4? ^ ETUDES STJH. JL.JE3S JO^LSJTZÎS DE LA SCIENCE MÉDICALE ET Exposition Sommaire DE LA # DOCTRINE TRADITMNEp PAR - X i J. C. FAGET '■' (De la Nouvelle-Orléans), Ancien Interne des Hôpitaux et Docteur de la Faculté de Paris, Ancien Membre de la Société anatomique et de la Société médicale d'observation, Membre correspondant lauréat de la Société de Médecine de Caen. .£S Ouvrage Couronné Par l'Académie de Médecine de Caen, le 10 juin 1853, (deuxième prix exceptionnel, médaille d'or). NOUVELLE-ORLEANS. H. MÉRIDIER, IMPRIMEUR-ÉDITEUR **'. ?\\%W 18 5 5. w 1255 Atî PROFESSEUR CÀYOL, Ancien professear de clinique médicale à la Faculté de Paris, et directeur de la Revue Médical». 9lè*-s-i>£rv€i«f ©tfeatfcie< "Les affinités morales sont une loi de la nature comme " celles de l'ordre physique." C'est sans doute en vertu de cette loi, si bien.indiquée par le comte de Maistre, que je suis devenu votre disciple, sans avoir l'honneur de vous connaître personnellement. Mais en devenant votre dis- ciple il s'en faut que je renonce à mon origine médicale ? bien au contraire, plus j'y regarde de près, mieux je vois que c'est en marchant sur vos pas qu'on s'écarte le moins possible de la ligne invariablement suivie par la véritable Ecole de Paris, je veux dire la ligne de la tradition, sans exclusion d'aucun progrès. IV DÉDICACE. Et d'abord, n'est-ilpas évident que sans tradition, il n'y a point d'Ecole, du moins d'Ecole un peu durable ? Et n'est-ce pas dans ce sens qu'on peut affirmer que toute société qui rompt avec son passé, n'a point d'avenir? La séparation, la division plus ou moins profonde de ses mem- bres est la conséquence inévitable de cette rupture ; or, de cette séparation, de cette division, il ne peut résulter que des individualités éphémères, tout au plus de petites sectes rivales, que le temps fait disparaître plus ou moins rapidement. Au milieu des révolutions qui des sphères de la politi- que retentissent nécessairement dans celles de la science, n'est-ce point le spectacle déplorable, que nous offre de- puis près de vingt-cinq ans, la Faculté officielle de Paris 1 Mais si depuis ce temps, vous en avez été éloigné, si vous êtes devenu pour elle comme un étranger, ii est pourtant impossible d'effacer en vous le caractère de professeur de cette illustre Ecole; et c'est à ce titre que vous accom- plissez, aux yeux de ceux qui veulent bien regarder, une mission vraiment providentielle. En effet, quand il s'agit d'institutions telles qu'une grande Ecole de médecine, dont l'objet se rattache aux besoins les plus réels de l'humanité, Dieu ne permet pas aisément qu'elles meurent. Mais il permet, par moments, qu'elles jettent moins d'éclat, qu'elles s'affaiblissent même d'une manière inquiétante; alors, leur esprit semble se retirer d'elles ; pourtant, il n'a été que déplacé, rejeté plus ou moins dans l'ombre ; la Providence ne le laisse pas s'éteindre ; seulement, plus tard, aux yeux de la pos- térité qui ne peut tenir compte d'une Ecole, qu'au point de vue de la science, il devient évident que l'Ecole se trou- vait là où s'était réfugié son esprit. DÉDICACE. V Or, quel a toujours été l'esprit de l'Ecole de Paris ? 11 n'a pu être que Yesprit hippocratique, puisqu'il ne peut y avoir en médecine d'autre tradition que celle d'Hippocrate. Aussi, c'est au 15e siècle que la chaîne de la tradition médicale s'est renouée, et c'est à partir de cette époque que les médecins de Paris ont commencé à se distinguer. "Après avoir longtemps resté dans l'enfance, la Faculté " de Paris, dit Bordeu, produisit un phénomène. Fernel " parut comme l'éclair qui perce les nuages les plus épais; " il naquit dans l'Ecole et bientôt s'éleva jusqu'aux nues." Or, Fernel, (1497 à 1558), ouvre la série de ces médecins célèbres de Paris, qui poussèrent l'admiration pour la médecine grecque au point que Pinel les accuse de n'a- voir eu d'autre but en observant, que de pénétrer le véri- table sens d'Hippocrate et de Galien. "J'ai avancé, dit encore Bordeu, qu'il y a toujours eu " dans la Faculté de Paris, des médecins attachés aux " dogmes de Fernel, de Houillier, de Duret, de Baillou, " qui ont renouvelé dans cette fameuse Ecole les opinions " des anciens. Je tire mes preuves, tant de différents ou- " vrages qui sont entre les mains de tout le monde, que " du Recueil de Thèses, dont M. Baron, doyen de la Fa- " culte, vient de faire imprimer le catalogue." Bordeu qui appartient bien plus à Paris qu'à Mont- pellier, puis Cabanis et Pinel, nous conduisent au 19e siè- cle. Ici recommence une autre série d'Hippocratistes des plus brillantes : Corvisart, Halle, Bayle, Laennec, Ré- camier....... Les médecins de Paris ont-ils souvent pro- duit des noms plus remarquables que ceux-là 1 Mais, il faut le reconnaître, ces grands médecins, profondément pénétrés de l'esprit traditionnel, ont dû céder pourtant à l'entraînement de l'esprit moderne, à cet esprit de pro- VI DÉDICACE. grès, de progrès matériel si Ton veut, mais enfin de pro- grès qui caractérise notre siècle. Le sensualisme avec sa Méthode analytique, mise à la disposition de l'observa- tion médicale et des sciences accessoires a certainement valu à la médecine un avancement réel et positif. On con- prend donc que des médecins aient pu être séduits et en- traînés par les promesses de cet esprit moderne. Mais, vous en donnez l'assurance, vous qui avez été l'ami et le confident de Bayle et de Laennec : "Le temps seul leur a " manqué pour coordonner les faits nouveaux avec la " Doctrine ancienne, à laquelle ils sont toujours restés *' fidèles." Vous n'avez donc fait qu'entretenir l'esprit de leur enseignement dans votre cours de clinique à la Faculté de 1822 à 1830. Et si à ce moment, vous avez été écarté de l'Ecole officielle par les événements poli- tiques, en même temps que Récamier, votre enseigne- ment, en réalité, n'a pas été suspendu. C'est alors, en ef- fet, que vous avez élevé chaire contre chaire, et consacré vos pensées, vos travaux, votre vie, à la défense du vita- lisme hippocratique, cette Doctrine, qui comme la vérité, est toujours ancienne et toujours nouvelle ! "L'histoire de la médecine au 19e siècle dira le bien " qu'a fait votre journal {la Revue Médicale) par la force " de son opposition aussi généreuse que décente." (F. Bé- rard de Montpellier.) Il est certain que les plus rudes coups qu'aient reçus Yanatomisme, le physiohgisme, Vorganicisme et le thypho'i- disme, sont partis de vous. Mais, "si votre mission spéciale est de renouer la " chaîne des traditions et de rouvrir à la nouvelle géné- " ration médicale, les livres anciens qui lui étaient fer- »> mes par les dernières théories, cela ne vous empêche DÉDICACE. VII w point de suivre les évolutions de la science moderne, 144 d'apprécier tous ses travaux, et d'enregistrer ses pro- *' grès, en les coordonnant toujours avec les vérités pri- 44 mitives et traditionnelles, sans lesquelles il n'y a pas de 44 science digne de ce nom." En voilà plus qu'il n'en faut pour montrer, qu'en en- trant dans votre Ecole, on appartient plus que jamais à l'antique et véritable Ecole de Paris, traditionnelle et progressive tout ensemble. A l'heure qu'il est, le Vitalisme Hippocratique n'a plus d'adversaires sérieux. Dans l'avenir, sa formule pourra se modifier ; mais présentement, le mieux est de répéter avec vous : "Notre vitalisme, n'est ni le matérialisme, ni " l'animisme, c'est purement et simplement le vitalisme.'" Et quant à son origine païenne, si quelques scrupuleux cherchent à y trouver un motif de suspicion, toute hési- tation sérieuse doit cesser, après la déclaration suivante de votre part: "S'il m'était démontré par une autorité w compétente qu'une proposition quelconque de YHip- " pocratisme moderne est en opposition avec le dogme *4 catholique, je la supprimerais sans hésiter comme faus- " se et erronée, lors même que sa suppression devrait en- *4 traîner la ruine de la Doctrine toute entière." En effet, après une déclaration aussi franche et aussi peremptoire, il est permis, jusqu'à nouvel ordre, de ne voir que des fan- tômes, dans tous les vers rongeurs qu'on vous menace de mettre à découvert dans le sein de YHippocratisme mo- derne. Ces quelques mots étaient nécessaires pour faire com- prendre que, sous tous les rapports et sans restriction, je crois pouvoir me dire votre disciple. Maintenant, très-vénéré Maître, permettez-moi de faire VIII DÉDICACE. acte d'adhésion à votre Ecole, en venant vous prier d'ac- cepter l'hommage du travail que je publie. Ce qui m'en- courage à vous l'offrir, c'est assurément, qu'il a été l'ob- jet d'une distinction des plus flatteuses devant une compa- gnie savante ; mais ce qui me décide, c'est qu'il est la preuve incontestable de la faveur de plus en plus marquée qu'obtiennent chaque jour les idées pour lesquelles vous avez lutté si longtemps. En effet, tout entier inspiré par l'esprit de YHippocratisme moderne, mon mémoire a pour- tant été récompensé par une société évidemment dominée par l'influence éclectique, pour ne pas dire sensualiste. Recevez, très-vénéré Maître, l'assurance de ma haute considération et de mon affection profondément respectueuse. Ch. FAGET. Nouvelle-Orléans, 1er mai 1855. INTRODUCTION. . .. .Diminutœ sunt veritates afiliis hominum. (psaume xi.) La science médicale n'a peut-être jamais été soumise à une épreuve plus difficile que celle qu'elle subit de nos jours. On peut en effet douter si jamais il a existé entre les médecins une anarchie comparable à celle dont nous sommes témoins ; par suite de cette anarchie, le décou- ragement des esprits, l'indifférence pour les doctrines, les envahissements de l'empirisme, sont portés aux dernières extrémités. C'est là un aveu pénible, mais nécessaire. Depuis déjà longtemps, quelques intelligences d'élite avertissent des progrès du mal, mais on ne tient aucun compte de leurs avertissements. En 1848, Réveillé-Parise écrivait dans le Bulletin de Thérapeutique : "11 serait 44 aisé de prouver, qu'en général, il n'y a pas, dans la 44 science en faveur aujourd'hui, de fond véritablement 14 solide, il n'y a que des surfaces à l'infini;..... que la 44 science est demeurée stationnaire et même rétrograde 44 au point de vue dogmatique ; enfin que dans ce système 1 INTRODUCTION. 44 si vanté de la méthode expérimentale, se trouvent les " adorateurs prosternés de cette vieille déesse qu'on nom- " me Routine." Puis, voulant faire connaître quelle sorte d'intérêt les médecins d'aujourd'hui attachent aux systè- mes, il dit encore : "En définitive, on n'est entièrement ni 44 humoriste, ni solidiste, ni vitaliste, ni organicien, ni phy- " siologiste-broussaisien, ni contro-stimuliste ; mais on se 44 dit positif, expérimentaliste, c'est-à-dire empirique, et 44 surtout clientéliste, si l'on peut et autant qu'on peut." Et plus loin : "On dirait que la médecine n'est qu'un ca- " pital, dont la valeur se mesure par l'intérêt qu'il rap- 44 porte." Cette peinture n'est que trop vraie. Aussi notre époque, au dire du professeur Cayol, est l'âge d'or du charlatanisme. "Le public, ne comprenant rien à ce " qui se passe, mais souffrant cruellement des mauvais 44 succès de la médecine telle qu'on Va faite, se tourne " dans son désespoir, vers les homœopathes, les vendeurs 44 de remèdes secrets et les charlatans de tous les étages, 44 qui lui promettent du moins ce que la médecine à la 44 mode ne sait ni promettre ni donner."—(Pr. Cayol, 1852, dans sa brochure sur le Typhoïdisme.) La cause de ce fâcheux état de choses n'est point diffi- cile à trouver : Les vérités sont diminuées parmi nous ; il faut avoir le courage de l'avouer. La médecine étant déclarée science purement physique, on a cru que les re- cherches matérielles lui suffisaient, et que la haute culture de l'intelligence n'était plus nécessaire au médecin; de là les dédains du corps médical pour la philosophie ; de là sa décadence qui ne peut plus être un mystère pour per- sonne. L'Ecole officielle de Paris, la grande coupable peut- être en tout ceci, a dû cruellement souffrir devant l'Aca- INTRODUCTION. XI demie de Médecine, au commencement de cette année, quand l'un de ses représentants, véritable enfant-terrible, «st venu y exposer les bizarres excentricités de ses pré- tentions doctrinales, qui ne sont après tout que les exagé- rations de Yorganicisme tant vanté. Afin qu'on n'imagine pas que je vais trop loin, j'em- prunterai à la Gazette Médicale de Paris quelques lignes de son cahier du 3 mars de cette année, dans lequel elle rend compte des séances de l'Académie, consacrées à l'ex- hibition des idées de M. Piorry. '4II y a, dans l'éducation scientifique de notre Ecole 44 médicale de Paris, une lacune regrettable. Sous le 44 prétexte du danger, ou de la stérilité pratique des hypo- 44 thèses, des théories, de la spéculation, on y met un veto 44 sur l'exercice le plus légitime de la raison, sur le plus 44 noble droit de l'intelligence, celui de scruter les fonde- 44 ments de la connaissance ; on interdit à l'esprit de se " rendre compte à lui-même de ce qu'il fait, de ce qu'il " sait, et d'apprécier, par l'étude du mécanisme de ses 44 opération, la vraie valeur de son avoir. Tout cela, " c'est de la philosophie ! Or la philosophie, on nous l'a " dit sur les bancs, n'est qu'une espèce de casse-tête M curieux, à l'usage seulement de quelques cerveaux 44 éventés, incapables de toute occupation sérieuse, et hors " de mise dans les sévères investigations de la science- 44 Mais tout en reléguant ainsi la philosophie en général, 44 dans le monde des chimères, on ne laisse pas que d'en 44 faire dans toutes les sciences, et en médecine plus en- 44 core qu'ailleurs... M. Piorry lui-même, qui certainement 44 méprise profondément, comme il en a plus que per- 44 sonne le droit, les spéculations métaphysiques, n'a pas " laissé que d'aborder et de résoudre à sa façon, par sa XII INTRODUCTION. 4i nomenclature et sa classification pathologique, le plus 44 difficile des problèmes que puisse se proposer la philo- 44 sophie des sciences." Ce remarquable extrait est de M. Peisse. Le débat devant l'Académie, en l'honneur du com- promettant champion de l'Ecole officielle, a fini com- me il avait commencé, "par l'explosion d'un rire homé- "■ rique..... et pourtant, continue M. Peisse, la question 44 soulevée était en elle-même d'une grande importance. 44 Elle aurait pu offrir un tout autre genre d'intérêt que 44 celui d'une représentation dramatique, plus ou moins 44 hilarante." Pour excuser la grave Assemblée d'avoir ainsi perdu son sérieux, le journaliste assure que c'était un cas de force majeure. Enfin, le professeur Bouillaud est venu rendre à la discussion le caractère qui lui con- venait, et, chose inattendue, y apporter un esprit de conci- liation qui donne beaucoup à espérer. Le vitalisme, Yon- tologisme, ou plutôt Yontologie, ne sont plus des absur- dités et des rêveries!... Il existe des entités morbides, pour- vu qu'on les considère incarnées dans l'organisme!... C'est assurément là un retour qu'il fajit saluer comme un heu- reux présage. Si la philosophie, si les hypothèses, si les théories reviennent en honneur parmi les médecins, tout n'est pas perdu. Mais pour porter remède au mal, il faut en connaître toute l'étendue. Cherchons donc à nous assurer, jusqu'à quel point les connaissances philosophiques font défaut, même dans les cercles médicaux les plus élevés. Pour cela, il nous suffira de mettre en saillie quelques mots ca- ractéristiques prononcés dernièrement, et devant l'Aca- démie, et devant la Société de Médecine de Paris : Us sont l'expression du fanatisme aveugle de quelques esprits INTRODUCTION. XIII en faveur du microscope. Dans la discussion sur la va- leur des données microscopiques pour diagnostiquer le cancer, l'un des orateurs a établi une distinction entre le diagnostic pratique et le scientifique ; or, comme on le de- vine, aux yeux de cet orateur, on ne peut arriver au diag- nostic scientifique qu'avec un microscope.—Devant la Socié- té de Médecine de Paris, un autre médecin, chargé de ren- dre compte d'un ouvrage récent et très important, s'est exprimé ainsi : "L'art médical est vieux comme le mon- 44 de. L'application des sciences positives et pratiques à 44 la médecine commence avec le XIXe siècle...." Ce qui signifie dans la pensée de l'auteur que pour la méde- cine, non seulement l'art a précédé la science, mais qu'il n'y a eu pour elle un commencement de science qu'à par- tir de l'heureux moment, où la chimie, la physique, ont bien voulu prêter au médecin leurs instruments,... et sur- tout leurs microscopes, si nous devinons juste. On avait pourtant cru jusqu'ici que la science devait nécessairement précéder fart, puisque, comme l'a très bien dit Réveillé- Parise : "L'art n'est que l'action qui suit la lumière posée 44 devant lui par la science." Mais la jeune Ecole de Paris veut renverser, veut renouveler toutes les vérités,... apparemment vieillies ! Voilà pourtant où arrivent les intelligences qui se condamnent à dépenser toute leur ac- tivité dans le champ étroit d'un microscope, derrière quel- ques verres grossissants ; elles réussissent à s'imaginer que décidément un médecin ne fait de la science qu'au- tant qu'il manie plus ou moins adroitement des instru- ments de physique ! '•La génération médicale qui a précédé la nôtre, celle à laquelle appartenait Réveillé-Parise, travaillait dans des régions intellectuelles plus élevées ; elle s'était en grande XIV INTRODUCTION. partie laissé entraîner dans l'erreur broussaisienne, mai» elle en était revenue, et si elle reconnaissait, comme il le faut bien, l'importance des observations, elle osait procla- mer aussi la nécessité des inductions. Cependant, il est étonnant avec quelle timidité encore, en 1850, R.-Parise quelques années avant sa mort, proposait certaines géné- ralisations et classifications des faits : "Si c'est là une doctrine, disait-il, on conviendra du moins que c'est un dogmatisme expérimental, s'il en fut jamais, car il serait directement issu des faits, et des résul- tats, ce qui conduit nettement, forcément, aux applica- tions." Et quelques lignes plus bas : "Peut-être, fera-t- on cette objection : C'est une espèce de théorie, une sorte de méthode synthétique, et nous nous en soucions peu. Alors contentez-vous donc d'accumuler les faits, les ob- servations particulières." Réveillé.-Parise, qui ne pouvait pas se contenter de fatis particuliers, n'a cependant pas admis qu'on pût s'élever, en médecine, au-dessus d'un "certain ensemble de con- 44 naissances issues des faits, et que réunit un caractère 44 commun;" aussi, était-ce là pour lui la définition de la science, au moins de la science médicale. Fidèle à l'Ecole écossaise, fille de celle de Bacon, il ne croyait pas qu'on pût renoncer à la maxime fondamentale : Ob- servation, induction. Dès lors, en bon logicien, il ne vou- lait pas que les médecins prétendissent à plus qu'à des généralisations et des classifications ; seulement, les gé- néralisations ou résultats de l'expérience, il s'oubliait à les appeler des Principes, et les classifications, il deman- dait qu'on fût assez modeste pour croire qu'elles étaient le plus haut point où la science dût s'élever. A ses yeux, il n'y avait que les systématiques qui osassent établir conv INTRODUCTION. XV me fondement, un Principe absolu. "Plût à Dieu, que 14 cela fût possible ! disait-il." "La médecine aurait acquis 44 un summum de perfection qu'elle ne peut espérer.... Il n'y 14 a donc pas de critérium infaillible, universel, à espérer 14 dans notre science ; ce modèle tant désiré d'une doc- 14 trine où tous les faits sont dans la dépendance d'une loi 14 générale et concourant au même but, n'existe pas." Com- ment donc R.-Parise comprenait-il YHippocratisme? Je ne puis le dire. Ce qui est évident, d'après la citation pré- cédente, c'est qu'il n'avait pas réussi à voir clairement que YHippocratisme est pourtant cette Doctrine unique, où tous les faits sont dans la dépendance d'une loi générale, la loi vitale! Cependant, ses aspirations vers la vraie Doc- trine étaient, par moments, si fortes, qu'il lui échappait alors les aveux les plus précieux, en faveur de l'Hippocra- tisme, et évidemment en faveur de Yhippocratisme moderne. Par exemple, le passage suivant est très significatif: '4Ça et là, quelques esprits généreux, fatigués de cet 14 absurde et désolant quiétisme scientifique, craignant 44 d'ailleurs de glisser sur la pente facile et dangereuse 44 d'une pratique vulgaire et sans bases, font efort pour 14 remonter vers les hautes régions de la synthèse ; ils se 44 rapprochent des larges doctrines de YHippocratisme, in' 44 terprété d'après l'état actuel de nos connaissances ; mais 44 la foule écoute à peine, elle ne voit pas et ne suit pas la 44 lumière qu'on lui présente ; elle s'en tient à des pré- 14 ceptes communs et insignifiants, à des faits particuliers, 44 isolés, d'où résulte une complète incohérence dans tout 44 ce qui tient à la science, vue dans ses parties inté- " grantes." C'est la faute du sensualisme, s'il en est ainsi, et c'est évidemment, parce que R.-Parise lui-même ne voulait pas XVI INTRODUCTION. sortir de la route analytique et inductive, qu'il a dû se contenter de ses aspirations vers la vraie Doctrine. Cet homme de science distingué, représentait de son vivant l'opinion de l'immense majorité des médecins instruits de notre époque ; c'est pourquoi il y a un grand intérêt à l'étudier, au point de vue de la Philosophie médicale. Malgré toutes les dénégations possibles, c'est pourtant un fait historique incontestable, qu'il existe, depuis deux mille deux cents ans, une Doctrine médicale, où tous les faits sont dans la dépendance d'une Loi générale, ou plus exactement, d'un Principe, le Principe de la vie. "Le titre 44 de science, c'est-à-dire, '■'d'ensemble coordonné de véri- 44 tés, déduites les unes des autres, fut donné pour la pre- 44 mière fois à la médecine, dans l'ancienne Ecole dog- 44 matique, fondée quatre cents ans avant J.-C, par les 44 premiers successeurs d'Hippocrate, Thessalus, Dracon 44 et Polybe." (Sprengel.) Et certes il n'est pas besoin d'un grand effort d'esprit pour comprendre que le Prin- cipe fondamental de cette Doctrine ou science, (de l'E- cole dogmatique) étant la vie, il n'y a point défait en mé- decine qui puisse se soustraire à sa domination. En effet, Hippocrate, suivi par Y Ecole traditionnelle, mettant ain- si en présence d'un côté la f^ie, c'est-à-dire les forces de l'organisme, de l'autre les causes morbifiques, toute la pa- thologie consistait pour lui, dans l'étude de cette lutte de la force vitale contre les causes morbifiques. Dès lors il est évident que son cadre de la science médicale pou- vait recevoir tout ce qu'il est possible d'imaginer, en fait d'observations et d'inductions, dans le passé et dans l'avenir, sous tous les rapports, étiologiques, symptoma- tologiques, diagnostiques, thérapeutiques, cadavériques, etc., h'Unité la plus vaste et la plus entière, tel est donc INTRODUCTION. XV1I le caractère essentiel de cette admirable doctrine hippo- cratique. La nature médicatrice y étant posée en Princi- pe, son imitation y devient la Fin à laquelle doivent tendre ses disciples. On s'étonne d'autant plus de ne pas voir R.-Parise ar- river à une conversion complète, qu'il n'est jamais plus naturel, plus vrai, plus lui-même, que dans les mille en- droits de ses écrits où il s'identifie avec THippocratisme. Par exemple, dans le passage suivant, emprunté au por- trait qu'il a tracé de l'illustre Double, ne croirait-on pas entendre un Hippocratiste convaincu : t4Cette doctrine qui remonte -à Hippocrate, celle des 14 causes et des forces, paraissait à Double la seule con- 44 venable, la seule qui pût maintenir la science à une cer- 44 taine hauteur. Dans la médecine, comme dans les autres 44 sciences, tout sort de l'esprit, tout vit de l'esprit ; c'était 44 son point d'appui, son critérium inébranlable." C'était aussi celui du spirituel et si regrettable R.-Pa- rise ; il n'est pas permis d'en douter. Mais les préjugés qu'il avait puisés dans le Condillacisme, dès sa jeunesse peut-être, ne lui ont pas permis d'être complètement vita- liste et hippocratiste. Il faut, en effet, pour être vitaliste à la façon d'Hippocrate, être décidément spiritualiste. Quel paradoxe !.....diront quelques médecins. C'est au contraire la vérité la plus certaine ; pour oser la soutenir, il faut tout simplement la voir clairement, et pour la voir clairement, il suffit d'entendre le syllogisme suivant : Une Doctrine, une doctrine réelle, n'existe qu'autant qu'elle est fondée sur un Premier-Principe; or un Premier-Prin- cipe est une vérité intuitive, où les sens n'ont rien à voir, et le Premier-Principe de la Doctrine hippocratique, c'est la Vie', donc..... XVIII INTRODUCTION. Ne vouloir pas quitter la route inductive, c'est donc se mettre dans l'impossibilité d'arriver aux Bases de la science. Mais, d'un autre côté, la science médicale, s'il fallait s'en tenir à la spéculation pure, aurait des bornes bien étroites ; d'ailleurs elle ne serait d'aucune utilité. Par conséquent, s'il était important de prouver dans nos pro- légomènes, que Yabsence de doctrine où se meurt, où se dé- compose dans l'anarchie le corps médical, est due au re- fus de l'immense majorité des médecins de reconnaître la valeur réelle et le rôle de la méthode synthétique, il était nécessaire aussi d'y faire voir que c'est par la méthode analytique qu'on recueille, qu'on réunit les matériaux des- tinés à l'édification d'une science positive et pratique com- me est la médecine. L'étude des deux méthodes, synthé- tique et analytique, est donc nécessaire au médecin. Mais, cette étude, c'est de la philosophie! et l'on n'en veut pas. Voilà justement, comment il arrive que les vérités sont di- minuées parmi nous, et comment les intelligences médi- cales se matérialisent de plus en plus, au point de toucher déjà à la philosophie corpusculaire de Démocrite, si énergi- quement stigmatisée par le comte de Maistre, dans le passage suivant, qu'on ne saurait trop recommander aux méditations de la jeune école de Paris: 44C'est l'effort désespéré du matérialisme poussé à bout, 44 qui sentant que la matière lui échappe et n'explique li rien, se plonge dans les infiniment petits; cherchant 44 pour ainsi dire, la matière sans la matière, et toujours 14 content, au milieu même des absurdités, partout où il 44 né trouve pas l'intelligence." A la vérité, il n'y a point de digue qui puisse arrêter des savants éloignés de la lumière de la Révélation, et par conséquent il n'y a point d'absurdités où ne puisse INTRODUCTION. XIX conduire la philosophie séparée de la Religion. C'est assez indiquer la source du mal que nous déplorons tous, et c'est en même temps montrer dans l'alliance naturelle et fondamentale de la religion et de la science, l'unique remède à ce mal immense. Mais parler de révélation et de religion, c'est parler du Catholicisme, puisque sans une interprétation infaillible, et par conséquent divine, la révélation et la religion sont lettres mortes. Revenu au spiritualisme et par conséquent à l'ensei- gnement catholique qui en est la plus haute expression, le médecin ne peut manquer d'admirer la magnifique syn- thèse, ou Unité qui caractérise cet enseignement. Dès lors, rapprochant, autant qu'il est permis de le faire, ce qui est naturel de ce qui est sur-naturel, rapprochant ses convictions médicales de ses croyances religieuses, il y recherchera ce même et décisisif caractère d'unité, qui implique ceux de perpétuité et d'universalité. Si donc au milieu de la foule des systèmes, il distingue clairement, un ensemble de connaissances médicales, parfaitement liées, et faisant un corps de doctrine, qui se soit soutenu, toujours le même, toujours un, dans tous les temps et dans tous les lieux, autant qu'on peut l'espérer pour l'une de ces cfioses livrées aux disputes des hommes, comme est nécessairement la médecine, il reconnaîtra sans pouvoir se tromper, que c'est cet ensemble de connaissances, que c'est ce corps de doctrine qui est le vrai. Or, cet en- semble de connaissances médicales, rationnelles, déduites les unes des autres, puis réunies et fondues avec celles que l'observation, que l'expérience accumule chaque jour et indéfiniment, cet ensemble existe, et non seulement il ex- iste, mais il a été représenté, soutenu, défendu par les qua- tre grands génies médicaux qui ont seuls universellement XX INTRODUCTION. fait Ecole : Hippocrate et Galien, dans les temps anciens; Sydenham et Boerhaave, dans les temps modernes. La Doctrine Hippocratique, fondée sur le sens-commun, et transmise par la tradition, est, donc, autant qu'une doctrine naturelle peut l'être, la plus catholique qu'on puisse concevoir. Hors de son sein point de science vraie. Toute Doctrine nouvelle est donc nécessairement une héré- sie médicale. Le médecin catholique, rationaliste et traditionaliste, tout ensemble, une fois qu'il a saisi le lien de ses croyances religieuses et de ses convictions médicales, sent l'amour de son art croître en lui chaque jour ; il sait qu'il est dans la bonne voie, et il a confiance ; non seulement il peut profiter comme le progressiste, de ce qu'apporte de nou- veau le travail de tous les moments, mais de plus, il a besoin d'explorer le passé, et dans ce passé il trouve des trésors inépuisables; aussi, plus il étudie, plus il acquiert, et plus il veut étudier et acquérir encore; c'est alors qu'il arrive à connaître que les jouissances austères de la science sont les plus vraies et les plus profondes qu'on puisse goûter dans l'ordre naturel. Et s'il est profondé- ment chrétien, son intelligence s'élèvera, sa volonté se fortifiera, son cœur se dilatera de plus en plus et sans fin, car, a dit Malebranche : "L'esprit devient plus pur, plus 44 lumineux, plus fort et plus étendu, à proportion que 44 s'augmente l'union qu'il a avec Dieu, parce que c'est 44 elle qui fait toute sa perfection." QUESTION MISE AU CONCOURS EN 1851, Par la Société Médicale de Caen : '-'•Peut-on, dans l'état actuel de la science, établir les Ba- ses d'une Doctrine ou d'un Système général de Pathologie qui paraisse le plus convenable pour l'enseignement de la Médecine et la pratique de l'Art ? "Dans le cas de l'affirmative, établir cette Doctrine som- mairement en la fondant sur les Faits observés, et sur ce qu'ont offert d'incontestablement vrai les systèmes patholo- giques qui ont successivement prédominé dans la Science médicale." MÉMOIRE En Réponse à la Question précédente. PREMIERE PARTIE, Prolégomènes philosophiques. "Nihil est in lntellectu, quod priùs non " fuerit sub Sensu... nisiipse Intellectus." (Aristote et Leibnitz.) 11 n'y a rien dans l'Intelligence qui n'ait passé par les sens......si ce n'est l'In- telligence elle-même. "Peut-on dans l'état actuel de la Science, établir les Bases " d'une Doctrine ou d'un système général de Pathologie, " qui paraisse le plus convenable pour l'enseignement de «• la Médecine et la pratique de l'Art ?'.' Il nous paraît que la réponse à cette question doit être négative ou affirmative, selon la méthode philosophique à laquelle on donne la préférence. Or, deux méthodes ou deux routes pour arriver à la connaissance du Vrai s'offrent aux philosophes ; la nléthode analytique ou in- duttive, qui du particulier s'élève au général, et la métho- de synthétique ou déductive, qui du général descend ait particulier. Sans aucun doute, pour être complète, une science pra- tique comme la médecine, devra parcourir les deux rou- tes que nous venons de rappeler. Mais la question est d'en établir les Bases. — 2 — Pour en établir les bases, il ne peut pas être indiffèrent de débuter par l'une ou par l'autre route. Est-ce celle de Yanalyse qu'il faut suivre d'abord, ou celle de la syn thèse ? La Logique seule peut répondre à cette question. Ainsi, dès le début de notre travail, nous arrivons à cette vérité incontestable : qu'avant d'étudier la médeci- ne, et même toute autre science, (quand il s'agit surtout 4'établir des bases, c'est-à-dire de parvenir jusqu'aux pro- fondeurs des fondations de la science), il importe au plus haut degré de se faire précéder par les lumières de la phi- losophie. 11 est, en effet, pour les sciences comme pour toutes choses, une hiérarchie, qu'on ne méconnaît jamais impu- nément. Cette hiérarchie est-elle rejetée, renversée, le désordre s'empare des esprits et les pousse invincible- ment vers une sorte de chaos. On n'a qu'à bien régarder où nous allons en médecine; depuis qu'on veut mettre au-dessus de notre noble Scien- ce, et lui donner-pour supérieures et pour modèles la mi- néralogie, la botanique, la chimie, la physique,, la méca- nique, et l'on avouera que notre assertion n'est ni fausse, ni même exagérée. Or, autant la médecine est au-dessus des sciences que nous venons d'énumérer et qu'on nomme si justement accessoires, autant la philosophie est au-dessus de la mé- decine. Reconnaissons donc clairement que les études philoso- phiques doivent passer avant les études médicales, puis- qu'elles doivent les dominer, les éclairer. Ce sont elles en effet qui apprennent à connaître les deux routes entre lesquelles il faut choisir, quand on se livre à la recherche — 3 — de la vérité ; ce sont elles qui montrent à quel moment il faut prendre l'une, à quel moment il faut prendre l'autre- Selon que ces études philosophiques seront bien ou mal dirigées, elles feront bien ou mal discerner la route à suivre. Une étude préliminaire, toute philosophique, est donc ici nécessaire. Faisons-la rapidement. Quelque grand qu'ait été et que soit encore le nombre des Ecoles philosophiques, ces Ecoles se rangent sous deux bannières, celle du Spiritualisme et celle du Sen- sualisme. Nous verrons comment les spiritualistes doivent faire passer la synthèse avant l'analyse, et les sensualistes, l'a- nalyse avant la synthèse, quelques uns même rejeter la synthèse. Quant aux médecins, seion qu'ils reconnaissent l'une ou l'autre bannière philosophique, ils deviennent ou vita- * listes ou matérialistes. Mais avant d'aller plus loin, fixons bien le sens des ter- mes de la question qui a été posée. On demande d'éta- blir les Bases d'une doctrine ou d'un Système général de Pathologie. Or, pour qu'une doctrine soit générale, il est évident qu'il faut qu'elle embrasse l'ensemble complet des choses qui la composent ; il faut même, pour qu'elle soit vraie, que les diverses parties, les différents membres qui la con- stituent soient liés entre eux solidairement, pour faire un corps, un tout harmonique. Alors seulement, il y a sys- tème, système vrai, bien entendu. Donc pour un système général de Pathologie, ou pour une doctrine médicale vraie, (ces expressions doivent avoir — 4 — Ja même valeur), la condition sine quù non d'existence el de vie, c'est Y Unité. La science est à ce prix. Sans unité point de science médicale. Ces définitions, ou plutôt ces conditions acceptées, (et nous comprendrions difficilement qu'elles pussent ne l'ê- tre pas), nous arriverons sans peine à reconnaître que c'est à la synthèse et non point à l'analyse que la science» doit demander ses bases. La grande querelle des spiritualistes et des sensualistes, n'est à tout prendre qu'une querelle de hiérarchie. Les spiritualistes ne renient point les sens et les sensualistes encore bien moins Yesprit, auquel ils ont des prétentions certes égales à celles de leurs adversaires. Mais, les spi- ritualistes veulent que l'esprit domine les sens, les sen- sualistes que les sens passent avant l'esprit. Nïhilest in intellectu quod priùs nonfuerit sub sensu.....disent les sen- sualistes, mais en altérant la signification de ce fameux axiome de la scolastique... Nisi ipse intellectus, ont ajouté ïes spiritualistes, avec Leibnitz qui a ainsi rendu à l'axiome de l'école la signification qu'y attachait Aristote lui-même. Ces quelques mots résument tout le débat. Voyons de quel côté se trouve la vérité. La preuve que les sensualistes se trompent, quand ils prétendent que l'intelligence^ serait dans le dénûment de tout, si tout ne M venait par le canal des sens, c'est l'exis- tence incontestable des Premiers-Principes ou axiomes. En effet, qu'est-ce qu'un Premier-Principe oe* axiome ? C'est une vérité primordiale (princïpiffm--=co]âanSence- ment), c'est une vérité évidente par elle-même, c'est-à- dire au-dessus de toute démonstration ; à plus forte raison est-elle au-dessus de l'expérience et par conséquent com- plètement indépendante des sens. _ 5 — Une simple vue de l'esprit, mais une vue intuitive, un acte de l'intelligence, (intùs—légère), les lui révèlent. L'es- prit doit regarder, non pas au-dehors comme il fait avec les sens, mais au-dedans de lui, pour reconnaître l'exis- tence des axiomes ou premiers principes, ou idées géné- rales, qui le constituent, qui sont sa substance. Les sen- sualistes, et Condillac surtout, ont été forcés de fermer les yeux de leur intelligence, (c'est-à-dire de leur conscien- ce), à cette éclatante vérité, et de prodiguer les sophis- mes, quand ils ont voulu essayer de faire passer les pre- miers principes pour des rêveries creuses de philosophes. Ils ne pouvaient pas réussir, puisqu'il suffit d'en appeler au sens-commun, au hon-sens de chacun, pour assurer l'existence des premiers-principes. Qui pourrait nier, et qui a besoin de ses sens et de l'ex- périmentation pour savoir : * Qu'il n'y a point d'effet sans cause... Que le tout est plus grand que la partie etc. 44I1 est si pénible, dit Thomas Reid, de raisonner avec 44 ceux qui rejettent les premiers-principes, que les hom- 44 mes sages ont coutume de s'y refuser..... leur évidence 44 n'est point démonstrative, mais intuitive.....il faut seu- 44 lement les placer dans un jour convenable." lu'Intuition, ce regard intérieur de l'esprit, cette cons- cience de l'esprit, aussi sûre que celle du cœur, comme dit le comte de Maistre, voilà donc une première source de connaissances, bien précieuse pour lui. — Toutefois, les axiomes ou principes, connus par l'intuition, ne sont cer- tains que d'une certitude humaine et non point absolue. Cette certitude humaine des principes est pourtant suffi- sante, pour qu'ils servent de bases aux sciences naturel- les. C'est qu'en effet, l'intuition, cette première source - 6 _ élevée de nos connaissances, est certainement en commu- nication, avec la source des sources, la cause des causes, avec Dieu enfin, le lieu des esprits, suivant la magnifique expression de Mallebranche. On peut en quelque sorte confondre l'intuition avec Vinspiration, cette autre source privilégiée de l'intelligen- ce, dont le sensualisme doit logiquement nier l'existence ; ce qui est nier les plus beaux mouvemens des génies vrai- ment grands, qui furent tous vraiment religieux. Assurément, une lampe qui oscille dans une église, une pomme qui tombe d'un arbre, une goutte d'eau qui se dé-' tache d'un glaçon, ont pu être l'occasion d'idées sublimes. Mais, qui donc prétendrait faire là une part réelle à l'ob- servation et surtout à l'expérimentation! L'inspiration est donc une source bien véritable de connaissances pour l'homme, mais pour l'homme choisi, pour l'homme de génie. Cette source est encore fermée au sensualisme, car l'inspiration est un état tout intérieur, tout synthétique, tout religieux, où les sens n'ont aucun rôle, si ce n'est celui que nous venons de voir, ce- lui de laisser passer l'étincelle qui soudainement illumine, embrase l'esprit de l'homme inspiré. Qu'il y ait eu an- térieurement fermentation très grande des idées, travail de l'esprit, on ne peut le nier ; mais ce travail était resté étranger au monde extérieur. Loin de nous la^-pensée de vouloir le moins du monde diminuer la valeur des richesses inépuisables que nous acquérons par les sens. Notre but est seulement de cons- tater que voilà deux sources de connaissances, l'intuition et l'inspiration auxquelles le sensualisme pur, s'il est conséquent, doit renoncer. Arrivons enfin, aux sources qui lui appartiennent de — 7 — droit. A la rigueur il n'y en a qu'une. Mais on la tient généralement pour la plus importante ; c'est celle où le plus grand nombre vient puiser le plus abondamment et avec le plus de confiance, parce qu'en effet c'est celle qui est le plus complètement à la portée de la multitude : nous voulons parler des sens, qui nous mettent en rap- port avec le monde extérieur ou matériel. Nous conviendrons bien volontiers, que cette source des sens donne la certitude. "Néanmoins, la certitude que nous avons qu'ils ne nous 44 trompent pas, ne vient pas des sens, mais d'une ré- 44 flexion de l'esprit, par laquelle nous discernons quand ** nous devons croire et quand nous ne devons pas croire " les sens." {Logique de Port-Royal.) C'esUpar les sens que nous acquérons la connaissance des Faits. Mais qu'est-ce qu'un fait? Un fait est un simple phénomène sensible ou perceptible ; quelque chose de matériel encore et qui ne dépasse point la capacité de l'animal. Seulement l'animal ne peut pas s'élever au-des- sus du fait !... "parce que le sens ne connaît que Yindi- 44 vidu et que l'intelligence seule connaît Yuniversel." (St-Thomas.) ♦'L'animal donc verra le triangle, jamais la triangulité." (St-Thomas.) Le fait pour lui de toute nécessité reste particulier. 11 faut en effet spiritualiser le fait pour le féconder pour le généraliser et cette spiritualisation, cette généralisation du fait ou plutôt des faits, n'est possible que par une opé- ration de l'esprit... Or, l'animal en est privé. — Cet esprit, (Jntellectus, mens, animuset non pas anima), c'est l'ensem- ble de ces idées générales, innées, pré-existantes, de ces — 8 — principes enfin ou axiomes qui le constituent essentielle- ment, ou plutôt qui sont sa nourriture essentielle. Ce n'est que par l'intermédiaire de ces idées générales, pré-existantes à la sensation (pré-existantes au moins en germes), que le rapprochement, la comparaison des faits sont possibles et que ces faits peuvent être ainsi jugés, raisonnes, généralisés. C'est en, ce sens qu'Aristote a dit cette parole profonde, et qui d'abord paraît paradoxa- le : 44L'homme ne peut rien, apprendre, qu'en vertu de ce qu'il sait déjà." 44Dans les sciences naturelles mêmes, dit Joseph de. " Maistre, toute expérience concluante, n'est qu'une pro- 44 position, partie nécessaire d'un syllogisme interne ; au- 44 trement, elle ne conclurait pas, car l'homme ne pou- 14 vant rien mesurer sans une mesure antérieure, à la- 44 quelle il se rapporte, l'expérience même lui devient inu- 44 tile, s'il ne peut la rapporter à un principe antérieur qui 44 lui sert à juger la validité de l'expérience ; et ainsi en 44 remontant on arrivera nécessairement à un principe qui 14 enseigne et ne peut être enseigné, autrement il y aurait 14 progrès à l'infini, ce qui est absurde." Toricelli dit : "L'air est un corps cormne un autre 44 on le touche, on le respire... pourquoi ne serait-il pas 44 pesant comme les autres corps? "Voilà Yinduction ou Yanalogie, c'est-à-dire l'affirma- 44 lion de l'attribut, transporté d'un objet où il se trouve 44 incontestablement, à un autre où, il était en question ; 44 mais le syllogisme parfait était, dans la tête de Torri- k4 celli : Tout corps est pesant, or l'air est un corps, u donc..." Arrêtons-nous à cette induction ou analogie que nous yenons d'entendre définir. C'est la dernière source que — 9 — nous ayons à explorer. L'induction est le procédé de ceux des sensualistes qui ne peuvent pas se contenter des faits particuliers. Nous verrons bien que de droit, elle n'appartient réellement qu'aux spiritualistes. Aristote Ta définie : 44Le sentier qui conduit du particulier au général." Il la connaissait donc parfaitement l'induction, et c'est par conséquent injustement qu'on en a fait gloire à Bacon de Verulam, ce grand usurpateur de renommée. Quoi qu'il en soit l'induction est encore une source de connaissances d'un très grand prix, particulièrement dans les sciences naturelles ou d'observation. Qui pourrait le nier ? Majs,ce qu'on doit nier, c'est qu'elle puisse rien élever au-dessus de simples généralités. Or, de simples géné- ralités demeureront éternellement conjectumles, proba- bles... et rien de plus. Leur probabilité pourra bien s'ap- procher indéfiniment de la certitude, mais jamais ne l'at- teindra. L'école sensualiste, sans doute pour montrer qu'elle ne sait pas se passer des faits, a composé l'expres- sion entièrement fausse de Fait-général, pour rendre l'idée de généralisation des faits, ou de généralité. Quoi- qu'on fasse, un fait, supposé bien, observé, sera toujours un fait, c'est-à-dire quelque chose de grossier, de brutal, comme on l'a dit, mais aussi quelque chose de certain, de toute la certitude des sens. Une généralité, au contraire, ce produit du travail de l'esprit sur les faits, ce quelque chose de spirituel déjà, ne pourra jamais dépasser le degré de la conjecture. Il n'est donc pas permis de confondre le fait, avec la généralité ou généralisation et ainsi on n'a pas le droit de nommer cette d er ni ère fait-général. — 10 — C'est aux généralités ou généralisations conjecturales qui se tirent de l'examen d'un nombre plus ou moins con- sidérable de faits, c'est aux explications de ces faits, c'est aux théories, aux hypothèses fondées sur ces faits, que peut s'adresser la méthode d'exclusion, (seule vraie métho- de Baconienne), mais jamais aux faits eux-mêmes, comme Bacon l'a prétendu. Un fait bien observé, e'est-à-dire accepté seulement après qu'on s'est assuré que les sens ont été bien interrogés et qu'ils n'ont pu être trompés, un pareil fait ne peut plus être détruit, exclu, par aucun autre fait, quelle que soit l'opposition qui puisse se montrer entre eux. On ne les rangera pas dans la même classe et voilà tout. En fin de compte, ce qu'il nous importe le plus de faire ressortir, c'est l'impossibilité de la méthode inductive, de conduire au*delà de la conjecture. Nous soutenons cette impossibilité sans réserve. Ainsi, l'induction, même au service de l'intelligence la plus puissante, même quand .cette intelligence disposerait d'une masse énorme de faits, et qu'elle userait admirablement de la méthode d'exclu- sion, l'induction, disons-noUs, ne peut rien élever au-dessus du probable. Pour franchir les bornes du probable, même sur la route inductive, il faut toucher à Yinspiration. Et alors seulement, au-dessus des généralités, on arrive à des Lois. Il nous paraît donc que c'est à tort qu'on appelle lois, des généralités auxquelles cqnduit quelquefois l'induction, appuyée sur un nombre de faits, plus ou moins considé- rable. 44Si, par exemple, on sait par un nombre suffisant d'au- »4 topsies, que passé l'âge de 15 ans, on ne trouve pas de >* tubercules ou de granulations grises demi-transparen- 11 " tes, dans un organe, sans qu'il y en ait et ordinairement 4' à un état plus avancé dans les poumons. (Louis.)" Nous disons que c'est là une généralité, une générali- sation très importante, qui peut avoir même une grande utilité pour le praticien, mais que ce n'est pas une loi. Pour que ce fût une loi véritable, il faudrait qu'il n'y eût pas même la possibilité, qu'un seul fait vînt la contredire. Or, quelle que soit notre confiance que M. Louis ne s'est élevé à cette généralisation, qu'en s'appuyant sur un nombre considérable d'autopsies, rien ne peut nous don- • ner la certitude qu'il n'arrivera pas, et peut-être à M. Louis lui-même, de trouver de la matière tuberculeuse. dans un organe quelconque autre que le poumon, sans en trouver dans le poumon, et cela au-dessus de quinze ans. Donc, le fait-général de M. Louis dans ce cas par- ticulier, n'est qu'une généralisation, et non point une loi. Il peut donner sans 'doute, de grandes probabilités ; ces probabilités même, s'approcheront de plus en plus de la certitude, à mesure qu'augmenteront en nombre, les faits. sur lesquels elles sont fondées, mais jamais elles ne tou- cheront à la certitude. Une loi véritable au contraire est certaine. Par exem- ple : "C'est une loi que tout corps plongé dans un fluide 44 perd de son poids, une quantité égale au poids du vo- 44 lume de ce fluide qu'il déplace!" Cette loi ne souffre point d'exception. Archimède l'a- t-il découverte, en faisant toutes sortes de pesées, à l'aide de flacons et de balances ?... Nous sommes loin de le croi- re, surtout quand nous nous rappelons Archimède s'élan- çant de son bain dans les rues de Syracuse, en criant à la foule étonnée : Je l'ai trouvé !... je l'ai trouvé ! Et Keppler, cet autre génie, le génie précurseur de — IL' — New ton, écoutons-le raconter comment il arrivait aux loi» qui ont immortalisé son nom : "Depuis huit mois, j'entrevois la lumière ; depuis trois " mois, j'aperçois le jour ; depuis quelques jours je con- 44 temple le plus admirable soleil..... Si vous voulez sa- 44 voir l'époque exacte, c'est le 8 mars 1618, que cette idée 44 m'est apparue.....je me livre à mon enthousiasme..." Pour nous, c'est notre conviction que la connaissance des lois, même du monde matériel, n'a jamais été acqui- se par Y expérimentation, ni par une" observation lente, écrite, pesée et comptée. Nous croyons qu'elle a été due toujours à des illumi-» nations subites du génie, soudainement éclairé par un pe- tit fait qui passe inaperçu devant l'homme ordinaire..... Ainsi, une lampe qui oscille, une goutte d'eau qui tombe!.. Toutefois, comme il y a des généralités qui s'approchent des lois, au point de se confondre avec elles, de même l'induction portée à une haute puissance touche à l'ins- piration. Sur les limites de certaines généralisations et de certaines lois, chacun est libre d'attribuer à l'induction ce que d'autres verront clairement appartenir à l'inspiration. Toute démonstration décisive est ici impossible. Mais, nous ferons remarquer de nouveau, que sans les données premières qui sont dues à l'intuition, l'induction même est impossible. Donc, à la rigueur le sensualiste pur doit se contenter de faits bruts, isolés, particuliers enfin. C'est où sont arrivés quelques médecins haut placés à l'Ecole et dans les hôpitaux de Paris. "La science en général se compose de faits particuliers bien constatés. (Piorry.) — 13 — 44La science, j'entends la vraie science, n'est que le résu 44 mé des faits particuliers." (Louis.) On voit que le professeur Piorry est encore plus ex clusivement seilsualiste que M. Louis, car, le résumé dvs faits particuliers, implique l'induction. Mais encore Une fois, le sensualisme, même aidé de l'in- duction (-à laquelle il n'a point de droits), ne peut toujours pas dépasser les bornes du conjectural, du probable ; nous l'avons démontré. 11 faut donc convenir que l'Ecole Ecossaise ou inducti- ve,quia eu tant d'affinités avec l'Eclectisme Français, ne peut pas conduire à une doctrine vraie, malgré, ou plutôt à cause de sa devise tant vantée, (observation, induction!) En effet, c'est déjà un travail très difficile, par la mé- thode analytique, de s'élever par le rapprochement des faits particuliers, à ces généralités conjecturales* qu'on a fausse- ment appelées faits-généraux. Cette ascension vers uti commencement de synthèse est réservée déjà à un très petit nombre d'esprits. L'Ecole Ecossaise le sait bien et l'a souvent dit. Mais, c'est un travail bien autrement ardu; • de rapprocher les généralités, pour composer avec un nombre plus ou moins grand de leurs groupes, ce que les sensualistes voudraient appeler Faits-Principes.....Ce tra- vail est tellement ardu, qu'il est impossible. Et pourtant; il ne peut pas encore être le dernief ; car enfin, il s'agit pour que la science existe, pour que la doctrine soit vraie,' de parvenir à ce Principe-final, ce principe des Faits- Principes, qui doit tout contenir dans sa vaste capacité. "Un principe, a dit le sensualiste Qucsnay, n'est poinf 44 une abstraction ; il n'est principe que patce qu'il est k :i résultat de l'expérience" -14 — Ce qui signifie qu'un principe, (principium—commen- cement), est ce à quoi on arrive à la fin. La contradiction étant jusque dans les termes, il n'y a pas lieu de discuter. Mais au moins, ne nous étonnons plus de l'inutilité des efforts de ceux qui travaillent dans la seule voie ananytique pour arriver aux bases de la science. Nous avons déjà compris que cette voie ne peut pas conduire aux bases d'une doctrine vraie. Les hommes qui ont eu l'ambition d'élever des sys- tèmes et qui ont cru devoir suivre la route analytique, tentaient donc l'absurde, puisqu'ils tentaient l'impossible. Tous, pour arriver à leur Principe-Final, en ont été ré- duits à torturer les faits. Et après avoir torturé les faits de toutes façons, ils ne sont jamais arrivés qu'à de pré- tendus principes, fort étroits, auxquels échappait néces- sairement l'immense majorité des faits. Brown, Rasori, Broussais en sont des exemples remarquables. Une ob- servation attentive, éclairée, honnête et sans passion, de- vra toujours suffire pour renverser de tels échaffaudages, sans bases réelles. Tout comme le simple bon-sens, suf- fira aussi éternellement, pour anéantir tout système qui prétendrait s'élever sur un rêve nuageux et non pas sur un principe véritable. La conclusion de tout ce qui précède est donc bien celle que nous avons annoncée dès le début : La métho- de analytique ne peut pas servir à établir les Bases d'une doctrine certaine. A la vérité, on objecte que cette méthode analytique partant de l'observation, c'est-à-dire des faits particuliers, peut à l'aide de l'induction, généraliser ces faits, et ainsi parvenir à un certain ensemble de connaissances, unies par un caractère commun. Mais, ces connaissances issues dea ._ 15 — r faits, et réunies sous un caractère commun, ne constitue ront jamais que des classes, et par conséquent ne seront pas la science dans son admirable unité. Car, il restera toujours à fondre ces classes dans d'autres classes plus larges, et celles-ci dans d'autres, plus larges encore, pour s'approcher enfin de cette unité, sans laquelle il n'y a point de science. De plus, ces classes seront toujours très variables, soumises sans fin à l'observation subsé- quente. Or, qui voudrait faire reposer la science sur de prétendues bases, toujours chancelantes, toujours suscep- tibles d'être profondément modifiées, et en quelque sorte renouvelées d'époque en époque ! Ces généralités, ces classes toujours variables, mon- trent le point où est tronquée la Pyramide, squs la figure de laquelle Bacon a voulu représenter la science. "La science, dit-il, est une pyramide dont les faits par- 44 ticuliers forment la base." Qui ne voit clairement que des faits particuliers, mê- me parfaitement certains, ne peuvent être que des ma- tériaux destinés à entrer dans la construction de l'édi- fice de la science, et rien de plus ! Zimmermann avait donc très bien dit des faits, qu'ils sont la matière brute de la science. Qui ne voit clairement, qu'accumuler sans fin des faits particuliers, pour en constituer les bases d'une doctrine générale, c'est élever un monticule de sable, que soulè- vera, que déplacera, que dispersera le moindre souffle des passions et des préjugés! Qui ne sait que ces fameux faits particuliers, sont toit- jours les mêmes, pour tous les systèmes, même pour les plus opposés! — 16 Votre science fondée sur les faits particuliers, tournera donc incessamment à tout vent de doctrine. Voilà ce que la logique enseigne. Essayons de résu- mer rapidement cet enseignement de la logique. Le sensualiste, ne pouvant posséder rien que par les sens, s'il est sensualiste piir, ne doit connaître que des faits particuliers ; (d'ailleurs il ne peut y en avoir d'autres). Mais, le sensualiste pur est rare. La grande majorité des sensualistes, moins conséquente, après la sensation, veut bien faire intervenir l'esprit. C'est bien là une in- conséquence, car le spiritualiste démontre que cette inter- vention de l'esprit lie peut se faire que par l'intermédiaire de ces idées générales, pré-existantes au moins en germe, c'est-à-dire innées, qui précisément constituent l'esprit et en sont la nourriture essentielle. Or, le sensualiste n'a pas le droit d'y croire, à moins de renier son principe fondamental : nihil est in intellectu..... Mais, accordons que le sensualiste ait le droit et la pos- sibilité de comparer, déjuger les faits et de les généraliser, il n'aura toujours, en vertu de son principe même, qu'une seule foute à suivre, celle qui s'élève du particulier au général. Or, à mesure que l'esprit généralise les faits, il s'éloigne de la certitude, et à peine a-t-il composé par in- duction quelque chose qui peut s'approcher d'une géné- ralisation, qu'il est en plein dans la conjecture. Ainsi, Je sensualiste, même celui qui fait intervenir l'intelligence après les sens, ne pouvant quitter la voie analytique, ra- pidement arrive aux généralités probables, aux clas- sifications conjecturales, sans pouvoir aller plus loiri. Avant d'arriver là, souvent il s'est perdu dans les descrip- tions de plus en plus minutieuses, dans les infiniment petits! C'est la tendance inévitable de l'analyse. Donc. - 17 — ceux qui ne veulent que de la méthode analytique, ne peu- vent pas établir les bases d'une doctrine vraie. Que si les preuves logiques ne suffisent pas, voyons les médecins à Yœuvre, sur la route analytique. Nous aurons ainsi des preuves expérimentales. En d'autres termes : 44 Ecoutons maintenant l'expérience qui est pour ainsi i4 dire la démonstration de la démonstration, et qui met 44 la vérité dans tout l'éclat de l'évidence." (J. Maistre.) La chose nous est facile, car la route analytique est la seule où travaille l'école de Paris, depuis plus de cin- quante ans, qu'elle y a été amenée et comme enchaînée, par Condillac et Cabanis. Le premier, le plus illustre de ses maîtres dans cette voie, c'est Pinel. Le principal ouvrage de Pinel a pour titre : uNosographie Philosophique, ou la Méthode analytique 44 appliquée à la médecine." Certes, ce magnifique ouvrage est remarquable par ses descriptions et ses classifications. On y reconnaît le grand médecin, dévoué à l'Hippocra- tisme dans la pratique. Mais, scientifiquement, philoso- phiquement, doctrinalement, si l'on peut ainsi dire, à quoi est-il arrivé ? Après avoir proposé aux médecins, à l'exem- ple des botanistes et des minéralogistes, la science des signes, comme fondamentale, il est arrive à cette conclu- sion : 44 lo 11 y a plus de présomption que de lumière, et de 44 sagesse, à proposer le problème suivant : Une maladie 44 étant donnée, trouver le remède. "2o 11 faut se borner à cet autre problème : Une mala- 2 — 18 — 44 die étant donnée, déterminer le rang qu'elle doit occu- 44 per dans un tableau nosologique. Broussais renversa Pinel et régna despotiquement sur les esprits. Mais en définitive, il vit tomber rapidement son autori- té de chef d'école, et il lui fallut bientôt subir le vieux praticien dont parle Réveillé-Parise : "Ce vieux praticien, qui à la chute du système Brous- 44 saisien, très satisfait et plein d'enthousiasme, s'écria : 44 Tant mieux, il n'y aura plus de doctrines, ni bonnes, ni 44 mauvaises." Or, pour renverser le système de Broussais, l'observa- tion, l'expérience avaient suffi. Elles avaient montré que le prétendu principe, prôné comme résultat de l'expérien- ce, laissait échapper l'immense majorité des faits. Depuis Broussais, Yanatomisme encore, Yorganicisme surtout, avec leurs localisations, nous ont valu les défini- tions que noas avons citées : celle du professeur Piorry et celle de M. Louis. Nous pensons qu'on n'y trouve point l'expression d'une doctrine générale, encore moins le vœu d'un système pathologique. La définition de Réveillé-Parise ? "La science est un ensemble de connaissances issues 44 des faits et que réunit un caractère commun", est cer- tainement plus large, mais elle ne dépasse pas la réalisa- tion de simples classifications, à la manière des Natura- listes. Cette définition est donc encore trop étroite pour une doctrine vraiment générale. Enfin, pour bien voir à quel degré doctrinal ou scienti- fique est descendue, à l'heure qu'il est, l'Ecole de Paris, citons un de ses jeunes professeurs agrégés, qui doit bien connaître ses tendances ou positives ou négatives. Dans — 19 - un ouvrage tout récent, voici commeut s'exprime M. Ambroise Tardieu : t4Il n'y a plus et il n'y aura plus sans doute en médeci- 44 ne, de systèmes dogmatiques. Mais il y a et il y aura " toujours des principes... (lesquels?)... et une méthode 44 scientifique propre... (laquelle ?)... qui se manifesteront 44 par l'étude de jour en jour plus complète des faits parti- 44 culiers et se résumeront en dernier lieu, dans la classi- 44 fication de plus en plus naturelle des maladies." En résumé donc : La nosographie à la place des sys- tèmes ; classer et point dogmatiser ; nosologie sans doc- trine. Voilà conséquemment un livre qui non seulement pour Y état actuel de la science, répond négativement à la question posée par l'Académie de Caen, maisçwz en- gage même l'avenir dans sa négation. Nous croyons que ce livre est l'expression exacte de Yabsence de doctrine, qui caractérise de nos jours l'Ecole de Paris. Pourtant, un de ses professeurs nouveaux, M. Requin, soutient qu'il faut s'élever au-dessus des généralités qui ne sont que probables, et il avoue que pour cela, une liheureu- 44 se inspiration de l'esprit de comparaison est nécessaire. 44 Que chaque observateur, ajoute-t-il, compte à part lui, 44 combien de fois il a observé tel événement, c'est fort 44 bien ; mais jusqu'à ce qu'un homme de génie ait décou- 41 vert les conditions absolues de la production de ce fait, 14 et tant qu'il y aura des restrictions plus ou moins consi- 44 dérables à la manifestation de ce fait, force sera de dire, 44 comme principe scientifique, que ce fait arrive quelque- 44 fois, souvent, ou presque toujours, bien qu'on ait voulu " bannir ces adverbes comme vagues." La Faculté de Montpellier, autrefois à la tête des éco- — •:■(> — les de médecine, depuis qu'elle est devenue analytique, inductive, baconienne, et éclectique, de synthétique qu'elle était, s'est affaiblie peu à peu. Son vieil esprit tradition- nel seul la soutient. On a pourtant cru qu'elle se mou- rait. Nous n'en croyons rien... surtout, s'il faut, comme il est juste, compter sur l'influence que doivent s'y con- quérir quelques unes de ses productions scientifiques ré- cente* On peut espérer que l'Ecole rfe Montpellier re- vient à la synthèse comme méthode fondamentale : "La 44 logique veut qu'on procède du tronc aux branches, " des branches aux rameaux." Cette phrase appartient à l'un de ses plus nouveaux professeurs, M. Jaumes. La Faculté de Strasbourg, fille chérie de celle de Paris, se repose satisfaite dans la Médecine des Symptômes. Ainsi, pour ceux qui ne veulent que de la méthode ^ma- lytique, il n'y a plus de doctrines..., ni bonnes, ni mau- vaises..., il n'y en a plus de possibles. Pourtant les esprits, en général, sont loin d'être satis- faits. Une réaction est imminente ; depuis longtemps provoquée, elle se fera ! Elle se fera, quand on aura per- du ses dernières illusions, touchant cette méthode analy- tique tant vantée, et qu'on s'obstine à préconiser, comme la seule que doivent suivre les médecins. Les dernières il- lusions qui régnent encore en faveur de l'analyse tiennent sans doute aux préjugés de l'instruction première, dont il est mal aisé de se défaire. Or, l'instruction première, ou universitaire, se ressent encore en France de la domina- tion du Condillacisme. Mais en vérité, si la Méthode analytique était la seule qui pût conduire à une Science médicale, digne par son Unité, de ce nom de Science, que lui aurait-il donc man- qué jusqu'à ce jour, pour ne s'être même pas approchée — 21 — du but ? Ni les matériaux, ni les instrumens, ni les intel- ligences distinguées ne lui ont fait défaut, à aucune épo- que dans le champ médical!... Et pourtant, on en est tou- jours à se demander, si les Bases, si les fondations de l'é- difice scientifique sont établies, si la, première pierre en est posée!!..... Que faut-il donc espérer encore ? Faut-il croire que quelque Intelligence divine va surgir pour venir féconder les richesses matérielles entassées chaque jour sur la voie analytique et jetées là, comme dans une sorte de chaos ? La Science encore dans les limbes, doit-elle se tenir perpétuellement dans l'attente de quelque Messie?... On le croirait, vraiment, à entendre les promesses phari- saïques de quelques uns de nos maîtres, promesses dont la réalisation, chaque jour reculée, est chaque jour rejetée dans un avenir inconnu, comme celles des faux Prophètes! Pour nous : lo La Logique nous a surabondamment démontré que la Méthode analytique ne peut pas établir les Bases de la Science ; 2o. Une Expérience de plus d'un demi-siècle, faite aux dépens de l'Eccle de Paris principalement, nous montre que quand on s'entête à ne vouloir que la méthode ana- lytique pour établir les Bases de la Science, oon-seule- ment on n'y réussit pas, mais encore qu'on ne fait que s'en éloigner de plus en plus, si bien qu'à là fin on ar- rive à nier même la possibilité de tout sytème dogmatique. Il est donc pour nous, tout-à-fait rationnel de renoncer à la méthode analytique, comme méthode fondamentale. Voyons maintenant, si la route opposée ne doit pas nous permettre d'arriver au but que nous poursuivons. Et d'Sbord, tout le monde convient qu'il n'y a que les — 22 — deux méthodes philosophiques que nous avons rappelées. Nous venons de démontrer que la méthode analytique ne peut pénétrer jusqu'aux bases de la science. Nous se- rions donc déjà en droit de conclure que c'est la méthode synthétique qui y -conduit. Assurons-nous-en, par une étude rapide de cette méthode. La méthode synthétique descend du général au parti- culier. Elle est essentiellement spiritualiste. Car, elle a pour point de départ, ces idées générales, toutes spirituel- les, où les sens n'ont rien à voir et qui sont les axiomes ou Premiers-Principes. La certitude des Premiers-Princi- pes atteint le plus haut degré où l'homme puisse préten- dre dans l'ordre naturel. Ils sont la Base du raisonne- ment et par conséquent de la Raison même. "Ainsi, dit le Père Lacordaire, les propositions qui se 14 démontrent, s'appuient sur des propositions qui ne se 14 démontrent pas. Donc, l'édifice de la Raison, est bâti " sur des fondements qui eux-mêmes n'ont point de fon- 44 dément. Mais, de ce que nous ne pouvons pas aller 44 jusqu'à ces fondemens des fondements de la Raison, 44 s'ensuit-il qu'ils n'existent pas ? nullement. L'homme 44 ne peut s'arrêter à Y axiome logique, il cherche Y axiome 14 substantiel, la lumière éternelle." C'est-à-dire que l'homme est forcé de reconnaître pour fondement de l'axiome logique, l'axiome substantiel qui est Dieu ! Ainsi l'axiome logique, sur lequel s'appuient toutes les opérations de l'esprit humain, va lui-même s'appuyer sur le sein de Dieu, le lieu des esprits ! Or, pour le spiritualiste, la base de toute science véri- table, c'est un axiome logique, ou Premier-Principe. — 23 — Donc, tandis que toute base analytique (composée de Faits particuliers, pourtant certains, pris isolément), nous est apparue comme un sable mouvant, toute base syn- thétique, ou spiritualiste, peut être justement comparée à un roc inébranlable. Et non seulement, toute base synthétique sera certaine et inébranlable, mais de plus elle sera nécessairement as- sez large, pour soutenir tout l'ensemble de la doctrine fondée sur elle, si générale, si perfectible, si susceptible de developpemens qu'on puisse la supposer. En effet, les connaissances qui composeront la doctrine ne feront que sortir du Principe fondamental, qui les contient toutes en germes. Nous définirons donc la Fraie Science ou vraie doctrine : Un ensemble de connaissances, déduites d'un Principe. La vraie science, la science pure, appartient donc uni- quement à l'Intelligence. La science pure est entière- ment certaine, exacte, nullement conjecturale. C'est, dit St-Jean-Damascène : *4La connaissance vraie de ce qui est." Son application, au contraire, ne peut jamais être com- plètement exacte ; elle ne peut être qu'approximative. Exemple : La définition mathématique de la Circonfé- rence appartient à la science pure ; son exécution appar- tient à l'application, à l'art. Or, sa définition est complè- tement exacte, son exécution ne peut être qu'approxima- tive. Mais l'homme a besoin de la science ici-bas, principa- lement pour les applications qui en découlent. Or, les applications qui découlent de la science, sont la science mise en action, sont Y art. Aussi, dit-on très justement, que la médecine, science éminemment pratique, est - 24 Yart de guérir. Guérir, est en effet le but suprême du médecin. Guérir suivant l'art, c'est guérir méthodique- ment, suivant des règles établies par la science. Ainsi, sans la science point d'art. La médecine doit donc être tout ensemble et une science et un art. La partie de la science qui établit les règles que l'art se charge d'appli- quer, constitue la théorie de la science. Mais, dès que l'homme arrive aux théories qui condui- sent aux applications, l'exactitude s'enfuit, et les probabi- lités seules lui restent- La médecine, entre toutes les sciences, est essentielle ment 'une science d'applications, une science positive. Elle est, par conséquent, une science pratique, un art conjectural. Le préjugé vulgaire semble ici en opposition avec nous. Qu'on y réfléchisse cependant, et l'on conviendra que rien n'est plus positif que les applications. Or, du moment où l'on touche aux applications, il n'y a plus rien d'absolu ; les à peu près, les conjectures deviennent seules possibles. C'est donc précisément par son côté positif ou matériel, que la Médecine touche au monde des à peu près et des conjectures. C'est aussi par ce côté qu'elle est forcée de reconnaître, qu'après avoir trouvé ses notions fondamen- tales et certaines, sur la voie synthétique, il lui est néces- saire d'entrer ensuite dans la voie analytique, où elle ne s'élèvera plus il est vrai, qu'à des probabilités. Ainsi, comme pour toutes les sciences, c'est à l'inte-lli- gence à établir les bases de la médecine; ce sera à elle encore d'en tracer le plan. Mais pour élever l'édifice, pour le continuer, il faudra bien que les sens interviennent que l'expérience se prononce. Nous voyons donc clairement que c'est à la synthèse à — 25 — poser les bases, même d'une science pratique, et que ces bases seront certaines et indestructibles; mais, nous voyons en même temps, que précisément parce que cette science est pratique? ce sera à l'analyse à en fournir les matériaux et à en poursuivre l'édification. Celui qui ne veut que de la méthode analytique res- semble à un architecte qui, amassant sans relâche des matériaux et qui, n'ayant point ou ne voulant point avoir de plan prémédité, arrêté à l'avance, les disposerait au hasard, tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, sans réus- sir jamais à élever un monument régulier et utile. Il fau- drait en effet renverser sans cesse un pareil monument. pour le recommencer ex imisfundamentis. Celui, au contraire, qui pour fonder une science prati- que, comme est la médecine, rejetterait les ressources four- nies par la méthode analytique, ressemblerait à cet autre architecte qui, se contentant de dessiner sans cesse des plans, qu'il combinerait à la vérité avec une exactitude mathématique, refuserait obstinément de se servir des matériaux indispensables pour élever un édifice quel- conque. Il est donc entendu que le spiritualiste vraiment philo- sophe et pratique, est celui qui soutient la suprématie de l'esprit sur les sens, qui soutient que le travail de l'esprit doit passer avant celui des sens, mais, qui loin de rejeter les secours des sens, les appelle à lui et les met à contri- butions autant qu'il est nécessaire. Car l'esprit de l'homme est faible. Une fois lancé dans les raisonnemens qui sont une nécessité de sa faiblesse même, il s'éloigne de plus en plus de la certitude; en sorte que bien vite, des conséquences tirées de Principes indémontrables ou évidens, ont besoin de démonstration: — 26 — Or, quand les conséquences qui découlent d'un Principe viennent toucher au monde matériel, leur démonstration doit se trouver dans l'observation et dans l'expérimenta- tion. Ainsi, nous reconnaissons aisément que pour la science médicale, l'analyse doit venir en aide à la synthèse. Seu- ment, il reste toujours démontré que c'est à l'intelligence, guidée par la méthode synthétique, à établir les bases de toute doctrine générale ; que c'est à l'intelligence encore, à formuler les connaissances radicales de la science, les- quelles ne sont q"ue les premières conséquences du Prin- cipe fondamental. Mais, nous en convenons, déjà l'ob- servation doit venir vérifier, confirmer l'exactitude, même de ces premières conséquences. Nous définirons donc toute science pratique et en par- ticulier la médecine : Un ensemble de connaissances déduites d'un Principe, et confirmées par l'observation. Afin de tâcher de satisfaire à la question proposée, nous essaierons d'établir et la science qui enseigne, et l'art qui applique ". Studio Doctor, experientia medicus. Pour résumer en quelques mots toute la discussion qui précède nous dirons : Vouloir des faits, et par les faits, s'élever aux Principes, supposés inconnus, c'est vouloir l'impossible. L'étude des faits, leur fécondation par la seule induction, ne peu- vent pas conduire au-delà des généralités conjecturales. Pour s'élever à de vraies lois, l'Inspiration est déjà néces- saire. Enfin, les axiomes logiques, seules vraies bases des sciences, sont du domaine exclusif de l'intuition. Mais, les généralisations conjecturales doivent venir en quelque sorte au-devant des déductions qui découlent des Princi- — 27 — pes ou axiomes logiques, et rattacher aiisi le monde ma- tériel au monde spirituel. C'est de cette manière seule- ment, que les faits peuvent être liés aux Principes, et la Science pure devenir pratique et se compléter. ______________________________ i Les conclusions auxquelles nous sommes arrivés, en terminant l'étude de logique que nous /enons de faire, pourraient laisser croire que nous appartenons quelque peu à l'éclectisme. Expliquons-nous : Si par éclectis- me on entend un juste-milieu qui désire n'être point ex- clusif, qui prétend laisser à l'intelligence tme sage liberté, un choix ordonné, dans les choses où les contestations sont permises et même nécessaires, rien n'est plus légitime qu'un tel éclectisme. Mais, si par éclectisme (et c'est le sens ordinaire du mot), on entend le libre examen, sans aucun contrôle, sans autorité censurante d'aucune sorte, se manifestant par un dérèglement continuel des esprits, nous ne sommes plus éclectique du tout. Cet éclectisme-là laisse trop à l'es- prit humain toutes les franchises de ses allures, et ne peut réprimer aucun de ses écarts. L'individualisme en est la conséquence inévitable, à moins que Yautorité du maître, la plus étroite, la plus exi- geante des autorités, ne se fasse sentir. Un tel éclectis- me engendre l'esprit de secte, l'esprit de système, dans le mauvais sens de ce mot, et rien de plus. Voilà pourquoi nous n'en voulons pas. Quant à l'éclectisme modéré que nous venons de re- connaître comme bien légitime, il y a souvent lieu d'y re- courir. Or, il lui faut un critérium; c'est ce critérium de l'éclectisme médical qu'il s'agit maintenant d'établir. Entrons dans quelques explications. — 28 — Aux points de départ des deux routes que nous avons étudiées, nous a-ons reconnu qu'on possède la certitude; celle des Principes d'une part, celle des Faits de l'autre. Là, point de chdx à faire ; il faut accepter les Principes, il faut les croire; il faut aussi accepter les Faits et s'y sou- mettre, pourvu qu'on les ait vérifiés, ou qu'ils s'appuient sur des témoignages suffisans. On est ici en plein dans V Ordre de Foi. Mais, à mesure qu'on s'éloigne des deux points extrê- mes, en descendant de conséquences en conséquences d'un côté, en montant de généralisations en généralisa- tions de l'autre,la certitude diminue, on n'en retient plus qu'une fraction oujours décroissante; en sorte que, plus ou moins rapidement, on voit les deux chemins aboutir à ce champ sans limite, qu'on appelle le Champ des Conjec- tures. Or, ce champ est entièrement abandonné aux dis- putes des hommes; il appartient à Y Ordre de Conception. Ceux qui y travaillent ont absolument besoin d'un crité- rium pour y séparer l'ivraie du bon grain. Malgré qu'on en ait, il faut bien ici, démêler, choisir, faire enfin de Yéclec- tisme. Des difficultés de cet éclectisme lorsqu'on veut le pousser jusqu'aux choses fondamentales, naissent les sys- tèmes. Ce n'est pas nous qui déplorons la nécessité des systè- mes. Même les plus faux, ne laissent pas que d'avoir leur utilité ; et pourvu que leur application ne soit pas trop meurtrière, on doit se féliciter de leur apparition, qui est presque toujours suivie de quelque progrès dans la science. Ce sont les besoins extrêmes des systèmes exclusifs qui excitent le plus énergiquement les esprits séduits et en- traînés, qui les enflamment, les poussent au travail avec le plus d'ardeur, sans jamais leur laisser de repos.