asphyxie en serait inévitablement la conséquence. J’en ai fourni la preuve, en asphyxiant un chien chez lequel j’empêchai le res- serrement et l’agrandissement du poumon verticalement et dans la moitié inférieure de son diamètre transversal, en maintenant son diaphragme artificiellement contracturé. Heureusement, par une sage prévoyance de la nature, d’autres muscles (les inter- costaux) peuvent encore produire l’expansion de la moitié intérieure du thorax, alors même que le diaphragme reste inactif; de telle PARALYSIE ET ATROPHIE DU DIAPHRAGME. sorte que, malgré le défaut de dilatation verticale des poumons, l’expansion des parois tlioraciques dans toute leur étendue suffit en- core à la respiration. Alors la vie du malade n’est pas en danger immédiat, s’il ne survient pas de complication dans les organes de la respiration, car on sait que, dans ce cas, une simple bronchite intercurrente peut être une cause de mort par l’impossibilité ou la difficulté d’expectorer. La paralysie du diaphragme n’est pourtant pas mortelle en elle- même, comme on l’avait écrit ou enseigné jusqu’il ce jour; elle est seulement la cause de troubles fonctionnels (gêne de la respi- ration, de la phonation, etc.), qui font au malade l’existence la plus pénible. E. — Traitement. Le traitement de l’inertie du diaphragme doit évidemment varier suivant la cause qui l’a produite. Quand cette inertie est due à l’invasion de cette affection comme sous le nom d’atrophie musculaire graisseuse progressive, il est indiqué de recourir à la faradisation localisée, seule médication qui, jusqu’à ce jour, ait été opposée avec quelque succès à celte terrible maladie. On sait que lorsque l’atrophie musculaire progressive a gagné le diaphragme, elle a déjà détruit d’autres muscles en plus ou moins grand nombre. Cependant, bien que cette maladie soit alors géné- ralisée, il est encore permis d’espérer d’en arrêter la marche, alors même que le diaphragme commence à souffrir de son atteinte, si l’on fait intervenir à temps l’action thérapeutique de la faradisation loca- lisée : Bonnard (obs. CLXXX) en est un exemple remarquable. On a vu, en effet, chez ce malade, que le diaphragme qui, après la ruine d’un grand nombre de muscles, était à son tour menacé dans sa nutrition, a été sauvé par l’intervention thérapeutique de la faradi- sation localisée. On a vu aussi que l’atrophie ne s’est pas généra- lisée; que non-seulement elle a subi un temps d’arrêt depuis le traitement électrique, mais aussi que j’ai ramené la nutrition dans les muscles les plus utiles, le biceps par exemple; de telle sorte que Bonnard a pu exercer depuis dix ans son état de mécanicien, qui exige une grande dépense de forces musculaires, sans que les mus- cles dont l’usage lui a été rendu aient été de nouveau atrophiés. Lors même que tout espoir d’arrêter la marche de l’atrophie mus- culaire graisseuse progressive est perdu, on peut du moins essayer, avec quelque chance de succès, d’en retarder la terminaison fatale par l’excitation électrique du diaphragme. C’est ainsi que j’ai tenté de prolonger l’existence d’un malheu- reux nommé Lecomte, dont l’histoire a été rapportée à la page Ml, et qui, étant atteint d’atrophie musculaire graisseuse progressive généralisée, ne respirait plus que par son diaphragme, un des der- niers muscles survivants. RÉSUMÉ. 737 Lorsque la paralysie du diaphragme est saturnine ou hystérique, il est permis d’attendre la guérison de l’usage des moyens appro- priés à ces cas spéciaux. 11 paraîtrait ressortir de mes recherches, peut-être insuffisantes pour juger cette question d’une manière défi- nitive, que le diaphragme se trouve heureusement au nombre des muscles qui guérissent le plus facilement dans la paralysie satur- nine. J’ai démontré, en effet, que certains muscles de la région anti- brachiale postérieure, laquelle est le siège d’élection habituel de celte paralysie, offrent une plus grande résistance aux différents agents thérapeutiques. RÉSUMÉ. 1. Les observations rapportées dans cet article établissent que la paralysie du diaphragme, admise théoriquement par les auteurs, existe réellement, et qu’elle est caractérisée par certains signes dia- gnostiques dont voici les principaux ; pendant l’inspiration, les hypochondres et l’épigastre sont déprimés, tandis qu’au contraire la poitrine se dilate ; pendant l’expiration, les mouvements de la poi- trine et de l’abdomen ont lieu également dans un sens opposé, c’est- à-dire que l’abdomen se soulève, tandis que la poitrine se resserre. Le malade semble aspirer ses viscères abdominaux, quand l’inspira- tion produit l’expansion de la poitrine,, et cela d’autant plus que le thorax s’agrandit davantage. Delà une inspiration courte et insuffi- sante aux besoins de la phonation et du parler; de là aussi l’im- possibilité d’inspirer largement, de soupirer, etc., sans être étouffé par l’ascension de ces viscères. II. La paralysie du diaphragme n’est pas en elle-même mor- telle, comme on le pense généralement. L’inspiration qui se fait alors, soit par les intercostaux, quand le malade est en repos, soit à la fois par les intercostaux et tous les autres muscles inspirateurs, quand la respiration est plus agitée, suffit à l’hématose. Le malade, en effet, vit longtemps avec une paralysie du diaphragme, mais alors la plus simple bronchite peut occasionner la mort par asphyxie, l’expectoration étant difficile ou impossible. 111. Le meilleur traitement à opposer à la paralysie du dia- phragme, c’est la faradisation localisée de ce muscle par l’intermé- diaire des nerfs phréniques. DUCHENNE. 738 APPENDICE. APPENDICE. DE LA RESPIRATION ARTIFICIELLE PAR LA FARADISATION LOCALISÉE. Certains agents toxiques, la vapeur du charbon, l’opium, le chlo- roforme, etc., certaines fièvres graves, le choléra par exemple, peuvent jeter une grande perturbation dans la respiration, soit que les centres nerveux n’envoient plus alors le degré d’influx néces- saire à l’accomplissement des actes de la respiration, soit que les organes qui président à ces différents actes aient perdu en tout ou en partie leur excitabilité, ou qu’ils soient, pour ainsi dire, paralysés. On voit, dans ces cas, les mouvements respiratoires se ralentir plus ou moins, et quelquefois même cesser complètement et rapidement; alors l’asphyxie est imminente. Une des premières indications à remplir, en même temps que l’on administre la médication spéciale exigée par l’intoxication, c’est défaire arriver l’air dans les voies aériennes, en quantité suffi- sante pour rétablir et entretenir l’hématose. Afin d’atteindre ce but, on cherche à réveiller les mouvements respiratoires, soit en excitant la sensibilité générale, soit en faisant pénétrer l’air dans les pou- mons mécaniquement et physiquement. C’est l’excitation électrique qui répond le mieux à ces diverses indications. 1° Par la faradisation cutanée. — 11 n’existe pas un seul agent thérapeutique susceptible, comme la faradisation cutanée, de pro- duire instantanément des sensations qui se graduent, depuis le plus simple chatouillement jusqu’à la douleur la plus vive, que le feu égale à peine, et cela sans altérer les tissus, quelque longue qu’en soit l’application. Cette propriété spéciale de la faradisation cutanée permet d’agir rapidement sur toutes les régions du corps, même à la face où la sensibilité est si grande, pendant des heures entières, si cela est nécessaire, sans que Fou ait à craindre de désorganiser la peau. J’ai plusieurs fois tiré un heureux parti de cette vertu spéciale de la faradisation cutanée pour exciter les mouvements respiratoires par l’intermédiaire de la sensibilité générale, dans les cas où l’as- phyxie était due à l’inertie plus ou moins complète des muscles respirateurs. Pendant l’épidémie de 1849, j’ai vu l’asphyxie se développer, chez certains cholériques, par le fait de la rareté des mouvements respiratoires. Le coma ne pouvait rendre raison du trouble de Fin- DE LA RESPIRATION ARTIFICIELLE PAR LA FARADISATION LOCALISÉE'. nervation qui produisait ce phénomène morbide, car les malades jouissaient de leur intelligence; ils respiraient plus fréquemment, lorsqu’on les y engageait; mais, si on les abandonnait cà eux-mêmes, si on ne les surexcitait pas, les mouvements respiratoires s’éloi- gnaient de plus en plus. Ils semblaient ne plus éprouver le besoin de respirer, et oubliaient de remplir cette fonction (j’ai compté alors jusqu’il cinq ou six secondes entre chaque respiration). On conçoit qu’un tel état ne pouvait se prolonger sans danger; et, en effet, si l’on ne faisait pas intervenir une médication excitante énergique interne et externe, les malades mouraient bientôt asphyxiés. Mais la sensibilité cutanée étant ordinairement obtuse ou abolie, les exci- tants externes ordinaires (sinapismes, vésicatoires, eau bouillante) étaient incapables de réveiller la puissance de l’innervation. C’est dans ce cas qu’on parvenait à réveiller, pour ainsi dire, la respira- tion par la faradisation cutanée, et à soutenir ainsi la vie concur- remment avec la médication interne. Le cas suivant, bien qu’incomplet, peut donner une idée du parti avantageux que l’on peut tirer de la faradisation cutanée dans l’as- phyxie, quelle qu’en soit la cause. Observation CLXXXVIII. — En décembre 1847, une femme avait été apportée à la Charité, dans le service de M. Andral, dans un état très avancé d'asphyxie, occasionnée par la vapeur du charbon. Douze heures après, la malade était dans la même situation, malgré les soins les mieux entendus. Depuis son entrée, elle n’avait donné aucun signe de connaissance, la res- piration était très rare; en outre, des râles nombreux se faisaient entendre dans la poitrine ; l’insensibilité était complète dans tous les points du corps, malgré les sinapismes promenés sur l’enveloppe cutanée, malgré des vésica- toires appliqués depuis la veille à la face interne des jambes, et qui n’avaient exercé aucune action organique. Dans cet état, l’appareil marchant avec des intermittences rapides et ayant été gradué au maximum, les rhéophores (balais métalliques)furent promenés sur la partie internedesjambes. Pendant les premières secondes la faradisation ne produisit qu’une faible action orga- nique dans les points excités ; mais bientôt la malade donna des signes de douleur ; les fils métalliques posés sur le thorax arrachèrent des cris à cette malade, qui parut reprendre connaissance. Elle put me donner la main, me montrer la langue ; mais elle ne répondit à mes questions que par oui et par non. La respiration étant plus facile et fréquente, les pommettes se colorèrent, les lèvres furent moins violettes. Ayant malheureusement sus- pendu l’excitation électro-cutanée, cette amélioration ne fut que momen- tanée; l'asphyxie reparut bientôt, et enleva la malade quelques heures plus tard. Si, douze heures plus lot, j’avais eu l’idée d’employer ce moyen puissant et rapide, avant que l’asphyxie eût exercé de si grands ravages, la faradisation cutanée eût peut-être triomphé. APPENDICE Je me suis toujours reproché de n’avoir pas continué assez long- temps cette excitation électro-cutanée chez cette pauvre femme. C’était d’autant plus praticable, qu’il m’était possible de diminuer l’intensité du courant, de manière à rendre la sensation moins dou- loureuse et à la faire supporter, au besoin, pendant un grand nombre d’heures; mon regret est encore augmenté par la connaissance des faits publiés dans tke Lancet, qui ont été reproduits dans l’Union médicale, et que je crois devoir rappeler en quelques mots. Deux enfants, empoisonnés par l’opium, paraissaient devoir suc- comber dans un état d’asphyxie, malgré de nombreux moyens qui avaient été employés pour ranimer la respiration et ramener l’hé- matose, lorsqu’on songea, comme dernière ressource, à l’excitation électrique. Les rhéophores d’un appareil d’induction à intermit- tences très rapides furent appliqués, le positif sur la face interne de la joue, et le négatif sur l’appendice xiphoïde. En peu de temps, on parvint à rétablir les mouvements respiratoires et à rendre la déglu- tition plus facile, de manière à rendre possible l’administration de remèdes internes (café, esprit d’ammoniaque). Ces deux enfants furent sauvés; mais pour atteindre cet heureux résultat, on dut continuer l’excitation électrique pendant de longues heures (huit à neuf heures), car, chaque fois qu’on la suspendait, les phénomènes d’asphyxie reparaissaient. Ce n’est pas par l’excitation directe de la contractilité musculaire que la respiration a été rétablie dans ces deux cas ; car les mouve- ments respiratoires ne peuvent se faire que par la contraction et le relâchement alternatif des muscles qui en sont chargés, mouvements alternatifs que la contraction continue produite par l’électrisation à courants rapides, telle qu’elle a été employée chez ces enfants, eût certainement rendus impossibles. C’est par l’intermédiaire de la sensibilité générale que ce mode d’électrisation a rétabli la respiration. Il me serait facile, si ce n’était superflu, de démontrer que la cinquième‘*paire, la peau, etc., ont dû être vivement excitées dans cette opération. Ce qu’il importe seulement de faire ressortir de ces deux faits, c’est la nécessité, en pareil cas, de prolonger suffisamment l’excitation électrique de la sensibilité générale, de manière à appeler incessamment l’influx nerveux central sur les organes respiratoires. 2" Par la faradisation des nerfs phréniques. — Si l’excitation de la sensibilité par les différents moyens que je viens d’indiquer ne pou- DE LA RESPIRATION ARTIFICIELLE PAU LA FARADISATION LOCALISÉE. vait ranimer les contractions des muscles inspirateurs, si même l’asphyxie était tellement avancée que l’on crût déjà voir les signes apparents delà mort, on sait que l’on pourrait encore espérer de rappeler la vie prête à s’échapper, en taisant arriver mécanique- ment l’air dans les voies aériennes. C’est dans ce cas que je conseillerais de recourir immédiatement à la faradisation des nerfs phréniques qui, en faisant contracter le diaphragme, agrandit à la fois le diamètre vertical du poumon et son diamètre transversal dans la moitié inférieure, comme le démon- trent mes expériences électro-physiologiques. C’est à coup sûr le meilleur moyen d’imiter la respiration naturelle. En raison des services qu'il me paraît appelé à rendre dans l’avenir, je crois devoir décrire avec quelque soin le procédé à l’aide duquel on produit la respiration artificielle par la faradisation des nerfs phréniques. Le nerf phréniqne, qui tire son origine des troisième, quatrième et cinquième paires cervicales, descend, on le sait, de dehors en dedans au-devant du scalène antérieur, avant de s’enfoncer dans le médiastin pour se jeter dans les piliers du diaphragme. C’est sur la face antérieure de ce scalène qu’il faut exciter le nerf phréniqne que l’on met en rapport avec les rhéophores d’un appareil d’induc- tion. (Tous les appareils d’induction sont propres à cette opération, pourvu qu’ils se graduent exactement, et que leurs intermittences soient très rapides. Les rhéophores sont terminés par une extrémité conique d’un petit volume, et recouverts d’une peau humide.) La faradisation localisée du nerf phréniqne offre quelques difficultés, parce que le scalène est recouvert par le sterno-mastoïdien et par le peaucier. Voici cependant comment on parvient à localiser chez l’homme l’excitation électrique dans le nerf phréniqne sans recourir à aucune opération chirurgicale. On s’assure d’abord delà position du scalène antérieur, en dépri- mant la peau de dehors en dedans, avec deux doigts placés au niveau du bord externe du faisceau claviculaire du sterno-mas- toïdien. Alors on écarte les doigts qui, par une pression continue, maintiennent la peau déprimée au-devant du scalène, puis on place un des rhéophores dans leur intervalle et de manière à croiser la direction du nerf phréniqne. Pendant qu’un aide tient le rhéophore ainsi posé, le second rhéo- phore est placé de la même manière sur le scalène antérieur du côté opposé. Alors l’opérateur, saisissant par les manches isolés les deux rhéophores, qu’il maintient solidement appliqués sur les sca- lènes, fait mettre l’appareil en action. A l’instant où l’on fait passer le courant dont les intermittences sont tellement rapides qu’elles sont presque continues, les côtes inférieures s’écartent et les parois abdominales se soulèvent pendant que l’air entre avec bruit dans les poumons. Après une ou deux secondes, on interrompt le cou- rant et aussitôt la poitrine et l’abdomen s’affaissent comme dans l’expiration. Pour que cette expiration soit plus complète, un aide est chargé de déprimer la poitrine et l’abdomen pendant ce temps de l’opération. Après une ou deux secondes d’interruption, on fait de nouveau passer le courant pendant le même espace de temps, de manière à produire une succession d’inspirations et d’expira- tions, qui imitent exactement la respiration naturelle. APPENDICE. La faradisation des nerfs phréniques, telle que je viens de la décrire, ne réussit pas toujours du premier coup; car si le peau- cier est très développé, ce muscle se contracte au moment de l’excitation et repousse les rbéopbores ; d’un autre côté, ces nerfs présentent quelquefois des anomalies, et passent plus en dedans des scalènes; mais ces difficultés ne sont pas insurmontables, car en appliquant les rbéopbores un peu plus haut ou un peu plus bas, on réussit toujours à les rencontrer. On doit éviter, autant que possible, d’exciter le plexus brachial en même temps que le nerf phrénique. Je n’ai recours au mode opératoire que je viens de décrire que lorsque je veux provoquer la contraction isolée du diaphragme, pour démontrer le mode d’action de ce muscle sur les côtes dia- phragmai ques. Mais voici un moyen plus simple et plus sûr de produire la res- piration artificielle. Au lieu de rbéopbores coniques on se sert de rhéophores à large surface, d’éponges enfoncées dans des cylindres métalliques par exemple, que l’on pose sur les côtés du cou, dans le point indiqué ci-dessus, et l’on fait passer le courant d’induction comme je viens de le dire. Par ce procédé, on excite à la fois, avec le nerf phrénique, les plexus cervical et brachial et la branche externe du spinal. Il en résulte un plus grand mouvement de la poitrine par l’élévation des épaules, qui ne fait que favoriser la res- piration artificielle qu’on veut produire. La respiration artificielle produite par la contraction électrique du diaphragme fait arriver une masse considérable d’air en agran- dissant le diamètre vertical de la capacité thoracique et la moitié inférieure de son diamètre transversal. Puisque l’excitation élec- trique des nerfs phréniques, qui provoque la contraction du dia- phragme, peut faire respirer bruyamment, même le cadavre, quel- que temps encore après la mort, que ne doit-on pas attendre d’elle dans l’asphyxie, alors même que tout paraît désespéré ! Prolonger ainsi la vie dans l’asphyxie, c’est presque sauver le malade. S’il ne respirait pas, en effet, comment pourrait-on appliquer la médication spéciale appropriée aux effets généraux de l’intoxication? DE LA RESPIRATION ARTIFICIELLE PAR LA FARADISATION LOCALISÉE, Pour compléter cette étude, j’aurais désiré reproduire ici une note que j’ai publiée, en 1855 (1), sur l’influence de l’excitation électro-cutanée ou de la respiration artificielle par la faradisation des nerfs phréniques, dans l’intoxication par le chloroforme. Je regrette de ne pouvoir, faute de place, en extraire que les deux principales conclusions ci-dessous : « L’électricité, employée comme excitant général du système nerveux, peut sauver l'animal, si la respiration est seulement suspendue ; elle n’est impuissante que lorsque le cœur a cessé de battre. » La respiration artificielle, produite par la faradisation des nerfs pbré- niques, qui imite parfaitement la respiration naturelle, fait pénétrer l’air dans les parties les plus intimes du poumon, en vertu du vide virtuel qu'elle y produit, et cela avec d’autant plus de force, et en quantité d’au- tant plus grande, qu’on excite plus énergiquement la contraction du dia- phragme. ■— Cette respiration artificielle peut, comme l’insufflation, rap- peler les animaux à la vie, alors même que le cœur a cessé de battre. — Elle est simple et facile à pratiquer. — 11 n’existe aucune raison pour lui préférer l’insufflation dans le traitement de l'intoxication chlorofor- mique (2). » (2) Une commission, au nom de la Société médicale d’émulation, à laquelle je suis étranger, m’avait fait l’honneur de m’inviter à m’adjoindre à elle pour étu- dier sur des animaux l’influence thérapeutique de la faradisation cutanée et de l’électrisation générale dans l’intoxication chloroformique. Lorsqu’il fut bien démontré que l’excitation électrique générale ou de la peau était impuissante dans les cas où le cœur avait cessé de battre, mon concours cessait d’être utile à la commission, dont j’avais rempli les intentions. —Cependant, ayant écrit dans mon mémoire sur les fonctions du diaphragme, publié en 1833 dans VUnion médicale, que la respiration artificielle produite par la faradisation des nerfs phréniques pouvait être appliquée avec succès à l’empoisonnement par le chlo- roforme, je désirais saisir l’occasion qui m’était offerte d’éludier la valeur de mon assertion, qui, jusqu’alors, n’était qu’une vue de l’esprit. Comme il fallait, avant tout, examiner s’il était vrai, ainsi que l’avait avancé M. Robert, membre de l’Académie de médecine, que les nerfs ont perdu leur excitabilité électrique dans l’intoxication chloroformique, je priai la commission de me permettre de faire quelques expériences pour vérifier l’exactitude de cette assertion. Il ressortit bientôt de nos expériences que l’excitabilité électrique des nerfs ne diminuait pas d’une manière appréciable sous l’influence du chloroforme, et alors seulement je proposai de pratiquer immédiatement la respiration artificielle par la faradisa- (1) Union médicale, 29 et 31 mars. PARALYSIE DES MUSCLES DE l’aUDOMEN. ARTICLE IV. PARALYSIE DE LA VESSIE ET DES ORGANES GÉNITAUX DE L’HOMME, DES INTESTINS ET DES MUSCLES QUI CONCOURENT A LEURS FONCTIONS. § I. — Dysurie. A. — Paralysie des muscles de l’abdomen. La dysurie peut être occasionnée par la paralysie des muscles de l’abdomen. C’est un phénomène que j’ai eu souvent l’occasion d’ob- server dans certaines paraplégies. Ce qui démontre que la vessie n’est pour rien dans la difficulté que les malades éprouvent alors pour uriner, c’est que le jet de l’urine sort avec force quand on introduit une sonde dans leur vessie; ce qui me semble le prouver encore mieux, c’est qu’il suffit dans ces cas de faradiser les muscles abdominaux pour rendre l’émission des urines facile. De l’impos- sibilité ou de la difficulté d’uriner, il ne faut donc pas toujours conclure à la paralysie de la paroi musculaire de la vessie. En conséquence, avant d’aller porter l’excitation électrique sur ce vis- cère, chez les sujets qui éprouvent de la peine à uriner, on doit se contenter de faradiser pendant quelques séances chacun des mus- cles de l’abdomen. En agissant de la sorte, on épargne aux ma- lades une opération inutile et qui ne suffirait pas, puisqu'alors la cause de la dysurie ne réside pas dans l’inertie de la tunique mus- culeuse vésicale. J’ai également observé la dysurie dans la paralysie du diaphragme, mais elle existe, dans ce cas, à un degré beaucoup moins prononcé qu’après la paralysie des muscles de l’abdomen. Les malades sont seulement forcés de se livrer à de longs efforts pour vaincre la résistance opposée par le col et le sphincter de la vessie. On com- prend que, dans ce cas, le seul moyen de rendre les urines faciles, c’est de guérir la paralysie du diaphragme. tiou des nerfs phréniques chez les animaux cbloroformisés, dont le cœur avait cessé de battre. On comprend quelle dût être ma joie quand je vis réussir une opération dont j’avais entrevu le succès et qui venait confirmer les beaux résul- tats obtenus par la commission; à savoir, que la respiration artilicielle par insufflation peut rappeler à la vie des animaux dont le cœur avait cessé de battre dans l’iutoxicaliou chloroformique. t'AUALï: IE Diî LA 1 UNIQUE MUSCULEUSE DE LA VESSIE. 745 B. — Paralysie de la lanique musculeuse de la vessie. Lorsque l'impossibilité ou la difficulté de rendre les urines dépend uniquement de la paralysie du corps de la vessie, c’est directement sur lui que l’on doit porter l’excitation électrique. J’ai employé, dans ce but, plusieurs procédés. Tantôt j’introduis une sonde d’argent libre à son extrémité et isolée par une sonde de caoutchouc dans le reste de son étendue ; je place un second rhéo- phore (rhéophore rectal) dans le rectum, et j’applique l’olive sur le bas-fond de la vessie. (Ce procédé a été déjà décrit page 93.) D’autres fois, lorsque l’excitation par le rectum présente quel- ques difficultés, je n’agis que sur la vessie. J’ai imaginé, à cet elîet, un rhéophore vésical, composé de deux conducteurs isolés dans une sonde de caoutchouc à double courant, qui permet de con- centrer l’action des deux pôles du courant d’induction dans chacun des points de la paroi vésicale. (Voyez, pour la description de ce rhéophore et pour la manière de l’appliquer, la première partie, page 88.) Ce rhéophore m’a rendu de grands services, car, la vessie étant très peu excitable, môme à l’état normal, il m’a permis de diriger sur elle des courants d’une grande intensité ; ce que je n’aurais pu faire avec d’autres procédés, par exemple en plaçant un rhéophore dans la vessie et l’autre sur les parois de l’abdomen, ainsi que je l’ai déjà dit précédemment. Mais il n’est pas toujours possible de porter le rhéophore dans la vessie, soit que l’état du canal de l’urèthre ne permette pas son introduction, soit que l’existence d’un catarrhe utérin contre-indi- que son application. Alors le rjiéophore rectal est porté dans le rectum et dirigé de manière à se trouver en rapport avec la paroi postérieure de la vessie, tandis qu’un autre rhéophore humide est promené sur la région hypogaslrique. Ce procédé est moins efficace que le précédent, j'en ai dit la raison. On doit se rappeler, quand on pratique la faradisation de la vessie, du rectum et des organes génitaux de l’homme, que le cou- rant de la première hélice excite plus vivement la sensibilité de ces organes que le courant delà seconde hélice. En conséquence, s’il est indiqué d’agir contre la paralysie musculaire, celui-ci mérite la préférence, le courant de la première hélice n’étant alors employé (pie dans l’anesthésie de ces organes. ANESTHÉSIE DE LA VESSIE ET DES ORGANES GÉNITAUX URINAIRES. § H. —Anesthésie de la vessie et des organes génitaux urinaires. A. — Anesthésie de la vessie. L'anesthésie de la vessie peut exister indépendamment de la pa- ralysie de la tunique musculeuse de cet organe. Les sujets, ne sentant pas le besoin d’uriner, laissent distendre outre mesure leur vessie, et ne sont avertis de sa plénitude que lorsque l’urine sort par regorgement. S’ils n’ont pas la précaution de la vider réguliè- rement, en urinant à des intervalles peu éloignés, la tunique mus- culeuse finit par se paralyser à force d’être distendue. Cette grande distension de la vessie peut occasionner en outre, à la longue, la formation de replis valvulaires qui obstruent l’orifice du col de la vessie et s’opposent au passage de l’urine. Les malades sont alors dans la nécessité de repousser les replis valvulaires, en introduisant la sonde dans la vessie, chaque fois qu’ils veulent uriner, et l’on voit dans ce cas le jet projeté au loin et avec force. L’excitation faradique de la paroi interne de la vessie est un excellent moyen de guérir cette anesthésie, dont les conséquences peuvent être si graves. En voici un exemple bien remarquable, que je rapporte parce qu’on y verra en même temps l’influence que l’anesthésie des testi- cules peut exercer sur les fonctions des organes génitaux, et le réta- blissement de ces dernières fonctions par la faradisation localisée. Observation CLXXXIX. ■— M. de L..., officier, âgé de quarante ans, d’une bonne constitution, a beaucoup souffert du froid humide pendant ses campagnes d’Afrique. 11 n’a jamais eu d’affection rhumatismale ni de fièvre intermittente. En août 1844, à la suite d’une constipation opiniâtre, il eut des Assures à l'anus qui lui occasionnèrent des douleurs très vives, et qui, méconnues fort longtemps, furent guéries tardivement par des lavements de ratanhia. Un mois après la guérison de ces fissures, c’est-à-dire en novembre 1844, apparut, pour la première fois, une douleur très aiguë, occupant le trajet du nerf sciatique, que rien ne put calmer, et qui ne pro- voqua aucune réaction fébrile. Six semaines après l’invasion de cette névralgie, la douleur disparut tout à coup, et M. de L... se crut guéri ; mais il fut étonné de se sentir mouillé par l’urine, qui coulait involontaire- ment. Depuis lors, il perdit la conscience de la plénitude de sa vessie, de sorte que, s’il n’avait pas la précaution d’uriner souvent, celte dernière se laissait distendre outre mesure, et l’urine sortait involontairement par re- gorgement. Un mois après la perte de la sensibilité de sa vessie, le malade fut privé encore de la faculté d’uriner volontairement; il s’aperçut aussi que la peau du pénis, du scrotum, du périnée, de la fesse et de la face postérieure de la cuisse, avait perdu sa sensibilité. Malgré les soins les plus rationnels et le traitement le plus énergique, malgré quinze vésicatoires promenés sur la cuisse gauche, le périnée et la face postérieure du sacrum, malgré l’usage de la strychnine et de la belladone, bien que le malade fût allé plusieurs fois aux eaux de Baréges, et qu’il eût fait usage de douches sulfureuses, l’anes- thésie de la vessie et de la peau persista au même degré. — En 4 847, les érections et les désirs vénériens disparurent. M. de L... s’aperçut que les testicules étaient insensibles à la plus forte pression ; cependant il eut encore des pollutions nocturnes avec sensation voluptueuse. A cette époque, l’électropuncture fut pratiquée sans aucun résultat ; des aiguilles étaient enfoncées en très grand nombre dans les régions frappées d'insensibilité, et d’autres étaient placées dans le voisinage du rachis, où la sensibilité était intacte; on galvanisait successivement toutes les aiguilles, de manière que l'un des pôles d’une pile à auges fût en communication avec les points insensibles, et l’autre avec les parties sensibles. La sensation ne se fai- sait sentir que dans ce dernier lieu. Le malade dit avoir si cruellement souffert de cette opération, qu’il n’aurait plus voulu acheter sa guérison à ce prix. ANESTHÉSIE DE LA VESSIE ET DES ORGANES GÉNITAUX URINAIRES. En octobre 4 848, M. de L... me fut adressé par M. le professeur Chomel, qui lui conseilla l’emploi de l’électricité par ma méthode localisa- trice. Je constatai alors l’état suivant: Anesthésie de la peau du pénis, du scrotum, du périnée, du quart supérieur de la face postérieure de la cuisse et d’une partie de la fesse ; perte du sentiment de plénitude de la vessie; impossibilité d’uriner sans le secours de la sonde ; les testicules sont insen- sibles à la plus forte pression ; érections impossibles, absence de désirs ; pollutions nocturnes rares ; pas de douleur, état général satisfaisant. — La faradisation est pratiquée de la manière suivante: 4° Faradisation électro- cutanée. Les balais métalliques excitateurs sont promenés sur tous les points insensibles, l’appareil étant au maximum. Après plusieurs minutes de celte opération, le malade accuse un léger chatouillement dans quelques points, et un quart d’heure après la douleur est intolérable. Le lendemain, la sensi- bilité est revenue dans quelques points. Après la troisième séance, la sen- sibilité de la peau est presque normale. — 2° Faradisation des testicules. Les rhéophores métalliques appliqués sur les parties correspondant aux testicules et à l’épididyme, la peau ayant été mouillée légèrement, excitent une sensation spéciale et douloureuse, semblable à celle que produit la compression de ces organes ; le testicule droit est beaucoup plus excitable que le gauche. En deux séances de huit à dix minutes, les testicules, les épididymes et leurs cordons ont recouvré leur sensibilité normale. L’opéra- tion précédente, pratiquée de temps en temps, a rétabli les fonctions des organes générateurs dans toute leur intégrité. 30 Faradisation de la vessie et du canal de l'urèlhre. Le rhéophore vésical double, dont j’ai donné la des- cription page 88, introduit dans la vessie préalablement vidée, et promené sur tous les points de sa face interne, ne donne aucune sensation, bien que l’appareil soit au maximum et marche avec les intermittences les plus rapides. Le même rhéophore, ramené vers le col de la vessie, provoque une sensation de conslriclion douloureuse due à l’excitation du sphincter du col de la vessie. Le trembleur de l’appareil est arrêté, et les intermittences sont éloignées à l’aide de la roue. A chaque interruption, le malade éprouve une secousse assez forte, non douloureuse, au niveau du col de la vessie (contraction électrique des fibres du releveur de l'anus). Le rhéophore, pro- mené dans le canal, sous l’influence d'un courant des plus intenses, ne donne une faible sensation que dans son tiers inférieur. — L’opération précédente a été pratiquée souvent en plaçant un rhéophore dans le rectum, pour exciter en môme temps que la vessie, soit le plexus sacré, soit le plexus hypogaslriquc. D’autres fois, les muscles de l’abdomen ont été faradisés. En quinze séances, la sensibilité do la vessie est normale; le malade ne peut supporter un courant moyen ; il perçoit la plénitude de sa vessie, éprouve môme fréquemment le besoin d’uriner: deux fois il urine sponta- nément, presque sans effort, et à une assez grande distance. La vessie se vide complètement. Malheureusement l'émission volontaire des urines ne se maintient pas, malgré l’excitation faradique longtemps continuée, malgré le retour de la sensibilité normale de l’organe. — MM. les docteurs Civiale et Ricord, successivement appelés en consultation, ne trouvent ni rétrécis- sement du canal, ni paralysie delà conlractilité (quand une sonde est intro- duite, l’urine sort avec force et s’arrête tout à coup lorsque la vessie est vidée). M. Ricord, admettant la possibilité d’un repli valvulaire produit par la distension de la vessie, pratique des incisions avec un urélhrotome. L’opération n’a produit aucun résultat; le malade est de nouveau soumis à la faradisation localisée. ANESTHÉSIE DE l,A VESSIE ET DES OilGANES GÉNITAUX HH1NAIKES. En résumé, l’anesthésie vésicule avait occasionné chez M. de L... la distension énorme de la vessie, qui a été suivie pendant quelque temps de la sortie involontaire des urines (par regorgement) sans que pour cela la vessie lût paralysée; puis M. de L..., privé de la sensation du besoin d’uriner, ayant souvent laissé distendre consi- dérablement la tunique musculeuse de la vessie, en négligeant de la vider, n’a pas tardé a perdre la (acuité d’uriner volontairement, uniquement par suite de la formation de replis valvulaires; car MM. Ricord et Civiale ont constaté que la tunique musculeuse n’était pas paralysée; la sonde étant introduite, l’urine était pro- jetée au loin avec une grande force. L’excitation énergique pra- tiquée avec un courant d’induction rapide et intense a rappelé ANESTHÉSIE DES ORGANES GÉNITAUX ET IMPUISSANCE. assez vite la sensibilité de la vessie ; de sorte qu’il ne restait plus à vaincre que l’obstacle mécanique dû à l’existence des replis valvu- laires. Il faut observer enfin que cette anesthésie de la vessie, guérie par l’excitation farad ique, avait résisté pendant trois ans à des médi- cations très variées. B. — Anesthésie des organes génitaux et impuissance. il est encore une autre question très importante que je pourrais examiner à l’occasion de l'observation que je viens do relater: c’est l’action exercée par la faradisation localisée sur l’impuissance. 11 est incontestable que M. de L... doit à l’application de celte médication le rétablissement de ses fonctions génératrices dont il a été privé pendant plusieurs années. L’ayant revu trois ans après, j’ai constaté que l’impuissance n’avait plus reparu. Je n’ai pas l’intention de traiter ici de l’application de la fara- disation localisée à l’impuissance, car je ne suis pas encore assez avancé dans les recherches que j’ai faites sur ce point important, pour formuler quelque chose de positif à cet égard. J’avais com- mencé avec M. Lallemand des expériences que le mauvais état de sa santé ne nous a pas permis de poursuivre. Cependant je dois prévenir ceux qui voudraient appliquer la faradisation localisée au traitement de l’impuissance, qu’ils aggraveraient à coup sûr la maladie, s’ils imitaient dans tous les cas la conduite que j’ai tenue chez M. de L... L’impuissance, en effet, est souvent due à des pertes séminales, suite d’abus vénériens (1). Eh bien! l’excitation de la sensibilité cutanée et la faradisation des vésicules séminales par l’excitation rectale augmenteraient encore ces pertes. M. Lallemand pensait que, dans ces cas, il pourrait être utile d’exciter l’orifice uréthral des canaux éjaculateurs pour en produire le resserrement en augmentant leur force tonique (2). Voici dès lors comment j’ai agi ; j’ai introduit jusqu’au vérumontanum un rhéo- phore uréthral, libre seulement à son extrémité et isolé dans le reste de son étendue, et j’ai placé sur le périnée un second rhéophore hu- mide; puis j’ai fait passer un courant à intermittences modérément rapides et peu intenses. L’orifice uréthral des canaux éjaculateurs m’a paru se resserrer après celte opération, et les pertes diminuer. J’ai expérimenté, dans une dizaine de cas de pertes séminales datant d’un temps plus ou moins grand, cette méthode de traite- (1) Roubaud, Traité de l'impuissance et delà stérilité. Paris, 1853, in-8, p. 375. (2) Lallemand, Des pertes séminales involontaires. Paris, 1842, t. lit, p. 327. 750 INCONTINENCE D’üRlNE. ment qui a obtenu six fuis la guérison, entre autres chez trois médecins. L’un de ces derniers, praticien distingué de Pologne, a rédigé son observation en m’engageant à la publier. (Je la réserve pour un travail spécial, lorsque j’aurai recueilli un assez grand nombre de faits.) Ses pertes séminales dataient de dix-neuf ans; elles avaient résisté à tous les traitements dirigés cependant par des praticiens renommés, par le professeur Piragoff entre autres. Elles l’avaient fait tomber dans cet état physique et moral si bien décrit par Lallemand. Après une trentaine de séances pratiquées dans l’espace de trois mois, sa guérison était complète. Aujourd’hui, cinq mois après ce traitement, cette guérison s’est parfaitement maintenue. Lorsqu’on a vu les pertes diminuer et qu’il est indiqué d’agir contre l’impuissance, on excite les testicules en plaçant sur ces organes des rbéophores humides. Il faut mettre beaucoup de pru- dence dans la pratique de cette opération, qui est douloureuse, et ne faire passer qu’un courant modéré et à, rares intermittences et de la deuxième hélice. Il m’est arrivé deux fois, m’étant écarté de cette manière d’agir, de développer une névralgie des testicules qui persista plusieurs semaines. Cette névralgie était caractérisée par une douleur dans l’hypogaslre qui remontait dans les lombes, et n’apparaissait que par intervalles. M. de L... n’avait pas de pertes séminales, il n’avait point abusé des plaisirs vénériens ; j’attribuais son impuissance à l’anesthésie, et je pus exciter énergiquement la sensibilité des vésicules, des tes- ticules, de la peau du pénis, du scrotum et du canal de l’urèthre. C’est certainement ce que je n’aurais pu faire impunément chez un malade qui aurait eu des pertes séminales. § III. — Incontinence d'urine. Je n’ai pas eu l’occasion d’appliquer la faradisation localisée au traitement de l’incontinence d’urine. Si elle se présentait, je dirigerais l’excitation électrique sur le col et sur le sphincter de la vessie. On sait, en effet, que c’est à la paralysie ou à l’atonie de ces parties qu’est dû l’écoulement invo- lontaire de l’urine. Voici comment j’agirais dans ce cas : j’intro- duirais dans le rectum le rhéophore rectal à olive, et je le pro- mènerais sur tous les points correspondants du releveur de l’anus, pendant que l’extrémité d’une sonde métallique, isolée seulement à son extrémité, serait maintenue au niveau du coi de la vessie. Le courant d’induction serait aussi intense et aussi rapide que pos- sible, et je donnerais la préférence à celui de la première hélice. Ce procédé opératoire me paraît devoir réussir. ÉTRANGLEMENT INTERNE, 751 § IV. — Constipation. A. La constipation est, comme la dysurie, une des complications ordinaires de la paraplégie. Les malades ne vont à la garderobe qu’au moyen de lavements ou de purgatifs. Il m’a suffi quelquefois, dans ces cas, de faradiser les muscles de l’abdomen pendant quel- ques séances pour rétablir la liberté du ventre, ce qui démontre que la constipation ou la difficulté des garderobes peut dépendre de la paralysie ou de l’affaiblissement des muscles abdominaux. On con- çoit aussi que la paralysie du diaphragme soit une cause de consti- pation, et qu’alors elle ne puisse disparaître qu’avec la guérison de cette paralysie. A la paralysie des muscles auxiliaires de la défécation se joint fréquemment la paralysie du rectum ; il faut agir alors directement sur cet intestin avec le rhéophore rectal, comme je l’ai décrit à la page 86. Ce procédé, simple et peu douloureux, m’a réussi fréquemment. J'ai cité comme exemple un cas de constipation qui, datant de trois semaines et occasionnant un ballonnement considérable du ventre, céda à une seule excitation du rectum, après avoir résisté pendant quinze jours aux purgatifs administrés de toutes les façons. La constipation, qui reparut à deux reprises chez la malade qui en était tourmentée, fut vaincue chaque lois de la même manière. B. Étranglement interne. — Le cours des matières fécales peut être interrompu par une obstruction du conduit intestinal. Les causes de cette obstruction, on le sait, sont variables et produisent les symptômes graves de la maladie décrite sous le nom de vol- vulus, iléus, passion iliaque, colique de miséféré, etc. Quelle que soit la cause de ce volvulus, qu’il y ait étranglement par des brides ou par des ouvertures dans lesquelles l’intestin se serait engagé; qu'il y ait contournement, entortillement des circonvolutions intestinales entre elles; que le canal intestinal soit obstrué par suite de l’inva- gination d’une portion d’intestin dans une autre, il n’existe qu’une seule indicationà remplir: dégager V intestin. Or, de tous les moyens qui ont été employés dans ce but, et l’on sait combien ils sont nom- breux, je ne crois pas qu’il en existe un plus efficace que l’excita- tion électrique dirigée sur les muscles abdominaux et sur le tube digestif. La faradisation pratiquée énergiquement, et avec des intermit- tences éloignées d’une seconde les unes des autres, sur chacun des points de la paroi musculaire de l’abdomen, secoue partiellement la 752 ÉTRANGLEMENT INTERNE. masse intestinale, de manière à provoquer des contractions en tous sens et à dégager l’anse intestinale étranglée ou comprimée. Ces contractions musculaires de l’abdomen doivent être combinées avec celles de l’intestin. Mais il faut savoir que celles-ci n’ont pas lieu par secousses comme les premières. En effet, quand on excite directement l’intestin d’un animal après l’avoir éventré, on ne peut provoquer des contractions intermittentes dans aucun point de sa couche musculeuse, quelle que soit l’intensité du courant. L’intestin se resserre en tous sens et se réduit à un très petit volume par une sorte de mouvement ver- miculaire. Ainsi, j’ai vu le gros intestin du cheval se réduire, dans le point excité, à 3 ou U centimètres de diamètre dans l’espace de quelques secondes. L’inlestyi ne commence à se contracter (pie trois ou quatre secondes après qu’il a été excité; il reste dans cet état pendant plusieurs minutes et revient très lentement à son volume primitif. On conçoit donc que si l’on pouvait agir aussi directement sur le point de l’intestin où existe l’étranglement, on lèverait facilement l’obstacle au cours des matières fécales. Malheu- reusement il est impossible de localiser ainsi l’excitation électrique dans l’intestin à travers la paroi abdominale; mais on provoque facilement des contractions analogues dans toute la masse intesti- nale, par une sorte d’action rétlexc de la moelle, en plaçant, comme je l’ai déjà dit, un rhéophore dans le rectum, et l’autre sur un autre point plus ou moins éloigné, sur l’abdomen ou à l’orifice cardiaque, à l’aide de la sonde œsophagienne. Observation CXC. — En 1831, j’ai appliqué ce procédé avec succès à un cas d'étranglement interne qui avait résisté pendant trois jours à tous les moyens employés en pareil cas. (L’observation de ce fait, que j’avais recueilli avec détail, a été égarée. Le malade se nommait M. Gondret, passementier en or, demeurant rue Saint-Dénis, n° 293. — C’est par les conseils deM. Chomel que la faradisation intestinale avait été pratiquée dans ce cas, comme moyen extrême.) Ce beau résultat obtenu par la faradisation localisée a été tellement immé- diat, qu'il me paraît impossible de le contester. Ainsi, le malade fut sou- lagé aussitôt après l'application ; le hoquet, qui durait depuis deux jours, disparut; un peu plus lard des gaz furent rendus avec quelques matières, et les vomissements, qui avaient l'odeur de matières stercorales, furent arrêtés ; une heure après, eut lieu une seconde selle, un peu plus abondante, et quand les médecins et chirurgiens consultants arrivèrent pour opérer le malade, dans le cas où les accidents de l’étranglemertl auraient persisté, le malade était guéri. Je ne saurais dire exactement par quel mécanisme ici l’étrangle- ment interne a cessé d’exister, bien que je le soupçonne; mais l’es- sentiel c’est que le moyen employé ait réussi. A ce succès j’ai mal- heureusement à opposer deux insuccès. ÉTRANGLEMENT INTERNE. 753 Observation CXCI. —En 1852, j'ai été appelé par mon confrère, M. Vigny, à essayer ce môme procédé, chez un de ses malades, demeurant rue Caumarlin, n° 44, et qui, depuis plusieurs jours, éprouvait tous les sym- ptômes d'un étranglement interne. Les purgatifs en lavements cl en potions, les bains, la morphine pour calmer les coliques atroces du malade, les dou- ches froides ascendantes par le rectum, tout avait été tenté vainement. La faradisation des parois abdominales et de l'intestin par le procédé que j’ai décrit, produisit immédiatement un grand soulagement. Le hoquet et les vomissements ne reparurent plus pendant vingt-quatre heures ; une selle eut lieu quelques heures après l’opération. On croyait le malade guéri, lorsque le surlendemain apparurent de nouveau et plus graves que jamais les symptômes de l'étranglement interne. Une seconde application de la faradisation localisée ne produisit qu’un soulagement momentané, et deux jours après le malade succomba. — J'ai oublié de dire que ce malade n’avait pas de hernie à laquelle on pût rapporter l'étranglement, mais il souf- frait depuis longtemps d'un grand trouble dans les fonctions digestives, que son médecin rapportait à un étal c:'rcinomaleux (il était sujet à uno constipation qui allait en s’aggravant). On sentait, un peu au-dessous du flanc droit, une tumeur inégale et douloureuse au toucher. L’autopsie n’a point été faite, mais on est en droit de supposer qu’il s'est fait une coarcta- tion dans le point carcinomateux do l'intestin, et que c’est ce qui a produit l’étranglement interne. Observation CXC1I. — En 1849, j’avais été appelé par M. Leroy (d’Éliolles) à appliquer ce même procédé chez M. X... demeurant boulevard Montmartre, n° -t 0, et chez lequel on avait épuisé vainement tous les Moyens de réduire une hernie inguinale étranglée depuis quarante-huit heures. La faradisation ne produisit aucun résultat. Voilà les seuls cas d'étranglement dans lesquels j’ai essayé l'in- fluence thérapeutique de la faradisation localisée. On a vu, en résumé, que dans un cas(obs. CLXXX1X) le succès a été aussi com- plet que possible et a sauvé le malade d’une opération sanglante; que dans un autre cas (obs. CXCI), l’opération n’a produit qu’un soulagement passager, et que dans un troisième (obs. CXCI) elle n’a eu aucun résultat. Il me paraît juste de faire remarquer que dans le cas où la faradisation localisée avait dissipé tous les acci- dents d’étranglement pendant vingt-quatre heures (obs. CXC], DUCHENNE. CHUTE DU ItKCTUM. la guérison se serait peut-être maintenue, s’il n’avait existé une lésion organique de l’intestin. Quoi qu’il en soit, toutes choses égales d’ailleurs, n’aurais-je obtenu qu’une guérison sur trois cas pat l’application de la faradi- sation localisée, ce seul fait heureux me paraît démontrer que ce mode de traitement est un des meilleurs qu’on puisse opposer à cette grave maladie. 