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LESUEUR, Docteur en Médecine, agrégé près la Faculté de Médecine de Paris , etc. OUVRAGE ORNÉ DE CINQ PLANCHES , «ONT QUATRE COLORIEti. TOME PREMIER PÀRI89 BÉCHET JEUNE, LIBRAIRE DE LA FACULTE DE MEDECIN*., RUE T>E 1,'ÉCOLF. DE MEDECINE, N° i{. BRUXELLES , AU DtPÔT DE LA LIBRAIRIE MEDICALE FRANÇAISE , AND LONDON, A. ALEXANDRE, IMPORTER OF TRENCH MEDICAL SC1ENT1FIC AND L1TERART WORK* , 3;, GreatRusscll street, Bloomshury. __ 1831. 1 VA/ 600 06 li f83f ty ':,v\ ai- n TRAITÉ DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. Le mot exhumation, composé de ex, de, et de humus, terre, sert à désigner l'extraction d'un cadavre de sa sépulture. L'exhumation est dite juridique quand elle est ordonnée par un magistrat, dans le dessein de dé- couvrir la cause de la mort d'un individu inhumé de« puis un temps plus ou moins long. Ce sujet qui intéresse tant la médecine et les tribunaux, fera spécialement l'objet de notre travail ; nous ne croyons devoir nous occuper de la translation des cadavres d'une sépulture dans une autre, et de l'évacuation des cimetières et des caves sépulcrales, que d'une manière accessoire, et sous le rapport de l'hygiène publique. Voici le plan que nous nous proposons de suivre dans cet ouvrage, qui sera divisé en trois sections : Ire Section. — Législation relative aux exhumations i 2 TRAITE juridiques. — Dangers dont elles peuvent être accom- pagnées. — Manière de les faire, et précautions à pren- dre pour éviter ces dangers. IIe SecttoxN. —Changemens physiques éprouvés par les organes aux diverses époques où l'examen des ca- davres peut être ordonné, soit que les corps aient été déposés dans la terre, dans l'eau , dans les fosses d'ai- sance ou dans le fumier (i). IIIe Section. — Application à la médecine légale. — Utilité des exhumations pour éclairer les questions re- latives à l'empoisonnement, aux blessures, à l'infanti- cide, à l'appréciation du sexe, de l'âge, de la taille, et à tout .ce qui se rapporte à l'identité , etc. — Réfutation des auteurs qui ont considéré les exhumations juri- diques , non - seulement comme inutiles , mais encore comme pouvant induire quelquefois les experts en er- reur. (i) Nous savons bien que le mot exhumation n'est plus applicable à des cadavres que l'on retire de l'eau, des fosses d'aisance ou du fumier; mais comme souvent les magistrats consultent les gens de l'art sur la cause de la mort d'individus dont les cadavres sont restés plus ou moins de temps dans ces milieux, nous avons pensé que notre travail serait d'une uti- lité plus générale, si nous comparions l'état de ces corps à celui des cadavres qui se pourrissent dans la terre. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3 SECTION PREMIÈRE. De la législation relative aux exhumations juridiques ; des dangers dont elles peuvent être accompagnées , et des pré- cautions à prendre pour éviter ces dangers. ARTICLE PREMIER. Législation relative aux exhumations juridiques. Le législateur a prévu avec raison le cas où , sans motif, les tombeaux ou les sépultures seraient violés* Voici le texte précis de l'art. 36o du Code pénal : « Sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an, et de seize francs à deux cents francs d'amende, qui- conque se sera rendu coupable de violation de tom- beaux ou de sépultures, sans préjudice des peines contre les crimes ou les délits qui seraient joints à celui-ci. » Les morts ne peuvent donc être extraits de leur de- meure que dans les cas où, dans l'intérêt de la société, les magistrats ordonnent leur exhumation pour mieux connaître les causes qui ont pu détruire la vie. Le désir i. 4 TRAITÉ d'apprécier la nature et l'étendue des lésions cadavé- riques pour éclairer le diagnostic, n'est pas un moti* suffisant, aux yeux de la loi, pour autoriser les gens de l'art à faire des recherches sur des corps déjà ensevelis; et si dans le travail qui fait l'objet de ce livre, il nous a été permis d'exhumer des cadavres qui étaient enterrés depuis plusieurs mois ou depuis plusieurs années, c'est que tous ces cadavres ont été inhumés par nous, et pris parmi ceux qui, n'étant réclamés par personne, sont livrés aux élèves pour les travaux anatomiques. Il n'a pas été difficile de faire comprendre à l'autorité que des corps qui n'étaient pas destinés à recevoir de sépulture, pouvaient, sans inconvénient, être déposés par nous dans la terre pour en être extraits plus tard et servir à des études qui ne seraient peut-être pas sans intérêt. ARTICLE II. Des dangers dont les exhumations peuvent être accompagnées, Les auteurs sont tellement remplis d'observations tendant à prouver combien il peut être nuisible à la santé d'exhumer des cadavres, qu'il serait difficile de ne pas reconnaître qu'au moins, dans certains cas, ces opérations peuvent être accompagnées de quelque dan- ger. Il nous semble cependant que les médecins qui ont écrit sur ce sujet ont singulièrement exagéré ces dan- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 5 gers, comme on pourra en juger par l'exposition des faits suivans : i°. On lit dans Ramazzini qu'un fossoyeur nommé Piston avait inhumé un jeune homme bien habillé et avec une chaussure neuve : quelques jours après, trou- vant, vers le midi, les portes du temple ouvertes, il alla à son tombeau, dérangea la pierre qui le fermait, y des- cendit , et, voulant ôter les souliers du cadavre, il tomba mort, et fut ainsi puni d'avoir violé ce lieu sacré. (Maladies des Artisans, p. 2o5, année 1777.) 20. Vicq-d'Azyr rapporte qu'à Riom en Auvergne on remua la terre d'un ancien cimetière dans le dessein d'embellir la ville. Peu de temps après, on vit naître une maladie épidémique qui enleva un grand nombre de personnes, particulièrement dans le peuple, et la mor- talité se fit surtout sentir aux environs du cimetière. Le même événement avait causé, six ans auparavant, une épidémie dans une petite ville de la même pro- vince, appelée Ambert. Une pareille suite de faits ne laisse aucun doute sur l'infection que peuvent causer les exhalaisons des cadavres. (Essais sur les lieux et les dangers des sépultures, p. 113.) 3°. On trouve encore dans le même auteur que Pennicher, dans son Traité sur les embaumemens, dit que la vapeur d'un tombeau causa à un malheureux fossoyeur une fièvre maligne. (Gockel, cent. 11, observ. 33.) On a vu un fait pareil à Rreslau en 1719. (Vicq-d'Azyr, ouvr. cité, p. 117.) 4°. D'après Haller, une église aurait été infectée par les exhalaisons d'un seul cadavre, douze ans après sa 6 TRAITÉ sépulture ; ce cadavre répandit une maladie très«dange- reuse dans un couvent entier. (Vicq-d'Azyr, ouvr. cite* p. 117.) 5°. Raulin raconte qu'en 1744 la vule de Lectoure fut affligée d'une maladie populaire qui fit périr près d'un tiers de ses habitans : on en attribua la cause à un vieux cimetière où l'on avait fait des travaux profonds* Il dit, à la page suivante, que plusieurs enfans jouaient avec le cadavre d'un pendu qui était mort depuis peu de mois ; le plus hardi d'entre eux frappa d'un coup de poing la poitrine nue de ce cadavre ; il en jaillit une liqueur si corrosive que celle qui toucha le bras de ce misérable enfant y fit une excoriation si terrible, qu'on eut de la peine d'empêcher que ce bras ne se gangre- nât. (Observations de médecine, par Joseph Raulin, p. 390, année 1754») 6°. En 1744 > tr°is hommes moururent dans le ca- veau d'une église de Montpellier; le quatrième ne dut son salut qu'à la fuite la plus prompte , et encore éprouva-t-il des vertiges, des lypothimies, etc., qui mi- rent sa vie en danger. Ses vetemens et toute sa personne exhalèrent pendant plusieurs jours une odeur cada- véreuse. (Haguenot, Mémoire lu à la société de Mont- pellier en décembre ij46-) 70. Un général de Carthage ayant fait ouvrir un lieu de sépulture, devant une petite ville de Sicile, pour y faire des retranchemens, la peste se mit dans son armée. (Navier, Réflexions sur les dangers des exhumations, année 1775, p. 9.) 8°. Un fossoyeur, creusant une fosse dans l'église de DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. n Saint-Alpin d'Amsterdam, y trouva un corps presque dans son entier, quoique inhumé depuis long-temps. 11 l'entama d'un coup de hoyau , et fut frappé sur-le- champ de l'odeur infecte de ce cadavre ; il tomba ma- lade et mourut dans les vingt-quatre heures. (Ibid., p. 20.) 90. On avait enlevé, pendant l'hiver de 1749 , tous les bancs de l'église de Saint-Eustache de'Paris, pour creuser et construire des caveaux. Les corps morts que l'on rencontra dans la fouille du terrain, furent exhumés et transférés pour la plupart derrière l'œuvre. Ceux qu'on devait enterrer dans l'église furent déposés dans un caveau particulier, situé sous les charniers, et ce caveau n'avait point été ouvert depuis fort long- temps. Le 7 mars suivant, les enfans qui étaient au ca- téchisme tombèrent presque tous en syncope ou en faiblesse dans le même temps. Le dimanche suivant, même accident arriva à une vingtaine d'enfans eî. autres personnes de tout âge. La semaine suivante, le même événement arriva à Sainte-Périne, d'où l'on avait ex- humé des cadavres pour y construire une manufacture de rubans, où l'on faisait travailler de jeunes filles. (Ibid., page 19, observation rapportée par Malouin.) io°. Le 20 avril 1773, on creusa à Saulieu , dans la nef de l'église de Saint-Saturnin, une fosse pour une femme morte de fièvre putride. Les fossoyeurs décou- vrirent le cercueil d'un corps enterré le 3 mars pré- cédent. En descendant dans la fosse le cadavre de la femme, la bière s'entr'ouvrit, ainsi que le cercueil dont on vient de parler, et il se répandit sur-le-champ une 8 TRAITÉ odeur si fétide, que tous les assistans furent forcés de sortir. De cent vingt jeunes gens des deux sexes que l'on préparait à la première communion, cent qua- torze tombèrent dangereusement malades, ainsi que le curé et le vicaire, les fossoyeurs et plus de soixante- dix autres personnes , dont il en est mort dix-huit, y compris le curé et le vicaire qui ont été enterres des premiers. ( Maret , Journal encyclopédique, sep- tembre 1773, et Navier, ouvrage cité, p. 5.) n°. L'abbé Rozier dit qu'un particulier de Mar- seille fit ouvrir des fosses pour planter des arbres dans un endroit où , trente ans auparavant, lors de la peste, on avait enterré un grand nombre de cadavres. A peine eut-on donné quelques coups de bêche, que trois des ouvriers furent subitement suffoqués, sans qu'on pût les rappeler à la vie. (Observations physiques^nnée 177$, tome ier, page 109.) 120. Le i5 janvier 1772, au rapport du P. Cotte, prêtre de l'Oratoire, un fossoyeur, creusant une fosse dans le cimetière de Montmorency, donna un coup de bêche sur un cadavre enterré un an auparavant j il sortit une vapeur infecte qui le fit frissonner, et lui fit dresser les cheveux sur la tête. Comme il s'appuyait sur sa bêche pour fermer l'ouverture qu'il venait de faire, il tomba mort, et les secours qu'on lui donna furent inutiles. (Ibid., p. 109.) i3°. Le seigneur d'un village situé à deux lieues de cette ville mourut d'une fièvre putride le i5 dé- cembre 1773. On voulut lui préparer une fosse dis- tinguée dans l'église. Pour cet effet, on remua plusieurs des exhumations juridiques. 9 cadavres, et l'on déplaça le cercueil d'une de ses parentes enterrée au mois de février précédent. L'in- fection se répandit aussitôt dans l'église ; ce qui n'em- pêcha pas de continuer la cérémonie, comme s'il eût été plus essentiel d'enterrer promptement un mort, que de fuir les coups meurtriers de l'épidémie, en abandonnant et l'église et le cadavre pour quelques jours. Aussi ceux qui assistèrent à ces obsèques payèrent-ils cher leur obstination imprudente. Quinze d'entre eux moururent en huit jours de temps : de ce nombre furent quatre malheureux paysans qui avaient levé la tombe, préparé la fosse, et remué les cercueils. Six curés assistant à cette révoltante cérémonie, ont aussi manqué de périr. (Gazette de santé du 10 fé- vrier ijj4') i4° On lit dans le Recueil de pièces concernant les exhumations faites dans l'église de Saint-Eloi de Dun- kerque (Paris, 1783), que de deux jeunes gens que la curiosité avait conduits au lieu de l'exhumation, un fut affecté d'une douleur violente de la tête ; bientôt la petite-vérole se déclara, et il mourut. Dans le nombre des cadavres auxquels il s'était arrêté, plusieurs étaient infectés de petite-vérole confluente. Un ouvrier périt d'un autre genre d imprudence : il se jouait avec les débris des cadavres, et croyait trouver dans le vin un spécifique suffisant. (Page 73.) Les divers accidens dont nous venons de parler ont tellement effrayé les auteurs de médecine légale, que plusieurs d'entre eux n'ont pas hésité à établir que le médecin pourrait refuser son ministère lorsqu'il s'a- IO TRAITÉ girait d'un rapport sur un cas d'exhumation faite long- temps après la mort. Voici comment s'exprime M. r o- déré : * Les effets de la mort, manifestés aussitôt que l'action vitale a cessé, augmentent en raison du temps qui s'est écoulé depuis cette cessation, et suivant la nature de la maladie et de la lésion sous lesquelles l'in- dividu a succombé; bientôt tout est confondu ; et, sans compter que lorsque la putréfaction est avancée, les gens de Part ne peuvent être obligés à un examen qui serait autant dangereux pour leur vie qu'inutile pour les éclaircissemens qu'on veut obtenir, il est telles causes de mort et telles lésions qu'il est impossible de distinguer alors d'avec les phénomènes inhérens à l'état cadavérique : tels sont les douleurs et spasmes, les coups de sang à la tête ou à la poitrine, les commo- tions, l'étranglement et les divers genres de suffocation, l'empoisonnement, etc. » ( Traité de médecine légale, tom. 3, pag. 71, année i8i3). On lit encore dans la première édition de l'ouvrage du même auteur (p. 28) : « Et si le cadavre exhale déjà une mauvaise odeur, l'homme de l'art peut se refuser à en approcher; car on ne peut l'obliger à une opération qui deviendrait non- seulement inutile en grande partie, mais encore qui pourrait être nuisible à sa santé. » Les observations qui précèdent ne nous semblent pas toutes propres à prouver les dangers des exhumations : il en est en effet qui paraissent apocryphes ; d'autres offrent des détails évidemment exagérés, et les acci- dens graves qui y sont mentionnés ne sauraient être at- tribués aux exhalaisons putrides. Comment supposer DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 1 I en effet une action aussi malfaisante aux émanations dégagées par un cadavre enterré dans une fosse par- ticulière, lorsque, dans notre travail, ni les fossoyeurs, ni deux ou trois élèves qui nous assistaient, ni nous- même, nous n'avons jamais éprouvé d'incommodité notable, quoiqueles exhumations aient été nombreuses et faites sans prendre aucune précaution, aux diverses époques de la putréfaction, et souvent au milieu des plus grandes chaleurs? Nous sommes loin de contester les effets nuisibles d'un amas de cadavres en putréfac- tion , des cimetières dans lesquels on ferait des fouilles pour opérer la translation de plusieurs corps; nous accorderons encore qu'il peut y avoir du danger à descendre dans une fosse commune pour exhumer un cadavre ; mais nous ne saurions admettre ce danger dans le cas d'une exhumation partielle faite dans une fosse particulière : tout au plus les fossoyeurs et les as- sistans éprouveront-ils de très-légères incommodités, lors même qu'ils n'auront fait usage d'aucune des pré- cautions propres à corriger les mauvais effets des ex- halaisons putrides. Il en sera de même des gens de l'art, qui seront obligés d'ouvrir les cadavres et d'exa- miner pendant plusieurs heures leurs organes. Cette proposition ne nous paraît devoir souffrir d'exception que dans les cas, fort rares, où les médecins çt les per- sonnes chargées de pareils travaux seraient considéra- blement affaiblis par des maladies antécédentes qui les prédisposeraient à en contracter de nouvelles, ou bien lorsque la décomposition des corps étant encore peu avancée, et l'abdomen considérablement tuméfié, on 12 TRAITE percerait maladroitement celui-ci, et on s'obstinerait à respirer, pendant un certain temps, le gaz méphitique qui se dégagerait par l'ouverture. Nous réfutons donc ces auteurs qui, à l'exemple de M. Fodéré, ont pense que les gens de l'art pouvaient refuser de faire une exhumation juridique, sous prétexte qu'ils exposaient leur vie ; nous le ferons avec d'autant plus de raison qu'il ne nous sera pas difficile d'établir dans la troi- sième section de cet ouvrage, que ces exhumations, loin d'être inutiles, comme ils l'ont avancé , peuvent, dans beaucoup de cas, servir à prouver que la mort des individus est le résultat d'une violence extérieure, d'un empoisonnement, etc. Nous irons même plus loin; nous sommes persuadé que dans un certain nombre de cas d'exhumations de plusieurs cadavres, et de fouilles dans les caves sépul- crales , on a attribué aux exhalaisons putrides, des fiè- vres et des maladies épidémiques qui devaient nécessai- rement reconnaître