__(Les __ O!) __ enfants de ténèbres se sont toujours nontrés plus ai dents que les enfants de lumières.) Or, dans le champ des conjectures, les progrès sont toujours jossibles, ils sont indéfinis. Mais pour les obtenir, il est besoin de remuer ^e champ, deçà, delà, profondément. Sa fertilité est à ce prix. Aussi les époques de systèmes furnit toujours des époques d'avancement pour la médecin*. C'est en ce sens qu'on peut dire que les faux systèmes, ou hérésies médicales, sont utiles, sont même nécessaires. Du côté de la découverte des faits nou/eaux et de leur interprétation,du côté des hypothèses, de» théories, (ordre de conception), il n'y a pas de limites qu'on puisse assi- gner à l'activité des sens et de lintelligeice. C'est sur toutes ces choses que la dispute est inéviiable et indéfini- ment profitable à la science. Mais du côté des Bases de la Science, établies par le sens-commun, par l'intuition, il faut bien comprendre qu'il n'y a plus de changemens possibles Car, lorsque la science repose sur un véritable Premier-Principe, nous avons vu que c'est sur le sein de Dieu même qu'elle re- pose. Dès lors, comment concevoir qu'on veuille aller plus loin ! Non seulement le Progrès dans ce sens, est impossible, mais tout changement est impossible auss. Que penser donc de ces Progressistes qui s'imaginent que le progrès doit consister à renverser violemment et sans cesse l'édi- fice tout entier de la Science, jusque dans-ses fondemeïis, pour le relever sur des bases nouvelles!... Imtauratiofacien- du est, ex i m isfunda mentis ! Ce cri parti de Bacon, répé- té comme un écho, de génération en génération, répété encore parles progressistes de nos jours, est vraiment le cri de la folie «le l'orgueil humain ! — 30 — Est-ce qu'il n'est pas évident qu'avec des idées aussi subversives, on le fait que s'agiter au milieu des décom- bres et des ruinfsl Est-ce qu'il n'est pas évident, qu'au- milieu d'une agiation aussi désordonnée, tout progrès vé- ritable est impossible ! Sans aucun (bute, il y a toujours à voir des choses nou- velles, toujours i apprendre en médecine. Ce serait donc folie aussi, de lier pour elle le progrès. Mais le pro- grès, le vrai progrès, doit consister à ajouter et non pas à retrancher seulement, à perfectionner et non pas à dé- truire sans cesse» L'histoire de ns-commun, c'est — 42 — une croyance universelle, que toutes les fois qu'un nomma est malade, il y a au-dedans de lui une Force qui lutte pour le rendre à la santé. Le vulgaire attribue vague- ment cette Force, à ce qu'il appelle plus vaguement en- core la nature. 11 n'importe ! Le sens-commun reconnaU la nature médicatrice. Ce ne seront pas apparemment des praticiens, qui viendront nier cette croyance univer- selle. — Car, nous le demanderions alors : Dans quelle partie du monde se trouvent donc ces médecins privilé- giés qui n'auraient jamais été dépouillés par le public, en faveur de la nature, du mérite de quelques cures, qu'ils croyaient en conscience, pouvoir attribuer à l'habileté de leurs soins ? Le vulgaire mis à part, la certitude de l'existence de la nature médicatrice, doit être si profondément enracinée dans l'esprit du philosophe, que rien ne puisse l'y détruire; et l'on peut soutenir qu'un tel homme, quand il parcour- rait les rues d'une ville décimée par une épidémie, quand il n'y rencontrerait que des cadavres, quand il n'assiste- rait partout qu'à des terminaisons funestes de la maladie régnante, on peut soutenir, disons-nous, qu'un tel homme, même dans ces conditions désolantes, ne sentirait pas même ébranlée sa conviction dans l'existence, d'une Force conservatrice au sein de tout être vivant! II recon- naîtrait que cette Force a été mille fois, dix mille fois, vaincue par le fléau ; mais, il se rappellerait qu'il a ce- pendant, au milieu des plus affreux désastres, mille fois, dix mille fois saisi des signes de lutte, et qu'ainsi la Force conservatrice n'a pas été vaincue sans combat. Assurément, nul n'a été plus excellemment observa- teur qu'Hippocrate. Mais, disons-aussi, que nul n'a été plus éminemment philosophe. Quand on avance sana — 43 — preuve aucune, et seulement par suite du préjugé en fa- veur de l'analyse, que ce n'est que par l'observation qu'Hippocrate a voulu être conduit, dans l'édification de la Science, on se trompe certainement. 11 est parvenu aux bases de la science, il les a en quelque sorte posées. Or, nous avons vu que par l'observation, c'est-à-dire par l'analyse, logiquement il est impossible d'arriver aux bases de la science. Nous avons, de plus, reconnu expérimen- talement, que la voie analytique éloigne de plus en plu» de ces mêmes bases et qu'elle finit par égarer et perdre dans les minuties ceux qui ne veulent point entrer du tout dans l'autre voie. Donc, c'est synthétiquement, qu'Hip- pocrate, intelligence vaste, profonde, certainement inspi- rée a posé les Bases de la Médecine. Et s'il était per- mis de rapprocher Hippocrate racontant ses Epidémies, de ce philosophe que nous promenions tout-à-l'heure dans les rues d'une ville dévastée par un fléau, pense-t- on que ce soient ces Epidémies d'Hippocrate, où il a vu la mortalité être de 25 sur 42 ! Pense-t-on que ce soit un pareil résultat, une pareille observation, qui lui aient don- né l'idée de la nature médicatrice, de la Force conserva- trice /... Qu'on nous pardonne les developpemens dans lesquels nous entrons sur ce premier point de notre travail ; c'est que ce point en s'élargissant peu-à-peu, va se montrer de plus en plus, comme la Base de Y Art de guérir. Il se ré- sume dans la Force conservatrice, ou Force vitale, que nous tenons au-dessus de toute démonstration, quant à son existence ; car pour son essence, il est certain qu'on en est réduit aux conjectures. Nous nous garderons donc pour l'établir, de nous en- gager dans une analyse qui prétendrait être démonstra- - 44 — *>ve; un tel essai ne ferait que nous éloigner du but qu* nous poursuivons. Voyez la plupart de nos contempo- rains, essentiellement analytiques, comme ils négligent, comme ils oublient plutôt la Force conservatrice... Voyez surtout, le cas à peu près nul qu'en fait Y Ecole anatomii que et hcalisatrice ! Il doit en être ainsi. CHAPITRE II DE LA FORCE CONSERVATRICE. Pour nous qui regardons la Force conservatrice qui rê-. side dans la nature, comme le fondement de la médecine, il nous importe au plus haut degré d'en calculer la valeur et la portée. A nos yeux, en effet, toute là médecine est là. En conséquence, nous commencerons par quel- ques considérations générales, philosophiques et physiolo- giques sur ce qu'on appelle la Vie et les Forces vitales.— Ce sera étudier la Force conservatrice dans ses élémens constitutifs, non pas, encore une fois, pour la démontrer, mais pour nous en former des idées claires et aussi préci- ses que possible, après l'avoir tournée et retournée sous tous les jours et dans tous les sens. § I. DE LA VIE ET DE LA FORCE VITALE. L'idée la plus vraie, la plus philosophique qu'on puisse se faire de là vie, c'est peut-être de se la représenter dans Y Union ou l'Unité, la mort étant dans la séparation ou la division. Ce n'est cependant point là l'idée large qu'on est convenu de se former de la vie. On est convenu sim- plement, pour tenter de la caractériser, d'établir deux clas- fees des êtres qui sont sur la terre. Dans l'une on met ceux auxquels on accorde la vie, dans l'autre ceux auxquels on la refuse. Il est certain qu'il existe des différences radicales, entre les êtres de ces deux classes. Voici quelques uns des caractères différentiels princi- paux, qu'on reconnaît aux co/ps qui ont la vie et à ceux qui ne l'ont point: lO CORPS VIVANTS. Les corps vivants naissent d'un germe, et par consé quent par génération. Naissant d'un germe, ils se compo sent au moment même où ils commencent d'être, de toutes les parties dont ils se composeront, aussi long temps qu'ils vivront. Leur accroissement ne sera qu'un simple développement, une évolution du germe. Toutes leurs parties existent dans le germe à Yétat latent, en puissance. Mais pour que la vie se manifeste dans un germe fécondé et parfaitement vivant, certaines condi tions extérieures sont nécessaires, et trois surtout : de la chaleur, de l'air et de l'humidité. C'est la nécessité de ces conditions, non pas pour l'existence, mais pour la ma uifestation de la vie, qui en impose aux matérialistes. L'accroissement des êtres vivants se fait par intus-sus ception, c'est-à-dire en vertu d'une force intérieure. Cette force intérieure préside à la conservation de leurs parties constituantes, qui en sont comme les ipstruments, et, qu'en effet, on appelle organes. Quels que soient dans un être vivant le nombre et la diversité des organes, ces organes sont tellement solidaires les uns des autres, qu'ils forment dans leur ensemble une Unité harmonique. Cette unité harmonique est d'autant plus entière, la solidarité rntre les organes est d'autant plus étroite, qu'on les étu^ — 46 — die dans un être vivant d'un degré plus élevé. C'est donc dans l'homme qu'elles atteignent leur plus haute puis- eance. Les corps vivants se développent ou s'accroissent pen- dant un temps, puis demeurent dans un état stationnaire, et enfin déclinent, en suivant des périodes plus ou moins régulières. Mais, qu'ils soient dans leur période d'ac- croissement, d'état ou de déclin, il se fait dans leurs profon- deurs un mouvement moléculaire incessant de décompo- sition et de recomposition, en union avec le milieu où ils vivent, et cela sans que leurs formes extérieures soient aucunement modifiées. La force conservatrice qui préside à tous ces mouve- mens intérieurs, oppose en même temps une résistance nécessaire aux agents de trouble et de destruction. C'est même là un des caractères fondamentaux qu'il nous im- porte le plus de remarquer dans les corps vivants. Enfin, comme usée ou plutôt dépensée, la force conser- vatrice laisse leurs élémens constituants se séparer : On dit alors, qu'ils meurent. La mort des êtres dont nous ve- nons d'esquisser en quelques- mots l'existence, leur fait des conditions nouvelles ou même opposées à celles dans lesquelles ils étaient. Leurs élémens matériels constitu- tifs sont dès-lors abandonnés à l'action, désormais nulle- ment empêchée, de Forces extérieures qui les font entrer dans des combinaisons d'un autre ordre. On voit alors ces élémens matériels organisés subir ce qu'on appelle la putréfaction. 20 CORPS NON-VIVANTS. Des forces extérieures (physiques, chimiques, etc.) sont celles qui agissent spécialement, ou à l'exclusion d'autres forces, sur les corps auxquels on refuse la vie. On ne - 47 — voit point ces corps non-vivants, naître d'un germe ; ou plutôt, ils ne naissent pas ; ici point de génération. Ils se forment de molécules qui viennent s'agréger les unes aux autres. Pour leur accroissement, d'autres molécules viennent encore s'ajouter extérieurement à celles qui les composaient déjà. Aussi l'on dit qu'ils s'accroissent par juxta-position. Leufs agrégats moléculaires plus ou moins informes ou réguliers, mais toujours semblables à la masse, ne peuvent jamais mériter le nom d'Organes. Leurs formes et leurs volumes sont variables à l'infini ; il ne s'y passe d'ailleurs, nul mouvement intestin de composition et de décomposition. Ce n'est que par leurs surfaces qu'ils font des échanges moléculaires avec les milieux où ils se trou- vent. Dans leurs changements de forme et de volume, en plus ou en moins, on n'observe pas d'ailleurs de période» régulières. C'est pourtant par des nuances insensibles qu'on passe des corps qui n'ont point la vie à ceux qui en jouissent. Ainsi, nous venons de dire que les corps non-vivants n'ont point de formes régulières et constantes, qu'il ne s'y passe point de mouvemens intérieurs, qu'ils ne sont soumis dans leur accroissement à aucune période, etc. Ce n'est pas sans restriction que nous parlons ainsi. En effet, ces corps non-vivants dans de certaines con- ditions, plus ou mofns faciles à produire, suivant en quel- que sorte certaines périodes, par suite de mouvemens in- testins, moléculaires, insaisissables, prennent de telles dis- positions, que leurs formes deviennent alors régulières, constantes, se reproduisant toujours les mêmes, avec une - 48 - régularité même mathématique. On dit alors qu'ils cru talliserû. La cristallisation est un commencement d'organisation. Le cristal, si régulier, si constant dans ses formes, peut se décomposer en mille autres plus petits, tous de la même forme géométrique, et ceux-ci, en mille autres encore, 'toujours semblables. En sorte, qu'il est permis^de s'y figurer une image de Y emboîtement des germes. Quoi qu'il en soit, Yorganisation constitue le caractère înatériel qui différencie le mieux les corps vivants, de ceux qui ne le sont pas. C'est au point, qu'on les nomme souvent corps organiques, par opposition aux autres, qu'on homme corps inorganiques. Quelques médecins, vivement frappés de l'importance de l'organisation pour les corps, et désireux de n'y rieri admettre d'immatériel, ont voulu attribuer à la simple agrégation des molécules faite d'une certaine façon, â leur contexture, à leur simple arrangement enfin, les phé- nomènes de la vie. C'est là une étrange prétention! Elle est pourtant le seul fondement du système qui s'est Intitulé : Organicisme. Voyons jusqu'à quel point ce fondement est imaginaire. Il est d'abord évident, et par conséquent universelle- ment admis, que le caractère essentiel de la matière, c'est Y inertie. Il est en effet impossible d'admettre la matière autrement qu'inerte. En d'autres termes : la matière par elle-même, n'est susceptible d'aucun*mouvement.—Tout mouvement dans la matière suppose donc qu'une Force lui est appliquée. En d'autres termes encore : à moins d'imaginer le chaos, on ne peut concevoir une seule mole r-ule matérielle, sinon soumise à une ou plusieurs forces - - ta — —Le repos même de la matière, n'est que l'équilibre des forces qui agissent sur elle. Si ces propositions sont rejetées, le bon-sens est pro- fondément outragé; et de plus les sciences mécaniques; physiques, etc, sont renversées du même coup. Si elles sont acceptées, (et il faut bien qu'elles le soient), un pro- digieux effort d'imagination devient nécessaire, pour s'ex- pliquer à soi-même, comment le simple arrangement de molécules matérielles, c'est-à-dire inertes, va suffire pour leur donner le mouvement et la vie ! Nous nous contente- rons d'en appeler ici au sens-commun. Le rôle de la matière est donc toujours passif. Elle sera souvent un instrument, même indispensable. Elle ne sera jamais par elle-même un agent. Sans aucun doute, il est impossible à l'homme, dans l'état actuel des choses, de connaître les forces dans leur essence. Il ne peut dire ve qu'elles sont; mais, il sait qu'elles sont. Sans aucurt doute, les forces ne tombent point sous les sens ; mais leurs effets tombent sous les sens. C'est assez pour nous obliger à en affirmer Yexistence. Quant à leur essence, il est permis de former sur elle des conjectures. Pour notre part, nous croyons que ces conjectures peuvent même, dans les sciences physiologiques, avoir plus de valeur, plus de portée que dans les sciences physiques, chimiques, etc; parce mie l'homme peut et doit d'autant mieux con- naître les choses, qu'elles se rapprochent de lui davantage. JH serait pourtant prudent, de nous en tenir à la cons- tatation certaine de l'existence de la force conserva- trice, dans tout être vivant, exprimée par la Loi vitale. C'est l'exemple très sage que nous donne le profes- seur Cayol. Mais, comment empêcher notre esprit de faire des conjectures, même sur les choses qu'il ne peut — 50 — espérer connaître d'une manière certaine et qu'il a cepen- dant une soif immense d'approfondir! On nous accorde- ra bien du reste, que les conjectures que l'on risque sur l'essence d'une chose, ne diminuent en rien la certitude de son existence, suffisamment établie d'ailleurs. Essayons donc quelques conjectures sur les Forces qui animent la matière. Sans aucun doute l'esprit, ou les esprits ont puissance sur la matière. Mais, cette puissance l'ont-ils immédiate- ment, sans intermédiaire, sans médium plasticumj Que Dieu ait pu vouloir que les choses fussent ainsi, personne n'en peut douter ; mais, l'a-t-il voulu ? S'il l'a voulu, il faut au moins reconnaître que la matière se subtilise à l'infini, au point de perdre ses caractères, avant d'être en rapport avec ce qui n'est plus matière. De plus, Dieu qui a tout fait avec nombre, a partout dans les choses fon- damentales, imposé le nombre Trois. Nous croyons donc que Dieu a créé trois substances : 1° la substance matériel- le, ou la matière, d'une manière abstraite ; 2° la substance immatérielle ou dynamique^ le médium plasticum de l'école; 3° la substance spirituelle, ou les esprits d'une manière générale. A défaut de raisons décisives, indiquons" quelques uns des motifs qui militent en faveur de la substance dynami- que, cette substance intermédiaire, qui n'étant ni matière, ni esprit, peut seule établir des fusions insensibles entre l'un et l'autre. Et d'abord, l'idée de son existence n'est nullement ab- surde ; elle ne répugne nullement au sens-commun, puis- qu'elle a été soutenue par de bien hautes intelligences : les Augustin, les J. de Maistre et tant d'autres, sans parler de Y antiquité, qui toute entière a toujours cru aux — 51 — Halures ptastiques. Des esprits trop fortement imbus de cartésianisme, peuvent seuls se révolter à cette pensée d'une substance, entre la matière et l'esprit. Quant aux intelligences étrangères aux études philosophiques et li- bres de tout enseignenient systématique, loin de repous- ser les considérations qui suivent, elles les acceptent au contraire sans la moindre répugnance : Si toute substance est ou matérielle, ou spirituelle, c'est vraiment un abîme qui sépare la matière de l'esprit. Or, dans la nature il n'y a point d'abîme. Ce mot n'est pas plus vrai que celui de hasard. Les anciens disaient : 44 la nature a^horreur du vide." Il est certain que le vide parfait n'existe pas. C'est au contraire, par des gradations insensibles, par des nuances insaisissables, que la nature nous conduit par- tout. Nous venons de voir qu'il y a impossibilité de tra- cer une ligne de démarcation tranchée, entre ce qui a vie, et ce qui n'a point vie. Prenons maintenant un corps so- lide quelconque, de la glace, par exemple : il nous sera aisé de la voir passer insensiblement, (comme tous les corps inorganiques, si nos moyens de transformation étaient assez puissants), par trois états : l'état solide, l'é- tat liquide, l'état gazeux. Ainsi, la glace passera à l'état liquide; de l'état liquide à l'état de vapeur; de l'état de vapeur, en quelque sorte, à celui de gaz. Ici encore, nous devons constater que c'est par des fusions insensi- bles que les corps passent d'un état à un autre ; ainsi, plu- sieurs avant d'être liquides deviennent mous, avant d'être gazeux deviennent vapeur. Et remarquons que plus un corps se subtilise, plus il s'éloigne de ce qu'on peut appe- ler l'état matériel, plus il acquiert de force, plus il devient puissant. Les gaz sont des moteurs (moteurs intermé* -50 — diaires, matériels, par conséquent moteurs instruments^ autrement puissants que les vapeurs. Aussi, beaucoup de gaz déjà échappent aux sens. Pendant combien de siècles, l'air atmosphérique, dans lequel nous baignons tout entiers, ne leur a-t-il pas écjiappé ? Enfin, les gaz même les plus légers, ne peuvent plus se soustraire à nos moyens de pondération, parce que l'homme a réussi à faire presque le vide ! Maintenant, au-dessus des gaz, ne sommes-nous pas amenés forcément à reconnaître l'existence d'autres flui- des, encore plus subtils, ceux-ci impondérables, incoerci- bles ? Qui les a vus ? n'est-ce point par leurs effets seuls qu'on les connaît et qu'il faut constater leur existence .' Une remarque est ici nécessaire : nous assistons bien au passage successif d'un corps inorganique par trois états distincts; un corps matériel peut bien s'élever jusqu'à l'état gazeux, mais jamais il ne pourra passer à l'état im- matériel; de même, la substance immatérielle ne pourra jamais devenir substance spirituelle. Mais revenons à la substance immatérielle ou dynami- que, qui nous paraît servir d'agent, entre l'esprit et la ma- tière. Les fluides impondérables, incoercibles, ne sem- blent-ils pas lui appartenir ? Existe-t-il mi fluide lumi- neux? Qu'est-ce que cet Ether aux vibrations duquel ont recours les physiciens de nos jours, pour expliquer les phénomènes lumineux ? Est-ce de la matière ? Et si ce n'est de la matière, est-ce de l'esprit ? Et le Calorique f Qu'est-ce que le Calorique ? Et le fluide électrique ou ma- gnétique, cet autre agent qui parcourt instantanément des distances prodigieuses, incroyables, effrayantes pour la pensée à laquelle un défi semble ici jeté, est-il matériel, ce merveilleux agent, devant lequel comme devant les- — 53 — prit, l'espace et le temps semblent s'effacer ?..... Et au- dessus de toutes ces substances déjà si subtiles, qui peut prouver qu'il n'en existe point à l'infini, de plus subtiles en- core, avant d'arriver à l'esprit qui délibère, qui juge avec conscience et liberté, à l'esprit qui peut vouloir et aimer ! Voyez les Cartésiens qui ne veulent point du médium- plasticum, et qui parlent sans cesse à"esprits-animaux i voyez-les s'embarrasser de plus en plus, quand ils essaient de parler de Yâme des bêtes. Voyez même le grand Bos- suet, à quelle fatigante dépense de subtilités il en est ré- duit, quand il s'efforce vainement de prouver que les ani- maux ne sont que des automates ! Mais laissons cette discussion ; elle ne nous intéresse que secondairement. Ce qui nous intéresse davantage, c'est d'être assurés qu'il faut admettre des Forces, agis- sant sur la matière et que ces forces ne sont pas maté' rielles. Nous disons maintenant, que par cela seul qu'il y a des différences fondamentales, entre les corps auxquels on re- fuse la vie et ceux qui en jouissent positivement, il faut qu'il y ait des différences fondamentales aussi, entre les forces qui président aux phénomènes des corps non- vivants, et celles qui président aux phénomènes des corps vivants. On est donc obligé, non seulement de les ad- mettre, ces forces, les unes comme les autres, mais de les séparer profondément, de les différencier, et par consé, quent de les étudier à part. Refuser des forces vitales- aux corps vivants! convenons qu'il faut terriblement violenter la conscience de l'intelligence, pour en arriver là ! Quant à nous, il nous serait plus facile d'accorder des forces vitales aux cristaux mêmes, que de les refuser aux corps organisés ! — 54 — Par bonheur, il y a dans la vérité aussi une force qui l'emporte à la longue sur tous les préjugés, et entraîne, bon gré mal gré, ceux qui veulent lui résister. C'est donc sans étonnement que nous trouvons dans les ouvrages des adversaires les plus obstinés du vitalisme, les aveux les plus expressifs en faveur des forces vitales. En voici quelques uns : Le chef lui-même de Yorganicisme, le professeur Ros- tan, consacre la 8ème de ses propositions fondamentales à "ces forces qui paraissent jouer un rôle si grand dans 44 les maladies et influencer à un tel point leur thérapeu- 44 tique". Que sont ces forces, si elles ne sont les forces, vitales ! Le professeur Bouillaud, autre adversaire ardent des forces vitales, dans sa philosophie médicale, s'exprime ain- si : "De ce qu'on tient un compte sérieux des conditions 44 mécaniques, physiques et chimiques de l'économie,... 44 (le professeur venait de dire que la médecine n'est que 44 la mécanique, la physique, et la chimie des corps 44 vivants! Quel compte sérieux!)... il ne s'en suit pas qu'on 44 doive négliger, ni qu'on néglige effectivement les condi- " tions vitales proprement dites. Et d'ailleurs, en méca- 44 nique, en physique, en chimie, néglige-t-on les condi- " tions dynamiques ?" Si elles ne sont des forces, que sont donc ces conditions vitales et ces conditions dynamiques? Avec des mots, il n'est pourtant pas permis de supprimer des choses! , Dans la nosographie médicale du même professeur, .voi- ci encore ce qu'on lit : "La médecine est la science des 44 maladies, c'est-à-dire des lésions survenues soit dans 44 les conditions matérielles, soit dans les conditions dyna- " miques, en d'autres termes, soit dans les organes, son — 55 — 44 dans \esfwces de notre économie." — Et en note : "Je " comprends sous ce mot de forces, et les forces que 44 Yorganisme vivant possède en commun avec tous les 44 autres corps de la nature, et les forces qui lui appar- 44 tiennent en propre." On voit que ce professeur a raison de se croire de Y école du progrès. Broussais avait été encore plus franchement favorable au vitalisme. Voici un remarquable passage des Annales Physiologiques de 1832 : "Il est une providence intérieure dans l'organisme, à 44 laquelle le médecin qui veut guérir doit s'en rapporter " dans les compositions, les décompositions, des fluides, 44 des solides. Cette Providence intérieure n'est autre " chose que les lois vitales, dont le secret nous échappe." Sans doute les secrets de la vie nous échappent ; sans doute la vie est entourée de mystères impénétrables ; il n'en faut pas moins admettre que les phénomènes vitaux dépendent de forces vitales. Appelez-les : Conditions vita- les, lois vitales, si vous le voulez ! Il n'y aura toujours, quant à leur existence, ni secret ni mystère ; l'acceptation de leur existence est une affaire de sens-commun. Bichat est celui des physiologistes qui a le plus appro- fondi l'étude des forces vitales, celui qui les a le mieux analysées. Il a sans doute eu ses raisons pour les nom- mer Propriétés vitales. Nous n'avons point à rechercher ces raisons ; mais, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que le mot Force semble déplaire à tous ceux qui sont sur la pente du matérialisme. Il est étonnant combien ils l'évitent avec soin. Peu importe. Ce qui est certain, c'est que Bichat attache à son mot propriété, l'i- dée de puissance et d'action. En voici la preuve : "Les 44 propriétés président aux phénomènes, elles sont le princi- 14 pe de tous les phénomènes... Quels que soient ceux d'as- 44 tronomie de mécanique, etc., il faut toujours en der- 44 nier résultat arriver par l'enchaînement des causes, 44 comme terme de vos recherches, à la gravité, à l'élas- 44 ticité, etc., De même les propriétés vitales sont constam- 44 ment le mobile premier auquel il faut remonter, quels 44 que soient les phénomènes respiratoires, circulatoires, 44 fébriles, que vous étudiez." (Anatomie Générale.) Dans le langage de Bichat, les mots propriétés vitales signifient donc forces vitales. Nous ne pouvons pas suivre le grand physiologiste dans ses magnifiques développements sur les forces vitales. Mais, nous devons en profiter, au moins sur les points es- sentiels, puisque ce sont ces forces vitales qui constituent la force conservatrice, premier fondement scientifique qu'il s'agit pour nous d'étudier. Quelques mots donc sur les forces ou propriétés vitales de Bichat ne seront pas ici dé- placés. Pe même que le passage des corps non-organisés aux corps organisés, se fait par des gradations insensibles, de même les forces qui agissent sur la matière brute se lient par des nuances insaisissables à celles qui agissent dans les corps vivants. La cohésion, l'attraction, la capillari- té, s'exercent certainement dans les premiers rudimens des végétaux qui touchent aux minéraux ; des phéno- mènes d'endosmose et d'exosmose s'y passent aussi à n'en pas douter ; mais déjà un certain mouvement et de cer- taines modifications des sucs nourriciers se découvrent dans leur trame qui commence à revêtir une apparence de tissu. Les forces qu'étudient les physiciens et les chi- mistes ne suffisent déjà plus, pour expliquer ces mouve- mens nourriciers de composition et de décomposition, ou - ol — plutôt d'assimilation et d'élimination. Bichat les explique avec sa sensibilité organique et sa contractilité organique insensible. "L'une est la faculté de sentir l'impression des fluides 44 avec lesquels les fibres végétales sont en contact, l'au- 44 tre est la faculté de réagir d'une manière insensible sur 44 ces fluides, pour en favoriser le cours." On voit ces deux forces se dessiner de plus en plus, à mesure qu'on s'élève sur l'échelle végétale. Elles rendent compte de l'absorption, de la circulation, de la respiration, etc., dans les plantes. M. A. de Humbolt a décrit, dans son Cosmos, plusieurs sortes de courants qui s'agitent dans les végétaux : 1° un courant de rotation; 2° un fourmillement vermiculaire; 3° un courant gyratoire des globules du cambium etc. "Qu'on ajoute, continue-t-il, à ces courants et à cette " agitation moléculaire, les phénomènes de l'endosmose, tf de la nutrition et de la croissance des végétaux, ainsi 44 que les courants formés par les gaz, et l'on, aura une 44 idée des forces qui agissent presque à notre insu,ndans 44 la vie en apparence si paisible des végétaux. Mais revenons à Bichat : "Si nous passons des végétaux aux animaux, dit-il, nous 44 voyons les derniers de ceux-ci, les zoophytes recevoir 44 dans un sac qui se vide et se remplit alternativement, 14 les aliments qui doivent les nourrir, commencer à join- 14 dre la contractilité organique sensible ou Yirritabïlité aux 44 propriétés précédentes, qu'ils partagent avec les végé- 44 taux ; commencer par conséquent à exécuter des fonc- 44 tions différentes, la digestion en particulier." La digestion devient en effet nécessaire chez l'animal rlont le premier caractère est le mouvement. La faculté — 58 — de se mouvoir, qui entraîne la possibilité de changer de place, exige des intervalles dans l'alimentation et par conséquent aussi la possibilité de faire provision d'ali- ments. De là cette nécessité de la digestion chez les animaux. Mais, leur caractère essentiel, c'est la faculté de sentir. Pour correspondre aux deux facultés caractéristiques de l'animalité, le mouvement et la sensibilité, Bichat a en- fin admis la contractilité animale et la sensibilité animale. Quelles que soient les critiques, dont les cinq propriétés vitales de Bichat ont été l'objet, ces propriétés vitales n'en sont pas moins ingénieuses pour expliquer les phéno- mènes d'absorption, de circulation, de respiration, d'assi- milation, d'exhalation, de digestion, de locomotion, de sen- sation, qu'on observe dans les végétaux et les animaux. Il nous semble même que les propriétés vitales de Bichat, cette belle création d'un vrai génie, l'une des gloires de la France, méritent plus de respect que ne leur en montrent plusieurs écrivains très ordinaires. 11 est certain que sans elles, on en est réduit aux exagérations les plus mons- trueuses, quand il faut torturer les forces physiques, chi- miques, etc., pour en obtenir ce qui est évidemment au- dessus de leur portée. Il est incontestable que l'électri- cité joue un grand rôle dans les machines vivantes ; il l'est également que les instruments de physique peuvent donner des preuves matérielles de cette intervention de l'électricité dans les phénomènes vivants. Mais, on aura beau imaginer et répandre des courants électriques dans toutes les directions au sein des êtres organisés, on n'ex- pliquera nullement ainsi leurs fonctions, et on ne les fera point vivre quelques secondes de plus, dès que les forces supérieures, 1 es forces vitales, les auront abandonnés. — 59 — Dire que tous les phénomènes de la vie peuvent s'expli- quer par l'électricité, c'est une exagération égale à celle qui compare les mouvemens d'un muscle au resserrement de l'argile et à la dilatation des métaux par le calorique. Non, quoi qu'on fasse, si l'on ne veut scandaliser le bon sens, on admettra des forces vitales. Encore une fois, les admettre, c'est dire qu'elles sont, ce n'est pas prétendre sa- voir ce qu'elles sont. Les physiciens, les chimistes, savent-ils ce que sont Yat- tràction, Y affinité ? etc. En vertu du principe de la multipli- cité des effets avec la simplicité des causes, ils tendent à réduire de plus en plus le nombre de leurs agents. Peut- être arriveront-ils à n'en plus avoir qu'un seul ! Rien de mieux. Mais, supposé qu'ils parviennent à cette unité d'agent, connaîtront-ils pour cela Yessence de cet agent ? Et en attendant, se montrent-ils bien avares d'hypothèses, de conjectures, sur tous les agents qu'ils appellent encore en aide à leurs explications ? on sait trop le contraire ! Pour l'explication des phénomènes lumineux ils ensei- gnaient naguère la théorie, l'hypothèse Newtonienne, celle de Yémission; les vibrations d'un certain Ether, l'oni remplacée ! Pour l'électricité, il y avait autrefois deux fluides, un positif et un négatif; peut-être ont-ils changé tout cela ! Déjà le magnétisme se confond avec l'électrici- té... Bientôt, sans doute, les phénomènes de lumière, de calorique, ne seront plus aussi que des phénomènes élec- triques ou magnétiques ! C'est à merveille ! mais, puisque les sciences dites exactes, et qu'on nous propose pour mo- dèles, prodiguent sans cesse les hypothèses, (tout en pro- testant de leur fidélité à la philosophie baconienne et newtonienne qui prétend n'en vouloir point), nous ne voyons pas de quel droit ces hypothèses seraient inter- — 00 — "dites aux médecins, libres assurément de reconnaître une toute autre philosophie que la philosophie anglaise. Au reste, nous ne réclamons pas tant en ce moment l'admis- sion si naturelle des hypothèses, comme droit de toute doc- trine, que l'admission nullement hypothétique des forces vitales, avec les'différences radicales et très évidentes qui les séparent des forces brutes. Une des différences les plus importantes entre ces for- ces, au point de vue médical et même pratique, c'est celle- ci : les forces brutes sont, pour ainsi dire, à la disposi- tion de l'homme ; les forces vitales lui échappent bien da- vantage. L'homme peut favoriser ou entraver le déve- loppement et le jeu des forces vitales ; il peut les diriger, et c'est tout. Jamais un corps vivant n'est sorti de ses mains ; jamais il n'en créera un seul. Au contraire, il crée en quelque sorte à volonté des corps bruts. 11 peut faire, voire même, de l'air, de l'eau..... Par bonheur pour- tant, il n'est pas condamné à en faire pour vivre ! Il ne fera jamais un grain de blé ! Par suite d'efforts prodigieux de son génie, il a réussi à animer la matière. Profitant de l'élasticité, il a construit des montres, et il mesure le temps ! Profitant de la force d'expansion de la vapeur, il a multiplié à l'infini la puissance qu'il empruntait naguère aux animaux, et il peut, pour ainsi dire, ne plus tenir compte de l'espace. Mais, s'il a pu produire artificielle- ment le mouvement, l'un des caractères de l'animalité, il est loin de pouvoir produire l'autre, la sensibilité. Même ce rudiment, cette ombre de sensibilité qu'on excite dans quelques végétaux, (la sensitive par exemple), est au-des- sus de sa puissance créatrice. C'est, du reste, en imitant le plus possible la nature vivante, que l'homme est arrivé aux choses étonnantes, — 61 — que nous venons de rappeler. Les chimistes nous font remarquer que dans les machines à vapeur ou locomoti- ves, espèces de dragons, ouvrages monstrueux mais pres- que vivants de la main de l'homme, il y a une sorte de respiration en rapport avec leur locomotion, et que les conditions chimiques de cette respiration sont presque celles de la respiration animale : dégagement de calori- que, dégagement d'acide carbonique, dégagement de va- peur d'eau. Ces rapprochemens que nous avons enten- du faire" au professeur Dumas, sont au moins ingénieux. D'un autre côté, n'est-ce pas en prenant pour modèles les yeux des animaux, qu'on a réussi à inventer les plus admirables instruments de l'optique ! Ne peut-on pas ajouter encore, que si jamais l'homme réussit à se diriger dans les airs, ce sera en étudiant le vol des oiseaux? Voici donc une vérité de premier ordre : En imitant la nature, en s'associant ses forces, en les tournant à son profit, l'homme multiplie à l'infini sa puissance. Com- bien cette vérité est précieuse pour le médecin qui sait la comprendre ! C'est Bacon, croyons-nous, qui a dit avec le goût qu'on lui connaît pour l'antithèse : "La nature est 44 une maîtresse, à laquelle on ne commande qu'en lui 44 obéissant." Baglivi est bien plus simple : "Si naturae' non obtempérât (medicus), natura?. non imperat." C'est la première pensée de ses œuvres. § IL DES LOIS DE LA NATURE. Après avoir jeté un coup-d'œil sur les corps qui vivent et sur ceux qui ne vivent pas, après avoir rapidement in- diqué quelques unes des forces par lesquelles le mouve- ment et la vie sont donnés à tous ces corps, disons quel- ques mots de la nature, ou plutôt de ses lois, au point de vue de la forci' conservatrice- — G2 — En tant que l'une des mille causes secondes, et dans l'ordre .des choses que les médecins ont à étudier, on pour- rait considérer la nature, comme la source commune des agents subalternes, préposés à l'exécution des lois que Dieu a imposées à ces choses. Mais ce serait là une sim- ple vue hypothétique à laquelle il ne faut pas s'arrêter. Mieux vaut répéter une des définitions généralement re- çues : La nature est l'ensemble des lois de V Univers. Il est de toute évidence que ces lois étaient, indispen- sables pour que Yordre et Yharmonie régnassent dans l'Univers. "Le Seigneur a réglé toutes choses, dit le roi Salomon, " au livre de la Sagesse, avec nombre, poids et mesure." Pour que la confusion et l'anarchie ne vinssent pas trou- bler son œuvre, Dieu a établi des divisions invariables et infranchisssables, (les espèces), mais progressivement gra- duées. Il a voulu cette hiérarchie qui se manifeste par- tout dans l'univers, en même temps qu'une étroite solida- rité; en sorte que chaque être eût une fin particulière à accomplir, mais en vue de la fin générale. Voyez pour les êtres que nous avons rapidement passés en revue, comme cette hiérarchie est sagement ménagée, et cette solidarité exactement observée : la matière brute en cristallisant re- vêt un commencement d'organisation ; l'organisation se développe à mesure qu'on monte l'échelle végétale ; enfin, elle déploie toutes ses richesses dans le règne animal, et de plus en plus à mesure qu'on approche de l'homme- Voilà pour la hiérarchie. D'un autre côté, c'est dans la matière brute, c'est dans l'air, dans l'eau, dans la terre, que le végétal puise sa nourriture ; c'est de plus, aux dé- pens des végétaux aussi que l'animal se nourrit ; enfin, l'homme met à contribution les trois règnes, et se trouva — 63 — avec eux dans une union intime. Voilà pour la solidan té. Elle est portée au point que le chimiste peut voir dans le règne minéral une sorte de laboratoire d'alimens, pour le règne végétal, et dans le règne végétal un autre labo- ratoire d'alimens pour le règne animal. Ainsi la matière, depuis son état brut jusqu'au corps de l'homme, forme une chaîne non interrompue, en passant par toutes sortes de transformations, au travers du règne végétal et du règne animal. Dans ces transforma- tions elle est successivement soumise à toutes ces for- ces diverses que nous n'avons pu qu'indiquer. Mais tan- dis que les forces brutes ne l'abandonnent jamais, elle n'est soumise aux forces vitales, au moins dans les indi- vidus, que pour un temps. C'est vraiment un étonnant mystère que ces métamorphoses de la matière, qui en font successivement un instrument de toutes nos fonctions vé- gétales et animales, depuis la simple absorption jusqu'aux sensations les plus délicates du système nerveux. El même la substance du cerveau ne fait-elle pas partie inté- grante de l'instrument de la pensée de l'homme ! § III DE LA FORCE VITALE DANS L'HOMME ET DANS LES ANIMAUX. Il nous tardait d'arriver à l'homme, le roi de la nature, le pontife de la création ! c'est lui que le médecin a mis- sion de conserver le plus longtemps possible sur eette terre, en allégeant du moins ses douleurs, du berceau à la tombe, car on ne peut l'en délivrer complètement. h'Instinct est le chaînon qui lie l'animal à l'homme. La Raison les sépare. 11 paraît que c'est dans l'éléphant que l'instinct s'élève à son apogée ; il y approche éton- amment de la raison, sans pouvoir la toucher. La déli — 04 — hition de l'homme par Aristote est donc vraie : "L'hom- me est un animal raisonnable." Toutefois, ce privilège de la raison, réservé à l'homme ici-bas, fait de lui un être si radicalement à part, qu'il est injuste, qu'il est injurieux même pour lui, de le confiner dans le règne animal ; il , dépasse ce règne de toute la tête ! La Raison, c'est-à- dire Y Intelligence, c'est-à-dire YEsprit, c'est-à-dire la Pensée ou la Parole (qui n'est que la pensée exprimée), voilà le caractère distinctif de l'homme. Les Hébreux ont donc admirablement défini l'homme: Une âme par- lante. Les anciens distinguaient avec soin ce caractère spiri- tuel de l'homme, du Principle sensible ou animal, qu'ils appelaient anima. St-Augustin a fort bien dit : Non enim unimalia vocarentur animalia, nisi ab anima. Pour le principe spirituel, ils avaient les expressions d'animus, d'intellectus, de mens, de spiritus, etc. (Immisit que Deus in hominem spiritum et animam—Joseph). (InteUigentiam in animo, animam conclusit in corpore—Cicérbn). Après avoir fait ces deux citations le comte de Maistre ajoute : "L'animal n'a reçu qu'une âme ; à nous furent donnés et l'âme et l'esprit." Un esprit animant un organisme (et cet organisme constituant Y animal le plus complet et le plus parfait qu'il y ait sur la terre), telle est peut-être l'idée la plus exacte qu'on puisse donner de l'homme. Suivant la foi catholi- que, l'union de l'esprit et du corps, n'est qu'interrompue par la mort, puisque à la résurrection de la chair, elle doit recommencer pour l'éternité. L'homme, en effet, n'est complet qu'autant qu'existe cette union de son corps et de son esprit. Il n'est ni un simple organisme vivant élevé jusqu'à Y animalité complète, ni un pur esprit ; il est — 65 — tout ensemble et un animal et un esprit, ne formant qu'un seul et même être. L'union de cet esprit avec Y animal-humain est, assu- rément, aussi étroite qu'elle est mystérieuse. L'étude de l'esprit de l'homme en lui-même est l'objet de la Psycho- logie. Nous ne pouvons qu'indiquer en passant cette étude, comme nous n'avons fait qu'indiquer aussi les étu- des chimiques, physiques, etc. Elles sont pourtant pour le médecin, les unes et. les autres, du plus haut intérêt. 11 est même évident que le médecin étranger à l'étude de l'esprit de l'homme, (qu'il est impossible de séparer de son cœur, siège des passions), n'est pas complètement méde- cin. En effet, si c'est par son esprit que l'homme est ert rapport avec le monde invisible, ce monde qui ne tombe pas sous les sens, et qu'on peut appeler sur-naturel ou mé- taphysique, c'est aussi par ce même esprit qu'il est en communication, à l'aide de sa machine vivante ou ani- male, avec le monde matériel ou des sens, ce monde infé- rieur qu'on appelle le monde extérieur. L'influence réci- proque de l'esprit sûr l'animal et de l'animal sur l'esprit, (c'est-à-dire dans le langage reçu, du moral sur le physi- que et du physique sur le moral), est en nous trop réelle, trop active, trop intime, pour que le médecin n'ait pas à l'étudier sans cesse. * Mais gardons-nous de tombev'dansYanimisme de Stahl- Comme on sait, Stahl prétendait expliquer les fonctions animales par l'action de l'âme raisonnable. Or, il est cer- tain, (quelle que soit la part dominante de cette âme dans notre vie animale même), qu'il n'est pas nécessaire de remonter jusqu'à elle, pour trouver le mobile immédiat de nos fonctions tant végétales qu'animales II faut s'arrêter comme mobile de ces fonctions, au principe sensible, (l'a- 5 — 66 — nima des anciens). C'est lui qui préside à l'action des organes, c'est-à-dire aux fonctions, (ces actes conserva- teurs de l'individu), depuis le moment de la concep- tion, jusqu'à celui où les molécules organiques abandon- nées aux forces brutes, vont enfin entrer en putréfac- tion. La contracture cadavérique nous paraît encore un acte vital. Il est bien entendu que nous concevons l'union du principe sensible (qui n'est point du tout une âme, dans le sens ordinaire du mot) avec Yârne rai- sonnable, l'âme unique de l'homme, aux mêmes condi- tions que les Cartésiens conçoivent l'union de ce qu'ils appellent vaguement le corps avec l'âme raisonnable. Cette âme raisonnable ou intellectuelle, dans notre hypo- thèse, n'en reste pas moins la forme du corps de l'homme, (forma), ou plutôt le fond essentiel de la personne hu- maine, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Nous ne voy- ons donc pas que notre hypothèse contredise le moins du monde la formule Thomiste ou scholastique : Una tan- tum est anima intellectiva quœ vegetativœ, sensitavœ et in- teUectivœ qfficiis fungitur. Seulement, les Cartésiens pen- sent que l'âme intellectuelle agit sans intermédiaire sur la matière du corps, tandis que nous croyons avec l'antiquité, qu'entre elle et cette matière, existe un Médium immaté- riel auquel appartient le principe sensible, sans faire du tout de ce principe une âme, pas même une âme de se- conde majesté. Comme on le voit, nous sommés donc au moins séduit, sinon entraîné, par l'opinion ancienne qui admet d'une ma- nière générale entre l'esprit et la matière l'existence d'une substance intermédiaire, immatérielle et non-spirituelle. Les Forces ou le Dynamisme nous semblent appartenir à cette substance. Nous ajouterons ici qu'il nous paraît qu'on -6Ï - peut admettre un triple Dynamisme correspondant aux trois règnes de la nature : 1° un Dynamisme brut ; 2° un Dynamisme végétal ; 3° un Dynamisme animal. Le pre- mier regarde les physiciens, les chimistes, etc. Les phy- siciens et les chimistes sont donc loin-d'étudier la ma- tière seulement. En effet, il leur faut observer une foule d'agents (qui se résument sans doute dans le Dynamis- me brut). Or, ces agents ne peuvent pas être matériels, puisque la matière est inerte et ainsi ne peut jamais être plus qu'un instrument. Les deux autres dynamismes re- gardent la physiologie tant végétale qu'animale et consti- tuent le dynamisme vilul ou la force vitale. La force vita- le s'exerce toute entière dans les animaux supérieurs, cônime dans l'homme ; mais dans l'homme cette force (ou principe sensible), éclairée et ennoblie par son union avec Y âme spirituelle, mérite une étude toute spéciale, qui n'appartient qu'au médecin. De même donc que le monde matériel est en quelque sorte condensé dans l'homme, de même toutes les forces de la nature ont en lui leur part d'action. C'est en ce sens que les anciens l'appelaient très justement micro-cosme, ou petit-monde, par opposition au grand, c'est-à-dire l'Univers, qu'ils appelaient Macro-cosme. L'homme, (l'homme pon- tife) placé entre l'Univers terrestre et Dieu, et créé à l'i- mage de Dieu, reconnaît donc encore en lui l'image de l'Univers aussi. Suivant qu'il porte ses regards en haut ou en bas, il contemple l'image de Dieu dans son esprit;1 celle de l'Univers matériel dans son corps. Le principe sensible qui est l'expression la plus élevée de la force vitale ou animale clans l'homme, se subtilise à l'infini pour devenir le lien de sa chair et de son esprit. Intelligentia seu ammus ; animas in anima, anima in cor- — 68 — * pore; telle était la.chaîne graduée qui, aux yeux des an- ciens, unissait l'âme et le corps. Ce même principe, coufondu intérieurement avec la chair, se personnifie en elle, au point de la rendre coupable, dans ses luttes contra l'esprit. En effet,-comment concevoir autrement les anj*- thêmes lancés contre la chair, supposée matérielle, c'est-à- dire inerte. "J'écoute, dit J. de Maistre, avec respect et 44 terreur toutes les menaces faites à la chair; mais je de- 44 mande ce que c'est." Il est temps de rentrer dans le cercle médical que nous aurions peut-être dû ne pas quitter : le monde psycho- logique et théologique nous entraînerait trop loin. Quoi qu'il en soit de tout ce qui précède, c'est la force vitale qui veille, sous la dépendance de l'âme intellec- tuelle, à l'accomplissement des fonctions végétales et ani- males dans l'homme ; dans les animaux, elle est en quel- que sorte l'âme, et même l'âme souveraine des mêmes fonctions. On peut donc la confondre avec l'âme des bêtes. Dans l'homme, comme chez les animaux, sa plus haute expression est l'instinct de conservation. Cet ins- tinct est bien plus fort chez l'animal que chez l'homme ; l'homme peut le mépriser, a^u point de se tuer lui-même!.... l'animal, jamais! C'est à l'intervention de l'esprit qu'est due la diminution de l'instinct, et en particulier de l'ins- tinct de conservation dans l'homme. Sans doute il faut à l'homme un moment d'égarement criminel pour se don- ner la mort. Mais s'il n'a pas le droit de se séparer vo- lontairement de son principe animal ou sensible, (lequel, après cette séparation, n'est plus capable d'animer l'orga- siisme), il doit travailler de façon à en être toujours ]tren !) Pour la fièvre typhoïde moderne, il est convenu que son siège anatomique se trouve dans les plaques de Peyer ; et quand on sait cela, on croit connaître la nature de la fiè- vre typhoïde! Si par exemple, après quelques jours seule- ment d'une fièvre violente, avec accidents cérébraux principalement, un jeune homme vient à mourir et qu'à — 199 — î'autopsie on ne trouve aucune lésion appréciable du cer- veau ou des méninges, sinon une congestion, mais qu'on trouve quelques plaques de Peyer, non pas ramollies, ou ulcérées, etc., mais seulement un peu saillantes, il ne sera pas douteux que ce jeune homme ne soit mort de fièvre typhoïde, c'est-à-dire que la lésion des plaques de Peyer, aura été sa maladie ! On n'aura aucun doute ni sur le siège, ni sur la nature de la maladie à laquelle ce jeune homme aura succombé ! Pour la fièvre jaune, nous citerons textuellement, parce que c'est un des exemples qui nous montrent le mieux où en est la médecine analytique, cultivée cependant par les esprits les plus sévères et les plus exacts, et cultivée cons- ciencieusement. 11 faut, absolument chercher le siège anatomique de la fièvre jaune, comme de toute autre fièvre, car c'est lui seul qui peut nous dire la nature de cette fièvre, si jamais on doit la connaître ! Or, tous les organes morts minutieu- sement explorés, on arrive à ce résultat : il n'y a que le foie qui ait été trouvé altéré dans tous les cadavres ; il est vrai même que cette altération n'a été que dans sacouleur, qui a été très variable : ainsi, "beurre-frais, ou paille, ou café 44 au lait, ou couleur jaune gomme-gutte, ou moutarde, 44 ou orange, ou olive." Donc : "l'altération de la couleur du foie ayant eu lieu 44 dans tous les cas et dans l'un d'eux ayant été la seule lé- 44 sion appréciable, elle doit être considérée par cela même " comme le caractère anatomique essentiel de la fièvre jaune. "Quelle est donc la nature de la fièvre jaune (de Gi- 44 braltar), et où en placer le siège? Si ce n'est, ni une 44 gastrite, ni une fièvre typhoïde, ni une hémorrhagie, 44 est-ce une maladie du foie?" — 200 — Dans l'état actuel de la science, il faut rester dans le doute. Sur la nature et le siège même de la fièvre jaune- soit! restons dans le doute ! mais s'il nous arrive d'avoir une fièvre jaune à soigner, comment faudra-t-il nous con- duire ? 44Puisque le foie est affecté dans tous les cas, peut-être 44 qu'une bonne partie de la thérapeutique devrait être di- 44 rigée contre l'altération du foie. Malheureusement, la 44 nature de cette altération nous est inconnue, et je ne 44 puis pas même proposer un remède, au moyen duquel on 44 pourrait espérer la combattre avec quelque succès. C'est 44 au temps et au hasard, saisis par le génie de l'observa- 44 tion, qu'il faut abandonner la découverte du remède dont 44 il s'agit." (Louis, Fièvre jaune de Gibraltar.) Tout cela est sans doute fort mesuré, fort prudent, fort sage, mais en attendant que le Temps et le Hasard, saisis par le génie de l'observation, aient découvert le remède de la fièvre jaune, comment traiterons-nous la fièvre jaune? Monsieur Louis ne pouvait se dispenser d'aborder cette question. Et comment la résout-il? par la médecine des symptômes, la seule qui soit possible aux analytiques, c'est- à-dire aux éclectiques et aux sceptiques, quand l'empirisme ne peut pas les servir. Monsieur Louis a donc donné les conseils de la médecine des symptômes ; c'étaient évidem- ment les plus sages, mais, malheureusement les seuls, qu'il pût donner, avec son excellent esprit et sa grande expé- rience, au service de la méthode descriptive, numérique, et inductive. Que s'il eût pu, dégagé de cette méthode, tenir compte de la réactionde l'organisme et de l'affection c'est-à-dire de la maladie véritable, non seulement il fût arrivé à des in- — 201 — dications thérapeutiques, fondées sur une Doctrine, sur un Système Dogmatique, mais son observation même eût été plus complète. Ainsi, pour les urines, par exemple, il les eût examinées, non seulement au point de vue de leur suppression ou de leur non-suppression, mais au point de vue de la crise. Nous en dirons autant pour les sueurs. De plus, son étude de la réaction de l'organisme, rapprochée de la considération des âges, des sexes, du climat, du pays, de la constitution médicale régnante etc., l'eût certainement amené à des indications thérapeutiques dignes d'une Vraie Doctrine, et non pas aux tâtonnements de la médecine des symptômes. A la vérité, les médecins de Paris n'ont pas souvent l'occasion d'aller visiter, même au loin, la fièvre jaune. Mais, pour les maladies, qu'ils observent tous les jours chez eux, pour la pneumonie, pour le rhumatisme, pour la fièvre typhoïde, leur observation si exacte les a-t-elle amenés à s'entendre? Pour l'affection, oui. Ils en décri- vent fort scrupuleusement les symptômes et ne peuvent pas manquer de s'accorder ; ils en établissent aussi le diagnostic anatomique avec une précision mathématique. Mais, pour le traitement ? Car enfin la science médicale a pour but définitif l'art de guérir ! Le traitement ? Pour les uns ce sera la saignée, soit locale, soit générale, soit large, soit petite, soit rare, soit coup sur coup ! etc. Pour les autres, l'émétique, l'émétique toujours ! pour d'autres, les purgatifs ! les purgatifs toujours ! Et ce qu'il y a de merveilleux et de désespérant, c'est que la statistique donne raison à tous ! en sorte que, l'un des médecins les plus distingués de Paris, Réveillé-Parise, dans des ar- ticles critiques fort spirituels a pu dire : "En médecine, 44 aujourd'hui, les opinions sont une mêlée, les idées un — 202 — " chaos, la pratique un tâtonnement perpétuel du méde- " cin sur le malade et la maladie." Les anciens, que quelques maîtres modernes nous con- seillent de ne plus lire, parce qu'ils faisaient peu ou point d'autopsies, et qu'ainsi leurs descriptions des maladies, dessinées à grands traits, ne sont point éclairées du flam- beau de l'anatomie pathologique, et sont par conséquent in- complètes, les anciens, disons-nous, ne négligeaient pas l'étude des causes, tant s'en faut, et bien moins encore celle de l'affection. Aussi, leurs tableaux des maladies res- teront éternellement des modèles. Mais il est vrai, c'est vers l'observation de la réaction de l'organisme qu'ils por- taient principalement leur attention, c'est l'ensemble des actes vitaux conservateurs, pendant l'état pathologique, qu'ils étudiaient avec le plus de soin. Et même, leurs études des causes et des symptômes, ne tendaient qu'à mieux éclairer l'observation des efforts conservateurs de la nature. La nature est le point de départ de leur étude synthétique dans leurs descriptions, comme son imitation est le but dont ils s'efforcent d'approcher le plus possible dans leur thérapeutique. On le voit donc, si l'unité de la science médicale et con- séquemment de l'Art de guérir, n'est point formulée dans leurs écrits, elle y existe en puissance. Tout y part du Principe Conservateur, et tout y ramène. § IV. DE L'HIPPOCRATISME MODERNE. La médecine hippocratique moderne s'est chargée de formuler l'unité de la science médicale. Elle a dû suivre la même marche synthétique que les anciens, et une fois de plus proclamer que "la philosophie des causes finales — 203 — 44 est la seule vraie, puisque seule elle peut permettre 44 aux sciences de se constituer." (Cayol). Elle a dû par- tir du Principe fondamental de la nature médicatrice, c'est- à-dire de la force vitale, ayant pour fin, la conservation des individus vivants, pendant un temps donné et suivant la loi vitale, loi primordiale de l'organisme, qui renferme le passé, le présent et l'avenir de la science médicale. Toutes ses-études tendent vers ce but unique. En sorte que pour elle, l'étiologie, la séméiotique, l'anatomie-patholo- gique, le diagnostic, le pronostic etc., doivent converger vers l'étude de l'organisme réagissant, en vertu de sa loi de conservation, contre toutes les causes de trouble et de destruction prématurée ; étude fondamentale, qui est, comme nous l'avons reconnu, toute la Pathologie. L'frippocratisme moderne a pour mission de montrer que les Bases de la médecine, posées par Hippocrate, ne peuvent pas être changées, et qu'elles sont assez larges et assez profondes, pour soutenir tout ce que les temps pré- sents et futurs pourront ajouter au monument séculaire de la science. Il doit donc pouvoir coordonner et faire entrer dans la médecine traditionnelle toutes les acquisi- tions modernes. Il lui faut cependant modifier les formes de son langage, avec les besoins des temps. Les formules fondamentales : "Morborum natura medicatrix ; medicus, 44 naturœ minister et interpres; répugnante natura, nihil 44 proficit medicina, etc." ne peuvent en aucune façon être modifiées ; il faut les conserver religieusement. De leur interprétation légitime il suit, comme nous l'a- vons déjà reconnu, que c'est à la réaction de l'organisme, que c'est à la série d'actes vitaux conservateurs qui se réveillent dès qu'une cause morbide agit contre l'organis- me, qu'il faut attacher l'importance fondamentale. Que — 20 i — si le besoin sensualiste et analytique des descriptions, con- damne les médecins à donner à l'affection le rôle capital, et même à ne voir qu'en elle seule toute la maladie, nous avons vu où l'on était entraîné irrésistiblement... à l'anar- chie ! au chaos ! Empruntons au professeur Cayol, le créateur de Yhip- pocratisme moderne, quelques passages qui définissent net- tement la valeur et la portée de cet hippocratisme et le montrent comme l'expression fidèle de l'état actuel de la doctrine traditionnelle. "L'hippocratisme moderne est la doctrine hippocratique 44 traditionnelle, rajeunie, en quelque sorte, par des for- 44 mules assez larges pour embrasser non seulement tout 44 le domaine de la médecine antique, mais encore tous 44 les faits anatomiques, physiques, chimiques, microsco- 44 piques, en un mot tout le travail, toutes les acquisitions 44 légitimes de la science moderne."....... "Réduire la 44 théorie médicale à la coordination logique" (nous vou- drions pouvoir dire des Principes fondamentaux et) "des 44 faits qui résultent de l'observation de l'homme vivant 44 et réagissant, c'est introduire dans la science médicale 44 un langage clair, précis et rigoureux ; c'est s'affranchir 44 enfin de cette nécessité déplorable de fonder toute la 44 science des maladies sur des mots qu'on n'a jamais pu 44 définir. Car, s'il y a une vérité dont tout le monde 44 convienne aujourd'hui, et qui soit avouée par toutes les 44 écoles médicales les plus opposées, c'est qu'après tant 44 de siècles d'études, de travaux et de découvertes, on 44 n'a jamais pu définir d'une manière philosophique et 44 pratique, ni la maladie en général, ni la fièvre, ni l'in- 44 flammation. "Ces trois définitions, sans lesquelles toute doctrine — 205 — 44 médicale est un édifice sans fondement, ont toujours 44 été impossibles, tant qu'on n'a pas séparé la maladie, 44 acte vital, des altérations et dégénérations organiques, 44 qui n'en sont que les résultats éventuels et les consé- 44 quences. "Lorsque Stoll disait, avec une haute raison, que la fiè- 44 vre est un effort de la vie pour repousser la mort, moli- 44 men vitœ conantis mortem depellere, ce grand médecin 44 était évidemment sur la voie des définitions vitalistes 44 qui manquaient encore à la science. 11 n'aurait eu be- 44 soin pour y arriver que de généraliser sa proposition 44 par une formule philosophique assez large pour embras- 44 ser toute la pathologie. "Mais le moment n'était pas encore venu, la science 44 n'était pas encore mûre pour ce changement, l'anatomie 44 pathologique était à peine née ; il lui fallait le temps de 44 grandir, de se développer, et de dire enfin son dernier 44 mot. Ce n'est que de nos jours qu'il a été possible de cir- 44 conscrire son domaine et de lui assigner sa véritable 44 place, à la suite des actes vitaux qui constituent les ma- 44 ladies. "C'est dans l'hippocratisme moderne qu'on trouve pour 44 la première fois la maladie en général, la fièvre et l'in- 44 flammation, considérées comme des actes essentielle- 44 ment vitaux et définies d'après ce caractère. 44 C'est là le point culminant et le principal mérite de 44 cette Doctrine." Nous avons déjà discuté la définition delà maladie; passons à celles de la fièvre et de l'inflammation. § V. DE LA FIÈVRE ET DE L'iNFLAMMATION. Deux grands actes vitaux pathologiques peuvent être — 20G — observés, (l'un ou l'autre, quelquefois l'un et l'autre)* dès que la réaction de l'organisme s'élève jusqu'à un cer-' tain degré : nous voulons parler de la fièvre et de l'inflam- mation. Ces deux grands actes vitaux pathologiques, ont dû singulièrement exercer les Pères de la médecine. Nous nous en tiendrons pour leur définition, aux forj mules du professeur Cayol, parce qu'il ne nous paraît pas qu'on puisse, dans l'état actuel de la science, en donner de meilleures; Voici ces formules : "Toute réaction pathologique est Une fonction accidentel- 44 le, qui a pour but ou tendance, d'assimiler ou d'éliminer 44 la chose qui nuit (le corps étranger le principe hétérogè- 44 ne, la cause morbifique), de réunir ce qui est accidentelle- 44 ment divisé, et de réparer tous les désordres, soit qu'ils 44 résultent de la présence du corps étranger, du principe 44 hétérogène ou des efforts mêmes, d'élimination et d'assi- 44 milation." 44 La réaction de l'organisme peut être générale ou lo- 44 cale. La réaction générale a pour agents le cœur et les 44 centres nerveux. La réaction locale s'exécute par les 44 nerfs et les vaisseaux de la partie affectée. " 44 L'intensité de la réaction soit générale, soit locale, 44 varie suivant une infinité de circonstances relatives à 44 la nature de la cause morbifique, aux dispositions indi- " viduelles, et aux influences extérieures. " 44 Lorsque la réaction est aiguë, c'est-à-dire vive * 44 prompte, énergique, accompagnée d'une exaltation de 44 la chaleur vitale et de la sensibilité, elle prend le nom de 44 fièvre ou d'inflanimation, suivant qu'elle est générale ou 44 locale. " 44 La fièvre est donc une réaction générale de l'orga- — 207 — tiisme avec augmentation de la chaleur vitale et de la sen- sibilité. " 44 L'inflammation est donc une réaction locale de 41 l'organisme avec augmentation de la chaleur vitale et 44 de la sensibilité. " 44 L'inflammation est donc une fièvre locale comme la 44 fièvre est une inflammation, générale. 44 Ces deux mots fièvre et inflammation, signifient donc 44 en dernière analyse la même chose : ils n'expriment 84 point le mode, ni la nature de la réaction ; mais seule- 64 ment sa mesure, son degré d'intensité. " 44 Toute réaction locale peut affecter consécutivement 44 le cotur et les centres nerveux : elle devient alors géné- 44 raie. Ainsi toute inflammation locale, soit externe, 44 soit interne, peut devenir cause de fièvre, avec d'autant 44 plus de facilité que cette inflammation est plus vive* 44 que la partie qui en est le siège est plus sensible, plus 44 irritable, et qu'elle a des sympathies plus actives avec 44 le cœur et les centres nerveux. Il y a donc des mala- 44 dies aiguës, ou fièvres primitivement locales, et qu'on 44 appelle dans le langage ordinaire de la pathologie./zè- 44 vres symptomatiques. " 44 La réaction aiguë de l'organisme ou fièvre est aussi 44 directement provoquée par diverses causes, qu'on peut 44 diviser en deux classes pour la clarté de l'exposition ; 44 mais sans attacher d'autre importance à cette division. 44 Les unes paraissent agir primitivement sur le solide 44 vivant : ce sont les affections morales, les commotions 44 physiques, les vicissitudes atmosphériques, et peut-être 44 encore certains miasmes, etc. Les autres paraissent 44 agir primitivement sur les liquides : ce sont toutes les 44 choses infectieuses ou délétères qui, pénétrant par les — 208 — 44 voies de l'absorbtion, à travers les tissus tégumentaires, 44 (la peau et les membranes muqueuses) circulent avec 44 le sang qu'elles vicient, et provoquent ainsi une réaction 44 anormale du cœur et des centres nerveux. Telles sont " les virus, les venins, les contages, les miasmes nosoco- 44 miaux, les exhalaisons putrides, les effluves paludéens ,4 et les causes inconnues de certaines épidémies. Il y a 44 donc des maladies aiguës ou fièvres primitivement 44 générales, c'est-à-dire des fièvres primitives ou essen- " tielles. " Nous avons confiance que ces formules resteront dans la science ; aussi ne nous permettrons-nous, à leur sujet, (jue quelques simples observations. Il nous semble d'abord que le fait de l'exaltation de la chaleur vitale est le fait capital, pour caractériser l'acte qui se nomme fièvre ou inflammation, suivant que la réac- tion de l'organisme est générale ou locale. Le nom même de fièvre, (en laùnfebris, defervor cha- leur, en grec puretos, qui vient de pur, feu) caractérise admirablement cet acte vital de la réaction de l'orga- nisme. Il est même impossible de ne pas reconnaître le lien que les Anciens établissaient, dans leur langage même, entre l'idée de fièvre et celle de purification. Rap- pelons-nous, en effet, qu'en grec, pur, signifie feu. Ce lien, établi dès la plus haute antiquité, entre l'état pyréti- que et la purification de l'organisme, a traversé sans se rompre les vraies traditions médicales ; sans exception, elles l'ont respecté. Or, " Toute réaction pathologique est une fonction qui 44 a pour but d'assimiler ou d'éliminer la chose qui nuit 44 (le corps étranger, le principe hétérogène, la cause mor- — 209 — 44 bifique), de réunir ce qui est. accidentellement divisé, et 44 de réparer tous les désordres, etc. " L'assimilation, l'élimination, la réparation de désordres quelconques dans l'organisme, exigent toujours une pré- paration, et une préparation avec développement de calo- rique, c'est-à-dire une purification préparatoire ; et c'est un fait qu'elles ne s'accomplissent jamais sans une réac- tion de l'organisme, caractérisée essentiellement par un degré plus ou moins marqué d'exaltation de la chaleur vitale, c'est-à-dire de fièvre ou d'inflammation. Pourtant, la réaction de l'organisme avec exaltation de la chaleur vitale ne peut se faire, même à un faible degré, sans exaltation aussi de la sensibilité, qui s'élève alors fa- cilement et rapidement au degré de douleur. Et si, pour- suivant toujours synthétiquement nos investigations, nous comprenons bien que, sur la voie synthétique, c'est tou- jours d'en haut qu'il faut recevoir la lumière, et que nous élevions nos esprits vers le monde moral, voici ce que nous lisons dans Joseph de Maistre : " Les souffrances 44 même immédiatement causées par les maladies, sont- " elles autre chose que l'effort delà vie qui se défend ! 