8 ï, — Chute du rceluin par atonie du sphincter de l'anus. Les faits et les considérations que j’ai à exposer dans ce paragraphe ne s’appliquent qu’à la chute du rectum, qui se produit à la suite d’une longue constipation et de la dysenterie, ou chez les enfants cachectiques. Je ferai abstraction de la chute du rectum produite par une cause chirurgicale. Si l’on enfonce un doigt dans l’anus d’un sujet affecté de chute du rectum, on sent qu’il pénètre avec une grande facilité, et que le sphincter se laisse distendre sans opposer la moindre résistance, à tel point que l’on peut introduire successivement dans l’anus trois ou quatre doigts rangés en ligne droite sans éprouver la moindre résistance. Le sphincter n’est pas paralysé dans ce cas, car on voit que le sujet peut le resserrer; et puis, les selles seraient alors invo- lontaires, ce qui n’a pas lieu, on le sait, dans la chute du rectum. Quoi qu’il en soit, il semble que ce relâchement du sphincter de l’anus est produit par le défaut de puissance tonique de ce muscle. Ce fait, que j’avais observé depuis longtemps, me donna à penser que cette atonie du sphincter de l’anus pouvait bien être la princi- pale cause du prolapsus de la muqueuse rectale, détachée préala- blement des autres tuniques du rectum (1). Si cette opinion était exacte, la faradisation du sphincter de l’anus, pratiquée avec un courant à intermittences rapides, pro- cédé qui, ainsi que je l’ai déjà dit et comme je le démontrerai encore par la suite, possède la propriété de rendre aux muscles la force tonique qu'ils ont perdue, et même de les contracturer au besoin, la faradisation, dis-je, ainsi pratiquée devait rendre au (1) Je sais que des anatomo-pathologistes, M. Cruveilhier entre autres, sou- tiennent que le sphincter ne se détache pas dans la chute du rectum, et que ce professeur la considère comme une véritable invagination du rectum, consécu- tive à un état pathologique que je n’ai point à exposer ici, et qu’on observe quel- quefois dans certaines constipations et dans les dysenteries prolongées, ou chez des enfants cachectiques ou affaiblis par de longues maladies. sphincter la force Ionique nécessaire pour contenir la muqueuse rec- tale et empêcher son prolapsus. COUTE DU RECTUM. 755 Voici la relation d’un premier cas de chute du rectum, dans lequel la justesse de mes prévisions a été démontrée par l’expéri- mentation. Observation CXCI1I. — Chute du rectum chez un homme âgé de trente-cinq ans, et aggravée par la dysenterie. — Perle de l’atonie du sphincter de l'anus avant la faradisation localisée. — Retour de la force tonique de ce muscle après celle opération, et disparition delà chute du rectum. Dans le courant du mois de juillet 4853, M. Ph. Boyer m'engagea à essayer l’intluence thérapeutique de la faradisation localisée dans un cas de chute du rectum, dont était affecté un malade de son service (Hôtel-Dieu, salle Saint-Jean, n° 16). Ce malade, âgé de trente-cinq ans, avait peu souf- fert de cette infirmité qui datait de son enfance, lorsqu'une dysenterie, qu’il contracta en Afrique en 1852, rendit sa chute du rectum très doulou- reuse. Il dut alors revenir en France, et entra à I Hôlel-Dieu pour s’en faire traiter, et surtout pour se débarrasser d’un flux de sang rebelle. M. Boyer le guérit assez rapidement de sa dysenterie et de son hémorrhagio intestinale, mais la chute du rectum persista, lui occasionnant des souf- frances assez vives. Le sphincter de l’anus était complètement relâché, de telle sorte qu'une portion du rectum faisait un bourrelet continuel à l’exté- rieur, et qu’il lui suffisait du moindre effort, comme d’aller à la garderobe ou de tousser, pour en faire sortir une plus grande portion. Le sphincter était relâché au point qu’on pouvait facilement introduire trois ou quatre doigts dans l’anus. C’est dans ces conditions que je tentai la faradisation localisée, dans le but de produire un spasme du sphincter de l’anus. Je plaçai un rhéophore olivaire dans l’anneau rectal, et un second rhéophore humide (une éponge enfoncée dans un rhéophore cylindrique) sur le périnée. Je fis ensuite passer un courant à intermittences rapides de mon appareil gradué au maximum pendant huit à dix minutes. — yiprès celte opération, le rectum ne sortit plus, quelque effort que fit le malade pour obtenir ce résultat. Dans la journée, il se présenta même plusieurs fois sur le siège, et non- seulement son rectum ne sortit pas, mais le malade ne put aller à la garde- robe, ce qu’il attribua à une résistance qu’il ressentait dans le point occupé par le sphincter. Quelques jours après cette opération, je revis ce malade et j’appris que chaque malin on avait excité son anus, ainsi que je l’avais fait moi-même, et que son rectum ne sortait plus. — J’introduisis un doigt dans cet anus, et je le sentis fortement serré par son sphincter. — L’in- fluence de l’excitation électrique sur la contractilité tonique du sphincter avait été immédiate et avait persisté dans l’intervalle des opérations. Ce premier essai paraissait devoir être couronné de succès, lorsque le malade, 756 chute ;;u iiectum. rappelé chez lui par des affaires de famille, demanda sa sortie. — Pendant les huit ou dix jours que j’ai pu l’observer, j'appris de lui que son anus ne sortait plus. Le fait que je viens de rapporter est la démonstration la plus complète de la justesse de mes prévisions. En effet, dans cette chute du rectum, très ancienne (datant de l’enfance et aggravée par une dysenterie), on constate un relâchement considérable du sphincter de l’anus, qui, après la faradisation convenablement appliquée, se resserre immédiatement au point de permettre à peine à un seul doigt de pénétrer dans le rectum, tandis qu’auparavant quatre ou cinq doigts y entraient facilement; puis à dater de ce moment, le rectum ne sort plus au dehors, môme lorsque le malade se livre à de grands et longs efforts pour aller à la garderobe; auparavant il lui suffisait, au contraire, de tousser pour que le prolapsus eût lieu. On ne saurait méconnaître, dans ce cas, la parfaite corrélation de ces phénomènes, savoir: d’une part, relâchement du sphincter et chute du rectum ; de l’autre (après l’opération), constriction du sphincter et disparition du prolapsus. En résumé, it me paraît ressortir de ce fait que l'atonie du sphincter de l'anus est la cause réelle du prolapsus du rectum, préalablement détaché des parties voisines sous l'influence d’un état pathologique quel- conque, et qu’on empêche le prolapsus en rétablissant la tonicité de ce sphincter. Quelques mois après l’observation de ce fait, que j’avais commu- niqué à M. Debout pour être publié dans le Bulletin de thérapeu- tique, un interne distingué de l’Hôtel-Dieu, M. Duchaussoy, soute- nait dans un excellent travail (1), la proposition que je viens de formuler, s’appuyant sur un autre ordre de faits qu’il avait observés dans le service de M. Guersant. On sait que cet habile chi- rurgien des enfants traite la chute du rectum en appliquant quatre boutons de feu disposés en croix sur l’anus, au point où la muqueuse et la peau viennent se confondre. M. Duchaussoy dit que sur onze enfants ainsi cautérises, M. Guersant en a guéri dix. Ce praticien (2) dit qu’en agissant ainsi, son but est de provoquer une légère inflam- mation qui modifie le tissu cellulaire sous-muqueux, le resserre et retient ainsi l’intestin disposé à s’échapper. Mais M. Duchaussoy interprète ces guérisons autrement que M. Guersant: « Que le cau- tère, dit-il, agisse ainsi sur le tissu cellulaire, cela est assez vraisein- (1) De la cause immédiale cl du traitement de la chute du rectum chez les enfants (Archives générales de médecine, numéro de septembre 1850). (2) Union médicale. 11 septembre 1852. CUUTE DU RECTUM. 757 blable; mais cette action ne doit pas s’étendre beaucoup au delà des points cautérisés, et cette légère inflammation doit être un bien faible obstacle à la sortie d’une portion d’intestin longue de 5 à 10 centimètres, surtout si l’on songe qu’il lui faut parfois résister à des efforts tellement puissants, que la main d’un homme vigoureux ne peut les vaincre pour réduire l’intestin. » Mais ce que l’on peut constater avec certitude, au contraire, après cette cautérisation, le voici : » Aussitôt que l’intestin a cessé de sortir, ce qui peut arriver immédiatement après l’opération, le doigt, introduit dans l'anus du malade, éprouve de la port du sphincter une constriction dont il n'y avait pas de manifestation avant l'application du cautère. » (M. Du- chaussoy avait constaté qu’auparavant, le sphincter était relâché au point de permettre l’entrée facile de trois ou quatre doigts dans le rectum, tandis qu’à l’état normal, l’introduction d’un seul doigt est difficile et arrache des cris aux enfants.) Ces faits viennent donc à l’appui de ceux qui ressortent de mes expériences, ou plutôt ces dernières rendent vraisemblable l’expli- cation donnée par M. Duchaussoy du mécanisme de la guérison-de la chute du rectum par la cautérisation. Comme corollaire de l’interprétation des faits observés chez M. Guersant, M. Duchaussoy formule la proposition suivante: « Tout procédé qui parviendra à faire cesser la paralysie du sphinc- ter, soit en simplifiant la cautérisation, soit même en lui substituant d’autres excitants du système musculaire plus puissants, ou moins désagréables, pourra être regardé comme un progrès dans le traite- ment de la chute du rectum. » Puis, après avoir démontré les inconvénients de la cautérisation par le procédé de M. Guersant qui, bien que si légère, produit quel- ques accidents chez les enfants opérés, IM. Duchaussoy conseille le traitement par la faradisation ; car il est très présumable, ajoute-t- il, que l’électricité pourrait rétablir la contractilité dans un muscle accessible comme le sphincter de l’anus. Si cet observateur avait eu connaissance de l’expérience que j’ai rapportée plus haut (obs. CXC11) et des inductions qui m’avaient conduit à la faire, il ne s’en serait pas tenu à de simples présomptions, puisque dans cette expérience on a vu que la faradisation à intermittences rapides empêche la chute du rectum, en restituant au sphincter de l’anus la force tonique qu’il avait perdue. Deux faits nouveaux sont venus confirmer l’efficacité de la faradi- sation du sphincter de l’anus dans le traitement de la chute du rectum. 758 PARALYSIES PARTIELLES DES MEMBRES. Observation CXC1V.— En 1853, un homme âgé do soixante à soixante- deux ans, était entré à l’Hôlel-Dieu, salle Sainle-Marlhe, pour s’y faire traiter d’un catarrhe vésical. Depuis de longues années, il était affecté d’un prolapsus du rectum qui était devenu très incommode et même douloureux depuis quelque temps. Le sphincter de l'anus était tellement relâché qu’on pouvait introduire facilement les quatre doigts placés de champ dans son anus. M. Roux m’engagea à essayer dans ce cas l’influence de la faradisation localisée. Je plaçai un rhéophore métallique dans l’anus, et un second rhéo- phore humide sur le périnée, et je fis passer un courant rapide. Le malade ressentit une très vive épreinte, et après l’opération, on constata que le rectum était maintenu par le sphincter qui se resserrait fortement, quand on introduisait le doigt dans l'anus. Ces applications furent continuées par M. Duchaussoy, interne du service, qui m’apprit que ce malade était sorti guéri de son prolapsus. (Je n’avais pas pris de note sur ce malade, car M. Duchaussoy m’avait fait connaître son intention d’en publier l'observa- tion. J’ai dû faire appel à mes souvenirs pour exposer la relation de ce fait.) Observation CXCV. — L’autre fait m’a été communiqué par M. Demar- quay, qui en 1854 eut à débarrasser une dame d’un prolapsus du rectum dont elle était affligée depuis l’enfance, et qui, dans les dernières années, lui causait de vives douleurs. Ayant tenté sans succès de maintenir l'in- testin, en pratiquant, selon l’ancienne méthode, l’excision d'une porlionde sa circonférence, il songea à l’électrisation du sphincter de l’anus qui fut pratiquée avec un plein succès. La malade est débarrassée depuis lors de son infirmité. Les faits que j’ai rapportés ne sont pas assez nombreux pour éta- blir d’une manière absolue la supériorité de la faradisation du sphincter de l’anus sur les autres traitements employés contre la chute du rectum; mais ils démontrent qu’on doit l’employer de pré- férence aux opérations sanglantes, qui ne sont pas toujours, comme elle, d’une parfaite innocuité, et auxquelles, d’ailleurs, Userait tou- jours temps de recourir si elle venait à échouer. CHAPITRE XIX. I’aUalVsies partielles des membres. Considérations générales. Je itiè prdpose d’exposer dans ce chapitre l’étude des paralysies partielles des muscles moteurs de l’épaule, de la main et du pied, quelle qu’en soit la cause oü à quelque espèce morbide qu’elles appartiennent. La connaissance exacte de l’action individuelle et des fonctions des muscles qui meuvent les membres, connaissance qui découle de mes recherches électro-physiologiques, jette un grand jour sur les mouvements pathologiques et sur le mécanisme des diffor- mités si nombreuses et si diverses que l’on observe consécutive- ment à la paralysie ou à l’atrophie de ces muscles. CONSIDERATIONS GENERALES. 759 Je vais essayer de faire ressortir l’utilité de ces recherches, en les appliquant à l’étude du diagnostic de ces mouvements patho- logiques et de ces difformités. Bien que les faits de paralysies partielles rapportés par les auteurs aient une valeur incontestable, et qu'ils aient déjà jeté quelque jour sur leur étude, on ne peut nier qu’il règne encore une grande obscurité sur le diagnostic différentiel de ces affections ; j’oserai même dire qu’un certain nombre d’entre elles sont encore incon- nues ou mal définies. Loin de moi la pensée d’accuser ici le talent de ces observateurs qui, pour la plupart, se sont fait un nom célèbre dans la pathologie musculaire; mais il leur manquait le critérium dont je me suis servi pour arriver à la connaissance exacte de ces maladies. On comprend que je veux parler de l’exploration électro-musculaire, de ce moyen qui permet de connaître l’état de chacun des mus- cles presque aussi sûrement qu’avec le scalpel. On n’attend pas de moi une description complète des affections musculaires des membres, ce serait sortir des limites que je dois m’imposer. Je me propose seulement d’exposer rapidement les signes diagnostiques principaux qui peuvent servir à établir leur existence et à les différencier les unes des autres. Je passerai en revue, dans ce chapitre, la plupart des paralysies ou atrophies de chacun de ces muscles et de chacune de leurs por- tions musculaires, quand celles-ci jouiront de fonctions spéciales, ce qui, au point de vue physiologique et pathologique, devrait les faire considérer comme autant de muscles différents. De même qu’il ressort de mes recherches électro-physiologiques, qu’on ne peut conclure de la connaissance de l’action isolée d’un muscle à la connaissance parfaite de la fonction qu’il est appelé a remplir (la fonction musculaire étant toujours le résultat d’une synergie d’actions musculaires), de même, la connaissance de l’ac- tion isolée d’un muscle ne suffit pas pour établir les signes diagnos- tiques de sa paralysie ou de son atrophie. Je n’en citerai qu’un exemple : le grand dentelé, dans son action isolée, élève, on le sait, le moignon de l’épaule en faisant tourner le scapulum sur son angle interne ; il porte aussi le scapulum en masse en avant. Qu’on 760 en décrive donc la paralysie ou l’atrophie d’après la connaissance de ces phénomènes ! On verra bientôt qu’il faut mettre synergique- ment en action ce muscle et le deltoïde, en faisant élever le hras, pour que son défaut d’action se décèle. Je pourrais choisir d’autres exemples dans les muscles moteurs de la main ou du pied. Ayant été à môme d’observer un très grand nombre de paralysies ou d’atrophies locales de ces muscles, j’en ai compris le mécanisme, grâce à mes recherches électro-physiologiques. C’est de la connais- sance de ces faits pathologiques seulement que je tirerai les signes diagnostiques des paralysies et des atrophies locales des membres. paralysies partielles des .membres. Qu’un mouvement n’ait pas lieu, ou par suite de la destruction du muscle qui préside à ce mouvement, ou par suite de sa para- lysie, le résultat est toujours le même. En conséquence, les troubles fonctionnels qu’on observe dans les différents mouvements des membres, serviront également <à la séméiologie des atrophies ou des paralysies des muscles qui les meuvent. Mais je dois dire qu’il n’en est plus toujours de mémo pour les difformités occasionnées par l’altération de la contractilité tonique, soit dans l’atrophie, soit dans la paralysie. Il ressort en effet de plusieurs faits bien observés, que dans la paralysie sans altération de nutrition, la contractilité tonique des muscles paralysés, bien que diminuée, est encore assez grande pour maintenir le membre dans sa position normale. Eu voici la preuve : un malade avait perdu les mouve- ments de tous les muscles qui meuvent l’épaule sur le tronc et le bras sur l’épaule ; mais après six mois de maladie, ils étaient à peu près aussi développés que du côté opposé. Eh bien! ces mômes muscles n’avaient pas perdu leur force tonique, qui maintenait l’épaule dans son altitude presque normale; le côté malade était seulement plus abaissé en masse que le côté sain, par le fait de la pesanteur du bras. Rapprochez ce cas de ces atrophies qui portent également sur un grand nombre de muscles qui meuvent et fixent l’épaule, et vous verrez que, dans ces derniers cas, l’atrophie du trapèze occasionne, outre la chute du moignon de l’épaule, un écartement de 10 centimètres du bord spinal du scapulum, et un mouvement de bascule de cet os, qui porte l’angle inférieur en dedans et en haut en le faisant saillir sous la peau; que l’atrophie du rhomboïde détache du thorax tout le bord spinal du scapulum. N’est-il pas permis de conclure de ces considérations que, s’il est vrai que la paralysie et l’atrophie des muscles de l’épaule occasion- nent les mêmes troubles fonctionnels dans les mouvements volon- taires, il faut bien reconnaître aussi que l’atrophie musculaire ou la perte de la tonicité produit, en outre, des attitudes vicieuses du scapulum pendant le repos musculaire. Ces raisons m’engagent à ne choisir alors pour sujet de mes descriptions que des atrophies musculaires en général, et surtout pour les muscles moteurs de l’épaule. Les signes diagnostiques tirés de l’attitude des membres, à l’état de repos, seront principalement applicables à l’atrophie musculaire, et ceux qui sont fournis par la perte des mouvements volontaires se rapporteront également à cette dernière affection et à la paralysie simple sans atrophie. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 761 Ce chapitre sera divisé en trois articles : le premier sera consacré aux paralysies des muscles moteurs de l’épaule sur le tronc et du bras sur l’épaule, le second aux paralysies des muscles moteurs de la main et le troisième aux paralysies des muscles moteurs du pied. Forcé de me resserrer, je présenterai ces études sous forme de résumé, sacrifiant les faits pathologiques nombreux et des plus intéressants qui en forment la base. Dans l’exposition de ces études pathologiques, je rappellerai tou- jours les laits physiologiques fondamentaux mis en lumière pannes recherches électro pathologiques, et sans lesquels on ne saurait comprendre les troubles fonctionnels, occasionnés par les para- lysies partielles des membres et les difformités qui en sont la con- séquence. La thérapeutique de ces paralysies partielles ayant été exposée dans les chapitres consacrés aux différentes espèces morbides qui produisent ces paralysies partielles, je n’aurai plus à y revenir. Possédant exactement le mécanisme des mouvements pathologi- ques et des déformations consécutives à ces paralysies ou à ces atro- phies, il m’a été permis d’imaginer des moyens prothétiques nou- veaux qui, en rétablissant l’équilibre des forces toniques desquelles dépend la conformation ou l’attitude normale des membres, pré- viennent les déformations et en même temps viennent en aide au traitement de la lésion musculaire et principalement à la faradi- sation localisée. Les appareils dans lesquels je me sers de la force élastique, employée bien avant moi dans la pratique, sont construits d’après les données fournies par mes recherches électro-physiolo- giques sur l’action propre des muscles; c’est seulement ce qui en constitue la nouveauté. J’en ferai connaître les principes elles appli- cations dans un appendice intitulé : Prothèse musculaire, après avoir exposé l’étude des paralysies partielles des membres. ATROPHIE ET PARALYSIE DES MUSCLES DE L’ÉPAULE. ARTICLE PREMIER. ATROPHIE ET PARALYSIE DES MUSCLES MOTEURS DE L’ÉPAULE SUR LE TRONC ET DU BRAS SUR L’ÉPAULE (1). § I. — Atrophie et paralysie du trapèze. A. — Portion claviculaire du trapèze. Les signes diagnostiques de la paralysie de la portion claviculaire sont faciles à reconnaître. Il suffit de provoquer un effort d’éléva- tion volontaire des épaules ou une grande inspiration pour le voir entrer en contraction. La portion claviculaire (respiratrice) du trapèze peut perdre la faculté de se mouvoir sous l’influence de la volonté, alors qu’elle conserve encore celle de se contracter instinctivement dans les grandes inspirations. Cette proposition ressort de faits pathologiques dans lesquels j’ai observé consécutivement à la lésion des plexus cervical et brachial, l’impossibilité d’élever directement les épaules, tandis que la por- tion claviculaire du trapèze se contractait énergiquement pendant les grands efforts d’inspiration. J’ai constaté, au contraire, que, dans certains cas, la portion res- piratrice du trapèze ne se contracte plus instinctivement pendant les grands mouvements inspiratoires, alors même qu’elle se contracte sous l’influence de la volonté. D’autres fois, enfin, j’ai vu à la suite d’une plaie contuse du cou qui avait intéressé quelques filets nerveux, la portion claviculaire du trapèze ne se contracter ni pendant l’élévation volontaire de l’épaule ni pendant les fortes inspirations. J’en ai conclu, que pour que la portion claviculaire du trapèze soit entièrement paralysée, il faut que les deux nerfs qui l’animent (le nerf propre du trapèze et la branche externe du spinal) ne lui appor- tent plus l’aliment nerveux. B. — Portion élévatrice (tiers moyen) du trapèze. Le premier signe de la paralysie ou de l’atrophie de la portion moyenne du trapèze, c’est l’abaissement du moignon de l'épaule pendant le repos musculaire. Pour que le parallélisme normal du bord spinal du scapulum soit dérangé, comme dans la figure 99, il (t) En 18S3, j’ai présenté flux Académie* de* sciences et de médecine de Pari* Un mémoire intitulé : Recherches éleclro-physiologiqucs et pathologiques sur les muscles de l’épaule. Ce mémoire a été publié dans la première édition dccejlivre. Paris, 1835, p. 275 et suiv* faut que la portion moyenne du trapèze et surtout le faisceau qui s’attache à l’acromion soient complètement détruits. Ce mouvement de bascule est plus grand, lorsque la portion inférieure de ce muscle, qui retient, on le sait, l’angle interne du scapulum abaissé, est également atrophiée. C’est ce qui était arrivé chez le sujet repré- senté par la figure 99. Pendant le repos musculaire, et lorsque ses bras tombent sur les côtés du tronc, le moignon de l’épaule du côté malade est plus abaissé, l’angle inférieur B du scapulum est plus élevé et plus rapproché de la ligne médiane, le bord spinal de cet os est oblique de dedans en dehors et de bas en haut. Le mécanisme de cette difformité a été exposé dans les études physiologiques. Je rap- pellerai seulement qu’alors le scapulum est pour ainsi dire suspendu par son angle interne A, auquel s’attache l’angulaire, comme un triangle par son sommet. L’élévation volontaire de l’épaule est encore possible, mais elle est limitée et se fait avec moins de force. Alors la portion inspiratrice du trapèze se contracte avec plus d’énergie et semble vouloir remplacer le tiers moyen du trapèze, sa portion élévatrice, qui est atrophiée ; elle est aidée dans cette action par l’angulaire de l’omoplate. Quand Télé* vation volontaire de l’épaule rencontre de la résistance, elle se fait encore avec assez d’énergie, malgré l’atrophie de la portion élé- vatrice du trapèze, grâce au concours puissant du tiers supérieur du grand pectoral. L’attitude du scapulum, consécutivement ti l'atrophie complète de la portion élévatrice du trapèze, offre quelque analogie avec la contracture du rhomboïde. J’exposerai par la suite le diagnostic dit*-* férentiel de ces deux affections musculaires (chap. XVIII), ATROPHIE ET PARALYSIE DU TRAPÈZE. 763 Fig. 98. G. *— Portion adduetrice (tiers inférieur) du trapèse, Dans presque tous les faits qui jusqu’il ce jour ont été soutnis à mon observation, c’est la portion adductrice du trapèze qui a élé la première atteinte par l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Cette portion du trapèze est toujours paralysée ou atrophiée dans la paralysie ou l’atrophie du grand dentelé. C’est du moins ce qui res- sort d’une cinquantaine de laits que j’ai recueillis. ATROPHIE ET PARALYSIE DES MUSCLÉS DE L’ÉPAULE. Alors on ne retrouve plus aucune des libres de celte portion musculaire par l’exploration électrique ; ou si la transformation graisseuse n’est pas complète, on voit encore quelques faisceaux se soulever par l’excitation électrique, sans imprimer le moindre mou- vement au scapulum, ces faisceaux étant trop rares pour agir sur cet os. Consécutivement à cette atrophie partielle du trapèze, le scapulum est entraîné en dehors et en avant, et cela d’autant plus que l’atro- phie est plus avancée. Pour comprendre le mécanisme de cette atti- tude morbide, il suffit de se rappeler que ces libres atrophiées ont justement pour fonction principale de maintenir le scapulum à sa distance normale de la ligne médiane. Par suite de ce mouvement du scapulum, le dos s’arrondit transversalement, la clavicule et le moignon de’l’épaule sont plus saillants en avant, et la face anté- rieure de la poitrine se creuse transversalement. La figure 100 représente l’altitude des scapulum d’un malade qui avait entièrement perdu la portion adductrice de ses trapèzes. Le bord spinal de chaque scapulum se trouvait des deux côtés à une distance de 10 centimè- tres de la ligne médiane ; son dos était très arrondi et la partie antérieure de la poitrine était comme enfoncée par suite de la saillie de ses clavicules et du moignon de ses épaules. Quand il voulait rapprocher scs scapulum en arrière, on les voyait s'élever et tourner en obéissant à l’action des rhom- boïdes. Cependant il pouvait encore opérer ce rapprochement, grâce aux fibres supérieures de son grand dorsal qui était très développé, fibres qui, ainsi que je l’ai démontré, ont le pouvoir de rapprocher directement les scapulum de lu ligne médiane. Cette attitude vicieuse du scapulum et ces troubles dans les mou- vements de cet os sont bien plus apparents quand l’atrophie de la portion adductrice du trapèze n’existe que d’un côté. Ainsi, chez le sujet de la figure 100, qui a perdu la portion adductrice de son tra- pèze droit, l’épine du scapulum du même côté se trouve pendant le repos musculaire à une distance de 10 centimètres de la ligne mé- diane, ce qui fait un contraste frappant avec l’altitude normale de son scapulum gauche, dont le bord spinal n’est éloigné que de 6 centimètres de la ligne médiane. Veut-il rapprocher les scapulum l’un de l’autre, on voit du côté malade (voy. lig. 101) le scapulum ATROPHIE ET PARALYSIE DU IRA! ÈZE. s’élever en tournant sur son angle externe, tandis que du côté sain le scapulum effectue son mouvement normal. Je n’ai pas besoin d’insister pour faire ressortir l’importance de ce nouveau signe diagnostique de la portion adductrice du trapèze. Quand l’atropine musculaire a détruit à la fois les portions ad- ductrice et élévatrice du trapèze, on trouve réunis les signes dia- 765 Fig. 99. Fig. 100. gnostiques de chacune de ces affections, que j’ai décrites isolément. Dans ces conditions, l’épaule semble prête à se détacher du tronc ; le poids du membre supérieur occasionne dans les points correS' pondants aux attaches du trapèze des tiraillements douloureux qui obligent quelquefois le malade à se coucher pour se soustraire à l’action de cette pesanteur du membre supérieur. Je dois dire, en terminant, ce qui a trait à la pathologie du tra- pèze, que son atrophie ne dérange en rien les mouvements du bras, si l’on en excepte toutefois l’élévation verticale de ce membre, qui paraît alors un peu affaiblie par la perle de la portion moyenne de ce muscle. 766 ATROPHIE ET PARALYSIE DES MUSCLES DE L’ÉPAULE. § H. — Atrophie et paralysie du grand dentelé. On a confondu sous le nom de paralysie du grand dentelé, une alfeclion complexe dans laquelle un ou plusieurs muscles ou fais- ceaux musculaires se trouvent ou atrophiés, ou paralysés, ou con- tracturés. C’est ce dont on se convaincra facilement en relisant les observations de paralysies du grand dentelé qui ont été publiées (1), quand on aura pris connaissance des signes qui caractérisent cha- cune de ces lésions musculaires, signes qu’il m’a été permis d’éta- blir, après en avoir constaté l’existence à l’aide de la faradisation localisée. Pour faciliter et rendre plus claires ces éludes de diagnostic dif- férentiel, j’exposerai d’abord les signes qui n’appartiennent qu’à l’atrophie du grand dentelé, me réservant de grouper autour de celle-ci, ou les affections qu’on a faussement diagnostiquées: para- lysies du grand dentelé, ou celles qui les compliquaient ordinaire- ment, et qui cependant ont été méconnues. C’est en faisant imprimer certains mouvements volontaires au membre du côté malade, que l’on voit se démasquer les signes vrai- ment pathognornoniques de la paralysie du grand dentelé. Je vais les décrire ; A l’instant où le malade écarte le bras du tronc, et principale- ment quand il le porte en avant, on voit le scapulum exécuter deux mouvements principaux : 1° un mouvement de rotation sur son axe vertical, de telle sorte que le bord spinal B, lig. 102 de cet os s’éloigne des parois costales ; 2° un mouvement de bascule par lequel l’angle inférieur A s’élève en se rapprochant de la ligne mé- diane, pendant que l’angle externe D est déprimé. . L’étendue de ces mouvements pathologiques du scapulum, pen- dant l’élévation du bras, est en raison directe du degré de la para- lysie ou de l’atrophie du grand dentelé. Ainsi au degré le plus avancé de cette lésion, le scapulum se détache du thorax, sous la lorme d’une aile, en soulevant la peau qui se replie dans l’espace compris entre son bord spinal et la paroi costale, de manière à former une sorte de gouttière profonde (fig. 103), de k à 5 centimè- tres, ou qui, lorsque le trapèze et le rhomboïde sont également atro- phiés, s’enfonce entre la face antérieure du scapulum et les côtes, comme si un vide se faisait sous elles, et y forme une vaste excava- (1) La Gazelle des hôpitaux, du 21 juin 1843 au 3 juin 1848, a publié quinze observations de paralysies dites du grand dentelé. ATltÜPHIE ET PAIULYSIE DU G1UND DENTELÉ. 767 tiun dans laquelle on peut loger la main tout entière jusqu’au creux de l’aisselle (B, C, tig. 104). Pendant ce mouvement de rotation sur Taxe vertical du scapulum, la dépression de l’angle externe de cet os est telle que le bras atteint à peine la direction horizontale, et que, pour l’élever un peu plus, le malade incline instinctivement le tronc du coté opposé. L’élévation du bras étant aussi limitée, on serait porté à admettre Fig. 101 . Fig. 102. dans ces cas la possibilité de la complication d’une paralysie du deltoïde; mais il suffit de fixer solidement avec la main le scapufum contre la poitrine, en portant en avant son angle inférieur, pour se convaincre que le malade peut facilement élever le bras verti- calement : ce qu’il ne pourrait faire évidemment, si le deltoïde était paralysé. Ces signes sont loin d’être aussi tranchés lorsque l’atrophie du grand dentelé est moins avancée. Il importe donc de connaître les symptômes qui annoncent le début de cette maladie ; je vais les exposer. En faisant porter un peu en dehors les bras d’un sujet ATllOl’llIli ET PAUALVS1E DES Ml'SCLI.S DE E EPAULE. dont on explore les muscles de l epaule, si l’on voit saillir de 1 à 3 centimètres le bord spinal du scapulum, et qu en même temps l’angle intérieur de cet os se porte un peu moins en avant que du côté opposé, on peut être certain que le grand dentelé commence à s’atrophier ou à se paralyser, bien que 1 élévation verticale se tasse encore normalement. C’est parce que j’ai observé ces premiers symptômes au début de plusieurs atrophies du grand dentelé, qui ont ensuite progressé, que je les décrits comme appartenant au premier degré de celte maladie. j’ai observé ce premier degré de paralysie ou d’atro- phie du grand dentelé chez une jeune tille âgée de qua- torze ans. Sitôt qu’elic écar- tait le bras droit du tronc, le bord spinal de son scapu- lum s’éloignait du thorax, ce qui n’avait pas lieu du côté opposé. Mais, au delà de ce degré d’écartement du bras, le bord spinal du scapulum s’appliquait solidement con- tre le thorax, puis cet os exécutait normalement son mouvement de bascule, pendant l’élévation du bras. J’ai encore observé chez deux autres jeunes tilles, l’une âgée de treize ans, l’autre de neuf ans, pendant un léger écartement du bras, le même mouvement pathologique du scapulum, trahissant un commencement de paralysie ou d’atrophie du grand dentelé. Dans tous ces cas, j’ai constaté que ce dernier muscle se contractait électriquement beaucoup moins énergiquement du côté malade que du côté sain. f'iG. 103. Cette lésion musculaire n’occasionne, à ce degré, aucune souf- france, aucune gêne dans les mouvements du membre supérieur; c’est seulement une difformité apparente dans certains mouvements, dans certaines attitudes. Les signes pathognomoniques de l’atrophie du grand dentelé, exposés ci-dessus, ne se manifestent que pendant l’élévation volon- taire du bras. J’ai démontré, en effet, que l’atrophie du grand den- telé n’occasionne aucune difformité appréciable dans l’attitude de l’épaule, pendant le repos musculaire et lorsque les bras tombent sur les côtés du tronc, à moins, toutefois, que les deux tiers infé- rieurs du trapèze ne soient en même temps entièrement atrophiés (on verra plus tard quelle est alors l’attitude du scapulum). Ainsi il eût été certainement impossible de soupçonner l’existence de cette grave affection musculaire chez les sujets représentés dans les ATROPHIE ET PaRALYî-IE DU GRAND DENTELÉ. Fie. 105(1). Fig. 106. figures 105 et 106, lorsqu’ils laissaient pendre leurs bras sur le côté du tronc. Que l’on compare, en effet, ces dernières figures aux figures 101, 102 et 103 dessinées d’après ces mômes sujets pendant l’élévation des bras, et l’on se fera une idée exacte de l’attitude des scapulums à l’état de repos ou à l’état de mouvement, quand le grand dentelé a perdu son action. (1) Le n° 98 se rapportant à une planche lithographiée, le n° d'ordre de chacune des figures doit avancer d’un rang, depuis 98 qui devient 99 jusqu’il 103 qui devient 104. DÜCHENNE. 770 ATKOPIIIE ET PAHALYSIE DES MUSCLES DE L’ÉPAULE. Je démontrerai plus loin, quand je traiterai du diagnostic diffé- rentiel de la paralysie du deltoïde, qu’il existe un signe pathogno- inonique à l’aide duquel on peut établir le diagnostic de la para- lysie ou de l’atrophie du grand dentelé, alors même que le malade ne peut élever volontairement sou bras. § III. — Atrophie et paralysie du deltoïde; ses complications. Les symptômes de l’atrophie et de la paralysie du deltoïde sont tellemen t apparents, le diagnostic en est si facile, que je ne me serais pas arrêté sur ces affections musculaires, si trop souvent elles ne masquaient pas des complications plus ou moins graves, dont le diagnostic ne laisse pas que d’offrir quelques difficultés, et qui, jusqu’à ce jour, me paraissent avoir été trop négligées ou mé- connues. A. — Atrophie ou paralysie simultanée du deltoïde et du grand dentelé. Une des complications les plus graves de l’atrophie ou de la para- lysie du deltoïde, c’est l’atrophie ou la paralysie du grand dentelé. Mes recherches spéciales m’ont fourni plusieurs fois l’occasion de constater cette complication de la lésion du deltoïde, complication que je n’aurais certainement pas découverte sans l’exploration électro-musculaire. J’ai démontré, en effet, dans le paragraphe II de ce chapitre, que l’atrophie ou la paralysie du grand dentelé n’occasionne aucune difformité notable pendant le repos musculaire, lorsque les bras tombent sur les côtés du tronc ; que les signes pathognomoniques de cette affection se décèlent seulement lorsque le malade élève les bras. Il en résulte donc que si l’agent principal de l’élévation du membre supérieur, le deltoïde, vient à être atrophié ou paralysé en même temps que le grand dentelé, ces signes précieux de diagnostic font nécessairement défaut. On chercherait vainement alors à les reproduire en soulevant soi-même le membre paralysé ; car rien,ne peut remplacer, flans ce cas, l’élévation volontaire ou celle qu’on produit par la faradi- sation localisée du deltoïde. N’ai-je pas démontré en effet précé- demment que c’est l’action propre du deltoïde qui imprime au scapulum les mouvements de bascule et de rotation d’arrière en avant, sur un axe vertical, qu’on observe dans la paralysie ou l’atrophie du grand dentelé, pendant l’élévation volontaire du bras? Que d’atrophies ou paralysies du grand dentelé ont dû échapper ATROPHIE ET PARALYSIE DU DELTOÏDE; SES COMPLICATIONS. à l’observation, alors qu’elles compliquaient la lésion du deltoïde! car il y a lieu de croire que l’existence simultanée de ces affections musculaires n’est pas rare. Dans bon nombre de cas analogues aux précédents, l’exploration électro-musculaire permet d’établir sûrement le diagnostic. En effet, en appliquant les excitateurs d’un appareil d’induction en avant du bord inférieur du grand dorsal sur les points du thorax où se trouvent les digitations du grand dentelé, ou sur le nerf qui Fig. 107. Fig. 108. anime ce muscle, on voit souvent le scapulum rester en place, si le grand dentelé est atrophié ou paralysé, tandis que s’il est sain, cet os obéit à l’action de ce muscle, comme on peut le voir dans la figure 107, à l’instant où il se contracte sous l’influence du courant d’induction. Ce signe négatif annonce d’une manière certaine l’atrophie ou la paralysie du grand dentelé; mais on ne pourrait affirmer que ce muscle ne soit pas lésé, alors môme qu’il réagit sous l’influence du courant localisé dans son tissu ou dans son nerf. 11 peut arriver, en effet, ou que l’atrophie du grand dentelé soit assez peu avancée pour que quelques-uns de ses faisceaux puissent se contracter encore par la faradisation localisée, ou que la paralysie de ce muscle ATROPHIE ET PARALYSIE DES MUSCLES DE l/ÉPAULE. soit do l'espèce do celles qui conservent leur contractilité électro- musculaire (1). J’ai cherché alors quel était, parmi les mouvements volontaires imprimés au scapulum, celui qui exigeait l’action synergique du grand dentelé et d’un ou de plusieurs muscles, et j’ai remarqué que, dans le mouvement des épaules en avant, le grand dentelé entraîne en dehors et en avant le bord spinal du scapulum, pen- dant que le grand pectoral agit sur l’angle externe de cet os par l’intermédiaire de l’humérus auquel il s’attache. H est évident que si, dans ce mouvement volontaire, le grand dentelé vient à ne plus prêter son concours, le bord spinal du scapulum doit rester en place, et l’angle externe de cet os être entraîné en avant. Cette théorie de mécanique musculaire n’a pas tardé à se trouver justifiée par l’observation pathologique. Le sujet représenté dans la figure 105 est le premier sur lequel j’ai constaté ce phéno- mène. On sait que chez ce malade le grand dentelé était paralysé (je l’ai démontré précédemment), mais que son grand pectoral était parfaitement sain. Eh bien, lorsque je lui fis porter fortement les épaules en avant, je vis du côté’ malade (voyez la figure 108); 1" l’épaule droite entraînée en avant ; 2° le bord spinal du scapulum rester en place, puis soulever la peau en se portant un peu en ar- rière par un mouvement de rotation de cet os sur son axe vertical. Cette attitude du scapulum faisait chez ce sujet un contraste frap- pant avec l’attitude du scapulum du côté opposé, qui avait exécuté son mouvement normal. On remarque, en effet, dans la figure 108, que du côté sain le bord spinal A du scapulum, obéissant à l’action du grand dentelé, a été entraîné en dehors et en avant, en s’ap- pliquant solidement contre la paroi thoracique, et qu’il a pris une direction oblique eu sens inverse de celle du scapulum paralysé. J’ai eu l’occasion de constater les mêmes phénomènes sur d’autres sujets affectés de paralysie du grand dentelé. Tout le monde saisit, sans aucun doute et sans que je doive in- sister davantage sur ce sujet, l’importance des faits précédents comme signes diagnostiques de l’atrophie ou de la paralysie du grand dentelé, puisqu’ils n’exigent pas pour se manifester l'éléva- (1) J’ai démontré que les paralysies musculaires peuvent être divisées en deux grandes classes, à savoir : 1° celles dans lesquelles les muscles perdent leur contractilité électrique (les paralysies consécutives aux lésions des nerfs de la moelle épinière et les paralysies saturnines) ; 2“ celles dans lesquelles cette pro- priété musculaire est conservée (les paralysies cérébrales, rhumatismales, hysté- riques, etc). ATROPHIE ET PARALYSIE DU DELTOÏDE ; SES COMPLICATIONS. lion volontaire du bras, et qu’ils sont tout aussi sûrs que ceux qui résultent de ce dernier mouvement. La rétraction de la portion adductrice du trapèze pourrait bien, il est vrai, pendant ce mouvement, maintenir le scapulum rappro- ché de la ligne médiane, malgré l’intégrité du grand dentelé; mais alors il n’y aurait pas de confusion possible, car dans ce dernier cas le bord spinal du scapulum reste appliqué contre le thorax et prend une direction oblique opposée à celle qu’on observe lorsque le grand dentelé a perdu son action. C’est du moins ce que je produis artifi- ciellement en maintenant la portion adductrice du trapèze contrac- turée par l’excitation électrique pendant que le sujet essaye de porter ses épaules en avant. Assurément, la contracture pathologique de la même portion musculaire ne doit pas, dans ces circonstances, agir autrement que la contracture artificielle. En résumé, l’attitude particulière que prend le scapulum pen- dant le mouvement en avant des épaules, alors que le grand den- telé est paralysé ou atrophié, fournit des signes précieux pour le diagnostic de cette lésion, lorsque la paralysie ou l’atrophie du del- toïde ne permet pas au malade l’élévation volontaire du bras. Voici encore d’autres signes qui viennent en aide à ceux que j’ai exposés précédemment. Si, appliquant une main sur chaque épaule du malade, on re- pousse les deux épaules dans un sens opposé, on sent que le sca- pulum du côté lésé résiste beaucoup moins que l’autre, si le grand dentelé est atrophié; on parvient même alors à imprimer au sca- pulum un mouvement de recul et à faire saillir plus considérable- ment le bord spinal sous la peau. Enfin, si le deltoïde, le grand pectoral et le grand dentelé se trouvaient lésés simultanément, l’épaule resterait complètement inerte pendant les efforts que ferait le malade pour la porter en avant. B. — Atrophie ou paralysie simultanée du deltoïde et des rotateurs de l’humérus. I. Vatrophie et la paralysie du sous-épineux (1), si toutefois je m’en rapporte aux faits que j’ai observés, sont une des complica- tions assez fréquentes de l’atrophie ou delà paralysie du deltoïde. Le diagnostic de cette affection est facile à établir; les troubles (I) Les rotateurs de l’humérus en dehors sont le sous-épineux et le petit rond. Au point de vue physiologique, ces deux muscles n’en constituent qu’un, que je désignerai par le mémo nom de sous-épineux, ATROPHIE ET PARALYSIE DES MUSCLES DE L’ÉPAULE. qu’elle occasionne dans les usages du membre supérieur sont très grands, et cependant son histoire n’a pas été, que je sache, écrite jusqu’à ce jour. Voici le premier fait d’atrophie du deltoïde qui m’a mis sur la voie de la lésion concomitante du sous-épineux. Observation CXCV. — Un malade qui avait une atrophie de plusieurs muscles de l’épaule me fut adressé en \ 850 par M. Bouvier. A un premier examen, je crus que la lésion du deltoïde était la cause principale des trou- bles fonctionnels dont il se plaignait. Le deltoïde était incomplètement atrophié; la portion moyenne de ce muscle était encore assez développée pour permettre d’écarter légèrement le bras du tronc. Ce qui gênait le plus le malade dans l’exercice de sa profession (il était instituteur), c’était la diffi- culté qu’il éprouvait pour écrire. La lésion musculaire étant limitée à l’épaule, sa main conduisait facilement la plume, traçait bien les caractères ; mais quand il avait écrit un ou deux mots, ne pouvant plus suivre la ligne, il était forcé de s’arrêter. Alors, à l’aide de sa main droite, il tirait un peu son papier de droite à gauche, et il écrivait encore un ou deux mots, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il fût arrivé au bout de sa ligne. Grâce à cet artifice, il pouvait écrire encore, mais il en éprouvait tant de gêne et d'ennui, qü’il avait dû y renoncer. J’attribuai d’abord à la lésion du deltoïde les troubles fonction- nels dont ce malade se plaignait. Mais ayant observé à quelques jours de là qu’un autre sujet, dont le deltoïde était complètement paralysé, n’éprouvait aucune gêne pour écrire et tracer des lignes entières, je reconnus que la difficulté d’écrire, chez le premier ma- lade, devait dépendre d’une autre lésion musculaire que celle du deltoïde. Quel est donc le muscle qui prend une si grande part dans l’action d’écrire et dont la paralysie trouble à ce point cette fonc- tion ? Voici le résultat des recherches que j’ai faites sur ce point. J’ai remarqué que les sujets atteints do paralysie du deltoïde et du sous- épineux éprouvaient la même difficulté pour écrire que le premier malade dont j’ai tracé l’histoire; qu’ils ne pouvaient faire exécuter le mouvement de dedans en dehors à la main et à l’avant-bras placés sur une table dans l’attitude d’écrire. C’est à peine s’ils parvenaient a tracer une ligne de 3 à h centimètres. Si alors on provoquait la contraction du sous-épineux par un courant d’induction à intermit- tences rapides, on voyait l’avant-bras et la main continuer leur mouvement do dedans en dehors. De cette façon et en plaçant un crayon dans les doigts des malades, on leur faisait tracer une ligne de 28 à 29 centimètres. Cette expérience démontre donc clairement que dans le fait rapporté ci-dessus (obs. CXCV), c’est le sous-épi- neux qui est paralysé avec le deltoïde. ATROPHIE ET PARALYSIE DU DELTOÏDE ; SES COMPLICATIONS. Mais en poursuivant ces recherches, j’ai observé que la privation du concours du sous-épineux portait aussi des troubles graves dans l’exercice d’autres professions. Je ne citerai, comme exemple, que les professions qui nécessitent l’usage de l’aiguille. Lorsqu’en cou- sant, en brodant, etc., on tire l’aiguille de dedans en dehors, les muscles deltoïde et sous-épineux se contractent synergiquement, le premier pour écarter plus ou moins le bras du tronc, le second pour imprimer à l’avant-bras et à la main un mouvement de rotation en dehors, l’humérus étant l’axe, et l’avant-bras le rayon. Ce dernier mouvement est le plus important, car les malades qui n’ont perdu que leur deltoïde peuvent encore coudre presque aussi facilement que s’ils avaient conservé l’usage de ce muscle. Mais il n’en est plus de même quand leur sous-épineux ne possède plus la faculté d’agir, le deltoïde étant d’ailleurs intact. Les mouvements d’abduction du bras par le deltoïde sont les seuls que les malades puissent faire alors, et pour suppléer le défaut d’action du sous-épineux, ces mouvements doivent être une fois plus étendus. 11 en résulte une fatigue qui ne permet pas à ceux qui se servent de l’aiguille de tra- vailler longtemps. Je pourrais encore citer d’autres exemples, mais ceux que j’ai rapportés démontrent suffisamment la grande diffé- rence qui existe, quant à la gravité des troubles fonctionnels qu’ils occasionnent, entre une atrophie ou paralysie simple du del- toïde et la même lésion de ce muscle, compliquée de celle du sous- épineux. II. Jusqu’à ce jour, on a accordé seulement au sous-scapulaire et au grand rond le pouvoir de faire tourner l’humérus sur son axe de dehors en dedans. Il ressort de mes recherches que le sus-épi- neux possède également cette action qui, toutefois, est moins éner- gique que celle du sous-scapulaire, et ne s’exerce que lorsque l’hu- mérus tombe sur le côté du tronc. A l’état normal, l’humérus, sollicité d’une manière égale par la force tonique de ses rotateurs, se trouve, pendant le repos muscu- laire, dans un état intermédiaire entre la rotation en dehors et la rotation en dedans; de telle sorte que lorsqu’on vient à fléchir l’avant-bras sur le bras, on peut encore faire tourner celui-ci de manière à terminer sa rotation en dehors ou en dedans. Mais si les rotateurs en dedans viennent à être atrophiés ou para- lysés, cet équilibre musculaire est rompu, car la puissance des rota- teurs en dehors, dont l’action n’est plus modérée par leurs antago- ATllOPHIIÎ ET PAUALYSIE DES MUSCLES DE L ÉPAULE. nistes, place l’humérus dans une rotation extrême en dehors. Il en résulte que, consécutivement à l’atrophie ou à la paralysie des rotateurs en dedans, l’action des rotateurs en dehors se trouve éga- lement annulée. Ces courtes considérations suffisent pour établir combien est grave la perte des rotateurs en dedans, puisqu’elle équivaut, quant aux troubles fonctionnels qu’elle occasionne, à la perte de tous les rotateurs de l’humérus. D’après ce qui précède, on voit que les signes diagnostiques de l’atrophie ou de la paralysie des rotateurs de l’humérus en dedans appartiennent aussi à la même lésion des rotateurs en dehors. Ce que j’ai dit précédemment de ces signes diagnostiques me dispense d’y revenir. Lorsque les rotateurs en dehors sont seuls privés de leur action, la main du côté malade peut encore être mise au service de la partie latérale opposée du tronc et de la tête. Mais il n’en est plus ainsi quand les rotateurs en dedans sont atrophiés ou paralysés; car ni la portion supérieure du grand pectoral, ni la portion antérieure du deltoïde, ne peuvent les suppléer ; en sorte que les usages du membre supérieur en sont beaucoup plus restreints. On voit par ces faits qu’il n’y a pas d’exagération à dire que l’atro- phie ou la paralysie des rotateurs de l’humérus en dedans est beau- coup plus grave que celle des rotateurs en dehors. L’atrophie ou la paralysie des rotateurs en dedans me paraît, jusqu’à présent du du moins, beaucoup plus rare que celle des rotateurs en dehors. J’ai eu plus souvent l’occasion d’observer l’atrophie des rotateurs en dehors, ce qui veut dire que l’atrophie musculaire graisseuse n’attaque ordinairement les rotateurs en dedans qu’après les rota- teurs en dehors, et que dans la paralysie de cause traumatique, il faut une lésion nerveuse plus grave, plus profonde, pour que les rotateurs en dedans soient affectés plutôt que les rotateurs en de- hors. En voici peut-être l’explication. Il me paraît difficile que le deltoïde soit lésé sans que le sous-épineux y participe au moins un peu, puisque c’est le même nerf (le circonflexe) qui anime ces deux muscles. Or, qui ne sait combien est facile et commune la lésion de ce nerf, en raison même de sa position superficielle et des tiraille- ments continuels auxquels il est exposé. La disposition anatomique des nerfs qui animent le sous-scapulaire et le sus-épineux met ces derniers muscles à l’abri des mêmes dangers. 