une toute autre cause. Parmi les faits nombreux qui appuient cette manière de voir, nous citerons les exhumations du cimetière et de l'église des Saints-Innocens de Paris, et les observa- tions consignées par M. Parent-Duchâtelet dans un rapport sur l'enlèvement et l'emploi des chevaux morts. i° Les exhumations du cimetière et de l'église des Innocens eurent lieu du mois de décembre 1785 jus- qu'au mois de mai 1786, du mois de décembre de la même année au mois de février 1787, et du mois d'août au mois d'octobre suivant. Il y avait déjà près de six ans que l'on n'enterrait plus les morts dans le ci- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. l3 metière, tandis qu'aucune interruption n'avait eu lieu pour les cérémonies funéraires dans l'église. C'est dans le sein de la tranquillité et du calme, dit Thouret, qu'ont été terminées les opérations dont nous avons à rendre compte, et qui ayant été reprises à différentes époques, et continuées constamment chaque fois le jour et la nuit, ont eu plus de dix mois de durée. Pendant cette longue suite de travaux, une couche de huit à dix pieds de terre infectée pour la plus grande partie, soit des débris des cadavres, soit par les immondices des maisons voisines, a été enlevée de toute la surface du cimetière et de l'église, sur une étendue de deux mille toises carrées; plus de quatre-vingts caveaux funéraires ont été ouverts et fouillés; quarante à cinquante des fosses communes ont été creusées à huit et dix pieds de profondeur, quelques-unes jusqu'au fond, et plus de quinze à vingt mille cadavres appartenant à toutes sortes d'époques, ont été exhumés avec leurs bières. Exécutées principalement pendant l'hiver, et ayant eu aussi lieu en grande partie dans les temps des plus grandes chaleurs ; commencées d'abord avec tous les soins pos- sibles, avec toutes les précautions connues, et continuées presque en entier, sans en employer pour ainsi dire aucune; nul danger ne s'est manifesté pendant le cours de ces opérations. (Rapportsur les exhumations du cimetière et de l'église des Saints-lnnocens, par M. Thouret, p. 10, année 1789.) Objectera-t-on que depuis plusieurs années on n'en- terrait plus les cadavres dans ces lieux, et que déjà la dé- composition putride avait atteint cette période où il ne l4 TRAITÉ se dégage presque plus d'émanations fétides et nuisibles? D'ailleurs, dira-t-on, les cadavres avaient éprouvé, dans le cimetière des Innocens, une transformation en gras qui rendait leur action sur l'économie animale beau- coup moins intense, pour ne pas dire nulle. Il est vrai que ceux de ces corps qui s'étaient transformés en gras dans ce cimetière ne devaient exhaler que peu ou point d odeur malfaisante; mais n'avons-nous pas dit que pendant les six années qui avaient précédé les travaux, on n'avait pas cessé d'inhumer dans l'église des Saints-Innocens ? dès-lors ne devait-on pas extraire des caves des cadavres non encore transformés en gras et en pleine putréfaction? « On remarquait, dit Thou- ret, toutes les nuances de la destruction, toutes les métamorphoses de la mort rassemblées, depuis le corps qui se dissout et se putréfie, jusqu'à ceux plus privilé- giés qui se changent en momies sèches et fibreuses. » (Page 16.) Du reste, les détails suivans, extraits d'un Mémoire de Fourcroy, confirment pleinement notre manière de voir. Curieux d'avoir des renseignemens positifs sur les altérations qu'éprouvent les cadavres que l'on jette dans les fosses communes, ce savant célèbre interro- gea à plusieurs reprises un grand nombre de fossoyeurs du cimetière des Saints-Innocens, qui lui apprirent qu'ils n'étaient exposés à un véritable danger que dans la première période de la décomposition des corps c'est-à-dire quelques jours après leur inhumation, lors- que le ventre, après avoir été distendu par des gaz, se déchire aux environs de l'anneau, et quelquefois au- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. l5 tour du nombril; il s'écoule alors par ces ouvertures un fluide sanieux, brunâtre, d'une odeur très-fétide et il se dégage en même temps un fluide élastique très- méphitique, et dont on doit redouter les dangereux effets. Il est arrivé plusieurs fois dans des fouilles de cimetière, que la pioche ayant ouvert ainsi le bas-ven- tre, le gaz qui s'en est élevé a frappé subitement d'a- poplexie les ouvriers employés à ce travail : telle est la cause des malheurs arrivés dans les cimetières. On conçoit que la même rupture du bas-ventre et le dé- gagement du gaz très-méphitique ayant lieu dans les caveaux comme dans la terre, ce fluide élastique, com- primé dans ces souterrains, peut exposer à des acci- dens terribles les personnes qui y descendent impru- demment ; on conçoit aussi, d'après cela, la cause de la mort des Balsagettes dans le caveau de Saulieu. Après s'être demandé quelle peut être la nature de ce gaz délétère, qu'il croit formé d'hydrogène sulfuré et phosphore, d'azote et d'une vapeur animale délétère, Fourcroy continue en ces termes : « Les hommes occu- pés au travail des cimetières reconnaissent tous qu'il n'y a de réellement dangereux pour eux que la vapeur qui se dégage du bas-ventre des cadavres, lorsque cette cavité se rompt. Ils ont encore observé que cette va- peur ne les frappe pas toujours d'asphyxie; que s'ils sont éloignés du cadavre qui la répand, elle ne leur donne qu'un léger vertige, un sentiment de malaise et de défaillance, des nausées; cesaccidensdurentplusieurs heures; ils sont suivis de perte d'appétit, de faiblesse et de tremblement : tous ces effets annoncent un poi- l6 TRAITÉ son subtil qui ne xse développe heureusement que dans une des premières époques de la décomposition des corps. >> ( Mémoire sur les dijférens états [des cadavres trouvés dans les fouilles du cimetière des Innocens, en 1786 et 1787, lu par Fourcroy à J'Académie royale des Sciences, les 20 et 28 mai 1789.) 20. Les observations consignées par M. Parent-Du- châtelet dans un travail demandé par M. Delavau, alors préfet de police, au conseil de salubrité, viennent merveilleusement à l'appui de la proposition que nous cherchons à prouver. Les clos d'écarrissage de Mont- faucon , dit le rapporteur, exhalent l'odeur la plus in- fecte (1). Qu'on se figure ce que peut produire la décomposition putride de monceaux de chairs et d'in- testins abandonnés, pendant des semaines ou des mois, en plein air et à l'ardeur du soleil, à la putréfaction spontanée; qu'on y ajoute, par la pensée, la nature des gaz qui peuvent sortir de monceaux de carcasses qui restent garnies de beaucoup de parties molles; qu'on y joigne les émanations que fournit un ter- rain qui, pendant des années, a été imbibé de sang et de liquides animaux, celles qui proviennent de ce sang lui-même, qui, dans l'un et dans l'autre clos, reste sur le pavé sans pouvoir s'écouler; celles enfin des ruisseaux des boyauderies et des séchoirs du voisi- nage ; que l'on multiplie, autant que l'on voudra, les (1) La voirie de Montfaucon est un emplacement destiné aux opérations de l'écarrissage, et où il y a environ 12,775 chevaux d'abattus, de dépouillés et de dépecés tous les ans I ES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 17 degrés de la puanteur, et l'on n'aura qu'une faible ide> de l'odeur repoussante qui sort de ce cloaque, le plus infect qu'il soit possible d'imaginer! Eh bien ! ni les maîtres écarrisseurs ni les ouvriers ne sont jamais malades ; et si vous les interrogez, ils vous diront que les émanations qu'ils respirent contri- buent à leur bonne santé. Déjà, dans un rapport fait en 1810 par MM. Deyeux, Parmentier et Pariset, il y est parlé de la surprise que causa la brillante santé de la femme et des cinq enfans du nommé Fiard, qui tra- vaillaient toute l'année dans leur clos , et couchaient dans le lieu même, où il fut impossible aux membres de la commission de pénétrer, à cause de l'excessive infection qui s'en exhalait. On sait également que la plupart des écarrisseurs meurent dans un âge fort avancé, et presque toujours exempts des infirmités de la vieillesse. Bien plus, on a remarqué que dans 1 épi- démie de Pantin et de la Villette, pas un seul ouvrier du clos de Montfaucon n'en fut affecté, privilège qui paraît leur avoir été commun avec les femmes qui con- fectionnent la poudrette dans le voisinage. On dira peut-être que ces ouvriers, nés pour ainsi dire dans le métier d'écarrisseur, et tous issus de parens qui l'ont exercé, ont perdu la faculté d'être influencés par les émanations putrides qui conservent sur les au- tres toute leur activité. Nous répondrons à cette objec- tion par les faits suivans : les étrangers qui viennent tous les jours au clos, et qui y restent souvent long- temps, n'en sont point incommodés. On n'a jamais remar- qué que les ouvriers étrangers que l'on était quelque- i l8 TRAITÉ fois obligé de prendre pour des travaux extraordinaires, n'étaient pas plus susceptibles que les autres de con- tracter des maladies. Les carriers, les plâtriers, les cabaretiers et les gargotiers qui sont au voisinage de la voirie de Montfaucon n'en éprouvent aucune in- fluence fâcheuse. On lit encore dans le rapport de la commission de 1810, qu'elle resta convaincue que les maladies diverses dont avaient été affectés les ouvriers de la verrerie tenaient à d'autres causes qu'aux émana- tions du clos d'écarrissage de la gare. Plusieurs observations fort curieuses, ajoute M. Pa- rent-Duchatelet, appuient d'ailleurs ce que nous venons de dire du peu d'influence que peut avoir l'habitude sur l'action négative des émanations putrides, par rapport à la santé de ceux qui y sont exposés. On fait tous les ans à Paris, au cimetière du Père Lachaise, près de deux cents exhumations, pour transporter dans des terrains acquis par les familles, ou dans des sépultures convenables, les corps qui ont été provisoirement dé- posés dans des fosses particulières. Ces exhumations se pratiquent à toutes les époques de l'année, deux, trois ou quatre mois après la mort, souvent même beaucoup plus tard. On conçoit que la putréfaction est alors dans toute son activité, et cependant on n'a point en- core remarqué que le moindre accident soit arrivé aux fossoyeurs chargés de ces travaux, qui sont d'autant plus pénibles, et qui devraient être d'autant plus dan- gereux, qu'ils les obligent de respirer dans la fosse même les émanations qui ont été renfermées pendant long-temps dans un étroit espace, et qui proviennent DES EXHUMATIONS JURIDIQUE:.. 19 d'individus qui ont succombé à des maladies de nature différente. — Ne sait-on pas aussi que les ouvriers boyaudiers jouissent de la santé la plus brillante, quoi- qu'ils vivent dans une atmosphère infecte ? Enfin , n'est-il pas certain que les maladies charbonneuses et la pustule maligne n'attaquent que bien rarement les écarrisseurs, quoiqu'ils se livrent à leurs travaux sans prendre aucune précaution ? ARTICLE III. De la manière de faire les exhumations juridiques , et des pré- cautions à prendre pour éviter les dangers qui peuvent les accompagner. Il importe de distinguer le cas où il s'agitsimplement d'extraire un cadavre d'une fosse particulière, de celui qui a pour objet l'évacuation des cimetières et des caves sépulcrales, ou l'extraction d'un cadavre d'une fosse commune. A. Exhumation d'un cadavre enterré dans une fosse particulière. Quoiqu'il n'y ait en général aucun danger à exhu- mer un cadavre enterré dans une fosse particulière, nons croyons devoir conseiller un certain nombre de précautions qui rendent l'opération moins désa- 2, .* 20 TRAITE gréable (i). i° On choisira le matin de préférence, surtout dans les saisons chaudes, d'abord parce qu il sera quelquefois nécessaire de prolonger pendant plu- sieurs heures l'examen du cadavre, et que d'ailleurs les corps inhumés depuis quelques mois peuvent se gonfler et éprouver d'autres changemens, beaucoup plus promptement au milieu du jour, lorsque la tem- pérature est élevée, que dans la matinée; il est égale- ment certain que l'impression désagréable produite par les émanations sur l'organe de l'odorat, est plus marquée pendant la chaleur. 2° On emploiera deux ou trois fossoyeurs afin que l'exhumation soit faite promptement, et on pourra arroser de temps en temps les parties de la fosse déjà creusées , avec deux ou trois onces d'une faible dissolution de chlorure de chaux ; les fossoyeurs sont tellement habitués aux odeurs qu'exhalent les cadavres en putréfaction, et re- doutent tellement peu les effets de ces exhalaisons, que dans les nombreuses exhumations dont nous les avons chargés, ils n'ont jamais eu recours à cette li- queur désinfectante: nous-même qui assistions à ces opérations, nous n'avons jamais senti la nécessité d'en faire usage. On doit déjà pressentir que nous regar- derons au moins comme inutiles deux précautions indiquées par les auteurs, et qui consistent à garnir la bouche et les narines des ouvriers d'un mouchoir (i) On ne procédera que d'après l'ordre d'un magistrat, et en présence d'un juge d'instruction ou de tout autre fonction- naire délégué à cet effet. DES XHUMATIONS JURIDIQUES. 21 trempé dans du vinaigre, et à jeter plusieurs livres de dissolution de chlorure de chaux sur le cercueil, aus- sitôt qu'on aurait creusé assez pour l'apercevoir : cet arrosement doit même être rejeté comme nuisible dans beaucoup de cas ; en effet, lorsque la bière a été brisée, défoncée, la liqueur dont il s'agit, pénétrera dans son intérieur, et agira sur le corps dont elle pourra altérer les tissus, comme nous le dirons plus bas. Tout ce que nous pouvons conseiller en pareil cas, et seulement lorsque l'odeur putride est très-désagréable, c'est de jeter au fond de la fosse et sur la partie de la bière encore entière,, trois ou quatre onces de dissolution de chlorure de chaux ou de soude (i). Dans aucun cas la bière ni le corps ne seront plongés dans une disso- lution de ces chloruresj il ne faudra même pas répandre quelques verres de cette liqueur à la surface du ca- davre: si l'on veut neutraliser momentanément (a) l'o- deur désagréable qui s'exhale, on versera çà et là sur la table ou gît le cadavre, et à côté de lui, deux ou trois onces de dissolution de chlorure, qui agira à peu près avec la même énergie que si elle eût été portée sur le corps, et qui n'offrira pas les inconvéniens qui résultent (1) Cette dissolution pourra être préparée avec une once de chlorure et deux pintes d'eau. (2J Nous disons momentanément, parce qu'en effet l'action désinfectante des chlorures est limitée à un temps qui n'est paa très-long, et Ion est obligé de revenir souvent à l'emploi de ces préparations, pour peu que l'examen du cadavre se prolonge. 22 TRAMÉ de son contact avec la peau et nos organes. Ces incoii- véniens, sont a d'être presque intantanément décom- posée par l'acide carbonique et de donner naissance, quand on s'est servi de chlorure de chaux, à du sous- carbonate de chaux blanc qui s'applique sur les tissus et les recouvre d'une couche blanche qui ne permet plus de bien les étudier; b d'altérer promptement ces mêmes tissus, de manière à changer leur consistance, leur couleur : ainsi les muscles qui sont d'un rouge tirant légèrement sur le livide, blanchissent, puis de- viennent plus livides, verdâtres et plus mous par leur contact avec le chlorure de chaux ; les chlorures de soude et de potasse attaquent aussi les organes , mais plus lentement que celui de chaux, et ne déposent jamais de sous-carbonate de chaux, quoiqu'ils com- muniquent d'abord une teinte blanchâtre aux muscles. 