530 ZSll 1885 WC 530 C287L 1885 ivw '\fi NLM051698064 'vty LEÇONS 3 SUR L'ETIOLOGIE ET LA PROPHYLAXIE DE LA FIÈVRE JAUXE DONNEES A LA FIN DE L'ANNEE 1.884 AUX ELEVES DE CLINIQUE INTERNE PAR LE Dr. MANUEL CARMONA Y YALLE Professeur de Clinique Interne à la Faculté de Médecine de Mexico, Membre de l'Académie de Médecine, Ancien Sénateur, Ancien Président du Conseil Municipal, Membre de plusieurs Sociétés Scientifiques nationales et étrangères, etc., etc. Augmentées de plusieurs notes sur des faits observés postérieurement, et d'une l'KEFACE écrite par M. LE DR. D. EDUARDO LICEAGA Ornées de 6 photographies et de 2 Chromolithographies MEXICO IMP. DU MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS Calle de San Andrés nûm. 15. 18*5 Orniez tyc z^ -. A Monsieur le Général Porfirio Diaz, Président de la Képublique. Mexico, 20 Février 1885. Monsieur le Président: Le désir que j'ai de contribuer, dans la limite de mes moyens, au bien de l'humanité et aux progrès de la science dans notre pays, m'a engagé à publier les leçons sur l'étiologie et la prophylaxie de la lièvre jaune que j'ai données l'année dernière aux élèves qui ont suivi le cours dont je suis chargé. Comme ce sujet interes.se le Mexique d'une manière évidente et qu'il peut avoir pour lui des résultats transcendants, j'ai cru devoir vous dédier ce travail, aussi bien pour la considération respectueuse et l'affection sincère que j'ai vouées au premier Magistrat de la Képublique, que pour le bienveillant ac- cueil que vous avez toujours daigné faire à mes modestes produc- tions. J'ose donc espérer, Monsieur le Président, que vous voudrez bien excuser la grande liberté que je prend.- de placer ces pages sous vo- tre patronage, et de vous en offrir la dédicace. J'ai l'honneur d'être, Monsieur le Président, Votre ami tout dévoué et très obéissant serviteur. Manuel Carmona y Yalle. 4-16075 • Secretaria Particular del Présidente de la Repûblica Mcxicana. Mexico, 25 Février 1885. Monsieur le Docteur Manuel Carmona y Valle. Mexico. Mon estimable ami: J'ai pris connaissance de votre aimable lettre'en date du 20 cou- rant, par laquelle vous me faites part de votre gracieuse intention de me dédier les importantes études que vous avez faites sur la fièvre jaune, études qui ont été couronnées par le plus brillant succès, puis- que vous êtes parvenu à trouver le moyen tant cherché d'annihiler cette terrible maladie, fléau de nos côtes qui, pendant si longtemps a opposé une puissante barrière à la marche du progrès, surtout en ce qui regarde le commerce de la zone où règne cette endémie. Je vous suis profondément reconnaissant de la marque d'estime que vous me donnez, et je saisis avec plaisir cette occasion pour vous envoyer les salutations et l'assurance de la sincère amitié De votre serviteur, Signé: Porfirio Diaz. PEÉFACE. Les leçons de clinique que publie aujour- d'hui M. le docteur Carmona portent le cachet de son caractère : l'honnêteté dans l'exposition des faits, la sagacité dans ses appréciations, et la rectitude dans ses con- clusions. Le style est facile, clair, précis quant à la forme. En voici le fond: Choisir pour l'étude un fait clinique qui se présente très rarement dans les hôpitaux de notre capitale, la fièvre jaune; l'exposer et le pré- senter avec beaucoup de clarté; analyser un symptôme avec la plus grande exactitude, par exemple, la couleur jaune d'où la mala- die a tiré son nom; chercher la cause qui lui a été assignée, la trouver insuffisante; en signaler une autre qui explique toutes les circonstances, y compris l'augmentation VIII de la coloration après la mort; rechercher la cause de la rareté et de l'absence de l'uri- ne; en trouver l'explication satisfaisante, et en même temps, celle d'un grand nombre des symptômes les plus importants de la ma- ladie; exposer une théorie toute nouvelle et très ingénieuse cle la tendance aux hémorra- gies, et la démontrer expérimentalement, Mais ce n'est pas tout: la coloration jaune, la suppression de l'urine, la tendance aux hémorragies ont une seule et même cause, c'est la présence dans le sang, dans toutes les humeurs, dans les viscères, d'un petit corps qui n'a pas été décrit, d'un organisme vi- vant, d'un microbe. L'auteur fait la description de cet orga- nisme, il étudie son développement, ses ca- ractères propres, ceux qui le distinguent de tous les autres, sa résistance aux agents naturels et aux réactifs: il fait son histoire naturelle et le classifie; cependant, il ne peut pas le faire se reproduire, bien qu'il imite les conditions de température et de pression dans lesquelles ce microbe vit d'ordinaire, et pourtant ces conditions le modifient et le font grandir. Mais des observateurs intelli- IX gents et impartiaux, placés sur un autre théâtre que le docteur Carmona, sur les cô- tes du Pacifique, ont remarqué que le cham- pignon ne végète pas comme celui d'ici, quand le vomito n'existe pas, mais qu'il ger- me lorsque le terrible mal fait son apparition. Le végétal, ne rencontrant point à Mexico ni sur les hauteurs, les conditions nécessaires à son existence, ne peut y vivre, et c'est pour cela que le vomito n'est point observé dans ces altitudes. Le docteur Carmona relie les faits qu'il a observés à ceux que lui communiquent MM. Ponce de Léon et Paliza, et réunissant les anneaux de la chaîne, il découvre que le végétal qu'il a étudié à Mexico, et celui des côtes du Pacifique ou des bords du Golfe ne forment qu'un seul et même individu, mais avec des transformations différentes et com- munes à quelques uns de ces organismes. Quelle observation pour épier les faits!- quelle perspicacité pour les interprêter! quel génie pour établir les expérimentations d'épreuve et de contre-épreuve, pour arriver à démontrer l'étiologie de la fièvre jaune! Puis, après avoir obtenu ce résultat, avec P. J.—2 X quelle clarté il retrace le développement de la maladie, de préférence dans certaines lo- calités, l'apparition et la disparition des en- démies, l'extension des épidémies, les cas d'infection par les navires. A ce propos, il raconte les histoires—(autrefois traitées de mystérieuses)—de vaisseaux qui, portant la maladie, la voyaient disparaître dans les hautes latitudes et pendant les grands froids, et qui la voyaient reparaître dans les zo- nes chaudes; et il cite une multitude de faits que l'hygiène consigne, mais qu'elle ne pouvait expliquer. La pathologie généra- le peut expliquer aujourd'hui l'immunité dont jouissent ceux qui ont souffert des fiè- vres graves en général et de la fièvre jaune en particulier. L'auteur fait une étude spéciale des mo- yens conseillés par l'hygiène pour éviter la propagation du fléau; il les trouve inefficaces, •et il en signale quelques uns qui pourraient être utilisés. Au début de ses études, il a recours à l'inoculation du champignon com- me moyen prophylactique; la découverte des transformations du microbe lui explique l'ab- sence d'accidents graves chez les inoculés et XI lui fait d'autant plus concevoir l'espérance d'avoir rencontré le véritable préservatif du vomito que, jusqu'à ce jour, de toutes les per- sonnes inoculées, aucune n'a été attaquée, bien qu'ayant résidé sur les côtes du Paci- fique, à Veracruz ou à la Havane. On dit dans le monde scientifique que le docteur Freire, du Brésil, a eu le premier l'idée de l'inoculation du microbe comme mesure prophylactique, mais nous pouvons hautement revendiquer cette priorité pour notre compatriote, ainsi que le démontrent clairement les bulletins de la Gaceta Mêdica organe de l'Académie de Médecine de Mexi- co, où M. le Dr. Carmona a fait sa première communication écrite, le 26 Octobre 1881. Les idées de M. Carmona sont emprein- tes du cachet de l'originalité, et il ne leur a manqué aucune des circonstances qui accom- pagnent toutes les grandes découvertes; on a été jusqu'à discuter vivement les faits, que l'on a accusés d'être mal observés et de ne point s'adapter aux méthodes inventées par des savants de premier ordre. On lui a même reproché d'avoir pu voir ce que tous les autres n'avaient pas vu avant lui, comme XII si ce n'était pas précisément en cela que consiste le mérite des découvertes! Voici pourquoi j'écris cette préface pour le livre de M. Carmona. Je l'écris pour sup- plier les médecins de le lire et de ne pas le condamner avant de l'avoir étudié; pour de- mander qu'aux faits, on oppose des faits; aux expérimentations, des expérimentations nouvelles; aux considérations qu'il présente, des considérations plus exactes; en un mot, pour demander la discussion raisonnee et scientifique, telle que la désire l'auteur. S'il s'est trompé, comme peuvent se trom- per tous les hommes, j'invoque en sa fa- veur l'inattaquable bonne foi avec laquelle il s'est dédié à l'étude au milieu des occupa- tions assidues de sa profession et le mérite d'avoir erré en suivant rigoureusement les préceptes scientifiques, d'après une ligne sinon égale, du moins parallèle à celle des Pasteur et des Koch. Mais si les idées que défend le Dr. Carmona trouvent leur confir- mation dans la science, son nom brillera dans l'avenir à côté de celui de l'illustre Jenner. Eduardo Liceaga. PREMIÈRE LEÇON. Messieurs, Quelques uns d'entre vous sont venus me prier de vouloir bien, avant de terminer le cours de cette année, consacrer quelques leçons destinées à vous faire connaître le résultat de mes recherches sur la fièvre jaune. Comme professeur de clinique interne, je ne devrais seulement m'occuper que de l'étude des malades qui entrent dans nos salles, et par malheur, en ce moment, nous n'avons aucun sujet atteint de vomito noir. Malgré cela, je crois opportun de nous écarter un peu de no- tre mission officielle pour consacrer quelque temps à l'étude de cette maladie qui, pour ne nous offrir présentement aucun cas, n'en a pas moins une très grande importance. En outre, plusieurs d'entre vous, après avoir terminé 14 leurs études, rentreront dans leurs foyers pour aller exercer la médecine sur différents points de la côte où la fièvre jaune est endémique. Placés sur le théâtre le plus propre à l'étude de notre terrible maladie, vous pourrez, Mes- sieurs, dans de telles conditions, devenir pour moi de précieux collaborateurs, car vous serez à même de ratifier ou d'infirmer les résultats auxquels je suis arrivé. Le 3 Juin 1881, notre chef de clinique, M. le Dr. Mejia, m'informait que le lit n? 8 de no- tre salle de clinique se trouvait occupé par un malade qui venait d'arriver de Veracruz et qui semblait atteint de vomito noir. Je m'y rendis immédiatement, accompagné de tous les étu- diants qui, cette année-là, suivaient le cours de clinique interne, et nous procédâmes aussitôt à l'étude du sujet avec toute l'attention et tout le scrupule qui nous sont habituels à l'égard de tous les malades. Le hasard voulut que le même jour, une autre personne attaquée de la même maladie, descen- dît dans un hôtel de la rue de San Francisco. M. le Dr. Pulido qui, à cette époque, suivait notre cours, nous invita le Dr. Mejia et moi, à l'ac- compagner auprès de ce malade. J'ai donc eu l'occasion d'observer deux cas de fièvre jaune à la fois, ce qui m'a permis d'en comparer les symptômes et la marche, ainsi que les résultats 15 des différents examens et des analyses dont je m'occuperai plus loin. Je n'ai pas l'intention de vous décrire le ta- bleau symptomatologique de la maladie, ni de vous en raconter la marche; je ne m'arrêterai pas non plus pour vous faire connaître les dif- férentes idées que les auteurs admettent sur son origine. Je veux vous parler exclusivement de mes investigations particulières et des résul- tats que j'ai obtenus. Je vais donc essayer de suivre, autant que possible, l'ordre chronologique de mes recher- ches. Je tâcherai de ne m'en écarter que clans les cas absolument nécessaires, et pour donner plus de clarté au sujet que je traite. Je savais que les médecins n'étaient pas tous d'accord sur la nature de la matière noire re- jetée par l'estomac des malades attaqués du typhus icteroïdes, et je désirais m'en former une idée par l'examen de la matière elle-même. J'ai recueilli les matières vomies par les deux malades, dans l'intention de contrôler l'opinion la plus universellement acceptée: que la colora- tion noire du vomissement est due à la présence du sang. L'étude microscopique des deux spéci- mens deVomissements noirs m'aconvaincu qu'ils ne renfermaient aucun des éléments du sang que le microscope aurait pu nous faire connaître. De même, dans les différentes préparations que 16 j'ai faites, il n'est pas apparu le moindre glo- bule sanguin, soit normal, soit altéré dans sa forme. Ces résultats auraient sans doute pu me con- vaincre que les vomissements noirs n'étaient pas dûs à une hémorragie gastrique, mais dé- sireux de pousser plus loin mes observations, je résolus d'étudier ces matières au spectroscope, et à cet effet, je m'adjoignis les Drs. Orvananos et Ramirez Arellano Juan José. Le spectrosco- pe dont nous avons fait usage est celui qui existe au Laboratoire du Conseil Supérieur de Salubrité. Vous savez, Messieurs, la facilité avec laquel- le cet instrumentjrévèle les quantités les plus infimes de la matière colorante du sang par la présence des raies, dites de réduction. Eh bien, après une étude des plus minutieuses, nous avons pu nous convaincre que ces matières ne renfermaient pas le plus petit vestige de ma- tière colorante du sang. Je suis donc autorisé à vous assurer que le vomissement de matières noires, caractéristique de la fièvre jaune, n'est pas dû à la présence du sang dans les matières rejetées par l'estomac. Malgré cette conclusion, je n'ai pas'l'inten- tion de nier l'existence de la véritable hématé- mèse dans la fièvre jaune. Il y a certainement dans cette maladie une grande tendance aux 17 hémorragies, et l'épistaxis est très communé- ment observée comme un de ses symptômes; on remarque aussi des pétéchies, et les prati- ciens nous parlent d'écoulements de sang par la langue et même par les conjonctives. Plus tard, peut-être expliquerons-nous ces tendances hé-, mophiliques, et alors il ne semblera pas étran- ge que parfois on observe de véritables héma- témèses; mais quand bien même nous nous trou- verions en présence de véritables hémorragies gastriques, nos observations nous disent que le vomito noir peut exister sans qu'une seule gout- te de sang soit répandue dans la muqueuse gas- trique. Dans le cas où la matière noire n'est pas due au sang, qu'est-ce qui peut donner cette colo- ration au vomissement? C'est une question que nous pourrons sans doute résoudre plus tard. Comme vous le savez tous, la fièvre jaune a été considérée comme une fièvre essentielle, c'est-à-dire, comme un mouvement fébrile dont la cause ne s'explique par la souffrance d'au- cun organe. Dans toutes les fièvres essentielles, on note une augmentation dans la perte quotidienne de l'urée par les urines, et ce phénomène s'expli- que par l'augmentation des combustions dans l'organisme. En Europe, à l'état normal, on perd 32 grammes d'urée, terme moyen. Des 18 analyses faites à Mexico nous démontrent que chez nous, la perte moyenne est un peu moin- dre, car elle n'est seulement que de 28 gram- mes, terme moyen. Ce principe admis, il fallait supposer que le malade atteint de fièvre jaune éliminerait plus de 28 grammes d'urée en 24 heures. Grand a été mon étonnement, lorsqu'en dosant l'urée contenue dans les urines de mes deux malades, j'ai trouvé des résultats entièrement différents. En effet, le malade de l'hôpital ne perdait en 24 heures que 10 grammes d'urée, et celui de la rue de San Francisco, 12 grammes dans le même espace de temps. Pour faire ces analyses chimiques, je me suis associé avec l'habile professeur de pharmacie, M. Donaciano Morales. A l'aide de l'hypobro- mite de soude, nous avons déterminé d'abord la proportion d'urée contenue dans 1000 par- ties d'urine; puis ensuite, comme nous connais- sions la quantité d'urine rendue en 24 heures, il nous a été facile de déduire la proportion d'urée perdue pendant ce même temps. Ce résultat obtenu, j'avais besoin de m'assu- rer si la diminution de la perte d'urée était due à la formation, dans l'organisme, d'une moindre quantité de ce dernier principe, ou si cette diminution provenait d'un obstacle quel- conque opposé à son élimination. 19 Vous n'ignorez pas que l'urée est le principe le plus avancé de l'oxygénation des éléments quaternaires, et que ce principe peut se rencon- trer dans tous les organes de l'économie, mais que c'est dans le foie qu'on le trouve en plus grande quantité. De là, l'urée passe dans le torrent circulatoi- re et les reins sont les organes chargés de son élimination. Pour résoudre le problème que je m' étais posé, et afin de pouvoir déterminer si, dans la fièvre jaune, il se formait moins d'urée que dans l'étal normal, ou s'il y avait un obstacle à son élimination, il fallait m' assurer des proportions d'urée contenues dans le foie et dans le sang des deux malades de la fièvre jaune, puis les comparer avec l'état normal. J'ai pu voir dans les traités de physiologie que le sang normal contient (0, 17) dix-sept centièmes d'urée pour 1000 parties de sang, mais je n'ai trouvé nulle part dans quelles proportions ce principe se ren- contre dans le foie. Il m'a donc fallu entrepren- dre un travail spécial pour éclaircir ce point. Le cadavre d'un homme mort accidentelle- ment nous servit à cette fin. Après une analy- se minutieuse, nous avons trouvé le d'urée pour 1000 parties de parenchyme hépatique. Avec la proportion moyenne d'urée contenue dans le foie et dans le sang à l'état normal, il 20 était facile d'établir une comparaison avec les résultats obtenus sur les deux malades de la fièvre jaune. Le foie du sujet mort à l'hôpital a donné 2,66 pour 1000; celui du malade mort dans la rue de San Francisco contenait 2,15 pour 1000. Vous voyez donc que ces foies ren- fermaient plus du double de la quantité d'urée qui existe à l'état normal. Voyons quelles étaient les proportions d'urée contenues dans le sang de ces malades, sans oublier que dans le sang normal, il y a 17 cen- tièmes pour 1000. Eh bien! dans le sang du malade de l'hôpi- tal, nous avons trouvé 2,11 pour 1000, et dans celui de l'hôtel de la rue de San Francisco, il y avait 1,71 pour 1000: proportions beaucoup plus grandes que celles de l'état normal. Vous savez que dans l'état normal, le foie est l'organe chargé de la formation de l'urée, sinon dans sa totalité, du moins dans sa majeure partie. On trouve également de l'urée dans les muscles, mais en quantité minime. En clinique, dans les affections hépatiques, nous nous ser- vons fréquemment de cette propriété du foie comme d'un élément de diagnostic pour cons- tater si ce viscère est, ou non, désorganisé. Dans les cirrhoses ordinaires du foie, dans les scléro- ses intercellulaires et dans les grands abcès du foie, la proportion d'urée éliminée par les reins 21 diminue considérablement, et ce principe est si exact que l'on peut juger de l'importance de la désorganisation du foie par la diminution de la perte quotidienne de l'urée dans l'urine. Vous avez été témoins d'un cas de ce genre chez un malade occupant le numéro 16 de notre salle. Vous vous rappelez qu'en l'examinant, nous avons trouvé une tumeur qui, en raison de son siège et de sa forme, pouvait avoir été prise pour une distension de la vésicule biliaire. Rap- pelez-vous aussi que par ses antécédents, ce ma- lade nous offrait des symptômes ayant beaucoup de ressemblance avec la colique hépatique, et que sans une légère fièvre qui augmentait tou- tes les nuits et une douleur dans le neuvième espace intercostal droit, sur la ligne axillaire, nous aurions facilement admis l'existence d'une obstruction des voies biliaires par la présence d'un calcul hépatique. Mais comme le mécanis- me du point intercostal douloureux ne nous ex- pliquait pas cette hypothèse, nous nous sommes proposé de rechercher la proportion d'urée per- due par ce malade, en 24 heures. Après l'ana- lyse, nous avons constaté une diminution per- ceptible d'urée qui s'est soutenue dans les deux ou trois analyses que nous fîmes successivement ensuite. D'où j'ai déduit que le foie était plus ou moins désorganisé, et comme cette désorga- nisation ne pouvait s'expliquer par la rétention 22 de la bile dans la vésicule, j'ai supposé que la- dite tumeur était formée par un abcès du foie. La ponction ayant été pratiquée sur le point douloureux de l'espace intercostal, nous avons obtenu environ 250 grammes de pus hépatique. L'état du malade s'améliora, mais au bout d'un mois, la tumeur reparut et le léger mouvement fébrile recommença. Nous fûmes obligés de faire une autre ponction qui nous donna 200 grammes de pus. Depuis ce jour, la guérison fut complète. Il est donc bien démontré que les affections du foie, qui détruisent une partie plus ou moins grande du parenchyme hépathique, détermi- nent toujours la diminution de la perte d'urée en 24 heures. Or, en supposant que dans la fiè- vre jaune, le foie contienne une proportion d'urée plus grande que celle qui existe dans l'état nor- mal, on peut logiquement en déduire que la fiè- vre jaune ne le désorganise pas en le rendant graisseux, comme on l'a supposé, et que la di- minution de la perte d'urée doit être cherchée ailleurs. De plus, nous avons vu que le sang des deux malades du typhus icteroïdes était sur- chargé d'urée; nous pouvons donc conclure de tout cela que ce sont les reins qui empêchent l'élimination de l'urée. Nous verrons plus tard comment l'anatomie pathologique vient corroborer cette déduction. 23 Arrêtons-nous un instant pour considérer les conséquences que peut avoir cet état d'urémie chez nos malades. Vous vous souvenez, sans doute, des expériences de Bernard sur les ani- maux auxquels il extirpait les reins. L'urée, par conséquent, s'accumulait dans le sang. Il apparaissait chez eux un mouvement fébrile, de l'agitation, des nausées, et les vomissements étaient de couleur noire. Vous vous rappelez également que dans les cas d'urémie, l'urée s'élimine par la muqueuse gastrique, s'y dé- compose et se transforme en carbonate d'am- moniaque, d'où il résulte une sensation de cha- leur et de constriction à l'épigastre, pyrosie et vomissements incoercibles. N'oubliez pas non plus que l'urémie a sa forme cérébrale, dans laquelle dominent la céphalalgie, le délire et les convulsions. Comparez ces symptômes avec ceux de la fièvre jaune, et vous leur trouverez une grande analogie. Rappelez-vous enfin cet- te douleur intense par laquelle commence fré- quemment le vomito noir, douleur qui, jusqu'à présent, n'a pu être expliquée d'une manière satisfaisante, et qui est très probablement due à l'hypérémie des reins. Pour que vous puissiez vous former une idée bien nette de l'importance de cette proportion de 2,66 pour 1000 d'urée dans le sang, je vais vous citer l'expérience suivante: 24 Un chien, dont le sang artériel contenait 0,26 pour 1000 d'urée, a subi l'extirpation des deux reins. Trente heures après, à l'approche de la mort, en examinant son sang, on a trouvé qu'il renfermait 2,80 d'urée pour 1000 parties. Réfléchissez d'abord qu'il y avait dans le sang de cet animal une proportion plus grande (0,26) d'urée que chez l'homme dont la pro- portion moyenne, ainsi que je vous l'ai dit pré- cédemment, est de 0,17 à 0,18. A l'approche de la mort, le sang contenait 2,88 pour 1000, et cet- te proportion n'est pas de beaucoup supérieure à celle de 2,66 que nous avons rencontrée chez notre premier malade. Il ne sera donc pas exagéré de dire que le sang d'un malade de fièvre jaune peut contenir une proportion d'urée égale à celle que l'on a trouvée chez un animal qui a subi l'extirpation des deux reins. Je ne veux pas laisser ce sujet sans vous fai- re voir que dans d'autres cas de la même ma- ladie, j'ai toujours rencontré une diminution identique dans la perte de l'urée par l'urine, et par conséquent, son accumulation dans le sang. J'avais demandé à plusieurs amis de Vera- cruz de m'envoyer de l'urine de différents ma- lades de fièvre jaune, en ayant bien soin de me remettre toute la quantité évacuée en 24 heures. J'ai reçu d'abord 430 grammes d'une 25 urine qui contenait 25,30 d'urée, soit 430 centi- mètres cubes, correspondants à 10,88 comme perte d'urée en 24 heures. Vint ensuite un autre spécimen de 716 centimètres cubes, contenant 27,3 pour 1000 d'urée et dans lequel, par consé- quent, la perte quotidienne était de 19 grammes, 55 centigrammes. Par malheur, je n'ai pu savoir la gravité du malade chez lequel la diminution d'urée n'était pas très considérable. On m' en- voya ensuite 320 centimètres cubes qui ne con- tenaient que 9,4 d'urée pour 1000: par la mê- me raison, à ces 320 centimètres cubes, urine de tout le jour, il ne correspondait que 3 grammes d'urée, quantité infiniment petite comparée avec celle de l'état normal. J'ai reçu dans le dernier envoi 315 grammes de liquide qui contenaient 34 pour 1000 d'urée et dans lesquels par consé- quent, la perte d'urée en 24 heures était de 10 grammes, 71 centigrammes. Tous ces faits vous disent que chez tous les malades de fièvre jaune, il y a toujours une di- minution plus au moins grande de la perte d'urée en 24 heures. 0 Chez l'un, cette diminution d'urée n'a pas été très considérable, puisque la perte n'a été que d'environ 20 grammes en 24 heures, mais chez d'autres, la diminution a été beaucoup plus exa- gérée, puisque chez l'un d'eux, cette perte n'a été seulement que de 3 grammes dans toute la 26 journée. Comparez ces quantités avec celle de 28 à 30 grammes, qui est la normale; considérez qu'il s'agit d'une maladie dans laquelle la tem- pérature s'élève presque toujours à 40°, et même quelquefois plus, et, où par la même raison, le chiffre de la perte quotidienne devrait être plus grand que celui de la physiologique, et vous comprendrez alors qu'il n'est pas exagéré de dire que clans le vomito noir, il y a toujours accumulation d'urée clans le sang. Le 21 Août de cette même année de 1881, le hasard nous amena un malade, nommé Zefe- rino Vasquez, âgé de 28 ans, naturel de Me- xico. Il travaillait, depuis un an, au chemin de fer de Tehuantepec et avait été récemment employé à Calzada Vieja, près de Minatitlan. On l'avait envoyé de ce point à Mexico, afin d'y engager des travailleurs, et il assurait qu'à l'endroit où il travaillait, il n'y avait aucun cas de fièvre jau- ne. Pour se rendre à Mexico, il était venu par mer jusqu'à Veracruz. Débarqué dans cette vil- le, le*jeudi 18 Août, à 2 heures de l'après-midi, il en était reparti le soir même, par le train de 11 heures. En arrivant à Corclova, le vendredi 19, au point du jour, il se sentit pris de frissons, de faiblesse et d'un abattement général. Arrivé à Mexico, le vendredi soir, le lendemain samedi, quoique malade, il se mettait en devoir de s'oc- 27 cuper de sa mission. Dans la nuit, il se sentit plus malade, et le mal empira pendant les journées du dimanche et du lundi. Ce n'est que dans l'après-midi du mardi 23, qu'il s'est présenté à la consultation de M. le Dr. Mejia, avec 40° de température et le pouls à 94. Le malade infor- ma le docteur qu'il avait eu des nausées, mais sans vomissements; les conjonctives étaient lé- gèrement jaunâtres. Mon confrère ayant recueilli une petite quan- tité d'urine, nous l'avons examinée ensemble, et nous avons découvert au microscope tous les éléments qui se rencontrent dans ce liquide, et dont nous parlerons plus tard. Nous avons continué, le Dr. Mejia et moi, à voir le malade depuis le 24 jusqu'au 31 Août, jour où la convalescence a été définitive. Dans ce cas de terminaison heureuse, nous avons pu examiner, jour par jour, la perte d'urée qu'il y avait en 24 heures: Le 24 Août, avec une température de 40°1, le malade a perdu 7 grammes d'urée en 24 heu- res. Le 25, la température étant à 39°8, et la prostration très grande, la perte d'urée n'a été que de 5 grammes, 55 centigrammes. Pendant la nuit, la température s'est élevée à 40°6, et le pouls à 124. Le matin du 26, la température était de 39°4 et pendant la nuit, elle s'est éle- vée à 40°; ce jour-là, la perte d'urée a été de 12 28 grammes. Le 27 s'est marqué par une amélio- ration: le pouls était à 96, et la température à 38°5: perte d'urée, 12 grammes, 25 centigram- mes. Le 28 au matin, le malade s'est montré plus abattu; le pouls était à 100 et la tempéra- ture à 39°2: la perte d'urée a été de 9 grammes, 23 centigrammes. Dans la matinée du 29, il est sorti de cet état de prostration; le pouls étant à 88, et la température à 37°8, la perte d'urée est montée à 20 grammes, 15 centigrammes. Le 30, le mieux a continué: la température s'est maintenue à 37°4 et la perte d'urée a été de 23 grammes, 17 centigrammes. Le 31, la conva- lescence était complète. J'ai tenu à vous relater cette observation dans tous ses détails, parceque l'on y voit claire- ment que les symptômes graves coïncidaient avec la diminution de la perte d'urée, et que le mieux se marquait aussitôt que la quantité d'urée se rapprochait du chiffre normal. Tous les observateurs ont dit, non sans raison, que la gravité de la fièvre jaune est immense, lorsque la sécrétion urinaire est supprimée. Je crois donc vous avoir démontré: l9, que les vomissements noirs du typhus icteroides peuvent exister sans qu'il y ait eu auparavant aucune hémorragie gastrique; 2?, que dans la fièvre jaune, il y a agglomération d'urée clans le sang, et que c'est à cet état d'urémie que se 29 doivent en grande partie les graves symptômes de cette pyréxie. Dans notre prochaine leçon, nous continue- rons à étudier quelques autres modifications de l'urine, et je vous rendrai compte de mes in- vestigations sur la cause qui détermine cette coloration jaunâtre des malades, à laquelle la fièvre jaune doit son nom. DEUXIÈME LEÇON. Messieurs: Depuis un temps immémorial, les praticiens ont attaché une grande importance à l'étude de l'urine pendant l'observation de la marche de toute maladie. Au début' ils se contentaient de l'étude des caractères organoleptiques, mais au fur et à mesure des progrès de la science, on a employé, pour étudier ce liquide, les différents instruments découverts par les physiciens, tels que le saccharimètre, le microscope, le spectros- cope, etc. La chimie a également contribué puis- samment aux progrès de l'observation clinique, et tous les jours, on recommande de nouveaux moyens pour faciliter l'analyse de ce liquide si important. Je ne me lasserai jamais de vous recomman- der l'étude des urines quand vous serez appelés au chevet des malades. 32 L'appareil urinaire étant un des principaux émonctoires de l'organisme animal, la désassi- milation de l'économie se photographie, pour ainsi dire, dans sa composition; nous pouvons y voir les modifications qu'elle subit: les diffé- rents composés dont l'économie se débarrasse, et de quelle manière elle le fait. Il est probable que si, dans la pratique, nous avions étudié soi- gneusement et complètement les urines de nos malades, nous aurions déjà découvert beaucoup de mystères qui, jusqu'à ce jour, nous préoccu- pent fortement. Dans la dernière leçon, je me suis suffisam- ment arrêté à vous démontrer les avantages que j'ai obtenus par le seul fait de rechercher si les malades de fièvre jaune perdent quotidienne- ment la quantité d'urée normale, ou bien si cette perte subit une augmentation ou une dimi- nution. Je vais vous rendre compte du résultat de quelques autres de mes investigations. Dans l'analyse de la première urine que j'ai examinée, mon attention fut frappée par la ren- contre d'une quantité de matière organique plus grande que celle que contiennent ordinairement les urines, et dès lors, je me suis proposé d'étu- dier sérieusement cette question à la première occasion qui se présenterait. La première urine que l'on m'envoya de Ve- racruz fut choisie à cet effet. 33 J'ai d'abord déterminé la proportion d'urée qu'elle renfermait, et j'ai trouvé 25,30 pour 1000. En déterminant la proportion d'albumine, j'ai trouvé 3 pour 1000. Permettez-moi, messieurs, une observation, avant d'aller plus loin. Dans l'étude de la fièvre jaune, j'ai constaté, comme l'ont fait tous mes prédécesseurs, que les urines sont, généralement parlant, albumineuses, quoique la proportion d'albumine varie dans les différentes urines. N'oubliez pas ce détail dont nous nous occupe- rons et que nous expliquerons ensuite. Peut-être votre attention a-t-elle été appelée par le fait que l'urine en question contenait 25,30 pour 1000, alors que dans l'urine normale, le terme moyen est de 22,12. En vous assurant que le malade de fièvre jaune perd toujours, en 24 heures, une quantité d'urée de beaucoup in- férieure à celle que perd un homme dans l'état normal, je n'ai point prétendu dire par là que les urines de nos malades soient toujours moins riches en urée que les urines physiologiques. Dans beaucoup de cas, il peut en être ainsi, mais dans beaucoup d'autres, les urines recueil- lies peuvent contenir une proportion d'urée plus forte que celle que nous rencontrons chez l'homme en bonne santé. Cependant, la petite quantité d'urine sécrétée en 24 heures donne toujours lieu au phénomène que je vous ai in- 34 diqué auparavant: à savoir, que le malade du vomito noir perd toujours en 24 heures une quantité d'urée inférieure à celle que perd un homme bien portant. Revenons maintenant à ce que nous disions tout à l'heure. La première urine reçue de Ve- racruz, qui. contenait 25,30 pour 1000 d'urée et 3 pour 1000 d'albumine, nous a donné un résidu solide dans la proportion de 72 pour 1000: de ces 72 parties, 45 appartenaient à la matière organique, et 27 aux principes minéraux. Ces proportions sont beaucoup plus grandes que celles que l'on rencontre dans l'état physio- logique, et bien que les auteurs ne soient pas tous d'accord sur les proportions normales, les différences ne sont pas cependant de beaucoup d'importance. Pour Rabuteau, il y a dans l'urine physiolo- gique 39,352 de résidu solide, lequel se compose de 22,425 de matière organique et de 16,927 de substances minérales. Beaunis nous dit que dans 1000 parties d'urine physiologique, il y a 41,60 de résidu solide dont 23,80 représentant la matière organique, et 17,80 les sels anorga- niques. Frédéricq et Nuel nous disent que l'u- rine normale donne un résidu de 48,038, dans lequel on trouve 30,030 de matières organiques et 18,002 de sels minéraux. Frédéricq et Nuel sont ceux qui donnent les 35 proportions les plus grandes aux résidus de l'urine normale, et cependant ces proportions sont bien inférieures à celles que nous rencon- trons chez un malade de fièvre jaune. En effet, 72 pour 1000 de résidu total, c'est beaucoup plus que 48 que nous donnent les auteurs précités. 45 pour 1000 de matière or- ganique, c'est bien supérieur à 30 que l'on nous donne comme moyenne physiologique, et 27 pour 1000 de sels anorganiques, c'est bien supé- rieur à 18 que signalent les auteurs mentionnés. Je désire, Messieurs, que nous analysions un peu plus et que nous tâchions de nous rendre compte de l'augmentation des principes orga- niques. Rappelez-vous que les matières organi- ques contenues dans l'urine peuvent se réduire à l'urée, à l'acide urique, à l'acide hypurique, à la créatinine, à la créatine, aux pigments, et dans quelques cas, à l'albumine. Pensez aussi qu'en dosant l'urée au moyen de l'hypobromite de soude, on recueille non seu- lement l'azote de l'urée, mais encore celui qui entre dans la composition des acides urique et hypurique, delà créatinine, etc., etc. De manière que sous le nom d'urée, on comprend aussi l'a- zote de tous les composés qui le contiennent: par conséquent, dans le cas que nous venons de traiter, l'urine contenait 25,30 pour 1000, et dans ces 25,30 sont compris presque tous les 36 principes organiques renfermés dans toute uri- ne. Si à ces 25,30 nous ajoutons 3 parties qui correspondent à l'albumine, nous pourrons di- re que l'urine de notre malade de fièvre jaune contenait 28,30 des principes organiques déjà connus. Mais après l'incinération des 72 pour 1000 formant le résidu solide, j'ai trouvé qu'il ne restait que 27 parties de sels fixes, et que par cela même, j'avais perdu 45 parties correspon- dantes aux matières organiques capables d'en- trer en combinaison avec l'oxigène de l'air. Il y avait donc 16,70 d'excédent qui n'étaient ni de l'urée, ni aucun de ses dérivés, ni même de l'al- bumine. Qu'était donc cette matière organique inconnue? Plus tard, peut-être pourrai-je ré- pondre à cette question. Jusqu'à présent, Messieurs, nous avons ren- contré des altérations profondes dans l'urine, soit dans sa quantité, soit dans sa composi- tion; il nous faut absolument chercher si dans les reins, organes sécrétoires de ce liquide, nous rencontrons quelque chose qui puisse nous ex- pliquer les altérations que nous avons étudiées. Vous avez dans ce microscope une coupe du rein du malade de fièvre jaune décédé à l'hôpital. Cette préparation et toutes celles qui sont en ma possession ont été faites par mon excellent ami, M. le Dr. Miguel Alvarado, 37 dont vous connaissez tous l'habilité dans ce genre de travaux. Qu'il- me soit permis de lui adresser publiquement mes remerciements pour la bonne volonté avec laquelle, en dépit de sa mauvaise santé, il a prêté à mes travaux l'ap- pui de son gracieux et utile concours. Dans la préparation que vous avez sous les yeux, vous remarquerez d'abord que quelques points sont bien colorés par le picrocarminate d'ammoniaque, tandis que d'autres sont mal teintés et conservent une couleur légèrement jaunâtre. Vous verrez qu'il y a dans ces derniers points beaucoup de granulations jaunâtres dis- séminées, dont quelques unes réfractent forte- ment la lumière. Il est très possible que cette apparence ait contribué à généraliser l'idée una- nimement admise par la science que dans la fiè- vre jaune, il y a dégénération graisseuse du rein. Si vous fixez bien votre attention, et si vous vous arrêtez à étudier les éléments qui composent le rein, vous verrez que l'épithéliumqui tapisse les tubuli-contorti n'est pas aussi volumineux que celui que l'on rencontre dans l'état normal: vous remarquerez que beaucoup de tubes sont cou- verts de granulations jaunâtres, et vous noterez que plus celles-ci sont nombreuses, plus l'épi- thélium se trouve diminué de volume, comme rugueux et flétri. Dans quelques tubes, il reste adhérent à la paroi, mais étant plus petit et 38 moins tomenteux, il laisse une cavité perceptible dans l'axe du tube. En d'autres endroits, vous verrez que l'épithélium flétri est tombé et forme des masses dans la cavité du tube même. Dans la partie ascendante des anses de Henle, où normalement se trouve un épithélium sem- blable à celui des tubuli-contorti, il y a des alté- rations égales à celles que j'ai décrites plus haut. Si vous observez la partie descendante des anses et la partie des tubes qui forment les pyramides de Ferrein, vous les verrez comme variqueuses et parfaitement pleines, et soit par transparence, soit directement dans les parties divisées, vous verrez que la matière qui les remplit est une substance granuleuse et d'une couleur jaunâtre. En résumé, les altérations du rein consistent: l9, dans l'altération et la chute de l'épithélium tomenteux qui tapisse les tubuli-contorti et la partie ascendante des anses de Henle: 29, dans l'obstruction d'un grand nombre de tubes ré- naux par une substance granuleuse jaunâtre. Connaissant déjà les altérations de l'organe, voyons si elles peuvent nous expliquer les-mo- difications de l'urine. La présence des engorgements dans les tubes nous explique très bien la diminution et même la suppression de l'urine. En supposant qu'il n'y ait point de passage libre depuis les glomérules jusqu'aux bassinets, l'urine est retenue dans le 39 parenchyme rénal jusqu'à ce que sa tension soit égale à celle des glomérules, et par cette raison, l'exhalation de la partie liquide du sang est empêchée. D'un autre côté, l'altération des épithéliums tomenteux nous explique la présence de l'albu- mine dans l'urine et la difficulté avec laquelle l'urée est éliminée du sang. Jusqu'à ce jour, on n'a pas expliqué d'une manière satisfaisante la présence de l'albumine dans l'urine lorsque les épithéliums rénaux sont altérés; mais à défaut d'explication, l'ob- servation quotidienne de l'albuminurie, dans les cas de néphrite parenchymateuse, nous assure de la réalité du fait. Ainsi, nous comprendrons facilement pourquoi les urines des malades de fièvre jaune renferment de l'albumine. Les magnifiques travaux de Heidenheim sur la sécrétion de l'urine sont une preuve manifeste de l'importance des épithéliums tomenteux qui tapissent les tubulir-contorti et la partie ascen- dante des anses de Henle dans l'élimination de l'urée. Contrairement à l'opinion de Ludwig, qui croyait que l'urine venait entièrement for- mée depuis sa sortie des glomérules et que dans son passage à travers les tubes, elle perdait une partie de son liquide par absorption, Heiden- heim nous a fait voir que l'urée est séparée du sang par les épithéliums à bâtonnets qui exis- 40 tent dans les endroits déjà signalés, et que pa- reillement à ce qui se passe avec le sulfate d'in- digo, les épithéliums sont les seuls qui aient la faculté de séparer l'urée du sang et de l'aller vider peu à peu clans la cavité des tubes, de manière que la sérosité du sang que transsudent les glomérules se charge d'urée en passant par les tubuli-contorti et par la partie ascendante des anses de Henle. Cette théorie, qui est certainement d'accord avec beacoup de faits physiologiques, donne la raison suffisante du manque d'élimination d'urée du sang et de son accumulation dans l'orga- nisme. J'espère vous avoir suffisamment démontré que les altérations anatomico-pathologiques nous expliquent très bien la rareté de l'urine, la présence de l'albumine chez elle, et l'état urémique du sang. La plupart des praticiens et des auteurs qui ont écrit sur la fièvre jaune nous disent que la gravité de cette maladie est proportionnelle à la rareté de l'urine. Si l'urine est retenue d'une manière complète, on peut perdre l'espoir de sauver le malade; si, au contraire, l'urine est excrétée en abondance, on est presque sûr de triompher du mal. Si ces lois sont exactes, ainsi que l'expérience semble le démontrer, on ne s'aventurera pas 41 trop en disant que la gravité de la fièvre jaune est proportionnelle aux accidents des reins, et que cette maladie ne devrait plus être considérée comme une fièvre essentielle, mais bien comme une altération particulière du parenchyme des reins. . Le temps nous dira si cette manière de voir est, ou non, fondée. Laissons ce sujet pour le moment, et passons à un autre d'une grande importance. Je veux parler, Messieurs, de la recherche de la cause qui détermine la coloration jaunâtre chez les individus attaqués du typhus icteroïdes. Cette coloration a appelé l'attention de tous les observateurs: c'est un phénomène constant, et sa façon d'être est toute particulière. Ce symptô- me est tellement marqué que seul il a servi à désigner clans toutes les langues cette entité morbifique. En espagnol, on l'appelle jiebre ama- rilla; les Français la connaissent sous le nom de fièvre jaune, et les Anglais la nomment yellow fever. Comme un des symptômes les plus re- marquables de l'affection fébrile, ce sujet m'a naturellement vivement préoccupé, et j'y ai porté toute monattention depuis les premiers cas que j'ai eu l'occasion d'étudier. Je savais bien que la plupart de ceux qui ont étudié notre fièvre jaune ont cru que la colora- tion particulière des malades est due à un véri- 42 table ictère ou à la pénétration des matières colorantes de la bile dans le torrent circulatoire. Je savais également qu'un certain nombre d'au- teurs niaient la nature biliphéique de la colo- ration, et qu'ils la considéraient plutôt comme hémaphéique, c'est-à-dire, due à une modifica- tion de la matière colorante du sang. Pour me former une opinion propre, je me suis également adressé à l'urine, et j'ai cherché si ce liquide contenait, ou non, des matières co- lorantes de la bile. Pour faire cette étude, j'ai attendu que nos deux premiers malades fussent arrivés à la période de coloration jaunâtre, et c'est alors que j'ai analysé les urines. Dans notre clinique, vous avez souvent vu faire ces recherches, et vous avez été témoins de la facilité avec laquelle l'acide nitrique char- gé de vapeurs nitreuses, ou bien l'emploi du nitrate de soude et de l'acide sulfurique nous ont donné des réactions caractéristiques, même dans les urines peu riches en matières colorantes de la bile. Eh bien, l'emploi de ces réactifs nous a appris que les urines des malades de fièvre jaune ne fournissaient aucune preuve évidente qu'elles renfermaient ces principes colorants. En traitant ensuite ces mêmes urines par l'a- cide sulfurique concentré, réactif qui se recom- mande pour découvrir l'urophéine, nous avons obtenu une coloration rouge-obscur, semblable 43 à une infusion chargée de thé: cette réaction est considérée comme caractéristique de l'uro- phéine. D'après ces résultats, nous nous sommes d'a- bord incliné devant les praticiens qui considè- rent la coloration jaunâtre de nos malades com- me une teinte hémaphéique et non biliphéique, mais une remarque que nous avons faite ensuite a modifié notre manière de voir. Dans les urines recueillies immédiatement après, nous avons noté une coloration jaunâtre qui se rapprochait de la couleur de la gomme- gutte et nous avons remarqué que de plus leur apparence était trouble. Après avoir filtré ces urines, nous avons obtenu un liquide transpa- rent et de cette couleur rougeâtre qu'ont habi- tuellement les urines fébriles: il restait dans le filtre une substance jaunâtre de la couleur que l'urine avait auparavant. Cette substance examinée au microscope nous a paru formée de granulations sphériques plus ou moins volumineuses: les unes plus petites que les globules du sang, les autres plus gran- des que ces corpuscules. Quelle était donc cette substance jaunâtre qui colorait ainsi l'urine?1 1. Plus tard, en déféquant l'urine d'un malade de fièvre jaune au moyen de l'acétate de plomb et du carbonate de soude, j'ai pu remarquer que l'on obtient un liquide jaune 44 La résolution de ce problème m'a semblé très importante pour définir la coloration de nos malades: premièrement, parce que cette couleur avait beaucoup d'analogie avec celle qui se voit dans les. conjonctives et dans la peau; couleur qui, soit dit en passant, diffère beaucoup de la coloration jaune verdâtre qui caractérise le vé- ritable ictère; et secondement, parce que, mêlée à l'urine, elle cachait la coloration propre de l'urine fébrile pour lui donner cet aspect trou- ble et de couleur jaune gomme-gutte. La dé- couverte de cette matière cellulaire nous don- nait la clef du point douteux que nous avions laissé pendant. Rappelez-vous, en effet, qu'il y a un instant, en vous parlant de la quantité de matière orga- nique rencontrée clans les urines de la fièvre jau- qui tire sur la couleur de la gomme-gutte. Or, si par le même procédé, on défèque une autre urine, normale ou pathologique mais qui ne provienne pas d'un malade du vomito, on obtiendra toujours un liquide transparent et sans aucune coloration. J'ai fait la défécation de plusieurs urines ictériques, dont quelques unes étaient excessive- ment chargées de matières colorantes de la bile, et j'ai tou- jours obtenu un liquide parfaitement incolore. Par consé- quent, ce n'est pas la bile qui teint en jaune gomme-gutte les urines des malades de fièvre jaune. Nous étudierons ensuite les propriétés de cette matière colorante et la re- lation qu'elle a avec la matière granuleuse dont nous nous occupons. 