11 est facile de distinguer si les rotateurs de l’humérus en dehors ont seuls perdu leur action ; ou si tous les rotateurs sont lésés à la fois, bien que dans l’un et l’autre cas les troubles apportés dans l’usage du membre soient à peq prqs les mêmes, Qu’on place, en effet, le bras affecté dans la rotation en dehors, l’avant-bras étant dans la demi-flexion, le malade pourra évidem- ment le tourner en dedans, si les muscles quiexécutent ce mouvement sont sains. Pour s’assurer si les rotateurs en dehors ont ou non con- servé leur action, l’expérience doit être faite d’une manière opposée. PARALYSIE DES EXTENSEURS DES DOIGTS. 777 La contracture des rotateurs de l’humérus peut en simuler l’atro- phie ou la paralysie; il est également facile de distinguer entre elles ces affections différentes. La contracture ou la rétraction des rota- teurs en dehors empêche la rotation en dedans, et pourrait en imposer pour une atrophie ou une paralysie des rotateurs en de- dans ; mais la résistance considérable que l’on éprouve en faisant tourner soi-même en dedans l’humérus du côté malade, démontre bien vite que la contracture ou la rétraction sont les seules causes des phénomènes observés. C’est par un procédé analogue que l’on distinguera la contracture des rotateurs en dehors de l’atrophie ou de la paralysie des rotateurs en dedans. PARALYSIES PARTIELLES DES MUSCLES MOTEURS DE LA MAIN. ARTICLE II, § I. — Paralysie des extenseurs des doigts. La paralysie partielle des muscles dits extenseurs des doigts s’observe, ainsi que je l’ai établi dans le chapitre Y, consécutivement à la lésion traumatique du nerf radial ou d’un de ses filets, dans la paralysie saturnine et dans la paralysie rhumatismale du nerf radial. Elle peut siéger dans tous les muscles extenseurs des doigts, animés par le nerf radial, ou seulement dans un ou plusieurs fais- ceaux. On la voit le plus ordinairement coexister avec la paralysie de tous les muscles placés sous la dépendance du nerf radial. Enfin l’atrophie musculaire graisseuse progressive peut attaquer primiti- vement, mais très rarement, les muscles extenseurs des doigts. Dans tous les cas, les troubles fonctionnels de la paralysie des extenseurs des doigts sont les mêmes. Je vais les exposer briève- ment, après avoir rappelé l’action propre de ces muscles. A. — Faits physiologiques fondamentaux. Les muscles extenseurs des doigts ne sont pas destinés, ainsi qu’on l’a enseigné jusqu’en ces derniers temps, à étendre les trois pha- langes ; ils n’agissent physiologiquement que sur les premières pha- langes. A ce titre, on devrait les appeler extenseurs des premières phalanges. Bien que leur tendon, dit médian, se termine à l’extré- mité supérieure et postérieure de la deuxième phalange, l’expé- rience électro-musculaire démontre qu’il n’agit que très faiblement sur cette deuxième phalange, tandis qu’il étend puissamment la première. Cette action élective des extenseurs des doigts sur la pre- mière phalange a lieu en vertu de petites fibres aponévrotiques qui brident l’action du tendon médian de la face antérieure, duquel elles se détachent, pour se fixer à l’articulation métacarpo-phalangienne et à la face postérieure et supérieure de la première phalange. PARALYSIES PARTIELLES DES MUSCLES DE LA MAIN, Il fallait que l’action des extenseurs des doigts fût limitée aux premières phalanges, car l’usage de la main nécessite incessamment les mouvements simultanés d’extension de ces premières phalanges et de flexion des deux dernières, comme lorsqu’on écrivant on trace le trait d’avant en arrière ; mouvements produits par la contraction synergique des extenseurs des doigts et des fléchisseurs superfi- ciels et profonds; mouvements, enfin, qu’il eût été impossible d’ob- tenir, si les extenseurs des doigts avaient exercé leur action sur les trois phalanges. Les extenseurs des doigts ne peuvent agir sur les phalanges sans étendre en même temps la main sur l’avant-bras. Pour parer à cet inconvénient, nous avons la faculté de contracter synergiquement les fléchisseurs de la main (les palmaires) proportionnellement à la force de contraction des extenseurs des doigts; il en résulte que la main est maintenue fixe entre ces deux forces contraires. Mais cette contraction des fléchisseurs de la main est instinctive, de sorte que nous ne pouvons l’empêcher, toutes les fois que nous voulons étendre les doigts sur les métacarpiens. B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. La paralysie des extenseurs des doigts abolit seulement l’exten- sion des premières phalanges. Lorsqu'on effet on maintient dans ce cas le poignet relevé, et que l’on dit au malade d’ouvrir la main, on voit qu’il ne peut relever les premières phalanges sur les méta- carpiens. Mais si l’on maintient ces premières phalanges dans l’ex- tension comme dans la figure 109, le sujet étend facilement ses deux dernières phalanges sur les premières. On constate alors par l’ex- ploration électro-musculaire que cette extension des deux dernières phalanges est exercée par les interosseux et les lombricaux. Je re- viendrai sur ce fait. Tout effort pour étendre les doigts, comme lorsqu’on ouvre la main, produit, chez celui qui est affecté de la paralysie des exten- seurs des doigts, la flexion du poignet avec d’autant plus de force paralysie des intehosseux. 779 que cet éffort est plus grand. Pour se rendre raison de ce phéno- mène pathologique, il suffit de se rappeler le mécanisme de cette fonction que j’ai exposé précédemment. L’excitation cérébrale Fig. 109. instinctive en vertu de laquelle elle est accomplie, arrive a la fois aux extenseurs des doigts et aux extenseurs de la main; de sorte que si les premiers sont paralysés, les derniers seuls répondent à cette excitation cérébrale, et la main se fléchit, sans qu’il soit possible au sujet de l’empêcher, malgré l’intégrité de ses extenseurs du poignet. Lorsque l’extenseur commun des doigts est seul paralysé, l’index et le petit doigt peuvent encore être étendus par leurs extenseurs propres qui produisent l’extension de la première phalange et la dirigent en dedans (vers le cubitus). Je n’ai observé l’affaiblissement ou l’abolition des mouvements des interosseux que consécutivement h la lésion traumatique du nerf cubital de l’un de ses rameaux et dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. § II. — Paralysie des Interossenx, Comme dans le paragraphe précédent, je rappellerai l’étude phy- siologique de ces muscles avant d’exposer les troubles fonctionnels occasionnés par leur paralysie. A. — Faits physiologiques fondamentaux. Les interosseux exécutent simultanément trois mouvements : 1" l’extension des deux dernières phalanges ; 2° la flexion despre- mières phalanges; 3° l’abduction ou l’adduction des doigts. Les classiques modernes, depuis Bicliat, n’accordent pour la plupart, aux interosseux que les mouvements d’abduction ou d’adduction des doigts. Les anciens avaient cependant entrevu les mouvements d’extension des deux premières phalanges et de flexion des premières exécutées par les interosseux ; mais pour eux cette action était secon- daire et appartenait surtout aux muscles extenseurs et fléchisseurs qui siègent à l’avant-bras. Pour eux aussi, comme pour les mo- dernes, l’utilité de ces mouvements, en sens inverse et propres à l’action des interosseux, conséquemment les troubles fonctionnels et les déformations occasionnées par les lésions de ces muscles étaient complètement inconnus. PARALYSIES PARTIELLES DES MUSCLES DE LA MAIN. L’exploration électro-musculaire, contrôlée par l’observation pa- thologique, m’a démontré que les interosseux sont, physiologique- ment, les seuls extenseurs des deux dernières phalanges et les seuls fléchisseurs des premières. Les lombricaux sont, il est vrai, auxi- liaires de ces mouvements ; mais ils n’exercent point d’action de latéralité sur les doigts. La direction du tendon des interosseux rend parfaitement compte du mécanisme de leur action en sens inverse sur les phalanges. Il ressort, en effet, de nouvelles recherches anatomiques (voy. la fig. 110) ; 1° que ce tendon, dans sa première portion (de l’articulation métacarpo-phalangienne à la partie supérieure delà première pha- lange), se dirige obliquement de haut en bas et d’avant en arrière, d’où résulte la flexion de cette phalange sur son métacarpien pendant la contraction du muscle; 2° que la seconde portion de ce tendon (des bandelettes latérales, dans lesquelles il se continue, à sa ter- minaison phalangettienne) se trouve placée à la partie postérieure des articulations pbalangettiennes et produit conséquemment leur extension. Est-il besoin d’ajouter que les mouvements latéraux des doigts résultent principalement de l’attache du faisceau phalan- gien a, b, de ces muscles à la partie supérieure et latérale des pre- mières phalanges? R. — Troubles fonctionnels et signes diagnostique?. La main dont les interosseux sont paralysés, non-seulement ne peut plus produire l’adduction ni l’abduction des doigts, mais elle a perdu en outre le pouvoir d’étendre les trois phalanges parallèle- ment à la direction des métacarpiens. Lorsque le sujet affecté de cette paralysie veut exécuter ce mouvement d’extension des doigts, ses premières phalanges se renversent sur les métacarpiens et les PARALYSIE DES INTEROSSEÜX. doux dernières s’infléchissent; sa main prend la forme d’une griffe (voyez la figure 111). Cette attitude difforme quelle conserve pen- 781 Fjg. 110. — Doigt annulaire de la main droite et son inlerosseux abducteur. — a, faisceau phalaügien de l’interosseux ; b, attache du faisceau phalangien à l’extrémité supérieure de la première phalange; c, faisceau phalangettien de l’interosseux ; d,d, tendon phalangettien de l’interosscux ; e, e, tendon de l’extenseur. dant le repos musculaire s’aggrave progressivement à la longue. Les premières phalanges se subluxent en arrière sur les métacarpiens et les deux dernières en avant. Le méca- nisme de la griffe de la main, consé- cutive à la paralysie des interosseux, s’explique de la manière suivante. Lorsqu’on ouvre la main et que l’on étend les doigts parallèlement au plan des métacarpiens, les extenseurs des doigts (des premières phalanges) et les interosseux (extenseurs des deux der- nières) entrent synergiquement en action pour produirel’extension, ceux- ci des premières phalanges, et ceux-là des deux dernières. Mais ces muscles sont antagonistes, quant à l’action qu’ils exercent sur les premières pha- langes et se modèrent mutuellement pour donner à celles-ci une direction parallèle à celle des méta- carpiens. Dès que les interosseux font défaut, pendant l’effort Fig. 111. PARALYSIES PARTIELLES ÜES MUSCLES DE LA MAIN. synergique qui doit produire le mouvement dont il est question, les premières phalanges sont relevées d’une manière exagérée sur les métacarpiens par les extenseurs des doigts et non-seulement l’ex- tension des dernières phalanges ne se fait plus, mais celles-ci s’in- fléchissent, au contraire, sur les premières en raison directe du degré de renversement des premières phalanges. La genèse de la griffe de la main, au repos musculaire, s’ex- plique par les troubles occasionnés, consécutivement à la paralysie des interosseux, dans l’équilibre des forces toniques qui président h l’attitude normale des phalanges. Dès que les interosseux, fléchis- seurs des premières phalanges et extenseurs des deux dernières, ne modèrent plus l’action tonique de leurs antagonistes, ceux-ci (les extenseurs des premières phalanges, d’une part, et les fléchis- seurs superficiel et profond, de l’autre) se rétractent progressive- ment, renversent les premières phalanges sur les métacarpiens et fléchissent les deux dernières d’une manière continue, à tel point que les phalanges se subluxent et que les ligaments se rétractent dans le sens de leurs mouvements pathologiques. La main repré- sentée dans la figure 112 en était un exemple remarquable. Fig. 112. J’ai observé un autre cas de griffe de la main, consécutif à la paralysie des interosseux, dans lequel la subluxation des phalanges était encore plus prononcée. Observation CXCVI. — C’était un homme dont les interosseux, les loin- bricaux et les muscles des deux éminences, paralysés depuis un an, consé- cutivement à une blessure qu’il s'était faite à la partie inférieure et interne de l’avant-bras, no donnaient pas le moindre signe de vie, même par la faradisation localisée. Les deux dernières phalanges de tous ses doigts étaient constamment (léchies à angle droit ; les extrémités articulaires supé- Heures des deuxièmes phalanges avaient glissé en avant jusqu’au-dessus des tôles des premières phalanges, de manière à former une subluxalion irréductible. Lorsqu’il voulait étendre ses doigts, ses premières phalanges, qui restaient toujours dans l’extension, se renversaient encore davantage sur les métacarpiens. Ces désordres si graves avaient pu cependant se développer chez ce malade, malgré l’intégrité de ses extenseurs et de ses fléchisseurs des doigts. PARALYSIES DES FLÉCHISSEURS SUBLIME ET PROFOND. 783 J’ai rapporté quelques faits de paralysie ou d’atrophie des mus- cles interosseux dans le cours de ce livre (chap, Y), et j’ai repré- senté les déformations qui en sont la suite dans plusieurs figures, On a pu en suivre le développement et en comprendre la genèse. On a vu aussi quels troubles considérables cette paralysie occasionne dans l’usage de la main. J’ai dit et je répète que lorsque la paralysie est arrivée à son maximum, la main est une griffe plus incom- mode qu’utile. § III. — Paralysies des fléchisseurs sublime et profond. Je n’ai observé l'abolition des mouvements dans les muscles flé- chisseurs sublime ou profond que consécutivement à la lésion trau- matique du nerf médian ou d’un de ses filets, et dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. A. — Faits physiologiques fondamentaux. Les muscles fléchisseurs sublime et profond ne sont pas destinés, comme on l’a toujours enseigné, à fléchir les trois phalanges; ils n’ont d’action réelle que sur les deux dernières phalanges. Ce fait est démontré par l’expérimentation électro-musculaire, et mieux encore par l’observation pathologique. Ainsi les fléchisseurs su- blime et profond ont-ils cessé d’agir, la flexion des premières pha- langes n’en est pas moins faite avec une grande force (1). Mais que le sujet vienne à perdre ses interosseux, qui. ainsi que je l’ai dit (I) M. Chassaignac a bien voulu soumettre à mon observation un homme dont les tendons fléchisseurs sublime et profond, divisés par un instrument tranchant, an niveau du poignet, ne s’étaient pas réunis après la guérison de la blessure. Bien qu’il eût perdu , avec l’action de ces muscles, la flexion des deux dernières phalanges, j’ai constaté qu’il fléchissait puissamment avec ses inter- osseux les premières phalanges sur les métacarpiens (par exemple, celle de l’in- dex avec une force de 15 kilogrammes). PARALYSIES PARTIELLES DES MUSCLES DE LA MAIN. précédemment, sont les fléchisseurs réels des premières phalanges, les deux dernières phalanges sont seules fléchies avec force. Enfin, l’action des fléchisseurs sublime et profond sur les premières pha- langes est si faible, que seuls, c’est-à-dire sans les interosseux, ces muscles ne peuvent lutter avec la force tonique des extenseurs des premières phalanges, qui, à la longue, ainsi qu’on l’a vu précédem- ment, entraînent les premières phalanges dans une extension exa- gérée et les suhluxent en arrière (voy. la fig. 112). Le but de la nature est ici facile à saisir. L’usage de la main, comme je l’ai démontré dans mes recherches électro-physiologiques et pathologiques sur la main, nécessitant fréquemment les mouve- ments simultanés de flexion des deux dernières phalanges et d’ex- tension des premières, il fallait qu’elle limitât l’action des flé- chisseurs sublime et profond aux deux dernières phalanges, de même qu’elle a limité l’action des extenseurs aux premières, car ces mouvements en sens inverse ne peuvent être obtenus que par la contraction synergique de ces muscles. B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques Les sujets dont les fléchisseurs sublime et profond sont para- lysés, ne peuvent plus fléchir les deux dernières phalanges sur les premières. Ils conservent cependant le pouvoir de fléchir les pre- mières phalanges; mais ce mouvement de flexion est alors insépa- rable de celui d’extension des deux dernières phalanges, et les mouvements en sens inverse des phalanges se font avec une force égale. Si, en effet, chez un sujet privé de l’action de ses fléchisseurs sublime et profond, on maintient les deux premières phalanges des doigts dans la flexion de manière à relever en même temps les pre- mières phalanges ; si ensuite on engage le malade à fermer la main, on voit les premières phalanges s’infléchir pendant que les deux der- nières s’étendent, et cela avec d’autant plus de force qu’il fait plus d’effort pour fléchir ses trois phalanges. Est-il besoin de dire que ce mouvement en sens inverse des trois phalanges est exécuté par ses muscles interosseux et lombricaux? Consécutivement à la paralysie des fléchisseurs sublime et pro- fond, l’extension des deux dernières phalanges s’exagère progressi- vement à tel point, que l’on voit à la longue ces phalanges se ren- verser sur leur face dorsale, et former un angle ouvert en arrière, au niveau de leurs articulations. J’ai une fois observé l’atrophie isolée des faisceaux du fléchisseur sublime envoyés par le médius et à l’annulaire. Ces doigts étaient déformés comme dans la figure 113; le sujet ne pouvait mouvoir que les articulations métacarpo-phalangiennes et plialangetto-plia- langienne. PARALYSIE DES MUSCLES PRODUCTEURS DE L’OPPOSITION DU POUCE. La paralysie du fléchisseur profond se reconnaît à l’impossibilité de fléchir la dernière phalange. Les troubles fonctionnels qui en ré- sultent sont beaucoup moins graves que ceux qui sont produits par la perte du fléchisseur su- blime. Cependant elle occasionne une gène as- sez grande dans certai- nes professions. Ainsi j’ai observé l’atrophie du fléchisseur profond chez une pianiste d’un grand talent, qui ne pouvait plus tirer de son instrument une aussi grande puis- sance de son qu’avant cette atrophie, bien qu’elle eût conservé l’agilité de sa main et de ses doigts. Cela dépendait de ce que ses dernières phalanges se renversaient sur les secondes, quand elle les posait sur les touches, à cause de la faiblesse ou de l’inertie de ses fléchisseurs profonds. Fig. 113. g IV. — Paralysie dos muscles ou faisceaux musculaires producteurs de l’opposition du pouce. J’ai observé fréquemment la paralysie partielle des muscles de l’éminence thénar, à la suite de la lésion traumatique de la branche terminale du nerf médian qui se distribue dans les muscles de l’éminence thénar. Alors la paralysie est limitée dans les muscles court abducteur et opposant et dans la portion externe du court fléchisseur du pouce; mais la lésion de ce rameau nerveux n’en atteint pas toujours toutes les fibres, et alors la paralysie peut se localiser dans l’un des muscles qu’il anime. La paralysie saturnine ou végétale paralyse quelquefois les mus- cles de l’éminence thénar. Enfin l’atrophie musculaire graisseuse progressive débute ordi- nairement par les muscles de cette région, en les détruisant partiel - lement et successivement. C’est cette maladie qui m’a offert des occasions fréquentes d’étudier les faits physiologiques et patholo- giques que je vais exposer. DUCHENNE. 786 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DE LA MAIN. A. — Faits physiologiques fondamentaux. Trois muscles concourent à l’opposition du pouce ; ce sont les muscles dits opposant, court fléchisseur, dans sa portion externe, et court abducteur. L’opposant n’agit que sur le premier métacarpien ; il est le moins opposant des trois muscles précédents, alors même qu’il place le premier métacarpien à son maximum d’opposi- tion, comme je l’ai re- présenté dans la fig. HU. On voit que l’extrémité du pouce, si celui-ci n’est sollicité par aucun autre muscle, se trouve en de- hors de l’index, sa face palmaire regardant en dedans. — J’appelle ce muscle, qui est seulement auxiliaire de l’opposition du pouce, opposant du premier métacarpien. Le court fléchisseur du pouce exerce sur le premier métacarpien la même action que le muscle précédent ; de plus, il incline laté- ralement la première phalange, qu’il fait tourner sur son axe Ion- Fig. 114. gitudinal, de manière à opposer la pulpe du pouce à chacun des doigts ; enfin il étend la deuxième phalange sur la première (voy. la fig. 115). Fig. US. PARALYSIE DES MUSCLES PRODUCTEURS DE L’OPPOSITION DU POUCE. 787 De ces trois mouvements simultanés résulte véritablement l’op- position du pouce; mais le muscle qui les produit n’a pas le pouvoir de mettre, comme dans la figure 116, la pulpe du pouce en rapport avec la pulpe des doigts, quand ceux-ci viennent à s’incliner vers lui. C’est à peine si le pouce atteint alors l’extrémité supérieure de Fig. 116, Fig. 117 la deuxième phalange lorsque les doigts s’inclinent vers lui (voy. la fîg. 117). La dénomination de ce muscle n’est donc pas justifiée par son action propre. Si l’on veut tirer cette dénomination de sa fonction réelle, il faut l’appeler opposant du pouce aux phalanginiennes. Le muscle court abducteur produit aussi l’opposition du pre- mier métacarpien et l’ex- tension de la deuxième phalange du pouce. Son action diffère de celle du muscle court fléchisseur, en ce qu’il incline la pre- mière phalange plus en avant, et que le pouce ne peut plus être opposé qu’aux deux premiers doigts (voy. la fig. 118). Mais il en résulte un avantage que lui seul pos- sède ; c’est que l’extrémité du pouce peut alors atteindre l’extrémité des doigts dont les deux dernières phalanges étendues sont inclinées vers lui comme dans la figure 116. Ce seul avantage en tait le plus important des muscles de l’éminence thénar. Ce muscle n’est nullement abducteur, comme l’indique son nom; on peut l’appeler opposant du pouce aux phalangettes. Fig, 118. 788 Dans l’usage «le la main,, la deuxième phalange du pouce doit s’étendre fréquemment pendant l’opposition, de manière, par exemple, cà opposer sa pulpe à celle des deux premiers doigts. Cette extension ne pouvait être confiée au long extenseur du pouce, parce qu’il est antagoniste de l’opposition, comme on le verra bientôt. — Voici les dispositions anatomiques à l’aide desquelles ces mouve- ments sont obtenus par la même force. Les faisceaux musculaires qui se rendent à l’os sésamoïde externe et qui s’attachent à l’extré- mité supérieure et latérale de la première phalange (le court abduc- teur et la portion externe du court fléchisseur) envoient une expan- sion aponévrolique d, qui les relie avec le tendon e (hg. 119) du long extenseur du pouce, au niveau de la première phalange. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DE LA MAIN. On comprend facilement que ces faisceaux, en se contractant, étendent la deuxième phalange, en même temps qu’ils inclinent Fig. 119. latéralement la première phalange et qu’ils placent le premier mé- tacarpien dans l’opposition. La direction différente des deux fais- ceaux qui aboutissent à l’os sésamoïde externe explique parfaitement pourquoi l’un (le court abducteur), agissant d’arrière en avant, peut opposer la pulpe du pouce à la pulpe des doigts étendus et inclinés sur les métacarpiens, tandis qu’avec l’autre faisceau musculaire (la portion externe du court fléchisseur), qui agit plutôt de dehors en dedans, le pouce est opposé successivement aux quatre doigts, mais ne pouvant alors atteindre que leurs deuxièmes phalanges. B, — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. En raison du privilège dont jouit le court adducteur, de mettre en rapport le pouce avec les phalangettes des doigts infléchis sur lui, la paralysie de ce muscle occasionne un grand trouble dans l’usage de la main, bien que le pouce puisse encore être opposé aux quatre doigts par son court fléchisseur ; mais alors sa pulpe ne peut PARALYSIE DES MUSCLES PRODUCTEURS DE l’üPPOSITTON DU POUCE. atteindre que la deuxième phalange (voy. la lig. 117). Si Je malade veut tenir un objet quelconque entre le doigt et le pouce, il est alors forcé de maintenir sa première phalange dans l’extension, pendant qu’il fléchit les deux dernières (voy. la fig. 120). Cette attitude du doigt et du pouce, outre qu’elle est très fatigante et cause de la maladresse, rend impossibles ou dif- ficiles plusieurs fonc- tions importantes de la main. Bien que la perte du court fléchisseur du pouce prive les malades du pouvoir d’opposer le pouce aux deux derniers doigts, les malades n’en éprouvent pas cependant une grande gêne, grâce à leur court abducteur qui dessert les deux premiers doigts, les plus utiles dans l’usage de la main. L’attitude du pouce, au repos musculaire, se vicie consécutivement à l’atrophie des muscles de l’éminence thénar. Fig. 120. Fig. 121 Le pouce obéissant alors à l’action tonique de son long extenseur, son métacarpien se place sur le plan du second métacarpien, et sa pulpe regarde directement en avant, comme les doigts (voy. lafig. 121). La main de l’homme perd alors, selon moi, son carac- tère distinctif, c’est-à-dire que l’attitude du pouce qui indi- que qu’elle est destinée à servir son intelligence, attitude dans laquelle le pouce, maintenu dans une demi-opposition pen • dant le repos musculaire (voyez la tig. 122), se trouve, par son rapprochement de l’index et du médius, toujours prêt à tenir ou la plume qui sert sa pensée, Fig. 122. ou l’instrument avec lequel il exécute les merveilles d’habileté manuelle créées par son imagination. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DE LA MAIN. Cette déformation du pouce de l’homme rappelle l’attitude du poucequi, chezlesinge (voy. la tig. 123), est le cachet de la hèle, en indiquant qu’il est des- tiné à ramper à quatre pattes quand il ne grimpe pas. En effet, l’attitude du pouce, qui est due à la pré- dominance de force to- nique de son long extenseur, permet au singe de poser sa main à plat sur le sol, sans effort, sans fatigue. FiG. 123. § V. — Paralysie des faisceaux musculaires producteurs de l’adduction du pouce» La perte des mouvements des faisceaux musculaires producteurs de l’adduction du pouce s’observe consécutivement à la lésion du nerf cubital et dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. A. — Faits physiologiques fondamentaux. L’adduction du pouce est produite par les faisceaux musculaires qui se rendent dans l’os sésamoïde interne, conséquemment par le muscle adducteur du pouce et par le faisceau interne du muscle dit court fléchisseur du pouce. Ces faisceaux produisent en même temps l’extension de la deuxième phalange, grâce à une expansion aponévrotique qui va de l’os sésamoïde interne au tendon du long extenseur du pouce (voyez la figure 12â). Enfin ils font tourner le premier métacarpien sur son axe longi- tudinal, de dedans en dehors. Ces faisceaux, qui devraient constituer ce que l’on appelle muscle adducteur, sont donc antagonistes des muscles qui s’attachent à l’os sésamoïde externe et des muscles long abducteur et court extenseur du pouce. B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. Une seule lois j’ai vu cette paralysie parfaitement localisée. Voici PARALYSIE DES MUSCLES PRODUCTEURS DE L ABDUCTtON DU POUCE. ce que j’ai observé alors. Les sujets privés de l’action de ces fais- ceaux adducteurs du pouce ne pouvaient plus rapprocher ce dernier et son métacarpien du second métacarpien du doigt indicateur, dont tic. 124. — Pouce vu du côté externe. — a, muscle court abducteur; b, muscle opposant; c, portion externe du court fléchisseur; d, tendon du long exten- seur; e, expansion aponévrotique du court abducteur allant au tendon du long extenseur. il restait constamment écarté par la force tonique des muscles anta- gonistes des faisceaux paralysés, c’est-cà-dire par les muscles qui produisent l’opposition et l’abduction du pouce. Les principaux usages de la main étaient conservés, parce que les faisceaux adducteurs du pouce remplissent alors un rôle important: ainsi il pouvait écrire, car les muscles qui président à cette fonction étaient sains ; mais il éprouvait delà fatigue pour tenir longtemps la plume, il serrait faiblement les objets qu’on lui plaçait dans la main. § VI. — Paralysie des muscles long extenseur, court extenseur, long abducteur et long fléchisseur du ponce. Les muscles long extenseur, court extenseur, long abducteur et long fléchisseur du pouce peuvent être lésés partiellement, ou par une lésion traumatique, ou dans la paralysie saturnine et végé- tale, ou dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive. Quant à la paralysie du long fléchisseur du pouce, je ne l’ai observée iso- lément qu’une fois. A. — Faits physiologiques fondamentaux. Le muscle long extenseur du pouce est le seul des muscles mo- teurs du pouce dont l’action propre justifie la dénomination qui 792 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DE LA MAIN. lui a été donnée, car il étend à la fois les deux phalanges et le pre- mier métacarpien qu’il rapproche un peu du second. C’est le seul muscle qui place le premier métacarpien sur le plan du second métacarpien. Le court extenseur du pouce est le seul abducteur réel du pre- mier métacarpien ; son action d’extension sur la première phalange est faible. Le long fléchisseur du pouce fléchit la seconde et la première phalange, et surtout la seconde. I] est sans action sur le premier métacarpien (voy. la fig. 125, dans laquelle on observe que le sujet, l'iG. 125. dont les faisceaux musculaires qui exécutent l’opposition sont atro- phiés, ne peut mouvoir son premier métacarpien à l’aide de son flé- chisseur). Quant au long abducteur du pouce, il incline le premier méta- carpien en avant, mais il ne produit pas l’abduction. B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. Parle fait de la paralysie des muscles long extenseur, court exten- seur, long abducteur et long fléchisseur du pouce, les mouvements propres de ces muscles sont nécessairement abolis ; ce qu’il est très facile de reconnaître. La paralysie du long extenseur du pouce (que je n’ai observée qu’une fois, à la suite d’une contusion de la partie inférieure et postérieure de l’avant-bras) place le pouce dans une opposition continue. L’impossibilité de le relever occasionnait delà gêne et de la maladresse dans une foule d’usages de la main ; cependant la plu- part de ces principales fonctions de la main n’en étaient pas moins conservées, car l’extension delà deuxième phalange du pouce pou- vait encore être faite pendant l’opposition par les muscles qui exé- cutent ce dernier mouvement, comme je l’ai démontré précédem- ment. PARALYSIE DES MUSCLES PRODUCTEURS DE L’ABDUCTION DU POUCE. La paralysie du long abducteur ne porte pas un grand trouble dans l’usage de la main, quoique le premier métacarpien soit alors entraîné par tous les faisceaux musculaires producteurs de l’ad- duction et de l’opposition. 793 Mais si à cette paralysie s’ajoute celle du long extenseur du pouce (ce que l’on observe fréquemment dans la paralysie saturnine), le premier métacarpien est placé d’une manière continue dans une opposition et dans une adduction encore plus grandes, et en même temps les deux phalanges du pouce sont infléchies dans la paume de la main,, comme dans la figure 126. Il en résulte que le pouce se trouve ainsi enfermé dans la paume de la main, lorsque le sujet ferme celle-ci ou lorsqu’il veut saisir avec elle un objet quel- conque. L’absence du court extenseur du pouce (seul producteur réel Fig. 126. Fig. 127 de l’abduction du premier métacarpien) cause de la difficulté dans certains actes, comme lorsqu’on écrivant ou en dessinant, le trait est dirigé d’avant en arrière. On remarque en effet (voyez la fig. 127) que dans ce mouvement le premier métacarpien se porte dans l’abduction, pendant que les deux phalanges sont fléchies, ou, en d’autres termes, que ce mouvement, opposé à celui qui trace le trait d’arrière en avant, est produit par le court extenseur et le long fléchisseur du pouce. Par le fait de la paralysie du long fléchisseur du pouce les mou- vements de la deuxième phalange du pouce sont complètement abolis, et l’articulation phalango-phalangienne ne tarde pas à s’an- kyloser. On comprend que les usages de la main en sont néces- sairement restreints et considérablement gênés. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DE LA MAIN. § ÏII. — Paralysie des mnscles extenseur abducteur et extenseur adducteur du poignet. Les paralysies partielles des muscles extenseur adducteur et ex- tenseur abducteur du poignet surviennent consécutivement à la lésion traumatique du nerf radial ou de ses filets, dans la paralysie saturnine et dans la paralysie rhumatismale du nerf radial. C’est ce qui ressort de l’observation pathologique. A. — Faits physiologiques fondamentaux I. Le premier radial est extenseur abducteur de la main; — le cubital postérieur produit l’extension avec abduction,—et le second radial l’extension directe. IL Le premier radial est le plus important des muscles exten- seurs de la main, parce que seul il exécute le mouvement d’abduc- tion nécessaire aux principaux usages de la main, et parce qu’étant destiné à modérer l’action abductrice du cubital postérieur, il se produit, consécutivement à sa paralysie, une déformation de l’ar- ticulation du poignet, déformation qui maintient celui-ci dans une abduction exagérée et irréductible à la longue, et gêne et même annule quelques fonctions de la main. B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. Lorsque les trois muscles extenseurs du poignet (le premier radial, le second radial et le cubital postérieur) sont simultanément paralysés, le diagnostic est facile ; car le poignet tombe toujours, alors même que les extenseurs des doigts sont sains, ces muscles étant par eux-mêmes incapables de produire l’extension du poignet. Maison pourrait méconnaître les paralysies partielles des extenseurs du poignet (paralysies partielles que j’ai fréquemment observées dans la paralysie saturnine), parce que l’extension de ce dernier est alors encore possible. Si le premier radial est seul affecté, l’extension du poignet ne peut être faite sans adduction. C’est au contraire l’abduction du poignet qui a lieu pendant son extension, lorsque le cubital posté- rieur est paralysé. La paralysie du second radial ne semble troubler aucunement l’extension du poignet, car l’extension directe est dans ce cas pro- duite par la synergie des premier et second radiaux, et l’extension abductrice ou adductrice a lieu par l’action isolée ou par la prédo- minance de l’un deux. On reconnaît cependant la paralysie du second radial parle défaut de tension de son tendon, pendant l’ex- tension du poignet. Enfin ce dernier mouvement se fait avec moins de force. PARALYSIE DES MUSCLES EXTENSEURS DU POIGNET. Les troubles fonctionnels occasionnés par l’impossibilité de re- lever le poignet sont trop connus pour que j’aie à les décrire ici. Il n’en est pas de même de ceux qui sont produits par les para- lysies partielles de ces muscles. La paralysie du premier radial (extenseur abducteur du poignet) dans laquelle la main est portée dans une adduction continue, est la plus grave de ces paralysies partielles, parce qu’elle ne permet pas à la main de servir la partie antérieure du corps, ou du moins parce qu’elle rend cet usage très difficile. On peut du reste en faire l’expérience sur soi-même en tenant son poignet dans l’adduction et en essayant, par exemple, de porter les doigts à la bouche, à la figure, de poser son chapeau sur la tête, de mettre sa cravate, etc., et l’on verra quelles difficultés on éprouve pour remplir ces fonctions. Il est bien d’autres usages qui sont empêchés par cette paralysie partielle du premier radial. J’en ai rapporté un cas dans l’observation XLVI, et l’on voit dans la figure page 305, quelle est l’attitude de la main consécutive- ment à cette paralysie. J’ajouterai qu’à la longue les muscles adducteurs se sont con- tractures et que l’articulation radio-carpienne s’est déformée; tous les usages de la main en étaient considérablement gênés. La paralysie du cubital postérieur (de l’extenseur adducteur du poignet), à la suite de laquelle la main est placée dans l’abduction, occasionne comparativement beaucoup moins de gêne dans les usages manuels. Quant cà la paralysie du second radial (extenseur direct du poi- gnet), les malades ne s’en aperçoivent pas, quoique le mouvement d’extension du poignet soit exécuté plus faiblement que du côté opposé ; il n’y a que l’examen attentif du médecin qui la fasse découvrir. Une fois j’ai vu les palmaires détruits partiellement par l’atro- phie graisseuse progressive, je n’ai noté d’intéressant que le trouble fonctionnel suivant : lorsque le malade étendait les doigts parallè- lement aux métacarpiens, pendant que la main était en pronation, son poignet se renversait malgré lui sur l’avant-bras. Ce mouve- ment était produit par les extenseurs des doigts (qui sont aussi PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DE LA. MAIN. extenseurs du poignet), qui ne pouvaient plus être modérés syner- giquement par les palmaires. § VIII. — Paralysie des muscles qui produisent la supination et la pronation. J’ai observé la paralysie partielle des muscles qui produisent la supination consécutivement à des lésions traumatiques. J’ai vu aussi ces muscles atteints partiellement dans l’atrophie musculaire progressive. A. — Faits physiologiques fondamentaux. Il existe trois muscles pronateurs : deux de ces muscles, le rond pronateur et le carré pronateur, sont indépendants ; le troisième, qui produit à la fois la semi-pronation et la flexion de l’avant-bras sur le bras, est connu sous le nom de long supinateur. (Cette déno- mination est inexacte, puisque ce muscle est demi-pronateur et flé- chisseur de l’avant-bras sur le bras.)—J’ajouterai que tous les mus- cles qui s’attachent à l’épitrochlée concourent à la pronation. Deux muscles président à la supination : l’un, le court supinateur, est supinateur indépendant; l’autre, le biceps brachial, exécute si- multanément la demi-supination et la flexion de l’avant-bras. La pronation et la supination peuvent donc se faire indépendamment, soit dans l’extension, soit dans la flexion de l’avant-bras sur le bras, tandis qu’un seul muscle exécute à la fois ou la pronation et la flexion, ou la supination et la flexion. (Je dois ajouter que pour donner une entière liberté à la flexion de l’avant-bras sur le bras, la nature lui a attribué un fléchisseur indépendant : le brachial an- térieur.) B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. Les muscles qui président ou qui concourent à la pronation et à la supination sont en tel nombre, qu’ils se suppléent mutuellement, lorsque l’un d’eux vient à être frappé d’inaction. Aussi leurs para- lysies partielles ne sont-elles pas faciles à reconnaître; quelquefois môme leur diagnostic est impossible. Nul ne saurait dire si le carré pronateur est paralysé quand le rond pronateur est sain, et vice versa, parce que leur action est abso- lument la même. Peut-être pourrait-on espérer de reconnaître que le rond pronateur se contracte à son gonflement, mais je dirai que le signe est très obscur et que je n’ai pu m’en servir. Lorsque ces deux muscles sont paralysés, la pronation peut PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. 797 encore être faite par le muscle dit long supinateur, et alors l’avant- bras est fléchi sur le bras; mais comme ce muscle n’est que demi- supinateur, le malade s’efforce d’augmenter la pronation en faisant tourner son humérus en dedans avec son sous-scapulaire et en écartant un peu le coude du tronc. La force de ce mouvement de supination est très faible. Le court supinateur est-il paralysé, la supination est encore pro- duite par le biceps, qui en même temps fléchit l’avant-bras. Le sujet essaye alors d’obtenir une supination plus complète en impri- mant à son humérus un mouvement de rotation en dehors, à l’aide de son sous-épineux et en rapprochant le coude du tronc. Pour être donc certain que la supination est due seulement à l’action du court supinateur, il faut fixer solidement et dans l’extension le bras du sujet dont on veut explorer ce mouvement. On procède de la même manière à l’examen de l’état des mouvements de pronation. Si alors la supination et la pronation se font, on est certain que ces mouvements sont exécutés par les muscles qui en sont spécia- lement chargés, par les pronateurs ou par le supinateur indé- pendant. ARTICLE III. PARALYSIES PARTIELLES DES MUSCLES MOTEURS OU PIED. Les paralysies musculaires partielles peuvent siéger dans les muscles moteurs du pied, sur la jambe ou seulement dans les mus- cles moteurs des orteils. Il importe de rappeler ici quelques principes généraux sur la physiologie musculaire de cette région, principes qui ressortent en grande partie de mes recherches, et sans lesquels il est impossible de faire un pas dans la pathologie musculaire du pied. Six muscles sont spécialement destinés à mouvoir le pied sur la jambe ; ce sont le triceps sural (jumeaux et soléaire), le long péro- nier latéral, le jambier antérieur, le long extenseur des orteils, le jambier postérieur et le court péronier latéral. Les deux premiers produisent l’extension du pied, les deux sui- vants la flexion, et les deux derniers ses mouvements latéraux, indépendamment delà flexion et de l’extension. H n’existe pas de muscle qui exécute directement l’extension ou la flexion du pied, c’est-à-dire sans le porter dans l’adduction ou l’abduction et sans le renverser en dedans ou en dehors ; ces mou- vements d’extension ou de flexion directes ne peuvent être obtenus (lue par des combinaisons musculaires. Ainsi le triceps sural est 798 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. extenseur adducteur, et le long péronier latéral extenseur abduc- teur; de leur action combinée résulte l’extension directe; le jam- bier antérieur est fléchisseur adducteur, et le long extenseur des orteils fléchisseur abducteur; en se contractant synergiquement, ces deux muscles fléchissent directement le pied. 11 serait rationnel de tirer la dénomination des muscles moteurs du pied de la fonction pour laquelle ils ont été créés. C’est cette dénomination que j’avais antérieurement adoptée pour rendre plus simple et plus claire l’étude physiologique qui taisait l’objet de ces recherches; mais j’ai reconnu que c’était introduire la confusion dans le langage médical, et qu’en changeant les anciennes dénomi- nations, je me suis exposé à n’être pas compris par ceux qui sont familiarisés avec elles. Je laisse donc à l’avenir ou même à ceux qui sont chargés de l’enseignement le soin d’introduire dans cette partie du langage anatomique la réforme que je propose. Outre ces mouvements du pied sur la jambe, ces muscles exécu- tent encore individuellement un grand nombre de mouvements articulaires partiels. L’étude en a été trop négligée jusqu’à ce jour. Elle est d’un grand intérêt pratique; car sans la notion de ces mou- vements articulaires partiels, il est difficile, on peut même dire impossible de comprendre non-seulement le mécanisme des mou- vements physiologiques du pied et de son attitude normale, mais aussi le mécanisme de ses mouvements pathologiques et de ses dif- formités consécutives à certaines lésions musculaires. § 1. — Paralysie ou atrophie du triceps sural (jumeaux et soléairc). A. — Faits physiologiques fondamentaux. L’étude physiologique du triceps sural est inséparable de celle du long péronier latéral. Aussi exposerai-je ici parallèlement le résumé de mes recherches électro-physiologiques sur ces deux muscles, résumé que j’extrais de mon mémoire publié en 1856 sous le titre ; Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les muscles qui meuvent le pied, et qui sera reproduit dans mon Traité d’électro- physiologie musculaire actuellement sous presse. I. Triceps sural. — Le triceps sural (jumeaux et soléaire) étend avec une grande puissance l’arrière-pied et la moitié externe de l’avant-pied ; il n’exerce aucune action sur la moitié interne de ce dernier. — Après avoir produit le maximum d’extension du pied dans son articulation tibio-tarsienne, il lui imprime un mouvement PARALYSIE DU TRICEPS SURAL. 799 de pivot sur l’axe de la jambe, de manière que sa pointe est portée en dedans et le talon en dehors; en même temps, il le fait tourner sur son axe antéro-postérieur en abaissant davantage son bord externe, tandis que son bord interne s’élève. Il en résulte que la plante du pied regarde en dedans. On peut diviser en deux temps les mouvements articulaires qui ont lieu dans le tarse, sous l’influence de l’extenseur adducteur, savoir : un premier temps pour le mouvement de l’articulation tibio-tarsienne, et un second temps pour celui de l’articulation cal- canéo-astragalienne. — Dans le premier temps, le calcanéum, en s’étendant, fait mouvoir l’astragale dans sa mortaise, et entraîne puissamment, dans le mouvement d’extension qui en résulte, le cuboïde et les deux derniers métatarsiens, comme s’ils ne formaient qu’un seul os avec lui, parce qu’il leur est uni, par le ligament calcanéo-cuboidien inférieur, très solidement et de telle sorte que ces os ne peuvent se mouvoir de bas en haut que dans une étendue très limitée. Mais, comme il n’existe pas à la face plantaire de liga- ment qui, pendant l’extension de barrière-pied, empêche la partie interne de l’avant-pied de remonter, si une force agit sur elle en sens contraire de l’extension, le premier métatarsien, le premier cunéiforme et le scaphoïde cèdent à la plus légère résistance qui leur est opposée par le sol, malgré l’extension puissante exercée par le triceps sural sur les autres parties du pied. Le second temps commence au moment où l’astragale est arrivée aux dernières limites de son mouvement d’extension. A ce moment, le diamètre antéro-postérieur des surfaces articulaires du calcanéum étant oblique de bas en haut et d’arrière en avant, la moindre traction exercée sur le tendon d’Achille fait glisser le calcanéum sur l’as- tragale. Ce glissement ne pouvant avoir lieu d’avant en arrière sous l’influence du triceps sural, parce que les ligaments qui unis- sent le calcanéum à l’astragale et au scaphoïde s’y opposent, le calcanéum se meut sur l’astragale seulement, suivant la direction oblique d’arrière en avant et de dedans en dehors des facettes de l’articulation sous-aslragalienne. Ce glissement du calcanéum sur l’astragale produit un double mouvement de rotation du calcanéum sur son grand axe et sur l’axe de la jambe. C’est de ce double mouvement du calcanéum que résultent l’adduction du pied et le renversement en dehors de sa face dorsale. II. Long péronier. — Le long péronier latéral abaisse le bord interne de l’avant-pied et creuse la voûte plantaire, maintient solide- ment, à la manière d’un ligament, le premier métatarsien dans cet état d’abaissement, pendant que le triceps sural étend avec force 800 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. l’arrièro-pied et la partie externe de l’avant-picd dans l’articulation libio-tarsienne. — Ensuite il imprime au pied un double mouve- ment de rotation, en vertu duquel ce dernier se porte dans l’ab- duction, et en même temps son bord externe s’élève. — Ce muscle agit faiblement comme extenseur sur l’articulation tibio-tarsienne. L’abaissement du bord interne du pied par le long péronier est le résultat d’une série de petits mouvements articulaires successifs. Ainsi le premier métatarsien s’abaisse sur le premier cunéiforme, celui-ci sur le scaphoïde, et ce dernier sur l’astragale. La tête du premier métatarsien (la saillie sous-métatarsienne) est alors abaissée chez l’adulte dont la voûte plantaire est normale, d’environ un centimètre et demi par le premier mouvement, et d’un centimètre par le second; le dernier mouvement a moins d’étendue. Au maximum d’action du long péronier, la tête du premier méta- tarsien se trouve placée sur un plan inférieur à celui de la tête du second métatarsien. — Le mouvement du bord interne de l’avant- pied ayant lieu alors obliquement en bas et en dehors, la tête du premier métatarsien exécute une sorte de mouvement d’opposition et va recouvrir un peu la tête du second métatarsien. — Enfin, au plus haut degré de contraction du long péronier latéral, les trois cunéiformes sont tassés les uns contre les autres, à leur face infé- rieure, ce qui imprime à l’avant-pied un mouvement de torsion qui se propage à tous les métatarsiens et diminue le diamètre trans- versal de l’avant-pied. Les mouvements d’abduction du pied et d’élévation de son bord externe, dus à l’action du long péronier latéral, sont la consé- quence du glissement du calcanéum sur l’astragale, en sens inverse de celui qui a lieu sous l’influence du triceps sural. Ce glissement est favorisé par les dispositions anatomiques des surfaces de l’articulation calcanéo-astragalienne mais il ne pour- rait se faire sans l’existence de la fosse triangulaire, profonde qui termine en dehors le sillon interosseux creusé sur la face supé- rieure du calcanéum. En effet, pendant que l’astragale se meut sur le calcanéum, sous l’influence de la contraction du long péronier latéral, le bord antérieur de la facette articulaire postérieure de l’astragale s’enfonce dans celte fosse triangulaire, repoussant en avant la partie correspondante du ligament interosseux. B. — Troubles fonctionnels et déformation du pied. Lorsque le triceps sural a perdu son action, le mouvement tension du pied ne se fait plus dans l’articulation libio-tarsienne PARALYSIE DU TRICEPS SURAL. 