3° On retirera le cadavre du cercueil et on commen- cera les recherches immédiatement après; on observe en effet, surtout en été et lorsque la putréfaction n'est pas encore très-avancée, que les corps qui restent pendant plusieurs heures en contact avec l'air, se tu- méfient, se colorent, et éprouvent des altérations qui seraient propres à induire l'expert en erreur. B. Evacuation des cimetières et des caves sépulcrales. Tandis que, lorsd'une exhumation juridique, les gens de l'art sont obligés de procéder à l'opération aussitôt qu'ils sont requis , ils peuvent au contraire différer les travaux, et attendre la saison la plus favorable quand RES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 23 il s'agit de fouiller et d'évacuer des cimetières et des iavessépulcrales dans l'intention d'assainir les environs. On ne procédera donc que lorsque ', la température ne sera pas trop élevée, et l'on suspendra l'opération pendant quelque temps si l'atmosphère devient trop chaude et humide, et surtout si le vent souffle du sud; les époques les plus convenables dans nos climats, sont la fin de l'hiver et le commencement du printemps. On emploiera un nombre d'ouvriers suffisant pour que les travaux puissent être proniptement exécutés, et pour peu que les fossoyeurs soient incommodés, on les remplacera par d'autres qui à leur tour pourront céder la place aux premiers : leurs vetemens seront exposés à l'air à la fin de la journée, et ne serviront que le surlendemain. Ceux des ouvriers qui descendront dans les caves sépulcrales, ou qui lèveront une pierre à chacune des extrémités de ces caves pour pratiquer des ouvertures destinées à renouveler l'air, auront la bouche et les narines garnies d'un mouchoir trempé dans du vinaigre ; et s'il est utile qu'ils aient bu modé- rément du vin , il importe qu'ils ne soient pas ivres , parce que l'affaissement qui accompagne le plus sou- vent cet état semble favoriser l'action délétère des émanations putrides. On évitera aussi que ces fos- soyeurs ne se tiennent long-temps courbés en avant, la face rapprochée du sol, et pour cela on fera plutôt usage de bêches et de longues pinces de fer, que de pioches et d'autres instrumens peu longs. Avant de commencer les travaux il ne sera pas inutile de sonder le terrain dans plusieurs endroits pour sas- •i4 TRAITÉ surer du degré de putréfaction des corps, car il peut se faire que dans une portion du même cimetière, la décomposition ait atteint le dernier terme, tandis qu'elle ne sera pas trop avancée dans une autre partie : or, on conçoit que, dans le premier cas, il n'y ait pres- que aucune précaution à prendre. Toutefois ces fouilles ne doivent pas être trop multipliées, et l'on ne doit en commencer une nouvelle qu'après avoir comblé avec de la terre celle que l'on vient de faire. Qu'il s'agisse de ces travaux préparatoires , ou que déjà Ion creuse sur toute la surface du cimetière pour extraire les corps, on arrosera de temps en temps le terrain avec la dis- solution de chlorure de chaux précédemment indiquée; on pourra n'enlever d'abord qu'un demi-pied de terre sur toute la surface, laisser cette nouvelle couche de terrain en contact avec l'air pendant quelques heures après l'avoir arrosée avec le chlorure , puis enlever un second demi-pied de terre, et agir de même jusqu'à ce que l'on soit arrivé à la profondeur voulue. Les cercueils non endommagés seront placés en enr tier et avec soin sur des tombereaux destinés à les transporter; les autres, ceux qui auront été disjoints, enfoncés ou brisés, exhaleront peut-être une odeur in- fecte, et devront être arrosés avec une dissolution de chlorure avant de les placer sur les tombereaux : ceux-ci seront couverts d'une toile imprégnée d'eau vinaigrée, et lorsque les cadavres ne seront pas encore entièrement pourris, on aura soin de les placer dans des caisses bien goudronnées et munies d'un couvert. Les débris des cercueils seront brûlés sur une grille, d'abord à l'aide DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. a5 de fagots ou de charbon de terre, puis ils serviront eux- mêmes à entretenir la combustion. S'il y a à transpor- ter des ossemens mêlés de terre, il faudra emporter le tout plutôt que de passer à la claie pour séparer les pe- tits os; en effet, cette ventilation, dans un terrain in- fecté, pourrait être nuisible. S'il s'agit de l'exhumation dans des caves sépulcrales situées dans les églises ou ailleurs, après avoir établi des courans d'air en ouvrant les portes et les croisées, et avoir percé une ouverture à une des extrémités de la cave, on arrosera le sol avec la dissolution de chlorure de chaux, et on s'éloignera pendant plusieurs heures. Alors on s'occupera de renouveler l'air de ces caves. On a d'abord proposé d'allumer du feu dans un fourneau disposé sur une grille placée elle-même sur l'ouverture déjà mentionnée. A l'aide de ce ventila- teur, l'air du souterrain sera bientôt renouvelé ; mais il est préférable de recourir à la manche à air. ( Voyez planche i. ) Cette manche consiste tout simplement en une toile de forme cylindrique, longue de plusieurs toises, offrant un grand nombre de cerceaux que l'on place de deux pieds en deux pieds pour empêcher l'af- faissement de la manche sur elle-même. Une des ex- trémités de cette manche X étant introduite dans la cave sépulcrale Q dont on veut renouveler l'air, l'autre extrémité D vient se rendre dans le cendrier d'un four- neau E où l'on allume le charbon ; et l'on conçoit que celui-ci ne puisse pas brûler sans qu'il se fasse une aspi- ration telle de l'air du sépulcre, qu'il suffira de très-peu de temps pour le renouveler en entier. Voici du reste 26 TRAITE la désignation des diverses parties qui composent cet appareil. A Manche à air servant à renouveler l'air, et dont l'ouverture se trouve du côté du vent. B Manche pliée. De deux pieds en deux pieds se trouvent des cerceaux. C Porte pour jeter le charbon. D Tube en tôle recouvrant la manche à air, et ser- vant à porter l'air du sépulcre dans le cendrier. E Fourneau où l'on allume le charbon. Q Sépulcre. Quel que soit le moyen employé pour renouveler l'air d'un de ces caveaux, avant d'y faire descendre les fossoyeurs, on s'assurera qu'une bougie allumée, plongée jusqu'au fond, continue à y brûler; si elle s'éteignait, il faudrait encore différer les travaux de quelques heu- res , et insister sur l'emploi des moyens prescrits. Les premiers ouvriers qui pénétreront dans ces caveaux auront la bouche et les narines garnies d'un mouchoir trempé dans de l'eau vinaigrée ; ils seront suspendus à une corde qui passera sous les aisselles, et munis d'une sonnette à l'aide de laquelle ils avertiront qu'il est temps de les retirer. Les travaux une fois terminés, on comblera les vides des cimetières avec la terre qui avait été remuée, et on arrosera avec la dissolution de chlorure; quant aux caves, on les fermera après les avoir également arrosées. L'emploi réitéré de ce chlorure, pendant quelques jours, permettra d'habiter peu de temps après les ci- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 27 nietières et autres lieux naguère infectés par des exha- laisons fétides. Nous ne terminerons pas ce chapitre sans indiquer les précautions que devront prendre les individus qui habitent dans le voisinage des lieux où se font les exhu- mations. Ces précautions consistent à fermer les portes et les fenêtres qui donneront du côté de ces lieux, à ré- pandre en été , sur le sol des jardins ou des rues qui avoisinent les habitations, quelques onces de dissolu- tion de chlorure, et à faire de temps à autre des fumi- gations aromatiques, qui auront au moins l'avantage de masquer l'odeur fétide des cadavres. Extraction d'un cadavre d'une fosse commune. On agira comme il vient d'être dit à l'occasion de l'évacuation des caves sépulcrales. 28 TRAITÉ SECTION IL Des changemens physiques éprouvés par les organes aux diverses époques où l'examen des cadavres peut être ordon- né, soit que les corps aient été déposés dans la terre, daDS l'eau, dans les fosses d'aisance ou dans le fumier. Cette section se composera dfr six chapitres, savoir r Chap. I, De la putréfaction des cadavres dans la terre. Chap. II. De la putréfaction des cadavres dans l'eau. Chap. III. De la putréfaction des cadavres dans les fosses d'aisance. Chap. IV. De la putréfaction des cadavres dans le fumier. Chap. V. De la marche comparée de la putréfaction dans ces différens milieux. Chap. VI. Des changemens amenés dans nos tissus, et notamment dans le canal digestif, par la putréfaction, et que l'on serait tenté de confondre avec des lésions pathologiques. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 29 CHAPITRE PREMIER. De la putréfaction des cadavres dans la terre. Pour traiter ce sujet d'une manière convenable, nous croyons devoir examiner successivement la pu- tréfaction des cadavres ensevelis dans des fosses parti- culières , et de ceux qui sont entassés dans des fosses communes. Les détails dans lesquels nous allons entrer prouveront que les phénomènes de la décomposition putride ne sont pas les mêmes dans ces deux circons- tances , et justifieront suffisamment la distinction que nous établissons. ARTICLE PREMIER. De la putréfaction des cadavres ensevelis dans des fosses particulières. Ici nous examinerons, dans les six paragraphes suivans, i°. La putréfaction des cadavres de vieillards nus ou enveloppés d'une serpillière, et enterrés au cimetière de Bicêtre. 20 La putréfaction des cadavres de vieillards enter- 3o TRAITÉ rés au même cimetière dans des bières de sapin neuf de deux à trois lignes d'épaisseur. 3°. La putréfaction des cadavres de vieillards enve- loppés d'une serpillière ou d'un drap, et enterrés au même cimetière dans des bières de sapin neuf d'un pouce d'épaisseur. 4°. La putréfaction des cadavres d'enfans âgés de quelques jours, enveloppés d'une serpillière ou d'un drap, et enterrés au même cimetière dans des bières de sapin neuf d'un pouce d'épaisseur, ou dans des boîtes plus minces. 5°. La putréfaction des cadavres d'adultes nus ou renfermés dans des bières de deux à trois lignes, et en- terrés dans un coin du jardin de l'hospice de la Faculté de Médecine de Paris ou ailleurs. 6°.La putréfaction comparée de fragmens des cuisses d'un même cadavre dans des terres de différente na- ture (i). §1- Putréfaction des cadavres de vieillards enveloppés dans une serpillière , et enterrés au cimetière de Bicêtre. Nous ne saurions mieux faire connaître la marche que suit la putréfaction de ces cadavres qu'en rappor- (i) C'est dans cet article que nous indiquerons la compo- sition des terrains où nous avons iuhumé les cadavres qui font l'objet de ce travail. !;F.S EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3l tant, avec tous leurs détails, les nécropsies d'une partie des corps que nous avons exhumés. OBSERVATION IrC. Lançon, âgé de quatre-vingts ans, mort le 5 mars i83o,àla suite d'une double pneumonie, et inhumé le 8 du même mois au cimetière de Bicêtre, fut exhumé le 23, quinze jours après l'inhumation ; il avait été simplement enveloppé dans une serpillière, sorte de grosse toile claire, bien différente, par conséquent, des draps ordinaires (i). Quelque temps avant d'enter- rer ce cadavre on avait tiré un coup de pistolet à bout portant dans la bouche, pour savoir jusqu'à quel point l'os maxillaire inférieur pouvait se fracturer. La serpillière est entière et recouvre tout le corps, excepté à la partie antérieure et moyenne du thorax, où ses bords sont légèrement écartés ; sa couleur est un peu plus brune qu'avant l'inhumation, et elle ré- siste encore beaucoup quand on veut la déchirer. Le cadavre est également entier; mais en enlevant la serpillière on détache, dans quelques endroits, de petits lambeaux d'épiderme, dont quelques-uns adhèrent à peine à cette toile, et que l'on peut facilement en séparer : ces lambeaux offrent les caractères de l'épidémie qui est encore attaché à la peau , et dont nous parlerons (i) Pendant ces quinze jours , la température avait presque constamment élé de io°à i4° thermomètre centigrade, à midi. 32 TRAITÉ bientôt. La partie antérieure du corps est couverte de terre qui y adhère çà et là , et y est comme massée; on ne peut l'enlever qu'en détachant l'épiderme sous- jacent. La coloration générale de cette partie du cadavre, débarrassée de terre, est d'un blanc jaunâtre tirant lé- gèrement sur le rosé dans certains points; toutefois l'abdomen est d'un vert clair ; en arrière, la. couleur est violette. On trouve quelques vers sur le ventre, mais particulièrement au dos. Le corps exhale une odeur assez fétide. Vépiderme existe presque partout; il est ridé, très- légèrement soulevé, et facile à détacher en petits lambeaux, excepté dans certaines parties où il ne peut être séparé que sous forme d'un enduit; ces lambeaux sont minces , translucides, d'un blanc gri- sâtre, même lorsqu'ils proviennent de l'abdomen, qui est coloré en vert, comme nous l'avons déjà dit; on voit toutefois à la partie interne et inférieure de la jambe gauche un de ces lambeaux d'un vert-pré, et la peau sous-jacente est bleuâtre et comme ecchymosée. L'épiderme de la face plantaire des pieds est très- adhérent, plus sec et plus mat que partout ailleurs; celui de la face dorsale n'offre rien de remarquable. La paume des mains et les doigts sont recouverts par cette cuticule qui ressemble assez à celle de la face plantaire des pieds; la face dorsale du carpe et du métacarpe en est presque entièrement dépourvue. Les ongles s'arrachent avec facilité; ils sont assez élastiques, un peu ramollis et à peine translucides; la DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 33 peau qu'ils recouvrent offre déjà une teinte rosée et même rougeâtre dans certains points. La peau, colorée, comme il a été dit en parlant de la coloration générale du corps , est dans l'état naturel, si ce n'est qu'elle est un peu ramollie. Le tissu cellulaire sous-cutané et intermusculaire ne diffère pas de l'état normal, excepté à la partie postérieure du crâne et à la partie moyenne et supérieure du dos, où il est sen- siblement ramolli sans être infiltré, et à la partie in- férieure du dos, où il est le siège d'une infiltration sanguinolente qui lui donne l'aspect d'une gelée rouge. Les muscles sont en général d'un rouge pâle, ramol- lis et faciles à déchirer ; ceux de l'abdomen sont de cou- leur livide et verdâtre ; ceux de la partie inférieure du dos sont plus ramollis, infiltrés de sérosité sanguino- lente , et rougeâtres. Les nerfs, les tendons, les aponévroses, les cartilages et les ligamens sont dans l'état naturel. La tête. La tête est couverte de cheveux gris assez adhérens. La face est encore très-reconnaissable ; elle est de couleur jaunâtre au front, au menton et à droite ; la partie latérale gauche est légèrement verdâ- tre , comme ecchymosée. Les orbites paraissent pleins ; les paupières sont appliquées sur la partie antérieure des globes oculaires qui est un peu affaissée ; elles sont entières , un peu amincies et légèrement ramollies. Les yeux offrent encore toutes les parties qui les compo- sent ; la cornée transparente est la seule membrane qui soit affaissée ; elle est notablement obscurcie ; l'humeur vitrée présente une teinte bistre clair; à cela près, les 3 34 TRAITÉ membranes et les humeurs de l'œil paraissent dans l'é- tat naturel. Les muscles destinés à mouvoir les globes oculaires sont pâles et ramollis, tandis que le paquet graisseux qui les environne est à l'état normal. Le nez est entier et de couleur jaunâtre ; ses ailes sont lé- gèrement déprimées. La bouche est largement ou- verte. Les lèvres sont ramollies, amincies, d'un gris verdâtre à gauche , et d'une teinte plus claire à droite. Le menton et les joues sont couverts de barbe blan- che ; les os maxillaires offrent encore quelques dents. Les oreilles sont en partie dépouillées d'épiderme ; le derme, mis à nu, est d'un rouge vif. La peau du crâne, débarrassée de cheveux, est d'un rouge vif tirant sur le violet; celle des régions temporales est d'un rouge moins foncé : lorsqu'on l'incise, on voit qu'elle adhère encore fortement, et que le tissu cellulaire sous-jacent est humide et a une grande tendance à s'infiltrer, sur- tout en arrière et aux parties postérieures latérales. Le cerveau, si ce n'est qu'il est un peu ramolli, est dans l'état naturel ; le ramollissement est plus marqué dans la substance grise. Le cervelet, dans lequel on trouve proportionnellement beaucoup plus de sub- stance grise, est sensiblement plus ramolli ; la protu- bérance annulaire a également perdu de sa consistance ; toutefois, ces divers organes sont assez bien conservés pour servir à l'étude anatomique. La moelle épimère est à peu près dans l'état naturel. Thorax. La partie antérieure du thorax est couverte de poils gris qui y sont peu adhérens. Les deux cavités du thorax renferment une assez grande quantité de DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 35 sérosité sanguinolente; il y a des adhérences, surtout à gauche. Les poumons, d'un volume et d'un aspect ordinaires, nagent sur l'eau, sont erépitans, excepté dans certaines parties du lobe moyen droit, qwi sont rouges , dures et au premier degfé dhépatisation, et dans une grande partie du lobe supérieur gauche, qui est le siège de l'hépatisation grise. Les plèvres, aux adhé- rences près, dont nous avons parlé, sontdans l'état na- turel. La membrane muqueuse de la trachée-artère est d'un vert noirâtre plus foncé du côté des bronches et dans les divisions de celles-ci, que du côté du larynx, où elle est à peine colorée en gris rougeâtre et piquetée de quelques points noirs. L'intérieur du larynx et la face inférieure de l'épiglotte sont d'un gris légèrement violacé et parsemés çà et là de taches noirâtres. La mem- brane muqueuse laryngo-trachéale n'est pas sensible- ment ramollie ; le tissu cellulaire qu'elle recouvre, sur- tout à la base de l'épiglotte, est infiltré. Les cartilages du larynx et de la trachée-artère sont dansl'état naturel. Le péricarde , légèrement ramolli, contient quel- ques onces de sérosité jaunâtre; du reste, il est à l'état normal. Le cœur, très-volumineux, renferme beau- coup de sang noir, en partie coagulé, et n'offre rien de remarquable; les valvules sigmoïdes sont ossifiées. L'aorte et les autres artères contiennent du sang noir en partie coagulé; leur membrane interne, de couleur naturelle, ne présente encore aucun indice de cette teinte rouge qui annonce une imbibition cadavérique. La veine cave inférieure renferme aussi du sang noir fluide, et n'est pas plus colorée que les artères. 3. 