44 Dans l'ordre sensible, comme dans l'ordre supérieur, la 44 loi est la même et aussi ancienne que le mal : Le remède 44 des désordres sera la douleur. " Ne nous étonnons donc pas de voir la douleur si inti- mement unie à la chaleur, dans l'acte de l'inflammation et de la fièvre. Cependant, il nous paraît toujours que l'ex- altation de la chaleur vitale est Y acte fonctionnel caractéris- tique, essentiel de la fièvre. Quant à la rougeur et à la tu- méfaction que l'antique définition de l'inflammation em- brassait comme nécessairement dans son expression, avec la chaleur et la douleur, elles ne sont nullement caractéris- 14 — 210 — tiques de l'inflammation : elles dépendent de Yafflux des liquides apportés et laissés dans la partie enflammée par les vaisseaux centrifuges et centripètes ; la rougeur est un caractère anatomique, une simple coloration qui peut beau- coup varier dans une partie enflammée ; la tuméfaction peut être dure, molle, etc., être même remplacée par un amincissement, par une ulcération, par une sorte de perte de substance, et cela par suite du travail inflammatoire. C'est donc essentiellement à l'exaltation de la chaleur que nous tenons dans l'acte inflammatoire, et surtout dans Y acte fébrile. Cela étant, et d'accord avec ce que nous ont montré les vues synlhétiques de notre partie anatomi- que, il nous semble qu'il suffit du cœur confondu avec le sang, pour organe ou instrument de la fièvre. « *§- VI. TROIS DIATHESES AIGUËS PRINCIPALES. La fièvre, d'après les données qui viennent d'être ex- posées, n'est qu'une effervescence da sang, avec dégage- ment de chaleur vitale. Or, l'organe essentiel du sang c'est le cœur, avec ses deux grands arbres vasculaires (artériel et veineux), accompagnés partout des ramifica- tions de l'arbre nerveux. D'aille'.irs, les mots fièvre et inflammation, comme le dit le professeur Cayol, n'expriment point le mode, ni la nature de la réaction. Mais nous avons vu le sang se modifier profondément en traversant les trois grands parenchymes principaux, celui de la tête, celui de la poitrine, et celui du ventre, lesquels constituent le trépied organique de l'homme. Suivant qu'il y aura prédominance de la part du cer- veau, du poumon ou du foie, la réaction de l'organisme, — 211 — l'effervescence du sang, la fièvre enfin, sera marquée par l'influence ou cérébrale ou pulmonaire, ou hépatique. C'est-à-dire que suivant la prédominance organique suivant le tempérament du fébricitant, ou d'autres circonstances encore, (toutes choses égales d'ailleurs), la fièvre prendra la forme nerveuse, la forme inflammatoire ou la forme bilieuse. 11 nous paraît donc que la diathèse étant défi- nie comme elle l'a été par le professeur Cayol, la diathèse exprimant le mode de la réaction, la nature de la fièvre, il y a lieu d'admettre une première grande catégorie de diathèses fondée sur le trépied organique, et composée des trois principales, (nerveuse, inflammatoire, bilieuse), sui- vant que le mode de la réaction de l'organisme est déter- miné par l'appareil nerveux, l'appareil pulmono-artériel ou l'appareil hépato-veineux. U va sans dire que ce n'est pas, à beaucoup près, seule- ment le tempérament du fébricitant qui décide le tempé- rament de la maladie ou de la fièvre ; l'âge, le sexe, la saison, le pays, etc., y ont une part et surtout la constitu- tion médicale. Ce n'est pas à dire non plus qu'il n'y ait point d'autres diathèses que les trois principales que nous venons d'indiquer. Les autres diathèses pourraient être classées, en prenant pour fondement de leur classification les membranes par exemple, les muqueuses, les séreuses, les synoviales, etc. Il y aurait donc des diathèses mu- queuses ou catarrhales, des diathèses séreuses ou rhuma- tismales, etc. L'âge, les saisons, les climats, la constitu- tion de l'air, comme les idio syncrasies, suivant les circon- stances, décideraient la manifestation de telle ou telle d'entre elles. Parvenus au point où nous en sommes, il nous semble que pour obtenir le plus de clarté possible dans l'exposi- — 212 — tion doctrinale que nous essayons, il convient d'établir quelques divisions. La première qui se présente est celle de la pathologie, en pathologie externe ou chirurgie et pathologie interne ou médecine proprement dite. CHAPITRE IL DE LA PATHOLOGIE EXTERNE OU CHIRURGIE. La chirurgie et la médecine sont certainement assez vastes pour que chacune, de son côté, et jusque dans ses subdivisions ultimes, puisse encore offrir des richesses im- menses à explorer ; nous concevons donc des spécialités très utiles, dans le sein de chacune d'elles. Mais nous l'avons dit : les spécialités ne sont bonnes qu'à condition que les hommes qui les cultivent soient en possession au moins des connaissances générales qui constituent les ba- ses de la science ; or, la possession de ces connaissances générales suppose une instruction générale aussi. Le vrai chirurgien est donc, de nécessité, un homme instruit ; il faut de plus qu'il soit médecin. Il a beau s'occuper particulièrement de lésions extérieures et ne disposer spé- cialement que de moyens extérieurs aussi, il a besoin sans cesse de savoir encore ce qui se passe intérieurement dans l'être vivant, il a besoin aussi, dans mille occasions, d'à- — 213 — voir la puissance de modifier intérieurement ce même être vivant. En d'autres termes, le chirurgien doit être et physiologiste et médecin. Ainsi l'entendait Hippocrate quand il posait son axiome fondamental : Morborum natu- ra medicatrix; et la collection de ses œuvres montre qu'en effet, dans sa pratique, il embrassait les deux branches de la pathologie, la médecine et la chirurgie. Dans les temps modernes cependant, la chirurgie a été séparée de la médecine, et à une époque, si profondément séparée, qu'elle s'en était allée se réfugier entre les mains des barbiers. C'est dans le siècle dernier seulement, qu'elle a été reprise en France par de vrais savants. Le collège des chirurgiens de Saint-Côme à Paris, mérita que le roi Louis XV pût dire avec finesse : Qu'on parlait, qu'on entendait même le latin à Saint-Côme. Bientôt, l'ancienne académie de chirurgie, sous la direction de Louis, jeta le plus grand éclat. § 1. BASE DE LA CHIRURGIE. Ce n'est qu'à la fin du xvme siècle, et c'est en Angle- terre, qu'a paru le livre qui a formulé avec la simplicité la plus positive, la Base de la chirurgie moderne hippocrati- que. Ce livre est de John Bell (Discourses on the nature and cure ofwounds,—1795). C'est de ce livre que Scarpa a dit : "Quel nuage se dissipa de devant mes yeux, lorsque 44 j'eus lu les mémoires de John Bell sur les plaies !" N'oublions pas cependant que c'est en France, deux cents ans plus tôt, qu'un homme admirable avait donné la for- mule religieuse et par conséquent la plus profondément philosophique de la vraie chirurgie : " Je le pansay, Dieu le guarit ! " — 211 — Le Principe hippocratique était donc, dès lors, de nou- veau posé comme fondement de la science chirurgicale. Peut-être est-ce aux méditations d'Ambroise Paré sur ce Principe, que nous devons la ligature des artères, cette in- vention qui certainement a dû le plus contribuer à lui mé- riter le titre de père de la chirurgie française ! Il est positif que l'homme qui médite sérieusement sur les ressources infinies de la nature, attache de moins en moins d'importance aux moyens artificiels, et surtout aux moyens artificiels violents, tels que les caustiques, les escharrotiques, le feu, etc. ; de plus en plus il doit donc s'appliquer à simplifier le secours et l'aide qu'il apporte à la puissance conservatrice. Or, quoi de plus simple que délier un vaisseau béant? Ce fut pourtant un trait de génie ! Et il fallut de longues années encore pour débar- rasser la pratique chirurgicale des cicatrisants, des mon- difiants, des sarcotiques, etc. Il faut même arriver à John Bell (1795), pour trouver nettement assise, dans les temps modernes, la base de la vraie chirurgie, de la chirurgie conservatrice. Voici le début de son livre ; il est digne de Baglivi, l'Hippocrate romain. "Lorsqu'un chirurgien moderne nous parle de mondifier " et de cicatriser une plaie récente, lorsqu'il indique le 41 moyen d'y faire naître des chairs grenues, vermeilles et " toujours de niveau avec les bords, il doniie la preuve la 14 plus manifeste de son ignorance sur les propriétés de 44 l'organisme. Peut-être se sert-il de ces expressions 44 sans en avoir apprécié la valeur, et seulement pour 44 s'accommoder aux formes du langage ordinaire ; mais 44 s'il a sérieusemenl une pareille idée de la puissance de " son art, il est fort à craindre que ses méthodes curati- — 215 — 44 ves, au lieu demondifier et de cicatriser, ne mettent plu- 44 tôt obstacle à toute consolidation régulière." "On a souvent dit, avec beaucoup de justesse, que 44 dans l'exercice de ses fonctions, le chirurgien n'était 44 que le ministre de la nature. En effet, encore plus que 44 le médecin, il est incapable d'exercer sur l'économie 44 une influence directe. 11 ne se rend utile qu'en surveil- 44 lant et maintenant en équilibre les fonctions vitales. Ce 44 sont ces dernières qui, dans le corps humain, reprodui- 44 sent les parties perdues et réunissent celles qui n'ont 44 été que divisées." "Si donc renonçant à tout vain étalage de mots insigni- 44 fiants, nous bornons notre emploi, dans le traitement 44 des plaies, à aider la force médicatrice, qui seule peut 44 les guérir, nos attributions se trouvent par là heureuse- 44 ment resserrées dans des limites fort étroites ; nous n'a- " vous qu'à fermer l'issue que livre au sang l'ouverture 44 des vaisseaux, et à mettre dans un contact immédiat 44 les lèvres de la solution de continuité. Le reste de la 44 guérison n'est pas l'ouvrage de l'art mais bien celui de la 44 nature." Donc : Je le pansay,Dieu le guarit ! "Je crains, " en énonçant une règle de conduite aussi simple, conti- " nue John Bell, qu'on ne pense que je veux parler seule- 44 ment des plaies les plus légères ou qui se présentent le 44 plus communément; tandis que mon intention est 44 d'embrasser, sous le même point de vue, les solutions 44 de continuité les plus grandes comme les plus petites, " et que je me propose d'établir une règle générale, appli- 44 cable à toutes, depuis celles qui résultent du retranche- 44 ment d'un membre ou de l'extirpation d'une tumeur 44 volumineuse, jusqu'à l'incision la plus superficielle, 44 n'intéressant que la peau des mains ou de la joue." — 21G — Puis il ajoute : "Aujourd'hui, si la médecine opératoire " a fait tant de progrès, n'est-ce pas parce que dans les 44 hémorrhagies dangereuses on donne la préférence à la 44 ligature sur la compression, les cautères et les astrin- 44 gents ? n'est-ce pas encore parce qu'on ne croit plus à 44 des moyens capables de mondifier et de cicatriser les 44 plaies ? n'est-ce pas enfin parce que reconnaissant l'in- 44 suffisance de l'art, on est convaincu que la nature seule 44 peut faire adhérer ensemble les lèvres d'une solution de 44 continuité simple, ou réunir par la voie plus lente de la 44 suppuration et de la granulation, les parties entre les- 44 quelles il s'est opéré une perte de substance considé- " rable?'' § II. QUELQUES DÉCOUVERTES MODEK.NES QUI DÉCOULENT DE LA BASE FONDAMENTALE. L'homme qui a ainsi rétabli la vraie base chirurgicale, la base de la chirurgie moderne hippocratique, a laissé dans la science de grandes traces. Continuateur des tra- vaux de Hunter, il est le précurseur immédiat de Scarpa. Ambroise Paré avait montré que dans les cas de plaies artérielles, il suffisait de venir en aide à la nature avec une simple ligature, et la chirurgie était dès lors entrée dans une ère magnifique de progrès. Pourtant, dans les cas de plaies des artères principales des membres on en était réduit encore à l'amputation. John Bell indique les voies anastomotiques qui peuvent suppléer les grandes voies artérielles. C'est au milieu de ses dissections des artères fessières qu'il entrevoit ces routes collatérales ou- vertes ou préparées par la nature, qui n'attend que l'aide du chirurgien pour faire des prodiges. Bientôt, les admi- — 217 — rables travaux de Scarpa sur les anévrismes viennent dater une époque chirurgicale, plus brillante encore que celle d'Ambroise Paré. Les Dupuytren, les Astley Cooper sont les premières illustrations de cette ère brillante. Leurs ligatures des sous-clavières, des carotides primitives, des iliaques primi- tives, nous montrent jusqu'à quel point inespéré la nature peut favoriser, couronner de succès, les efforts, même té- méraires du génie chirurgical ! Quant à la réunion immédiate des plaies, John Bell a la bonne foi d'avouer que les chirurgiens français, dès le siècle dernier, furent les premiers à la préconiser comme méthode générale. Pourtant c'est à l'Angleterre, c'est à Allanson (1779), c'est à John Bell lui-même, qu'on doit la popularisation de cette méthode naturelle qui marque le progrès le plus réel peut-être de la chirurgie moderne. Rien ne délimite mieux que la réunion immédiate des plaies, la part de la nature et celle du chirurgien. Et quand on a bien vu et bien considéré cette part de chacun, en vérité il est impossible de ne pas s'écrier avec A. Paré : 44Je le pansay, Dieu le guarit !" Il est certain que les chi- rurgiens sont plus favorisés que les médecins pour recon- naître, tous les jours, et d'une manière palpable, les actes admirables de la nature médicatrice. Quand nous parlons de la réunion immédiate, c'est pour citer un grand résultat acquis ; car il est permis ici de gé- néraliser sans réserve. La nature médicatrice est la base de la chirurgie, comme de la médecine. L'aphorisme hippocratique, formulé par Celse en ces termes : Répu- gnante natura, nihilprqficit medicina, doit être médité sans cesse par le chirurgien aussi bien que par le médecin; tous deux peuvent dire : répugnante natura, omnia vana. — 218 — "Les phénomènes de la suppuration et de la granula- 44 tion sont, comme ceux de l'adhésion primitive, liés à la 44 vie d'une manière essentielle, dit encore John Bell. 4i Dans ce cas comme dans le précédent, nous ne pouvons 44 qu'aider la nature, en maintenant l'économie dans des 44 conditions favorables. Si la suppuration s'altère, si elle 44 devient abondante et séreuse, on prescrira un régime 44 analeptique et fortifiant, un air pur, l'usage du vin et du 44 quinquina. Ces moyens sont les plus propres à conser- 44 ver le bon état de la matière purulente et à en diminuer 44 la quantité lorsqu'elle s'est vicieusement accrue." Ces dernières lignes montrent combien il importe au chirurgien d'être médecin. Comme le médecin, il a tou- jours affaire à un individu, avec son idio syncrasie, laquelle a certainement sa part d'influence dans la marche d'une maladie chirurgicale quelconque. Comme le médecin, il faut pour cet individu que le chirurgien tienne compte du tempérament, de l'âge, du climat, de la saison, de la con- stitution de l'air, etc., car toutes ces choses ont une in- fluence immense dans toutes les maladies chirurgicales, comme dans les médicales. Si maintenant, pour nous faire une idée du pouvoir de la force conservatrice, au point de vue chirurgical* nous voulions rappeler des faits, nous n'aurions que l'embarras du choix. Voyez les corps étrangers introduits dans nos tissus, voyez comme la nature les enveloppe, comme elle s'en empare aussitôt, pour travailler ensuite, tantôt à les rejeter au dehors, tantôt à se les assimiler, tantôt à les emprisonner si bien dans des kystes, qu'ils ne peuvent plus nuire. Dans des cas où, suivant toutes les probabili- tés, la mort était certaine, on a cependant vu la victoire demeurer à la force conservatrice. Le fait de ce soldat — 219 — de l'Empire, qui survécut de longues années à un coup de feu, reçu en pleine poitrine, et à l'autopsie duquel on trouva une balle enkystée dans les parois mêmes du cœur, ce fait est connu de tous. C'est au professeur Sanson aîné que nous l'avons entendu raconter. Les annales de la science sont toutes remplies de semblables triomphes de la force conservatrice. La vérité est qu'elle travaille sans relâche au sein de l'organisme, et que quand elle succombe, ce n'est jamais sans avoir lutté généreusement. Prenons maintenant pour exemple, si vous le voulez, une hernie étranglée. Supposons que les tentatives de taxis soient restées sans résultat, supposons qu'on n'ait point trouvé de chirurgien pour aller lever l'obstacle, dé- brider l'anneau constricteur ; dans de telles circonstances, on voit s'établir quelque fois un anus contre-nature, cet effort désespéré de la force conservatrice ! Et même après cet effort suprême, alors que la nature semblait épuisée, vous la verrez toute disposée à seconder encore les essais du chirurgien qui aura l'audace de compter encore sur elle pour guérir cette horrible infirmité, qu'on appelle un anus contre nature ! Dans de telles conjonctures, il est vrai, le génie d'unDupuytren aura besoin de toutes ses ressources pour inventer les moyens nécessaires ; mais quand il aura réussi, on ne saura qu'admirer le plus, de la soumission prudente du chirurgien aux vœux de la na- ture, ou du zèle de la nature à seconder les efforts du chi- rurgien. C'est Y idée-mère de la force conservatrice ou nature médicatrice, comme fondement de la médecine et de la chirurgie, qui certainement a fait naître les progrès les plus incontestables de l'art de guérir, dans les temps mo- dernes. Cette proposition est plus facile à démontrer — 220 — pour la chirurgie que pour la médecine ; on en devine les raisons, en voici quelques exemples : autrefois, pour la moindre blessure à la tête, on se hâtait de mettre à nu les os du crâne, et au moindre soupçon de fracture, on trépa- nait! Une plus grande confiance dans les ressources de la nature, a laissé moins de crainte sur le sort des os même dénudés ; on a refermé sur eux les plaies des parties mol- les, et bien souvent ainsi, on a évité leur nécrose. A plus forte raison, par suite de cette même confiance dans la nature, se garde-t-on aujourd'hui de trépaner, dans bien des occasions où autrefois on n'y aurait pas manqué, au grand préjudice des blessés ! On doit à John Bell une grande partie de ces progrès très positifs. C'est lui qui a soutenu que les phénomènes d'adhésion dans le travail de cicatrisation des plaies, ne sont pas des phénomènes véritablement inflammatoires et par conséquent morbides, comme l'avait enseigné Hunter. Il n'y voit pour sa part qu'un acte physiologique, sembla- ble à ceux de la nutrition et de l'accroissement, un simple épanchement du suc nourricier, de cette lymphe plastique enfin, essentiellement vivante et qui s'organise entre les tissus, pour rétablir leur union, quand ils ont été divisés. D'après ce que nous avons dit précédemment de l'in- flammation, il est facile de reconnaître que John Bell et Hunter ne sont pas si éloignés l'un de l'autre qu'ils le pa- raissent. Il est certain que toutes les fois qu'une plaie existe, le travail réparateur consiste dans une réaction lo- cale avec développement de la sensibilité et de la chaleur vitale : outre la chaleur et la douleur, il y aura même de la tuméfaction et de la rougeur, pour peu que la réaction soit vive. On peut donc soutenir à la rigueur qu'il y a in- flammation dans tout travail adhésif, même quand il ne — 221 — doit pas y avoir de suppuration, et que tout consistera dans l'épanchement et l'organisation de la lymphe plasti- que, sous l'influence d'une réaction locale, provoquée par une plaie simple. Cependant, lorsque la plaie non-seule- ment est simple, mais qu'elle a peu d'étendue et existe chez un individu sain ; lorsque surtout le pansement a été bien fait, il faut convenir que les phénomènes de réaction locale sont si peu sensibles, qu'on peut dire aussi qu'il n'y a pas inflammation dans le sens vulgaire de ce mot. John Bell avait même entrevu que plus les phénomènes de la cicatrisation se passent à l'abri de l'air, et mieux ils demeurent dans le cercle physiologique. "C'est l'adhé- sion, dit-il, qui empêche l'inflammation." Il ne veut donc toujours pas entendre parler de l'inflammation adhésive de Hunter. "Mais, ajoute-t-il, si les plaies s'entrouvent, s'élargissent, elles s'enflamment." Or, en s'entrouvant, en s'élargissant, elles subissent le contact de l'air. De ces remarques très-justes et très-fondées en prati- que, à l'un des perfectionnements les plus modernes des méthodes opératoires, il n'y avait qu'un pas. Nous vou- lons parler de la méthode opératoire sous-cutanée et aussi du soin de couper les fils des ligatures tout près des vais- seaux et de les laisser dans la plaie, qu'on referme ensuite complètement à l'aide de sutures. Le but de ces procé- dés est d'éviter le plus possible l'action de l'air sur les plaies et de favoriser les phénomènes adhésifs. Il faut certes une grande confiance dans la nature mé- dicatrice, pour compter sur ces réunions immédiates et complètes (quelquefois sans la moindre suppuration), aux- quelles on vise quand on coupe et enferme des ligatures dans le fond d'une plaie chirurgicale, afin de pouvoir en réunir complètement les lèvres. Le soin de choisir, pour — 222 — ces ligatures qu'on emprisonne ainsi au fond d'une solu- tion de continuité, des substances animales absorbables, paraît superflu. § .111. INFLUENCE DES CLIMATS, DES ÂGES, ETC., SUR LA MARCHE DES PLAIES. Les succès, en chirurgie, sont plus ou moins faciles sui- vant les pays où l'on pratique. Si notre mémoire est fi- dèle, le professeur Serre, qui a écrit un excellent livre sur la réunion immédiate des plaies, a pu s'en convaincre en comparant les résultats des mêmes opérations, si différents à Montpellier et à Paris. Il est certain que l'air de Paris est très dangereux pour les opérés ; les blessés de juin 1848 ne l'ont que trop cruellement éprouvé ! A ce propos de l'influence de l'air de Paris sur la mar- che des plaies, il nous est permis de nous étonner que cer- tains médecins n'y veuillent pas voir la preuve delà réalité de l'existence des constitutions médicales. N'est-ce pas un fait qu'à certains moments il n'est pas possible à Paris de donner un coup de lancette ou de bistouri, dans les sal- les de tout un hôpital, sans faire naître des phlébites, des érysipèles, etc. ? 11 n'y a pas un externe des hôpitaux qui ne sache cela. A Saint-Louis, ne voit-on pas presque in- failliblement apparaître la pourriture d'hôpital toutes les fois que soufflent certains vents ? Par opposition à ce que nous venons de dire de Paris, nous pouvons ajouter qu'il y a des pays où les constitu- tions de l'air sont si favorables à la marche des plaies, que pour ces pays au moins, on peut douter si l'avantage prin- cipal des méthodes sous-cutanées et des réunions immé- diates, est vraiment d'éviter l'action de l'air. Ainsi, nous — 223 — pouvons citer l'Egypte et la Louisiane, où la cicatrisation des plaies s'obtient avec une facilité vraiment merveil- leuse; et, ce qu'il y a d'étrange, c'est que ces deux pays, très-insalubres sous beaucoup de rapports, sont même pé- riodiquement visités par deux des fléaux de notre époque, la peste et la fièvre jaune. En preuve de notre assertion, nous pouvons, pour l'Egypte, renvoyer aux œuvres du ba- ron Larrey, et pour la Louisiane, citer les succès étonnants des chirurgiens qui y pratiquent leur art. Ces succès sont tels, et si généralement obtenus par tous, qu'il faut bien les attribuer principalement à une influence générale qu'on ne peut soupçonner que dans l'atmosphère. A la vérité, quelques rapprochements peuvent être faits entre la Basse-Egypte et la Basse:Louisiane. Toutes deux sont profondément et largement sillonnées par de grands fleuves, le Nil et le Mississipi, dont le limon est merveilleusement fertile ; toutes deux sont des contrées basses et marécageuses, d'une température chaude, mais tempérée par des vents humides qui y renouvellent l'air largement et aisément. Ce sont là sans doute des condi- tions bien favorables à la végétation; aussi est-elle d'une richesse, d'une exubérance prodigieuses dans ces deux pays. Mais, les phénomènes de la cicatrisation des plaies, sont-ils autre chose que des phénomènes de végétation? Les circonstances qui rendent si productive la culture des terres sur les bords du Nil et du Mississipi, ne seraient- elles donc pas les mêmes qui permettraient à la chirurgie d'y être si facile et si brillante ? En voilà assez pour qu'il soit incontestable que la con- sidération des climats doit avoir une importance réelle aux yeux du chirurgien. La considération des âges, des sexes, etc., n'en a pas moins. Qui ne sait avec quelle fa- — 224 cilité, quelle rapidité les cicatrisations, les consolidations, osseuses etc., s'obtiennent dans le jeune âge, alors que la vie est si active ! § IV. DE L'AFFECTION ET DE LA RÉACTION AU POINT DE VUE CHIRURGICAL. Nous croyons avoir suffisamment insisté sur cette véri- té que la nature médicatrice est le fondement de la chirur- gie, comme de la médecine. Toutes les fois donc qu'un trouble externe, constituant une affection chirurgicale, se présente dans l'organisme, une réaction de cet organisme est inévitable, en vertu même de la loi vitale ou de conser- vation. Cette réaction conservatrice doit être considérée comme l'élément principal de la vraie maladie chirurgi- cale. Pour le chirurgien, aussi bien que pour le médecin, il faut donc distinguer l'affection et la réaction. L'étude des symptômes, des signes, du diagnostic ana- tomique, fondée sur l'anatomie pathologique chirurgicale, sans aucun doute a la plus grande valeur pour le chirur- gien. Mais, il ne doit jamais oublier que c'est la nature qui guérit, et qu'il n'est comme le médecin que son mi- nistre. Une lésion quelconque externe étant donnée, le devoir du chirurgien doit être de l'étudier, dans le but principal de déterminer comment il doit s'y prendre pour mettre la nature dans les meilleures conditions possibles pour gué- rir cette lésion. Car, encore une fois, c'est la nature qui guérit les lésions externes, comme les internes. Soit une fracture par exemple : c'est en étudiant ses signes, son mécanisme, que le chirurgien apprendra à la réduire et à la maintenir réduite ; mais, en définitive, son but su- — 225 — prême sera de mettre la nature dans les conditions les meilleures pour produire un cal et un cal aussi régulier que possible; or le cal, moyen, et instrument de guérison des fractures, est l'ouvrage de la nature seule. Soit une luxation : ses signes, son mécanisme, etc., ser- viront à la faire reconnaître, à faire connaître aussi com- ment on doit s'y prendre pour la réduire ; mais, la luxa- tion réduite, il faudra encore par le repos de l'articulation, laisser à la nature le soin de consolider la réduction. Cet exemple des luxations nous montre cependant combien doit être large souvent la part qui revient à l'Art ; en effet* ici son secours est indispensable. Que si l'Art n'intervient point, la nature conservatrice ne restera pourtant pas sans agir : dans un temps plus ou moins long elle saura faire naître une fausse articulation, bien imparfaite sans doute, mais qui rendra au membre déplacé une partie de ses mouvements et de sa force. Quoi qu'il en soit, l'étude de la réaction de l'organisme est toujours l'étude fondamentale pour l'homme de l'Art. Pour le chirurgien en particulier, c'est-à-dire ponr l'hom- me qui s'occupe spédalement des cas de pathologie ex- terne, la réaction, dans tous les cas, est d'abord locale : en d'autres termes, au point de départ de toute maladie vraiment chirurgicale, existe toujours une lésion locale. § V. DE LA FIÈVRE TRAUMATIQUE. La réaction générale de l'organisme, avec développe^ ment de la chaleur vitale et de la sensibilité, en un mot, la fièvre, dans les cas chirurgicaux, est toujours sympto- matique ; elle est toujours la suite d'une réaction locale, due elle-même à une lésion locale aussi. Et comme cette 15 lésion locale est ordinairement une blessure quelconque, on peut dire qu'à la rigueur pour le chirurgien il n'y a qu'une seule sorte' de fièvre, c'est la fièvre traumatique. Toute fièvre, primitivement générale, ne peut donc pas être du ressort du chirurgien. Cela étant, l'usage autre- fois suivi dans les hôpitaux de diviser les malades en bles- sés et en fiévreux, il faut en convenir, était dans la nature. La fièvre traumatique, ou fièvre des blessés, a toujours pour point de départ une réaction locale, c'est-à-dire une inflammation. On conçoit dès lors comment les chirur- giens ont dû facilement accepter le physiologisme de Broussais. L'école de Paris s'est pourtant débarrassée de la gastrite ; mais quelques médecins encore y restent en- têtés de cette opinion fausse, que la fièvre en général re- connaît toujours pour cause, c'est-à-dire pour point initial, une inflammation locale, de quelque organe que ce soit ' aussi, la poursuivent-ils sans cesse, en vous disant : subla- tâ causa, tollitur effectus. Quelques autres, plus avancés, ont besoin, sinon d'une inflammation, au moins d'une lé- sion quelconque, mais enfin d'une lésion locale, pour ex- pliquer la fièvre. De là l'immense importance attachée aux localisations, et par conséquent à l'examen minutieux des organes, importance qui a été singulièrement favorisée, par les applications modernes de la percussion et de l'aus- cultation. Enfin nous verrons que les plus avancés de tous, dans l'École de Paris, vont chercher dans le sang, (il est vrai, dans le sang étudié anatomiquement, chimi- quement et surtout à l'aide du microscope), la cause des pyrexies. En sorte que, même pour, ces derniers, malgré qu'ils en aient, la fièvre est toujours symptomatique d'une lésion anatomique, puisque le plus profondément qu'ils des- cendent, c'est à l'altération du sang, à la lésion anatomi- — 227 — que du sang, comme cause de la fièvre. Leur fièvre ne sera plus, il est vrai, symptomatique d'une inflammation, pas même d'une lésion d'un organe quelconque, mais elle sera symptomatique d'une altération du sang. U y a là un acheminement marqué vers les idées que professaient les anciens, c'est-à-dire vers l'opinion de la présence dans le sang d'une matière fébrile, comme point de départ de la fièvre. A l'Ecole, C'est le professeur Andral qui pousse au progrès le plus réel, dans ce retour aux enseignements de la Doctrine traditionnelle ; nous verrons qu'il y touche presque. Pour le moment, contentons-nous de noter que pour le chirurgien il n'y a qu'une sorte de fièvre, c'est la sympto- matique et nous pourrions même dire, la traumatique. Ainsi une lésion locale quelconque avec réaction locale, c'est-à-dire une inflammation, est toujours le point de dé- part de la fièvre traumatique. Cela étant, si l'on géné- ralise les conséquences exposées par le professeur Andral dans son' hématologie, il faut admettre qu'avec toute fiè- vre traumatique, il y a augmentation de la fibrine dans le sang. Cette considération ne doit pas être oubliée dans le traitement de la fièvre traumatique ; mais il vaut mieux passer aux indications thérapeutiques chirurgicales d'une manière générale. § VI. DES INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES EN CHIRURGIE. Comme le médecin, le chirurgien doit, en vue du trai- tement, étudier principalement la réaction générale de l'organisme, et plus encore que le médecin, la réaction lo- cale, ou plutôt la lésion locale qui en est la source commu- ne. Que la réaction soit générale, ou qu'elle soit locale, »' — 228 — c'est, surtout à la tenir dans de justes bornes qu'il faut s'ap- pliquer. Dans ce but, des moyens variés pourront être employés. Il y a telle personne éminemment nerveuse, chez laquelle le plus sûr parti, pour calmer la fièvre trau- matique, sera d'administrer l'opium et souvent l'opium à doses élevées; il y a telle autre personne du tempérament artériel, chez laquelle, une large saignée du bras sera né- cessaire, etc. Ce n'est pas à dire du tout que pendant ce temps l'état local doive être négligé; cependant, c'était surtout avant qu'il ne se généralisât, qu'il fallait agir contre lui ; à un état général, en effet, opposez une médication générale, qui s'adresse à tout l'organisme; à un état local, opposez des moyens locaux. En toutes circonstances, le chirurgien n'oubliera jamais que ce qu'il doit par-dessus tout étudier, c'est le travail conservateur manifesté soit par la réaction locale, soit par la réaction locale généralisée. Or, la nature en instituant ce travail conservateur, cette réaction de l'organisme, ou locale ou générale, a toujours besoin d'être surveillée, d'être contenue, d'être dirigée- Ainsi la réparation d'un désordre local quelconque, ne peut se faire sans un certain degré de réaction soit locale, soit générale. C'est au chi- rurgien à calculer le degré de la réaction, pour l'affaiblir si elle devient trop forte, pour l'exciter si elle est trop mo- dérée, pour la faire naître si elle tarde trop à s'allumer. Ainsi il arrive que, dans les premiers instants qui suivent certaines blessures graves, l'organisme quelquefois est comme anéanti! Il faut, alors le relever, quelquefois l'exci- ter même, mais avec une extrême prudence, car la réac- tion est proche, et peut-être va-t-elle être trop violente ! Puis, la réaction une fois allumée, c'est encore au chirur- gien à la maintenir dans de justes bornes. Nous dirons — 229 — ici en passant que le développement de la chaleur vitale, le dégagement de calorique, étant ce qu'il y a de plus marqué, dans toute réaction un peu forte de l'organisme, soit locale, soit générale, la soustraction du calorique, est un moyen tout naturel, pour maintenir la réaction au de- gré convenable. Or, la soustraction du calorique de l'or- ganisme, n'est jamais plus facile qu'avec l'eau, sous forme d'irrigations. Ce sera au chirurgien à juger à quelle température il convient d'appliquer l'eau, combien de temps, dans quelle étendue, etc. Enfin, la réaction est tom- bée ; peut-être a-t-elle produit tout l'effet qu'on en devait attendre ; mais peut-être aussi ne l'a-t-elle point produit. Car, à un certain degré, elle est indispensable dans tout travail réparateur au sein de l'organisme. Il pourra donc s'agir de la relever. Quelquefois, outre les moyens géné- raux, destinés à soutenir la réaction nécessaire, il y aura lieu d'employer des moyens locaux, des applications topi- ques excitantes. Par exemple, une plaie suppure, mais elle a un mauvais aspect, ou bien des lambeaux sphacélés doivent être séparés, une odeur repoussante est exhalée, les bourgeons charnus sont blafards, etc. Sans aucun dou- te, dans de telles circonstances, il y aura lieu de s'occuper principalement de l'état général, mais l'état local devra aussi appeler tous les soins du chirurgien. Les panse- ments dans de telles conditions auront la plus grande importance : des lotions chlorurées, des lotions avec le vin aromatique, avec les décoctions de quinquina ; le quinqui- na en poudre, le charbon, le styrax, la créosote, la tein- ture d'iode, des jus acides, ceux de citron, d'ananas, etc., dans des mains habiles pourront alors rendre d'immenses services. Mais, bien entendu, que tout cela ne veut pas dire, qu'on croit aux mondifiants, aux sarcotiques, aux — 230 — cicatrisants, etc. Dans tous les cas, le vrai chirurgien peiir se que c'est la nature qui guérit, et qu'il ne peut jamais être que son ministre ! Ces quelques données suffisent pour nous bien faire comprendre en chirurgie, d'un côté la part de la science, comme celle de la théorie qui en découle, et qui trace les règles de l'art, de l'autre la part de l'art qui se charge d'appliquer les règles établies par la théorie de la science. 11 en sera de même de la médecine, car, comme l'a fort bien dit Réveillé-Parise : "Quoiqu'on fasse, l'art n'est que l'action qui suit toujours d'un peu loin, mais nécessaire- ment, la lumière posée devant lui par la science-" Ainsi, la science établit comme base fondamentale, la nature médicatrice; c'est donc philosophiquement, scien- tifiquement la nature qui guérit ; la première règle pour le chirurgien, comme pour le médecin, doit donc être de viser à placer la nature dans les conditions les meilleures possibles, pour résister efficacement aux causes de troubles et de destruction prématurée. Ils devront, en d'autres termes, par tous les moyens imaginables, faire naître les circonstances les plus favorables à la guérison, laguérison étant toujours l'œuvre de la nature. Voilà ce qu'enseigne la science, voilà ce que dit la théorie. Mais comment l'art va-t-il s'y prendre, comment entre- ra-t-il en action, pour répondre aux vœux de la science et de'la théorie ? L'expérience seule pourra prononcer. Et même, tel trouble existe, telle blessure a été pro- duite, y a-t-il lieu d'intervenir, ou vaut-il mieux laisser la nature agir seule, en l'observant toutefois attentivement, pour l'aider s'il y a lieu ? Par exemple, un membre a été écrasé dans une étendue plus ou moins considérable, faut- il amputer ou convient-il de confier à la nature le soin de — 231 _ «parer les parties mortifiées dans l'écrasement ? Dans le cas de l'amputation, faut-il qu'elle soit immédiate ? etc. Voilà certes des questions de pratique du plus haut inté- rêt. Pour les résoudre, il est nécessaire que l'homme de l'art tienne compte d'une foule de conditions : non-seule- ment, ce sera l'examen local de la blessure qui pourra l'é- clairer, mais il devra tenir compte, avant de se prononcer, de l'âge du sujet, des circonstances qui l'entourent, du pays où il se trouve, de la saison, de la constitution médi- cale régnante, etc. 11 est évident que pour la solution de telles questions, la condition indispensable, c'est l'expérience ; car dans l'ap- plication tout est conjectural. Or, les conjectures auront d'autant plus de force, qu'elles s'appuieront sur une ex- périence plus large et plus profonde. Le vieil adage : Studio doctor, experientiâ medicus, est donc parfaitement vrai. Tout ce que nous disons ici est applicable à la médecine et à la chirurgie. Et, en effet, tous les jours c'est une question que le médecin trouve occasion de se faire, comme le chirurgien. Dois-je agir ou me tenir dans l'ex- pectation ? A la vérité, ceux qui ne tiennent aucun compte de la nature médicatrice, doivent toujours, en principe, se décider pour l'action- Nous laissons à penser si c'est toujours pour le plus grand bien des patients. § VIL TRANSITION DE LA CHIRURGIE A LA MÉDECINE. Au point où nous en sommes, nous mêlons en quelque sorte à dessein la Médecine et la Chirurgie. Il est certain que ce n'est que par des gradations insen- sibles qu'on peut passer de la pathologie externe à la pa — 232 — thologie interne ; aussi le chirurgien doit être médecin, comme le médecin doit être, du moins un peu, chirurgien- Qu'on parcoure les salles d'un hôpital, et l'on verra si forcément on ne trouve pas des cas de chirurgie dans les salles de médecine, et surtout des cas de médecine dans les salles de chirurgie. Les médecins n'ont-ils pas des abcès à ouvrir, des empyèmes à vider ? etc. Faudra-t-il qu'ils appellent un chirurgien pour de telles opérations ? Et dans une salle de chirurgie que vient faire cette ophthal- mie rhumatismale, cette iritis syphilitique ou même cette tumeur blanche du genou? Avant de songer même à une amputation, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de cher- cher à guérir cette tumeur blanche, par des moyens in- ternes ? Et pour établir les indications thérapeutiques, dans ces cas particuliers, pour choisir les moyens inter- nes, est-ce qu'il n'y aura pas à discuter si la tumeur blan- che est d'origine rhumatismale ou si elle est d'origine scro- phuleuse, etc.? Est-ce là l'affaire du chirurgien propre- ment dit? Et si cette tumeur blanche est d'origine scro- phuleuse, ne faudrait-il pas avant tout, s'assurer de l'état des poumons, percuter, ausculter? etc.; et ensuite, les poumons supposés sains, d'après les rapports du plessi- mètre et du sthétoscope, est-il décidé qu'il faut opérer? si l'on opère, qui assure qu'on ne verra pas bientôt la tumeur blanche du genou remplacée par des cavernes pulmonai- res? Car comment être certain que cette tumeur blanche n'était pas un exutoire, établi au genou par la nature mé- dicatrice, dans un but conservateur? Et cette fistule à l'anus, faut-il l'opérer ou la respecter? Nous le demandons : pour répondre à toutes ces quesr tions, n'est-il pas indispensable d'être médecin, c'est-à-dire de connaître la pathologieinterne, comme l'externe? CHAPITRE III DE LA PATHOLOGIE INTERNE OU MEDECINE. De tout ce qui précède il résulte qu'il est impossible de tracer une ligne de démarcation tranchée, entre les deux divisions principales de la pathologie, la chirurgie et la médecine. La fièvre traumatique nous paraît marquer la fusion de l'une à l'autre. En effet, dans cette fièvre, fai- tes abstraction de la blessure, qui en est le point de dé- part, et il reste une fièvre symptomatique d'une inflamma- tion, en d'autres termes, une fièvre locale généralisée. Or, en pathologie interne, il est incontestable qu'on a plus ou moins souvent affaire à des fièvres, qui ont pour origine une inflammation, qui sont par conséquent des fièvres symytpmatiques, c'est-à-dire des fièvres locales générali- sées. Les formules du professeur Cayol sont très positi- ves à cet égard : "Toute réaction locale peut affecter 44 consécutivement le cœur et les centres nerveux ; elle 44 devient alors générale. Ainsi toute inflammation, soit 44 externe, soit interne, peut devenir cause de fièvre, avec " d'autant plus de facilité, que cette inflammation est plus " vive que la partie qui en est le siège est plus sensible, " plus irritable et qu'elle a des sympathies pius actives — 234 — 44 avec le cœur elles centres nerveux." — (Cliniquedu professeur Cayol.) Mais, faut-il généraliser ? faut-il soutenir, avec quelques médecins modernes, que toute fièvre est symptomatique d'une inflammation ! Faut-il enfin imaginer que la loca- lisation complète des fièvres soit le perfectionnement Je plus avancé, auquel doive prétendre la science médicale? Loin de partager cette illusion, il nous paraît que la loca- lisation des fièvres, poussée jusqu'à cette exagération, n'a plus rien qui puisse séduire des esprits sérieux. C'est pourtant la seule prétention doctrinale qui se produise en- core à l'école de Paris, au milieu de son absence de doc- trine. Et voilà que l'un des écrits les plus récents et les plus remarquables de cette école, (l'Essai d'hématologie, du professeur Andral), est venu porter un coup mortel à cette prétention. Le système de la localisation des fièvres doit se sentir d'autant plus profondément atteint, que pour le frapper, le professeur Andral est armé d'analyses, et d'analyses du sang faites chimiquement et microscopique' ment ! "Les pyrexies forment, dit-il, une grande classe de ma- 44 radies aiguës qu'on a vainement cherché à faire dispa- 44 raître des cadres nosologiques, pour les rejeter toutes 44 dans l'ordre des simples inflammations. Les causes qui " souvent les développent, la nature spéciale des altéra- 44 tions qu'elles amènent dans les solides, l'époque du dé- 44 veloppement de ces altérations, souvent postérieur à celui " du mouvement fébrile, voilà déjà autant de graves mo- " tifs pour ne pas confondre les pyrexies et les phlegma- i4 sies; mais l'analyse du sang vient encore établir une différence des plus remarquables entre les unes et les autres. Tandis que dans les phlegmasies il y a tou* — 235 — 44 jours deux altérations constantes qui marchent ensem- 4 ble, celle d'un solide et celle du sang, il n'en est pas de 44 même dans les pyrexies ; dans ces maladies, en effet, 44 le seul phénomène qui ne manque jamais, c'est la fièvre 44 elle-même ; les altérations très variées d'ailleurs, dont 44 les solides sont, le siège, peuvent manquer compléte- 44 ment, et les changements de composition que l'analyse 44 a découverts dans le sang, ne se montrent pas non plus 44 dans tous les cas ; de telle sorte que, dans l'état actuel 44 de la science, le caractère des pyrexies reste encore un " caractère négatif; c'est-à-dire que jusqu'à plus ample 44 informé, la fièvre qui accompagne les pyrexies, 44 ne reconnaît ni dans les solides ni dans le sang aucune 44 altération constante qui puisse en rendre compte. Tou- 44 tefois, dans les solides et dans le sang, on peut plus ou 44 moins souvent constater des altérations; mais elles ne 44 sont que des effets, d'une cause cachée, qui domine l'orga- 44 nisme, effets importants néanmoins à bien étudier, puis- 44 qu'à leur tour ils deviennent eux-mêmes cause d'un cer- 44 tain nombre de symptômes et que par leur siège et par 44 leur nature, ils servent à classer et à dénommer les py- 44 rexies." Deux pages plus loin, le professeur Andral ajoute : 44 Puisque la diminution de la fibrine n'existe nécessaire- 44 ment dans aucune pyrexie, il est bien clair que ce n'est 44 point dans cette altération du sang qu'il faut placer le 44 point de départ de cet ordre de maladies. Mais ce qui 44 me semble incontestable, c'est que la cause spécifique 44 qui leur donne naissance agit sur le sang, de telle façon 44 qu'elle tend à y détruire la matière spontanément coagu- " lable. 11 y a pour moi,, dans tous ces cas, une vérita- 4 BLE INTOXICATION." — 236 — Remarquons que les cas auxquels le professeur Andral fait allusion, sont la fièvre typhoïde, la variole, la scarla- tine, etc. De ces dtations il résulte qu'après ses découvertes les plus récentes, M. Andral se trouve aujourd'hui d'accord avec ce que publiait M. Càyol, il y a plus de vingt ans, et qu'ainsi il admet : "Qu'il y a des maladies aiguës primiti- 44 vement générales, c'est-à-dire des fièvres primitives ou " essentielles." ( Clinique du professeur Cayol). Qu'il admet encore : "que ces pyrexies reconnaissent des cau- 44 ses qui agissent primitivement sur les liquides ; ce sont 44 celles qui, pénétrant par la voie d'absorption à travers les " tissus tégumentaires, circulent avec le sang qu'elles vi- 44 cient, et provoquent ainsi la réaction du cœur et des 44 centres nerveux. Tels sont les virus, les venins, les 44 principes contagieux, les miasmes nosocomiaux et les „ causes inconnues de certaines épidémies." (Cayol). Or, c'est là tout simplement ce qu'a enseigné la Doctrine tra- ditionnelle, d'âge en âge. Si donc il est vrai que le chirurgien n'a jamais affaire qu'à des fièvres symptomatiques, c'est-à-dire consécutives à des altérations locales quelconques, il ne l'est pas moins que le médecin observe, tantôt de ces mêmes fièvres symp- tomatiques ou consécutives et tantôt des fièvres primitives, ou générales ou essentielles, c'est-à-dire sans altérations lo- cales qui puissent en être regardées comme le point de départ. Nous verrons dans quelles proportions ces deux sortes de fièvres, les consécutives et les primitives, se mon- trent à l'observation médicale. Mais d'abord, afin que les généralités que nous présent tons ici laissent aussi petite que possible la part des excep- tions, avertissons que tout ce que nous disons, en ce mo- — 237 — ment, doit s'appliquer aux maladies aiguës. Nous con- sacrerons plus loin quelques pages aux maladies chroni- ques, bien plus difficiles à partager entre le médecin et le chirurgien. § I. DES FIÈVRES SYMPTOMATIQUES ET DES FIÈVRES ESSENTIELLES. Quelques exemples, mieux peut-être que de longs dis- cours, feront connaître, dès maintenant, comment nous concevons que naissent et se développent les maladies aiguës ou fièvres qui sont du domaine de la pathologie in- terne. Nous avons admis d'abord que des organes, même inté- rieurs, par l'action de causes directes, pouvaient s'en- flammer, et que cette inflammation ou réaction locale devenait ensuite, plus ou moins rapidement, la cause d'une réaction générale de l'organisme, c'est-à-dire dans ce cas, d'une fièvre symptomatique. Des exemples empruntés à la pathologie externe, peuvent montrer comment les cho- ses se passent. Ainsi une poudre irritante est lancée à la surface de la conjonctive, ou bien de l'eau bouillante est répandue sur une surface plus ou moins large de la peau, etc.; que se passe t-il alors? Une vive douleur est excitée, les liquides affluent, bientôt du gonflement, de la chaleur se développent, etc. En un mot, la partie tou- chée s'enflamme, une réaction locale se fait, et si elle est un peu forte, la fièvre s'allume. Imaginons maintenant qu'à l'aide d'une sonde œsopha- gienne, on verse dans l'estomac de l'eau bouillante, ou de l'eau forte, il est certain qu'une gastrite va se développer, — 238 — et consécutivement à la gastrite une fièvre symptomatique de la gastrite. Imaginons encore que des vapeurs très-irritantes, celles du chlore par exemple, soient respirées ; une pharyngite, une bronchite, etc., vont être produites, et consécutive- ment, pour peu qu'elles soient intenses, une fièvre sympto- matique de la pharyngite, de la bronchite, etc. Or, ce sont là des cas de pathologie interne, analogues aux deux exemples tirés de la pathologie externe, (la conjonctivite de cause externe et la brûlure). Mais est-ce bien ainsi que les choses se passent ordinai- rement ? Les médecins appelés tous lesjours à constater l'existence de pharyngites, de bronchites, de broncho- pneumonies, de pleurésies, d'inflammations des intestins ou du cerveau, etc., après avoir reconnu l'existence de ces phlegmasies locales, accompagnées defièvre, ont-ils la preuve, doivent-ils être d'opinion que la maladie a débuté par l'inflammation d'un organe, et que la fièvre n'a été que la conséquence de cette inflammation locale? nous sommes loin de penser ainsi. Que serait-ce si nous1 parlions des fièvres, où lés manifestations locales sont évidemment se- condaires, comme les fièvres éruptives,la fièvre jaune, les fièvres pernicieuses, etc. Notre conviction est donc toute opposée. Nous croyons, et nous verrons que c'est la doctrine des siècles, que dans l'immense majorité des cas de maladies internes, fébriles, aiguës, l'état général pré- cède l'état local. Or, pour se rendre compte de cet état général qui précède l'état local, il n'y a qu'un moyen, c'est d'admettre dans le sang ce quelque chose que les Anciens appelaient matière fébrile, ce quelque chose qui fait entrer le sang en effervescence, et qu'ils regardaient, en effet, comme la cause matérielle de la fièvre. Quelle que soit — 239 — l'explication, nous disons, en résumé, que dans notre opi- nion, les fièvres primitivement générales, sont celles qui se présentent le plus souvent à l'observation du médecin, et que les symptomatiques, au contraire, sont pour lui l'ex- ception. Les preuves s'accumuleront à mesure que nous avancerons. § H. DE L'EXCÈS DE FIBRINE COMME MANIFESTATION DE TOUTE RÉACTION. Les recherches du professeur Andral ont établi ce fait, qu'aussitôt qu'une inflammation locale existe, (même de cause externe, chez un individu en bonne santé, par exemple, une brûlure), et qu'il y a fièvre, on constate clans le sang un excès de fibrine, c'est-à-dire une altéra- tion du sang. Cet excès de fibrine, porté à un certain degré, devient ainsi, pour le professeur Andral, le carac- tère pathognomonique d'une inflammation locale dans l'organisme; en sorte que, 44dans toute phlegmasie, dit 44 M. Andral, il y a toujours altération d'un solide et du " sang", et il en conclut, à son point de vue, "qu'une in- 44 flammation n'est pas une maladie purement locale," bien entendu lorsqu'elle a du retentissement dans l'orga- nisme, c'est-à-dire lorsqu'il y a fièvre ; et c'est un aveu immense. Il s'agit ici d'un excès absolu de fibrine, car une diminution dans le nombre des globules du sang pour- rait en imposer, pour un excès de fibrine. "Voilà donc, dit. le professeur Andral, la modification 44 nécessaire, indispensable, que présente le sang, dans 44 toute phlegmasie assez aiguë pour être accompagnée " de fièvre : c'est la création au sein de ce liquide, d'une " nouvelle quantité de fibrine; de là l'explication des pro- — 240 — 44 priétés physiques du sang dans les phlegmasies, si diffé- 44 rentes de ce qu'elles sont dans les pyrexies; de là, la 44 formation de la couenne, dont la nature fibrineuse est " également démontrée par l'analyse chimique et par " l'examen microscopique." Quand donc Une phlegmasie locale se généralise, ajoute M. Andral, au lieu de recourir, pour s'en rendre compte, à l'hypothèse de Tomiriassini, à la diathèse sthénique, ou en d'autres termes, à la diffusion de la phlogose des vaisseaux du point irrité, à ceux du reste du corps, on est mainte- nant en possession d'un fait pour l'expliquer ; ce fait, c'est l'apparition d'un excès de fibrine dans le sang, et par con- séquent sa diffusion dans toute l'économie. Si maintenant, de ce fait découvert par M- Andral, à savoir, qu'il se présente un excès de fibrine dans le sang, toutes les fois qu'une inflammation (ou réaction locale) est accompagnée de fièvre (ou réaction générale), on rap- proche la formule de M. Cayol, "que l'inflammation est 44 une fièvre locale, comme la fièvre est une inflammation 44 générale," il nous semble qu'on est en droit de tirer la première conséquence suivante : Dans toute partie, qui est le siège d'une inflammation ou réaction locale, il doit se faire un dépôt de fibrine; et c'est en effet ce qui arrive. Quand l'inflammaiion s'allume, par exemple dans une plaie, la réaction ou fièvre locale, qui constitue cette in- flammation et qui est provoquée par la plaie même, y dé- termine un afflux de liquide (ubi stimulus, ibifluxus), et cet afflux de liquide est aussitôt suivi de l'épanchement entre les lèvres de la plaie, de ce suc particulier qu'on appelle lym- phe plastique. Or, qu'est-ce que la lymphe plastique ? c'est, comme nous l'avons déjà dit, de la fibrine à l'état nais- — 2H — sant. Dortc, une inflammation ou fièvre locale étant don- née à un certain degré, ce qu'il y a de pathognomonique, c'est la production dans la partie enflammée de lymphe plastique, c'est-à-dire de fibrine en puissance; tout comme une fièvre ou inflammation générale étant donnée à un certain degré aussi, ce qu'il y a de pathognomonique en- core, c'est la production dans le sang" d'un excès de fibrine réalisée. L'inflammation et la fièvre étant la même chose, n'étant qu'une réaction, soit locale, soit générale, il fallait bien qu'elles fussent caractérisées anatomiquement dans leurs produits pathologiques, par la même substance fon- damentale, la fibrine. Ainsi, en généralisant l'idée que fait naître la découverte du professeur Andral, nous croyons qu'on peut dire ; qu'un excès de fibrine ou de lymphe plastique apparaît dans l'économie, toutes les fois qu'une réaction ou géné- rale ou locale se manifeste. Et en effet, réaction signifie action provoquée et augmentée, et dans ce cas particu- lier, réaction signifie action vitale augmentée, surcroît de vie. La fièvre, comme l'inflammation, étant donc cette réaction, cette action augmentée de la vie, il est naturel qu'elles fassent apparaître, sortir en quelque sorte du sang, ce qu'il a de plus vivace, cette lymphe plastique, ce suc nourricier, qui a une tendance si grande à se coaguler, à se fibriner, à se transformer en nos fibres et en nos tissus. Ce que nous disons-là, on Je voit se passer dans les plaies, siège d'une inflammation, comme M. Andral l'a vu se pas- ser dans le sang, instrument ou siège des fièvres ou inflam- mations générales. En effet, une plaie étant faite, une réaction locale en est la conséquence ; entre ses lèvres réunies de la sub- stance plastique est exhalée, et cette substance plastique, in — 242 — on l'a vue à l'aide du microscope passer successivement par l'état amorphe, le globulaire et le fibrillaire. Si la plaie est dans de bonnes conditions, si la réaction est tenue au degré convenable, la substance plastique, après avoir subi ces trois états, de fibrillaire devient vasculaire ; elle s'organise enfin, et bientôt se confond, s'identifie avec les parties voisines : on .dit alors qu'il y a réunion par pre- mière intention. Si au contraire, la plaie n'est pas dans les conditions- convenables, si la réaction locale est poussée trop loin, si l'inflammation est trop vive enfin, ce n'est plus de la lym- phe plastique qui s'exhale, c'est dit pus. En sorte qu'on peut bien dire que dans ces conditions d'excès de calori- que vital, le fluide albumineux qui constitue la lymphe plastique, subit une véritable coction, et devient ainsi, ce qu'on appelle du pus. Ce produit pathologique de l'in- flammation peut rarement être repris par le sang; il faut qu'il soii éliminé, après avoir été élaboré. Aussi quand à la suite d'une plaie c'est du pus qui se forme, ou la plaie ne se ferme pas, et le pus s'écoule à mesure qu'il est formé, ou la plaie étant fermée, le pus s'accumule derrière ses lèvres réunies. Dans ce dernier cas, ce n'est qu'après avoir été bien élaboré, après avoir subi complètement la coction des Anciens, qu'il est enfin éliminé par une sorte d'évacuation critique. Ainsi les choses se passent encore' dans ce qu'on appelle les abcès en général. Dans les fièvres, ou inflammations générales, nous re- connaîtrons les analogies les plus frappantes, avec ce que nous décrivons ici, comme appartenant aux inflamma- tions locales. Les unes se terminent par résolution ou assimilation de la matière fébrile; ce sont les fièvres légè- res ; elles correspondent à la réunion immédiate des — 243 — plaies, à l'organisation de la lymphe plastique, entre les lèvres de la plaie, sans suppuration ; elles correspondent encore aux cas de résolution des épanchements sanguins, suite de contusions par exemple, etc. Les autres ne peu- vent être jugées qu'après la coction de la matière fébrile et son évacuation ; ce sont toutes les fièvres graves ; elles correspondent aux plaies et aux contusions qui suppurent ; au lieu d'un excès de fibrine dans le sang, on constate dans ces fièvres une sorte de dissolution du sang, et peut- être devrait-on dire une sorte d'état purulemt du sang. Si les rapprochements que nous faisons ici sont justes, on peut dire, au point de vue pratique, que le médecin doit s'efforcer d'obtenir la résolution des fièvres, comme le chirurgien la réunion immédiate des plaies. Nous aurons à discuter cette possibilité, nous aurons à voir jusqu'à quel point on peut espérer juguler, étrangler, (comme disait Bordeu) une maladie interne, une pyrexie, l'empêcher de suppurer, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Nous avons vu que le chirurgien peut souvent obtenir, doit presque toujours chercher à obtenir la réunion par première inten- tion, des plaies chirurgicales Ou autres; pour le médecin le but est bien plus difficile à atteindre ; presque toujours il lui faudra passer par la coction et l'évacuation de la ma- tière fébrile. § IV. DE LA MATIÈRE FÉBRILE DANS LE SANG DES FIÉVREUX. Dans tout ce qui précède, nous venons d'admettre que la fièvre, ou inflammation générale, ou réaction générale de l'organisme, est en quelque sorte la manifestation d'un excès de vie dans l'organisme, et qu'elle provoque néces- sairement dans le sein du liquide vital, dans le sang, l'ap- — 244. r- parition de lymphe plastique, ou plutôt l'apparition d'un excès de fibrine. Et pourtant, dans beaucoup de fièvres ou pyrexies, les expériences chimiques et microscopiques du professeur Andral, ont montré, non pas un excès, mais une diminution de la fibrine. Les Anciens, du reste, con- naissaient très-bien la dissolution du sang. Ce fait nous paraît trouver son explication dans une hypothèse très- plausible : C'est qu'il y a des causes morbifiques, (matières fébriles) qui, introduites dans le sang, ont sur lui une telle vertu dissolvante, que malgré la réaction de l'organisme* (ou excès de vie), qui y détermine nécessairement la for- mation de lymphe plastique ou de fibrine, le sang est pour-1 tant dissous, sa fibrine diminuée, parce que la force plasti- que de la réaction est plus faible que la force dissolvante de la cause morbifique. Par opposition, nous verrons des états morbides où la cause morbifique ajoute son action à celle de la réaction, pour augmenter la plasticité du sang, augmenter sa tendance à se fibriner, à se transformer en substance couenneuse ou substance spontanément coagu- lable ; par exemple les états rhumatismaux. Et même, avec la diathèse rhumatismale, il doit déjà exister une telle plasticité du sang, que la fibrine doit s'y montrer en excès, même sans manifestations locales, sans phlegmasies loca- les démontrées. En sorte que des faits mêmes qui sem- blaient nous condamner, nous tirons un argument de plus en faveur de l'admission de la matière fébrile dans le sang, toutes les fois qu'il y a pyrexies ou fièvre de cause interne, et l'admission de la matière fébrile nous sert réci- proquement à expliquer ces mêmes faits. Quelquefois la réaction de l'organisme pourra équilibrer la force dissol- vante de la cause morbide, de telle sorte qu'il n'y aura ni augmentation ni diminution appréciable de la fibrine. — 24 G — D'autres fois, une réaction locale ou phlegmasie d'un or- gane, venant compliquer la pyrexie, augmentera encore la réaction générale, et par conséquent, la tendance du sang à se fibriner ; dans ces cas, malgré l'action dissol- vante de la cause morbide,il y aura excès de fibrine dans le sang, etc. Ainsi s'explique, pour nous, le caractère né- gatif des pyrexies, tiré de l'altération du sang. Voici, du reste, d'autres passages du professeur Andral, où il admet positivement la présence dans le sang d'une matière fébrile quelconque, pour expliquer les pyrexies. "A toutes les époques de l'observation clinique, et à 44 quelque point de vue théorique que l'on fût placé, on a 44 reconnu que parmi les pyrexies, il y en avait qui ne " s'accompagnaient d'aucun symptôme grave, et qui 44 marchaient naturellement vers une terminaison favora- 44 ble, tandis qu'il y en avait d'autres qui, soit dès leur 44 début, soit pendant leur cours, s'accompagnaient d'ac- 44 cidents de nature telle, qu'il semblait que les forces qui 44 régissent l'organisme fussent ou vaincues, ou assez pro- 44 fondement troublées pour que l'extinction de la vie dût 44 en être la conséquence ; et en même temps, on consta- 44 tait qu'en pareil cas le sang offrait un aspect tout parti- 44 culier; on avait vu que devenu moins consistant, il 44 semblait tendre à une sorte de dissolution. Admis 44 dans tous les temps,mais diversement expliqué suivant 44 les théories dominantes, cet état qui peut se développer 44 dans toute pyrexie et auquel plusieurs semblent natu- 44 rellement tendre, à été appelé tour à tour, état putride, " état adynamique, état typhoïde..... L'altération du sang, 44 qui accompagne cet état, consiste dans une diminution 44 de sa fibrine." "Dans tous ces cas il y a intoxication. Si elle est légère, — 246 — t4 son effet sur le sang doit sans doute exister toujours, 44 mais il n'est pas appréciable ; si l'intoxication est plus " forte, l'effet qu'elle a produit sur le sang devient sensi- 44 ble et il se marque dans ce liquide par une diminution de 44 la fibrine." —(Andral,—Essai d'hématologie). Admettre l'intoxication du sang dans les pyrexies, c'est très clairement admettre dans ces maladies, la matière omrbifique dans le sang sous forme de poison. Or, l'opinion de l'existence de la matière morbifique dans le sang des fé- bricitants, ou pyretiques, appartient, avons-nous dit, à la tradition. Bordeu y consacre bien des passages très curieux de ses œuvres ; en voici quelques-uns : "Quant aux miasmes et corpuscules délétères,poisons et 44 virus de toute espèce, qu'on sait être la cause matérielle 44 de bien des maux, et contre lesquels on vante bien des '4 spécifiques, il est bien certain qu'il existe de ces mias- 44 mes.".... "On ne peut en parlant des allures des miasmes morbi. " fiques, s'empêcher de rappeler que les médecins avaient 44 tellement senti à quel point ces miasmes approchent de 44 l'état vivant, qu'ils en avaient fait des animaux qui vien- 44 nent par essaims s'emparer des corps.... Cette idée 44 paraît plus près de la" nature animale, que celle des 44 mouvements chimiques, etc.".... Qu'il nous suffise pour le moment d'avoir établi, nous le croyons, que dans l'immense majorité des cas où une fièvre se manifeste, sans qu'il soit évident qu'elle est due à une inflammation locale, il faut la considérer comme provoquée par la présence dans le sang de ce quelque chose que les Anciens appelaient matière fébrile.— En d'autres termes, la fièvre presque toujours, n'est pas au- tre chose qu'une réaction de l'organisme, ayant pour but — 247 — d'assimiler ou d'éliminer quelque corps étranger, quelque principe hétérogène, quelque cause morbifique, qui sans elle nuirait à l'organisme, ou même tendrait à sa destruc- tion- Si maintenant nous nous demandons ce que peut être le corps étranger, le principe hétérogène, la cause morbi- fique, etc., qu'il s'agit d'assimiler ou d'éliminer, nous n'en voyons que de deux sortes possibles : — 1° ou la matière fébrile vient du dehors, est complètement étrangère à l'homme, (exemples : miasmes, miasmes marécageux, principes scarlatineux, rubéoleux, varioleux, etc.)— 2° ou la matière fébrile vient du dedans, appartient à l'homme malade lui-même ; exemple : présence dans le sang de produits qui devaient être séparés par les sécrétions et excrétions, et qui ont été retenus dans la crâse des humeurs, et y sont comme des corps étrangers. 11 est incontestable qu'un nombre immense de maladies fébriles aiguës ne reconnaissent point d'autres causes que des perturbations dans nos sécrétions. La fièvre donc, dans l'immense majorité des cas, s'allume pour élaborer, modifier et expulser ou assimiler, un principe morbifique, qui est dans le sang, et ce n'est que secondairement que des organes se congestionnent, s'enflamment à leur tour et viennent jouer un rôle plus ou moins considérable dans la marche de l'affection et de la réaction, c'est-à-dire de la maladie. Nous trouvons dans le portrait de Double, tracé par Réveillé-Parise, un passage qui vient admirablement cor- roborer ce que nous disons ici. Voici ce passage : "Dou- 44 ble avouait nettement son peu de confiance dans la mé- 44 decine organique ; le consensus vital et morbide est tel 44 que l'organe, selon lui, loin d'être le point de départ de — 248 — " la maladie, n'en est au contraire que le but, la simple 44 manifestation. Est-ce que l'érysipèle, disait-il, inflam- 44 mation évidente, ne dépend pas d'une cause générale et 44 constitutionnelle ? Il en était ainsi de toutes les inflam- 44 mations les plus franches, et lui-même se donnait en 44 exemple de cette doctrine des causes diathésiques. At- 44 teint en 1839 d'une assez grave pneumonie, il était en 44 voyage quand les premiers symptômes du mal se mani- 44 festèrent. Mais toujours médecin, toujours observa- 44 teur, Double en étudia les commencements avec un " soin minutieux, comme s'il eût été question d'une autre 44 personne. Or, disait-il, c'est dans cette circonstance 44 solennelle que je me suis convaincu que la localisation " est purement secondaire. Je sentais, pour ainsi dire, " la cause du mal parcourir l'économie, hésiter sur le point 44 où elle ferait, explosion. J'eus d'abord un violent mal 44 de tête et je craignis une apoplexie ; bientôt de vives 44 douleurs d'entrailles se firent sentir et je crus à une co- 44 lique inflammatoire ; mais, tout à coup, la poitrine fut 44 saisie ; alors la pneumonie se déclara. On eût dit, ajou- 44 tait ce médecin, que le principe du mal tâtait pour ainsi 41 dire tous les organes, puis se décidait à attaquer brus- 44 quement le plus faible et le moins résistant. Cette doc- 44 trine qui remonte à Hippocrate, celle des causes et des 44 forces, paraissait à Double la seule convenable, la seule 44 qui pût maintenir la science à une certaine hauteur, 44 Dans la médecine, comme dans les autres sciences, tout 44 sort de l'esprit, tout vit de l'esprit; c'était son point 44 d'appui, son critérium inébranlable." — (Réveillé-Pa- rise.) Or, dans nos rapides considérations de pathologie en général, nous avons eu soin de faire une distinction bien — 249 — iiette d'une part, entre l'action des causes morbides, mani- festée par l'affection, et d'autre part, la réaction de la force vitale, ou fonction accidentelle de l'organisme, qui consti- tue pour l'école hippocratique l'acte principal de la ma- ladie. Pour Hippocrate, en effet, toute la médecine consistait dans l'étude de cette lutte de la nature médicatrice ou force conservatrice, contre les causes morbides. La définition de la pathologie formulée par le profes- seur Cayol, consacre fidèlement cette idée fondamentale du Père de la médecine. Nous avons admis que la pathologie ainsi comprise, et divisée en externe et en interne, présente trois autres divi- sions : (Étiologie, affection, réaction.) et que de ces trois grandes sources d'études, découle l'étude finale, celle des indications thérapeutiques qui constituent essentiellement l'art de guérir. Dans la partie pathologique, traitée d'une manière gé- nérale, nous ne devions qu'indiquer les bases de toutes les questions. Dans la pathologie externe, nous avons cru en- core bien faire, en évitant de descendre dans les particulari- tés de chaque question. Enfin, dans la pathologie interne, il nous paraît que pour obéir à l'esprit qui a dicté la question proposée au concours, nous devons au contraire être moins sobre de détails, et cependant nous tenir encore dans les généralités les plus sommaires. Quelques rapi- des, pourtant, que doivent être les détails dans lesquels nous allons entrer, il nous est impossible, malgré l'irrégu- larité, de ne point établir de nouveaux chapitres, pour cha- cune des grandes divisions de la pathologie interne, qu'il nous reste à parcourir : l'étiologie, l'affection, la réaction ?t la thérapeutique dans les maladies aiguës. L'impor- — 2-50 — tance des matières nous décidera même à consacrer un chapitre à un essai de classification des maladies aiguës, et un autre chapitre encore aux maladies chroniques en général. CHAPITRE IV. DES CAUSES MORBIDES (Êtiûlogie). L'étude des causes morbides est peut-être la plus diffi- cile de toutes celles que doit faire le pathologiste ; c'est aussi l'une des plus importantes. Nous l'avons déjà abor- dée dans plusieurs parties de ce mémoire ; dans ce cha- pitre nous avons besoin d'y revenir, avec un peu plus de détails. En général, on a divisé les causes des maladies en pré- disposantes et déterminantes; cette division est dans la na- ture; nous la suivrons ici. § T. CAUSES PRÉDISPOSANTES. Les causes prédisposantes sont celles qui, en quelque sorte,préparent les états morbides; elles sont d'autant plus intéressantes à étudier que c'est d'elles que dépend le plus souvent la forme, la diathèse des maladies; or, au — 251 — point de vue de la thérapeutique, la diathèse a une valeur profonde aux yeux du médecin hippocratiste. Les causes prédisposantes ainsi envisagées peuvent être divisées en celles qui tiennent à l'homme lui-même, et en celles qui dépendent du milieu dans lequel il vit. Io CAUSES PRÉDISPOSANTES QUI TIENNENT A 1,'HOMME. U serait mieux de les appeler prédispositions. Elles dépendent de l'âge, du sexe, des professirns, des habitu- des, (en particulier dans le manger, le boire, le dormir, etc.); elles dépendent surtout de la prédominance d'action de tel ou tel grand appareil organique sur les autres, c'est-à- dire du tempérament. Les saisons, les climats, les lieux, les eaux, etc., ont aussi sur ces prédispositions une influence marquée. Cer- taines individualités morbides ont avec elles comme des affinités; ou plutôt, elles semblent sympathiques à quel- ques états morbides, et antipathiques à d'autres; et sui- vant ces sympathies ou antipathies, la réaction ou rési- stance vitale est plus ou moins efficace. En entrant plus loin, dans quelques détails, nous nous ferons mieux com- prendre. Nous avons dit que les prédispositions dépendaient beaucoup du tempérament ; or, c'est le tempérament, c'est-à-dire la prédominance d'action de tel ou tel système d'organes sur les autres à l'état physiologique, qui décide de la diathèse à l'état pathologique ; dès lors, on com- prend que c'est principalement sur le tempérament que nous devons insister comme prédispositions. U y a des personnes chez lesquelles cette prédominance organique est poussée si loin, que c'est déjà presque un état mor- bide. Mais, entrons dans quelques particularités, très- succinctes toutefois, puisque ce sujet a déjà été exploré dans nos études préliminaires. Les personnes chez lesquelles le système absorbant est prédominant, c'est-à-dire Jes personnes du tempérament hépato-veineux, ont une tendance particulière à manifester dans leur sang, ou plutôt dans la crâse de leurs humeurs, un excès ou des liquides blancs, (mucus, saburrhes, à la surface de l'intestin), ou des produits hépatiques et sple- niques, (bile et atrabïlè). Cette tendance peut déjà à elle seule, si elle est poussée un peu loin, constituer un état anomal et presque maladif. Mais, de plus, une affection quelconque venant à se déclarer chez de tels sujets, il est infiniment probable que la réaction prendra la forme ou muqueuse ou bilieuse; en sorte que l'attention du médecin devra être appelée tout d'abord vers les sécrétions abdo- minales, afin de les régulariser ; quelquefois il y aura lieu de les modérer, le plus souvent il faudra les favoriser, Aussi peut-on dire d'une manière générale, qu'avec de tel- les prédispositions, les évacuants doivent faire la base du traitement ; en d'autres termes, de telles conditions mor- bides étant données, l'évacuation du tube digestif, par haut et par bas, doit être l'indication première et fondamentale. Toutes les manifestations locales qui pourront exister en même temps que ces conditions générales, deviennent dès lors secondaires : c'est ainsi, par exemple, que certaines hydarthroses, certains herpès zona, certains érysipèles, etc., exigeront avant tout traitement local, l'évacuation des pre- mières voies. La forme muqueuse, bilieuse, atrabilieuse des fièvres va naturellement avec les prédispositions qui nous Occu- pent ; mais de plus, certaines fièvres ont avec elles des afi> uités incontestables : ainsi, celle que Baglivi rangeait parmi ses fièvres mésentériques et qu'on a confondues, de nos jours, avec la typhoïde ; ainsi la fièvre jaune soit ictérique, soit atrabilaire, etc. Il va sans dire qu'il ne résulte pas des observations précédentes que les fièvres typhoïdes, les fièvres jaunes, etc., doivent se présenter toujours sous la forme abdominale ; loin de là, leurs formes céphaliques ou nerveuses, sont très-communes, et leurs formes thoraciques ou inflammatoires ne sont pas rares. Quant à l'efficacité plus grande de la réaction abdominale contre les fièvres de même forme, c'est un point de pathologie obscur, mais fort intéressant à étudier. 