801 qu’avec une grande faiblesse, et encore cette extension va-t-elle à peine au delà de l’angle droit, malgré la contraction énergique du long péronier latéral et du long fléchisseur des orteils qui, ainsi que je l’ai dit, agissent faiblement sur l’articulation tibio-astragalienne. Pendant que le malade s’efforce ainsi d’étendre son pied, on ne sent pas la tension du tendon d’Achille. Par le fait de la paralysie, et surtout de l’atrophie du triceps sural, le pied subit la déformation suivante : le talon s’abaisse graduellement, comme dans les figures 128 et 129, tandis que l’avant-pied s’infléchit sur l’arrière-pied; il en résulte un talus pied creux. J’ai déjà exposé la genèse de cette espèce de pied bot dans une note de la page 280, à l’occasion de l’observation du sujet dont les pieds sont représentés dans les figures 128 et 129 ; j’y renvoie le lecteur. Je rappellerai seulement que cette espèce de talus pied creux varie suivant que les muscles qui agissent sur l’avant-pied sont plus ou moins lésés. Ainsi sont-ils tous intacts, l’avant-pied s’infléchit en masse sur l’arrière-pied : c’est un talus pied creux direct (voyez fig. 128). Le long péronier est-il alors altéré, le bord interne du pied est maintenu relevé par Fig. 128. Fig. 129. le jarnbier antérieur et le long fléchisseur des orteils agissant seul, la face plantaire du pied regarde en dedans: c’est un talus pied creux tordu en dedans (varus de l’avant-pied, voyez fig. 129). Enfin, lorsque dans ce même cas le long péronier agit seul sur l’avant- pied, la saillie sous-métatarsienne est plus abaissée que la tête du dernier métatarsien et l’avant-pied regarde en dehors; c’est un talus pied creux tordu en dehors. Tout talus est valgus. On comprend que cela doit être, puisque le triceps sural étant adducteur, ainsi que je l’ai démontré expérimentalement et comme Delpech l’avait établi bien antérieurement, d’après l’observation pathologique, la paralysie ou l’atrophie de ce muscle donne nécessairement unepré- DUCHENNE. 802 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. dominance d’action aux forces toniques qui tendent à placer l’ar- rière-pied dans l’abduction. Le mouvement qui produit le talus se passe, comme je l’ai montré, dans l’articulation tibio-tarsienne, de sorte que lorsque le talus est à son maximum, l’astragale a exécuté son maximum de flexion. Fig. 130. Fig. 131. A ce moment, l’articulation tibio-tarsienne est condamnée à l’inac- tion. Mais le sujet y supplée alors en mettant instinctivement en mouvement son articulation calcanéo-astragalienne à l’aide du muscle qui produit la flexion abductrice, avec son long extenseur des orteils. (Je démontrerai par la suite que le mouvement d’ab- duction qui se passe dans l’articulation calcanéo-astragalienne élève aussi la pointe du pied. Ce mouvement de flexion abductrice est d’autant plus grand, plus exagéré, que le talus est plus avancé. Les figures 130 et 131 en donneront une idée.) La première représente un talus pied creux direct au repos; la seconde montre le mouvement d’abduction considérable du pied, pendant la flexion de ce membre. Or ce mouvement de flexion abductrice, qui a lieu dans tous les talus pieds creux, se passe dans l’articulation calcanéo-astragalienne. Les déformations articulaires produites par le talus pied creux sont d’autant plus grandes qu’il est arrivé à un plus haut degré. — Le mouvement de flexion supplémentaire incessamment répété use à la longue les surfaces articulaires, qui alors frottent l’une contre l’autre, c’est-à-dire que le bord antérieur de la facette articulaire postérieure de l’astragale, creuse, en s’usant lui-même, la fossette PARALYSIE DU LONG PÉRONIER LATÉRAL. 803 triangulaire qui termine en dehors le sillon interosseux situé à la lace supérieure du calcanéum. On peut voir dans la figure 45, pl. X lithographiée, qui représente sur un membre disséqué un talus pied creux tordu en dedans, consécutif à l'atrophie graisseuse du triceps sural et du longpéronier latéral, combien cette fossette triangulaire a été creusée par la facette articulaire postérieure de l’astragale, qui elle-même a été usée par ces frottements continuels. Les déforma- tions articulaires produites par l’inflexion de F avant-pied sur bar- rière-pied ne sont pas moins considérables. Elles siègent principale- ment dans l’articulation médio-tarsienne. Les surfaces articulaires qui se subluxent, pour ainsi dire, y sont usées dans le sens de cette inflexion, et les ligaments correspondants à l’angle médio-tarsien se rétractent à la face plantaire, tandis qu’ils sont allongés sur le dos du pied. Ces déformations, que l’on rencontre dans toutes les espèces de pieds creux, ont été parfaitement décrites par M. Bouvier à l’oc- casion du pied creux que l’on observe dans le deuxième et le troi- sième degré du varus équin (1). .Fy renvoie le lecteur. Après avoir lu la description des désordres occasionnés par la paralysie ou par l’atrophie du triceps sural dans les mouvements et dans la conformation du pied, il semble quVm ne saurait mécon- naître cette paralysie; malheureusement il n’en est pas toujours ainsi, car j’ai vu commettre à ce sujet les plus graves erreurs, au début et dans les premiers mois de celte paralysie. A ce moment, la paralysie cause peu de trouble dans la marche et dans la forme du pied, on remarque seulement une légère claudication; si alors on ne songe pas à examiner les mouvements partiels du pied sur la jambe, la paralysie, cause unique de la claudication, échappe à l’observa- teur, et l’on fait à l’occasion de cette claudication des diagnostics impossibles. J’ai vu, en effet, dans ces cas, attribuer la claudication à une altération de l’articulation coxo-fémorale. C’est seulement à la longue, et alors qu’il n’est plus temps, que l’on reconnaît à la défor- mation du pied et aux désordres de ses mouvements, l’existence d’une paralysie locale. §11. — Paralysie du long péronicr latéral La paralysie du long péronier latéral a été méconnue jusqu’à ce jour : c’est que pour la diagnostiquer ou pour la décrire, il fallait avant tout connaître exactement l’action propre et le rôle important (!) Leçons cliniques sur les maladies chroniques de l’appareil locomoteur, 1858, p. 184. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. qu’il est appelé à remplir clans la station, dans la marche et dans la conformation du pied. Je puis dire sans exagération que tout cela était entièrement ignoré avant mes recherches électro-physiologi- ques. J'ai rencontré cette paralysie chez des individus dont les pieds étaient restés longtemps dans l’eau très froide; la contraclilité électro-musculaire y était intacte, on pouvait donc la croire rhu- matismale. Plusieurs fois elle est survenue à la suite d’un coup reçu sur le côté externe de la jambe. Mais ordinairement elle s’était montrée, sans d’autres causes apparentes qu’une grande fatigue, après une longue marche ou une station trop prolongée, chez des sujets dont la voûte plantaire était peu développée. Je regrette d’avoir à faire le sacrifice de ces observations impor- tantes, à cause du défaut d’espace. Je ne relaterai que celles qui offrent un double intérêt au point de vue du traitement et de la genèse du pied plat. A. — Faits physiologiques fondamentaux. J’ai déjà exposé sommairement, dans le paragraphe précédent, l’action propre du long péronier latéral, et le mécanisme de celte action, comme moteur des articulations tibio-astragaliennes, cal- canéo-astragaliennes, et d’une série de petites articulations du bord interne de l’avant-pied. Voici maintenant, en résumé et au point de vue des fonctions que le long péroniêr latéral est appelé à remplir, le fait principal qui découle de mes recherches électro- physiologiques. La voûte plantaire est la base de sustentation du membre infé- rieur; le pilier postérieur dé cette voûte est constitué par la tubé- rosité calcanéenne (le talon postérieur) et son pilier antérieur, principalement parla tête du premier métatarsien (le talon anté- rieur). Le long péronier est le seul muscle qui maintienne solide- ment abaissés la tête du premier métatarsien et les autres os (le premier cunéiforme et le scaphoïde) qui concourent à former la moitié antérieure de la voûte plantaire, dont il est le ligament actif. Lorsque le pied est posé à plat sur le sol, le corps repose sur les deux piliers delà voûte plantaire ; mais dans la station sur la pointe du pied, dans le saut, etc., le pilier antérieur supporte seul le poids du corps. B. “ Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. Étant bien connue l’action propre du long péronier latéral et les fonctions importantes qu’il remplit, on prévoit quels doivent être les troubles fonctionnels occasionnés par la paralysie de ce muscle ; je vais les décrire. PAUALYSIE DU LONG PÉ110N1EU LATÉUAL. 805 Dès que le long péronier latéral est paralysé, le premier méta- tarsien s’élève progressivement, entraînant après lui le premier cunéiforme et le scaphoïde, de telle sorte que la courbe de la voûte plantaire diminue peu à peu et finit par disparaître complètement; le pied devient plat. Si alors on en examine la face plantaire, on re- marque que»sa moitié antérieure regarde en dedans, c’est-à-dire que le pied est varus dans sa moitié antérieure. 11 en résulte que le pied ne peut pas poser à plat sur un plan horizontal, et que dans la station debout, la partie antérieure du pied ne touche le sol que par son bord externe. En vain le malade essaye-t-il d’abaisser la tête de son premier métatarsien, alors qu’il a perdu la faculté de contracter son long péronier latéral; en vain lui voit-on fléchir instinctivement son gros orteil par la contraction énergique de l’ad- ducteur et du court fléchisseur de ce dernier, pour trouver un point d’appui sur le bord interne de son avant-pied, la saillie sous-méta- tarsienne reste élevée et ne peut toucher le sol. Or voici la série d’accidents dont il ne tarde pas à souffrir, après une longue marche ou pendant une station prolongée. Il éprouve d’abord un engourdissement, des fourmillements, puis des picote- ments avec une grande fatigue dans la plante du pied. Plus tard il se plaint de douleurs vives, situées en avant et au-dessous de la malléole externe, et qu’il attribue ordinairement à une foulure (le pied, selon son expression, lui ayant tourné). A dater de ce moment, il s’aperçoit que son pied tourne de plus en plus en dehors et qu’il reste dans cette attitude ; alors est-on appelé à examiner le ma- lade, on constate qu’il est affecté d’un pied plat valgus douloureux, et que les muscles court péronier latéral, ou long extenseur des orteils, et quelquefois ces deux muscles à la fois, sont contracturés. Tel est le mode de développement du pied plat valgus doulou- reux, consécutivement à la paralysie du long péronier latéral. Les phénomènes morbides qui en signalent les diverses périodes concordent parfaitement avec les faits électro-pbysiologiques exposés précédemment. Les uns et les autres se confirment mutuelle- ment. Ainsi, dans la première période de la paralysie.du long péronier latéral, la force tonique du jambier antérieur, son antagoniste, élève progressivement la tête du premier métatarsien, et détruit la voûte plantaire; le pied présente alors la forme d’un pied plat varus dans sa moitié antérieure, dont le bord externe peut seul appuyer sur le sol pendant la station et la marche. De là l’engourdissement, 806 les fourmillements et la fatigue du pied, occasionnés par la com- pression du plantaire externe, pendant une marche ou une station un peu longues. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. Ce faux point d’appui est la cause des accidents qui produisent la seconde période du pied plat valgus. En ellet, le corps ne peut pasjongternps reposer impunément sur le bord externe de l’âvant- pied, comme il appuie, à l’état normal, sur la saillie sous-méta- tarsienne, pilier antérieur de la voûte plantaire. En* voici, selon moi, l’explication. La force qui agit de bas en haut sur la saillie sous-métatarsienne, solidement fixée au bord externe du pied par la contraction du long péronier, ne met en jeu que l’articulation tibio-tarsienne, dans le sens de la flexion ; tandis que la même force agissant également de bas en haut sur le dernier métatarsien, tend à mouvoir principalement l’articulation calcanéo-astragalienne, dans le sens de l’abduction. Or, ne sait-on pas que la masse muscu- laire énorme du triceps sural, dont l’attache au calcanéum se fait dans des conditions si favorables, s’oppose énergiquement à la flexion de l’articulation tibio-tarsienne, et que le jambier postérieur seul s’oppose au mouvement d’abduction de l’articulation calcanéo- astragalienne. On comprendra donc que, lorsque l’avant-pied ne peut plus appuyer sur le sol que par son bord externe, le poids du corps fasse tourner l’articulation calcanéo-astragalienne dans le sens do l’abduction, sans que le jambier postérieur ait la force de s’y opposer constamment, comme le puissant muscle triceps sural s’oppose à la flexion de l’articulation tibio-astragalienne, flexion également solli- citée par le poids du corps. Voilà l’explication de la douleur qui, dans la paralysie du long péronier latéral, siège en avant et au-des- sous de la malléole externe. Cette douleur est produite par la fou- lure ou par la pression très forte et réitérée des surfaces articu- laires qui, dans l’abduction exagérée, a lieu inévitablement entre le calcanéum et l’astragale. L’irritation occasionnée par ces foulures articulaires provoque la contraction des muscles les plus voisins du point douloureux, du court péronier latéral et du long extenseur des orteils, qui alors maintiennent d’une manière continue et exa- gèrent le valgus pied plat. Est-il besoin d’ajouter que les ligaments s’accommodent, à la longue, à cette déformation du pied, c’est- à-dire qu’ils se rétractent dans un sens et s’allongent dans le sens op- posé? Enfin les surfaces articulaires peuvent s’altérer. 11 m’a semblé que la solution de mon problème serait bien plus complète, si je démontrais par des faits que les troubles fonctionnels (les douleurs pendant la station et la marche) et que la déformation du pied (le pied plat) disparaissent par la guérison de la paralysie ou de la faiblesse du long péronier. Or c’est ce (|uc j’ai obtenu par la faradisation localisée, dans les faits que j’ai à exposer. PARALYSIE DU LONG PÉUOMEU LATÉRAL. 807 J’ai suivi assez souvent les phases diverses du pied plat valgus, pour oser croire que la genèse que je viens d’exposer est appli- cable, en général, au pied plat valgus accidentel et même con- génital. Cette genèse du pied plat valgus n’était pas une simple théorie; je l’avais appuyée de tant de preuves électro-physiologi- ques et pathologiques, dans mon mémoire publié dans les Archives générales de médecine, en 1856, que j’espérais avoir alors porté la conviction dans tous les esprits. Mais les arguments qu’un pra- ticien des plus distingués, Bonnet (de Lyon), m’a opposés dans ses leçons cliniques, arguments que je me propose de réfuter bientôt, m’ont fait sentir la nécessité de-rechercher de nouvelles preuves à l’appui de cette genèse du pied plat valgus doulou- reux. Ces preuves seront puisées dans les faits électro-thérapeutiques que j’ai recueillis. La relation de ces faits aura en même temps l’avantage de faire ressortir l’importance de ce nouveau traitement rationnel (j’allais dire physiologique) du pied plat, que la chirurgie a quelquefois amé- lioré, mais qu’elle n’a jamais guéri. Observation CXCYII.—Pied plat valgus douloureux accidentel.—Paralysie du long péronier latéral.— Contracture de l'extenseur commun des orteils, du long péronier latéral et du court péronier latéral. — Guérison des douleurs ; retour de la voûte plantaire par la faradisation, malgré la persistance du valgus, qui ne guérit plus tard que par des manipulations de reboutage exercées en sens contraire de ce valgus. — Disparition des durillons anormaux. Mademoiselle Marie Paule, âgée de dix-huit ans, ouvrière blanchisseuse, demeurant rue Richelieu, n° 47, a commencé à éprouver, pendant la station prolongée ou la marche, des douleurs au niveau de la moitié externe et an- térieure de l’articulation du pied gauche avec la jambe. Ces douleurs étaient précédées et accompagnées de fourmillements et de picotements dans la plante du pied et d'une fatigue extrême. En même temps, elle s’aperçut que ce pied se renversait sur son bord interne et que sa pointe en était entraînée en dehors. Bien qu’elle ne soit pas certaine de la cause do ses douleurs et de la défor- mation de son pied, elle croit que son état de blanchisseuse, qui la force à travailler toujours debout, n’y est pas étranger. En effet, quelque temps après avoir commencé son apprentissage, elle a ressenti de la fatigue et des engourdissements dans son pied gauche jusqu’au moment de l’appari- tion des douleurs. Elle portait depuis plusieurs mois un appareil orthopé- dique qui n’améliorait pas son état, lorsqu’elle me fut adressée, en sep- 808 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. terabre 1858, par M. Bouvier, comme un cas type de pied plat valgus douloureux, et dans le but de me fournir un sujet d’études et de recher- ches, Voici les faits principaux qui caractérisent ce cas : Absence complète de voûte plantaire; renversement du pied sur son bord interne et saillie considérable de la malléole interne ; convexité du bord interne du pied avec saillie au niveau du scaphoïde, où l’on voit un durillon; des durillons exis- tent aussi en dehors et en avant de 1 avant-pied, en dedans et en dessous de la première phalange du gros orteil, tandis qu’au niveau de la saillie sous-métatarsienne, la peau est parfaitement lisse. La station et la marche provoquent une vive douleur dans un point qui me semble correspondre à la fosse triangulaire qui termine le sillon interosseux du calcanéum. Celte douleur s’irradiait dans les parties voisines. — Les muscles extenseurs des orteils et court péronier latéral étaient contractures. — Sous l’influence de la faradisation, le long péronier latéral se contractait très faiblement et abaissait à peine le bord interne de l'avant-pied, tandis qu’à droite ce même muscle réagissait énergiquement, sous l'influence du même courant, et exagérait la courbure de la voûte plantaire. Pendant la station ou la marche, l’extrémité antérieure et interne de l’avant-pied ne touchait pas le sol, même lorsque la malade voulait se tenir sur la pointe du pied. Le traitement par la faradisation du long péronier avec le courant de la première hélice et aveo intermittences rapides, a été commencé le 7 septembre 1858, et les séances ont été continuées deux fois par semaine. J’ai ordonné de ne plus porter l’appareil orthopédique. En quelques séances, les douleurs ont disparu, bien que la malade ne pût encore rester longtemps debout ou marcher sans éprouver de la fatigue ou de l’engourdissement dans les pieds. Après une douzaine de séances, le long péronier s’est contracté d’une manière très énergique et a abaissé considérablement le bord interne de l’avant-pied. Pendant le repos musculaire, le pied n’était plus aussi plat; la voûte plantaire commençait à se dessiner notablement : la malade sen- tait que pendant la station et la marche la saillie sous-métatarsienne posait sur le sol; dans ce point, l’épiderme commençait à s’épaissir, était rude au toucher, tandis que les durillons qui étaient situés au niveau du bord interne du scaphoïde et delà face inférieure de la première phalange diminuaient d’une manière très sensible. Cette amélioration augmentait progressivement sous l'influence de la faradisation : la voûte plantaire était presque normale; la station et la marche no provoquaient plus de douleurs, et cependant le pied était resté renversé sur son bord interne, quoique le long extenseur des orteils (fléchisseur abducteur) et le court péronier latéral ne me parussent plus contractures. Des brides, un certain accrois- sement des ligaments, effets de l’altitude vicieuse du pied si longtemps conservée, me semblaient donc être la cause principale de la persistance de ce valgus. Je résolus alors d’y remédier par une sorte de reboutage rationnel. La face interne de la jambe reposant sur un plan solide, j'exerçai progressivement sur la face dorsale et interne du pied une forte pression en sens inverse du valgus. En peu de temps le pied fut amené dans l’adduction. Cette réduction, qui fut très douloureuse, produisit des craquements et sans doute quelques déchirures; elle fut maintenue en plaçant sur la face externe et dorsale du pied, posé à faux, une cravate aux extrémités de laquelle était attaché un poids, qu’on augmenta graduelle- ment pendant que la jambe reposait sur un plan horizontal. Celte altitude fut conservée aussi longtemps que possible, lorsque la malade n’en était pas empêchée par son travail. Depuis lors, le valgus n’a plus reparu. Enfin, après une soixantaine de séances de faradisation, pratiquées à des inter- valles assez éloignés, la guérison est aussi complète que possible. La voûte plantaire est normale, les durillons anormaux ont entièrement disparu, tandis que 1 epiderme est devenu rude et épais dans le lieu d’élection du talon antérieur, c’est-à-dire au niveau de l’extrémité antérieure des deux premiers métatarsiens. PARALYSIE DU LONG PÉRONIER LATÉRAL. 809 Le fait thérapeutique précédent, un de ceux dont la faradisation ait le plus à s’enorgueillir à juste titre, démontre delà manière la plus complète l’exactitude de la théorie que j’ai exposée sur le méca- nisme du pied plat et sur les troubles fonctionnels qu’il apporte dans la station et dans la marche. En effet j’avais, dans ce cas, attribué à la paralysie ou à la fai- blesse du long péronier latéral le pied plat et l’impossibilité ou la difficulté d’abaisser avec force la saillie sous-métatarsienne; ce qui avait forcé conséquemment le bord externe de l’avant-pied de s’appliquer sur le sol pendant la station et la marche. Je disais que par le fait de ce faux point d’appui de la jbase de susten- tation, le poids du corps et la résistance du sol avaient agi d’une manière vicieuse sur l’articulation sous-astragalienne, en la sollici- tant à se mouvoir dans le sens de l’abduction ; ce qui produit secon- dairement le valgus. Je soutenais qu’il en était résulté une pression douloureuse sur certains points des surfaces articulaires de l’as- tragale et du calcanéum, et que ces douleurs articulaires avaient ensuite provoqué ou entretenu des contractures musculaires qui aggravaient le valgus; enfin les durillons anormaux me semblaient être produits par les faux points d’appui du pied sur le sol. Eh bien ! s’il était vrai que tous ces désordres, ces troubles fonc- tionnels fussent la conséquence de la paralysie du long péronier latéral, la guérison seule de cette dernière affection devait les faire disparaître. C’est, en effet, ce qui est arrivé dans le cas dont j’ai exposé la relation. 810 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. Ou a sans doute remarqué que l’heureuse influence du dévelop- pement progressif de la force du long péronier s’est fait rapidement sentir, par la cessation des douleurs, par le retour de la voûte plan- taire, etc., bien que le valgus fût encore maintenu par d’anciennes brides. C’est que le pied pouvant alors, grâce au retour de la force de ce muscle, reposer pendant la marche et la station sur la saillie sous- métatarsienne, sur le pilier antérieur de la voûte plantaire, le poids du corps et la résistance du sol agissaient principalement sur l’ar- ticulation tibio-tarsienne et ne produisaient plus l’écrasement des tissus placés entre les surfaces correspondantes de l’articulation sous-astragalienne, comme lorsque le pied appuyait sur son bord externe. On a vu qu’il a suffi ensuite de quelques manipulations de reboutage pour détruire les brides ou les rétractions ligamenteuses qui entretenaient le valgus. Ce valgus, enfin, ne s’est plus repro- duit, quoique la malade ne portât point d’appareil et continuât de marcher, parce que la cause productrice principale de ce valgus, la station sur le bord externe du pied, n’existait plus. Et cependant la réduction du valgus par la ténotomie des mus- cles rétractés et par certaines manipulations, quand il n’y a que des contractures ou des résistances ligamenteuses, est la première et même la seule pratique qui, jusqu’à ce jour, ait préoccupé le chi- rurgien. Tout en reconnaissant l’utilité ou la nécessité d’en venir tôt ou tard à cette intervention de la chirurgie, le fait thérapeutique que je viens d’exposer démontre que cette déformation du pied n’est pas la maladie ou la lésion principale que l’on doit combattre avant tout. Je puis même ajouter que l’on est peu avancé, alors même qu’on a triomphé de cette lésion secondaire. Voici un fait qui démontre la vérité de cette assertion encore mieux que le précédent. Observation CXCVIII. — Pied plat valgus douloureux accidentel, datant do deux ans. — Contracture du court péronier latéral et du long extenseur des orteils. — Paralysie du long péronier latéral. — Guérison sous l'in- fluence de la faradisation de celle paralysie, et conséquemment des douleurs, du pied plat, accidents qui avaient persisté après la ténotomie, malgré la réduction du valgus. Jean Cotereau, âgé de dix-sept ans, demeurant rue Richelieu, 92, a commencé, vers le milieu de l’année 4 856 et à l’âge de treize ans, son apprentissage d'ouvrier emballeur. Quelques mois après, il ressent de la fatigue et des engourdissements dans le pied gauche. Vers le commence- ment de 1857, à celte fatigue s’ajoutent, dit-il, des douleurs dans la join- litre du pied avec la jambe, surtout en dehors et en avant de la cheville, douleurs provoquées par la station et la marche. En même temps il s’aperçoit que son pied se renverse sur son bord interne et que sa pointe tourne en dehors. Il est bientôt forcé de quitter son état et de prendre le lit. En septembre 1858, il entre à l'hôpital de la Clinique. M. A. Ri- chard, professeur agrégé de la Faculté, qui faisait alors provisoirement le service de M. le professeur Nélaton, a l'obligeance de m’inviter à observer ce malade qu’il avait l’intention de ténotomiser. Levalgus parais- sait en effet causé par la contracture de l’extenseur des orteils et des péro- niers latéraux, en raison d’une saillie considérable et tendineuse au-dessus de la malléole externe. Cependant, à un examen attentif, je diagnostiquai que le court péronier seul était contracturé avec le long extenseur des orteils, et que le long péronier était au contraire paralysé. Ce diagnostic était déduit de l’existence du pied plat, qui exclut toute possibilité de con- tracture du long péronier. PARALYSIE DU LONG PÉRÜNIER LATÉRAL. 811 Un autre signe du pied plat, un fort durillon situé en dedans et au- dessous de la première phalange du gros orteil, venait corroborer ce dia- gnostic. En conséquence, je proposai à mon habile confrère de ténoto- miser seulement le court péronier latéral près de son attache au dernier métatarsien, au lieu de couper à la fois, selon la méthode enseignée pour l’opération du pied plat valgus douloureux, les deux péroniers derrière la malléole externe. M. Richard pratiqua, le 18 septembre, la section du court péronier dans le point ci-dessus indiqué, après avoir aussi divisé l’exten- seur des orteils; le pied fut ensuite maintenu dans un appareil, après la réduction du valgus. Le malade est sorti le 20 novembre 1858, guéri de son valgus. Malgré la ténotomie et la réduction de son valgus, Cotereau a continué de souffrir pendant la station et la marche, môme quand il portait son appareil. Six semaines après sa sortie de l’hôpital, j’ai constaté que son pied (voy. la fig. 132) avait l’altitude et la forme ordinaires du pied plat avant de devenir valgus (valgus qui avait été guéri seul par l’opération) ; qu’il ne pouvait rester un instant debout sans que les anciennes douleurs revins- sent très vives et sans que le pied tournât comme auparavant sur son bord externe, le bord interne de l’avant-pied ne pouvant être appliqué contre le sol. J'ai constaté aussi que le long péronier gauche se contractait à peine sous l’influence d’un courant faradique intense, tandis que du côté opposé la contraction du même muscle était très énergique, ce qui confirmait l’exis- tence de la paralysie du long péronier droit, que j’avais primitivement diagnostiquée seulement d’après les signes tirés de l’existence du pied plat et de durillons anormaux. Ajouterai-je enfin que le pied était resté plat et que le durillon sous-phalangien du gros orteil était toujours aussi développé? Dès lors j’ai faradisé le long péronier paralysé avec un courant de la 812 première hélice et avec des intermittences rapides. Les séances ont eu lieu chaque jour et ont duré de huit à dix minutes. Après la cinquième séance, les douleurs n’ont plus été rappelées par la station, même quand le malade ne portait pas son appareil, et le talon antérieur (la saillie sous-métalar- PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. FiG. 132. Fjg. 133. sienne) s’appuyait sur le sol; mais elles revinrent après une vingtaine de pas. Alors j’ai fait abandonner l’appareil, en recommandant de marcher peu et de ne pas rester trop longtemps dans la station. En une quinzaine de séances, ces douleurs ont à peu près disparu ; elles se sont fait sentir fai- blement lorsque la marche a été trop longue : le valgus ne s’est plus repro- duit; la voûte plantaire a commencé à se dessiner. Enfin la guérison a marché progressivement, et, après deux mois et demi de faradisation, elle était aussi complète que possible. Aujourd’hui (voy. la fig. 133) la voûte plantaire est très prononcée et le durillon sous-phalangien du gros orteil, qui était très développé, est com- plètement effacé, tandis qu’un durillon normal s’est développé au niveau de la saillie sous-métatarsienne. De môme que pour le pied plat valgus douloureux accidentel, de môme dans le pied plat valgus douloureux congénital, l’expérimen- tation est venue confirmer l’exactitude delà genèse du valgus secon- daire que je viens d’exposer. Ainsi il n’est pas jusqu’il ce jour un pied plat valgus congénital douloureux chez lequel je n’aie pas vu la douleur provoquée par la station ou la marche disparaître ra- pidement sous l’influence de la faradisation du long péronier. Les malades ont remarqué alors qu’ils appuyaient de mieux en mieux sur la saillie sous-métatarsienne du gros orteil, où l’on voyait d’ailleurs apparaître un épaississement de l’épiderme. Dans plu- sieurs cas même et chez de jeunes sujets, cette excitation faradique suffisamment prolongée du long péronier a formé la voûte plan- taire dont la courbe a augmenté progressivement. APPENDICE AU PARAGRAPHE PRÉCÉDENT. 813 Je ne veux pas entrer trop avant dans cette question thérapeu- tique dont tout le monde comprend l’importance et la nouveauté. Elle est encore à l’étude; je n’en ai parlé ici qu’au point de vue du problème pathologique que j’avais à résoudre, à savoir: 1° que le long péronier latéral est le seul muscle de la voûte plantaire qui maintienne solidement abaissée la saillie sous-métatarsienne que j’ai appelée pilier antérieur de la voûte plantaire ou talon antérieur ; 2° que par le fait de son défaut d’action, accidentel ou congénital, il se produit, nécessairement un pied plat, et secondairement un valgus; qu’il occasionne enfin des troubles spéciaux pendant la marche et la station. Ces déformations et ces douleurs peuvent alors être attri- buées à un faux point d’appui sur le bord externe du pied. APPENDICE AU PARAGRAPHE PRÉCÉDENT RÉPUTATION DES OBJECTIONS DE BONNET (DE LYON) CONTRE LES PRINCIPES PHYSIOLOGIQUES EXPOSÉS DANS CE TRAVAIL. La solution d’un des problèmes importants de cet article, l’action propre du long péronier latéral, est aussi complète que possible; les éléments de ma démonstration ont été puisés dans l’expérimenta- tion électro-physiologique, dans la pathologie et dans la thérapeu- tique, éléments qui eux-mêmes se sont contrôlés et prouvés mu- tuellement. Malgré cet ensemble de preuves, les nouveaux principes physio- logiques qui ont mis en lumière la genèse du pied plat valgus n’ont pas été compris, à mon grand regret, par Ronnet (de Lyon). Ce célèbre chirurgien m’a fait l’honneur de discuter et de les com- battre dans des leçons cliniques (1). Bonnet est, on le sait, un de ceux qui se sont occupés avec le plus de distinction des difformités qui peuvent affecter le pied, et en particulier de l’espèce de valgus désignée par M. G’uérin sons le nom de pied plat valgus douloureux. La haute position scientifique de mon contradicteur ne me permet pas de laisser ses arguments sans réponse. « Je ne puis passer sous silence (dit Bonnet) les idées de (1) Du pied plat valgus douloureux, clinique chirurgicale de M. Bonnet (de Lyon), par M. le docteur Delore, ancien chef de clinique chirurgicale (Bulletin gén. de thérapeutique méd. et chir., t. CIV, p. 480 et 536). — Voyez aussi l’ou- vrage de Bonnet, Traité de thérapeutique des maladies articulaires, Paris, 1853, p. 491 et suiv. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. RI. Duchenne (de Boulogne) sur la genèse du pied plat valgus, car elles trouvent ici une application directe. Elles peuvent se résumer ainsi ; Le long péronier latéral abaisse le bord interne de Vavant-pied et maintient la voûte plantaire. Quand il est paralysé, le pied plat valgus survient. Ces assertions sont tellement en opposition avec ce que Vobservation démontre, que nous chercherons à leur répondre, et par le raisonnement, et par les faits. » Ces raisonnements et ces faits sont autant d’erreurs physiologi- ques ou de diagnostic, je vais le prouver : 1° « Et d’abord (dit Bonnet) en même temps que le long péro- nier latéral abaisse la pointe du pied (il devait dire le bord interne de l’avant-pied), ne le renverse-t-il pas en dehors et ne le porte-t-il pas dans l’abduction. Ce sont là les éléments essentiels du val- gus (1). » Oui, certes, ce sont bien là les éléments d’un valgus, mais d’une espèce de valgus pied creux, et non du valgus pied plat, dont Bonnet veut contester la genèse que j’ai proposée. Cette espèce de valgüs pied creux par contracture du long péronier latéral a été méconnue par M. Bonnet ; il est vrai qu’elle n’avait pas encore été décrite avant mes recherches. Dans l’article XIX, consacré à l’étude des spasmes, je ferai con- naître des faits de pied creux valgus par contracture du long péro- nier latéral, que l’expérimentation électro-physiologique m’avait fait entrevoir longtemps avant d'avoir eu l’occasion de les observer. Ces faits pathologiques, qui ne sont pas rares, comme on le verra, et que l’on trouvera sans doute plus fréquents quand on saura les diagnostiquer, démontrent que \augmentation de la voûte plantaire est inséparable de la contracture du long péronier. En conséquence, l’existence du pied plat exclut nécessairement toute idée de con- tracture du long péronier latéral, et comme corollaire de cette der- nière déduction, je conclus de ce qui précède que Vaction propre ou la contracture du long péronier, loin de fournir les éléments essentiels du pied plat valgus, comme le croyait Bonnet, produit au contraire un pied creux. 2° Voici le second argument de Bonnet : « Dans les cas de pied bot valgus par rétraction musculaire, l’extrémité antérieure du pre- mier métatarsien (dit-il) se relève; si la voûte plantaire s’aplatit, c’est que les extenseurs ont vaincu le long péronier, qui dès lors ne fait plus que renverser le pied en dehors et le porter dans l’ab- duction. » (1) Loc. cil. APPENDICE AU PARAGRAPHE PRÉCÉDENT. Cotte objection est, s’il est possible, encore plus malheureuse que la première; car c’est une grosse erreur physiologique. Il est, en effet, démontré par l’expérienceélectro-physiologique directe que le long extenseur des orteils (fléchisseur abducteur du pied) est abso- lument sans action sur le bord interne de l’avant-pied, et que le jambier antérieur est le muscle destructeur de la voûte plantaire et le seul antagoniste du long péronier latéral. 815 3° Passons maintenant aux laits qui me sont opposés par mon illustre contradicteur. « Mais (dit plus loin Bonnet) les faits sont des arguments d’une bien plus grande valeur. Voyez nos premières observations. Il a suffi de couper le tendon des péroniers, et sans effort le pied plat a été ramené à sa direction normale. » Dans ces cas de pieds plats valgus opérés et rapportés par Bonnet, le court péronier latéral était contracturé. La section de ce muscle devait donc permettre la réduction immédiate du valgus. Bonnet croyait, il est vrai, que dans ces pieds plats la déviation du pied était maintenue principalement par la rétraction du long péronier. C’est pourquoi il s’en est fait une arme contre mes idées sur la ge- nèse du pied plat valgus. Il est aujourd’hui de toute évidence que c’était de sa part une erreur de diagnostic, puisque j’ai démontré plus haut que l'existence du pied plat exclut toute possibilité de contracture de ce muscle. C’est sans aucun doute le relief considérable du tendon du court péronier, derrière la malléole externe, dans les cas de contracture de ce muscle, qui a fait croire à l’existence de la contracture des deux péroniers latéraux. Il est extrêmement difficile, sinon impos- sible de reconnaître, à la saillie de ce relief, si l’un ou l’autre de ces muscles, ou si les deux muscles à la fois sont dans un état de con- tracture. Que l’on fasse contracter ces muscles isolément et alterna- tivement (1) ou ensemble, par la faradisation localisée, en mainte- nant le doigt placé sur leur tendon, et l’on se convaincra (le l’exac- titude de mon assertion. On ne reconnaît la contracture du court péronier que par le soulèvement et la tension de son tendon au niveau de son attache au dernier métatarsien et par les mouve- ments qui lui sont propres (ils seront décrits bientôt). L’absence de la saillie de ce dernier tendon dans le point indiqué, et l’abais- sement du bord interne de l’avant-pied, suivi d’un mouvement (1) Il est vrai que Bonnet nie, dans sa critique, la possibilité d’obtenir ces contractions isolées. Comme cette expérience a été faite des milliers de fois, et très souvent publiquement, son objection n’a point de valeur. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. d’abduction du pied, annoncent seuls la contraction isolée du long péronier latéral. L’erreur de diagnostic commise par Bonnet (je devrais dire par les chirurgiens, dans des cas analogues) a fait adopter en chi- rurgie une opération déplorable (la ténotomie des péroniers laté- raux derrière la malléole externe. Il a été, en effet, démontré par les faits que j’ai rapportés précédemment, que le pied plat valgus est, en général, occasionné par le défaut ou par l’insuffisance d’ac- tion du long péronier latéral ; le mécanisme des déformations et des accidents qui en sont la conséquence est parfaitement connu. Eu conséquence, une opération dans laquelle on divise le tendon de ce muscle qui n’est pas contracturé, comme cela est maintenant établi, aggrave infailliblement la maladie principale : le pied plat et la tendance au valgus. Si la rétraction du court péronier fait obstacle à la réduction du valgus, que la division soit laite près de son attache au dernier métatarsien. En suivant ce précepte, déduit des données physiologiques que j’ai exposées, non-seulement on ne lèse pas un muscle qui n’est pas contracture, mais on se ménage la facilité de traiter sa paralysie ou d’augmenter sa force par la faradisation, et d’arriver ainsi à la cure radicale de la maladie. Telle a été, dans le cas de pied plat valgus douloureux que j’ai relaté précédemment (observation CXGVIII), la méthode opératoire suivie par M. Richard, qui s’était pénétré des principes physiologiques que j’ai exposés. On me pardonnera, j’espère, cette excursion chirurgicale, puis- qu’elle fait ressortir l’importance des principes physiologiques que je défends, en en montrant une des déductions pratiques que l’on peut eu tirer. Eu résumé, il est démontré que les arguments et les faits opposés par Bonnet (de Lyon) contre les principes physiologiques que j’ai exposés sur les fonctions du long péronier latéral, et contre la genèse du pied plat valgus qui en découle, ne reposent que sur des erreurs physiologiques et pathologiques. § IH. >— Paralysie du jambier antérieur et paralysie du long extenseur des orteils. A. — Faits physiologiques fondamentaux. 1. Le jambier antérieur produit simultanément les trois mouve- ments suivants ; flexion du pied sur la jambe, élévation du bord interne de l’avant-pied, et adduction du pied. La flexion résulte du mouvement de l’articulation tibio-tarsienne; elle est exécutée avec une grande puissance. PARÂL. DU JAMBIER ANTÉRIEUR ET DU LONG EXTENSEUR DES ORTEILS. L’élévation du bord interne de l’avant-pied est due : 1° à une suc- cession de petits mouvements articulaires, savoir ; du premier mé- tatarsien sur le premier cunéiforme, de celui-ci sur le scaphoïde, et de ce dernier sur l’astragale, mouvements qui ont lieu en sens in- verse de ceux qui sont propres à l’action du long péronier latéral, mouvements qui sont, exécutés avec une grande force ; 2° à la rota- tion de dedans en dehors et de bas en haut du calcanéum sur l’as- tragale. 817 L’adduction est la conséquence du glissement des facettes articu- laires du calcanéum sur celles de l’astragale, glissement dont le mé- canisme est le même que celui du mouvement de l’articulation cal- canéo-astragalienne, et qui est propre à l’action du triceps sural. — Or on sait que ce mouvement de l’articulation calcanéo-astra- galienne ne peut faire tourner le calcanéum sur son grand axe, sans faire pivoter en même temps celui-ci sur l’axe de la jambe ; c’est de ce double mouvement que résulte l’adduction du pied par le jarnbier antérieur. — Mais la force de l’adduction du pied par le fléchisseur adducteur est faible, comparativement à la puissance du mouvement de flexion qu’il produit dans l’articulation tibio-tarsienne. La forme générale du pied est modifiée par l’action du jam- bier antérieur : sa face plantaire regarde en dedans, et les pha- langes, surtout celles du gros orteil, s’inclinent sur les métatar- siens. IL Le long extenseur des orteils fléchit le pied sur la jambe et le porte dans l’abduction; il étend aussi les orteils, mais ce der- nier mouvement paraît beaucoup moins prononcé que les précé- dents. La flexion du pied par le long extenseur des orteils est le produit d’un double mouvement articulaire, qui a lieu simultanément dans les articulations tibio-astragalienne et calcanéo-astragalienne, — Chez l’adulte, le degré d’élévation de l’extrémité du pied résultant de ces mouvements de l’articulation calcanéo-astragalienne est, en moyenne, de U centimètres et demi au bord externe de l’extrémité du pied, et à son bord interne d’un centimètre et demi au-dessus de la direction horizontale; le calcanéum s’abaisse alors d’un demi- centimètre. Le mécanisme du mouvement calcanéo-aslragalien dû à l’action du long extenseur des orteils est le même que celui qui a été décrit a l’occasion du long péronier latéral; cette articulation se meut néanmoins davantage dans le premier cas que dans le second, de telle sorte que le mouvement de trochlée, oblique de dedans en DUCHLNNE. 818 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. dehors et d’arrière en avant, qui est spécial à cette articulation et qui produit une légère élévation du pied en même temps que son abduction, est beaucoup plus prononcé. Le long extenseur des orteils agit plus puissamment sur l’arti- culation calcanéo-astragalienne que sur l’articulation tibio-tar- sienne. De la synergie d’action de ce muscle et du jambier antérieur résulte ou la flexion directe du pied sur la jambe, ou la flexion abductiice ou adductrice, ou les mouvements de circumduction. — Mais, pendant la flexion instinctive du pied sur la jambe, qui a lieu dans le second temps de la marche, les forces sont combinées de telle sorte que le pied se porte en même temps un peu dans l’abduction. L’utilité de ce mouvement, c’est que la flexion abduc- trice qui résulte des mouvements simultanés de l’articulation tibio- tarsienne et calcanéo-astragalienne, est plus étendue que la flexion directe produite uniquement par le jeu de l’articulation tibio-tar- sienne. Le muscle dit péronier antérieur n’est qu’une dépendance du long extenseur des orteils ; il manque souvent, et cependant le long extenseur des orteils n’en possède pas moins le pouvoir d’exercer les mouvements spéciaux décrits ci-dessus. Le long extenseur des orteils étend aussi les orteils ; cependant cette action est beaucoup moins prononcée que celle qu’il exerce sur les articulations calcanéo-astragalienne et tibio-tarsienne. D’un autre côté, son utilité comme fléchisseur adducteur est beaucoup plus grande, puisqu’il est le seul muscle qui puisse neutraliser l’ac- tion du jambier antérieur,* fléchisseur adducteur, pour produire la flexion directe ou abductrice, et que le pédieux peut sans lui étendre puissamment les orteils. B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. I. Paralysie du jambier antérieur. —Lorsque le jambier antérieur est paralysé, la flexion du pied sur la jambe peut encore être exé- cutée par le long extenseur des orteils, et le pied, pendant la flexion, peut se porter dans l’abduction, en tournant sur son axe antéro- postérieur, de telle sorte que son bord externe est plus élevé que son bord interne. Par le fait de la paralysie ou de 1 atrophie du jambier antérieur, non-seulement le pied ne peut pas être porté dans l’adduction pendant sa flexion volontaire, mais encore celle-ci n’est plus opérée directement. PARAL. DU JAMBIER ANTÉRIEUR ET DU LONG EXTENSEUR DES ORTEILS. Il est vrai qu’alors l’extenseur du gros orteil, auxiliaire du jam- hier antérieur, pour l’adduction du pied pendant la llexion, parvient d’abord à neutraliser l’action abductrice du long extenseur des orteils; mais seul il ne peut lutter longtemps avec ce dernier muscle, qui ne tarde pas à entraîner le pied dans le sens de son ac- tion.—A l’état normal, l’extenseur du gros orteil prend une faible part à la flexion du pied sur la jambe ; cependant le jambier anté- rieur est-il paralysé, l’extenseur du gros orteil vient en aide à la llexion avec une grande énergie. Aussi voit-on, dans ce cas, la pre- mière phalange du gros orteil se renverser bientôt à angle droit sur son métatarsien, pendant la flexion du pied sur la jambe; et puis ce muscle s’hypertropbie, à la longue, et quand il se con- tracte, son épais tendon fait, à la partie interne du pli du pied, une saillie presque aussi forte que celle du tendon du fléchisseur adducteur du côté sain. A ces signes on peut affirmer ({110 le jam- bier antérieur est paralysé ou atrophié. Malgré la perte du jambier antérieur, les malades font exécuter facilement au pied des mouvements d’adduction et d’abduction, de renversement en dedans ou en dehors sur son axe antéro-postérieur, pourvu qu’ils n’aient pas à fléchir le pied au delà de l’angle droit; ils peuvent aussi maintenir solidement leur pied de manière à l’em- pêcher de tourner en dedans ou en dehors. On ne comprendrait pas qu’il en fût autrement, puisqu’ils possèdent encore les muscles court péronier latéral et jambier postérieur, qui ont la propriété de pro- duire ces mouvements divers.