36 TRAITÉ Le diaphragme est dans l'état naturel. Canal digestif. Il y a dans la cavité de l'abdomen une certaine quantité d'un liquide comme bilieux. La bouche offre, dans presque toute l'étendue de la voûte palatine, une couleur bleuâtre qui correspond à l'en- droit par lequel avait pénétré la balle du pistolet. Le voile du palais, ses piliers, la luette et le pharynx sont d'un rose violacé, tirant sur le pâle, et présentent çà et là de petites taches bleuâtres, dues peut-être à des grains de poudre. La langue, d'une couleur violacée pâle, est sensiblement ramollie, et offre, vers sa partie postérieure, des taches noirâtres comme celles qui existaient au voile du palais. L'œsophage , légèrement ramolli, paraît à l'état normal, si ce n'est qu'on y re- marque à l'intérieur plusieurs petites tumeurs vari- queuses remplies de sang noir liquide, tumeurs qui constituent évidemment une lésion pathologique. L'es- tomac contient environ deux cuillerées d'un liquide bru- nâtre assez épais et fétide ; la membrane muqueuse, dans sa partie pylorique, présente une large plaque d'un gris bleuâtre, semblable avi cérat mercuriel, qui s'é- tend jusqu'à deux pouces au-delà du pylore ; dans les autres parties, elle est jaunâtre, excepté toutefois vers le grand cul-de-sac, et dans l'étendue d'environ trois pouces carrés, où elle est rougeâtre et piquetée d'un rouge vif, sous forme d'une arborisation extrêmement fine, ce que l'on doit attribuer à une lésion existant avant la mort. On remarque aussi au-dessous des au- tres parties de cette membrane muqueuse, qui ne sont pas colorées en gris bleuâtre, l'arborisation vasculaire DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3n qui s'y trouve habituellement: du reste, cette membrane est sensiblement ramollie, surtout dans sa partie splénique. La tunique musculeuse est grisâtre et ne participe nullement de la teinte bleue que l'on remar- quait près du pylore. La membrane séreuse est jau- nâtre , et d'un jaune rose par places. Les êpiploons sont un peu plus gris qu'à l'état naturel. Les intestins grêles, d'un gris légèrement rougeâtre à l'extérieur, n'offrent que la première de ces couleurs à leur face interne ; on n'y découvre aucune trace de rougeur; leur mem- brane muqueuse est un peu ramollie ; les valvules con- niventes sont très-apparentes. Les gros intestins sont dans l'état naturel. Le foie, de couleur verte à l'extérieur, surtout à droite, est un peu ramolli et ne présente rien d'extraordi- naire. La vésicule biliaire est distendue par une grande quantité de bile. La rate et le pancréas sont un peu ramollis. Organes urinaires et génitaux. Les reins sont à l'état normal ; il en est de même de la vessie, qui renferme beaucoup d'urine. La verge est très-molle ; les corps caverneux sont affaissés et ne contiennent point de sang. Le scrotum est dans l'état naturel et couvert de poils, ainsi que le pubis. Les testicules, quoique ramol- lis , ont conservé leur forme, leur structure; il en est de même des épididymes, des cordons testiculaires et des vésicules séminales. Remarque. Cette observation est remarquable par la teinte noirâtre de la membrane muqueuse de la partie moyenne et inférieure de la trachée-artère et des bron- 38 TRAITÉ ches, teinte qui n'est certainement pas le résultat d'une lésion qui aurait existé avant la mort; d'une autre part, elle ne nous paraît pas devoir être consi- dérée comme un phénomène cadavérique, puisque nous ne l'avons jamais rencontrée , et qu au contraire les cadavres qui sont restés quinze, vingt>cinq ou qua- rante jours dans la terre, offrent une coloration rou- geâtre de la membrane muqueuse des voies aériennes. ( Voy. pages 61 et 5i.) Tout porte à croire que cette couleur est due à l'introduction dans le larynx et dans la trachée artère, de la portion la plus fluide 4«s matières noirâtres que l'arme à feu avait laissées dans la bouche ; ces matières, ramollies par les mucosités et la salive, auraient cheminé vers les bronches, comme l'eau pé- nètre lorsque les cadavres sont plongés dans ce liquide, comme la terre s'y introduit elle-ni£me lorsque les corps sont ensevelis tout nus. ( Voy. page 51. ) OBSERVATION 2e. N***, âgé de soixante-dix ans, mort le 5 mars i83o à la suite d'une pneumonie qui avait duré quatorze jours, fut inhumé le 7 du même mois au cimetière de Bicêtre, à la profondeur de trois pieds et demi, après avoir été simplement enveloppé dans une serpilhère. L'exhumation eut lieu le 12 avril, trente-sept; jours après l'inhumation. Un thermomètre centigrade, laissé pendant quelques minutes à un pied environ ^u-des,- sous de l'endroit où reposait le corps, marquait g° -f- g°, tandis qu'il s'élevait à io° dans l'atmosphère; mais il est bon d'observer que la température, qui avait été DES EXHUMATIONS JURIDIQUES, 3o de 18° à 220 therm. cent., avait notablement baissé depuis deux jours. La température moyenne, pendant le mois de mars avait été de 8,9 -f- o° therm. centigr., et pendant les douze premiers jours d'avril, de i3 à 220 à midi. Le cadavre est entier, couvert de terre et d'une grande partie de la serpillière, les autres portions de cette toile ayant été détruites ; plusieurs des lambeaux restans peuvent être facilement séparés ; d'autres, au contraire, et ils sont assez nombreux, sont entière- ment mélangés avec la terre avec laquelle ils sont comme massés, et adhèrent tellement au corps, que pour les enlever il faut gratter assez fortement avec le scalpel, et alors on détache aussi de larges plaques d epiderme qui restent étroitement unies avec le mé- lange de terre et de serpillière dont il s'agit. L'odeur qu'exhale le cadavre est assez fétide; son asftèot est humide et luisant; on ne découvre ni vers ni mou- ches à sa surface. Sa partie antérieure offre une teinte générale d'un jaune sale tirant sur le rose ; cependant on remarque plusieurs plaques vertes à la partie anté- rieure des jambes et aux aines, et d'autres d'un rouge assez foncé disséminées çà et là ; l'abdomen est vert dans toute sa moitié inférieure;il est jaunâtre, plaqué de vert dans sa partie sus-ombilicale; les parties laté- rales et inférieures du thorax, surtout à gauche, sont d'un gris verdâtre. En arrière, le tronc est rougeâtre, parsemé de plaques vertes et d'un rouge foncé. L'épiderme existe partout, excepté dans les portions que l'on a été obligé de gratter fortement pour enlever la serpillière et la terre; mais il se détache avec la plus 40 TRAITÉ grande facilité par longs lambeaux d'un blanc grisâtre, translucides, se déchirant par la plus légère traction; toutefois, celui qui recouvre la paume des mains et la plante des pieds est presque opaque, beaucoup plus épais et d'un blanc tirant légèrement sur le jaune; sa face interne, dans quelques parties, est colorée en rouge ou en vert par un liquide séreux que l'on entraîne par le lavage, et alors on voit reparaître la couleur blanche du tissu. Les portions d'épiderme détachées avec la serpillière ne peuvent plus en être séparées que sous forme d'un enduit extrêmement mince, rouge, brun ou verdâtre. Les ongles qui recouvrent encore la plu- part des doigts et tous les orteils, s'enlèvent aisément à l'aide de pinces ; ils sont de couleur ordinaire, faciles à couper, comme s'ils avaient été trempés dans l'eau, et translucides ; le derme qu'ils recouvrent est d'un rouge cerise, humide et luisant. La peau, diversement colorée suivant les régions où on l'examine, offre les mêmes teintes que la surface du corps ; du reste, elle ne diffère de l'état naturel que par un certain degré d'amincissement. Le tissu cellulaire n'est pas saponifié; il est un peu ramolli, moins élastique et plus sec; aussi forme-t-il, entre la peau et les parties sousjacentes, une couche moins épaisse que de cou- tume ; sa couleur est à peu près la même qu'à l'état na- turel ; celui de la partie inférieure et postérieure des jambes est infiltré par une sérosité rougeâtre qui lui donne un aspect gélatineux. Les muscles sont ramollis, d'un rouge pâle aux cuis- ses, aux bras, aux avant-bras, mais surtout au thorax ,* 1 DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 4ï où les grands pectoraux sont presque décolorés ; ceux des jambes et des pieds sont d'un rouge un peu plus foncé ; dans les portions de l'abdomen qui correspon- dent aux parties que nous avons dit être vertes, ils sont d'un rouge assez pâle ; enfin, ceux du dos sont encore plus ramollis, infiltrés d'une sérosité sanguinolente et d'un rouge plus fancé que partout ailleurs. Les tendons et les ligamens sont dans l'état naturel; il en est de même des cartilages, si ce n'est qu'ils offrent une couleur rosée dans*quelques points. Les os n'ont éprouvé aucun changement notable; toutefois, à la face interne des tibias, ils sont rosés, ce qui tient sans doute à ce que la peau qui les recouvrait était plaquée de rouge foncé. Tête. La face est reconnaissante, en sorte que l'iden- tité pourrait être constatée ; elle est généralement d'un rouge sale dans son milieu, et d'un rouge violacé sur les côtés. Le front est jaune, plaqué de rouge cerise ; les pau- pières sont d'un blanc grisâtre rosé, amincies, entières, dépourvues de cils. Les globes oculaires sont très-af- faissés et paraissent vides au premier abord; la cornée transparente est notablement obscurcie; cependant on trouve dans ces organes toutes les membranes parfaite- ment reconnaissables aux caractères qui leur sont pro- pres, et toutes les humeurs ; à la vérité, parmi ces der- nières, le cristallin seul a conservé sa forme et ses proprié- tés; les autres sont remplacées par un fluide peu consis- tant, de couleur bistre qui semble être due à la choroïde. Les paquets graisseux qui occupent le fond des orbites sont imprégnés d'une matière huileuse jaunâtre, et nulle- 4a TRAITÉ ment saponifiées. Les muscles destinés à mouvoir les y etrx sont tellement pal es et ramollis, qu'on a de la peine à apercevoir leurs fibres. Le nez est entier et fortement déprimé sur les côtés; la peau qui recouvre les os pro- pres est d'un brun noirâtre ; dans le reste de son éten- due , elle est d'un blanc jaunâtre; les lèvres sont entières aussi, un peu ramollies et d'un jaune terreux ; la bouche est ouverte ; la membrane gingivale est d'un blanc gri- sâtre et prescfue décolorée ; les os maxillaires sont en- core garnis de quelques dewts. Le menton est d'un jaune terreux; les joues sont jaunâtres dans leur moitié antérieure, et d'un rouge violacé en arrière et en haut. Les oreilles sont entières, en partie dépouillées d'épi- derme, et de couleur jaune rougeâtre sale; la gauche est sèche, la droite est humide et assez ramollie. Des che- veux sont accolés sur la peau du crâne, mais on les en- lève facilement; après avoir gratté dans cette région avec un scalpel et avoir détaché les cheveux et l'épi- derme, on voit que la peau est lie de vin ; le tissu cellu- laire est humide et légèrement infiltré par un liquide rougeâtre à la partie postérieure et inférieure; du reste, on distingue très-bien l'aponévrose crânienne. Le cerveau ne remplit pas la cavké du crâne ; il est réduit à peu près aUx sept huitièmes de son volume, et il existe entre lui et la dure-mère des gaz assez fétides. Il semble réduit en une bouillie d'un violet verdâtre à l'extérieur; en l'incisant, on s'assure qu'il est en effet très-ramolli, et qu'il coule comme une bouillie très- épaisse, d'un gris violacé dans quelques parties, d'un gris de fer dans d'autres et d'une grande fétidité. On DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 43 peut encore distinguer les deux substances grise et blanche, mais avec peine, et il serait impossible de re- connaître aucun des organes qui entrent dans la com- position des ventricules,etc. Le cervelet est encore plus mou et plus putréfié que le cerveau. Les nerfs sontd'un gris rosé et très-résistans. La dure-mère est entière, de couleur bleue tirant sur le vert à l'extérieur, et d'un violet verdâtre à sa face interne ; sa structure et sa con- sistance ne paraissent point changées. Thorax. Il existe dans les cavités des plèvres une petite quantité d'un liquide sanguinolent; ces mem- branes sont un peu ramollies et grisâtres. L'intérieur du larynx, de la trachée-artère et des bronches est de couleur olive clair, surtout à l'épiglotte et sur les cer- ceaux cartilagineux ; quand on lave la membrane mu- queuse ,1a teinte verdâtre diminue d'intensité et semble prendre un reflet livide; en enlevant cette membrane, on voit que la tunique musculaire est rougeâtre et ra- mollie ; les cartilages du larynx et de la trachée-artère se coupent et se cassent facilement. Les poumons sont mous, emphysémateux, crépitans,excepté dans quel- ques parties, de couleur et de volume ordinaires, et nagean t sur l'eau ; leur partie postérieure est gorgée de sang, ce qui dépend en grande partie d'un engorge- ment qui avait eu lieu pendant la vie ; quelques portions de cette même région présentent les caractères de l'hé- pâtisation rouge et grise; du reste, dans toutes les au- tres parties, la structure de cet organe est parfaitement reconnaissante. Le, pjéricarde renferme un peu de séro- sité sanguinolente; il est légèrement rougeâtre, par 44 TRAITÉ suite de l'imbibition de sang, et se déchire assez faci- lement. Le cœur, de volume et d'épaisseur ordinaires,, est ramolli et contient du sang en partie fluide, en partie coagulé; la couleur de ses parois internes est un peu plus foncée qu'à fétat naturel ; la valvule tricuspide présente quelques taches noirâtres, qui sont aussi l'effet de l'imbibition, et qu'on pourrait, jusqu'à un certain point, confondre avec celles que déterminent certains poisons ; du reste, on reconnaît toutes les parties qui composent l'organe dont nous parlons. L'aorte, l'artère et les veines pulmonaires renferment du sang moitié liquide, moitié coagulé; leurs parois internes sont à peine colorées en rougeâtre clair, et cette teinte peut s'enlever en grande partie par le lavage ; les tuniques sont ramollies et se séparent facilement les unes des autres. Les artères des membres contiennent aussi du sang noir épais ; leur membrane interne est beau- coup moins rouge que celle des veines correspondantes, et se détache avec la plus grande facilité. Les veines des membres renferment également un peu de sang noir épais ; leur tunique interne est d'un rouge assez foncé, même après avoir été lavée; du reste, elle est lisse, et paraît dans l'état naturel. Le diaphragme est un peu ra- molli et de couleur ordinaire. Canal digestif. La membrane muqueuse de la bou- che est d'un gris légèrement verdâtre, surtout en ar- rière; en avant, sa couleur est un peu plus claire; du reste, elle est ramollie. La langue a perdu beaucoup de sa consistance ;«elle est d'un vert pré plaqué de livide en haut dans sa moitié postérieure, tandis qu'elle est DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 4& d'un gris rouge antérieurement ; sa face inférieure est pâle dans toute son étendue; sa structure ne paraît avoir subi aucun changement. L'arrière-bouche offre aussi une teinte verdâtre. L'œsophage est d'un rouge cerise à l'extérieur; intérieurement il est d'un vert pré sale, comme la langue dans son tiers supérieur; la membrane muqueuse est au contraire d'un rouge pâle dans ses deux tiers inférieurs; on voit çà et là, dans toute son étendue, des taches ou plutôt de petites élevures comme lenticulaires noirâtres, qui sont de véritables ecchymoses formées par du sang épanché et coagulé entre les membranes muqueuse et musculeuse ; cette dernière tunique est d'un rouge violacé, et peut être facilement séparée des autres, qui sont toutes sensible- ment ramollies. Il est évident, d'après ce qui précède, que l'œsophage ne saurait être considéré comme étant le siège d'une inflammation. Uestomac renferme à peine une cuillerée d'un liquide lie de vin ; il est rouge à l'extérieur, surtout en bas dans une assez grande étendue de la grande courbure; cette surface externe est très-lisse; la membrane muqueuse, après avoir été lavée, est généralement grise, tirant un peu sur le rose; dans les*parties qui correspondent à la grande courbure, elle est d'un rouge assez foncé. Près du pylore, on remarque une injection vascu- laire très-fine d'un rouge cerise vif; on y voit aussi de grosses veines remplies de sang noir; cette arborisation est un effet évident d'une lésion de l'estomac ; du reste, la membrane muqueuse gastrique est encore assez adhérente et peu ramollie. On ne voit pas, dans la ré- i[f} TRAITÉ gion pylorique, ces plaques vertes tirant sur l'ardoise, que nous avons observées dans d'autres ouvertures. ( V. pag. 36 et 53.) La membrane est un peu ramollie et de couleur naturelle; la tunique séreuse paraît à l'état normal. Les épiploons sont aussi un peu plus mous ; quelques-uns de leurs vaisseaux sont gorgés de sang noir. Le canal intestinal est très-distendu par des gaz; sa couleur extérieure est naturelle, excepté dans les portions qui correspondent au foie et à la rate, où elle se rapproche de celle de ces deux organes ; la mem- brane muqueuse est grisâtre ; dans certaines parties, ce- pendant , elle est rosée et même violacée ; là où elle est couverte par des exerémens, elle