45 ne, je vous disais qu'elles contenaient un excès de matière organique qui n'était certainement pas due aux principes que nous connaissons dé- jà dans l'urine. Encouragé dans la présomp- tion que nous avions déjà de l'existence d'une nouvelle matière organique, nous avons pour- suivi nos recherches et profité de l'occasion de sa présence chez un de nos malades pour exa- miner la sérosité de l'ampoule d'un vésicatoire qui avait également cette coloration jaunâtre spéciale. Le microscope nous y a montré les mêmes cellules que nous avions rencontrées dans l'u- rine. Après la mort de nos deux malades, nous avons examiné à l'auptosie le tissu cellulaire sous-cutané de diverses parties du corps, et nous y avons constamment rencontré les mêmes granulations jaunâtres. Il était donc indiscutable qu'il existe dans la fièvre jaune une matière organique et granu- leuse, de couleur jaunâtre, qui se répand dans toute l'économie, et il était positif que la colora- tion jaunâtre est due à la présence de cette ma- tière organique. Comment expliquons-nous alors la réaction de l'urophéine dans l'urine, c'est-à-dire, la co- loration rouge-obscur que donne l'acide sulfu- rique concentré? 46 L'explication me paraît facile: l'acide sulfu- rique détruit et carbonise la matière organique, et celle-ci existant en grande quantité dans l'u- rine, sa carbonisation produit cette couleur rou- ge-obscur que l'on a donnée comme caractéris- tique de l'urophéine. Je vous présente dans ce second microscope une coupe très mince du foie de l'un de nos ma- lades de fièvre jaune, et vous rencontrerez dans cette préparation un détail très curieux. Toute la préparation est teintée par le picrocarminate d'ammoniaque, et c'est pour cela que vous vo- yez en rouge, non seulement les cellules hépati- ques, mais encore les espaces interlobulaires, ainsi que la tunique adventice des vaisseaux sanguins, mais vous apercevez beaucoup de ra- mifications de la veine-porte plus ou moins remplies d'une matière granuleuse et de cou- leur jaune qui contraste visiblement avec la couleur rouge du reste de la préparation. Re- marquez aussi qu'il y a des vaisseaux relative- ment volumineux qui sont presque pleins de cette substance granuleuse jaunâtre. Je mets sous vos yeux un des vaisseaux les plus volumineux représenté dans la photogra- phie que j'offre à votre examen, [photographie numéro 1]. Dans le portrait photographique, il manque le remarquable contraste qui existe en- tre la teinte jaunâtre du contenu des vaisseaux 47 et la coloration rougeâtre du reste de la prépa- ration, mais vous pouvez bien juger du calibre du vaisseau et de la grande masse jaunâtre qui apparaît ici plus obscure que le reste de la pré- paration, parce que, vous le savez, la lumière jaune agit sur le collodion du cliché d'une façon plus intense que la lumière rouge-obscur. Cette épreuve photographique, ainsi que beau- coup d'autres que j'aurai le plaisir de vous mon- trer, sont dues à l'amabilité de mon intelligent ami, M. Pablo Berges qui, comme simple ama- teur, s'est mis à mon entière disposition pour tout ce qui se rapporterait à la photographie microscopique. Si j'ai tant insisté pour vous faire soigneuse- ment examiner cette préparation, c'est qu'elle vient à l'appui de la conclusion à laquelle nous étions arrivés auparavant: que dans l'économie des malades de fièvre jaune, il existe une subs- tance organique particulière qui apparaît, non seulement dans l'urine, mais aussi dans la sé- rosité des vésicules qui humecte le tissu cellu- laire, et que nous l'avons trouvée remplissant quelques vaisseaux sanguins. Dans la prochaine leçon, nous essaierons de rechercher la nature de cette matière organique; mais avant de terminer, je veux vous rappeler un détail très important de cette coloration. Vous savez, par ce que vous avez lu dans vos 48 livres, que tous ceux qui ont étudié la fièvre jaune ont remarqué que la teinte jaunâtre des malades augmente d'intensité après la mort, et que chez beaucoup de ceux qui meurent avant son apparition, cette couleur se développe peu à peu sur leur cadavre jusqu'à arriver à un de- gré assez foncé. Comment cette coloration peut- elle être due aux matières colorantes de la bile, ou à la présence de l'hémaphéine, alors que tout mouvement vital a disparu chez l'individu? Comment la matière colorante de la bile pour- ra-t-elle pénétrer dans le torrent de la circula- tion, lorsque la circulation a complètement dis- paru? Ces objections auraient dû suffire pour dé- truire les hypothèses admises jusqu'à ce jour. J'espère vous donner, dans le cours de mes le- çons, une explication plus satisfaisante. TROISIÈME LEÇON. Messieurs: Dans notre dernière leçon, nous avons com- mencé à essayer de rechercher la cause de la coloration jaunâtre des malades attaqués du vomito noir. Ce point est si intéressant que je vais me permettre de récapituler les raisonne- ments émis auparavant, tout en vous recomman- dant de prêter la plus grande attention à ce que je vous dirai de nouveau aujourd'hui, car c'est le point fondamental de la doctrine parasitaire de la fièvre jaune. Je vous ai dit, dans notre dernière séance, que la coloration jaunâtre qui donne son nom à la maladie que nous étudions n'a point la teinte verdâtre du véritable ictère; je vous ai dit aussi que l'urine de nos malades ne donne pas la réaction des matières colorantes de la bile; 50 je vous ai également annoncé que ces urines ont un aspect trouble et une coloration jaune gomme-gutte, due à l'existence d'une matière organique, d'aspect globuleux, et qui se trouve en suspension dans ce liquide. Je vous ai dit encore que dans la sérosité des vésicules et dans le tissu cellulaire, on trouvait aussi la même substance, et avec les mêmes caractères que dans l'urine. Enfin, je vous ai fait voir dans les coupes du foie l'existence de conglomérats granuleux, de couleur jaunâtre dans les ramifi- cations de la veine-porte.1 De tout ce que je vous ai exposé, on peut fa- cilement déduire que dans la fièvre jaune, il y a un principe répandu dans toute l'économie, et dont la couleur jaune peut être la cause de la teinte spéciale de nos malades, et cette hypo- thèse est d'autant plus probable que, comme je viens de le dire, la dite coloration n'est pas due à la pénétration des principes colorants de la bile, puisque ces principes n'existent pas dans l'urine. Aujourd'hui, nous avons à rechercher: l9, quelle est la nature de cette matière organique; 29, si les dits conglomérats granuleux que nous 1. Il ne faut pas oublier que j'ai vu plus tard que los liquides étaient teints d'une couleur jaune-gutte par une matière colorant© qui s'y était dissoute. 51 avons vus dans les vaisseaux de la veine-porte sont de la même nature que les cellules que nous avons rencontrées dans l'urine, dans la sérosité des vésicatoires et dans le tissu cellu- laire; 39, enfin, si cette matière organique existe pendant la vie des malades, ou si elle n'appa- raît seulement qu'après la mort, ou dans l'urine après son émission. Pour étudier le premier point, il nous fallait examiner très attentivement les urines, et cel- les de nos malades avaient déjà été épuisées dans les études antérieures. Pour arriver à no- tre but, il fallait, ou demander des urines à Ve- racruz, ou bien attendre patiemment qu'un autre malade tombât dans nos mains. Ce der- nier moyen eût été préférable, mais comme le délai pouvait être indéfini, et que notre impa- tience était grande, nous avons résolu d'écrire à notre ami, le Dr. Garmendia, qui habitait Veracruz, pour le prier de nous envoyer des spécimens d'urines provenant de malades du vomito. Grâce à sa complaisance, nous en avons reçu plusieurs que nous nous sommes appliqué à étudier minutieusement. Voici ce que nous avons vu et ce que nous avons trouvé dans toutes les urines observées jusqu'à ce jour. On trouve dans toutes de petites granulations légè- rement jaunâtres, de forme ovoïde et excessi- vement petites, car elles ne mesurent qu'un 52 millième de millimètre de diamètre; elles ont un mouvement oscillatoire caractéristique, et par leur forme et leur aspect, elles ressemblent beaucoup aux monades ou bacteria punctum de la putréfaction. Comme l'urine sur laquelle nous faisions cette première observation venait de Veracruz, c'est-à-dire, d'un climat chaud, et comme il s'était écoulé déjà trois ou quatre jours depuis son émission, la putréfaction se trouvait déjà avancée; c'est pourquoi nous avions besoin de rechercher si ces points mobiles étaient des produits de la putréfaction ou d'une cause dif- férente. En continuant notre étude jour par jour, et pour ainsi dire, heure par heure, nous notions que ces granulations s'unissaient deux à deux, puis augmentaient, se développaient en prenant des dimensions plus grandes et en di- minuant leurs mouvements propres à mesure qu'elles grandissaient. Leur coloration chan- geait également, et les points semi-transparents, d'aspect brillant et de couleur légèrement jau- nâtre, se transformaient en cellules opaques de couleur rougeâtre, quand on les voyait par ré- fraction, mais vues par réflexion et sur un fond obscur, leur couleur était jaune gomme-gutte. Leur volume allait chaque fois en augmentant. Au bout de cinq ou six jours, il y avait des sphères de différents diamètres, depuis deux jusqu'à vingt-quatre millièmes de millimètre 53 de diamètre. Il était curieux de voir comment parfois l'union des deux granulations primiti- ves était complète, et comment elles se fon- daient en une cellule parfaitement sphérique- en d'autres cas, les vésicules se tenaient un peu écartées, et l'on voyait, dans leur partie média- ne, une ligne obscure semblant être le vestige de la cloison qui séparait primitivement les deux granulations qui s'étaient unies; d'autres fois, enfin, la grosse cellule affectait la forme d'un huit de chiffre, ou de deux petits globes unis par une ceinture étroite; il paraissait seulement que les deux granulations primitives n'avaient pu se fondre l'une dans l'autre d'une manière com- plète. Il y avait encore ceci à noter: si l'on étudiait ces mêmes urines à des époques plus éloignées de leur émission, on remarquait que les gra- nulations qui ne s'étaient pas unies deux à deux, n'arrivaient jamais à leur parfaite ma- turité. Dans certaines conditions, que nous étudie- rons plus tard, elles grandissaient, se déve- loppaient, perdaient leur mouvement, mais elles ne parvenaient pas à acquérir la couleur rouge-jaunâtre, ni l'opacité de celles qui se dé- veloppaient après leur accouplement. Elles gardaient leur aspect brillant et la couleur lé- gèrement jaunâtre des granulations primitives; 54 elles ressemblaient beaucoup à des gouttelettes de graisse parfaitement libres. Toutes ces transformations se font d'une ma- nière successive, et dans la même préparation, on peut voir une graduation non interrompue, depuis la granulation primitive, jusqu'aux cel- lules les plus volumineuses, et cette circons- tance donne à l'esprit la conviction que les gros- ses cellules immobiles viennent évidemment des petites granulations mobiles. Après toutes ces observations, je me suis convaincu de deux choses: la première, que les petits points qui ressemblent aux monades de la putréfaction n' en étaient pas en réalité, puis- que ces bactéries ne subissent pas les transfor- mations que j'ai décrites; là deuxième, c'est que la substance granuleuse que nous avons vue dans les vaisseaux de la veine-porte est de la même nature que les cellules observées dans les urines, dans la sérosité des vésicatoires, etc, puisque nous avons vu que les granulations se transforment en cellules. Bien qu'il n'ait pas été dit que les bactéries de la putréfaction subissent les transformations que j'ai décrites, et quoique m' appuyant là- dessus, on eût pu admettre que c'étaient deux choses entièrement différentes, mais il m' était nécessaire de le démontrer jusqu'à l'évidence, afin qu'il ne subsistât pas le moindre doute 55 sur ce point qui est la base de mes doc- v tri nés. Il me fallait pour cela attendre patiemment un nouveau malade, chez lequel je pusse dé- montrer l'existence de la granulation élémen- taire avant que l'urine n'arrivât à l'état putride. L'occasion se présenta enfin, et ce fut encore M. le Dr. Mejia qui m'aida à réaliser mes désirs. Le 16 Juillet de l'année passée, il m'invita à venir voir Madame Magdalena E. de C......, née à Mexico, âgée de 33 ans, qui venait d'arri- ver de Veracruz avec le vomito noir. Cette da- me était si gravement attaquée qu'elle succom- ba le 18, à 2 heures de l'après-midi. Avec son obligeance caractéristique, M. le Dr. Mejia fit porter chez la malade son microscope et tous les réactifs nécessaires, de manière que sans perdre de temps nous avons pu étudier au microscope l'urine ainsi que le sang de notre patiente. Le premier et le second jour de notre obser- vation, nous n' avons pu obtenir l'urine dans un état de pureté parfaite, car malgré nos re- commandations à la famille, nous trouvions toujours l'urine mêlée aux matières fécales. L'impureté de ces urines nous a empêchés d'y chercher les proportions d'urée et de matière organique ainsi qu'il eût été bon de le faire. Le 17, l'anurie en était arrivée à être presque com- plète, et ne voulant pas laisser échapper cette 56 occasion d'étudier l'urine au microscope, nous avons dû employer la sonde pour la faire sortir. Avant l'opération, le cathéter avait été lavé avec de l'eau et de l'alcool, ainsi que le petit flacon dans lequel nous devions recueillir l'urine. L' opération nous a donné tout au plus une demi-once d'urine que nous avons immédiate- ment étudiée au microscope. J'y ai rencontré un grand nombre de lames d'épithélium rénal littéralement recouvertes de granulations bril- lantes qui se détachaient peu à peu de l'épithé- lium et qui se mettaient à nager dans le liquide avec le mouvement oscillatoire qui leur est pro- pre; peu après, elles ont commencé à s'unir deux à deux et à augmenter de dimensions en subis- sant les changements que nous avons déjà dé- crits. On ne pourra pas dire que ces petites granu- lations fussent le produit de la putréfaction, puisque l'urine a été étudiée immédiatement après sa sortie de la vessie, et qu'elle ne conte- nait ni vibrions, ni bactéries, ni aucun autre des organismes que nous avons coutume de voir dans les liquides déjà arrivés à la fermen- tation. Cependant, s'il vous restait encore quelque doute, si vous pouviez supposer, par exemple,. que cette urine fût entrée en putréfaction à l'in- térieur même de la vessie, je vais vous donner 57 une autre preuve irréfutable que ces organis- mes préexistent dans l'économie vivante. Dès notre première visite à cette malade, nous nous sommes proposé d'en étudier le sang au mi- croscope et nous avons continué à le faire à chacune de nos visites jusqu'à sa mort. Après avoir lavé avec de l'eau et de l'alcool les verres, le porte-objet et le couvre-objet, ainsi que le doigt de la malade, nous l'avons piqué, et re- cueillant le sang, nous l'avons immédiatement recouvert avec le couvre-objet pour le porter aussitôt au microscope. Or, dans toutes les préparations, sans excep- tion, nous avons rencontré, nageant parmi les globules sanguins, les mêmes petites granula- tions que nous avions trouvées dans l'urine. ' Dans le sang, elles avaient le même mouvement et la même tendance à s'unir deux à deux. De plus, si l'on examinait avec attention les glo- bules sanguins, on y voyait beaucoup de cellu- les, les unes de la grandeur des globules rouges, les autres de la grandeur des globules blancs; mais en regardant attentivement, on remarquait que les unes étaient sphériques, tandis que les globules rouges sont discoïdes; et que les plu? volumineuses n'avaient pas l'aspect tomenteux des globules blancs. D'autre part, si l'on chan- geait lentement le foyer du microscope, on no- tait que toutes ces cellules avaient un aspect 58 brillant que n'ont pas les globules du sang. La ressemblance qui existe, à première vue en- tre ces cellules et les hématies est telle qu'il n'y a pas lieu de s'étonner qu'elles n'aient pas été découvertes plus tôt. J'en reviens donc à vous dire qu'à chaque examen du sang, nous rencontrions toujours les mêmes résultats, et qu'il semblait, à mesure que le temps avançait, que les petites granula- tions mobiles devenaient plus nombreuses. Les docteurs Mejia, Oribe et Garmendia ont été témoins de ces détails. Ces faits étant bien confirmés, il n'est plus possible de douter; et si grande que soit la res- semblance qui existe entre ces granulations et la bacteria-punctum de la putréfaction, il est impossible de les confondre. Nos granulations subissent des transformations qui n'ont point été décrites chez les bactéries de la putréfaction; elles existent dans l'urine qui vient de sortir de la vessie, et enfin nous les avons vues pen- dant la vie, dans le sang des malades attaqués de fièvre jaune. Plus tard, quand nous connaî- trons ces organismes, vous saisirez l'impossibi- lité de les confondre avec ceux de la putréfac- tion. Je devais démontrer expérimentalement que la matière granuleuse jaunâtre qui remplissait les vaisseaux de la veine-porte était formée des 59 granulations mobiles que l'on aperçoit dans l'urine et dans le sang de nos malades. Pour vous prouver leur identité, je me per- mettrai de vous relater l'expérience suivante: J'ai démonté une préparation du foie sembla- ble à celle que j'ai eu le plaisir de vous mon- trer dans notre dernière leçon. Je dois vous avertir qu'il y a plus de trois ans que ces pré- parations sont renfermées dans du baume du Canada desséché. Pour détacher la préparation, je l'ai fait ma- cérer pendant plusieurs heures dans l'essence de térébenthine afin de ramollir le baume du Canada; une fois ce résultat obtenu, j'ai pressé doucement le verre couvre-objet sur le porte- objet, et j'ai obtenu parla pression une goutte de baume du Canada ramolli par la térében- thine; j'ai placé cette goutte sur un autre verre porte-objet et j'ai ajouté une petite quantité de chloroforme pour dissoudre le baume du Canada d'une manière plus parfaite; j'ai mis ensuite un peu d'eau distillée, et j'ai placé des- sus un autre verre couvre-objet. Après avoir porté la préparation au champ du microscope, je remarquai que, comme il y avait lieu de le supposer, l'eau et le baume du Canada ramolli ne s'étaient point mêlés, et que dans les parties où le baume du Canada se trou- vait sans eau, on voyait un grand nombre de 60 granulations et de cellules jaunâtres parfaite- ment immobiles, mais que l'eau avait entraîné des milliers de granulations qui, dans ce liqui- de, étaient animées de leur mouvement oscilla- toire aussi parfait que si nous les avions obte- nues le jour même de l'urine ou du sang. Après avoir séparé le verre couvre-objet du porte-objet de la préparation, j'ai détaché la coupe du foie pour la faire macérer quelques minutes dans l'eau distillée; je l'ai mise ensuite sur un verre porte-objet et je l'ai portée au champ du microscope pour examiner les con- glomérats jaunâtres renfermés dans les capillai- res hépatiques. J'ai vu la matière granuleuse entièrement compacte et je n'ai remarqué aucun mouvement dans les granulations. J'ai pris alors un microscope simple, et j'ai essayé de désagréger le conglomérat granuleux au moyen d'une aiguille, puis y ayant ajouté une goutte d'eau, je me suis remis à l'examen avec un grossissement convenable (400 diamètres): j'ai noté alors que les granulations détachées re- trouvaient dans l'eau leurs mouvements oscil- latoires comme si elles n'avaient jamais été enfermées dans le baume du Canada. Ces expé- riences ont été faites en présence du Dr. Mi- guel Alvarado et de M. Pablo Berges. Messieurs, cette expérience est décisive, par- ce qu' elle nous démontre, non seulement que 61 les conglomérats jaunâtres que vous avez vus dans les capillaires de la veine-porte sont for- més par les mêmes granulations mobiles que l'on rencontre dans les urines et dans le sang des malades de fièvre jaune, mais parce qu'elle nous prouve aussi l'énorme résistance de ces organismes qui conservent toute leur vitalité, après être restés plus de trois ans dans le bau- me du Canada, et en dehors du contact de l'air. Voici la photographie Num. 2, qui représen- te la coupe d'un vaisseau sanguin du rein. Vous y verrez que si ce vaisseau ne contient pas des conglomérats aussi volumineux que ceux que vous avez trouvés dans le foie, cependant, on y voit disséminées ces mêmes granulations, qui réunies forment ces conglomérats. Cette prépa- ration vous démontre que dans toutes les par- ties de l'organisme existent les mêmes éléments, agglomérés sur quelques points, disséminés en d'autres. Je mets sous vos yeux, {photographie num. 3) une partie de la photographie numéro 1, gros- sie autant que la précédente. Vous y verrez disséminés les mêmes éléments, et avec les mê- mes caractères que ceux que vous avez vus dans la photographie antérieure. Pourra-t-on encore douter que la coloration jaunâtre typique du vomito noir soit due à la 62 généralisation d'un organisme vivant dans l'é- conomie. Cette doctrine étant acceptée, rien n'est plus facile que d'expliquer le mystérieux phénomène de la nuance jaunâtre après la mort. L'orga- nisme qui existe clans toutes les parties de l'éco- nomie ne meurt pas parce que le malade suc- combe, et comme il rencontre dans le sang et dans tous les liquides les éléments nécessaires à son développement, il croît, se meut, et même se multiplie, augmentant ainsi de moment en moment la coloration du cadavre. Ainsi s'explique facilement un fait qui a tant appelé l'attention et qu'il n'était pas aisé de com- prendre, alors que l'on admettait que la colora- tion jaune était due à la bile ou à l'hémaphéine. L'existence de ce même organisme va ser- vir à nous expliquer un autre phénomène qui n'avait pas reçu non plus une explication satis- faisante. Je veux parler de l'aspect de clégéné- ration graisseuse de tous les tissus de l'écono- mie. Si vous consultez vos livres de texte, tous vous diront que dans la fièvre jaune, le foie, les reins, le cœur, les muscles, etc, dégénèrent en graisse. Aussi beaucoup d'observateurs se de- mandent-ils comment tous les organes ainsi dégénérés peuvent revenir brusquement à l'état physiologique quand la fièvre jaune se termine par la guérison. 63 Cette difficulté disparaît entièrement si nous admettons, comme cela est certain, que la dégé- nération n'est qu' apparente; ce ne sont pas les cellules qui se transforment en graisse, mais les granulations mobiles qui y sont déposées qui grandissent et s'y développent, comme nous l'avons vu, en prenant l'aspect de gouttes de graisse. Ne croyez pas que cette explication soit une pure théorie, car dans la préparation du foie que j'ai démontée, j'ai pu voir comment d'entre les cellules hépatiques se détachaient, soit des gra- nulations oscillatoires, soit des vésicules d'as- pect graisseux. Rappelez-vous, messieurs, ce que vous avez observé dans la coupe du rein que je vous ai montrée clans la leçon précédente. Ici, vous avez remarqué que l'épithélium tomenteux des tu- buli-contorti était rempli de granulations jau- nâtres, et que dans d'autres endroits les cellules flétries de l'épithélium se détachaient de la pa- roi du tube et tombaient à l'intérieur de son ca- libre. De plus, vous avez vu que les tubes qui forment les pyramides de Ferrein étaient rem- plis d'une matière granuleuse jaunâtre. . Comprenez-vous maintenant la cause de ces altérations anatomo-pathologiques? Le petit organisme vient se déposer dans les cellules de l'épithélium, ainsi que nous l'avons vu dans 64 l'urine de la malade dont je vous parlais tout à l'heure; ces microbes se nourrissant des sucs de la cellule de l'épithélium, cette cellule se flé- trit et tombe. La destruction de l'épithélium tomenteux des tubuli-contorti diminue néces- sairement l'élimination de l'urée du sang. La matière granuleuse jaunâtre qui forme les en- gorgements des autres tubes du rein est la mê- me que nous avons vue dans les capillaires de la veine-porte, et c'est elle qui empêche le pas- sage libre de l'urine, depuis les glomérules jus- qu'aux bassinets. Pour terminer, je vous présente les petites granulations mobiles que j'ai conservées depuis plus de trois ans dans ce résidu d'urine dessé- chée. Avec la pointe d'une aiguille, j'en prends une très petite quantité que je dépose sur un verre porte-objet; j'y ajoute une goutte d'eau distillée, et je la recouvre avec le verre couvre- objet: vous pouvez y voir au microscope des milliers de ces organisations douées d'un mou- vement oscillatoire. Voici également deux pho- tographies portant les numéros 4 et 5. Le numé- ro 4 vous montre les petits organismes mobiles, et le numéro 5, les cellules jaunes dans lesquel- les les petites granulations se transforment après leur union. QUATRIÈME LEÇON. Messieurs: Avant de terminer la dernière leçon, je vous ai parlé de la dégénération graisseuse dans tous les organes de l'économie des malades de la fiè- vre jaune, et je vous ai indiqué légèrement l'ob- jection soulevée contre cette hypothèse. On a dit avec raison que la soi-disant dégé- nération graisseuse n'est pas compatible avec la rapidité du retour des organes à l'état physiolo- gique. Il est vrai que l'on peut voir un convalescent de cette maladie garder très longtemps une santé fort délicate, et l'on peut observer égale- ment que le retour complet à l'état physiologi- que ne se fait chez lui que d'une manière lente et graduelle. Mais on rencontre aussi beaucoup de cas où la convalescence est rapide et où le 66 retour à l'état normal a lieu en quelques jours; enfin, il n'est pas rare de trouver des personnes qui, après une attaque de fièvre jaune, jouissent d'une santé meilleure qu'auparavant. Du reste, comment est-il possible de supposer qu'un foie dont les cellules auraient été transformées en graisse, ou qu'un muscle ayant subi la dégéné- ration en question puissent revenir en quelques jours à leur état normal? A en juger par ce que nous voyons dans les autres cas de dégénération graisseuse, nous pou- vons dire que ce retour est, sinon impossible, du moins difficile. Qui donc a vu jusqu'à présent un foie affec- té d'hépatite parenchymateuse revenir à l'état normal? Il n'est pas possible que les cellules du foie qui ont été détruites puissent être rem- placées par de nouvelles cellules: personne, jus- qu'à ce jour, n'a décrit ce fait. Ce que nous di- sons pour le foie peut aussi bien s'appliquer aux fibres musculaires, et personne, jusqu'ici, n'a vu un muscle dégénéré en graisse revenir à l'état physiologique. Par conséquent, s'il était exact qu'il y ait dans le vomito noir une dégé- nération graisseuse de tous les organes, la gué- rison de cette maladie serait presque impos- sible. Si, au contraire, nous voyons, dans beaucoup de cas, la convalescence arriver d'une façon fran- 67 che et rapide, il est logique d'admettre que ce que l'on suppose une dégénération graisseuse n'en est seulement que l'apparence. Mais il y a encore autre chose: le docteur Jo- nes, des Etats-Unis, en étudiant cette dégénéra- tion graisseuse, nous dit péremptoirement que dans la fièvre jaune, la graisse, qui se dépose autour et à l'intérieur même des éléments cons- titutifs d'un organe, a la forme de très petits glo- bules de diverses grandeurs, mais il ajoute que cette graisse ne peut se dissoudre, ni dans l'e- ther, ni dans l'alcool, ni dans le chloroforme, et il termine en supposant que dans ce cas, il s'a- git de composés albumineux oujïbrineux. Après cet aveu, je demande ce que peut être cette graisse albumineuse ou Jibrineuse? Il aurait mieux valu dire tout simplement que ce qui semble de la graisse n'en est pas en réalité; car, je le répète, je ne connais pas de graisses albumineuses ou fibrineuses.1 1. J'ai déjà dit qu'en déféquant les urines des malades de fièvre jaune par le procédé ordinaire qui consiste à pré- cipiter l'urine au moyen de l'acétate de plomb, à filtrer et à enlever ensuite l'excès de plomb à l'aide du bicarbo- nate de soude, on obtient après la dernière filtration un liquide jaune gomme-gutte. Si l'on abandoune ce liquide à l'évaporation spontanée, on obtient un résidu de gros cristaux d'acétate de soude et de carbonate de soude d'u- ne couleur jaunâtre. Mais, si pour éviter la formation de 68 Vous voyez donc bien, Messieurs, que l'hy- pothèse de la dégénération graisseuse n'est pas soutenable: l9, parce que cette graisse n'a pas les propriétés chimiques communes à toutes les graisses; 29, parce que la dégénération suppo- sée ne serait pas compatible avec le rétablisse- ment rapide dans la convalescence. Ma doctrine de l'existence d'un organisme qui, dans son évo- lution, prend l'apparence de gouttes de graisse, ces cristaux, on précipite l'urine par l'acétate de plomb, et si après avoir filtré, on fait passer au travers du liqui- de un courant d'acide carbonique, on obtiendra la précipi- tation complète du métal et les acides acétique et carbo- nique resteront dissous dans le liquide. Ces deux acides volatiles se dégagent par l'évaporation spontanée et nous aurons comme résidu la matière colorante qui teint le li- quide en jaune. Cette matière colorante, que je propose d'appeler Ictéroïdine, se présente sous la forme d'un liquide épais, semblable au miel, de couleur légèrement rougeâtre, entièrement soluble dans l'eau, mais insoluble dans l'é- ther sulfurique, dans le chloroforme et dans le bromure d'éthyle; l'alcool pur le précipite, et si l'on examine ce précipité au microscope, on voit qu'il est formé de toutes petites gouttes do la même matière jaunâtre. Si l'on ob- serve Yictéro'idine au microscope, on y remarque un reflet brillant ayant beaucoup d'analogie avec le reflet de la graisse. La manière dont Yictéro'idine se comporte avec les dissolvants a une ressemblance complète avec les ré- sultats obtenus par le Dr. Jones, de la Nouvelle-Orléans, en opérant sur la soi-disant graisse des organes prove- nant de malades de fièvre jaune. 69 écarte toutes les difficultés et s'appuie sur tout ce que j'ai exposé antérieurement. Etudions maintenant ce que sont ces petits organismes et quelle est leur provenance. Le Dr. Freire, de Rio-de-Janeiro, qui avant moi avait fait quelques études sur ce sujet, (puis- qu'il en parle dans un petit travail publié en 1880) nous dit qu'il y a dans la fièvre jaune de petits organismes qui se présentent sous l'as- pect de points noirs, doués de mouvement, et capables de se transformer en cellules. Il classe ces cellules dans le genre cryptococcus, et cro- yant que ce cryptococcus est le générateur de la fièvre jaune, il lui a donné le nom de Cryptococ- cus Xanthogenicus. Le même docteur nous assure que son micro- be se reproduit dans le bouillon et la gélatine, et à propos de sa reproduction, il nous parle d'anthéridies! etc. Comme le Dr. Freire, j'ai vu, et vous avez pu voir, les granulations primitives qui plus tard subissent certaines transformations cellu- laires; cependant, nous différons, le Dr. Freire et moi, à plusieurs points de vue: le premier, c'est que j'ai vu les granulations mobiles, non pas noires, mais transparentes, brillantes et de couleur jaunâtre. Il est vrai que lorsque l'on ne dispose pas bien le foyer du microscope, ces pe- tits points mobiles paraissent obscurs et comme 70 de couleur noire, mais l'instrument étant bien ajusté, vous avez pu les voir avec tous les ca- ractères dont je vous ai déjà parlé. Le docteur Freire nous dit que son microbe se reproduit dans le bouillon et dans la gélatine, et plus tard je vous dirai que j'ai vu le contraire, c'est-à- dire, que ce microbe ne se reproduit pas d'.une manière aussi simple. Ainsi que moi, le Dr. Freire a vu ces granulations grandir et se trans- former en cellules; mais je vous ai dit qu'en règle générale les petits organismes s'unissent deux à deux avant de grandir, et j'ai ajouté que beaucoup d'entre eux arrivaient à prendre des dimensions considérables et à se transformer en sphères solides et jaunâtres. Je désire m'arrêter un instant pour exami- ner si le Dr. Freire a raison de considérer ces organismes comme de véritables cryptococcus. A mon avis, les cryptococcus sont des organis- mes très simples qui se présentent sous l'aspect de simples vésicules, sans mouvement aucun, et qui se reproduisent par la formation de petits bourgeons dans les vésicules anciennes. Per- sonne, que je sache, n'a décrit dans des micrococ- cus la reproduction par les anthéridies, repro- duction sexuelle que l'on a vue seulement chez certaines algues, ou chez des champignons d'u- ne organisation supérieure. D'autre part, dans l'étude que j'ai faite des 71 urines, des matières vomies et des autres liqui- des provenant des malades de fièvre jaune, à côté des granulations mobiles précitées, j'ai vu d'autres éléments très importants dont, pour plus de clarté, je ne vous avais pas parlé jus- qu'à présent. Le moment est venu de les dé- crire et d'en bien déterminer l'existence. A côté des petites granulations, vous disais-je, il se présente de gros et nombreux mycéliums dont quelques uns sont passablement longs. Ces mycéliums se rencontrent même dans les urines récemment sorties de la vessie, et cette circonstance nous prouve qu'ils ne sont pas ve- nus d'une façon accidentelle. Ces gros mycé- liums sont tellement abondants dans les urines des malades de fièvre jaune, que toutes les fois que l'on fait quelque préparation avec ces li- quides, au bout d'un ou deux jours, l'atmos- phère de l'habitation en est imprégnée, et ils se déposent sur les verres couvre-objet. Il nous est fréquemment arrivé d'alterner nos études et d'opérer tantôt sur des urines venant de malades de vomito noir, tantôt sur des uri- nes de différents malades, et nous avons conti- nuellement observé ce que je viens de vous di- re: quand on opère sur des urines autres que celles qui viennent des malades de vomito, il arrive quelquefois que des poussières de l'at- mosphère viennent se déposer sur le verre cou- 72 vre-objet, mais elles n'ont pas l'aspect des mycéliums; quand, au contraire, on étudie des urines de malades de fièvre jaune, les mycé- liums abondent immédiatement dans l'atmos- phère et viennent se déposer sur le couvre-ob- jet. Et cela a lieu si constamment, que cette observation est, j'en suis sûr, à la portée de qui- conque voudrait se convaincre de son exacti- tude. En laissant déposer les urines, et en ayant soin d'en prendre une partie des couches infé- rieures avec une pipette, on ne trouvera pas une goutte qui ne laisse voir un ou plusieurs my- céliums volumineux; si la goutte est un peu trop grosse pour que le verre couvre-objet par- vienne à la recouvrir entièrement, et s'il reste une petite quantité d'urine sur les bords, cette urine, au contact de l'air, perd sa partie li- quide par l'évaporation, et les mycéliums des- séchés sont facilement enlevés par les courants atmosphériques. L'existence de ces tubes mycéliaux dans l'u- rine, dans les matières vomies et dans les autres liquides de l'économie nous dit que l'organis- me générateur de la fièvre jaune ne peut être un cryptococcus, puisque les cryptococcus ne viennent jamais des mycéliums, mais sont tout simplement des éléments cellulaires. Ontre les granulations et les mycéliums, on 73 rencontre fréquemment d'autres éléments qui, quoique moins communs ne laissent pas de se montrer parfois. Il y a des urines dans les- quelles on voit des cellules très grosses, vides, de forme ovoïde et d'un volume qui atteint parfois 60 millièmes de millimètre. Ces cellu- les ont l'aspect de sacs vides, ou de petites bour- ses, ainsi que je les ai appelées en plusieurs occasions, et elles contiennent ordinairement à l'intérieur des points rougeâtres ou jaunâtres qui leur donnent une certaine ressemblance avec l'aventurine. Dans l'urine d'une malade convalescente de la fièvre jaune, les petits sacs étaient si nom- breux qu'on les comptait par centaines, et M. le Dr. Pablo Marti nez del Rio a eu plusieurs fois l'occasion de les examiner avec moi. Enfin, l'on voit ordinairement dans ces uri- nes des masses amorphes, de couleur blanc- jaunâtre, qui semblent formées de tissu mycé- lial, comme si quelques gros mycéliums eussent été réduits en fragments qui auraient été en- traînés par les urines. J'ai vu tous ces éléments, non pas une, mais plusieurs fois, soit dans les urines recueillies à Mexico chez des malades de fièvre jaune, soit dans les urines envoyées de Veracruz. Plus tard, nous rendrons compte de l'origine de ces rési- dus, nous bornant pour le moment à constater 74 qu'ils ne s'accordent pas bien avec l'existence d'un simple micrococcus, tel que le suppose le Dr. Freire. Je puis vous fournir encore d'autres preu- ves que les éléments rencontrés dans les uri- nes de nos malades de fièvre jaune appartien- nent à un degré d'organisation supérieure à celle des micrococcus, et en voici une: J'ai placé sous un verre porte-objet une goutte de la première urine que j'avais reçue de Veracruz et je l'ai recouverte avec le verre couvre-objet: aussitôt, j'ai aperçu les mêmes éléments dont j'ai parlé, granulations mobiles et cellules plus ou moins développées, résultant de l'union de deux des organismes élémentaires. Deux ou trois jours après, j'ai commencé à remarquer que les plus grosses cellules produi- saient, les unes un petit mamelon, les autres, deux à leurs pôles opposés; ces petits mame- lons s'allongeaient peu à peu et se transfor- maient en tubes mycéliaux, se divisant et se subdivisant, plusieurs fois. Un grand nombre de ces mycéliums débordaient le verre porte- objet, et en parvenant à l'extérieur, ils sem- blaient recouvrer une vigueur nouvelle en se divisant plusieurs fois, et en s'entrecroisant de manière à ressembler à ces haies formées de branchages que nous voyons fréquemment dans nos campagnes. 75 Cette observation nous démontre que les gros- ses cellules ne produisent pas directement d'au- tres cellules, comme cela arriverait chez un sim- ple micrococcus, mais que ces gros éléments produisent des mycéliums qui, plus tard, peut- être, pourraient donner leurs spores; du reste, il ne s'agit pas dans ce cas des organisations les plus simples: mais bien d'une cryptogame supérieure aux micrococcus. Je ne base pas la conclusion à laquelle je suis arrivé seulement sur l'observation que j'ai faite, et pour ne pas manquer à la vérité, je dois con- fesser que cette fois-ci, je n'ai pas vu la repro- duction complète du champignon. Mais d'autres observateurs ont été plus heureux et ont été à même de voir les spores, comme je vous le dirai plus tard. Pour le moment, je me bornerai à vous dire qu'au mois d'Avril 1884, le Dr. Silva Araujo, du Brésil, a publié dans un numéro de la "Union Medica de Rio-de-Janeiro," un mé- moire dans lequel il dit, qu'après avoir pris connaissance des travaux des Drs. Freire, Ga- ma Lobo, Araujo Goes, Lacerda, Couty, Beau- perthuis et des miens, il s'est proposé d'étudier lui-même les matières vomies, les urines et autres liquides de l'organisme des malades du vomito noir. Il a fait ces études de concert avec le Dr. Mayrinck et M. Vieira de Mello, étu- diant en médecine de 6ème. année. Quelque 76 temps après, M. le Dr. Moncorvo se joignit à eux. Dans son compte-rendu de leurs observations sur une préparation faite avec l'urine, il dit tex- tuellement: '■'■Nous avons rencontré une véritable forêt de tubes, c'est-à-dire, de rameaux d'un végétal micros- copique. Tout le champ du microscope était sillon- né par ces tubes qui étaient larges, longs et dont les contours étaient très nets et très visibles. D'es- pace en espace, ces tubes portaient des boutons ou bourgeons semblables à ceux de la canne à sucre. Parmi ces tubes, quelques uns étaient droits; d'au- tres, un peu irréguliers, décrivaient des lignes cour- bes ou brisées. Beaucoup se divisaient en deux branches qui, plus haut, à leur tour, se subdivi- saient également." J'interromps ici la description du Dr. Silva Araujo; ce que j'ai cité me suffit pour attein- dre le but que je me suis proposé. Je voulais vous faire voir pour l'instant que non seulement moi, mais d'autres observateurs avons vu les mycéliums sortir des éléments qui se rencon- trent dans l'urine des malades de fièvre jaune. Plus tard, je vous ferai remarquer que plu- sieurs autres observateurs mexicains, les Drs. Ponce de Léon et Paliza, de Culiacan, ainsi que le Dr. Valadez, de Mazatlan, ont également vu naître un champignon complet, non seulement 77 dans les urines, mais aussi dans le sang des malades de la fièvre jaune. Tout cela nous dé- montre que le Dr. Freire n'a pas raison de classer parmi les micrococcus, les cellules dans lesquelles les granulations de la fièvre jaune se transforment. Avant de vous rendre compte de la descrip- tion du champignon du vomito noir, et avant de vous faire connaître les différentes phases sous lesquelles il se présente, je veux suivre l'ordre chronologique de mes études et vous montrer certaines propriétés de la granulation élémentaire. - Fortement préoccupé par les travaux de M. Pasteur, je voulus m'assurer si ces microbes étaient capables de se reproduire dans quelques liquides stérilisés: Je préparai un bouillon de veau d'après les indications de cet auteur, et quand je le jugeai bien stérilisé, je déposai une petite quantité de nos granulations dans un flacon rempli de ce bouillon, et pendant un es- pace de quinze jours, j'abandonnai la prépara- tion à une température moyenne de 27° à 38°. J'eus soin de placer dans les mêmes conditions un autre flacon du même liquide, mais dans lequel je n'avais rien déposé. Au bout de quinze jours, j'examinai les deux liquides, et le résul- tat fut le suivant: celui dans lequel je n'avais rien déposé était parfaitement transparent et je 78 n'y pus rencontrer aucun des organismes de la putréfaction; dans l'autre flacon, c'est-à-dire, celui dans lequel j'avais mis les granulations, la transparence était aussi complète que dans le premier, et le microscope révélait seulement l'une ou l'autre des granulations de la fièvre jaune, mais en si petit nombre, que l'on pou- vait croire que c'étaient celles qui avaient servi de semence. J'en ai conséquemnent déduit que l'organisme que nous sommes en train d'étu- dier n'est pas capable de se reproduire directe- ment dans les liquides stérilisés. J'ai fait ensuite une observation qui venait simplifier mes expérimentations et qui m'a épargné la peine de me servir de liquides sté- rilisés. Vous savez que les organismes de la putréfaction sont anaérobies, c'est-à-dire, que ce sont des organismes qui ne peuvent suppor- ter l'oxygène de l'air et qui succombent aussi- tôt que cet élément vient à agir sur eux. M. Pasteur a démontré ce fait jusqu'à l'évidence, et beaucoup de chirurgiens, se basant sur ce principe, ont conseillé de laisser les blessures à découvert et en contact libre avec l'air atmos- phérique. Si les solutions de continuité ne for- maient pas des petits angles ou des sinuosités dans lesquels l'air atmosphérique pénètre dif- ficilement, le moyen serait efficace; mais dans toute plaie, si régulière qu'on la suppose, on 79 trouvera toujours des petites cavités où les ger- mes pourront se loger facilement, et où l'oxy- gène de l'air arriverait avec difficulté, tant à cause de l'étroitesse de la voie, qu'en raison de l'exsudation des liquides: or tous ces endroits deviendront autant de sources d'infection et de septicémie. Cependant, il est si vrai que l'oxy- gène est le meilleur désinfectant, que M. Mi- quel, dans ses intéressantes recherches sur les anti-sep tiques, place en premier lieu l'eau oxy- génée, c'est-à-dire, un liquide capable de four- nir l'oxygène. Le premier d'entre vous, Messieurs, pourra se convaincre quand il lui plaira, de l'influence délétère de l'oxygène sur les organismes de la putréfaction, et il suffira de répéter les expérien- ces que j'ai faites. J'ai pris des urines de diffé- rents individus, les uns en bonne santé, les autres malades; j'ai recueilli des urines de plu- sieurs malades de diverses affections fébriles, d'albuminurie, de catarrhe de la A^essie, etc. J'ai abandonné ces urines à la putréfaction spontanée, et j'ai rencontré des variétés infinies de microbes. J'ai placé ensuite ces urines sur des plats assez larges pour offrir une grande superficie à l'évaporation, et de temps en temps, j'examinais les changements qui avaient eu lieu. J'ai constamment remarqué la diminution des micro-organismes à mesure que la dessica- 80 tion s'avançait, et quand elle arrivait à être complète, c'est-à-dire, quand le résidu pouvait se réduire en poussière, tous les organismes avaient complètement disparu. Si alors, dans une goutte d'eau distillée, on mettait une petite quantité de ces résidus, le microscope révélait des cristaux, des lamelles épithéliales, des cellules de pus, etc., mais au- cun organisme doué de mouvement, soit bacté- ries, vibrions, bacilles, ou autre chose sembla- ble. Tout vestige de vie avait entièrement cessé. Je dois avouer que dans quelques urines, j'ai trouvé un peu de fermentation muqueuse, et que ce liquide visqueux, incapable de s'évapo- rer, empêchait la dessication complète, et par conséquent, l'action de l'oxygène sur les orga- nismes que renfermaient ces urines ne pouvait se produire. J'ai rencontré aussi le même cas dans quel- ques liquides qui contenaient de la graisse, et la graisse agissant comme le principe muqueux dont je viens de parler, les organismes de la putréfaction ne disparaissaient pas complète- ment. Vous comprendrez parfaitement que ces exceptions viennent prouver la vérité de la doc- trine, en démontrant que chaque fois qu'une cause quelconque empêche le libre accès de l'oxygène de l'air, les germes de la putréfaction ne disparaissent pas complètement. 