—-Comment donc expliquer que, chez ceux qui sont privés du jambier antérieur, la pointe du pied soit tournée plus en dehors pendant la marche ou la station? Voici, je crois, le mécanisme de ces phénomènes. — Lorsque, pendant la marche, le membre inférieur placé en arrière abandonne le sol pour se porter en avant, le pied se fléchit sur la jambe. Or, comme ce mouvement de flexion, si le jambier antérieur est paralysé ou atro- phié, ne peut se faire sans que le pied se place dans l’abduction, son bord externe s’élevant plus que son bord interne, il arrive que ce pied se trouve encore dans la même attitude, au moment où il se pose sur le sol, et il y reste jusqu’à ce qu’il s’en détache de nou- veau. — Celle attitude vicieuse du pied, pendant que le poids du corps repose sur lui, occasionne une certaine faiblesse dans la marche, et même de la claudication ; on conçoit aussi qu’elle tende sans cesse à augmenter, et qu’elle puisse déformer progressivement certaines articulations. Le sujet privé du concours de son jambier antérieur peut encore, quand il y prête son attention, llécbir avec force son pied sur la 820 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. jambe, si sou long extenseur des orteils jouit de toute sa puissance, et si les extenseurs du pied sur la jambe ne sont pas contractures. Dans ces cas, en effet, lorsqu’on s’oppose à cette flexion du pied, on sent quelle se fait avec force. Comment se fait-il donc alors que, pendant la marche, la pointe du pied butte contre les inégalités du sol? C’est que l’excitation nerveuse instinctive qui produit la con- traction musculaire automatique de la marche est sans doute insuf- fisante pour exécuter normalement la flexion du pied sur la jambe, avec le long extenseur des orteils seul, flexion que le malade obtient toujours complètement quand il le veut, c’est-à-dire par le plus léger effort. Le jambier antérieur est volumineux; il présente presque la moitié de la masse des fibres musculaires qui concourent à opérer la flexion du pied sur la jambe. En conséquence, la force tonique, qui lutte contre celle des extenseurs du pied pour produire l’atti- tude moyenne du pied entre la flexion et l’extension, pendant le repos musculaire, doit devenir insuffisante; aussi cet équilibre est-il rompu, après la paralysie ou l’atrophie du jambier antérieur, et l’on voit un pied bot équin se former consécutivement. (On sait que l’état de raccourcissement continu dans lequel se trouvent alors les extenseurs, pendant le repos musculaire, produit même leur ré- traction à la longue.) II. Paralysie du long extenseur des orteils. — Les troubles fonc- tionnels que l’on observe consécutivement à l’atrophie du long ex- tenseur des orteils, soit pendant la flexion volontaire du pied sur la jambe, soit pendant la marche et la station, soit enfin dans l’attitude du pied au repos musculaire, sont les mêmes que ceux qui résultent de l’atrophie du jambier antérieur, avec cette différence toute- fois, que, pendant la flexion, le pied exécute ses mouvements de latéralité et de rotation sur son axe longitudinal dans un sens op- posé. Ainsi un malade privé de son long extenseur des orteils ne peut fléchir celui-ci, sans le porter dans l’adduction et sans ren- verser sa face plantaire en dedans. Pendant la marche et la sta- tion, le pied tourne de telle sorte, qu’il se trouve en contact avec le sol par son bord externe; la flexion volontaire du pied sur la jambe peut se faire avec force, malgré la perte du long extenseur des orteils, mais la flexion qui a lieu instinctivement pendant la marche est tellement faible, que la pointe du pied traîne presque constam- ment sur le sol ; enfin la force tonique des extenseurs du pied est prédominante pendant le repos musculaire, au point que le pied, qui, dans la marche ou la station, présentait l’aspect du pied-bot varus, prend, à la longue, l’attitude de l’équin direct. PARALYSIE DU JAMBIER POSTÉRIEUR ET DU COURT PÉRONIER LATÉRAL. 821 Chez les sujets dont le long extenseur des orteils est affaibli on paralysé, le pied s’infléchit plus ou moins dans l’articulation médio- tarsienne: l’avant-pied se courbe en bas et en dedans, et l’on voit à la face dorsale du pied des saillies plus ou moins prononcées, formées par la tête de l’astragale et du calcanéum. § IV. — Paralysie du jamliier postérieur et paralysie du court péronler latéral. A. — Faits physiologiques fondamentaux. Le jambier postérieur place le pied dans l’adduction, en agissant à la fois sur les articulations calcanéo-astragalienne et médio-tar- sienne. Le mouvement qu’il imprime au calcanéum sur l’astragale pro- duit la rotation de bas en haut et de dedans en dehors du premier os, sur son axe antéro-postérieur, et fait pivoter cet axe sur celui de la jambe. — L’adduction produite par ce double mouvement ne peut conséquemment se faire sans que le bord interne du pied s’élève davantage que son bord externe et donne au pied l’attitude du varus. — Le mécanisme de ce mouvement calcanéo-astragalien est le même que celui qui est dû à la contraction des muscles jambier antérieur ou triceps sural. Pendant le mouvement transversal imprimé par le jambier pos- térieur à l’avant-pied sur l’arrière-pied, le scaphoïde peut se porter en dedans, au point que le bord interne de sa facette articulaire postérieure se trouve quelquefois en rapport avec le bord interne de la facette articulaire correspondante de l’astragale. Quand le pied se trouve placé dans une flexion ou dans une exten- sion extrêmes, le jambier postérieur le ramène à peu près entre la flexion et l’extension. Mais ce muscle exerce très faiblement cette action sur l’articula- tion tibio-tarsienne, tandis qu ’il produit, au contraire, l’adduction plus puissamment et d’une manière plus étendue que les muscles jambier antérieur et triceps sural. Ce muscle peut donc être considéré comme adducteur réel du pied, et indépendant de la flexion ou de l’extension. Les mouvements imprimés aux articulations calcanéo-astraga- lienne et médio-tarsienne par le court péronier latéral ont lieu dans un sens diamétralement opposé. En somme, le jambier postérieur et le court péronier latéral, ayant la propriété d’agir indépendamment de l’extension ou delà flexion, 822 sont destinés à maintenir solidement le pied pendant la station, par leur contraction synergique, et à empêcher ainsi son renversement en dedans ou en dehors. C’est seulement dans les grands efforts que les autres muscles, qui produisent les mêmes mouvements laté- raux en même temps que l’extension ou la flexion, sont appelés à intervenir. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. Deux fois seulement j’ai observé l’atrophie isolée du court pé- ronier latéral. Les sujets qui étaient atteints de celte affection ne pouvaient porter le pied dans l’abduction sans le fléchir ou sans l’étendre, en contractant ou le long extenseur des orteils ou le long péronier latéral. Quelquefois ils parvenaient avec de grands efforts, et par la contraction synergique de ces deux muscles, à porter un peu le pied en dehors, en le maintenant entre la flexion et l’exten- sion ; dans la station debout, le dos du pied se renversait souvent en dehors sur son bord externe. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’observer l’atrophie ou la pa- ralysie limitées au muscle jambier postérieur ; mais il est permis de déduire des notions qui découlent de l’expérimentation électro- physiologique, que cette lésion musculaire doit être suivie de trou- bles fonctionnels analogues, mais en sens inverse de ceux qui résul- tent de la lésion du court péronier. Quand le court péronier et le jambier postérieur sont paralysés ou atrophiés simultanément, le pied a beaucoup moins de solidité dans la station, c’est-à-dire qu’il se renverse facilement en dedans ou en dehors. Les troubles occasionnés, soit dans les fonctions, soit dans l’at- titude du pied, sont beaucoup plus considérables, lorsque l’un de ces muscles est paralysé que lorsqu’ils sont lésés tous les deux à la fois. Consécutivement à la paralysie du court péronier latéral, le pied a une tendance à prendre l’attitude du varus, pendant le repos musculaire, par la prédominance du jambier postérieur; ce mou- vement pathologique se passe alors dans l’articulation calcanéo- aslragalienne. La paralysie de ce muscle produit en outre, à la longue, la défor- mation de l’articulation médio-tarsienne ; l’avant-pied cédant alors à l’action du jambier postérieur et du jambier antérieur, est mis en mouvement sur l’arrière-pied ; il est alors porté en dedans, de telle sorte que le bord externe du pied décrit une courbe convexe en dehors. La paralysie du jambier postérieur est suivie de la déformation de l’articulation calcanéb-astragalienne; le pied prend alors l’atti- tude du valgus. Quant à l’articulation médio-tarsienne, elle ne m’a pas paru en éprouver d’altération appréciable. PARALYSIE DES MUSCLES MOTEURS DES ORTEILS. 823 § — Paralysie des muscles moteurs des orteils. A. — Faits physiologiques principaux. L’expérimentation électro-physiologique démontre que les mus- cles moteurs des orteils exercent sur les phalanges la même action que ceux de la main. Ainsi comme à la main : 1° Les interosseux non-seulement meu- vent latéralement les orteils, mais encore ils en fléchissent puis- samment les premières phalanges en môme temps qu’ils en éten- dent les deux dernières. 2° Les muscles adducteur et court flé- chisseur du gros orteil sont également fléchisseurs de la première phalange et extenseurs de la deuxième; mais ils n’impriment aucun mouvement apparent au premier métatarsien, le long péronier latéral, ainsi que je l’ai démontré, étant le seul abaisseur de cet os. 3° Les muscles extenseurs des orteils (le long extenseur des orteils Je pédieux et l’extenseur du gros orteil) n’étendent physiologique- ment que les premières phalanges, et les fléchisseurs des orteils n’ont d’action réelle que sur les dernières phalanges. Tous ces faits électro-physiologiques sont confirmés par l’observation patholo- gique. B. — Troubles fonctionnels et signes diagnostiques. Les usages du pied et delà main étant essentiellement différents, je ne puis dire que les troubles fonctionnels, consécutifs aux para- lysies partielles que l’on observe dans ces deux régions, sont sem- blables; cependant les désordres que l’on constate alors dans les mouvements partiels et dans l’attitude des orteils, sont exactement les mômes. Ainsi de même qu’à la main, on observe au pied ; 1° Après la paralysie des extenseurs des orteils, la flexion continuelle des premières phalanges et l’impossibilité de les redresser. 2° Après la paralysie des fléchisseurs des orteils (long et court fléchisseur des orteils, long fléchisseur du gros orteil), un léger renversement des dernières phalanges sur les premières, sans possibilité de les fléchir, tout effort de flexion produisant seulement alors (sous l’influence des interosseux) l’abaissement des premières et en même temps l’ex- tension sur la première phalange des deux dernières phalanges ou de la seconde pour le gros orteil. 3° Enfin, après la paralysie kdes 824 PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. muscles interosseux, du court fléchisseur et adducteur du gros orteil, les orteils prennent l’attitude continue de la griffe, c’est-à- dire que les premières phalanges s’étendent sur les métatarsiens, et que les deux dernières phalanges s’in- fléchissent sur les premières (voyez la figure 134), et cela sous l’influence de l’action de leurs antagonistes (exten- seurs des premières phalanges et les fléchisseurs des dernières phalanges). Les paralysies ou les atrophies par- tielles des muscles moteurs des orteils compliquent ordinairement les lésions semblables des muscles moteurs du pied sur la jambe. Je les ai observées en très grand nombre dans la para- lysie atrophique graisseuse de l’en- fance. On-en voit un exemple, dans la figure 40, page 279, représentant un talus pied creux direct par atrophie du triceps sural. Dans ce cas, les interosseux étaient aussi atrophiés, et il en était résulté une griffe qui avait augmenté encore le pied creux de la plante du pied. Quant aux déformations limitées au gros orteil ou à l’un des autres orteils, par exemple leur direction en dehors ou en dedans, leur entrecroisement, leur attitude continue d'extension ou de flexion, ces déformations, dis-je, sont presque toujours occasionnées par la paralysie ou par l’atrophie de l’un des faisceaux musculaires ou de l’un des muscles qui produisent ces mouvements; c’est du moins ce que j’ai toujours constaté dans ces attitudes ou conformations vi- cieuses partielles des orteils, conformations qui gênent tellement la marche, que les conseils de révision en ont fait une cause d’exemp- tion du service militaire. Fie. t3i. 11 existe une conformation vicieuse du pied, ordinairement congé- nitale, qui est assez commune, dont la genèse est restée inconnue jusqu’ici : c’est une espèce de pied bot que j’appellerai : griffe pied creux, par atrophie ou paralysie des interosseux, des adducteur et court fléchisseur du gros orteil. La figure 134 représente cette espèce de pied bot, dessiné d’après le plâtre d’un sujet qui était entré à l’hôpital de la Clinique, dans le service de M. Nélaton, pour y être traité de douleurs à la plante du pied. J’ai constaté dans ce cas, par l’exploration électrique, l’absence des muscles interosseux, adduc- teur et court fléchisseur du gros orteil. On voit: l°que les premières phalanges sont étendues au point d’être subluxées sur la tête des métatarsiens, tandis que les dernières phalanges sont infléchies sur les premières, et forment ainsi lagriffe; 2° que la courbe de la voûte plantaire est considérablement aug- mentée. Voici la genèse de ce pied bot, griffe pied creux. PARALYSIE DES MUSCLES MOTEURS DES ORTEILS. 825 Lorsque les muscles interosseux sont paralysés ou atrophiés, la force tonique des muscles qui étendent les premières phalanges, et celle des muscles qui fléchissent les dernières phalanges n’étant plus modérée, la griffe des orteils que je viens de décrire et que l’on voit dans la ligure 13û, augmente graduellement. L’extrémité posté- rieure des premières phalanges déprime la tête des métatarsiens avec d’autant plus de force, que ces premières phalanges sont plus sub- luxées sur les têtes des métatarsiens; alors la courbe formée par la voûte plantaire augmente considérablement, et à la longue l’apo- névrose plantaire se rétracte; puis certaines articulations et leurs ligaments se déforment, comme dans tous les pieds creux. On voit que le mécanisme de cette griffe est absolument le même qu’à la main, où les têtes des métatarsiens sont également refoulées par les premières phalanges. Il en résulte une espèce de creux dans la paume de la main. La griffe de la main en annule tous les usages; au pied, la griffe des orteils est beaucoup moins grave. Elle rend seulement la stalion'et la marche douloureuses, lorsqu’elles sont trop prolongées. En voici la raison. Al’état normal et danslastation, le point d’appui de l’avant-pied est partagé par les têtes des métatarsiens et par les orteils; et puis pendant le premier temps de la marche, le pied se déroule du talon à la pointe; alors les orteils, et principalement les premières phalanges des deux premiers orteils, abaissés puissamment par leurs muscles fléchisseurs (les interosseux et les muscles court fléchisseur et add ucteur du gros orteil), sont les derniers qui donnent au tronc l’impulsion en avant. La paralysie des interosseux du pied rend impossible l’entier accomplissement de ce mouvement fonc- tionnel ; en effet, le pied ne peut plus se dérouler que du talon aux têtes des métatarsiens, ou plutôt à la saillie sous-métatarsienne du gros orteil, et les phalanges des orteils restent alors relevées sur les métatarsiens en formant la griffe comme dans la figurelSû. On com- prend que les parties de la plante du pied qui correspondent aux têtes des métatarsiens deviennent douloureuses à la pression, sur- tout après une longue marche ou une longue station debout. C’est justement ce qui est arrivé au malade qui est entré à la clinique de M. Nélaton, dont la griffe pied creux est reproduite dans la fi- gure 13é. Ce malheureux dont les pieds présentent cette déformation 826 congénitale a commencé à souffrir à la plante du pied, au niveau des saillies sous-métatarsiennes, et principalement de la saillie sous-métatarsienne du gros orteil, seulement vers l’âge de dix à douze ans, époque à laquelle il a commencé son apprentissage d’ouvrier maçon. Ses douleurs étaient toujours provoquées par une longue marche ou après un travail forcé qui l’obligeait de rester toujours debout. Elles ne l’obligeaient pas jadis d’interrompre son travail, un peu de repos les faisait disparaître; mais depuis quelque temps elles sont devenues telles, qu’il ne peut exercer son état de maçon huit à quinze jours de suite, sans devoir chercher un asile dans nos hôpitaux, pendant une semaine au moins, pour se faire guérir de sesdouleurs par le repos ou par d’autres moyens. La griffe pied creux, ai-je dit, est double chez cet individu, mais elle est beaucoup moins prononcée à droite qu’à gauche. Aussi ai-je montré, de ce derniercôté, où les interosseux étaient seulement affaiblis, qu’ils répondaient un peu à l’excitation électrique, et que, sous l’influence d’un fort courant, ils pouvaient dresser encore les deux dernières phalanges des orteils et infléchir les premières. Enfin, de ce côté droit, la plante du pied était beaucoup moins douloureuse que du côté gauche. PARALYSIES DES MUSCLES MOTEURS DU PIED. J’ai toujours constaté dans les faits assez nombreux que j’ai re- cueillis, que le pied bot, griffe pied creux par atrophie des interos- seux, a une tendance à l’équin varus, c’est-à-dire que la flexion du pied sur la jambe est incomplète pendant la marche, et que, pen- dant cette flexion du pied, le jarnbier antérieur (fléchisseur adduc- teur) a une prédominance d’action sur le long extenseur des orteils (fléchisseur abducteur), ou en d’autres termes, que, pendant la flexion, la plante du pied se porte en dedans et que sa face dorsale regarde un peu en dehors. Cependant on constate, à un examen attentif, qu’il n’existe réellement ni équinisme, ni affaiblissement dans le muscle qui produit la flexion abductrice. On se rend facile- ment compte de ce phénomène morbide, lorsque l’on connaît les conditions défavorables dans lesquelles, après la paralysie des inter- osseux, se trouve le muscle (long extenseur des orteils) destiné à opérer la flexion abductrice du pied sur la jambe. L’attache infé- rieure de ce muscle, on le sait, se fait sur un point mobile, à l’ex- trémité postérieure et supérieure de la deuxième phalange. J’ai fait ressortir, dans mon mémoire sur le pied, le but de cette dispo- sition anatomique ; j’ai dit pourquoi il était utile qu’un muscle chargé de relever le pied pût exercer en même temps l’extension des orteils, extension qui est alors modérée par les interosseux, de manière à offrir un point fixe qui facilite la flexion du pied par ce PARALYSIE DES MUSCLES MOTEURS DES ORTEILS. 827 même muscle. Mais les premières phalanges viennent-elles à se subluxer sur les métatarsiens, consécutivement à la paralysie des interosseux et des muscles adducteur et court iléchisseur du gros orteil, les attaches intérieures du long extenseur des orteils et de l’extenseur du gros orteil deviennent très mobiles; on voit alors, au moment de la flexion du pied sur la jambe, les premières pha- langes se renverser encore davantage sur les métatarsiens, dont elles dépriment davantage la tête ; ce qui augmente encore le creux du pied. L’action du long extenseur des orteils, comme fléchisseur abducteur du pied, s’en trouve considérablement affaiblie. De là cette prédominance du jambier antérieur, et en conséquence la flexion avec varus, dans la flexion instinctive du pied, pendant le second temps de la marche. En somme, l’espèce de pied creux que je viens de décrire est pro- duite par une action exagérée et continue des extenseurs des pre- mières phalanges des orteils (long extenseur des orteils et extenseur du gros orteil), consécutivement à la faiblesse ou à la paralysie de leurs antagonistes (les muscles interosseux, adducteur et court flé- chisseur du gros orteil). Eu conséquence, tout excès d’action de ces mêmes muscles extenseurs des premières phalanges, quelle qu’en soit la cause, doit produire des résultats absolument identiques. La connaissance de ce fait met en lumière la genèse de la grillé pied creux que l’on voit se former dans l’équin, lorsque le long extenseur des orteils a conservé sa contractilité volontaire. Que l’on me permette d’exposer ici le mécanisme de la griffe pied creux équin. Je n’ai pas voulu séparer son étude de celle de la griffe pied creux par atrophie des muscles interosseux,-adducteur et court fléchisseur du gros orteil; car dans ces deux espèces de pied creux le mécanisme est le même, ainsi que je vais le démontrer. Dès que l’équin commence à s’opposer à la flexion du pied sur la jambe, les muscles qui concourent à ce mouvement agissent pour le produire, d’une manière exagérée et avec d’autant plus d’effort que l’équin est arrivé à un plus haut degré. Cet effort se traduit alors par une extension plus grande des premières phalanges aux- quelles s’attachent plusieurs de ces muscles fléchisseurs du pied (le long extenseur des orteils et l’extenseur du gros orteil). Cette action musculaire exagérée et incessante renverse progressivement et finit par subluxer les premières phalanges sur la tête des méta- tarsiens, de là l’augmentation progressive de la voûte plantaire, parallèlement au degré de l’équin, sous l’influence de la dépression des tètes des métatarsiens, et surtout du premier métatarsien, par les premières phalanges des orteils. L’attitude d’extension continue que le pied au repos conserve dans l’équin contribue plus puis- samment encore, je crois, à former ce pied creux, en allongeant les muscles extenseurs des orteils, qui entraînent alors les premières phalanges dans une extension con- tinue, la force tonique de leurs an- tagonistes (les muscles interosseux, adducteur et court fléhisseur du gros orteil) n’étant plus assez grande pour maintenir ces premières phalanges abaissés. La figure 135 est un cas type de griffé pied creux équin. Le mécanisme que je viens d’ex- poser est parfaitement exact. Voici un des moyens d’en donner la preuve. Que l’on engage un indi- vidu affecté d’une griffe pied creux équin, arrivée à son plus haut de- gré, à fléchir le pied sur la jambe: on verra, au moment de l’effort, ses premières phalanges se ren- verser davantage sur les métatarsiens, et la tête de ces derniers s’abaissant encore d’un à deux centimètres, creuser davantage la voûte plantaire ; en sorte que l’extrémité du pied s’abaisse alors, au lieu de se relever. APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. Fig. 135. APPENDICE AU CHAPITRE PRÉCÉDENT. DE LA PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE, DÉDUITE DE MES RE- CHERCHES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES ET PATHOLOGIQUES SUR LES MOUVEMENTS DE LA MAIN ET DU PIED. Introduire dans la pratique un système d’appareils destinés à sup- pléer autant que possible à l’action individuelle et volontaire des muscles paralysés ou atrophiés, en rétablissant ou en secondant les mouvements naturels, enfin à prévenir ou à combattre la déforma- tion des articulations, en équilibrant les forces Ioniques qui président aux rapports normaux de leur surface, tel est le but d’une méthode d’orthopédie physiologique qui est applicable au traitement des paralysies ou atrophies musculaires partielles, et que je propose d’appeler prothèse musculaire. Cette méthode est physiologique, parce qu’elle imite la nature en disposant ses organes moteurs arti- ficiels d’après des données anatomiques et physiologiques exactes. C’est cela seul qui en constitue la nouveauté. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 829 Quelles notions faut-il posséder pour remplir les diverses indica- tions delà prothèse musculaire physiologique? Je vais essayer de les exposer dans quelques considérations préliminaires, avant d’aborder l’étude spéciale des appareils appropriés à la paralysie ou à l’atrophie de chacun des muscles. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES PRÉLIMINAIRES. I. —Suppléer à l’action individuelle et volontaire des muscles paralysés ou atrophiés. Celui qui veut obtenir artificiellement les mouvements abolis par le fait de la paralysie ou de l’atrophie d’un muscle doit connaître exactement l’action propre de ce dernier et le mécanisme des mouve- ments qu’il produit. 11 serait oiseux de développer cette proposition, qui sera prouvée, d’ailleurs, par les considérations que j’ai à exposer dans ce para- graphe. I. Bien que quelques tentatives aient été faites dans cette voie, cette espèce de prothèse musculaire me paraît à peu près tout en- tière à créer, car la connaissance des faits physiologiques néces- saires à son établissement date presque entièrement de mes recher- ches électro-physiologiques et pathologiques. J’ai établi, en effet, qu’avant elles on ne pouvait expliquer, par exemple, le mécanisme des mouvements de la main. C’est ainsi que l’on croyait que les muscles extenseurs et fléchisseurs des doigts, qui siègent à l’avant-bras, agissent à la fois sur les trois phalanges. Mais alors comment les mouvements en sens inverse d’extension des premières phalanges et de flexion des dernières, mouvements si fréquents dans les usages de la main, auraient-ils pu être produits par ces muscles, en admettant un tel antagonisme? Et puis, avec ces idées sur l’action de ces muscles extenseurs et fléchisseurs, comment aurait-on expliqué les mouvements opposés aux précé- dents, c’est-à-dire les mouvements simultanés de flexion des pre- mières phalanges et d’extension des deux dernières? Il fallait donc démontrer, ce qui ressort de mes recherches électro-physiologiques et pathologiques, que les interosseux et leurs congénères, les lorn- bricaux, sont seuls chargés de ces derniers mouvements (1). Et pour le pied, j’ai aussi démontré (2) que le mécanisme de la (1) Loc.cil. (2) Loc. cil. APPENDICE. — PROTHESE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. plupartdes mouvements du pied sur la jambe était encore à trouver. Comment, par exemple, peut-on se tenir sur l’extrémité interne de l’avant-pied, alors que le triceps sural (jumeaux et soléaire), ce puis- sant extenseur du pied, est absolument sans action sur cette partie du membre inférieur? On conçoit combien ce problème intéresse l’étude des phénomènes du saut, et même de la marche et de la sta- tion. Il ressort aussi de ces recherches que les mouvements qui se produisent dans les articulations du tarse et du métatarse, sous l'influence de l’action individuelle des muscles moteurs dû pied sur la jambe, n’avaient pas été suffisamment étudiés. Comment, sans ces notions, se rendre un compte exact du mécanisme de la plu- part de ces déformations, qui ne sont, en général, que la conséquence de l’exagération de ces mouvements articulaires. II. Mes recherches électro-physiologiques et pathologiques m’ayant donc éclairé sur l’action individuelle des muscles et sur le méca- nisme d’un grand nombre de mouvements, il m’était réservé de faire servir ces connaissances spéciales à l’étude de la prothèse mus- culaire qui fait le sujet de cette note. Cette application pratique sera pour ainsi dire le couronnement de mes recherches sur la physio- logie et sur la pathologie musculaire de la main et du pied. III. Voici comment j’ai été conduit à rétablir ou à seconder l’ac- tion musculaire individuelle, abolie par le fait de la paralysie ou de l’atrophie d’un ou de plusieurs muscles. Désirant me rendre par- faitement compte du mécanisme des mouvements articulaires, j’avais construit un pied et une jambe de squelette, de manière à en obtenir, à l’aide de muscles artificiels, de ressorts métalliques en spirale, disposés comme dans la nature, les mouvements indivi- duels des muscles. Comparant ces mouvements partiels à ceux qui sont produits par les appareils orthopédiques répandus dans la pratique, je remar- quai qu’avec ces derniers on ne pouvait obtenir les mouvements articulaires composés du tarse et du métatarse, dus à l’action indi- viduelle des muscles, et que ces mouvements articulaires ne pouvaient être produits quaprès avoir fixé les moteurs artificiels exactement aux points d'attache anatomiques. L’idée me vint alors de revêtir ce pied d’une guêtre de coutil* aussi juste que possible, et de me servir de cette guêtre pour y coudre mes muscles artificiels, au niveau des attaches osseuses des muscles naturels. Lorque j’exerçai alors une traction sur ces mus- cles artificiels, attachés supérieurement à la jambe dans les points anatomiques, j’eus le bonheur de voir se produire les mouve- ments multiples des articulations du tarse et du métatarse, tout à fait semblables à ceux qui sont produits par les muscles attachés aux os. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 831 Je vais citer un exemple, afin de me faire mieux comprendre. J’ai démontré, on se le rappelle, que le long péronier latéral abaisse puissamment l’extrémité antérieure du premier métatarsien, en fai- sant mouvoir celui-ci sur le premier cunéiforme, et ce dernier sur le scaphoïde, qui s’abaisse à son tour sur l’astragale. Eh bien! j’ob- tenais ces mêmes mouvements en attachant le long péronier latéral sur la guêtre, au niveau de la partie inférieure et postérieure du premier métatarsien, aussi bien que si ce muscle eût été fixé sur i’os lui-même. Ce fait étant bien établi, il m’était permis d’espérer que je pour- rais produire ces mêmes mouvements chez les vivants atteints de paralysies partielles des muscles moteurs du pied, en employant les mêmes moyens, c’est-à-dire en recouvrant le pied du malade d’une guêtre sur laquelle j’attachais des tendons artificiels au niveau des points anatomiques. Mes prévisions ont été entièrement réa- lisées. Je fis des expériences analogues sur une main de squelette, sur laquelle, à l’aide de muscles artificiels disposés comme dans la na- ture, j’avais produit des mouvements isolés, propres aux interos- seux, aux extenseurs, aux fléchisseurs des doigts, aux muscles mo- teurs du pouce, ou leurs mouvements combinés (j’imitais aussi sur cette main toutes les paralysies partielles). Ayant coiffé cette main d’un gant, sur lequel des tendons artificiels, attachés au niveau des points anatomiques, glissaient dans des coulisses et allaient se ter- miner au-dessus du poignet, je produisis ces mouvements aussi bien que si ces tendons eussent été attachés aux os. Avec ces mêmes gants appliqués à des cas de paralysies partielles, je pus rétablir, comme dans les paralysies partielles du pied, l’action musculaire abolie. IY. J’ai dit, au commencement de ce paragraphe, que la pratique de la prothèse musculaire exigeait des connaissances exactes sur l’action propre des muscles et sur le mécanisme des mouvements qu’ils produisent ; je n’ai pas cru qu’il fût nécessaire de le prouver, les considérations que je viens d’exposer le démontreraient au be- soin. J’aurais dû ajouter qu’il est également nécessaire de bien connaître les combinaisons musculaires, les contractions synergiques, en vertu desquelles s’accomplissent les mouvements fonctionnels; car, je n’ai pas besoin de le démontrer, la contraction isolée d’un muscle n’est pas dans la nature, cette action isolée ne produisant que des mouvè- APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. ments pathologiques et des difformités. La connaissance de ces con- tractions synergiques est utile, lorsque l’on veut équilibrer les torces artificielles que l’on emploie dans la prothèse musculaire. Mais ce qui n’intéresse pas moins l’application de ce genre d’ap- pareils, c’est le diagnostic exact de la localisation de l’affection musculaire, diagnostic qui a été exposé dans les deux articles pré- cédents, et qui était quelquefois impossible et souvent difficile avant les faits mis en lumière par mes recherches. §11. — Rétablir ou faciliter les mouvements naturels. Les appareils orthopédiques les plus usités sont construits de ma- nière que les mouvements articulaires sont condamnés, en général. Est-il besoin de faire ressortir les inconvénients d’un tel système? Je n’employais primitivement que des appareils à force élastique qui se rattachaient aux tendons artificiels dont il vient d’être ques- tion dans les considérations précédentes. 1. Dès l’origine de l’orthopédie, la force élastique fut employée comme moyen prothétique par qui ne l’appliqua qu’à un appareil destiné à remplacer les extenseurs des doigts. Cet appareil est décrit dans l’article Orthopédie du Dictionnaire des sciences mé- dicales, et par Gerdy (1), qui conseillait aussi ce système d’appa- reils contre la paralysie des fléchisseurs de Vavant-bras sur le bras et du pied sur la jambe. ~ Mellet a également décrit un appareil analogue à celui de Dela- croix, sans citer l’inventeur, qu’il n’a fait que copier malheureu- sement. La seule idée originale qui lui appartienne, c’est celle de l’emploi, dans quelques cas, du caoutchouc, en place des ressorts métalliques qui avaient été jusqu’alors en usage (2). Enfin, en M. Rigal (de Caillac) a essayé de nouveau de vulgariser les appareils à force élastique dans la pratique orthopé- dique; H a employé exclusivement, dans ce but, des bandes de caoutchouc vulcanisé (3). (1) Traité des bandages, 2e édit. Paris, 1837, t. I, p. 359. (2) « On met sur un gant léger un ressort à boudin... ou une bande de tissu ou de caoutchouc. » (Mollet, Manuel d’orthopédie, 1841, p. 256.) (3) Telle est, dans toute sa vérité, la question historique, exposée succincte- ment dans la note que j’ai adressée en 1852 à l’Académie de médecine, sous le titre ; Orthopédie physiologique de la main, et qui a été publiée en 1853 dans le Bulletin de thérapeutique. M. Bouvier, le plus compétent en pareille matière, n’a Je regrette que les limites dans lesquelles j’ai dû me renfermer ne m’aient pas permis de consacrer quelques pages à l’examen cri- tique des recherches de ce praticien distingué. J’aurais eu la satis- faction d’exposer les faits intéressants qu’il a recueillis, et qui mon- trent toute l’ingéniosité du chirurgien. Mais j'aurais été dans l’obli- gation de dire que ces faits n’ont rien ajouté à ce que l’on savait sur l’action des appareils orthopédiques à force élastique; que l’au- teur, n’ayant pas connu ni l’action musculaire individuelle, ni la synergie musculaire productrice de tout mouvement, ne pouvait créer l’espèce de prothèse musculaire qui n’est que la déduction pratique de ces recherches, et qui seule me paraît mériter le nom de prothèse musculaire physiologique. Malgré les fessais divers que je viens de rappeler, les appareils à CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 833 pas jugé cette question historique autrement que moi, dans le savant rapport qu’il a lu sur ce sujet à l’Académie de médecine. Nous avons été affligé de voir un homme de tact et de grande valeur, M. Riga! (de Gaillac), faire retentir l’Académie et les congrès scientifiques de ses réclama- tions pour ce qu’il appelle son nouveau système de déligation chirurgicale sur la combinaison de linges pleins avec les tissus ou les fils élastiques de caout- chouc, système qu’il a exposé en 1840 à l’Académie de médecine de Paris. Nous sommes heureux de reconnaître que M. Rigal (de Gaillac) l’a appliqué avec saga- cité, et qu’il en a tiré tout le parti que Ton pouvait en attendre, avec les idées qui régnaient alors en physiologie musculaire. Nous serions plus heureux encore de l’en proclamer l’inventeur; mais, en vérité, nous ne pouvons, sans faire mentir l’histoire de l’orthopédie, dire que M. Rigal a le premier appliqué la force élastique ; l’honneur de cette invention revient tout entier à Delacroix, qui en a fait une application des plus ingénieuses, et depuis, l’emploi de la force élastique est passée dans la pratique. Nous ne pouvons dire que M. Rigal le premier a généralisé l’application de ces muscles artificiels, car bien avant lui Gerdy nous avait appris dans scs écrits et dans son enseignement qu’il s’était servi, à l’exemple de Delacroix, de la force élastique pour produire la flexion du pied sur la jambe et de l’avant-bras sur le bras. Si au moins nous pouvions accorder à M. Rigal la priorité de l’emploi du caoutchouc? Cette idée lui est aussi venue trop tard; elle appartient à M. Mellet. Il est évident pour tout le monde que M. Rigal ignorait tous ces faits histo- riques, qui cependant sont modernes, et conséquemment qu’il a eu le mérite de réinventer son système de déligation. M. Rigal semble revendiquer pour lui les déductions pratiques que j’ai tirées de mes recherches électro-physiologiques et pathologiques sur loppied et sur la main, déductions qui, ainsi que je l’ai toujours déclaré, fout la base et consti- tuent la nouveauté du système de prothèse musculaire dont je décrirai bientôt les appareils spéciaux. 11 suffit de lire la description de ses appareils pour voir que M. Rigal ignore l’action musculaire individuelle et la genèse des déformations consécutives aux paralysies partielles. DUCHENNE. 83k APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. forces élastiques ne se sont pas répandus dans la pratique générale de l’orthopédie. Cependant ce système d’appareils n’offre pas seu- lement un moyen prothétique, il agit encore comme un moyen gym- nastique, et doit, à ce titre, concourir à la guérison de la lésion musculaire. IL Comment donc expliquer cette indifférence des auteurs et des praticiens en général pour les appareils à force élastique? C’est qu’il ne suffit pas, pour obtenir un mouvement régulier, de posséder une force capable de le produire, il faut encore en bien connaître le mécanisme. Or, avec les idées qui, depuis Galien, régnent, en général, sur le mécanisme de l’action des muscles pen- dant l’exercice des mouvements volontaires,' il est impossible de se rendre compte jdu mécanisme des mouvements qui doivent résulter de l’action des ressorts destinés à remplacer les muscles paralysés. J’ai cité, en effet, à la page 581 un passage des œuvres de ce grand physiologiste, où l’on voit qu’il enseignait que pendant tout,mou- vement volontaire, les muscles antagonistes des muscles produc- teurs de ce mouvement restent dans l’inaction. III. Si cette doctrine sur le mécanisme de l’action musculaire, qui s’est propagée de siècle en siècle jusqu’à nos jours, était fondée, les appareils orthopédiques à force élastique seraient inapplicables. En effet, s’il est vrai qu’au moment où se produit un mouvement vo- lontaire, les muscles antagonistes de ce mouvement restent inactifs, toute force élastique artificielle (ressort métallique ou caoutchouc vulcanisé) destinée à remplacer l’action d’un muscle paralysé ne peut produire qu’un mouvement brusque et toujours identique, à moins, toutefois, que la volonté n’intervienne pour contracter les muscles antagonistes de la force artificielle et pour les relâcher en- suite graduellement, phénomène psychique qu’il ne faut pas con- fondre avec ce qui se passe ordinairement dans les muscles antago- nistes, pendant l’exercice des mouvements volontaires. Supposons, par exemple, que les fléchisseurs de l’avant-bras sur le bras étant paralysés, tandis que le triceps brachial est sain, supposons, dis-je, qu’un ressort, dont les extrémités sont fixées au bras et à l’avant- bras, maintienne alors celui-ci fléchi. Lorsque, dans ce cas, le sujet voudra fléchir l’avant-bras après l’avoir étendu, son trioeps se relâ- chera, tombera dans l’inaction, et le ressort ramènera brusque- ment et complètement l’avant-bras dans la flexion. De quelle utilité peuvent être alors de tels moyens orthopédiques, surtout pour les grands mouvements. Si l’on avait à obtenir artificiellement par ces moyens l’extension de la jambe sur la cuisse, ce mouvement ne se produirait que brusquement, comme ou l’observe dans l’ataxie locomotrice progressive, où la coordination des mouvements est abolie. La flexion de l’avant-bras sur le bras exécutée de la même manière ne permettrait pas à la main d'atteindre sûrement les ob • jets qu’elle voudrait saisir. On produirait des phénomènes analo- gues dans tous les cas où l’on remplacerait les muscles par une force élastique artificielle. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 835 IV. Mais heureusement les choses se passent différemment, car les sujets chez lesquels on remplace, par une force élastique, les muscles paralysés dont les antagonistes ont conservé plus ou moins leur action, peuvent étendre et fléchir le membre lésé, ou graduel-' lement, ou plus ou moins brusquement et par fractions, de telle sorte qu’ils atteignent leur but presque aussi sûrement que s’ils possédaient tous leurs muscles. Ce n’est point le résultat d’une sorte d’éducation qui consisterait à relâcher le muscle antagoniste après l’avoir contracté volontai- rement. En effet, ces sujets (les enfants comme les adultes) exercent facilement cette fonction la première fois que l’appareil leur est ap- pliqué. Dans ces cas, c’est la force élastique artificielle qui produit le mouvement ; mais c’est aussi la résistance synergique des mus- cles qui les conduit en les modérant. Voici comment je me suis assuré de ce fait. Chez les individus affectés de paralysie des fléchis- seurs de l’avant-bras et dont il vient d’être question, j’étendis l’avant-bras sur le bras, sans que leur volonté intervînt, puis l’aban- donnant tout à coup à lui-même, la flexion se fit brusquement; ce qui prouva que la force du ressort était supérieure à la puissance tonique du triceps brachial. Après avoir étendu de nouveau l’avant- bras, j’engageai les sujets à le fléchir rapidement par moitié, ou lentement et graduellement, et ils purent exécuter immédiatement ces différents mouvements, comme je le leur avais commandé. Il me paraît évident que dans cette expérience le triceps brachial est sorti de l’état de repos au moment de la flexion volontaire, c’est-à-dire (ju’il s’est tout à coup contracté (ce que je constatai, du reste, par le toucher), et qu’il s’est ensuite relâché pour modérer la force élas- tique au gré de la volonté du sujet. V. Les faits précédents me paraissent démontrer le peu de fon- dement de la doctrine sur l’inaction des muscles antagonistes pen- dant l’exercice des mouvements volontaires ; ils démontrent, au contraire, que ces mouvements sont le résultat d’une double action nerveuse que j’ai appelée harmonie des antagonistes, et qui provoque, d’une part, la contraction des muscles qui les produisent, et, de l’autre, la contraction immédiatement suivie du relâchement pro- APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. porüonnel et parallèle des muscles, dits antagonistes, qui les modè- rent et les rendent ainsi plus sûrs. En présence de ces faits, la théorie du repos alternatif des mus- cles pendant les mouvements volontaires ne me semble pas fondée ; on ne peut plus dire, par exemple, que pendant la marche les mus- cles lléchisseurs et extenseurs sont alternativement en repos. VI. Sans entrer dans l’exposé historique des diverses opinions qui depuis Galien ont été émises sur le mécanisme de l’action mus- culaire volontaire, je dois dire cependant que Winslow, le premier, a attribué aux muscles antagonistes, qu’il désigne sous la dénomi- nation heureuse de modérateur, une part active dans les mouve- ments volontaires produits par les muscles qui conduisent le mou- vement à la situation hxe ou à une attitude déterminée, et qu’il appelle principaux moteurs (1). Cette doctrine de Winslow avait besoin d’être démontrée; car, bien que depuis cet illustre anato- miste, elle ait été professée par quelques physiologistes, elle n’eut pas cours dans la science et fut bientôt oubliée, à ce point que l’on n’en retrouve plus de traces dans les ouvrages classiques modernes. Winslow, d’ailleurs, n’accordait aux muscles antagonistes qu’une action secondaire pendant les mouvements volontaires. Je leur fais une part beaucoup plus grande; je crois que la puissance de leur action est parallèle à celle des muscles producteurs du mouvement. Vil. La connaissance des phénomènes que je viens d’exposer est nécessaire à ceux qui s’occupent de l’application à l’orthopédie des appareils à force élastique, non-seulement pour mieux comprendre leur mécanisme, mais aussi pour bien déterminer l’opportunité de leur application. Je vais essayer de le démontrer. Il existe un certain nombre d’affections paralytiques dans les- quelles ces appareils ne peuvent produire de résultats satisfaisants. Ce sont principalement les paralysies compliquées de contractures spasmodiques. On sait, en effet, que dans l’hémiplégie de cause céré- brale, des contractures apparaissent à une certaine époque de la malad ie, par exemple, dans les fléchisseurs du poignet et des doigts ; ces contractures augmentent ou n’apparaissent spasmodiquement quependant l’exercice de mouvements volontaires ou sous l’influence d’une impression quelconque, alors même que les mouvements sont en partie revenus dans les extenseurs. Ainsi, le malade veut-il ouvrir la main ou relever le poignet du côté paralysé, on voit les fléchis- seurs se contracter violemment malgré lui, ou neutraliser l’ac- tion des extenseurs. Des phénomènes analogues se produisent (1) Traité des muscles, p. 160, n" -43. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 837 quelquefois flans un très grand nombre de muscles, toutes les fois que le sujet veut faire un mouvement quelconque. Ces contractions spasmodiquesinvolontaires ontété attribuées par Marsliall-Hall à une action réflexe de la moelle devenue, selon lui, très excitable. Je crois qu’en outre le cerveau a perdu la faculté de localiser ses excitations en vertu desquelles telle ou telle fonction peut s’accomplir. Peu importe, pour le moment, l’exactitude de ces théories ou de ces doc- trines; le fait n’en est pas moins réel et fâcheux pour le jeu des appareils à force élastique. Lorsqu’on effet vous venez en aide avec une force élastique à tel ou tel muscle affaibli, paralysé, il est évident que si, au moment de l’extension volontaire, les muscles antagonistes de ce mouvement, au lieu de se relâcher physiologi- quement après être entrés en action, se contracturent plus ou moins spasmodiquement, l’action de l’extenseur artificiel sera ou gênée ou neutralisée. VIII. Ces contractions spasmodiques réflexes n’ont heureusement pas lieu dans les paralysies que j’ai appelées atrophiques graisseuses de l’enfance, maladie très fréquente, on le sait. Elles n’ont pas lieu non plus dans la paralysie traumatique des nerfs, dans les paraly- sies saturnines, rhumatismales, toutes affections dans lesquelles les appareils à force élastique peuvent être employés avec avantage. Est-il besoin de dire que ces appareils sont inapplicables dans les cas où il existe une rétraction musculaire qu’il faut, avant tout, gué- rir ou combattre par des moyens spéciaux? IX. C’est peut-être pour avoir été souvent appliqués d’une manière inopportune que les appareils à force élastique n’ont pas produit les heureux résultats qu’on en attendait. On ne pourrait déterminer les cas dans lesquels on peut re- courir à ces appareils, sans connaître exactement leur-mécanisme ; et ce mécanisme ne saurait être bien compris, sans l’étude des phé- nomènes en vertu desquels a lieu tout mouvement physiologique , phénomènes que je viens d’exposer et qui se trouvent en contradic- tion avec les idées généralement enseignées aujourd’hui. X. Je terminerai ce paragraphe par quelques considérations gé- nérales pratiques. On s’est servi primitivement de lames métalliques, de ressorts à boudin, dans la construction des appareils à force élas- tique. Dans ces dernières années, M. Rigal a expérimenté sur une grande échelle le caoutchouc, conseillé antérieurement par Mellet. Je me suis servi, comparativement, de ressorts en spirale et de ressorts de caoutchouc vulcanisé. Après une longue expérimenta- tion, j’ai dû y renoncer, entre autres raisons, pour les suivantes : 1° les ressorts de caoutchouc vulcanisé se modifient tellement sous l'influence de la température, qu’il est impossible de régler la force de ces appareils, qui exigent assez de précision ; 2° ces ressorts, quelle que soit leur qualité, se cassent ou doivent être renouvelés trop souvent. J’ai dû, en conséquence, les abandonner presque complètement, n’y ayant recours que dans les cas très restreints où je dois faire subir à la force élastique que j’ai à employer une élongation considérable. Je leur ai préféré les ressorts métalliques en spirale, qui n’offrent aucun de ces inconvénients. Ces ressorts métalliques en spirale peuvent subir une élongation du tiers de leur longueur, ce qui me suffit toujours, comme on le verra par la suite; sous un moindre volume, ils jouissent d’une plus grande puissance. APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. Je place, en général, les moteurs élastiques dans les points oc- cupés par les corps charnus des muscles paralysés, en leur don- nant la même direction. Cependant il m’arrive quelquefois de m’é- carter de ce principe, comme pour mes appareils de la main, dans lesquels les moteurs élastiques des interosseux sont situés à l’avant- bras. Cette modification volontaire des dispositions anatomiques ne trouble en rien le mécanisme des mouvements propres des muscles dont on veut remplacer l’action, pourvu que les tendons artificiels conservent leur attache et leur direction. On se ferait illusion si l’on s’imaginait qu’un muscle artificiel à force élastique peut agir comme un muscle vivant, dans la pro- duction des mouvements volontaires. Le muscle vivant, en effet, déploie, sous l’influence de la volonté, une force très variée, graduellement ou brusquement, suivant les besoins, soit qu’il agisse comme producteur ou comme modérateur du mouvement, soit qu’il doive concourir à une synergie muscu- laire. Au contraire, le muscle artificiel à force élastique, auquel on ne peut donner qu’un degré de tension déterminé et toujours le même, n’a pas le don de remplir une fonction aussi complexe pen- dant l’exercice des mouvements volontaires. L’expérience d’ailleurs m’a démontré ce que le plus simple raisonnement aurait dû faire prévoir. Il est même des cas où la force élastique est complètement insuffisante pour l’accomplissement d’une fonction abolie par le fait d’une paralysie musculaire partielle. Un exemple va le prouver. Supposons que le triceps sural soit paralysé ou atrophié; alors l’ex- tension du pied sur la jambe est abolie et le pied reste continuelle- ment infléchi sur la jambe. S’il ne s’agit, soit que de rétablir l’exten- sion pendant que le pied ne repose pas sur le sol, un muscle artifi- ciel élastique, d’une force de quelques kilos, serait certainement suffisant. Mais dès qu’il faut supporter le poids du corps ou im- primer à celui-ci une impulsion en avant, comme dans le premier temps de la marche, cette force de quelques kilos est alors com- plètement impuissante, parce que pendant la marche le triceps sural se contracte, à l’état normal, avec une force égale au moins au poids du corps. Or, si l’on donnait une telle force au muscle arti- ficiel destiné cà remplacer le triceps sural, le pied serait dans une extension continue, et la marche en éprouverait les troubles qui résultent de la paralysie des fléchisseurs du pied sur la jambe. Dans ce cas et dans d’autres analogues, il m’a fallu substituer à l’appareil à force élastique un appareil dans lequel la force rigide est com- binée avec la force élastique. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 839 § III.—Prévenir on combattre les dé formations des articulations, en équilibrant les forces toniques qui président aux rapports normaux de leurs surfaces. I. On sait que, consécutivement aux paralysies ou aux atrophies musculaires partielles des membres, on voit survenir non-seulement des contractures dans les muscles sains, dont l’action n’est plus mo- dérée par leurs antagonistes, mais aussi des déformations articu- laires plus ou moins considérables. On sait que les surfaces de ces articulations perdent leurs rapports normaux et se subluxent, à la longue ; que les ligaments se rétractent dans un sens et s’allongent dans le sens opposé, d’une manière vicieuse, et de telle sorte qu’ils occasionnent de fausses ankylosés, par le fait de l’immobilité désar- ticulations. Enfin, la forme du membre où siègent ces articulations déformées s’en trouve plus ou moins altérée, à ce point que l’usage en est quelquefois compromis. (J’aurai l’occasion de revenir sur ces cas particuliers dans le cours de ce travail.) Mes recherches électro-physiologiques et pathologiques m’ont fait trouver la clef du mécanisme de ces difformités, qui ne sont que l’exagération de l’action propre des muscles restés intacts. II. Opposez à cette action exagérée des muscles sains l’action pro- pre de mes muscles artificiels, qui, ainsi que je l’ai démontré pré- cédemment, imitent parfaitement la nature, et vous préviendrez, guérirez ou améliorerez les déformations articulaires consécutives aux paralysies musculaires partielles. Cette propriété spéciale de la prothèse musculaire physiologique est un de ses plus précieux avantages, et l’on ne peut en général l’obtenir avec les appareils orthopédiques en usage, parce qu’il faut, pour atteindre ce résultat, que la force employée agisse exactement comme dans la nature. Pour ne pas anticiper sur les faits que j’ai à exposer, je choisirai, comme exemple, la paralysie du long péro- APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. nier latéral, que j’ai fait connaître dans mes recherches électro-phy- siologiques sur le pied. Connaissant l’action propre de ce muscle et de son antagoniste, le jambier intérieur, on prévoit que consécutivement à la paralysie de ce muscle, outre la production immédiate d’un varus (1), on voit le diamètre transversal de l’a vant-pied s’élargir par l’écartement des cunéiformes, à leur face plantaire; les os du bord interne del’avant- pied se mouvoir de bas en haut dans leurs articulations et rester fixes dans cette situation ; enfin, la voûte plantaire disparaître, et consécutivement un pied plat se former.— Il n’y a évidemment que le long péronier latéral artificiel, imitant parfaitement la nature, qui puisse combattre cette déformation. III. La nature a été si prévoyante dans le choix des points d’at- taches tendineuses inférieures, que l’on ne peut s’en écarter sans troubler le plus ordinairement les mouvements articulaires, et sans occasionner des déformations. Il m’est arrivé, par exemple, de fixer le long péronier latéral ar- tificiel dans un point plus ou moins rapproché de l’extrémité anté- rieure du premier métatarsien, pour abaisser plus puissamment cette extrémité. J’ai vu alors ce premier métatarsien se subluxer sur le premier cunéiforme, au point que le bord antérieur de ce der- nier faisait sur la face dorsale du pied une saillie qui, dans la chaus- sure, occasionnait une pression douloureuse de la peau. C’est que la nature, en attachant ce tendon à la partie postérieure et infé- rieure du premier métatarsien, a voulu abaisser, à la fois et avec une égale puissance, le premier métatarsien, le premier cunéiforme et le scaphoïde ; c’est qu’en plaçant cette attache trop près de l’extrémité antérieure du premier métatarsien, l’action s’exerce trop puissam- ment sur cet os et beaucoup moins sur les autres. IV. On ne saurait appliquer trop tôt les appareils de prothèse musculaire, comme moyen préventif des déformations articulaires, dans les paralysies atrophiques graisseuses de l’enfance, surtout dans celles des muscles moteurs du pied, car ces déformations se développent d’une manière insidieuse. Ainsi, supposez que chez un enfant les mouvements soient entièrement abolis; après quelque temps vous voyez le pied se déformer graduellement, même avant le retour de tout mouvement appréciable (ce qui annonce, à coup sûr, que certains muscles sont moins lésés et qu’ils doivent bientôt (1) J’ai déjà montré qu’à la longue ce varus se changeait en valgus (voyez mes recherches sur îc pied). Je reviendrai sur ce fait important, à l’occasion de l’appareil propre à la lésion du long péronier latéral. recouvrer plus ou moins leur nutrition et leur mouvement). Si l’on n’intervient pas alors à temps, avec la prothèse musculaire, pour équilibrer les forces toniques qui maintiennent les surfaces articulaires dans leurs rapports normaux, les déformations articu- laires arrivent bientôt à un tel degré, qu’il est difficile et même, dans certains cas, impossible (j’en rapporterai un exemple) de main- tenir solidement le pied dans les appareils les plus ingénieusement combinés. PROTHÈSE MUSCULAIRE DE LA MAIN. 841 Y. Les appareils de prothèse musculaire améliorent et guérissent quelquefois les roideurs articulaires, les fausses ankylosés produites par l’immobilité absolue d’un membre, consécutivement à une para- lysie partielle ou à toute autre cause. On pourrait certainement, comme dans les appareils usuels desti- nés à combattre les contractures musculaires, mettre en action une force fixe ; mais l’expérience, ainsi que j’aurai l’occasion de le dé- montrer par la suite, m’a appris qu’une puissance élastique conti- nue agit, surtout pendant le sommeil, à la manière de la force douce et incessante de la tonicité musculaire, qu’elle surmonte ces résis- tances ligamenteuses beaucoup plus sûrement que par la force brutale des appareils rigides, et cela sans occasionner de douleurs ou sans exposer l’articulation. ARTICLE PREMIER PROTHÈSE MUSCULAIRE DE LA MAIN. Je me propose de faire connaître dans cet article les appareils que j’ai imaginés, d’après les principes généraux exposés dans les considérations précédentes, et que j’ai expérimentés avec succès, comme moyens prothétiques et thérapeutiques, dans les paralysies ou atrophies des muscles qui meuvent les doigts, le pouce et le poi- gnet. Je les désigne sous le nom de gantelet des extenseurs, des in- terosseux, des fléchisseurs superficiels et profonds des doigts, des muscles moteurs du pouce et des extenseurs du poignet. On comprend que ces appareils ne pourront être appliqués que par le médecin qui possédera des connaissances (surtout celles qui ressortent de mes recherches) en anatomie, en physiologie et en pathologie musculaires. Il faut, en effet, déterminer exactement quels sont les muscles affaiblis ou dont l’action est abolie, placer sur cha- que appareil plus ou moins de muscles artificiels, suivant leur atta- che et leur direction anatomiques, donner à ces muscles artificiels plus ou moins de tension, selon leur degré de maladie, pour équili- brer leurs forces. 842 APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. On ne doit pas en conclure que ces appareils sont compliqués et surtout d’une fabrication ou d’un entretien dispendieux. Bien au contraire, je me suis arrangé de façon que l’on pût se passer, à la rigueur, de l’intervention du mécanicien. La plupart ont été con- fectionnés sous ma direction par les malades ou leurs parents (riches ou pauvres). Je l’ai exigé dans un but d’économie pour la classe pauvrev pour laquelle l’orthopédie est en général inabordable. Je suis on ne peut plus heureux d’avoir souvent atteint ce but. En effet, ces appareils n’ont coûté que la matière employée, ce qui est insignifiant comparativement au prix.du moindre appareil ortho- pédique qui a passé par les mains des fabricants. Je m’empresse, toutefois, de reconnaître que ces appareils sont beaucoup plus élé- gants quand ils sont confectionnés par ces derniers. § I. ■— Prothèse musculaire physiologique des doigts. A. — Gantelet des extenseurs des doigts. Produire artificiellement l’extension des premières phalanges, telle est l’indication prothétique à remplir dans la paralysie ou l’atro- phie des extenseurs des doigts. I. Un appareil inventé par Delacroix, dès l’origine de l’ortho- pédie, répond à cette indication. îl consiste en une lame métallique appliquée sur la face dorsale de l’avant-bras, divisée à son extré- mité inférieure en quatre tiges faisant ressort, et se prolongeant sur la face dorsale do la main jusqu’à l’extrémité inférieure des pre- mières phalanges qu’elles soulèvent à l’aide de petits anneaux fixés à leur extrémité, et qui embrassent les doigts au niveau de l’articu- lation de la première à la seconde phalange. C’est sans doute après bien des tâtonnements que Delacroix était arrivé à construire cet ingénieux appareil. Il l’employait empirique- ment, sans pouvoir se rendre compte de son mécanisme physiolo- gique, que mes recherches électro-physiologiques expliquent parfai- tement aujourd’hui. Bien que l’appareil de Delacroix ait rendu des services réels (1), il présente cependant deux défauts : 1° il condamne tous les mou- vements du poignet; 2° il est tellement apparent, que les malades éprouvent une grande répugnance à le porter. J’ai eu l’occasion de l’expérimenter plusieurs fois ; je l’ai même modifié, en substituant à (1) Delacroix rapporte qu’un artiste qui avait perdu ses extenseurs des doigts pouvait jouer du piano avec sou appareil. PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE DES DOIGTS. la manière de Mellet le caoutchouc ou des ressorts à boudin (1) aux tiges à ressort : les malades n’ont pas tardé à l’abandonner, Fio. 136. — A, lame métallique, fixée à la partie postérieure d’une manchette R, plaque métallique articulée en H avec la lame métallique A de manière à ne permeltre que les mouvements latéraux de la main, à laquelle elle se fixe au moyen d’une courroie qui embrasse la paume de la main, lorsque les exten- seurs de la main sont paralysés : si ces muscles ont conservé leurs mouvements, une articulation fixée en B permet la flexion et l’extension volontaires. De l’extrémité inférieure de la plaque B partent des liges rigides qui s’étendent Jusqu’il l’extrémité inférieure des premières phalanges en se relevant un peu, A l’extrémité de ces tiges sont de petites poulies D, sur lesquelles glissent des cordes fixées, d’une part à des anneaux E qui embrassent l’extrémité|des pre- mières phalanges, et de l’autre à des ressorts C attachés à des boutons de la plaque dorsale de la main. Aux anneaux G qui embrassent le pouce s’atta- chent des muscles artificiels destinés à remplacer les extenseurs du pouce, dont les ressorts F se fixent à la lame métallique de l'avant-bras. Il suffit de cette description pour faire comprendre le mécanisme et les avantages de cet appareil. parce qu’il attirait trop l’attention; enfin, cet appareil était incom- mode. J’ai donc imaginé un appareil qui n’offre aucun de ces inconvé- nients : c’est' le gantelet des extenseurs des doigts. Voici en quoi il consiste : 1° Ungant A (fig. 137), dont les doigts vont jusqu’au tiers supérieur des deuxièmes phalanges, 1, sur lesquelles ils doivent être un peu serrés; 2° des tendons artificiels fixés à l’ex- trémité supérieure des premières phalanges, glissant dans des cou- lisses, 2, cousues sur la face dorsale de chaque phalange, et rap- (1) M. Charrièrc a construit d'après mes indications l’appareil modifié de De- lacroix, représenté dans la figure 136. Les ressorts primitivement de caoutchouc ont été remplacés par des ressorts métalliques en spirale C. prochés les uns des autres au niveau du poignet, où ils sont terminés par de petits anneaux; 3° une manchette de cuir, B, un peu roide, se laçant ou se bouclant sur l’avant- bras et unie à un bracelet d’étoffe G, de trois à quatre travers de doigt et qui est fixé au-dessus du coude pour empêcher la manchette de descendre; U° enfin deux ressorts métalliques à boudin, DD, recou- verts de peau à la manière d’une bretelle, de la force de trois à quatre kilos, fixés sur la partie supérieure de la face postérieure dé la man- chette, 6,6, dans Je voisinage de l’épi- condyle, et se reliant par des an- neaux, 8,8, aux extenseurs artificiels. Ces ressorts doivent être assez roides pour que le malade puisse étendre les doigts parallèlement aux méta- carpiens, pendant que le poignet est étendu sur l’avant-bras. APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. J’ai expérimenté cet appareil dans une douzaine de cas; la paralysie était limitée à un ou à plusieurs doigts, ou siégeait dans le muscle entier, ou s’étendait en même temps à d’autres muscles extenseurs du poignet et moteurs du pouce. Non- seulement la fonction des extenseurs des doigts,et conséquemment l’usage de la main ont été immédiatement rétablis pendant l’application du gantelet des extenseurs des doigts, mais cet appareil occasionnait si peu de gêne et était si peu apparent, que des malades qui recouvraient ainsi l’usage de la main ne sentaient plus assez la nécessité de suivre les traitements qui pouvaient produire la guérison de leur paralysie ou auraient contribué puissamment à cette guérison. Fig. 137. II. Il peut arriver que le gantelet des extenseurs soit inapplicable, comme cela m’est arrivé dans un cas où une balle avait traversé la partie inférieure du bras. Le sujet ne pouvait supporter sans dou- leur la compression légère du bracelet C (fig. 137). J’ai l'ait con- struire par M. Charrière un appareil (fig. 138) qui peut alors le remplacer, bien que son action me paraisse moins satisfaisante. PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE DES DOIGTS. Il se compose de deux pièces principales: 1° d’une lame de tôle, 3, lixée à la face antérieure de l’avant- bras (portion brachiale) à l’aide d’une manchette C, qui se lace sur le côté; 2° d’une plaque également de tôle, B, modelée sur la paume de la main (portion palmaire), articulée au ni- veau du poignet, 2, avec la pièce précédente, de manière à permettre les mouvements de latéralité de la main, et se terminant en bas, au niveau du point correspondant à l’articulation métacarpo - phalan - gienne, et en dehors au pli cutané qui limite l’éminence thénar : cette portion palmaire est fixée avec une courroie ou une sorte de mitaine de coutil ou de peau, qui embrasse le métacarpe; 3° d’une troisième plaque, A (portion digitale), appli- quée sur la face antérieure des pre- mières phalanges et articulée avec la partie supérieure de la portion pal- maire. Un ressort, 1, fixé à la por- tion palmaire, relève la portion di- gitale A, de manière à soutenir les premières phalanges dans l’extension. Le tout est garni de manière àp oint occasionner de blessure. Lorsque la paralysie est limitée aux deux doigts, je remplace la portion digitale par deux petites lames creusées en gouttière pour recevoir les premières phalanges et articulées avec la portion pal- maire, de manière à permettre les mouvements de flexion et de latéralité de chaque doigt maintenu dans l’extension par des res- sorts. Fig. 138. Avec cette description et ce que j’ai dit du mécanisme du gan- telet des extenseurs, je crois que l’on doit comprendre le mode d’ac- tion de ce dernier appareil. 846 APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. 13. — Gantelet des interosseux. Le meilleur moyen d’obtenir artificiellement les mouvements pro- pres des interosseux, c’est d’imiter autant que possible les procédés employés par la nature, la mécanique n’offrant rien d’aussi simple et d’aussi ingénieux pour produire simultanément ces mouvements complexes à l’aide d’une seule force. I. Voici donc la disposition du gantelet des interosseux. Une cou- lisse cousue sur un gant dans les points correspondants à la face dorsale des deux dernières phalanges du doigt à mouvoir, et jus- qu’au niveau de l’extrémité inférieure de la première phalange, où elle se bifurque pour remonter obliquement d’arrière en avant, de chaque côté de celle-ci, jusqu’il la face antérieure de l’articulation rnétacarpo-phalangienne. Dans ce point, les deux bifurcations se réunissent pour former de nouveau une seule coulisse qui descend sur la face palmaire du gant jusqu’au poignet. Les quatre doigts du gant sont disposés de la même manière. Deux lacets de soie, fixés à l’extrémité inférieure et postérieure de la phalangette de chacun des doigts, sont passés dans la coulisse et en suivent séparé- ment la bifurcation pour se réunir à la face palmaire et sortir au niveau du poignet, où ils se terminent par de petits anneaux. Des élastiques s’agrafent à ces anneaux et se fixent à une manchette de cuir, disposée de la même manière que dans le gantelet des exten- seurs des doigts. Lorsqu’on met ces élastiques en tension, on voit les premières phalanges s’infléchir en même temps que les deux dernières s’éten- dent, comme lorsqu’on fait contracter les interosseux chez le vivant. Yeut-on produire un mouvement latéral, il suffît de tendre davan- tage celui des tendons qui représente l’interosseux abducteur ou adducteur. Trois fois j’ai eu l’occasion d’appliquer le gantelet des interosseux, entre autres chez un monsieur qui était atteint d’une atrophie que j’ai appelée lépreuse des interosseux (1). La griffe causée par la perte de ces interosseux était arrivée h un tel degré de difformité, qu’il cachait sa main autant que possible, et que les usages en étaient profondément lésés. Quand il portait le gantelet des interosseux artificiels, cette main reprenait son attitude normale, et il pouvait exécuter les mouvements des phalanges en sens inverse, ou étendre les trois phalanges sur les métacarpiens ; la griffe, en un mot, dis- paraissait. (I) Je l’ai décrite précédemment, chap. XV, p, 495 II. Lorsque les premières phalanges sont arrivées à un certain degré de subluxation sur les métacarpiens et que les articulations métacarpo-phalangiennes sont très roidès, cet appareil est insuffi- sant comme fléchisseur des premières phalanges, parce que la direc- tion de la force est dans des conditions défavorables. J’ai fait fabriquer par M. Charrière un appareil pour ces cas par- ticuliers (fig. 139). Il se compose de trois pièces principales : la pre- PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE DES DOIGTS- 847 Fig. 139. mière digitale, A, la seconde palmaire, B, et la troisième antibra- chiale, G. Ces trois pièces sont articulées entre elles comme dans la figure 138. La portion digitale est une planchette présentant sur Tune de ses faces quatre gouttières destinées à recevoir chacun des doigts, dont on maintient les deux dernières articulations, autant que pos- sible, dans l’extension, à l’aide d’une courroie comprimant leur face dorsale. La seconde planchette, B, est maintenue appliquée sur la paume de la main; cette cffirnière planchette se relie à une attelle ou lame métallique que l’on fixe à la face antérieure de l’avant-bras. Un fort ressort D est fixé par l’une de ses extrémités à la planchette digitale A, et se termine dans une corde à boyau qui passe sur un pont E«haut de U centimètres, et dans un an- neau fixé sur la portion palmaire, d’où elle se réfléchit pour aller s’attacher en G à la planchette A. Oh tend cette corde graduelle- ment, de manière à incliner progressivement la portion digitale A, c’est-à-dire les premières phalanges, sur la planchette B. Avec cet appareil, appliqué au traitement des difformités de la main anciennes et datant même de la naissance, comme celle re- présentée dans la figure làO, et produites par la paralysie des interosseux, j’ai pu vaincre les roideurs articulaires et rétablir la forme normale. APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. C. — Gantelet des fléchisseurs superficiels et profonds I. Produire la flexion des dernières phalanges avec une force élastique assez grande, mais réglée de telle sorte qu’elle ne puisse exercer son action sur les premières phalanges, telle est l’indication à remplir dans la paralysie des fléchisseurs superficiels et pro- fonds. L’appareil que j’ai expérimenté avec succès dans ce cas se com- pose d’un gant, d’une manchette et d’un bracelet, comme pour le gantelet des extenseurs; quatre coulisses (A, fig. 1/11), cousues sur la face antérieure de chaque doigt, se réunissent au niveau du poi- gnet. Dans ces coulisses glissent des lacets de soie, cousus à l’ex- trémité antérieure des phalangettes, et s’attachant à des ressorts fixés sur la manchette. Au niveau de l’articulation phalango-pha- langienne, chaque doigt du gantelet est fendu transversalement à la face dorsale, pour donner plus de liberté au mouvement de flexion des deux dernières phalanges. Ces ressorts ne doivent pas avoir plus d’un centimètre et demi de course, ce qui suffit pour permettre la flexion et l’extension des deux dernières phalanges ; ils sont réglés de manière à ne pas avoir d’action sur les premières pha- langes. Fig. 140. Fig. lil. Ce gantelet rétablit les mouvements en sens inverse des pha- langes, abolis par la paralysie des fléchisseurs superficiels et pro- fonds. II. Par le tait de la paralysie des fléchisseurs des deux dernières phalanges, l’extension de celles-ci, n’étant plus modérée parles mus- cles antagonistes, s’exagère, et les fibres qui brident l’action du tendon médian, et conséquemment des interosseux, s’allongeant graduellement, les phalanges s’infléchissent sur leur face dorsale et forment une sorte de griffe renversée (voy. la fig. 113, p. 785). De plus, l’attitude d’extension continue des deux dernières phalanges produit, après un certain temps, la roideur de leurs articulations. PROTHÈSE MUSCULAIRE DU POUCE, Le gantelet des fléchisseurs superficiel et profond, appliqué à temps, prévient ces déformations. Mais lorsque les ligaments sont déjà rétractés et les articulations roides, ce gantelet a besoin d’être modifié. A l’aide d’un gantelet mixte des fléchisseurs des deuxièmes et troisièmes phalanges et des extenseurs des premières, agissant surtout pendant la nuit d’une manière continue, comme la force tonique musculaire, j’ai pu rendre à ces articulations leur souplesse et l’étendue de leurs mou- vements. § II. — Prothèse musculaire du pouce. Je comprendrai dans cette étude les mouvements des deux pha- langes du pouce et du premier métacarpien, parce qu’ils sont insé- parables, au point de vue physiologique et pathologique. Les notions que l’on possédait sur l’action propre des muscles moteurs du pouce étaient tellement incomplètes ou méconnues, avant l’expérimentation électro-musculaire, qu’il m’est permis de dire que le mécanisme des mouvements du pouce était encore plus ignoré que celui des mouvements des doigts. Conséquemment, la prothèse physiologique du pouce ne pouvait être formulée. A, — Gantelet des muscles opposants du pouce. 1. De toutes les atrophies dont les muscles de la main puissent être atteints, la plus fréquente me paraît être celle des muscles de l’éminence thénar, que j’ai vu un grand nombre de fois détruits en masse ou partiellement. Étant connu le mécanisme des mouvements simultanés du pre- mier métacarpien et des deux phalanges qui constituent l’opposition du pouce, rien n’est plus facile que d’obtenir artificiellement ces mouvements imitant la nature, quand les muscles qui les produi- sent viennent à être frappés d’atrophie ou de paralysie. C’est d’après les données anatomiques exposées ci-dessus que j’ai imaginé l’appareil dont voici la description, pour remédier à l’atro- phie des muscles de l’éminence thénar. DUCHENNE. APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. 11. Que l’on suppose, par exemple, que le court abducteur (le plus utile des muscles du pouce, comme je l’ai démontré) soit atro- phié; on coiffe alors la main d’un gant (voy. A, lig. 142), dont le pouce seul est conservé entièrement; ensuite on attache sur la peau, au niveau de la racine de l’ongle du pouce, le tendon artificiel (1, lig. 142) du court abducteur qui re- monte dans une coulisse, vers la partie moyenne de l’articulation de la seconde et de la première phalange, puis se dirige obliquement de dehors en dedans vers le côté externe de l’articulation méta- carpo-phalangienne, et enfin, traversant obliquement l’éminence thénar, sort de sa coulisse, au niveau de l’attache infé- rieure du court abducteur. Dans ce point, le tendon artificiel est terminé par un petit anneau que l’on attache à un res- sort G fixé sur une manchette 13 disposée comme dans les appareils précédents. Le muscle artificiel que je viens de décrire étend la deuxième phalange, in- cline latéralement en dehors la première phalange sur le premier métacarpien, place celui-ci dans l’opposition, en l’in- clinant en avant. Tous ces mouvements sont produits simultanément comme dans la nature. III. Lorsque l’opposant est atrophié en même temps, le court abducteur artificiel (1, fig. 142) suffit à la rigueur pour mettre le premier métacarpien en opposition ; cependant ce mouvement est exécuté avec une certaine difficulté, car la première phalange, en s’inclinant, résiste un peu à l’opposition, qui ne peut être produite qu’avec une contraction énergique de ce court abducteur artificiel, et encore ce mouvement ne se fait-il alors qu’avec une sorte de ressaut. Pour éviter ce ressaut, j’ai ajouté au gantelet du court abducteur un opposant artificiel (2, fig. 142) dont l’extrémité inférieure s’at- tache à l’extrémité inférieure et externe du premier métacarpien, et Fig. 142. PROTHÈSE MUSCULAIRE DU POUCE. qui, passant dans une coulisse, aboutit à la partie moyenne du poi- gnet, où elle se relie à un ressort D fixé à la manchette B, comme pour le court abducteur. 851 IV. Ne voulant point abuser du temps de mes lecteurs, je me prive de l’avantage de corroborer mon travail par la relation d’un assez grand nombre de cas dans lesquels les appareils prothétiques qui font le sujet de ces recherches ont été appliqués avec succès. Cependant on me permettra, j’espère, de franchir les limites que je me suis imposées, en faveur d’un fait à l’occasion duquel j’ai communiqué en 1856, à l’Académie de médecine de Paris, une note qui traite de l’orthopédie physiologique de la main. Ce fait offre un intérêt à la fois scientifique et pratique. Observation CXGIX.—Vers le milieu de novembre I 855, je fus consulté par un sculpteur sur bois, chez lequel l’atrophie musculaire graisseuse avait détruit plusieurs des muscles de l’éminence thénar des deux mains. La maladie, qui avait débuté deux ans auparavant, s’étant limitée aux muscles de l’éminence thénar, il m’était permis d’espérer, d’après sa marche et quelques autres symptômes, qu'elle n’étendrait pas ses ravages au delà de cette région. Mais il y avait lieu de craindre que les muscles atrophiés fussent, sinon entièrement, du moins en grande partie graisseux. Leur ac- tion volontaire faisait complètement défaut, comme le prouva l’analyse des mouvements. Les muscles qui forment la saillie do l’éminence thénar, du côté droit, avaient disparu. Voici ce qu’on observait, si on lui faisait faire des mouvements. Voulait-il opposer aux doigts le pouce de la main droite, on voyait les deux phalanges de ce pouce se fléchir par la contraction de son long fléchisseur, mais son premier métacarpien restait immobile (voy. la fig. 4 21, p. 789); ce qui démontrait le défaut d’action do ses muscles opposants court abducteur et court fléchisseur. Les troubles fonctionnels qui résultent de cette atrophie de l’éminence thénar étaient tels, que ce malade, qui dirigeait une fabrique de meubles sculptés, se voyait forcé d’abandonner son commerce, car non-seulement il était incapable de continuer ses travaux de sculpture, mais encore il ne pou- vait ni dessiner ni écrire. C’est dans ces conditions que j’ai songé à lui faire l’application du gan- telet du court abducteur du pouce, dont j ai donné la description plus haut (voy. la fig. I 42); ce qui rendit au malade la faculté de se servir de sa main presque aussi bien qu’auparavant. Ainsi voulait-il, sans le secours de son gantelet, mettre en rapport les pulpes des doigts et du pouce, comme pour tenir une plume, un crayon, ou pour diriger un compas, ne pouvant incliner son pouce assez en avant, il était forcé de placer ses premières phalanges dans l’extension, et les deux APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. dernières dans la flexion, comme dans la figure 120, p. 789. Celle allilude était d’autant plus fatigante, que l'extension de la deuxième phalange du pouce ne se faisait pas alors. Il en résultait qu’il ne pouvait tenir longtemps et solidement les objets qu’il avait placés entre son pouce et ses doigts. De plus, s’il voulait alors étendre les phalanges de ses doigts, en les inclinant sur les métacarpiens, comme lorsqu’on écrit ou dessine, le pouce ne pouvant suivre ce mouvement, la plume ou le crayon lui échappait. Il est bien d’au- tres usages de la main qui étaient abolis ou génés par le fait de la perle de son court abducteur du pouce et de son opposant. Il n’était pas capable do passer son pouce dans l’un des anneaux des ciseaux, ni de prendre les objets placés sur une table, s'ils n'étaient pas très volumineux. Avec le gan- telet du court abducteur et de l’opposant, que je lui ai fait porter depuis six mois, tous les usages de sa main sont rétablis ; il écrit, il dessine (voy. la fig. 143, qui a été dessinée d’après nature), il se sert de son compas, ramasse même une épingle, ce qui lui était impossible auparavant, avec autant d’habileté que s’il possédait tous ses muscles. Fig. 143. Ce malade étant souvent forcé de se livrer à des travaux manuels qui usent et déchirent si vile ses gants que l’usage en devient difficile, je lui conseillai pour ce genre de travaux l’emploi d'un appareil plus simple. 11 consiste en un tube de caoutchouc vulcanisé qui embrasse l’extrémité supé- rieure du premier métacarpien à la manière d'un anneau, et remonte obli- quement vers le bord interne du poignet, autour duquel il s’enroule. Le caoutchouc est tendu plus ou moins, et l'avant-bras est garanti de sa com- pression par une manchette de cuir. Ce dernier appareil, qui a rendu de grands services à mon malade, a cependant des inconvénients que je dois signaler: 1° il exerce une pression circulaire sur un point trop limité du pouce et gêne en conséquence la circulation ; 2° il a trop pou d’action d'ex- PROTHÈSE MUSCULAIRE DU POUCE. 853 tension sur la deuxième phalange; 3° il est insuffisant pour le travail à l’aiguille; 4° le caoutchouc vulcanisé subit trop l’influence des variations de température, ■— (Le malade dut remplacer le caoutchouc par un ressort métallique.) Je pourrais rapporter aussi plusieurs observations d’atrophie limitée au court abducteur du pouce, desquelles il ressort que l’usage de la main en était presque aussi gravement lésé que dans le cas précédent, où tous les opposants étaient détruits. — On con- çoit que le court abducteur artificiel a dû rétablir l’intégrité des fonctions du pouce. Quant à l’atrophie du court fléchisseur, il ne cause pas assez de perturbation dans l’usage de la main pour compenser la gêne occa- sionnée par l’appareil lui-même. B. — Prothèse des muscles long extenseur, court extenseur, long abducteur et long fléchisseur du pouce. I. La paralysie du long extenseur du pouce existe rarement iso- lément. Je ne l’ai observée qu’une fois (à la main droite), consécuti- vement à une contusion de la partie postérieure et inférieure de l’avant-bras. L’usage de la main n’en fut pas très compromis; le sujet écrivait aussi facilement qu’auparavant. Cependant l’opposition constante du pouce et l’impossibilité de le relever pour une foule d’usages occasionnaient de la maladresse. Un long extenseur artifi- ciel (voy. 3, fig. 137) fit disparaître la gêne et rendit l’habileté ma- nuelle. C’est, on le voit, un tendon artificiel, 3, qui suit la direction anatomique du long extenseur, et s’attache à un ressort E fixé à la manchette B. II. La paralysie simultanée du long extenseur et du long abduc- teur du pouce s’observe communément dans la paralysie satur- nine. Il en résulte que le premier métacarpien se trouve constam- ment dans une opposition exagérée, et ([ue le pouce tombe dans la paume de la main (voy. la fig. 144). On prévoit que l’usage de la main est bien plus gêné par cette attitude vicieuse du pouce que dans le cas précédent. — Le long- extenseur du pouce artificiel décrit ci-dessus (voy. fig. 137) suffi- rait, à la rigueur, pour rétablir la fonction et l’attitude à peu près normale du pouce; mais l’absence du court fléchisseur (seul pro- ducteur réel de l’abduction du premier métacarpien) cause de la difficulté dans certains actes, comme lorsqu’on écrivant, en dessi- nant, le trait est dirigé d’avant en arrière. On remarque en effet (voy. la fig. 145) que dans ce mouvement le premier métacarpien se porto dans l’abduction, pendant que les deux phalanges sont fléchies, ou, en d’autres termes, que ce mouvement, opposé à celui qui trace le trait d’arrière en avant, est produit par le court exten- seur et le long fléchisseur du pouce. Les malades se sont bien trouvés, dans ces cas, d’un abducteur APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. Fig. 144. Fig. 145. artificiel ajouté au long extenseur artificiel. Un ruban de fil fixé à l’extrémité supérieure et postérieure de la première phalange, glis- sant dans une coulisse qui suit la direction naturelle du court ex- tenseur, s’ouvre au niveau de la face inférieure et externe du radius, et se relie à un ressort fixé à la face postérieure de la man- chette; ce muscle artificiel, dis-je, produit les mouvements propres du court extenseur. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’appliquer le long fléchisseur artificiel du pouce. § III. — Prothèse musculaire «lu poignet. N’ayant pas encore eu l’occasion de faire l’application du gantelet des fléchisseurs artificiels de la main, il ne sera question dans ce paragraphe que des extenseurs de cette partie. Gantelet des extenseurs du poignet.—I. J’ai dit précédemment qu’il suffit de la paralysie partielle des extenseurs des doigts pour que le poignet se fléchisse avec force, quand le sujet veut ouvrir la main. Si l’on se rappelle le mécanisme physiologique de ce phénomène, on ne commettra pas la faute de l’attribuer à la paralysie des exten- seurs de la main. Ai-je besoin de rappeler aussi que les extenseurs artificiels de la main seraient ici impuissants, et qu’il suffit de pro- duire artificiellement l’extension des premières phalanges, pour faire cesser cette paralysie apparente des extenseurs du poignet? II. 11 est une espèce de paralysie qui atteint ordinairement, en même temps, les extenseurs des doigts et les extenseurs du poignet ; c’est la paralysie saturnine. PROTHÈSE MUSCULAIRE DU POIGNET. Si tous les extenseurs sont paralysés, on place deux ressorts à la partie postérieure de la manchette, l'un en dedans, l’autre en de- hors, et s’agrafant, l’externe au niveau du second métacarpien, et l’interne au niveau du cinquième métacarpien. Il arrive quelquefois dans cette paralysie que le cubital postérieur est seul atteint avec l’extenseur des doigts. Le gantelet de l’exten- seur des doigts (décrit dans le premier paragraphe) rétablit alors, il est vrai, les fonctions de la main, mais l’extension du poignet ne peut se faire sans abduction. — Bien que cette attitude gêne peu les fonc- tions, sa continuité occasionne de la fatigue.—Chez une jeune colo- riste atteinte de paralysie saturnine des extenseurs des doigts et du cubital postérieur, l’application du gantelet des extenseurs des doigts avait rétabli l’usage de la main ; son travail à l’aiguille était aussi facile qu’avant sa paralysie, mais l’attitude de l’abduction continue finissait par lui donner, dans l’articulation radio-carpienne, un sen- timent de fatigue qui disparut quand j’eus ajouté à son appareil un cubital postérieur artificiel (voy. F, fig. 137), qui rétablit l’attitude normale de sa main. Des trois extenseurs du poignet, le premier radial est le plus fré- quemment atteint isolément dans la paralysie saturnine (sur plus d’une centaine de cas, je n’ai pas vu une seule fois le second radial paralysé partiellement). Les troubles fonctionnels qui en résultent sont bien plus grands qu’après la paralysie du cubital postérieur. On y remédie aisément avec un ressort qui s’attache au gant, comme je l’ai dit, au niveau du premier métacarpien. III. Mais lorsque la paralysie du premier radial est ancienne, l’articulation se déforme, par suite de l’abduction continue du poi- gnet: les ligaments latéraux s’allongent en dehors et se rétractent en dedans, au point que l’on ne peut ramener la main dans son atti- tude normale, surtout si l’action du second radial est également abolie. L’articulation se déforme aussi dans le sens de la flexion, et résiste aux efforts d’extension. J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’observer cette difformité du poignet, coïncidant avec la griffe con- sécutive à la paralysie des inlerosseux, et j’en ai représenté un exemple dansla figurel40. Avec l’appareil que j’ai décrit précédem- ment (p. 847), et que j’ai appliqué à la guérison de cette déformation des phalanges (voy. latig. 139), voici comment j’ai obtenu graduel- lement l’extension abductrice du poignet : de l’extrémité d’une tige fixée à la portion palmaire B de l’appareil partent deux ressorts qui vont s’attacher à la partie supérieure de la face postérieure et APPENDICE. — PROTHÈSE .MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. externe de la manchette C, de manière à ramener graduellement la main dans l’extension et dans l’abduction. ARTICLE II. PROTHÈSE MUSCULAIRE DES MEMBRES INFÉRIEURS. La prothèse musculaire physiologique des membres inférieurs a une plus grande importance pratique que celle de la main, parce qu’elle seule peut prévenir des déformations qui sont incurables, lorsqu’elles sont arrivées à leur entier développement, parce qu’à ce titre elles doivent toujours être appliquées concurremment avec les moyens thérapeutiques et principalement avec la faradisation localisée, dont le but est de guérir la paralysie ou l’atrophie cause première de ces déformations, parce qu’enfin les cas dans lesquels on peut en faire l’application sont extrêmement nombreux. Mes recherches sur la prothèse physiologique des membres infé- rieurs ont été faites, en grande partie, chez des enfants et chez des jeunes sujets. Je me proposais autant de prévenir ou d’arrêter les déformations des membres, en attendant que les paralysies fussent guéries ou améliorées parla faradisation, que de rétablir ou de rendre plus facile l’usage de ces membres. Les appareils orthopédiques qui étaient répandus dans la prati- que, bien qu’ils eussent été perfectionnés sous la direction d’habiles praticiens ou de savants physiologistes et pathologistes qui s’étaient spécialement livrés à l’étude des difformités et des affections mus- culaires, ne répondaient pas aux indications que je voulais remplir. Ces appareils à force lixe ou à force élastique meuvent le pied en masse dans l’articulation tibio-tarsienne ou dans l’articulation cal- canéo-astragalienne, dans le sens de l’adduction et de l’abduction ; et encore ils ne peuvent qu’imiter ces mouvements d’abduction et d’adduction par un renversement du pied directement en dehors ou en dedans, renversement direct que ne permet pas l’articulation calcanéo-astragalienne dont le mouvement est composé comme je l’ai démontré. Enfin, avec ces appareils, on ne peut obtenir les mouvements des petites articulations du métatarse qui ont lieu, à l’état normal, sous l’influence de l’action individuelle des muscles, pendant l’extension, la flexion, l’adduction et l’abduction du pied. Je ne saurais dire combien d’appareils j’ai imaginés pour obtenir ces mouvements composés. Tous mes essais ont été infructueux jusqu’au moment où j’ai eu l’idée d’imiter la nature, à l’aide de la prothèse musculaire physiologique, c’est-à-dire d’attacher mes mo- teurs artificiels exactement dans les points anatomiques. L’expé- rience heureuse que j’avais déjà faite sur des jambes de squelettes, et que j’ai rapportée précédemment, me fit espérer que, répétée sur les vivants, elle donnerait les mêmes résultats. Je vais décrire l’appareil que je lis construire dans ce but. PROTHÈSE MUSCULAIRE DES MEMBRES INFÉRIEURS. Il se compose (voyez les figures 156, 147 et 158) d’une guêtre, F ig. 147. Fig. 14G. Fig. 148. de muscles artificiels, d’un système de déligation avec ou sans tuteurs métalliques, qui servent de points d’appui aux muscles arti- ficiels à forceélastiqîle ou rigide. 1° La guêtre est de coutil ; elle s’étend de quelques centimètres au-dessus des malléoles, à un centimètre en avant des articulations mélatarso-phalangiennes, de manière à conserver la liberté des mouvements des orteils. Elle est coupée comme pour une bottine, c’est-à-dire que ses coutures longent la circonférence du pied. Ces dernières sont plates et ne blessent pas la peau. Cette guêtre est lacée ordinairement en dedans; je dirai, parla suite, dans quelle circon- stance elle doit être lacée en dehors. Enfin elle est bien ajustée, ne fait pas de plis, et ne doit pas exercer trop de compression. Je la fais porter par-dessus un bas de fil, parce qu’ainsi elle se conserve APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PUYSIOLOCIQUE. propre plus longtemps que si elle était appliquée à nu sur la peau. D’ailleurs avec les muscles artificiels qui s’attachent à cette guêtre, dans certains points anatomiques, on obtient aussi bien, dans les deux cas, les mouvements articulaires partiels et composés que l’on se propose de produire. 2° La portion des muscles artificiels qui correspond à la guêtre, est la partie essentielle, fondamentale, dans la prothèse musculaire physiologique. De celte espèce de tendons artificiels dépend toute la mécanique des appareils. On peut voir dans les figures 1/16, 147 et 148, que l’extrémité inférieure de ces tendons artificiels destinés à produire les mouvements si complexes des articulations du tarse et du métatarse s’attache exactement dans les points anatomiques, et que leur direction et leur passage dans des coulisses ont lieu comme dans la nature; ils sont construits avec des lacets de soie. Je reviendrai sur leur description en traitant de la prothèse des pa- ralysies musculaires partielles. Les agents moteurs de ces tendons artificiels sont élastiques ou rigides. J’ai dit précédemment (page 837) que l’expérience m’avait bien vile démontré l’insuffisance des tissus de caoutchouc vulcanisé, et que j’ai dù donner la préférence aux ressorts métalliques en spi- rale, parce qu’ils répondaient mieux aux indications que j’avais à remplir. Ces ressorts métalliques, dont on augmente la force suivant les cas particuliers, sont recouverts à la manière des ressorts de bre- telles. Leur course est limitée (voy. les figures 146 et 148) et ne peut dépasser le tiers de leur longueur, de sorte qu’on peut les em- ployer aussi comme moteurs fixes, en les tendant au delà de leur extensibilité. Ces moteurs sont terminés inférieurement par des agrafes qui sont passées dans les anneaux des tendons artificiels, et supérieurement par des courroies percées de trous qui sont fixées à l’appareil que je vais décrire. 3° Je me suis appliqué dans ces essais à simplifier la fabrication des appareils prothétiques et à les débarrasser autant que possible de l’emploi du métal. — Primitivement, j’avais fait construire une molletière de cuir assez épais(voy. les figures 146 et 148), embrassant exactement la partie supérieure de la jambe, lacée en dehors, et pouvant être serrée au niveau de la jarretière, de manière à être maintenue aussi solidement que possible. Des boutons fixés à cette molletière servaient de points d’attache aux muscles artificiels ; mais je n’ai pas tardé à remarquer qu'elle était insuffisante. Chez les enfants dont les membres malades étaient amaigris ou atrophiés, elle n’était pas applicable, parce qu’elle ne pouvait être solidement maintenue et descendait sur la partie inférieure de la jambe, sous l’influence de la traction exercée par les muscles artificiels. Lorsque les mus- cles de la partie postérieure de la jambe étaient assez développés pour soutenir la molletière, la compression circulaire qu’il fallait alors exercer au niveau de la jarretière pour résister à la pression exercée par les muscles artificiels, ou ne pouvait être longtemps sup- portée, ou augmentait l’atrophie de la jambe. PROTHÈSE MUSCULAIRE DES MEMBRES INFÉRIEURS. Alors j’ai essayé de soutenir la molletière à l’aide d’un cuissard qui prenait son point d’appui au-dessus du condyle du fémur (voyez les figures U6 et là8). Pour fixer solidement ce cuissard, deûx coussins de 8 à 10 centimètres de diamètre, et d’un centimètre à un centimètre et demi d’épaisseur, ont été fixés à la face interne et placés un peu au-dessus des condyles du fémur. De cette manière le cuissard, comprimant la cuisse transversalement, était retenu par les condyles, et maintenait solidement la molletière à laquelle il se reliait à l’aide de courroies placées latéralement; il n’occasionnait aucune gêne, parce qu’il n’exerçait pas de compression circulaire. Cet appareil, on le voit, a une grande ressemblance avec celui de la main qui a été décrit antérieurement (voyez la fig. 137), qui, lui aussi, prend son point d’appui principal sur les tubérosités interne et externe de la partie inférieure de l’humérus. Mais il n’est malheu- reusement pas applicable dans tous les cas, surtout lorsque les mus- cles artificiels doivent agir avec une grande puissance. 