offre une teinte jau- nâtre ; mais quand on la lave, on détache un enduit de cette couleur, et on voit quelle est aussi grisâtre, mêlée de violet et de rose. La rate est noire, extrêmement ramollie, au point qu'on la déchire en l'enlevant ; il n'est plus possible de reconnaître sa structure. Le foie ressemble tout-à-fait à celui des cadavres que l'on ouvre peu de temps après la mort, si ce n'est qu'il est un peu plus mou et d'une cou- leur plus brune. La vésicule du fiel est à l'état normal ; la bile qu'elle renferme est épaisse, jaunâtre, et com- munique cette teinte à la tunique interne. Organes urinaires et génitaux. Les reins sont très- ramollis ; on en sépare aisément la membrane externe ; ils sont d'une couleur foncée , mais, on y distingue en- core bien les trois substances. La vessie est ample et d'une couleur rosée à l'intérieur ; du reste, elle ne pa- raît pas avoir subi d'altération. La verge est entière, DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. /fe ramollie,en partie dépouillée d'épiderme;son extrémité libre est violacée; on distingue parfaitement la struc- ture des corps caverneux, du canal de l'urètre, des testicules, etc., mais ces organes sont très-ramollis ; la tunique albuginée est très-légèrement violacée. OBSERVATION 3e. T*** âgé de soixante-huit ans, mort le 19 janvier i83o, d'une attaque d'apoplexie, fut inhumé tout nu le surlendemain au cimetière de Bicêtre, dans une fosse particulière, creusée à quatre pieds environ : depuis long-temps cet individu était en proie aux symptômes d'une hypertrophie du cœur. L'exhumation eut lieu le 9 mars i83o à dix heures du matin, c'est- à-dire quarante-sept jours après celui de l'inhumation. La température moyenne de l'atmosphère avait été, du 21 au 3i janvier, de 1,6—o°; pendant le mois de fé- vrier, de i°,2—o° (1), et pendant les neuf premiers jours de mars, de 10,2 -f- o° au maximum. Examen du corps. Le cadavre est entier, ni affaissé, ni tuméfié, un peu hu- mide et couvert de terre qui est comme massée à sa sur- face. On enlève cette terre avec précaution à l'aide d'un scalpel, et quelque soin que l'on prenne, on détache presque partout en même temps des lambeaux d'épi- derme. Lorsque le corps est ainsi débarrassé de la terre (1) Sur ces quarante jours, le thermomètre centigrade mar- qua , pendant vingt-deux jours, depuis 1 jusqu'à 160 au-des- sous de zéro. 48 TRAITÉ qui le recouvrait, on voit que la face est assez peu altérée pour qu'on puisse constater l'identité, que la couleur générale du cadavre est d'un blanc pâle antérieurement, si l'on en excepte la partie latérale du thorax et de l'ab- domen , qui est d'un rose légèrement violacé ; cette couleur est d'autant plus foncée que l'on s'approche davantage du dos : on remarque aussi aux parties in- ternes des cuisses, des jambes, des bras et des avant- bras, des plaques d'un rouge violet. En somme, au pre- mier abord, l'aspect de ce cadavre diffère à peine de celui d'un sujet mort depuis peu de jours, et qui n'a pas encore commencé à se putréfier. La partie posté- rieure du tronc est couverte, comme la partie antérieure, de terre massée, mais plus humide; la peau de cette région est d'un blanc rosé tacheté de violet à sa partie supérieure ; partout ailleurs elle est violette. L'épiderme tient à peine au derme et a été enlevé presque partout avec la terre qui couvrait le cadavre. En examinant les portions de terre massée, qui font pour ainsi dire corps avec les lambeaux de l'épiderme, on voit que celui-ci ne saurait être séparé de la terre, et que sa surface libre, celle qui correspondait à la peau, est grise, sillonnée et légèrement humide ; il semblerait que dans toutes ces parties l'épiderme a déjà éprouvé une altération qui l'a rendu légèrement grais- seux , et qui aurait probablement fini par former un enduit que l'on rencontre plus tard à la surface de la peau, et dont nous ferons mention en temps opportun. Les parties où l'on trouve encore l'épiderme sont les paumes des mains, les plantes des pieds, entre les DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. ^9 doigts et les orteils; tandis que la face dorsale des mains, des doigts, des pieds et des orteils, en est complètement dépouillée, excepté toutefois vers les dernières pha- langes des doigts et des orteils, où l'on en trouve encore quelques lambeaux. Cet épidémie est soulevé à la paume des mains; il est rugueux, plissé et semblable à celui de la même partie sur lequel on aurait appliqué pendant long-temps un cataplasme émollient : du reste, il est blanc, sillonné, épais, légèrement translucide, et se déchire à la plus légère traction. A la plante des pieds, il est beaucoup plus soulevé qu'aux mains, et prêt à tomber : son aspect est le même. Les ongles existent partout et se détachent avec la plus grande facilité; ils sont légèrement ramollis : le derme qu'ils couvrent est d'une couleur rouge semblable à celle de la gelée de groseille. Là peau de couleur naturelle, si ce n'est aux parties déjà mentionnées en parlant de la coloration extérieure du corps, offre la même consistance et le même aspect qu'à l'état normal. Le tissu cellulaire et les muscles sont dans l'état naturel, si ce n'est que le tissu cellulaire de la partie postérieure du crâne est infiltré d'une assez grande quantité de sérosité sanguinolente; que celui de la région lombaire est encore plus infiltré, et offre un aspect comme gélatineux; que les muscles fessiers et les portions de ceux qui sont à la partie inférieure du dos, sont livides; et qu'il en est de même de ceux de la partie postérieure des cuisses qui sont d'une couleur beaucoup plus foncée que ceux de la partie antérieure. Les tendons, les aponévroses, les ligamens et 1 s os sont 4 fio fRAIïÉ i l'état normal. Les nerfs présentent une teinte rosée, du reste, ils ressemblent parfaitement à ceux des cadr; vres récens. La tête est garnie de cheveux que l'on peut enlever facilement. Les orbites sont fermés par tes paupières qui sont rapprochées et enfoncées, en sorte qu'au premier abord les cavités orbitaires ne paraissent qu'à moitié pleines. En écartant les paupières qui sont amincies, et auxquelles sont encore attachés quelques cils, on aperçoit le globe de l'œil très-affaissé, et dont la cornée transparente est singulièrement obscurcie; du reste, on reconnaît toutes les parties qui le composent, ainsi que les muscles et le paquet graisseux qui sont logés dans les orbites. Le nez n'est que très légèrement affaissé. Les lèvres, les joues, le menton sont dans l'état naturel, si ce n'est qu'ils sont légèrement ramollis, et que leur couleur, lorsqu'on en a bien enlevé la terre qui les recouvre, est d'un gris jaunâtre. La bouche est béante, et renferme de la terre très-humide. Les oreilles sont entières, ramollies et à peine déformées. Le cer- veau est mou, surtout du côté gauche, où le ramollis- sement semble dépendre d'une lésion pathologique; en effet, en levant l'hémisphère de ce côté par tranches, on voit, après avoir séparé les parties les plus extérieures qui sont saines, que près du ventricule latéral corres- pondant, il existe une certaine quantité de sérosité sanguinolente, et que la masse encéphalique est jau- nâtre et comme pultacée : on trouve aussi une grande quantité de sérosité sanguinolente à la base du crâne; les vaisseaux cérébraux sont en grande partie gorgés DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 5l de sang noir. La dure-mère est dans l'état naturel- il en est de même du cervelet, qui paraît seulement un peu ramolli par suite de îa décomposition putride. Thorax. Il n'y a point de sérosité épanchée dans les cavités des plèvres ; on ne voit non plus aucune trace d'adhérences : au premier abord, les organes renfermés dans ces cavités paraissent à l'état normal. Les poumons sont gris, marbrés de rose et de noir en avant; ils sont légèrement emphysémateux, crépi tans , et leur structure n'offre rien d'extraordinaire. Posté- rieurement ils sont d'un violet foncé, ce qui semble tenir autant à ce que le cadavre s'est refroidi étant couché sur le dos, qu'à la difficulté avec laquelle la circulation pulmonaire s'était exercée pendant les derniers temps de la vie; du reste, la structure de cette partie postérieure des poumons diffère un peu de celle des autres parties: en effet, ils sont plus denses, d'un rouge homogène, un peu gorgés de sang , tandis qu'il y en avait à peine en avant : on dirait que postérieu- rement les poumons avaient subi un commencement d'hépatisation avant la mort. Quoi qu'il en soit, ces or- ganes sont dans un état de conservation tel, qu'on re connaîtrait parfaitement toutes les altérations patho- logiques dont ils pourraient être le siège. Le larynx et la trachée-artérv sont entiers et à l'état normal, si ce n'est que la membrane muqueuse qui les tapisse intérieurement a une couleur rouge foncée, sin- fout entre les cerceaux cartilagineux. On trouve à l'in- térieur de ces organesetjusqu aux divisions bronchiques une quantité notable de terre imbibée de liquide et en 4- ,)U TRAI'U: bouillie, qui a pénétré par la bouche. Le péricarde ne renferme pas de liquide. Le cœur, très-volumineux, est légèrement ramolli, et contient dans ses ventricules comme dans ses oreillettes du sang noir en partie coa- gulé; les parois du ventricule gauche offrent à peu près neuf lignes d'épaisseur, et sont évidemment hyperthro* phiées ; la couleur intérieure de ce ventricule est natu- relle , tandis que celle du ventricule droit est d'un violet foncé; cette teinte semble même pénétrer toute l'épais- seur de ses parois. On ne remarque aucune granulation à la surface de cet organe, dans lequel, du reste, on re- connaît à merveille toutes les parties. La crosse de Y aorte contient du sang en partie coagulé; sa membrane in- terne est d'un rouge clair, effet de l'imbibition qui ne s étend cependant pas au-delà de cette membrane. Les artères des membres renferment du sang coagulé ; leur membrane interne est légèrement rosée. La veine cave contient du sang noir à moitié coagulé ; elle est rou- geâtre à l'intérieur; ce qui tient encore à une imbi- bition cadavérique. Le diaphragme est dans l'état naturel. Organes de la digestion. La langue est entière, ra- mollie, dépourvue d'épiderme ; on y remarque encore les papilles lenticulaires qui se trouvent à la partie pos- térieure de sa face supérieure, et qui forment le V, dont la pointe est tournée en arrière. Entre la base de la langue et l'épiglotte, on trouve une certaine quantité de terre imbibée de liquide et en bouilUe, qui pénètre dans le larynx, comme nous l'avons déjà dit. L'œsophage renferme dans sa moitié supérieure de la terre molle et DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 53 eu bouillie:sa meinbranemuqueuseestd'un erisrouoeâ- tre, plaquée et piquetée de violet;la moitié inférieure de de ce conduit musculo-membraneux ne contient point de terre, et la tunique muqueuse qui entre dans sa com- position est un peu plus rouge qu'à la partie supérieure; du reste, elle est lisse partout : les diverses teintes dont nous parlons s'étendent aux autres membranes. L'esto- mac renferme environ deux cuillerées d'un liquide brun rougeâtre ; sa membrane muqueuse, généralement d'une couleur aurore tirant un peu sur celle de l'ocre, est grisâtre dans certains points et de couleur vert-bou- teille tirant sur le bleu près du pylore, où l'on voit une plaque longue de trois pouces, offrant cette der> nière couleur; cette tunique interne est ramollie et se détache très-facilement : ainsi enlevée, elle présente les diverses teintes dont nous venons de parler. Rien dans cette coloration n'annonce une inflammation, tandis qu'à l'extérieur ce viscère est généralement rouge, surtout dans les parties correspondantes aux portions intérieures de couleur aurore: cette rougeur pourrait simuler jusqu'à un certain point une inflammation. L'intérieur du duodénum est d'un rouge brun jaunâtre, tandis que le jéjunum est grisâtre, excepté dans quelques points où il est jaune; ces portions jaunes sont emphy- sémateuses et soulevées par des gaz épanches dans le tissu cellulaire sous-muqueux, de manière à simuler au premier aspect de petits paquets graisseux. La mem- brane muqueuse des autres intestins est d'un gris légè- rement jaunâtre. A l'extérieur, tout le paquet.intesti- nal offre une teinte grise légèrement rosée, peinte qui 54 TRAITÉ s'est surtout manifestée depuis que l'air atmosphérique a agi sur les viscères de l'abdomen. Les gros intestins contiennent des matières fécales. Le foie, la vésicule biliaire, les épiploons sont dans 1 état naturel. La rate est un peu ramollie, le pancréas un peu plus gris qu'à l'état normal. Organes urinaires et génitaux. Les reins et la vessie qui est vide, sont dans l'état naturel. La peau du pubis est couverte de poils qui s'enlèvent avec beaucoup de facilité. La verge est ramollie, flasque , mais entière ; on y reconnaît toutes les parties qui la composent. Les testicules, leurs enveloppes, les cordons testiculaires et les vésicules séminales sont dans l'état naturel, si ce n'est qu'ils sont légèrement ramollis. Remarques. Cette observation nous paraît devoir fixer notre attention sous plusieurs rapports. i° Le cadavre, quoique enterré nu dans un terrain qui hâte beaucoup la décomposition des corps, s'est parfaitement conservé, ce qui dépend en grande partie de l'abaisse- ment notable de la température pendant une grande partie du temps qu'a duré l'inhumation ; 2° l'introduc- tion d'une certaine quantité de terre jusqu'aux divisions des bronches et jusqu'à la moitié de l'œsophage ; 3° la possibilité de constater encore les diverses altérations pathologiques du cerveau, du cœur, des poumons, etc. ; 4° la rougeur de la membrane interne du larynx, de l'œsophage et de l'extérieur de l'estomac, et l'engor- gement des poumons; celui-ci paraît reconnaître pour cause à la fois le genre de mort auquel le sujet avait succombé, et l'inhumation prolongée. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 55 OBSERVATION 46- ÎSI ***, âge de soixante-dix ans, mort a la suite dune péricardite chronique , le 20 janvier i83o, inhumé le lendemain au cimetière de Bicêtre, après avoir été simplement enveloppé d'une serpillière, fut exhume le 16 mars suivant, cinquante-quatre jours après lin- humation. La température moyenne de l'atmosphère pendant ce temps a été marquée à la page 47- Le cadavre est entier et couvert de terre humide et comme massée. Lorsqu'on enlève la majeure partie de cette terre, on voit que la serpillière est détruite sur les parties latérales des bras , des jambes, à l'abdomen et à la partie postérieure du tronc; les portions de Loile qui restent et qui sont appliquées sur le corps, ne peuvent être détachées sans enlever en même temps l'épiderme sous-jacent. Le cadavre, débarrassé de toute la terre et des débris de la serpillière, est mai- gre ; l'abdomen est notablement enfoncé, au point que les fosses iliaques sont parfaitement dessinées ; la face, quoique déformée, est encore assez reconnaissable pour qu'on puisse constater l'identité. On ne découvre ni vers ni mouches; l'odeur n'est pas très-fétide. Lr coloration générale de la partie antérieure est rosée; cependant l'abdomen et la partie interne de la jambe gauche sont d'un bleu verdâtre, et l'on remarque des plaques assez larges, d'un rouge vif, vers les malléoles internes, à la partie interne des genoux et des cuisses, vers le haut de >;t poitrine, sur le.