11 est incontestable, par exem- ple, que les nègres, chez lesquels le système atrabilaire prédomine, échappent pour ainsi dire aux fièvres de forme atrabilaire, qu'elles soient d'origine animale ou d'origine végétale; c'est ainsi que la fièvre jaune et les fièvres à quinquina, avec vomissements noirs, sont pour ainsi dire sans prise sur eux. Chez les personnes dont le système pulmono-artériel est très développé, (chez les sanguins des auteurs), le sang est très riche en globules et en fibrine. Cet excès de ri- chesse du sang est presque déjà un état morbide. Qu'a- vec un tel sang une perturbation survienne dans les fonc- tions, et presque inévitablement la réaction de l'organis- me provoquera dans le sang la manifestatioiî de ses qua- lités plastiques et couenneuscs, c'est-à-dire que la diathèse inflammatoire se dessinera aussitôt; qu'un simple refroi- dissement ait été la cause de la perturbation des fonctions, qu'un organe quelconque, suivant les idiosyncrasies, ait été le siège d'une congestion, qu'une quelconque des ma- tières fébriles que nous indiquerons plus loin, ait été in- troduite dans le sang, il n'importe, la réaction générale — 2Ô4 — presque infailliblement prendra la forme inflammatoire* FA, chose remarquable ! les congestions locales, bientôt phlegmasiques, qui se produisent dans de telles conditions, semblent affectionner particulièrement les dépendances des Secondes Voies : les maux de gorge (esquinancies), les pneumonies, les pleurésies, s'observent surtout avec le tempérament artériel et sont par excellence des affections inflammatoires. Il semble aussi que le tempérament arté- riel ait des affinités avec le vice rhumatismal et le goutteux. Il va sans dire qu'avec la diathèse inflammatoire, l'indi- cation des déplétions sanguines locales, et surtout géné- rales est très positive. "Sic etvasorum evacuatio, si quidem " qualem fier i decet, fiât, confert et facileferont; sin minus, 44 contra ; respicere igitur oportet et regionem et tempesta- " tem et morbos in quibus convenit aut non." (Hippocrate.) Quant à la prédominance du système nerveux sur les autres systèmes d'organes, qu'elle soit de naissance ou acquise, elle n'en constitue pas moins une véritable pré- disposition. Avec elle, il semble que le fluide nerveux soit en excès, il y a pléthore des Troisièmes Voies, plé- thore nerveuse, comme il ) avait pléthore artérielle avec la prédominance thoracique, pléthore hépatique ou veij neuse avec la prédominance abdominale. Quand des troubles éclatent, avec cette pléthore nerveuse, les organes de l'innervatiô*n sont les préférés, les choisis, et pour les manifestations symptomatiques, et pour les manifestations réactionnelles. Ainsi, un refroidissement, une suppres- sion de sueur qui, chez un homme bien équilibré dans ses systèmes organiques, ne produiraient qu'une simple cour- bature, amèneront chez un sujet en proie à une surexci- tation nerveuse, une fièvre avec délire, et même chez quelques uns, des convulsions, et peut-être le tétanos. — 2<55 — Avec la prédisposition qui nous occupe, les inflamma- tions en apparence les plus franches, pou front prendre un tel caractère, qu'elles exigeront alors, pour être conduites à une fin heureuse, l'emploi de modificateurs thérapeuti- ques spéciaux, les opiacés, le musc en particulier. Par exemple, il y a telles pneumonies, de forme nerveuse ou ataxique, qui nécessiteront l'emploi du musc et du musc à hautes doses; il y a telles autres pneumonies, qu'on pour- rait appeler alcooliques, celles des ivrognes, toujours com- pliquées du delirium tremens, et pour lesquelles il faut l'opium et l'alcool. Dans de telles conditions, soyez avare de sang, même en présence des apparences inflamma- toires les plus pressantes ; en effet, contre les complica- tions nerveuses auxquelles nous faisons allusion, les dé- plétions sanguines sont nuisibles, le musc inutile, tandis que le madère et l'opium rendent les services les plus éton- nants. Tout ce que nous venons de dire peut donc se résumer dans l'aphorisme suivant de Sprengel : "Nous ne traitons 44 point en général de la pneumonie ou de l'hydropisie, 44 mais nous traitons la pneumonie ou l'hydropisie de Sem- '4 pronius, ou de TuUia." Il y a donc dans les tempéraments et les idiosyncrasies, des prédisdositions qui décident et de la diathèse et des lo- calisations qui caractérisent les maladies. La même cause déterminante, un simple refroidissement par exemple, agissant sur plusieurs personnes, on verra chez l'une se déclarer une pneumonie, chez l'autre une angine, chez une troisième une pleurésie, etc., et tout cela, suivant les idiosyncrasies. En outre, pour chaque personne en par- ticulier, la pneumonie, l'angine, ou la pleurésie sera do- minée, soit par la diathèse inflammatoire, soit par la dia- — 256 — thèse bilieuse, soit par la diathèse nerveuse, suivant les tempéraments. 2o CAUSES PRÉDISPOSANTES QUI DÉPENDENT DES CIRCCMFUSA. Les développements que nous avons déjà donnés, sur les airs, les eaux, les lieux, les saisons, les climats, nous dispensent d'entrer ici dans beaucoup de détails. Ce sont en effet toutes ces conditions qui constituent les vraies causes prédisposantes ; et sous leurs influences com- binées on voit l'homme être prédisposé à telles diathèses ou à telles localisations plutôt qu'à telles autres. Ainsi, nous l'avons déjà rappelé, dans les pays froids ou tempérés^ pendant l'hiver et pendant le printemps, les formes inflam- matoires sont très communes, et les localisations semblent se faire de préférence dans les organes qui relèvent des Secondes Voies ; dans les pays chauds et pendant l'été, on voit les maladies prendre plutôt les formes bilieu- se, atrabilieuse, et les viscères des Premières Voies être en quelque sorte choisis, comme sièges des congestions pathologiques ; c'est aussi pendant les saisons chau- des, clans les pays secs, et surtout dans les temps d'orages, qu'on voit se dessiner les formes nerveuses; enfin dans les pays humides et pendant l'automne on observe plutôt les formes muqueuses ou catarrhales, les formes séreuses ou rhumatismales, etc. 11 va sans dire que toutes les causes prédisposantes gé- nérales et les prédispositions qui dépendent des tempéra- ments et des idiosyncrasies, combinent leurs actions di- verses, pour déterminer les diathèses et les localisations ; en sorte que le médecin, non seulement ne traite point en général de la péripneumonic ou de l'hydropisie, comme — 2>f — dit Sprengel, non seulement il traite la péripneumonie ou l'hydropisie de Sempronius ou de Tullia, mais encore, suivant qu'il aura à traiter Sempronius ou Tullia, dans tel ou tel pays, dans telles ou telles saisons, il devra faire varier ses moyens d'intervention thérapeutique. Les influences prédisposantes générales qui relèvent des conditions locales, (des airs, des eaux, des lieux) comme aussi de la manière de vivre des populations, de leurs mœurs, de leurs habitudes, etc., constituent des influen- ces endémiques ; celles qui dépendent des conditions at- mosphériques, constituent des influences épidémiques : il est donc convenable d'admettre des constitutions médicales et endémiques et épidémiques ; c'est de ces constitutions que naissent les maladies endémiques et les maladies épi- démiques, dont la distinction est quelquefois si difficile à établir. A la vérité une même cause morbide peut agir endé- miquement et épidémiquement : exemple, le génie inter- mittent. Il y a des pays où il règne d'une manière per- manente, et de telle façon qu'il est impossible de ne pas voir qu'il y est dû à des conditions locales ; tels sont les pays de marais. Non seulement les états morbides inter- mittents de toutes sortes, (fièvres, névralgies, hémorrha- gies, etc.), s'y montrent sans interruption, mais toutes les maladies qu'on observe dans ces pays, dans de certains moments du moins, se compliquent de l'élément intermit- tent, en sorte que pour les mener à bien, il faut sans cesse avoir recours à la quinine, ou au quinquina. Il y a donc là une sorte de prédisposition générale ou endémique, contre laquelle la prophylaxie quinique n'est point à dé- daigner du tout. Ce même génie intermittent peut au contraire se mon- 17 trer dans des pays où Y intermittence n'est nullement en- démique, et alors régner épidémiquement. Si dans ces conditions il fait naître des maladies franchement intermit- tentes, il est facile à reconnaître et à combattre ; mais quelquefois, il vient compliquer un autre génie épidémique; dans ce dernier cas, il peut être excessivement difficile à démasquer, à saisir, et. des ravages affreux peuvent être produits avant que les médecins aient découvert à quels ennemis ils ont affaire. Si nous ne nous trompons, la Suette miliaire, l'année dernière encore (1850), a fait son apparition sur quelques points du Midi de la France. Déjà les inquiétudes étaient vives et fondées, lorsqu'on apprit que les médecins de l'épidémie réussissaient, par l'administration du sulfate de quinine, à se rendre maîtres facilement des accidents^ N'est-ce point précisément, parce que dans ces circons- tances, le génie intermittent était venu compliquer la Suette miliaire? C'est au moins l'explication qui nous pa- raît la plus plausible. N'est-il point présumable que cette Suette aurait fait de grands ravages, si les médecins n'a- vaient pas été assez heureux pour saisir son génie parti- culier, et s'ils n'avaient point eu un spécifique à lui oppo- ser? En 1840, à Avignon, régna une épidémie des plus meur- trières, qui frappait des hommes dans toute la force de l'âge, puisque c'était principalement sur la garnison- qu'elle sévissait : c'était une affection cérébro-spinale. En 1841, ïa même épidémie éclata de nouveau, dans le même lieu, tout aussi redoutable que l'année précédente. Le médecin principal, M. Chauffard père, dont l'habileté et ïa grande expérience sont connues, en était nawé! "Je battis longtemps l'ornière tracée, dit-il, et c'était à frémir ; — 259 — j'en sortis enfin !" Ce fut en substituant aux déplétions sanguines, aux purgatifs, aux toniques, aux vésicatoires, etc., qui tous avaient échoué, ce fut en leur substituant l'opium! et l'opium à hautes doses 1 l'opium, dans des affections caractérisées par des symptômes qu'il était diffi- cile, avec les idées généralement reçues, de ne pas ratta- cher à une inflammation des centres nerveux et de leurs enveloppes! Pendant que ces choses se passaient à Avignon, une affection épidémique semblable se montrait à Strasbourg, et ne cédait encore qu'à l'opium ! Cette affection épidé- mique a été appelée méningite encéphalo-rachidienne, et bien que sa nature nerveuse ait été démontrée par le suc- cès de l'opium, le professeur Forget n'en persiste pas moins à croire que l'aphorisme, morborum naturam ostendit cura- tio, n'a aucune valeur. M. Chauffard a été plus hippo- cratiste, puisqu'il a intitulé son travail : "Mémoire sur des 44 Cérébro-Spinites qu'il a fallu traiter par l'opium." Il est impossible à des esprits sans préventions, de ne pas reconnaître dans les deux épidémies d'Avignon et de Strasbourg, l'influence de constitutions médicales à diathè- se nerveuse. Dans l'ouvrage de M. Maillot sur les fièvres pernicieu- ses, on trouve des exemples très remarquables de constitu- tions médicales à diathèse intermittente ou quinique, s'il est permis de s'exprimer ainsi. C'est une chose vraiment intéressante de suivre dans ce livre les transformations que présentent les faits, à mesure que le disciple de Broussais s'éclaire par sa propre observation. On y voit, sous une influence endémique plutôt qu'épidémique, des affections très variées quant à leurs manifestations symptomatiques, (fièvrescardialgiques, algides, pseudo-continues, etc.), être — 260 — invariablement suivies de la mort, quel que soit le traite- ment, aussi longtemps qu'on n'a pas recours au sulfate de quinine, diminuer de gravité à mesure qu'on élève les do- ses du spécifique, et enfin n'être plus dangereuses, pour ainsi dire, quand on arrive à administrer d'emblée, dès le début, des doses énormes de sulfate de quinine, alors même qu'z7 semble qu'il y a état inflammatoire, et état inflamma- toire de l'estomac ! De pareils faits ne sont-ils pas bien éloquents ? Et quand on les a médités, est-il possible de se refuser encore à ad- mettre des Constitutions médicales ? Hippocrate était loin de s'y refuser, et avec lui les plus grands médecins de tous les âges leur ont toujours accordé l'attention la plus pro- fonde. A ce propos, citons quelques aphorismes de Stoll : "Aph. 24. Les causes générales sont dues à une certaine " constitution des années qui revient périodiquement, ou 44 au changement annuel, ou à un certain miasme général 44 intercurrent. "Aph. 25. De là naît une division importante des fièvres : 44 attendu que les causes particulières fournissent les fiè- 44 vres sporadiques, ainsi que les individuelles, et que les 44 générales produisent les stationnaires, les annuelles, et 44 celles qui sont intercurrentes épidémiquement." Aph. 38. "U est constaté par les observations de Syden- 44 ham et par les miennes, que la fièvre stationnaire influe 44 fortement sur toutes les fièvres et maladies fébriles, sans 44 exception, soit qu'elles dépendent des changements de 44 saisons, soit qu'elles soient produites par quelque cause 44 singulière, et qu'elle les soumet à son pouvoir." Dans les localités donc où des influences soit endémi- ques, soit épidémiques, se font sentir, toute la population y est soumise, ceux qui sont malades, comme ceux qui ne — 261 — le sont pas ; ce sont de telles prédispositions générales qui préparent et décident principalement la nature ou dia- thèse des maladies. Au reste, en étudiant la réaction de l'organisme, nous reviendrons encore sur cette question, si importante au point de vue de la thérapeutique, des constitutions médicales et des diathèses. Nous reconnaî- trons ainsi que le véritable diagnostic, celui qui établit mé- dicalement et non pas anatomiquement la nature des mala- dies, se puise en définitive à toutes les sources, mais par- ticulièrement aux trois sources suivantes : les prédisposi- tions, les causes prédisposantes, et les causes morbides déter- minantes. C'est sur la juste appréciation des données fournies par ces trois sources principales, que le médecin praticien devra baser ses moyens d'action les plus impor- tants. § II. CAUSES DÉTERMINANTES. Dans ce paragraphe, nous avons en vue principalement les matières fébriles ou morbides qui, par leur présence dans le sang, déterminent l'explosion d'affections et de ré- actions aiguës, c'est-à-dire de maladies fébriles. Il serait étrange de découvrir dans ces matières fébriles des êtres de raison; mais elles sont assurément des entités (ens, entis, être), et même des entités matérielles ; toutes matérielles qu'elles sont néanmoins, elles échappent à nos sens, et à nos sens armés des instruments et des réactifs que la physique et la chimie ont inventés ; elles restent donc des causes occultes! Pourquoi s'effrayer de ces mots, entités, causes occultes, etc. ? ne sont-ce pas là des expressions très philosophiques, quand on les comprend bien ? Il faut admettre l'existence, la réalité des matièresfébri- — 2G2 — les, parce qu'elles produisent des effets palpables, appré- ciables à tous nos sens mêmes, et qu'on ne peut concevoir et expliquer qu'en admettant cette existence, cette réalité. Nous avons dit précédemment notre espoir que le micros- cope enrichira un jour la science de cette branche nou- velle d'histoire naturelle, la micrographie des matières fébriles. Déjà nous avons vu le professeur Andral, après ses études minutieuses du sang, admettre très clairement et très positivement l'intoxication du sang, c'est-à-dire la présence dans le sang d'une matière fébrile, considérée comme un poison, et cela dans les maladies les plus com- munes, la fièvre typhoïde, la variole, la rougeole, etc. Ainsi, le professeur Andral est déjà très avancé dans son retour vers les Anciens, et c'est assurément là un des plus remarquables progrès de la médecine moderne. La présence dans le sang d'une matière morbide ne suffit pas pour déterminer toujours l'explosion d'une ma- ladie : d'abord, il peut se faire que l'affection seule se ma- nifeste, parce qu'il arrive quelquefois que la matière mor- bide stupéfie, anéantit en quelque sorte l'organisme, au point de rendre impossible toute réaction ; exemple : cer- tains cas foudroyants de choléra. Par opposition, la matière morbide, dans d'autres conditions, ne réussit pas à exciter dans l'organisme, même l'affection; à plus forte raison en pareil cas, la réaction ne s'éveille-t-elJe pas malgré la présence dans le sang d'un véritable ferment ; exemple : un individu acclimaté à la fièvre jaune respire impunément le même air qui empoisonne et tue par mil- liers les non-acclimatés ; autre exemple : un individu bien vacciné, ou qui a eu la variole, s'expose sans danger à la contagion de la variole ; mais ce sont là des exceptions. Ordinairement, la présence d'une matière morbide dans le — 263 — sang, à moins d'une puissance réfractaire spéciale, suffit pour déterminer une maladie. Nous avons ajouté que cette présence d'une matière fébrile dans le sang était la condition la plus habituelle de toute maladie fébrile- Mais nous n'avons pas été exclu- sif. En effet, rappelons ce que nous avons dit dans notre chapitre sur la pathologie interne. lo Pour le médecin, les fièvres symptomatiques, dues à une inflammation locale directement provoquée, existent certainement, mais se présentent rarement dans la prati- que. Ainsi, nous avons admis des fièvres causées par des amygdalites, des pharyngites, des bronchites, etc., provo- quées elles-mêmes par des corps irritants, par l'air froid, par le brouillard, etc.; mais même dans ces cas, le trouble sécrétoire local, qui est la conséquence de ces inflamma- tions, entraîne un trouble général dans les sécrétions, et dès lors il existe dans le sang une matière hétérogène qui devra être ou assimilée ou rejetée, ce qui ne peut se faire sans développement de chaleur fébrile. 2o Nous avons, par conséquent, admis que dans l'im- mense majorité des cas, la fièvre ou effervescence du sang était allumée par une matière fébrile, existant d'emblée dans le sang. 3° Enfin, nous avons admis que cette matière fébrile avait deux sources : elle vient de l'homme lui-même, ou du dehors. On verra que dans toutes ces propositions nous sommes fidèle à l'enseignement traditionnel hippocratique. lo. MATIÈRE FÉBRILE PROVENANT DE L'HOMME MÊME. Dans notre partie physiologique, nous avons insisté sur la nécessité, pour la conservation de la santé, de rejeter — 201 — sans cesse au dehors et facilement des matériaux, qui ne doivent faire que passer dans le sang, ou même dans la trame de nos tissus. Nous avons dit que cette élimina- tion par les glandes, cette excrétion incessante, sont in- dispensables pour le maintien de l'état physiologique. La suspension de nos excrétions, les perturbations dans nos sécrétions, voilà donc déjà de larges sources d'où peut provenir la matière fébrile au sein de l'homme même. L'équilibre parfait entre nos absorptions et nos exhalai- sons est. impossible; aussi, la pureté du sang est-elle toute idéale ; sa composition très variable est importante à étu- dier pour le médecin. Il y a des conditions natives, héréditaires, qui lui don- nent telles ou telles qualités : chez l'un, ce sera dans les globules un excès en plus, chez l'autre en moins ; la nour- riture, les boissons auront ou n'auront pas d'influence sur ces différences radicales. Toutes choses égales d'ailleurs, la composition du sang dépendra pourtant de la nourri- ture habituelle de chacun, tout comme de l'air qu'il res- pire, de l'eau et des autres liqueurs qu'il boit, etc.; nous avons déjà rappelé tout cela, à propos des prédispositions. Mais de plus, l'alimentation et les boissons ont aussi une action directe sur les organes mêmes qui sont chargés de les élaborer, de les absorber, de les transformer ; il y a des hommes chez lesquels elles entretiennent tous ces organes dans une sorte d'éréthisme jamais suspendu, jamais adou- ci. Mais elles ont une action bien plus profonde encore sur les qualités du sang lui-même ; chez les uns il sera pauvre, chez les autres trop riche ou trop irritant, par suite précisément de l'alimentation et des boissons habi- tuelles. On ne saurait dire combien les excès, de ce côté, sont funestes aux hommes, et c'est avec vérité qu'on a — 265 — souvent répété que la table tue plus de monde que la guerre. Du reste, la vie étant supposée régulière, de simples refroidissements, en supprimant la sueur, ou même la transpiration insensible, ou l'exhalation des vapeurs bron- chiques, tous les jours occasionnent des fièvres, plus ou moins sérieuses, suivant les susceptibilités individuelles. Quelquefois, ce sont de simples douleurs vagues, des cour- batures, une fièvre éphémère enfin, rapidement jugées par une diaphorèse abondante ; d'autres fois, des congestions intérieures brusquement produites par le refroidissement, déterminent un afflux de liquides dans des organes plus ou moins importants ; dès lors, il y a complication : la fièvre qui s'allume pour élaborer et rejeter les maté- riaux retenus dans le sang, est augmentée encore par la phlegmasie locale, qui pourra devenir la chose capitale, si l'organe enflammé joue un grand rôle dans l'économie, s'il a de nombreuses sympathies avec les autres orga- nes, etc. Dans tous ces cas, il y a arrêt dans le sang de matériaux qui devaient être éliminés par la transpiration, par l'exhalation bronchique, etc., il y a matière fébrile dans le sang, matière fébrile provenant de nos humeurs. Si de la peau nous passons à la muqueuse digestive, à cette muqueuse si intimement unie au foie, nous y trou- verons une autre source de matière fébrile assez variée. Bien souvent, ce sont les passions qui troublent les sécré- tions de l'estomac et des intestins, aussi bien que de leurs annexes, celles du foie en particulier ; bien souvent aussi, c'est une alimentation malsaine, ce sont des boissons mauvaises, ordinairement trop excitantes, qui amènent ces perturbations sécrétoires dans l'abdomen. Pour le foie en particulier, nous avons vu que les influences climatéri- ques, comme celles des saisons, étaient très actives sur la — 266 — production de la bile et de l'atrabile. Dans les pays chauds, comme dans les saisons chaudes, la polycholie est très ordinaire. Il arrive donc bien souvent que le tube digestif est surchargé, turgescent, comme disaient les An- ciens), de mucus ou de bile, ou même d'atrabile : de là, des états saburrhaux, muqueux, bilieux ou même atrabi- lieux, caractérisés par la perte de l'appétit, le dégoût même pour les aliments et les boissons, l'amertume de la bouche, les nausées, les vomissements spontanés, etc. Et non seulement l'estomac peut être surchargé de ces pro- duits altérés de sécrétion, mais tout le tube intestinal peut l'être : de là, de l'empâtement, de l'embarras, des ardeurs, des coliques dans les entrailles. Quelquefois, l'intestin pourra être ainsi turgescent sans que l'estomac le soit; d'autres fois l'embarras, la surcharge, n'existeront que pour l'estomac 11 y aura donc à choisir entre le vomitif, ou le purgatif, ou l'éméto-cathartique. Mais enfin, si l'on débarrasse, si l'on évacue convenablement le tube diges- tif, avant que les choses n'aillent plus loin, les fonctions reprendront rapidement leur équilibre, pourvu que les causes qui avaient déterminé les troubles sécrétoires ne continuent pas leur action. "In perturbationibus alvi, et 44 vomitibus spontè ortis, si quidem qualia oportet pur- 44 gari, purgentur, confert et facile ferunt ; sin minus, con- 44 tra."—(H. aph.) Que si au contraire la surface absor- bante des premières voies n'est pas nettoyée, bientôt on constatera des pesanteurs de tête, des douleurs sus-orbi- taires, des malaises, de l'abattement, une altération de coloration de la peau et surtout des conjonctives, enfin les signes d'un état général, qui indiqueront que les produits altérés des sécrétions, déposés sur la surface intestinale, ont été absorbés. — 267 — Dès lors il y aura matière morbide dans le sang. Dans ces conditions même, l'évacuation soit naturelle, soit arti- ficielle du tube digestif, pourra rétablir encore assez rapi- dement la santé; mais si le tube digestif n'est point éva- cué, si au contraire on a recours aux évacuations sanguines, pour remédier aux douleurs de tête, aux malaises, etc., l'absorption intestinale deviendra de plus en plus active, l'altération du sang ira croissant, et dès lors, il ne faudra pas moins qu'une fièvre plus ou moins longue, continue ou rémittente, pour élaborer la matière morbide introduite dans le sang, (pour la cuire), pour la séparer du sang et préparer les évacuations critiques convenables. Il a passé sous nos yeux des faits de ce genre, assez nombreux pour que nous assurions que ce n'est pas du tout un tableau imaginaire que nous traçons ici. "J'ai observé 44 que les ictères fébriles étaient, pour la plupart, ou mor- 44 tels, ou au moins extrêmement dangereux."—Stoll. Nous pouvons affirmer avoir vu des fièvres graves et même mortelles, amenées lentement et progressivement de la manière que nous venons de dire. Ce sont ces fiè- vres de forme muqueuse ou bilieuse, quelquefois même attrabilieuse, que nos devanciers dénommaient fort bien fièvres putrides, fièvres adynamiques. Deux années consécutivement, pendant les semestres d'été (1845 et 1846) et dans une zone presque tropicale, le fait suivant s'est passé sous nos yeux, dans un grand ser- vice d'hôpital : l'un des médecins, ancien élève de M. Gen- drin, donnait beaucoup de vomitifs ; pour lui, il régnait alors une constitution médicale gastrique fortement dessi- née ; de plus, il se redisait souvent l'aphorisme hippocra- tique : "Purgandum œstate, magis superiores ventres; hyeme verô, inferiores;" ses collègues, au contraire, ne — 26S — faisaient pas vomir. Or, à la fin de chaque mois, le mou- vement des salles montrait que le premier médecin n'avait pas reçu de fièvres typhoïdes, mais qu'il avait vu passer dans ses salles un grand nombre de malades dont le diag- nostic portait : embarras saburrhal, et bien plus souvent, embarras bilieux de l'estomac ; ces malades n'étaient pas restés plus de quatre ou cinq jours à l'hôpital. Les autres médecins, au contraire, qui ne donnaient point de vomitifs, saignaient, ventousaient surtout, donnaient le calomel et l'huile de ricin ; or, ils n'avaient point, à la vérité, vu dans leurs salles, d'embarras saburrhaux ni bilieux de l'estomac, mais, en revanche, ils avaient eu à soigner beaucoup de fièvres assez longues, plus ou moins graves, qu'ils appe- laient^èvres typhoïdes, et que sans doute l'autre médecin eût appelées fièvres muqueuses ou bilieuses, s'il avait eu à les constater, une fois développées. Faut-il penser que le hasard envoyait les embarras gastriques dans un service, et les fièvres typhoïdes dans les autres ? Nous avouons que ce n'est point là notre explication. Dans le dernier ordre de matières morbides que nous venons d'exposer, (mucus ou liquides blancs, bile ou liquide jaune ou vert, atrabile ou liquide noir, venant plus directement de l'arbre de la veine-porte), les matières fé- briles semblent appartenir plus particulièrement aux pre- mière* voies. D'autres produits de sécrétion, purement excrémentitiels, retenus dans leurs réservoirs, peuvent pas- ser dans le sang et devenir matières morbides, exemple : l'urine. Quand la rétention d'urine est trop complète et trop prolongée, il y a résorption, et par suite, fièvre mi- neuse. On peut en dire autant des matières fécales. A propos des matières morbides déposées à la surface de l'intestin, nous aurions pu parler des vers intestinaux, — 259 — lombrics, ascarides, etc., qui sont souvent la cause d'acci- dents plus ou moins redoutables. A propos d'autres pro- duits (urineux, bilieux, etc.) retenus anormalement dans l'économie, et devenus corps étrangers, nous aurions pu rappeler les troubles si douloureux et quelquefois si gra- ves, qui en sont la conséquence : coliques néphrétiques, hé- patiques, etc. Mais nous avons ici en vue principalement les matières morbides qui, passées dans le sang, font écla- ter des fièvres aiguës ; il y en a un grand nombre qui vien- nent du dehors. 2o DE LA MATIÈRE FÉBRILE QUI VIENT DU DEHORS. Il s'agit ici de matière qui ne tombe pas sous les sens et qu'on considère comme cause. Nous nous sommes pré- cédemment suffisamment expliqué sur ce point. C'est donc par les effets qu'elle produit, qu'on peut apprécier cette matière fébrile. Pour passer du dehors au dedans, elle choisit les voies les plus secrètes ; il est probable que le plus souvent, c'est par l'arbre aérien qu'elle pénètre, mais il est incontestable qu'elle doit aussi s'insinuer quelquefois par les couloirs de la peau, aussi bien que par ceux de l'intestin. Ici se présentent en perspective devant nous, sur les ma- tières morbides venues du dehors, des développements trop importants pour ne leur pas consacrer un chapitre à part. Exposer les effets si variés et si palpables qu'elles produi- sent, en agissant sur l'organisme humain et en provoquant ses efforts réactionnels, c'est donner de nouvelles raisons en faveur de leur existence, si souvent contestée, même comme êtres matériels. Afin de mettre un peu d'ordre dans cette rapide exposition, nous diviserons les matières — 270 — morbides en trois classes distinctes, suivant les effets qu'elles produisent. CHAPITRE V. INDICATION D'UNE CLASSIFICATION DE QUELQUES MALA* DIES AIGUËS, D'APRÈS LES EFFETS DUS À LEURS CAUSES MORBIFIQUES. La connaissance des causes morbifiques en elles-mêmes étant très difficile et très peu avancée dans l'état actuel de la science, il est évident qu'en parlant de fonder sur elles une classification, nous entendons simplement éta- blir entre les maladies des divisions indiquées par les effets dus à ces causes. Que si l'on réussissait à grouper ainsi naturellement les maladies, et à découvrir des spécifiques en rapport avec la cause morbifique de chaque groupe, il faudrait avouer que la pathologie se serait dès lors élevée à un degré de perfection bien désirable. Malheureuse- ment nous sommes loin de pouvoir même rêver une pa- reille perfection ; c'est tout au plus si les affections d'ori- gine paludéenne permettent de concevoir quelques espé- rances de ce genre. Nous convenons même qu'une classification plus naturel- le et plus conforme à l'esprit hippocratique serait celle qui — 271 — reposerait, non plus sur les effets dus aux causes morbi- des, mais sur les phénomènes de la réaction conservatrice de la nature. L'idée d'une telle classification a été sou- vent émise, et en particulier, dans le siècle dernier par Barker. 11 est incontestable que c'est la nature qui gué- rit, et il ne l'est pas moins que nos meilleurs et véritables traitements sont ceux qui imitent le mieux la nature ; sa- voir comment la nature s'y prend pour guérir est donc chose bien importante pour le thérapeutiste, et par consé- quent, une classification basée sur les mouvements critiques de la force médicatrice, serait entre toutes la plus utile à ''art de guérir. Les anciens auraient pu, mieux que les modernes, tenter une pareille classification. Nous ne sommes point en mesure même d'en essayer l'ébauche. Au reste, disons-le bien clairement, nous n'avons pas la prétention de proposer ici une classification ; le but de ce chapitre est plutôt, en donnant quelques détails sur les effets spéciaux de certaines causes morbifiques ou matières fébriles, d'en rendre l'existence de plus en plus évidente. Il nous semble qu'on peut partager en trois classes les matières fébriles venues du dehors, suivant les principaux effets par lesquels elles se manifestent. Première classe : La matière morbide produit des effets intermittents à accès périodiques réguliers, fébriles ou non; elle reconnaît dans le quinquina un spécifique. Deuxième classe : La matière morbide produit un mou- vement fluxionnaire vers les principales membranes, cuta- née, muqueuses, (digestive et aérienne), séreuses,fibreuses, synoviales. Troisième classe : La matière morbide est si subtile qu'elle pénètre d'emblée dans les troisièmes voies, ou voies nerveuses, (choléra, peste, fièvre jaune). § 1. PREMIÈRE CLASSE. MATIÈRE FÉBRILE À EFFETS INTERMITTENTS, MIASMES PALUDÉENS. Voilà une matière fébrile que personne n'a vue, et pour- tant il n'y a plus sans doute de médecin qui en nie l'exi- stence. Les découvertes d'Ebremberg permettent d'es- pérer qu'on la verra. En attendant, nous remarquerons qu'il est étonnant que ceux qui ont cherché à expliquer l'intermittence dans les fièvres causées par les miasmespa- ludéens, n'aient point songé, que nous sachions du moins, à attribuer aux propriétés de cette matière fébrile, toute spé- ciale, une part quelconque dans l'intermittence. En rap- prochant les découvertes microscopiques d'Ehremberg de la dernière citation que nous avons empruntée à Bordeu, il nous semble qu'une explication venue de ce côté ne se- rait pas tout à fait dépourvue de fondement. Ce qui caractérise l'action des miasmes paludéens, c'est Y intermittence. L'intermittence peut, sans doute, être produite par d'autres causes ; (on peut le dire, quand on n'aurait à invoquer en preuve que les accidents provoqués quelquefois par l'introduction ou le séjour d'une sonde dans l'urètre) ; mais enfin, l'intermittence, voilà le cachet de l'action des miasmes marécageux sur l'homme ; et cette intermittence, ce n'est pas seulement sous la forme fébrile qu'elle se manifeste. Nous pourrions citer des faits de notre pratique qui montrent qu'il y a des accidents in- termittents sans fièvre, véritablement très variés et qui ne cèdent, rapidement du moins, qu'à la quinine. Les plus ordinaires sont les névralgies ; rien n'est mieux connu au- jourd'hui que les névralgies intermittentes ; nous avons vu aussi des hémoptysies intermittentes; nous pourrions en- — 273 — core raconter une observation d'amaurose intermittente, se reproduisant chaque jour à la même heure, et cédant enfin, comme par enchantement, à quelques grains de sul- fate de quinine ; rappelons-la en quelques mots : Un mon- sieur G., tous les après-midi, vers quatre heures, devenait aveugle ; le lendemain matin la vue lui revenait. Quinze grains de sulfate de quinine, trois jours de suite, suffirent pour le guérir. Par opposition, il faut dire que les miasmes marécageux provoquent parfois l'explosion demeures, dont les accès sont si violents et si rapprochés, qu'ils se confondent en entrant en quelque sorte les uns dans les autres; il en ré- sulte que leur marche a toutes les allures des fièvres conti- nues; ce sont pourtant des fièvres intermittentes, mais sub-intrantes ; M. Maillot les a fort bien nommées pseudo- continues ; les médecins italiens, depuis Torti, les avaient pratiquement appelées fièvers à quinquina. Quand ces fièvres à quinquina ou plutôt à quinine, prennent la forme atrabilaire, avec vomissements noirs, dans les pays et dans les saisons où l'on voit la fièvre jaune, elles constituent des fièvres larvées par excellence, d'un diagnostic extrême- ment délicat et difficile. Ce sujet mériterait une étude toute particulière. Dans quelques circonstances, la matière morbide qui nous occupe, pénètre dans le sang à des doses énormes, ou bien elle jouit d'une activité destructive si grande, qu'elle semble agir d'emblée sur les organes de l'innerva- tion et elle tue, avant que l'organisme ait eu le temps de réagir. Alors se présentent ces affections soporeuses, syn- copales, algides, etc., qui constituent de véritables accès pernicieux; alors, on voit les malades emportés avec une rapidité effrayante par des accidents qui se manifestent 18 — 274 — du côté de la tête, de la poitrine, ou du ventre, à moiii» que des doses énormes de sulfate de quinine, administrées à temps et hardiment, ne viennent conjurer le danger. Car, ce qui caractérise encore cette matière fébrile spé- ciale, c'est de céder à un spécifique, à un contre-poison qui a été donné à l'humanité, comme la vaccine, comme le mercure, lui ont été donnés ; ce contre-poison, c'est le quinquina, ou plutôt le sulfate de quinine. Les observa- tions recueillies en Italie, puis en Afrique, par les médecins de l'armée française, et par les trappistes de Staoëli, puis en Amérique, par les médecins de la Louisiane en parti- culier, viennent à l'appui de ce que nous avançons ici. La matière morbide à action intermittente est si répan- due dans quelques pays, qu'il y règne une influence inter- mittente, pour ainsi dire à l'état stationnaire ou perma- nent ; de telle sorte que presque toutes les maladies même les chirurgicales, s'y compliquent d'accidents intermit- tents, contre lesquels il faut du quinquina, Ce qui carac- térise encore cette matière fébrile, c'est que son apparition appartient pourtant à certaines saisons de préférence à d'autres ; il y a des pays où on la voit se montrer dans tels et tels mois, aussi régulièrement que certaines fleurs et certains insectes ; dans ces moments-là, presque toutes les maladies subissent son influence. Elle imprime alors par- tout le cachet d'une véritable constitution médicale ; c'est alors qu'on voit les'prodromes des fièvres éruptives par exemple, être caractérisés par de véritables accès intermit- tents, qui durent quelquefois tout un septénaire, ne cèdent point à la quinine, et qui disparaissent dès que l'éruption est faite ; c'est alors qu'on voit des tubercules pulmonai- res s'annoncer à l'avance, (sans que l'auscultation ni la percussion puissent encore rien dire), par de véritables — 275 — accès intermittents à forme chronique, et rebelles à la qui* nine. Disons en passant, que ce que nous voyons tous les jours, dans le pays marécageux où nous pratiquons la médecine, ne nous permet pas d'admettre le moindre an- tagonisme entre la tuberculisation et l'action des miasmes paludéens. Pendant le règne des constitutions intermittentes, dont nous venons de parler, le sulfate de quinine fait des mer- veilles : les rhumatismes, les fièvres typhoïdes, la fièvre jaune, le choléra même, tout semble lui céder. De là vient, sans doute, que plusieurs ont cru en différentes oc- casions, et en différents pays, avoir découvert dans l'alco- loïde de l'écorce du Pérou, le véritable remède, le spécifia que de toutes ces terribles affections ! §11. DEUXIÈME CLASSE. La matière fébrile de cette classe détermine la produc- tion de ses effets caractéristiques, vers les membranes. Ces effets sont tellement caractéristiques pour la plupart, qu'ils constituent, dans quelques-unes de ces membranes, des maladies vraiment spéciales : ainsi, 1°, pour la peau : la variole, la suette miliaire, la scarlatine, la rougeole, les érythèmes, l'érysipèle, les herpès aigus (labialis, zona) etc.; 2° Pour la muqueuse digestive : le muguet, les aphthes, l'éruption typhoïde des plaques de Peyer, les fluxions et ulcérations dysentériques, etc. ; 3° pour la muqueuse aérienne : certains catarrhes bronchiques et laryngés, la coqueluche avec son élément nerveux et catarrhal tout particulier, le croup avec sa tendance plastique, fibrineuse ou plutôt membraneuse, etc. ; 4° pour les séreuses, les fi- breuses et les synoviales : une foule d'affections fébriles, — 276 — avec sécrétions séreuses séro-purulentes, couenneuses, purulentes, sanguinolentes ; des pleurésies, des péricardi- tes, des péritonites, des méningites, de causes spéciales, quelquefois épidémiques, etc. On peut dire, du reste, que dans toutes les subdivisions qui précèdent, la malignité de la matière fébrile, son action dissolvante, peuvent être telles que des hémorrhagies ac- compagnent parfois leur action. Il semble alors que ces varioles, ces miliaires, ces scarlatines, etc., soient compli- quées de pourpres presque scorbutiques ; de même pour certaines rougeoles, certains érysipèles ; les fluxions do- thienentériques, dysentériques, et même les croupales, les pleurales, les péricardiques, les péritonéales et les ménin- gées, peuvent présenter les mêmes complications hémor- rhagiques. L'action de toutes les causes morbides dont nous ve- nons d'indiquer rénumération, peut se combiner avec celle du génie intermittent ; c'est au praticien à être bien atten- tif. Quelquefois elles agissent si violemment, si profon- dément, avec une septicité si grande, qu'elles tuent avant que l'organisme ait eu le temps de réagir. Par bonheur, c'est très rarement qu'il en est ainsi ; c'est seulement au milieu de ces épidémies terribles qui déciment les popula- tions. A la suite des matières morbides qui provoquent des fluxions vers les séreuses et les synoviales, il nous est im- possible de ne pas entrer dans quelques détails sur le vice rhumatismal et le goutteux. C'est, en effet, principa- lement sur les synoviales et aussi sur les tendons et les membranes fibreuses, sur les tissus blancs enfin, qu'ils por- tent leur action. Cette action peut être chronique, mais, bien souvent aussi elle est aiguë. Nous avouons qu'il — 277 — nous est impossible de concevoir qu'il y ait des médecins qui refusent de reconnaître quelque chose de spécifique dans la cause du rhumatisme et de la goutte. L'allure des affections qui méritent d'être appelées rhumatismales et goutteuses, est une allure si bizarre, si tranchée, si spé- ciale enfin, qu'il est évident, pour qui veut bien voir, qu'il y a dans leur production, plus qu'une simple phlegmasie ; elles doivent incontestablement reconnaître pour cause un agent suî generis. A la vérité, le médecin localisateur qui ne dirige, contre une affection rhumatismale aiguë, qu'un traitement local, plus ou moins antiphlogistique, peut quelquefois mal in- terpréter ce qui se passe sous sts yeux. A une première visite, par exemple, le genou d'un rhumatisant qu'il soigne était horriblement douloureux, chaud, gonflé, etc., il fait appliquer sur ce genou des sangsues en grand nombre, puis des émollients, etc. ; à sa seconde visite il trouve que le genou est délivré ! mais l'épaule est prise, presque aussi fortement que l'était naguère le genou ! Nous convenons qu'il y a là pour le médecin physiologiste et localisateur une cause d'erreur très séduisante. A côté de lui, un au- tre médecin moins systématique, visitait un cas analogue, mais avait recours à un traitement seulement général; or, chez son malade aussi, le genou est délivré avec une rapidité surprenante, sans aucune application locale. Mais l'épaule, ou le coude, ou le poignet, a remplacé le genou comme siège nouveau de la fluxion rhumatismale. Plus facilement que le premier médecin, le second verra que l'état local est chez son malade sous la dépendance d'un état général; dans cette facilité, cette promptitude, des fluxions rhumatismales diverses à se substituer les unes aux autres, (en quelque sorte par métastase), il reconnaî- — 278 — tra la preuve qu'il existe dans le sang du rhumatisant une matière morbide, qui tantôt se porte sur un point, tantôt sur un autre. Il en est de même du vice goutteux; son lieu d'élection est certainement l'articulation méta-tarsienne du gros or- teil ; mais il se déplace aisément. Les gouttes remontées ne sont malheureusement pas une chimère. Nous lisions dernièrement une observation intitulée : Vomissements in- coercibles; la mort s'en était suivie et l'autopsie avait per- mis de constater un ramollissement du ganglion semi-lu- naire. U faudrait savoir si la dame âgée qui fait le sujet de cette observation n'avait ni rhumatisme, ni goutte. La matière morbide goutteuse, avec ses dépôts tophacés, si remarquables dans la forme chronique, provoque du reste des affections et des fièvres aiguës, tout comme la rhuma- tismale. Nous avons entendu raconter, à propos d'affec- tions goutteuses aiguës, un de ces diagnostics de Réca- mier, qui vraiment tenaient de la divination, c'était une goutte aiguë fort grave, à début anomal ; voici le fait : Un jeune homme qui ne présentait aucun antécédent rhu- matismal ou goutteux, fut pris d'accidents aigus, de l'ap- parence la plus effrayante, et sous une telle forme qu'il était certain qu'on devait les attribuer à des troubles dans l'innervation du plexus solaire; Récamier déclara que c'était pour lui une affection goutteuse impubère, et fit ex- citer par des moyens énergiques, une fluxion vers les arti- culations des gros orteils ; or, il arriva que ces articula- tions ne tardèrent point à être le siège d'une véritable attaque de goutte, et que la région épigastrique fut dès ce moment délivrée! Le principe rhumatismal ou plutôt goutteux affectionne particulièrement le tissu fibreux; or, la charpente des cordons nerveux est toute fibreuse, les - 279 — centres nerveux eux-mêmes sont cloisonnés par des toiles fibreuses. De là, croyons-nous, le lien si étroit des névral- gies avec le génie rhumatismal ou goutteux ; de là encore, l'explication pour nous, d'accidents rhumatismaux, qui portant sur certains nerfs, sur certaines cloisons, sur le fa- cial, sur le grand hypoglosse, sur les nerfs des muscles du globe de l'œil, etc., déterminent des paralysies momen- tanées de la face et de la langue, des strabismes, etc., qui peuvent en imposer pour des affections de la pulpe céré- brale elle-même, et donner la plus vive inquiétude. C'est véritablement un Protée que le génie rhumatis- mal et goutteux ; il est infiniment plus répandu qu'on ne croit : la loi de coïncidence, du professeur Bouillaud, pour ce qui regarde les complications du côté du cœur dans les affections rhumatismales, nous paraît une simple fraction d'une généralité beaucoup plus large; sa démonstration matérielle, n'en a pas moins rendu de grands services à la pratique. C'est certainement une des acquisitions les plus précieuses, parmi celles que nous devons au sthétoscope, au plessimètre et à l'anatomie pathologique. Le génie rhumatismal et goutteux fait des apparitions partout où il y a du tissu séreux, synovial ou fibreux. Nous avons vu des affections utérines, traitées antérieurement comme maladies locales, qui certainement n'étaient que des mani- festations locales et chroniques d'un état général rhuma- tismal Quelques médicaments semblent avoir une action spécifique sur ce génie morbide si singulier ; on peut citer le gaïac, la colchique, la coloquinte, et par-dessus tout les vraies pilules de Lartigue. Disons encore, que c'est là une des formes morbides à l'état aigu et surtout chro- nique, contre lesquelles l'hydrothérapie a montré une puissance très réelle. — 2*0 — TROISIÈME CLASSE. La matière morbide de cette classe est d'une subtilité et d'une septicité très grandes; elle est l'agent de vraisfléaux pour l'humanité. Nous parlerons des trois principaux de l'époque actuelle, qui sont le choléra, la peste et la fièvre jaune. Dans les cas foudroyants de ces trois affections, il semble que la matière morbide pénètre d'emblée jusque dans les profondeurs des troisièmes voies, et que le sys- tème nerveux soit comme anéanti ; c'est ce qu'on voit sur- tout pour le choléra. Dans ces cas, il y a affection, il n'y a pas eu encore maladie; la fièvre, la réaction n'a pas eu le temps de s'allumer. Suivant leurs manifestations symptomatiques, ces trois affections se distinguent en choléra, peste et fièvre jaune; elles se spécialisent ainsi, en se portant sur chacune des > ois parties que nous avens reconnues dans les Premières Voies, ou système absorbant. Le choléra porte sur le tube digestif, la peste sur les vaisseaux et ganglions lym- phatiques, la fièvre jaune plus particulièrement sur le système veineux atrabilaire, et sur les viscères des hypo- chondres. Il est bien entendu que chacune de ces trois manifestations morbides reconnaît une matière morbifique particulière. Une preuve que ces fléaux sont bien dus à une matière subtile qui existe dans l'air, c'est qu'on peut assigner à chacune son Heu de naissance, puis ensuite les suivre, parcourant les diverses régions du globe terrestre, comme pourrait le faire une armée dévastatrice. Le choléra qui, plusieurs fois déjà, a fait trembler la génération actuelle, sur tous les points de la terre, tire son épithète d'Asiatique du lieu de son origine : on sait qu'il est né dans les plaines marécageuses de l'embouchure du Gange. Longtemps resté endémique et confiné dans les Indes Orientales, ce n'est qu'il y a une vingtaine d'an- nées, qu'il s'est, mis a parcourir l'Europe occidentale sous forme épidémique, et de là le reste du monde; c'est le fléau asiatique. La peste est née sur les bords du Nil, en Ethiopie peut- être. Elle a plusieurs fois visité quelques parties de l'Eu- rope ; Marseille s'en souvient. A notre connaissance, elle n'est jamais passée en Amérique comme le choléra ; c'est, le fléau africain. Enfin la fièvre jaune semble être le fléau américain. Pendant longtemps elle a affectionné les bords du Missis- sipi, qu'elle a paru plusieurs fois vouloir abandonner. Son histoire, suivie depuis une cinquantaine d'années, et en Amérique, montre que, née dans les Antilles, elle s'est ir- radiée d'abord au Nord, et depuis quelques années seule- ment vers le Sud. New-York, Philadelphie, Boston même ont connu la fièvre jaune, à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci. Il y a quinze ans elle appa- raissait encore périodiquement à Charleston; on ne l'y voit plus. A Mobile, à la Nouvelle-Orléans, elle fait en- core des apparitions, mais elle va s'aflaiblissant ; c'est au point que les médecins de cette dernière ville, qui luttaient contre elle dans le plus grand découragement, il y a vino-t ans, aujourd'hui veulent à peine la reconnaître, tant elle est facile à vaincre. Autrefois à la NUe-Orléans, sur 15 malades 12 mouraient ; aujourd'hui sur 15, c'est tout au plus si l'on en perd un. Accordons, si on l'exige, que les médecins actuels la traitent mieux, il restera toujours qu'elle s'est prodigieusement adoucie. Mais, si elle quitte l'Amérique du Nord, c'est pour ap- paraître dans l'Amérique du Sud, où elle était restée in- connue jusqu'ici ; du moins on avait eu le temps de l'y ou- blier puisqu'on ne l'avait point vue au Brésil depuis 1693. Voici deux années qu'elle fait des ravages à Rio-Janeiro, dans les mêmes mois ; avant 1850, on peut dire qu'on ne l'y connaissait pas. Qu'on ne parle donc plus des amélio- rations matérielles apportées dans les villes des Etats- Unis, pour y expliquer l'affaiblissement et la disparition de la fièvre jaune, car s'il est vrai que la Nlle-Orléans, comme les villes du Nord, s'est profondément améliorée, il est certain aussi que Rio-Janeiro n'a rien perdu depuis deux ans, dans ses conditions de salubrité. Les bords du Golfe du Mexique, les Antilles, sont à l'heure qu'il est, le principal foyer de la fièvre jaune. O'est de là qu'elle était partie, c'est là qu'elle semble vouloir venir s'éteindre un jour, après avoir étendu ses ravages, d'abord sur le Continent du Nord, ensuite sur celui du Sud. Le Vomito- Nigro est toujours et en permanence, un terrible ennemi pour les étrangers à Vera-Cruz. Il est donc certain qu'il existe une matière morbifique, un poison spécial, pour ce fléau comme pour les deux au- tres. La fièvre jaune aussi a voyagé; plusieurs fois elle s'est montrée en Espagne : Cadix, Barcelone, Gibraltar sont de- venus célèbres par leurs épidémies de fièvres jaunes, ra- contées par plusieurs médecins français fort distingués; elle s'est montrée en Italie aussi, car il ne faut pas oublier l'épidémie de Livourne 1804- (Palloni et Tommasini.) Nous ne savons pas si on l'a jamais observée en Asie, ni en Afrique ; on parle pourtant d'une apparition de fièvre — 283 — jaune, en Afrique en 1821, en face de l'Espagne, dans une petite ville du littoral. Une particularité digne de remarque dans son histoire, c'est que sa matière fébrile ne peut germer et se propager, que là où il y a agglomération d'hommes; à quelques milles des villes ravagées par le fléau, les étrangers non acclimatés peuvent vivre dans la plus entière sécurité. Il est certain que les bâtiments négriers n'en sont pas la source ; voici pour quelles raisons. 1° Les villes de Charleston, Mobile, Nouvelle-Orléans, ont vu de terribles épidémies de fièvre jaune, depuis qu'au- cun bâtiment négrier n'y est entré ; 2° Dans ces villes, les nègres ont toujours joui du privilège d'être exempts de la vraie fièvre jaune. Il n'y font qu'une fièvre d'acclimate- ment qui ne peut pas s'appeler fièvre jaune. Ce sont là des vérités populaires dans les villes que nous venons de nommer. C'est le ship fevcr (la fièvre des vaisseaux), c'est le typhus à un haut degré d'intensité, qu'on observe dans les bâtiments négriers, où l'on entasse ces malheu- reux les uns sur les autres dans leur fumier. (Voir à la fin du volume une note sur la fièvre jaune.) Comme la scarlatine, comme la rougeole, etc., on n'a qu'une fois la vraie fièvre jaune; sa non-contagion paraît pourtant démontrée. Il semble d'après ces faits, que le sang soit un milieu où certains germes ne peuvent se dé- velopper qu'une fois. Ceux qui naissent dans les villes où la fièvre jaune est endémique ne l'ont jamais; de longues années d'absence ne leur font pas perdre ce privilège d'im- munité. S'il y a des exceptions à cette règle, elles sont fort rares ; les faits contradictoires n'ont pas toute la va- leur nécessaire, parce qu'il n'existe pas de signe pathogno- monique de la fièvre jaune; son symptôme le plus caractê- — 281 — risfique est certainement le vomissement noir, marc de café. Mais, les déjections atrabilaires par haut et par bas ne sont pas rares dans ces fièvres graves, ces fièvres à quinquina si bien décrites depuis Torti et qui ont certainement bien d'autres analogies avec la fièvre jaune, analogies telles que beaucoup de médecins veulent rattacher la fièvre jaune aux fièvres d'origine paludéenne. Torti lui-même n'a-t-il pas admis une grande division atrabilaire, dans sa classification des fièvres pernicieuses? Il y a donc là une cause d'erreur qu'il ne faut pas oublier. Hippocrate lui- même a plusieurs aphorismes sur les déjections atrabilai- res. Or on peut bien dire qu'il n'a point connu la fièvre jau- ne. Nous avons déjà cité un de ces aphorismes sur les dé- jections atrabilaires ; en voici un autre : "Morbis quibusvis " incipientibus, si bilis atra, vel sursùm vel deorsùm prodie- 44 rit, lethale." Pour la fièvre jaune, ce pronostic serait vrai, quatreving-dix-neuf fois sur cent. On a attaché aussi une grande importance, comme signe pathognomonique de la fièvre jaune, à certaines bandes blanches, nacrées, festonnées, sortes défausses- membranes, qui s'observent sur les gencives des fiévreux ; mais on les voit encore dans la plupart des fièvres graves, (fièvres pernicieuses, typhus, fièvres dites typhoïdes, etc.) Ces pellicules gengivales n'ont donc pas une valeur séméio- tique plus grande que celle desfuliginosit.es, signalée déjà dans les aphorismes hippocratiques : "Quibus infebre, ad- dentés viscosa circumnascuntur, his febres fiunt vehemen- tiores." Les germes déposés une fois dans les différentes con- trées du monde, par les trois fléaux que nous venons d'in- diquer, semblent s'y naturaliser. Il en est ainsi, au moins, pour le choléra. A Paris, comme partout, depuis sa pre- — 2S5 — mière apparition, des cas isolés ont continué à se montrer en permanence ; puis, après un nombre d'années plus ou moins grand, de nouvelles épidémies ont éclaté. A propos de ces épidémies dues à une matière morbide spéciale, qui peut parcourir le monde entier, nous devrions peut-être étudier la question difficile de la contagion et de l'infection. Nous ne le ferons pas, parce que cette ques- tion est toujours pendante. Pourtant, nous en dirons quel- ques, mots afin surtout de raconter brièvement un fait, qui nous semble en quelque sorte mettre à nu une des causes d'erreur les plus difficiles à éviter, dans les recherches de cette nature ; nous voulons parler de la difficulté d'iso- ler l'action des foyers d'infection, de celle des malades. Pour qu'il y ait contagion il faut que la matière morbide sortie d'un malade, passe dans un homme sain et lui donne la même maladie. Or, quand un foyer d'infec- tion existe, comment distinguer si tel malade a puisé la cause morbide dans les autres malades qui l'ont précédé, plutôt que dans le foyer d'infection lui-même ? Si un hom- me est transporté seul, même sans son propre linge, de l'endroit où il a été saisi par une cause morbide quelcon- que, dans un lieu parfaitement salubre, dans lequel même, il n'y a personne qui ait communiqué avec le foyer où il est tombé malade, et que dans ce nouveau lieu, la même maladie éclate, peu de temps après son arrivée et se pro- page de proche en proche, il y a contagion. De telles con- ditions étant remplies, le doute même n'est pas possible. Mais combien il est difficile de réunir de telles conditions ! De là la presque impossibilité d'affirmer à coup sûr, quand il y a contagion. Voici un fait où l'on reconnaît combien il était difficile d'abord de ne pas croire à la contagion, et où cependant il fut démontré ensuite qu'elle n'avait pas — 286 — existé. Pour acquérir cette preuve, il a fallu la possibili* té de séparer complètement le foyer d'infection et les ma- lades afin déjuger séparément leur action. Un bâtiment chargé d'immigrants Irlandais et dans les mêmes conditions que les négriers, tant et si justement flétris, jette à la mer, pendant le voyage, un grand nom- bre de cadavres; il entre enfin dans un grand fleuve et se met à l'ancre vers l'extrémité d'une ville de commerce sans police, ouverte à tout, excepté aux choses qui paient la douane. C'était le typhus qui avait porté le ravage par- mi les passagers de ce navire. Une partie de ceux qui restent, est dirigée vers l'hôpital déjà encombré, l'autre partie des pauvres immigrés est recueillie dans une vaste maison, que leur louent au milieu de la ville, quelques per- sonnes plus charitables que prudentes. Là ils meurent ou ils guérissent, mais sans communiquer la maladie à aucune des dames qui les veillent, et les soignent, pas plus qu'aux autres personnes qui les approchent ou qui demeu- rent dans les maisons contiguës à la leur. Au contraire, sur les deux bords du fleuve, à la campagne, à un mille au moins de distance, du bâtiment empesté, et précisément en face du lieu ou il est à l'ancre, on voit apparaître des cas de typhus (ou ship-fever), et même des cas mortels avec hémorrhagies passives. Chez une petite fille (qui ne pouvait pas avoir la fièvre jaune), il y eut des vomisse- ments marc de café, comme dans la fièvre jaune. Voilà un exemple d'infection évidente, qui aurait pu passer pour un cas de contagion. En effet, dans le bâtiment, alors qu'il était en pleine mer, comment ne pas croire à la con- tagion, quand on voyait le typhus passer de proche en proche de l'un à l'autre? Après l'arrivée du bâtiment et la dispersion de ses malades, il n'était plus permis d'y voir __ 0^7__ autre chose qu'un foyer ambulant d'infection. En effet, les malades ne communiquèrent la maladie à personne, le navire au contraire, étendit son atmosphère empoisonnée dans un rayon assez étendu, comme on a pu voir. Nous ne donnons pas comme certaine, cette dernière assertion. La coïncidence de la présence d'un bâtiment infecté de typhus, et l'apparition en face du lieu où il était à l'ancre demeures graves très rapprochées du vrai typhus, ne peut donner qu'une grande probabilité, sur le lien qui a pu exister entre ce bâtiment et ces affections typhodes de for- me atrabilaire. Si dans la relation qui précède, il n'est pas évident que les fièvres graves, observées sur les bords du fleuve, étaient dues aux bâtiments à l'ancre dans le voisinage, il y a d'autres circonstances où l'on voit clairement que des fièvres analogues ont été prises dans les bâtiments infec- tés. Par exemple, quand ce sont des employés de la douane, qui n'ont point été en communication avec les malades, et qui sont tombés malades du typhus, après avoir seulement visité les navires. Du reste, ces faits ne signifient pas du tout que nous voulions nier la contagion du typhus, pas même celle de la fièvre typhoïde. Nous disons seulement que la ques- tion de contagion et d'infection, pour ces affections, com- me pour beaucoup d'autres, est loin d'être vidée. Il est clair que les non-contagionistes, pour la fièvre jaune, pour la peste, etc., peuvent s'appuyer sur des faits analogues à celui que nous venons de citer, pour expliquer le trans- port de ces maladies, d'un pays dans un autre par voie d'infection. Mais cette propagation par voie d'infection est loin de détruire la nécessité de certaines mesures sani- taires, limitées pourtant à ce que commandent la sagesse et la prudence. Les intérêts du commerce ne devraient jamais faire oublier ceux de la santé publique. Un argument encore, en faveur de l'existence d'une matière fébrile ou plutôt d'une matière morbifique, comme instrument des grands fléaux, peut se tirer de leur histoire même. Plusieurs, comme certaines plantes, ou certains animaux à la surface de la terre, ont disparu ; d'autres se sont singulièrement modifiées. Dans le commencement de l'Ere chrétienne, et pendant tout le Moyen-Age, c'était la lèpre inconnue aujourd'hui, qui portait partout la terreur et inspirait l'horreur la plus profonde. Etait-ce la même lèpre que celle des Juifs dont parlent les Livres Saints, en tant d'endroits ? Dans le vi siècle de notre Ere la variole, dans le xvi la syphilis ont fait des ravages épouvantables en Europe. Dans le siècle dernier encore, le scorbut était si terrible, qu'on peut dire que les cas de scorbut qu'on voit encore de nos jours, ne peuvent donner qu'une faible idée de celui que nos devan- ciers avaient à combattre. Il est vrai que pour notre géné- ration, il y a bien assez du choléra, de la peste, de la fièvre jaune et du typhus qui appartient peut-être plus spéciale- ment à l'Europe ! Nous ne croyons donc pas qu'on puisse douter de Yexistence d'une matière morbifique spéciale, pour chacun de ces fléaux. Quant à la nature de cette matière morbifique, nous ne pouvons en juger que par ses effets ; mais il est bien permis de faire sur elle des conjec- tures. Le professeur Mojon de Gênes en a publié de fort ingénieuses sur le miasme producteur du choléra asiatique, auquel il devait succomber un peu plus tard ! Les découvertes d'Erhemberg, les paroles de Bordeu, montrent assez quelle est notre inclination de ce côté. — 2*9 — CHAPITRE Vl. DE L'AFFECTION. SYMPTOMATOLOGIE , SÉMÉIOTIQUE , ANAT051IE PATHOLOGIQUE. L'étude des symptômes, dés signes et des altérations anatomiques, qui se produisent pendant le cours des ma- ladies, vient naturellement après celle de l'étiologie et avant celle de la réaction de l'organisme. En effet, cette triple série de phénomènes, qui constitue l'affection, dé- pend à la fois et de l'action des causes morbifiques, et de la réaction de la force conservatrice. C'est elle, simple fragment de la pathologie interne, qui a joui du privilège d'absorber à son profit presque toutes les activités médi- cales, depuis urt demi-siècle. L'engouement pour l'analyses qui a obtenu en faveur dés faits particuliers l'importance fondamentale, devait, nécessairement lancer dans les des- criptions et les classifications, des esprits désormais con- damnés à suivre les sens, au lieu de les éclairer et de les diriger. Les progrès des sciences physiques et chimiques, les découvertes dues à la percussion et à l'auscultation, les recherches microscopiques, sont venus ensuite donner aux médecins une dernière et profonde impulsion dans cette voie de l'analyse, et les y enchaîner, peut-être pour long- temps encore. 19 — 290 — Il est certain que la moisson, l'accumulation des faits particuliers ont, de nos jours, dépassé les besoins les plus exigeants ; on a pu dès Jors, à la manière des naturalistes, décrire et classer les états morbides avec plus d'exacti- tude qu'autrefois. Mais, en définitive, la pratique y a-t-elle gagné quelque chose ? Il est permis d'en douter. C'est pourtant avec un légitime orgueil que les méde- cins de nos jours peuvent rappeler l'exclamation de Ba- glivi, dans son chapitre de pleuritidine : "O quantum diffi- 44 cile est curare morbos pnhnônum f O quantô difficiliùs 44 eosdem cognoscere !" Cependant, s'il est facile même aux jeunes médecins de notre époque, un peu familiarisés avec la percussion et l'auscultation, de diagnostiquer une pleurésie, une pneumonie, etc., et de déterminer minutieu- sement un état local quelconque, devons-nous si fort nous en applaudir, et imaginer qu'ils sauraient mieux que Ba- glivi traiter une pleurésie, une pneumonie, etc., et porter sur elles un pronostic plus sûr que le sien ? 11 serait sans doute peu modeste de répondre à cette question par l'af- firmative. En effet, continuons un peu la citation de Baglivi : "O 44 quantum difficile est curare morbos pulmonum,.....et de Us " certum dare prœsagium ! Fallunt vel peritissimos, ac " ipsos medicinœ principes. Tyrones mei, cauti estote et " prudentes in iis curandis ; necfacilem promittite curâtio- " nem, ut nebulones faciunt, qui hippocratem non legunt." Nous pensons que ces sages recommandations n'ont rien perdu de leur prix, pour avoir été faites plus d'un siècle avant l'application de l'auscultation et des saignées coup sur coup. Et même, nous avouons qu'à notre point de vue, une pleurésie, une pneumonie, traitées par un Ba- glivi, tel qu'il était il y a cent cinquante ans, avec les con- — 29i — naissances possibles à son époque, le seraient mieux qu'elles ne pourraient l'être par un médecin moderne, ca- pable pourtant et de diagnostiquer avec exactitude une pneumonie ou une pleurésie, et d'en dire avec précision le siège, l'étendue, le degré, si en même temps ce médecin croit qu'il y a Un traitement de la pneumonie ; un traite- ment de la pneumonie ! traitement, établi de par une ou plusieurs enquêtes cliniques appuyées sur des chiffres, et qu'il faudrait appliquer ensuite rigoureusement, suivant la formule, à quiconque aurait le malheur de prendre une fluxion de poitrine, n'importe l'âge, la saison, le pays et la constitution de l'air! Baglivi, en effet, disciple fidèle de l'hippocratisme, savait parfaitement qu'il ne peut pas se faire qu'un même traitement convienne toujours à une même affection, quelles que soient les conditions dans les- quelles elle se manifeste. 11 faut vraiment avoir oublié les premiers éléments de la saine physiologie médicale, pour se laisser aller à de pareils errements ! Pour la pleurésie en particulier, Baglivi avait appris avec son ami Lancisi, que la saignée, souvent utile, est quelquefois nuisible. En racontant l'histoire d'une pleu- résie épidémique qui fit des ravages dans Rome en 1709, Laucisi s'exprime ainsi : "Sectio namque venœ, quœ priùs 44 totœgrosa mortis discrimine vindicaverat, mox, versa in " contrarium malorum indole, multos miserèperdidit." Le malheur de notre époque c'est de ne s'être pas con- tenté d'apprendre à reconnaître les états locaux, pour les apprécier à leur juste valeur, et d'avoir voulu leur accor- der une importance principale et presque exclusive. Nous voudrions ici faire preuve d'un éclectisme équita- ble, légitime et vrai ; nous voudrions pouvoir, d'un côté, reconnaître la valeur immense des localisations et des in- oij2__ vestigations cadavériques, et de l'autre, signaler le danger qu'il y a à leur attribuer une importance trop grande. Car, c'est dans ce danger, bientôt suivi de conséquences funestes, qu'on tombe inévitablement, quand on va cher- cher et que l'on veut trouver le siège et la nature des ma- ladies dans les états locaux et dans les altérations anato- miques. Apprécions d'abord les avantages, nous verrons ensuite les inconvénients d'attacher une valeur presque exclusive aux états locaux ou organiques, chez le vivant et dans le cadavre. Certes, personne ne niera qu'il ne soit utile, une mala- die des yeux étant donnée, de distinguer si c'est une con* jonctivite ou une iritis, etc.; on ne niera pas davantage, une fièvre éruptive étant donnée, l'utilité incontestable de dé- cider si c'est la scarlatine ou la rougeole, etc. Par consé- quent, une affection interne étant donnée à son tour, c'est assurément un progrès réel d'être parvenu à distinguer l'organe ou les organes dans lesquels elle s'est localisée, et de plus, d'avoir réussi à reconnaître même les particu- larités qui peuvent se rattacher à cette localisation. Or, par la percussion et l'auscultation, Yoreiue, dans les affec- tions internes, est venue rendre au médecin des services presque égaux à ceux qu'il demande et obtient de ses yeux, dans les affections externes?