11 faut alors serrer très fortement le cuissard, et il en résulte une atrophie rapide de la partie inférieure de la cuisse, et surtout du vaste interne et du vaste externe. Celte atrophie de la cuisse est même inévitable après un long usage de ce cuissard, quelque modérée que soit la compression. Ainsi, j’ai observé que le volume de ces muscles avait diminué d’un tiers et quelquefois de moitié après une à deux années d’usage. Celte atrophie des extenseurs de la jambe sur la cuisse, occa- sionnée par le cuissard, contre-indique l’emploi de ce dernier, lors- que ces muscles sont déjà affaiblis, paralysés ou atrophiés en même temps que les muscles moteurs du pied. De plus, le cuissard est très incommode et difficile à porter et à maintenir, pendant les chaleurs de l’été, à cause de la transpiration abondante qu’il pro- voque. Enfin, il est des cas assez nombreux où il faut combiner la force élastique avec la force rigide. L’appareil représenté dans la figure 1à9 répond à toutes les indi- cations pour les paralysies partielles des muscles moteurs du pied. 11 est composé, comme les appareils orthopédiques ordinaires, de deux tuteurs métalliques A, reliés entre eux par deux cercles égale- ment demétal, C, C', dont la moitié antérieure est articulée et peut 860 s’ouvrir pour recevoir le membre; d’un étrier métallique H, auquel est fixée une semelle de cuir mince, quelquefois consolidée par une plaque métallique aussi légère que possible. Le métal est partout recouvert de peau. » Lorsque le pied est mis dans sa guêtre, le membre est placé dans l’appareil comme dans la fig. 149, et une bottine maintient solidement tout le système, comme l’indi- quent les lignes ponctuées qui entourent le pied. Alors les muscles artificiels D, E, F, etc., sont tendus et fixés au cercle su- périeur C, en passant les boutons rivés sur ce dernier dans les trous de leurs cour- roies. Mes expériences sur la prothèse muscu- laire physiologique des membres inférieurs ont été faites, en grande partie, dans des cas de paralysie atropbique graisseuse de l’en- fance. J’ai procédé alors différemment sui- vant la période de la maladie où j’étais ap- pelé à intervenir. La plupart des jeunes sujets m’ont été adressés à une période assez avancée de leur affection musculaire. Quand j’ai eu à les traiter au début ou à une époque voisine du début, c’est-à-dire à un moment où la paralysie régnait encore dans les muscles moteurs du pied ; lorsque, par l’explora- tion électro-musculaire, il m’a été démontré que la paralysie et que certains muscles devaient s’atrophier ou étaient menacés de se transformer en graisse, j’ai fait appliquer immédiatement l’ap- pareil représenté dans la figure 1A9, en limitant la course de son étrier pour laisser peu de jeu au mouvement d’extension ou de flexion du pied; puis j’ai tendu tous les muscles artificiels de ma- nière à rétablir l’équilibre des forces toniques qui maintiennent la forme normale du pied. Cet appareil, dont le but principal est d’aider à la marche et de contenir solidement le pied, n’est appliqué que le jour. C’est aussi un appareil d’attente; car aussitôt que les muscles qui ont été moins lésés dans leur innervation commen- cent à recouvrer leur motilité et leur force tonique, je tends davan- tage les muscles artificiels destinés à suppléer à leurs antagonistes paralysés, afin de prévenir les déformations partielles qui, sans cette équilibration des forces, seraient infailliblement produites à la longue. APPENDICE. — PROTHESE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. Fjg. li'J. Il arrive un moment où la paralysie se localise; en d’autres termes, où un certain nombre de muscles ont recouvré complètement leur molilité et leur force : alors la prothèse musculaire doit être modi- fiée suivant les cas particuliers, comme je vais l’exposer brièvement dans les paragraphes suivants. PROTHÈSE DU TRICEPS SURAL, 861 § I. — Prothèse du triceps sural. A. — Appareil de nuit. Sitôt que la paralysie du triceps sural (jumeaux et soléaire)est diagnostiquée, on doit se hâter de prévenir, à l’aide de moyens pro- thétiques, la chute progressive du talon (le talus) et les déformations articulaires qui en sont la consé- quence, ainsi que je l’ai démontré précédemment (p. 801). Le triceps sural artificiel remplit parfaitement celte indication, parce qu’il produit à la fois l'extension du pied dans l’articulation tibio-astragalienne et son adduction dans l’articulation calcanéo - astragalienne. Dans ce but, on fixe l’extrémité inférieure de ce muscle artificiel à une guêtre et au niveau de la terminaison du tendon d’Achille, puis on attache son extrémité supérieure à une molletière. Ensuite on donne au muscle artificiel assez de tension pour maintenir le pied étendu pendant le repos musculaire. On peut remplacer la guêtre par une légère sandale, au talon de la- quelle serait attaché le muscle artificiel. Si l’emploi de la molletière et de son cuissard contentif était contre-indiqué, on appliquerait l’appareil représenté dans la figure 150. Cet appareil, que j’ai fait construire par M. Charrière, présente des dispositions nouvelles qui méritent d’être décrites. Fig. IoO. 862 APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. Il se compose d’un tuteur métallique placé en dehors, terminé en haut par un corde métallique, comme dans l’appareil 1 49, et articulé au niveau de l’articulation tibio-tarsienne, avec un étrier qui peut être incliné en dedans, au moyen d’une vis de pression (appelée marteau, A, fig. 150) et d’une charnière placée au niveau de l’articulation calcanéo-aslragalienne. Une planchette sur laquelle le pied est maintenu par une courroie G est fixée à l’étrier; on peut la faire pivoter sur la jambe de dehors en dedans par la vis de pression B. Si l’on a bien présent à l’esprit le mécanisme du mou- vement d’adduction de l’articulation calcanéo-astragalienne, on comprendra que cet appareil imite parfaitement le mouvement d'adduction naturel, au moyen des mouvements combinés de flexion latérale et de rotation de bar- rière-pied sur l’axe de la jambe, mouvements que l’on règle avec les vis de pression A, B (1 ). Lorsque le pied est placé en adduction, comme je viens de le dire, on le maintient dans l’extension, à l’aide du triceps sural artificiel attaché d’une part à la partie postérieure de la planchette et de l’autre à la partie postérieure du cercle F, fig. 1 49, ou avec la vis de pression G, fig. 150. Lorsque la paralysie du triceps sural n’est pas récente et que cepen- dant on a quelque espoir de rappeler les mouvements et la nutri- tion dans ce muscle, les moyens prothétiques que je viens de décrire peuvent être encore utiles, si le pied n’est pas très déformé. La tension du muscle artificiel doit être plus forte. Non-seulement cet appareil peut alors relever le talon, mais il favorise encore la guérison par la faradisation, en plaçant ce muscle dans le raccour- cissement. Mais si ce dernier ne donne plus de signe d’existence, s’il est gras et que le talus pied creux , consécutif à sa destruction, soit à son plus haut degré, comme dans les figures 128, 129 et 131, est-il besoin de dire que toute tentative de réduction ne pourrait donner aucun résultat heureux? B. — Appareil de jour. Le triceps sural artificiel à force élastique ne peut, dans aucun cas et même au début de cette paralysie, aider la marche ou la sta- tion ; c’est qu’il lui faudrait alors une force au moins égale au poids du corps, force qui maintiendrait le pied dans une extension con- tinue. En voici la preuve. Observation CC. — J ai observé chez un adulte une paralysie alrophique des jumeaux, consécutive à une névralgie ou plutôt à une névrite sciatique (1) On peut obtenir, comme dans la nature, avec un mécanisme analogue place du cote oppose, les mouvements composés qui produisent l’abduction du pied. chiant de plusieurs années. Le soléaire intact se contractait avec une force de 22 kilos. Le sujet ne pouvait se tenir sur la pointe du pied. Pendant la marche, le membre malade reposait seulement sur le talon, et le mouve- ment d’oscillation en avant du premier temps de la marche n’avait pas lieu. Il en résultait une claudication semblable à celle qui est produite par une jambe artificielle. PROTHÈSE DU LONG PÉRON1EB I ATÉUAL. 863 J’ai recueilli un autre cas analogue au précédent, chez un enfant âgé de cinq ans, dont l’extension du pied sur la jambe ne se faisait plus qu’avec un des jumeaux. Son pied, comme dans le cas précé- dent, était infléchi fortement sur la jambe quand il essayait de se teniijsur sa pointe, et il me fallut, pour empêcher alors cette inflexion, employer un triceps artificiel dont la puissance égalait le poids du corps. Cette puissance l’emportait de beaucoup sur la force tonique des fléchisseurs, de sorte que si le membre inférieur ne reposait pas sur le sol, le pied restait dans une extension continue, etconséquem- ment buttait contre le sol pendant l’oscillation du second temps de la marche. J’équilibrai alors les forces avec un fléchisseur artificiel, égal en puissance à l’extenseur, et de manière que pendant le repos musculaire le pied était maintenu fléchi à angle droit. Le petit ma- lade pouvait facilement fléchir son pied au delà de cet angle droit avec ses muscles sains. Cet appareil aidait singulièrement sa marche et donnait alors au tronc un peu d’impulsion en avant. Mais on conçoit qu’il est difficilement applicable, et qu’il est même inapplicable lorsque le poids du corps est plus considérable, par exemple, chez les adultes, parce que cela nécessiterait l’emploi de ressorts de la force de ûO à 50 kilos et plus difficiles à construire et à placer. Dans ces cas, j’ai employé un appareil rigide, c’est-à-dire dont la flexion de l’étrier B (fig. 1Û9) était limitée de manière à ne pas dépasser l’angle droit. § II. — Prothèse du long péronier latéral. A, — Appareil de nuit. La physiologie et la pathologie du long péronier latéral ayant été complètement ignorées jusqu’en ces derniers temps, on conçoit que la prothèse de ce muscle ait dû être également négligée. Ce n’est pas qu’en orthopédie on n’ait absolument rien tenté contre la défor- mation produite par sa paralysie ou sa faiblesse congénitale, contre le pied plat. Mais, comme on n’y voyait qu’un vice de conformation purement osseux, on s’était ingénié a former une voûte plantaire en exerçant une compression sur la partie moyenne de la voûte plan- APPENDICE. — PROTHESE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. taire, à l’aide d’une semelle à convexité supérieure. Tout le monde comprend qu’un appareil semblable, qu’il fallait faire porter pen- dant une année et plus, devait aggraver les accidents inhérents au pied plat, et qui sont occasionnés par la compression des nerfs plan- taires, à savoir, de l’engourdissement, des fourmillements, des dou- leurs dans le pied et surtout h la plante du pied. Et puis, lorsque ce supplice avait été supporté assez longtemps pour atteindre un résultat, ce n’était pas une voûte plantaire que l’on avait produite alors, c’est-à-dire l’abaissement normal de la saillie sous-métatar- sienne résultant d’une série de petits mouvements articulaires du bord interne de l’avant-pied, mais c’était un vrai pied creux par inflexion dans l’articulation médio-tarsienne de tout l’avant-pied sur l’arrière-pied, de telle sorte que le bord externe du pied, qui à l’état normal est rectiligne, décrivait, comme son bord interne, une courbe à concavité inférieure. A une difformité du pied on avait donc sub- stitué une autre difformité. Depuis que nous savons qu’une force unique (le long péronier latéral), agissant de dehors en dedans et de haut en bas sur un point déterminé (sur la partie inférieure et postérieure du premier méta- tarsien et un peu sur la partie voisine du premier cunéiforme), pro- duit les mouvements articulaires composés d’où résulte la voûte plantaire, rien n’est plus facile que d’imiter la nature, en atta- chant sur la guêtre, au niveau de l’articulation du premier métatar- sien avec le premier cunéiforme, un tendon artificiel qui à la face plantaire suit la direction du long péronier latéral (voy. G, fig. 147), passe derrière la malléole externe (voy. D, fig. 148), et s’attache à la partie externe ou de la molletière (voy. D, fig. 148), ou de l’appareil à tuteurs métalliques (voy. F, fig. 149). Le long péronier artificiel que je viens de décrire hâte considéra- blement le rétablissement ou la formation de la voûte plantaire, que l’on n’obtient qu’à la longue par la faradisation du long péronier latéral paralysé ou affaibli. J’ai rapporté précédemment des cas de guérison du pied plat valgus douloureux par la faradisation loca- lisée du long péronier. La voûte plantaire s’est développée seule- ment sous l’influence du retour de la force de ce muscle. Je n’avais pas employé concurremment la prothèse musculaire, pour mieux démontrer l’efficacité du traitement électrique, et afin de prouver que le pied plat était causé parle défaut d’action du long péronier. Mais il ne m’a pas fallu moins de cinq à dix mois pour obtenir le développement complet de la voûte plantaire, tandis que j’aurais, dans ces cas de pied plat accidentel, formé cette voûte plantaire en moins d’un mois avec le long péronier artificiel. C’est surtout dans le traitement du pied plat congénital, et lorsque le sujet n’est pas très jeune, que le concours de la prothèse du long péronier latéral est utile, sinon nécessaire. Dans ces cas, les ligaments dorsaux des articulations du bord interne de l’avant-pied sont tellement rétractés, qu’ils laissent très peu de jeu à ces articulations et opposent une grande résistance à l’action du long péronier naturel ou arti- ficiel. PROTHÈSE DU LONG PÉROMER LATÉRAL. 865 Depuis près de deux ans je faradise plusieurs pieds plats doulou- reux congénitaux ; les douleurs et la fatigue produites par la station et la marche ont disparu depuis longtemps. Mais la courbe de la voûte plantaire, qui aujourd’hui s’est formée très notablement sous l’influence de l’augmentation de la force tonique du long péronier, se développe avec une lenteur désespérante, précisément à cause de cette résistance ligamenteuse que je viens de signaler. Si je n’avais point eu à juger expérimentalement la valeur réelle de la faradisa- tion du long péronier, appliquée isolémentau traitement du pied plat congénital, j’aurais certainement obtenu depuis longtemps déjà, dans les cas dont il vient d’être question, le développement complet de la voûte plantaire avec le concours du long péronier latéral arti- ficiel. B. — Appareil de jour. Aujourd’hui que l’expérimentation électro-physiologique et l’ob- servation pathologique ont mis en lumière le rôle important rempli par le long péronier latéral, pendant la marche et la station, est-il besoin de dire que la prothèse du long péronier latéral ne peut avoir qu’une importance secondaire dans le traitement de la paralysie de ce muscle? A quoi servirait-il en effet d’avoir développé par ce pro- cédé mécanique la plus belle voûte plantaire chez un sujet affecté d’un pied plat consécutif à la paralysie du long péronier latéral, si cette paralysie n’était pas guérie? Tout le monde doit savoir que pendant la station et la marche, le membre inférieur n’en appuie- rait pas moins sur le bord externe de Tavant-pied, et qu’un valgus douloureux en serait la conséquence forcée. J’ai voulu en avoir la preuve. Observation CCI. — Dans un cas de pied plat valgus douloureux, chez un sujet de huit ans, que les parents n’avaient pas voulu laisser traiter par la faradisation, j’ai appliqué un long péronier latéral artificiel qui en six semaines avait formé une voûte plantaire. Cepen- dant la station et la marche n’en provoquaient pas moins de dou- leurs et de fatigue qu’auparavant. Alors la faradisation du long péronier fit disparaître assez rapidement, comme dans les cas ana- DUCUENNE. logues dont j’ai rapporté plusieurs exemples, les douleurs et la fatigue provoquées dans le pied par la station et la marche. APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. Le long péronier latéral artificiel ne peut servir qu’à conserver au pied sa forme normale, ou à en développer la voûte plantaire, lorsque le pied est plat. 11 n’aide aucunement la marche, parce qu’il faudrait pour cela, comme pour Je triceps sural artificiel, que sa puissance lût assez grande pour porter le poids du corps, ce qui est établi par les faits physiologiques que j’ai exposés. En consé- quence, lorsque la paralysie ou l’atrophie du long péronier latéral est incurable, lorsque l’on ne peut rétablir sa fonction par la fara- disation, un appareil orthopédique rigide qui empêcjie le renverse- ment du pied en dehors est alors le seul qui puisse rendre la marche et la station indolentes possibles, car il prévient les foulures ou les entorses qui sont produites pendant la marche, par le faux point d’appui sur le bord externe du pied, consécutivement à la pa- ralysie du long péronier latéral. § III. — Prothèse du jamhîcr antérieur. A. — Appareil de nuit. J’ai dit précédemment (chap. XIX, art. m, § 3) que le jambicr antérieur est le plus puissant fléchisseur des muscles de la région antérieure de la jambe; qu’en raison de la quantité plus grande de ses fibres et de son point d’attache inférieur, il est le puissant antagoniste du triceps sural; qu’il modère enfin l’action exagérée du long péronier latéral. On doit donc prévoir que la paralysie et surtout l’atrophie du jam- bier antérieur sont nécessairement suivies de la contracture de leur puissant antagoniste, le triceps sural, et du long péronier latéral. C’est ce qui est arrivé, à la longue, chez de nombreux enfants dont le jambicr antérieur avait été atteint de paralysie atrophique grais- seuse. J’ai remarqué dans ce cas, que pendant le sommeil, le pied du côté malade est plus étendu que du côté sain; que la voûte plantaire s’exagère par la prédominance du long péronier; que le triceps sural se rétracte progressivement jusqu’à nécessiter, ou l'emploi d’appareils orthopédiques à contre-extension, ou à un plus haut degré la ténotomie. Il est donc indiqué, dès le début de la paralysie ou de l’atrophie de ce muscle, de maintenir le pied dans la demi-flexion continue pendant la nuit, afin de prévenir ce pied creux et cet équinisme. Ou doit aussi placer en même temps le PROTHÈSE DU JAMBIER ANTÉRIEUR. 867 pied dans l’adduction pour les raisons suivantes. On se rappelle les troubles fonctionnels occasionnés, pendant l’oscillation du membre inférieur d’arrière en avant, consécutivement à la paralysie du jam- bier antérieur (voy. p. 819), et l’on sait que, par le fait de la flexion abductrice qui se produit dans ce cas et que par l’attitude d’ab- duction que conserve alors le pied pendant que le corps repose sur ce membre, l’articulation calcanéo-astragalienne se déforme dans le sens de l’abduction. C’est pour combattre, ou empêcher ces déformations que je conseille de donner au pied dans ce cas l’attitude du varus et de la flexion. Le jambierantérieur artificiel à force élastique (voy. A et A', fig.l/iG et 1A8) remplit parfaitement cette double indication. Mais lorsque l’équinisme existe déjà même au premier degré (c’est ce que j’ai ob- servé le plus fréquemment chez les enfants qui m’ont été présentés six mois, un an et plus après le début), le jambier antérieur artificiel élastique est insuffisant. J’ai dû, dans ce cas, appliquer concurrem- ment avec ce muscle artificiel les appareils rigides employés géné- ralement en orthopédie contre l’équinisme, ou bien j’ai fait prati- quer la section du tendon d’Achille, lorsque la flexion graduelle par l’appareil rigide ne pouvait vaincre la contracture du triceps sural. Je dirai en passant que l’on ne doit pas trop retarder la ténotomie dans l’équin, parce qu’il forme alors un pied creux incu- rable dont j’ai déjà expliqué la genèse (p. 827). Après la réduction de l’équin, on revient à la prothèse du jam- bier antérieur exposée ci-dessus, pour en prévenir le retour. B. — Appareil de jour. Lorsque le triceps sural ne fait pas obstacle, par sa contracture, à la flexion du pied sur la jambe, celte flexion a lieu, on l’a vu pré- cédemment (p. 8à8), avec un mouvement d’abduction du pied, produit dans l’articulation calcanéo-astragalienne sous l’influence du long extenseur des orteils (fléchisseur abducteur). Or, au mo- ment de l’oscillation du membre intérieur, en avant, le pied, qui, après la paralysie du jambier antérieur, se trouve dans la flexion abductrice, reste dans cette attitude pendant qu’il repose sur le sol. Il en résulte qu’à la longue l’articulation calcanéo-astragalienne se déforme considérablement dans le sens du valgus, au point que la malléole interne repose quelquefois sur le sol pendant la marche etlastation. Il importe d’empêcher pendant la marche ce mouvement pathologique et cette déformation de l’articulation calcanéo-aslra- galienne. Pour cela je place le pied recouvert d’une guêtre dans l’appareil à tuteurs métalliques dont le mouvement de flexion est limité de manière à ne pas dépasser l’angle droit; puis, lorsque la chaussure recouvre l’étrier et la guêtre, je tends le jambier arti- ficiel jusqu’à ce que le pied soit maintenu fléchi à angle droit sur la jambe, pendant le repos musculaire. Cet appareil produit pen- dant la marche la flexion droite du pied sur la jambe, et con- court avec l’appareil de nuit à prévenir la déformation du pied. APPENDICE. — PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. Lorsqu’il existe un léger degré d’équin, j’applique le même appareil de jour dont l’étrier est fixé, maintient le pied fléchi à angle droit d’une manière continue; puis la force du jambier arti- ficiel est équilibrée pour neutraliser la prédominance tonique du jambier antérieur. Enfin, lorsque la contracture du triceps sural a été guérie par l’appareil de nuit à contre-extension, on rend à l’ap- pareil de jour la liberté de l’extension du pied. § IV. — Prothèse du long extenseur des orteils. Les considérations qui ont été exposées dans le paragraphe pré- cédent, et qui ont trait à la prothèse musculaire destinée à prévenir ou à combattre la contracture du triceps sural et la déformation du pied consécutivement à la paralysie et à l’atrophie du jambier antérieur, sont applicables, en partie, à la paralysie et à l’atrophie du long extenseur des orteils. On sait, en effet, d’après les données physiologiques et pathologi- ques, exposées précédemment (chap. XVIII, § m, p. 816) ; l°Quedans cette dernière paralysie, la flexion du pied sur la jambe ne peut se faire sans que la plante du pied regarde en dedans, sous l’influence de l’action isolée du jambier antérieur ; que le pied repose alors sur son bord externe après l’oscillation du second temps de la marche. 2° Que, consécutivement à cette paralysie, il se produit aussi un équin, plus tardivement, il est vrai, qu’après la paralysie du jam- bier antérieur, parce que le long extenseur des orteils a beaucoup moins de fibres que le jambier antérieur, et parce que son action s’exerce plutôt sur l’articulation calcanéo-astragalienne que sur l’articulation tibio-tarsienne. 3° Que l’avant-pied se subluxe de haut en bas et de dehors en dedans, dans l’articulation médio-tar- sienne, quand il n’est plus retenu par le long extenseur des orteils, qui peut être considéré comme un ligament dorsal actif de cette articulation. Il est donc inutile d’insister plus longtemps sur les indications différentes que l’on a à remplir, dans l’application du long extenseur des orteils artificiels et sur les modifications que l’on doit faire subir aux appareils de nuit ou de jour, lorsqu’il existe un équin ou une altération de l’articulation calcanéo-astra- galienne, consécutivement à la paralysie du long extenseur des orteils. PROTHÈSE DU PÉRONIER LATÉRAL ET J>U JAMBIER POSTERIEUR. Je dirai seulement comment j’ai construit ce fléchisseur abduc- teur artificiel du pied sur la jambe. Négligeant l’action sur les orteils du muscle auquel j’essaye de suppléer par la prothèse, j’at- tache les tendons artificiels à la guêtre et au niveau des têtes des quatre derniers métatarsiens et de l’extrémité postérieure du cin- quième métatarsien (V B, fig. J/i8 et D, fig. 1/i9) (ce dernier tendon imitant le péronier antérieur, que l’on doit considérer comme une dépendance du long extenseur des orteils, ainsi que je l’ai dé- montré). J’ai fait ensuite passer ces tendons artificiels dans une coulisse (£', fig. Iè9) placée au niveau de la partie inférieure et externe de la face antérieure de la jambe et les ai réunis dans un anneau qui est attaché au muscle artificiel, à ressort métallique et en spirale (B, fig. Iü8, et Ü, fig. 169), qui lui-même est fixé à la molletière (fig. 148) ou à l’appareil à tuteurs (D, fig. Ift9), dans le point cor- respondant à l’attache supérieure du jambier antérieur. La moindre traction exercée sur ce muscle artificiel produit la flexion abduc- trice du pied. § V, — Prothèse du court péronier latéral et du jamhicr postérieur. La paralysie partielle du court péronier ou du jambier posté- rieur ne nécessite pas l’application de la prothèse de ces muscles. Il suffit dans ces cas d’une bottine un peu rigide pour maintenir soli- dement le pied latéralement et l’empêcher de se renverser en de- dans ou en dehors, pendant la marche et la station, comme cela doit arriver fréquemment. La paralysie du court péronier et celle du jambier postérieur aggravent considérablement les mouvements pathologiques que l’on observe dans l’articulation calcanéo-astragalienne, consécuti- vement à la paralysie du long extenseur des orteils et du jambier antérieur. Dans ces cas, le concours de la prothèse du court péronier ou du jambier postérieur est très efficace. Voici maintenant la description de ces muscles artificiels. Le court péronier latéral (D, fig. et G, fig. 1Zi9) est attaché infé- rieurement sur la guêtre, au niveau de l’extrémité postérieure du cinquième métatarsien, glisse à travers deux coulisses, derrière la malléole externe, et se termine par un anneau dans lequel passe 870 PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. l’agrafe du ressort (D, fig. I/18, et F, fig. Iè9), qui se fixe à la mol- letière (fig. 108), ou à l’appareil à tuteurs métalliques (fig. 109). Le tendon artificiel du jambier postérieur, au niveau de l’ex- trémité postérieure et interne du premier métatarsien, passe dans une coulisse située en arrière de la malléole interne, se rattache au ressort du muscle artificiel (F, fig. 106, E), et se fixe supérieure- ment à la molletière (fig. 106) ou à l’appareil à tuteurs métalli- ques (fig. 109). Ces muscles artificiels agissent presque aussi exactement que les muscles qu’ils remplacent. La division do cet article en autant de paragraphes qu’il peut y avoir de paralysies partielles, division que j’ai adoptée pour la des- cription méthodique de la prothèse musculaire, semblerait indiquer que les paralysies des muscles moteurs du pied sur la jambe se pré- sentent toujours aussi locales dans la pratique. C’est cependant ce que l’on n’observe pas le plus ordinairement. Ainsi, par exemple, dans les paralysies traumatiques tous les muscles, ou un plus (ou moins grand nombre des muscles animés par un tronc nerveux (soit le sciatique poplité externe, soit le sciatique poplité interne), sont atteints simultanément au même degré et à des degrés divers; dans la paralysie atropbique graisseuse de l’enfance, un grand nombre de muscles moteurs du pied sur la jambe sont souvent lésés inégalement. On conçoit que la prothèse musculaire soit bien moins simple dans ce cas que lorsque la paralysie est parfaitement limitée, comme je l’ai supposé dans les paragraphes précédents. Il faut alors toute l’ingéniosité du chirurgien pour combiner, suivant les cas particuliers, les différents muscles artificiels que je viens de décrire. J’aurais désiré exposer ici, comme exemple, les différentes combinaisons de prothèse musculaire que j’ai faites dans un grand nombre de paralysies complexes des muscles moteurs du pied; mais les limites dans lesquelles je dois me renfermer ne me le permet- tent pas. § Vf. — De quelques appareils orthopédiques, ou moyens prothétiques applicables aux mouvements du pied, de la jambe, de la cuisse et du tronc. A. J’ai dit et je répète que la perte d’un ou de deux muscles mo- teurs du pied est souvent beaucoup plus grave que celle de tous les muscles moteurs de ce membre. J’en ai donné la preuve dans le cours de ce livre. Il suffit de voir, par exemple, un pied bot talus QUELQUES AUTRES APPAREILS ORTHOPÉDIQUES ET PROTHÉTIQUES. pied creux par atrophie et transformation graisseuse du triceps sural, soit au repos (voy. la figure 130), soit eu mouvement (voy. la figure 131), et de les comparer à un pied dont tous les muscles moteurs sont détruits, même depuis un grand nombre d’années (voy, les figures U5 et /i6, p. 295), pour comprendre que l’orthopédie est simple dans ce dernier cas, tandis qu’elle est très difficile dans l’autre. Je pourrais rapporter des cas de paralysies partielles dans lesquels aucune espèce d’appareil n’était applicable. On parvenait, il est vrai, à maintenir solidement le pied qui pouvait, au repos, sup- porter le poids du corps; mais pendant la marche les mouvements pathologiques du pied, produits instinctivement par les muscles restés intacts, ne pouvant être empêchés, occasionnaient bientôt des compressions et même des déchirures qui ne permettaient pas long- temps l’usage de ces appareils. Il est au contraire facile de soutenir solidement pendant la marche, avec un appareil orthopédique quel- conque, le pied dont tous les muscles moteurs sont détruits. En conséquence, ne serait-il pas rationnel, lorsque certains muscles moteurs du pied sont à jamais perdus, d’annihiler, par une opération chirurgicale, tous les muscles restés intacts, qui, foin d’être utiles, déforment le pied ou produisent des mouvements pathologiques tels, que la marche et la station en sont considérablement gênées, sans que l’orthopédie puisse améliorer cet état? Il est bien entendu que cette opération devrait être pratiquée avant que les articulations fussent déformées. On ne doit pas laisser marcher les enfants dont tous les muscles moteurs sont paralysés ou atrophiés, sans avoir immobilisé préala- blement les mouvements latéraux du pied avec un appareil appro- prié. J’ai appliqué dans ce but un appareil à tuteurs métalliques, dont l’étrier était limité de manière à ne permettre que des mou- vements très peu étendus d’extension ou de flexion, et je me suis contenté de maintenir le pied entre la flexion et l’extension avec des ressorts semblables à ceux que j’emploie dans la prothèse mus- culaire, et que je fixe, l’un au talon, et deux autres en avant; cet appareil est recouvert par la chaussure. B. La paralysie atrophique graisseuse de l’enfance est rarement limitée aux muscles moteurs du pied ; le plus ordinairement elle attaque, à des degrés divers, les muscles de la cuisse, et quelque- fois même elle est localisée dans ces derniers. La prothèse muscu- laire des muscles de la cuisse est alors nécessaire à l’accomplisse- ment des fonctions du membre, et vient en aide à la faradisation en plaçant les muscles dans le raccourcissement. L Bien n’est plus ordinaire que de voir le pied tourner considé- PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. ralliement en dehors, pendant la marche, chez les enfants dont un des membres inférieurs a été atteint par la paralysie atrophique graisseuse progressive. J’ai constaté souvent, dans ce cas, que la cuisse avait exécuté un mouvement de rotation en dehors, consé- cutivement h la paralysie ou à l’atrophie des demi-tendineux et demi-membraneux. J’ai démontré que ces muscles, outre l’action qu’ils exercent sur la jambe, sont rotateurs de la cuisse en dedans. Peut-être aussi d’autres rotateurs en dehors étaient-ils affectés. Voici un moyen prothétique bien simple pour ramener alors la cuisse dans la rotation en dedans. Je prolonge le tuteur externe de l’appareil re- présenté dans la figure 149 jusqu’à l’articulation fémoro-tibiale; j’attache à un boulon qui se trouve à l’extrémité supérieure de ce tuteur la courroie d’un muscle artificiel élastique dont l’extrémité opposée est boutonnée à la partie antérieure et moyenne d’une cein- ture, ou d’un corset, ou d’un caleçon. La tension de ce muscle arti- ficiel qui passe en avant do la cuisse et se dirige obliquement de haut en bas et de dehors en dedans, peut être tendu plus ou moins do manière à produire, à des degrés divers et suivant les indica- tions, la rotation do la cuisse en dedans. Cette prothèse des rota- teurs de la cuisse en dedans ou en dehors agit aussi sûrement que l’appareil orthopédique compliqué lourd et gênant que l’on emploie habituellement dans ce cas. Il permet les mouvements de rotation en dedans et en dehors, tandis que dans l’autre les mou- vements alternatifs sont nécessairement condamnés. II. Lorsque les extenseurs de la jambe sur la cuisse sont paraly- sés, il est nécessaire, pour rendre possibles la station debout ou la marche, de maintenir artificiellement la jambe étendue sur la cuisse. Je n’immobilise pas pour cela l’articulation tibio-fémorale ; je limite seulement considérablement le mouvement de flexion du cuissard qui est articulé avec l’appareil à tuteurs métalliques de la jambe, représenté dans la figure 149 ; puis l’extension complète de la jambe est opérée par des ressorts métalliques en spirale, disposés comme dans les figures 151 et 152. (J’exposerai bientôt la description et le but de cet appareil.) Cet appareil offre alors un point d’appui solide au membre inférieur pendant la station, et comme il n’est pas complètement immobilisé, il permet à l’articulation d’être mise en mouvement par la contraction et le relâchement alternatifs des fléchisseurs de la jambe sur la cuisse, les ressorts étant les anta- gonistes de ces fléchisseurs. Puis lorsque, sous l’influence du trai- tement, les extenseurs de la cuisse commencent à recouvrer leur motilité, ils ne sont pas condamnés à l’inaction comme par les appareils rigides; ils peuvent au contraire se contracter instinctive- QUELQUES AUTRES APPAREILS ORTHOPÉDIQUES ET PROTHÉTIQUES. ment et sans fatigue, aidés qu’ils sont alors par les muscles artifi- ciels extenseurs (K, fig. 151). Cette sorte de gymnastique concourt à développer leur force et leur nutrition. Enfin, lorsque le triceps crural a recouvré assez de force, on augmente l’étendue du mou- vement de l’articulation de l’appareil, ou l’on en supprime les points d’arrêt, puis on conserve, comme auxiliaires, les exten- seurs artificiels dont on tend les ressorts en raison directe de la faiblesse de ce muscle. J’ai fait construire l’appareil représenté dans les figures 151 et 152, pour des cas de contracture pa- ralytique, par cause cérébrale, de cer- tains muscles des membres infé- rieurs. Ainsi il fal- lait écarter les cuisses rappro- chées et entrecroi- sées parles adduc- teurs contracturés, étendre les jambes fléchies par les muscles biceps fé- moral, demi-mem- braneux et demi- tendineux, et flé- chir le pied étendu par le triceps sural également contrac- turé. Il fallait en même temps faci- liter la marche et la station. Voici la description de cet appareil, qui peut être transformé en appareil de nuit et en appareil de jour (voy. les figures 151 et 152) : Fig. 151. Fig. 152. 11 se compose d’une ceinture (A) qui prend son point d’appui sur le bassin, de deux cuissards (de H en J) articulés avec la ceinture A pour les mouvements de la cuisse, et prolongés supérieurement par deux branches destinées à éloigner ces cuissards l’un de l'autre, au moyen d’une ceinture élastique (G) fixée à l’extrémité supérieure de ces branches. Celte ceinture est placée à la hauteur des hypochondres ou de la partie inférieure du thorax ; PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. elle est disposée de manière à ne pas exercer trop do compression sur ses parois; sa force peut être graduée. Le mouvement d'abduction des cuissards peut encore être produit graduellement par une vis de pression (G'), de ma- nière à limiter l’adduction des cuisses. Au niveau de l’articulation coxo- fémorale, les cuissards, dont les tuteurs métalliques (C, fig. 132) sont reliés entre eux par des cercles métalliques {i et fig. 151), s’articulent de manière à en permettre la flexion ou l’extension ; la portion jambière, formée par deux tuteurs métalliques (de J en H) reliés entre eux par des cercles, articulés supérieurement avec le cuissard et inférieurement par un étrier et auquel est fixée une sandale (E). J’ai employé un assez grand nombre de fois l’appareil que je viens de décrire, pour dire qu’il améliore singulièrement l’état des petits malades affectés de contracture paralytique des membres infé- rieurs. Voici son mécanisme qu’il est du reste facile de comprendre. Lorsque les membres sont placés dans cet appareil, on obtient gra- duellement l’extension des muscles contractures en combinant l’ac- tion de la force fixe avec celle de la force élastique de la manière suivante : 1° On obtient l’abduction des cuisses en imprimant quelques tours à la vis C et en tendant la ceinture élastique G. La vis G limite à volonté le degré d’adduction des cuisses. Il faut augmenter gra- duellement cette force rigide et de manière à ne pas produire trop de douleurs. Lorsqu’on a limité l’adduction des cuisses à l’aide de la vis C, on tend la ceinture G, de manière à obtenir une plus grande abduction des cuisses. Cette force élastique agit ou tend à agir au delà de la force fixe, d’une manière incessante et beaucoup plus doucement que la force fixe, car elle cède aux spasmes consi- dérables qui reviennent par moments dans les muscles contracturés, spasmes auxquels on ne saurait s’opposer d’une manière absolue sans provoquer de grandes douleurs et quelquefois des accidents. — Ordinairement la contracture qui produit l’adduction des cuisses, les tourne en même temps dans la rotation en dedans. Pour m’y opposer, j’ai fait pivoter le tuteur externe du cuissard sur son axe, de manière à placer à volonté et graduellement la cuisse dans la rotation en dehors. 2° L’extension de la jambe sur la cuisse et la flexion du pied sur la jambe s’obtiennent en combinant de la même manière l’action de la force fixe produite par les vis de pression, avec celle de la force élastique des muscles artificiels dont on gradue la force au delà de la force fixe, comme pour les mouvements d’abduction de la cuisse. L’appareil de nuit que je viens de décrire peut être transformé on appareil de jour. Son étrier se démonte alors pour être remplacé par un étrier semblable à celui de l’appareil représenté dans la figure è, et dont le mouvement d’extension est limité; les flé- chisseurs artificiels élastiques sont alors attachés à une guêtre, comme je l’ai décrit précédemment (§§ UT et IV). QUELQUES AUTRES APPAREILS ORTHOPÉDIQUES ET PROTHÉTIQUES. 875 A l’aide de cet appareil de jour, des entants dont les membres intérieurs avaient été infléchis dans leurs jointures pendant plu- sieurs années ont pu se tenir debout et être exercés à la marche. Il a été exécuté avec beaucoup d’intelligence par M. Charrière. On peut démonter ses différentes parties, de manière à le rendre plus léger au besoin, en le débarrassant, ou de la ceinture G, ou de la ceinture du bassin A, ou enfin de celle-ci et des cuissards. C. Les muscles moteurs du tronc, de môme que les muscles mo- teurs des membres, peuvent être atteints de paralysies ou d’atro- phies partielles. L’atrophie musculaire graisseuse progressive m’en a offert quel- ques exemples; j’en ai observé également dans la paralysie atro- phique graisseuse de l’enfance. Ces paralysies ou ces atrophies partielles se manifestent par des troubles dans les mouvements, ou dans l’attitude du tronc, ou dans la conformation du rachis. Je ne suis pas encore en mesure d’exposer, comme je l’ai fait pour les membres, l’électro-physiologie de chacun des muscles moteurs du tronc, et conséquemment le diagnostic de leurs paralysies par- tielles. I, Cependant j’ai déjà fait connaître dans le cours de ce livre l’in- fluence, sur l’attitude du tronc, de la paralysie ou de l’atrophie de ses muscles extenseurs ou de ses muscles fléchisseurs. On en voit deux exemples remarquables dans les figures 65 et 66 (p. U5h). Le sujet représenté dans la première avait perdu l’action de ses sacro- spinaux, tandis que chez l’autre les muscles de l’abdomen étaient atrophiés en grande partie. Je ne reviendrai pas sur le mécanisme de ces deux espèces de lordose dans lesquelles on voit la ligne de gravité du tronc portée instinctivement en arrière (fig. 65), consécu- tivement à la paralysie ou à l’atrophie des sacro-spinaux, ou en avant (fig. 66), lorsque les muscles de l’abdomen sont affaiblis ou para- lysés. J’indiquerai seulement l’appareil prothétique que j’ai employé dans ces cas, avec avantage, lorsque le sacro -spinal est paralysé, af- faibli ou atrophié. Cet appareil consiste en une sorte de brassière qui embrasse la partie supérieure du tronc et le maintient dans l’ex- tension au moyen de bretelles élastiques attachées à sa partie posté- 876 Heure cl fixées inférieurement à un cuissard ou à un caleçon. Ces bretelles se tendent plus ou moins, et peuvent même au besoin empêcher toute inflexion du tronc en avant. Les sujets à qui j’ai appliqué cet appareil et dont les muscles sacro-spinaux étaient atro- phiés à des degrés divers, inclinaient moins leur corps en arrière et se sentaient plus solides pendant la station et la marché. — Dans la lordose par atrophie ou paralysie des muscles de l’abdomen, le même appareil, modifié de manière à agir en sens contraire de l’ex- tension, à l’aide de bretelles élastiques placées en avant, pourrait, je crois, rendre le même service. Je n’ai pas eu l’occasion de l’appli- quer. PROTHÈSE MUSCULAIRE PHYSIOLOGIQUE. II. Puisque l’atrophie ou la paralysie affecte simultanément quel- quefois les extenseurs ou les fléchisseurs du tronc, il n’est pas dou- teux qu’elle ne puisse se localiser dans quelques muscles de l’un des côtés du tronc. Supposons, par exemple, que, consécutivement à la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance, le sacro-lombaire gauche soit atrophié ; alors le tronc sera nécessairement infléchi du côté opposé, dans la région lombaire, par le sacro-lombaire droit, et d’autres courbures de compensation se développeront con- sécutivement, en sens contraire, dans les régions dorsales et cervi- cales. Ou bien que l’atrophie soit limitée dans les faisceaux muscu- laires d’un côté de la région dorsale, la courbure dorsale se mon- trera la première, et l’on verra se former plus tard une scoliose. Nier la possibilité de ces atrophies partielles des sacro-spinaux, analogues aux paralysies partielles des membres, ce serait supposer que, dans la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance, il existe une immunité pour les sacro-spinaux. Cette thèse n’est pas soute- nable, bien que je reconnaisse que ces paralysies atrophiques par- tielles du racliis sont rares comparativement à celles des membres. J’ai vu, en effet, naître et se développer des scolioses consécutive- ment à la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance, paralysie qui avait été générale dans la première période. Dans ces cas, quel- ques muscles du tronc et des membres étaient atrophiés à des de- grés divers, et je me suis assuré que certains faisceaux du sacro- spinal d’un côté répondaient mal à l’excitation électrique, compara- tivement au côté opposé. Je ne pouvais donc méconnaître que ces faisceaux avaient été atteints par la paralysie ; et puis comme ils correspondaient à la convexité qui plus tard avait marqué le début de la scoliose, j’étais fondé à en conclure que cette paralysie était la cause première de cette scoliose. Il est indiqué dans cette espèce de scoliose de faradiser le plus tôt possible et avant la déformation du rachis, les muscles affaiblis, QUELQUES AUTRES APPAREILS ORTHOPEDIQUES ET PROTHÉTIQUES. paralysés ou atrophiés, et do seconder ce traitement par les moyens orthopédiques et gymnastiques sanctionnés par l’expérience. Le corset orthopédique agissant en sens contraire des courbures m’a paru utile ; mais je l’ai modifié de manière à employer une force élastique que l’on pût graduer. 11 est représenté dans la figure 153. Il se compose : 1° d'un corset divisé en deux parties réunies par une bande de tissu de caoutchouc d'un travers de doigt de hauteur, et placée Fig. 1S3. au niveau de l’union de la courbure lombaire avec la courbure dorsale ; 2° d’une ceinture A reposant sur le bassin et placée par-dessus le corset ; 3° de deux tuteurs métalliques D, E, fixés inférieurement à la ceinture A de manière à 878 être inclinés à volonlé latéralement, et supérieurement par des courroies, à l’un des côtés de la moitié supérieure du corset et au niveau de la partie moyenne de la convexité dorsale B, et à la moitié inférieure du corset, au niveau de la partie moyenne de la convexité lombaire C ; 4° de bretelles à ressorts métalliques en spirale, F, G, terminées à leurs extrémités par des courroies percées de trous au moyen desquels elles se fixent à des boulons rivés à la ceinture et à l’extrémité supérieure des tuteurs. SPASMES. On comprend, à la simple vue, le mécanisme de cet appareil. On peut graduer la force des ressorts F, G, qui agissent sur les tuteurs de manière à mouvoir en sens contraire, et de dehors en dedans, chacune des moitiés du corset doublé par une plaque de cuir durci dans les points de traction, comme l’indiquent les points qui circon- scrivent ces plaques B, C. L’attache de ces ressorts à la partie supé- rieure du levier à mouvoir permet d’agir au besoin avec une force considérable. Ce corset est léger, il ne gêne en rien l’habillement des jeunes filles ; grâce à sa division en deux parties indépendantes, il n’exerce que des pressions latérales et ne gène nullement la respiration. CHAPITRE XX. SPASMES. Je comprends sous ce titre général toutes les contractions invo- lontaires, morbides, quelles qu’en soient la cause ou la nature, à sa- voir, les contractures, les spasmes fonctionnels, les crampes et les convulsions. ARTICLE PREMIER. CONTRACTURES (1). Les contractures symptomatiques d’une lésion des centres ner- veux ne peuvent être heureusement modifiées par la faradisation localisée; c’est du moins ce qui ressort de mes expériences. J’ai même démontré antérieurement (p. 3G2) que ce mode de traite- ment ne saurait être appliqué sans danger aux paralysies céré- (1) Quelques-unes de ces études électro-musculaires ont été exposées dans l’édition précédente (Paris, 1855, in-S). braies compliquées de contractures qui annoncent un travail in- flammatoire de l’encéphale. CONTRACTURES IDIOPATHIQUES. 879 Il ne sera question dans cet article que des contractures idiopa- thiques. — Ces contractures de la face sont ou primitives ou secon- daires, c’est-à-dire, consécutives à la paralysie et même à la fai- blesse relative des muscles antagonistes. Bien que le traitement ne soit pas le même dans ces cas divers, les mouvements pathologi- ques, l’attitude vicieuse et la déformation qui en'résultent, n’en sont pas moins toujours semblables. — Le traitement de ces con- tractures diverses par la faradisation localisée, traitement que j’ai à faire connaître et qui est aujourd’hui sanctionné par l’expérience et le temps, exige avant tout que leur diagnostic, leur siège et leur mécanisme soient établis avec précision. Je vais exposer celte étude de diagnostic dans le paragraphe suivant. § 1. — Symptômes et diagnostic des contractures Idlopathlqucs déduit de l’cxpcrimeutation électro-physiologique. Je puis produire artificiellement toutes les contractures, en loca- lisant un courant d’induction à intermittences rapides dans chacun des muscles. Or tout le monde sait aujourd’hui que l’on doit à l’ex- périmentation électro-physiologique la connaissance exacte de l’ac- tion propre des muscles, et surtout du mécanisme des mouvements anormaux et des déformations produites par leur contraction indi- viduelle. On sait aussi que peu de muscles ont échappé à ce genre de recherches. 11 me serait donc facile de tracer la description de la plupart des contractures musculaires, et de déduire leurs signes diagnostiques de mes expériences électro-physiologiques. Mais ce serait donner trop d’extension à cet article, car il me faudrait alors exposer toute l'électro-physiologie musculaire, ce qui, d’ailleurs, doit faire le sujet d’un autre livre auquel je renvoie le lecteur (1). Je me bornerai à exposer le diagnostic des contractures qui, parmi celles que j’ai eu l’occasion d’observer, ont été méconnues ou n’ont pas été comprises, ou n’ont pas encore été décrites. A. —Contractures des muscles de la face. J’ai dû traiter dans un même article de la contracture des mus- cles de la septième paire et de la paralysie de ce nerf, parce que la première étant, comme je l’ai démontré, une terminaison ou plutôt une complication fréquente de la seconde, ces deux études étaient inséparables. Je renvoie donc le lecteur à cet article (chap. XVIIJ, SPASMES. art. 1, § V, p, 672). Comme cette contracture est, eu général, loca- lisée dans un petit nombre de muscles, et souvent même dans un seul muscle, il est nécessaire, pour en établir le diagnostic, de con- naître l’action propre des muscles de la face et les modifications’que chacun de ces derniers imprime à la physionomie. Cette étude ne peut trouver ici sa place; elle sera longuement exposée dans mon livre sur l’électrophysiologic musculaire. B. —Contracture du rhomboïde. I. Symptômes. — La contracture du rhomboïde produit une dif- formité de l’épaule que les auteurs ont attribuée à une autre lésion, à la paralysie du grand dentelé, par exemple. En 1851, faisant quelques expériences électro-physiologiques en présence de la So- ciété médicale du 1er arrondissement, j’ai mis le rhomboïde d’un sujet en contraction continue, au moyen d’un courant d’induction, et j’ai annoncé que l’attitude imprimée à son scapulum, pendant cette expérience, devait être nécessairement semblable à celle qui est produite par la contracture du rhomboïde. J’ai tiré immédiate- ment de cette expérience les signes diagnostiques de la contracture du rhomboïde. Depuis lors j’ai eu l’occasion de constater l’exacti- tude de ces déductions dans cinq cas de contracture du rhomboïde. Ces faits intéressent au plus haut degré la pathologie et la théra- peutique des affections musculaires de l’épaule, c’est pourquoi j’ex- poserai l’un d’eux avec quelques détails. La jeune fdle dont il est question dans l’observation que je vais rapporter a été présentée à la Société de médecine de Paris, dans une des séances de l’année 1852, avant la guérison de la difformité dont elle était affectée. J’ai établi alors le diagnostic différentiel de cette difformité à l’aidé d’expériences électro-physiologiques faites comparativement sur elle et sur un autre sujet dont le grand den- telé était atrophié. Observation CCII. — Aglaé Prude, d’une bonne constitution, âgée de treize ans, demeurant à Bagnolet, n’a jamais eu de mouvements convulsifs, ni aucun trouble fonctionnel dans la musculation, avant l'affection que je vais brièvement exposer. En février 1849, celte jeune fille sentit pour la première fois, sans cause connue, une douleur dans la partie moyenne et latérale droite du cou. Cette douleur augmentait par la pression ou lors- qu'elle portail la tête du côté opposé. Le médecin de la localité constata un gonflement léger qu il attribua à un mouvement tluxionnaire. La petite malade souffrant peu, cl n’éprouvant aucun trouble dans sa santé, il crut ne devoir prescrire aucun traitement, espérant que cet état se dissiperait spontanément. CONTRACTURE DU RHOMBOÏDE. 881 A dater de cette époque, on ne fit plus aucune attention à la gêne conti- nuelle quelle éprouvait, surtout dans certains mouvements de la tète. La personne chez laquelle elle demeurait, et qui, chaque matin, présidait à sa toilette, affirmait que, jusqu'au mois d’octobre 1850, époque à laquelle Aglaé fut mise en pension, il ne se manifesta aucune modification dans l'attitude normale de son épaule. Entrée en pension, elle fut moins observée, malgré la gêne des mouve- ments du cou. Ce fut seulement en avril 1852, époque à laquelle Aglaé vint passer quelques jours à Bagnolet, chez sa mère adoptive, que celle-ci s’aperçut de la difformité de son épaule droite. Elle se décida alors à con- Fig. 134. Fig. 153. duire cette enfant à la consultation deM. Marjolin. En présence d’une dif- formité de l’épaule qu’il rencontrait pour la première fois, M. Marjolin crut devoir adresser la petite malade à son collègue M, Bouvier, comme un cas de diagnostic intéressant. Dans le but de favoriser mes recherches sur les muscles de l’épaule, M. Bouvier donna rendez-vous à la malade dans mon cabinet, afin de poser le diagnostic de cette difformité à l’aide de l’exploration électro-mus- culaire. Les bras tombant sur les côtés du tronc, et la malade se tenant debout ou assise, l’angle inférieur D (fig. 153) du scapulum droit était remonté au DUCHENNE. 