81 Après m' être convaincu de cette doctrine gé- nérale, j'ai exposé plusieurs fois à l'évaporation spontanée différentes urines provenant de ma- lades du vomito noir. Lorsque l'évaporation était complète, et que le résidu pouvait déjà se réduire en poussière, j'ai répété la même expé- rience. J'ai déposé sur un verre porte-objet une goutte d'eau distillée dans laquelle j'avais mis une très petite quantité de résidu des uri- nes en question, et j'ai constamment aperçu des milliers de milliers de granulations de la fièvre jaune avec leur activité et leur mouvement ca- ractéristiques, bien que quelques unes se fussent réunies par pelotons. Dans la dernière leçon, vous avez vu ces gra- nulations entièrement vivantes. Eh bien! sa- chez que j'ai pris ces granulations d'un résidu d'urine conservé parfaitement sec depuis plus de trois ans, et qu'il m'a suffi de détacher de ce résidu ce qui peut adhérer à une pointe d'ai- guille pour apercevoir ce que vous avez vu, c'est-à-dire, une quantité innombrable de mi- crobes. Il est donc évident que ces organismes diffè- rent de ceux de la putréfaction en ce que ceux- ci sont anaérobies, tandis que ceux-là sont aéro- bies. Une fois cette propriété connue, il nous est facile de nous en servir pour séparer les or- ganismes les uns des autres, et pour nous évi- 82 ter de stériliser les liquides. Si nous dégrais- sions bien le bouillon, et si nous y semions les microbes de la fièA^re jaune, ils pourraient très bien se reproduire en même temps que se déve- lopperaient ceux de la putréfaction; mais plus tard, l'évaporation des liquides tuerait les mi- crobes de la putréfaction, et laisserait parfai- tement vivants ceux du vomito noir. Me basant sur ce fait, j'ensemençai différen- tes fois notre microbe dans les urines normales, dans la sérosité du sang de taureau, dans plu- sieurs bouillons, dans l'eau de mer, etc., et j'ob- tins pour résultat constant la non-reproduction des granulations caractéristiques. J'ai pensé que sans doute quelques unes des conditions de température ou d'humidité qui se trouvent sur nos côtes manquaient à mes expériences, et je les ai recommencées. J'ai pla- cé les liquides clans une étuve, à une tempéra- ture moyenne de 38° à 40° et j'ai disposé des vases contenant de l'eau de mer pour que l'at- mosphère pût se saturer de vapeurs analogues à celles de notre littoral. Mes espérances furent déçues, car je n'ai jamais pu obtenir la repro- duction du microbe. Après m' être convaincu que cet organisme ne peut se reproduire dans les liquides, j'ai pensé à l'inefficacité des inoculations que le Dr. Freire a commencé à faire, après moi, au Brésil, 83 puisque cet observateur prétend inoculer le mi- crobe qui s'est reproduit dans le bouillon ou dans la gélatine. Dans une prochaine leçon, messieurs, je vous parlerai du champignon complètement déve- loppé et de sa classification. I CINQUIEME LEÇON. Messieurs: Dans notre dernière réunion, j'ai tâché de vous convaincre que l'organisme de la fièvre jaune ne peut être un simple micrococcus, et à l'appui de cette assertion, je vous ai montré les formes diverses des résidus rencontrés dans l'urine; je vous ai répété plusieurs fois que l'on y voit, entre les granulations élémentaires et les cellules dans lesquelles se transforment les gros mycéliums, des fragments de ces derniers, des cellules vides sous forme de petits sacs assez volumineux, et enfin des petits fragments qui ressemblent à l'aventurine. Tous ces éléments ne peuvent appartenir à un organisme aussi simple que le micrococcus. De plus, ces petits êtres se reproduisent fa- cilement dans les liquides, et nous n'avons rien 86 obtenu de semblable avec les microbes de la fièvre jaune, quoique nous les ayons déposés dans différents liquides et placés dans les con- ditions les plus favorables à la reproduction. Il est enfin démontré par nos observations, par celles du Dr. Silva Araujo, du Brésil, et par MM. Ponce de Léon, Paliza et Valadez, que les éléments renfermés dans les urines dont nous nous occupons sont capables de produire des mycéliums, propriété qui ne peut appar- tenir au genre micrococcus. Quel est le champignon qui se développe dans la fièvre jaune? A quel groupe appartient-il, et quels sont ses caractères physiques? Telles sont les questions dont nous nous occuperons dans la présente leçon. En essayant de chercher un moyen quelcon- que pour la reproduction des granulations élé- mentaires que nous avons vues dans l'urine, j'ai mis une certaine quantité de ces granula- tions dans un liquide composé d'eau, de sucre et d'un peu de cendre, et j'ai laissé le mélange dans un verre. Après l'évaporation de la par- tie liquide de ce mélange, il est resté un résidu jaunâtre, formé par les granulations, le sucre et les sels de potasse et de soude contenus dans la cendre. Quelque temps après, je remarquai que sur les parois du verre, et à partir du ni- veau du résidu, il se formait une pellicule blan- 87 châtre qui, peu à peu, s'étendait sur les parois du verre. Elle grossissait de jour en jour et de- venait plus épaisse, tandis qu'à sa surface appa- raissait une coloration légèrement obscure. Je commençai à examiner cette moisissure au microscope, et je m'aperçus qu'elle était formée par un champignon que je n'avais ja- mais vu jusqu'alors. J'avais examiné beau- coup de ceux qui se développent à la surface des urines vieillies, sur des corps organiques en putréfaction, dans le pain moisi, et dans les fruits gâtés, mais aucun de ces champignons, ne ressemblait à celui que j'avais sous les yeux. Ceux que j'avais étudiés auparavant étaient, ou des mucorinés, ou des coniodés, quelques uns des mucédinés, tandis que le nouveau type que j'é- tudiais offrait des caractères très différents. Dans la chromolithographie que je vous présente, vous verrez figuré le champignon tel que je l'ai décrit à l'Académie de Médecine, dans le premier Mémoire que j'ai lu le 26 Oc- tobre 1881. Dans la première figure, vous verrez représen- té le réseau du mycélium, et je vous ferai remar- quer que les fils mycéliaux sont beaucoup plus gros et beaucoup plus vigoureux que ceux que nous rencontrons dans les champignons conte- nus ordinairement dans les urines ou dans les substances organiques en décomposition. 88 Lorsque le réseau du mycélium est déjà assez vigoureux, on voit apparaître aux extrémités de quelques uns des fils des dilatations qui ressem- blent, par leur forme, au bulbe olfactif, commu- nément appelé nerf olfactif. Ces dilatations ne se rencontrent qu'à l'extrémité des fils mycéliaux, et par conséquent, il s'agit d'un champignon acrospore. Ces dilatations terminales augmen- tent peu à peu de volume et un pointillé obscur apparaît à leur surface. (Fig. 2.) Plus tard, on voit autour de la dilatation une auréole formée de petits filaments, tels qu'ils sont représentés dans la même figure 2. Ensuite la grosse tubéro- sité se couvre de cellules qui grandissent et se développent avec le temps. Cela fait que lorsque l'on examine une de ces dilatations en plein développement, on voit une grosse sphère for- mée de petites cellules dont les plus extérieures sont plus grosses que celles du centre. Vous voyez cette disposition représentée clans la figu- re 3. Peu à peu, ces grosses cellules tombent et laissent à découvert la dilatation oogonique dans laquelle elles se sont formées. Dans la figure 4, vous pouvez voir une de ces dilatations portant la lettre 0. Si on l'examine avec soin, on peut voir que l'enflure oogonique est formée par un grand nombre de tubes coniques, unis au centre par leur vertex et présentant leur base ouverte dans 89 la périphérie. J'ai pu voir à l'intérieur de ces tubes des petites cellules qui n'arrivaient pas encore à l'extrémité extérieure ou évasée. Messieurs, il est très important d'étudier ces cellules qui viennent de l'intérieur des tubes et qui, réunies, forment les grosses têtes des dila- tations oogoniques. Comme je vous l'ai dit, dès qu'elles sont arrivées à leur parfaite maturité, ces grosses cellules se détachent de l'endroit de leur naissance. Nous les rencontrons alors avec un diamètre de 15 à 20 millièmes de millimè- tre. Elles ont une couleur jaune obscur qui res- semble à celle du café au lait, et l'on remarque à l'intérieur un pointillé plus obscur parfaite- ment perceptible. J'ai dit que ces cellules, par les nombreuses granulations que l'on voit à leur surface, ressemblent à une petite tuna (figue de Barbarie). Si dans cet état, on fait arriver une goutte d'eau sur la préparation, on voit la cellule se rompre en un point quelconque de sa périphé- rie, et il sort de son intérieur des petites granu- lations qui, aussitôt qu'elles ont touché l'eau, commencent à nager avec les mêmes mouve- ments que nous connaissons déjà aux granula- tions des urines, et chose remarquable, et sur laquelle j'appelle toute votre attention, ces gra- nulations s'unissent deux à deux et se transfor- ment en cellules analogues à celles que nous 90 voyons se former dans les urines des malades de fièvre jaune. Ces transformations sont re- présentées dans les figures 4 et 5 de la planche que vous avez sous les yeux. Dans ces mêmes figures, vous verrez repré- sentés, par la lettre B, quelques uns des corps que j'ai comparés à l'aventurine. Vous pouvez voir que ces corps sont les cellules mêmes d'où sont sorties les granulations, et qui, en vieillis- sant, ont pris cet aspect. Vous avez ici, Messieurs, le champignon tel que je l'ai eu développé dans le verre, et je vous certifie que les figures que vous examinez sont la fidèle reproduction de ce que nous avons vu au microscope. M. le Dr. Mejia, ici présent, vous attestera la vérité des faits. M. Mejia et MM. Larios et Pintado ont eu la bonté de co- pier, d'après nature, les figures que je vous pré- sente. Maintenant que le champignon nous est con- nu, nous allons essayer de le classifier, et pour y arriver, je vais suivre la méthode de classifi- cation donnée par le Dr. Bertillon, clans le Dic- tionnaire Encyclopédique des Sciences Médicales de Dechambre, à l'article Champignon. Le Docteur Bertillon divise les champignons en deux grands groupes: les Sarcodés et les Asarcodés. Ceux compris clans les Sarcodés sont, comme leur nom l'indique, ceux qui présentent 91 une masse charnue, généralement en forme de chapeau, et que nous rencontrons fréquemment dans les champs. Aux Asacordés appartiennent les champi- gnons qui n'offrent pas cet aspect charnu, mais qui sont formés par des filaments isolés, et par des spores de différentes grandeurs. Il est évident que le champignon que nous étudions appartient au second groupe, c'est-à- dire, aux Asarcodés. L'auteur divise ceux-ci en deux ordres: l9, les Nématés; 29, les Coni- diacés. Il appelle Nématés ces cryptogames fila- menteuses dans lesquelles l'insertion des spo- res est bien déterminée, ou en d'autres termes, celles dans lesquelles on peut voir le point de naissance des cellules reproductives. Vous avez vu que dans notre champignon, qui est filamen- teux, on peut très bien étudier les dilatations oogoniques d'où viennent les cellules; on peut même voir qu'elles viennent de l'intérieur des tubes dont la réunion forme les grosses dilata- tions. C'est pourquoi le champignon que nous étudions est un Nêmaté, et non un Conidiacé. Les Nématés se divisent en deux sous-ordres: l9, les Endospores; 29, les Exospores. Les En- dospores sont ceux chez lesquels les spores se forment à l'intérieur des dilatations oogoniques on sporangiales plus ou moins marquées; et 92 l'on appelle Exospores, ceux dont les spores se développent en dehors des filaments. Il suffit de définir ces deux classes pour se convaincre que notre champignon appartient aux Endos- pores. Les Nématés endospores sont ou Parasi- tes ou Saprophites, selon qu'ils se développent dans les êtres vivants ou dans les détritus d'or- ganisations mortes. L'organisme dont nous nous occupons est donc un Parasite, puisque nous supposons que c'est lui qui, clans son dé- veloppement, donne lieu à l'ensemble des symp- tômes connus sous le nom de fièvre jaune. Bertillon divise les Endospores Parasites en deux familles: l9, les Péronosporées; 29, les Asco- mycées. Il nomme Péronosporées les cryptogames formées de filaments longs et déliés qui présen- tent des dilatations oogoniques d'où viennent directement des spores ou des zoosporanges chargés de spores. Il qualifie &Ascomycées, les cryptogames formées par des conceptacles tubu- leux ou claviformes, au vertex un peu gonflé et courbé desquels on rencontre huit spores et plus. Sans aucun doute, le champignon qui s'est développé dans le verre est une Péronosporée, et non une Ascomycée. En résumé, la plante que nous étudions ap- partient au groupe des Asarcodés, ordre des Nématés, sous-ordre des Endospores Parasites, et à la famille des Péronosporées. 93 J'ai proposé, Messieurs, de distinguer par l'adjectif latin luteus, a, um, qui veut dire jaune, cette péronosporée à laquelle nous devons la uFiebre amarilla" en espagnol, uFièvre jaune" en français, et "Yellow Fever" en anglais. Deux mots encore sur la dénomination des différentes parties qui constituent cet orga- nisme. Je ne parlerai pas du mycélium, que tout le monde connaît sous ce nom, mais aux dilata- tions terminales du mycélium que quelques uns appelleraient sporanges, je donne le nom de di- latations oogoniques, parce que ce sont elles qui portent les rudiments des germes, et je réserve le nom de zoosporanges aux cellules qui viennent de ces dilatations et qui portent à l'intérieur un grand nombre de zoospores. Vous savez très bien que si quelques champi- gnons produisent directement des spores, c'est- à-dire, des semences qui reproduisent tout de suite l'espèce, il y en a d'autres qui ne donnent pas immédiatement des spores, mais de petites granulations qui ne sont pas encore de véri- tables graines, et qui, en s'unissant deux à deux, et en formant une espèce de copulation, arrivent à se transformer en véritables spores. Ce sont ces granulations douées de mouvement que l'on a appelées zoospores, en raison de leur ressemblance avec de petits animalcules. Vous 94 ne devez donc pas confondre la spore avec la zoospore, et la plante dont il est question ne donne pas directement des spores, mais de pe- tites granulations zoosporiques que nous avons vues disséminées dans toute l'économie des ma- lades de fièvre jaune, et qui, après leur accou- plement, se transforment en véritables cellules sporiques qui donnent la teinte jaunâtre aux malades et aux cadavres. Maintenant que nous connaissons bien les parties constitutives de notre champignon, nous appellerons désormais les choses par leur nom: Nous nommerons mycéliums, les tubes qui se trouvent dans les urines; les granulations que nous connaissons sous le nom d'élémentaires s'appelleront zoospores; nous donnerons le nom de spores aux cellules jaunâtres plus ou moins grossies, et enfin, nous nommerons sacs zoospo- rangiaux, les grosses cellules en forme de sac ou de bourse. Avant d'aller plus loin, je dois, Messieurs, m'arrêter un instant pour dissiper quelques doutes qui pourraient s'être formés dans votre esprit. Quelles sont mes données pour vous affirmer que ce champignon est bien celui qui se développe dans la fièvre jaune? S'il s'est formé clans un verre exposé à l'air libre, et dans lequel, par la même raison, différents germes ont pu tomber, pourquoi affirmer que cet orga- 95 nisme est celui qui détermine la maladie? J'ai plusieurs preuves à l'appui de mon assertion, et je vais essayer de vous les fournir d'une ma- nière succincte: l9, En examinant les résidus contenus clans le verre, j'ai rencontré un grand nombre de cel- lules qui, soit sur un point de leur circonféren- ce, soit aux deux pôles opposés, produisaient des filaments mycéliaux: ce grand nombre de cellu- les en prolifération me disait que le germe se trouvait clans le verre même, et non pas en de- hors, parce que si l'on peut facilement supposer qu'un germe errant ait pu tomber accidentelle- ment dans le verre, il n'est pas possible d'ad- mettre qu'il ait pu tomber dans ce même verre une grande quantité de ces cellules déjà en pro- lifération, et puisque, jusqu'à ce jour, personne n'avait vu un champignon semblable à celui-là. 29, Les gros tubes mycéliaux qui partaient du résidu jaunâtre du verre se voyaient parfaite- ment remplis de ce même résidu. 39, Je rencontrais, réunis dans ce champignon, tous les éléments que j'avais déjà vus disséminés dans les liquides provenant des malades de fiè- vre jaune: les tubes mycéliaux, les sacs zoospo- rangiaux, et surtout les zoospores de la même grandeur, de la même couleur, du même aspect et avec les mêmes mouvements que celles que je connaissais dans l'organisme de nos malades; 96 de plus ces zoospores s'unissaient comme elles deux par deux, pour grandir et se transformer en spores jaunes et volumineuses; enfin, je ren- contrais dans les sacs zoosporangiaux devenus vieux, les corps à l'aspect d'aventurine que j'avais décrits auparavant clans les urines et dans les matières vomies. Si, cependant, il vous restait encore quelque cloute, je vais vous citer une expérience qui vous convaincra, je l'es- père: Si chez un chien, ou chez un lapin, vous injec- tez un peu d'urine d'un malade de fièvre jaune, le jour suivant, vous rencontrerez dans les uri- nes de l'animal, les mêmes zoospores avec leurs mouvements caractéristiques et leur transfor- mation en cellules sporiques. Eh bien! si au lieu d'inoculer l'urine, vous faites macérer un petit fragment de ce champignon dans l'eau distillée afin de faciliter la sortie des zoospores de leurs sacs zoosporangiaux, et si vous injec- tez ce liquide ainsi préparé chez un animal, le jour suivant, vous rencontrerez dans son urine les mêmes caractères que si vous lui aviez ino- culé l'urine d'un malade de fièvre jaune. Vous voyez donc, Messieurs, qu'il n'est pas possible de douter de l'identité de ce champi- gnon et des éléments que nous rencontrons dans les liquides provenant des malades attaqués du vomito noir. 97 D'autres observateurs ont également vu des champignons se développer dans les matières qui proviennent des malades de la fièvre jaune: A la page 555 du "Beport of the Board of Health of the State of Louisiana to the General Assemblyfor theyear 1882 and thefirst six months of 1883, embracing the Quarantine and sanitary opérations of the Board of Health during the pe- riod of eighteen months, January Ist. 1882, July 1883,"—Imprimé à Bâton-Rouge, 1883—le Dr. Joseph Jones s'exprime ainsi: "On a mélangé du sang avec une solution de sucre blanc cris- tallisé. Au bout d'une semaine, il s'est formé à la surface libre du liquide une masse fungoï- de de couleur jaune foncé. Vu au microscope, ce champignon ressemblait à Yaspergillus glau- cus. Les spores variaient entre un tiers et un quart de millième de pouce de diamètre; les tiges sporifères étaient chargées de spores; les sporanges, le mycélium et les zoospores étaient bien développés." En commentant ce passage dans mon deuxiè- me Mémoire à l'Académie de Médecine de Me- xico, je disais: "Ce rapport est certainement très confus, et dans le cas présent, on peut se demander s'il ne s'est développé qu'une variété de champignon? Quelles étaient ces spores si volumineuses qui avaient jusqu'à un tiers de millième de pouce de diamètre? Ne seraient-ce * 98 pas les zoosporanges que j'ai vu sortir des dila- tations oogoniques dans la peronospora hctea? Comment peut-on rencontrer dans la même va- riété de champignon des tubes sporiferes, des sporanges et des zoospores? Quoiqu'il en soit, le fait est que le Dr. Joseph Jones a vu se dé- velopper un champignon clans lequel il y avait des sporanges, ou dilations oogoniques, et en même temps des zoospores bien développées. Or, tout le monde sait que les champignons dans lesquels la reproduction a lieu par le mo- yen des zoospores sont relativement peu nom- breux; je me félicite donc de ce que le Dr. Jones ait vu un champignon de ce genre se dévelop- per dans le sang d'un malade de fièvre jaune, et je suis tout porté à croire qu'il ressemble beaucoup à ma peronospora lutea. he Dr. Schmidt, également de la Nouvelle- Orléans, a écrit un excellent traité sur l'anato- mie pathologique de la fièvre jaune, imprimé à Chicago en 1881. Je dois vous prévenir que le Dr. Schmidt est ennemi déclaré de la théorie du germe, et il le répète plusieurs fois dans son ouvrage. En conséquence, on ne peut l'accuser de parti pris, et ses paroles peuvent être accep- tées sans crainte qu'il ait été aveuglé par un préjugé qui le porterait à voir des germes là où il n' y en a pas. Parlant de l'étude qu'il a faite sur un foie 99 provenant d'une personne morte de la fièvre jaune, il dit: "Me rapportant aux changements patholo- giques rencontrés dans le parenchyme de ce foie, je ne puis manquer de mentionner une découverte singulière que j'ai faite dans des coupes pratiquées dans les parties bleu-obs- cur dont j'ai parlé précédemment et qui con- siste dans la rencontre du mycélium d'un tout petit champignon parasite qui étendait ses nom- breux filaments dans le parenchyme de ces par- ties du foie. N'étant pas un défenseur enthou- siaste de la soi-disant théorie du germe, j'aurais négligé de mentionner cette observation, si les circonstances qui se rapportent à la présence de ce champignon dans un endroit si inusité n'a- vaient montré que la petite plante était appa- rue dans le foie après la mort et d'une manière accidentelle. Mais il n'en est pas ainsi, car les probabilités d'un tel accident sont fort invraisem- blables. L'autopsie fut faite deux heures et de- mie après la mort; le foie fut l'un des premiers organes retiré du corps; placé immédiatement dans un vase, il fut couvert avec de gros mor- ceaux de glace et laissé ainsi pendant près de deux heures. On le divisa ensuite en plusieurs parties desquelles on coupa de petits cubes d'un pouce à un pouce et quart de diamètre." "Ces cubes furent mis dans une quantité suf- 100 fisante de liqueur de Mùller, en même temps que de petits morceaux de rein et d'autres or- ganes. Deux jours après, on renouvela le liqui- de, et cette opération fut répétée deux autres fois encore, jusqu'à ce que les petits morceaux fussent suffisamment endurcis. Ils furent alors placés dans un mélange d'alcool et d'eau dans la proportion de 50 pg . Peu de jours après, je les remis dans la liqueur de Mùller, et j'e- xaminai alors quelques petites coupes faites simplement à la main, et prises dans les par- ties bleu-obscur décrites auparavant; je pus alors observer spécialement sur les bords amin- cis de la coupe le champignon qui consistait en une spore mûre des pôles opposés de laquelle se détachaient des filaments de germination. On voyait chaque filament parfaitement limité sur ses bords par une marge bien marquée, et l'in- térieur était rempli d'une rangée très claire de granulations. Je dois avouer que je ne savais tout d'abord comment interpréter la présence de semblables éléments, jusqu'au moment où je trouvai un filament bifurqué et jusqu'à ce que je notai un brillant tout particulieur sur quelques unes des granulations de l'intérieur. Ce fut alors que je commençai à soupçonner que ce que j'ob- servais était réellement un champignon. Cepen- dant ces éléments pouvaient être confondus avec les longues cellules en forme de fuseau, 101 mais un examen attentif faisait facilement re- connaître les différences qui existaient entre les unes et les autres." "Lorsque les petits morceaux de foie furent suffisamment endurcis, il me fut facile d'étu- dier les plus petits détails de ce champignon sur des coupes minces faites à l'aide du micro- tome. Après un examen soutenu, je conclus qu'il appartenait à l'une des familles les plus simples dans leur structure. Les premiers élé- ments que j'observai sur les bords de la coupe, ou flottant dans les environs, étaient des spores développées; chacune d'elles donnait naissance à deux ou trois filaments dont la longueur était de quatre à six fois plus grande que celle du précédent. A l'extrémité de chacun de ces fila- ments, il s'était formé un sporange qui conte- nait deux ou trois spores, et en diverses occa- sions, je constatai leur détachement et la chute du sporange de son filament. Dans plusieurs spécimens, les filaments offraient dans leur tra- jet un nombre plus ou moins grand de dilata- tions ou de vaciosités; dans quelques cas, ces dilatations n'existaient que d'un côté et ressem- blaient alors à de véritables suçoirs; dans quel- ques filaments, la base était beaucoup plus grosse que l'autre extrémité, et on les voyait remplis du protoplasme granuleux qui était venu de la spore-mère; de plus, j'ai vu la désorganisation 102 de cette dernière. En d'autres cas, j'ai observé des filaments secondaires qui portaient aussi leur sporange, ou communiquaient avec un fila- ment de la spore-mère. N'étant pas suffisam- ment versé dans le système de la Mycologie, quoiqu'ayant consulté quelques unes des œuvres qui traitent de cette matière, il m'a été très dif- ficile de classer ce champignon. Cependant, d'a- près sa manière de fructifier, il m'a paru ressem- bler aux péronosporées, plutôt qu'à toute autre famille." "La présence de ce champignon dans le pa- renchyme du foie ne peut être considérée comme un fait vraiment extraordinaire, car on peut supposer que son germe existait primitivement dans la liqueur de Mùller, et que de là, il est passé dans les fragments du foie. Mais en pa- reil cas, les germes devraient avoir envahi, non seulement les fragments de ce même foie, mais encore ceux des mêmes organes renfermés dans le vase. Il n'en fut pourtant pas ainsi, car, ex- cepté les parties atrophiées de couleur bleu- obscur, il n'a pas été possible de rencontrer la moindre trace du champignon dans les parties du foie affectées seulement de dégénération graisseuse, non plus que dans les fragments des autres organes. "En conséquence, l'explication la plus plausi- ble du motif de la présence du champignon dans 103 cet endroit serait de supposer que le germe.se trouvait primitivement dans la liqueur de Mùl- ler, (bien que celle-ci fût de préparation récen- te), et qu'il avait choisi les parties atrophiées et désorganisées du foie, comme le nid plus propre à son développement. Je laisse aux partisans de la théorie du germe le soin de décider s'il serait possible que le champignon ou ses spores entrassent par un chemin quelconque dans la circulation de la veine-porte et arrivassent en- fin à se loger dans quelqu'une des veines inter- lobulaires en causant une forte congestion et l'atrophie consécutive dont j'ai déjà parlé." "Quoiqu'il en soit, je crois cette observation suffisamment intéressante pour être relatée dans tous ses détails, bien que selon moi, elle n'ait aucun rapport avec la pathologie de la fièvre jaune." Aujourd'hui, Messieurs, nous nous sommes attardés plus longtemps que je ne le désirais. Dans notre prochaine leçon, je prendrai la liber- té de vous présenter quelques réflexions au su- jet de l'observation du Dr. Schmidt, et nous continuerons l'étude du champignon généra- teur de la fièvre jaune, étude qui, comme vous le verrez, est un peu plus compliquée qu'elle ne le paraît à première vue. SIXIEME LEÇON. Messieurs: Dans notre dernière leçon, je vous ai rela- té une importante découverte faite par le Dr. Schmidt dans le foie d'un individu mort de la fièvre jaune. J'ai voulu citer textuellement les paroles de l'auteur, afin que vous y puissiez constater la lutte de l'observateur consciencieux contre les idées préconçues. Vous vous rappelez qu'avant de raconter les détails de sa découverte, il dit: "qu'il se serait dispensé de consigner ce fait, si les circonstances qui précèdent le déve- loppement du champignon avaient donné une explication claire et satisfaisante du développe- ment de la plante dans l'organe après la mort." "Mais, ajoute le même auteur, il n'en est pas ainsi, puisque les probabilités d'un pareil accident sont très invraisemblables." Il passe ensuite en 106 détail toutes les conditions de l'observation pour montrer que l'arrivée accidentelle d'un germe atmosphérique n'était pas probable. Il nous dit que l'autopsie a eu lieu deux heures et demie après la mort, circonstance qui ne permet pas de supposer le commencement de la décom- position chez le cadavre. Il ajoute que le foie fut le premier organe retiré du cadavre et qu'il fut immédiatement recouvert avec de gros blocs de glace. Peu après, on en coupa de petits morceaux qui furent immédiatement déposés dans la liqueur de Mùller récemment préparée. Cette liqueur fut renouvelée de temps en temps jusqu'à ce que les parties du foie fussent conve- nablement endurcies, et on les fit alors macérer dans un mélange d'alcool et d'eau au 50 p3 • On les remit encore clans la liqueur de Mùller, et ce fut alors que se firent les premières coupes à la main, dans lesquelles fut découverte la cryp- togame dont parle le Dr. Schmidt. Vous voyez que l'auteur s'arrête scrupuleu- sement pour détailler sa manière d'opérer afin d'éloigner tout à fait l'idée que le germe ait pu venir de l'air atmosphérique. Peu après, il pré- sente lui-même une forte objection contre l'hypo- thèse que le germe ait pu se trouver dans la liqueur endurcissante de Mùller et il fait voir: l9, que la liqueur avait été récemment préparée; 29, que dans cette supposition, il n'était pas fa- 107 cile de comprendre comment le parasite se dé- velopperait exclusivement sur des points déter- minés du foie, et non pas sur d'autres; 39, que les reins et autres parenchymes n'avaient pas été envahis par le même germe. Toutes ces raisons indiquaient la bonne foi de l'observateur consciencieux et les conséquen- ces doivent être attribuées à l'homme préoccupé par une idée déterminée. Ainsi, le Dr. Schmidt, contre toutes les raisons que lui-même expose en détail, finit par admettre que le germe se trouvait probablement d'une façon accidentelle dans la liqueur de Mùller, et que s'il s'est exclu- sivement développé dans les parties bleu-obs- cur du foie, c'est parce qu'il y avait rencontré le nid propice à son développement. Vous com- prendrez que cette assertion est purement hy- pothétique, et qu'elle ne repose sur aucune preuve. Réfléchissez un instant que l'expérience quo- tidienne nous enseigne que la liqueur de Mùller est la moins propre à conserver intacts les ger- mes qui existent habituellement dans l'air at- mosphérique. Pour ce seul motif, on la consi- dère, non seulement comme une liqueur propre à endurcir les tissus, mais aussi, comme une des meilleures pour les préserver de la putréfac- tion: ces propriétés ne sont pas compatibles avec la supposition que des germes tombés acciden- 108 * tellement dans cette liqueur puissent conserver leur vitalité. Vous voyez donc combien est peu plausible la supposition du Dr. Schmidt. Voyons si l'on peut raisonnablement admet- tre la seconde partie de son hypothèse. Le Dr. Schmidt suppose qu'il y a eu clans les parties bleu-obscur du foie une forte congestion des rameaux de la veine-porte; que le sang ne pou- vant arriver aux veines suprahépatiques est re- tourné au système circulatoire par les capillaires des voies hépatiques à la capsule de Glison, et de là, à la circulation générale; de plus, il sup- pose qu'en vertu de ces troubles circulatoires, il est survenu une atrophie complète des cellu- les hépatiques, quoique différente de celle que nous voyons dans l'atrophie jaune aiguë du foie, et qu'au milieu de cette masse atrophiée la spore a rencontré un nid spécial pour son dévelop- pement. Je vous répéterai que la dernière par- tie de l'hypothèse n'est pas impossible, mais qu'elle ne repose pas non plus sur des fonde- ments bien solides, et qu'elle ne dépasse pas les bornes d'une simple supposition. Je veux cepen- dant que nous nous arrêtions un instant pour examiner si la marche pathologique décrite par le Dr. Schmidt est d'accord avec les idées géné- rales de la science. Je vous ferai immédiate- ment remarquer que cette congestion partielle 109 du foie n'est signalée dans les altérations pro- pres à la fièvre jaune par aucun des auteurs connus, ni même dans le traité du docteur amé- ricain, puisqu'il a décrit seulement ce qu'il appelle la dégénération graisseuse des cellules hépatiques. D'un autre côté, cet observateur distingué ne dit rien quant aux causes qui ont pu déterminer la congestion veineuse sur des points aussi limités du foie, et tant que cette cause n'est pas déterminée, il est impossible de définir si elle est due à un développement du champignon pendant la vie du patient, ou si le germe qui existait accidentellement dans la liqueur de Mùller y avait rencontré le nid propice à son développement. Mais suivons le Dr. Schmidt dans l'exposi- tion de ses idées, et voyons s'il est possible d'ad- mettre qu'une simple congestion hépatique ait pu atrophier et désorganiser les cellules de la glande, car à en juger par ce qui se passe dans des cas analogues, il est impossible d'admettre cette conséquence. Rappelez-vous combien les congestions hépatiques sont fréquentes, sans amener pour cela la destruction cellulaire. Et dans les cas de cirrhose vulgaire, ne voyez-vous pas se produire l'obstruction des rameaux de la veine-porte et le développement delà circulation supplémentaire, sans que pour cela la désorga- nisation de la cellule hépathique se produise? 110 En résumé, nous ne pouvons nous rendre compte de la cause qui a pu déterminer ces con- gestions partielles du foie, et quand bien même nous aurions pu les connaître, il nous eût été impossible de nous expliquer la raison de l'a- trophie et de la destruction du parenchyme du foie. Si d'un côté, la marche pathologique nous est si peu connue, et si d'autre part, il n'est guère plus probable que le germe du champi- gnon soit venu de l'air atmosphérique, n'est- il pas plus rationnel de supposer que le germe existait clans l'économie, et que pendant la vie, le parasite s'est développé sur des points déter- minés du foie, causant ainsi la congestion et la désorganisation du parenchyme de l'organe? Si le Dr. Schmidt avait vu clans le sang des malades de fièvre jaune les petites zoospores qui ne mesurent qu'un millième de millimètre de diamètre, et s'il avait connu leur propriété de se transformer en spores propres à la germi- nation, il ne laisserait pas aux partisans de la théorie du germe le soin de décider s'il était possi- ble au champignon, ou à ses spores, de pénétrer par un chemin quelconque dans la circulation de la veine-porte et d'arriver finalement à se loger dans quelqu'une des veines interlobulaires en cau- sant une congestion intense et l'atrophie qu'il a décrite auparavant. Après m'être arrêté pour vous faire connaître 111 et pour discuter l'opinion du Dr. Schmidt sur le champignon qu'il a découvert dans un foie de malade de fièvre jaune, et qui appartient à la familières péronosporées, je vais poursuivre no- tre étude sur l'évolution de ce parasite. Lorsqu'en 1881, j'ai observé dans un verre la reproduction d'un champignon dont j'avais au- paravant vu les éléments dispersés dans l'éco- nomie des malades de fièvre jaune, et quand j'ai vu que ce champignon appartenait à la famille des péronosporées, j'm pensé que des spores pro- duites par l'union de deux zoospores venait im- médiatement la cryptogame appelée peronospo- ra lutea. Plus tard, en Octobre 1883, les Drs. Ponce de Léon et Paliza m'écrivaient de Culia- can (Sinaloa) pour me dire que dans l'épidémie de fièvre jaune qu'ils étaient en train d'observer, sur les côtes du Pacifique, ils avaient vérifié et ratifié tout ce que j'avais établi dans mon pre- mier Mémoire sur la fièvre jaune, mais que le champignon qu'ils avaient observé présentait certain es différences avec celui que j'avais décrit. En terminant, ils m'offraient de continuer leurs études et de m'en communiquer les résul- tats. Près d'un an s'écoula, et le 6 Novembre 1884, le Dr. Ponce de Léon m'adressait de Culiacan une lettre que Mr. le Dr. Paliza avait bien voulu se charger de me remettre. 112 La lettre de M. Ponce de Léon était conçue en ces termes: "Cher Maître.—Mon estimable confrère, M. le Dr. R. L. Paliza, a la bonté de vouloir bien vous remettre cette lettre, ainsi que les spéci- mens de sang et d'urine pris de différents ma- lades de fièvre jaune. J'y joins les dessins que nous avons faits du champignon qui s'est déve- loppé dans nos préparations." "Depuis l'an dernier que j'ai commencé à étu- dier l'épidémie de fièvre jaune dans l'Etat de Sinaloa, j'ai pu, à l'aide du microscope, me con- sacrer à l'étude quotidienne des humeurs des malades. Nous avons donc eu l'occasion de nous convaincre de l'exactitude des faits relatés par vous dans les intéressants Mémoires que vous avez présentés à l'Académie de Médecine de Mexico. Rien ne pourrait être ajouté à vos tra- vaux, car toute personne, tant soit peu versée dans la microscopie, peut se convaincre des vé- rités que vous avez écrites à ce sujet; je me per- mettrai simplement de vous faire part d'un petit fait que nous avons relevé clans le développe- ment du champignon." "La germination de cette" cryptogame a son époque fixe dans certaines localités. Ici, où la fièvre jaune a commencé au mois d'Août de l'an passé pour se terminer en Février de la présen- te année, les spores ont eu toute leur force vé- 113 gétative dans la saison humide et chaude, c'est- à-dire, pendant les grandes pluies. La fièvre a disparu pendant l'hiver et les spores même les plus robustes sont restées sans produire de tubes mycéliaux jusqu'à la nouvelle épidémie qui a recommencé en Juillet dernier; leur vé- gétation est alors entrée en pleine vigueur. A Mazatlan, il n'y a pas eu de véritable diminu- tion de la fièvre, depuis le commencement de l'épidémie, et pendant toute sa durée, on y a vu les spores germer et donner des champignons parfaits, d'après les informations de notre con- frère, M. le Dr. Juan J. Valadez." "Cette différence si notable me fit concevoir le projet de me rendre à Mazatlan et de profiter pour faire ce voyage de la visite officielle que M. le gouverneur, D. Mariano Martinez, devait rendre à ce district, au mois de Mai de cette année. Pendant mon séjour d'un mois dans cette localité, j'ai continué mes études, et j'ai pu constater la parfaite végétation du champi- gnon dans toute sa vigueur. La statistique des hôpitaux accusait un mouvement quotidien d'un à deux malades de fièvre jaune indépendamment des cas offerts par la pratique civile." "A Culiacan, nous avons vu l'épidémie cesser d'une manière complète pendant cinq mois, et durant cette période, les spores ne germaient en aucune façon. 114 "A Mazatlan, au contraire, l'épidémie n'a pas disparu, et pendant tout le temps, on a vu la cryptogame dans ses phases distinctes de déve- loppement." "De ce fait pratique, j'ai pu déduire le principe suivant: Le développement d'une épidémie de fiè- vre jaune coïncide avec le pouvoir g erminateur des spores du champignon." "Le n9 1 des spécimens que je vous fais re- mettre contient une goutte de sang recueillie dans un cas typique et conservée entre deux verres couvre-objet. La préparation a été faite avec tous les soins et toutes les précautions conseillés par la science. Je vous avertis que même le mycélium et les spores de l'indivi- dualité du champignon que nous observons constamment sont conservés dans cette prépa- ration." "Je possède des préparations d'urines qui, pendant l'hiver dernier, ne contenaient que des spores et qui, dans la saison propice, c'est-à-di- re, depuis le mois de Juillet, ont donné leur mycélium et les autres parties constituantes de la cryptogame." "Il est certain que les évolutions du cham- pignon sont habituellement lentes dans les at- mosphères limitées et à la température ordinaire, mais il est également avéré que le développe- ment s'active un peu plus quand à ces atmos- 115 phères on ajoute quelques produits azotés, com- me par exemple, l'ammoniaque." "Les flacons nos-1, 2 et 3 contiennent des spé- cimens d'urines vieilles et récentes. Le n9 1 est de l'urine recueillie en 1883; vous y remarque- rez des spores et des lamelles épithétiales, c'est pour ainsi dire le grenier où la graine se conser- ve pendant plus d'un an. Nous devons vous prévenir que ce type d'urine nous a servi cette année pour reproduire des champignons par- faits." "Len92 renfermede l'urine recueillie en Août de cette année, et le n9 3 date du mois d'Octo- bre. Dans toutes ces urines, vous rencontrerez les spores plus ou moins développées." "Les dessins que nous vous envoyons forment deux planches. Dans la 1ère, le n9 1 représente les spores à diverses périodes de croissance et enveloppées dans leur protoplasme. A un cer- tain degré de croissance, il m'a semblé y re- marquer un noyau. Le n9 2 est un jeune cham- pignon avec une paire de spores germinatives d'où sortent deux tubes mycéliaux ramifiés. Le n9 3 représente un champignon adulte avec ses spores germinatives vieillissant, son réseau du mycélium et une chaîne de spores. Le n9 4 montre les formes variées de sporification. Dans le n9 5 (Planche II), j'ai essayé de représenter l'aspect granuleux que prennent les globules de 116 sang récemment sortis des vaisseaux, et qui les fait ressembler à une fraise. Le n9 6 représente une goutte de sang conservée entre deux verres couvre-objet, et dans laquelle, au bout d'un cer- tain temps, le champignon apparaît avec son mycélium et ses spores caractéristiques. Enfin, la figure 7 représente des lamelles épithétiales couvertes de petites spores, dont quelques unes se détachent; on voit aussi un protoplasme vieilli, celui qui prend une forme noire carac- téristique et qui paraît être celui qui forme le vomito et les déjections qui s'observent chez quelques malades. ( Voir la chromolithographie rc9 2.)" "M. le Dr. Paliza, qui a fait des études égales aux miennes et qui a assisté à mes expériences, pourra vous renseigner de vive voix." "Les observations pratiquées sur les humeurs des malades de la fièvre jaune sont si nombreu- ses et si incontestées, que je n'hésite pas à vous affirmer que le germe de cette maladie est un champignon dont les caractères sont ceux du spécimen que j'ai l'honneur de vous envoyer." "Nous ne connaissons pas encore le résultat des inoculations faites par vous sur des indivi- dus sains et dont la presse s'est déjà occupée. Je vous prie, si cela ne vous dérange pas, de vou- loir bien m'adresser les renseignements qui pourraient m'éclairer sur ce sujet." 117 "Nous n'avons pu vous communiquer que les observations que nous avons faites jusqu'à ce jour; plus tard, si la fièvre jaune fait sa réap- parition cette année dans cette capitale, nous aurons l'occasion de vous adresser de nouveaux renseignements auxquels nous joindrons toutes les observations que nous pourrons recueillir ailleurs." "J'ai l'honneur de vous féliciter de votre re- marquable découverte. Il est temps que la scien- ce l'accueille avec le même enthousiasme que celles du même genre qui ont été faites de nos jours." "Vous savez combien vous estime et vous aime votre ancien élève et humble serviteur.