* En effet, l'oreille per- met de distinguer une pneumonie d'nne pleurésie, aussi sûrement que ï'ceil peut distinguer une conjonctivite d'une mtïs, elle distingue un hydro-thorax d'un pneumo-thorax, aussi FapidemeM que l'œil, une scarlatine d'une rou- geole, etc» Réussir à limiter le volume de la rate dans les affections intermittentes, reconnaître par l'auscultation l'étendue, le — 293 — siège et le degré d'une pneumonie, bien distinguer le râle crépitant de retour, saisir le souffle tubaire, même dans une pneumonie centrale, compliquée d'un épanchement pleu- ral, saisir aussi ces craquements du sommet du poumon, qui indiquent la présence de tubercules se ramollissant, diagnostiquer une péri-cardite, une endo-cardite même, au moment où elles se déclarent, pendant le cours d'un rhumatisme aigu, etc., incontestablement ce sont là des avantages incalculables, qu'il dépend de chacun de nous d'avoir sur nos devanciers ; et pour le pronostic et pour le traitement, qui ont un intérêt si profond dans la prati- que, toutes ces acquisitions dues aux travaux, aux per- quisitions de nos contemporains, et dont tous les médecins peuvent profiter, en se donnant la peine nécessaire pour se les approprier, toutes ces acquisitions modernes ont une valeur immense, au-dessus de toute contestation. Voyons maintenant le danger de se laisser éblouir par ces précieuses acquisitions modernes, et de s'en étourdir au point d'oublier ou de mépriser même les trésors que la tradition nous a transmis. Une ophtalmie étant donnée, il y aura certainement des avantages réels à distinguer s'il y a conjonctivite ou bien iritis ; mais supposons, et nous en avons bien le droit, que l'affection oculaire soit sous la dépendance d'un vice géné- ral, par exemple le vice rhumatismal, ou le vice syphiliti- que; nous le demandons, dans l'intérêt du malade et du praticien, quel traitement aura le plus d'importance, un traitement en vue de l'état local, un traitement de l'iritis, un traitement de la conjonctivite, ou bien un traitement général, dirigé soit contre le vice syphilitique, soit contre le vice rhumatismal ? De la même manière, une fluxion de poitrine étant donnée, il y aura certainement des avan- — 294 -— tages particuliers et positifs à distinguer s'ii y a pleurésie ou pneumonie. Mais l'avantage principal sera-t-il de diffé- rencier la pleurésie de la pneumonie, afin d'appliquer le traitement de la pleurésie dans le premier cas, le traitement de la pneumonie dans le second ? Dans de telles circon- stances, n'est-il pas des millions de fois plus important de mesurer le degré de la réaction fébrile, d'en déterminer médicalement la nature, c'est-à-dire de décider si elle est inflammatoire ou bilieuse ou nerveuse ? Et n'est-ce point en tenant compte de l'âge du malade, de ses habitudes, de la saison, du pays, de la constitution de l'année, de la con- stitution médicale enfin, que le praticien parviendra à in- stituer un traitement rationnel ? Nous laisserons au lion sens et à la tradition le soin de répondre à toutes ces questions. Au reste, dans les circonstances ordinaires de la prati* que, il y a toujours moyen de se faire illusion, mais vienne une épidémie imprévue, ou une endémie bien caractérisée, alors les choses se dessinent sur une grande échelle, et les moins clairvoyants, les plus fortement prévenus, finissent par voir et par reconnaître la vérité. C'est dans quelques unes de ces occasions solennelles, qu'il a été possible plusieurs fois, dans ces vingt dernières années, de décou- vrir le côté faible des localisations en médecine et le danger de chercher, dans les altérations anatomiques, la nature des maladies. C'est d'abord le choléra asiatique qui est venu démontrer l'inutilité des localisations et des perquisitions anatomiques, à la suite de ses désastres ; c'est ensuite l'observation des fièvres pernicieuses en Afrique, qui a pu apprendre, même aux disciples de Broussais, que quand i} existe un état général de l'organisme, auquel correspond un modificateur thérapeutique particulier, un spécifique, c'est à ce spécifique qu'il faut hardiment recourir, et non pas aux antiphlogistiqucs, quand même l'examen des symptômes ferait croire à une gastrite des plus aiguës ; c'est enfin l'épidémie d'Avignon, et presqu'en même temps celle de Strasbourg, qui sont venues donner un nouveau poids à l'enseignement traditionnel. L'épidémie de Strasbourg a été dénommée méningite encéphalo-rachi- dienne, celle d'Avignon cerebro-spinite ; mais toutes deux il a fallu les traiter par l'opium. Or, quoi qu'en dise le professeur Forget, l'aphorisme traditionnel : "Naturam ■" morborum ostendit curatio," restera toujours vrai ; c'était donc en définitive la même affection à Strasbourg et à Avi- gnon. Voyons comment le professeur Cayol, étudiant ces deux épidémies au point de vue de la doctrine hippo- cratique, montre avec force le danger de rechercher dans les altérations anatomiques et le siège et la nature des ma- ladies. "Puisque les deux médecins sont obligés de reconnaître •4 d'après l'identité des symptômes, de la marche des acci- 44 dents et de la médicatiou spécifique à laquelle ils ont 44 été forcément conduits, qu'ils ont eu à traiter la même 44 maladie, il faut bien qu'ils reconnaissent aussi que la 44 même maladie entraîne des altérations organiques dif- 44 férentes; (pour l'un c'était une méningite, pour l'autre 44 une cérébro-spinite). Mais de plus, il est évident que la 44 maladie peut exister sans altérations organiques, ni dé- 44 sorganisation d'aucune espèce. Les malades qu'on a 44 vu guérir du jour au lendemain, après avoir pris quel- 44 ques grains d'opium, n'avaient pas apparemment d'in- 44 filtration purulente de la pie-mère, ni de désorganisa- 44 tion de la substance cérébrale, ni de ramollissement de 4 la moelle épinière; mais ils auraient pu avoir tout cela 296 — 4 si la maladie s'était prolongée. Donc les altérations 44 organiques ne sont pas la cause ni l'essence de la mala- 44 die ; elles n'en sont que les effets et les résultats éven- 44 tuels, donc elles ne peuvent servir ni à caractériser, ni 44 à dénommer la maladie, acte essentiellement vital, ré* 44 action anormale de l'organisme, qu'on ne peut caracté* 44 riserque par ses phénomènes vitaux." Nous n'entrerons pas dans plus de développements sur l'affection ; c'est pourtant sur elle qu'il serait commode et facile de les multiplier, puisque c'est la branche de la science médicale, qui a été le plus laborieusement, et le plus fructueusement cultivée depuis cinquante ans. La réaction de l'organisme, au contraire, a été généralement négligée et presque oubliée; empressons-nous donc d'y porter notre attention, et de l'étudier avec d'autant plus de soins qu'elle est à nos yeux, et en vue de la thérapeu- tique, la partie la plus intéressante de la pathologie. CHAPITRE VII. DE LA RÉACTION DE L'ORGANISME, DANS LES MALADIES AIGUËS. Sous ce titre nous avons à étudier la série d'actes conser- vateurs; prompts et énergiques, provoqués dans l'orga- nisme par la force médicatrice, toutes les fois qu'une cause morbifique vient à troubler l'harmonie de nos fonctions. — 297 — L'action perturbatrice des causes morbifiques peut être plus ou moins puissante ; dans tous les cas, la réaction de l'organisme est calculée sur elle. Si l'action morbifique est superficielle, la réaction la domine et s'en délivre sans de grands efforts ; si au contraire elle est profonde, un tra- vail intérieur plus ou moins pénible et long devient néces- saire. Par exemple, il se peut faire que la matière morbifique soit simplement déposée à la surface de nos membranes muqueuses. Ainsi, il y a des cas où l'affection consiste dans un simple dépôt sur la muqueuse digestive, soit d'ali- ments non digestibles ou non digérés, soit de produits alté- rés de sécrétions ; dans ces cas, la nature médicatrice n'a qu'à provoquer des vomissements et des selles, pour entraî- ner au dehors la matière morbide et s'en délivrer. L'effort conservateur, ou réacteur, qui se produit ici par des vo- missements et des selles, est l'acte principal de la mala- die, tandis que l'affection, exprimée par les malaises dus à la surcharge du tube digestif, n'en était que la manifes- tation secondaire, Si nous avions eu à étudier les vomissements et les selles dans notre chapitre sur l'affection, nous aurions dû les montrer là, comme des symptômes ou des signes; du point de vue où nous sommes maintenant, nous devons les si- gnaler comme des mouvements critiques, puisqu'ils jugent certains états pathologiques. Quand c'est sur.la muqueuse des voies aériennes que se déposent des corps étrangers, (matières pulvérulentes respirées, produits altérés de sécrétions, etc.), on voit se produire la toux et l'expectoration. La toux et l'expecto- ration, comme les vomissements et les selles, peuvent être symptomatiques ou critiques. Chez les enfants qui ne sa- — 298 — vent point cracher, les produits de sécrétion bronchique sont avalés, et deviennent à la surface de la muqueuse di- gestive une des matières morbides de l'état pathologique, dont nous venons de voir que le vomissement est la crise. C'est pourquoi les vomitifs et les laxatifs sont si utiles dans le cours des catarrhes bronchiques des petits enfants. Dans tous les cas analogues, dont la marche peut être plus ou moins rapide, la matière morbide ne pénètre pas jusque dans le sang ; aussi, la nature médicatrice arrive à ses fins, sans provoquer la fièvre, cette effervescence du sang1 que nous allons étudier tout à l'heure au point de vue de la réaction de l'organisme. Mais avant d'arriver aux maladies où il s'agit de sépa- rer du sang la matière morbide qui a pénétré jusqu'à lui, qui s'y est pour ainsi dire mêlée, disons un mot des états assez fréquents, où le sang, bien que pur de toute matière peccante, comme auraient dit les Anciens, est cependant trop riche soit en quantité, soit en qualité (globules ou fi- brine en excès) pour que la santé soit possible ; ces états pathologiques constituent la pléthore sanguine, dont l'éva- cuation critique est l'hémorrhagie. Ainsi on voit assez sou- vent la pléthore sanguine (soit artérielle, soit veineuse), se juger par des épistaxis, des hémoptysfes, des flux hémor- roïdaux, etc., qui deviennent alors de véritables efforts conservateurs de la part de la force vitale. Les hémorrhagies, comme les vomissements et l'expec- toration, auraient offert un grand intérêt à être étudiés aussi, au point de vue de la symptomatologie et de la sé- méiotique. Mais hâtons-nous de passer aux cas où la cause morbifique est entrée dans le sang, et s'y est en quel- que sorte mêlée et confondue. On conçoit que dans de telles conditions, il faudra un travail plus profond, plus in- — 299 — time, un travail de toute la substance (totius substantiœ), pour délivrer l'économie. Ce travail conservateur de toute la substance se manifestera par l'effervescence du sang, par la fièvre en un mot, qui est nous l'avons reconnu une inflammation générale. 9 § 1. DE LA FIÈVRE CONSIDÉRÉE COMME ACTE MÉDICATEUR. • Etudions rapidement la fièvre en tant qu'effqrt conser- vateur de la nature médicatrice. Stoll l'a définie : "Moli- 44 men vitœ conantis mortem depellere ;" c'est-à-dire un effort de la vie qui lutte pour repousser la mort. La fièvre est caractérisée essentiellement par un excès de développement de la chaleur vitale; or, la chaleur vitale est en quelque sorte la manifestation par excellence de la vie. D'un autre côté, on doit remarquer que le langage, dès l'origine, a établi d'une manière abstraite un lien mystérieux entre le feu et tout ce qui purifie. L'expres- sion scientifique de la fièvre, le mot pyrexie remprunté du grec (pur, feu) est donc admirable, puisqu'elle renferme la double idée de développement de chaleur dans le sang, et de purification du sang. Et en effet, la fièvre caracté- risée essentiellement par l'effervescence du sang, par le dé- gagement de calorique qui la manifeste, a pour but final de purifier le sang, de le délivrer de quelque matière nui- sible qu'une cause morbifique y a introduite. Et même cetle^ètre locale, qui s'appelle inflammation, n'est-elle pas, elle aussi; essentiellement caractérisée par l'exaltation de la chaleur vitale (non plus de toute la sub- stance, non plus du sang, il est vrai), mais de la partie en- flammée ? Et toute inflammation ainsi envisagée, ne suppose-t-elle pas, dans le lieu enflammé, un corps étran- — 300 — ger, une épine, une matière morbide enfin, (quand ce ne serait que le contact de l'air, pour une plaie qui suppure) ? Et la fin de cette inflammation, de cettefièvre locale, n'est- t-elle pas de séparer l'épine et d'en purger la partie qui réagit ? Si l'épine est ôtée aussitôt qu'enfoncée, si la plaie est lavée et réunie aussitôt que produit^ on a une réunion par première intention, une adhésion sans suppuration et sans presque d'exaltation de la chaleur vitale ! mais, dans ce cas nous avons vu que John Bell soutient qu'il n'y a pas d'inflammation réelle ; pour lui, l'inflammation adhésive de Hunter est une erreur. Si au contraire le soin du re" jet de l'épine est confié à la nature médicatrice, celle-ci n'y réussira qu'en provoquant autour du corps étranger une inflammation, et cette inflammation pourra être poussée jusqu'à une sorte de coction de la lymphe plastique qui sera ainsi transformée en matière purulente, autour du corps étranger, pour le détacher et l'entraîner au dehors. Il ar- rivera pourtant quelquefois que le corps étranger sera absorbé, enkysté au milieu des tissus qui l'entourent, parce que de sa nature il sera assimilable à ces tissus, ou au moins dépourvu de propriétés irritantes, et alors le travail conservateur se terminera par résolution, sans dégage- ment de calorique, sans coction, sans suppuration. 11 en est de même pour la fièvre ou inflammation géné- rale ; si elle est symptomatique ou consécutive, c'est dans l'inflammation locale initiale qu'il faut voir l'épine provoca- trice ; si elle est essentielle ou primitive, il est nécessaire d'admettre pour l'expliquer une matière morbide dans le sang, matière morbide qui joue encore ici le rôle de l'épine ou du corps étranger. Dans tous les cas, c'est par l'excès de dégagement de chaleur vitale qui la caractérise qu'elle détermine la résolution ou l'expulsion du corps étranger. — 301 — Si la matière morbide peut être assimilée, un très léger deJ gré de fièvre est suffisant, et la terminaison se fait par ré- solution, après une durée éphémère de la réaction ; si au contraire, cette matière morbide doit être rejetée, il faut un certain temps pour la travailler, la modifier, la transfor- mer par une sorte de coction ou de fusion, puis la séparer du sang et l'évacuer au dehors. Comme nous l'avons déjà remarqué, les Anciens, par leur mot pyrexie, d'origine grecque, avaient fort bien compris le travail fébrile à un point de vue très élevé, en le montrant comme un travail purificateur. Quant à leur expression de coction, ils l'ont puisée non seulement dans les considérations que nous indiquons id, mais encore dans l'observation exacte de la nature. En effet, qu'ar- rive-t-il quand on soumet à l'action du feu nos liqueurs animales, toutes plus ou moins albumineuses? on les voit, Comme le blanc d'œuf, se troubler, s'épaissir, puis bien- tôt former' un coagulum plus ou moins onctueux. Or, les Anciens, sans connaître la chimie organique, avaient fort bien vu que le mucus, ce produit albumineux des mu- queuses, d'abord clair, transparent, aqueux, irritant et acre, au début d'un inflammation, bientôt s'épaissit, se trouble, jaunit, devient doux et onctueux à mesure qu'il subit l'action de la chaleur fébrile. Ce phénomème dû à la chaleur fébrile, ils l'avaient donc appelé coction, et il l'avait observé non seulement dans les transformations que subit le mucus pendant les affections catarrhales fébriles, mais aussi dans les modifications que présente l'urine, dans le cours de toutes les affections fébriles. 11 nous semble dès lors que cette vieille expression mérite d'être religieusement conservée. D'un autre côté, dans la matière fébrile ils n'avaient — 302 — pas manqué de saisir certaines analogies, avec des se- mences, des germes ou des fruits; de là leurs expressions de crudité et de maturation pour marquer les deux états par où passe cette matière fébrile, avant d'être rejetée au dehors ; ces expressions aussi sont dignes de n'être pas oubliées. Dans les cas un peu sérieux, alors que la matière fébrile doit être élaborée, puis rejetée au dehors, la fièvre pré- sente trois périodes : 1° une période d'augment, pendant laquelle la matière fébrile passe de la crudité à la coction ou maturation ; 2° une période d'état où la coction ou ma- turation s'achève ; 3° une période de déclin qui se dessine à mesure que la matière fébrile étant cuite ou mûrie est enfin évacuée. En vue de la pratique, il est du plus grand intérêt de nous arrêter quelques instants à étudier dans ses différen- tes phases la fièvre, considérée comme acte conservateur dans les maladies aiguës. Un excès de dégagement du calorique vital, voilà, nous l'avons déjà plusieurs fois dit, le phénomène caractéristi- que de la fièvre ; le toucher de la peau, sur différentes ré- gions du corps, nous sert à le constater. La main du mé- decin pour apprécier la chaleur fébrile , est un instrument bien supérieur aux thermomètres des physiciens. Mais avant que la chaleur fébrile se développe, il y a le plus ordinairement un mouvement de concentration, pendant lequel la force vitale semble se recueillir intérieurement ; durant ce mouvement de concentration, un sentiment de froid, qui peut aller jusqu'au frisson le plus marqué, s'em- pare du fébricitant ; alors sa peau se décolore, se refroidit et présente parfois le phénomène nerveux de l'horripila- tion. Antérieurement à ce frisson initial, qui signale le — 303 — début de la fièvre, H existe des lassitudes spontanées, des douleurs vagues dans tout le corps, quelquefois de mau- vais pressentiments, des inquiétudes, des tristesses, etc., enfin toutes choses qui prouvent l'existence d'un état gé- néral, avant toute manifestation locale ; cette première période constitue l'incubation. Après le frisson initial, variable et dans son intensité et dans sa durée, la chaleur fébrile se développe de plus en plus, et avec elle la sensibilité générale, déjà fortement éveillée dès le début du frisson; de là,ces douleurs des reins et cette brisure des membres quelquefois insuppor- tables. A mesure que la chaleur fébrile augmente et que la sensibilité s'exalte, la circulation s'anime, la respiration devient plus rapide ; avec l'accélération de la circulation et de la respiration, le système capillaire s'injecte et se congestionne ; de là, la coloration rose ou rouge de plus en plus marquée de la peau et des muqueuses; de là, l'extrême facilité pour ces dernières à s'irriter, à s'en- flammer, sous l'action du moindre excitement intempestif; par exemple,dans les conditions que nous exposons, le con- tact d'un air froid pour les bronches, du vin chaud pour l'estomac va suffire pour déterminer des bronchites, des broncho-pneumonies, des gastrites pourtant secondaires dans l'ordre de développement, mais bientôt principales, si l'on considère la part qu'elles vont prendre dans les phénomènes ultérieurs. Combien de phlegmasies locales, provoquées ainsi après le début de la fièvre, en sont re- gardées comme la cause, tandis qu'elles n'en sont qu'une complication, à la vérité d'une importance capitale dans quelques circonstances ! Après une durée variable de la chaleur fébrile avec se- — 304 — cheresse de la peau, une certaine moiteur, puis une tran- spiration plus ou moins abondante se manifestent ordinai- rement ; nous verrons que la transpiration cutanée est la crise par excellence de la plupart des mouvements fébriles. Ainsi, le frisson, la chaleur et la sueur, voilà les trois sta- des d'un accès de fièvre régulier. On sait que c'est sur- tout dans les fièvres intermittentes; d'origine paludéenne, qu'une telle régularité se montre. Mais revenons à la fièvre en général. Après l'examen de la température du fébricitant, c'est celui du pouls qui doit fournir au médecin les données les plus importantes, pendant l'acte fébrile. Tandis que le degré de la chaleur permet déjà déjuger de l'intensité de la réaction, l'exploration attentive de l'artère aide de son côté singulièrement à en découvrir le mode ou la nature. Ainsi pour ne parler que des trois diathèses principales, nous dirons que d'après le nombre, l'ampleur, la résistance, le rrjthme des pulsations artérielles, un médecin exercé peut déjà deviner la forme nerveuse ou capitale, inflamma- toire ou thoracique, bilieuse ou ventrale de la fièvre. Dans le siècle dernier, Solano, médecin espagnol, s'était acquis une réputation immense dans l'exploration du pouls, en vue principalement de la prédiction des crises. Après lui, Bordeu a beaucoup ajouté à cette étude inté- ressante ; à la vérité, on lui reproche avec raison de s'être laissé entraîner dans les minuties et les subtilités. Recon- naissons du reste, que le praticien ordinaire devra appeler à son secours, pour s'éclairer, toutes les particularités ti- rées de l'examen du malade et des circonstances extérieu- res, quand il voudra déterminer sûrement le mode de la réaction, la diathèse en un mot, qui importe si fort aux in- dications thérapeutiques. — 30-5 — Mais avant de chercher ce qui doit le guider dans le choix des moyens thérapeutiques, le praticien doit d'abord décider s'il y a lieu d'en user ou de s'en abstenir. Il se peut bien, en effet, une fièvre étant donnée, que sa mar- che soit régulière, et qu'elle tende d'elle-même, sans effortsi vers une terminaison heureuse ; il se peut même que l'in- tervention de l'art lui devienne alors très préjudiciable. "Nous connaissons, dit Barker, quand la coction des 44 humeurs s'avance comme il faut, par l'urine, par le 44 pouls, etc., mais surtout par le degré de fièvre du malade ; " c'est pour cette raison que si la fièvre est modérée, les 44 médecins jugent à propos de ne point ordonner d'éva- 44 cuations et de remèdes puissants, et de laisser agir la 44 nature. Par exemple dans la petite vérole, si la fièvre 44 n'est pas plus forte qu'elle ne doit l'être pour l'expulsion 44 des pustules, ils laissent ordinairement faire la nature* 44 et on regarderait comme un véritable ignorant, ou 44 comme un homme trop officieux, celui qui tenterait de 44 hâter l'éruption et la maturité des pustules par des re- 44 mèdes chauds, ou de les retarder par des saignées, au 44 delà de leur temps propre. De même on regarderait 44 comme très peu judicieux celui qui, dans une fièvre 44 continue, lorsque les mouvements fébriles ne sont ni 44 trop vites, ni trop lents, interromprait l'ouvrage de la 44 coction, par l'usage précipité d'évacuations ou de cor- 44 diaux." Barker vient de nous rappeler qu'on apprend si la coc- tion des humeurs s'avance comme il faut, par l'urine, par le pouls, etc. L'examen des urines n'était jamais né- gligé par les anciens ; les modernes le dédaignent et l'ou- blient à peu près complètement. C'est à nos yeux un si grand tort, qu'afin de mieux faire ressortir le prix que 20 — 306 — nous y attachons, nous consacrerons à cet examen un pa- ragraphe à part, si court qu'il doive être. § H. DE L'EXAMEN CES URINES PENDANT LES FIÈVRES. Les études physiologiques les plus élémentaires nous apprennent que la fonction principale des reins est de sé- parer incessamment du sang une foule de matériaux qui, dans l'état de santé même, n'y doivent point rester. S'il en est ainsi, et s'il est tout aussi certain que pendant la maladie la nature médicatrice travaille à dépurer le sang, à en séparer la matière morbide, n'est-il pas évident que l'examen de l'nrine mérite une attention toute particulière pendant le cours des fièvres? Aussi, l'étude des urines occupe-t-elle une grande place dans les livres hippocrati- ques. Voici quelques extraits que nous empruntons au Traité des pronostics ; tous les médecins, plus ou moins, peuvent chaque jour en constater l'exactitude. "Les signes de crudité dans l'urine, sont des signes né- gatifs. Aussi longtemps que l'urine, transparente ou trouble, ne présente pas de dépôt, ni de nuages en suspen- sion, la crudité persiste; la pâleur et l'absence de sédiment dans l'urine indiquent que la coction ne se fait pas. Au contraire, dès que l'urine s'épaissit et qu'elle commence à déposer un sédiment blanchâtre, égal, homogène, on peut être assuré que la matière morbide est mobile, que \a coction se fait, que la crise sera bonne." "Si les qualités de l'urine sont variables, la maladie sera longue, sa terminaison incertaine." "Si l'urine est rubiconde, le sédiment aussi, moins égal, la maladie sera longue, mais non dangereuse." "Le sédiment qui ressemble à la grosse farine est d'un; — 307 — mauvais augure, et d'un plus mauvais encore celui qui ressemble à de petites écailles." "Tant que l'urine est rousse et limpide, il ne se fait pas de coction, etc." En un mot, pour Hippocrate, point de coction dans les maladies aiguës, sans signes de coction dans les urines. Mais non seulement l'examen de l'urine, pendant la fiè- vre, montre si la coction se fait ou ne se fait pas, si la ma- ladie doit être grave ou d'une terminaison régulière et fa- cile, mais encore cet examen peut indiquer d'une manière assez sure quelle est la diathèse, quel est le mode de la réaction : 1° avec la forme nerveuse, les urines sont déco- lorées, abondantes et limpides, quelquefois comme de l'eau de roche ; 2° avec la/orme inflammatoire elles sont rouges avec un sédiment briqueté et déjà moins abondantes ; 3° enfin, avec la forme bilieuse, leur coloration jaune sera très prononcée, et elles pourront être plus rares encore. Si même la forme bilieuse va jusqu'à Yatrabilieu.se, la co- loration de l'urine pourra être si foncée, qu'on pourra bien les dire noires; de telles urines pourront être critiques. Pourtant, il est certain que les urines noires sont d'après l'opinion hippocratique, les plus mauvaises de toutes, par- ticulièrement si en même temps elles répandent une odeur repoussante. De ces quelques remarques tirées de l'observation la plus positive, et dont l'exactitude et l'importance ont été proclamées par tous les vrais médecins de tous les âges, et jusque dans la Séméiotique de Landré-Beauvais, (c'est- à-dire jusqu'au règne exclusif de l'analyse en médecine), de ces quelques remarques, disons-nous, il résulte que la médecine traditionnelle s'est de tout temps attachée à l'examen des urines, principalement sans doute pour y — 3d8 — puiser les signes de la crudité ou de la coction pendant le cours des fièvres, mais aussi pour y découvrir quelque» indices en vue du pronostic. De plus», la considération des urines, en tant que décharge critiqiue, était loin d'être rejetée par l'antiquité ; c'est ce qui sera montré plus loin. Mais, il est vrai, c'est dans d'autres émonctoires que ceux des reins que se décident d'ordinaire les phénomènes vrai- ment critiques ; passons donc à l'étude des crises dont le rôle est si important dans l'accomplissement de la réac- tion de l'organisme pendant les maladies aiguës-- § III. DES CRISES ET DES JOURS CRITIQUES. La doctrine des crises est à peu près oubliée de la plu- part des médecins modernes ; celle des jours critupies n'est plus mentionnée que comme un rêve de l'imagination des Anciens. Et pourtant, c'est une vérité que jusqu'à l'épo- que Broussaisienne, c'est-à-dire même après le triomphe de la méthode analytique, c'est une vérité que tous les vrais médecins, de tous les pays et de tous les temps ont accordé une attention sérieuse à l'évolution des phénomè* nés critiques, pendant le cours des maladies. Quant aux jours critiques? il faut en convenir, certaines époques mises à part, c'était le très petit nombre des médecins qui y ajoutait foi; la raison en est très simple : mille drconstan- ces doivent faire varier les jours critiques, et par consé' quenst ce n'est qu'en principe et non pas en fait, qu'on peut être certain de leur réalité. Etudions un peu cette double question des crises et des jours critiques. Le temps cfe la fièvre où la coction s'achève, et où la matière fébrile rendue mobile se dépose dans quelque or- gane, on bien est évacuée au dehors, ce temps de la fièvre — 30 i) — s'annonce très souvent par une secousse plus ou moins forte de l'économie ; cette secousse décide du sort du ma- lade. C'est le moment où la fièvre est jugée au profit de la force conservatrice ou de la force morbide, et c'est ce juge- ment, ou combat définitif, qu'on appelle crise de la mala- die. La crise, cependant, s1accomplit quelquefois sans secousse, sans combat ; elle se fait alors d'une manière insensible, mais elle se fait toujours . Nulle maladie ne peut se terminer bien, quand la nature médicatrice agit librement, sans crise plus ou moins appréciable. La crise peut être favorable ou défavorable ; pourtant, c'est plutôt l'idée d'une terminaison heureuse de la maladie qui s'atta- che au mot crise. La crise est suivie de l'évacuation cri- tique ; l'évacuation critique, c'est dans les cas favorables, le rejet au dehors, par une de nos voies naturelles d'excré- tion, de la matière morbide suffisamment cuite et séparée de la masse du sang. L'évacuation critique est moins heureuse, quand la ma- tière morbide, bien cuite pourtant et séparée du sang, se dépose dans nos tissus ; par exemple, dans le tissu cellu- laire sous forme d'abcès ou même dans quelque mem- brane close, comme les plèvres. Ces sortes de dépôts cri- tiques (qui devront d'ailleurs être évacués ultérieurement) peuvent cependant être suivis d'un rétablissement com- plet. La matière de ces dépôts critiques est très variable ; le plus ordinairement c'est du pus, quelquefois c'est du sang, souvent ce seront des fausses membranes. Dans un cas, non seulement la matière critique était couenneuse, mais elle s'était portée sur le larynx, de telle sorte qu'on eut un croup qu'il fut permis de considérer comme une crise, et même ce fut une crise favorable, sous la direction habile du professeur Cayol. Qu'on nous permette de re- — 310 — produire ici les réflexions que M. Cayol a placées à la suite de cette observation si intéressante et trop peu Con- nue. 44 M. le docteur Bretonneau, de Tours, qui se trouvait 44 alors à Paris, fut invité à venir voir cette malade, et 44 voulut bien en conférer avec nous dans l'amphithéâtre, 44 en présence des élèves. 11 ne douta point, après un 44 mûr examen, de l'identité de la maladie avec celle qu'il 44 avait vue régner épidémiquement à Tours, et qu'il a si 44 habilement décrite sous le nom de diphthérite. Il re- 44 marquait toutefois que la tuméfaction des ganglions 44 lymphatiques du cou et les accès de dyspnée, qu'il avait 44 constamment observés dans l'épidémie si meurtrière de 44 la Touraine, n'existaient pas chez notre malade. Mais 44 malgré ces deux points de dissemblance, il inclinait à 44 croire à l'identité de nature, et, en conséquence, il pro- 44 nostiquait une terminaison funeste." "En analysant toutes les circonstances de l'invasion et 44 de la marche de la maladie, nous y voyions une fièvre 44 primitive dont l'exsudation membraniforme des bron- 44 ches était une suite, un reliquat, une crise." "Toute affection locale, disions-nous, qui est la suite 44 d'une fièvre, peut être considérée comme une crise. " Lorsque le-développement de cette affection locale coïncide 44 avec la cessation de la fièvre qui Ta produite, on peut 44 dire que la crise est complète, c'est-à-dire bonne et sa- 44 lutaire, à moins qu'elle ne se trouve mal placée; et 44 dans ce dernier cas, elle entraîne des accidents qui dé- 44 rivent uniquement de la localité affectée : elle devient 44 alors la cause ou le principe d'une nouvelle maladie." "Lorsque au contraire la fièvre primitive ne cesse point 44 après le développement de l'affection locale, on peut — 311 — ~- considérer celle-ci comme une crise incomplète et insul- ■" fisante ; tant que la fièvre primitive n'a pas cessé, la " maladie n'est pas jugée. Ces résultats généraux de ■" l'observation sont le fondement de la doctrine des crises, 44 qui n'est elle-même qu'une conséquence de la force 44 vitale bien comprise." "Ainsi donc, dans le cas dont il s'agit, et d'après notre 44 manière de raisonner, la maladie était jugée, puisque la 44 fièvre primitive avait cessé. On n'avait plus affaire 44 qu'à une affection locale, fâcheuse sans contredit, parce 44 qu'elle était mal placée, mais cependant beaucoup 44 moins fâcheuse que si la disposition générale de l'orga- 44 nisme qui l'avait produite eût encore subsisté." — (Cli- nique du professeur Cayol). On pourrait considérer comme des affections jugées aussi, ces pneumonies dont parle le professeur Andral, lesquelles étaient terminées sans doute pour un médecin expérimenté, mais auraient été, presque indubitablement, poursuivies encore à outrance avec des moyens énergi- ques, par de jeunes praticiens qui auraient accordé trop d'importance à l'état local. ''Combien de fois, par exemple, ne m'est-il pas arrivé, 44 dit M. Andral, de continuer à trouver par l'auscultation 44 les signes parfaitement caractérisés d'une hépatisation 44 pulmonaire, alors que, depuis plusieurs jours déjà, toute 44 fièvre, toute apparence de participation de l'économie 44 à l'affection du poumon, avait complètement disparu, 44 et à tel point que sans l'auscultation, on aurait pu croire 44 la maladie tout à fait terminée. C'est qu'elle l'était ■" dans ce sens que l'altération du poumon n^était plus 44 que le résultat, presque sans importance, d'un travail ■" morbide qui s'était arrêté : dès lors la fièvre s'était ar- — 312 — " rêtée aussi, et la production d'une fibrine nouvelle, in- 44 dice de ce travail dans le sang, avait elle-même cessé 44 d'avoir lieu." —- (Essai d'hématologie). Au reste, suivant l'organe dans lequel le dépôt critique s'opère, (lymphe plastique, pus, etc.) la terminaison est plus ou moins sûrement et plus ou moins rapidement fu- neste. Par exemple, quand c'est dans les centres ner- veux ou leurs membranes, la mort est souvent très prompte ; c'est ce qu'on voit particulièrement dans le jeune âge- Combien d'enfants qui meurent par le cer- veau, pendant le cours d'une affection thoracique ou ven- trale! Nous touchons-là à la question des métastases. Les métastases peuvent être critiques aussi bien que symptomatiques, heureuses aussi bien que funestes. Mais revenons aux cas où la matière morbide/suffisam- ment élaborée, est transportée et versée au dehors; car ce sont ces cas qui constituent proprement les crises. Les Anciens avaient remarqué que les meilleures voies d'ex- pulsion, pour la matière critique, étaient les sueurs, les urines, les selles et l'expectoration. En parlant ici de ces quatre espèces d'évacuations critiques, nous supposons que la matière morbide a été mêlée au sang, que la cha- leur fébrile a été allumée pour l'élaborer, et qu'enfin de- venue matière critique, c'est par de véritables sécrétions et excrétions, qu'elle est séparée du sang et versée au dehors. Quand la fièvre s'allume consécutivement au dépôt de matière morbide sur les muqueuses et que cette matière est turgescente, les vomissements et les selles, comme l'expectoration, rejettent aussi une partie de cette matière morbide en excès, qui n'a point encore pénétré, dans le sang. Mais il y a des cas où les selles et l'expectoration sont la voie que suit la matière morbide élaborée, devenue — 313 — vraiment critique ; toutefois, c'est plus souvent par les urines, et c'est surtout par les sueurs que la matière criti- que ainsi élaborée est rejetée au dehors. Les dépôts, les sédiments dans l'urine, indiquent bien qu'une partie de la matière morbide élaborée et cuite, est rejetée par la voie des reins, mais en faible quantité. Aussi, ces dépôts et ces sédiments ont toujours été consi- dérés plutôt comme des signes de coction, que comme une véritable décharge critique. C'est donc par dessus tout dans les sueurs qu'il faut voir l'évacuation critique par excel- lence ; la diaphorèse peut être considérée, en quelque sorte, comme la crise commune à toutes les maladies aiguës. De là l'importance qu'on y a toujours attachée ; de là, la fa- cilité du vulgaire à exagérer même l'importance de la transpiration dans les maladies ; de là, l'exagération de certains hérésiarques en médecine, (de Van-Helmont en particulier ) qui ont voulu que toutes les maladies se ter- minassent par la sueur, et qui en conséquence ont établi, comme panacées, les remèdes chauds ; de là enfin, l'impor- tance véritable, mais qu'il ne faut pas exagérer non plus de Yhydro-sudo-pathie. En effet, les procédés qui favorisent la diaphorèse, surtout quand ils ne s'adres- sent pas à des moyens incendiaires, peuvent être fort utiles. Le vrai médecin : "Justo rapidos tempérât ingne focos." (Boerhaave). De tout temps les médecins ont donc accordé une im- portance immense aux sueurs critiques; ils ont dû, par conséquent, s'attacher aux signes qui les annoncent. Glass nous paraît en avoir présenté le tableau le plus complet et le plus concis : "Prœter coctionis notas in urinis, 44 dit-il, alia signa criticos sudores prœcedunt." Bordeu, Solano surtout, les prédisaient en explorant le pouls; — 314 — Glass aussi attache à l'examen du pouls son attention principale ; cependant il a groupé autour de cet examen d'autres signes dont l'ensemble complète un petit tableau qui nous paraît valoir bien la peine qu'on ne le laisse pas perdre. Voici ce petit tableau : "Calor utique, sed non 44 urens, externum corporis habitum, extremosque perva- 44 dit artus ; cutis priùs astricta mollescit ; tendines circa 44 carpum minus rigidi sunt ad tactum, linguaque humes- 44 cere incipit ; sed minime fallax et proprium critici su- 44 doris imminentis judicium, est pulsus plenus, mollis et 44 valens ; is cum humores aptos esse ad subeundos poros, 44 tum poros benè dispositos esse ad transmittendos hu- •4 mores ostendit." Il n'y a pas de praticien qui ne recon- naisse l'exactitude de cette description d'une crise immi- nente par les sueurs. Outre la transpiration, il se fait vers la peau, dans cer- taines maladies aiguës, un transport qui peut bien en grande partie être regardé comme critique ; nous voulons parler de ces fluxions qui s'effectuent vers l'enveloppe cutanée dans les maladies appelées éruptives. Il est in- contestable qu'une bonne partie de la matière morbifique dans ces cas, est expulsée par l'éruption même, car il est d'observation que la fièvre presque toujours diminue après que l'éruption a fait son apparition ; il y a donc là quel- que chose de critique. Cependant, il est certain aussi que cette élection pour la peau, qui décide la matière morbifique à se porter de ce côté en particulier, dépend aussi de ses qualités spéciales. En outre, l'éruption une fois faite, constitue une nouvelle condition de l'affection, qui a sa part d'influence dans l'accomplissement ultérieur de l'acte morbide quel qu'il soit ; ainsi les phénomènes dus à cette éruption même doivent être comptés pour — 315 — quelque chose, en vue de la marche de l'affection, du pro- nostic et du traitement. Ce qu'on voit clairement se pas- ser vers la peau, dans les affections dites éruptives, l'ana- tomie pathologique a montré que les muqueuses l'offraient assez souvent aussi à l'observation. En effet, il se pro- duit àla surface des muqueuses (en particulier de la mu- queuse digestive) des éruptions sur le compte desquelles nous pourrions répéter à peu près ce que nous venons de dire des éruptions cutanées ; exemple, l'éruption typhoïde; elles dépendent de quelques causes morbides spéciales ; elles ont aussi quelque part aux mouvements critiques ; elles sont pourtant encore plutôt symptomatiques que cri- tiques, et appellent toute l'attention du praticien, à cause du siège important qu'elles semblent choisir pour leurs manifestations. Quoi qu'il en soit, n'importe la route que suit la matière morbifique, n'importe les phénomènes qu'elle peut faire éclater sur son trajet, que ce soit par les muqueuses ou par la peau qu'elle soit rejetée, son éla- boration demande toujours un certain temps, sa coction, sa maturation, doivent obéir à certaines périodes^ avant d'arriver à l'évacuation critique. Admettre que l'élaboration de la matière morbifique est soumise à des périodes plus ou moins régulières, c'est ad- mettre des jours critiques plus ou moins variables. L'au- torité immense qui s'attache aux noms des médecins vrai- ment grands, qui ont soutenu, dans tous les temps et dans tous les lieux, la doctrine des crises et des jours critiques, devrait suffire pour convaincre que cette doctrine a des fondements solides et profonds. Les recherches sur les crises ont vraiment été faites avec un esprit des plus scep- tiques ; on n'y reconnaît plus Bordeu, le disciple d'Hippo- crate. Nous allons pourtant leur emprunter quelques pas- — 316 — sages, après lesquels il est difficile de concevoir qu'on doute encore à l'endroit des jours critiques. "L'Académie de Dijon avait proposé pour le prix de 44 l'année 1751, d'examiner si les jours critiques sont les 44 mêmes en nos climats qu'ils étaient dans ceux où Hip- 44 pocrate les a observés, et quels égards on doit y avoir 44 dans la pratique." —L'Académie a couronné la disser- 44 talion de M. Aymen....... "M. Aymen prétend : 1° que 44 dans nos climats les jours critiques sont les mêmes que 44 dans ceux où Hippocrate les a observés ; 2° que tous 44 les jours de la maladie sont critiques, mais qu'ils ne sont 44 pas bornés au nombre septénaire ou quartenaire; 3° que 44 cette doctrine est fondée sur les observations d'Hippo- 44 crate." La dissertation d'Aymen est certainement d'un hippo- cratiste ; pourtant, Bordeu prouve, par des arguments ti- rés de la dissertation elle-même, que l'auteur est loin d'être assez hippocratiste pour son œuvre. "Puisque M. Aymen donne un moyen certain de déter- 44 miner le jour critique, qui est de faire attention aux 44 jours indicatifs, et qu'il soutient, sur la parole de So- 44 lano qu'il cite, que tous les jours, quels qu'ils soient 44 pour le quantième, dans lesquels on aperçoit les signes 44 indicatifs d'une crise décisive, doivent être tenus comme 44 le quatrième jour avant la crise à venir, il est évident 44 que tous les jours de la maladie ne sont pas indifférem- 44 ment critiques ; il est évident que les uns sont indicatifs 44 et les autres critiques." "Si plusieurs observations ont démontré que le qua- 44 trième jour, par exemple, est souvent indicatif du sep- 44 tième, le dixième du quatorzième, etc., (ce que les An- " ciens prétendent, ainsi que Solano que M. Aymen ne — 317 — 44 peut pas récuser), il est essentiel de se le tenir pour 44 dit clans le traitement des maladies ; d'où il suit qu'il y a 44 une différence marquée entre les jours. C'est sur ces 44 différences que sont fondées les règles d'Hippocrate et 44 de Galien." "Quoique M. Aymen présente le 7, le 14, le 20, le 9, 14 avec les autres jours, et qu'il les fasse pour ainsi dire 44 passer dans la foule, ils méritent pourtant d'être distin- 44 gués par la grande quantité des crises observées dans 44 ces jours-là précisément. Je n'en apporterai ici d'autre 44 preuve que celle qu'on peut tirer des observations de 44 Forestus, que M. Aymen rapporte d'après M. Nihell, 44 mais dont il ne fait pas le même cas que le médecin an- 44 glais.— De 38 malades, dit-il, de fièvre putride, ardente, 44 maligne, dont Forestus rapporte les observations dans 44 son second livre, 29 ont été jugés heureusement par des 44 flux critiques. — M. Aymen aurait pu achever la re- 44 marque de M. Nihell et ajouter que de ces 38 malades 44 5 furent jugés au 4, 22 au 7, 7 au 14, 2 au 11, 1 au 17, 44 et 1 au 21 ; et cette observation aurait démontré la dif 44 férence des jours, car si de 38 malades les trois quarts 44 finissent aux jours critiques, ces jours-là ne sauraient 44 être confondus avec les autres ; et si parmi ces jours 44 critiques il y en a qui, de trente-huit malades, en jugent 44 vingt-deux, d'autres sept, comme le 7 et le 14 l'ont fait 44 dans les observations dont il s'agit, il n'est pas douteux 44 que ce 7 et ce 14 ne méritent une sorte de préférence 14 sur tous les autres jours. En voilà assez, ce me sera- 44 ble, pour justifier le calcul des Anciens." (Bordeu). Pour nous, a priori, d'après nos principes, nous croyons aux jours critiques; nous savons de croyance certaine que Dieu fait tout, non seulement avec poids et mesure, mais — 318 — avec nombre; tout d'ailleurs dans la nature nous le prouve. De même donc qu'il y a des périodes régulières dans l'évo- lution des phénomènes de la végétation, de même il doit y en avoir dans l'évolution des phénomènes des maladies; mais pour les maladies, comme pour la végétation, mille circonstances peuvent venir troubler la régularité des pé- riodes. Nous aimons donc à répéter le langage naïf de Dulaurens, premier médecin du bon roi Henri IV. "La nature a plutôt choisi le septième qu'un autre nom- 44 bre, pour ce que Dieu le Père et créateur de toutes 44 choses lui a imposé cette loi : car il a sanctifié le sep- '4 tième jour; il l'a recommandé aux enfants d'Israël, 44 comme le plus célèbre de tous, et s'est voulu reposer 44 en icelui de ses œuvres, après avoir parachevé la créa- 44 tion. Et partant, la nature particulière, comme cham- 44 brière et imitatrice de l'universelle, fait en chaque sep- 44 tième jour des crises parfaites...... Les crises se font 44 aussi quelquefois aux jours intercalaires." Ni Hippocrate, ni Galien, n'ont jamais nié ce dernier fait ; leurs propres observations le leur défendaient bien. Mais ces mêmes observations leur prouvaient à satiété qu'il y a préférence pour certains jours, et c'est sur ces préférences qu'ils ont établi leurs règles des jours critiques, règles plus ou moins sujettes à exceptions. Toute l'antiquité, d'ailleurs, comme tous les grands mé- decins des temps modernes, a admis qu'il y a des fièvres malignes où Yexpectation serait des plus dangereuses, où il faut agir énergiquement et de suite, sans tenir aucun compte ni des jours, ni des heures : exemple, les fièvres pernicieuses. Bien plus, il est positif que les anciens avaient fort bien reconnu qu'il y a des fièvres excessive- ment aiguës, de ces fièvres ardentes ou inflammatoires, — 319 — dans lesquelles de grandes pertes de sang, au début, sont tout à fait favorables ; en conséquence, on en a vu quel- ques-uns et des plus hippocratistes, au début de certaines fièvres, saigner largement, (usque ad deliquium animi), non plus pour modérer seulement la fièvre, non plus pour la mettre au degré convenable à la coction, (ce qui était leur but ordinaire), mais encore pour empêcher ces con- gestions, ces inflammations secondaires des organes, qui viennent trop souvent compliquer les fièvres primitives. Dans quelques fièvres inflammatoires, ils prétendaient même éviter la nécessité de la coction et de l'évacuation critique en abattant l'effort inflammatoire dès le début : ainsi, "dans les péripneumonies, dit Barker, si dès le com- " commencement on n'a pas prévenu l'inflammation par 44 de copieuses saignées, on les voit finir par l'expectora- 44 tion, le onzième ou le quatorzième jour, quelquefois elle 44 tarde jusqu'au vingtième." Barker pratiquait à Londres il y a cent ans ; il n'en croyait pas moins que par de larges saignées, au début de certaines fièvres, par des saignées coup sur coup, on peut éviter la coction et l'évacuation critique ; de même que John Bell a soutenu qu'on peut obtenir la réunion des plaies sans inflammation, en les mettant dans les condi- tions convenables. C'est sans doute dans le même sens que Sydenham, le plus grand médecin du xvne siècle, a dit dans son traitement de la pleurésie : "Je peux à mon 41 gré tirer par la saignée toute la matière morbifique qui 44 aurait dû être emportée par les crachats." Barker, en parlant de cette assertion de Sydenham, en nie la possibilité. Pourtant, en la rapprochant de celle que nous venons de lui emprunter à lui-même, on voit que ce n'est pas le fait qu'on a droit de nier, mais son explication. — 320 — Boerhaave aussi, le dominateur du xvme siècle, a eu les mêmes idées. 11 veut que dans l'angine inflammatoire on ait recours " à de promptes saignées, et si abondantes 44 que la débilité, la pâleur et l'affaissement des vaisseaux 44 s'ensuivent, et tout de suite à de forts purgatifs, sans 44 oublier les fumigations humides." Boerhaave, encore, prétend que dans la péripneumonie inflammatoire et ré- cente, "il faut recourir à de promptes saignées, pour faire 44 place aux délayants." Mais Hippocrate lui-même n'a-t-il pas dit : "Ubi ad 44 animi deliqnium ducere oportet, hoc etiam faciendum, si 44 œger sujfficiat." A la vérité, il a aussi donné l'avertis- sement suivant. : "Multum et derepentè vacuare, aut alio 44 quocumque modo corpus movere, periculosum...... Quod 44 enim paulatim fit, tutum est." Ces deux aphorismes, nous semblent dictés par la sagesse même. Sydenham, Boerhaave, ces Pères modernes de la doc- trine traditionnelle, pratiquaient leur art dans des pays froids et humides, où les affections inflammatoires et ca- tarrhales ont besoin quelquefois d'être menées vigoureu- sement ; Hippocrate, au contraire, observait dans des ré- gions où les élaborations animales, comme les végétales, s'accomplissent avec facilité. Tous n'en ont pas moins été naturistes, expectateurs, autant que le climat le permet- tait. 11 est certain que tous ces vrais contemplateurs de la nature qui, dans quelques circonstances, ont recom- mandé la médecine la plus active qu'on puisse imaginer, auraient pleinement approuvé les passages suivants de Bordeu : "La nature livrée à elle-même, disent les partisans de 44 la saignée, procure des bémorrhagies du nez et des au- 44 très parties ; il suit de là qu'il est essentiel de faire des — 321 — 44 saignées artificielles pour suppléer aux saignées natu- 44 relies. Mais, on ne prend pas garde que la nature suit 44 des lois particulières dans ses évacuations ; qu'elle choi- 44 sit des temps marqués pour agir; qu'elle affecte de 44 faire ces évacuations par des organes ou des parties 44 déterminées. Comment s'est-on convaincu que l'art 44 peut à son gré changer le lieu, le temps et l'ordre d'une 44 évacuation ? En raisonnant sur ce principe, il n'y au- 44 rait qu'à saigner une femme qui est au point d'avoir ses 44 règles pour suppléer à cette évacuation, il n'y aurait 44 qu'à saigner un homme qui a des hémorrhoïdes. Mais 44 il suffit de dire en un mot qu'une hémorrhagie ou toute 44 autre évacuation- critique ou même symptomatique, 44 ménagée par la nature, a des effets bien différents de 44 ceux qu'elle produit lorsqu'elle est due à l'art ; quel- 44 ques gouttes de sang qui se videront par les narines, 44 par l'une des deux par préférence ; quelques crachats, 44 trois ou quatre croûtes sur les lèvres, très peu de sédi- 44 ment dans les urines ; ces évacuations qui semblent de 44 peu de conséquence, feront beaucoup d'effet, et auront' 44 un succès fort heureux lorsque la nature les aura pré- 44 parées comme elle sait le faire; et des livres de sang 44 répandues, des seaux de tisane rendus par les urines, 44 des évacuations réitérées par les selles, que l'art s'effor- 44 cera de procurer, ne changeront pas la marche d'une 44 maladie, ou si elles font quelque changement, ce sera 44 de la masquer ou de l'empirer." Respecter l'action de la nature est donc le principal de- voir du médecin ; à moins toutefois qu'il n'acquière la cer- titude qu'elle a besoin d'être relevée, redressée, remise dans une autre route, mais c'est là l'exception. Le plus souvent le médecin, ministre de la nature, n'a qu'à la sou- 21 — 322 — tenir, qu'à l'aider; et en la soutenant, en l'aidant, il doit suivre les voies qu'elle-même lui indique. Aussi Hippo- crate apportait-il sa plus grande attention aux tendances de la nature médicatrice ; il admettait une grande variété de maladies ou de fièvres, et il voulait qu'on les distinguât principalement par les différences qu'elles présentent, sui- vant les routes qu'elles suivent pour parvenir à leurs ter- minaisons. Les modernes, avec les moyens d'investigations qu'ils possèdent aujourd'hui, arriveraient sans doute à des résul- tats très importants, s'ils étudiaient les maladies dans cette vue, s'ils la prenaient pour base de leurs classifications. Il est certain que ces classifications mêmes fourniraient déjà les données les plus importantes aux indications thé- rapeutiques. Bien que ce soit à propos des causes mor- bifiques que nous ayons du moins indiqué une sorte de classification des maladies, ce sera principalement sur la réaction de l'organisme que nous chercherons à établir nos indications curatives ; nous ne concevons même pas, au point de vue du vitalisme hippocratique, qu'il soit pos- sible de les fonder sur autre chose. — 323 — CHAPITRE VIII. DES INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES DANS LES MALADIES AIGUËS. Le système général de pathologie que nous venons d'exposer sommairement, nous paraît seul vrai, et par conséquent seul convenable pour l'enseignement de la médecine. Cherchons maintenant à en déduire rapide- ment les règles qui doivent diriger la pratique de l'art. Cette déduction n'est pas difficile, mais l'application des règles ainsi obtenues, demande et de l'expérience et du tact. Comme nous avons eu occasion de le dire déjà plu- sieurs fois, le premier devoir du praticien hippocratiste est de décider quand il doit se tenir simplement dans une ex- pectation attentive, et quand il doit se livrer hardiment à une médecine active; c'est à l'observation de la réaction de l'organisme à lui montrer lequel de ces deux partis il lui faut prendre. Mais, avouons-le, si le parti de l'expec- tation est souvent le plus sage, c'est aussi toujours et de beaucoup le plus difficile à suivre : les idées dominantes à l'heure qu'il est en médecine, l'impatience des malades, et celle plus exigeante encore de leurs proches, mille autres motifs, inutiles à rappeler, entraînent irrésisti- blement le grand nombre du côté de l'action. Aussi, — 324 — le livre que publiait Toussaint Guidant, en 1708, avec ce titre : La nature opprimée par la médecine moder- ne, mériterait sans doute aujourd'hui une nouvelle édi- tion. Au reste, quand nous parlons d'expectation, il va sans dire qu'elle ne signifie pas du tout l'inaction. Outre que le médecin naturiste est toujours observateur, il ne néglige jamais l'emploi du régime; or, avec le régime seul on peut déjà exercer une influence profonde sur la mar- che des maladies. Hippocrate avec ses tisanes d'orge, plus ou moins aqueuses, ou plus ou moins épaisses, savait produire des effets fort importants. Ajoutez au régime l'emploi de simples lavements émollients, de lotions et de bains ; supposez que le médecin sache graduer convena- blement la température de l'air que respirent les malades, qu'il sache le renouveler à propos, etc., et soyez assuré que son intervention, même sans le secours de la pharma- cie, sera loin d'être indifférente. C'est sous la direction de tels médecins que les maladies suivent une marche régulière, et qu'on peut s'assurer de la vérité de la doc- trine des Anciens touchant les crises et les jours critiques. Ces médecins hippocratistes n'agissent qu'à proportion que la nature le demande : "faciliter la maturation d'une 44 maladie et amener les évacuations qui doivent la ter- " miner, la simplifier le plus qu'il est possible, sans pré- 44 tendre en changer l'espèce, qui est immuable comme 44 les divers poisons, et comme les plantes et leurs semen- 44 ces," voilà, suivant Bordeu, toute la pratique des mé- 44 decins observateurs. Quant à ces accidents généraux 44 qui ont coutume de se joindre à des maladies de diver- " ses espèces et de les barrer ou de les arrêter dans leurs 44 progrès : douleurs, sueurs, hémorrhagies, convulsions, " plénitude et diverses tournures que les matières pren- — 325 — 4 nent dans les premières voies, l'art a plus de prises sur 44 ces accidents passagers et irréguliers que sur les mala- " dies bien caractérisées." "Voilà le plan et les vœux des médecins observateurs ; 44 c'est d'après un pareil calcul ou une pareille suite de 44 principes qu'ils adoptèrent la saignée dans les cas où la 44 nature l'exige; ils adoptèrent de même les purgatifs et 44 les remèdes sudorifiques dans les cas où la nature les 44 demande, par les signes qu'apprend la pratique-" "Ces signes sont le langage où l'expression de la na- 44 ture elle-même, qui montre le besoin de telle ou telle 44 évacuation, qui la prépare, qui la commence seule, et 44 qui demande pour ainsi dire du secours ; mais il ne 44 faut le lui offrir que lorsqu'elle en a besoin ; c'est à la 44 sagacité du médecin à bien distinguer et connaître ce 44 besoin. Il faut surtout qu'il prenne garde de ne pas le 44 confondre avec ce que lui dicte sa propre imagination." Afin d'entrer dans plus de détail, et de mettre de l'or- dre dans l'exposition des indications thérapeutiques, que nous essayons ici, suivons les divisions que nous avons adoptées en parlant de l'étiologie. Les maladies, dont le principe morbide est puisé dans l'homme lui-même, naguère en bonne santé, sont sans doute celles où la nature peut le plus facilement opérer la guérison. C'est ainsi qu'on voit de ces courbatures, de ces fièvres éphémères, dues à une suppression de la tran- spiration, être rapidement emportées, par le retour de la sécrétion cutanée, pourvu que celle-ci soit légèrement fa- vorisée par quelques boissons tièdes et le séjour au lit pendant qu'on cherche à obtenir la diaphorèse. Dans ces conditions pourtant, il ne faudrait pas exagérer les moyens chauds, comme font quelques gens du peuple, qui trans- — 326 — forment ainsi de légères indispositions en des états morbi- des plus ou moins sérieux. Nous l'avons dit, pendant la fièvre, les muqueuses se conjestionnent, deviennent irri- tables, et sont très disposées à s'enflammer. Que si une inflammation locale vient à compliquer la fièvre, ou si elle en a été le point initial, il va sans dire qu'il importe de te- nir compte de cette localisation. Le médecin en état d'é- tablir un diagnostic local exact, toutes choses égales d'ail- leurs, aurait un grand avantage sur celui qui négligerait ce détail. Ainsi, une bronchite, une pneumonie, une bron- cho-pneumonie , une pleurésie, une pleuro-pneumonie, peuvent être parfaitement distinguées; or, ces distinc- tions ne seront point du tout inutiles pour le praticien, qui devra faire varier ses moyens thérapeutiques, en rai- son de ces distinctions mêmes ; le choix des saignées gé- nérales ou locales, le choix entre les antimoniaux, le choix aussi du lieu d'application des vésicatoires, etc., devront varier avec les tissus ou les organes enflammés. Pour- tant, répétons-le encore, même dans ces cas, l'étude de la réaction de Vorganisme aura beaucoup plus d'importance que celle des états locaux. Le degré de la fièvre, son mode, sa diathèse, l'âge du malade, la saison, le pays, et par dessus tout la constitution régnante, devront entrer pour la plus grande part dans la balance du praticien. La question de savoir si l'on peut étouffer, étrangler, juguler comme on dit, quelques-unes de ces maladies inflamma- toires simples, nous paraît fort épineuse. Nous avons vu que les plus grands praticiens modernes ne s'y épargnaient pas; mais nous avons remarqué, en même temps, qu'ils recouraieut aux larges, promptes et rapides saignées, principalement dans les maladies éminemment inflamma- toires; nous avons remarqué de plus qu'ils exerçaient — 327 — l'art de guérir dans des climats où cette médecine active et antiphlogistique est souvent nécessaire. U est, au con- traire, bien certain que dans les pays d'une température douce, là où la solution des maladies est facile, tant d'é- nergie pourrait être souvent nuisible. Mais avançons. Nous avons déjà insisté sur l'utilité des vomitifs et des purgatifs, même comme moyens préventifs d'états morbi- des plus profonds, et conséquemment bien autrement gra- ves, si on les néglige ; contre les états morbides caracté- risés par l'intermittence, nous avons dit que la médecine est en possession d'un véritable spécifique. Le quinquina, le sulfate de quinine, ne doivent pourtant pas être admi- nistrés au hasard, ou empiriquement. Pour les fièvres in- termittentes simples, par exemple, il faut d'abord savoir que souvent elles guérissent par les seuls efforts de la nature : Sydenham a même reconnu qu'il y en avait qui duraient justement le même temps qu'une fièvre continue, de deux septénaires, à savoir 336 heures. Mais dans l'im- mense majorité des cas, on peut les couper dès les premiers accès, et dans certains pays c'est un devoir de le faire, car on y voit assez souvent de véritables accès pernicieux suc- céder à des accès qui avaient été d'une bénignité complète. 11 y a quelquefois lieu de préparer les malades à recevoir le sulfate de quinine ; suivant la diathèse, bilieuse, inflam- matoire ou nerveuse, on devra recourir aux emeto-ca- thartiques, aux saignées ou aux calmants. 11 y a des ma- lades qui ne supportent pas le sulfate de quinine sans addition d'un peu d'opium. Quant aux doses, pour les fièvres intermittentes ordinaires, il n'est pas nécessaire de dépasser 15 à 20 grains, administrés le plus loin possible de l'accès à venir; dans les cas de fièvres pernicieuses, il n'y a point de temporisation possible ; c'est quelquefois immé- — 32S — diatement, quelles que soient les conditions où se trouvent les malades, qu'il faut administrer des doses considéra- bles de sulfate de quinine, coup sur coup. Nous avons plusieurs fois donné plus de cent grains dans la journée, et à part une surdité très fugitive, nous n'avons jamais observé d'accidents sérieux ; il est remarquable que plus le cas est grave et mieux le spécifique est toléré. C'est surtout dans les maladies éruptives que les médecins naturistes triomphent. Nous voudrions pouvoir entrer dans les particularités, et non seulement nous trouverions alors l'occasion de montrer que c'est la nature médicatrice qui agit, et que le médecin ne doit que la diriger, mais de plus nous y verrions d'une manière évidente le rôle de la ma- tière morbifique et le compte qu'il faut tenir de ses évolu- tions; pour la variole surtout, l'occasion serait belle. "U 44 est évident, dit Bordeu, que la variole est due original- " rement à une semence particulière. Cette semence 44 germe dans le corps vivant ; elle y parvient enfin à une 44 maturité parfaite; elle s'y reproduit et s'y multiplie. 44 Ce germe est une cause physique qui a besoin de trou- 44 ver dans le corps sur lequel il tombe une disposition par- 44 ticulière pour y croître et s'y multiplier ; cette disposi- 44 tion du corps vivant, capable de faire germer, de nourrir 44 et de mûrir la semence, est, à proprement parler, la 44 cause médicinale de la petite vérole : en effet, celle-ci 44 ne peut, exister sans cette disposition, et cette même 44 disposition étant une fois perdue dans le corps, la se- 44 mence de la petite vérole tombe en pure perte sur ce 44 corps, qui n'est plus susceptible de l'alimenter." Ce serait ici le lieu de parler de la vaccine, mais letemps nous manque. Dans les maladies éruptives, plus encore que dans d'au- — 329 — très maladies aiguës, il importe de modérer le développe- ment de la chaleur fébrile. Le régime chaud des Helmon- tiens pourrait leur être très funeste ; ce n'est pas dire ce- pendant que le régime par trop anti-phlogistique des Chi- raciens ne dût leur être tout aussi nuisible. Le praticien sage doit, comme presque toujours, tenir ici un juste mi^ lieu. Pourtant, règle générale, il y a plutôt lieu d'abaisser que d'exciter la réaction dans les affections éruptives. Dans la scarlatine et la rougeole, la diète et les délayants, aidés de quelques excitants cutanés appliqués aux extré- mités, suffisent d'ordinaire pour mener à bien la terminai- son de ces maladies ; pendant toute leur durée, il ne faut pas négliger l'examen de la gorge et des bronches d'abord, et plus tard celui des reins et des intestins. Les saignées ne sont utiles, dans les commencements de ces affections, qu'autant que se manifestent quelques inflammations loca- les comme complications ; ensuite, pour la variole au dé- but de la fièvre de suppuration, pour la rougeole et la scar- latine, vers la convalescence, il pourra se faire que l'indi- cation des déplétions sanguines devienne très positive: c'est par elles qu'on peut le mieux-se mettre à l'abri de cette affection des reins, de cette maladie de Bright qui n'est que trop souvent la suite de scarlatines ou de rou- geoles, dont les crises n'ont pas été complètes. Lorsque dans ces maladies l'éruption est confluente, la peau sèche, chaude, mordicante, les démangeaisons très vives, l'agi- tation du malade très grande, on se trouve très bien des lotions émollientes et tièdes, faites sur toute la surface du corps. Il y a même des circonstances où nous n'hésite- rions pas à suivre l'exemple de Currie : On se rappelle que pendant le cours d'une scarlatine épidémique qui rava- geait. Plymouth, Currie eut le courage d'arroser son en- — 330 — fant jusqu'à ce qu'il eût réussi à faire avorter sa scarla- tine ; ce fut là le début de l'hydro-thérapie dans les temps modernes. Pour les maladies éruptives, comme pour les autres, s'il y a lieu d'agir, il importe avant tout de déterminer à quelle diathèse on a affaire ; cette détermination de la diathèse n'est pas indifférente même pour Yherpes-zona : ainsi, il pourra être nécessaire, ou de nettoyer les premières voies, ou de saigner, ou d'administrer des calmants, pour favo- riser l'éruption aussi bien que la marche ultérieure de la maladie. Enfin, il ne faut jamais négliger l'étude de la constitution de l'air; pendant les épidémies, c'est sa déter- mination qui doit fournir les lumières les plus précieuses à la thérapeutique. Il y a des pays où pendant le cours des maladies éruptives, comme de toutes les autres, il im- porte au plus haut point d'être attentif aux complications intermittentes. Ces mêmes généralités sont applicables aux cas où les fluxions localisatrices, au lieu dé se montrer vers la peau, se font vers la muqueuse digestive. Nous venons de rap- peler que les éruptions cutanées avaient une part dans les phénomènes critiques des maladies dont elles sont la mani- festation séméiotique. Nous pouvons répéter la même chose des éruptions intestinales; aussi, les purgatifs ren- dent-ils de grands services dans les maladies de cette classe, (fièvres typhoïdes, typhus, dyssenterie), et en effet, ces affections abandonnées à elle-mêmes, se terminent quelquefois d'une manière heureuse, par une diarrhée bi- lieuse ; or, rien n'est aisé comme de produire artificielle- ment une diarrhée bilieuse avec les purgatifs salins. Dans la dyssenterie les glaires et le sang disparaissent comme par enchantement avec le ténesme si pénible qui les ac- — 331 — compagne d'ordinaire, dès que les sels neutres commen- cent à agir sur les sécrétions du foie et de l'intestin grêle ; rappelons aussi qu'il y a des dyssenteries pour lesquelles l'ipécacuanha, et surtout l'ipécacuanha administré d'après la méthode brésilienne, est une sorte de spécifique ; mais n'oublions pas qu'il y a aussi des dyssenteries pour les- quelles les sangsues, les saignées, en un mot les moyens anti-phlogistiques sont de toute nécessité, et qu'il y en a d'autres qui exigent l'emploi des opiacés, si l'on veut les bien conduire, etc. C'est surtout quand ces dyssenteries sont épidémiques, que ces diathèses se dessinent nettement et que leur thérapeutique doit être instituée en consé- quence. Nous pouvons redire les mêmes choses pour les fièvres continues, dites aujourd'hui typhoïdes : quelquefois elles se manifestent sous la forme ventrale, (fièvres muqueuses, fièvres adynamiques, fièvres putrides, etc,)et alors la ten- dance de la nature se porte vers la diarrhée; il faut s'em- presser de favoriser cette tendance à l'aide de purgatifs administrés avec prudence. Dans les pays de marais l'expérience a prouvé qu'il fallait, dans ces cas, préférer à tous le quinquina purgatif; ce traitement des fièvres mu- queuses, bilieuses, putrides et adynamiques, doit recon- naître pour adjuvants principaux les acides et les toniques amers. D'autres fois, c'est sous la forme thoracique que se révèlent ces mêmes fièvres continues (fièvres inflamma- toires, fièvres catarrhales, etc.,) et alors les fluxions prin- cipales se manifestent vers les organes pulmonaires; la toux, la sibilance, les râles et souffles divers, qui décèlent l'engorgement des bronzes et du tissu des poumons, sont les symptômes principaux ; contre cette forme il faut avoir recours aux anti-phlogistiques, aux antimoniaux, aux lar- non ges vésicatoires appliqués aux cuisses. Enfin, ces mêmes fièvres ne se révèlent que trop souvent sous la forme cépha- lique dite ataxique ou nerveuse, c'est la plus redoutable de toutes ; pour lutter contre elle, il faut compter sur le musc et l'opium à hautes doses, il faut surtout ne pas reculer devant les difficultés des affusions froides générales, pro- longées et renouvelées selon que la réaction de l'orga- nisme est plus ou moins énergique et plus ou moins facile. Les détails que nous avons déjà donnés sur le compte qu'il faut tenir, dans toutes ces circonstances, et de l'âge et du sexe, et de la saison, et du pays, et de la constitution régnante, etc., nous dispensent d'y revenir dans chaque paragraphe. Nous avons déjà dit quelque chose du traitement des maladies dont la fluxion se fait vers la muqueuse aérienne. Pour le croup en particulier, ou plutôt pour les affections diphthéritiques en général, en outre des vomitifs, les cau- térisations avec le nitrate d'argent, et surtout avec l'acide chlorhydrique, dans des mains habiles, sauvent beaucoup d'enfants; nous en dirons autant de la trachéotomie, quand on n'hésite pas trop longtemps et qu'on ne craint pas de la pratiquer de bonne heure ; les prodigieux succès du professeur Trousseau nous paraissent bien éloquents en faveur de cette opération. Dans le cours de la coqueluche, les complications mises à part, nous pensons qu'il faut laisser faire à la nature le plus possible Le grand air et l'eau fraîche, les change- ments d'air surtout, quelquefois de légers vomitifs, quel- ques calmants aussi, suivant les circonstances, voilà le plus ordinairement à quoi se bornent nos conseils. La belladone, même la poudre de racine fraîchement pulvéri- sée, et aux doses que recommande le R. P. Debreyne, ne nous a point réussi. Mais il faut nous contenter de ces rapides généralités sur les indications thérapeutiques en rapport avec les affections de la seconde classe. Passons à celles que réclament les maladies de la troisième classe. Ici, nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter au pro- fesseur Cayol, quelques remarquables fragments de son instruction pratique sur le traitement du choléra-morbus épidémique. "Le génie de la civilisation a triomphé de ces deux 44 fléaux dévastateurs (la syphilis et la variole) par le mer- 44 cure et la vaccine, glorieuses conquêtes de la science, 44 qui suffiraient seules pour assurer à la médecine l'admi- 44 ration et la reconnaissance des hommes ! En sera-t-il 44 de même du choléra asiatique? Ce nouveau-venu, 44 d'origine barbare comme ses devanciers, sera-t-il à son 44 tour civilisé par l'heureuse découverte d'un nouveau 44 spécifique, soit préservatif, soit curatif ? On peut rai- 44 sonnablement l'espérer, en se confiant à la divine Pro- 44 vidence, qui tient toujours en réserve, dans les trésors 44 de sa miséricorde infinie, des remèdes souverains pour 44 les grands maux de l'humanité." En attendant, les médecins doivent s'efforcer de lutter le plus rationnellement possible contre ce redoutable fléau. Or, voici, sur les indications curatives qu'on peut lui oppo- ser, le résumé le plus logique et le plus substantiel que nous connaissions : "Tous les phénomènes qui caractérisent cette maladie, 44 considérés dans leur marche, dans l'ordre de leur suc- 44 cession, et dans leur ensemble, nous montrent l'orga- 44 nisme gravement affecté par une cause morbifique spé- " ciale, par un principe délétère, qui agit à la manière de — 334 — 4 certains poisons à la fois stupéfiants et irritants (narco- ' tico-âcres). "Cette cause morbifique est jusqu'ici imperceptible à 1 nos sens et à tous nos moyens d'investigation. Son 4 existence ne nous est révélée que par ses effets. Nous 4 ne connaissons ni sa nature, ni ses voies et moyens d'in- 4 traduction dans l'organisme. Nous n'avons donc au- 4 cune possibilité d'agir directement contre elle, soit pour 4 la saisir et la soustraire, soit pour la neutraliser par des 4 moyens chimiques ou autres. "Ainsi, point d'indications curatives à déduire de la 4 cause. "Mais nous savons que tout corps organisé vivant est 4 doué de la propriété de pourvoir à sa propre conserva- ' tion, et d'opposer une résistence active à tous les agents 4 de trouble et de destruction ; c'est la loi primordiale de 4 sa nature, et le premier fondement de toute science mé- 4 dicale : Morborum natura medicatrix. "Nous savons aussi que, dans cette lutte (souvent iné- ' gale) de l'organisme contre les agents de trouble et de 4 destruction, indépendamment des chances diverses qui 4 résultent, soit de la nature et de l'intensité de la cause 4 morbifique, soit des dispositions de l'individu réagissant, 4 soit de la réaction elle-même, qui peut être en dé- 4 faut ou en excès, une multitude d'incidents et de cir- 4 constances peuvent encore influer sur le résultat défi- 4 nitif. "Et c'est sur l'observation attentive, sur l'étude con- 4 sciencieuse de toutes ces choses, que nous fondons les 4 indications curatives, lesquelles ont toujours pour objet' 4 en dernière analyse, non pas précisément de guérir (ce 4 qui est l'œuvre de la nature), mais de faire naître des — 33,5 — 44 circonstances favorables à la guérison : Medicus naturœ " minister et interpres. "En examinant, d'après ces principes, le choléra-mor- 44 bus épidémique, nous remarquons d'abord un sentiment 44 de faiblesse et de malaise universel qui annonce une 44 affection des centres nerveux par la cause morbifique 44 inconnue. Nous remarquons, de plus, une coïncidence 44 et un rapport manifeste entre cette affection du système 44 nerveux, et les troubles divers des fonctions digestives 44 qui signalent les premières atteintes de la maladie (vo- 44 missements, diarrhées, borborygmes, coliques, etc.). "Soit que la cause morbifique agisse primitivement sur 41 le canal intestinal, soit qu'elle affecte de prime-abord 44 les centres nerveux, en pénétrant par les voies de l'ab- 44 sorption ou par les extrémités des nerfs à travers les 44 tissus tégumentaires, soit enfin qu'elle attaque à la fois 44 ces deux appareils organiques, toujours est-il que nous 44 voyons le canal intestinal et le système nerveux simul- 44 tanément affectés, et exerçant l'un sur l'autre une in- 44 fluence réciproque. "Ainsi, dans le progrès de la maladie, lorsqu'elle mar- 44 che assez lentement pour que ses différentes phases 44 puissent être observées, tantôt l'aggravation des symp- 44 tomes gastriques et intestinaux entraîne une aggrava- 44 tion parallèle et correspondante des symptômes ner- 44 veux (crampes, douleurs, angoisses, défaillances, refroi- 44 dissement) ; tantôt, au contraire, les symptômes ner- 44 veux semblent marcher en première ligne, et tenir sous 44 leur dépendance les symptômes gastriques et intesti- 44 naux. "Tant que les deux appareils organiques primitivement 44 affectés réagissent seuls, on ne voit pas de solution de — 336 — 44 la maladie. Les centres nerveux s'épuisent en efforts 44 douloureux et inutiles, tandis que le canal intestinal, 44 réagissant à sa manière, verse par ses milliers de bou- 44 ches exhalantes et par tous ses organes sécréteurs, une 44 surabondance de liquides qui devient une nouvelle 44 cause d'épuisement et d'innervation. "Mais lorsque, en vertu de celte loi de consensus et de 44 sympathie qui unit toutes les parties de l'individu 44 vivant, l'organe central de la circulation vient à s'é- 44 mouvoir, lorsque la réaction de l'organisme devient gé- 44 nérale, si elle s'exerce dans une mesure convenable, 44 une sueur chaude et bienfaisante s'établit sur toute la 44 surface du corps. Aussitôt les crampes, les douleurs 44 et les angoisses cessent, de même que les vomissements 44 et la diarrhée ; le calme succède à l'orage, et la mala- 44 die est, sinon terminée, au moins jugée, pour me servir 44 d'une expression consacrée par l'école hippocratique. 