-. deux côtés du col 56 TRAITÉ et vers la région zygomato-maxillaire droite. La partie postérieure du tronc offre également une couleur gris- rosée, excepté à la région lombaire du côté gauche, où il existe une plaque verdâtre, ayant à peu près quatre pouces carrés. Épiderme. La majeure partie de l'épiderme, ainsi que nous 1 avons déjà dit, a été enlevée avec la serpil- lière , partout où celle-ci existait. Cet épiderme peut encore être détaché de la serpillière à laide du scalpel, et alors on voit qu'il présente différentes nuances qui peuvent être réduites aux couleurs grise, rosée et pe- lure d oignon rouge : il est translucide, ramolli et très- facile à déchirer. Dans les parties que la serpillière ne recouvre plus, et dans celles qu'elle recouvre sans adhérer à la surface du corps, l'épiderme existe en- core : ainsi, on le trouve à l'abdomen, à la partie in- terne des cuisses, sur les parties latérales du thorax et interne des bras et avant-bras : il est à noter que les membres thoraciques étaient immédiatement appliqués contre le thorax, et le touchaient par conséquent. On trouve encore l'épiderme à la plante des pieds et entre les orteils, où il est soulevé en grande partie et prêt à se détacher; sa couleur est blanche, tirant légèrement sur le verdâtre; sa consistance moindre que dans l'état naturel; les portions qui ne sont pas encore enlevées sont ridées et plissées. Les paumes des mains et les doigts aussi sont entièrement couverts par cette cuticule, qui est d'un blanc mat, ridée, fortement plissée, et seni blable à celle qui aurait été pendant long-temps en con- tact avec des cataplasmes émolliens. Lorsqu'on cherche DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 5^ à séparer l'épiderme de la face, on n'en obtient que de très-petits lambeaux,et on le détache sous forme d'un enduit gris-rosé, comme onguentacé. Les ongles existent, mais ils adhèrent assez faible- ment aux doigts et aux orteils pour pouvoir être sépa- rés par la plus légère traction; ils sont ramollis, et la peau qu'ils recouvrent est rouge comme la gelée de groseille. La peau diversement colorée, comme nous l'avons déjà dit, laisse apercevoir les empreintes de la serpil- lière partout où celle-ci adhérait et pressait : aussi re- marque-t-on, par exemple, à la partie antérieure des cuisses, sur la poitrine, etc., des lignes transversales et parallèles aussi rapprochées l'une de l'autre que le sont les fils de la serpillière. Dans plusieurs parties privées d'épiderme, et notamment à la partie anté- rieure des cuisses, la peau offre un luisant remarqua- ble, qui, au premier abord, paraît dépendre exclu- sivement d'un enduit graisseux qui la recouvre, mais qui tient réellement à la peau elle-même, puisqu'il persiste après avoir enlevé cet enduit. Du reste, la peau ne diffère pas, par ses autres propriétés, de ce qu'elle est à l'état normal chez des individus maigres. Le tissu cellulaire sous-cutané est dans l'état naturel, excepté à la partie inférieure du dos, à la région mas- setérienne, temporale et cervicale droite , et à la partie postérieure et latérale de la tête, où il est rougeâtre et même livide et infiltré de sérosité sanguinolente. Les muscles des cuisses, et surtout ceux des jambes, 58 i'RAITÉ sont un peu ramollis et offrent une teinte livide tirant légèrement sur le vert; ceux de l'abdomen sont encore plus ramollis et d'une couleur semblable à ceux de la jambe; ceux du thorax et des membres thoraciques sont moins altérés, et paraissent même dans létat na- turel; leur couleur est rouge vif, et leur ramollisse- ment à peine marqué : il en est de même de ceux de col, excepté toutefois à la partie latérale droite, où ils sont très-ramollis et livides, parce que la tête a été penchée de ce côté pendant tout le temps de 1 inhuma- tion; ceux delà partie supérieure du dos sont à l'état normal, tandis qu'inférieurement et dans les régions fessières ils sont infiltrés, livides et très-ramollis. Les tendons et les aponévroses sont à l'état naturel : il en est de même des nerfs, des ligamens et des carti- lages, si ce n'est qu'ils offrent une légère teinte rosée. Tête. Elle est couverte de cheveux gris, assez peu adhérens pour qu'on les enlève facilement avec le scal- pel , longs d'environ un pouce, entremêlés de moisis- sure blanche, fine, qui est aussi en partie appliquée sur eux. La peau du crâne, dépouillée de cheveux, est d'un jaune-rosé au front, d'un rouge vif au som met de la tête et à la région occipitale, où la couleur est même plus foncée : du reste, elle n'offre rien de remarquable. Ainsi que nous l'avons déjà dit, le tissu cellulaire sous-jacent est infiltré d'une sérosité san- guinolente, notamment à la partie latérale droite. Les sourcils sont entiers, noirs. Les paupières ne sont qi:e légèrement déprimées et enfoncées ; en sorte que DUS EXHUMATIONS JURIDIQUES. 5o les orbites paraissent presque pleins : elles sont amin- cies et de couleur rose pâle, excepté au grand an étendue : leurs ramifications sont à l'intérieur d'une couleur plus claire que celles de la surface interne des deux divisions primitives de la trachée. Lepéricarde est blanchâtre, lisse à l'intérieur, recou- vert à l'extérieur d'un.e couche graisseuse, semblable à du gras de cadavres. Il ne renferme pas de liquide. Le cœur, aplati et vide, est aussi recouvert d'une assez grande quantité de graisse, sorte de gras de cadavres, au milieu duquel il y a seulement quelques petits inter- valles où l'on aperçoit la substance charnue : les parois des ventricules et des oreillettes, appliquées l'une contre l'autre, sont très-amincies, évidemment musculeuses, et d'une couleur olivâtre cuivrée; on distingue très- bien dans leur intérieur les colonnes charnues, qui sont d'un rouge jaunâtre. La paroi interventriculaire est amincie et existe en entier. L'aorte, vide de sang, d'une couleur vert-bouteille à l'intérieur, est plutôt épaissie qu'amincie. On y recon- naît encore les deux membranes externe et moyenne; l'interne est détruite et comme transformée en un en- duit graisseux. La partie thoracique de la colonne vertébrale est re- couverte par le ligament vertébral antérieur, qui est bien conservé et a son aspect luisant. Il n'y a pas de li. quide dans les cavités thoraciques. Le diaphragme se déchire avec assez de facilité; il est formé par deux membranes, l'une supérieure, la plèvre, l'autre infé- rieure , le péritoine, entre lesquelles on voit des fibres musculaires et aponévrotiques. l86 TRAITÉ Abdomen. Les parois abdominales sont affaissées; vers leur partie moyenne antérieure, il existe, dans une étendue de la largeur de la main environ, une cou- che brunâtre de deux ou trois lignes d'épaisseur, formée par une matière qui ressemble beaucoup à des flocons de suie un peu humide ; le reste de ces parois est cou- vert par la moisissure floconneuse, blanche, dont nous avons déjà parlé. Incisées, elles ont tout-à-fait l'as- pect du lard cuit, et la surface de la section a une co- loration grisâtre; leur épaisseur est de quatre lignes et demie dans les parties les plus minces, et de six au moins dans les plus épaisses; elles sont formées par la réunion des feuillets aponévrotiques et par quelques fibres musculaires que l'on aperçoit, surtout dans la ré- gion des muscles droits; au milieu de ces parties membra- neuses se trouve placée une grande quantité de matière grasse ; on distingue bien la dépression de l'ombilic. La face interne de l'abdomen est tapissée par le péritoine qui a une couleur blanchâtre et semble un peu épaissi. Lorsqu'on a enlevé les parois abdominales, on voit dans la cavité de l'abdomen une grande quantité de graisse d'un blanc mat, n'ayant plus dans aucune partie cette couleur jaunâtre qu'elle a dans l'état ordinaire, et qui semble transformée en gras de cadavres; ces masses graisseuses diffèrent de la graisse que nous avons si- gnalée dans les parois abdominales, en ce qu'elles sont formées de granulations et de lobules distincts. Au milieu de cette couche épaisse qui est située sur les parties postérieures de l'abdomen, se trouvent plongés DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 187 les reins et la rate ; en l'incisant, on aperçoit dans quel- ques parties, surtout aux environs des reins, près de la colonne vertébrale, et dans sa partie la plus pro- fonde, une assez grande quantité d'une huile jaunâtre, fétide. On découvre à la région supérieure, et à droite, le foie, dans la région épigastrique l'estomac, et dans le reste de l'abdomen, les intestins d'une couleur grisâtre, le mésentère très-gras et offrant la même couleur que la couche de graisse dont nous avons déjà parlé, et à la formation de laquelle il participe nécessairement. Estomac. L'estomac est entier, comme huileux et grisâtre à l'extérieur, sec à l'intérieur ; ses membranes ont une consistance semblable à celle du parchemin un peu humide; sa surface interne est couverte d'une quantité considérable de granulations blanchâtres, ti- rant un peu sur le gris, dures, ce qui lui donne un as- pect chagriné (i) : ces granulations, assez fortement adhérentes à l'estomac, s'étendent jusque dans le com- mencement de lintestin grêle. Cet intestin, d'une couleur verdâtre bilieuse à son origine, gris dans le reste de son étendue, est très-dis- tinct, assez humide et aplati; il est dans un état tel de conservation, qu'on peut très-bien l'enlever sans le dé- chirer. Lorsqu'on l'a coupé, on distingue facilement sa cavité, dans laquelle sont renfermées des portions de matière brunâtre, à demi desséchée, qui semblent être des restes de matières fécales. (1) Au premier abord, on aurait pu prendre ces granula- Uons pour de l'acide arsénieux pulvérisé. l88 TRAITÉ Le gros intestin est aussi bien conservé que l'intestin grêle. L'épiploon est replié sur lui-même, très-gras; en le déployant, il s'en écoule une huile jaune, fétide; sa structure est bien évidente, et la graisse qu'il renferme est blanche comme celle des autres parties de l'ab- domen. Le foie est peu volumineux, couvert de sa membrane externe; sa substance est d'une couleur rougeâtre claire à gauche, fauve et semblable à celle des foies gras cuits à droite : il est impossible d'y reconnaître la structure primitive, quoiqu'on distingue très-bien encore les ori- fices des canaux vasculaires. Sa face supérieure, surtout à droite, est parsemée de granulations sablonneuses, dures comme celles que nous avons vues sur le foie d'autres cadavres. La vésicule biliaire est vide, et d'une couleur jaune verdâtre. Rate. Sa membrane externe, très-consistante, a con- servé , dans certaines parties, la forme de l'organe ; elle est épaissie, ossifiée même dans quelques points; dans d'autres elle est déchirée; le parenchyme de l'organe, presque entièrement détruit, très-ramolli, s'est en partie écoulé par les déchirures de la membrane externe ; il est d'une couleur bleue ardoise très-foncée. Les reins sont aplatis, très-mous ; leur membrane externe est déchirée dans un ou deux endroits ; leur substance, d'une couleur lie de vin peu foncée, paraît homogène ; la graisse qui se trouve dans la région du bassinet est molle, demi-fluide, et lorsqu'on la presse il s'en écoule un liquide jaune huileux. Ce* organes sont DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. l8û plongés au milieu d'une masse graisseuse, épaisse, blan- che aussi, mélangée d'un liquide huileux, semblable à celui dont nous venons de parler. La vessie est complètement vide, affaissée, sèche, d'une épaisseur ordinaire; ses parois peuvent être seu- lement divisées en deux feuillets. Parties génitales. Quelques poils sont épars sur le pubis. La verge, aplatie, est réduite à une languette mince, pointue , d'un brun noir, épaisse d une ligne environ ; il est impossible d'y reconnaître des traces de l'urètre ou des corps caverneux lorsqu'on l'incise. Les testicules et le scrotum sont détruits; il n'en reste pas même des débris. Membres supérieurs. Ils sont entiers et accolés au tronc; ils sont recouverts à leur partie antérieure et in- terne par une espèce de cuirasse de substance carton- née , détritus des parties charnues de cette région, au- dessous de laquelle on trouve quelques feuillets mem- braneux brunâtres, nullement musculaires : les parties molles de la région postérieure sont entièrement dé- truites par les vers, et il ne reste plus à leur place que des filamens noirs, formant des aréoles, au-dessous des- quelles on voit les os dénudés et d'une couleur brunâ- tre. Les mains sont placées sur les pubis; leurs faces dorsales sont desséchées et offrent quelques débris de tendons ; aux régions palmaires ces tendons sont moins secs, et d'une couleur brune très-foncée. Les doigts sont entiers; les ongles n'existent plus sur les dernières phalanges. Il y a sur les parties antérieures et externes de ces membres, de cette moisissure blanche dont il a été déjà question. Les articulations, quoique en rapport, ne sont plus maintenues par des ligamens; aussi en cou- pant les restes des parties molles qui réunissent les os, ceux-ci se séparent avec la plus grande facilité. Membres inférieurs. Ils sont entiers, et les parties qui les composent sont réunies. Les cuisses et les jambes pré- sentent dans leurs faces externe, antérieure et un peu interne, la même consistance que les faces correspon- dantes du membre supérieur; lorsqu'on incise cette membrane cartonnée qui remplace les tégumens et le tissu cellulaire sous-jacent, on trouve des feuillets membraneux brunâtres, parmi lesquels on distingue manifestement des traces de muscles ; ces feuillets exis- tent aussi aux jambes, mais on n'y aperçoit pas de fibres musculaires; quelques tendons desséchés, participant de la couleur générale, sont les seuls restes des organes locomoteurs de ces régions. Les pieds sont entièrement dénudés, excepté vers leur réunion avec la jambe; leur face supérieure est desséchée, ainsi que les tendons que l'on y remarque; la face inférieure est encore pourvue de parties molles : la masse totale du pied est moindre que dans l'état naturel; les orteils sont serrés entre eux, mais entiers et dépourvus d'ongles. La partie postérieure des membres inférieurs se trouve dans le même état que la partie correspondante du membre supérieur ; seulement les débris des masses charnues sont enduits de la substance graisseuse qui tapisse le fond de la bière, et dont nous avons déjà parlé. Les articulations des membres abdominaux sont, relativement aux parties qui les soutiennent, dans un DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 191 état analogue à celles des membres supérieurs. Les sur- faces articulaires ont conservé leurs rapports. Partie postérieure du corps. Elle repose dans toute son étendue sur un enduit épais, graisseux, mélangé d'une huile jaune; cette matière grasse, de couleur grise, mê- lée de vert et de rose à sa surface, de consistance de pommade, forme une couche d'un pouce d'épaisseur environ, qui s'élève un peu dans les intervalles compris entre les membres inférieurs. La partie postérieure du cou est entièrement détruite par les vers, et présente l'aspect d'un polypier ; le reste du tronc est couvert dans une grande partie de son étendue par des vers blancs vivans. Après avoir enlevé l'enduit graisseux, on trouve la peau dépourvue d'épiderme, souple, as- sez résistante; le tissu cellulaire sous-jacent est grais- seux et comme infiltré par une matière huileuse, jaune, tout-à-fait semblable à celle dont nous avons déjà parlé : une infiltration semblable existe dans les muscles du dos, dont les fibres sont encore très-distinctes et d'une couleur rougeâtre peu foncée. Les os longs sont assez resistans, et leur canal ren- ferme une substance jaune graisseuse. Les vertèbres cervicales tiennent à peine entre elles, tandis que les autres sont encore assez fortement arti- culées. 192 TRAITE OBSERVATION 19e. X***, âgé de soixante-dix ans, mort le 16 février 1828, à la suite d'une pleuropneumonie qui avait duré dix jours, inhumé le 17 février à dix heures du matin, fut exhumé le i5 juin 1829, quinze mois vingt-huit jours après l'inhumation. La bière en sapin, d'un pouce dépaisseur, est en- tière , à peine humide à l'extérieur : les parois internes latérales, et la partie inférieure du couvercle sont hu- mides , d'une couleur bistre foncée dans certains en- droits, plus clairt dans d'autres, et tapissées d'une grande quantité de petites larves blanches. Le côté droit, dont le cadavre est très-rapproché, en présente beaucoup plus que le côté opposé. Serpillière. Les débris de la serpillière couvrent la totalité du cadavre, sous forme d'un fumier humide brunâtre , non fétide; ces débris sont mêlés de larves blanchâtres et de chrysalides rouges et vides. On voit voltiger autour du corps un assez grand nombre de petites mouches bleuâtres. Aspect du corps. Le cadavre est entier, et les parties qui le composent offrent à peu de chose près les rap- ports normaux. Tête. La tête, qui a conservé sa position, se sépare du tronc avec la plus grande facilité ; elle n'y tient plus que par quelques débris ou restes de parties molles, humides, dans lesquelles il est impossible de distinguer aucune organisation : le crâne est entièrement dénudé» DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 193 excepté à la partie postérieure où l'on voit des pellicules minces , restes évidens des tégumens, et auxquels sont accolés des cheveux gris. Les portions d'os dénudées sont couvertes d'un enduit fort mince, un peu humide, qui les colore en jaune foncé ( bistre ). Les os propres du nez, les apophyses montantes de l'os maxillaire, les pourtours des orbites, la partie moyenne du bord al- véolaire supérieur sont dénudés, presque secs, et d'une couleur jaunâtre; des débris de parties molles, qui sem- blent transformées en gras, recouvrent les parties cor- respondantes aux fosses canines, et une portion des fosses temporales, près des apophyses zygomatiques. Les masses charnues des joues paraissent également transformées en gras: elles ont une épaisseur de trois à quatre lignes. Les cavités orbitaires sont remplies presque en totalité par une matière qui a la forme d'un cône creusé à sa base, et qui est évidemment le détritus des parties molles qui remplissaient ces cavités; elle est entièrement changée en savon, et il est impossible d'y re- connaître les différentes parties qu'on y voit dans l'état normal. Les fosses nasales sont complètement vides et réduites aux parties osseuses : l'os maxillaire inférieur est recouvert dans presque toute son étendue par une membrane mince, à moitié desséchée, ayant l'aspect du gras, et recouverte de poils gris et durs, restes de la barbe et des favoris. Il existe encore quelques traces de l'oreille gauche ; la droite est entièrement