—Bamon Ponce de Léon." Messieurs, la communication que vous venez d'entendre lire, les longs entretiens que j'ai eus avec M. le Dr. Paliza, et surtout l'étude du champignon dont j'ai reçu le spécimen m'ont frappé l'esprit et suggéré de nouvelles idées qu'il m'est nécessaire de vous faire con- naître. Ce que dit M. Ponce de Léon, et ce que m'as- sure le Dr. Paliza, me persuade que la crypto- game que vous allez étudier dans ce microscope et qui s'est développée dans une goutte de sang recueillie d'un malade de fièvre jaune, est tou- jours la même, (soit qu'elle vienne de l'urine ou 118 du sang), qui se développe à Culiacan, ou qui se montre à Mazatlan, et qu'elle a toujours et sans exception eu les mêmes caractères. Vous pou- vez voir clans les dessins envoyés de Culiacan les mêmes caractères que ceux que vous rencon- trerez dans le champignon que vous allez exa- miner au microscope. Il est formé par un réseau de tubes mycéliaux qui ne sont pas très gros. Les tubes qui se développent dans l'épaisseur du caillot sanguin ont une couleur légèrement bleuâtre que conservent encore les petites anses qui sortent du caillot. Un peu plus loin, ces mêmes tubes ont une couleur blanchâtre et con- servent cette coloration jusque dans leurs par- ties les plus extrêmes. Lorsque le champignon se développe dans des parties desséchées du sang, la coloration du my- célium est blanchâtre dans toutes ses parties. Après que le mycélium s'est divisé et subdi- visé, apparaissent les spores. Ces spores peu- vent être acrospores oupleurospores, c'est-à-dire, qu'elles apparaissent, soit à l'extrémité des fils mycéliaux, soit latéralement et avant leur termi- naison. Dans ce dernier cas, on voit se détacher d'un des tubes un petit filament latéral dont le contenu paraît ne pas être uniforme, mais semble présenter quelques divisions comme celles que nous voyons dans la canne à sucre. Enfin, soit à l'extrémité des filaments mycéliaux, soit dans 119 les filaments latéraux, on voit apparaître les spores sans dilatation sporangiale préalable; l'ex- trémité du filament s'arrondit, et prend la forme d'une petite perle parfaitement transparente; entre cette cellule et le tube se forme une autre petite perle qui chasse la première devant elle, et ainsi successivement, il s'en forme d'autres qui font place à une chaîne de huit, dix spores, et davantage. En d'autres occasions, à l'extrémité du mycé- lium, ou à l'extrémité du tube latéral, il se déve- loppe trois ou quatre filaments, et quelquefois plus, d'où naissent des chaînes plus ou moins nombreuses de spores qui ressemblent à des espèces de houppes formées par la succession des petites perles transparentes. Ces spores me- surent en moyenne quatre millièmes de milli- mètre. Vous rencontrerez tous ces genres de sporification dans la crypto *ame que vous exa- minez au microscope et dans les dessins que vous avez sous les yeux. Maintenant que nous connaissons cette cryp- togame avec tous ses caractères, il est facile de vous prouver que celle décrite par le Dr. Silva Araujo, de Rio-de-Janeiro, ressemble beaucoup à celle que vous avez en ce moment devant vous. Voici les paroles du Dr. Silva Araujo: "Dans cette préparation (celle de l'urine), nous avons rencontré une véritable forêt de tubes, 120 c'est-à-dire, de rameaux d'un végétal microsco- pique. Tout le champ du microscope était sillon- né par ces tubes qui étaient larges, longs et dont les contours étaint très nets et très visibles. De distance en distance, il y avait dans ces tubes des boutons ou bourgeons qui ressemblaient à ceux de la canne à sucre. Parmi ces tubes, quelques uns étaient droits; d'autres, un peu irréguliers, dé- crivaient des lignes courbes ou brisées. Beau- coup d'entre eux se divisaient en deux rameaux qui, plus haut, se subdivisaient également à leur tour. Quelques uns se terminaient par une rangée de cellules parfaitement alignées comme les grains d'un rosaire. Les uns étaient vides, et les autres renfermaient des granulations verdâtres ou jau- nâtres analogues à celles que nous avions vues dans le vomito. A l'entour de ces tubes, on rencontrait des cellules isolées semblables à celles qui étaient disposées en forme de rosaire à l'extré- mité de quelques uns. La profusion de ces élé- ments tubulaires était effrayante." Si vous avez bien prêté toute votre attention à la lecture que je viens de vous faire, j'espère que vous serez convaincus de l'identité du cham- pignon dont vous venez d'entendre la descrip- tion avec celui qui s'est développé entre ces deux plaques de verre que vous avez sur le champ du microscope. Voici en outre une épreuve de photographie microscopique que l'on a tirée 121 de la préparation que vous examinez. (Photo- graphie n°- 6.) De l'exposé qui précède, je déduis: l9, que l'urine et le sang des malades de fièvre jaune renferment les germes d'une cryptogame qui, dans des conditions spéciales, se développe jus- qu'à sa fructification: 29, que cette cryptogame- est la même à Culiacan, à Mazatlan et à Rio- de-Janeiro. Si vous réfléchissez bien que l'on a vu plu- sieurs fois que le développement du mycélium vient précisément des grosses granulations, et si vous considérez enfin que le développement du champignon a coïncidé avec l'apparition de la fièvre jaune à Culiacan, et qu'à Mazatlan, où l'épidémie n'a pas eu de relâchement, la ger- mination de ces mêmes spores ne s'est pas arrê- tée non plus, vous conviendrez avec moi: l9, que les liquides venant des malades de fièvre jaune portent avec eux le germe de l'organis- me qui, plus tard, développera la maladie; 29, que ces germes ou spores, selon les conditions atmosphérico-telluriques, hiberneraient dans quelques cas, et se développeraient immédia- tement dans d'autres. Enfin, l'apparition de l'épidémie de fièvre jaune coïncidant avec la germination de ces spores, ou suivant son cours quand ces spores continuent à germer, vous ne trouverez pas extraordinaire si je considère 122 cette cryptogame comme la cause déterminante du vomito noir. Avant d'aller plus loin, arrêtons-nous un instant pour la classification de la nouvelle plante avec laquelle nous venons de faire con- naissance. H est évident que parmi les cham- pignons, elle appartient au groupe des Asarco- dés, et que puisque l'on peut déterminer l'endroit d'où sortent ses spores, elle appartient à l'or- dre des Nématés; de plus, comme les spores ne viennent pas de l'intérieur de la plante, mais se forment extérieurement aux extrémités, ou sur certains rameaux latéraux, nous ne pou- vons la placer que dans le sous-ordre des Exos- pores; enfin, le mycélium étant beaucoup plus long que la chaîne des spores, et celles-ci se trouvant relativement peu nombreuses, nous devons la considérer comme appartenant à la famille des Mucédinées. Y a-t-il quelque relation entre ce champi- gnon et celui que nous avons décrit auparavant sous le nom de Peronospora lutea? Lie germe de la fièvre jaune est-il la Mucédinée ou la Péronos- porée? Eu égard aux faits observés, il paraît que, puisque la Mucédinée se déveloj)pe directement des spores qui apparaissent dans les liquides des malades de fièvre jaune, et que, d'un autre côté, le développement de l'épidémie coïncide avec la végétation de ce champignon, il paraît, 123 dis-je, que la Mucédinée constitue le véritable germe de la maladie. Mais alors, d'où viennent donc les zoospores si abondantes dans l'écono- mie de nos malades et ces grosses cellules en forme de sac ou de bourse que nous avions ren- contrées dans la Peronospora lutea et que nous ne voyons pas dans la Mucédinée^ Messieurs, quand l'observateur étudie sans parti pris les phénomènes de la nature, et quand il essaye de les interpréter seulement par leurs manifestations, il ne doit pas laisser de côté ce qui le trouble ou ce qui le contrarie dans les théo- ries qu'il avait émises au début; il doit au con- traire méditer avec attention, apprécier tous les détails, étudier toutes les relations avec l'assu- rance de rencontrer l'enchaînement des faits qui, à première vue, étaient inexplicables. Dans le cas présent, j'avais la certitude que la Peronospora lutea, me donnant l'explication et la raison de tous les éléments que j'avais rencontrés chez les malades de fièvre jaune, cette cryptogame était la cause immédiate de la. maladie, et j'espérais la voir se développer im- médiatement des spores que l'on trouve tou- jours dans les urines. Ne me trouvant pas placé dans des conditions propices au développement de ce champignon, j'avais multiplié mes expé- riences, en variant les conditions, soit de la température, soit celles de pression, soit celles 124 de l'état hygrométrique de l'atmosphère, etc., etc., mais toujours avec un résultat négatif, et croyant toujours que dans des conditions adé- quates, je verrais se développer directement la Peronospora lutea. Tout à coup, il s'est trouvé que mes prévisions étaient fausses, et que les spores développées dans l'urine ne reprodui- saient pas la Peronospora, mais bien une Mucé- dinée. Au lieu de me décourager, ce résultat n'a fait qu'exciter davantage ma curiosité, et dans ma prochaine leçon, je vous exposerai ce que je pense de ce phénomène inattendu. SEPTIÈME LEÇON. Messieurs: En terminant ma dernière leçon, je vous ai promis de vous exposer aujourd'hui de quelle façon je considère la relation qui existe entre deux cryptogames différentes d'après les appa- rences: la mucédinée, découverte par MM. Pon- ce de Léon et Paliza, et la péronosporée que j'ai décrite auparavant. Mais, je m'exprime mal; ce n'est pas moi, c'est vous, Messieurs, qui allez nous donner cette explication. Pour cela, veuillez simple- ment considérer ce fait: Les spores qui se déve- loppent dans l'urine des malades de fièvre jaune sont de grosses spores dont le diamètre atteint vingt-quatre millièmes de millimètre; elles sont opaques et de couleur jaune-gutte vues par réflexion, et jaune-rouge vues par réfraction; 126 ces spores développent un mycélium, et de ces filaments naissent de petites spores dont les di- mensions ne dépassent pas quatre millièmes de millimètre de diamètre; elles sont transparen- tes et de couleur blanchâtre. Vous voyez donc que les spores-mères ne ressemblent aux spores de la mucédinée ni par leur grandeur, ni par leur couleur, ni par leur transparence. Cette simple observation suffira pour vous faire con- jecturer que l'évolution n'est pas complète pen- dant le développement de la mucédinée, puisque nous n'avons pas encore obtenu les spores d'où est née cette cryptogame. Mais si vous désirez mieux approfondir la question, rappelez-vous que les spores qui apparaissent dans les urines ne viennent que de l'accouplement de deux zoos- pores. J'ai très bien observé ce fait, et il ne reste pas l'ombre d'un doute dans mon esprit, parce que je l'ai vu d'une façon évidente et incontes- table un grand nombre de fois, et que je le vois reproduit dans la chromolithographie (Fig. 1), dessin de MM. Ponce de Léon et Paliza. Examinez-la de nouveau, je vous prie: vous verrez représentées les grosses spores qui, ainsi que les petites zoospores, y sont figurées dans une graduation si insensible que vous ne pour- rez plus avoir aucun doute à cet égard. Donc, si les spores d'où naît la mucédinée viennent elles-mêmes de l'accouplement de 127 deux zoospores, nous avons besoin de voir la reproduction des zoospores pour considérer comme complète l'évolution de l'individu. Or, dans la mucédinée que vous avez vue, vous ren- contrez des spores qui ne ressemblent pas à cel- les d'où elles proviennent, et de plus, dans cet- te variété, on ne rencontre pas la moindre trace de l'apparition des zoospores. Que devons-nous déduire de ces faits? La conséquence me semble bien simple et la voici: C'est que l'évolution de l'espèce n'a pas été complétée dans le développement de la mucédi- née, et que ce champignon appartient à un cer- tain groupe dans lequel l'évolution ne se ter- mine qu'après l'apparition de deux ou plusieurs entités qui semblent appartenir à ces différen- tes espèces. Vous savez très bien que depuis vingt ans, et après les travaux des frères Tulasne, le poly- morphisme des champignons nous est parfaite- ment connu. Pour rafraîchir votre mémoire sur ce sujet, je vais vous lire le paragraphe 104 de l'article publié sous le nom de Champignons, par M. le Dr. Bertillon, dans le "Dictionnaire Encyclopédique des Sciences Médicales," dont je vous ai déjà parlé. Il dit, page 152: Polymorphisme.—"Nous avons décrit les dif- férentes formes de mycélium, de réceptacle des 128 spores et de leurs annexes, tels qu'on les ren- contre dans les herborisations. La mycologie en était là, il y a quelque vingt ans, lorsque de très laborieux et éminents naturalistes français, MM. Tulasne frères, et notamment René Tu- lasne (Charles était surtout l'éminent artiste et auteur des admirables planches qui illustrent l'œuvre des deux frères), ont publié leur ma- gnifique ouvrage "Selecta fungorum carpologid' et un grand nombre d'articles publiés clans les Ann. des Se. Naturelles. Dans ces publications, ces savants ont montré qu'un grand nombre de ces formes regardées comme caractéristiques d'autant d'espèces ne sont souvent que des trans- formations d'une même espèce, que des métamor- phoses successives comme celles que nous montrent la chenille et le papillon, le ver blanc et le hanne- ton, et en général, tous les insectes. Mais les mé- tamorphoses mycologiques diffèrent des ento- mologiques en deux points importants: "l9, Dans le monde des champignons, les for- mes transitoires, dites larves chez les insectes, émettent ces ovules aussi aptes à multiplier l'espèce que les oospores elles-mêmes, lesquel- les résultant de la fécondation sont les analo- gues des œufs des insectes parfaits; 29, ce n'est pas seulement deux ou trois formes qu'un cham- pignon peut revêtir, mais jusqu'à quatre toutes fécondes, ou cinq sans cette condition." 129 Vous voyez donc, Messieurs, que dans le monde des champignons, selon l'expression de M. Bertillon, il n'est pas rare de rencontrer quelques analogies avec les générations alter- nantes que nous connaissons chez certains ento- zoaires, et cette propriété vous explique pour- quoi dans certaines espèces, une spore, en se reproduisant, ne donne pas immédiatement les mêmes spores que celles d'où elle vient, et que dans quelques cas, elle passe par quatre et cinq phases, comme cela a lieu dans quelques uredo, avant de compléter son évolution. On voit or- dinairement dans les champignons quelque chose de plus que la simple transformation de l'individu, comme celle que nous voyons du ver à la chrysalide, et de la chrysalide au papillon, ou les différentes formes que prennent certains cistoïdes avant de se transformer en ténia. Dans les champignons, il arrive que quelques espèces intermédiaires se reproduisent très souvent elles-mêmes, avant de passer à la transforma- tion suivante, phénomène que nous n'observons pas dans les générations dites alternantes. Par combien de formes passera le champi- gnon générateur de la fièvre jaune? C'est là une question qui ne peut se résoudre à priori, et que l'observation nous révélera plus tard. Jusqu'à ce jour, nous en connaissons deux d'une manière positive, la première est la mu- 130 cédinée, à la germination de laquelle on peut matériellement assister, et qui vient, on peut s'en convaincre, des spores développées dans les liquides des malades de fièvre jaune; la deuxième, la péronosporée, que l'on a vue se dé- velopper dans le résidu d'une urine provenant des mêmes malades. Celle-ci nous explique l'abondance des zoos- pores que l'on rencontre avant et après la mort dans les organismes des personnes attaquées par le vomito noir. Mais, entre ces deux espèces, y a-t-il une ou plusieurs autres formes intermé- diaires? Je vous répéterai que le temps éclair- cira ce mystère, quoique je présume qu'il n'e- xiste que les variétés déjà connues et décrites. Je base cette opinion sur le fait que l'on voit la fièvre jaune apparaître et s'étendre aussitôt que la mucédinée commence à se développer. Les faits relatés par les docteurs Ponce de Léon et Paliza sont très éloquents et parlent hautement en faveur de la thèse que je soutiens. Rappelez-vous qu'à Mazatlan, pendant l'hi- ver de 1883-1884, l'épidémie de fièvre jaune ne s'est pas arrêtée un instant, et que durant tout ce temps, on n'a pas cessé d'observer la germi- nation des spores rencontrées dans les urines. A Culiacan, au contraire, l'épidémie a disparu entièrement en Février 1884, et en même temps que la maladie, on a cessé de voir la germina- 131 tion des spores. M. le Dr. Paliza m'a commu- niqué verbalement que depuis le mois de Fé- vrier de ladite année, jusqu'en Juillet, le champ du microscope est resté couvert d'une collection de spores que lui et son collègue exa- minaient patiemment tous les jours. Pendant cinq mois, ces spores sont restées comme mor- tes, sans donner le plus petit signe de vie; mais au mois de Juillet, elles ont commencé à ger- mer, et des cas de fièvre jaune se sont immé- diatement déclarés dans cette ville. Ce fait est très important, car il nous montre non-seulement la relation qui existe entre la prolifération des spores et la génération de la fièvre jaune, mais il nous enseigne aussi que la maladie se développe aussitôt que les condi- tions tellurico-atmosphériques déterminent le développement de la mucédinée. La simultanéi- té du développement de cette cryptogame et de l'apparition du vomito noir nous dit qu'il n'existe probablement pas d'autre phase inter- médiaire, mais que la fièvre jaune fait son appa- rition dès que les spores de la mucédinée pénè- trent dans l'organisme, soit par l'air que l'on respire, soit par les aliments que l'on con- somme. En n'admettant que deux phases dans le dé- veloppement du champignon générateur du vomito noir, je vais récapituler la succession des 132 phénomènes qui doivent avoir lieu, afin de bien vous les fixer dans la mémoire. Prenons comme point de départ les urines éliminées par les malades de fièvre jaune. Elles renferment, comme vous le savez, un grand nombre de zoospores, ou granulations très peti- tes, douées d'un mouvement propre, et qui ne mesurent qu'un millième de millimètre de diar mètre. Ces granulations s'unissent deux à deux, et peu à peu se fondent en une seule qui gran- dit petit à petit; celle-ci devient opaque, et prend une couleur jaune gomme-gutte vue par réfle- xion, et jaune-rouge, vue par réfraction. Quelques unes de ces spores dont les dimen- sions sont très variables atteignent quelquefois vingt-quatre millièmes de millimètre de diamè- tre; elles hibernent en beaucoup de cas pendant un temps plus ou moins long, et en d'autres occasions, elles germent immédiatement et pro- duisent la mucédinée que nous avons décrite. Les spores de cette mucédinée, en pénétrant dans l'économie animale, donnent naissance à une peronosporee, dans les dilatations oogoniques de laquelle apparaît un grand nombre de zoos- poranges chargés eux-mêmes de zoospores. Quand les petites bourses zoosporangiales sont rompues, les zoospores se généralisent dans toute l'économie et vont se nourrir aux dépens des éléments qu'elles rencontrent dans les cel- 133 Iules de tous les organes. Dans les reins, elles flétrissent et détruisent l'épithélium tomenteux des tubes, et en raison de leur nombre, elles obstruent l'intérieur des canaux urinifères, et déterminent ainsi la diminution de la quantité d'urine et la difficulté de l'élimination de l'urée. De l'accumulation de ce principe dans le sang, survient l'urémie aiguë, accompagnée de tous ses symptômes. Déplus, les cellules nerveuses, les fibres musculaires du cœur, les globules du sang, les cellules hépatiques, etc., flétries à leur todr par le grand nombre de parasites qui se nourrissent à leurs dépens, déterminent le com- plexe pathologique connu sous le nom de fièvre jaune. Lorsque plus tard, après leur union, les zoospores viennent former les spores jaunes, celles-ci donnent au malade, ou au cadavre, la coloration typique que nous connaissons.1 Ces mêmes zoospores qui existent dans les urines, dans les matières vomies, et dans les excréments, forment la semence qui, plus tard, reproduira la mucédinée, et avec elle, le même cercle que nous avons déjà décrit. Il est inutile de vous dire que le cadavre est une vraie pépinière de 1. Nous avons vu après que les zoospores qui ne se transforment pas en spores, forment Yictéro'idine et que cette substance dissoute dans les liquides les colore en jaune gomme-gutte. 134 zoospores, et par cela même, un foyer de ger- mes capables de reproduire la maladie. La découverte de la mucédinée qui m'avait tout d'abord présenté quelques difficultés, en raison de la manière dont je comprenais le ger- me de la fièvre jaune, est venue plus tard m'ex- pliquer certains phénomènes dont jusqu'alors la compréhension m'avait paru difficile. Je veux parler du mode de transmission de la fièvre jaune. Vous savez tous que le vomito noir ne peut pas être considéré comme conta- gieux dans toute l'acception de ce mot, ou en d'autres termes, qu'il ne semble pas se trans- mettre d'individu à individu, comme cela arrive pour le typhus et d'autres maladies directement transmissibles ou contagieuses. On voit la fiè- vre jaune s'attaquer indifféremment à des per- sonnes qui sont en contact direct avec les mala- des, ou à d'autres qui, s'en tenant éloignées, vivent dans la même localité. De plus, un ma- lade attaqué du vomito noir ne transmettra ja- mais sa maladie à des personnes qui ne vivent pas clans des conditions propres au développe- ment du germe. Des personnes, attaquées de fièvre jaune, viennent souvent de Veracruz à Mexico, et nous ne les avons jamais vues communiquer leur maladie à ceux qui les entourent, comme cela ne manquerait pas d'arriver, si le vomito 135 pouvait se transmettre directement d'individu à individu. La découverte de la mucédinée, variété inter- médiaire entre la spore primitive et la peronos- poree génératrice de la maladie, nous fournit le moyen de nous expliquer ce mystère. La zoos- pore, ou la spore rejetée par le malade ne peut pas donner immédiatement la fièvre jaune, par- ce qu'elle ne produit pas immédiatement la pe- ronospora lutea; et c'est pour cela que le malade ne peut pas communiquer tout de suite la ma- ladie dont il est attaqué. Il faut que la spore germe et donne lieu à l'apparition des spo- res de la mucédinée pour que celles-ci aillent, à leur tour, empoisonner l'économie des per- sonnes saines. C'est pourquoi l'apparition de la fièvre jaune est impossible dans les locali- tés où les conditions tellurico-atmosphériques ne permettent pas le développement de la mu- cédinée. Je crois que vous aurez parfaitement compris la différence qui existe entre les maladies direc- tement contagieuses, comme le typhus, par exemple, et la fièvre jaune qui ne se transmet que d'une manière indirecte. Dans le typhus, il se détache du malade un germe générateur capable de se reproduire im- médiatement, tandis que dans la fièvre jaune la semence a besoin de conditions spéciales pour 136 se reproduire et pour former alors le germe di- rect de la maladie. L'impaludisme est une maladie infectieuse qui se développe par la pénétration dans l'éco- nomie de certains principes émanant des marais ou des lagunes clans les localités où abondent des matières organiques en décomposition. La fièvre jaune peut également être considérée comme infectieuse, avec cette différence que le germe vient de certains principes rejetés par les mêmes malades de fièvre jaune, et qui ont besoin de subir une certaine modification sous l'influence de quelques causes tellurico-atmos- phériques imparfaitement connues jusqu'à pré- sent. Il doit se passer quelque chose de semblable avec le germe du choléra asiatique, maladie qui, si elle ne peut être considérée comme directe- ment contagieuse, se transmet certainement par les déjections des malades. Dans le germe de cette maladie se passe-t-il quelque chose d'a- nalogue à ce que nous voyons dans le polymor- phisme des champignons ou dans les généra- tions alternantes de certains entozoaires? Il ne m'appartient pas de résoudre cette question, et si je la pose en passant, c'est que ces deux mala- dies exotiques offrent une certaine analogie dans leur façon de se transmettre. Un autre fait que la découverte de la mucé- 137 dinée est venu éclaircir, c'est celui de la non- production de la fièvre jaune par l'inoculation des zoospores. Je vous parlerai plus tard des inoculations que j'ai pratiquées, et que je con- sidère comme capables de préserver du vomito noir. Aujourd'hui, je me bornerai à vous dire qu'avant de me décider à inoculer l'homme, j'ai fait un grand nombre d'expériences sur les ani- maux. Je leur ai introduit la zoospore par dif- férentes voies. Je l'ai fait pénétrer directement dans le torrent de la circulation; je l'ai déposée dans le tissu cellulaire; je l'ai introduite dans les voies respiratoires et dans les voies digesti- ves, et enfin, j'ai fait des injections dans l'épais- seur même du parenchyme rénal, et jamais, au grand jamais, je ne suis arrivé à obtenir les symptômes de la fièvre jaune. Il me paraissait étrange que la zoospore étant le principe générateur de la fièvre jaune, la ma- ladie ne se fût jamais reproduite dans le grand nombre d'expériences que j'avais faites. Au- jourd'hui, l'explication est très simple, puisque nous savons que ni la zoospore, ni les spores qui en proviennent ne peuvent développer di- rectement dans l'économie la peronospora lutea qui détermine le vomito noir. Il faut qu'aupa- ravant les spores aient germé et donné naissan- ce à la mucédinée, espèce intermédiaire, afin qu'alors ses spores puissent développer dans F. J.-10 138 l'économie animale le tableau des symptômes appelé fièvre jaune, parle développement de la peronospora lutea. Il est un autre fait observé depuis longtemps, et dont l'explication nous était impossible. Je veux parler, Messieurs, de la recommandation faite par tous les hygiénistes, dans les cas où l'on soupçonne l'importation du vomito noir, de surveiller plutôt les navires et les objets que les personnes elles-mêmes. Ce précepte, qui est presque général, se base indubitablement sur le fait que les personnes qui visitent les navires, ou qui entrent en contact avec des ob- jets provenant des pays infectés, sont attaquées plus facilement que celles qui sont obligées de traiter directement avec les malades. On a ob- servé de nombreux exemples d'individus chez lesquels la fièvre jaune s'est développée après qu'ils étaient descendus dans l'intérieur des na- vires ou qui, en raison de leur profession, étaient appelés à faire des réparations dans la cale ou dans d'autres parties des navires infec- tés, et c'est pour ce motif, que l'on a toujours recommandé la désinfection, et même le flam- bage. Comment expliquer qu'un germe qui se dé- veloppe chez l'homme puisse être transmis plus facilement par les navires ou par les objets qui viennent des lieux infectés que par l'homme lui- 139 même? L'explication de ce fait est bien simple, puisque l'homme ne répand pas le germe qui re- produira immédiatement la maladie, mais la se- mence qui, en germant hors de l'économie, don- nera les éléments qui, introduits dans l'organis- me, développeront le mal. Il est évident que les urines et les excréments des malades de vomito noir étant chargés de zoospores qui se transforment en spores, celles- ci peuvent se déposer dans plusieurs parties du navire, et que la mucédinée apparaîtra aussitôt que les conditions tellurico-atmosphériques se- ront favorables. Or, les spores de la mucédinée répandues dans l'air pourront infecter l'équi- page ou les passagers, et lorsque l'agitation de l'atmosphère, produite par le déchargement du navire, et les courants d'air enlèveront ces mê- mes spores, elles pénétreront facilement dans l'organisme des visiteurs chez lesquels la fièvre jaune fera immédiatement son apparition. Pendant l'épidémie de fièvre jaune qui a eu lieu à Saint-Nazaire à l'époque de l'occupation de Mexico par les troupes françaises, on a re- marqué que le vomito noir s'est attaqué à plu- sieurs navires qui se trouvaient sous le vent de ceux qui avaient apporté la maladie. Cette trans- mission à distance s'explique facilement au- jourd'hui, si l'on considère que les courants at- mosphériques pouvaient enlever les spores de 140 la mucédinée qui allaient infecter ceux qui se trouvaient sur les navires voisins. Rappelez-vous les faits singuliers qui se sont passés en 1852, lorsque la fièvre jaune fut trans- portée pour la première fois sur les côtes péru- viennes du Pacifique. Des émigrants allemands partis du Brésil se rendaient au Pérou, en dou- blant le cap Horn. Peu de temps après le dé- part de Rio-de-Janeiro, la fièvre jaune se déclara à bord du navire, et le nombre de cas alla en diminuant progressivement, à mesure que l'on se rapprochait du cap. A ce point, la maladie disparut complètement, mais en remontant vers le Nord, par les côtes occidentales, la fièvre jaune reparut de nouveau, et les cas furent d'autant plus nombreux que l'on se rapprochait davantage des zones tempérées. Le navire arriva au Callao, et c'est alors que la fièvre jaune fit son apparition sur les côtes du Pacifique dont elle prit possession pour tou- jours. Il est évident que le navire étant impré- gné des zoospores et des spores venant des ma- lades, la mucédinée s'est développée et a donné lieu à de nouveaux cas tant que la température fut propice. En arrivant sous de certaines lati- tudes, la germination des spores fut suspendue, comme elle l'a été à Culiacan, du mois de Fé- vrier au mois de Juillet 1884, et la disparition de la mucédinée entraîna celle de la maladie. 141 Dans la route, vers le Nord, par les côtes occi- dentales, en atteignant des parallèles détermi- nés, les conditions atmosphériques redevenant favorables, les spores germèrent de nouveau, ainsi que cela a eu lieu à Culiacan, aussitôt le mois de Juillet, et la mucédinée ayant reparu, la fièvre jaune se montra de nouveau. On peut donner une explication analogue aux faits observés sur le vapeur "Plymouth" de la marine des Etats-Unis, pendant les années 1878 et 1879. Ce navire parcourait la mer des Antilles, et le charbon étant venu à manquer, il se dirigea sur Saint-Thomas, où le vomito noir régnait alors. Sans rester plus que le temps nécessaire pour son chargement, il reprit la mer, et quatre jours après son départ, l'épidé- mie éclata à bord attaquant sept personnes de l'équipage dans l'espace de douze jours. Alors, le vapeur remonta vers les Etats-Unis et arri- va à Boston où il fut fumigé à trois reprises successives avec de l'acide sulfureux. L'hiver étant déjà avancé, le navire fut bloqué par les glaces et resta dans cette position depuis No- vembre 1878, jusqu'en Mars 1879, époque à laquelle, il reprit ses voyages dans la mer des Antilles. Le 21 Mars, il y eut une tourmente qui obligea d'ouvrir les écoutilles, et aussitôt, des cas de fièvre jaune se déclarèrent parmi les gens de l'équipage. Le "Plymouth" retour- 142 na au Nord, et l'épidémie disparut complète- ment. Dans le cas présent, vous voyez que le navi- re s'infecte par le seul fait d'avoir embarqué du charbon, et sans qu'il y aît eu aucun contact avec un malade de fièvre jaune. Il est donc évident que le germe du mal, c'est-à-dire, la mucédinée, ou la spore d'où elle vient, a été in- troduit dans le navire avec le charbon et a empoisonné quelques uns des matelots. Au re- tour vers le Nord, les conditions atmosphéri- ques favorables ont disparu, et les spores cessant de germer, la maladie a cessé de se propager. La semence est restée latente, mais vivante ce- pendant, malgré les fumigations d'acide sulfu- reux et le grand abaissement de la température produit par la congélation de la mer, et lorsque au mois de Mars, le navire se trouve replacé dans les conditions favorables, les spores re- commencent à germer, et la maladie reparaît pour disparaître définitivement lorsque l'on s'éloigne de ces parages. Avant de nous séparer aujourd'hui, je vous dois une explication au sujet d'un fait qui, peut- être, préoccupe l'esprit de quelques uns d'entre vous. Comment s'explique-t-on qu'à Mexico, on ait pu voir la peronospora se développer dans un verre? Si la peronosporee ne vient que de la 143 mucédinée, et si celle-ci ne peut pas se dévelop- per à Mexico, comment peut-on s'expliquer son apparition? Pour satisfaire à cette question, je dois vous rappeler que l'urine* qui me servait d'étude en ce moment-là, était venue de Veracruz juste en temps d'épidémie. Je vous ai dit souvent qu'il ne m'a été donné qu' une seule fois de voir le mycélium, et ce fut précisément lorsque j'étu- diais cette urine de Veracruz. Pour vous en convaincre, je vais vous citer quelques mots de la communication que j'ai faite à l'Académie de Médecine, le 20 Juillet 1881, alors que je ne connaissais pas la peronospora, et encore moins la mucédinée. A la page 346, Vol. XVI de la "Gaceta Medica de Mexico" de 1881, vous lirez les paroles suivantes dans le compte-rendu de la séance du 20 Juillet: "J'ai trouvé les gra- nulations jaunâtres très brillantes, sphériques, et renfermant une substance jaune homogène. Les plus grandes de ces granulations avaient, les unes, deux-tiers des globules sanguins, et il y en avait d'autres beaucoup plus petites. Les jours suivants, en examinant la prépara- tion, j'ai remarqué que beaucoup d'entre elles augmentaient de volume; leur contenu se seg- mentait et devenait granuleux, et enfin, elles produisaient des tubes plus ou moins grands, égaux à ceux que j'avais vus dans l'urine, et que 144 l'on a pris pour les tubes des canalicules rénaux. Sur d'autres points, les granulations se réunis- saient et semblaient laisser transsuder leur pro- toplasme. Bientôt, on les voyait enveloppées dans une masse jaunâtre fpii réfractait forte- ment la lumière et qui ressemblait à un liquide graisseux. Ces masses liquides, dans lesquel- les nageaient les granulations, s'aggloméraient sur les bords de la préparation et produisaient comme des lacs de protoplasme. C'est de ces points que se produisait le plus grand nombre de tubes, et il était à remarquer que ces tubes étaient plus longs et plus vigoureux auprès des bords, et même en dehors du couvre-objet. Il semblait donc que le contact de l'air favorisât leur développe- ment, etc." J'ai fait cette communication à l'Académie de Médecine deux mois après avoir commencé mes études, alors que je ne savais pas encore ce que c'était que ces petites granulations brillantes qui grandissaient et se développaient en pro- duisant ensuite des tubes mycéliaux. Nous sa- vons à présent que ces toutes petites granula- tions brillantes sont les zoospores, et que les cellules dans lesquelles elles se transforment sont les spores qui produisent la mucédinée. Mais le point important sur lequel vous de- vez surtout bien fixer votre attention, c'est que l'unique urine dans laquelle j'ai vu le dévelop- 145 pement du mycélium à Mexico venait de Vera- cruz, et avait été recueillie et envoyée au mo- ment où l'épidémie était dans toute sa force. Grâce à ces faits, et sachant ce qui s'est passé à Culiacan et à Mazatlan, nous pouvons assurer que les spores formées dans cette urine avaient subi à Veracruz l'influence tellurico-atmosphé- rique nécessaire à leur germination, et c'est pour cela qu'à son arrivée à Mexico, j'ai pu observer le développement des tubes, ce que je n'ai jamais revu dans les urines recueillies dans la capitale. Or, si les spores étaient propres à germer, il est très probable que la mucédinée se serait dé- veloppée dans la bouteille qui renfermait l'uri- ne jusqu'à la complète sporification, et que les spores se seraient mélangées aArec l'urine. Dans ce cas, le résidu de ce liquide qui con- tenait déjà des spores de la mucédinée, se trou- vant en contact avec une substance organique, comme le sucre, a pu produire la seconde phase du champignon, ou la peronosporee. Il est vrai qu'aujourd'hui, je ne pourrais pas démontrer expérimentalement la vérité de cette hypothèse, mais il est si probable que les faits ont dû se passer de cette façon que nous pouvons pour l'instant nous arrêter à cette supposition. J'espère qu'il ne s'écoulera pas longtemps avant que nous ne sachions d'une manière ex- 146 périmentale si les spores de la mucédinée, dépo- sées dans des matières organiques, et en dehors de l'organisme, sont capables de faire germer la peronosporee^ MM. Ponce de Léon et faliza, de Culiacan, sont chargés de faire cette étude, et de m'en communiquer les résultats. HUITIÈME LEÇON. Messieurs: Dans les leçons précédentes, je me suis lon- guement étendu sur les phases de la reproduc- tion du champignon générateur de la fièvre jaune, et je crois inutile de revenir sur ce sujet; mais comme il nous importe beaucoup de con- naître le degré de résistance que peuvent avoir les semences de ce champignon, je vais vous rendre compte des études que j'ai faites à ce point de vue. Les conséquences que nous en tirerons seront très utiles dans leurs applications à l'hygiène publique, parce que la connaissance des subs- tances capables de détruire les germes de cette maladie nous fournira le moyen d'éviter ou de prévenir les épidémies de vomito noir. Cette étude devrait rigoureusement se divi- 148 ser en deux parties: l9, Connaître la résistance des spores de la mucédinée; 29, Etudier la ré- sistance des zoospores et des spores de la pero- nosporee. Je dois avouer que j'ai peu étudié la première partie, parce qu'il y a peu de temps que je connais cette première phase et qu'à Mexico, je ne puis l'obtenir qu'exceptionnelle- ment. Cependant, dans la petite quantité que j'ai reçue de Culiacan, j'ai cru voir que les spo- res se flétrissaient complètement dans l'eau dis- tillée, qu'elles y perdaient leur contenu, et se transformaient en sacs vides. Je vous ai dit que ces petites spores sont parfaitement sphériques, brillantes et très transparentes, mais si on les met dans une goutte d'eau distillée, on cons- tate un phénomène endosmotique par lequel le contenu des cellules passe dans l'eau, tandis qu'il ne reste plus après que l'enveloppe. Mal- heureusement, je n'ai pas pu répéter ces expé- rimentations, mais j'ai chargé MM. Ponce de Léon et Paliza d'étudier cette question, et j'es- père pouvoir bientôt vous rendre compte du ré- sultat de ces études si importantes. Si nous considérons que le développement de la mucédinée coïncide avec l'apparition de la fièvre jaune, et que cette maladie ne se présente jamais sans la germination de cette cryptogame, nous nous convaincrons aisément que le meil- leur moyen d'éviter les épidémies serait d'em- 149 pêcher ce développement, et par conséquent d'étudier la façon de détruire les zoospores qui sont la semence directe de la mucédinée. Nous allons donc commencer par examiner sérieuse- ment les propriétés et le degré de résistance des petites zoospores. Je vous ai déjà dit que malgré la ressemblan- ce de ces microbes avec certaines bactéries de la putréfaction, ils en différent cependant par leur propriété aérobie. Je me suis suffisamment arrêté sur ce sujet, et je vous ai fait voir avec des preuves à l'appui que si les bactéries de la putréfaction sont détruites par le contact de l'oxygène de l'air, les zoospores résistent très bien à son influence, et que je les ai conser- vées pendant plus de trois ans en contact avec l'air atmosphérique. Cette expérience démon- tre suffisamment que ces organismes sont aéro- bies. Mais, ils peuvent également vivre en dehors de l'influence de l'air, et pour vous le prouver, il vous suffira de vous rappeler que j'en ai ren- contré des milliers, cloués de leurs mouvements particuliers dans une préparation de foie con- servée, pendant trois ans, dans le baume du Ca- nada parfaitement desséché. Songez que ces organismes, renfermés entre deux plaques de verre, et dans le baume du Canada, se trou- vaient parfaitement à l'abri du contact de l'air, 150 de même que l'est toute préparation conservée dans ce baume. Donc, si après un séjour de trois ans dans ces conditions, ils conservent leurs mouvements propres, il est clair que leur organisation se conserve sans le secours de l'oxygène. Vous pouvez vous former une idée générale de la résistance de nos zoospores en vous rap- pelant les différents liquides qui ont agi sur la préparation avant qu'elle fût complètement finie. On a fait macérer le foie pendant un mois dans la liqueur de Mùller, et comme au bout de ce temps, on ne l'a pas trouvé suffisam- ment endurci, on l'a mis pendant huit jours dans une solution d'acide chromique. Puis, on en a fait des coupes minces à l'aide du micro- tome, et on les a passées au picrocarminate d'ammoniaque pour les teindre. Après cela, les coupes ont été mises dans l'alcool absolu afin de les déshydrater; puis dans la térébenthine dans le but de les rendre transparentes, et en- fin, on les a fixées dans du baume du Canada dissous dans le chloroforme. Si nous énumérons les divers composés qui ont agi sur ces organismes, il résultera: l9, la liqueur de Mùller, composé de bichromate de potasse et de sulfate de soude; 29, solution d'a- cide chromique; 39, solution de picrocarminate d'ammoniaque; 49, alcool absolu; 59, essence de 151 térébenthine; 69, baume du Canada dissous dans le chloroforme. Vous savez tous que la plus grande partie des organes de l'économie se dur- cissent dans la liqueur de Mùller, c'est-à-dire, que cette liqueur évite la putréfaction, car s'il n'en était pas ainsi, les organes ne se conserve- raient pas en bon état. Donc, si l'on évite la putréfaction, c'est que tous les microbes, dits de la putréfaction, suc- combent dans ce liquide, et si la zoospore con- serve toute sa vitalité après y avoir fait un sé- jour consécutif d'un mois, il est évident que cette zoospore n'a aucune relation d'analogie avec les microbes de la putréfaction. Nous pour- rions en dire autant pour l'acide chromique, l'alcool absolu, la térébenthine, le baume du Canada et le chloroforme. Conséquemment, il est logique de déduire qu'il n'y a pas d'identité possible entre notre zoospore et les bactéries de la putréfaction. Maintenant que ce fait est connu, et qu'il est hors de doute que le microbe de la fièvre jaune résiste très bien à l'action de la liqueur de Mùl- ler, vous trouverez toute naturelle la découverte que le Dr. Schmidt a faite d'un petit champi- gnon développé dans un foie que l'on avait fait macérer dans la liqueur de Mùller. Plus tard, vous verrez que le refroidissement subi par les organes du cadavre, et dont l'action 152 a duré environ deux heures, a été également in- efficace pour détruire la zoospore. Je possède un grand nombre de préparations diverses, durcies à l'aide de la liqueur de Mùl- ler et conservées dans le baume du Canada; toutes sont intactes, quoique vieilles de plu- sieurs années. Cependant, celles qui viennent des reins ou des foies de cadavres d'individus morts de la fiè- vre jaune ont souffert une altération particu- lière qui consiste en une sorte de liquéfaction, ou fusion graisseuse du parenchyme de ces or- ganes. Ce fait unique d'altération des préparations provenant d'organes de malades de fièvre jaune m'a fait supposer que l'organisme survivait et que subissant les évolutions déjà décrites, il se produisait cette espèce de graisse qui altérait les préparations. Cette idée, qui n'a été tout d'abord qu'une simple hypothèse, est venue se confirmer, quand j'ai rencontré la zoospore vivante après être restée enfermée plus de trois ans dans le bau- me du Canada. Je ne cesserai donc pas de vous répéter que c'est un fait parfaitement avéré que le germe de la fièvre jaune résiste à l'action de la liqueur de Mùller et à celle des autres réactifs, 'et qu'il peut se conserver pendant très longtemps clans 153 les préparations faites avec le baume du Ca- nada. Ayant ainsi une idée générale de la résistance de notre microbe, j'ai voulu étudier l'action que pouvaient exercer sur lui les températures bas- ses ou élevées. On sait avec quelle facilité les micro-organismes sont détruits lorsqu'on les soumet à l'action des températures élevées. Per- sonne n'ignore la méthode de M. Pasteur pour stériliser les liquides. Elle consiste à les sou- mettre à l'ébullition, et à détruire les organis- mes qui pourraient adhérer aux récipients en les soumettant dans une étuve à une tempéra- ture de 200° à 250° du thermomètre centigrade. Après avoir pris ces précautions, M. Pasteur croit que les organismes doivent avoir été dé- truits, et l'expérimentation est toujours venue confirmer ses théories. D'autre part, tous les physiologistes nous assurent que les mouve- ments amiboïdes et sarcodiques ne résistent pas à une température de 50° à 60°, de manière que les températures élevées ont été considérées comme le moyen le plus efficace pour détruire les organismes vivants, et les hygiénistes pré- conisent comme le meilleur désinfectant l'expo- sition des objets suspects à l'action d'une tempé- rature de 110° à 120° du thermomètre centigra- de. Je me suis donc proposé de voir l'influence que pouvaient avoir les températures élevées 154 sur les zoospores, et j'ai commencé par les sou- mettre pendant une heure à l'action de l'eau bouillante.—Il faut remarquer qu'à Mexico, l'eau ne bout pas à 100°, mais à une tempéra- ture un peu inférieure, à 90°.