44 Que s'est-il donc passé? qu'est devenue cette cause 44 morbifique qui agissait à la manière d'un poison des 44 plus délétères? A-t-elle été éliminée ou assimilée? Je 44 ne sais. Mais apparemment elle est absente, puisque 44 ses terribles effets, par qui seuls sa présence nous était 44 révélée, ont disparu. "On vient de voir comment procède la nature pour la 44 guérison du choléra-morbus. C'est en imitant ces pro- 44 cédés, ou plutôt c'est en les secondant, c'est en fesant 44 naître toutes les circonstances les plus propres à les fa- 44 ciliter, que le médecin peut espérer de se rendre utile. "De là, d'abord, deux indications curatives fondamen- 44 taies : "Premièrement. Modérer les efforts de réaction des 44 deux appareils organiques primitivement affectés, qui — 337 — 44 sont, avons-nous dit, le système nerveux et le canal in- 44 testinal ; "Secondement. Provoquer un certain degré de réaction 44 générale de l'organisme." Il nous est impossible d'entrer dans les détails sur les moyens à opposer à la marche si rapide et si envahissante du choléra ; disons seulement un mot des affusions d'eau froide. Alors que la chaleur vitale s'éteint, que le pouls n'est plus perceptible, rien n'est plus puissant que ces affusions pour réveiller la vie qui s'en va ; nous avons eu occasion de les employer et plusieurs fois avec succès, dans des conditions désespérées ; toujours nous avons réussi, par cette rapide réfrigération, à réchauffer un peu nos agonisants. Qu'on nous permette de rapporter ici, en quelques lignes, une remarquable observation : Une jeune négresse était, depuis quelques heures seulement, en proie à un choléra des plus violents, quand nous la vîmes pour la première fois ; sa peau était glacée, son pouls insensible ; aussitôt elle fut soumise à des arrose- ments de tout le corps avec de l'eau froide, arrosements d'une à deux minutes, suivis de frictions sèches et de tous les moyens imaginables pour la réchauffer rapidement ; à chaque arrosement on sentit le pouls se relever et la peau se réchauffer un peu ; puis le refrddissement re- commençait, la soif était inextinguible, et le pouls dispa- raissait de nouveau ; il faut ajouter que dans les inter- valles des affusions, on administrait, dans un peu d'eau glacée, 5 à 10 gouttes d'éther phosphore. Nous avons la conviction que sans les affusions, la réaction n'eût pas commencé, nous ignorons si elle se fût maintenue sans le phosphore. Quelques heures après le début de la réac- tion, il y avait des douleurs épigastriques, le pouls sem- 22 — 33S — blaitcomprimé, les lèvres étaient bleuâtres; une applica- tion de 15 sangsues sur la région de l'estomac, fit dispa- raître la couleur asphyxique des lèvres, ainsi que les dou- leurs gastriques, dues sans doute au phosphore; bientôt le pouls offrit plus d'ampleur, la peau redevint peu-à-peu plus douce au toucher, plus élastique, puis halitueuse, etc., et le lendemain la convalescence commençait ; elle fut complète. Dans la fièvre jaune aussi nous avons eu recours aux affusions générales avec de l'eau froide, et particulière- ment pendant l'épidémie de 1847; on n'y a que rarement recours, parce que leur application n'est pas toujours fa- cile et surtout n'est jamais facilement acceptée- Pendant cette épidémie de 1847, alors qu'il n'y avait point d'erreur de diagnostic possible, et la seule année où la fièvre jau- ne se soit montrée à nous sous la forme inflammatoire, nous avons recueilli entre autres un fait très intéressant dont voici un résumé succint : Le sujet de l'observation était un jeune français récemment débarqué; il s'était réveillé avec de la fièvre, des douleurs de tête, des reins, etc., quand nous le visitâmes pour la première fois dans la soirée, la réaction fébrile était excessive ; nous lui tirâmes une livre de sang et prescrivîmes des lavements émol- lients et de la limonade. Le lendemain matin la fièvre n'avait point cédé ; le pouls était tout aussi dur et plein, la peau tout aussi brûlante ; une seconde livre de sang fut tirée du bras ; quelques heures plus tard, trouvant que la dernière saignée n'avait ni diminué la chaleur, ni abattu le pouls, nous nous décidâmes pour les affu- sions d'eau froide. Le malade dans une agitation extrê- me, et même dans le délire, accusant des douleurs de tête et des reins insupportables, la peau sèche et brûlante, — 339 — fut maintenu de force dans un grand baquet vide ; là nous l'arrosâmes nous-même, pendant près de cinq mi- nutes ; remis dans son lit il se réchauffa aussitôt ; une demi-heure après nous recommencions l'affusion qui dura encore environ cinq minutes ; après celle-ci la sueur arri va ; elle fut d'une abondance incroyable. Dès ce mo- ment, tout traitement actif devint inutile. Le lendemain la fièvre était si modérée qu'on pût laisser faire le reste à la nature, aidée du régime et des délayants. Voilà une fièvre jaune en quelque sorte jugulée à son début. Dans cette même épidémie, mais pour des cas moins violents, nous avons employé avec beaucoup de succès de simples enveloppements dans des draps mouillés. Depuis, nous avons eu l'occasion d'observer plusieurs autres épidémies de fièvre jaune, déformes, ou plutôt de natures opposées, et c'est ainsi que par l'observation et sur une large échel- le, nous avons reconnu combien est vrai l'enseignement traditionnel, lorsqu'il soutient que le traitement des épidé- mies d'une même maladie doit varier avec le génie qui domi- ne ces épidémies. Mais il faut nous arrêter... En résumé, l'expecta des Stahliens, le quô vergit natura des anciens, nous parais- sent devoir être la règle dans l'art de guérir. Mais, dit Hippocrate : "ad extrêmes morbos, extrema remédia ex- " quisitè optima." — 310 — CHAPITRE IX DES MALADIES CHRONIQUES. Les maladies dont la marche est lente, dont la durée par conséquent est longue, sont les maladies chroniques. Cette lenteur de marche, cette longueur de durée tien- nent à ce que la nature médicatrice n'y agit point avec énergie, ou plutôt n'y agit presque pas ; c'est dire que la réaction y est à peu près nulle, tandis que l'affection y joue le rôle principal ; aussi le professeur Cayol les a-til appelées affectives, par opposition aux maladies aiguës qu'il a nommées réactives. Elles appartiennent à la chi- rurgie autant qu'à la médecine ; les altérations locales y tiennent une place considérable et par conséquent l'ana- tomie pathologique a pour elles une importance capitale. De ce que la réaction médicatrice de la nature est fai- ble contre les affections chroniques, il suit qne la plus grande part de la guérison, quand elles guérissent, doit être rapportée k l'art. Malheureusement l'art, qui ne peut jamais agir que par l'intermédiaire de la fcrce conservatrice, même quand il emploie des spécifiques, l'art, reste impuissant en face d'une foule d'individualités morbides de la classe que nous étudions. Le chapitre des incurables serait encore bien vaste s'il fallait l'écrire. — 341 — § I. DIVISION DES AFFECTIONS CHRONIQUES. Afin de mettre un peu d'ordre dans les quelques consi- dérations succinctes que nous allons présenter, examinons successivement : 1° les affections chroniques, qui sont de simples transformations de maladies aiguës; 2° celles qui sont de vrais moyens conservateurs dans les mains de la nature ; 3° celles enfin qui sont dues à des vices consti- tutionnels. lo MALADIES AIGUËS TRANSFORMÉES EN AFFECTIONS CHRONIQUES. Le traitement peut être la cause de cette transforma- tion ; le tempérament du malade, bien plus souvent en- core, devra en être accusé ; des prédispositions héréditai- res quelquefois en décident, mais alors ces affections en- trent dans la classe des vices constitutionnels. Certaines saisons, les froides et humides en particulier, favorisent les métamorphoses que nous signalons ; à mesure qu'on avance en âge, elles sont plus malaisées à éviter. Suivant les tissus affectés, le passage à l'état chronique est plus ou moins facile ; et même certains tissus ne peuvent ja- mais présenter à l'observation des maladies à marche vraiment aiguë : Exemple, le tissu osseux; ou bien il faut alors appeler aiguës des maladies dont la plus courte du- rée est de plusieurs mois. On entrevoit sans peine les développements auxquels chacune de ces propositions pourrait donner naissance. C'est surtout pendant et même un peu après le règne de Broussais et de ses disciples, que les observateurs ont pu constater un grand nombre d'affections de cette pre- mière division. A cette époque on a pu écrire un livre où l'on trouve que la fréquence des gastralgies était de- venue au moins aussi grande que celle qu'on attribuait — 342 — aux gastrites. Les côtelettes et le vin de Bordeaux firent alors des merveilles, en réparant le mal qu'avaient causé les sangsues. Nous pourrions encore signaler dans ce paragraphe quelques affections chroniques qui ne sont que des restes ou des reliquats de maladies aiguës incomplètement ju- gées, ou plutôt terminées par des dépôts critiques mal placés : Exemple, certains hydrothorax et autres épan- chements pleuraux. 2o AFFECTIONS CHRONIQUES ÉTABLIES PAR LA NATURE CONSERVATRICE. C'est aux extrémités de la vie surtout qu'on reconnaît l'utilité de certains exutoires naturels, établis vers les par- ties supérieures chez les petits enfants, vers les inférieures chez les vieillards, exutoires qu'il faut bien se garder de tarir, du moins sans prendre son temps et ses précautions : Exemples, certains eczémas chroniques du cuir chevelu, certains écoulements des oreilles, les hémorroïdes, les ul- cères aux jambes, etc. Les accidents terribles qui suivent quelquefois la suppression de ces fonticules dus à la force conservatrice, la bonne santé qui se soutient aussi long- temps qu'on les respecte, montrent assez leurs services, et doivent faire présumer beaucoup en faveur de ces autres exutoires que l'art sait établir et entretenir. Les cautères et les vésicatoires en permanence ne méritent donc pas les dédains que leur prodiguent trop légèrement quelques médecins modernes. 3o AFFECTIONS CHRONIQUES DUES A DES VICES CONSTITUTIONNELS. Dans l'état actuel de la science, les principaux vices constitutionnels généralement reconnus sont le syphiliti- que, le srrophuleux, le dartreux, le cancéreux... Entre les — 343 - trois premiers, il existe peut-être une certaine filiation qu'on cherche à prouver de nos jours. 11 est presque cer- tain que tous ces vices constitutionnels sont héréditaires ; avec eux il y a toujours affection de toute la substance ; pourtant, que de mystères encore ! u Pour le cancer, par exemple, combien il importe de dis- tinguer de la cachexie, ce qu'on a appelé la diathèse. Avec la diathèse cancéreuse, les germes peuvent demeurer longtemps cachés, et si bien cachés, qu'une génération, héritière d'une lignée cancéreuse, peut traverser de longs jours, sans que l'état diathésique se trahisse par la moin- dre manifestation appréciable; puis, cette génération écou- lée, le cancer reparaît dans celles qui suivent ; l'observa- tion séculaire est positive sur ce point. U faut ajouter pourtant que la diathèse peut s'éteindre avec le temps, par suite de modifications profondes apportées dans le sang et dues à mille circonstances plus ou moins saisissa- bles, mais surtout par suite du croisement des familles. L'état diathésique cancéreux, à germes latents, explique comment les chirurgiens sont encore partagés sur l'oppor- tunité de l'opération du cancer. Puisque c'est une affec- tion de toute la substance, disent les uns, il ne faut jamais opérer le cancer. Puisqu'il n'y a pas toujours récidive après l'opération, disent les autres, il ne paraît pas que le cancer soit toujours une affection de toute la substance, et par conséquent il ne faut pas toujours se refuser à l'opé- ration du cancer. Avec l'hypothèse des germes latents, (germes latents, dont la découverte serait sans doute plus précieuse que celle de la prétendue cellule cancéreuse, mais qui échapperont sans doute longtemps encore aux microscopes les plus puissants), avec cette hypothèse, di- sons-nous, on peut concilier les deux opinions, et soutenir — 344 — que la seconde est en pratique, plus acceptable que la pre- mière. Essayons un peu cette conciliation. La diathèse cancéreuse consiste dans la prédisposition au cancer, aussi longtemps que le cancer à l'état d'incuba- tion, ne se manifeste en aucune manière. Dès qu'il se manifeste, par une tumeur par exemple, il y a déjà plus que la diathèse, mais il n'y a pas encore cachexie. C'est alors que l'opération est faisable. Mais si on laisse la tu- meur suivre ses évolutions, de nouveaux germes vont se produire dans son sein, puis passer dans le sang, et de plus en plus l'économie sera infectée, de telle sorte que de nouvelles tumeurs seront toutes prêtes à se montrer dans d'autres régions ; dès ce moment il y a cachexie ; si l'on opère après que la cachexie existe, la récidive ou plutôt la continuation du mal est inévitable. A côté des affections chroniques dues à des vices cons- titutionnels, nous devrions peut-être placer celles qui sont entretenues par de véritables parasites : exemples, les tumeurs hydatiques, le tœnia, etc. Nous l'avouerons mê- me, les hydatides nous ont souvent fait penser que le mé- decin anglais Baron, qui voit, dans la matière tuberculeuse aussi, devrais parasites, peut-être végétaux, n'est point déjà si hardi. M. Gruby n'a-t-il pas démontré que le fa- vus est une espèce de lichen? Lui-même nous a plusieurs fois fait voir, à l'hôpital St-Louis, sous la lentille du mi- croscope, les branches, les feuilles, les sporules de ces lichens parasites, qu'il appelle micodermes. Il nous a mon- tré quelque chose de plus curieux encore : sur un large fragment de l'écorce d'un chêne, M. Gruby avait greffé une petite cupule empruntée à la tête d'un teigneux ; bien- tôt cette cupule avait, végété, répandu ses sporules et une a^sez grande surface du tronc de l'arbre s'était recouver- te de la teigne comme d'une mousse. Cette teigne du chêne était tout-à-fait semblable à celle de l'enfant sur lequel on l'avait prise. Voilà sans doute un aperçu d'histoire na- turelle, qui promet pour l'avenir des acquisitions de plus en plus intéressantes ; un coup d'œil jeté depuis sur des résumés de journaux allemands, nous a en effet appris que des découvertes importantes avaient, été faites dans cette voie. § II. QUELQUES MOTS DES INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES DANS LES AFFECTIONS CHRONIQUES. De nos jours, l'étude des maladies chroniques entre- prise au point de vue du vitalisme hippocratique, a été généralement négligée ; il faut retourner assez loin en ar- rière, pour retrouver cette étude au moins indiquée. C'est peut-être dans les Recherches de Bordeu sur les maladies chroniques, que sont en effet exprimés les meilleurs vœux sur ce sujet et voici en quels termes:44.....On voudrait 44 mettre en évidence dans le cours de ces recherches, la 44 marche ouïes progrès des maladies chroniques; es- •• sayer de distinguer dans cette marche, les temps d'irri- 44 tation, de coction et d'évacuation ; suivre les métas- 44 tases ou les changements des maladies chroniques, 44 non moins assujettis à une règle fixe que ceux des ma- 44 ladies aiguës. On désirerait pouvoir surprendre la na- " ture préparant une maladie chronique, la développant, 44 et faisant des efforts pour la terminer. On voudrait 44 assigner les moments favorables pour agir, et ceux où 44 il faut se livrer à l'expectation ; prouver jusqu'à quel 44 point il est vrai qu'une maladie chronique doit, pour se 44 terminer devenir aiguë, et qu'ainsi que les plus aiguës, 14 les chroniques ont leurs crises, leurs redoublements, leurs "' évacuations, leur temps de calme, de repos, d'intermit- 44 tence, de rémittence ; leurs moments de résistance aux 44 remèdes, leur temps de maturation, de douceur, de fa- 44 cile réduction, leur curabilitéet leur incurabililé; leur su- 44 jétion à la nature des tempéraments, et aux grandes se- 44 cousses des âges, des saisons, des variations de l'atmos- 44 phère; leurs rythmes particuliers du pouls, leurs urines, 44 leurs évacuations, leur admirable dépendance des pas- 44 sions. On insisterait beaucoup sur ces causes morales, 44 plus efficaces souvent que les physiques, plus difficiles à 44 saisir, plus importantes à observer que les révolutions 44 purement corporelles. Tel serait l'objet de ces essais." Assurément un pareil plan était digne de Bordeu ! U n'a pu que l'ébaucher. Depuis Bordeu, et depuis cinquante ans surtout, on n'a étudié dans les maladies chroniques que l'affection; quant à la réaction, elle a été à peu près oubliée. Il est vrai que dans ces maladies la réaction est faible ; mais précisément parce qu'elle est faible, elle est plus difficile à connaître, et elle a plus besoin d'être soutenue et. même provoquée; car, après tout, les spécifiques mis à part, ce n'est tou- jours que par la réaction de l'organisme que l'homme de l'art obtient la guérison des affections chroniques, comme des aiguës. Quelques médecins contemporains, avec l'es- poir sans doute de faire avancer la thérapeutique des affec- tions chroniques, sont descendus dans l'étude la plus mi- nutieuse de leurs manifestations symptomatiques; c'est ainsi qu'à force de persévérance, on est parvenu à saisir avec l'oreille armée du sthétoscope, les preuves les plus certaines de l'existence de la plus petite induration mor- bide sur telles ou telles valvules sygmdides ou tricuspides ; c'est ainsi qu'on est arrivé à pouvoir dire à coup sûr, — 347 — quand c'est une insuffisance, ou un rétrécissement qui ca- ractérise telle ou telle altération organique du cœur droit ou du cœur gauche ! malheureusement toutes ces con- quêtes du diagnostic local n'ont en rien avancé le traite- ment de ces affections organiques du cœur. Les maladies organiques du cœur, jusqu'ici incurables, étant mises à part, on peut cependant signaler dans là thérapeutique des maladies chroniques, quelques acquisi- tions modernes d'une importance réelle. Outre les anti- ques mercuriaux, la matière médicale moderne peut four- nir aujourd'hui de précieux composés métalloïdes et mé- talliques, contre les affections syphilitiques, d'ailleurs plus complètement étudiées dans leur marche, leurs manifesta- tions séméiotiques, etc. L'iode et les iodures, contre les accidents secondaires et tertiaires de la syphilis, et sur- tout contre les scrophules, ont rendu des services incon- testables ; Lugol et M. Ricord ont certainement mérité de la science; les MM. Chrestien, de Montpellier, M. Le- grand, à Paris, ont fait sur les préparations d'or des tra- vaux très utiles, etc. Et l'huile de foie de morue ! que de merveilles ne lui doit-on pas ! Sur toutes ces choses cepen- dant, il faut se garder de l'enthousiasme, qui n'appartient guère, à la vérité, qu'aux premières années de la pratique, bien entendu pour les hommes dont le jugement est sain ; car il y en a qui meurent vieux, sans être encore guéris de leur dernier enthousiasme ; ce sont d'ordinaire des Po- lypharmaques, pleins de foi dans leurs recettes, et par con- séquent excusables sous beaucoup de rapports. Entre tous les médicaments vantés outre mesure, l'iodure de po- tassium, dont la valeur est pourtant incontestable, a éclip- sé tous les autres pendant un moment ; on en a abusé alors, comme on abuse du sulfate de quinine dans certains — 31* — pays, comme on abuse de tout, en tous lieux; il y a pourtant longtemps que nous avons entendu Marjolin, en parlant de ce sel, répéter le mot que Bordeu attribue à Dumoulin : "pressez-vous de faire usage d'un remède qui 44 fait des miracles depuis peu ; il ne sera bientôt bon à 44 rien." Il est certain que contre les affections chroniques, il faut des moyens qui modifient profondément l'économie ; il faut de plus, l'affection étant chronique, que le traitement le soit aussi, il faut le continuer longtemps. Aussi que d'avantages dans ces établissements d'eaux médicinales, où les malades trouvent réunies toutes les conditions les plus désirables : un air pur, un paysage charmant, des promenades agréables, des distractions de toutes sortes, et pardessus tout cela des eaux aujourd'hui analysées par- faitement, et administrées par les médecins les plus expé- rimentés ! Bordeu serait fier aujourd'hui de ses chères eaux des Pyrénées, encore si peu connues de son temps ! Mais ne jetterait-il pas un œil d'envie sur leurs rivales d'Enghein, si favorisées sous quelques rapports ? Il serait injuste de ne pas mentionner en passant les établissements hydrothérapiques. Nous avons d'autant plus d'inclination à croire à l'efficacité de l'hydro-thérapie, et surtout de l'hydro-thérapie appliquée aux maladies chroniques, que ses procédés sont vraiment hippocratiques. Quel est leur but principal ? provoquer la sueur, et la provoquer par des moyens toniques en quelque sorte, au milieu des meilleures conditions extérieures qu'on puisse imaginer, et sans jamais recourir à rien d'incendiaire. Et à quoi réussissent-ils encore ? Ils réussissent à allumer pourtant cette réaction de l'organisme sans laquelle il n'y a point de curation possible ; ils réussissent à transformer — 349 — l'affection chronique en maladie aiguë, ils réussissent en- fin, sans parler d'une foule d'éruptions très variées, à ob- tenir cette crise par les sueurs qui termine tant de ma- ladies ! N'est-ce point là ce que nous venons de voir demander par Bordeu : "Nous voudrions prouver, vient- 44 il de nous dire, jusqu'à quel point il est vrai qu'une 44 maladie chronique doit, pour se terminer, devenir aiguë, 44 et qu'ainsi que les plus aiguës, les chroniques ont leurs 44 crises." Une partie du travail est donc faite ; mais combien plus il reste à faire ! TROISIÈME PARTIE. PREUVES À L'APPUI DU SYSTEME GÉNÉRAL DE PA THOLOGIE QUE NOUS CROYONS LE VRAI- "Firma et constans est veritas, "Fluxae sunt et evanidœ opinione» "Stahl" Les opinions passent, la vérité reste. Un savant professeur d'embryologie, M. Coste, a don- né de la science en général une définition admirable quand il a dit : "La science est l'histoire du monde enseignant " Dieu." U n'y a point de science, en effet, qui, explorée dès son Principe et poursuivie jusqu'à sa véritable Fin, ne doive mériter cette définition. Toutes ne prennent-elles pas leur source dans l'unité divine et n'y ramènent-elles pas, comme forcément, les intelligences droites et libres? La médecine, plus visiblement que toute autre science, enseigne Dieu, à qui sait l'étudier. Présentée, dévelop- pée, comme nous avons tenté de le faire rapidement, nous l'avons entrevue à son point de départ reposant sur Dieu même; appuyée sur cette base, nous l'avons reconnu, tout son développement a consisté ensuite dans l'étude de la force providentielle qui réside en tout être vivant. — Cette force providentielle, qui est la force vitale, est pro- clamée par le sens-commun ; elle s'élève ainsi au degré d'un Premier-Principe. Le reste du système général de pathologie que nous avons posé sur cette base, n'étant qu'une série de déduc- tions tirées du Premier-Principe, enchaînées ensuite, et mêlées aux généralités obtenues par le rapprochement et la généralisation des faits particuliers, il est évident qu'il y a unité dans un pareil système. Rien ne peut être ac- quis à la science médicale, soit par l'analyse, soit par la synthèse, qui ne doive trouver sa place sur la base fon- damentale de ce système. Or c'est là un premier crité- rium de tout système vrai. Cette considération suffit donc pour assurer la certitude de notre principe fondamental. Pour assurer maintenant, autant que possible, la certi- tude des conséquences que nous en avons déduites, aussi bien que des généralités probables qui, tirées des faits par l'induction, se sont élevées jusqu'à ces conséquences, un travail nous reste à faire : ce travail consistera à montrer que l'ensemble du système général de pathologie que nous avons essayé d'établir, est précisément le seul qui ait été religieusement transmis d'âge en âge et parles médecins les plus illustres de tous les pays. Or ce qui a été cru partout et toujours, est nécessairement vrai. (St-Vincent- de-Lerins). C'est là un principe duquel il n'est pas per- mis de douter. Firma et constans est veritas disait Stahl. Donc si nous réussissons à montrer que la doctrine que nous avons esquissée à grands traits, est réellement dans son ensemble la Doctrine Traditionnelle, nous aurons dé- montré, par cela même, qu'elle est la Doctrine Vraie. — 353 — Etudions ainsi la doctrine médicale traditionnelle, dans les temps anciens et dans les temps modernes. Assuré- ment ce n'est pas une histoire «le la médecine, qu'on at- tend de nous ; notre ambition est infiniment plus modeste. Nous désirons simplement montrer que les principaux points de la Doctrine que nous avons exposée, et surtout les points pratiques, ont été précisément ceux que les Pères les plus excellents de notre science ont adoptés et soutenus dans tous les siècles. Pour parvenir à ce but, il nous suffira d'emprunter quelques preuves à la Tra- dition. § 1. DOCTRINE MÉDICALE TRADITIONNELLE DANS LES TEMPS ANCIENS. Il ne serait pas difficile, au moins pour les choses fon- damentales, de faire remonter la doctrine médicale tradi- tionnelle jusque dans l'antiquité la plus reculée. Dans les Livres Saints des Juifs, et dans les plus anciens de ces livres, nous trouverions, si nous le voulions, beaucoup de passages très significatifs, très importants, pour appuyer nos données primordiales. Dans Y Ecclésiastique, en par- ticulier, il existe un chapitre tout entier, le 38e., qui sera toujours d'un prix infini pour le médecin religieux. Il ne serait pas difficile non plus de suivre les filiations des écoles de Pythagore, jusqu'aux médecins de Cos. Mais, puisque Hippocrate, le fils d'Héraclide, le grand Hippocrate enfin, est regardé à juste titre, comme le Père par excellence de la médecine, nous n'essaierons pas d'offrir des preuves tirées d'écrits antérieurs aux siens. Dans ses propres écrits, il est Vrai, nulle doctrine n'est formulée systématiquement, dogmatiquement, mais la Vraie Doctrine s'y trouve toute entière, en puissance ; 23 — 354 — on pourrait l'en extraire très complète. "Le titre de 44 science, c'est-à-dire d'ensemble coordonné de vérités, dé- " duites les unes des autres, fut donné pour la première 44 fois à la médecine dans l'ancienne école dogmatique, 44 fondée 400 ans avant J.-C, par les premiers succes- 44 seurs d'Hippocrate, Thessalus, Dracon et Polybe." (Sprengel). Malheureusement, dès ces premiers succes- seurs d'Hippocrate apparaissent les Hérésies Médicales. Un beau travail consisterait à présenter d'abord le ta- bleau de la Vraie Doctrine, se perpétuant de siècle en siècle, puis à dérouler, parallèlement à ce premier tableau, celui des Hérésies médicales. On aurait ainsi d'une part une histoire toujours une et invariable, celle de la Vraie Doctrine, de l'autre, une sorte d'histoire des variations, celle des hérésies médicales. Ce travail est au-dessus de nos forces et de nos ressources ; de plus, nous sommes forcés d'aller vite ; nous mêlerons donc ces deux études parallèles dans les temps anciens et modernes, nous con- tentant simplement de poser quelquesjalons. Les œuvres d'aucun homme peut-être, n'ont été plus méditées, plus commentées que celles d'Hippocrate. Dans l'antiquité Galien, le premier restaurateur déjà de la mé- decine hippocratique, en fut aussi le principal commenta- teur. Dans les temps modernes, on peut dire que tous les médecins vraiment grands n'ont été que ses com- mentateurs aussi, depuis Fernel, Duret, Baillou, jusqu'à Boerhaave, Bordeu, et jusqu'aux hippocratistes de nos jours. Une partie plus ou moins considérable des œuvres dites hippocratiqu.es, appartient certainement à ses dis- ciples et aussi à ses prédécesseurs. Il n'importe, c'est toujours dans les écrits des médecins de Cos le même es- prit qui domine, l'esprit religieux- Dans tous, on recon- — 355 — naît ces tendances élevées et pures qui ne manquent ja- mais là où l'on peut compter sur la vérité. Voici une pensée, extraite d'une lettre qu'on attribue à Hippocrate, et qui vient trop à propos pour que nous ne la citions pas : 44 Sans le secours d'Esculape, qui tenait ces secrets de 44 son Père, jamais les hommes n'auraient pu inventer les 44 remèdes." (Hip. Epis, ad Philipp.) Rapprochez cette pensée, exprimée ici dans le langage païen, de ce passa- ge de l'Ecclésiastique : "Toute médecine vient de Dieu..." et vous verrez que c'est toujours pour notre science la même origine divine. Mais le médecin philosophe a dit : "La nature guérit 44 les maladies." Pour Hippocrate, le fondement de l'Art de guérir, est donc bien la nature médicatrice. Nous de- vrions peut-être nous arrêter à beaucoup de passages des livres hippocratiques, en particulier à ceux qui ont trait à la force vitale, comme agent, comme impetum façiens de l'organisme. Il est certain que c'est bien de la force vitale telle que nous l'avons comprise, qu'il faut entendre ce qu'il dit de YEnormon. D'après Sprengel, "on est en 44 droit de conjecturer que cet Enormon était pour Hippo- 44 crate la même chose que la nature, et qu'il le confon- " dait avec la chaleur inhérente au corps (calor innatus, 44 notre chaleur vitale). En effet, le principe de la vie était, 44 suivant lui, non pas le feu admis par Pythagore, Héra- 44 clide, et Platon, mais la chaleur intégrante, dont l'essen- 44 ce est supérieure à celle du feu proprement dit." (Sprengel.) Ce sont là des opinions toutes théoriques ; nous aimons mieux ne nous arrêter principalement que sur les points pratiques. En outre, nous avertissons que dès ce mo- ment, nous allons faire de nombreux emprunts à un au- — 356 — teur anglais, auquel nous ne pouvons refuser une estime véritable. Il nous paraît que cet auteur a fait pour la médecine, il y a plus de cent ans, ce que John Bell a fait pour la chirurgie, à la fin du siècle dernier. C'est de Bar- ker, du collège de Londres, que nous voulons parler. Son livre a pour titre : "Conformité de la Médecine des An- 44 ciens et des Modernes, dans les Maladies aiguës." (mdccxlix.) "La réputation immortelle que s'est acquise le Père de 44 notre art, dit Barker, semble ne lui venir que de ce 44 qu'il a observé et copié d'après la nature, avec plus de 44 diligence et d'exactitude qu'on ne l'avait fait avant lui. 44 Et si notre Hippocrate anglais, le judicieux Sydenham, 44 est devenu le rival de sa gloire, c'est parce qu'il a suivi 44 constamment, la route dans laquelle Hippocrate était 44 entré avant lui." Or, dit Hippocrate, au livre de Arte : 44 la fin que se propose le médecin, doit être ou de chas- 44 ser le mal, ou d'en modérer la violence." Mais c'est la nature qui guérit les maladies ; tel est le principe hippo- cratique fondamental. C'est donc en assistant, en diri- geant la nature, que le médecin arrivera à ses fins; et en effet, répugnante natura, omnia vana. Pour guérir, la nature reagit, elle développe la chaleur vitale ou la chaleur innée d'Hippocrate. Ce développement de la chaleur in- née, c'est la fièvre (pyrexie), destinée à produire la coction de la matière fébrile. "Concoctionem ipsam a calido po- 44 tissimum perfici ; dit Galien d'après Hippocrate, atque 44 idcircô tum nutritionem, tum concoctionem, tum om- 44 nem succi generationem, jam verô et in excrementis 44 ipsis qualitates, a cabre innato provenire, Hippocrates '• omnium post hominum memoriam primus rectèdixit; " Aristoteles post eum, rectè est interpretatus." (Galien)' — 357 — La coction faite, la matière fébrile doit être rejetée au dehors; de là les crises, de là les jours critiques, etc. Tou- tes ces données ressortent de mille endroits des apho- rismes, des coaques, du livre sur le Régime dans les ma- ladies aiguës, etc., de tous les traités d'Hippocrate enfin. La fièvre étant donc le moyen que la nature emploie, pour préparer la guérison, le médecin se gardera de cher- cher à l'éteindre brusquement. "11 doit paraître étrange 44 à bien des gens, dit Barker, que nous assurions qu'Hip- 44 pocrate n'a jamais tenté de guérir une fièvre .' il est ce- 44 pendant très vrai qu'il ne l'a jamais entrepris dans le 44 sens ordinaire du mot guérir, qui veut dire arrêter les 44 mouvements fébriles... car il pensait (et il n'est pas de 44 médecin prudent qui ne pense) que la guérison d'une 44 fièvre doit être laissée à la nature ; tout son dessein 44 était de modérer, de conduire et d'aider ses mouve- 44 ments." Or, pour modérer, pour conduire, pour aider la nature, quelle était la grande règle d'Hippocrate ? ob- server et imiter la nature. "Quae ducere oportet, quô 44 maxime vergunt, eô ducenda, per loca convenientia." (Aphor. 22. C. I.) Pourtant l'observation pour Hippocrate devait toujours être dominée, éclairée par l'intelligence ; en d'autres ter- mes, les principes passaient pour lui avant l'expérience : par exemple, sur la question si épineuse des jours cri- tiques il savait combien l'observation est variable et par conséquent insuffisante pour établir des règles. Tant de circonstances difficiles à apprécier viennent si souvent, pendant la maladie, troubler la nature dans sa marche, même au milieu des conditions de climat, d'expectation, etc., les plus favorables ! Mais il savait aussi, ou plutôt il croyait avec conviction, que la nature, doit avoir une — 358 — marche réglée, qu'elle doit tout faire avec ordre et mesure et par conséquent avec nombre. D'après ce principe, il a établi à priori, pour les périodes et la durée des maladies, certains nombres : exemple, le fameux nombre sept et ses multiples! Sept! composé de 3 et de 4! Que les esprits- forts, que les libres-penseurs, se rient de la puissance des nombres, qu'ils ne veulent pas étudier, ni comprendre à son vrai point de vue, c'est tout simple ; les septénaires n'en seront pas moins toujours remarquables dans les opé- rations de la force conservatrice, et de la nature médica- trice, comme ils le sont dans celles de la nature en général. Quant à Hippocrate, "il recommande à son fils Thessa- 44 lus de s'attacher exactement à l'étude de la science des 44 nombres ; parce que.la connaissance des nombres suffit " pour lui enseigner le circuit ou la marche des fièvres, et 44 leur transmutation, et les crises des maladies, et leur dan- 44 ger ou leur sûreté." Si l'on accorde que ce passage, que nous empruntons à Bordeu, est bien d'Hippocrate, nous ne comprenons plus qu'on soutienne qu'Hippocrate proclamât l'analyse au-dessus de la synthèse, ou l'obser- vation comme la source des principes. Dans ce passage, il est eh effet de toute évidence qu'Hippocrate fait pas- ser la science, toute abstraite, toute à priori, des nombres, avant lexpérience. Quoi qu'il en soit, il attachait un grand intérêt, aux jours critiques et indicateurs. "Septimorum quartus est 44 index. Alterius septimanae octavus est initium. No- 44 tandus verô undecimus : is enim quartus est alterius 44 septimanœ. Notandus rursùm decimus septimus : hic 44 enim est quartus quidem a decimo-quarto, septimus 44 verô ab undecimo." Mais passons de suite aux indications thérapeutique» — 359 — qui intéressent plus particulièrement la pratique. D'ail- leurs les règles de l'art étant tirées de la théorie et la théo- rie étant fondée sur la science, il sera facile de remonter des conseils pratiques aux convictions doctrinales du Père de la Médecine. Hippocrate avait beaucoup voyagé; il avait pu par conséquent observer les changements qu'il faut apporter dans sa pratique, suivant le climat où l'on exerce l'art de guérir. 11 nous apprend, en effet, que ses observations se sont étendues de la Lybie à la Scythie. Cependant c'est en Grèce principalement qu'il a vécu. Or, le climat extrê- mement doux de la Grèce favorise merveilleusement tous les actes de la nature : la marche des maladies y est fa- cile, les crises s'y font sans secousses et régulièrement. L'expectation semble en conséquence avoir été le fond de la pratique d'Hippocrate. Aussi a-t-il écrit tout un livre sur le Régime dans les maladies aiguës. C'est là peut-être qu'il a le plus excellé : conduire la nature à ses fins, en la dirigeant seulement avec l'aide du régime, voi- là quel a été un des principaux buts que se proposait le Père de la Médecine. Pour cela, l'orge était sa grande ressource ; il en faisait faire des décoctions plus ou moins épaisses, qui devenaient à volonté des boissons ou des ali- ments ; il en distinguait deux principales : la tisane forte et la tisane légère. Mais nous sommes obligé de renvoyer aux livres d'Hippocrate : (de Affectionibus, de ratione vie- tûs in morbis acutis, etc.) Voici pourtant quelques aphorismes très concis qui ré- sument beaucoup de choses : "Cùm morbus in vigore fuerit, tune vel tenuissimo victu uti necesse est." "Con- siderare oportet etiam aegrotantem, num ad morbi vi- gorem victu sufficiet, et an priùa ille deficiet, et victu — 360 — non sufficiet, an morbus priùs deficiet, et obtundetur." "Quibus igitur statim vigor morbi adest, statim tenuiter alendi. Quibus verô in posterum vigor, his ad illud, et paulô antè illud tempus subtrahendum." Et non seule- ment il faudra nourrir quelque peu jusque-là, (antea verô uberiùs alendum, ut sufficiat aeger,) mais il est impor- tant de remarquer qu'il y a souvent de graves incon- vénients à passer brusquement de la nourriture habi- tuelle, à une diète absolue. Pourtant l'acuité très grande du mal, dès le début, fait de l'abstinence une règle absolue. "Victus humidus febricitantibus omnibus confert, maxi- 44 mè verô pueris et aliis tali victu uti consuetis." "Et quibus semel aut bis, et plura vel pauciora, et per 44 partes offerri conducat,videndum. Concedendum autem 44 aliquid etconsuetudini et tempestati, et regioni,et setati." Le passage suivant de Barker n'est que le résumé con- cis de ces divers aphorismes : "D'après Hippocrate, nous 44 devons dans tous les cas, examiner quelle pourra être 44 selon les apparences la durée de la maladie, et si un ré- 44 gime fort léger suffira, pour entretenir les forces du 44 malade jusqu'au période le plus haut de son mal. Car 44 quand la maladie est très aiguë, il suffit d'une nourri- 44 ture légère ; mais si elle est simplement aiguë, c'est as- 44 sez d'en venir à ce régime au temps de la crise, et jus- 44 que là on peut en accorder un plus nourrissant, dans la 44 vue de soutenir les forces du malade....." D'après Hippocrate encore : "Si la bouche est fraîche, 44 et l'expectoration facile, il faut augmenter la quantité 44 des potages, parce que plus il y aura d'humidité dans 44 le corps, plus la crise sera prompte et ainsi du contraire." Quant aux délayants c'est-à-dire aux véritables bois- sons, il voulait qu'on en donnât beaucoup. — 361 — "Dans une fièvre, dit-il, on peut faire prendre de l'eau 44 chaude, et de l'eau de miel ou aqua mi dsa et de l'oxy- 44 mel, et le malade ne risque rien d'en boire en grande 44 quantité; car si on lui donne ces boissons chaudes, 44 elles pousseront les humeurs viciées par l'urine ou par 44 la sueur, ou elles tiendront la transpirât ion ouverte, ce 44 qui est fort salutaire." Le dessein d'Hippocrate, ajoute Barker, était évidem- ment d'éteindre la chaleur et de modérer la fièvre par ces boissons. Hippocrate employait aussi des onctions des fomenta- tions et des bains à des températures variées. Il est évi- dent que par tous ces moyens son but était de tempérer la chaleur fébrile, d'abattre surtout sont excès. Une de ses grandes ressources encore, pour atteindre ce dernier but, se trouvait dans les clystères émollients et rafraîchis- sants. Il les employait surtout dans les maladies qu'il appelait expressément aiguës, telles que les pleurésies, les phrénésies, les fièvres chaudes, les fièvres? ardentes. Dans toutes ces fièvres, il recommande des remèdes rafraîchis- sants, soit extérieurs, soit intérieurs ; mais, ajoute-t-il, "il 44 faut prendre garde qu'ils ne soient pur trop rafraîchis- 44 sants, dans la crainte de causer un froid nuisible." Ce qui signifie : "Modérez la fièvre, de peur qu'un excès de 44 chaleur ne produise des désordres, nnais ne l'abaissez 44 pas trop de peur que la coction ne puisse pas se faire 44 complètement. Ainsi, dans une fluxion de poitrine, il 44 ordonnait de tenir le ventre libre durant les cinq pre- 44 miers jours, afin d'abattre là fièvre; mais après ce 44 temps-là, il ne voulait plus qu'on usât de ces remèdes, 44 à cause qu'une grande évacuation par bas est dange* 44 reuse après le 5e jour, parce qu'elle empêche l'expecto- — 362 — 44 ration, qui est la crise naturelle de cette maladie." A part ces exceptions, il recommandait assez librement les clystères, dans toutes les périodes des maladies aiguës, bien plus librement surtout que les cathartiques. Lorsque le régime, les délayants, les lavements, ne suf- fisaient pas pour modérer la réaction fébrile, Hippocrate avait recours à l'évacuation des vaisseaux, à la saignée. Sa seule règle à ce sujet était : "de saigner dans les ma- 44 ladies aiguës, si la fièvre était violente, ou encore si le 44 malade était dans la fleur de son âge et de sa vigueur." Mais jamais en évacuant les vaisseaux, Hippocrate n'a prétendu produire artificiellement une évacuation critique. La preuve, c'est que si tel eût été son but, il eût saigné dans les jours critiques. Or, Hippocrate saignait dès les premiers jours de la fièvre, tandis que les hémorrhagies critiques n'arrivent guère avant le 5e jour et se montrent de préférence à une période avancée des maladies. De là la Règle des médecins de l'antiquité, de ne pas sai- gner après le 4e jour. Cette règle souffrait pourtant des exceptions : une fois Hippocrate saigna un pleurétique le 8e jour; mais "la fièvre, dit-il, était alors très violente, ks 44 douleurs fort aiguës et la toux et la difficulté de respi- 44 rer toutes deux très fortes." Si donc Hippocrate par l'évacuation des vaisseaux ne prétendait pas produire une crise, (et d'ailleurs la nature qu'il avait sans cesse pour but d'imiter, se sert elle-même très rarement de ce moyen), il n'a dû y recourir, qu'en vue de modérer la fiè- vre, c'est-à-dire de la mettre au point le plus convenable pour que la coction se fît le mieux possible. D'un autre côté, dans les régions chaudes de la Grèce, la coction s'opère aisément, et en outre, on y a plus souvent besoin peut-être de l'évacuation des premières que des secondes — 363 - voies ; or, "c'était une doctrine reçue de tous les anciens médecins, que comme la pléthore, ou la trop grande plé- 44 nitude de sang indique la saignée, de même la caco- 44 chynie ou corruption des humeurs, demande la pur- 44 gation." (Galien). Voyons donc quelle était la pratique d'Hippocrate pour les vomitifs et les purgatifs. Les vomissements sont rarement critiques; parmi les cas relatés dans le livre des épidémies, dans un seul, le mal a été emporté par le vomissement, et même Freind fait remarquer que c'est au commencement d'une récidive; en sorte qu'on pourrait dire que ce vomissement arri- va dans le commencement de la fièvre. Au début des états fébriles, quand la bouche était amère, etc., Hip- pocrate faisait vomir ; nous l'avons vu plus haut, dans un fragment d'aphorisme : En cela encore il imitait la na- ture, et faisait rejeter au dehors une partie de la matière peccante. La condition, pour qu'il donnât un vomitif, était que la matière peccante fût mobile dans l'estomac ; au- quel cas, elle excite des nausées et des vomissements. Les selles, au contraire, bien plus souvent que les vo- missements, ont le caractère critique. Quelquefois donc Hippocrate purgeait quand il reconnaissait que la nature tendait à produire une évacuation critique par les selles. Mais ce cas se présentait rarement pour lui : nous verrons, en effet, qu'il abandonnait presque complètement à la na- ture le soin des crises. Son indication capitale pour pur- ger était qu'il y eût turgescence dans les premières voies. Glass a fort bien commenté le sens qu'Hippocrate atta- chait à ce mot turgescence : "Materia ergo turgens est 14 aliquid molestum circa primas vias haerens, quod aut " per os, aut per alvum, plerunque excuti potest, atque — 364 — •4 haud rarô ventriculum aut intestinum ad ici ipsum ex- 44 pellendum irritât." Ce petit commentaire se lie inti- mement à l'aphorisme suivant : "In perturbationibus alvi et vomitibus spontè ortis, si quidem, qualia oportet purgari, purgentur, confert, et fa- cile ferunt ; sin minus contra." Une condition encore de la purgation était, pour Hippo- crate, que la matière morbide fût cuite. "Concocta pur- 44 gare atque movere oportet, non çruda, neque in prin- 44 cipiis, modo non turgeant : plurima verô non turgent." Quand c'était la turgescence qui décidait Hippocrate à la purgation, c'était dès le début de la maladie qu'il pur- geait. En effet : "Incipientibus morbis, si quid moven- dum videatur, move." (Aph.) "Purgandum in valdè acutis, si turgeat materia, eodem die ; morari enim in talibus malum est." (Aph.) Quand il attendait des signes de coction pour purger, c'était à des moments variables de la maladie qu'il se dé- cidait à agir : nous verrons un peu plus loin à quelles en- seignes il décidait alors de l'opportunité de la purgation. Disons en passant qu'Hippocrate préférait les jours im- pairs pour les vomitifs, et les jours pairs pour les purgatifs. Quant au choix du médicament il tenait compte aussi de l'humeur dominante : "In purgationibus talia è corpore 44 sunt ducenda, qualia etiam spontè prodeuntia utilia 44 sunt." (Aph.) Tous les moyens que nous venons de passer en revue, régime, délayants, lavements, saignées, vomitifs, purgatifs, dans les mains d'Hippocrate n'avaient d'autre but que d'aider la nature, d'alléger son fardeau, ou de réprimer ses efforts. D'autres fois cependant il reconnaissait le be- soin de la redresser, quand elle s'écartait de la bonne voie : — 365 — 44 Si les humeurs, dit-il quelque part, prennent un cours 44 salutaire, on doit les favoriser, en ouvrant les passages 44 vers lesquels elles se portent ; mais si elles tendent à se 44 jeter sur une partie non convenable, il faut les en dé- 44 tourner." Hippocrate connaissait donc la dérivation et la révulsion. Pour les produire, outre les saignées, les vomitifs et les purgatifs, il employait les ventouses, les si- napismes, les vésicatoires. Au reste, c'était dans la na- ture même que son observation avait puisé les indications de la révulsion. On se rappelle l'aphorisme : "duobus do- 44 loribus simul obortis, non in eodem loco, vehementior 44 obscurat alterum." Il avait vu encore que "in pulmo- 44 niis, quicumque tumores fiunt ad crura, optimi fiunt." De là l'indication des vésicatoires aux extrémités infé- rieures dans les maladies aiguës de poitrine. Jusqu'ici nous n'avons examiné rapidement la prati- que d'Hippocrate que pendant la période d'augment des maladies aiguës ; voyons ce qu'elle était dans les deux autres périodes, car c'est à lui qu'on doit l'observation, qu'il y a dans toute maladie une période d'augment, une période d'état et une période de déclin. Dans la période d'état, sa recommandation ordinaire était Y expectation. Et en effet, c'est alors que la crise se prépare ; or, il faut craindre de la troubler. "Quelquefois 44 les symptômes sont si violents dans la force du mal, 44 qu'on doit alors aider la nature dans le combat qu'elle 44 soutient, plutôt que de l'affaiblir par des évacuations... 44 quand la maladie est parvenue à son plus haut degré " de force, il vaut mieux se tenir tranquille, ajoute-t-il 44 ailleurs." "His qui per circuitus exacerbantur, nihil 44 dare oportet, neque cogère, sed auferre de oppositioni- 44 bus antè judicationes." — 366 — C'était son opinion que rien ne préparait mieux la coc- tion, que rien n'en favorisait davantage la perfection, que de veiller à ce que la chaleur fébrile fût maintenue au de- gré convenable. Les délayants, le régime, la saignée, etc., remplissaient ce but, quand la nature avait besoin d'être aidée, d'être modérée dans ses efforts. La coction faite, c'était encore à la nature, suivant lui, de produire l'éva- cuation critique. Nous pensons que les cas où Hippocrate croyait de son devoir d'intervenir dans de telles occur- rences se présentaient rarement. Mais n'oublions pas que c'était sous le climat si favorisé des îles de la Grèce, qu'il exerçait son art. Enfin, par quelles voies, Hippocrate admettait-il que les évacuations critiques s'opéraient ? les hémorrhagies, les vomissements, nous l'avons vu, étaient pour lui très rare- ment critiques; les urines, très rarement encore avaient à ses yeux la valeur d'une évacuation critique ; aussi n'a-t- il jamais employé d'autres diurétiques que des délayants. Pourtant il est bien évident que les sédiments, les dépôts qu'il observait avec tant de soin dans les urines conte- naient pour lui une partie de la matière morbide élaborée- Mais c'était surtout comme signes de la coction des hu- meurs, qu'il appréciait ces sédiments, ces dépôts, qui s'y montrent, dès que la coction se fait et s'achève. "Quand la matière fébrile est dans les vaisseaux san- " guins, dit Barker, et qu'elle y a du mouvement, il y en 44 a des signes dans les urines; car c'est l'office des ca- 44 naux de l'urine de faire la sécrétion des particules pu- 44 trides et excrémenteuses du sang et de les porter de- 44 hors. De là vient qu'une urine cuite ou une urine où 44 il y a du sédiment, est un signe que la matière morbide " est en mouvement." Or, c'est là très exactement l'o- — 367 — pinion hippocratique. h'expectoration, danù les maladies de poitrine, était pour Hippocrate une véritable évacua- tion critique; il la favorisait par quelques béchiques, le miel, des topiques chauds et adoucissants. Les selles aussi, comme nous l'avons vu, étaient admises comme critiques, et alors il les favorisait. Mais la décharge critique par excellence était, aux yeux d'Hippocrate, celle qui se fait par la transpiration» C'est au point que la sueur était considérée par lui. en quelque sorte, comme la crise commune à toutes les mala- dies. Ainsi chaque maladie peut bien avoir une crise spé- ciale, mais la crise commune à toutes les maladies aiguës en général, c'est la sueur : Ex. : une fièvre ardente pourra finir par une épistaxis, mais en même temps par des sueurs critiques et des urines cuites; autre exemple : une pneumonie pourra présenter dans l'expectoration ses phé- nomènes critiques, mais elle sera en même temps jugée par des sueurs, pendant que les urines déposeront etc. 11 serait évident qu'Hippocrate reconnaissait les sueurs comme évacuation critique quand il n'y aurait que l'apho- risme suivant : Sudor ille quidem est optimus, qui die cri- tico febrem exsolit. Mais il y en a bien d'autres sur les sueurs critiques : "Sudores febricitantibus si inceperint, 44 boni sunt die tertiâ, et quintâ, et septimâ, et nonâ et un- 44 decimâ et quartâ-decimâ, et septimâ-decimâ, et vige- 44 simâ-primâ et vigesimâ-septimâ, trigesimâ-primâ, et 44 trigesimâ-quartâ. Hi enim sudores morbos judicant. Qui 44 verô ità non fiunt, laborem significant, et morbi longi- " tudinem et récidivas." C'était sans doute fort bien à Freind de combattre Y abus du régime chaud; mais il n'avait nul droit de soutenir qu'Hippocrate ne regardait pas la sueur comme critique et — 368 — qu'il n'avait jamais cherché à la provoquer. 11 est cer- tain au cont raire, que dans ce but précisément, Hippo- crate recom mandait et les boissons abondantes et tièdes, et les lotions et les bains chauds, etc., quand la nature tendait vers ce côté, et que d'ailleurs, il y avait des signes de coction dans les urines, etc. Enfin la crise une fois produite, Hippocrate permettait un régime de plus en plus analeptique. Cependant quelquefois la crise est imparfaite ; de là des récidives, "( Juae in morbis post crisim relinquuntur, ré- cidivas facerosoient." Le remède alors est la purgation; de là l'indication encore des purgatifs au déclin des fiè- vres. Ce n'est, du reste, qu'en passant qu'Hippocrate touche à ce point délicat du traitement des maladies ai- guës, parce q u'il était rare que dans un climat doux et régulier comme celui de la Grèce, et sous sa direction si habile et si prudente, les crises ne fussent pas faciles et complètes. La considération des climats, était capitale pour Hip- pocrate : non s avons vu le soin qu'il donnait à l'examen des vents, de l'air, de la constitution épidémique, etc. 44 C'est lui qui le premier a déterminé ce qu'on appelle 44 constitution annuelle, constitutio anniversaria ; et il re- 44 commandait d'observer les maladies qui prennent part 44 au caractè P3 de cette constitution." (Sprengel.) Nous n'avons certes pas la prétention d'avoir présenté ici un aperçu complet de la pratique d'Hippocrate. Notre but était sim plement d'en dire assez pour qu'il fût possi- ble, en partant des quelques points exposés ici, de s'éle- ver aux idées doctrinales qui l'éclairaient et le guidaient dans sa con duite en thérapeutique. Pour terminer, résumons cet aperçu : la nature me- I — 369 — (licatrtce était pour Hippocrate la seule et vraie base de la médecine ; le médecin n'en doit être que le ministre et l'interprète ; son rôle doit se borner à l'assister, ou à la modérer, à faire naître les circonstances les plus favorables à son action, à la redresser cependant quand elle s'égare ; dans les maladies aiguës, le régime et les délayants peu- vent le plus souvent suffire, et par conséquent Yexpecta- tion, mais attentive et toujours prête à agir, est pour ces maladies la règle ordinaire; les excitants et les cordiaux y trouvent rarement leur emploi ; au contraire, les rafraî- chissants y sont presque toujours utiles ; dans ces mala- dies, il y a bien plus souvent lieu de modérer que d'aug- menter et d'exciter les efforts delà nature; Hippocrate avait donc rarement recours au régime chaud et presque jamais au régime incendiaire. C'est avec une certaine régularité, d'après la théorie hippocratique, que la nature, par le moyen de la chaleur innée, opère la coction des humeurs peccantes; de là les trois périodes dans toute maladie aiguë ; à ces trois pé- riodes correspondent la crudité, la maturation, et l'évacua- tion critique de la matièrefélrrile. Les évacuants, (saignées, vomitifs, purgatifs, etc.), dans les mains d'Hippocrate avaient pour but principal de fa- voriser la coction et par conséquent l'évacuation critique ; toutefois, il admettait qu'une partie de la matière morbi- fique était expulsée par ces moyens, et la nature soulagée d'autant. Au début des maladies de forme inflammatoire, il sai- gnait quelquefois avant que de purger; d'autres fois, il purgeait dès le début sans saigner, pourvu que la matière morbide fût turgescente, ou qu'il y eût des signes de coc- tion dans les urines- Nous verrou? sans doute d'autres 24 — 370 — Pères de la médecine saigner beaucoup plus largement et plus souvent qu'Hippocrate ; mais nous verrons en même temps que la considération des climats explique cette diffé- rence de pratique; et par conséquent c'est bien plutôt là une conformité qu'une différence. Enfin, Hippocrate attachait une grande importance à la considération des tempéraments, des âges, des sexes, des mœurs, etc. Telle était, en résumé, la pratique du père de la méde- cine ; or elle est évidemment l'expression ou la manifesta- tion d'une doctrine. C'est cette doctrine dite hippocra- que, qu'il s'agit maintenant de montrer, traversant la sé- rié des siècles, attaquée de toutes parts et de toutes fa- çons, sans jamais varier, an moins dans les points fonda- mentaux. Chose déplorable ! la philosophie qui devrait être toujours la vraie lumière des autres sciences, ne sert le plus souvent qu'à les jeter dans les obscurités et les er- reurs. C'est qu'elle subit elle-même les fluctuations que lui impriment les passions humaines et, en effet, on voit cons- tamment la philosophie être utile ou nuisible aux hommes suivant qu'on l'étudié à des époques de moralité ou de corruption. "Comme si l'offense faite à la vertu et à la 44 sagesse, par l'arrêt de mort lancé contre Socrate ne 44 pouvait être assez cruellement vengé, dit Sprengel» 44 Athènes habitée par une populace vile, rampante, et 44 sans frein, sans cesse ameutée par des sycophantes, de- 44 vint le théâtre des désordres les plus épouvantables... 44 Xénophon, Platon, qui avaient hérité du génie de So- 44 crate, firent ainsi que Démosthènes et Isocrate, tout ce 14 qui dépendait d'eux pour mettre une barrière à la cor- 44 ruption générale..." Le règne des sophistes n'en fut que retardé. "L'art de guérir, dit encore Sprengel, n'eut pas — 371 — 44 un meilleur sort que la philosophie. Thessalus Dracon 44 et Polybe se laissèrent peu à peu séduire par les opi- 44 nions modernes." (Galien.) Dès lors donc commen- cèrent les hérésies médicales. Les dogmatistes apparais- sent les premiers, et provoquent par leurs excès la nais- sance réactionnaire des empiriques; enfin viennent les méthodistes qui visent à réunir les deux sectes précédentes et. inventent le strictum, le laxum et le mixtum. Deux grandes figures d'hérésiarques dominent les dog- matistes et les empiriques de l'antiquité, ce sont celles d'Asclépiade et de Thémison. Barker les a mis en sail- lie avec tant d'originalité et de concision que je ne puis mieux faire que de lui emprunter ces deux portraits. Voici comment il les introduit : '•fl y a toujours eu dans le monde des personnages qui, par vanité, par entêtement, ou dans le dessein d'abuser un peuple crédule par l'idée de leur habileté supérieure, ont eu l'ostentation de se donner pour réformateurs de la médecine. "Le nombre de ces messieurs est assez grand, mais on peut les divi- ser en deux classes principales, et je les appellerai, pour les distinguer, médecins philosophiques et anti-philosophiques. '•Les premiers raffinèrent sur la pratique d'Hippocrate, et tâchèrent de la rendre plus philosophique ; et les seconds, pensant qu'elle était déj à trop spéculative, entreprirent de découvrir une route plus facile et plus courte. Le plus fameux des réformateurs de la première classe fut Asclépiade. Nous apprenons de Pline que jusqu'alors la médecine d'Hippocrate était assez en vogue; mais était trop simple et trop natu- relle pour être du goût d'un génie si profond et si philosophe. C'est pour cela qu'il s'appliqua lui-même à tourner en ridicule la pratique de notre auteur, appelant par mépris ses œuvres une méditation sur la mort: et il résolut de former une nouvelle pratique de médecine, sur le3 principes d*Epicure ou sur la philosophie corpusculaire.— En effet, il prit pour le faire un temps favorable, car Lucrèce venait de faire re- vivre cette philosophie et nous pouvons supposer qu'elle était en grande réputation. Il se flattait sans doute de se faire un grand nom et de s'ac- quérir beaucoup de gloire dans le monde en appliquant à la médecine le système de philosophie nouvellement rétabli : c'est pourquoi il se mit à expliquer les maladies par la doctrine des pores et des corpuscules, et v mêlant quelques réflexions sur l'ignorance de ses confrères en méde- cine, il crut ne pouvoir manquer de taire parler de soi, ce qui était la principale chose qu'il eut en vue. Il n'alla point cependant jusqu'à re- jeter absolument la doctrine d'Hippocrate, car il approuvait ses idées sur les crises des maladies, mais il ne croyait pas comme lui qu'il fût du devoir d'un médecin d'étud;cr servilement les mouvements de la na- — 372 — turc; il prétendait au contraire qu'il devait, par le moyen de l'art, accé- lérer la crise. "Le frivole jargon de oc prétendu médecin et les ruses q,u;il employa pour gagner les bonnes grâces du peuple, lui réussirent si bien, qu'il passait pour le plus habile médecin de son temps. Or, pendant tout ce temps-là, il fit un tort considérable à la médecine, en ce qu'il détourna les médecins de la vraie méthode, qull désapprouvait, et qui consistait toute à observer la nature, comme avait fait Hippocrate. "Il y a eu depuis lui plusieurs Asclépiades en médecine, qui ont tou- jours commencé à paraître suivant que les divers systèmes de philoso- phie ont pris le dessus. Car les chimistes nous en ont fourni une secte, les cartésiens une autre, et les épicuriens modernes, restaurateurs de la philosophie des ait6mes, une troisième. Mais ce qui mérite bien nos réflexions, c'est que la naturelle et véritable pratique de médecine a toujours été la même, quelque système de philosophie qui fût et» vogue. "Si Asclépiade rejeta la doctrine d'Hippocrate parce qu'elle' était trop unie et trop> simple pour un génie aussi sublime et aussi entrepre- nant que le sien, il s'en trouva d'autres qui l'abandonnèrent par un motif tout-à-fait différent, à savoir, qu'ils la trouvaient ou trop philoso- phique et trop embarrassée pour leur petit génie, ou trop laborieuse dans la pratique. "Le digne chef de ces réformateurs anti-philosophiques se' nommait Thémison. Cet homme avait assez de bon sews pour voir la vanité des hypothèses philosophiques en médecine; niais quoiqu'il vît que les mé- decins qui s'y attachaient étaient dans l'égarement, il avait trop pende discernement pour découvrir la droite méthode, ou était trop négligent pour s'y attacher lui-même Dans cette vue. il réduisit toutes les mala- dies sous deux ou trois chefs, et il s'efforça de persuader le vulgaire que toutes celles de la même classe, de quelque nature ou 'elles fussent, de quel- que cause qrûelles provinssent, quelque partie queues affectassent, ou dan» quelque saison qu'elles arrivassent, devaient être scrupuleusement traitée» de la même manière, "Sa matière médicale était aiassi concise que sa théorie, ear elle con- sistait uniquement en trois choses, la saignée, la purgation et Veau froide. ul\ purgeait, dit Cœlius, dams presque toutes les Maladies, mais pour le temps de saigner ou de purger il ne suivait aucune règle." Ce personnage était cependant fort recherché, et il avait beaucoup de pratiques, ainsi que nous l'apprend Juvénal dans ce vers si connu : i:Quot Thémison œgros autumno occident uno." Entre les deux sectes des dogmatistes et des empiri- ques, nous devrions peut-être nous arrêter un peu aux médecins éclectiques de l'antiquité, ces éclectiques qui se sont en quelque sorte confondus avec les pneumatiques et dont Athénée d'Attalier et Archigène surtout sont considérés comme les chefs. C'est pewt-être parmi ces médecina* que nous trouverions les vrais continuateurs d'Hippocrate; mais il ne serait pas aisé de les distin- — 373 — guer dans la foule des hérésiarques de ces temps reculés. Quant aux pncumatistes proprement dits, nous aurions d'autant plus d'inclination à nous occuper d'eux, que c'est, dans leur école qu'on admettait très clairement comme mobile des phénomènes vitaux, un principe actif de nature immatérielle et non pas spirituelle, le pneuma. Mais nous abandonnons volontiers toutes les considéra- tions dont la valeur ne peut être qu'hypothétique. Aussi ne signalerons-nous Arétée que comme hippocratiste des plus distingués, et non pas en tant que pneumatiste. Dans l'opinion des juges les plus compétents, (Spren- gel, Pinel, etc.), il ftit après Hippocrate, le plus grand médecin de l'antiquité Qu'il nous suffise de montrer par une citation de Sprengel qu'Arétée malgré ses théo- ries pneumatiques, appartenait à l'école d'Hippocrate : 44 On ne peut trop admirer, dit Sprengel, l'attention con- 44 tinuelle que portait Arétée de Cappadoce aux forces de " la nature, aux différences individuelles des constitu- 44 tions, à celles des climats et aux changements des sai- 44 sons ; sous ce point de vue, nous devons avouer qu'il 44 était animé du véritable génie de la médecine." U est pourtant incontestable que pendant un temps, malheureusement trop long, la médecine hippocratique fut abandonnée. Mais d'une part, si quelque médecin vraiment grand apparaît dans cette période de l'histoire de la médecine, c'est précisément par cette doctrine qu'il est grand : exemple, Arétée ; d'autre part, si quelque cé- lèbre hérésiarque fait du bruit dans le monde, soyez as- suré que son système n'a fait qu'emprunter une fraction de la doctrine traditionnelle pour l'exagérer, pour l'éten- dre outre mesure. Les deux célébrités systématiques que nous avons déjà citées, Asclepiade et Thémison, prouvent — 374 — très bien la proposition que nous avançons ici : Hippo- crate voulait d'une médecine rationnelle, philosophique enfin ; Asclepiade la veut plus philosophique encore. Dans quelques maladies aiguës et dans quelques circons- tances particulières, Hippocrate recommande une méde- cine active ; Asclepiade dans tous les cas possibles con- seille invariablement des moyens énergiques. Hippo- crate attachait une valeur immense à l'observation, aux faits, à l'expérience enfin, Thémison tombe dans l'em- pirisme ; etc... A mesure que nous avancerons, nous verrons l'opinion que nous soutenons ici, acquérir plus de poids. Mais revenons à Barker qui montre en quelques lignes, sous leur vrai jour hippocratique, les deux médecins les plus considérables de la fin des temps anciens, Celse et Galien. "Après que la médecine eut demeuré dans cet état d'incertitude et de changement durant quelques années, le peuple commença à retour- ner les yeux du côté d'Hippocrate et de sa méthode. Celse, à qui pour cette raison on a donné le nom d'Hippocrate latin, venait de faire re- vivre en partie cette méthode; mais elle ne fut entièrement rétablie qu'environ cent ans après par Galien. Cet auteur, quoiqu'on en fasse aujourd'hui fort peu de cas, semble être né pour l'avancement de la médecine en général et pour la restauration de la pratique d'Hippo- crate en particulier. On sait parfaitement quelle réputation ses ou- vrages ont continué d'avoir pendant plus de treize cents ans, c'est-à- dire jusqu'aux deux derniers siècles: mais si nous en cherchons la rai- son, nous trouverons que ce n'était pas tant à cause de ses sentiments philosophiques, que de son attachement inviolable pour la méthode d'Hippocrate, qu'il a si longtemps joui de cet honneur. '•Je finirai ce chapitre par un abrégé de son plan général, qui fera connaître que sa pratique était entièrement conforme à celle d'Hip- pocrate. "Quoique, dans sa théorie, ce grand restaurateur de la médecine d'Hippocrate se soit abandonné à quelques spéculations sur les causes des maladies, qui sont peut-être un peu trop subtiles, néanmoins, dans sa pratique, il a toujours pris pour guide la nature, et Hippocrate en est le meilleur interprète. Il suivait dans les fièvres les mêmes indications que lui pour les traiter, savoir, d'aider la nature lorsque ses efforts étaient trop faibles, et d'en réprimer les mouvements quand ils étaient ou trop violents ou irréguliers. Il tâchait de l'assister en déchargeant une par- tie du fardeau qui l'opprimait et en avançant la coction de la matière fébrile. Il modérait la violence de ses efforts par des remèdes rafraî- — 375 — .•hissants, par une diète convenable et autres choses semblables; mais dans tous les cas, la première chose qu'il faisait était de considérer les forces du malade, le climat, la saison de l'année, etc. ■Pour descendre dans un détail un peu plus particulier, si nous re- cherchons dans quel dessein il saignait dans les maux aigus, nous trou- verons que c'était ou pour diminuer la quantité de sang quand le ma- lade était d'une constitution pléthorique, par ou il retranchait une par- tie de la matière morbifique, ou pour abattre la chaleur, ou enfin pour détourner par révulsion la matière peccante de la partie affligée, c'est- à-dire, en d'autres termes, pour prévenir l'augmentation de la fièvre, et procurer la coction de l'humeur fébrile. " Car la nature, pour me '•' servir des expressions de Galien, se trouvant soulagée par ces moyens " et débarrassée d'une partie du fardeau qui l'accablait, se délivrera " beaucoup plus facilement de celle qui reste. C'est pourquoi, comme " elle n'est jamais paresseuse à s'acquitter de son devoir, elle donnera " la maturité aux humeurs qui sont capables de coction, et elle mettra " dehors celles qui doivent être chassées. " Cette doctrine est exacte- ment celle d'Hippocrate sur le même sujet, et on en conelut évidem- ment que Galien ne regardait la saignée dans les fièvres que comme un remède palliatif, et qu'il ne s'appuyait jamais uniquement sur elle. "De plus, si nous sommes curieux de savoir sur quelle règle il diri- geait la diète de son malade, nous verrons qu'il suivait scrupuleusement le plan d'Hippocrate, et qu'il n'avait d'autre dessein que de faciliter la coction de la matière morbifique. en retenant la fièvre dans un ordre convenable. "Enfin, si l'on .demande dans quelle vue il faisait usage dans les fiè- vres des évacuants, tels que lu purgation, les sudorijiques, etc., je répon- drai qu'il marchait à cet égard, de même qu'à tous les autres, sur les pas d'Hippocrate; car il observait les signes de gonflement et de coc- tion des humeurs, et de là, à l'imitation du père de la médecine, il tirait ses indications pour purger. Conformément à ceci, il pensait que le temps propre à l'emploi des purgatifs était ou le commencement de la fièvre, quand il y avait plénitude ou gonflement de matière, et que la maladie était si violente qu'il eût été dangereux de laisser échapper l'occasion, comme par exemple dans une fièvre contagieuse ; ou quand il paraissait dans l'urine des signes de coction, comme il arrive ordinai- rement dans la première partie du temps où le mal est dans sa force ; ou enfin dans le déclin de ces maladies, en chassant les restes de la matière offensante, afin de prévenir une rechute. Et comme dans l'u- sage des sudorijiques, des hydragogues et des médicaments propres à Vexpectoration il avait pour principe de ne jamais rien donner que les humeurs ne fussent entrées en coction, il ne faisait aussi usage de l'un ou l'autre de ces moyens que suivant l'indication de la nature, selon l'aphorisme : Quœ enim ducere oportet, quo maxime natura vergtt, eà ducere oportet. Je pourrais entrer ici dans un détail plus particulier de la pratique de Galien ; mais je crois inutile de rien dire de plus là- dessus. " "On connaît la vogue des écrits de Galien, dit Bordeu ; 44 sa réputation a duré dans tous les siècles; ses secta- " teurs ont porté ses éloges au-delà de toute expression;... " il eut partout l'honnêteté de s'humilier devant Hippo- — 37G — " crate; il le prit pour son patron; ainsi il joignit sa " gloire à celle de ce Père de la médecine qu'Asclepiade " et les autres n'avaient pu éclipser que pendant quelques 44 instants." Après Galien, l'un des médecins les plus importants du commencement de l'ère chrétienne est Cœlius Aurélia- nus. C'est encore un hippocratiste : "Cœlius Aurélianus 44 a fait faire de nouveaux pas à la médecine hippocra- 44 tique, en perfectionnant la partie descriptive des mala- 44 dies ; c'est un modèle à suivre pour la justesse et l'exac- 44 titude du diagnostic—" (Pinel.) Aétius, Paul d'Egine, Oribase, ne furent que des com- pilateurs de l'antiquité. Alexandre de Tralles qui vivait dans le 4ème siècle, a aussi agrandi le champ de la médecine hippocratique. 