détruite : il n'y a plus de parties molles dans la cavité buccale, i3 194 TRAITÉ et après avoir enlevé la mâchoire inférieure on voit la base du crâne tout-à-fait sèche. Cerveau. Le cerveau occupe environ la moitié de la cavité crânienne. La dure-mère est en lambeaux. La substance cérébrale est transformée en une bouillie gri- sâtre à l'extérieur, et lorsqu'on la coupe, on y recon- naît ks deux substances, qui ont, l'une et l'autre, une couleur plus verdâtre que dans l'état normal. On ne peut reconnaître le cervelet. Cou. On ne remarque d'autres parties molles que ces languettes, que nous avons dit réunir le cou à la tête, et qui n'existent qu'en arrière. Antérieurement on voit à nu les vertèbres qui ne tiennent plus les unes aux autres, et qui sont recouvertes de débris de serpillière, de larves et de coques de chrysalides; on trouve aussi, parmi ces débris, quelques pièces du larynx ossifiées, et quelques anneaux brisés de la tra- chée-artère. Thorax. Le thorax est réduit au squelette dans la partie antérieure et moyenne ; le sternum est enfoncé et tombé dans la cavité thoracique : les cartilages cos- taux sont presque tous détachés des os, et tombés dans cette cavité ; on voit une membrane mince, presque des- séchée, brunâtre, sans aucune trace d'organisation mus- culaire , qui recouvre les os et qui remplit les espaces intercostaux. A la place des muscles grands et petits pectoraux, il existe des feuillets membraneux dessé- chés, recouverts par des restes de la peau, qui est comme tannée. Les clavicules tiennent encore un peu DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 1Q& par quelques filamens à l'omoplate, et un peu moins à la partie supérieure du sternum ( seule portion de cet os qui soit restée en place ) : elles sont presque complète- ment dénudées; dans quelques points seulement elles sont couvertes d'une pellicule très-mince (débris des té- gumens). Les poumons et le cœur sont presque entièrement détruits : on ne trouve à la place des premiers que des restes noirâtres feuilletés, peu consistans, très-faciles à déchirer, semblables par leur couleur à des feuilles pourries un peu humides. Il est impossible de décou- vrir même des traces des bronches et de leurs divi- sions ; il n'existe des canaux aériens que les débris de la trachée-artère, dont nous avons parlé plus haut. Le cœur est transformé en une bouillie grasse, hui- leuse , jaunâtre, présentant çà et là des portions ro- sées , qui semblent remplacer une partie des fibres mus- culaires de l'organe : tout est confondu dans cette masse, et sa position seule indique qu'elle provient de la décomposition du cœur. Il n'y a plus de traces de l'artère aorte ni des autres gros vaisseaux thoraciques, La cavité du thorax ne renferme pas de liquide. Sur la ligne médiane on voit les corps des vertèbres dénudés, d'une couleur noirâtre, et dans l'étendue de trois ou quatre pouces en dehors de la colonne vertébrale, on trouve la plèvre sous forme d'une membrane mince, d'un noir bleuâtre, à peine humide, et recouverte de quelques feuillets qui sont les débris des poumons. Abdomen. On distingue parfaitement le nombril. Les i3. I96 TRAITÉ parois abdominales sont entièrement détruites latérale- ment, et presque complètement en arrière. Antérieu- rement, elles sont conservées, et consistent en une membrane assez épaisse, flexible, qui est évidemment formée par les restes de la peau et des muscles de cette région; sa surface externe est d'une couleur jaunâtre foncée, et couverte, comme presque toutes les autres portions du cadavre, de larves et de débris de serpillière. Le diaphragme n'existe plus qu'en partie; il est très aminci, d'une couleur brunâtre ; on ne peut plus y re- connaître la structure musculeuse. A la place de l'esto- mac et des intestins, on ne trouve plus que des feuillets membraneux très-minces, transparens, desséchés et brunâtres dans certains endroits, jaunâtres et humides dans d'autres, se déchirant en petits lambeaux lorsqu'on veut les séparer; il est impossible de distinguer leur structure et de retrouver leur cavité. Le foie est en partie détruit, et ce qui en reste est ré- duit en une bouillie noire comme du cambouis. La rate présente le même état que le foie. On n'a pas pu re- trouver les reins. Il est très-difficile de reconnaître le sexe; cependant il existe une petite languette attachée au pubis, qui peut indiquer que le cadavre est celui d'un homme. Quelques poils rares sont collés à cette région, et au milieu d'eux, on voit des coques rouges de crysalides. Il n'y a plus de vessie. Les cavités thoraciques et abdominales renferment une grande quantité de larves et de coques de crysali- des; c'est surtout dans le petit bassin qu'on les remarque DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 197 en plus grande quantité; en effet, cette partie de la ca- vité abdominale en est presque remplie. Membres supérieurs. Les bras et avant-bras, dont les différentes parties ont conservé à peu près leurs rap- ports, tiennent encore au tronc par quelques parties molles, desséchées et brunâtres, réduites en feuillets. Les bras sont placés le long du corps, et les avant-bras dans la demi-flexion, de manière que les mains sont appuyées sur les pubis ; ces mains sont réduites au sque- lette; quelques-uns de leurs os ont conservé leurs rap- ports; les autres sont tombés lorsqu'on a enlevé la ser- pillière. Les bras et les avant-bras offrent à peine quelques fibres musculaires dans certains points, et dans ces mêmes parties, il existe une couche très-peu épaisse, qui paraît formée de gras et d'une membrane desséchée, débris évident de la peau. L'articulation sca- pulo-humérale tient encore assez, ce qui est dû aux restes des parties molles environnantes dont nous avons parlé plus haut. L'articulation huméro-cubitale est moins difficile à détruire, les os qui la composent te- nant à peine par quelques filamens desséchés. Membres inférieurs. Ils laissent entre eux un inter- valle assez large, qui est rempli par des larves, des co- ques de crysalides et des débris de serpillière. Les dif- férentes parties qui les composent ont conservé leurs rapports. La rotule est à nu. Les jambes et les pieds ( dont plusieurs os se sont détachés ) n'offrent plus de chairs. Les cuisses seules présentent des parties molles, desséchées antérieurement, réduites à la peau t à des aponévroses qui sont un peu humides posté I98 TRAITÉ rieurement;dans certains endroits, on trouve du gras de cadavres qui est même assez abondant autour du grand trochanter. Dans les vides qui existent entre les feuillets aponévrotiques qui se trouvent vers la partie supérieure de la cuisse, on voit une grande quantité de mouches. Les articulations coxo-fémorale et fémoro- tibiale tiennent encore par les parties molles dont nous avons parlé; l,a dernière résiste beaucoup moins que l'autre. Les pieds, que nous avons dit être réduits au squelette, présentent cependant à la plante des restes de chairs, disposées en feuillets,au milieu desquels on voit quelques tendons desséchés. Partie postérieure du tronc. Les parties latérales et supérieures du thorax, et les parties latérales de l'ab- domen sont détruites; sur la ligne médiane, on trouve une masse ayant environ quatre pouces de large, molle, humide, d'un blanc rosé, offrant à peu près la consis- tance d'une pâte semblable à du gluten qui aurait été exposé à l'air humide, et au milieu de laquelle il existe des portions tendineuses, seuls restes des muscles de cette région. Les muscles fessiers sont réduits au gras, et en une matière glutineuse semblable à celle que nous venons de décrire; on n'y trouve plus de fibres muscu- laires, et quand on les incise,il en découle une petite quantité d'une huile jaunâtre, épaisse. De toutes les parties du cadavre, le cerveau et les masses charnues de la partie postérieure du tronc sont les seules fétides. Les articulations sont presque complètement dé- pourvues de cartilages. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 19g Les os, qui ne sont pas très-secs, se brisent assez facilement. OBSERVATION 20e. F***, âgé de trente ans,mort le 25 février 1828, à la suite d'une entérite qui avait duré douze jours, fut in- humé le 26 du même mois à deux heures, dans le cime- tière de Bicêtre. Le corps était enveloppé d'un drap de toile ordinaire, et déposé dans une bière en sapin neuf d'unpouce d'épaisseur. L'exhumation eut lieu le 6 mars i83o, c'est-à-dire deux ans neuf jours après l'inhuma- tion. Ce jour-là, la température de l'atmosphère était de 90 -j- o° R., tandis que le thermomètre, laissé pen- dant un quart d'heure dans le terrain où était la bière, c'est-à-rdire à quatre pieds environ de profondeur, mar- quait à peine 4>5° -f- o°. La bière est entière,parfaitement conservée, jaunâtre à l'extérieur, avec des veines d'un vert noirâtre, comme on en remarque dans du sapin très-légèrement humide, d'un jaune roussâtre veiné de brun et de noir à l'inté- rieur, où elle est plus humide et plaquée de moisi blanc; ces moisissures sont surtcut très-larges aux points de jonction du fond de la boîte avec les ais laté- raux, et sur ces mêmes ais notamment sur l'un d'eux. La partie du fond de la bière sur laquelle repose le corps est d'un blanc noirâtre, et couverte de moisissures gri- sâtres; la couleur noirâtre dont nous parlons est évi- demment due à un enduit graisseux presque sec, ino- 200 TRAITÉ dore, qu'il n'est pas possible de détacher en entier. Les autres portions du fond de la bière sont également noi- râtres ou d'une couleur moins foncée, qui ressemble à celle du chocolat; le même enduit colore toutes ces parties, et peut être enlevé presque complètement, quand on gratte avec le scalpel. Cadavre. Le cadavre, qui, au premier abord, pa- raît réduit au squelette, est couché sur le fond de la bière; les diverses parties qui le composent offrent encore leurs rapports de situation, quoique la plupart d'entre elles ne soient plus maintenues par les parties molles ; elles sont simplement juxta-posées ; on dirait que le corps est entier; il exhale à peine de l'odeur. Le drap qui l'enveloppait au moment de l'inhumation est en partie détruit; les lambeaux qui restent, et dont quelques-uns sont assez volumineux, cachent une partie du corps, et sont complètement pourris; leur couleur est brune noirâtre à l'extérieur, où ils sont presque par- tout recouverts de moisissures blanches et d'une quan- tité innombrable de crysalides vides, de couleur rous- sâtre; ce mélange de moisi et de crysalides cache la couleur brune noirâtre dont nous parlons, et donne à la surface de ces lambeaux un aspect que l'on ne sau- rait comparer qu'à celui de certains lichens; leur surface interne couvre les os, et offre les mêmes nuances qu'à l'extérieur; ainsi, toutes les portions qui correspondent aux parties externes moisies et blanches, sont dans le même état; celles qui sont immédiatement au-dessous du mélange de crysalides et de moisi, sont également DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 201 couvertes par le même mélange : du reste, ces lambeaux se déchirent par la plus légère traction ; ils sont humi- des, et lorsqu'on en enlève la moisissure, on voit qu'ils sont imprégnés d'une matière grasse à laquelle ils doi- vent leur couleur brune. Quand on cherche aies enle- ver, on remarque que sur plusieurs points ils adhèrent aux os, tandis que sur les autres ils se séparent avec la plus grande facilité. Le corps, ainsi débarrassé des débris du drap, est en- tièrement réduit au squelette, et tous les os sont désar- ticulés. On aperçoit encore sur la tête et sur les pubis quelques poils roux qui y sont accolés. Les os ont géné- ralement une couleur jaune safran ; toutefois, plusieurs de ceux qui composent la partie supérieure du tronc sont de couleur bistre, ce qui est dû à un enduit peu épais, humide, que l'on détache facilement; d'autres, notamment ceux des membres abdominaux, sont cou- verts d'un mélange de crysalides roussâtres, sèches, et des lambeaux de drap dont il a déjà été fait mention, ce qui leur donne assez l'aspect de ces lichens qui re- couvrent les branches d'arbres. Quoi qu'il en soit, lors- qu'on enlève ces enduits avec le scalpel, on s'assure que ces os, comme les autres, ont une teinte safranée, qui existe même à l'intérieur du crâne et dans le canal médullaire des os longs. La consistance du tissu osseux ne diffère pas de ce qu'elle est à l'état normal. Les os maxillaires sont encore garnis de dents. On ne trouve plus de vestiges de cartilages. Le cerveau est à peu près réduit au dixième de son volume; il est gris, livide à l'extérieur, marbré çà et là 202 TRAITÉ de quelques petites plaques roses et vertes : lorsqu'on le coupe, on voit qu'il a la consistance du fromage à la crème, et quoique évidemment saponifié, on distingue encore à leur couleur les deux substances qui le com- posent; son odeur n'est pas très-fétide. On aperçoit quelques lambeaux de la dure-mère, faciles à déchi- rer, d'un gris bleuâtre sale, et dcwit la structure fi- breuse est très-manifeste. Au niveau des hypochondres et de la région épigas- trique, il existe une couche noire, épaisse de deux à trois lignes, à moitié desséchée, sentant le moisi, et formée des débris des viscères de ces régions : aussi, à droite, cette couche est-elle plus épaisse,et offre-telle dans l'intérieur de sa substance, des calculs biliaires. Remarques. Cette observation est remarquable par la destruction presque complète des parties molles, dans une bière neuve, épaisse, qui s'est conservée même sans se fendre, et on peut dire presque sans s'humecter à l'intérieur. Nous aurions pensé, d'après la marche que suit la putréfaction dans les cadavres enterrés dans des bières minces au même cimetière, que le corps eût été moins pourri; non pas qu'il ne soit démont«ré pour nous que l'épaisseur et l'intégrité de la boîte ont re- tardé la décomposition; seulement nous attendions un effet plus marqué de la part de la bière. On dira peut- être que le sujet dont il s'agit, n'étant âgé que de trente ans, devait se pourrir plus vite que les vieillards ensevelis dans le même terrain ; nous sommes loin de vouloir nier l'influence d'une pareille cause clans la production du phénomène, mais elle ne nous paraît pas suffi- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 2û3 santé pour l'expliquer. Une autre remarque curieuse consiste dans la coloration safranée des os. §. IV. Putréfaction de cadavres denfans à terme ou âgés de quel- ques jours, nus ou enveloppés d'une serpillière ou d'un drap, et enterrés au cimetière de Bicêtre, dans des bières de sapin neuf d'un pouce d'épaisseur, ou dans des boîtes plus minces. OBSERVATION 21e. Un enfant, du sexe féminin, mort-né, le 3 juin 1823, parce que le placenta s'était détaché trop tôt, fut enterré le même jour. Voici quel était son état avant l'inhumation. La partie postérieure des*oreilles, les commissures des paupières, le dos, le périnée, la région inguinale , mais surtout la partie interne des grandes lèvres, étaient couverts d'un enduit sébacé; le cordon était coupé et légèrement lié à cinq pouces de distance de l'ombilic. Les articulations des membres étaient mobiles, la peau turgescente, le ventre flasque, et le bout du cordon comme gélatineux. Les paupières et les lèvres étaient fermées; les oreilles s'écartaient un peu de la tête : le dos était le siège de plusieurs livi- dités cadavériques d'un rouge bleuâtre, tandis que partout ailleurs le corps était d'une teinte uniforme, blanche-rougeâtre. Le cadavre était encore chaud sous les aisselles et aux aines ; il exhalait à peine une faible odeur animale. La température était de 160 R. 2o4 TRAITÉ On l'enterra sur le dos , dans une fosse de trois pieds de profondeur, récemment creusée dans un jardin, et on le recouvrit d'un pied de terre. Le 5 juin, la fosse fut ouverte; la température du fond de cette fosse était de 90 R. Le cadavre est roide, toutes les articulations immobiles ; la peau ne peut être soulevée et garde les impressions des doigts que l'on y enfonce. Les os du crâne ne se déplacent pas. La tête est un peu comprimée des deux côtés ; le nez et les lèvres offrent aussi des traces de pression. Le bras gauche a perdu sa forme cylindrique, et l'abdomen est un peu enfoncé. La couleur du cadavre est plus pâle qu'avant l'enterrement. Les paupières, le nez et quel- ques autres parties sont d'un blanc jaunâtre; les fesses et l'épaule droite sont couvertes de taches d'un blanc foncé sale. Les environs de l'ombilic sont couleur de minium ; les yeux sont ternes, les lèvres légèrement brunâtres, les mamelons d'un bleu brun, les ongles des doigts et des orteils d'un bleu rouge pâle. Le ca- davre est remis dans la fosse et couvert de terre. 