—Après une heu- re, je les ai examinées au microscope, et j'ai trouvé que les mouvements s'étaient conservés comme si l'on n'avait pas élevé la température. Pour étudier l'action que pouvaient exercer des températures plus élevées, j'ai fait usage d'huile qui, vous le savez, peut comporter des températures très élevées sans entrer en ébulli- tion. J'ai enveloppé les zoospores dans du pa- pier très fin, et je les ai introduites dans le fond d'une petit tube de verre également très fin et soutenu par une rondelle de liège. Je pouvais ainsi enfoncer les zoospores à une certaine pro- fondeur dans l'huile, sans que celle-ci pénétrât dans l'intérieur du tube et vînt directement baigner les micro-organismes. Une lampe à esprit-de-vin, à flamme large, me servait à éle- ver la température, et un thermomètre à haute échelle, plongé clans l'huile à la profondeur où se trouvait le petit tube, marquait les degrés de la température. Ayant ainsi tout préparé pour mon expérien- ce, j'ai élevé et soutenu pendant une heure la température à 120°. Après cela, j'ai mis une goutte d'eau sur un verre porte-objet, et j'ai 155 mélangé la petite masse de zoospores qui, pen- dant une heure, avait été soumise à cette tem- pérature de 120°. A ma grande surprise, j'ai vu que toutes les petites granulations conser- vaient leurs mouvements et ne paraissaient pas avoir subi une température aussi élevée. Pro- cédant de la même manière, et employant une nouvelle quantité de zoospores, j'ai successive- ment élevé et maintenu pendant une heure la température à 130°, 140° et 150°. Les zoospo- res soumises à cette dernière température mon- traient que si la plus grande partie d'entre elles conservaient tous leurs mouvements, quelques unes cependant semblaient entièrement immo- biles. Une autre petite quantité fut soumise dans les mêmes conditions et pendant une heu- re à 160°, et l'examen au microscope me donna un résultat différent, car la majeure partie des granulations intimement unies les unes aux autres semblaient entièrement immobiles, une ou deux seulement se mouvant en toute liberté. Je les fis macérer dans l'eau pendant quarante- huit heures, et en les examinant ensuite au mi- croscope, j'ai remarqué que si beaucoup d'entre elles continuaient à rester complètement immo- biles, beaucoup d'autres avaient recouvré leurs mouvements. J'ai pu, par cette expérience, vérifier ce que j'avais vu en d'autres occasions: la propriété 156 qu'ont ces organismes de se réunir ou de se conglomérer en gros pelotons chaque fois qu'une substance capable de les détruire agit sur eux; de cette manière, l'action destructive agit seule- ment sur les couches superficielles, tandis que ceux du centre gardent toute leur vitalité. Ad- mirable moyen qui sert à la conservation de l'espèce! J'ai conclu de la dernière expérience que la température de 160° est déjà incompatible avec la vitalité des zoospores, mais pour que son ac- tion soit efficace, il faut qu'elle se prolonge pen- dant plusieurs heures, afin de permettre à son effet de s'étendre jusqu'au centre des conglomé- rats que forment les zoospores. Pour étudier l'action que les températures basses pouvaient avoir sur les zoospores, j'en ai placé une certaine quantité sur une masse de glace en liquéfaction, et par conséquent à la température de 0°. Je les y ai maintenues pen- dant deux heures, et les examinant ensuite au microscope, je les ai trouvées parfaitement vi- vantes, et douées d'un mouvement aussi rapide que si elles n'avaient pas été soumises à une semblable température. Au moyen de divers mélanges réfrigérants, je suis parvenu à abaisser la température jus- qu'à 20° au-dessous de zéro, et dans chaque ex- périence, j'ai maintenu ces zoospores pendant 157 deux heures sous l'action de ces températures basses. Le résultat a toujours été le même: les micro-organismes conservaient tous leurs mou- vements, et aucun d'eux ne paraissait avoir suc- combé à l'action de ce grand froid. Vous pourrez conclure de ces expériences que les spores qui ont déterminé la génération du champignon observé par le Dr. Schmidt ont pu très bien résister pendant deux heures à l'ac- tion de la glace, et que si, ni l'abaissement de la température, ni l'action de la liqueur de Mùl- ler, n'ont pu tuer ces organismes, comme cela a lieu pour ceux de la putréfaction, il n'y a rien d'étonnant à ce que le docteur américain ait vu le développement d'un champignon après que le foie avait subi l'action des deux agents en question. Les autres conséquences des dernières expé- riences sont les suivantes: l9, les températures de 100° à 120° qui se recommandent générale- ment pour détruire le micro-organisme de la fièvre jaune sont totalement insuffisantes. Pour que l'action de la température soit efficace, il faut l'élever à 160° et la maintenir pendant trois ou quatre heures consécutives; 29, l'abais- sement de la température ordinairement consi- déré comme capable d'arrêter les épidémies de fièvre jaune pourra l'être en effet, si cette tem- pérature empêche la germination des spores et 158 le développement de la mucédinée; mais comme la petite zoospore résiste à ces températures basses, il est à supposer qu'au retour du beau temps les spores recouvreront leurs facultés germinatives, et qu'avec elles, l'épidémie fera sa réapparition. C'est ce qui s'est vu sur leva- peur "Plymouth" dont je vous ai raconté l'his- toire. Ce navire est resté entouré par les glaces pendant trois ou quatre mois, et à son retour sous les tropiques, la fièvre jaune a reparu à son bord. Je vous recommande donc de ne pas oublier la grande résistance que ces organismes oppo- sent aux températures hautes et basses. Rap- pelez-vous aussi que j'ai vu vivre les zoospores soumises à des températures qui peuvent va- rier entre 20° au-dessous de zéro et 160°. Avant d'aller plus loin, je dois vous faire une déclaration, d'autant plus nécessaire que dans les faits que l'on observe pour la première fois, tout doit être décrit de la façon la plus mi- nutieuse. S'arrêter aux plus petits détails, c'est faciliter le chemin à tous ceux qui veulent con- trôler l'exactitude de ce que l'on avance et don- ner une preuve de l'authenticité de ce que l'on décrit, puisqu'il est impossible à celui qui se propose de théoriser seulement, ou à celui qui n'a d'autre guide que son imagination, plus ou moins vive, de prévoir toutes les circonstances, 159 et encore bien moins de résoudre les petits pro- blèmes qui se présentent incidemment. Vous m'avez souvent entendu dire que les zoospores soumises à telles ou telles tempéra- tures conservent tous leurs mouvements, et je vous le répéterai fréquemment dans la prochai- ne leçon, quand nous étudierons l'action de cer- taines substances sur ces micro-organismes. Mais comment savoir quels sont les mouve- ments normaux de ces microbes? Quelles pré- cautions doit prendre celui qui ne les connaît pas pour les voir avec tous leurs mouvements? Il est évident que la meilleure manière serait de voir les zoospores à leur sortie des sacs zoos- porangiaux, et lorsqu'elles passent immédiate- ment dans l'eau distillée; malheureusement, cette expérimentation est très difficile à Mexico, car ainsi que je vous l'ai déjà dit, il est très rare que la peronospora lutea se développe dans nos localités. Seulement, ceux d'entre vous qui iront aux endroits infectés pourront plus facilement observer ce phénomène si curieux. Dans les urines récemment sorties de l'éco- nomie animale, on peut voir les mouvements normaux de nos petits organismes; mais comme ils s'y rencontrent disséminés dans une grande quantité de liquide, et que de plus, ils sont si petits et ressemblent tellement aux petites bac- téries de la putréfaction, il est très difficile de 160 les distinguer dans ce liquide, et il faut beau- coup de temps et de patience pour arriver à les connaître. Les Drs. Valadez, de Mazatlan, Pon- ce de Léon et Paliza, de Culiacan, en savent quelque chose! L'évaporation spontanée de l'urine des ma- lades de fièvre jaune laisse un résidu formé dans sa presque totalité par les zoospores, et l'on trouve dans le plus petit fragment de ce résidu des milliers de milliers des organismes en question; il est alors très facile de connaître leur forme, leur volume, leur aspect, etc., etc., mais dans ces conditions, il ne sera pas possi- ble de juger de l'extension et de la rapidité de leurs mouvements. En effet, les zoospores exécutent probablement leurs mouvements os- cillatoires au moyen de petits cils vibratiles dont il ne m'a pas été possible d'apercevoir le nombre d'une manière évidente, et ces petits cils ont besoin, pour fonctionner librement, de se trouver dans un milieu qui présente peu de résistance. Plus tard, vous verrez qu'il suffit d'augmenter la densité des liquides pour ralen- tir visiblement le mouvement des zoospores. Ceci étant posé, je vous prie de réfléchir que les urines des malades de fièvre jaune étant albumineuses, si vous faites évaporer leur par- tie aqueuse, l'albumine unie aux autres rési- dus solides doit former une espèce de bitume 161 qui agglutine les cils vibratiles, et qui empê- che, ou rend difficiles leurs mouvements nor- maux. En effet, voici ce qui arrive: Si vous prenez une urine récente provenant d'un malade de fièvre jaune, et si vous l'abandonnez à l'évapo- ration spontanée, vous obtiendrez un résidu for- mé de milliers de millions de zoospores, mais ces organismes seront attachés par pelotons les uns aux autres et formeront de grosses masses desquelles vous verrez se détacher quelques unes douées de mouvements peu rapides. Les zoospores que je vous ai fait voir dans une de nos leçons antérieures proviennent d'une urine que j'avais, ainsi que je vous l'ai annoncé, con- servée depuis plus de trois ans, et qui, à plu- sieurs reprises avait été exposée à l'humidité pour se dessécher de nouveau. Durant cette longue période où l'urine avait été soumise plusieurs fois à l'humidité, il est arrivé deux choses: l9, L'albumine a disparu peu à peu et 29, les zoospores ont eu le temps de se débar- rasser de leur enveloppe glutineuse et de recou- vrer leurs mouvements et leur agilité physio- logiques. Si, par conséquent, vons voulez obtenir des zoospores douées de tous leurs mouvements, vous devez attendre un temps suffisamment long pour permettre à l'albumine de disparaî- 162 tre, ou bien séparer ce principe des urines avant de les soumettre à l'évaporation.1 Dans notre prochaine leçon, je continuerai à vous rendre compte de l'action des différentes substances sur ce petit organisme. 1. Je vous ferai connaître plus tard les motifs qui m'ont obligé à désalbuminer les urines avant de les ex- poser à l'évaporation, et je vous dirai de quelle manière je procède. NEUVIEME LEÇON. Messieurs: Dans la dernière leçon, nous avons commen- cé à étudier la résistance des zoospores géné- ratrices de la fièvre jaune à l'action des dif- férents agents, et vous savez déjà que leurs mouvements se conservent dans les températu- res hautes et basses. Aujourd'hui, nous nous occuperons de l'action des différentes substan- ces sur ces organismes. Aucun de vous n'ignore le grand usage que l'on fait à Veracruz du jus de citron pour gué- rir la fièvre jaune, et mon premier désir a été de voir si ce jus est capable de tuer les zoospo- res. J'ai fait un mélange de parties égales d'eau distillée et de jus de citron, et j'y ai mis une pe- tite quantité de microbes dont j'ai étudié les mouvements, au microscope. Je n'ai pu cons- 164 tater aucune perturbation, et les petites granu- lations ont continué à se mouvoir dans le mé- lange, comme elles le faisaient dans l'eau dis- tillée. J'en ai fait macérer une autre petite quantité dans le même mélange pendant quarante-huit heures, et au bout de ce temps, j'ai remarqué que les zoospores restaient aussi vivantes que dans les premiers moments. Voyant que les acides organiques n'agissaient pas sur ces organismes, j'ai essayé de l'acide nitrique, et j'ai mélangé trois parties d'eau et une d'acide nitrique du commerce. J'y ai mis une petite quantité de zoospores qui, au micros- cope, ont conservé tous leurs mouvements. Une macération de quarante-huit heures dans le même mélange m'a donné le même ré- sultat. En résumé, ni les acides organiques, ni les anorganiques, en solution moyennement con- centrée, ne peuvent déterminer la mort de nos zoospores. Je me suis ensuite proposé d'étudier l'action que pourraient exercer sur ces microbes quel- ques unes des substances les plus recomman- dées comme antiseptiques et me rappelant que, selon Miquel, le bichlorure de mercure est, après l'eau oxygénée, le meilleur antiseptique, j'ai voulu en étudier les effets. 165 Miquel dit qu'il suffit de sept parties de bi- chlorure de mercure dans cent mille de bouil- lon pour éviter la putréfaction. C'est, vous le voyez, une bien petite porportion pour détruire tous les germes de la putréfaction. J'ai préparé- une solution au demi pour cent, dans laquelle j'ai placé les zoospores qui, après y avoir sé- journé vingt-quatre heures, conservaient encore toute leur vitalité. Doublant la dose, j'ai fait une préparation au 1 pour 100. Même ré- sultat. Réfléchissez un instant que selon les expé- riences de Miquel, il suffit de sept parties de bichlorure de mercure dans cent mille de vé- hicule pour la complète destruction des micro- bes qui déterminent la fermentation putride, tandis que dans notre cas, les zoospores ont ré- sisté à un mélange de mille parties de bichlo- rure dans cent mille d'eau. Je crois que s'il vous était resté quelque doute touchant l'identité de notre micro-organisme et celle des microbes de la putréfaction, cette ex- périence suffirait à le dissiper tout à fait. Voyons maintenant l'action de l'acide phé- nique. Selon Miquel, l'acide phénique dans la proportion de trois parties et deux-dixièmes pour mille suffit pour empêcher la putréfaction. J'ai préparé une solution au 1 pour 100, ou 10 pour 1,000, et son action a été nulle sur les 166 zoospores. Quarante-huit heures après, elles étaient encore vivantes dans cette solution. Vous connaissez bien l'usage que l'on fait de l'alcool en chirurgie pour éviter la putréfaction des blessures et ses conséquences; j'ai donc es- sayé l'influence de cet agent. Mon désir de l'é- tudier était d'autant plus grand que je prévo- yais que les organismes conserveraient toute •leur vitalité, puisque je les avais trouvés vivants dans cette préparation de foie renfermée dans le baume du Canada et qui, comme je vous l'ai dit, avait été soumise pendant quelque temps à l'action de l'acool absolu. Je me servis d'abord d'alcool du commerce à 80°, et ensuite, d'alcool pur. Le résultat fut bien curieux et mérite d'être rapporté. Les zoospores placées dans les deux liquides y perdirent totalement leurs mou- vements d'une manière instantanée et restèrent ainsi pendant une heure. Je laissai s'évaporer l'alcool, et j'ajoutai une petite quantité d'eau distillée au résidu sec: les zoospores recouvrè- rent alors tous leurs mouvements. Je les fis macérer pendant vingt-quatre heures dans une petite capsule contenant de Ualcool à 80°; après l'évaporation, les zoospores ont recouvré tous leurs mouvements. En conséquence, nous pouvons dire que l'al- cool empêche les mouvements de ces micro- bes, mais qu'il ne les tue pas, même lorsque 167 l'on prolonge son action pendant vingt-quatre heures. L'acide salicylique est peu soluble dans l'eau. J'en ai fait une préparation entièrement satu- rée, et elle n'a eu aucun effet sur les microbes. Cependant, j'avais un grand désir de voir ce qui se passerait avec le salicylate de soude; ma cu- riosité avait été éveillée par la lecture du pre- mier ouvrage publié par le Dr. Freire, en 1880, et dans lequel, l'auteur nous assure, (Page 231) qu'il suffit d'une seule goutte d'une solution de 0,40 centièmes pour 70 d'eau dans une quantité (non déterminée) de matières vomies pour ob- server la disparition définitive de tout mouve- ment chez les micro-organismes. Mes expé- riences ne confirment malheureusement pas les assertions de l'observateur brésilien. J'ai pré- paré une solution de salicylate de soude au 10 pour 100, beaucoup plus concentrée que celle du Dr. Freire, et au lieu d'en verser une goutte dans une certaine quantité de véhicule, j'ai dé- posé les micro-organismes dans cette solution. J'ai observé que non seulement, ils conservaient tous leurs mouvements, mais que quatre jours après, ils y vivaient encore. Le Dr. Freire dit qu'il s'en est peu fallu qu'il ne s'écriât: Eurêka! quand il a vu, pour la pre- mière fois, l'action délétère du salicylate de sou- de sur les micro-organismes. Il s'est immédia- 168 tement proposé de traiter la fièvre jaune par l'emploi d'injections hypodermiques d'une so- lution de sel microbicide, et dans son ouvrage, il relate un grand nombre de faits qui sont venus confirmer ses doctrines. Je suppose ce- pendant que les épidémies postérieures ne lui ont pas été aussi favorables, car personne n'a reparlé de l'efficacité du salicylate de soude. Si j'en puis juger d'après mes propres expériences, je puis dire que les injections de salicylate de soude sont aussi inefficaces que celles d'eau dis- tillée. La présence des micro-organismes dans la préparation de foie que je vous ai déjà si sou- vent mentionnée aurait pu me dispenser d'ex- périmenter l'action du bichromate de potasse. J'ai cependant voulu voir directement les choses, et j'ai préparé une solution de ce sel dans de l'eau distillée, et dans la proportion de 5 pour 100. J'y ai fait macérer pendant quarante-huit heu- res une petite quantité de zoospores, et au bout de ce temps, j'ai observé au microscope que les microbes vivaient et conservaient tous leurs mouvements. Ceci démontre donc que le bichro- mate de potasse n'exerce sur eux aucune in- fluence. Pour étudier les effets de l'iode, je n'ai pas voulu employer la teinture alcoolique de ce mé- 169 talloïde, puisque, vous le savez, l'alcool arrête les mouvements des zoospores. J'ai préparé une solution aqueuse d'iodure iodurée de po- tassium dans les proportions suivantes: 8 par- ties d'iode simple, 8 d'iodure de potassium et 86 parties d'eau. La solution était suffisamment concentrée pour avoir une action caustique sur la peau. J'y ai fait macérer quelques microbes pendant vingt-quatre heures, au bout desquel- les, les mouvements persistaient comme dans l'état normal. Vous savez que l'acide osmique a été recom- mandé comme très efficace pour tuer tous les infusoires qui se trouvent dans les eaux, et à cet effet, on emploie une solution au 1 pour 100. J'en ai fait la préparation dans les proportions indiquées et j'y ai abandonné les zoospores pen- dant vingt-quatre heures, sans pouvoir y noter aucun changement. Je dois vous rappeler que l'acide osmique s'emploie comme réactif pour découvrir les ma- tières graisseuses qui prennent une couleur noire quand on les expose à l'action des vapeurs de cet agent. Eh bien! même quand les zoospo- res prennent l'aspect de petits points graisseux, leur coloration ne change pas au contact du réactif en question. En étudiant les effets de l'essence de térében- thine, j'ai pu remarquer que les zoospores ne F. J.—i: 170 s'y mêlaient pas, et que malgré les efforts que l'on faisait pour séparer les unes des autres, elles restaient sous formes de masses qui ne se laissaient pas pénétrer par le liquide. Sur le champ du microscope, on pouvait voir qu'elles formaient des masses jaunâtres granuleuses sans aucun mouvement; la térébenthine restait par- faitement limpide, et l'on ne voyait aucune gra- nulation nager dans le liquide. Après quelques heures de contact, j'ai fait passer une goutte d'eau entre le verre couvre-objet et le porte- objet, et voici ce que j'ai pu observer: les zoos- pores entraînées par l'eau recouvraient leurs mouvements, tandis que celles qui étaient en- fermées dans l'essence de térébenthine restaient parfaitement immobiles: cependant, celles de ces dernières qui se trouvaient placées près des bords, et à peu de distance de l'eau qui les en- tourait, se mouvaient et semblaient faire des efforts pour rompre la légère couche d'huile qui les séparait de l'eau, mais lorsque dans leurs mouvements elles s'éloignaient un peu des bords, elles redevenaient complètement immo- biles. J'ai obtenu des résultats analogues avec l'hui- le d'olive. Plus tard, j'ai pu remarquer que si quelques liquides, comme l'alcool, paralysaient momen- tanément les mouvements des microbes, il y a 171 d'autres liquides qui offrent une certaine diffi- culté aux mouvements, en raison de leur visco- sité et de la résistance qu'ils opposent proba- blement à ces petits organismes. J'ai préparé une solution de sulfate de magnésie suffisam- ment concentrée pour augmenter perceptible- ment la densité du liquide, et j'ai remarqué que les mouvements des zoospores y étaient beau- coup moins libres que dans l'eau distillée. Après les avoir laissées macérer pendant vingt-quatre heures dans cette solution, j'ai remarqué que les mouvements étaient peu perceptibles. J'ai ajouté une petite quantité d'eau pour diminuer la densité de la solution, et les zoospores ont immédiatement activé leurs mouvements. Vous verrez plus tard que le sucre, loin de tuer ces microbes, les nourrit et qu'ils s'y transforment en cellules volumineuses. Or, si on prépare une solution concentrée de sucre et si l'on y jette quelques microbes, on remarque tout d'abord que leurs mouvements se ralentissent, mais qu'ils recouvrent leur activité dès qu'on y ajou- te une petite quantité d'eau. D'après ce que je vous ai dit jusqu'ici, vous devez être convaincus de la grande résistance que les zoospores opposent aux différents agents. Cependant, il fallait m'assurer du degré de confiance que l'on peut accorder aux divers mo- yens recommandés par les hygiénistes contre le 172 développement de certaines maladies exotiques. Vous savez que la Commission d'Hygiène Pu- blique de Paris, dans laquelle figurent, comme président, M. le Dr. Brouardel, et comme se- crétaire, M. Valantin, dans sa séance du 2 Juil- let 1884, conseillait l'emploi du sulfate de cui- vre au 5 pour 100 et du chlorure de zinc au 1 pour 100, comme les meilleurs moyens pour désinfecter les objets qui viennent des endroits où règne le choléra. D'un autre côté, le Congrès National d'Hy- giène, qui s'est réuni à Mexico, le 16 Septem- bre 1883, préconisait comme moyens à oppo- ser au développement de la fièvre jaune: l9r l'emploi de la chaleur à une température de 105° à 120°; 29, le chlorure de zinc au 2 pour 100, et 39, les fumigations à l'acide sulfureux. Loin de moi l'idée de critiquer les personnes qui sont venues avant nous. Personne n'est obligé de devancer les progrès de la science, et tant qu'elle n'a pas dit son dernier mot sur un sujet, il est toujours bon de s'en tenir à ce qu'on connaît jusqu' alors. Ne connaissant pas les germes du choléra et de la fièvre jaune, on ne pouvait pas non plus connaître leurs propriétés générales, ni la ré- sistance qu'ils peuvent opposer à des agents déterminés; et faute de ces connaissances, on a cherché à leur opposer les moyens qui agissent 173 comme destructeurs des germes les plus con- nus, ceux de la putréfaction. Remarquez, en effet, que tous les hygiénistes recommandent tels ou tels moyens pour éviter le développement de tel genre de maladie épi- démique, et leur unique critérium a été celui de l'action exercée par les différents agents sur les germes de la putréfaction. Comme vous allez le voir, le germe de la fièvre jaune a des pro- priétés très distinctes de celles du germe qui occasionne la putréfaction, et il est très proba- ble que les germes du choléra, de la peste d'O- rient et de beaucoup d'autres maladies ont des propriétés différentes et des résistances très variées, si on les compare aux germes de la pu- tréfaction ou à ceux de la fièvre jaune. Il ne faut donc pas généraliser, mais étudier chaque cas particulier et chercher quels sont les agents capables de détruire un organisme déterminé. Vous savez déjà que pour détruire le germe de la fièvre jaune par le moyen de la chaleur, il faut élever la température à 160° et soutenir son action pendant plusieurs heures. C'est pourquoi les températures recomman- dées par le Congrès National d'Hygiène de Mexico sont totalement insuffisantes. Voyons maintenant les effets du chlorure de zinc, du sulfate de cuivre et des fumigations d'acide sul- fureux sur notre microbe. Ayant préparé une 174 solution de chlorure de zinc au 2 pour 100, et y ayant laissé macérer les zoospores pendant vingt-quatre heures, elles ont conservé tous leurs mouvements comme s'il s'était agi d'eau distillée. Même résultat avec le sulfate de cui- vre dans la proportion de 5 pour 100, comme le recommande la Commission d'Hygiène de Paris pour le choléra. J'ai déposé une petite quantité de microbes dans un petit vase, et à côté, un peu de soufre que j'ai fait brûler; puis, recouvrant ensuite her- métiquement le vase, je n'ai soulevé le couvercle , qu'au bout de vingt-quatre heures, pour y ajou- ter une autre quantité de soufre que j'ai fait encore brûler. Puis, j'ai refermé de nouveau hermétiquement. Vingtr-quatre heures après, j'ai retiré les microbes pour les examiner au mi- croscope dans une goutte d'eau distillée, et j'ai constaté que leurs mouvements étaient aussi vivaces que ceux des zoospores qui sont restées à l'air atmosphérique. Après ce résultat, je vous demande quelle confiance pouvons-nous accorder aux mesures hygiéniques recommandées jusqu'à ce jour? Vous avez vu que les zoospores peuvent vivre dans une température de 120°, dans une solu- tion au 2 pour 100 de chlorure de zinc, dans le sulfate de cuivre au 5 pour 100, ainsi que dans une atmosphère d'acide sulfureux. 175 Avec ces seules armes pour combattre la fiè- vre jaune, nous ne devons pas nous étonner de ce que les épidémies se moquent de notre vigi- lance, et envahissent nos côtes malgré les me- sures conseillées. L'extension des épidémies n'est pas due seu- lement au peu d'efficacité des moyens micro- bicides, mais encore aux idées erronnées qui régnent dans la science sous le rapport de la surveillance des personnes et des objets prove- nant des lieux infectés. Vous savez que les hy- giénistes s'accordent tous à convenir que le choléra est transporté surtout par les person- nes, tandis que la fièvre jaune se propage plu- tôt par les navires ou par les objets ayant appar- tenu aux malades de vomito noir. Il en résulte que lorsqu'il s'agit de la fièvre jaune, on s'oc- cupe surtout des navires et de leur désinfection; on empêche les personnes d'aller les visiter; on fumige, et l'on soumet à une température éle- vée les objets appartenant aux individus sus- pects, mais on s'occupe peu de l'homme et des cadavres. Je n'ai cependant pas l'intention de dire par là que les hygiénistes perdent de vue les mala- des et les cadavres; je sais bien qu'ils recom- mandent l'établissement de lazarets et de cor- dons sanitaires pour s'opposer à la dissémina- tion des malades au milieu des populations 176 saines. Mais en disant que l'on doit fixer plus l'attention sur les objets que sur les malades, on semble indiquer que ceux-ci sont peu dange- reux, et de ce principe, il est résulté des maux d'une conséquence très grave. On sait qu'avant 1852, la fièvre jaune était inconnue sur toute l'immense étendue des côtes du Pacifique, et que ce fut cette année-là que la maladie enva- hit le Pérou pour passer ensuite à Panama. Les côtes du Mexique sur le Pacifique avaient été vierges jusqu'en 1883. Un navire venant de Panama s'arrêta quelques heures à Mazatlan où il débarqua, pour être enterré dans cette ville, le cadavre d'une personne morte de la fièvre jaune. Le navire continua sa route sur San-Fran- cisco, mais il laissait à Mazatlan une pépinière de zoospores qui ne tardèrent pas à déterminer une épidémie de vomito noir. Depuis cette épo- que, la fièvre jaune s'est étendue rapidement vers le sud, sur toute la côte jusqu'à Tehuan- tepec, et vers le nord, jusqu'en Sonora et en Basse-Californie. Depuis lors, la terrible ma- ladie s'est implantée sur toute l'étendue de nos côtes du Pacifique où elle était inconnue. Rappelez-vous seulement le nombre de mi- crobes que vous avez vus dans une coupe mi- croscopique du foie et calculez l'immense quan- tité d'organismes qui, par leur union, ont formé 177 les spores d'où vient la mucédinée génératrice de la fièvre jaune. Ce que j'ai dit d'un cadavre peut s'appliquer à un malade. Ses urines, ses excréments, les matières vomies sont imprégnés de germes qui, s'ils ne déterminent pas directement la maladie, sont capables de produire le germe immédiat lorsque les conditions tellurico-at- mosphériques sont favorables. Je né me fati- guerai pas de vous le répéter, car c'est un fait d'importance vitale: les navires et les objets qui viennent des points infectés peuvent apporter avec eux la "mucédinée" ou le germe immédiat de la maladie; quant au malade, nous pouvons dire que s'il ne donne pas le germe immédiat, il fournit une immense quantité de zoospores qui, dans des conditions propices, produiront la "mucédinée." En conséquence, les malades sont aussi dange- reux que les navires et les objets, avec cette seule différence, c'est qu'avec les uns, les résultats peuvent être plus tardifs qu'avec les autres. Ces études sur la prophylaxie nous servi- raient à peu de chose, si je me limitais à vous signaler le danger, et vous n'en seriez guère plus avancés, si je me bornais à vous faire sa- voir que tous les moyens préconisés jusqu'à ce jour ont été insuffisants pour combattre le mal. A quoi nous servirait, en effet, de savoir que nous avons beaucoup à craindre, non seule- 178 ment des navires et des effets qui ont été en contact avec les malades de fièvre jaune, mais encore des cadavres mêmes, si d'un autre cô- té, nous savons également que la zoospore ne peut être détruite par aucun des moyens mis en pratique jusqu'à présent? Heureusement, Messieurs, je puis vous dire quelque chose de nouveau sur ce point, quelque chose qui' sera plus efficace pour atteindre no- tre but. Remarquez d'abord que nous pouvons y arri- ver par le moyen des températures élevées, mais qu'il est nécessaire d'aller plus loin que l'on n'est allé jusqu'à ce jour. Nous devons élever la tem- pérature au-delà de 100° et de 120° et la porter jusqu'à 160° ou un peu plus et soutenir son ac- tion pendant plusieurs heures: grâce à cela, nous serons certains d'avoir tué la zoospore. Nous avons encore d'autres moyens dont nous pouvons disposer et qui sont les suivants: Si vous préparez une solution de nitrate d'argent au 1 pour 100, vous verrez que les zoospores y perdent leurs mouvements d'une façon presque instantanée. Si vous les laissez pendant vingt>- quatre heures dans cette solution, vous verrez que presque toutes ont succombé. Si d'un autre côté, vous mêlez 8 parties d'hypochlorite de chaux avec 100 parties d'eau, et si vous y dé- posez une certaine quantité de microbes, vous 179 les verrez tous succomber instantanément sans en trouver un seul capable de se mouvoir. Si au lieu du mélange au 8 pour 100, vous le ré- duisez à la moitié, c'est-à-dire, si vous mettez 4 parties de sel dans 100 parties d'eau, le résultat est un peu moins satisfaisant, car si la plus gran- de partie des organismes perdent leurs mouve- ments, cependant, il en reste beaucoup qui pa- raissent entièrement vivants. Si le mélange n'est qu'au 2 pour 100, toutes les zoospores conser- vent leurs mouvements. Si vous employez l'hy- pochlorite de soude du commerce et si vous y déposez quelques microbes, vous les verrez tous succomber instantanément; mais si vous rédui- sez la solution à la moitié en mettant parties égales d'eau distillée et d'hypochlorite de soude du commerce, les effets seront déjà entièrement nuls et les zoospores conserveront tous leurs mouvements. Je dois vous faire remarquer que dans l'emploi des hypochlorites, on observe un dégagement abondant de bulles de gaz. Ces gaz sont très probablement le résultat de la décom- position de la matière organique par l'affinité du chlore pour l'hydrogène, et les gaz qui se dégagent doivent être de l'oxygène et de l'azo- te mis en liberté. Mettons donc de côté les moyens préconisés jusqu'à ce jour, et renonçons à l'emploi du sul- fate de cuivre, du chlorure de zinc et des fumi- 180 gâtions d'acide sulfureux, et à leur place, recom- mandons: l9, l'élévation de la température à 160° et plus; 29, l'usage de l'hypochlorite de chaux clans la proportion de 6 à 8 pour 100; 39, l'hy- pochlorite de soude en solution aussi concentrée que celle du commerce; 49, le nitrate d'argent dans la proportion de 1 pour 100 et un peu plus, et enfin les fumigations de chlore. Je sais bien que quelques uns de ces moyens pourront offrir quelques inconvénients dans la pratique, mais comme ce sont des moyens sûrs de détrui- re le germe de la fièvre jaune, il faut les em- ployer, malgré leurs inconvénients. DIXIÈME LEÇON. Messieurs: L'observation attentive des faits nous donne souvent des résultats inespérés, et nous en ré- vèle d'autres auxquels nous ne pensions pas. Si je m'étais simplement proposé de chercher directement la cause des hémorragies dans la fiè- vre jaune, peut-être ne serais-je pas arrivé aux résultats que j'ai obtenus d'une manière in- directe. En cherchant l'action que pourraient exercer les différentes substances toxiques sur nos petits organismes, j'ai employé entre autres le cyanure de potassium dans la proportion de 1 pour 100, et j'ai constaté que les zoospores y vivaient comme dans l'eau distillée. Au lieu de me contenter d'une observation d'une ou deux heures, j'ai fait pour cette substance ce que j'a- vais fait pour les autres, c'est-à-dire, que j'ai 182 prolongé l'action pendant 24 heures. Dans ces conditions, j'ai remarqué, à ma grande surprise, que non seulement nos organismes conservaient tous leurs mouvements, mais encore que beau- coup d'entre eux s'étaient nourris et dévelop- pés en se transformant en vésicules volumineu- ses. Je dois vous avertir que bien que vous ayant souvent parlé de la transformation des zoospores en cellules volumineuses, je ne vo- yais habituellement ces transformations que peu de temps après l'émission de l'urine. Les urines des malades de fièvre jaune contiennent des. quantités fabuleuses de zoospores, et ces organismes se développent pendant les quatre ou cinq jours qui suivent la sortie de l'urine. Passé ce délai, il semble que les phénomènes du développement soient suspendus, et si beau- ' coup de zoospores se sont transformées en spo- res complètes, beaucoup d'autres s'arrêtent à des périodes intermédiaires, tandis que d'in- nombrables zoospores restent dans leur état primitif. On dirait que les éléments qui déter- minent le développement de la zoospore s'épui- sent et que clans ce cas les transformations s'ar- rêtent subitement. Il en résulte que les microbes obtenus par la dessication ne peuvent déjà plus subir l'évolu- tion cellulaire. C'est un fait que j'ai vérifié par de nombreuses observations sur des zoospores 183 placées dans l'eau distillée et sur beaucoup des substances dont je vous ai parlé auparavant. C'est pourquoi l'effet du cyanure de potassium a tant appelé mon attention, puisque ce sel ren- dait aux organismes la faculté de se développer qu'ils avaient perdue. J'ai dû rechercher celui des deux composants du cyanure de potassium qui favorisait le dé- veloppement de l'organisme en question. Etait- ce l'acide cyanhydrique ou bien la potasse? Pour arriver à ce but, j'ai mis une petite quan- tité de zoospores dans de l'eau de laurier-cerise, et je les y ai abandonnées pendant vingt-qua- tre heures. Au bout de ce temps, j'ai pu constater que les zoospores vivaient et conservaient encore tous leurs mouvements, mais qu'elles ne s'é- taient pas développées. Ce n'était donc pas l'a- cide cyanhydrique qui favorisait leur nutrition. Alors, j'ai préparé des solutions de carbonate de potasse et de chlorure de potassium dans lesquelles j'ai déposé et abandonné pendant vingt-quatre heures une petite quantité de mi- crobes. Les vingt-quatre heures écoulées, j'ai remarqué que les zoospores avaient grandi dans l'un et l'autre sel et qu'elles s'étaient transfor- mées en vésicules. Le bicarbonate en contenait plus que le chlorure, mais le développement qui s'était opéré dans ces deux sels était infé- 184 rieur à celui qui se produit dans le cyanure. J'ai également remarqué dans les deux solutions un grand développement de nombreux microbes de la putréfaction. C'est alors que je me suis de- mandé si cette dernière ne s'opposerait pas au développement des zoospores? Pour éclaircir ce point, j'ai préparé de nouvelles solutions des sels en question dans l'eau de laurier-cerise. Vingt-quatre heures après, j'ai pu constater qu'il n'y avait pas de microbes de la putréfac- tion et que les zoospores développées étaient plus nombreuses que dans l'expérience précé- dente. Elles n'étaient cependant pas aussi abon- dantes que dans le c}^anure cle potassium. Il est donc évident que la putréfaction arrête jusqu'à un certain point le développement des zoospores et que c'est bien la potasse, et non pas l'acide cyanhydrique, qui détermine leur croissance. Comme contre-épreuve, j'ai prépa- ré deux solutions, l'une de bicarbonate de sou- de, l'autre de bicarbonate de potasse, dans les- quelles j'ai semé des zoospores. Vingt-quatre heures après, j'ai vu qu'elles avaient grandi dans la solution de sel de potasse, tandis que dans le bicarbonate de soude, elles étaient res- tées dans leur état normal. Cette dernière ex- périence est venue me démontrer que les sels de potasse étaient bien réellement ceux qui favori- saient la nutrition du microbe. 185 Ce résultat a une grande importance, parce que sachant déjà que le microbe de la fièvre jaune se nourrit aux dépens de nos sels de po- tasse, nous aurons, comme je l'ai dit, l'explica- tion de l'un des symptômes de cette maladie qui était resté inexpliqué: la tendance aux hé- morragies. Si vous vous rappelez les doctri- nes émises par les auteurs au sujet de l'étiologie du scorbut, vous vous souviendrez que presque tous accordent une grande importance à la di- minution des sels de potasse. Comme vous le savez, le scorbut se développe surtout chez les marins qui font de longues traversées, et chez ceux qui, manquant d'aliments frais et privés d'alimentation végétale, se contentent pour tou- te nourriture de viandes salées avec le chlorure de sodium. Vous savez aussi que le moyen le plus efficace pour combattre le scorbut consiste dans la distribution de viandes fraîches, dans l'usage d'aliments végétaux,—surtout ceux qui appartiennent aux crucifères, et qui sont char- gés de sels de potasse—et dans l'administration de quelques acides qui facilitent la pénétration de ces sels. Si l'expérience nous enseigne que la diminu- tion des sels de potasse dans notre économie détermine une maladie—le scorbut—dans la- quelle les gencives enflent et deviennent fon- gueuses, et dans laquelle des hémorragies se 186 déclarent en différents organes, qu' y a-t-il d'étonnant à ce que dans la fièvre jaune où existent des milliers de milliers d'organismes qui se nourrissent, comme nous l'avons vu aux dépens de nos sels de potasse, qu' y a-t-il d'é- tonnant, dis-je, à ce qu'il y ait aussi dans cette maladie une forte tuméfaction des gencives et une grande tendance aux hémorragies? Ayant déjà un moyen qui me facilitait l'étu- de du développement des zoospores, j'ai pu étu- dier attentivement tous les phénomènes qui se présentent pendant leur évolution, et je dois de suite appeler votre attention sur un point qu'il ne faudra pas oublier, car il est d'une impor- tance extrême. Lorsque l'on emploie les sels de potasse, on peut voir comment les zoospores grandissent et se développent en se transfor- mant en cellules volumineuses ayant l'aspect d'une goutte de graisse; mais, je n'ai jamais pu voir la transformation en spores, telle qu'elle se voit dans les urines récemment éliminées. Je vous l'ai dit, et je vous le répète, les spores viennent de l'accouplement des zoospores; une fois unies deux à deux, elles mêlent ensemble leurs contenus; elles grandissent peu à peu et perdent leurs mouvements; à mesure que ces phénomènes ont lieu, elles perdent également leur transparence, deviennent opaques et se so- lidifient; elles se transforment enfin en sphères 187 opaques, non-brillantes, et de couleur jaune gomme-gutte, quand on les voit par réflexion, et jaune-rougeâtre, quand on les examine par réfraction. En se servant des sels de potasse, on voit les zoospores grandir et se développer en se trans- formant en vésicules volumineuses qui ne per- dent pas leur transparence, qui ne se solidifient pas et qui ressemblent beaucoup à une goutte de graisse. On pourrait dire que ce sont des spo- res qui ne sont pas arrivées à leur maturité. En atteignant leur maximum de croissance, elles perdent tout mouvement, remontent aux couches supérieures du liquide et restent pen- dant quelque temps dans cet état; peu à peu, elles perdent leur contenu et leur membrane extérieure, se plissent et forment des rides jus- qu'à ne plus laisser voir ensuite que des petits sacs vides qui nagent sur le liquide. Dans quel- ques préparations, on peut voir ces petites bourses vides, enlevées par les courants du li- quide, tourner sur elles-mêmes et présenter leurs différentes faces à l'observateur qui peut alors se convaincre que ce sont des cellules apla- ties et parfaitement vides. Quelques unes d'en- tre elles étaient encore à moitié pleines du liqui- de jaunâtre, et comme elles se présentaient de face, de profil ou de trois-quarts, on pouvait se faire une idée exacte de leurs véritables formes. 188 Dans des préparations semblables, il n'est pas rare de rencontrer des masses amorphes de matière colorante jaune-rougeâtre. Cette ma- tière colorante est-elle celle qui est contenue dans l'intérieur des cellules? Assurément oui, et il est presque certain que c'est à elle et à la croissance des zoospores que se doit la teinte jaunâtre que l'on remarque à première vue dans les solutions de potasse où l'on a semé les zoospores.1 Je dois vous dire que j'ai rencontré cette croissance des zoospores, non seulement dans les solutions de sels de potasse, mais encore dans des préparations faites avec du bouillon ou avec une solution saccharine. Dans les deux 1. Telle était mon opinion, alors que je ne connais- sais pas Yictéro'idine, et encore moins ses propriétés phy- sico-chimiques. J'avais vu et décrit le développement des zoospores aux dépens des sels de potasse, et j'avais assisté à leur transformation en g)'osses cellules jaunâtres, d'aspect graisseux; je les avais vues se vider et j'avais re- marqué que les cellules se plissaient et se transformaient en sacs parfaitement vides, mais ce n'est que beaucoup plus tard que le hasard m'a fait voir la teinte jaunâtre du résidu de la défécation des urines des malades de fiè- vre jaune, et que j'en ai pu séparer Yictéro'idine. Il est évi- dent que cette matière colorante vient des zoospores et n'est pas due, comme on le supposait auparavant, aux pigments biliaires ou aux transformations de l'hémoglo- bine (hémaphéine). 189 cas, la nuance jaunâtre du liquide augmente d'intensité, même à l'œil nu, et au microscope, l'on découvre le développement des zoospores. Pourquoi voyons-nous dans les urines ré- cemment éliminées la formation complète des spores, et pourquoi cette transformation est-elle incomplète dans les solutions de potasse? Il est probable que pendant la production du phéno- mène, il intervient différents facteurs qu'il me serait difficile de définir quant à présent; ce- pendant, je puis vous dire ce que j'ai cru obser- ver. Dans les urines récentes, on remarque la grande tendance des zoospores à s'unir deux à deux et à se fondre en une seule masse, et quand on a fait un grand nombre d'observations, on note des variétés différentes. Dans quelques cas, les zoospores ne se confondent qu'à moitié, et réunies seulement par une petite partie de leur circonférence, elles affectent alors la forme d'un huit de chiffre; en d'autres cas, la fusion est plus complète, et chaque petit groupe a la forme d'un petit cylindre terminé à ses deux extrémités par de petits segments de sphère. Enfin, on voit ordinairement des sphères com- plètes, et l'on remarque à l'un de leurs diamè- tres une ligne obscure parfaitement perceptible, qui est sans doute le vestige de la membrane qui sépare une zoospore de l'autre. C'est dans ces conditions que l'on observe la formation de 190 la spore mûre; mais dans les solutions de po- tasse, dans le bouillon ou dans l'eau sucrée, on ne voit pas cette fusion des zoospores, mais le développement ou la croissance de chacune d'el- les. Ainsi donc, clans un cas, il y a accouple- ment préalable et formation d'une semence complète, tandis que dans l'autre, il n'y a que développement de chaque individualité sans copulation préalable. Je consigne les faits tels que je les ai vus. Il y a, dans l'histoire du vomito noir, un fait qu'il ne faut pas perdre de vue, lorsque l'on étudie l'étiologie de cette maladie. Tout le mon- de sait que cette endémie n'existe que sur les côtes et dans les localités peu élevées au-dessus du niveau de la mer. Passé certaines limites d'altitude, on arrive à des endroits où l'épidé- mie ne se développe jamais. Ce fait est parfai- tement observé, et dans chaque pays, on peut déterminer avec précision les points où l'endé- mie peut se répandre et ceux où elle ne s'obser- ve jamais. L'altitude n'étant pas la même dans toutes les localités, on ne peut dire a priori quel est le degré de pression nécessaire au dévelop- pement du germe. Pour la côte de Veracruz, on peut assurer que le vomito noir peut s'éten- dre d'un côté jusqu'à Cordova, et de l'autre, jusqu'à Plan ciel Rio. A différentes reprises, il y a eu des épidémies dans ces localités et sur 191 les points intermédiaires de la côte, mais on n'a pas pu démontrer que la maladie ait fait un pas de plus depuis l'établissement des moyens ra- pides de communication; elle a gardé les mê- mes limites à l'époque du gouvernement des vice-rois—où les voyages se faisaient en voitu- res particulières ou sur des chariots de trans- port,—que lors de l'établissement des diligen- ces—qui permettaient des voyages plus rapides, —et que de nos jours, où grâce aux voies fer- rées, on peut en quelques heures traverser la zone de la côte. D'autre part, sur les côtes du Pacifique où les terrains sont plus accidentés, on a pu remar- quer que l'épidémie de fièvre jaune pénètre assez avant dans l'intérieur des terres, mais qu'elle épargne beaucoup de localités intermé- diaires en raison de leur altitude. Il est donc bien démontré que le germe qui engendre la fièvre jaune ne se développe que dans les lieux bas, et l'on peut en conclure que la pression atmosphérique joue un grand rôle dans le développement de la cause de la mala- die. Mais l'observation des faits nous enseigne qu'en plus des conditions de pression, de tem- pérature, et probablement d'état hygrométri- que de l'atmosphère, il en existe d'autres im- parfaitement définies et qui ont une grande part dans son développement. 