14 Mais si d'un côté, ajoute Pinel, son esprit est nourri des 14 principes de la méthode hippocratique, il n'en est pas 44 moins ardent sectateur des subtiles théories de Galien, 44 puisqu'il parle sans cesse du froid, du chaud, de l'hu- 44 mide, du sec, etc., et qu'il prodigue également le titre 44 de très divin à Galien et à Hippocrate." "Après Alexandre de Tralles, la médecine d'observa- 44 tion, ainsi que toutes les autres sciences naturelles, pa- 44 raît comme suspendue dans sa marche par l'état de 44 guerre, de barbarie, et d'ignorance où l'Europe reste " plongée pendant une suite de siècles..... A cette nuit 44 profonde succède un léger crépuscule vers le 8ème siè- 44 cle— Les Arabes, après leurs incursions en Afrique et " en Espagne, avaient fixé leur demeure à Cordoue ; là, 44 comme à Bagdad en Perse, ils avaient bâti une belle 44 mosquée, un grand hôpital, un collège et la fameuse " bibliothèque de l'Escurial, remplie sans doute des dé- — 377 - ■'• bris de celle d'Alexandrie, saccagée vers Tan ' 640 de 44 l'ère chrétienne." C'est l'école de Cordoue qui donna naissance à celle de Salerne, vers le commencement du llème siècle, et à celle de Montpellier vers la fin du 12ème. (Pinel.) Or, la médecine des Arabes n'était autre chose que Y hippocra- tisme et le galénisme, plus ou moins altérés par l'imagi- nation orientale de ces hommes du Midi. "Les Arabes ne changèrent presque rien à la doctrine 44 des crises et des jours critiques; ils la supposaient irré- 44 vocable et connue, et ils eurent occasion de l'appliquer 44 à la petite-vérole, à laquelle elle ne va pas mal : ils 44 étaient trop décidés en faveur de Galien, d'Aétius et 44 d'Oribase, pour former quelque doute sur leur système. " Hali-Abbas regardait le 20ème et le 21ème comme des 44 jours critiques; il semble qu'il voulut concilier Galien " et Archigène." (Bordeu.) Admettre les crises, c'est respecter profondément la nature médicatrice. Donc, Hali-Abbas, Rhazès, Avicenne, Avenzoar, Averrhoès. Albucasis, au milieu de leurs explications et subtilités, puisées dans les ouvrages de Galien et d'Aristote, n'en sont pas moins restés fidèles aux bases de la médecine hippocra- tique. On sait tout ce que la scholastique emprunta aux Ara- bes. Pinel assure que dès le 12ème siècle, (époque de la fondation de l'école de Montpellier), la médecine grecque commença à être connue dans l'Université de Paris. § II. DOCTRINE MÉDICALE TRADITIONNELLE DANS LES TEMPS MODERNES. Ce n'est qu'au milieu du 16ème siècle que la médecine hippocratique fut réellement représentée à Paris, par des — olS — hommes dont le souvenir ne s'effacera pas. Fernel, Houl- lier, Duret, Baillou sont les premières illustrations de l'Ecole de Paris. Orées contemporains du Père de la chirurgie française, d'Ambroise Paré qui posa la base hippocratique de la chirurgie moderne, sont, les plus purs hippocratistes qu'on puisse citer. Ils furent si bien hip- pocratistes, ils avaient un tel respect pour la médecine traditionnelle que Pinel assure : "Qu'ils ne se livraient à 44 l'observation des maladies que pour mieux pénétrer le 44 vrai sens des auteurs grecs, mais peu dans la vue de 44 les rectifier ou d'étendre par de nouvelles recherches 44 le champ de l'observation." Nous sommes libres de soupçonner ici ce qu'il y a d'exagéré dans cette assertion d'un grand médecin, tou- jours profondément hippocratiste, (autant peut-être que Duret), mais trop séduit par la méthode analytique, qui l'entraînait déjà vers l'erreur. Pour le brillant Fernel, en- core plus arabiste et. galéniste qu'hippocratiste, on pour- rail peut-être passer condamnation ; mais quant à Duret, si souvent cité par Baglivi, ainsi que Houllier, il appar- tient à l'hippocratisme le plus épuré. "Duret fut encore plus que ses deux contemporains 44 (Baillou et Houllier), pénétré du système de Yexpecta- " tion répandu dans les prénotions de Cos : Il fut convain- 44 eu par cet ouvrage dont il s'était nourri, que la nature 44 guérit les maladies, et que les remèdes sont impuissants 44 lorsqu'elle ne se prête pas aux révolutions salutaires : 44 il donna une preuve évidente de son attachement à ces 44 principes, par une expérience qu'il fit sur lui-même. 44 Etant dans une maladie visité par plusieurs de ses 44 confrères qui voulaient lui faire des remèdes fondés sur 44 leurs opinions particulières, il résista courageusement — 379 — 44 à tous leurs efforts : il voulut attendre la crise, cette " crise arriva et le guérit. Baillou, Duret, et Houillier, 44 médecins du premier rang dans l'Ecole de Paris, ont 44 suivi la méthode hippocratique, plus exactement que 44 leurs contemporains de Montpellier et des autres Fa- 44 cultes, ils sont à la tête des modernes attachés à la 44 médecine grecque ; leurs ouvrages répandus et connus 44 de tout le monde, leur assurent une gloire immor- 44 telle." (Bordeu.) Nous n'avons pourtant point à notre portée les ouvrages de ces véritables Pères de la Faculté de Paris. "D'ailleurs le tourbillon impétueux des chi- 44 mistes vint bientôt en France bouleverser la méde- 44 cine." (Bordeu.) Passons donc en Angleterre; allons étudier Sydenham, l'Hippocrate des temps modernes. On dit que Boerhaave se découvrait la tête chaque fois qu'il prononçait son nom, comme on a vu naguère Chaussier le faire, quand il parlait du véritable Hippocrate, de celui de l'antiquité. Les reproches que faisait Pinel aux hip- pocratistes, fondateurs de l'Ecole de Paris, ne seraient plus applicables à Sydenham, puisque ce fut par la pra- tique, par l'observation, qu'il fut amené à l'hippocratisme le plus complet. Mais, avant d'analyser rapidement Sydenham, disons quelques mots des deUx plus fameux hérésiarques des temps modernes, Paracelse et Van-Helmont. "A peine " les ouvrages de Fernel eurent-ils le temps d'être con- 44 nus et goûtés, que les plus savants médecins s'empres- 44 sèrent de courir la nouvelle carrière ouverte par Para- 44 celse, à qui rien ne résista, qui assujétit tout à ses lois, 44 qui ébranla le galénisme jusque dans ses fondements, " et qui aurait perdu les écoles, si celles-ci n'avaient plié " sous sa loi suprême." (Bordeu.) Paracelse certainement — 3bU — doit-étre compté parmi les hérésiarques en Médecine; pointant nous croyons que son histoire n'a pas encore été envisagée sous son véritable point de vue. 11 fut d'ailleurs plutôt alchimiste que médecin, et nous remar- querons que c'est bien plus au gothique galénisme de la scholastique, qu'il paraît en avoir voulu, qu'au véritable hippocratisme. Ce furent les œuvres de Galien et d'A- vicenne qu'un beau jour il fit brûler en place publique, et non pas les écrits hippocratiques. Parlons donc de Van- Helmont. Celui-ci a fait un tort plus réel, à la vraie pra- tique médicale ; c'est l'inventeur du régime chaud dans toutes les maladies aiguës; il soutenait que toutes les maladies, doivent se terminer par la sueur. En consé- quence, provoquer la sueur le plus vite possible, même par les moyens les plus incendiaires, était son unique but. On voit ici la fraction de vérité qu'il emprunta à la doc- trine traditionnelle, et comment par l'exagération de son esprit impétueux, il devint si nuisible à ses contempo- rains ; Van-Helmont est un vrai type d'hérésiarque. Bar- ker le juge avec un bon-sens remarquable : "La révolution que causèrent Paracelse et Van Hclmont, particu- lièrement Van Helmont, est un des plus surprenants événements con- nus dans l'histoire de la médecine; car les autres réformateurs se sont fait des admirateurs çn débitant des opinions qui paraissaient au moins répandre un nouveau jour sur l'art, quoiqu'on effet ils l'aient plutôt obscurci. Mais Van Hclmont se forma des sectateurs plutôt en éblouis- sant et en mettant de la confusion dans leurs esprits, qu'en leur don- nant de nouvelles lumières. Il se trouve en médecine, comme dans les autres sciences, une certaine façon décrire qui, toute dépourvue de sens qu'elle soit dans le fond, ne laisse pas néanmoins d'avoir un air de sagesse et de mystère à cause de son obscurité, et qui, ne pouvant être réfutée parce qu'on ne l'entend pas, est fort propre à en imposer aux génies vulgaires et à leur faire croire qu'elle contient de sublimes et importantes vérités. Van Helmont paraît avoir été fort habile dans ce genre d'écrire, et c'est peut-être à cela qu'il est redevable de sa répu- tation dans le monde ; — car il est probable que bien des gens, qui le croyaient plus savant et plus sage qu'eux, étaient bien aises de lui sou- mettre leur propre jugement et d'acquiescer à sa pratique, quoiqu'ils n'entendissent pas la théorie. Mais'de quelque manière que lui soit venue sa réputation, il est certain que pendant un temps sa bizarre — 3*1 — doctrine prévalut au point de renverser presque l'ancien système, et il y a beaucoup d'apparence que les médecins anglais en particulier en étaient fort infatués, si nous en croyons la relation que Sydenham nous donne de l'état ou il trouva la médecine quand il commença à paraître dans le monde. Cependant la pratique de Van Helmont ne subsista pas longtemps, car les gens d'esprit n'aperçurent bientôt que ces terme» nouveaux ne contenaient qu'une ombre de science sans aucune réalité, et ses écrits tombèrent dans le mépris qu'ils méritaient. "Quant à la pratique des anciens, il entreprit d'en renverser tout l'édifice en rompant les deux piliers qui la soutenaient, je veux dire en s'efforçant de détruire leurs préceptes sur la saignée et la purgation dans les maladies aigiies. Conformément à cette manière de penser, la saignée n'est jamais nécessaire dans la fièvre, et par conséquent l'usage en est tout au moins inutile et absurde, et il nous dit que, pour lui, ja- mais il ne saignait, pas même dans une pleurésie, et que cependant il la guérissait sûrement et efficacement •nins cela. (Barker.) 'Van Helmont mourut d'une pleurésie dans laquelle il ne voulut pas hc faire saigner. On n'a pas manqué de remarquer qu'il fut victime de son acharnement contre la saignée. Mais il ne faut pas faire trop de bruit de ce fait; il ne prouve rien, puisque Van Helmont s'était déjà guéri une fois sans avoir recours à la saignée. Ainsi, la valeur die la saignée reste douteuse d'après l'histoire de Van Helmont, et le triomphe de la nature est complet dans l'histoire de Duret. (Bordeu.) -Purger dans les fièvres était, selon Van Helmont. une chose aussi pernicieuse que de saigner, et la seule chose qu'il pouvait avouer en fa- veur des purgatifs ou des émétiques, était que si quelquefois ils étaient bons, c'était par hasard. Quant aux clystères, il les appelle des remèdes de bêtes, parce que ce fut un oiseau qui en enseigna l'usage, et il déclare qu'il est honteux de les ordonner. Il no fait pas plus de quartier aux vésicatoires, dont il dit sans hésiter qu'ils sont toujours dangereux ; et pour cette raison il suppose qu'ils sont de l'invention d'un mauvais esprit, à qui il lui plaît de donner le nom de Moloch ; ce qui doit pa- raître d'autant plus étonnant qu'il était lui-même le patron du régime chaud. "En un mot, il n'y a pas un seul point de doctrine des anciens au- quel il n'ait trouvé à redire, si l'on en excepte un seul précepte d'Hip- pocrate, qu'il adoptait dans sa pratique, et qui était, comme il dit, d'or- donner une nourriture légère dans les maladies aiguës; car il était en- nemi de la diète, qui ne consiste qu'à ne donner que des boissons, et il permettait à ses malades le libre usage de la petite bière, pourvu qu'on eût soin d'v mettre du vin ; mais il témoignait beaucoup d'horreur pour le bouillon de coq, qui était de son temps une nourriture à la mode dans plusieurs sortes de fièvres. "Après avoir ainsi abandonné la pratique aussi bien que la théorie de ses prédécesseurs. Van Helmont substitua à leur place un nouveau système de son invention, dont cependant lit partie théoréhqve était empruntée d'Hippocrate; mais elle est conçue en des tours de phrases si nouveaux, et était tellement déguisée par les addit'ons de son crû, qu'il n'est pas facile d'y reconnaître l'original. En effet, son système ressemble à un morceau d'architecture grecque chargé d'ornements gothiques, de manière à ne connaître qu'avec peine le dessin original. Car si on lui enlève son arche us J'uber. son blas altrrativum. scoria. eus fcminalr et quelques autres termes pareils, sa théorie se réduit simple- ment li ce qu'on trouve dans Hippocrate, qui est que la nature guérit — 382 — les maladies, et qu'elle le fait en chassant du corps la matière fébrile: d'où l'on voit que, quoiqu'il maltraite les anciens, il n'a pourtant pas été capable d'établir un système sur d'autres fondements que ceux qu'ils avaient posés. Mais quoiqu'il ait bâti sur le même fondement, son édifice était fort différent de celui des anciens, car il n'avouait pas qu'il y eût aucune coction de matière fébrile, et n'avait aucun égard aux crises des maladies aiguës. (Barker.) "C'est en vain que Paracelse eut recours aux différents sels pour ex- pliquer les crises. Il n'est rien, disait Van Helmont toujours en colère, de plus impertinent que la comparaison qu'on a faite des crises avec un combat. Un vrai médecin doit nécessairement négliger les crises, auxquelles il ne faut point avoir recours lorsqu'on sait enlever la mala- die à propos. A quoi servent tant de pénibles recherches sur les jours critiques? Le vrai médecin est celui qui sait prévenir ou modérer la malignité des maladies mortelles et abréger celles qui doivent être lon- gues, en un mot, empêcher les crises. J'ai, ajoute-t-il, composé, étant jeune, cinq livres sur les jours critiques, et je les ai fait brûler depuis. (Bordeu.) liLa nature, selon l'idée de Van Helmont, est douée d'intelligence, et par conséquent elle a trop de bon sens pour s'amuser à la coction d'au- cune matière fébrile, quand elle ne peut en faire d'autre usage pour elle-même. Et quant aux crises, il semble n'en avoir point connu d'autre que celle qui se fait par les sueurs, puisqu'il dit que "la sueur est le chemin que prend la nature pour chasser toutes sortes de fièvres, et qu'un médecin doit imiter la crise naturelle, en donnant des médica- ments sudorifiques, et en ne donnant que de ceux-là seuls; qu'il ne doit ni attendre ni désirer une crise naturelle, mais tâcher de prévenir la nature en ce point, car, ajoute-t-il, un homme qui ne sait pas guérir une fièvre en quatre jours de temps ne mérite pas le nom de médecin." Or, il croyait non-seulement qu'il était possible de guérir toutes lea fièvres par la sueur, mais encore qu'il suffirait pour cela d'un seul re- mède. Il a eu la générosité de communiquer à tout le monde ce remède et la manière de le préparer ; cependant il nous apprend en même temps que quelque haute idée qu'il en eût, il se servait aussi dans la pra- tique de quelques autres, tels que la thériaque et le vin. Il nous enseigne que le vin en particulier est " non-seulement un fort grand cordial par lui-même, mais que, quand on manque de véhicule pour quelque autre remède, il est un messager propre à se charger de la commission, parce qu'il connaît la route, qu'il est bien reçu partout où il va, et qu'il est introduit avec plaisir dans les plus secrets appartements de l'édifice humain. " Il nous dit encore qu'il avait un emplâtre avec lequel il a guéri quelques centaines de personnes affligées de la fièvre quarte; mais que de pareils remèdes ne sont pas révélés à tout le monde (non cuique medico contingit adiré Corinthum), et qu'on ne peut les obtenir que par des prières. "Telle fut la révolution que fit Van Helmont, tel le plan de pratique qu'il suivait. Néanmoins, tout absurde et tout extravagant que ce sys- tème nous paraisse aujourd'hui, il a eu ses admirateurs pendant un temps. Il est vrai qu'il ne fut guère à la mode, comme je l'ai déjà ob- servé; car, dans notre, siècle, la principale occupation des médecins a été de former de nouvelles théories, et chacune d'elles, après avoir été quelque temps en vogue, s'est trouvée forcée de céder la place à uue autre. Ainsi, la théorie de Van Hclmont, celles de Sylvius, deWilliset des cartésiens triomphèrent chacune à leur tour, jusqu'à ce qu'enfin — 383 — la méthode de Sydenham l'emporta; et la médecine, qui durant quel- ques années avait été dans un état chancelant, fut rétablie sur ses an- ciens fondements." S Y D E N H A M • (XVIIe Siècle.) Il suffit de parcourir les œuvres de Sydenham pour re- connaître à chaque page le grand hippocratiste. C'était notre intention, si le temps nous l'avait permis, d'analyser nous-même Sydenham tout entier; mais nous trouvons l'analyse de ses œuvres si bien présentée déjà dans Barker, que nous ne pouvons mieux faire que de la reproduire ici, du moins en partie. On devra d'ailleurs d'autant plus nous savoir gré de cet emprunt, que nous le faisons à un grand praticien anglais, plus rapproché que nous de Sydenham, et qui a dû certainement l'entendre aussi bien qu'homme au monde. Qu'on nous permette cependant, avant de re- prendre Barker, de laisser parler Sydenham lui-même.— Voici comment il s'exprime dans la préface de sa Médecine pratique, p. 129 : "Ce grand homme (Hippocrate), après avoir établi, comme un solide fondement de son art, cet axiome incontestable, savoir, que la nature fniérit les maladies, a exposé clairement les symptômes de chaque ma- adie sans le secours d'aucune hypothèse ni d'aucun système, comme on voit dans ses livres des Maladies, des Affections, etc. Il a aussi donné des règles fondées sur la méthode que suit la nature dans la produc- tion et la guérison des maladies. C'est ce qu'on voit dans les pronostics de Cos, les aphorismes et autres ouvrages semblables. "Voilà à peu près en quoi consiste la théorie du grand Hippocrate ; elle n'est pas le fruit d'une imagination déréglée et féconde en chi- mères ; mais elle représente au juste les opérations que la nature exerce dans les maladies du genre humain. Une pareille théorie n'étant donc autre chose qu'une exacte description de la nature, il était raisonnable qu'Hippocrate cherchât uniquement, dans sa pratique, à aider cetto nature par tous les moyens possibles. Aussi ne demande-t-il autre chose d'un médecin, sinon de secourir la nature lorsqu'elle tombe, de la retenir quand elle s'égare, et de la ramener dans le cercle qu'elle vient d'aban- donner, tout cela en se servant des moyens qu'elle emploie elle-même — 3$ 1 _ pour guérir les maladies: car cet excellent génie avait bien vu (pic la nature seule les termine et peut opérer toutes choses. Pour cet effet, elle n'a besoin que d'être aidée d'un petit nombre de remèdes très simples, et quelquefois même elle n'a besoin d'aucuns." Voici maintenant le début de cette même Médecine pratique : "Quelque contraires que soient au corps humain les causes des ma- lad.es. il me semble néanmoins qu'à raisonner juste, la maladie n'est autre chose qu'un effort de la nature, qui. pour conserver le malade, travaille de toutes ses forces à évacuer la matière morbifique. Le sou- verain maître de l'univers ayant voulu que les hommes fussent exposés à recevoir différentes impressions de la part des choses extérieures, ils se sont trouvés par cette raison nécessairement sujets à diverses mala- dies, lesquelles viennent en partie de certaines particules de l'air, qui ne sont point analogues avec nos humeurs, et qui, s'insinuant dans le corps et se mêlant avec le sang, l'infectent et le corrompent : et en par- tie de différentes fermentations ou même de différentes pourritures d'humeurs qui séjournent trop longtemps dans le corps, parce qu'à raison de leur quantité excessive ou de leur qualité particulière, il n'a pu les atténuer ni les évacuer. "Dans de pareilles conjonctures, où toute l'industrie humaine se trouve insuffisante, la nature emploie une méthode et un enchaînement do symptômes pour expulser la matière maligne et nuisible, qui. sans cela, porterait bientôt un coup mortel à la machine. Il est vrai que la nature, en se servant de semblables moyens, arriverait beaucoup plus souvent au but qu'elle se propose, de rétablir la santé, si elle n'était détournée de sa route par des ignorants. Cependant, lorsque abandon- née à elle-même elle laisse périr le malade, soit parce qu'elle succombe sous la violence de la maladie, soit parce qu'elle se manque à elle-même au besoin, elle ne fait alors qu'obéir à la triste et inévitable loi imposée à tous les mortels, et suivant laquelle rien de ce qui est engendré ne peut durer toujours." Mais arrivons à l'étude de Sydenham faite par Barker: "Pour commencer par notre compatriote Sydenham. c'était sa doc- trine, comme c'était celle d'Hippocrate. que la nature guérit les mala- dies, etc., "qu'on doit avoir plus de confiance en elle qu'on n'en a ordi- " nairement. puisque c'est une erreur de supposer qu'elle a toujours " besoin de l'assistance de l'art." "Suivant quoi il nous apprend que quelquefois, dans sa propre pra- tique, il avait jugé à propos de laisser la maladie à elle-même, il croyait aussi, avec H'ppocrate, que chaque espèce de fièvres aune manière do se guérir qui lui est propre, et non à d'autres : que quelques-unes se passent par les sueurs, d'autres par les selles, d'antres encore par des abcès ou autres choses semblables; et qu'on peut les diviser en deux classes générales (ainsi que l'enseigne Hippocrate). savoir : en celles qui se terminent par une simple coction do la matière fébrile ou par un changement de cette matière en un état salutaire sans aucune éva- cuation sensible, et en celles qui se terminent par ce qu'on appelle pro- prement une crise, je veux dire par la coction et ensuite l'évacuation des humours fébriles, comme par exemple par les sueurs, la diarrhée les éruptions de la p mu. etc : qu'une crise arrive plus tôt ou plus tard, — 38ô — suivant les différentes voies dont la nature se sert pour mettre dehorf la matière morbifique ; que cette crise, dans les fièvres continues d'une espèce régulière, était parfaite vers le quatorzième jour ; que les inter- mittentes se terminaient communément par plusieurs crises distinctes, mais que le temps que prenaient toutes ces crises ensemble était envi- ron l'espace de trois cent trente-six heures ou quatorze jours, qui est le temps que prennent ordinairement les crises des fièvres continues, et cette découverte s'était faite en étudiant avec une extrême diligence les opérations de la nature, comme le remarque Mead, savant et judi- cieux écrivain de notre temps. "Tel est le progrès de la nature dans les maladies aiguës, au senti- ment de Sydenham, et jusque-là il est parfaitement d'accord avec Hip- pocrate. — Sa méthode de traiter n'était pas non plus fort différente, comme jo vais le faire voir. "Le but que Sydenham se proposait dans les fièvres était d'assister la nature lorsqu'elle était faible, et de modérer ses mouvements lors- qu'ils étaient ou irréguliers ou trop violents; et c'est à l'un ou à l'autre de ces deux points de vue que se réduisait toute sa pratique. "On dit ordinairement que Sydenham était un empirique ; mais si nous voulons interpréter ce terme suivant sa signification originale, il était fort éloigné de l'être, car un empirique est un homme qui traite les maladies comme en gros, sans égard à leur degré ou à leur genre, ou plutôt qui ne traite que les noms des maladies. Or, Sydenham tirait ses indications non pas du nom, mais de la nature, du degré et du genre d'une maladie, de l'âge et des forces du malade, de la tempéra- ture de l'année, etc., en un mot, il joignait la raison à l'expérience, et il était un dogmatiste dans le sens le plus étroit de ce mot. "C'est ce qui paraîtra par sa pratique dans la plupart des maladies aiguës. Car, pour commencer par l'une des grandes indications princi- pales, si nous lui demandons pourquoi il saignait dans la fièvre, il nous dira que c'était afin de modérer les efforts de la nature quand ils étaient tumultueux ou irréguliers. Ainsi, dans la fièvre qu'il nomme dépura- toire, qu'il croyait être la première de toutes les différentes sortes de fièvres, il commençait, par la saignée, à modérer l'émotion du sang, afin qu'elle ne pût être ni assez violente pour causer de dangereux ac- cidents, ni assez faible pour empêcher l'excrétion de la matière fébrile. Comme c'était là son but, il n'ordonnait pas la saignée indifféremment dans tous les cas, comme l'aurait fait un médecin moins judicieux; mais il dit qu'il ne faut pas saigner les gens débiles, mais ceux-là seu- lement qui ont la force de souffrir cette opération. "Si nous demandons encore pourquoi Sydenham saignait dans les autres genres de fièvres continues, il répondra que c'était pour arrêter la trop violente ébullition ou fermentation du sang, c'est-à-dire pour modérer la fièvre. C'était pour la même raison qu'il faisait saigner dans le commencement d'une petite vérole confluente, et même dans la distincte, lorsqu'on y avait employé un régime chaud ; mais si on ne l'avait pas fait, il défendait la saignée, dans la crainte de s'opposer à l'expulsion de la matière morbifique. "Si nous sommes curieux de savoir quelle était son intention en ou- vrant la veine dans les inflammations locales, telles que la pleurésie, la frénésie, l'csquinancie et semblables maladies, il nous apprendra lui- même que c'était afin de diminuer la violence de l'inflammation, de la douleur et de la fièvre. Il n'ordonnait pas la saignée, comme aurait fait un empirique, uniquement parce que la maladie était une pleurésie 25 — 38G — mais parce qu'elle était accompagnée de symptômes qui rendaient né' cessaire l'ouverture de la veine ; car il remarque lui-même qu'il y a dea pleurésies épidémiques qui ne permettent point la saignée, du moins réitérée. Cette observation, pour le dire en passant, est une confirma- tion de la doctrine d'Hippocrate sur ce sujet. "Il n'avait pas dessein, en saignant dans ces fièvres et dans toutes les autres du genre inflammatoire, d'éteindre la fièvre, mais seulement d'en modérer la violence ; car en parlant de celle à qui il donna le nom de nouvelle, dont il entreprit d'écrire l'histoire étant déjà avancé en âge, et qui, par la description qu'il en fait, paraît avoir été une fièvre inflammatoire, il donne cet avis remarquable, savoir : qu'il faut faire une extrême attention dans cette sorte de fièvre, ainsi que dans les rhu- matismes et dans plusieurs autres maladies où les évacuations sont nécessaires; que si on continue obstinément ces évacuations jusqu'à ce que tous ces symptômes soient entièrement changés en mieux, c'est-à- dire jusqu'à ce que la fièvre soit passée, souvent la mort seule guérira le malade. "Quant aux rhumatismes fiévreux en particulier, il nous apprend que dans sa jeunesse il usait fort libéralement de la saignée, parce qu'il s'imaginait qu'elle pouvait guérir un rhumatisme; mais il avoue ingénument que, dans la suite, l'expérience lui avait appris qu'il valait mieux ne saigner que deux ou trois fois seulement, et ensuite avoir re- cours aux purgatifs, que de faire fond sur la saignée seule, et que, dans un sujet jeune et tempérant, un rhumatisme pouvait se guérir aussi efficacement par un régime rafraîchissant que par la saignée. "Il paraît, par tous ces exemples, que Sydenham n'employait la sai- gnée que comme un remède palliatif, — et qu'il n'était pas un de ces hommes altérés de sang qui versent témérairement et de gaieté de cœur tout le sang, d'un malade, seulement parce qu'il a été assez mal- heureux pour gagner la fièvre. "Je n'ai plus qu'une chose à ajouter pour prouver ce que j'ai avancé, savoir : que Sydenham n'employait la saignée que comme un remède palliatif; c'est que dans quelques cas, par exemple dans la fièvre pour- prée, il défendait la saignée, dans la crainte d'empêcher la despuma- tion du sang, en détournant la matière fébrile de la surface du corps, et en s'opposant à l'expulsion ; or, ceci est une preuve bien évidente qu'il n'attendait la guérison que de la despumation seule, et non pas de la saignée. "De même que Sydenham suit le plan qu'Hippocrate avait tracé à l'égard de la saignée dans les maladies aiguës, de même semble-t-il l'avoir copié dans l'usage fréquent des clystères, car nous trouvons qu'il employait ceux-ci alternativement avec l'autre dans beaucoup de fièvres, et surtout dans celles du genre inflammatoire. Dans un rhuma- tisme, par exemple, il ordonne de faire prendre des lavements dans les jours d'intervalle entre les saignées. •'Il fait la même chose dans une angine, dans un érysipèle et dans cette fièvre qu'il nomme varioleuse, et il dit formellement que ces deux remèdes doivent avoir le premier rang dans la cure de ces maladies et dans toutes les autres du genre inflammatoire, quelles qu'elles soient, comme les pleurésies, rhumatismes, etc. On peut apprendre quelle était son intention en ordonnant ces remèdes, et la grande opinion qu'il avait de leur utilité sur ce qu'il dit de la fièvre dépuratoire; car si, malgré la saignée, l'émotion du sang demeure assez violente pour menacer d'accidents dangereux, comme d'une frénésie, alors il veut qu'on réi- — 387 — tere les lavements lénitifs autant qu'il est nécessaire pour modérer et rafraîchir le sang ; et quoique, dans quelques occasions, il fît ouvrir la veine une seconde fois, il nous dit que cela était rarement nécessaire, parce qu'en sa place on pouvait y suppléer par des clystères réitérés tous les jours jusqu'à environ le dixième de la maladie; il n'en faisait cependant pas donner si la fièvre était trop faible et si la nature avait besoin qu'on l'excitât,dans la crainte de nuire à la coction de la matière fébrile ; il ne le faisait pas non plus après le dixième jour, de peur de troubler par là la nature dans l'ouvrage de la dépuration, ou de l'em- pêcher de faire une crise. Il n'est pas besoin de dire combien cette pra- tique a de rapport avec celle d'Hippocrate. "La troisième et dernière méthode dont se servait Sydenham pour modérer la fièvre, était de soutenir son malade par une nourriture lé- gère et rafraîchissante, et les règles qu'il donne là-dessus, comme dans toutes les autres parties de sa pratique, sont semblables à plusieurs égards à celles d'Hippocrate ; car, dans les maladies fort aiguës, telles que l'esquinancie, la pleurésie, la rougeole, etc., il réduisait son ma- lade à une diète rigoureuse de gruau, de panade simple, d'eau d'orgeat et semblables, et il défendait même l'usage des bouillons les plus lé- gers; mais dans celles qui étaient moins aiguës, où il y avait moins de danger d'augmenter la fièvre, il permettait le bouillon de poulet; et presque dans toutes sortes de fièvres il accordait à ses malades la per- mission de boire de la petite bière, chose dont la plupart des médecins se font un scrupule, et il remarque à ce sujet qu'il n'est d'aucune uti- lité, mais que c'est fort souvent un acte de sévérité dangereuse de re- fuser au malade l'usage de la petite bière dans une quantité modérée. "Voyons maintenant comment Sydenham employait les cordiaux. "Les anciens ne connaissaient aucun de ces médicaments compris aujourd'hui sous le nom de cordiaux, mais ils s'efforçaient, par un usage convenable des non naturels, de parvenir à la même fin que les méde- cins modernes se proposent dans les cordiaux, et c'était l'opinion de Sydenham que ces sortes de remèdes ne sont utiles que lorsque la fièvre est trop lento ou quand la nature n'est pas en état d'amener une crise au temps requis, et il observe que cela arrive rarement, si ce n'est qu'elle ait été affaiblie par des remèdes froids, par des clystères ou par la saignée. " En ce cas-là, dit-il, on doit réparer par les cordiaux le dommage causé par la saignée. " Mais il ajoute : Prœstiterat plagam tion infligi, quàm sanari. Malgré donc l'approbation qu'il donne aux cordiaux dans quelques occasions, il était bien éloigné d'être un de leurs admirateurs ; au contraire, il avertit les médecins de se bien don- ner de garde de les employer ou trop librement ou mal à propos, et il raconte les mauvais effets qu'ils ont produits, soit par le changemen t des fièvres intermittentes en continues, soit par l'augmentation de l'ébullition du sang, dans la petite vérole, en la rendant confluente. "Sydenham témoigne son aversion non seulement pour les cordiaux du genre chaud, mais aussi pour les sudorifiques et pour toutes sortes de médicaments échauffants en général. Il ne se contenta pas de s'op- poser à la pratique commune de donner des sudorifiques dans toutes les maladies aiguës indifféremment, mais il ne craignit pas de dire que l'art ne pouvait ni trouver le temps propre pour les doniur, ni fixer la longueur de celui où l'on devait en continuer l'usage. C'était, il est vrai, pousser les choses un peu loin, et on pourrait assurer, sans faire de tort à la mémoire de cet admirable médecin, qu'à quelques égards il porta le régime rafraîchissant jusqu'à l'excès, et même à un point — 386 — qui ne s'accordait pas avec ses propres principes. On pourrait peut-être rendre raison do cela par l'observation si ordinaire, que les hommes sont sujets â donner d'une extrémité dans une autre. "Car le régime chaud était fort à la mode de son temps ; les autours de ce siècle, dit-il lui-même, sont unanimement d'accord dans leur opi- nion, que la méthode la plus naturelle est la meilleure de traiter les fièvres par la sueur. Cette pratique avait été introduite par Van Hel- mont environ quarante ans avant le temps où notre auteur parut sur la scène, et elle avait fait tant de progrès, que sitôt que quelqu'un se plaignait d'un frisson ou d'une douleur de tête ou de membres, chaque bonne femme et le moindre prétendu médecin lui conseillait d'abord de se mettre au lit et de se faire suer. Cette méthode, comme on peut se l'imaginer, avait de fâcheuses suites, et Sydenham entreprit de s'y opposer de tout son pouvoir, non pas par vanité ou par affectation de singularité, comme nous l'avons dit, mais dans un désir sincère d'être utile au genre humain. Son zèle néanmoins le porta trop loin, lorsqu'il l'engagea à rejeter aussi absolument qu'il l'a fait tout usage des sudo- rifiques en quelques cas. Ceci n'est point une critique précipitée, car il avoue lui-même qu'il y a quelques espèces de fièvres qui se terminent naturellement par la sueur; telles étaient les fièvres épidémiques des années 1665 et 1666, et de ce genre sont toutes les fièvres intermittentes. Il reconnaît aussi que, quand la matière morbifique est asse<5 cuite pour être propre à l'expulsion par la peau, on doit la faire sortir, parce que, dit-il, lo célèbre aphorisme d'Hippocrate : Coda non cruda sunt medicanda, regarde aussi bien la sueur que l'évacuation par les der- nières voies ; et si cela est, pourquoi l'art ne pourra-t-il point prêter son secours pour faciliter son expulsion? Au contraire, Sydenham ordonna lui-même les sudorifiques en quelques cas, comme par exemple dans la fièvre maligne et intermittente ; et dans la fièvre dépuratoire. il permit l'usage du régime chaud vers le douzième jour de la maladie, lorsque la crise approchait, ou même plus tôt, pourvu que le malade fût dans un âge avancé ou eût été trop affaibli par la méthode contraire. "On doit donc entendre avec quelques restrictions les propositions générales dans lesquelles Sydenham condamne le régime chaud. "Pour conclure cette matière, si nous considérons les principes de Sydenham indépendamment de ses préjugés, il nous sera facile de con- cilier sa doctrine avec celle d'Hippocrate, car il convient que les sueurs sont convenables lorsque la nature indique cette évacuation, et Hippo- crate n'en dit pas davantage; et quiconque emploie les sudorifiques lorsqu'ils ne sont pas indiqués par la nature, ne doit être censé suivre ni Hippocrate ni Sydenham. "Examinons présentement la raison pour laquelle celui-ci purgeait dans les fièvres. Nous pouvons recueillir de ses écrits qu'elle était la même que celle du père de la médecine, je veux dire, de soulager ou d'assister la nature par l'évacuation d'une partie de la matière morbi- fique qui l'oppressait ; car il nous assure quo la saignée et la purgation contribuent beaucoup plus qu'aucune autre méthode à guérir plusieurs espèces de fièvres, en ce qu'elles chassent la matière nuisible. "Il purgeait dans le commencement des maladies aiguës. Telle était sa pratique dans le rhumatisme, dans la fausse péripneumonic, la pe- tite vérole, les catarrhes, les dyssenteries, et en d'autres genres de fiè- vres, comme dans celles qu'il nomme stationnaires et dans la fièvro épi démique de 1684 et 16S5, à laquelle il donne le nom de nouvelle. — Il nous apprend pour quelles raisons il le faisait dans qnelques-uncs de — 389 — cet maladies. Ainsi, il nous dit que, dans la dyssenterie, c'était pour l'aire sortir la matière peccante ; dans la fièvre d'hiver et la fausse pé- ripneumonie, pour diminuer l'abondance de la pituite ; et dans la fièvre nouvelle, afin de vider les intestins de la matière corrompue qui était la cause première et qui nourrissait le feu de la fièvre, ou co que les anciens avaient désigné sous le nom de materia turgens. Dans la fièvre bilieuse, il ordonnait les vomitifs au commencement dans la même in- tention, savoir : de chasser la matière nuisible de l'estomac et des pre- mières voies, surtout lorsque le malade avait des nausées ou de la dis- position à vomir. Il le faisait aussi dans la fièvre dépuratoire, dont nous avons si souvent parlé, et sa pratique à ces deux égards était tout-à- fait conforme à celle d'Hippocrate. Il y a cependant quelque différence entre la pratique de ces deux auteurs dans un point, car quoiqu'ils pur- geassent tous deux fort fréquemment au commencement des maux ai- gus, quelquefois Hippocrate le faisait sans avoir fait précéder la sai- gnée; au lieu que c'était une règle invariable de Sydenham de ne ja- mais purger au commencement d'une fièvre épidémique sans avoir avant toutes choses fait tirer du sang. "Encore Sydenham purgeait sur la fin d'un grand nombre de fièvres Ainsi, il fait donner un cathartique dans les derniers jours d'une pleu- résie et d'uue petite vérole confluente; il l'ordonnait aussi dans le dé- clin de la fièvre dépuratoire; et la raison qu'il en donne était qu'il vou- lait faire sortir les restes de la matière morbifique, dans la crainte qu'elle n'occasionnât une rechute. Nous pouvons raisonnablement sup- poser que c'était dans le même dessein qu'il employait les purgatifs dans le déclin des autres fièvres, quoiqu'il ne se soit pas expliqué sur cet article. Il dit cependant qu'il est plus nécessaire de purger après les fièvres d'automne qu'après celles du printemps, et que la négligence de la purgation après les fièvres d'automne produit plus de maladies (il veut dire de chroniques) que toute autre cause." En Angleterre, Sydenham eut une telle influence que l'hippocratisme y régna, pendant tout le dernier siècle. Glass, Barker, Huxham, en furent pendant cette période les représentants les plus distingués. Nous avons déjà cité quelques passages de Glass; pour Barker, les cita- tions que nous lui empruntons si souvent prouvent assez son hippocratisme. Quant à Huxham, voici ce que nous lisons dans la préface de son Essai sur les Eièvres : "J'ai toujours appuyé ma doctrine et ma pratique de " l'autorité des anciens, et surtout d'Hippocrate, tant " pour leur faire honneur des lumières que j'ai acquises, " qu'à dessein d'en recommander la lecture, aux jeunes " praticiens. Je sais que mes conseils ne sont pas d'un — 390 — " grand poids; mais peut-être auront-ils quelque force sur " leur esprit, lorsqu'ils sauront, que je ne pense à cet " égard que comme les plus grands maîtres ont déjà pen- " se." Huxham hippocratiste est encore disciple de Sy- denham et encore plus de Boerhaave. Son Essai sur les Fièvres est tout rempli de ces explications empruntées à la philosophie naturelle et dont l'école de Leyde était si prodigue. Mais, oubliez le mécanicien et vous trouverez partout l'hippocratiste, et dans son chapitre sur "le Pou- " voir qu'ont les vents, les saisons d'exciter des mala- " dies," et dans son "Histoire d'une colique épidémique, " qui régna en 1724 dans le Devonshire." Mais revenons en France. Nous avons vu que dans le 16ème siècle, c'est l'Ecole de Paris qui a l'honneur, dès son berceau, de faire revivre la médecine grecque épurée. Il faut donc que cette école renie ses premiers Pères, ou qu'elle condamne les errements qu'elle suit de nos jours. Dans le 17ème siècle, c'est à Montpellier que l'hippo- cratisme trouve ses représentants les plus illustres. Nous avons déjà cité l'excellent et pieux Dulaurens, chancelier de cette Ecole et premier médecin d'Henri IV. Après Dulaurens, c'est Rivière ; après Rivière, c'est. Berbeyrac qui nous conduit à Chirac, lequel Se partage entre Mont- pellier et Paris, comme il se partage aussi entre le pour et le contre, au sujet de la doctrine traditionnelle. Ber- beyrac n'est plus hippocratiste du tout. Quant à Chirac, il semble l'être moins encore, lui qui a bien osé dire qu'Hippocrate et Galien ne furent que des maréchaux- ferrants, recevant les uns des autres quelques traditions in- certaines. Et pourtant Chirac lui-même, dit Bordeu, (qui — 391 -, le croirait?) a fait des observations bien favorables à l'hippocratisme. "Quelques malades (c'est Chirac qui parle), n'échap- " paient que par des sueurs critiques qui arrivaient le " 7ème jour, le llème et le 14ème. Ceux en qui les bu- " bons .et les parotides parurent le 4ème, le 5ème ou le " 6ème périrent tous ; il n'échappa que ceux en qui les " bubons parurent le 7ème ou le 9ème. Il y en avait qui " mouraient avant le 4ème et au 7ème et au 9ème, ou " au llème... La résolution et la séparation des humeurs " n'arrivent qu'après Je 7ème, le 14ème, et le 21ème... " Les fièvres inflammatoires ne se terminent heureuse- " ment qu'à certains jours fixes, comme le 7ème, le " 14ème, et le 21ème ; on reviendra au 7, aux délayans : " c'est un jour respectable, et qui demande une suspen- " sion des grands remèdes : (habemus confitentem reum), " diront les sectateurs de l'antiquité, ajoute Bordeu." Sans aucun doute. Et d'ailleurs les faits, n'ont-ils pas une bien autre valeur que des opinions personnelles. Or, si l'hippocratisme a contre lui les emportements et les folles paroles de Chirac, il a pour lui son observation. Le chiracisme qui se résume dans la médecine active, n'en a pas moins régné tyraniquement en France, jusqu'au tems de Bordeu. La découverte de la circulation du sang, la domination du cartésianisme, l'amour qui résulta de ces deux grands faits pour la philosophie naturelle, c'est-à-dire pour la physique, la chimie, la mécanique, expliquent le triomphe des sciences accessoires sur la vraie médecine, et le triomphe aussi, mais momentané, du chiracisme. Du reste, ce n'est pas en France seulement que la chi- mie, la mécanique, etc., faisaient tourner la tête aux mé- decins. Sylvius Deleboë dominait pour ainsi dire en Eu- — 3lJ2 — rope, il dominait surtout à Leyde. C'est pourtant à Leyde que nous allons voir apparaître le grand homme qui va imposer sa doctrine et sa pratique au reste de l'Eu- rope, pendant la seconde moitié du 18ème siècle : Ce grand homme est Boerhaave. Haller, et Van-Sureten sur- tout, ses deux disciples et commentateurs, n'ont pas peu contribué à lui assurer la gloire dont il a joui. BOERHAAVE. (XVIIIe Siècle.) C'est encore à Barker que nous emprunterons l'étude de Boerhaave, faite au point de vue hippocratique. Cette étude est d'autant plus fidèle, et a d'autant plus de va- leur, qu'elle a été rédigée sur les notes que Barker avait recueillies lui-même, aux leçons du grand médecin de Leyde. "J'introduirai Boerhaave, dit Barker, adressant lui-même la parole à ses disciples, et leur expliquant sa propre doctrine en ces termes : ■'Il y a dans toutes les fièvres quelque chose d'hétérogène dans le corps ou quelque chose qui s'écarte de l'état de santé ; c'est ce qu'on peut appeler la cause matérielle de la fièvre. Or. il faut que cela soit assi- milé, qu'il redevienne sain, ou qu'il soit mis hors du corps par les voies convenables avant que le malade puisse recouvrer la santé. Quand la fièvre s'en va de la première façon, c'est-à-dire quand la matière qui la causait est tellement changée qu'elle n'occasionne plus aucun dé- sordre dans le corps, alors on dit de la maladie qu'elle s'est passée par résolution ou par une simple coction de la matière fébrile. Mais quand elle est sortie du corps par quelque évacuation sensible, comme par exemple par l'urine, les sueurs, l'expectoration ou autrement, alors on dit qu'elle est chassée par une crise ou une décharge critique. "Avant chaque crise, il est nécessaire qu'il se.soit fait une coction de la matière fébrile ou un changement qui la dispose à être mise dehors. Ainsi, les maladies qui se passent par une crise sont, à cet égard, dif- férentes de celles qui se terminent par résolution ; car, dans celles-ci, il suffit de la coction de la matière morbifique. au lieu que. dans les autres, il est besoin non seulement d'une coction. mais encore d'une évacuation critique qui lui succède, afin d'expulser cette partie do la matière peccante qui n'a pu être réduite ou ramenée à un état salu- taire. Suivant cela.' les anciens médecins ont fort bien observé qu'il n'y — 393 — a que les indiapusitioiio légères qui se guéribseut par une simple coction ou résolution de la matière fébrile, mais que, dans toutes les grandes et violentes maladies, il doit y avoir quelque déjection critique avant que le corps puisse être remis en santé. "Il n'y a point d'autre cause de la coction, aussi bien que de l'éva- cuation critique de la matière nuisible que la fièvre elle-même ou ces commotions que la nature excite durant le cours d'une maladie : de même que ce n'est point le médecin qui guérit la fièvre, mais qu'on peut dire fort proprement que la fièvre se guérit elle-même par la coc- tion et l'expulsion de la matière morbifique. "Telle étant la méthode que la nature suit dans la cure des fièvres, le devoir d'un médecin n'est pas de faire une étude trop recherchée des causes de ces maladies, mais il doit s'attacher à observer leurs ef- fets pour apprendre quels sont les moyens que la nature prend pour écarter la fièvre et en chasser la cause matérielle ; car dès-là qu'il les connaît, il est en état d'imiter la méthode de la nature, de l'aider en ouvrant les obstructions, en éloignant tout ce qui la trouble dans son opération et en lui fournissant les choses dont elle a besoin, en un mot, en avançant ou en favorisant la coction et l'évacuation de la matière fébrile. "Parlons maintenant de la manière de le faire. "Comme donc la coction de la matière fébrile est l'effet d'un degré convenable de chaleur, le moyen de la favoriser est de modérer les mou- vements fébriles, de façon qu'ils ne soient ni trop violents et trop im- pétueux, ni trop faibles et trop lents. De là vient qu'il est d'une abso- lue nécessité pour un médecin de bien connaître les symptômes qui marquent quand la fièvre est trop forte et quand elle ne l'est pas assez pour répondre à l'intention de la coction, et de savoir quels sont les moyens propres à la diminuer ou à l'augmenter, à la modérer ou à l'exciter, selon que la nature l'exigera; car c'est dans une juste modé- ration de la fièvre que consiste tout le secret de la guérison. "Voici la méthode que l'art prescrit pour parvenir à ces fins. "Si la fièvre se trouve trop violente, on peut la diminuer par une diète et des évacuations convenables, tels que la saignée, les clystères, les purgatifs doux et les vomitifs qui fassent sortir la materia turgens dans le commencement de la maladie ; si elle se trouve trop faible ou quo ses mouvements soient trop lents et paresseux, on peut les animer par des cordiaux et par un régime plus chaud. "Pour descendre un pou dans le détail, comme la fin qu'on doit se proposer par le régime dans les maladies aiguës est de modérer la fièvre et de soutenir les forces du malade, il est sensible: 1° que le temps le plus propre à lui faire prendre quelque nourriture est l'inter- valle des paroxismes, ou au moins dans le relâchement de la fièvre, afin que les aliments ne la fassent pas augmenter; 2" qu'on doit en donner peu et souvent, afin quo la nature ne soit pas accablée du poids dont on la chargerait en une fois, mais la quantité dans chaque cas particulier doit être réglée sur la connaissance du temps que la fièvre durera selon les apparences, sur l'âge et le tempérament du malade, sur la violence du mal, la saison do l'année, etc. ; car plus une maladie paraît devoir être courte et aiguë, moins il faut donner d'aliments et moins la diète doit être nourrissante. C'est ce que j'éclaircirai par une comparaison empruntée d'un ancien auteur. Je dis donc que la mala- die est semblable à un fardeau, les forces du malade à la personne qui doit le porter, et la durée de la maladie à la longueur du chemin qu'elle — 3!U — doit taire. Or, comme on ne peut savoir si U personne cpii doit porter le fardeau est en état de le faire, à moins qu'on ne sache auparavant le poids, les forces du porteur et la longueur du chemin, de même dans les maladies est-il impossible de dire quels seront les aliments néces- saires pour mettre un malade en état de résister à la maladie, à moins que nous ne connaissions toutes les circonstances qui l'accompagnent. U faut donc avant toutes choses que nous soyons parfaitement instruits de la durée d'une telle maladie et des forces du malade, afin de pouvoir donner des ordres sur le régime de sa nourriture. — Et ensuite il faut qu'un médecin soit bien informé de l'âge et du tempérament de son malade, car les jeunes gens sont moins capables d'abstinence que des personnes avancées en âge, et ceux qui ont vécu au gré de leur appé- tit moins que ceux qui ont toujours mené une vie sobre. "Une troisième chose qui doit servir à régler la nourriture d'un ma- lade, c'est la violence de la maladie, car il faut que les aliments soient plus légers et plus faibles lorsque la maladie est à son plus haut degré de force, et qu'ils soient plus nourrissants lorsqu'il y a plus de distance de ce période, aussi bien avant qu'après. La raison en est évidente, puisque depuis le commencement d'une fièvre jusqu'à son plus haut période, la digestion devient toujours plus faible et plus mauvaise, et le corps se dérange de plus en plus, et qu'après ce temps-là les choses commencent à se rétablir. Alors le régime doit être plus nourrissant à mesure que les facultés digestives sont plus fortes et que le corps ap- proche davantage de l'état de santé; d'où il s'ensuit que les aliments seront plus forts les premiers jours et sur le déclin des fièvres, et plus faibles vers l'état où la hauteur de ces maladies. '•La quatrième et dernière chose sur laquelle on doit régler la nour- riture d'un malade dans les maux aigus, c'est la saison de l'année et la température du climat. Il est démontré par l'expérience générale qu'il faut moins de nourriture et qu'il la faut plus légère dans les saisons et les contrées chaudes que dans les froides. "Conclnsion. Le régime, dans les fièvres, doit toujours être propor- tionné à la maladie ; car si les mouvements fébriles sont trop violents, on les modérera par l'abstinence, la diète rafraîchissante, le frais de l'air, etc. ; et d'un autre côté, s'ils sont trop paresseux et trop lents, on les animera et on les augmentera par des aliments plus cordiaux et plus nourrissants, par des boissons plus fortes, un air plus chaud, etc. "Venons maintenant aux évacuations. "Si les moyens dont nous avons parlé ne paraissent pas suffire à modérer la violence d'une fièvre, et qu'il y ait du danger à la laisser continuer, il faut que nous ayons immédiatement recours aux remèdes qui peuvent le plus efficacement arrêter les mouvements tumultueux d'une fièvre, particulièrement à la saignée. En effet, dans plusieurs maladies, comme les fièvres ardentes, les grandes inflammations, les douleurs violentes, nos plus grands succès dépendent de cette évacua- tion, et nous pouvons même, en certains cas, saigner un malade jus- qu'à ce qu'il tombe dans un deliquium animi ou une défaillance. Mais, dans la plupart des maladies, il vaut mieux en user avec modération ; car si nous entreprenons d'éteindre la fièvre avant d'être parvenus à corriger la lenteur et la viscosité des fluides que la nature avait dessein de dissoudre par cette fièvre, jamais nous ne viendrons à bout de pro- curer une parfaite guérison. C'est pourquoi, malgré ce que Galien nous rapporte qu'il a guéri de la fièvre un jeune homme en le saignant une fois ad animi deliquium et en étouffant la fièvre dès sa naissance, il est — 395 — plus prudent de suivre la règle d'Hippocrate et de ne saigner que jus- qu'à ce que. par la diminution de la chaleur et l'adoucissement des symptômes, nous trouvions qu'il n'y a plus de danger à craindre de la violence de la fièvre, et de ne jamais tomber dans l'extrémité opposée en mettant le malade trop bas et en laissant trop peu de force à la lièvre. "C'est sur cette règle que les médecins sages et judicieux se sont tou- jours conduits pour tirer du sang, et, conformément à cela, vous pou- vez saigner dans tout le cours d'une maladie si la véhémence des symp- tômes rend cette évacuation nécessaire, ainsi qu'il serait aisé de le prouver par l'autorité de Galien et de quelques-uns des meilleurs mé- decins modernes. "Mais si vous saignez trop ou si vous portez le régime rafraîchissant assez loin pour éteindre la fièvre avant que l'ouvrage de la coction soit parfait, il est à craindre que cela n'ait de fort mauvaises suites, non pas à la vérité comme celles que cause la trop violente impétuosité de la fièvre, savoir, la destruction des vaisseaux et la coagulation des fluides, mais des maladies longues et chroniques auxquelles, dans la suite, toute votre science ne sera pas capable d'apporter de remède. "Lorsqu'il arrive dans quelque partie une inflammation trop grande pour qu'on puisse la résoudre, le mieux qu'il y ait à faire est de cuire cette viscosité inflammatoire et de la convertir en pus. Or, cela ne peut jamais se faire sans quelque degré de fièvre. Si donc la fièvre est trop violente, la gangrène s'y mettra ; si elle est trop lente, elle n'aura pas la force de l'amener à suppuration et sera probablement suivie d'un schirrus incurable qui durera toute la vie. "Il arrive encore fort souvent, après des étés chauds, que des per- sonnes sont affligées en automne de légères obstructions de foie, accom- pagnées d'une fièvre ou continue ou rémittente, qui se termine pour l'ordinaire en intermittente. "Dans ces maladies, si on arrête la fièvre par des saignées réitérées (comme je l'ai quelquefois vu faire), les malades languissent ensuite misérablement, et tombent dans des cachexies, jaunisses et hydropisies incurables; ou, au printemps suivant, ils sont attaqués de dyssenteries putrides, qui les conduisent bientôt au dernier période de leur vie. "Or, est-il que ces inconvénients sont causés parce qu'on a trop abattu la fièvre et empêché la coction de la matière morbifique. J'ai vu les mêmes accidents produits par un usage fait mal à propos du quinquina dans les fièvres d'automne intermittentes; car, après que la fièvre eût été chassée par ce remède, il est demeuré dans le foie des obstructions insurmontables, dont la fièvre elle-même, si elle eût été gouvernée comme il faut, eût été le plus puissant remède. "Le grand, et en effet le seul véritable usage de l'ouverture de la veine dans les maux aigus, est de modérer la fièvre, et c'est le remède le plus efficace dont on puisse se servir pour répondre à cette intention. Mais il y a des occasions où il n'est pas sûr de les employer, et alors nous devons recourir aux clystères ; car l'expérience démontre que c'est, après la saignée, le moyen le plus infaillible et le plus capable de calmer les mouvements trop impétueux de la fièvre. "On peut aussi user alternativement de ces deux grands remèdes dans les maladies aiguës; mais en même temps il faut bien prendre garde de ne donner que des lavements fort doux et fort rafraîchissants et de n'en jamais donner qui soient acres et purgatifs, parce que ceux- ei sont contraires ù i intention qui l'ait ordonner les clystères dans ces sortes de maladies. "Je ne voudrais pas que l'on inférât de ce que je viens de dire que j'exclue l'usage des remèdes purgatifs dans les fièvres. Au contraire, je crois qu'il est permis de purger la matière peccante par bas comme par haut, même dans le premier période de ces maladies, pourvu qu'il se trouve une indication qui le prescrive. C'est une chose fort ordinaire, dans le commencement des fièvres, que l'estomac et les intestins soient chargés d'ordures ou de saletés de l'une ou l'autre espèce, soit phlegme, soit bile, et que cette matière, flottant dans les première voies, occa- sionne un dégât, une pesanteur, des nausées, des coliques, des anxié- tés, etc. Lorsqu'elle est logée dans l'estomac, il est à propos de com- mencer la cure par un émétique ; mais si elle est dans les boyaux, il faut la faire sortir par la purgation. Les purgatifs néanmoins doivent être fort doux et linitifs, de crainte que, causant une trop grande com- motion dans le corps, ils n'augmentent la fièvre et ne fassent par là plus de mal que de bien. "Outre les purgatifs (à dessein de mettre dehors la materia turgens)) qui sont souvent nécessaires dans les fièvres intermittentes et épidémi- ques, on peut aussi en donner, à l'exemple d'Hippocrate et de Syden- ham, dans quelques fièvres inflammatoires, afin de faire une révulsion. Cette méthode peut être fort utile dans une frénésie, dans une esqui- nancie avec inflammation et dans un rhumatisme, et, en particulier dans celui-ci, les anti-phlogistiques réitérés seront d'un grand usage; mais, dans toutes les fièvres inflammatoires, nous devons suivre l'avis que nous a donné Sydenham, c'est-à-dire de ne jamais purger sans avoir, avant toutes choses, fait tirer du sang. "Ce ne sont pourtant pas les seuls cas où la purgation soit utile dans les maux aigus, car on peut s'en servir lorsqu'il a paru des signes de coction dans l'urine, suivant la méthode d'Hippocrate, de même que nous pouvons avancer une erise quand la nature tend à se décharger de la matière morbifique par cette voie. "J'ai parlé jusqu'ici principalement de la méthode qu'on doit obser- ver pour adoucir les symptômes d'une fièvre quand ils sont trop vio- lents ; — je vais présentement vous apprendre quels moyens vous em- ployerez pour l'augmenter quand elle ne sera pas assez forte pour faire la coction et l'expulsion de la matière fébrile. "Rien n'est meilleur, selon la doctrine des anciens, pour soutenir la force ou la vis vitœ d'un malade, qu'une nourriture convenable : elle est donc le meilleur cordial; mais il y en a d'autres, à qui la coutume a donné le même nom, qui augmentent l'action des vaisseaux et le mouvement des humeurs. Les cordiaux donnés en nourriture sont ceux qu'on appelle plus proprement restauratifs; les seconds sont appelés incitatifs. Il est rare que ces derniers soient nécessaires dans les mala- dies aiguës, puisque les mouvements fébriles sont plus souvent trop vifs que trop lents. Or, toutes les fois qu'il arrive qu'ils sont trop lents, vous pouvez avoir recours aux incitatifs. Les signes par lesquels on connaît que les cordiaux de cette espèce sont nécessaires, sont la faiblesse et la langueur du pouls, une grande perte de forces, des urines pâles, un trop petit degré de chaleur. De tous ces signes pris ensemble, et de la cru- dité ou pâleur de l'urine en particulier, vous pouvez conclure que les mouvements fébriles sont trop faibles peur vaincre, séparer ou entraî- ner la matière morbifique, et que la nature demande le secours des cor- diaux. Et de là il vous est facile de voir, d'un côté, l'erreur de ces mé- — 397 — dccins qui prétendent guérir toutes les fièvres par la saignée et le îv gimo rafraîchissant, et, de l'autre, celle de ceux qui ordonnent toujours les cordiaux, les vésicatoires. les remèdes chauds; et vous apprendrez que le meilleur médecin est celui qui Innocuas placide corpus jubet urere flammas, Etjusto rapidos tempérât ignefocos. "En effet, c'est une fort bonne règle do pratique de tenir la fièvre un peu trop bas plutôt que de souffrir qu'elle monte trop haut; car quoique la cure d'une fièvre dépende de la juste modération des mouvements fé- briles, il y a cependant moins de danger à les abaisser trop qu'à leur laisser trop de force, et il est plus facile de remédier au premier de ces deux défauts qu'au dernier. "Pour faire la récapitulation de toute cette matière en peu de mots, il n'y a point de remède, quelque renommé qu'il soit, dont on puisse dire qu'il est un cordial dans la fièvre, simplement et absolument en lui-même, mais seuloment par rapport aux circonstances du cas. La faiblesse ou la langueur qu'une personne ressent au commencement des maladies aiguës est quelquefois due à la trop grande quantité ou raréfaction du sang, qui occasionne une tension excessive des vaisseaux, ou à sa viscosité, qui l'empêche de couler comme il devrait. Or, en ces cas-là, la saignée est le plus sûr cordial, en ce qu'elle diminue la quan- tité et abat l'impétuosité du sang; d'où il arrive que la saignée, qui serait pernicieuse sur la fin des maladies, est toujours un moyen de ra- nimer les esprits et de rétablir dans toute sa force un malade faible et languissant dans le commencement de son mal; tandis que, d'un autre côté, les cordiaux incitatifs seraient très dangereux, quoiqu'ils soient d'une grande utilité sur la fin de ces maladies pour avancer la fièvre et augmenter la sécrétion des humeurs malignes. De même, lorsque le corps a été épuisé par de fortes évacuations, le meilleur cordial est une nourriture solide qui remplisse le vide des vaisseaux, quoique cela se- rait fort nuisible s'il n'avait point été précédé de semblables évacua- tions. "Il paraît de tout ceci combien il est nécessaire de porter une sé- rieuse attention pour distinguer de quelle espèce de cordiaux on doit se servir dans telle ou telle occasion, et on comprend combien on doit faire peu d'usage de ces remèdes dans les maladies aiguës. Il est vrai que les médecins, et particulièrement ceux qui sont appelés auprès des personnes de qualité, sont d'ordinaire fort embarrassés là-dessus, parce que souvent, soit qu'un médecin le veuille ou non, il est contraint de donner au malade des cordiaux incitatifs sous le titre spécieux d'alexi- pharmaques, et s'il arrive que, sans les avoir employés, le malade meure par la violence de la maladie, on accuse le médecin d'avoir négligé le seul remède qui peut-être lui eût sauvé la vie. "Mais il est temps de passer de cette matière à une autre. "J'ai déjà remarqué que toutes les fièvres se terminent soit par une simple coction des humeurs morbifiques, soit par leur coction suivie d'une évacuation critique, et que le devoir propre d'un médecin est d'avancer cette coction et cette évacuation. Ce que nous avons dit met dans tout son jour la méthode de faire le premier. ''Parlons à présent de l'assistance que l'art doit donner à l'effet du second. "Je ne m'étendrai cependant pas là-dessus, car la part qu'un méde- cin doit y prendre c^t fort petite parce que ce n'est pas l'ouvrago de — 398 — Part, mais celui de la nature, de causer une crise. Telle est en peu de mots la doctrine des meilleurs médecins sur ce sujet : que, comme la séparation des humeurs malades d'avec celles qui sont saines et leur expulsion sont l'ouvrage de la nature, c'est à elle de prendre son temps comme à choisir la voie qui lui est propre pour le faire, et que par con- séquent un médecin doit suivre ces mouvements, sans entreprendre de hâter une crise ou de la provoquer avec art par une autre route que celle qu'elle indique. "Cette doctrine est empruntée des anciens, car ils avaient observé que la maturation des humeurs dans une fièvre ressemble à celle qui forme dans les abcès cette matière qu'on appelle pus. Comme donc il faut un certain temps déterminé pour réduire l'inflammation en abcès ou pour la formation du pus. il y a aussi un temps requis pour la pu- tréfaction ou coction des humeurs dans une fièvre. Or, comme ce serait fort mal fait d'ouvrir une partie enflammée avant que le pus fût formé, de même aussi aurait-on grand tort de tenter, dans les fièvres, l'éva- cuation des humeurs viciées avant que la nature ait eu le temps de les séparer de celles qui sont saines. "Puisqu'il faut donc laisser la nature libre sur le temps et la manière de faire une crise, un médecin apportera toute son attention à observer les signes qui présagent l'approche de la crise et les jours critiques, car ce n'est que par là qu'il sera capable de découvrir la voie que veut prendre la nature. "Suivant les observations les plus exactes, les sueurs, l'urine, la diar- rhée ou l'expectoration sont les quatre voies principales par où les fiè- vres se terminent. "Quelques auteurs se sont imaginé que toutes les fièvres, de quelque genre qu'elles fussent, pouvaient également être guéries par les sueurs. C'était l'opinion de Van Helmont, que d'autres embrassèrent après lui. Mais cette méthode de s'appuyer sur les diaphorétiques seuls pour la cure des fièvres, sans considérer si la nature veut prendre cette voie ou non, a accasionné les plus fatales erreurs. Il est vrai que si ces mé- decins eussent préparé la matière fébrile à sortir par les pores, en dis- solvant et en atténuant les humeurs avec des boissons délayantes et semblables médicaments doux sans augmenter les mouvements fébriles. leur pratique n'aurait pas eu de si mauvaises suites; mais tandis qu'ils tâchaient de provoquer les sueurs par des aromates et des sels volatiles, et en tenant le malade fort chaudement, ils ne fesaient qu'allumer feu sur feu, dissiper les parties les plus légères et les plus mobiles des fluides, et mettre toute la machine en désordre. Le succès parut don- ner une recommandation plausible à cette méthode dans ces maladies où la nature a coutume de faire sortir la matière peccante par la peau, comme dans la petite vérole, par exemple, et la rougeole ; c'est pour- quoi ils y employaient tous les moyens que l'art peut fournir. — Mais combien cette pratique n'a-t-elle pas produit de funestes événements, si nous en croyons Sydenham, qui entreprit généreusement de s'oppo- ser seul au torrent, et qui a prouvé par des arguments sans réplique et par l'expérience combien il était dangereux et préjudiciable de suivre cette méthode. "Il y a néanmoins une sorte de fièvres où l'on peut hasarder les su- dorifiques dès leur premier période : ce sont les fièvres pestilentielles, où la matière offensante est d'un ordre si subtil qu'elle est en état d'être poussée dehors par le* sueurs sans aucune préparation ; de cette sorte était la fameuse maladie de Suède ; mais ces maladies ayant quel - 399 — que chose de singulier dans leur nature, il est impossible d'en tirer uno règle générale de pratique. "Quoi que j'aie dit sur le danger qu'il y a de donner des sudorifiques dans les fièvres, cependant ni Hippocrate ni Sydenham ne défendent pas de favoriser les sueurs critiques, ou même celles qui diminuent les accidents, quoiqu'elles ne chassent pas tout-à-fait la maladie. "On peut connaître si les sueurs seront critiques ou non par le temps où elles arrivent et par les signes qui les ont précédé, tels qu'un pouls faible et ondoyant, mais surtout par les signes de coction de la matière fébrile, tandis qu'en même temps elles ne paraissent pas vouloir se por- ter d'un autre côté; car si la matière d'une maladie est préparée à l'expulsion et ne semble avoir aucune crise convenable qui lui soit par- ticulière, on peut s'attendre qu'elle sortira par la crise commune à tou- tes les maladies, savoir, par les sueurs; mais, même en ce cas-là, il vaut mieux, pour avancer la sueur, donner au malade des boissons douces et délayantes et le tenir chaudement, que de lui faire prendre des mé- dicaments sudorifiques échauffants. "Les vomissements et les selles sont quelquefois critiques, mais rare- ment; il y a néanmoins grande raison de croire que ces évacuations feront du bien quand elles seront précédées par les signes de coction, et qu'elles arriveront après le plus haut période d'une maladie; mais celles qui viennent dans son accroissement sont plutôt symptomatiques que critiques, et font souvent plus de mal que de bien : c'est pourquoi on doit favoriser les premières et arrêter les secondes. "Or, comme il est assez difficile de connaître par les signes qui pré- cèdent quand on peut espérer une diarrhée critique, il est dangereux de la causer par des purgatifs, et le plus qu'un médecin puisse faire est d'employer les laxatifs émollients pour lubréfier les passages lorsque la nature se dispose à cette évacuation, ce qu'elle fait quelquefois, comme par exemple dans une péripneumonie. "Mais jamais, dans quelque occasion que ce soit, on ne doit tenter de provoquer cette évacuation, à moins que la matière morbifique ne soit redondante ou que par avance elle ne soit bien cuite et devenue mobile. "Il y a moins de danger à user de remèdes incitatifs et attirants dans la vue d'émouvoir une crise par l'expectoration, lorsque la nature prend cette voie ; cette sorte d'évacuation a lieu dans les petites véroles confluentes et les maladies de poitrine, et on peut l'avancer par des remèdes émollients détersifs et expectorants, tels pue le sperma ceti, la guin. ammoniac, etl'oxymel, mais surtout en s'abstenant soigneusement, en ce temps de la maladie, de tout autre évacuant, comme la saignée, la purgation, etc. "La dernière des évacuations critiques sur laquelle nous ayons en- core quelques remarques à faire, est celle qui se fait par les canaux de l'urine. La nature les a destinés à porter dehors tout ce qui a contracté de l'acrimonie par la chaleur et les écoulements des humeurs dans le temps de la santé. Il n'est donc pas étonnant que dans les maladies ils servent à évacuer les humeurs viciées. On ne saurait douter qu'il ne se fasse des crises par cette voie, puisque nous apprenons d'Hippocrate qu'une urine chargée d'un sédiment blanc et épais empêche qu'il n'ar- rive de dépôt critique. Mais ce n'est que dans les maladies de longue durée ;-car on est en droit de douter si, dans les maux fort aigus, la matière pocci'ntc est souvent mise dehors par les urines seules, du moins ost-il plus ordinaire de les voir accompagnées d'autres évacua- — 100 — tions. Et Hippocrate, dans l'énuinération qu il fait de celles qui avaient terminé certaines maladies épidémiques, parle d'hémorragie d'une urine capricieuse avec un sédiment louable, d'excréments bilieux et d'une dyssenterie; mais il ajoute en même temps, que plusieurs per- sonnes avaient été guéries, non pas par une de ces évacuations toute seule, mais par toutes ensemble : en quoi il semble vouloir insinuer, qu'une évacuation par l'urine seule ne suffit pas, ou au moins qu'elle est fort souvent jointe à des excrétions d'une autre sorte : et les an- ciens, en général, regardaient l'urine plutôt comme une chose propre à leur faire connaître les signes de coction et de crudité, que comme un moyen de chasser le mal; et c'est par la même raison, sans doute, que jamais ils ne tentaient d'aider la nature dans une crise en exci- tant les urines. "Après avoir ainsi examiné les différentes évacuations dont la Na- ture fait usage dans la cure des fièvres, et fait voir quelles sont celles où I'Art peut la seconder, et celles où il ne le peut pas ; pour faire une récapitulation de tout ce que j'ai dit, et déclarer librement ce que je pense à ce sujet, je crois qu'il n'est pas sûr de tenter par aucune sorte d'évacuations puissantes d'expulser la matièi-e morbifique, mais que la prudence nous ordonne d'examiner avec soin quel est le but où tend la nature, et quelle route elle prend pour faire sortir la matière fébrile, quand elle est dissoute et devenue mobile; et quand nous le connaissons, elle nous engage à favoriser l'expulsion, en ouvrant les passages, et en excitant doucement la nature à achever son ouvrage." Nous ne connaissons pas de résumé plus complet, ni plus parfait de la doctrine des anciens; mais, c'est aussi la doctrine des modernes, puisque nous venons de la voir exposer presque dans les mêmes termes, par les deux plus grands médecins des temps modernes. Il nous sem- ble qu'on peut comparer Boerhaave à Galien, comme Sydenham à Hippocrate. Génie universel, Boerhaave a peut-être trop voulu mêler les sciences accessoires à la mé- decine ; ses explications mécaniques vont mal à l'hippo- cratisme qui est l'expression du véritable vitalisme. Ne peut-on pas faire des reproches analogues à Galien ? chez celui-ci, l'entraînement pour l'aristotélisme, qui lui a valu peut-être les hommages de la scholastique, n'a-t-il pas nui au médecin ? Quoi qu'il en soit, tous deux ont commen- té en hommes de génie la doctrine hippocratique. "Après des exemples tels que ceux, d'Hippocrate, Ga- " lien, Sydenham, et Boerhaave, dit Barker, il serait inu- — 401 — " tile d'en citer d'autres d'un rang moins distingué, qui " aient formé leur pratique sur le même plan." Sans doute d'aussi grands exemples suffisent. Cepen- dant il est nécessaire, et il est juste de rappeler ici les noms de quelques autres grands hippocratistes. Notre but, en effet, n'est pas seulement de montrer que les hommes qui ont le plus illustré notre art, avaient compris et accepté la doctrine traditionnelle ; notre but est encore de prouver que cette doctrine traditionnelle a eu, de tous les temps, des réprésentants dans toutes les parties du monde civilisé. Pendant le 18ème siècle, non seulement en Angleterre et en France, mais dans toute l'Europe, il est facile de signaler des médecins profondément hippocratistes. En Espagne c'était Solano ; en Italie c'était Lancisi et Bagli- vi qui profitaient des commentaires de Prosper-Martian, comme aussi de ceux de Houillier, de Baillou, de Duret. U nous est impossible de laisser passer le nom de Baglivi, dont les œuvres sont une source d'instruction si pure, sans lui consacrer quelques lignes. 