882 SPASMES. point de se trouver presque au niveau de l’angle externe, et très rapproché de la ligne médiane. Cet angle faisait une saillie considérable sous la peau. En appuyant sur lui je parvenais à l’abaisser, et à placer le scapulum dans son attitude normale ; mais il fallait employer alors une grande force, et sitôt que je cessais la compression, l’angle inférieur remontait vivement, comme s’il avait été mû par un ressort, et le scapulum reprenait son alti- tude vicieuse. Lorsque l’on imprimait ces mouvements au scapulum, on sen- tait et l’on entendait un craquement qui paraissait se passer entre la face antérieure de cet os et les parois thoraciques. Au-dessus du bord spinal du scapulum, qui était devenu oblique de dedans en dehors et de bas en haut, on voyait une tumeur assez considérable B ( 1 ) qui était due au relief du muscle rhomboïde conlracluré. Cette tumeur se reliait avec un autre soulè- vement situé sur l’épaule droite, lequel était dû à l’angle interne du sca- pulum que l’on sentait distinctement sous la peau, et au relief A de l'angu- laire qu'on voyait se prolonger jusqu’au sommet du triangle sus-clavicu- laire, où il faisait une saillie très apparente. — Enfin, la tête était pen- chée légèrement adroite, et en l’inclinant du côté opposé on provoquait une sensation douloureuse qu’Aglaé rapportait à la tumeur de l’espace sus- claviculaire. Qui ne reconnaît, dans cette altitude pathologique du scapulum et dans l’inclinaison latérale de la tête, l’attitude que je produis à volonté en faisant contracter le rhomboïde et l’angulaire de Porno- plate par l’excitation électrique dirigée, soit sur chacun de ces mus- cles, soit sur tous les deux à la fois. Rien n’y manqué, pas même les reliefs musculaires caractéristi- ques. Aussi n’hésitai-je pas, quand je vis cette jeune tille pour la première fois, à diagnostiquer une contracture du rhomboïde et de l’angulaire. Je me refusai à reconnaître dans cette disposition du scapulum un signe de paralysie ou d’atrophie du grand dentelé, bien que ce fût la pensée de la plupart des confrères éclairés qui avaient exa- miné Aglaé avant moi, et qui ne voyaient dans cette contracture du rhomboïde et de l’angulaire que le résultat de la perte de l’antago- nisme musculaire, comme on l’observe dans certains pieds bots con- sécutifs à la paralysie de quelques muscles. L’observation m’avait enseigné, en effet, que le muscle grand (1) Cette tumeur, qui a une grande importance au point de vue du diagnostic différentiel, n'est malheureusement pas bien rendue dans la figure 153. Elle est parfaitement rendue dans la figure!56 (gravée d’après la photographie), bien que la contracture aralysies consécutives aux lésions irauina- tiqnes des nerfs mixtes 117 Art. I. Exposition des faits .... 178 § I. Paralysies récentes consécutives aux lésions traumatiques des nerfs mixtes (datant d’un à six septénaires, au moment du traitement) 179 § II. Paralysies anciennes, consécutives à la lésion traumatique des nerfs mixtes (datant de six mois à quatre ans, au moment du traitement) 199 -Art. II. Symptomalologie, diagnostic et pronostic des paralysies consé- cutives à la lésion traumatique des nerfs mixtes, déterminés par la faradisation localisée 214 § I. Symptomatologie par l’exploration électrique des paralysies traumatiques des nerfs mixtes 213 A. Lésion de la contractilité électro-musculaire, 215. — B. Lésion delà sensibilité électro-musculaire 216 § IL Diagnostic différentiel des paralysies traumatiques des nerfs mixtes tiré de l’étal de la contractilité et de la sensibilité élec- triques des muscles paralysés 216 § III. Pronostic des paralysies traumatiques des nerfs mixtes, tiré de l’état de la contractilité et de la sensibilité électro-musculaires. 221 A. Pronostic local de chacun des muscles par l’exploration élec- trique, 221. — B, Le pronostic des paralysies consécutives aux lésions traumatiques des nerfs ne saurait être établi exac- tement sans l’exploration électro-musculaire, 222. — G. La gravité d’une paralysie consécutive aux lésions traumatiques d’un nerf mixte est en raison directe de l’affaiblissement de la contractilité et de la sensibilité électriques des muscles aux- quels ce nerf conduit l’excitant nerveux, 226. — D. Le pro- nostic de ces paralysies traumatiques est beaucoup moins grave, lorsque la contractilité électro-musculaire étant éteinte, la sensibilité des muscles est conservée ou seulement faible- ment diminuée 228 Art. 111. Action thérapeutique de la faradisation localisée dans les paralysies traumatiques des nerfs 232 § I. Action sur la sensibilité 233 § II. Action sur la calorification et sur la circulation 234 § 111. Action sur la nutrition 234 § IV. Action sur la contractilité musculaire 235 A. Le retour des mouvements volontaires est toujours précédé de celui de la tonicité musculaire, 235. — B. L’action thérapeu- tique de la faradisation localisée paraît se manifester d’autant plus vite dans un muscle que ce dernier est plus rapproché du centre nerveux, 236. — C. La lésion de la contractilité électro-musculaire persiste après la guérison, malgré le réta- blissement des mouvements volontaires 236 § V. La faradisation localisée guérit, dans la majorité des cas, les paralysies consécutives aux lésions traumatiques des nerfs... 237 § VI. Durée du traitement 237 § VII. Epoque à laquelle il convient de faradiser les muscles para- lysés consécutivement aux lésions traumatiques des nerfs mixtes 240 | V111. Procédé opératoire 243 CHAPITBFi VI. — Paralysies spinales .... 244 Art. I. Electro-pathologie des paraplégies spinales. 244 TABLE DES MATIÈRES. 1039 § I. Paraplégies consécutives aux lésions anatomiques de la partie inférieure de la moelle 244 Quelques remarques sur les recherches antérieures de Marshall- Hall 250 § II. Paraplégie par compression de la partie inférieure de la moelle. 252 Art. II. Paralysie générale spinale 258 § I. Exposition des faits 258 § II. Considérations déduites des faits précédents 264 A. Symptômes, marche, durée, pronostic, 264. — B. Diagnostic différentiel, 267.— a. Paralysie générale des aliénés, 267.— b. Paralysie générale ascendante des Allemands, et paralysie ascendante aiguë de M. Landry, 27l. — C. Siège de la lésion nerveuse 273 Art, III. Action thérapeutique de la faradisation localisée 273 CHAPITRE VII. — Paralysie atrophique graisseuse «le l’em- fance 275 Art. I. Electro-pathologie 275 § I. Symptômes, marche 277 § II. Anatomie pathologique 283 A. Muscles, 283. — B. Centres nerveux 288 § III. Diagnostic 289 A. Dans la période d’acuité, 289. — B. Dans la période chro- nique 293 § IV. Pronostic 293 Art. II. Action thérapeutique de la faradisation localisée 297 A, A une époque peu éloignée du début, 297. — B. A une époque très éloignée du début 302 CHAPITRE VIII. —Paralysies saturnines et végétales 308 Art. I. Electro-pathologie 308 § I. Paralysie saturnine 308 § II. Paralysie consécutive à la colique dite végétale 316 Art. II, Valeur de la faradisation localisée dans le traitement des para- lysies saturnines et végétales 320 CHAPITRE IX. — Paralysie «le la contractilité électro-muscu- laire, ou indépendant mutiudle de la contractilité volontaire et de la contractilité électro-musculaire 329 CHAPITRE X. — Paralysies cérébrale» (par hémorrhagîe, ra- mollissement, compression, etc.) 338 Art. I. Electro-pathologie. — Diagnostic différentiel des paralysies cérébrales, tiré de l’état de la contractilité électro-musculaire. 338 § I. Etat de la contractilité électro-musculaire 338 § II. Diagnostic différentiel des paralysies cérébrales de l’enfance d’avec la paralysie atrophique graisseuse de l’enfance et d’avec certaines paralysies traumaliques congénitales 342 A, Hémiplégie cérébrale de l’enfance, 342, —B. Paralysie géné- rale cérébrale de l’enfance, 351. —G. Paraplégie bypertro- pbique de l’enfance, de cause cérébrale 333 Art. II. Action thérapeutique de la faradisation localisée appliquée au traitement des paralysies cérébrales 356 § L Paralysies consécutives à l’hémorrhagie cérébrale 356 Il est incontestable qu’à une certaine période quelques paralysies TABLE DES MATIERES. cérébrales sont guéries ou améliorées par la faradisation mus- culaire localisée 357 La faradisation localisée appliquée pendant la période de ré- sorption n’a produit aucun tésultat favorable; elle est alors quelquefois dangereuse 358 Dans la seconde période (après la résorption de l’épanchement sanguin) la faradisation a été quelquefois suivie de succès.. 3 >8 Données sur lesquelles on peut s’appuyer pour diagnostiquer approximativement l’état du foyer hémorrhagique après le terme ordinaire de la résorption, ou pour prévoir les résultats probables de la faradisation localisée, appliquée au traitement de l’hémiplégie 359 11 existe des degrés de lésion du cerveau, intermédiaires, dans lesquels on obtient une amélioration plus ou moins prononcée par la faradisation localisée 3CI La contracture permanente des muscles annonce un travail inflammatoire du cerveau, qui conlrc-indiquc l’emploi de la faradisation localisée 362 La faradisation de la face et de la langue, dans la paralysie cé- rébrale, expose les malades à de nouveaux accidents....... 363 Nécessité de distinguer l'hémiplégie faciale de cause cérébrale de la paralysie de la septième paire, en raison de la différence de traitement à opposer à chacune de ces paralysies 361 Commcnldoit-on pratiquer la faradisation localisée dans le traite- ment de la paralysie consécutive à l’hémorrhagic cérébrale?. 367 Quelques considérations sur l’application des courants galvani- ques continus au traitement des paralysies et des contractions de cause cérébrale 372 CHAPITRE XI. — Paralysies hystériques 375 Art. I. Electro-pathologie 375 Art. II. Electro-thérapie 377 A. Valeur de la faradisation localisée, appliquée au traitement des paralysies hystériques, 377. — B. Comment on doit prati- quer la faradisation localisée, lorsqu’on l’applique au traite- ment de la paralysie hystérique 387 CIIAPITItF. XII. — Paralysie «le la sensibilité musculaire.. .... 389 § 1. Preuves de l’existence de la sensibilité électro-musculaire 389 § II, Identité de la paralysie de la sensibilité électro-musculaire et du sens musculaire de Ch. Bell 392 § III. Description de la paralysie de la sensibilité musculaire 398 A. Symptômes, 399. — B. Diagnostic, 402. — G. Pronostic... 402 nilPITKFi XIII. — l'nralysics rhumatismales «les membres. . . 403 Art. I. Paralysie rhumatismale du nerf radial 403 § I. Electro-pathologie 403 A, Symptômes, marche, causes, 404. —B. Diagnostic différentiel de la paralysie rhumatismale, du nerf radial et delà paralysie saturnine 407 § II. De plusieurs autres variétés de paralysies rhumatismales 4 18 Art. II. Action thérapeutique de la faradisation localisée sur la para- lysie rhumatismale 401 § H. Paralysie du nerf radial 421 TABLE DES MATIÈRES. CHAPITRE XIV. — Paralysie «le la conscience musculaire (1 . 42 4 (TIA PITRE \T.— Atrophie musculaire graisseuse progressive. 437 Quelques considérations historiques 437 Art. I. Pathologie et électro-pathologie 443 § I, Symptômes 44 3 A. Troubles apparents dans la contractilité volontaire occasionnée par l’atrophie des membres., 443. — Contractions fibrillaires. — Diminution de la chaleur, 444. —B, Etat de la contractilité et de la sensibilité électro-musculaires, -446. — C. Siège péri- phérique et progression de l’atrophie musculaire, 449. — D, Changements dans la forme et dans l’attitude des parties. — Troubles de la locomotion, 462. — E. Symptômes géné- raux 473 § II. Etiologie. * 476 § 111. Marche, durée, pronostic 481 § IV. Diagnostic 483 A. Paralysie générale spinale, paralysie générale des aliénés et pa- ralysie saturnine généralisée, 484.—B. Paralysie alrophique graisseuse de l’enfance, 490. — C. Atrophie et déformation de la main et du membre supérieur consécutivement aux dou- leurs rhumatoïdes ou névralgiques et au rhumatisme articu- laire chronique de la main, 491. — D. Atrophie musculaire de la main dans une des formes de Féléphantiasis, 493. — E. Paralysie de la langue et de ses muscles intrinsèques, 501. —F. Affections musculaires coïncidentes 501 § V. Etat anatomique de la fibre musculaire et des centres nerveux. Nature 504 A. Etat anatomique de la fibre musculaire, 504. — B. Etat anato- mique des centres nerveux. — Nature 518 § VI. Dénomination 526 Art. II. Valeur thérapeutique de la faradisation localisée 533 CHAPITRE VVI. — Atavic locomotrice progressive 547 Considérations générales » 547 Art. I. Symptômes 534 § I. Troubles de la coordination des mouvements. — Faiblesse ap- parente et conservation de la force musculaire 555 A. Troubles de la coordination des mouvements, 555. — B. Fai- blesse apparente contrastant avec l’intégrité latente de la force. 555 $ II. Anesthésie 538 § III. Douleurs 558 § IV. Paralysies des nerfs moteurs de l’oeil.. . • 560 § V. Autres paralysies ou troubles fonctionnels partiels 563 Art. II. Marche, durée, terminaison 364 § 1. Marche 564 § II, Durée 575 § III. Pronostic i * 576 Art. III. Diagnostic 576 Diagnostic différentiel 579 A. Paralysie de la sensibilité musculaire, 580. —B. Kystes et IU- (I) Au lieu des dénominations conscience musculaire, et paralysie de la conscience muscu- laire, employées dans ce chapitre, lisez aptitude motrice indépendante de la vue, et paralysie de L'aptitude motrice indépendante de la vue. (Voyez là p. 1831.) DUCHENNE. TABLE DES .MATIÈUES. meurs du cervelet, 590. — G. Paralysie générale des alié- nés, 595. — D. Paralysie générale spinale et paraplégie, 598. — E. Paralysie saturnine, 598. — F. Atrophie musculaire graisseuse progressive, 599. — G. Quelques autres affections musculaires que l’on pourrait confondre avec l’ataxie locomo- trice progressive, 600. — 11. Affections musculaires coïnci- dentes 602 Art. IV. Causes, siège, traitement, considérations historiques....... 606 § I. Causes 606 II. Siège 608 $ III, Traitement 612 § IV. Quelques considérations historiques 616 cil,VS’E'riSH': AVDB. — S’nralysie musculaire progressive de la langue, «lu voile «lu palais et «les lèvre» 6 21 I. Symptômes 622 A. Paralysie de la langue, 62i. — B. Paralysie des muscles mo- teurs du voile du palais. 626. — G. Paralysie de l'orbiculairc des lèvres, 627. — D. Troubles de la respiration, 628. — E. Troubles dans la phonation, 632. — F. Symptômes géné- raux 633 11. Marche, durée, pronostic 634 § III. Diagnostic. . 636 A. Pharyngite gutturale et sto natitc simple, 637. — B. Paralysie simple du voile du palais et du pharynx, 638. — G. Paralysie de la septième paire, 633. — D. Atrophie de la langue, dans l’atrophie musculaire graisseuse progressive, 639. — E. Ma- ladies associées 643 § IV. Causes, siège, nature et traitement 647 t'HAPlTRI'î AVS1I. — Paralysie» musculaire» partielle» île la tèle, de» organe» thoraclques. abdominaux et génitaux 650 Art. 1. Paralysie de la septième paire 650 § 1. Exposé des recherches anatomiques et physiologiques qui ont été laij.es sur l’origine réelle de la septième paire.’. 653 A. Expériences physiologiques sur les filets originels de la septième paire, 656. — B. Application des faits anatomiques et physio- logiques précédents à l’étude de certaines paralysies de la face cl des membre.! du côté opposé, dites paralysies alternes, 657. G. Etat de la conlractilité électro-musculaire consécutivement à la lésion de la protubérance au-dessous et au-dessus de l’en- trecroisement de la septième paire 658 § II. Diagno tic différentiel éclairé par l’exploration électro-muscu- laire 662 $ III. Cause et nature 665 § IV. Pronostic 666 A. Pronostic de l'hémiplégie faciale par lésion traumatique, 666. — B. Pronostic de la paralysie rhumatismale de la septième paire, tiré de l’état de la conlractilité électrique des muscles paralysés 66 7 § V. Contracture des muscles de la face comme terminaison fréquente de la paralysie rhumatismale de la septième paire, au deuxième degré 672 A. Faits démontrant que la contracture est une terminaison assez fréquente de la paralysie de la septième paire, au deuxième degré, 672. — B. Signes diagnostiques précurseurs de la cou- TABLE des MATIÈRES, 1043 tracturc des muscles, dans l’hémiplégie rhumatismale de la face, 677. — C. Symptômes de la contracture musculaire consécutive à la paralysie de la septième paire 679 § VI. Action thérapeutique de la faradisation localisée appliquée au traitement de l’hémiplégie faciale 682 A. Premier degré de la paralysie rhumatismale de la septième paire, 682. — B. Quelle est l’action thérapeutique de la fara- disation localisée dans le deuxième degré de la paralysie rhu- matismale de la septième paire? 683. — C. A quelle époque de la maladie convient-il d’appliquer la faradisation localisée au traitement de la paralysie rhumatismale de la septième paire? — Comment la faradisation doit-elle être prati- quée? — Quelles modifications doit-on apporter au trai- tement lorsque se manifestent les signes précurseurs de la contracture dans les muscles paralysés, ou lorsque cette com- plication existe à un degré plus ou moins avancé? 686 Art. II. Paralysies des nerfs moteurs de l’oeil, du voile du palais, du pharynx et du larynx 694 § I. Paralysies des nerfs moteurs de l'œil 694 A. Diagnostic différentiel et pronostic, 69i. — B. Valeur théra- peutique de la faradisation localisée, 696. — C. Traitement de la mydriase par la faradisation localisée 669 § II Paralysie musculaire du voile du palais 700 Spécialité de la paralysie diphthéritique 701 A. Action individuelle des muscles du voile du palais démontrée par l’expérimentation électro-musculaire.— Déductions appli- cables au mécanisme de la déglutition, 706. — B. Application des notions précédentes à l’étude du diagnostic local des para- lysies du voile du palais. — Valeur thérapeutique de la fara- disation dans le traitement de ces paralysies 709 § III. Paralysies du pharynx et de l’œsophage 712 § IV. Paralysie musculaire du larynx (aphonie). — Valeur thérapeu- tique de la faradisation localisée 713 Art, 111. Paralysie ou atrophie du diaphragme 718 § I. Exposition des faits 718 A. Atrophie du diaphragme, 718. — B. Paralysie du diaphragme. 721. — 1° de cause saturnine, 721 ; — 2’ de cause hysté- rique, 724 ; — 3° par inflammation des organes voisins 726 § H. Déductions tirées des observations précédentes 732 A. Symptômes, 732. — B. Diagnostic, 734. — C. Causes, 733. — D. Pronostic, 7 33. — E. Traitement, 736. — Résumé 737 Appendice. — De la respiration artificielle par la faradisation localisée. 738 Art. IV. Paralysie de la vessie et des organes génitaux de l’homme, des intestins et des muscles qui concourent à leurs fonctions. 744 § I, Dysurie 744 A. Paralysie des muscles de l’abdomen, 744. — B. Paralysie de la tunique musculeuse de la vessie 745 § II. Anesthésie de la vessie et des organes génito-urinaires 746 A. Anesthésie de la vessie, 746. — B. Anesthésie des organes géni- taux et impuissance 749 § III. Incontinence d’urine 750 § IV. Constipation 731 § V. Chute du rectum par atonie du sphincter de l’anus 754 CHAPITRE AI A. — Paralysies partielles des membres 758 Considérations générales 758 TABLE DES MATIÈRES. Art. I. Atrophie et paralysie des muscles moteurs de l'épaule sur le tronc et du bras sur l’épaule "62 § I. Atrophie et paralysie du trapèze 762 A. Portion claviculaire, 762. — B. Portion élévatrice (tiers moyen) du trapèze, 762. — C. Portion adductrice (tiers inférieur) du trapèze 763 § II. Atrophie et paralysie du grand dentelé 766 § III. Atrophie et paralysie du deltoïde; ses.complications 770 A. Atrophie et paralysie simultanées du deltoïde et du grand den- telé, 770. — B. Atrophie et paralysie simultanée du deltoïde et des rotateurs de l’humérus 773 Art. II. Paralysies partielles des muscles moteurs de la main 777 § I. Paralysies des extenseurs des doigts 777 A. Faits physiologiques fondamentaux, 777. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 778 § II. Paralysie des interosseux , 779 A. Faits physiologiques fondamentaux, 779. — B, Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 780 §111. Paralysie des fléchisseur sublime et profond 783 A. Faits physiologiques fondamentaux, 783. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 784 § IV. Paralysie des muscles ou faisceaux musculaires producteurs de l’opposition du pouce 785 A. Faits physiologiques fondamentaux, 786. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 788 § V. Paralysie des faisceaux musculaires, producteurs de l’adduction du pouce 790 A. Faits physiologiques fondamentaux, 790. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 790 § VI. Paralysie des muscles long extenseur, court extenseur, long abducteur et long fléchisseur du pouce 791 A. Faits physiologiques fondamentaux, 791. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 792 § VII. Paralysie des muscles extenseur, abducteur et extenseur-ad- ducteur du poignet 794 A. Faits physiologiques fondamentaux, 794. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 794 § VIII. Paralysie des muscles qui produisent la supination et la pro- nation 796 A. Faits physiologiques et fondamentaux, 796. — B. Troubles fonctionnels et signes diagnostiques 796 Art. III. Paralysies partielles des muscles moteurs du pied 797 § 1. Paralysie ou atrophie du triceps sural (jumeaux et soléaire)... . 798 A. Faits physiologiques fondamentaux, 798. — B. Troubles fonc- tionnels et déformation du pied 800 § II. Paralysie du long péronier latéral 803 A. Fafts physiologiques fondamentaux, 804. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 804 Appendice au paragraphe précédent. — Réfutation des objections de Bonnet (de Lyon) contre les principes physiologiques et pa- thologiques, exposés dans ce travail S13 § III. Paralysie du jambier antérieur et paralysie du long extenseur des orteils 816 A. Faits physiologiques fondamentaux, 816. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 818 § IV. Paralysie du jambier postérieur et paralysie du court péronier latéral 821 A. Faits physiologiques fondamentaux, 821. —B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 822 § V. Paralysie des muscles moteurs des orteils 823 A. Faits physiologiques fondamentaux, 823. — B. Troubles fonc- tionnels et signes diagnostiques 823 Appendice au chapitre précédent.—De la prothèse musculaire, physiolo- gique, déduite de mes recherches électro physiologiques et pathologi- ques sur les mouvements de la main et du pied 828 Considérations générales préliminaires 829 § I. Suppléer à Faction individuelle et volontaire des muscles para- lysés ou atrophiés 829 § II. Rétablir ou faciliter les mouvements naturels 832 § III. Prévenir ou combattre les déformations des articulations, en équilibrant les forces toniques qui président aux rapports nor- maux de leurs surfaces i.. 839 Art. 1. Prothèse musculaire de la main 841 § I. Prothèse musculaire physiologique des doigts 842 A. Gantelet des extenseurs des doigts, 842.—B. Gantelet des inter- osseux, 846. — C. Gantelet des fléchisseurs superficiels et pro- fonds '.. 848 § II. Prothèse musculaire du pouce 849 A. Gantelet des muscles opposants du pouce, 849. — B. Prothèse des muscles long extenseur, court extenseur, long abducteur et long fléchisseur du pouce 833 § III. Prothèse musculaire du poignet 834 Art. H. Prothèse musculaire des membres inférieurs 836 §1. Prothèse du triceps sural 861 A. Appareil de nuit, 861. — B. Appareil de jour 862 § II. Prothèse du long péronier latéral 863 A. Appareil de nuit, 863. — B. Appareil de jour 863 § III. Prothèse du jambier antérieur 866 A. Appareil de nuit, 866. — B, Appareil de jour 867 § IV. Prothèse du long extenseur des orteils 868 § V. Prothèse du long péronier latéral et du jambier postérieur.,.. 869 § VI. De quelques appareils orthopédiques ou moyens prothétiques applicables aux mouvements du pied, de la jambe, de la cuisse et du tronc 870 TABLE DES MATIÈRES. CHAPITRE XX. — Spasmes. 878 Art. I. Contractures 878 § I. Symptômes et diagnostic des contractures idiopathiques, déduits de l’expérimentation électro-physiologique 879 A. Contractures des muscles de la face, 879, — B. Contracture du rhomboïde, 880. — C. Contracture du trapèze, 888. — * D. Contracture du splénius, 892. — E. Contracture du del- toïde, 893, — F. Contracture du long péronier latéral, 896. — G. Contracture du diaphragme 903 § II. Valeur de la faradisation localisée dans le traitement de la con- tracture idiopathique 918 Art. II. Spasme fonctionnel et paralysie musculaire fonctionnelle.... 928 A. Siège, 928 —B. Nature, 935. — C. Diagnostic, 936. — D. Pro- nostic et traitement 937 Art. III. Crampes et convulsions, valeur de la faradisation localisée.. 946 § I. Crampes 946 § II. Chorée 947 § III. Tic indolent de la face 950 1046 TABLE DES MATIÈRES. CHAPITRE XXI.—Trouble* «le la sensibilité* et «le» sens, traités iiar la ftiradisafiun localisée 951 Art. I. Névralgies et névroses 952 § I. Névralgies 952 § II. Angine de poitrine 961 Art. II. Hyperestbésie et anesthésie cutanées musculaires, hystériques et rhumatismales 972 § I. Hyperesthésie cutanée 97 2 § II. Anesthésie cutanée 973 § III. Hyperesthésie musculaire 977 A. Hyperesthésie musculaire hystérique, 977. —B. Hyperesthésie rhumatismale (rhumatisme musculaire) 978 Art. HI. Paralysie des sens. 984 § I. Paralysie des sens du toucher, de l’odorat et de la vue 984 § H. Surdité nerveuse 988 A. Action physiologique du procédé de faradisation localisée que j’ai institué et appliqué au traitement de la surdité nerveuse, 990. — B. Faits démontrant la valeur thérapeutique de la faradisation des muscles moteurs des osselets et de la corde du tympan, 1001. — C. Des signes pronostiques de la surdité nerveuse obtenus par la faradisation de la corde du tympan et des muscles des osselets 1010 Résumé général 1013 § III. De la curabilité et du diagnostic de la surdi-mutité nerveuse par la faradisation de la corde du tympan et des muscles mo- teurs dos osselets 1013 NOTES. — A. Au lieu des dénominations conscience musculaire et paralysie de la conscience musculaire, employées dans le chapitre XV ; lisez : Aptitude motrice indépendante de la vue et paralysie de l'aptitude motrice indépendante de la vue. 1031.'—B. Anatomie pathologique de la paralysie musculaire progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres. 1031 FIN DE LA TABLE. Paris. ■— Imprimerie L. Martinet, rue Mignon, 2. J.-B. BAILL1ÈRE et FILS LIBRAIRES DE l’âCADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE LOXDUES Rue Haulefeuille, 19, à Paris. NEW-YORK Ilippolyle Baillière, 249, Urgent slreet. Baillière Crollic.s, 441), Broadway. MADRID, C. BA1LLY-BA1LUÈRE, GALLE DEL PRINCIPE, 11. Avril 1801 CLINIQUE MÉDICALE L’HOTEL-DIEU DE PARIS DE PAU PROFESSEUR DE CLINIQUE MEDICALE DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS, Médecin do l’Hôtel-Dieu, Membre do l’Acndmio impériale de médecine, Commandeur do la Légion d'honneur, grand officier de l'ordre du Lion et du Soleil de Perse, Ex-représenlant du peuple à l'Assemblée naiionale, clc., etc. A. TROISSEAU, Pour répondre aux désirs bien souvent exprimés par les nombreux élèves qui se pressent autour des lits et remplissent les bancs de l’amphithéâtre de l’Hôtel-Dieu, M. Trousseau vient de publier la Clinique médicale de l'Hôtel-Dieu. Tous les médecins qui, sous la direction de l’illustre professeur, ont appris à examiner les malades, à interroger les appareils et les fonctions, à discerner les symptômes occupant le premier plan et ayant la signification la plus large, à connaître la marche des maladies, la plus importante des notiors pour le praticien, seront heureux de trouver recueillies en corps de doctrine les nom- breuses observations qui ont été la base de ce brillant et fécond enseignement. Ainsi rassemblés et commentés, ces faits parleront de manière à être entendus de loin et de tout le monde. Nous avons la conviction qu’ils seront médités avec fruit par les médecins. Dans une brillante introduction, M. Trousseau trace les conditions aux- quelles un enseignement est profitable, puis il montre comment le médecin arrive plein de savoir et de capacité à la pratique de son art. En tête de l’ou- vrage se placent les Fièvres émptives. M. Trousseau en signale ainsi l’importance. 11 passe successivement en revue la scarlatine, la rougeole, la variole, Vinoculation variolique, la vaccine, la varicelle, la j oséole, la clolhié- nentérie, le typhus, les oreillons. Les fièvres éruplives ayant offert à M. Trous- seau les types les mieux caractérisés des maladies spécifiques, il s’arrête sur la question de la spécificité et de la contagion. M. Trousseau traite ensuite des Exanthèmes, qui lui présentent un point commun avec les fièvres éruplives, l’éruption. De nombreuses leçons sont consacrées aux exanthèmes sudoraux, à l’urticaire (fièvre orliée), au zona, à Vérythème noueux, à Yérylhème popu- leux, à l’érysipèle, et principalement à ïérysipèle de la face, à Vérysipclc des nouveau-nés. Les épidémies meurtrières de Diphthéric qui, depuis plusieurs années, sévissent sur divers points de la France et régnent également dans les pays 2 étrangers, ont spécialement éveillé l’attention de M. Trousseau. Les faits qui se sont multipliés dans le service de la Clinique et dans sa pratique particu- lière l’amènent à exposer ses idées sur cet important sujet. Dans une série do leçons, M. Trousseau traite de Vangine diphlhérique et du croup, de la diphthë- rie maligne, des localisations diverses de la diphlhérie, delà dipluhérie buccale. Il étudie encore la nature, le mode de transmission delà diphlhérie, les alté- rations du sang, les intoxications générales, enfin les perturbations apportées dans l’organisme par le principe morbide qui engendre la diphlhérie. Le savant clinicien s’arrête longuement sur la nature, les causes, les caractères de la paralgsie diphlhérique, sur les formes graves quelle présente, sur sa terminaison trop souvent fatale, et le traitement à opposer à ces paralysies; passe en revue les diverses médications proposées pour le traitement de la diphlhérie et du croup, les procédés plus sûrs imaginés dans ces dernières années pour le cathétérisme du larynx, soumis au jugemenlde l’Académie do médecine, et qu’il a expérimentés lui-même. INI. Trousseau décrit ensuite le ma- nuel opératoire de la Trachéotomie, Il insiste sur les conditions dans lesquelles elle doit être pratiquée, sur le pansement, sur la cautérisation de la plaie, etc. M. Trousseau embrasse dans an tableau étendu les Angines; il parle suc- cessivement de toutes les espèces d'angines couenneuses de la gorge qui ont été confondues et donnent le plus souvent encore lieu à des erreurs de dia- gnostic, particulièrement de Vangine couenneuse commune (herpès du pharynx). 11 décrit les angines gangréneuses par excès d'inflammation, survenant comme complication de maladies graves, qui débilitent profondément l'économie, puis comme complication des angines couenneuses, scarlalineuses, de (angine diphthérique, enfin l'angine gangreneuse primitive et I angine phlegmoneuse. Le Muguet, que bien des auteursconfondentavecles affections couenneuses, est l'objet d’un chapitre important. M. Trousseau étudie avec les microgra- phes les lésions pathologiques qui caractérisent le muguet, les diverses espèces de muguet, puis arrive au traitement.  propos de l'angine striduleuse, il établit le diagnostic différentiel entre le croup et le faxix croup, il montre com- bien l’angine striduleuse diffère du croup pseudo-membraneux par sa nature, par le mode d invasion des accès, par la marche des accidents, il donne ses caractères particuliers, son pronostic, et son traitement. Ne pouvant poursuivre d’une façon complète l'analyse de ces leçons cli- niques, nous nous contenterons de mentionner les principales affections bron- chiques et pulmonaires dont il est parlé dans les trois cents dernières pages. Ce sont la coqueluche, l'asthme, l’hémoptysie, la bronchorrhée, la phlhisie pul- monaire, la gangrène du poumon, les abcès pulmonaires, vomiques, péripneu- moniques, la pneumonie et ses diverses variétés (la pneumonie franche exempte de toute complication, la pneumonie érysipélalo-phlegmoncuse, avec délire, enfin la pneunomie du sommet); citons encore la pleurésie et l'opération de la paracentèse de la poitrine, les épanchernents traumaliques de sang dans la plèvre, la péricardile et la paracentèse du péricarde, les affections organi- ques du cœur et 1 angine de poitrine. Ces lignes donneront une idée bien imparfailede tout l’intérêt qu'offre ce pre- mier volume, des recherches patientes et de la longue expérience qu'il résume. La Clinique médicale de f Hôtel-Dieu de Paris formera deux volumes in-8 de 800 pages. Le tome Ier est en vente. — Prix : franco par la poste, 10 fr. Prière de joindre à la demande un mandat sur Paris. Le tome 1! est sous presse. J.-R. RAILL1ÈRE ET FILS, RUE HAUTEFEUILLE, 19. 3 LEÇONS €L1MI$UE§ SUR LES MALADIES CHRONIQUES DE L’APPAREIL LOCOMOTEUR PROFESSÉES A L’HOPITAL DES ENFANTS MALADES PENDANT LES ANNÉES 1853, 1856. 1857 !e docteur H. BOUVIER, Médecin de l’Iiôpitad des Enfants, membre de l’Ai.udemie impeii.de d.; me l cinr. Cet ouvrage présente le résultat de trente années d’observations et de recher- ches spéciales. Les sujets principalement traités sont : Du mal vertébral de Polt. — Du mal vertébral supérieur on occipital. — Pseqdarlhroses coxo-fémorales.— Du strabisme. — Du pied bol. —Du rachitisme. — Des courbures anléro-posté- rieures du rachis. — Courbures latérales du rachis, etc. 1 vol. in-8 de 530 pages. — Prix : 7 fr. ATLAS DES LEÇONS CLINIQUES SUR LES MALADIES DE L’APPAREIL LOCOMOTEUR COMPRENANT LES DÉVIATIONS DE LA COLONNE VERTÉBRALE In-folio de XX planches, dessinées d’après nature, avec un texte descriptif. — Prix : 18 fr. Les XX planches de cet Atlas comprennent : Planche I. — Cas do cyphose. — Lordose paralytique. — Flexion latérale phy- siologique. — Scoliose rachitique. — Scoliose pleurétique. Pl. II. — Torse normal représenté dans diverses flexions latérales physiologiques. Pl. III, IV, V. — Tôrses de squelettes gibbeux présentant les principales formes de la scoliose. Fl. VI.— Deux squelettes'rachitiques et gibbeux. — Scoliose avec perte de l’équilibre. Pl. VII. — Deux squelettes rachiliques et gibbeux. Pl. VIII. —Vertèbres désarticulées d’un sujet atteint de scoliose. Pl. IX. — Côtes séparées d’un sujet scoliotique. Pl. X, XI, XII. — Viscères thoraciques et abdominaux de quatre sujets gibbeux. Pl. XIII. — Cavités thoracique et abdominale, cœur, foie, reins, vaisseaux, de trois sujets gibbeux. Pl. XIV. — Cœur, foie, rate, reins, vaisseaux, rachis d’un sujet gibbeux. Pl. XV. — Cavités thoracique et abdominale, foie, rate, reins, vaisseaux de quatre sujets gibbeux. Pl. XVI. — Cavités splanchuiques et membres inférieurs d’une femme rachitique et gibbeuse. Pl. XVII. — Foie, rate, reins, vaisseaux d’une femme gibbeuse. Pl. XV111. — Cavités thoracique et abdominale dans une scoliose dorsale gauche. Pl. XIX et XX. — Bustes de quatre sujets scoliotiques, représentés avant et après le traitement. 4 IMITÉ DES MALADIES DES ARTICULATIONS Professeur de clinique chirurgicale à l’Ecole île me'decine de l.yon , chirurgien en chef de l’Ilôlct-Dieu , etc. le docteur A. BONNET, Paris, 18A5, 2 vol. in-8, avec allas in-/t de 16 pi. —20 fr. TRAITÉ DE THÉRAPEUTIQUE DES MALADIES ARTICULAIRES Taris, 1853, in-8 de 700 pages, avec 97 figures. Prix : 9 fr. le docteur BONNET Ouvrage servant de complément au Traité des maladies des articulations. Consacré exclusivement aux questions thérapeutiques, le nouvel ouvrage de M. Bonnet offre une exposition complète des méthodes et des nombreux procédés introduits soit par lui-mème, soit par les praticiens les plus expérimentés dans le traitement des maladies si compliquées des articulations. Comme les lésions des jointures sont le plus souvent le produit d’affections constitutionnelles, l'auteur a dû s’occuper de ces affections, et à leur sujet traiter des modifications de toute l’économie ; la question des hydarlhroses, des abcès, îles tumeurs blanches, des ankylosés n’a pu aussi être étudiée sans remonter aux principes du traitement des collections séreuses et purulentes, des fongosités et des adhérences. Mais une des questions dont M. Bonnet s’est le plus vivement préoccupé est celle de régler les fonctions des jointures. Assurer un repos véritable dans les arthrites aiguës, exercer avec méthode les mouvements élémentaires dans les arthrites chroniques et faciliter leur accomplissement par des appareils spéciaux, telles sont les idées qui ont inspiré les parties les plus neuves et les plus utiles de ce Traité. N0 ü V E LI- ES Al ÉT110DES TRAITEMENT DES MALADIES ARTICULAIRES DE Seconde édition revue et augmentée d’une Notice historique parlcdocleur J. Gaiun, Médecin de THôlel-Dieu île Lyon, le docteur A. BONNET, Et d’un Recueil d’observations sur la rupiure de l’ankylose, Par MM. Bartier, Berne, Philipeaux et Bonnes. Paris, 1 860, 1 vol. in-8 cio xliv-312 pages, acctftnpagné de 17 planches in- tercalées dans le texte. — 4 fr. 50. TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DE L’HYSTÉRIE, Par le Docteur P. BRIQUET, médecin à l’hôpital de la Charité, membre de l’Académie de médecine, agrégé honoraire à la Faculté de médecine de Parr. Paris, 1859, 1 vol. in-8 de 724 pages.— 8 fr. Placé, à l’hôpital de la Charité, à la tôle d’un service où l’on dirige les malades atteints d’affections hystériques, M. Briquet a depuis longtemps porté son attention sur ce point, et il a recueilli ainsi 430 observations, notant les antécédents des sujets, leur étal actuel, le résultat du traitement. M. Briquet, dans son Traité de l’hystérie, envisage successivement Pédologie, la symptomatologio, la marche, le traitement. Son livre rempli d’indications cliniques et thérapeutiques sera favorablement accueilli par le monde médical. LA PATHOLOGIE CELLULAIRE PHYSIOLOGIQUE ET PATHOLOGIQUE BASÉE SUR L’ÉTUDE DES TISSUS StüDOLF VIUCIIOU Professeur d’Anatomie pathologique, de Pathologie générale et de Thérapeutique à la Faculté de Berlin, Médecin do la Charité et Directeur de l'Institut pathologique de cette ville, Membre correspondant de l’Institut de France. TRADUIT DE L’ALLEMAND SUR LA SECONDE ÉDITION ÉDITION REVUE ET CORRIGÉE PAR L’AUTEUR. 1 vol. in-8, xxxi-416 pages avec 144 figures. — 8 fr. le docteur PAUL PICARD. Cédant aux vives instances de nombreux praticiens, éloignés depuis longtemps des bancs de la Faculté et entraînés par la clientèle loin des études de science pure. M. Yirchow fut amené à résumer ses tra- vaux et professa, devant des auditeurs sérieux et désireux de profiter des découvertes histologiques récentes, un cours sur la pathologie cellulaire. Ce cours, qui comprend les vingt leçons dont nous don- nons la traduction au public, est le résumé de la carrière scientifique de M. Yirchow et des principaux travaux contemporains ; il offre surtout cet avantage d’être mis à la portée de tous ceux qui n’ont pas suivi régulièrement les progrès que l’histologie a faits les dix dernières années, et de reprendre la question ah ovo. — L’auteur va du simple au composé, et tous ceux qui auraient négligé les éludes d’histologie normale seront à môme de suivre pas à pas chaque transformation, chaque évolution pathologique importante. Des ligures nombreuses, représentation exacte des préparations qui ont servi aux cours de Berlin, compléteront la compréhension d’un texte que M. Yirchow s’est efforcé de rendre clair et précis. Pour fonder une doctrine durable, il fallait joindre à l’histologie physiologique la notion de la physioliogie pathologique, étudier révo- lution des phénomènes vitaux, la manifestation des lois vitales lors- qu’ils se produisent dans des conditions anormales, sous des influences pathologiques. Celte tâche difficile, M. Yirchow s’est efforcé de la remplir. Vingt années de travaux opiniâtres, de recherches consciencieuses, de labeurs incessants, lui ont permis de créer la Pathologie cellulaire. 6 J.-B. BAILLIÈRE ET FILS, RUE HAUTEFEÜILLE, 19. Qu’on ne s’attende pas à une révolution, c’est simplement une ré- forme. Le célèbre professeur n’est pas de ceux qui croient que la méde- cine ne commencequ’à eux. — Il regarde les anciens comme desobser- vateurs sagaces et intelligents; il tient compte de leurs travaux et de leurs idées; il a même rétabli plusieurs de leurs dénominations, tout en élargissant l’acception et l’expliquant d’une manière conforme aux progrès de la science. !1 s’e t efforcé de conserver ce que les systèmes avaient de vrai, et, il le sait mieux que tout autre, sa Pathologie cel- lulaire, vigoureuse ébauche d’un homme de génie, n’est pas le tableau complet et définitif, l’œuvre à laquelle il n’y a rien à changer. Fie. 135. Fracture transversale de Vhu- mérus; cal en voie de forma- tion âgé environ de 15 jours. Fie. 90. Moitié d'une coupe transversale de la moelle épinière, faite dans la portion cervicale. Nous n’essayerons pas de donner ici une idée de la doctrine de Vir- chow. Sa clarté, sa concision, ne nous permettent pas de tronquer ses pensées. Le professeur s’adresse au bon sens; désireux de convaincre, il ne néglige jamais d’apporter les preuves à l’appui des opinions qu’il émet; aussi à côté de la loi on trouvera toujours les faits qui ont servi à l’établir. Tous les médecins qui ont suivi son cours, examiné ses prépara- tions, écouté ses leçons, ont été convaincus. Puisse cette traduction, soigneusement revue par M. Virchow, convaincre pareillement nos compatriotes, et nous serons heureux si la doctrine de ce savant maître peut être connue du premier public médical de l’Europe, d’une nation si prompte à s’enthousiasmer pour les grandes idées. TRAITE DE PATHOLOGIE EXTERNE ET DE MÉDECINE OPÉRATOIRE RÉSINÉS D’ANATOMIE DES TISSUS ET DES RÉGIONS AVEC DES PAU Aile, lllllli (de Cassis), Chirurgien de l’hôpital du Midi, Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, Lauréat de l’Institut de France, Membre fondateur de la Société de chirurgie, etc. CINQUIÈME ÉDITION REVUE, CORRIGÉE, AVEC DES ADDITIONS ET DES NOTES Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, Ex-prosecleur de la racine Faculté, lauréat de l’Ecole pratique (1" prix, 1840), Ex-interne et lauréat (1846-1847) des hôpitaux, Membre de la Société anatomique. le docteur F.VXO. 5 vol. in-8, illustrés de 761 figures intercalées dans le texte; — /i0 fr. Lorsque la mort vint ravir M. Vidal à la science, à ses élèves et à ses amis, nous avons dû penser au choix d’un chirurgien instruit pour revoir la cinquième édition du Traité de pathologie externe. Dix années d’enseignement libre de la chirurgie à l’Ecole pratique de Paris, de nombreux concours à la Faculté et dans les hôpitaux, nous désignaient M. le docteur Fano. Pour soutenir la réputation justement méritée de l’œuvre de Vidal, il {allait chercher à la per- fectionner, et cette œuvre était difficile. Nous essayerons de donner une idée sommaire des changements et des additions faits à cette cinquième édition. Dans le premier volume, M. Fano a ajouté nombre d’articles nou- veaux sur les anesthésiques, sur les plaies, sur la galvanocaustique, sur plusieurs procédés opératoires nouveaux, entre autres l’écrase- ment linéaire, etc. Dans le second volume, les additions ne sont pas moins considé- rables. — Beaucoup d’articles ont été refaits. — Les articles relatifs aux enchondrornes ont été modifiés. — Le chapitre si important des fractures et des luxations a été refait complètement. — De nombreuses figures nouvelles propres à donner une idée des appareils générale- ment usités dans les diverses espèces de fractures ont été ajoutées à J.-B. BAILLI Fini ET FILS, BUE HAUTEFEUILLE, 19. cette édition. La vue de ces dessins en apprendra beaucoup plus que les descriptions les plus claires. Le troisième volume dont une grande partie est réservée aux ma- ladies des yeux, a reçu des additions non moins importantes. Une large place a été réservée à l’ophthalmoscopie. — Des figures soi- gnées faciliteront au lecteur l’intelligence de cette intéressante partie de l’oculistique. Fie. 272. Luxation ischio-pubiennc incomplète. Fie. 490. Ueitx sacs de hernies inguinales externes du côté gauche. Dans le quatrième volume, les maladies des mamelles, de l’abdo- men, de l’anus et du rectum, de l’urèthre, de la prostate et de la vessie, ont été présentées avec de nouveaux développements et avec de nouvelles figures. Nous signalerons, dans le cinquième volume, comme ayant été remaniés, les articles relatifs aux maladies des reins, du testicule, du pénis, des organes génitaux de la femme. On trouvera une nouvelle description des maladies de la main et des doigts. Tous ces changements, toutes ces additions, n’ont porté aucune atteinte à la disposition primitive de l'ouvrage. Le texte ne se trouve nulle part interrompu; le nouveau n’est séparé de l’ancien que par des crochets [ ] qui indiquent les limites des additions. On a ajouté aux six cents figures qui accompagnaient les éditions précédentes plus de cent soixante figures nouvelles, intercalées dans Je texte. Pour mettre le livre de Vidal au courant de la science, M. Fano a puisé dans de nombreux ouvrages, dans les journaux périodiques. Le Traité de pathologie externe et de médecine opératoire est complet en 5 volumes in-H de chacun 800 pages, avec 761 figures intercalées dans le texte. Prix, franco, 40 fr. GUIDE MÉDECIN PRATICIEN DU OU RÉSUMÉ GÉNÉRAL DE PATHOLOGIE INTERNE ET 1)15 THÉRAPEUTIQUE APPLIQUÉES 3T.-L.-I. VALLEÎX, PAR MÉDECIN DE I,’HÔPITAL DE LA PITIÉ Membre île la Société médicale d’observation et de la Société anatomique de Pat is de la Société médicale des hôpitaux, etc. OUATRIÈIVIE ÉDITION REVUE,AUGMENTÉE, ET CONTENANT LE RÉSUMÉ DES TRAVAUX LES PLUS RÉCENTS, PAR MM. LES DOCTEURS V.-A. RACLK 1*. LOKA1A Médecin des hôpitaux de Paris, ex-rl»ct' de clitrque médicale de la Faculu de médecine Médecin des hôpitaux de Paris, Professeur agiégé de h Faculté de médecine de Paris membre de îa Société de biologie. 5 vol. in-8, de chacun 850 pages : —45 fr. En entreprenant cette réimpression, les nouveaux éditeurs, MM. Racle et Lorain, ont compris qu’il fallait conserver à celte œuvre tous ses avantages si justement appréciés par les praticiens et les élèves. Mais il ne convenait pas de faire une réimpression pure et simple. MM. Racle et Lorain ont cru devoir d’abord restituer aux Fièvres leur place véritable et en signaler l'importance en les plaçant en tête de l’ouvrage. Sous le litre de fièvres et maladies pestilentielles (livre Ier) ils ont groupé les fièvres continues, les fièvres éruptives, les fièvres intermittentes, le choléra, etc., dissé- minés auparavant dans toutes les autres classes. La création d’un livre nouveau (livre II) sous le titre de maladies constitu- tionnelles leur a permis de rapprocher la goutte, le rhumatisme, la syphilis, les scrofules, l'anémie, la chlorose, la leucocylhémie, le scorbut, la glycosurie, etc. Les névroses, qui marquent réellement la transition entre les maladies géné- rales et les maladies locales ont dù venir ensuite pour former le livre IIIe, Nous pourrions citer encore nombre d’inversions utiles dans les XII livres qui composent cet ouvrage. Mais ce n’est pas tout : après avoir introduit dans l’ensemble de l’œuvre, les modifications nécessitées par les progrès modernes de la pathologie et do la thérapeutique, il fallait ajouter de nouveaux tableaux synoptiques de dia- gnostic différentiel, il fallait, par de nombreuses additions, remettre chaque chapitre, chaque article au niveau de la science, et résumer les travaux im- portants et nouveaux qui ont changé l’état de nos connaissances: c’est ce qu’ont fait MM. Racle et Lorain : ils ont analysé tous les livres, tous les mémoires, et même, nous pourrions dire, tous les articles de journaux qui ont paru depuis l'édition précédente. J.-B. BA1LL1ÈHE ET FILS, RUE I1AUTEFEUILLE, 19. Nous signalerons principalement les additions faites aux articles suivants : Tableau et formes de la fièvre typhoïde, syphilisation, étiologie de la glycosurie, causes de l’épilepsie, hystérie, asphyxie, observations nouvelles sur la dilatation des bronches, ulcère simple de l’estomac, invaginations de l’intestin, hépatite aiguë, observations nouvelles sur l’incontinence et la rétention d’urine, sur les maladies de la prostate et des vésicules séminales, etc., etc. Mais la partie la plus importante du travail de MM. Racle et Lorain consiste dans la composition d’articles nouveaux, et le remplacement complet d’articles de l’édition précédente. Les articles suivants ont été entièrement refaits : Typhus et typhus lever, fièvre puerpérale, fièvre bilieuse grave des pays chauds, scrofules, leucocylhérnie, catalepsie, paraplégie ner- veuse, muguet, vomissements incoercibles, inanition, étranglement interne, colique nerveuse, vers intestinaux, congestion sanguine ou hypérémie du foie, état gras du foie, hydatides du foie, maladies du pancréas, péritonite chronique, cystite aiguë et chronique, leu- corrhée, aménorrhée, dysménorrhée, métrite externe ou du col de l’utérus, métrite interne, névralgie de l’utérus, hystéralgie, dévia- tions utérines, hématocèle péri-utérine, kystes des ovaires, consi- dérations sur les maladies du système osseux et musculaire, otite, considérations générales sur les maladies de la peau, eczéma, herpès, acné, sycosis, prurigo, purpura hæmorrhagica, pellagre sporadique. Les articles nouveaux sont les suivants : Cancer, tubercules, diphthéhte, maladie d’Addison, vertige nerveux, nervosisme, méningite rhumatismale, spasme de la glotte, con- gestion pulmonaire, altération du parenchyme pulmonaire par des matières pulvérulentes, asyslolie, vices de conformation du cœur, embolies, affections diverses des veines, hémophilie, hématologie, angine glanduleuse, paralysies consécutives à la diphthérite, dyspepsie, albuminurie, vaginite diphthéritique, tumeurs sau- gaines ou thromhus de la vulve et du vagin, fongosités intra- utérines, métrite parenchymateuse, engorgement de l’utérus, hypertrophie de l’utérus, maladie du sein, hématidrose, maladies charbonneuses, pustule maligne et œdème charbonneux, alcoo- lisme, iodisme, empoisonnement par le chloroforme, par le sulfure de carbone, animaux parasites, etc. On verra facilement ce qui appartient aux nouveaux éditeurs par la pré- caution qui a été prise d’intercaler leurs additions entre deux crochets [ ]. La quatrième édition du Guide du médecin praticien est complète en 5 beaux volumes in-8 de 800 pages chacun. Prix de l’ouvrage complet, franco, 43 francs. Paris. —Imprimerie de L. Martinet, rue Mignon, 2,