192 Je vous ai déjà dit que pendant l'hiver de 1883-84, le germe de la mucédinée s'est dévelop- pé à Mazatlan tandis que le phénomène s'était arrêté à Culiacan, bien que les conditions dépres- sion, de température et d'état hygrométrique soient presque pareilles dans les deux localités. A Veracruz, on voit généralement les épidémies se développer pendant les mois les plus chauds de l'année et s'arrêter durant l'hiver. Il y a cependant des années exceptionnelles: celle de 1884, par exemple, pendant l'été de laquelle, il n'y a pas eu de fièvre jaune à Veracruz jus- qu'au mois d'Octobre, où l'épidémie a commen- cé à faire son apparition et s'est développée pendant les mois suivants. Tous ces faits bien observés nous disent qu'en outre des conditions de pression, de températu- re et d'humidité de l'atmosphère, il y a d'autres conditions tellurico-atmosphériques qui nous sont encore inconnues et qui influent beaucoup sur la production du germe de la maladie. Si nombreuses que soient les causes qui dé- terminent l'apparition des épidémies de fièvre jaune, on peut pourtant se convaincre que la pression atmosphérique est une des plus puis- santes, car, ainsi que nous l'avons dit, jamais la maladie ne s'étend au-delà de certaines al- titudes. Cette circonstance m'a constamment préoccupé, et j'ai toujours essayé de me placer 193 dans des conditions analogues à celles de la côte. Je vous ai déjà dit que pour certaines expérien- ces j'avais tâché de maintenir les germes à un certain degré de température ou dans une at- mosphère rendue humide par des vapeurs d'eau de mer, mais c'est avec de grandes difficultés que je suis parvenu à les soumettre à une pres- sion de soixante-seize centimètres cubes de mer- cure, Mexico étant, comme vous le savez, à une pression moyenne de cinq cent quatre-vingt- sept (587) millimètres cubes. Quelquefois, les flacons dans lesquels je condensais l'air atmos- phérique éclataient; en d'autres cas, malgré toutes mes précautions, l'air atmosphérique s'échappait à travers les bouchons ou les tubes. J'ai fait beaucoup d'expériences variées sans pouvoir maintenir au-delà d'une heure la pres- sion atmosphérique à soixante-seize centimè- tres de mercure. Dans les derniers temps, j'ai obtenu de meilleurs résultats en me servant de ces flacons dans lesquels on vend les eaux ga- zeuses. Vous savez qu'ils se composent d'une bouteille de verre aux parois très épaisses, et dont l'ouverture supérieure porte une armatu- re métallique parfaitement ajustée. Vous savez aussi qu'au moyen d'une ouverture qui peut rester fermée par une soupape à fort ressort, on met en communication l'intérieur du flacon avec l'air atmosphérique. J'ai fait ôter le tube 194 de verre qui arrive jusqu'au fond de la bouteil- le et qui sert à donner issue au liquide inté- rieur par le moyen de la tension des gaz qui y sont emprisonnés, et j'ai remplacé ce tube par une petite baguette métallique qui portait de petits récipients dans lesquels j'ai placé les li- quides chargés de zoospores. J'ai mis en com- munication le tube métallique extérieur, qui sert à l'écoulement des liquides, avec une pompe foulante, tandis qu'un petit manomètre soudé à ce tube m'indiquait le degré de pression du ré- cipient. Une fois les zoospores introduites dans les petits réservoirs ménagés dans la baguette de métal intérieure, j'ai vissé convenablement l'armature supérieure de l'appareil, et j'ai ap- puyé un doigt pour faire lever la soupape, pen- dant qu'une autre personne manœuvrait la pompe jusqu'à ce que le manomètre indiquât la pression requise. Cessant alors d'appuyer sur le levier pour refermer la soupape, j'ai emprison- né l'air comprimé qui a gardé une tension éga- le pendant un temps assez long. Toutes les vingt-quatre ou quarante-huit heures, j'ouvrais la soupape avec les précautions voulues, et le manomètre m'indiquait si la tension avait dimi- nué. Dans ce cas, j'injectais de nouvelles quan- tités d'air jusqu'à la tension de soixante-seize. En procédant de cette façon, j'ai déjà pu rem- plir certaines conditions: l9, celle de la pression; 195 29, celle de la température, et 39, celle de l'état hygrométrique; mais il me manquait toutefois les conditions encore inconnues, et qui, proba- blement, sont d'une grande importance. Mes expérimentations à ce sujet sont encore trop récentes et ont été faites à Mexico pendant l'hi- ver; c'est sans doute pour cela que les résultats n'ont pas été très satisfaisants. Cependant, j'ai remarqué une chose assez importante pour va- loir la peine d'être portée à votre connaissance. Je vous ai souvent dit que les zoospores exis- tant dans le résidu d'urine que je possède re- couvrent leurs mouvements quand on les met dans de l'eau distillée, mais qu'elles n'y subis- sent de changement que lorsque l'on ajoute à l'eau des sels de potasse. Or, si l'on introduit dans l'appareil ces mêmes zoospores délayées dans l'eau distillée, et si on les soumet à la pression cle soixante-seize, on remarque, au bout de vingt-quatre heures, que beaucoup d'en- tre elles, sinon toutes, ont grandi et se sont dé- veloppées de la même manière qu'elles le font dans le cyanure de potassium. Dans cette expérience, il n'y a eu d'autre changement que la différence de pression; ce- la a suffi pour permettre aux zoospores de se développer dans l'eau distillée, et comme ce développement n'a pas lieu à Mexico, c'est-à- dire, à cinq cent quatre-vingt-sept, on peut logi- 196 quement en conclure que la pression facilite le développement des zoospores. Il est vrai que je n'ai pas encore pu observer la germination des spores et le développement de la mucédinée; mais rappelez-vous qu'à Cu- liacan, malgré les conditions favorables, les spores n'ont pas germé pendant l'espace de temps qui s'est écoulé de Février à Juillet. Je ne dois donc ni désespérer ni cesser mes obser- vations. Plus tard, peut-être, pourrai-je vous faire part de résultats plus satisfaisants, mais il est indubitable que ce que j'ai recueilli jusqu'à pré- sent suffit à nous démontrer que la zoospore subit l'influence de la pression atmosphérique, et c'est là un nouveau point de contact qui la rapproche du germe qui détermine la fièvre jaune. J'ai voulu vous faire connaître les motifs qui m'ont poussé à soupçonner que la fièvre jaune est une maladie parasitaire, et je vous ai fait connaître l'évolution du parasite, ainsi que sa classification. Je me suis également arrêté pour vous faire voir les propriétés particulières du petit microbe qui existe chez les malades de fièvre jaune, tout en essayant d'en tirer les quel- ques conséquences pratiques qui peuvent se dé- duire des propriétés de ce parasite. Maintenant que vous le connaissez, vous pouvez juger de la 197 valeur qui doit être accordée aux principaux arguments que l'on a opposés à mes doctrines. On a dit que n'ayant pas fait des cultures comme celles de M. Pasteur, je ne puis pas être certain d'avoir isolé le microbe. On m'a égale- ment objecté que n'ayant pu reproduire la fiè- vre jaune, je ne pouvais pas affirmer que le microbe que j'ai décrit fût le germe de cette maladie. Vous connaissez assez le microbe dont je m'occupe pour comprendre que la première ob- jection n'a aucune valeur. Dans les sciences d'observation, nous devons avoir l'esprit com- plètement indépendant, et nous ne devons pas nous enfermer dans les limites étroites que d'autres observateurs ont tracées. Il est hors de doute que M. Pasteur est un grand observa- teur qui a eu la bonne fortune de fonder une nouvelle école et d'ouvrir une nouvelle voie à l'étude étiologique de beaucoup de maladies. J'éprouve pour lui une profonde admiration et je m'avoue ardent partisan de ses doctrines; mais malgré son mérite, je suis certain que l'il- lustre savant lui-même n'oserait avancer ce qu'osent prétendre quelques uns de ses aveu- gles partisans. La manière de procéder qu'il a si savamment établie doit avoir ses limites, et bien qu'elle soit d'une grande utilité pour les germes capables de se reproduire dans les li- i 198 quides, elle ne peut pas être applicable quand il s'agit d'organismes différents. La bacteridie charbonneuse, le microbe du choléra des pou- les, etc., appartiennent à des organismes infé- rieurs qui se reproduisent immédiatement dans des liquides déterminés; mais les organismes supérieurs, incapables de reproduction immé- diate, ne peuvent être soumis au système de cul- tures pratiqué par M. Pasteur. Vous savez que le microbe, ou zoospore de la fièvre jaune, ne peut se reproduire qu'après de nombreuses transformations; vous savez qu'après leur union, les zoospores se transfor- ment en spores; que celles-ci hibernent très souvent, et produisent la mucédinée; les spores de la mucédinée pénètrent dans l'organisme hu- main et y donnent lieu au développement de la peronospora lutea; dans cette cryptogame appa- raissent des dilatations oogoniques desquelles viennent les cellules zoosporangiales chargées de zoospores, et ce n'est qu'après toutes ces transformations que la zoospore apparaît de nouveau. Eh bien! si toutes ces évolutions sont nécessaires à la reproduction de la zoospore, sera-t-il possible au microbe de la fièvre jaune de se reproduire immédiatement dans l'un des liquides recommandés par M. Pasteur? Pour que ce premier argument puisse avoir toute la valeur que ses auteurs lui ont donnée, 199 il leur aurait fallu démontrer préalablement que les germes de toutes les maladies parasi- taires sont capables de se reproduire immédia- tement dans des liquides déterminés propres à leur culture; mais tant qu'ils n'auront pas dé- montré la vérité de cette proposition, ils n'au- ront pas le droit d'exiger que tout microbe soit soumis au système de cultures dans les liqui- des stérilisés. Le second argument paraît avoir beaucoup plus de force que le premier, parce qu'il semble en effet très naturel que le germe d'une mala- die inoculé dans l'économie animale doive re- produire le tableau symptomatologique de cette maladie. Cependant, pour qu'un effet se produise, et pour qu'un germe reproduise une maladie, il faut des conditions spéciales relatives soit à la manière de l'introduire, soit aux conditions spé- ciales de ce même germe. Bien avant de soupçonner l'existence de la mucédinée, organisme intermédiaire entre la zoospore et la peronospora lutea, je pensais déjà que pour reproduire la fièvre jaune, il fallait des conditions particulières inconnues jusqu'alors. Il y a quelque temps, dans une réunion de la "Sociedad Familiar de Medicina," m'occupant déjà de cette question, je me suis exprimé en ces termes: 200 "Jusqu'à ce jour, l'objection la plus forte que l'on ait opposée à mes doctrines, c'est l'impos- sibilité dans laquelle je me suis trouvé de re- produire la fièvre jaune dans tous les cas où j'en ai inoculé la zoospore. Il est vrai que je ne suis pas parvenu à reproduire le vomito noir, mais en bonne logique, on ne peut déduire de ce fait que la zoospore ne soit pas le germe de cette maladie, parce que chaque germe a besoin d'une voie spéciale pour être introduit dans l'or- ganisme, de même qu'il y a des substances qui n'agissent que lorsqu'elles sont ingérées d'une cer- taine manière: par exemple, le curare n'agit pas quand on l'introduit dans l'estomac, et il tue l'ani- mal, quand on le lui introduit sous la peau, tandis qu'il y a d'autres substances qui, introduites dans l'estomac, agissent plus énergiquement que par toute autre voie. "D'un autre côté, les parasites d'une organisa- tion un peu compliquée ont besoin d'être intro- duits dans des conditions spéciales, ou à une épo- que déterminée de leur développement. Je vous citerai pour exemple ce qui a lieu chez certains entozoaires: "Tout le monde sait que les anneaux, ou pro- glottis des ténias, produisent une immense quantité de petits œufs qui sont certainement les germes d'autres ténias nouveaux; mais si ces petits œufs sont introduits dans les voies digestives d'un ani- 201 mal, les ténias ne se reproduiront pas pour cela, et pourtant, Von ne pourra pas dire que le petit œuf cesse d'être le germe de cet entozoaire, parce qu'il ne s'est pas immédiatement reproduit. Cela vient de ce que l'œuf a besoin de se transformer en cestoïde dans un milieu autre que les voies di- gestives, et ce n'est que lorsque le cestoïde y pénè- tre, qu'il se transforme en scolex, d'où viennent les anneaux, ou proglottis, qui forment l'état adulte de l'animal." "Il peut en être de même pour le germe de la fièvre jaune, et il est possible que la zoospo- re ne soit pas la forme propre à la reproduction de la maladie, ou bien qu'une voie spéciale soit nécessaire à son introduction. Ces considéra- tions ont probablement influé sur l'esprit des observateurs, et c'est peut-être pour cela qu'ils n'ont pas exigé du Dr. Laveran la reproduction des intermittentes pour admettre comme le ger- me de ces fièvres le microbe qu'il a décrit. C'est sans doute pour les mêmes raisons que tout le monde a admis que le bacille-virgule du Dr. Koch est le germe du choléra asiatique, bien que le docteur allemand n'ait pu reproduire le choléra en inoculant son microbe." Voilà ce que je disais à la Sociedad Familiar de Medicina, et peu de temps après, la décou- verte de la mucédinée est venue me donner rai- son dans l'analogie que j'avais supposé exister 202 entre le microbe de la fièvre jaune et certains entozoaires de génération alternante. Je vous ai déjà dit que les épidémies de fièvre jaune coïncident avec le développement de la mucédi- née, circonstance qui nous permet d'admettre que les spores de cette cryptogame, et non les zoospores, sont la cause immédiate de la mala- die, sans que pour cela l'on puisse dire que la zoospore n'en soit pas le germe éloigné. Les zoospores sont les petits œufs du progïottis, et comme ceux-ci ont besoin de subir certaines transformations en-dehors de l'organisme avant de reproduire le ténia, de même, les zoospores ont besoin de subir la transformation mucédi- née en-dehors de l'organisme avant de repro- duire la fièvre jaune. Dans la prochaine leçon, je vous résumerai les raisons qui militent en faveur de l'hypothè- se qui me fait penser que la peronospora lutea est le germe de la fièvre jaune, et si nous en avons le temps, je vous parlerai des inocula- tions préventives. ONZIÈME LEÇON. Messieurs: Pour démontrer qu'une maladie est parasi- taire, on peut suivre deux chemins différents: l9, séparer le microbe et l'inoculer ensuite dans l'économie animale pour faire voir que cette inoculation suffit à reproduire la maladie; 29, démontrer que le microbe supposé existe cons- tamment dans cette maladie, et non dans d'au- tres, et faire voir en outre que ce microbe expli- que par lui seul tous les symptômes et toutes les modalités de la marche de la maladie. La première méthode est connue sous le nom d'ex- périmentale, et la seconde sous celui de métho- de d'observation. La première est plus rapide et ses résultats sont incontestables; la seconde est un peu plus compliquée, mais ses résultats peuvent être 204 aussi exacts que ceux de la première, et elle per- met d'envisager les faits sous leur véritable point de vue. Cependant, les docteurs Cazal et Zuber (Revue des Sciences Médicales, t. XVIII, page 722.), séduits sans doute par les résultats obtenus par M. Pasteur, dans ses recherches sur les maladies charbonneuses et sur le "choléra des poules," se sont enhardis jusqu'à soutenir que la méthode expérimentale est la seule ca- pable de nous donner des résultats positifs. Suivant l'exemple des docteurs Cazal et Zuber, quelques uns de nos compatriotes partagent les mêmes idées et oublient tout ce que nous de- vons à la méthode d'observation. En effet, Mes- sieurs, les progrès de la science relativement aux entozoaires intestinaux, l'étude de la tri- chinose et de beaucoup de maladies parasitaires de la peau sont dûs à la méthode d'observation, et non pas à la méthode dite expérimentale. Il est vrai que dans ces derniers temps, les inté- ressants travaux de M. Pasteur ont vivement appelé l'attention, et tout le monde médical a pu admirer les ingénieuses expériences du sa- vant naturaliste, mais, je vous répéterai ce que je vous ai dit dans notre dernière leçon: La méthode des cultures de M. Pasteur, ap- plicable à beaucoup de cas, ne peut s'étendre à tous ceux que la science peut embrasser. Si nous essayons de nous rendre compte de la raison d'ê- 205 tre de la méthode des cultures, nous convien- drons que celles-ci sont nécessaires dans les cas où le microbe n'a pas de caractères spéciaux, et où il est impossible de le distinguer par ses seuls caractères physiques d'autres microbes sembla- bles. La méthode expérimentale veut que nous isolions le microbe afin d'être certains de ne pas introduire en l'inoculant une autre subs- tance étrangère et de pouvoir ainsi n'attribuer qu'à lui seul les symptômes qui résultent de l'inoculation. Pour plus de clarté, adressons- nous aux maladies charbonneuses, et je vous demanderai: La bacteridie charbonneuse pos- sède-t-elle des caractères physiques suffisants pour ne pas être confondue avec d'autres espè- ces de bactéridies? Evidemment non. Or, si pour reproduire le charbon, on inocu- lait du sang chargé de ce même microbe, on res- terait à se demander si la maladie est due à la pénétration de la bacteridie, ou bien à l'intro- duction dans l'organisme d'autres substances renfermées dans le sang et qui ne seraient pas le microbe? M. Pasteur, qui a compris toute l'importance de cette question, a essayé de sé- parer le microbe de tous les autres principes que le sang pourrait contenir, et qui, n'étant pas des êtres organisés, seraient incapables de se reproduire. Le moyen ingénieux qu'il a in- venté pour arriver à ce but a été celui des cul- 206 tures. Il est certain qu'en semant une très pe- tite quantité des microbes contenus dans le sang, ces derniers ne pouvaient apporter avec eux qu'une très petite quantité d'autres substances étrangères; en conséquence, la première culture après la reproduction du microbe devait con- tenir des quantités relativement abondantes de cet organisme et des proportions relativement minimes d'autres principes incapables de re- production. Dans la seconde culture, ces petits vestiges pouvaient être regardés comme insi- gnifiants, et en multipliant ainsi le nombre des cultures, on arriverait à un moment où il ne se- rait plus possible de rencontrer autre chose que le microbe isolé. Si à ce moment, l'inoculation reproduisait la maladie, il était certain que le microbe seul en était la cause génératrice. Mais pour que ces cultures ne représentas- sent seulement que le microbe que l'on y avait semé, il fallait s'assurer que dans les liquides et dans les récipients il n'existait pas d'autre germe que le microbe en question; de là, la né- cessité de stériliser les uns et les autres. Sup- posons un instant que les liquides ou les flacons n'aient pas été stérilisés et que des bactéridies se soient montrées dans l'épaisseur du liquide, pourrait-on avoir la certitude que ces bactéri- dies appartinssent à la descendance du microbe semé, ou fussent les filles de germes différents 207 déposés dans les liquides. Certainement non, car les unes n'ont pas des caractères physiques assez tranchés pour les faire distinguer d'autres bactéridies différentes. Le système des cultures de M. Pasteur est donc nécessaire pour isoler le microbe et pour se convaincre qu'il descend en ligne directe des germes provenant de l'organisme malade. Par conséquent, lorsque l'on peut isoler le microbe sans qu'il soit besoin de recourir aux cultures, et quand il a en lui-même des carac- tères spéciaux qui empêchent de le confondre avec d'autres organismes différents, le système des cultures de M. Pasteur n'est pas nécessaire. Ce serait une tyrannie de la science que d'e- xiger capricieusement que l'on suivît cette mé- thode, et cette tyrannie tournerait à l'absurde, surtout lorsqu'il s'agirait d'un microbe qui ne pourrait pas se reproduire dans les liquides. La méthode expérimentale veut que nous iso- lions le microbe, mais en bonne logique, elle ne peut nous obliger à l'isoler de telle ou telle ma- nière, pas plus qu'elle ne peut nous contraindre à le cultiver absolument dans les liquides. Pour ce qui est de la fièvre jaune, vous con- naissez assez les propriétés de son microbe pour comprendre que le système des cultures dans les liquides stérilisés ne peut lui être appliqué, puisqu'il ne se reproduit pas directement clans 208 ces conditions, et que de plus, nous pouvons l'isoler d'une autre manière. Je suppose que vous n'avez pas oublié que la zoospore étant aérobie, on peut la séparer de tous les organis- mes de la putréfaction par la simple évapora- tion spontanée des liquides qui la renferment. En outre, la formation des spores et la trans- formation en mucédinée séparent déjà le micro- be d'une manière parfaite et l'isolent aussi exac- tement qu'aurait pu le faire le système des cul- tures. En effet, en s'assurant bien que deux petits microbes, ou zoospores, se fondent en un seul pour se transformer en une sphère volumi- neuse ayant des caractères physiques spéciaux; en s'assurant déplus que cette sphère ne germe que dans des circonstances spéciales, et que cette germination donne une mucédinée avec des ca- ractères bien déterminés, on sera certain qu'il n'y aura pas d'autre organisme doué des mêmes propriétés, et la confusion sera tout à fait im- possible, si l'on s'assure que dans des conditions spéciales, la spore de la mucédinée développe la peronospora lutea. Vous voyez donc bien, Messieurs, combien il est facile d'isoler, de reconnaître et de distin- guer parmi tous les autres, le microbe de la fièvre jaune sans avoir besoin de recourir à la méthode des cultures. Maintenant que nous avons satisfait à la première exigence de la mé- 209 thode expérimentale, Aboyons si l'introduction de cet organisme dans l'économie animale dé- veloppe la maladie. A dire vrai, nous ne sommes pas encore arri- vés à voir matériellement que l'introduction de la spore àelamucédinêe déterminât ou dévelop- pât le vomito noir, mais il est démontré: l9, que la mucédinée vient médiatement de la zoospore et immédiatement de la spore; 29, que tant que la mucédinée ne se développe pas dans une lo- calité, il n'y a pas de fièvre jaune, et que lors- que celle-ci existe, c'est que la mucédinée s'est développée. Ces faits équivalent à l'inoculation de la spore de la mucédinée, et d'après cela, je me crois autorisé à dire que j'ai rempli, en gran- de partie, toutes les exigences de la méthode expérimentale, puisque j'ai isolé le microbe et que j'ai presque la preuve que le développe- ment de la fièvre jaune coïncide avec celui de la mucédinée. Mais, comme l'on pourrait m'objecter que les raisons exposées ne suffisent pas pour admettre que l'inoculation directe de la spore de la mu- cédinée soit la cause déterminante de la fièvre jaune et que, par conséquent, je n'ai pas rem- pli, au pied de la lettre, les exigences de la mé- thode expérimentale, examinons si ce qui a été observé jusqu'ici sera suffisant pour satisfaire à ce que demande la méthode d'observation. 210 Je vous ai dit que dans cette méthode, on dé- montre la relation de la cause, parce qu'elle seule suffit à expliquer toutes les modalités de l'effet. Il faut donc démontrer: l9, que la cause, c'est- à-dire, le microbe supposé, existe constamment dans un état morbeux déterminé; 29, qu'il n'e- xiste pas dans les autres maladies, et 39, que ce microbe peut expliquer tous les symptômes et toutes les modalités de la maladie. Voyons donc si la peronospora lutea remplit toutes ces conditions que nous allons examiner point par point: " La peronospora lutea" se re?icontre-t-elle dans tous les cas de fièvre jaune? Je répondrai d'une façon affirmative, et pour cela, je m'appuie sur le fait que je l'ai toujours rencontrée chez tous les malades que j'ai pu observer, et si limité qu'en soit le nombre, j'ai pu en outre étudier un grand nombre d'urines envoyées de Veracruz, et clans aucune d'elles, je n'ai constaté l'absence des spores et des zoospo- res. D'autre part, MM. Ponce de Léon, Paliza et Valadez qui, à Culiacan et à Mazatlan, ont observé le vomito noir sur une grande échelle, l'ont rencontrée d'une manière si constante que, suivant mon conseil, ils sont allés la chercher dans les cas douteux, comme moyen d'établir le diagnostic différentiel entre les autres mala- 211 dies. Ces messieurs m'ont envoyé des spécimens d'urine, et j'ai pu moi-même contrôler l'identité de la zoospore et de la spore. En conséquence, je puis assurer que dans tous les cas de fièvre jaune portés à ma connaissance, le même mi- crobe a constamment existé et que l'organisme rencontré dans la fièvre jaune, à Mexico, est entièrement identique à celui des côtes du Pa- cifique. Il a donc été toujours et constamment le même, quelle qu'ait été la localité où s'est dé- veloppé le vomito noir. De plus, il existe, non seulement dans les urines, mais on le rencontre aussi dans le sang des malades, ainsi que je vous l'ai déjà démontré, et comme plusieurs personnes l'ont constaté avec moi. On le trouve encore chez les convalescents et chez les person- nes qui ont passé la maladie, même au bout de plusieurs années. Enfin, on le rencontre clans les pièces pathologiques conservées depuis long- temps, ainsi que je vous l'ai fait voir dans une de nos dernières séances. En somme, ce microbe a été vu dans toutes les urines des malades; on l'a rencontré dans le sang et dans les urines des convalescents et dans les préparations anatomiques conservées depuis longtemps: il est donc constant dans tous les cas de vomito noir. Passons au second point: Ce microbe n'existe pas dans toutes les autres maladies. 212 Pour démontrer la vérité de cette proposi- tion, il suffira de rappeler qu'aucun auteur n'a décrit un semblable microbe en étudiant les différentes maladies qui forment le tableau no- sologique. Quant à moi, en ma qualité de pro- fesseur de clinique interne de cette Faculté, je puis assurer que tous les jours, je suis obligé d'examiner au microscope les urines et les diffé- rentes déjections de tous les genres de maladies et que je n'ai jamais rencontré ce microbe, si ce n'est chez les malades de fièvre jaune. Je puis donc vous affirmer que cet organisme n'existe pas dans toutes les autres maladies. Voyons enfin, si le microbe en question peut nous expliquer les différents symptômes et les mo- dalités de la fièvre jaune! Vous n'avez pas oublié que notre microbe produit l'obstruction des petits canaux rénaux, et que cette obstruction, en même temps qu'elle nous explique la diminution ou l'absence totale de l'excrétion urinaire, nous donne aussi le mo- tif de l'état urémique du sang. L'urémie aiguë et l'altération des reins nous expliquent facile- ment la raison de l'acuité de la douleur lom- baire, de l'intensité du mouvement fébrile, des nausées, des vomissements et des symptômes cérébraux qui terminent ordinairement la vie de nos malades. Quant à la teinte jaunâtre propre à la mala- 213 die, je n'ai rien à ajouter à ce que je vous ai dit dans mes dernières leçons, et si vous ne l'avez pas oublié, vous serez convaincus que la pré- sence du microbe explique ce symptôme beau- coup mieux, et plus facilement, que toute autre théorie. Elle vous donne la raison pour laquelle la coloration augmente après la mort, phéno- mène que jusqu'ici personne n'avait pu expli- quer d'une manière satisfaisante. La coloration noire des vomissements s'explique facilement par la teinte foncée que prennent en vieillissant les éléments du champignon et par la tendance aux hémorragies. Enfin, ce dernier symptôme, tendance aux hémorragies, vous le comprendrez aisément par la diminution des sels de potasse dans l'économie animale, puisque, ainsi que nous l'avons démontré, les zoospores se nour- rissent aux dépens de ces sels. Parmi les lésions anatomico-pathologiques, je vous ai déjà parlé des obstructions rénales, qui sont le point de départ de beaucoup de symptômes observés pendant la vie et qui s'ex- pliquent très naturellement par la présence du microbe. Il me reste à vous parler de la soi- disant dégénération graisseuse que tous les auteurs avaient observée et qui, si vous vous rappelez ce que je vous ai dit, n'était pas com- patible avec l'action de certains réactifs, non plus qu'avec le retour rapide à la santé. Toute 214 difficulté disparaît si l'on admei que la dite dégénération graisseuse n'est qu'apparente, et qu'elle est due en réalité à la présence des zoospores plus ou moins développées, qui ont une grande ressemblance avec une goutte de graisse. Vous voyez donc bien que la présence du mi- crobe peut nous expliquer tous les symptômes de la maladie et nous donner aussi la raison des lésions anatomico-pathologiques. Je vais maintenant vous démontrer que les propriétés du microbe nous expliquent les mo- dalités du vomito noir. Tout le monde sait que la fièvre jaune n'existe que dans les lieux bas, et qu'elle disparaît quand elle arrive à des hau- teurs déterminées; or, ce qui nous donne le mo- tif de cette préférence pour les lieux bas, c'est l'impossibilité de germer dans laquelle se trou- vent les spores, comme on l'a observé à Mexico, et la facilité avec laquelle se développe la mu- cédinée sur la côte, comme l'ont constaté MM. Ponce de Léon et Paliza. Le fait que la fièvre jaune n'est pas directe- ment contagieuse et qu'elle se transmet facile- ment par les navires et par les objets s'explique naturellement si l'on admet que le malade ne rejette pas le germe entièrement prêt pour la reproduction immédiate, mais seulement la se- mence qui engendre la mucédinée, cause immé- 215 diate de la maladie, et comme cette mucédinée peut se développer dans les sentines des navi- res ou dans les objets ayant appartenus aux malades, c'est pour cela que les navires et les objets transmettent plus facilement le mal. La génération alternante .nous donne elle- même le motif peur lequel les malades de fiè- vre jaune qui sont transportés dans les pays hauts n'ont jamais formé de foyer d'infection, puisque les localités n'ont pas permis à la spo- re de la peronospora de développer la mucédi- née, agent immédiat de la maladie. Enfin, la grande résistance que les zoospores offrent aux basses températures et aux moyens hygiéniques actuels nous explique facilement les exemples curieux de navires qui, ayant ces- sé d'être des foyers d'infection, le redevenaient quand ils se retrouvaient dans des conditions propices. Je crois, Messieurs, que tout en satisfaisant aux exigences de la méthode d'observation, il n'en faut pas demander plus à notre microbe, pour le considérer comme la cause de la fièvre jaune. Après avoir étudié les propriétés du microbe et démontré qu'il est bien le générateur de la fièvre jaune, passons à des questions plus pra- tiques, et voyons s'il est possible de faire quel- ques applications qui tourneront au profit de l'humanité. 216 Une fois l'origine de la fièvre jaune connue, sera-t-il possible de la guérir plus facilement? Messieurs, je regrette de vous dire que mainte- nant plus que jamais je comprends la difficulté d'établir une méthode curative rationnelle. Il est toujours bon de connaître l'ennemi que l'on doit combattre; il est toujours avantageux de pouvoir opposer des forces égales aux siennes et de connaître sa tactique; mais dans le cas pré- sent, et sachant l'énorme résistance que le mi- crobe en question oppose aux moyens thérapeu- tiques, il faut avouer que nous nous trouvons complètement désarmés pour la lutte. Il est évident que la gravité de la maladie doit être proportionnelle à la quantité de micro-organis- mes qui existent dans l'économie animale; plus les zoospores sont nombreuses, plus elles obs- truent facilement les conduits urinaires, et plus elles désorganisent aisément les épithéliums ré- naux; plus grande sera la quantité de zoospores, et plus grand en sera le nombre qui ira se nour- rir aux dépens de l'axe cérébro-spinal, des fibres musculaires du cœur et de tout ce qui compose les divers appareils de l'organisme humain; en- fin, la quantité de zoospores étant plus nom- breuse, elles emploieront pour leur nutrition une plus grande quantité de sels de potasse, ce qui augmentera d'autant plus la tendance aux hémorragies. 217 Par conséquent, le but à atteindre dans les cas graves de fièvre jaune, c'est de diminuer autant que possible le nombre des parasites qui vivent aux dépens des malades, et pour y par- venir, il faut de deux choses l'une: ou les chas- ser de l'économie, ou bien tâcher de les détrui- re à l'intérieur. Les moyens que l'on peut em- ployer pour éliminer ces terribles hôtes seront: les purgatifs, les diurétiques et les sudorifiques, médicaments dont on a beaucoup usé et que la pratique nous a révélés comme peu efficaces.1 1. Le Dr. Enrique Palazuelos, de Veracruz, a fait une très curieuse observation sur une personne attaquée de fièvre jaune. Le malade était en proie à une soif intense, et pour calmer la sécheresse de la bouche et les nausées fréquentes, on lui avait prescrit l'usage de la glace. Elle se fondit en grande partie, et le patient, qui éprouvait un grand soulagement à mouiller ses mains dans cette eau froide, les y trempa à plusieurs reprises. Le Dr. Pala- zuelos observa que cette eau avait pris une couleur jau- nâtre bien marquée, et comme il connaissait déjà mes travaux, il recueillit le liquide et me l'envoya à Mexico en m'en expliquant la provenance. A l'examen, j'ai trouvé: 1.°, que l'eau était teinte par Yictéro'idine, et 2.°, qu'elle contenait une immense quantité de zoospores entière- ment semblables à celles que nous rencontrons dans l'u- rine et dans toute l'économie des malades de vomito. Cette observation est très importante à de nombreux points de vue, car elle démontre: 1.°, que Yictéro'idine est réellement une matière colorante spéciale qui donne cet- te teinte particulière aux malades de fièvre jaune; 2°, F. J.-lâ 218 L'usage des microbicides serait le moyen le plus rationnel, mais vous connaissez la résis- tance des microbes, et vous comprenez les ini- que les zoospores sont facilement éliminées de l'économie par la sécrétion de la sueur; 3.°, que l'on peut tirer un grand avantage de la connaissance de ces faits pour le traitement de la maladie. En effet, à la médicamentation symptomatique destinée à combattre les symptômes do- minants, on devra ajouter l'usage des sels de potasse pour réparer les pertes considérables subies par l'éco- nomie. De plus, on doit chercher à diminuer par tous les mo- yens possibles le plus grand nombre de zoospores, Pour atteindre ce but, on peut employer les purgatifs, mais on doit surtout provoquer la diurèse, afin d'éviter les engor- gements rénaux et de rejeter un grand nombre de zoos- pores par cet émonctoire; les sels de potasse auraient le double avantage de produire la diurèse et de réparer en partie les pertes de ces sels dans l'économie. Les sudorifiques, et surtout, le jaborandi, élimine- raient par toute la superficie cutanée une grande quan- tité des organismes morbeux, et si à ces mo}Tens, on ajoutait l'usage répété des bains froids, on obtiendrait deux résultats: 1.°, l'abaissement de la température fé- brile; 2.°, l'expulsion des zoospores par milliers, ce qui favoriserait une nouvelle élimination. Il est possible qu'en dépit de ces moyens, la mortalité ne diminue pas chez les personnes attaquées de fièvre jaune, mais nous aurons au moins l'avantage de mettre en pratique une médicamentation rationnelle et de nous séparer de cet empirisme qui, jusqu'à ce jour, a été notre seul guide. 219 menses difficultés que l'on rencontrera dans l'application de ces remèdes. Vous avez vu que les zoospores ne sont attaquées ni par les aci- des végétaux, ni par les minéraux; que les antiseptiques sur lesquels on avait fondé de si grandes espérances, tels que l'acide phénique, l'acide salicylique, le salicylate de soude, le bi- chlorure de mercure, etc., n'exercent aucune influence sur ces parasites; que le nombre des agents qui pourraient les détruire est très limi- té jusqu'à ce jour, et que leur usage serait im- possible sur un homme vivant. Je ne vous par- lerai pas des hautes températures incompati- bles avec la vie de la zoospore, parce que de toutes manières, il est évident que l'on ne peut pas les appliquer en thérapeutique. Quant à l'emploi du nitrate d'argent ou des hypochlorites, nous y trouvons aussi des incon- vénients insurmontables. Rappelez-vous que pour que le nitrate d'ar- gent agisse comme microbicide, il faut qu'il soit dans la proportion d'au moins 1 pour 100, ce qui serait incompatible avec la vie du malade, vu la quantité de nitrate d'argent qu'il faudrait ingérer pour le faire pénétrer en proportion suffisante dans la masse du sang. On peut appli- quer les mêmes réflexions à l'emploi des hypo- chlorites, puisque pour tuer les parasites, il faudrait un degré de concentration incompati- 220 ble avec la vie de l'individu. Peut-être, plus tard, trouvera-t-on une substance qui, inoffen- sive pour la vie humaine, sera toxique pour les zoospores; mais en attendant, nous devons con- sidérer la fièvre jaune grave comme une mala- die très difficile à guérir. Cependant, la prophylaxie peut gagner beau- coup par la connaissance de la nature et des propriétés de l'organisme générateur de cette maladie, et nous pouvons déjà annoncer que les moyens préconisés jusqu'à ce jour sont entière- ment inutiles: ni les températures de 110° à 120°, ni l'usage du chlorure de zinc, ni l'acide phénique, ni le sulfate de cuivre, ni les fumi- gations d'acide sulfureux ne peuvent s'opposer à la marche envahissante du vomito noir, parce qu'il est prouvé que les zoospores peuvent vi- vre en dépit de tous ces moyens. Mais, si on élève les températures en les soutenant à 160° pendant quelques heures; si l'on a recours aux ' fumigations de chlore; si l'on emploie le nitrate d'argent dans la proportion de 1 pour 100, ou si enfin, l'on se sert des hypochlorites dans des proportions convenables, on aura des mo- yens efficaces pour arrêter le développement d'une maladie qui, une fois déclarée, nous ré- duirait à la triste nécessité de nous croiser les bras devant elle et de confesser notre impuis- sance. 221 Messieurs, quiconque s'occupe de la fièvre jaune ne peut oublier qu'elle appartient à un groupe de maladies qui, si elles ont causé de grandes pertes au genre humain, ont du moins l'heureuse qualité de ne pas récidiver. Cette propriété fait concevoir l'espérance que l'on pourra trouver quelque moyen d'impressionner l'individu en le laissant insensible aux nouvelles attaques du vomito noir. Ce n'est pas pour un au- tre motif que l'on est arrivé à remporter de gran- des victoires sur la variole, sur les maladies charbonneuses, etc. Sera-t-il possible d'arriver à des résultats analogues pour la fièvre jaune? Je le crois, et jusqu'à ce jour, l'expérience est venue confirmer ma manière de voir; mais, avant d'entrer en matière, je voudrais m'arrê- ter un instant pour examiner la cause pour la- quelle certaines maladies laissent ceux qui en ont été atteints dans l'impossibilité d'avoir une autre attaque. Par malheur, l'état actuel de nos connaissan- ces ne nous permet pas de résoudre cette ques- tion d'une manière certaine. On pourrait cepen- dant l'expliquer de deux façons: l9, le germe de ces maladies pourrait se développer aux dépens d'éléments déterminés de l'organisme animal, et ces éléments une fois épuisés, le développe- ment d'un autre germe ne serait plus possible; 29, le germe générateur des maladies laisserait 222 en se développant dans l'organisme des élé- ments déterminés qui s'opposeraient à une nou- velle attaque. Dans la première hypothèse, il se passerait quelque chose d'analogue à ce que nous avons coutume de voir dans certains terrains où l'on a semé plusieurs fois la même graine; il arrive un moment où la terre, manquant de substan- ces déterminées, se trouve alors dans l'impos- sibilité de reproduire la même semence. Il pour- rait en être de même avec la variole, la rougeole, la scarlatine, la fièvre jaune, etc.; les germes producteurs de ces maladies épuiseraient dans le sang les éléments nécessaires à leur repro- duction, et par cela même, l'individu serait à l'abri de nouvelles attaques. Mais quand on considère le renouvellement constant, non-seu- lement de nos parties liquides, mais encore des parties solides, il n'est pas facile de compren- dre comment un germe déterminé pourrait détruire non seulement les éléments qui exis- teraient actuellement, mais encore ceux qui de- vraient se former plus tard pour le renouvelle- ment continuel de nos humeurs. D'autre part, si les choses se passent selon cette hypothèse, il est évident que l'immunité dépendrait de la quantité de germes développés dans notre éco- nomie, puisqu'un petit nombre de germes n'é- puiserait pas autant d'éléments que le ferait un 223 grand, et en ce cas, l'on verrait que les attaques légères ne produiraient pas une immunité aussi complète que les attaques graves. Or, l'expérien- ce quotidienne nous apprend le contraire; celui qui a eu une attaque grave de fièvre jaune, qui l'a mis à deux doigts de la mort, est aussi bien à l'abri d'une nouvelle attaque que celui qui n'a eu qu'une simple fièvre d'acclimatation; celui qui a été couvert de nombreuses pustules vario- liques est aussi exempt d'une nouvelle attaque de variole que celui qui n'en a eu que trois ou quatre réparties à la surface de la peau; la vacci- ne est aussi efficace, lorsque dix à douze grains se développent que lorsqu'il n'en prend qu'un seul. Il est incontestable que si l'organisme ani- mal renferme une quantité suffisante d'éléments pour nourrir un nombre immense d'organis- mes, ces éléments ne peuvent être détruits si un petit nombre de parasites se nourrit à leurs dépens, et par conséquent, on ne peut admettre que l'immunité soit produite par le manque d'éléments propres à nourrir les organismes générateurs. Si la première hypothèse est inacceptable, il reste la deuxième que nous devons admettre, si mystérieuse et si inexplicable qu'elle paraisse, puisqu'elle est la seule qui puisse nous expli- quer les faits observés dans la pratique. 