11 n'y a qu'à ouvrir Baglivi au hasard, pour reconnaître l'hippocratiste pres- que à toutes les lignes. Caput I "De maximâ observa- " tionum in re medica necessitate. Medicus naturae minis- " ter, et interpres, quicquid meditetur et faciat, si natu- " rae non obtempérât, naturae non imperat. III. Naturœ, " non hominis voce loquitur Hippocrates, medicorum Ro- " mulus, cui nec eetas prisca vidit parem in re medica, nec " videbit futura." L'Hippocrate romain est-il assez hip- pocratiste comme cela 1 Dans son chapitre de Crisi et diebus criticis, voici ce qu'on lit : Doctores medici, dies criticos religiosè observate. Causam morbi prœscire, dies criticos religiosè observare ; (exceptis febribus mesenteri- 26 — 102 — cis, ut sœpc monui), paucis uti remediis ; coctâ matenà humores educere, dummodô non turgeant ; quôd si tur- geant, statim purgandum, statim curandum, aliter brevi peribunt.....Qui haec quatuor in acutis noverit, quàm féli- citer curaverit... Puis de temps en temps il avertit : Ro- mae Scribimus, in aère Romano, etc. Citerons-nous Hoffmann, Stahl, tous les médecins vrai- ment grands enfin ? tous furent hippocratistes ! mais nous avons hâte d'arriver à Bordeu. "On est étonné, (dit Pinel ), que Bordeu si propre par " ses talents et son expérience à prendre un parti décidé, " soit aussi vacillant, et si indécis dans ses recherches sur " les crises..." C'est plutôt sur le compte des jours, critiques, qu'à propos des crises mêmes que Bordeu mon- tre de l'indécision; il n'en demeure pas moins un enthou- siaste et ardent hippocratiste. Pour le prouver, citons quelques passages de ses œuvres : "Quant au petit nombre de sages, rari nantes in gur- " gite, vraiment initiés dans l'art de guérir, et instruits de " son étendue, pénétrés de son importance et de ses lois " sacrées et invariables, amateurs décidés de la belle na- " ture, ils ne perdront jamais de vue les peintures de " Cos ; ils les méditeront et les étudieront sans cesse, " pour leur usage, pour se nourrir de ces vérités qui sont " comme non avenues pour tant de praticiens. " " Hippocrate s'éleva, si on peut le dire, par une force " au-dessus de l'humaine, jusqu'à la main du Créateur " qui pousse à leur fin tous les mouvemens de l'économie " animale, dans la marche, les progrès et les événemens " des maladies. L'agitation ordinaire des médecins et " des malades les disirait et l<>s détourne fie ces vérités lt sublimes. — 403 — Voilà pour le doctrinaire; voyons pour le praticien. " Les Rouelle m'avaient fait l'un et l'autre l'honneur " de me choisir pour traiter leur cadet, dans une maladie " grave : c'était la fièvre catarrhale, avec amas dans le " poumon droit ; elle marcha les premiers jours, comme " la fluxion de poitrine inflammatoire ; et pendant cette " première époque, les saignées, et les autres remèdes " que je crus nécessaires, n'ébranlèrent pas le noyau ni- " ché dans la poitrine. Il fallut s'attacher à suivre la " marche forcée de la maladie, qu'il ne fat pas possible " de détourner de la suppuration : des tentatives déme- " surées auraient été trés-nuisibles : j'attendis, et je laissai " mûrir si heureusement la maladie, qu'elle se termina " vers la fin du vingt-neuvième jour, par le crachement " d'une manière de vomique, de bonne et franche matu- " rite. Je crus alors le malade sauvé, et je le dis, me " trouvant obligé de le quitter ce jour-là.... " François Rouelle, dont les principes chimiques , " agités, trembleurs, et pourtant hardis, ne s'accordaient " point avec ma tranquille expectation, prétendait qu'il " fallait empêcher ce dépôt ; il croyait que cela se fait, " comme qui arrête la fermentation, ou qui précipite un " sel par un autre. Mon absence donna quelque faveur " à la vivacité de ses propos. Je l'avoue de bonne foi, u le malade lui-même eut raison d'être surpris et piqué : " j'eus grand tort de le quitter ; mais je lui jurai, comme " je le pensais, qu'il était guéri, qu'il entrait en convales- " cence. Les commentaires allèrent leur train. Fran- " çois demeura persuadé que j'avais tué son frère, qui " cependant guérit parfaitemeut, comme je l'avais prévu. il C'est un honnête homme, vigoureux et sain, dont la " brillante santé ne s'est point démentie depuis sa mala- — 404 — " die (il y a près de vingt ans). J'étais sûr de mon fait ; " je marchais Hippocrate à la main. Or en ce temps-là " ses saints ouvrages étaient un peu moins lus qu'à pré- " sent, et surtout beaucoup moins entendus. " Tout se réduisit à un choc entre la médecine active tl et chimique, d'une part, et la médecine simple et na- " turelle de l'autre. Voilà le point de la chose. Je crus " que cette maladie était devenue du ressort de la nature " seule, que l'art devait se taire. On m'opposa toutes " les fanfaronnades de Van Helmont et de ses singes: nos " têtes s'échauffèrent. Un chimiste, un médecin du dix " huitième siècle, attendre quatorze jours, vingt-un jours " trente jours, et jusqu'à trois mois, en cas de besoin ! " Cette allure ne convenait point. Le scandale était des " plus crians. " Pour comble de chance, MM. Rouelle habitaient " une maison située auprès de l'hôpital de Charité, où " j'allais souvent m'instruire, et où les saignées se fai- " saient par vingtaines, par trentaines, sur chaque raa- " lade. Je suivais les effets de cette manœuvre : je l'ai " expliquée en dénonçant le fameux modique de cet " hôpital. J'ai dit comment les saignées se faisaient sou- " vent sans l'ordonnance positive des médecins. Frère " Stanislas, dont j'ai parlé aussi, était un des principaux " commis de ce bureau des saignées, si on peut ainsi " parler..... " L'aventure finit ainsi que je viens de le rapporter. Je ;' la regarde comme une époque que n'oublieront point les il partisans de la médecine naturelle. Combien elle fut * déchirée en cette occasion ! Mais on connaît les triom- ;' phes qui lui ont été décernés depuis : elle a contenu et — 105 — u dévoilé l'ignorance et la polypharmacie : elle a décelé " l'envie et ses projets pervers ; les sifflements de ses ser- u pens se feront moins entendre; leurs dents envenimées " tombent en pourriture. La scène de la médecine a " changéj par les soins et les lumières de plusieurs de nos " sages confrères, qui regardent avec pitié ces temps où " quelques-uns de nos anciens virent tant d'enfantillages, " tant d'entreprises inconsidérées, pour ne rien dire de " plus. " Pourtant la vraie Doctrine ne pouvait pas régner sans mélange dans le siècle du matérialisme. A Montpellier, pendant la fin du siècle dernier, Sauvages et Barthez, éclectiques et analytiques, ne peuvent guère être comptés pour de véritables hippocratistes; à ce titre d'hippocra- tiste et comme praticien, Charles Leroi de Montpellier, nous paraît supérieur. Et pourtant l'école de Montpel- lier répète toujours avec fierté : Olim Cos, nunc Monspel- lien sis. En Angleterre, après Huxham c'est Cullen qui devient célèbre.... Cullen était disciple de Boerhaave, mais en- core plus au point de vue de la philosophie naturelle, que de l'hippocratisme; d'ailleurs Brown était proche. En Allemagne, l'alumnus chéri de Boerhaave, Van- Swieten, soutient l'hippocratisme ;—après lui, c'est De- haën, c'est Stork, c'est Collin, mais par-dessus tous, ce sont Stoll, à Vienne, et Selle, à Berlin. Nous aurions voulu avoir le temps d'analyser Stoll et de le montrer hippocratiste comme Baglivi. Mais il vaut mieux ne pas commencer cette étude du grand médecin de Vienne, que de l'entreprendre pour la laisser bientôt trop incomplète. D'ailleurs, il suffit de parcourir ses œu- vres pour reconnaître en lui un des plus solides représen- — 406 — tants du vitalisme traditionnel, c'est-à-dire de la Doctrine Hippocratique. Mais dès la fin du 18ème siècle, se préparaient les trois grandes hérésies médicales de ces derniers temps, le Brownisme, le Rasorisme et le Broussaisisme, dont les affinités sont très grandes, malgré les apparences. La prétendue philosophie de cette époque malheureuse, n'a- vait rendu que trop facile l'entraînement des esprits dans les voies de l'erreur. Le matérialisme amené de loin par Bacon et par Locke, transformé en Sensualisme par Con- dillac, devait nécessairement faire passer l'analyse avant la synthèse. Dès lors toute Doctrine, et en particulier toute doctrine médicale vraie, devenait impossible. Nous sommes cependant heureux de le constater : en France, et dans l'Ecole de Paris, la Doctrine tradition- nelle n'a jamais cessé d'être représentée et défendue par les hommes les plus illustres. Ce n'est même que très lentement que la Philosophie analytique a réussi à déta- cher peu à peu, de la Médecine Hippocratique l'Ecole de Paris. Les plus ardents promoteurs de cette philosophie dans l'Ecole, Cabanis et Pinel, furent toute leur vie des hippocratistes très purs dans la pratique. Depuis Cabanis et Pinel, jusqu'au professeur Cayol, qui a restauré la médecine traditionnelle, ou médecine du sens-commun, en la posant de nouveau sur son antique base de la nature médicatrice, on voit de grands médecins hippocratistes se succéder dans les chaires de Paris. Mais ces hippocratistes eux-mêmes, plus ou moins séduits par la philosophie analytique, éclectique, etc. et entraînés par les acquisitions nouvelles de YAnatomie-pathologique, de la Percussion et de Y Auscultation, se consacrent tout en- tiers aux descriptions et aux classifications; bientôt ils sont — 407 — absorbés par l'étude des états locaux ; en sorte que leurs successeurs, encore plus profondément séduits, perdent complètement de vue les trésors de la tradition, et croyant agrandir chaque jour le champ de l'observation, se plon- gent de plus en plus dans les minuties microscopiques, pour se perdre enfin, quelques-uns dans une crédulité entliou- siaste, le plus grand nombre dans le scepticisme, et sous le rapport pratique, presque tous dans l'empirisme ou la médecine des symptômes. Le professeur Cayol, auquel une position toute excep- tionnelle était réservée, a pu parfaitement étudier et faire connaître la période que nous venons d'indiquer rapide- ment. Qu'il nous soit donc permis en terminant, de lui emprunter encore quelques passages très instructifs. " Contemporain et émule de Pinel, le professeur Cor- " visart ne s'acquit pas moins de gloire et n'exerça pas " moins d'influence sur les esprits, en propageant par " l'exemple et par la tradition orale, les mêmes principes " de médecine hippocratique. Son enseignement clini- " que fut célèbre dans toute l'Europe. C'est de cette " école et de celle de Pinel que sont sortis presque tous " les hommes qui, depuis le commencement de ce siècle, " ont soutenu la gloire de la médecine française. " " Formé à l'école de Corvisart, Bayle ne fut pas infé- u rieur à ce grand maître, pour la profondeur des con- " naissances et la finesse du tact médical; jamais peut- " être un médecin ne porta plus loin la science du diag- u nostic et des indications thérapeutiques. Ses jugemens " et ses prévisions sur la marche et la tendance des ma- " ladies excitaient souvent l'admiration de ceux qui *' comme moi, ont eu le bonheur de suivre sa pratique à — 408 — " l'hôpital de la Charité, et de se former par ses conseils " et ses exemples, qui offraient un parfait modèle du " médecin hipporatiste....." " Laennec était disciple de Corvisart, et fermement " attaché, comme lui, aux principes de la médecine hip- " pocratique, dont il avait fait, bien jeune encore, le sujet " de sa thèse inaugurale. 11 en fit toujours aussi la rè- " gle de sa pratique, en alliant, toutefois ces principes " avec une hardiesse d'esprit et un penchant naturel " pour l'expérimentation, qui rendaient en général sa mé- " decine bien plus active ou moins expectante que celle " de Corvisart et de Bayle. " " Il résulte des détails précédens, que leslrois hommes " qui, depuis l'apparition de la Nosographie philosophique, " ont le plus illustré la médecine française (je ne parle pas " ici de ceux qui vivent encore), ont été des médecins " hippocratistes ; qu'ils ont.compris la médecine comme " la comprenaient Hippocrate, Arétée, Sydenham, Stoll, " etc.; qu'ils ont toujours fondé leur pratique sur les tra- " ditions de la médecine antique; et que, cependant, ils ap- " partiennent tous, par leurs écrits, à l'école anatomique, " dont ils ont été les principaux fondateurs. " " Il y a cependant des médecins qui ne veulent pas que " ce qui était vrai du temps d'Hippocrate soit encore " vrai de nos jours, et qui craindraient de rétrograder en " s'élevant jusqu'à la force vitale médicatrice, parce que " c'est là, disent-ils, de l'ancienne médecine " " Je répéterai donc ce qne j'ai déjà dit ailleurs, que " l'ancienneté n'est pas la vieillesse, et que la vérité ne — 409 — " vieillit point, parce qu'elle est immortelle. Une an- " cienne vérité peut bien, pendant un temps, être obscur- " cie ou méconnue ; mais elle reparaît tôt ou tard avec " toute sa vigueur primitive, et même avec une nouvelle " autorité ; car c'est bien d'elle qu'on peut dire : Pires " acquirit eundo. Plus elle traverse de ces nuages qu'a- " moncèlent sur ses pas les préjugés et les sophismes, plus " elle grandit et se développe. " Les faux systèmes, au contraire, vieillissent réelle- " ment, parce qu'étant, de leur nature, périssables, " comme l'erreur et le mensonge, ils doivent passer né- " cessairement par les différentes phases de toute vie tem- " poraire, qui sont la jeunesse, la maturité et la décrépi- " tude : c'est ce que l'histoire de la médecine nous ensei- " gne à chaque page. Que de systèmes se sont succédés, " qui tous ont eu leurs jours de jeunesse, et se sont pro- " mis un long avenir ! Et cependant leur règne éphémère " n'a-t-il pas toujours fini par un nouveau triomphe de " ces vérités fondamentales de la médecine, que nous " comprenons sous le nom d'hippocratisme, qui ont été di- " versement formulées suivant l'état de la science, mais " qui ont toujours présidé à son développement ? Il est " de fait que chaque siècle a eu, dans chaque pays, ses " écoles hippocratiques, qui se sont toujours élevées sur " les débris des derniers systèmes, et qu?on a toujours dû " à ces écoles les progrès les plus réels, les plus incontes- " tables de la médecine. " " Que les zélateurs des systèmes transitoires cessent " donc de se faire illusion, et qu'ils n'espèrent plus don- " ner le change à leurs lecteurs. La médecine qu'ils " appellent ancienne, et qui se glorifie de cette qualifica- — 410 — " tion, n'a point vieilli et ne vieillira point. Elle n'a be- " soin que de coordonner avec ses principes immuables les " découvertes modernes et l'état présent de la science, " pour se montrer dans toute la fraîcheur, dans toute la " force de son éternelle jeunesse. C'est elle, je n'en " doute point, qui sera la Nouvelle doctrine pour la gêné- " ration médicale qui s'élève. " CONCLUSION. Les épigraphes que porte chacune des trois parties de notre travail le résument complètement. 1° Nihilestin intellectu, quod priùs non fuerit in sesu, .. . Disent les sensualistes.... nisi Intellectus — ajoutent les spiritualistes, avec Leibnitz. 2 ° Morborum Natura Medicatrix. Hippocrate. 3 ° Firma et Constans est veritas, fluxœ sunt et evanidœ opiniones. Stahl. " Attachés à la logique timide et conjecturale de la " médecine ; fixés à l'étude et à la peinture de l'état sain; " spécialement occupés de l'état de maladie dans lequel " les ressorts et le jeu de l'économie animale se montrent " plus à nu, nous avons essayé de profiter des découver- " tes et des vérités connues.—Il a fallu ajouter quelque " chose à la parure simple et modeste des anciens ; il a " fallu retrancher du luxe des modernes.—On le sait, ils ' ' se partagèrent (les anciens et les modernes) en deux " grandes sectes, les humoristes et les solidistes.... Ceux- " ci négligèrent l'étude des humeurs... ils se lièrent peu à " peu aux anatomistes, aux mécaniciens, qui ont fait tant " de bruit avec leurs automates, leurs calculs, et leurs ex- — 412 — " périences physiques.—Les humoristes___reprirent de " nouvelles forces parmi les pneumatiques, et dans les " écoles de Galien.—Us se joignirent enfin aux chimistes. " —Nous avons respecté ces deux sectes et profité de " leurs leçons, en les combinant et en les adoucissant " l'une par l'autre. Il était important d'éviter les écueils " des systèmes outrés et excessifs.—Nous sommes de- " meures attachés à ce dogme mixte et composé, qui a " été du goût de beaucoup de bonnes têtes et qu'on dési- " gna autrefois parle nom de Secte éclectique. " (Bordeu.) La lecture de notre Mémoire a dû prouver jusqu'à quel point nous avons le droit de tenir aussi ce langage. Uy a en effet un éclectisme qui nous paraît légitime et un autre, que nous repoussons de toutes nos forces : Ainsi l'éclectisme qui veut que la médecine pour se constituer, travaille successivement sur les deux routes de la synthèse et de l'analyse, sans exclusion ni de l'une ni de l'autre, l'éclectisme qui veut que le médecin s'éclaire et des lumières de l'intelligence et de celles des sens diri- gés par l'intelligence, cet éclectisme-là, nous l'avons dit, est celui auquel nous appartenons; c'est celui de Bordeu. —Quant à l'éclectisme qui prétendrait qu'on doit être autant analytique que synthétique, autant sensualiste que spiritualiste, quant à cet éclectisme surtout, qui tout à fait inacceptable, voudrait que l'analyse passât avant la synthèse, les sens avant l'esprit, celui-là nous le laissons aux sceptiques, condamnés à un empirisme grossier s'ils cherchent à être médecins. —Disciple du spiritualisme, il est à nos yeux certain, que la médecine, comme toute science, ne peut avoir pour base qu'un axiome ou premier-principe, la chose spiri- tuelle par excellence. — 413 — —L'Axiome fondamental pour la médecine, est, d'après Hippocrate, la Nature Médicatrice.—Le sens-commun, en effet, nous enseigne, de science certaine, que la na- ture (à l'aide d'une Force résidant en tout être vivant), travaille à ramener la santé, c'est-à-dire l'équilibre plus ou moins parfait des fonctions, toutes les fois que cet équilibre vient à être troublé.—Aussi, la médecine Hip- pocratique, essentiellement Vitaliste, est par excellence la médecine du Sens-Commun. — Nous avons vu que toute la Pathologie n'était que le développement de l'A- xiome fondamental de la Nature Médicatrice. Le sys- tème général de Pathologie, ainsi compris, offre donc YUnitéla plus complète. Or, l'Unité est déjà le caractère de la vérité. Deux autres caractères de la vérité sont la Perpétuité et l'Universalité. Dans la troisième partie de notre travail, nous avons essayé de montrer que le système général de Pathologie, développé dans la seconde, est le seul système qui ait été sontenu toujours et partout, par les hommes dont le mérite, comme médecins, a été le moins contesté: Hippocrate—Galien—Sydenham—Boerhaave. La Doc- trine traditionnelle, peut donc seule être la vraie. " Cette Doctrine est essentiellement pratique : une " fois bien comprise, elle s'empare de l'homme tout en- " tier pour le constituer médecin ; elle domine toutes ses " pensées, elle dirige toutes ses déterminations et ne lui " laisse pas perdre de vue un seul instant, le but de sa " noble mission, qui est de soulager, de consoler, de gué- " rir quand il le peut. Avec elle, il y a satisfaction de Vin- " telligence et du cœur dans l'exercice de la médecine. Sans " elle, cette double satisfaction ne saurait exister ; et dès ' lors il est aisé de concevoir comment on ne se préoc- — 414 — " cupe que des avantages matériels et pécuniaires qu'on " peut retirer de la profession médicale. " (Cayol.) Est-il besoin maintenant, d'insister beaucoup, pour faire comprendre combien la doctrine médicale traditionnelle est intimement unie à la doctrine religieuse traditionnelle! 11 est certain que la médecine ne peut point être séparée de la religion; comme pour toute science, la religion en est l'arôme ou le sel. Ecoutons Hippocrate, au Livre de la Décence : " La médecine doit participer à la sagesse ; mais elle y " tient principalement en ce qui concerne la connais- " sance de la Divinité, vers laquelle elle est ramenée " sans cesse. En voyant les divers accidents de la vie, " les médecins sont continuellement obligés de reconnaî- " tre sa Toute-Puissance. " " Us ne sauraient attribuer à leur art un vain pouvoir, " se voyant souvent déchus dans ce qu'ils entreprennent. " Et lorsque la médecine réussit, c'est à la Divinité " qu'elle en est redevable. Voilà comment la médecine " conduit à la sagesse.—Ceux même qui ne croient pas " à la Providence, sont obligés de la reconnaître, en exa- " minant ce qui se passe dans nos corps; ce qu'elle y opère " dans les changements des formes, et pareillement dans " les guérisons qui suivent les opérations de la main, ou " qui succèdent à l'usage tant des remèdes que d'un bon " régime. C'est ce dont il est le plus important d'être " convaincu. " N'est-ce point ensuite Galien qui a dit : qu'un traité d'anatomie est un hymne à la gloire de Dieu ! Mais si le corps de l'homme privé de vie est si admirable, combien plus l'est-il, animé du souffle de son créateur ! Mieux que l'anatomiste et le physiologiste, le médecin, — 415 — pour peu qu'il élève sa pensée, doit nécessairement avoir toujours présente l'idée de la Divinité. " Lorsque la mé- decine réussit, dit Hippocrate, c'est à la Divinité qu'elle en est redevable. " Et lorsqu'elle ne réussit pas, peut- elle ne pas sentir profondément son néant devant Dieu 1 Sentir profondément son néant, c'est adorer ! Disons donc, avec un écrivain dont le nom nous est inconnu : " Comme la religion, la médecine doit consoler " ceux qui souffrent ; comme le sacerdoce, elle émane di- " rectement de Dieu, et son ministère ne saurait être effi- " cace, sans l'intervention de Celui qui donne ou retire la " vie à son gré, et en qui réside pleinement la vraie " science. " FIN DU MÉMOIRE. — 417 — RÉPONSES À QUELQUES OBJECTIONS De M. le Docteur Roulland, Rapporteur de la Commission de Concours. Comme c'est dans un intérêt purement scientifique que je me décide à faire ces réponses, j'ai besoin de m'expli- quer avec une entière liberté; d'ailleurs je passerai sous silence les éloges que M. le Rapporteur a bien voulu don- ner à plusieurs parties de mon travail, non pas que j'y sois insensible, tant, s'en faut, mais parce que dans une discussion de la nature de celle-ci, tout ce qui touche aux personnes doit être écarté. Qu'il sache bien, cependant, que je suis le premier à reconnaître qu'il m'a traité avec une bienveillance extrême, et qu'ainsi il s'est acquis des droits à ma reconnaissance la plus vive. J'attache une importance fondamentale à la première partie de mon Mémoire, aux prolégomènes philosophi- ques. Je regretterais donc que M. le Rapporteur s'y fût a peine arrêté, si ce n'était pour moi la preuve qu'il n'a point eu d'objections sérieuses à y opposer. Je m'en féli- cite, mais ne m'en étonne pas. Je n'ai fait dans cette pre- 27 — 418 — mière partie que présenter la démonstration d'une vérité oubliée, méconnue, parmi les médecins principalement, mais consacrée de tout temps par l'enseignement de la saine logique. U est en effet certain qu'en bonne philo- sophie, on a toujours compris qu'une science quelconque ne peut avoir pour base, pour point de départ, pour com- mencement, qu'un principe ou axiome. Cette vérité a toujours été si bien comprise, que la philosophie, entraî- née dans le sensualisme, a dû respecter le mot, sinon la chose, et s'exposer à l'humiliation d'être convaincue de contradiction jusque dans les termes. Le sensualisme, en effet, n'a jamais osé dire que les sciences n'avaient point pour bases des principes : on ne l'aurait pas même écouté ; mais à force de ruse et d'adresse il a réussi à changer, à renverser la signification du mot principe, en quelque sorte sans qu'on s'en aperçût : ainsi, Quesnay, l'un de ses adeptes, dans le siècle dernier, a dit : " Un prin- " cipe... n'est principe, que parce qu'il est le résultat de " l'expérience"; et des intelligences d'élite, (Réveillé- Parise, par exemple), ont répété cette maxime subversive, l'ont citée, l'ont invoquée, sans soupçonner apparemment la contradiction flagrante qui existe entre ses termes. C'est pourtant ainsi que l'erreur s'insinue dans les es- prits, c'est en altérant, c'est en renversant la signification des mots : "Jamais, a dit Mgr Dupanloup, dans son dis- " cours de réception à l'Académie française, jamais une " idée fausse n'est entrée dans le monde, si ce n'est par " l'usurpation des mots justes dont elle s'empare, et dont " elle altère plus ou moins le sens." Or, quand l'idée fausse réussit à s'emparer de l'un de ces mots fondamen- taux, primordiaux, comme le mot principe, les conséquen- ces de cette usurpation doivent être incalculables. Nous — 419 — en avons un déplorable exemple dans notre propre science. En effet, du moment que la grande masse des médecins a accepté le renversement de la signification du mot prin- cipe, du moment que le principe de la science, (c'est-à- dire son commencement) a dû être le résultat de l'expé- rience, (c'est-à-dire sa fin), il n'y a plus eu de Doctrine médicale possible, et à l'heure qu'il est, on en est à la re- cherche des Bases de la Médecine. En vérité, il faut que l'envahissement du sensualisme ait été bien profond dans le corps médical, pour que nous en soyons réduits à cette extrémité. On peut même se demander si la génération actuelle ne passera pas, avant que le mal puisse être réparé. Mais il ne faut point dé- sespérer ; la vérité a des droits imprescriptibles. "Pour résister, l'idée juste s'appuie sur le bon sens, " c'est-à-dire sur le sens vrai des mots, des idées et des " choses; c'est là qu'est sa force naturelle ; elle n'en a " pas de plus grande parmi les hommes; c'est le der- " nier retranchement de l'humanité contre le men- " songe et l'erreur. 11 y a même par ordre providen- " tiel, certains mots où l'empreinte du bon sens est si " forte qu'ils résistent à tout ; et de là vient la persis- " tance singulière, la popularité constante des mots de " bon sens entre les hommes." (Mgr Dupanloup.) Le mot Principe est par excellence un mot de bon sens ; aussi a-t-il résisté. Et aujourd'hui on peut croire qu'il n'y a p!us qu'en face de médecins qu'on pourrait dire, sans provoquer les plus vives dénégations, qu'un Principe, (un Principe de sens-commun, Base d'une science quelconque), est le résultat de l'expérience. Que si l'on me reprochait de faire ici une querelle de mots, je répondrais, encore avec Mgr Dupanloup : — 420 — " .... Comme s'il pouvait y avoir entre les hommes des " querelles où les mots fussent peu de chose ! comme si " toutes les grandes révolutions humaines, bonnes ou " mauvaises, ne s'étaient pas accomplies par la puis- " sance des mots, c'est-à-dire par la puissance des idées " et des choses que les mots expriment....... et voilà " pourquoi le dictionnaire d'une nation est à mes yeux " une si grande puissance ! "....Oui il est beau ce travail " qui va chercher dans les idées vraies, dans les idées " premières, la lumière supérieure, à qui seule il appar- " tient de restituer leur sens véritable aux mots dégé- " nérés; qui repousse avec un soin persévérant les sens " étrangers, les significations fausses, les formations illé- " gitimes, et ces alliances qu'il est permis d'appeler " adultères ; qui rend enfin aux idées et aux choses leur " valeur réelle en les dégageant d'une phraséologie trom- " peuse, et écarte ainsi la corruption et la barbarie, qui " n'entrent jamais dans le langage sans annoncer aux " sociétés l'époque de leur décadence." Après ce magnifique éloge du Dictionnaire de l'A- cadémie, on me permettra j'espère de lui redemander le sens philosophique des mots Principe et Axiome, afin de voir si je m'en suis servi légitimement ou non dans mes prolégomènes. Voici les définitions de l'Académie : "Axiome, vérité " évidente par elle-même." "Principe en philosophie " se dit des premières et des plus évidentes vérités qui " peuvent être connues par la raison." Voici maintenant comment je me suis exprimé, page 4 : " Qu'est-ce qu'un Premier Principe ou Axiome ? c'est une vérité primordiale, (principium — commencement), c'est une vérité évidente par elle-même, c'est-à-dire au- — 421 — dessus de toute démonstration ; à plus forte raison est-elle au-dessus de l'expérience, et par conséquent complète- ment indépendante des sens. Or, à la page 40 du rapport on lit : " Pour l'auteur, " la méthode inductive ne saurait conduire à un principe " général, à ce qu'il appelle un Axiome, axiome sans "• lequel il ne peut y avoir de véritable doctrine." Si les définitions de l'Académie sont exactes, il est, en effet, évident que c'est par l'intuition et non par l'induc- tion, qu'on connaît les axiomes ou principes. Maintenant, est-il certain que, de toute nécessité, la Base de toute science doive reposer sur un Axiome ou Principe ? voici en quelques mots comment nous croyons l'avoir démontré : 1 ° l'observation, l'accumulation des faits, leur fécondation par l'esprit, si puissante qu'on la suppose, ne peuvent élever par l'induction qu'à des gé- néralités ; ces généralités pourront constituer des classes, mais des classes toujours variables ; elles pourront consti- tuer des règles mais des règles toujours sujettes à excep- tions : en sorte que, quoi qu'on fasse, l'induction la plus haute ne pourra jamais dépasser la conjecture, l'à-peu- près, et jamais n'atteindra à l'immuable, pas même au certain. Or, comment accepter pour base d'une science, ce qui n'est pas immuable, ce qui n'est pas pas même cer- tain? 2 ° Il nous paraît que pour arriver au certain, à des Lois au moins, l'inspiration est nécessaire. Et nous en convenons très volontiers avec M. le Rapporteur, page 41 : "Les conjectures des plus grands génies ne de- " viennent des vérités que lorsque l'observation et l'expé- " rience en ont démontré la réalité, et les conceptions " synthétiques vraiment belles ne peuvent être considé* — 422 — " rées que comme des vues à vérifier." Mais ces con- jectures devenues des vérités, ces conceptions synthéti- ques reconnues certaines, ne peuvent jamais être plus que des lois; or, des lois ne sont que des fractions d'une science ; d'ailleurs, des lois ne sont jamais immuables. Qui pourrait nier que Dieu ne soit le maître de suspendre ses lois, quand il lui plaît ? Les axiomes au contraire et les Premiers-Principes peuvent contenir toute une science, être toute une science en germe ou en puissance, puisque les connaissances fondamentales qui constituent cette science, en sont ex- traites et déduites, comme de simples conséquences ; de plus, les axiomes et principes sont immuables, puisqu'ils ne sont chacun pour sa part, qu'une des manifestations de la vérité éternelle. C'est donc à tort qu'à ma page 5, je n'ai parlé que de la certitude humaine des axiomes ou principes; c'est en pensant aux dogmes révélés que je me suis exprimé ainsi ; la certitude des axiomes ou Premiers- Principes est absolue. Si toutes ces propositions ne sont pas suffisamment établies dans mes prolégomènes, il eut été très important de le prouver, et de ne pas se contenter de dire que la Commission ne peut les admettre en entier, car les consé- quences qui en découlent sont décisives. Et tout de suite, il est évident que, s'il n'y a pas moyen d'arriver aux Bases de la Science par les faits, par l'observation, par l'induction, quiconque tentera cette entreprise ne man- quera pas d'y échouer ; se persuader qu'on y réussira, c'est être le jouet de quelque illusion. Or, la société de médecine de Caen demandait d'établir les Bases de la Science, et de les établir sur les faits observés et sur ce qu'ont présenté de vrai les différents systèmes. Si donc — 423 — je ne me suis pas conformé assez exactement à son pro- gramme, comme M. le Rapporteur me le reproche plu- sieurs fois, ce n'est pas que je ne l'aie point compris, c'est tout simplement, qu'à mon point de vue, cela ne se pou- vait pas. Pour se conformer au programme, il fallait d'abord être sensualiste, puisque d'après le rapport, "le sensua- " lisme s'appuie sur la constitution même de l'entende- " ment humain, sur le caractère de ses actes et de ses " résultats, etc---," (page 40); 11 fallait seconde- ment, être éclectique, puisqu'on demandait de fonder la " Doctrine sur les faits observés et sur ce qu'ont pré- " sente d'incontestablement vrai les systèmes patholo- " giques qui ont successivement prédominé dans la scien- " ce ;" Il fallait enfin croire qu'on a trouvé une Doctrine nouvelle, et nouvelle jusque dans ses Bases, puisque c'é- tait avant tout et pardessus tout, de Bases qu'il s'agissait, et de Bases, au niveau de l'état actuel de la science. Or, je suis spiritualiste avant tout, éclectique le moins possible et novateur en aucune façon. Pour me décider à soumettre mon travail au jugement de l'Académie de Caen, il m'a donc fallu compter beaucoup sur son in- dulgence, sur son impartialité, sur sa générosité même : elles ne m'ont point fait défaut. Passons maintenant à la seconde partie du rapport, qui a trait à l'exposition de la Doctrine. C'est avec un vrai plaisir que je trouve, à la page 14 du rapport la preuve d'une conformité de vue parfaite entre M. le Dr Roulland et moi, quant à l'antiquité des Bases de notre Science : " La médecine, y est-il dit, est " une Science dont les Bases ont été jetées il y a plus de — 424 — " deux mille ans ; la croire née d'hier, c'est s'exposer à " tomber dans les erreurs les plus grossières...." Au fond, on ne demandait donc pas aux concurrents d'établir les Bases de la médecine : ( c'est toujours l'œu- vre du génie de fonder une Doctrine ou une Science ) ; mais on leur demandait d'étudier ces Bases, jetées il y a plus de deux mille ans ; on leur demandait d'en montrer la profondeur et la solidité, puis ensuite les dimensions, toujours proportionnées aux agrandissements et aux per- fectionnements dont l'édifice scientifique est indéfini- ment susceptible. C'est du moins ainsi que j'ai interprété et commenté la question, en la dégageant de ce qu'elle avait emprunté à son origine sensualiste, éclectique et novatrice tout à la fois. Mais, s'il y a un si grand nombre de siècles que les Bases de la médecine ont été jetées, tous les médecins, ce semble, devraient être parfaitement édifiés, au moins sur ces premiers fondements de leur science. On sait trop qu'il n'en est rien. Pourtant il est incontestable qu'il se fait de nos jours une réaction profonde dans les esprits, en faveur du Vitalisme Hippocratique, ce vrai vi- talisme qui date de plus de quatre cents ans avant l'ère chrétienne : le concours de Caen ( 1851 ) est venu dé- montrer admirablement cette réaction vitaliste. En effet, voici ce qu'on lit, à la page 72 du rapport : " U est un " point, et c'est à notre sens le plus important, sur lequel " tous les concurrents sont d'accord, à savoir :.....qu'un " système ne saurait être vrai et durable, s'il ne prend " la vie, comme point de départ et comme fondement.*1 Puisque tous les concurrents sont arrivés à la même et vraie Base fondamentale, et nous avons démontré que la méthode synthétique seule peut y conduire, on devrait — 425 — pouvoir en conclure rigoureusement que nous avons tous travaillé dans la même voie. C'est à regret qu'il faut pourtant avouer le contraire. Comment donc expliquer une pareille anomalie? Encore par une usurpation de mots, ou plutôt par une extension illégitime donnée au sens du mot Fait, et aussi par son union adultère avec le mot général et surtout avec le mot principe. Malheu- reusement le mot Fait a un sens très vaste ; ses appli- cations impropres n'en sont que plus faciles ; Je sensua- lisme en a profité et largement abusé. Voici les défini- tions de l'Aacauémie : " Fait. Action, chose faite, ce qu'on " fait....." "Fait, se dit encore particulièrement, tant au " sens physique qu'au sens moral, de toute chose dont " on a reconnu, vérifié, constaté l'existence. " Or il est évident que lorsqu'il s'agit de Faits pour les médecins, (de faits ayant rapport à la vie du corps), c'est au sens physique qu'il faut prendre ce mot. Par conséquent, pour les médecins les faits sont des phénomènes sensibles et rien de plus. Les fait s médicaux sont donc des choses dont on reconnaît, vérifie et constate l'existence, par les sens. Ainsi les phénomènes de la vis, ou phénomènes vitaux sont des faits ; la vie en est la cause, bien distincte de ces faits vitaux qui n'en sont que la manifestation ou les effets Dire que la vie est un fait, c'est donc confondre la cause avec l'effet. Et parce que le sensualisme a réussi à pro- duire cette confusion dans les esprits, quelques médecins sensualistes se persuadent qu'ils peuvent être vitalistes ; qu'ils y réfléchissent, et ils verront clairement que pour être vitaliste légitime, il faut être spiritualiste ; la soli- darité est ici on ne peut plus étroite. La vie, en tant que Principe, n'est-elle pas un profond — 426 — mystère ? Les plus grands génies n'ont-ils pas vainement essayé de la définir ? Cependant parlez de la vie, devant des ignorants, aussi bien que devant des savants, tous vous comprendront ; tous, sans exception, et sans avoir besoin du moindre fait, de la moindre expérience, par un acte pur de l'esprit, par intuition, c'est-à-dire par le simple bon-sens, tous reconnaîtront que dans tout être vi- vant, il y ace qu'il faut pour vivre, il y a la vie; et voilà l'axiome, sous sa plus simple expression, aussi évident, aussi clair, aussi absolu que cet autre : Il n'y a point d'effet sans cause. On voit donc positivement que les besoins extrêmes du sensualisme ont seuls poussé à cette extension déplo- rable, qui permet de confondre le fait avec l'axiome, la vérité de fait avec la vérité de raison, l'effet avec la cause.... Nous l'avons déjà dit : Le fait, pour le médecin, ne pouvant être plus qu'un phénomène sensible, reste de toute nécessité, fini, borné, particulier, comme tout ce qui est matériel, mais, reste certain de toute la certitude des sens ; ce n'est ensuite que par une opération de l'esprit que nous rapprochons les faits, les comparons, et en tirons des généralités, ou en composons des classes. Mais assemblez une multitude de faits, aussi grande que votre imagination peut la concevoir, à quoi arriverez vous? à l'indéfini, jamais à l'absolu. L'addition des faits peut donc conduire a des généralités plus ou moins éten- dues, mais jamais à l'universalité. Donc, de faits cer- tains par eux-mêmes, on ne peut jamais tirer que des gé- néralisations plus ou moins probables, et voilà tout. Nous avons donc fait remarquer qu'en conséquence, une gé- néralité ou généralisation, quelle qu'elle soit, ne devrait — 427 — jamais être appelée Fait général Quant au Fait-Prin- cipe, l'Académie n'en fait même pas mention. La vie, c'est donc le principe des êtres vivants. Pour les physiologistes en particulier, c'est le principe des fonc- tions des corps organisés. La vie considérée comme cause, d'une manière aussi générale doit être la Base non seulement de la médecine mais encore de toutes les Sciences physiologiques, de celles qui étudient les végé- taux, comme de celles qui étudient les anirqaux. Si le plus souvent, quand il s'agit de la cause ou du Principe des phénomènes de la vie on ne parle que de la nature, on ne la considère pourtant que comme une cause seconde; mais il est impossible de s'y arrêter; il faut s'élever jusqu'à la Cause Première, jusqu'au Principe des Principes, et alors on voit clairement que l'acte conser- vateur et lacté créateur sont un seul et même acte ; ce qui est un axiome en bonne philosophie, tout comme en théo- logie. Nous avons tenu à élargir ainsi le point de vue de notre Base fondamentale, afin de montrer que la méde- cine et les sciences physiologiques, comme toutes les sciences, découlent de Y Unité divine. Mais ensuite, considérant la Fie comme fondement de toutes les sciences physiologiques, nous avons dû re- connaître que cette Vérité Première ne regarde la méde- cine que par l'une de ses faces, s'il est permis de s'ex- primer ainsi. Car, que le corps vivant soit sain ou qu'il soit malade, c'est sans doute toujours par sa Force vitale qu'il existe et résiste, mais ce n'est que s'il est malade que le médecin doit spécialement s'en occuper ; en sorte que le médecin est appelé à diriger la Force vitale, non pas tant comme Force conservatrice que comme Force — 428 — médicatrice. Et voilà comment nous nous sommes ar- rêté au Principe Hippocratique, morborum natura me- dicatrix, pour fondement de la médecine. "Morborum natura médicatrix. Tel est, dit le rapport, " le Fait-Principe, tel est l'axiome sur lequel l'auteur " s'efforce d'établir sa doctrine pathologique." Les développements qui précèdent répondent suffisam- ment à ce passage du rapport. La nature médicatrice n'est pas plus un Fait qu'une Entité! c'est la lutte de la vie qui se défend, contre toutes les causes de troubles et de destruction prématurée ; et la Pathologie n'est pas autre chose que la science qui étudie toutes les phases de cette lutte, et dans ses causes et dans ses péripéties, e* dans ses résultats de toutes sortes, afin d'établir les règles de l'art conservateur et réparateur, Y Ait de guérir. Le fonds de ces idées-mères, il va sans dire, ne m'appar- tient pas ; il appartient à titre d'héritage à tous les dis- ciples de la doctrine traditionnelle. Cependant, à cer- tains moments, quelques uns de ces disciples, passés maîtres, s'emparent de ces idées, les expriment si exac- tement, les mettent si parfaitement au niveau de la science de leur époque, que pendant un temps, elles de- viennent comme leur propriété. C'est ainsi que jusqu'à Stoll, l'idée de la fièvre, au point de vue vitaliste et hip- pocratiste, n'avait jamais été rendue aussi heureusement que dans sa célèbre définition : "La fièvre est un effort " de la vie qui repousse la mort." De nos jours, le créateur de YHippocratisme moderne, le professeur Cayol, a donné de la fièvre et de l'inflam- mation, des définitions mieux en rapport avec l'état de la science; au moins en ai-je jugé ainsi, et c'est pourquoi j'ai reproduit textuellement les formules de ces deux — 429 — grands actes vitaux pathologiques, telles que cet illustre maître les a données. M. le Rapporteur semble m'en blâmer à la page 47, quand il dit : " Suivant l'auteur, et " ici il ne fait guère que copier M. Cayol, la réaction vi- 14 taie peut être générale ou locale, etc., " Reproduire, dans toute leur intégrité, des formules, proposées par un maître de la science, est-ce copier ? Loin de le penser, si j'ai quelque crainte de ce côté, c'est bien plutôt de n'a- voir pas assez cité le professeur Cayol, c'est de n'avoir pas assez dit ce que je dois à l'étude, à la méditation de ses écrits. Sans doute, son enseignement à la Faculté de Paris, de 1822 à 1830, a laissé des traces qui ne s'effa- ceront pas; sans doute, l'histoire de la médecine au 19ème siècle rappellera ses luttes avec Broussais ; mais en at- tendant cette justice de l'histoire, on semble aujourd'hui prendre à tâche, ou plutôt c'est un parti pris, dans un certain cercle, de ne plus même prononcer son nom. Je demanderai donc la permission de reproduire ici quelques souvenirs du temps de son professorat officiel ; je les em- prunterai à des notes rédigées et publiées en 1829 par le Dr Leth, précisément sur cette question des Bases de la médecine que nous étudions dans ce mémoire. " En substituant à l'irritabilité la Force vitale, et à " l'irritation la réaction, le Professeur Cayol n'est point " sorti du domaine des faits, mais il a pris pourpoint de " départ un fait plus important, plus général, et d'un " ordre plus élevé que celui qui sert de base à la doctrine " de l'irritation. 11 n'a fait, au reste, en cela, comme il " le dit lui-même tous les jours, que se placer au point de Lt vue de la médecine hippocratique, point de vue émi- " rient, qui domine les théories physiologiques modernes, " et qui est d'ailleurs dans un parfait accord avec la — 430 — " méthode Newtonienne. Car la force vitale est aux corps " organisés ce que l'attraction est à la matière brute ou " inorganique. En proclamant cette loi primordiale de " l'organisation, Hippocrate a fait pour la physiologie " ce que Newton fit plus tard pour la physique géné- " raie : Hippocrate est donc le Newton de la médecine, " suivant l'expression de M. Cayol. " Du vivant du physiologisme de Broussais, il y a déjà plus de vingt-cinq ans, le sensualisme était dans le corps médical, bien autrement puissant qu'il ne l'est aujour- d'hui. C'est alors que les faits étaient, sans conteste, admis comme fondements de la science ; c'est alors qu'il fallait sous peine de n'être pas écouté, ne parler aux élèves que d'observation, d'expérience, de faits surtout, et de faits partout. Si donc on parlait de faits-généraux et presque de faits-principes à la clinique du professeur Cayol, avant 1830, c'était uniquement par concession aux exigences tynmniques de la philosophie dominante de cette époque : la preuve que le professeur Cayol n'en restait pas moins spiritualiste et vitaliste pur, je la trouve dans l'introduction de sa clinique, publiée en 1833. Voici le début de cette introduction : " La médecine, comme toutes les sciences, repose sur " quelques vérités de sens-commun, qui n'appartiennent " à aucun homme, ni à aucun peuple en particulier, " mais à l'humanité tout entière. Ainsi le mouvement, " l'étendue et la pesanteur des corps, pour la physique " générale, la sociabilité de l'homme pour les sciences " morales et politiques, et, enfin, pour les sciences médi- " cales la vie, avec ses caractères et ses attributs, tels qu'ils " se manifestent à nos yeux, sont autant de vérités qu'on " peut appeler primordiales, relativement à chacune de — 431 — " ces sciences, et qui appartiennent au sens-commun, puis 14 qu'elles sont universellement reconnues, indépendam- 41 ment de toute démonstration, et qu'elles n'ont pas " moins d'évidence pour l'ignorant que pour le savant. De ces dernières citations il résulte que depuis plus de trente ans le professeur Cayol enseigne, et à l'Ecole et dans les journaux de médecine, que la vie, mais la vie dégagée de toute hypothèse sur son essence, est le fonde- ment de la médecine. Il a même comparé la force vitale à la force d'attraction et de gravitation, sans se préoc- cuper de la nature intime de ces forces ; mais s'il a rap- pelé Newton à propos du système du monde, c'était pour rappeler Hippocrate à propos du système médical. Que la vie ou la force vitale, soit un fait primitif pour les sensualistes, qu'elle soit un premier-principe pour les spiritualistes, c'est Jà, en apparence, une querelle de mots, mais cette prétendue querelle de mots qui parais- sait dépourvue d'intérêt, il y a vingt-cinq ans, en a beau- coup de nos jours, où tout semble vouloir se reconstituer franchement et largement sur de vraies bases. C'est pour- quoi je suis entré hardiment dans le fond de la question» dès le début de mon travail, et c'est pourquoi j'y reviens encore avec quelques développements. La cause du sensualisme est aujourd'hui à jamais per- due, aux yeux de ceux qui se sont tenus un peu au cou- rant du mouvement de la philosophie contemporaine ; il est donc temps de lui faire son procès devant le corps mé- dical, un peu attardé du côté philosophique, par ses im- menses travaux de détail. A l'heure qu'il est, la philosophie de Descartes est en honneur à l'Académie des sciences..., et c'est presque un acte de patriotisme. 11 va donc falloir que les médecins — 432 — fiançais obéissent à cette noble impulsion, et reconnais- sent qu'il y a une autre méthode que la méthode analyti- que. Espérons même que le moment n'est pas éloigné, où le grand nombre se laissera conduire sur les hauteurs de la synthèse, d'où l'on peut jouir de ces grandes vues qui seules embrassent l'ensemble des choses, espérons-le, puisque les travaux des médecins sur la route de l'analyse sont assez avancés pour ne pouvoir plus guère être conti- nués qu'à l'aide du microscope. L'infini ment petit conduit, élève nécessairement à l'infiniment grand ! Quand donc les yeux du corps, même armés des instruments de phy- sique, seront devenus insuffisants, on aura peut-être de nouveau recours aux yeux de l'esprit, et ainsi la microsco- pie ramènera à l'ontologie ! Alors, les derniers disci- ples de Broussais, bien plus nombreux qu'ils ne le croient eux-mêmes, un peu revenus des vaines terreurs qu'il avait su exciter dans leurs imaginations, en travestissant et en évoquant sans cesse les mots entités, causes occultes, être de raison,etc, finiront par admettre que l'étude de la mé- taphysique n'est ni aussi nuageuse, ni aussi stérile qu'on le leur avait persuadé. La métaphysique n'est-elle donc pas la plus élevée, et la plus magnifique des sciences hu- maines ! Dire que "malheureusement la métaphysique " domine trop dans mon travail", c'est, à mon sens, me dire une chose bien flatteuse ; et, en définitive, la méta- physique, enseignant les Premiers-Principes de nos con- naissances, et la question mise au concours, demandant d'étudier, sur quels premiers-principes repose la médecine, c'était évidemment et principalement une question de métaphysique. A mon tour, s'il m'était permis d'avoir un avis sur les tendances du rapport de la Commission, très bien fait — 433 — d'ailleurs, je dirais qu'elles sont un peu trop exclusivement sensualistes ; je les eusse aimées mieux, même encore plus éclectiques. Mais ce qui me choque véritablement, et ce qui me paraît regrettable, c'est de trouver dans ce rapport, de ces réminiscences broussaisiennes, tout à fait vieillies, et par conséquent devenues banales, comme celle- ci, par exemple : "Certes, Messieurs, nous sommes loin " de nier l'altération primitive des humeurs, mais il n'est " pas nécessaire de recourir à des causes occultes, derniers " lambeaux de cette ontologie, qui a si longtemps arrêté " l'essor de la médecine." En vérité, il est étrange de voir mettre les causes occultes sur le compte de l'ontologie! De quelle ontologie, est-il donc ici question ? Passe en- core si on avait parlé d'ontologisme. Mais cette subtile distinction, entre l'ontologie et Yontologisme, faite récem- ment devant l'Académie de Médecine, par le principal successeur de Broussais, est peut-être nouvelle ; elle est peut-être l'indice d'un nouveau progrès! celui-là pour- tant serait très réel, et très acceptable, car enfin on com- prend qu'il serait bon de mettre les médecins en garde contre Yontologisme, comme il eût été bon qu'ils s'y fus- sent toujours tenus contre le philosophisme. Ce qu'il y a d'inexplicable dans ces réminiscences broussaisiennes du rapport, c'est qu'elles tendent à insi- nuer qu'admettre des virus et des miasmes, comme causes morbifiques, qu'admettre l'intoxication du sang dans une foule d'affections, telles que la variole, la scarlatine, les fièvres paludéennes, etc., c'est évoquer des causes occultes, des êtres de raison, etc... Mais il est pourtant incontesta- ble que de tout temps, on a reconnu la double source des causes morbifiques, et la source humorale et la source étrangère à l'organisme ; telle a été sur ce sujet l'opinion 28 — 434 — traditionnelle, depuis Hippocrate jusqu'au professeur Andral, cité plusieurs fois avec honneur par la Commis- sion. A la vérité, pour Hippocrate, à la page 49 le rap- port nie qu'il ait admis la source étiologique étrangère à l'organisme : "Hippocrate n'a pas cru nécessaire, dit le " rapport, d'appeler à son aide des agents morbides étran- " gers à l'organisme" ; mais à la page 50, il prouve le contraire, en rappelant quelques passages de la collection hippocratique, clans lesquels, "Hippocrate, avec une re- " marquable hardiesse de vue, suppose dans l'air la pré- " sence de corpuscules invisibles, ou miasmes, les uns prin- " cipes de vie, les autres principes de mort." Voilà donc Hippocrate convaincu "d'avoir donné dans les sciences oc- cultes!... Quant au professeur Andral, il n'a pas été moins hardi qu'Hippocrate; j'en trouve la preuve dans quelques uns des passages de son Essai d'hématologie, cités aux pages 235, 245 et 246 de mon mémoire ; en voici quel- ques uns : ".....Dans les solides et dans le sang, on peut " plus ou moins souvent constater des altérations ; mais " elles ne sont que des effets, d'une cause cachée, qui do- " mine l'organisme.....U y a pour moi dans tous ces cas, " (variole, fièvre typhoïde, scarlatine, etc.), une véritable " intoxication." (Andral.) La question des matières fébriles, (reconnues comme réelles par toute la tradition médicale, mais qui resteront probablement longtemps encore des causes cachées, sinon des causes occultes), a une très grande importance pour la théorie des fièvres, du moins des^è^re-s primitives, autre- fois dites essentielles. Supposé que l'admission des ma- tières fébriles soit une simple hypothèse, c'est une hypo- thèse nécessaire à la doctrine des crises et des jours criti- ques, telle qu'elle nous a été transmise d'âge en âge. En — 435 — effet, les mouvements fébriles et les crises qui les jugent, ne sont pas autre chose que cette série plus ou moins ré- gulière de phénomènes qui accompagne l'élaborotion, la coction, et l'évacuation de la matière fébrile. Mais j'oublie que l'observation moderne, suivant l'ex- pression du rapport, n'admet que dans des cas rares les phénomènes critiques, et n'accepte que plus difficilement encore les jours critiques. Qu'est-ce donc que l'observa- tion moderne ? La doctrine des crises et des jours critiques, avec des fortunes diverses, il est vrai, a été universellement reconnue, depuis Uippocrate jusqu'à Broussais exclusive- ment. Opposer l'observation moderne à l'observation tra- ditionnelle, sur la question des crises, c'est par conséquent, opposer l'expérience de 25 années, à celle de 25 siècles ! .......Mais il est temps de nous arrêter. On Je voit donc, c'est sur tous les points fondamentaux que mon mémoire s'est trouvé en opposition avec la commission chargée de l'examiner. Et cependant, elle l'a jugé avec une telle faveur que certainement toutes les espérances que j'avais pu former, se sont trouvées dépassées. Ma conviction est que ce résultat est dû, d'abord à ce que la Vérité a en elle-même une force qui peut se passer de secours étran- gers ; mais il est dû aussi au retour des esprits vers l'en- seignement vitaliste et traditionnel ; il est dû surtout à la bienveillance, à la générosité qui se trouvent toujours là où l'esprit et le cœur sont haut placés, et qui par consé- quent ne pouvaient pas manquer de se manifester chez les membres de la Société de Médecine de Caen, si re- marquée depuis quelques années, pour l'élévation qu'elle sait donner à ses travaux. Si dans les réponses qu'on vient de lire, quelques ex- pressions ont pu paraître un peu vives, il faut les mettre — 436 — sur le compte du besoin que j'éprouve de défendre mes convictions, avec toute la force possible, mais il ne faut pas supposer chez moi la moindre intention de blesser. Loin de là, j'aurais voulu n'avoir que ma reconnaissance à exprimer, au lieu d'entrer dans les discussions qui m'ont paru nécessaires. En terminant, je prie encore M. le Docteur Roulland de recevoir mes remercîments pour sa bonté à mon égard. — 437 — NOTES. No I. (page 50.) Essayons^ donc quelques conjectures sur les Forces qui animent la matière. Je tiens à faire remarquer que c'est dans mes études préliminaires, et non pas dans mes études pathologiques proprement dites, que j'ai discuté l'hypothèse du médium plasticum ou substance intermédiaire entre l'esprit et la matière, pouvant établir une fusion insensible de l'un à l'autre. Quand il s'est agi d'exposer la Base fondamen- tale de la science médicale, Base qui est la Vie ou Force Vitale, il a été nécessaire de la considérer comme Principe, abstraction faite de toute supposition sur son essence. D'ailleurs, c'est en généralisant la question de la manière la plus complète, que je me suis demandé si la notion de force n'implique pas l'existence d'une substance entre la matière et l'esprit, substance active, et par conséquent immatérielle, substance inintelligente, irra- tionnelle, et par conséquent distincte de l'esprit. Or, je dois lo dire, plus j'étudie ce sujet, et plus il me paraît que l'admission du médium plasticum est utile à l'intelligence d'une foule de questions. Par ex- emple, la MonJidologie de Leibnitz était toujours restée pour moi en- veloppée de difficultés insurmontables; avec l'hypothèse des natures plastiques de l'antiquité, elle me paraît très simple et très ingénieuse. Pourtant Leibnitz ne s'est pas arrêté à cette hypothèse qui rendait inutile son système de l'harmonie préétablie. La notion de force, introduite en métaphysique, comme elle l'a été par Leibnitz, était une révolution dans le cartésianisme;.... car, la Force de Leibnitz, c'est Yentéléchie d'Aristote, c'est Vênormon d'Hip- pocrate..... Je le répète: avec l'admission des natures plastiques, toutes les théories leibnitziennes sur les Forces, me paraissent très lumi- neuses, sans cette admission, elles me paraissent profondément obs- cures. Mais j'oublie que c'est une simple note que j'écris; or, mon prin- cipal but est d'y montrer l'entière liberté que l'Eglise Catholique laisse à tous, sur l'affirmation ou la négation du médium plasticum d'une manière générale. Je citerai d'abord le comte de Maistre dont voici un remarquable passage, extrait de son Essai sur les sacrifices : "Je n'ignore pas que la doctrine des deux âmes fut condamnée " dans les temps anciens, mais je ne sais si elle le fut par un tribunal " compétent : d'ailleurs il suffit de s'entendre. Que l'homme soit un " être résultant de l'union de deux âmes, c'est-à-dire de deux Prin- " cipes intelligents de même nature, dont l'un est bon et l'autre mau- — 438 — '•' vais, c'est je crois, l'opinion qui aurait été condamnée, et que je " condamne aussi de tout mon cœur. Mais que l'intelligence so'.t la " mêmi' chose que le Principe sensible, ou que ce Principe qu'on " appelle aussi le Principe Vital, et qui est la vie. puisse être quel- " que chose de matériel, absolument dénué de connaissance et de " conscience, c'est ce que je ne croirai jamais, à moins qu'il ne " m'arrivât d'être averti que je me trompe par la seule puissance " qui ait une autorité légitime sur la croyance humaine. Dans ce " cas, je ne balancerais pas un instant, et au lieu que, dans ce mo- il ment, je n'ai que la certitude d'avoir raison, j'aurais alors la foi d'a- " voir tort." On ne prouve rien contre les natures plastiques, en citant l'une des décisions du concile de Vienne de 1311 : car, soutenir qu'il existe une substance intermédiaire, immatérielle et non-spirituelle, entre l'intel- ligence de l'homme et la matière de son corps, (et dans le macro-cosme comme dans le micro-cosme), ce n'est pas soutenir du tout que l'âme raisonnable n'est pas essentiellement la forme du corps humain. Or, c'est cette dernière opinion toute seule que le concile général de 1311 a condamnée, à propos des erreurs attribuées au frère-mineur Jean d'Olive. Le comte de Maistre qui certainement devait tenir à ne pas se brouiller avec St-Thomas d'Aquin, aurait consenti, j'en ai la conviction, à prendre pour épigraphe de son Essai sur les Sa- crifices, la célèbre formule Thomiste : 'Una tantum est anima in- tellectiva...." Que si pour quelques uns, l'autorité de ce grand apologiste de l'Eglise, n'est pas suffisante, sur de pareilles questions, j'en citerai une autre, incontestablament compétente, celle du chanoine Muzzarelli, Théologien de la sainte Pénitencerie : Voici ce que j'ai lu dans un de Bes chapitres sur la métaphysique: "Dieu a pu créer un Troisième " genre de substance, entre l'esprit et la matière ; l'âme des bêtes peut " être de ce genre. Personne ne contestera cette proposition; mais " vous également si vous êtes philosophe, vous ne dépasserez pas " ces bornes." Pour nous médecins, qui ne sommes point théologiens, et pas même philosophes, nous ferions décidément mieux de ne pas nous lancer dans ces hautes et mystérieuses études ; car dit F. Hoffmann, "C'est " une question qui appartient plutôt à la haute métaphysique qu'à " là médecine, d'examiner s'il n'y a pas entre le corps et l'esprit, une 11 substance qui soit un élément très pur, très simple et homogène, " propre à recevoir les impressions, et à les produire suivant les " règles des réactions." — 439 — No II. (page 65.) L'homme est tout ensemble, et un animal et un esprit, ne formant qu'un seul et même être. iHomo persona est una, et animal unxim, e spiritu et carne concretum.' (6T.-ATHANASE.) No III. (page 71.) Le sang est la source de la vie animale.... "Vous ne mangerez point le sang des animaux qui est leur vie." {Gen. IX. 4. 5.) "La vie de la chair est dans le sang, c'est pourquoi je vous l'ai " donné, afin qu'il soit répandu sur l'autel pour l'expiation de vos " péchés; car c'est par le sang que l'âme sera purifiée. (Lev. XIII U.) "Gardez-vous de manger le sang des animaux, car leur sang est " leur vie ; ainsi vous ne devez pas manger avec leur chair ce qui est " leur vie ; mms vous répandrez ce sang sur la terre comme l'eau. " (Dent. XII. 23. 24. etc. etc ...)" "Voici ce qu'on ht dans les Recherches Asiastiques: c'est une opinion " du moins aussi ancienne que Pline, que le sang est un fluide vivant; " mais il était réservé au célèbre physiologiste Hunter de placer " cette opinion au rang de ces vérités dont il n'est plus possible de " disputer." — "On a vu, ajoute le comte de Maistre, à qui j'emprunte *' ces notes, que Pline est bien jeune comparé à l'opinion de la vitalité " du sang....—Déplus, le chevalier Rosa, en Italie, bien avant Hunter, " avait dit, que le principe vital réside dans le sang—mais, quand " Rosa aurait tout dit, qu'importe ? l'honneur de la priorité pour le " système de la vitalité du sang ne lui serait point accordé. Sa pa- " trie n'a ni flottes, ni armées, ni colonies : tant pis pour elle et tant " pis pour lui." No IV, (page 283.) Il est certain que les bâtiments négriers n'en sont pas la source (de la fièvre jaune); voici pour quelles raisons, etc. : Quand j'ai ainsi contredit M. Audouard, je ne connaissais que par ouï-dire son opinion sur l'origine de la fièvre-jaune. Depuis que j'ai lu ce qu'il a publié dans la Revue-Médicale, à différentes épo- ques, sur cette intéressante question, j'avoue que je suis au moins séduit par son ingénieuse idée. Les deux arguments que je lui ai opposés ne signifient rien : 1 ° Si depuis longtemps les bâtiments négriers ne peuvent plus rentrer dans les ports des Etats-Unis char- gés de nègres, quelques uns y reviennent, plus ou moins vidés et nettoyés, après avoir fait la traite clandestinement au profit des payi — 440 — espagnols. Or, après avoir été les foyers d'infection les plus hor- ribles qu'on puisse imaginer, on conçoit qu'ils puissent être longtemps encore, les véhicules d'agents morbides spéciaux. 2 ° Les nègres peuvent très bien, pendant leur traversée d'Afrique en Amérique, succomber au Ship-fever, au typhus, etc., ils peuvent en outre n'être point susceptibles de présenter ordinairement les symptômes de la fièvre jaune observée chez les blancs, et cependant, par leur entas- sement, par leur encombrement dans la cale d'un navire, donner naissance à des virus spéciaux, plus ou moins inertes pour eux, mais agents morbifiques de la fièvre-jaune, pour les blancs qui se trouvent dans des conditions favorables à la manifestation de cette fièvre. Depuis dix ans que je pratique la médecine à la Nouvelle-Orléans, j'ai vu constamment les nègres, toutes choses égales d'ailleurs, ré- sister, beaucoup moins bien que les blancs, au choléra ; et par oppo- sition, les blancs résister, moins bien que les nègres, aux fièvres caractérisées par des déjections noires. Ainsi, presque chaque année, pendant le règne plus ou moins marqué de la fièvre-jaune, j'ai eu à soigner des nègres ou négresses, venus récemment du nord et conséquemment non-acclimatés : je n'en ai jamais vu succomber à la fièvre d'acclimatement qu'ils manquent rarement de faire, dès leur premier été en ville, et aucun ne m'a présenté les symptômes de la vraie fièvre-jaune. Si au milieu de la terrible épidémie de 1853, un petit nègre de 4 ans, confié à mes soins, est mort avec le vomissement noir, marc de café, il me serait possible de prouver qu'il a succombé à une fièvre pernicieuse déforme atrabilaire, et non pas à la fièvre-jaune. A ce propos, j'aurais bien des choses à dire sur les difficultés du diagnostic différentiel des fièvres atrabilaires, les unes d'origine ani- male, (fièvre-jaune, typhus amarile, vomito nigro, etc.), les autres d'origine végétale (fièvres paludéennes avec vomissements noirs, ictère et pétéchies.) Mais ce sujet est trop important pour être abordé dans une simple note. Table des Matières. —. «.— Dédicace.................... l Introduction.................. IX Première Partie. Prolégomkkes philosophiques............. 1 Deuxième Partie. SECTION PREMIÈRE. — Eludes préliminaires. CHAPITRE PREMIER. Base fondamentale................ 39 CHAPITRE II. De la Force conservatrice............. 44 $ I. De la Vie et de la Force vitale.........44 $ II. Des Lois de la Nature............61 § III. De la Force vitale dans l'Homme et dans les Animaux. 63 CHAPITRE III. Quelques Vues d'Anatomie synthétique de l'Homme. . . 71 $ I. Du Sang.................71 $ II. Du Coeur................. 72 $ III. Du Cerveau, du Poumon et du Foie;...... 74 $ IV. Des Glandes et des Membranes.........7G $ V. De la Formation de nos Organes et des Tissus qui les composent.................... 80 CHAPITRE IV. Quelques Considérations de Physiologie médicale. ... 85 $ I. Trois Voies dans l'Homme...........8g: $ II. Des premières Voies (Digestion)......... 87 $ III. Des secondes Voies (Respiration)........gg % IV, Des troisièmes Voies (Innervation)........ 9$. 19 442 TABLE DES MATIÈRES. $ V. Du Sang étudié vivant......... 105 $ VI. De la Caloricité............ 108 $ VIL Des Sécrétions et Excrétions glandulaires...... no CHAPITRE V. Des Tempéraments................jlg $ I. Du Tempérament nerveux (troisièmes voies).....\\s § II. Du Tempérament artériel (secondes voies).....119 $ III. Du Tempérament veineux (premières voies) .... 122 CHAPITRE VI. ClRCUMFUSA...................J27 $ I. Des Airs, des Eaux et des Lieux......... 127 J IL Des Climats et des Saisons............135 § III. Des Constitutions médicales..........137 CHAPITRE VII. Des Races humaines............... 139 CHAPITRE VIII. Des Ages...................143 § I. Période d'augment........... .144 $ IL Période d'état...............149 $ III. Période de déclin..............150 CHAPITRE IX. Des Sexes...................155 $ I. De la Femme............... 156 $ IL De l'Etat puerpéral.............161 § III. De l'Etat puerpéral faux...........164 § IV. De l'Accouchement.............166 SECTION SECONDE. — Etudes pathologiques proprement dites. CHAPITRE PREMIER. De la Pathologie en général...........169 JI. Définition fondamentale et Conséquences......174 $ II. Divisions de la Pathologie...........18 J 1° Des Causes (Etiologic)............184 2° De l'Affection (Symptomatologie, Séméiotique, Anato- mie pathologique)..............1?? TABLE DES MATIÈRES. "' li 3° Delà Réaction de l'Organisme et de la Malad.e. . . 190 '.$ III. Parallèle de la Médecine ancienne et de la Médecine moderne.................. ^ [V. De l'Hippocratisme moderne..........202 4 V. De la Fièvre et de l'Inflammation........205 :|| VI. Trois Diathèses aiguës principales.......210 CHAPITRE II. De la Pathologie externe ou Chirurgie.......212 $ I. Base de la Chirurgie.............213 § IL Quelques découvertes modernes qui découlent de la base fondamentale...............216 { III. Influence des Climats, des Ages, etc., sur la Marche des Plaies.................222 $ IV. De l'Affection et de la Réaction au point de vue chi- rurgical..................224 $ V. De la Fièvre traumatique...........225 $ VI. Des Indications thérapeutiques en Chirurgie. . . . 227 $ VIL Transition de la Chirurgie à la Médecine. .... 231 CHAPITRE III. De la Pathologie interne ou Médecine........233 § I. Des Fièvres symptomatiques et des Fièvres essentielles. 237 § II. De l'Excès de Fibrine comme manifestation de toute réaction..................239 § III. Le la Matière fébrile dans le sang des fiévreux. . . 243 CHAPITRE IV. Des Causes morbides (Etiologie)...........250 $ I. Causes prédisposantes...........250 1° Causes prédisposantes qui tiennent à l'Homme . . . 251 2° Causes prédisposantes qui dépendent des Circumfusa. 256 $11. Causes déterminantes............261 1° Matière fébrile provenant de l'Homme même. . . . 263 2° Matière fébrile qui vient du dehors.......269 CHAPITRE V. Indication d'une Classification de quelques Maladies aiguës d'après les Effets dus à leurs Causes morbifiques.....270 $ I. Première Classe..............272 $ IL Deuxième Classe..............275 f ITT. Troisième Classe..............280 111 TABLE DES MATIÈRE.*. CHAPITRE VI. De l'Affection.................289; CHAPITRE VII. De la Réaction de l'Organisme...........296- $ I. De la Fièvre considérée comme acte médicateur. . . 299 $ IL De l'Examen des Urines pendant les fièvres.....306 § III. Des Crises et des Jours critiques........ 308 CHAPITRE VIII. Des Indications thérapeutiques dans les Maladies aiguës. . 323' CHAPITRE IX. Des Maladies chroniques ............. 340- $ I. Division des Affections chroniques. ....... 341 1° Maladies aiguës transformées en affections chroniques. 341 2* Affections chroniques établies par la nature conserva- trice................., . 342 3° Affections chroniques dues à des vices constitutionnels. 342 $ IL Quelques mots des Indications thérapeutiques dans les Affections chroniques........ .... 345«. Troisième Partie. Preuves a l'appui du Système général de Pathologie que nous croyons le vrai.................351 $ I. Doctrine médicale traditionnelle dans les temps anciens., 353 $ IL Doctrine médicale traditionnelle dans les temps mo- dernes ......•...........377 1° Sydenham (xvue siècle) ..........383 2° Boerhaave (xvme siècle)...........392 Conclusion..................411 Réponses à quelques Objections de la Commission du Con- cours....................417 !VTOTES. I. Conjeotures sur les Forces.............437 IL Une Définition de l'Homme....... 439 III. De la Vitalité du Sang..............439 !;Y De l'Origine de la Fièvre jaune...........439 £IN, DE. LA TABLK. ETUDES SUR XjIES bases DE-LA science médicale et Exposition Sommaire DE LA DOCTRINE TRADITIONNELLE PAR \ J. C. FAGET (Ds la Hoavîih-Orléans), Ancien Interne des Hôpitaux et Docteur Ue la Faculté de Paris, Ancien Membre de la Société anatomique et de la Société médicale d'observation, Membre correspondant lauréat de la Société de Médecine de Caen. Ouvrage Couronné Par l'Académie de Médecine de Caen, le 10 juin 1853, (deuxième prix exceptionnel, médaille d'or). NOUVELLE-ORLEANS. H. MÉRIDIER, IMPRIMEUR-ÉDITEUR. 18 5 5. NLM045868574