224 Dans notre prochaine leçon, nous ferons quel- ques applications de ces doctrines, et je vous enseignerai la manière de pratiquer les inocu- lations préventives de la fièvre jaune, en même temps que je vous ferai part des résultats obte- nus jusqu'à ce jour. DOUZIEME LEÇON. Messieurs: Personne n'ignore qu'une attaque de fièvre jaune met l'individu dans l'impossibilité d'en avoir une autre. Tous ceux qui ont vécu sur la côte s'accordent pour admettre, qu'en outre des personnes qui ont été malades du. vomito noir, il y en a d'autres qui, ayant simplement ressenti un léger mouvement fébrile, (la fièvre d'accli- matation), sont aussi bien à l'abri d'une attaque de fièvre jaune que celles qui ont déjà eu cette maladie. Il est encore un autre fait qui doit appeler encore plus notre attention et qui con- siste à acquérir l'immunité par la seule accli- matation sans avoir éprouvé auparavant le plus léger malaise. Ces faits nous disent que l'intro- duction du principe, ou de l'élément qui produit l'immunité, peut avoir lieu de trois manières: 226 l9, en déterminant les symptômes graves de la fièvre jaune; 29, en donnant tout simplement lieu à un léger mouvement fébrile; 39, en péné- trant clans l'organisme d'une manière latente, et sans jamais produire la maladie. L'immu- nité dont jouissent les enfants nés à Veracruz, à la Havane, ou dans tout autre pays où la fiè- vre jaune est endémique, est un autre fait qui doit fixer notre attention. Vous savez tous qu'il y a eu autrefois à Cadix des épidémies de vomito noir, et l'observation nous a appris que toutes les personnes, nées clans cette localité pendant ces épidémies, ont pu vivre à Veracruz durant de longues années sans avoir jamais ressenti le moindre symptôme de cette maladie, tandis que d'autres, nées à des époques où il n'y avait pas d'épidémie, ont, à leur arrivée à Veracruz, payé leur tribut comme tous les autres étrangers. Je pourrais à l'appui de mes assertions vous citer l'histoire de plusieurs personnes qui se sont trouvées dans ce cas. Le fait que l'immunité ne vient pas de la seule circonstance d'être né et d'avoir vécu sous les climats propres au développement de la fiè- vre jaune peut être déduit de ce que nous ob- servons à présent sur les côtes du Pacifique. La fièvre jaune n'avait jamais existé dans ces parages, et bien que les conditions tellurico- atmosphériques soient toutes pareilles à celles 227 de Veracruz, puisque le vomito noir a pu s'y acclimater, nous voyons que non seulement les étrangers, mais les fils du pays eux-mêmes sont attaqués indistinctement. Ce même fait se répète à Campêche, au Yucatan, à Tabasco, à Cordoba et dans les autres localités où le vomito ne règne pas d'une façon endémique mais y est importé de temps en temps. Dans toutes ces localités, on n'observe pas que les fils du pays jouissent d'une immunité aussi parfaite que les naturels de Veracruz et de la Havane. Ces ob- servations nous démontrent que l'immunité ne vient pas des conditions climatériques, mais de ce que, chez les enfants, la pénétration de l'élé- ment préservateur se fait probablement sans bruit et sans déterminer des symptômes per- ceptibles de la maladie. Je me suis arrêté un instant pour vous re- mémorer ces détails, parce qu'ils viennent tous à l'appui de l'hypothèse dans laquelle on sup- pose que l'immunité est produite par la péné- tration, dans l'économie animale, d'un élément qui, jusqu'à présent, n'avait pas été connu. Quel est l'élément qui peut avoir la propriété de préserver des attaques de fièvre jaune? Cet élément, à mon avis, n'est autre que la zoospore de la peronospora lutea, et pour l'affir- mer, voici sur quoi je me base: l9, c'est l'élé- ment qui se généralise chez tous les malades de 228 fièvre jaune; 29, je l'ai rencontré dans le sang et dans les urines des personnes qui avaient eu la fièvre jaune plusieurs années auparavant. La conservation de ces microbes n'a rien d'ex- traordinaire si l'on considère qu' en dehors de l'organisme, et réduits à un résidu sec, je les ai vus se conserver après plus de trois années. Vous voyez donc, Messieurs, qu'il n'y a rien d'étrange à ce que les zoospores restent d'une façon permanente dans l'organisme humain pendant un temps assez long. Soupçonnant ainsi l'élément préservateur de la fièvre jaune, et vu la facilité d'obtenir les zoospores isolées des autres germes, d'après la méthode dont je vous ai parlé, il restait à ré- soudre cette question: Peut-on inoculer la zoospore sans déterminer la fièvre jaune? Je confesse, Messieurs, qu'au début de mes études, je n'avais pas les données suffisantes pour répondre à cette question; aussi, ai-je dû procéder de la manière dont je vous parlerai tout à l'heure. Mais aujourd'hui que nous connaissons l'évolution complète de la pe- ronospora lutea, nous sommes à même d'y ré- pondre d'une façon péremptoire. Nous savons déjà que le tableau symptomatologique, connu sous le nom de fièvre jaune, est déterminé par la pénétration dans l'économie des spores de la mucédinée qui développeront dans nos organes 229 la peronospora lutea, et avec elle tous les symp- tômes du vomito noir; mais, nous savons aussi que la pénétration de la zoospore doit être inof- fensive, puisque, entre elle et la spore de la mucédinée, il existe une partie d'évolution de la cryptogame, et que les zoospores ne dévelop- pent jamais immédiatement la terrible peronos- poree. En introduisant donc les zoospores à l'aide de notre seringue à injection, nous fai- sons justement ce que fait la peronosporee, mais sans produire le tableau des symptômes qui correspondent au développement de cette cryp- togame dans nos organes, et sans donner lieu à l'innombrable quantité de micro-organismes qui se forment dans chaque dilatation oogoni- que pour aller se nourrir aux dépens de tous nos tissus. Le moyen de pratiquer l'inoculation est bien simple. En premier lieu, on recueille les uri- nes des malades, en a}rant bien soin de ne pas prendre celles qui peuvent provenir de person- nes souffrant de quelque affection vésicale et encore moins de blennoragïe ou de syphilis. Il est bon d'employer les urines éliminées quand la maladie est bien confirmée, parce qu'elles con- tiennent une plus grande quantité de zoosjDores. On met cette urine dans des plats larges et de peu de profondeur, pour les abandonner à l'é- vaporation spontanée, en ayant soin qu'elle 230 soit complète et qu'il ne reste pas trace d'hu- midité. Si la couche du résidu est très épaisse, il est bon de l'étendre en superficie, afin que l'oxygène de l'air pénètre dans toute son épais- seur. En suivant ce conseil, on évitera sûre- ment d'inoculer les microbes de la putréfaction. Lorsque le résidu est bien sec, on peut déjà le faire servir pour l'inoculation. Je mets ordi- nairement pour un gramme d'eau distillée en- viron un ou deux centigrammes de résidu sec. Je le triture de façon à ce que le mélange soit le plus parfait possible, et chargeant une serin- gne de Pravaz, je fais une injection sous-cuta- née au bras gauche. Les résultats sont variés, mais jamais il n'est survenu aucun accident sérieux. Moi, j'ai été le premier inoculé, le 29 Septembre 1881. J'ai ressenti une vive ardeur au moment de l'injec- tion et quelques instans après; mais elle a dis- paru promptement pour faire place à une légère tuméfaction, sans rougeur de la peau, quoique gênant un peu les mouvements. Le quatrième jour, tout avait disparu, et je n'ai eu réellement aucun mouvement fébrile, puisque le thermo- mètre ne s'est élevé que de quelques dixièmes au-dessus de 37°; l'urine est devenue peu abon- dante et a pris une couleur légèrement rougeâ- tre. Le malaise a été si insignifiant que j'ai pu continuer mes travaux ordinaires. Je compte 231 aujourd' hui près de deux cent cinquante per- sonnes inoculées, et parmi elles, plusieurs ont éprouvé, quelques heures après l'inoculation, un mouvement fébrile qui a parfois fait monter le thermomètre à 38° 5; la durée de ce mouvement fébrile n'a pas dépassé 24 à 30 heures. Les ac- cidents locaux ont été plus variés; la tuméfac- tion s'est presque toujours produite à l'endroit où j'avais pratiqué l'inoculation, mais l'exten- sion et la grandeur de cette tuméfaction a beau- coup varié. Dans beaucoup de cas, il y a eu rubéfaction de la peau. Ces phénomènes locaux ont duré quatre ou cinq jours, mais en général, les inoculés ont continué à s'occuper de leurs affaires habituelles. Une seule fois, j'ai vu se développer un phlegmon qui s'est terminé par la suppuration, et ce cas s'est présenté dans les conditions suivantes: Je venais de finir une quantité des résidus secs d'une urine qui ser- vait pour les inoculations: la sécheresse était si grande que j'avais beaucoup de peine à dé- tacher le restant du fond du vase. Sachant déjà combien les zoospores sont avides d'humidité, je plaçai le vase sous une cloche de verre et je mis à côté un autre petit vase contenant de l'eau. Bientôt l'atmosphère confinée s'est saturée d'humidité; les microbes qui formaient le rési- du ont absorbé la vapeur d'eau et la masse s'est 232 ramollie d'une manière très perceptible. J'ai pris les zoospores dans cet état pour les inocu- ler à trois ou quatre personnes qui toutes ont eu des accidents locaux parfaitement visibles, et c'est chez l'une d'elles que s'est manifesté le phlegmon suppurant. Devant ces résultats, j'ai répété l'expérience qui consiste à placer les zoospores dans une atmosphère saturée d'hu- midité, et j'ai ensuite procédé à l'examen mi- croscopique qui m'a mis en présence, non seu- lement des zoospores, mais aussi d'une grande quantité de microbes de la putréfaction. Dès lors, j'ai pris la résolution de ne plus employer que des résidus parfaitement desséchés, et de- puis, je n'ai eu aucun autre accident à cons- tater. Les personnes inoculées, dont le chiffre at- teint deux cent cinquante, sont disséminées sur divers points envahis par le vomito; quelques unes demeurent encore dans ces localités, et d'autres les ont habitées seulement pendant un temps plus ou moins long. Jusqu'à présent, aucune n'est morte, ni même n'a eu la fièvre jaune. Un seul individu, qui vit actuellement à Mazatlan, où il a passé l'épidémie, a eu un très faible mouvement fébrile qui a pu être qualifié de vomito très léger. Mais, je vous le répète, aucun de mes inoculés n'a été atteint de la terrible maladie. Beaucoup d'entre eux 233 ont vécu à la Havane, à Veracruz, à Mazatlan, à Colima, et sur différents points de la côte sans être inquiétés le moins du monde.1 Je dois vous dire qu'actuellement, on prati- que l'inoculation, d'après ma méthode dans l'Etat de Colima. M. le Gouverneur de cette entité fédérative m'a mis en relation avec M. le Dr. Orozco et a fait faire l'inoculation offi- cielle. Elle a eu lieu depuis trop peu de temps pour que nous puissions connaître les résultats qu'elle a donnés dans une localité qui, autrefois, était décimée par la fièvre janne.2 Je ne puis laisser ce sujet sans revendiquer les droits de priorité que je dois avoir sur le système des inoculations et je le fais parce que, dernièrement, on a beaucoup parlé, à l'étran- ger, des inoculations du Dr. Freire, et l'on a oublié que c'est moi qui, le premier, ai mis leur utilité hors de doute. 1. Voyez l'Appendice. 2. M. le Gouverneur de Oaxaca m'a demandé des ins- tructions pour faire pratiquer l'inoculation à Tehuante- pec où le vomito a fait de nombreuses victimes, l'année dernière. M. le Gouverneur de la Sonora est venu me rendre visite et est retourné dans son Etat, bien résolu à faire pratiquer l'inoculation dans toutes les localités envahies par la fièvre jaune. Nous connaîtrons bientôt les résultats de ces études faites sur une grande échelle. F. J.—16 234 Il est certain que le Dr. Freire s'est proposé avant moi d'étudier le microbe de la fièvre jau- ne. En 1880, il décrivait son cryptococcus xan- thogenicus dans un livre publié à Rio-de-Janei- ro, et intitulé: "Recueil des travaux chimiques du Dr. Freire, professeur titulaire de Chimie organique à la Faculté de Médecine de Rio-de- Janeiro, à l'Ecole Polytechnique (intérim) et au Lycée Impérial des Arts et Métiers, etc., etc., suivi des recherches sur la cause, la nature et le traitement de la fièvre jaune, par le même auteur. (Avec figures dans le texte). Imprime- rie de Molarinho et Mont'Alverne, Largo de Carioca, N9 3—1880." Dans ce traité, le Dr. Freire décrit son micrococcus, organisme qui a quelque analogie avec celui que j'ai appelé zoospore. Mais le docteur brésilien fait de son microbe une morphologie qui diffère essentiellement de ce que j'ai vu, et c'est le moti^ pour lequel on peut les considérer comme deux entités diffé- rentes. Après avoir décrit son microbe et parlé de ses transformations, il s'attache spécialement à démontrer que le salicylate de soude est le moyen le plus efficace pour détruire le crypto- coccus, et il recommande de traiter la fièvre jaune au moyen des injections hypodermiques de salicylate de soude. En matière d'inocula- tions, l'auteur est très sobre. Il nous en dit 235 seulement quelques mots dans les notes publiées à la fin de son ouvrage. A la page VI de ces notes, il s'exprime ainsi: "B.— "Expériences d'inoculation."—"Nous n'avons pas eu le temps de compléter nos ex- périences que nous continuerons à la première occasion. Cependant, le Dr. Araujo Goés et moi, avons inoculé du vomissement noir type chez un singe. Après 15 jours environ, un ab- cès s'est produit au point de la piqûre. Le singe est devenu triste et a eu de la fièvre, sans ma- nifester aucun symptôme de fièvre jaune. Tou- tefois, il a maigri de plus en plus et il est mort. On a pratiqué l'autopsie, et on a trouvé des tu- bercules dans le tissu des poumons. Nous ne pouvons pas garantir que ces tubercules aient été causés par l'introduction du vomissement noir dans le sang du singe, ce qui, d'ailleurs, ne serait pas étonnant: car la science enregistre des expériences où l'inoculation de matières septi- ques, et même de substances minérales, a occa- sionné l'apparition de la tuberculose. Il fau- drait avoir déterminé préalablement si l'animal souffrait déjà de tubercules avant l'injection. Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est que sa santé paraissait florissante avant l'injection du vomissement noir." "Nous avons aussi pratiqué l'injection du vomissement noir chez un chien. Nous l'avons 236 répétée deux fois, à quelques jours d'intervalle. Après la première injection, l'animal n'a rien accusé d'extraordinaire; ce qui nous a porté à en faire une seconde. Celle-ci a été suivie d'un état de dépérissement manifeste. Cependant, aucun symptôme indicateur de la fièvre jaune ne s'est manifesté." "Nous pouvons conclure de ces trois expé- riences que le vomissement n'est pas capable de transmettre la maladie, au moins injecté sous la peau, et que son introduction donne lieu à une sorte de rétrogradation des mouvements nutritifs se traduisant par la maigreur et le dépérissement progressifs." "Nous répéterons ces expériences, afin d'en retirer une conclusion définitive. En même temps, nous tâcherons de rechercher quelle est la condition la plus propre à inoculer dans l'or- ganisme les germes de la maladie." "En effet, il est des miasmes et des virus le mê- me que des poisons; les uns agissent introduits par l'estomac, d'autres, sous la peau, d'autres enfin, par les poumons. Ainsi, le curare peut être ingéré impunément, mais injecté sous la peau, il est un poison promptement mortel à des doses minimes; le chloroforme donné par la bouche a une action différente de celle qu'on observe quand il est inhalé. "De même, le vi- rus varioleux, qui se transmet irrévocablement 237 par une inoculation sous-cutanée, se montre tout à fait inactif lorsqu'il est avalé. Le miasme paludéen semble agir par la voie respiratoire. Nous nous proposons de varier les expériences ayant trait à la fièvre jaune; nous espérons que ce problème ne sera pas insoluble." J'ai voulu vous citer textuellement ces para- graphes, parce que, dans tout l'ouvrage, ce sont les seules paroles que l'on trouve relatives au point si intéressant des inoculations. Vous pou- vez voir que l'on ne peut tirer aucune consé- quence des trois expériences qui y sont relatées; puisque les symptômes du vomito noir ne sont pas apparus, et que l'on n'a pu savoir si le mi- crobe s'était généralisé. Le Dr. Freire se promet d'étudier ce sujet, et il espère en tirer quelques conséquences pra- tiques. Après ce livre, on a publié, dans les journaux des Etats-Unis, un article dans lequel on disait que le Dr. Freire avait trouvé le microbe de la fièvre jaune dans la terre recueillie dans les ci- metières de Rio-de-Janeiro, et que certains ani- maux, forcés de 'vivre en contact avec ces terres, étaient morts au bout de peu de temps. Le docteur concluait de ces faits que ces ani- maux étaient morts empoisonnés par le microbe de la fièvre jaune. 238 Vers le milieu de l'année 1883, les journaux de l'Amérique du Nord annoncèrent, dans plu- sieurs articles, que le Dr. Freire était en train de pratiquer l'inoculation préventive de la fiè- vre jaune. On disait que le médecin brésilien cultivait le microbe du vomito noir, dans le bouillon ou dans la gélatine. On assurait de plus que les effets du microbe s'atténuaient à mesure que l'on multipliait les cultures et que l'inoculation du microbe ainsi atténué préve- nait toute attaque de fièvre jaune. Je vous prie de vouloir bien vous fixer sur les dates citées, et pour plus de clarté, je vous répé- terai qu'en 1880, le Dr. Freire n'avait pu tirer aucune conséquence de ses expériences d'inocu- lation, et que ce n'est qu'en 1883 qu'il a commen- cé à pratiquer les inoculations préventives. Or, dans le premier Mémoire que j'ai lu à l'Académie de Médecine de Mexico, le 26 Oc- tobre 1881, et publié dans le tome XVI de la "Gaceta Medica," je parlais du résultat des inoculations pratiquées par moi sur différents animaux en employant, soit l'urine, soit les matières vomies, où bien en me servant du champignon (peronospora lutea), qui s'était dé- veloppé dans un verre. Et à la page 395, je di- sais mot pour mot ce que je vais vous lire: "Pour ne pas me répéter, je vous dirai une fois pour toutes que, dans tous les cas sans exception, le 239 champignon s'est reproduit et que, dès les premiers jours, nous pouvons voir dans l'u- rine des animaux inoculés les mêmes éléments doués des mêmes caractères que ceux que nous observons dans les urines des malades du vo- mito: qu'il n'y a pas de différence si l'on inocule les matières vomies, l'urine ou le champignon macéré dans l'eau distillée; qu'indifféremment, j'ai pu obtenir des spores bien développées dans un cas comme dans l'autre; que l'on ne peut pas croire qu'il y ait une simple élimination du champignon inoculé, puisque les quantités inocu- lées sont bien petites, tandis que les produits obte- nus dans l'urine sont beaucoup plus abondants et se présentent constamment. Je crois devoir appe- ler votre attention sur le fait que des animaux inoculés depuis plus de deux mois rejettent enco- re une grande quantité de zoospores, et même des morceaux de mycélium." J'ajoutais ce qui suit, page 401: "Quoiqu'il en soit, nous avons déjà conquis un fait, et ce fait est d'une grande valeur. L'inoculation du cham- pignon dans le tissu cellulaire, et à l'abri du con- tact de l'air, est complètement inoffensive. En conséquence, nous pouvons nous valoir de ce mo- yen comme on le fait de la vaccine pour éviter la variole. A tous ceux qui se rendront sur la cote, ou à tous les étrangers qui y débarque- ront, on peut faire une injection sous-cutanée 240 de la "peronospora lutea" macérée dans l'eau dis- tillée." Messieurs, le problème de l'inoculation pré- ventive de la fièvre jaune se divise en deux ques- tions pratiques; l9, démontrer que le germe de la fièvre jaune est capable de se généraliser dans l'économie; 29, démontrer également que l'ino- culation est inoffensive. J'avais résolu ces deux questions d'une maniè- re expérimentale. En effet, après avoir démon- tré que les urines de tous les animaux inoculés contenaient les mêmes principes et offraient les mêmes caractères que les urines des malades de fièvre jaune, il était prouvé que le microbe gé- nérateur avait pénétré dans le torrent de la circulation et avait été éliminé par les urines, puisque, depuis le tissu cellulaire sous-cutané jusqu'au système rénal, il y a tout le torrent de la circulation. Mes expériences avaient donc démontré que le microbe se généralisait 'dans l'économie. Quant au second point, c'est-à-dire, l'inno- cuité de l'inoculation, il était également démon- tré, puisque les animaux n'avaient point suc- combé ni donné aucun signe de souffrance grave. Il est vrai qu'à cette époque, j'attribuais l'in- nocuité de l'opération à l'introduction du mi- crobe par le tissu cellulaire et hors de l'action de l'air atmosphérique. Aujourd'hui que j'ai 241 de meilleures données, et que je connais déjà l'évolution complète du champignon générateur de la fièvre jaune, je sais que l'innocuité de l'o- pération dépend de ce que les zoosporcs inocu- lées sont incapables de produire la fièvre jaune, puisque, entre la zoospore et la mucédinée, il existe encore toute une évolution qui n'a pas encore eu lieu. Revenons cependant au point où nous avons laissé la question. J'avais démontré la généra- lisation du microbe et l'innocuité de l'inocula- tions sous-cutanée; mais la conséquence n'était applicable qu'aux animaux, car mes expérien- ces s'étaient limitées à l'observation de ce qui se passait chez les lapins ou chez les chiens. Pour généraliser ces résultats, et pour les ap- pliquer à l'homme, il fallait une expérience di- recte. C'est afin de la réaliser que je me suis inoculé moi-même, le 29 Septembre 1881. A la même page 401 du volume XVI de la "Gaceta Medica" de Mexico, je m' exprimais en ces ter- mes: "On ne manquera pas de me faire obser- ver que la conséquence n'est pas entièrement logique, puisque les expériences ont été faites sur les animaux et que leurs résultats pour- raient bien ne pas s'appliquer à l'homme. Les lapins mangent impunément des feuilles de belladone, et pourtant, l'homme n'en pourrait faire autant." 242 "J'ai senti la force de ce raisonnement, et pour sortir du doute, je me suis injecté, sous la peau de l'abdomen, le champignon macéré dans l'eau distillée, et voici quel en a été le résultat: J'ai fait l'inoculation dans la soirée du 29 Sep- tembre, et immédiatement après, j'ai ressenti une ardeur piquante, mais très passagère à l'en- droit de l'injection. Le matin du 30, ma tem- pérature était de 36° 7; les mouvements déter- minaient une douleur gênante à l'endroit de la piqûre; j'ai ressenti un peu de lassitude, des sueurs partielles; l'urine a diminué et est de- venue rongeâtre. Dans la nuit, la température a été de 38° 3. Malgré la douleur cîiusée par la piqûre, il n'y avait ni tuméfaction ni rou- geur. Le 1er- Octobre, la douleur avait dimi- nué d'intensité, mais elle s'était irradiée en haut jusqu'aux dernières côtes, et en bas jus- qu'à l'aîne. La pression superficielle était plus gênante que la pression profonde, mais il n'y avait pas de tuméfaction. Le matin, la tempé- rature était de 37°; le malaise et la lassitude avaient complètement disparu. Pendant la nuit, la température a été de 36° 7. Les jours sui- vants, tous les symptômes locaux ont disparu; seule, l'urine a été relativement diminuée pen- dant quelque jours. L'urine recueillie le lende- main même de l'injection a donné des signes évidents de la généralisation du champignon, 243 et ces jours derniers encore, je continuais à éli- miner ses éléments propres." "Maintenant que je suis convaincu que le mo- yen proposé est aussi inoffensif pour l'homme que pour les animaux, je n'hésiterai plus à faire l'in- jection sur mes semblables, ni à la recommander âmes confrères." Vous voyez donc bien, Messieurs, que depuis le 26 Octobre 1881, date à laquelle j'ai lu mon premier Mémoire à l'Académie de Médecine de Mexico, j'avais parfaitement démontré: l9, la généralisation du microbe de la fièvre jaune; 29, l'innocuité de l'inoculation, et 39, que l'ino- culation pouvait se pratiquer sur l'homme sans aucun inconvénient. Je vous ai déjà dit que dans "l'Union Médi- cale" de Rio-de-Janeiro, du mois d'Avril 1883, M. le Dr. Silva Araujo avait publié un article relatif à la fièvre jaune, et duquel j'ai pris quel- ques paragraphes que je vous ai lus dans une de mes leçons antérieures. Or, l'auteur dit qu'il entreprend son travail après avoir pris connaissance des écrits des Drs. Freire, Gama Lobo, Araujo Goés, Lacerda, Couty, Beauperthuis et des miens. Ce détail nous démontre jusqu'à l'évidence que mon pre- mier Mémoire était déjà connu à Rio-de-Ja- neiro au commencement de l'année 1883, et si le Dr. Silva Araujo l'avait déjà lu, il n'est pas • 244 possible que le Dr. Freire n'en ait pas pris con- naissance, puisqu'il se dédie de préférence à l'étude de la fièvre jaune, et quand l'esprit est préoccupé par une question, il n'est pas facile de ne pas s'intéresser à tout ce qui se publie sur ce sujet, quelque insignifiante que soit la personne qui l'ait écrit. Donc, si le Dr. Freire a commencé à faire ses inoculations en 1883, il devait déjà connaître mes travaux et savoir que j'avais démontré la généralisation du cham- pignon et l'innocuité de l'injection. Je me suis arrêté sur ce point, et je vous ai fait une disgression, peut-être un peu longue, parce qu'il faut rendre à chacun ce qui lui ap- partient. Du reste, les inoculations du Dr. Frei- re et les miennes sont essentiellement diffé- rentes dans la manière de procéder. Je vous ai recommandé l'inoculation directe de la zoos- pore obtenue par le dessèchement de l'urine, tandis que le Dr. Freire inocule les produits des cultures qu'il prétend faire dans le bouillon, ou dans la gélatine, sous prétexte d'atténuer l'intensité du microbe. Or, ayant déjà démon- tré par des expériences directes que la zoospore ne peut se reproduire immédiatement dans les liquides, mais qu'il lui faut d'abord se trans- former en spore, puis en mucédinée, ensuite en peronosporee pour voir la réapparition de la zoospore, il est facile de comprendre que le ré- 245 sultat des cultures du Dr. Freire doit être nul, et qu'en définitive, la troisième ou la quatrième culture ne peuvent déjà plus renfermer les vé- ritables germes de la fièvre jaune. Le résultat des inoculations du Dr. Freire vient confirmer mes soupçons, et pour vous convaincre, je vais vous citer ce qu'il a écrit; ensuite, je vous ferai connaître le jugement émis par un de ses confrères devant le Président de l'Académie de Médecine de Rio-de-Janeiro, à propos du moyen prophylactique en question: Dans une lettre au "Sanitary News," journal de l'Amérique du Nord, le Dr. Freire s'expri- me en ces termes: "En réponse à votre deman- de, je vais vous relater les points qui offrent le plus d'intérêt dans mes études sur la fièvre jaune; mais je ne puis naturellement vous en faire qu'un bref résumé, vous renvoyant pour plus de détails aux Mémoires que j'ai publiés: "Cause, nature et traitement de la fièvre jaune." Une relation étendue sur les fondements théo- riques et pratiques de mes recherches est en ce moment sous presse, et je vous en enverrai un exemplaire aussitôt que cette publication sera terminée." "La méthode de cultures que j'ai suivie est la même que celle de Pasteur. J'ai extrait le sang ou un autre fluide organique quelconque de personnes attaquées du vomito, ainsi que des 246 cadavres, et employant les plus scrupuleuses précautions, j'ai introduit ces liquides dans des flacons Pasteur préalablement stérilisés et con- tenant une solution de gélatine ou de bouillon de bœuf." "Dans ces conditions, le microbe se développe en abondance et s'atténue de lui-même par l'action de l'air qui pénètre à travers le bou- chon d'amiante qui ferme le flacon. La pureté de ces cultures (spécimens) est restée démon- trée par les examens microscopiques dont vous trouverez les relations dans mon Mémoire: "Etudes expérimentales sur la contagion de la fièvre jaune." "Le microbe apparaît sous la forme de points noirs et petits comme des grains de sable (780 diamètres) ; dans sa forme primitive, apparais- sent de petites cellules rondes, avec un anneau de couleur gris-cendré, ou noir, contenant à l'intérieur des substances jaunes ou noires et quelques granulations qui, plus tard, se conver- tissent en nouvelles spores. Ces cellules écla- tent à un moment déterminé en répandant leur contenu, c'est-à-dire, les spores, pigment et la substance nitrogén.ée composée (ptomaïnes), que j'ai isolée, non-seulement des substances vo- mies, mais encore du sang même et de l'urine. Le pigment jaune, étant soluble, produit l'in- filtration ictérique de tous les tissus par une • 247 espèce d'absorption tinctoriale qui Se développe même après la mort; le pigment noir, ainsi que les détritus résultant de la rupture des cellules, étant insolubles sont entraînés par la circula- tion générale et produisent des obstructions dans les vaisseaux capillaires du sang, ce qui donne pour résultat les symptômes congestifs, (si communs dans la fièvre jaune) des voies urinaires, d'où suppression de l'urine, symp- tôme si fréquent et si terrible dans cette ma- ladie." "J'ai décrit cet organisme microscopique sous le nom de criptococcus xanthogenicus, à cause de la ressemblance de son développement avec ce- lui de ce genre d'algues." "Après avoir mis en évidence la nature con- tagieuse du vomito par des expériences sur des oiseaux de basse-cour, j'ai fait des essais d'ino- culation préventive, d'abord sur différents ani- maux et ensuite sur des hommes, et cela sans aucune crainte parce qu'une multitude d'es- sais sur les animaux m'avait convaincu de la sécurité absolue de l'inoculation avec les cultu- res atténuées." "Jusqu'à cette date, j'ai vacciné 450 person- nes; la plus grande partie sont des étrangers récemment arrivés. L'immunité contre la fiè- vre jaune a été proclamée par ceux que j'ai vac- cinés puisqu'ils ont subi l'épreuve d'une épi- 248 demie presque rigourense et que seulement six d'entre eux sont morts, c'est-à-dire, moins de deux pour cent, tandis qu'il y a eu plus de cent décès parmi ceux qui n'étaient pas vaccinés; la mor- talité étant chez ces derniers de 30 à 40 pour 100 des ■ personnes attaquées. Si nous nous fixons donc sur une centaine de personnes vac- cinées respectivement dans de bonnes condi- tions, nous trouvons deux décès, tandis que sur cent malades non-vaccinés, nous comptons de trente à quarante morts, ce qui donne une mor- talité quinze fois plus grande chez ces derniers. Même en supposant que la mortalité n'ait été seulement que dix fois, et même cinq fois moin- dre chez les vaccinés, la prévention vaudrait la peine d'être adoptée." "L'inoculation protectrice contre le charbon communique l'immunité à une dixième partie et la vaccine garantit un cinquième de la va- riole, d'après les calculs faits par Bousquet.— "Dr. Domingo Freire, professeur cle la Faculté de Médecine de Rio-de-Janeiro, Président du Comité Central d'Hygiène Publique." J'ai lu en entier la communication du Dr. Freire, parce que je désire le juger d'après ses propres paroles, et pour que l'on ne puisse pas supposer que j'ai ajouté ou retranché quelque chose. N'espérez pas que j'aille combattre une à une les idées du docteur brésilien. Je mets 249 de côté tout ce qui se rapporte à l'interpréta- tion morphologique du microbe cle la fièvre jaune, et j'attends le jugement de l'histoire sur ce point. Je me limiterai à quelques obser- vations sur le résultat de l'inoculation préven- tive. N'oubliez pas que le Dr. Freire inocule un liquide qu'il obtient après plusieurs cultu- res, et que, d'après ce que je vous ai dit aupa- ravant, ce liquide ne peut pas contenir les mi- crobes générateurs de la fièvre jaune, ou s'il les contient, ce ne peut être qu'en très petite quan- tité. N'oubliez pas non plus que lorsqu'il s'agit d'études statistiques, on ne peut obtenir des conséquences exactes si l'on ne compare pas les faits placés dans des conditions identiques. Si l'on veut chercher l'influence d'une cause quel- conque, il est nécessaire cle comparer deux grou- pes placés dans les mêmes circonstances, ex- cepté celle dont on cherche l'influence. Tant que les conditions ne sont pas identiques, les conséquences statistiques que l'on en tire ne peuvent être exactes. Appliquons ces principes aux résultats ex- posés par le Dr. Freire, et vous serez convaincus que ses conséquences ne sont pas logiques. Il nous dit d'abord que sur 450 personnes, il n'en est mort que six; mais il ne dit pas le nombre de personnes attaquées, et lorsque l'on veut constater l'efficacité d'un moyen préventif, il „F. J.—17 250 ne suffit pas seulement de connaître le nombre de décès, mais aussi celui des personnes atta- quées par la maladie que l'on veut éviter. Je veux cependant excuser le Dr. Freire pour cet oubli involontaire, quelle que soit l'impor- tance de ce renseignement, et je vais analyser le résultat de ses comparaisons: Il nous dit que sur 450 personnes inoculées, il n'en est mort que six, c'est-à-dire, moins de deux pour cent, tandis que plus cle cent décès ont eu lieu parmi les non-inoculées. Ces résul- tats ne sont pas comparables, car nous savons qu'il est mort le deux pour cent d'inoculés; nous savons aussi qu'il y a eu plus de cent dé- cès chez les personnes non-inoculées, mais nous ignorons le nombre de ces personnes qui étaient sujettes à l'action cle la cause de la maladie. Or, ignorant ce nombre, nous ne pouvons savoir la proportion des décès, et par conséquent, il nous est impossible de les comparer à la proportion des personnes inoculées. Si le nombre des non-inoculés avait été égal à celui de ceux qui l'avaient été, les avantages seraient en faveur de l'inoculation, puisque sur 450 personnes inoculées, six seulement auraient péri, tandis que sur 450 personnes non-inocu- lées, il en serait mort plus cle cent. En ce cas, l'avantage cle l'inoculation serait incontestable, puisque le moyen préventif aurait fait baisser 251 la mortalité cle cent pour 450 à six pour le mê- me nombre. Mais si le nombre des non-inocu- lés était cle dix mille, p>ar exemple, en ce cas, l'inoculation serait désavantageuse comparée aux résultats obtenus sur les non-inoculés. Par conséquent, tant que le Dr. Freire ne fixe pas le nombre de personnes non-inoculées, on ne peut tirer aucune conclusion avantageuse en faveur de son système d'inoculation. Un peu plus loin, le docteur nous dit: "Donc, si nous nous fixons sur une centaine de personnes vaccinées respectivement dans de bon- nes conditions, nous observerons deux décès, tan- dis que sur cent malades non-vaccinés, nous comp- tons de trente à quarante morts, ce qui donne une mortalité quinze fois plus grande chez ces der- niers." Il paraît incroyable, Messieurs, qu'un homme de science comme le Dr. Freire ose ti- rer des conclusions semblables. Il est vrai que dans ce cas, il compare une centaine de person- nes vaccinées à une centaine cle celles qui ne l'ont pas été; mais, remarquez que la comparai- son se fait entre cent individus vaccinés atta- qués et non attaqués cle la fièvre jaune, tandis que l'on suppose que les cent qui n'ont pas été vaccinés avaient tous été frappés par la mala- die. D'après cela, rien d'étonnant à ce que le nombre des décès n'ait été que de 2 pour 100 chez les vaccinés, tandis qu'il est monté à 30 ou 252 40 pour 100 chez les autres. Pour que la com- paraison fût possible, il fallait, ou bien compa- rer cent personnes vaccinées, attaquées de fièvre jaune avec cent autres non-vaccinées, placées dans les mêmes conditions et attaquées aussi de la même maladie, ou bien, établir la compa- raison entre cent vaccinées et cent autres non vaccinées, placées dans les mêmes conditions, et observer la proportion des attaqués et celle des morts. Mais agir comme l'a fait le Dr. Freire, c'est se placer clans les conditions les plus favo- rables pour simuler de bons résultats. Je vais porter à votre connaissance l'opinion formulée sur les vaccinations du Dr. Freire par un cle ses confrères les plus éminents. Dans la "Gaceta Medica de Rio-de-Janeiro," on lit ce qui suit: "Vaccination contre la fièvre jaune." Lettre adressée à M. le Président de l'Aca- démie Impériale de Médecine de Rio-de-Ja- neiro par M. le Dr. J. M. de Araujo Goés." "Monsieur:—Dans l'une des réunions de l'A- cadémie Impériale de Médecine, vous avez ma- nifesté le désir que tous les médecins qui auraient soigné des malades de fièvre jaune vaccinés par M. le Dr. Freire voulussent bien soumettre leurs informations à cette corporation, cela étant le seul moyen de se former une opinion sur la valeur réelle de la prétendue vaccine. Je m'em- 253 presse d'y coopérer avec le contingent que m'a fourni l'hôpital de Santa-Isabel, pendant la pré- sente saison épidémique. Jusqu'à ce jour, qua- tre malades vaccinés sont entrés dans cet éta- blissement." "I9, L'italien Emilio Butti, demeurant Rua de Ajuda, a été soumis deux fois à la vaccina- tion; est mort, vingt-quatre heures après son entrée, d'anurie et vomito noir." L'autopsie à révélé une couleur jaune du foie telle que je n'en ai jamais vu sur cent examens cadavériques que j'ai pratiqués ou vu pratiquer. J'ai extrait du cadavre le foie et les reins que je conserve au Laboratoire de Physiologie du Musée. Je les ai coupés et traités par le procé- dé cle Ehrlich: le violet d'aniline qui fait voir avec évidence dans le microscope les bactéries signalées par moi et par M. Babès du labora- toire du Dr. Cornill. "2?, L'italienne Rosalina Nerina, vaccinée à l'hôpital de Nichteroy, assistée par le Dr. Pin- to Netto. La malade est sauvée malgré la vio- lence du vomito, grâce à l'habileté de son mé- decin." "3?, Le portugais Bentos An tunes d'Oliveira, demeurant Rua de Uruguayana, n9 36. Chez cet individu, le mal a cédé aux premiers re- mèdes." "4?, Le portugais José da Silva, demeurant 254 Morro da Viuva, actuellement dans le départe- ment qui est à ma charge. Chez ce malade, la fièvre jaune s'est arrêtée à la cinquième pério- de, caractérisée par l'albuminie clans les urines, diminution du pouls, etc. Silva est heureuse- ment en convalescence. Il m'informe que quel- ques vaccinés du Morro da Viuva ont été atta- qués par l'épidémie et qu'il en est mort deux." "Dans le Jurujuba, la mortalité des préservés par la vaccine a été de 1 sur 4, ou vingt-cinq pour cent, supérieure à celle des malades non- vaccinés, qui n'a pas excédé 21 pour cent." "Si l'on niait au troisième malade, Bentos d'Oliveira, la nature cle sa maladie, la mortalité serait de 1 sur 3, ou de 33 pour cent, sans la fraction. Cette proportion concorde avec ce qui est arrivé chez les voisins de Silva, au Morro da Viuva, puisque ce malade nous dit que six de ses voisins qui avaient été vaccinés ont été atteints cle la fièvre jaune, et que deux sont morts; ce qui donne encore le 33 pour cent." "Je connais beaucoup d'autres cas fatals, et je ne suis pas étonné que les vaccinations n'aient pas réussi, parce que, moi, qui me suis dédié uniquement, pendant treize mois, à l'étude mi- croscopique des humeurs et des viscères des malades et des cadavres du typhus ictéroïdes, après les avoir soumis à de nombreux procédés d'investigation, je n'ai pas, jusqu'à ce jour, ren- 255 contré le micrococcus xanthogenicus, ni sous les formes qui lui sont données dans les dessins publiés en 1880, ni sous les formes modernes de 1883 qui n'ont rien cle commun avec les pre- mières. Il paraît que le micrococcus xanthogeni- cus change de forme tous les trois ans, ou bien que l'une des deux observations, sinon toutes les deux, ont été défectueuses et que l'on a pris une chose pour l'autre." "Dans une publication récente, (Discours pro- noncé à l'hôpital cle Nichteroy), le Dr. Freire dit: "J'ai démontré comment se reproduit le microbe cle la fièvre jaune et que l'un produi- sait un pigment noir, et les autres un pigment jaune et ptomaïnas," De la fin de ce discours, publié dans la Province de Nichteroy, le 10 Décembre, et reproduit par le "Jornal do Co- mercio," on peut légitimement conclure que trois espèces de microbes furent rencontrées dans la fièvre jaune par le Dr. Freire." "S'il en est ainsi, l'observateur le moins exi- geant ne formulera-t-il pas l'observation sui- vante: "Quelle est celle des espèces qui a été atténuée pour servir cle vaccine? Celle du pig- ment noir, celle du pigment jaune, celle de pto- maïnas, ou bien toutes les trois?" Comme tout le monde le sait, le Dr. Freire ne cultive cle cette trinité que l'espèce xanthogenicus, la seule dont il parle dans ses écrits et dont il publie les des- 256 sins. En conséquence, ou la terrible trinité est une vérité, et en ce cas, la vaccine ne sert cle rien, parce que si elle préserve d'un microbe, elle permet l'entrée franche aux deux autres qui ne sont pas moins funestes, comme il le confesse; ou ce n'est qu'une fausseté, et toutes les observations du Dr. Freire sont défectueu- ses et incomplètes, parce qu'elles ne peuvent inspirer la moindre confiance, surtout lorsqu'il s'agit de la vie de nos semblables. Cela suffit pour blesser à mort le moyen préventif si re- commandé. Devant une telle disjonction, il se présente naturellement un problème moral qui consiste à, rechercher la raison pour laquelle il y a des hommes qui ont au moins en leur fa- veur la présomption légale de l'érudition et du critérium et qui, malgré cela, sont les jouets de tant cle chimères. Je ne puis m'expliquer cette anomalie que par l'impulsion irrésistible des idées préconçues. Dans ces conditions, et avec une complaisance dont l'esprit n'a pas d'idée, on accepte une démonstration dont le point de départ a été fourni par une fausse interpréta- tion, et du terrain cle l'imagination, on se trans- porte sur celui des faits, en commettant des erreurs mentales et des erreurs de sens. C'est ce qui est arrivé à l'auteur cle l'inoculation con- tre la fièvre jaune qui, jusqu'à présent, ne s'est pas formé une idée assez exacte de la fatale 257 pyréxie, ainsi que cela ressort évidemment du discours cité, il y a un instant. Rigoureusement, la question cle la vaccine du typhus américain n'aurait pas dû franchir le seuil des laboratoi- res pour ne pas s'exposer à inculquer des doc- trines et à inspirer des espérances illusoires et pleines de danger." "Pour ma part, je déclare en toute franchise que tous les essais que j'ai faits jusqu'à présent dans ce but ont été entièrement vains, bien que je dispose d'une pratique de plus cle deux an- nées et d'un matériel complet pour ce genre d'études. Quelquefois, j'ai vu la matière cul- tivée pour servir de vaccine tuer l'animal; d'au- tres fois, celle que je considérais comme active ne produisait aucun effet; plus souvent, le sang du malade ou du cadavre tuait l'animal, tandis qu'en d'autres occasions il était tout à fait inof- fensif. Je suis sûr de ne pas avoir été la seule victime de semblables caprices et cle pareilles incertitudes. Pendant treize mois, j'ai répété ces expériences un grand nombre cle fois en emplo- yant les procédés connus et quelquefois parti- culiers, et toujours avec des résultats variables. Une maladie tenace qui me défend tout travail intellectuel m'a empêché de donner au public l'histoire de mes longues et minutieuses recher- ches. Cependant, à charge cle fournir des preu- ves expérimentales et rigoureusement scientifi- 258 ques, je puis assurer que j'ai rencontré les mi- crococcus xanthogenicus de 1880 et cle 1883, clans les substances organiques, telles que bouillons, gélatines, extrait de Liebig, quand ceux-ci ont été abandonnés à l'air libre, sans contact aucun avec les matières septiques du typhus ictéroïdes. Après la publication de ma lettre à l'Académie Impériale de Médecine, je crois devoir porter à la connaissance du public la statistique sui- vante, qui est celle des vaccinés du Morro da Viuva: Vaccinés .......................................... 60 Absents............................................ 16 Personnes restées exposées à l'influence épidémique.................................... 44 De ces 44 ont été atteints cle la fièvre jaune. 22 Morts.............................................. 9 "Cette statistique démontre qu'un cinquante pour cent des vaccinés qui sont restés' dans le quartier a été atteint du typhus ictéroïdes, et que un 40.9 pour cent des malades a succombé. A l'hôpital de Jurujubaqui, pendant la derniè- re période de fièvre jaune, reçoit les moribonds et les malades de vomito par douzaines, la mor- talité est seulement de 21 pour cent; par con- séquent, elle, a été plus grande chez les indivi- 259 dus vaccinés que chez ceux qui ne l'étaient pas dans la proportion de 19.9 pour cent. Ces chif- fres prouvent d'une façon évidente que le Dr. Domingo Freire n'est pas capable cle prévenir la fièvre jaune." Telle est l'opinion formulée par le Dr. Arau- jo Goés sur l'inoculation que pratique le Dr. Freire. Pour ma part, je mettrai de côté les appréciations émises sur les résultats obtenus à l'Hôpital Santa Isabel, parce que bien qu'ils nous fassent voir que quatre personnes inocu- lées ont été attaquées par la fièvre jaune, cepen- dant le résultat signifie peu cle chose sous le rapport de la statistique, vu le petit nombre de cas. Mais il n'en est pas de même pour les données numériques recueillies parmi les per- sonnes inoculées du Morro da Viuva; il y a eu là 60 individus sur lesquels 16 sont partis; res- tent 44 personnes qui ont été soumises à une observation rigoureuse, et comme vous l'avez vu, 22 d'entre elles ont été atteintes de fièvre jaune et-9 sont mortes. Les résultats ne peu- vent être moins favorables, puisque cinquante pour cent ont été attaqués par le vomito noir et qu'il est mort quarante-neuf dixièmes pour cent des malades. Si un sort analogue avait frappé dans la même proportion les 450 inoculés du Dr. Freire, il est clair qu'il y aurait eu 225 personnes atteintes du vomito noir et qu'il en 260 serait mort 92. Proportion énorme qui, com- me le dit le Dr. Araujo Goés, serait supérieure aux résultats constatés chez ceux qui n'ont pas été inoculés, et d'où l'on pourrait conclure que l'inoculation, loin d'être avantageuse, serait au contraire préjudiciable. Je jugerai les choses avec plus de bienveillance, et je supposerai que ceux qui vivaient dans le Morro da Viuva se trouvaient déjà placés dans des conditions hy- giéniques peu avantageuses auxquelles a été due l'augmentation de la mortalité. Mais si grande que soit la bonne volonté avec laquelle on veuille juger ces résultats, il est toujours certain que le Dr. Freire a retiré peu d'avanta- ges de ses inoculations. Je vous le répéterai, ces résultats n'ont point appelé mon attention, puisque selon moi, le Dr. Freire a tout inoculé, moins le microbe de la fièvre jaune, car je suis bien convaincu que ce microbe ne se reproduit pas dans les liquides. Sur l'es 250 inoculations que j'ai pratiquées par mon procédé, aucune .n'a eu cle résultats funestes; un certain nombre de personnes ont res- senti un léger mouvement fébrile, qui n'a été suivi d'aucun accident sérieux et qui n'a duré qu'un jour. Beaucoup d'entre ces personnes ont traversé l'épidémie de 1884, soit à la Havane, soit à Veracruz, à Mazatlan, à Colima, clans la Basse-Californie, etc., etc.; aucune d'elles n'a été 261 attaquée du vomito noir bien caractérisé. Je ne connais ni le nombre, ni le résultat des inocula- tions officielles faites àColima; maisles journaux disent que les résultats ont été satisfaisants. J'ai cle plus la certitude que le microbe de la fièvre jaune se généralise clans l'économie des inoculés et qu'au bout cle vingt-quatre heures, on le rencontre, non seulement dans l'urine, mais encore dans la masse du sang. Chaque fois que j'ai étudié au microscope le sang de mes inoculés, j'ai toujours rencontré vingt-qua- tre heures après l'inoculation, une grande quan- tité de zoospores qui nageaient entre les globules, comme cela se voit chez-les malades de la fièvre jaune. Avant de terminer, je veux rappeler à ceux d'entre vous qui vont sur la côte la nécessité d'examiner les résidus cle l'urine et de s'assu- rer qu'il ne s'y est pas développé la mucédinée dont les spores pourraient déterminer la mala- die qu'il s'agit cle prévenir. Il est vrai que d'a- près ce que j'ai vu, ces spores se flétrissent dans l'eau distillée et doivent pour cette raison être inutiles à la reproduction, mais, comme sur ce point, mes expériences ne sont pas bien certai- nes, je dois vous recommander beaucoup de pru- dence jusqu'à ce que les faits soient bien con- firmés. 262 Messieurs, j'ai terminé l'exposition sommai- re cle mes études relatives à l'étiologie et à la prophylaxie de la fièvre jaune. Maintenant que vous connaissez mes travaux, c'est à vous de continuer l'observation de ce que je vous ai dit et l'explication de beaucoup d'autres faits qui restent encore à confirmer. Je vous promets, si la Providence continue à m'aider, de ne pas m'arrêter dans mes recherches, et peut-être, plus tard, pourrai-jo ajouter quelque chose de nouveau à ce que j'ai dit jusqu'ici. • APPENDICE. Etant déjà sous presse mes leçons sur l'étio- logie et la prophylaxie cle la Fièvre Jaune, ainsi que la préface écrite pour elles par mon ami Mr. le Dr. Edouard Liceaga, professeur de Médecine Opératoire de cette Faculté, et Pré- sident du Conseil Supérieur de Salubrité, j'eus l'occasion d'étudier sur une plus grande échelle les effets cle l'injection préservatrice; tant, parce que le nombre des personnes qui demandaient à être inoculées augmentait de jour en jour; comme à cause de l'invitation que le Géné- ral Ignacio Revueltas, Sous-Sécrétaire du Mi- nistère de la Guerre et de la Marine, m'a faite, afin d'inoculer la garnison de Veracruz. Cette occasion cle pouvoir étudier en détail les effets de l'inoculation préservatrice, m'a dé- cidé à ajourner la publication cle mes leçons, 264 jusqu'à ce que j'ai pu rendre compte des ré- sultats obtenus sur la garnison de Veracruz. Je dois faire remarquer, que les inoculations préservatrices ont été faites, dans les derniers jours du mois de Mai 1885, précisément dans les moments de la période croissante cle l'épidé- mie de la fièvre jaune. La méthode employée a été la même que j'ai indiquée clans mes leçons. Je prenais l'urine des malades de la fièvre jaune, et sans autre prépara- tion, je Vabandonnais à l'évaporation spontanée. Lorsque le résidu était entièrement sec, j'en pre- nais un centigramme, et le dissolvais dans un gram- me d'eau distillée, et au moyen d'une seringue de Pravaz, j'introduisais ce liquide dans le tissu cel- lulaire de la face postérieure du bras ganche. Jusqu' aujourd'hui, 6 Novembre, j'ai fait 1,358 inoculations, sans comprendre celles qui ont été faites à Colima, Sinaloa, Sonora et Oaxa- ca. Je crois utile de faire remarquer qu'il n'y a eu dans aucun cas d'accidents sérieux à la suite des inoculations, nonobstant que le résidu de l'urine est formé exclusivement de milliards de zoospores rejetés par les malades. En outre, j'insiste sur ce fait, que jamais je n'ai eu recours à aucune méthode d'atténuation. Le nombre des inoculés étant déjà assez considérable, je me crois autorisé à dire que les zoospores pénètrent, sans aucun danger, dans l'économie animale; par cou- 265 séquent il est complètement inutile de chercher à atténuer le virus. Je dois cependant faire observer que pour que l'inoculation soit inoffensive, il est absolu- ment nécessaire de faire évaporer les urines com- plètement, jusqu'à la siccité parfaite, et faire les inoculations dans les endroits qui ne sont pas vi- sités par la fièvre jaune; ou si l'on est obligé de les faire dans les lieux infectés, on doit alors les pra- tiquer dans les époques de l'aimée où cette maladie ne se soit pas encore déclarée. J'avais déjà indiqué dans mes leçons, la pos- sibilité de déterminer la fièvre jaune dans les cas où les inoculations se feraient dans les lieux infectés et dans les moments où l'épidémie se développe. Cette doctrine que jusqu'à ce mo- ment là n'était qu'hypothétique, a été malheu- reusement confirmée. Au mois de Mai cle cette année-ci, quand l'épidémie du Vomito commençait à se développer à la Veracruz, six prisonniers ont été inoculés, et dans deux d'en- tre eux, les symptômes locaux de l'inoculation, furent suivis immédiatement cle ceux de la fiè- vre jaune grave, et tous les deux succombèrent dans la même journée, quelques jours après. Ces funestes résultats, ne s'ayant présentés clans les 1,358 inoculations faites dans des en- droits où la fièvre jaune n'a jamais existée, nous fait voir la vérité des doctrines établies 266 dans mes leçons. Il faut ne pas oublier, que dans les localités où règne la fièvre jaune, et dans les temps d'épidémie, il se développe une mucédinée; soit clans les résidus des urines, soit clans le sang extrait des malades de la fièvre jaune. Il faut en outre se rappeler, que l'obser- vation a fait voir, que cette mucédinée ne se développe ni toutes les années, ni dans toutes les époques cle l'année; mais que son dévelop- pement coïncide avec l'apparition des épidé- mies de la fièvre jaune. Tant que cette mucédi- née ne se développe pas, il n'existe pas la fièvre jaune; et sitôt que la fièvre jaune parait, la même mucédinée se développe, autant dans les sédiments des urines, que dans le sang des malades. En parlant des sédiments urinaires, on pour- rait croire que le germe cle la mucédinée vient de l'air atmosphérique; mais on ne pourrait pas en dire autant cle celle qui se développe dans une goutte de sang. Pour en faire la prépara- tion, on prend toutes les précautions convena- bles; les verres porte-objets et couvre-objets, son lavés à l'alcool; on lave avec soin le doigt du patient, ainsi que l'instrument avec lequel on va faire la ponction; la goutte de sang est rapidement posée sur le verre porte-objet, et l'on place immédiatement le couvre-objet. La préparation ainsi faite, on l'abandonne pendant quelques jours; et si l'expérience se faitenplei- 267 ne épidémie, on peut voir comment se dévelop- pent peu à peu les mycéliums dans la même goutte cle sang, et au bout de quelque temps apparaîtra la fructification. Ces préparations peuvent se conserver fort longtemps, et être transportées à de grandes distances. De cette façon, j'ai pu examiner à Mexico, plusieurs préparations, qui m'ont été envoyées de Culiacan, par Mr. le Dr. Ponce de Léon. La photographie n9 6 est tirée de l'une de ces pré- parations. Je crois utile de faire remarquer, que ce cryptogame commença à se développer à la fin de l'une des épidémies qui régnèrent à Culiacan; mais les conditions telluriques atmosphériques, qui président au développement de la fièvre jaune 'ayant disparu, la plante cessa de se développer, et la croissance des mycéliums, fut suspendu pendant l'hiver; elle demeura stationnaire, et au commencement des chaleurs de Vannée suivante Me reprit son activité; les mycéliums se dévelop- pèrent davantage, et à la fin apparurent les spo- res, tels qu'on les voit dans la photographie. L'identité parfaite qui existe entre ce cryp- togame, et celui qui se développe clans les uri- nes, ainsi qu'on peut le voir dans les figu- res 2 et 3 de la planche n9 2, et la circons- tance de ce que son développement coïncide avec les épidémies de la fièvre jaune, nous dé- montrent la vérité des doctrines que j'ai consig- 268 nées dans mes leçons, et il est presque sûr que les accidents, malheureux arrivés à Veracruz, ont été causés par le développement cle cette mucédinée, dans les sédiments d'urine qui ser- virent aux inoculations. Mais, comme ce cryptogame ne peut se déve- lopper dans les endroits où le vomito noir ne sévit pas, il est évident que les inoculations doi- vent être inoffensives clans ces localités, comme le démontrent les 1,358 qu'ont été faites clans ces conditions. Après avoir démontré la parfaite innocuité des inoculations préventives, faites d'après les règles que je recommande; et après avoir fait connaître les dangers cle les faire dans les loca- lités infectées par le vomito, surtout dans les moments où règne l'épidémie, passons à étudier les résultats obtenus, et à faire connaître le de- gré de confiance qu'on peut en avoir, les consi- dérant comme un mo}ren prophylactique du vomito noir. Les 208 premières inoculations que j'ai pra- tiquées, furent faites avec les zoospores d'une urine que je conservais depuis l'année 1881. Ce résidu, qui soit dit en passant, est très-avide cle l'humidité atmosphérique, s'était liquéfié plu- sieurs fois, et redevenu sec autant d'autres. Les zoospores qui y existaient étaient douées cle mou- vements très-libres, et- quand on en mettait 269 dans une goutte d'eau, une petite quantité ils se mêlaient intimement avec le liquide, et un petit nombre seulement restait en conglomérats. Ce résidu me servit pour inoculer toutes les personnes, chez lesquelles j'ai pratiqué cette opération jusqu'au 3 Janvier 1885. Eh! bien, aucun de ces individus n'a été atta- qué par la fièvre jaune, malgré que tous aient été exposés pendant plus ou moins de temps à l'action du principe morbigène, et que beaucoup d'entre eux aient passé déjà plusieurs épidé- mies de vomito, les uns à la Havane, d'au- tres à Veracruz, Mazatlan, Colima, dans la Basse-Californie, etc. Monsieur Joaquin del Villar, et un ingénieur civil, éprouvèrent à Ma- zatlan des symptômes tellement bénins, qu'ils sont à peine dignes d'attirer l'attention. Mon- sieur del Villar, qui après vingt-quatre heures de malaise, eut une légère teinte jaunâtre, n'a- bandonna les travaux de son emploi que pour un jour seulement. Je veux parler de quelques faits particuliers, parce qu'ils peuvent servir à faire connaître les avantages du moyen prophylactique. Plus de cent personnes furent envoyées par le Gou- vernement Mexicain, à l'Exposition Universelle de la Nouvelle Orléans, lesquelles furent inocu- lées avec les résidus de l'urine dont je parle, et malgré qu'elles soient restées dans cette ville, 270. après l'apparition de la fièvre jaune, aucune d'elles n'en a été attaquée. Dans les journées du sept, huit et neuf No- vembre de l'année 1884, j'ai inoculé trente huit personnes d'une troupe d'opéra bouffe, qui se dirigeaient à Veracruz et a la Havane, pour y donner des représentations théâtrales. Le vo- mito régnait dans ces deux villes, et quoique malgré leur propre aveu, ces artistes se soient livrés à toute espèce cle désordres, aucun d'en- tre-eux n'a été attaqué par la fièvre jaune. Au commencement de l'année 1884 dix per- sonnes de Mexico partirent pour Mazatlan, afin de s'y établir; quatre d'entre elles se firent ino- culer, et aucune d'elles n'a été atteinte par la fiè- vre jaune; les six autres qui ne prirent pas la même précaution, le furent successivement, et toutes succombèrent, Depuis le quatre Jauvier, jusqu'au milieu cle Juin de cette année-ci, j'ai inoculé 532 person- nes, et ces inoculations furent faites avec des ré- sidus d'urine qui venaient d'être desséchés, sans avoir subi les alternatives d'humidité et de sic- cité, qu'avait souffert le résidu qui me servit pour les premières. J'insiste sur ce détail, pour des raisons que j'expliquerai plus tard. Parmi ces 532 inoculés se trouvent compris 362 soldats de ceux qui composent la garnison de Veracruz, et dix-huit de plus que j'ai inocu- 271 lés à Mexico le dix Mai, ce qui forme un total de 380, lesquels n'étant pas nés dans ces localités là, ou n'ayant jamais eu la fièvre jaune, étaient exposés à la contagion de l'épidémie qui com- mençait à se développer. Ce groupe formé par les 380 soldats de la garnison de Veracruz, est le plus important pour notre étude: l9 pour avoir été inoculés quand l'épidémie de Veracruz commençait à se développer, et parce qu'ils étaient obligés de la passer dans le dit port; 29 parce que leur nom- bre était assez considérable, et cle plus ils vi- vaient dans les mêmes conditions higiéniques; et comme ils puovaient être surveillés à tout mo- ment, les résultats devaient être nécessairement plus certains; et 39 parce qu'on pouvait établir une comparaison entre ce groupe d'inoculés, et les forçats qui ne le furent pas. On doit se rappeler que les épidémies de la fièvre jaune à Veracruz, lorqu'elles atteignent un certain degré d'intensité, comme celle que nous venons de passer, font beaucoup de rava- ges parmi les militaires, et il n'est pas rare de voir, dans de pareilles circonstances, que la moitié ou les deux tiers de la garnison en soient attaqués. Il y a eu même des cas, dans les an- nées où l'épidémie a été très-forte, que tout un Bataillon, a été atteint, dans sa totalité. Je dois aussi faire savoir, qu'en fait cle chif- 272 fres, tous les renseignements que je vais donner, sont ceux qui ont été reçus officiellement par le Ministère de la Guerre, et que ces renseigne- ments ont été recueillis à Veracruz, par des mé- decins qui ne se sont pas montrés, tant s'en faut, partisans de la doctrine des inoculations. En ou- tre, je n'ai jamais discuté le diagnostic, et ayant confiance clans la loyauté et bonne foi de mes confrères, j'ai accepté sans hésitation tous les cas de fièvre jaune, qui ont été jugés comme tels. Je citerai nominalement les personnes atta- quées, parce que je veux que tout le monde soit convaincu que je ne cache aucun malheur, étant persuadé comme je le suis, que tromper les au- tres, c'est vouloir se tromper soi-même, et qu'en matière d'observation, la supercherie ne peut durer longtemps. Le Tableau num. 1 fait voir quel était l'état sanitaire de la Veracruz (sous le rapport de la fièvre jaune) avant de faire les inoculations: 273 T-A-BIjEJ^TJ IsTTJDVC. 1. Hôpital militar........... Id. Civil, S. Sébastian. Id. Civil, Loreto.......... Total.... On voit par ce Tableau: l9 que dans les cinq premiers mois de cette année-ci, les cas de fiè- vre jaune ne manquèrent pas; 2° que l'Hôpital Militaire était celui qui donnait, un plus grand contingent, puisque dans tous les mois il y a eu des entrées; qu'après le mois cle Jan- vier, l'épidémie resta presque stationnaire jus- qu'au mois de Mai, dans lequel le nombre des entrées s'éleva brusquement; 39 que clans les Hôpitaux Civils, il y eut à peine d'entrées les quatre premiers mois, mais qu'au mois de Mai, il y en eut dans les deux. Le mois de Mai, pendant lequel l'épidémie commença à augmenter, fut le moment choi- si pour faire les inoculations à Orizaba. Il faut remarquer, que la ^troupe commença à monter à partir du 19 du même mois, par pe- tits groupes, s'éloignant de cette façon du fo- yer de l'infection. Les inoculations terminé- Janvier. PÉTKIEB. Mars. Avril. Mai. W R K c a c K a (S s 12 0 1 4 0 1 4 0 0 3 0 0 C 0 0 5 0 0 4 0 2 4 0 2 31 6 2 15 1 0 13 5 4 3 6 5 6 6 39 16 274 rent le 31 Mai, excepté un groupe d'artilleurs qui fut inoculé le 6 Juin, et un autre le 12 du même mois. Quelque petit que soit le nombre de jours pendant lesquels chaque groupe s'est trouvé séparé du foyer d'infection, il est évident que le nombre d'attaqués au mois cle Mai, fut tou- jours moindre qu'il n'eût été si leur séjour à Ve- racruz eût été permanent; considérant surtout que les inoculations durèrent 12 jours, ce qui équivaut à peu près à la moitié du mois. J'in- siste sur cette circonstance, parce que nous allons établir la comparaison, entre le nombre des at- taqués qu'il y eut pendant le mois cle Mai par- mi les soldats de la garnison, et les forçats non acclimatés. Des 31 entrées qu'il y eut au mois cle Mai à l'Hôpital Militaire, 16 ont été des forçats, et 15 militaires; mais deux autres de ces derniers fu- rent attaqués à Orizaba, ayant porté le germe de Veracruz. De façon qu'il y eut au mois cle Mai 17 soldats attaqués et 16 forçats. Il est presque certain, que si la troupe no s'était pas éloignée de Veracruz, il y aurait eu un plus grand nom- bre de malades. Fin Mai, il restait 173 forçats non acclimatés et non inoculés, que nous allons comparer avec 380 soldats, non acclimatés, mais déjà inoculés. La proportion est donc de 2.2 des seconds pour 1 des premiers. 275 L'épidémie fut peu intense [dans les quatre premiers mois de l'année, mais'déjà au mois de Mai il y eut huit entrées dans les Hôpitaux Ci- vils, et comme nous verrons plus loin, l'épidé- mie devint beaucoup plus intense dans les mois suivants. Le tableau N9 2 fait voir le nombre d'atta- qués et de morts, pendant toute l'épidémie, ex- pliquant avec soin le nombre des inoculés. TABLEATJ ICTTTIM:. 2. Juin........ Juillet....., Août....... Septembre Octobre..... - En étudiant ce tableau on voit immédiate- ment, que des 173 forçats non inoculés, furent attaqués 72, pendant les 5 mois dans lesquels l'épidémie a été plus intense; c'est-à-dire un peu moins de 42 pour cent; tandis que des 380 soldats inoculés, il n'eut que 26, ou un peu moins HOPITAL MILITAIRE. S. SÉBASTIEN. LORETO. Ville FORÇATS. INOCULÉS. i en ! •/ 'À ■il m \ ■n k° 't> »0> T3 T3 »1) CJ o >0J KZJ £3 S3 P H a w A W « ^ 18 8 5 3 13 6 8 3 6 18 13 11 6 58 36 16 6 20 19 10 8 41 29 9 6 30 9 0 0 10 5 10 8 0 0 276 de 7 pour cent. On voit, le plus, que dans les mois de Septembre et Octobre, il n'y eut de ma- lades dans ce dernier groupe, quoique l'épidé- mie continua avec assez de force. A la fin du mois de Juillet arrivèrent â Ve- racruz 174 soldats, non inoculés, provenant de Tabasco en grande partie, lesquels furent im- • médiatement influencés d'une façon intense; de sorte qu'au mois d'Août 17 de ces soldats fu- rent attaqués par la fièvre jaune; et en addition- nant ces 17 avec les 19 forçats, et les dix ino- culés, cela fait 46 attaqués: total des entrées à l'Hôpital Militaire. Au mois cle Septembre il y eut 21 attaqués parmi les soldats nou- vellement arrivés, lesquels ajoutés aux 9 for- çats, qui sont notés dans le tableau n9 2, font un total de 30 entrées, qui furent celles qu'il y eut à l'Hôpital Militaire, dans le dit mois de Septempre. En Octobre, il y eut 8 forçats at- teints, et 18 soldats des nouveaux venus, ce qui fait un total de vingt-six entrées, En Septembre et en Octobre, il n'y eut aucun inoculé attaqué par le vomito noir. Il ne m'a pas été possible de dilucider, quel fut le nombre des forçats morts au mois d'Août, de Septembre et d'Octobre; parce que dans les documents reçus on parle de la totalité des for- çats et des soldats non inoculés morts clans les différents mois; mais sans particulariser le nom- 277 bre respectif cle chacun d'eux. Au mois d'Août, il eut 12 morts entre prisonniers et soldats non inoculés lesquels unis aux 8 inoculés morts qui figurent dans le Tableau, font un total de 20 morts pour le mois d'Août. Au mois de Sep- tembre 23 personnes moururent, entre forçats et soldats non inoculés; mais j'ignore quel fut le nombre des premiers, et celui des seconds. En Octobre il eut 13 décès, contre 26 entrées. De tous ces renseignements il resuite: l9 que des 380 inoculés il y eut 26 attaqués et 17 morts, dans les mois de Juin, Juillet et Août; 29 qu'en Septembre et Octobre il n'y eut aucun inoculé attaqué par le vomito, malgré que l'épidémie frappait bon nombre de victimes parmi les non- inoculés. Si nous comparons ces résultats, avec ceux qu'il y a eu chez les 173 forçats non-inoculés, nous verrons qu'ayant eu parmi eux 72 atta- qués, il est facile d'établir une proportion, di- sant: si 173 donnèrent 72 malades, combien don- neraient 380. Le nombre des attaqués devrait avoir été de 158; il n'y a eu que 26; il s'ensuit que l'inoculation a évité 132 cas cle fièvre jaune, d'une gravité telle, qu'à peu près le 50 pour cent des malades en mourait. Considérons les choses d'une autre façon, et comparons les résultats obtenus parmi les sol- dats inoculés, avec l'intensité de l'épidémie par- 278 mi la population civile, au milieu de laquelle demeurera troupe; et déduisons de cette compa- raison, quels sont les avantages de notre métho- de prophylactique. Nous connaissons déjà le nombre des attaqués et des morts, qu'il y a eu au mois de Mai, avant l'inoculation; tant clans les Hôpitaux Civils, que dans le Militaire. Si nous prenons corne unité, le nombre des attaqués et des morts dans ce mois, nous pourrons facilemente établir le rap- port entre les résultats qu'il y a eu, au mois de Mai, et ceux qu'il y a eu dans les mois suivants, et de cette façon déduire le nombre de soldats qui auraient dû être attaqués. Eh! bien, dans le mois de Mai, pendant le- quel les soldats s'éloignèrent quelques jours de la ville, il y eut parmi eux 17 malades de vomito, et 8 morts; tandis que dans le même mois il y eut dans les Hôpitaux Civils 8 entrées et 3 décès. Les soldats qui pendant tout le mois de Mai, donnèrent un contingent de 17 attaqués furent les 380 qui à la fin du mois furent inoculés, plus les 17 qui furent atteints clans le même mois, c'est-à-dire 397 hommes. De sorte que la pro- portion cle 17 malades pour 397 individus, sus- ceptibles d'être attaqués par le vomito, sera celle qui nous représentera l'intensité cle l'épi- démie, pour la troupe, au mois de Mai. 279 ^ous savons d'un autre côté, que clans le mê- me mois 8 personnes entrèrent clans les Hôpi- taux Civils, malades de la fièvre jaune, et que trois d'entre elles moururent. Voyons maintenant ce qui s'est passé dans les Hôpitaux Civils pendant les mois suivants, et déduisons de ceci, ce qui aurait dû arriver par- mi les soldats, s'ils n'avaient pas été inoculés. Au mois cle Juin, 21 attaqués cle la fièvre jaune entrèrent aux Hôpitaux S. Sébastien et Loreto, et neuf d'entre eux moururent; il résulte de ceci, que la proportion entre le nombre des attaqués en Juin, comparée avec celle des atta- qués en Mai, est comme 2, 6 à 1; et que la mortalité a été de 43 pour cent. Or, les sol- dats qui au commencement de ce mois, étaient aptes à recevoir le poison de la fièvre jaune, étaient au nombre cle 380 lesquels venaient d'ê- tre inoculés, et cpii auraient dû donner un con- tingent de 16 attaqués, si l'intensité de l'épidé- mie eût continué comme au mois de Mai. Mais comme au mois de Juin, selon ce que nous ve- nons de voir, la maladie augmenta parmi la population, dans la proportion de 2, 6 à 1, il en résulte, qu'il y aurait dû avoir 42 soldats atteints si ceux-ci n'avaient pas été inoculés. Et comme dans ce mois-ci, la mortalité fut de 43 pour cent, il est évident, qu'il y aurait dû avoir 18 morts sur 42 attaqués. 280 Au mois de Juillet, il devait rester 338 sol- dats susceptibles d'être attaqués par la fièvre jaune, et ces 338 hommes, auraient fourni 14 malades, si l'intensité épidémique eût continué comme au mois de Mai; mais comme au mois de Juillet, il y eut dans les Hôpitaux Civils, 74 attaqués et 42 morts, il en résulte que la pro- portion des attaqués dans ce mois, comparée à celle du mois de Mai, fut comme 9, 25 à 1, et la mortalité fut cle 56.75 pour cent. Faisant les cal- culs nécessaires, il résulte qu'au mois de Juillet, il y aurait dû avoir 129 attacpiés et 76 morts parmi les inoculés. Pour le mois d'Août nous aurions les don- nées suivantes: 1°, il serait resté 209 soldats susceptibles d'être atteints par la fièvre jaune, et si l'intensité de l'épidémie eût été celle du mois cle Mai, il aurait dû y avoir 9 soldats atta- qués; mais comme pendant le mois d'Août, il y eut 50 attaqués dans les Hôpitaux Civils et 35 morts, il en resuite que l'intensité de l'épi- démie clans ce moi-ci, comparée à celle du mois cle Mai, est dans la proportion de 6.25 à 1, et la mortalité cle 70 pour cent. Les proportions faites, il résulte que les 209 soldats susceptibles d'être atteints, auraient donné 56 malades, et 39 morts. De la même façon, nous pourrions continuer à calculer le nombre cle soldats qui auraient dû 281 être attaqués, aux mois de Septembre et d'Oc- tobre; mais comme il m'a été impossible de sa- voir le nombre des entrées dans ces derniers mois aux Hôpitaux Civils, je n'ai pas les don- nées nécessaires pour continuer mes calculs. Heureusement, je n'ai besoin de rien de plus pour atteindre mon but, et je veux mettre de côté le nombre d'attaqués, qu'il a dû y avoir dans ces deux derniers mois. Il suffit de savoir, que le total de ceux qui durent être attaqués aux mois de Juin, Juillet et Août atteint le chiffre de 227, pour faire voir tous les avan- tages cle l'inoculation. Effectivement n'ayant eu que 26 malades, il en résulte que le moyen pro- phylactique a évité un peu plus de 200 cas de fièvre jaune. On pourrait m'objecter que mes calculs ex- posés jusqu'ici, ne sont pas entièrement rigou- reux; puisqu'en comparant les soldats atta- qués avec les prisonniers, ou avec la population civile, je mets en parallèle, des groupes de personnes placées clans cle très-différentes con- ditions hygiéniques. Cette observation serait juste si les différences obtenues eussent été in- signifiantes; mais comme le nombre des mala- des parmi les inoculés afété si restreint, il n'est pas possible de douter que l'inoculation n'ait eu une grande part dans les résultats avanta- geux obtenus. D'un autre côté, en comparant 282 les soldats avec les forçats, on pourrait bien croire que les conditions hygiéniques dans les- quelles vivent les seconds, pourraient avoir in- flué pour augmenter le nombre relatif des atteints; mais en compensation, si nous compa- rons la garnison avec la population civile, il est clair que les avantages sont en faveur de cette dernière, puisque les conditions hygiéni- ques dans lesquelles vivent les militaires sont évidemment pires, que celles dont jouit la po- pulation civile. Je veux cependant supposer que mes calculs antérieurs soient totalement inexacts; il me res- te encore cle grandes ressources pour démontrer, d'une manière incontestable, l'efficacité de l'ino- culation. Il est évident que l'intensité de l'épidémie commença au mois de Mai, et que celle-ci s'ac- crut d'une manière évidente dans les mois de Juin, de Juillet, d'Août et de Septembre. Il est aussi indubitable, que le groupe de soldats, que nous étudions, a fourni 17 attaqués au mois de Mai, avant d'être inoculés. On ne pourra pas me nier non-plus, que si les soldats ne s'étaient éloignés de la Veracruz dans le mois de Mai, le nombre des attaquép aurait été supérieur à 17. Par conséquent, personne ne me reproche- ra d'être exagéré, si je suppose, que sans l'ino- culation, il aurait dû y avoir pour le moins, ces 283 mêmes 17 attaqués, dans les mois suivants, pendant lesquels il est évident que l'épidémie augmenta d'intensité. Or, même en supposant des nombres aussi réduits, il résulterait que dans les cinq mois compris entre le mois de Juin et celui d'Octobre, il aurait dû y avoir 85 attaqués, au lieu cle 26. Les avantages de l'ino- culation sont donc indéniables. Heureusement pour moi, à la fin cle Juillet, la garnison de Veracruz s'augmenta de 174 sol- dats, venant la plupart cle Tabasco et n'étant ni inoculés ni acclimatés. Cette fois-ci les condi- tions ne pouvaient être plus analogues; deux groupes de soldats, vivant dans des conditions hygiéniques tout à fait identiques; les uns ino- culés, les autres ne l'étant pas. Il y avait mê- me la circonstance de ce que ces soldats venaient d'un endroit de la côte et non des lieux élevés; éloignant ainsi l'idée cle ce que les personnes nouvellement arrivées aux endroits infectés, sont attaquées de préférence à celles qui les ont déjà habités quelque temps. L'égalité ne pou- vait pas être plus parfaite, et par conséquent les avantages obtenus clans le groupe des ino- culés, ne peuvent être attribués qu'à l'inocu- lation. Eh! bien, parmi les soldats venus de Tabas- co il y eut plus du 32 pour cent d'attaqués en trois mois; tandis que parmi les 380 inoculés, il 284 y en eut moins du 7 pour cent en cinq mois. Si afin d'être plus exacts, nous comparons les 56 attaqués, qui dans les mois d'Août, Septem- bre et Octobre furent fournis par les 174 non- inoculés, avec les 10 cas, que clans le même temps, il y a eu parmi les 364 inoculés capa- bles, à cette date, d'être influencés par le poi- son amaril, puisque les 16 restants l'avaient déjà été; nous trouverons, que tandis que parmi les non-inoculés, il y eut plus de 32 pour cent de malades, parmi les inoculés il n'y en eut qu'un peu moins de 3 pour cent. Après un tel fait, il n'y a plus d'objection possible, et l'on constate d'une façon évidente, le pouvoir prophylactique des inoculations pré- ventives. Avant d'abandonner ce sujet, je vais citer textuellement les noms des attaqués et des morts, pour montrer que je ne supprime aucun cas malheureux. Au mois cle Juin furent at- teints Rafaël Martinez, qui guérit; Antonio Mendez, décédé: Leandro Hernandez, décédé; Isidro Isaac, décédé; Abundio Mendez. guéri; total 3 morts et 2 guéris. Au mois de Juillet. Gumesindo Sanchez, décédé; Feliciano Sanchez, décédé; Antonio Yaîïez, guéri; Juan Zavala, décédé; Silvestre Balderas, guéri; Ladislao Montes, décédé; Félix Rebolledo, décédé; Juan Rodriguez, décédé; Vidal Elizondo, était encore 285 malade au commencement d'Août; Félix Es- pinosa et Crescendo Pelcastre, restèrent aussi malades jusqu'au mois suivant; total 6 morts, 2 guéris, 3 malades. Au mois d'Août mouru- rent, Vidal Elizondo et Félix Espinosa; Crescen- do Pelcastre, guérit. Furent attaqués pendant le mois d'Août, Socorro Arroyo, décédé; Teo- clulo Gutierrez, guéri; Dionisio Zarco, décédé; Mateo cle Anda, guéri; Manuel Ramirez, décé- dé; Andres Ramirez, guéri; Guillermo Lopez, décédé; Albino Garcia, guéri; Feliciano Rojas, décédé; Secundino Sollo, décédé. Total général 26 attaqués, 17 morts, et 9 guéris. Lorsqu'au mois de Juin, j'appris que quel- ques-uns de mes inoculés étaient attaqués par la fièvre jaune, je me suis demandé si les insuc- cès ne seraient peut-être pas dus à ce que par la simple évaporation des urines, l'albumine restait dans les résidus, conglomérait les zoos- pores, et les rendait lourdes et peu mobiles. Dans cet état, il se pouvait bien, que quelques- uns des inoculés n'aient pas reçu la quantité suffisante de microbes pour la saturation par- faite de l'économie. Justement clans ces jours là, je devais inoculer 78 soldats qui partaient pour Acayucan, et je résolus cle contrôler les résul- tats des inoculations faites avec les résidus, tels que je les avais préparés jusqu'alors; et à cet effet, je fis inoculer les 78 soldats, par le Dr. * 286 Mondragon, avec des préparations semblables à celles qu'on avait emploj'-ées dans les inocu- lations faites à Orizaba. Quatre jours, après, nous avons étudié, au microscope, le sang de quelques-uns de ces soldats; et nous avons cons- taté, que la quantité des zoospores était d'autant plus grande, que l'individu avait reçu les der- nières portions du liquide virulent. Ainsi dans le sang des premiers inoculés à peine si on vo- yait quelques zoospores; tandis que dans celui des derniers il y en avait en quantité considé- rable. Le résultat de cette expérience fait voir, que les 26 insuccès ont été probablement dûs, à ce que tous les soldats inoculés n'ont pas reçu la quantité cle zoospores nécessaire pour saturer l'économie; et en conséquence il faut recom- mander de remuer le liquide virulent dans cha- que inoculation, on bien d'enlever l'albumine, au moyen de la chaleur ou de l'alcool, avant d'évaporer les urines. Sachant que les zoospores ne sont pas altérées, ni par l'alcool, ni par la température cle la coa- gulation de l'albumine, je n'ai pas hésité à soumettre l'urine à la température de 76° cen- tigrades, et après refroidissement je l'ai filtrée et l'ai abandonée à l'évaporation spontanée. Par ce procédé, on perd sans doute quelques microbes, qui restent retenus dans le précipité f 287 albumineux; mais en compensation ceux qu'on obtient jouissent d'une plus grande mobilité, et il en reste peu cle conglomérés. Avec les zoospores obtenues par la nouvelle méthode, je fis réinoculer les 78 soldats qui de- vaient partir pour Acayucan, et je recommandai que les liquides fussent plus chargés de zoospo- res. De ces 78 soldats, 2 demeurèrent à Mexi- co, et les 76 restants descendirent à Veracruz au mois de Juillet, pour se rendre à Acayucan. Aux 76 inoculés se joignit Francisco Gonzalez, qui partit sans être inoculé. Us restèrent à Ve- racruz six jours, et malgré que dans ce mois l'épidémie fût très-intense et malgré que ces soldats descendissent à la côte pour la première fois, aucun d'entre eux ne fut attaqué par le vo- mito. L'un d'eux mourut de péritonite, d'après ce que m'a écrit le Docteur Palazuelos. A leur arrivée à Acayucan, Francisco Gonzalez, le seul non-inoculé, se trouvait malade cle vomito, et mourut peu cle jours après. Tous les autres se sont conservés en parfaite santé. J'ai raconté ce fait avec détail, parce qu'il me semble très significatif, que cle 77 person- nes placées dans les mêmes conditions hygiéni- ques, et exposées aux mêmes influences morbi- des, il n'y en ait eu qu'une d'attaquée par le vomito, et que celle-ci ait été précisément celle qui n'était pas inoculée. 288 Du Bataillon n9 2, on a inoculé environ 500 hommes, et 100 d'entre-eux ont été envoyés à la côte de Sotavento. Aucun d'eux n'a été atta- qué, jusqu'à présent, par le vomito noir. De tout ce que j'ai dit jusqu'ici, on peut dé- duire, que des inoculations faites jusqu'à pré- sent, on a obtenu de grands avantages. Elles ontcliminué d'unemanière très-évidente le nom- bre des attaqués par la fièvre jaune, et par con- séquent la mortalité de la garnison. Il faut espérer qu'en améliorant les procédés des ino- culations les résultats ne laisseront rien à dé- sirer. Qu'il me soit permis, avant de finir, de sou- mettre une nouvelle idée, qui peut-être ne man- que pas de fondement. La plupart des inoculés, éprouvent, peu d'heures après l'inoculation, un mouvement fé- brile plus ou moins intense, qui parfois arrive à 39°, et dans quelques cas jusqu'à 40°. Ce mou- vement fébrile dure de 24 à 48 heures, et ensuite disparaît complètement, La réaction fébrile, sera-t-elle nécessaire pour la parfaite préser- vation? Ainsi semble le prouver le fait observé dans les réinoculations. Dans ces cas le mouve- ment fébrile a fait défaut complètement chez la plupart des réinoculés; tandis que ceux qui ne l'ont pas eu dans la première inoculation, l'es- suyèrent dans la seconde. 289 Si l'expérience vient à démontrer que cette fièvre soit nécessaire pour la préservation com- plète, il serait imprudent cle permettre le séjour dans les côtes, aux personnes qui ne l'ont pas éprouvée; de la même manière qu'il serait im- prudent d'abandonner dans un endroit infecté par la petite vérole épidémiquc, les individus qui ayant été vaccinés, n'auraient cependant ressenti aucun des effets du vaccin? Il est très-possible, que quoique le système d'inoculation contre la fièvre jaune soit arrivé à son dernier degré de perfection, il y ait en- core quelques inoculés qui soient victimes de cette terrible endémie. Nous voyons la même chose tous les jours avec le vaccin et la petite vérole, et il n'est pas juste cle demander davan- tage aux autres systèmes d'inoculation. J'ai exposé en peu de mots, le résultat avan- tageux cle ce premier essai. Je ne suppose pas, que ce qui a été fait jusqu'ici, soit suffisant pour que la science admette d'une manière définitive la méthode prophylactique que je propose; mais je crois que les résultats sont assez significatifs pour animer les praticiens, et pour qu'une sta- tistique faite sur une plus grande échelle vienne décider la question. Si mes doctrines se réali- sent, je me considérerais fort heureux, d'avoir fourni à l'humanité, la manière d'éviter l'un des plus terribles fléaux, qui l'aient jamais affligée. COLORATION DE LA ZOOSPOEE. Avant cle terminer, je veux m'arrêter un ins- tant pour exposer en quelques mots ce que j'ai vu sur la coloration de la zoospore. Cette ques- tion est très importante, surtout aujourd'hui qu'elle est le moyen auquel on a généralement recours pour démontrer la présence du microbe dans presque tous les cas de maladies parasi- taires. Depuis longtemps déjà, les histologistes ont employé l'action de certains réactifs pour dé- couvrir des éléments déterminés et la science a fait cle grands progrès grâce à ces moyens de recherche. Nous reconnaissons facilement la dé- générescence amyloïdée cle certains tissus par la coloration obtenue avec la teinture d'iode. La coloration noire produite par le nitrate d'argent sur certains tissus a démontré la présence de l'épithélium qui tapisse les vésicules pulmonai- 292 res. La propriété qu'a la graisse de devenir noire sous l'action de l'acide osmique a servi à faire connaître l'époque du développement et les conditions que possède le faisceau pyrami- dal de la moelle épinière avec la couronne ra- yonnante dans le cerveau, etc., etc., mais les histologistes se sont beaucoup occupé, surtout dans ces derniers temps, cle la propriété qu'ont les sels d'aniline cle colorer les schizomycètes qui conservent leur coloration même après avoir été lavés clans l'alcool ou clans l'acide nitrique di- lué. C'est ainsi que l'on obtient de très belles préparations dans lesquelles on peut voir tantôt les microbes colorés d'une certaine manière au milieu des tissus incolores, tantôt les microbes d'une certaine couleur clans les tissus qui ont une coloration différente. Les préparations sont admirables et le con- traste des couleurs fait apparaître les microbes sous leurs formes particulières et nettement dé- tachés du reste des tissus. C'est ainsi que l'on a étudié les microbes de la tuberculeuse, de la pneumonie, de la diphtérie, de la fièvre typhoï- de, de la syphilis, etc., etc. Au commencement de mes études, j'ai essay- de colorer la zoospore cle la fièvre jaune et jus- qu'à présent, je n'ai pu y réussir. La teinture d'iode ne produit aucun changement sur ces organismes et si la solution iodée est aqueuse, 293 les zoospores y conservent tous leurs mouve- ments ainsi que je l'ai déjà dit. Le nitrate d'ar- gent (solution au 1 pg ) tue ces microbes et les désorganise sans les colorer convenablement: j'ai étudié avec beaucoup de soin l'action de l'acide osmique par l'aspect graisseux des zoos- pores développées aux dépens des sels de po- tasse, mais mes espérances ont été déçues car ces organismes ne sont pas devenus noirs, dans cet acide. Le picrocarminate d'ammoniaque colore les tissus en rouge, mais il ne produit rien sur les zoospores qui conservent leur cou- leur légèrement jaunâtre. J'ai déjà dit avoir rencontré, dans quelques préparations du foie et dans les rameaux de la veine-porte, de gros conglomérats de zoospores qui conservaient leur coloration propre. Dans quelques coupes du foie et des reins, on remarque clairement que clans les endroits où les microbes sont dissémi- nés en abondance, la coloration du picrocarmi- nate d'ammoniaque est peu remarquable et con- traste notablement avec la teinte foncée des tissus où il y a peu cle zoospores disséminées. Je n'ai pas réussi davantage à colorer ces or- ganismes par les anilines, je dois dire que j'ai employé de préférence le violet de méthyl B. J'ai soumis les zoospores à l'action cle cette ma- tière colorante, pendant un temps plus ou moins long (de une heure à trente-six heures), et je 294 n'ai jamais pu obtenir la coloration. Les zoos- pores avaient leurs mouvement libres dans ces solutions et conservaient leur coloration norma- le. J'ai employé les solutions à froid et à des températures plus ou moins élevées, jusqu'à l'ébullition dans quelques cas, et les résultats ont toujours été négatifs. En quelques cas, lors- que j'employais des solutions concentrées, il me semblait voir que la partie extérieure prenait la teinte de l'aniline, mais cette teinte dispa- raissait par la dessication et surtout si on sou- mettait les organismes à l'action de l'alcool. On peut remarquer encore que lorsque les zoospores restent dans les solutions pendant quelques heures, celles-ci se décolorent visible- ment et la teinte violette prend un ton rougeâ- tretrès perceptible. Si l'on examinait alors ces solutions au microscope, on pouvait voir que les zoospores s'y développaient, comme elles le font clans les sels de potasse et que de plus la décoloration cle la solution était proportionnée à la quantité de zoospores développées. Alors, j'ai pensé que peut-être Victéroïdine que contiennent les zoospores était ce qui dé- colorait et rougissait la solution du violet de méthyl, et pour éclaircir ce doute, j'ai pris un peu de Victéroïdine que j'avais obtenue par le procédé dont j'ai parlé dans mes leçons et je l'ai dissoute dans une petite quantité d'eau distillée. 295 J'ai mis dans cette dissolution de petites quantités de la solution du violet de méthyl et j'ai remarqué que les premières quantités se décoloraient complètement et que la teinte ne se conservait que lorsque la matière colorante était en excès. L'étude comparative faite sur une quantité égale d'eau distillée pure est ve- nue me convaincre du pouvoir décolorant de V ic- téroïdine. Il est donc démontré que les zoospores cle la fièvre jaune, qui sont évidemment chromogènes, ne peuvent être colorées par les moyens connus jusqu'à ce jour, et c'est probablement à ce détail que M. Babes doit de ne pas les avoir rencon- trées en abondance dans les préparations qu'il a faites avec différents organes provenant de morts de la fièvre jaune. Cette observateur, (VoirCor- nil et Babes—Les Bactéries 1885) a essayé de co- lorer ses coupes au moyen du violet de méthyl, et il n'a pu y voir que peu cle chose, puisque, ainsi que je l'ai démontré, cette aniline ne peut colorer les zoospores. En présence cle ces résultats, je répéterai qu'il est imprudent de vouloir enfermer la science dans des limites étroites. Il y a beaucoup d'ob- servateurs qui prétendent cultiver tous les mi- crobes pathogènes par le système Pasteur et qui refusent d'admettre leur existence si on ne les présente pas colorés comme les schizomycètes. 296 Et voici que le microbe de la fièvre jaune ne peut être cultivé par le système de Pasteur, ni coloré comme les schizomycètes. Quiconque veut se convaincre de ces vérités peut le faire en se procurant simplement un peu d'urine d'un malade de fièvre jaune. Après avoir coa- gulé l'albumine par la chaleur, on filtrera et on abandonnera ensuite l'urine à l'évapo- ration spontanée. On obtiendra ainsi des mil- liers cle milliers de zoospores avec lesquelles on pourra facilement contrôler ce que j'ai dit jusqu'ici. L'action cle Y hématoxiline sur les zoospores et sur Yictéroïdine est très curieuse et digne d'être connue. Si l'on met quelques zoospores dans une solution aqueuse d'hématoxiline, on remarque que ces organismes prennent une cou- leur bleue très obscure dont la teinte contraste notablement avec la couleur rouge de la solu- tion cle la matière colorante du bois cle Campê- che. Si on les examine alors au microscope, on s'aperçoit que le contenu jaunâtre conserve sa couleur normale, mais que la membrane d'en- veloppe a pris une teinte obscure qui fait voir plus nettement la zoospore et permet d'en mieux étudier les détails. Je fais les préparations cle la manière sui- vante: je mets quelques zoospores clans l'eau distillée et je les y abandonne pendant une ou 297 deux heures afin cle permettre aux conglomé- rats d'aller au fond du liquide. Alors, avec une baguette de verre, je prends une goutte des couches supérieures, je l'étends sur un verre couvre-objets et je l'y laisse jus- qu'à complète dessication. Je la passe ensuite légèrement au-dessus cle la flamme d'une lam- pe à esprit-de-vin et je la plonge pendant une demi-heure dans une solution aqueuse d'hé- matoxiline. Je la lave à l'eau distillée et je la monte à sec. Les microbes se décolorent et se perdent complètement dans le baume du Cana- da et dans la glycérine. Si l'on dissout un, peu d'ictéroïdine dans de l'eau distillée et si l'on traite ce liquide par une solution aqueuse d'hématoxiline, on remarque que la couleur rouge de Y hématoxiline disparaît immédiatement et qu'il se forme un précipité bleu-obscur caractéristique. Si l'on prend ce précipité avec les doigts, ceux-ci se teignent d'une couleur obscure semblable à celle de l'en- cre, et la tache s'enlève difficilement. Ces résultats m'ont fait concevoir l'espérance d'obtenir un réactif facile pour reconnaître une urine provenant d'un malade cle fièvre jaune. Cependant, l'expérience m'a fait voir qu'en trai- tant simplement l'urine par Y hématoxiline, on n'obtient pas la coloration bleue. Si l'urine est acide, la solution aqueuse se décolore; si elle 298 est alcaline, la teinte rougeâtre augmente en proportion de la quantité d'alcali développée dans le liquide excrémentiel. En neutralisant l'urine avec soin, on remarque que le liquide colorant ne change pas de couleur, mais qu'il s'étend simplement clans l'urine. Il est donc nécessaire de séparer Yictéroïdine ou d'évaporer l'urine jusqu'à complète dessica- tion pour pouvoir obtenir la réaction caracté- ristique soit avec Yictéroïdine, soit avec les zoospores. De toutes manières, cette réaction vient démontrer la vérité cle ce que nous avions déjà dit auparavant: que la matière qui colore en jaune les malades de vomito vient des zoos- pores qui se généralisent dans l'économie. Le précipité bleu-obscur qui s'obtient en traitant Y ictéroïdine par Y hématoxiline ne se mo- difie pas avec les alcalis et cette couleur ne change ni par l'action cle la potasse, ni par celle de la soude ou de l'ammoniaque. Ce résultat fait supposer que les alcalis ne séparent pas Y hématoxiline de sa combinaison, parcequedans ce cas apparaîtrait la teinte rouge qui, sous l'influence des alcalis, prend la matière coloran- te du bois de Campêche. En traitant ce précipité par l'acide acétique ou par l'acide nitrique, on remarque clans les deux cas que la teinte bleue s'affaiblit jusqu'à disparaître complètement. Si ensuite on ajoute 299 une plus grande quantité d'acide, il apparaît alors une nouvelle coloration qui est jaune d'or, si l'on a employé l'acide acétique, et pourpre foncé, si l'on a fait usage de l'acide nitrique. Il semble donc que ces acides mettent Y héma- toxiline en liberté, et qu'une fois libre, ils la co- lorent comme ils le font lorsque la solution aqueuse est traitée par l'un d'eux. La coloration obscure reparaît quand on neu- tralise les acides par la potasse, la soude ou l'ammoniaque. Si on traite une urine, venant d'un malade de fièvre jaune, avec de l'alcool à 80° et on ajou- te ensuite une solution aqueuse d'hématoxiline, on observe immédiatement un précipité blan- châtre qui défient foncé à fur et à mesure que le temps s'écoule, et qui au bout de 48 heures a déjà la couleur bleu obscure caractéristique de l'action de Y hématoxiline sur l'ictéroïdine. Voici un réactif qui peut servir pour le diag- nostique de la fièvre jaune. Cette étude peut être encore très féconde en résultats importants et je me propose de m'v nttacher très sérieusement. \ « Oz Pv ^ Phot. N? 4. _J \ v \ PHOTOGRAPHIE N? 4. Fièvre jaune. 1,000 Diamètres. Zoospores mobiles. PHOTOGRAPHIE N? 5. Fièvre jaune. 500 Diamètres. Spores.—Couleur jaune. Photograph 5-6 missing. PHOTOGRAPHIE N? 6. Fièvre jaune. Mucédinée qui se développe dans le sang des malades de fièvre jaune.—500 Diamètres. S.—Sang. M. M.—Mycélium. F.—Fructification. § v> • u Q 9 nu. N°2. LAM?1. N°3. N?4. Aumenîo 340 diamelros. PLANCHE 1. PERONOSPOREE. 340 Diamètres. Reseau du mycélium. M.—Mycélium. R.—Tube du mycélium de couleur rouge. n? 2. Fructification. D. D. D.—Dilatations terminales de quelques tubes du mycé- lium. 0.—Oogone en voie de développement. N? 3. Oogones. M.—Tube du mycélium. 0' 0/—Oogones en croissance. 0//—Oogone mûr. n? 4. Éléments de la peronosporee auxquels on a ajouté une goutte d'eau. M. M.—Tubes du mycélium. 0. r )ogones desquels se sont détachés un plus ou moins grand no . ■ zoosporanges. Z: ^. Z.- -^oc-nranges conttenant des zoospores. Z. Z. Z.- spores qui, sous l'inffluence de l'eau, sont sorties des sacs. K.—Corps ressemblant à l'aventurine. ) N? 5. Une goutte des sédiments d'une urine provenant d'un malade de fièvre jaune. M.—Tube du mycélium. Z. Z. Z.—Zoospores. Z.—Sac d'un zoosporange. E. E. E.—Spores provenant de l'accouplement de deux zoo- spores. 11. R. R.—Corps ressemblant à l'aventurine. Coloration noire des éléments du champignon vieillis. si. N". N.—Oogones vieillis. o o LAMa2. 925,00. 925,00. N?4 N°b. PLANCHE 2. MUCÉDINÉE. X? 1. Sédiments d'urine d'un malade de fièvre jauae. Z. Z.—Zoospores en voie d'accouplement et de différents gran- deurs. E.—Spores de la peronosporee. n? 2. Spores de la peronosporee en voie de germination. E. E.—Spores. M. M.—Tubes du mycélium. x? 3. Mucédinée développée dans les sédiments des urines. E. E.—Spores de la peronosporee. M. M.—Mycélium. Em. Em.—Fructification de la mucédinée. x? 4. Manière de se faire la sporification de la mucédinée. x? 5. Mucédinée qui se développe dans le sang des malades de fièvre jaune. S.—Sang. M.—Mycélium. Em.—Spores de la mucédinée. i 6 I. : -m--: rv«, S 1 '•*, s>^*t f