6 août. La température de l'atmosphère a varié depuis le 5 juin, jusqu'à ce jour, de i5° à 25° R.; au- jourd'hui elle est à 200 à l'air, et à i4° sous terre. Le premier pied de terre enlevé est assez sec ; le second est plus frais, et le troisième en quelque sorte humide. La portion de terre qui entoure immédiatement le ca- davre, ressemble à une fourmilière, tant elle est tra- vaillée et en mouvement. Des milliers d'aleocharia par- courent les environs. Le cadavre est encore entier, mais considérablement changé ; il semble plus élargi : DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 2o5 de la terre a pénétré dans les intervalles du corps; toutes les parties paraissent avoir été comprimées de haut en bas, suivant leur position respective. Les formes des parties molles sont détruites, les traits du visage effacés; les cavités sont ouvertes, et il en sort des lambeaux de viscères : toute élasticité a disparu. Les cheveux se détachent facilement ; les os de la tête tiennent à peine ensemble. Les cartilages des oreilles et du nez tombent lorsqu'on les touche; l'épiderme man- que presque partout ; on ne le trouve que là ou deux sur- faces cutanées ont été en contact immédiat; le derme , déchiré partout, bosselé, comme s'il était couvert de verrues, est onctueux ; la graisse semble formée de deux substances : elle est moins molle et grumeleuse sur certains points, plus molle et visqueuse sur d'autres. Des bulles de gaz se remarquent çà et là sur le tissu musculaire , surtout dans les interstices des muscles et au voisinage des os. La chair est visqueuse et se déchire sous les doigts. Les tendons, les ligamens et les apo- névroses sont mieux conservés. Les os et les cartilages sont encore en rapport ; quelques phalanges des doigts se sont détachées. L'épiderme est d'un blanc de lait sale ; le derme sous-jacent est marbré de rouge gris et d'un blanc grisâtre ; là où la cuticule est détruite il est d'un brun rougeâtre. On observe cà et là, à la sur- face du corps, des champignons verts, des sporotricha ; la graisse a un aspect blanc rougeâtre, plus décidé à sa face interne qu'à l'externe. La chair musculaire est rougeâtre tirant sur le jaune brun ; aux endroits où la couche en est fort épaisse, elle a une couleur rouge 2û6 TRAITÉ clair, tirant sur le rose. Les os larges de la tête sont dégarnis de derme ; ils offrent un ton jaune-brun , voisin du rougeâtre, interrompu par des taches sales , plus foncées en couleur. Les lambeaux des viscères qui sortent des cavités sont d'un rouge-brun; l'odeur est empyreumatique, plus fétide au voisinage des couches musculaires épaisses. La fosse fut comblée de nouveau. 3o septembre. La température de l'atmosphère est de 17°; à deux pieds sous terre, le thermomètre marque io°. Arrivé à la place du cadavre, on n'en trouve plus rien, si ce n'est un grand grumeau de terre humide parcouru par des galeries du diamètre d'une plume de corbeau. En poussant plus avant, on découvre enfin un paquet de cheveux , attaché à un lambeau de peau blanche, mince, friable et inodore. Toute la masse externe fut alors enlevée ; mise sur une planche, elle se divisa en plusieurs grumeaux, dont chacun contenait quelques restes de l'enfant. Aux points de jonction des grumeaux de terre , on voyait la substance du cadavre qui leur avait servi de noyau ; mais il fut impossible de déterminer quelles parties étaient contenues dans chaque grumeau. La portion de la colonne vertébrale fut seule reconnue, par le moyen des arcs des vertè- bres , qui, quoique séparés, étaient retenus ensemble par de la terre et de la graisse. Les membres furent reconnus aux os longs ; les mains et les pieds aux os des phalanges. La charpente osseuse de la tête était entièrement en morceaux ; un peu de substance céré- brale, parcourue par des stries blanches et brunâtres, DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 207 et d'un rouge pâle , de consistance onctueuse, adhérait aux os crâniens. A la place du derme et du tissu adipeux, il y avait un peu de gras de cadavres ; ce gras était friable, blanc, et çà et là rougeâtre et jaunâtre; on y voyait aussi des tâches d'un bleu foncé. Ces espèces d'écorces, formées de gras de cadavres, et situées à la place qui était auparavant occupée par les membres, entouraient un tissu fibreux, comme de la mousse, qui semblait être formée par des restes de vaisseaux, d'aponé- vroses et de tendons. Le ton fondamental de ce tissu était le brun, qui tirait tantôt sur le jaune terreux, tantôt sur le noir. On y voyait des groupes de cham- pignons blancs et verts. Les os étaient, d'un jaune sale, les épiphyses colorées en brun , en partie noirâtres. 11 n'y avait plus de traces des viscères thoraciques et ab- dominaux : l'odeur était celle de la terre de jardin fraî- chement remuée. (Gûntz. DerLeichnam desMenschen, etc.; ou le cadavre de l'homme dans ses transformations physiques, etc., Leipzig, 1827.) OBSERVATION 22e. N., enfant mâle, âgé de vingt-cinq jours, mort le 11 septembre 1828 au soir, enterré le lendemain dans la journée, fut exhumé le 29 novembre, deux mois dix-sept jours après l'inhumation. La température moyenne de l'atmosphère avait été de i6,6-f-o°en septembre, de 10,84-0° en octobre, et de 7,4 + 0° en novembre, La bière est en peuplier de quatre lignes d'épaisseur, parfaitement jointe et à peine altérée ; elle est humide 208 TRAITÉ et brunâtre à l'intérieur, surtout à la partie interne de la paroi inférieure, où l'on voit une grande quantité de larves. Le drap, quoique d'une étoffe assez serrée, se déchire avec beaucoup de facilité, principalement aux portions qui correspondent à la tête et aux pieds; il est très-humide, et d'un brun verdâtre taché de noir dans plusieurs endroits; on ne voit pas, comme dans l'ob- servation dix-septième, que les parties qui sont au-delà de la tête et des pieds soient blanches. Aspect du cadavre. Il est complètement enveloppé dans le drap, et en grande partie réduit au squelette ; il ne paraît offrir de parties molles qu'au thorax et à l'abdo- men. La tête, très-affaissée et désarticulée, est éloignée du tronc; dans l'intervalle, on trouve les débris des ver- tèbres cervicales. Le thorax et l'abdomen tiennent en- core ensemble. Le bras gauche est accolé au thorax; l'avant-bras du même côté, qui tient encore au bras et à la main, est placé sur l'abdomen, et croise l'avant-bras droit qui est également appuyé sur les parois abdomi- nales, et qui tient aussi à la main correspondante. Les os des membres inférieurs sont entièrement désarticulés, dépouillés de parties molles, et éloignés des positions qu'ils devraient occuper, à l'exception des deux fémurs, qui conservent à peu près leurs rapports avec le bassin, auquel ils ne tiennent cependant plus. Tête. La tête n'offre plus qu'un ensemble d'os désar- ticulés , et séparés les uns des autres, sans aucune partie molle tégurnentaire : on voit des cheveux longs accolés sur le coronal, les pariétaux et l'occipital ; l'intérieur des pariétaux contient environ une cuillerée d'une DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 209 bouillie rosée, mêlée de stries blanchâtres, semblables à celles que l'on trouve souvent dans les ramollissemens des corps striés du cerveau. Des cheveux en assez grande quantité sont accolés sur la portion du drap sur laquelle reposent les os du crâne. Col. On ne voit au col que les diverses portions os- seuses qui composent les vertèbres cervicales et plu- sieurs des os de la face; mais ces os ne nagent pas, comme chez le sujet de l'observation précédente, au milieu d'une bouillie. Thorax. Les clavicules, complètement dépouillées des parties molles, tiennent encore au sternum par leurs extrémités internes. Les parois osseuses du thorax sont entières, et maintenues dans leurs rapports par des parties molles très-amincies, de couleur brune verdâtre, et même noire par places, dans lesquelles on peut reconnaître aisément des fibres musculaires. Les carti- lages tiennent encore aux côtes et au sternum, mais ils ont perdu leur élasticité. Les poumons, gris dans quel- ques points et d'un bleu ardoise foncé dans d'autres, sont entiers, ramollis, emphysémateux, plus légers que l'eau, et de forme presque ordinaire ; il est impossible de reconnaître leur structure. Le cœur, très-mou, de couleur ardoise très-foncée, très-aplati, offre d'une ma- nière distincte toutes les cavités, les piliers et les autres parties qui le composent; il est vide; sa surface interne est encore plus foncée que l'externe. Le diaphragme est entier, et laisse facilement apercevoir le centre tendi- neux. On reconnaît aussi à merveille le médiastin. Abdomen. L'enveloppe abdominale de couleur jaune, i4 2IO TRAITÉ grise, verdâtre et noirâtre par places, est très-amincie, facile à déchirer et couverte çà et là de lambeaux d'épi- derme d'un gris noirâtre; elle paraît formée par la peau, des fibres musculaires et le péritoine. En incisant l'ab- domen, on voit les viscères abdominaux, et on est. frappé de la teinte noire que présentent ceux d'entre eux qui avoisinent le foie, tels que l'estomac, la portion droite du diaphragme, etc. : cette nuance est évidem- ment due à la transsudation dune matière noire qui co- lore le foie. L'estomac serait dans l'état naturel s'il n'é- tait pas aminci et teint comme nous venons de le dire. Les intestins sont aussi plus minces, mais conservent leurs formes. Le foie, tirant sur le vert-bouteille, occupe la place ordinaire;, il est ramolli, et laisse apercevoir les deux lobes, les sillons de sa face inférieure, et la vési- cule biliaire qui est presque noire en dehors; l'intérieur de cette poche contient une matière semblable à de la suie mouillée, qui, étant enlevée, met à nu la membrane interne, d'un jaune verdâtre. La rate conserve à peu près sa forme; elle est ramollie, et d'une couleur analo- gue à celle du foie, quoique moins foncée à l'extérieur ; elle est presque noire à l'intérieur. Les reins sont très- petits, très-minces, noirâtres dans la portion qui cor- respond au foie et à la rate, et surmontés des capsules surrénales qui sont bien distinctes ; lorsqu'on les incise, on ne découvre plus les diverses substances qui les com- posent ; toutefois, on reconnaît bien les calices. Il est impossible de distinguer les parties génitales ni la vessie. Membres. L'omoplate tient au tronc par des portions membraneuses, restes de la peau et des muscles; des DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 211 parties semblables joignent les membres supérieurs à l'omoplate. On voit encore quelques parties molles au- tour du bras et de l'avant-bras gauches, et de l'avant-bras droit. On peut reconnaître lel cartilages du carpe à gauche et à droite ; les autres parties de la main gauche ne tiennent plus entre elles ; le carpe, le métacarpe et presque toutes les phalanges de la main, quoique dés- articulées, sont encore maintenues par un reste des tégumens de la paume de la main. Les os du bassin et des membres inférieurs sont sé- parés les uns des autres. La face postérieure du tronc est d'une couleur très- foncée à droite, surtout inférieurement, où elle présente absolument la même couleur que le foie; du côté op- posé, la teinte est d'un gris légèrement livide. La partie moyenne et les parties latérales supérieures du tronc offrent encore de l'épiderme facile à enlever, et de la peau amincie qui conserve cependant assez de force; en incisant ces tégumens, on découvre quelques fibres musculaires et tendineuses très-ramollies. La moelle épinière est entièrement détruite ; mais on découvre encore les membranes qui l'enveloppent dans l'état naturel. Le faisceau de nerfs, connu sous le nom de queue de clceval, est très-distinct quoique ramolli. OBSERVATION a3C. X***, enfant mâle, âgé d'un mois dix-neuf jours, mort le 9 septembre 1828 au soir, enterré le 10 du même mois dans la journée, a été exhumé le 29 novembre, 14. 212 TRAITÉ deux mois vingt jours après l'inhumation. V. l'ob- servation précédente pour la température atmosphé- rique. La bière, en sapin, cfun pouce d'épaisseur, est en- tière, parfaitement jointe et presque comme neuve : l'intérieur de ses parois latérales et du couvercle est humide et brunâtre; cette coloration est beaucoup plus marquée à la face interne de la paroi inférieure. Le drap, de consistance ordinaire, ne peut pas être déchiré; il recouvre tout le corps ; les portions qui sont au-delà de la tête et des extrémités, offrent la couleur du linge mouillé; les autres qui touchent le corps sont d'un gris verdâtre; on voit à l'intérieur une assez grande quantité de chrysalides rougeâtres, de larves d'un blanc jaunâtre, sans mouvement, et de mouches, dont quel- ques-unes vivantes. La surface externe de ce drap pré- sente quatre plaques d'une matière grasse, d'un rose jaunâtre, qui a transsude à travers son tissu : ces plaques occupent les parties correspondantes du thorax et de l'abdomen. En arrière, le drap est très-humide, de cou- leur livide, brunâtre et même noirâtre. Le cadavre, découvert, ne présente plus que les dé- bris d'un squelette presque entièrement désarticulé, et quelques parties molles, qui sont, la paroi antérieure de l'abdomen, et la matière cérébrale; celle-ci est fluide, et s'est écoulée par suite de la désunion des os du crâne ; on la trouve répandue sur les vertèbres cervicales, sur les premières vertèbres dorsales, et sur les côtés de la partie supérieure de la cavké thoracique. Les os qui com posent le squelette, quoique n'offrant pas les rapports DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 2l3 qu'on leur connaît, occupent cependant à peu près la place qu'ils occuperaient si ces rapports n'avaient pas été détruits : nous exceptons toutefois les os de la face, qui sont en partie tombés dans la bouillie cérébrale qui est au-devant des vertèbres cervicales. La tète est inclinée à gauche. Les os sont dénudés, à l'exception d'un petit nombre de points qui sont recou- verts d'une membrane épidermoïde très-mince, de cou- leur bistre claire, à la surface de laquelle sont accolés une assez grande quantité de petits cheveux. Les deux portions du coronal sont entièrement séparées. Les pa- riétaux tiennent encore entre eux, ainsi qu'à la portion gauche du coronal et de l'occipital. Le sphénoïde, les temporaux et tous les os de la face sont séparés, Il n'y a aucun vestige d'yeux ni de langue. La partie latérale gauche du crâne, la plus déclive, contient dans son in- térieur environ une once de bouillie cérébrale, d'un rose jaunâtre par places, brunâtre dans d'autres, dans laquelle il est impossible de distinguer aucun des or- ganes qui composent le cerveau, pas plus que les ma- tières blanche et grise; on y découvre cependant en- core des lambeaux de la dure-mère. Col. On ne peut reconnaître aucune des parties qui composent le col, celte région n'étant occupée que par une matière molle et fluide, reste du cerveau, dans la- quelle nagent les os de la face, les clavicules, les omo- plates, et probablement les cartilages du larynx, qu'il est impossible de retrouver. Thorax. A gauche, les côtes sont entièrement dénu- dées, privées de leurs cartilages sternaux, et ne tien- 2l4 TRAITl nent aux vertèbres que par quelques parties molles; elles conservent à peu près leurs rapports naturels, quoiqu'il n'y ait plus de traces des muscles intercostaux; à droite, les quatre dernières côtes sternales sont encore munies de leurs cartilages, qui sont aplatis, minces, très-mous et nullement élastiques : ces côtes, ainsi que les asternaies du même côté, sont réunies entre elles par une membrane d'un vert brunâtre, qui ne peut être que le reste des musclés intercostaux, de la plèvre, et de la peau. Le sternum manque, et les pièces qui le com- posent se retrouvent dans la bouillie cérébrale dont nous avons déjà parlé; l'absence de cet os et d'une grande partie des cartilages sternaux fait paraître l'ou- verture du thorax très-grande. On aperçoit, à la place qu'occupe ordinairement le cœur, une masse molle, brunâtre, qui semble être le débris de cet organe, quoiqu'il soit impossible d'y distinguer les diverses par- ties qui le composent; à droite de cette masse, on voit le poumon de ce côté, sous forme d'une masse d'un brun verdâtre, très -fétide et ramollie, non crépitante, et emphysémateuse à la surface. On trouve une portion du diaphragme à droite. Abdomen. Cette cavité est entièrement fermée en avant par une membrane de couleur bistre en haut et au milieu, et d'un jaune sale aux parties inférieures et latérales. Cette membrane, peu épaisse, ne paraît for- mée que par les portions aponévrotiques très-amincies ; du moins on n'y découvre plus de traces de fibres mus- culaires : en l'incisant, on voit les viscères abdominaux qui sont bien conservés. L'estomac, vide, de couleur DES EXHUMATIONS JURIDIQUE. 2l5 brune noire, surtout à l'extérieur, doit évidemment cette teinte à une matière noire qui colore le foie, et qui transsude. Les intestins, très-amincis, offrent la cou- leur qui leur est propre. Le mésentère est parfaitement conservé. Le foie, peu consistant et beaucoup moins volumineux qu'il ne devait l'être à cet âge, est d'un vert noirâtre, et présente quelques larves à sa surface ; on y voit encore la veine ombilicale, le sillon qui la loge et le sinus de la veine-porte; en l'incisant, on distingue bien les vaisseaux sanguins, niais on ne peut plus re- connaître la structure qui appartient à cet organe. La vésicule biliaire est parfaitement reconnaissable à sa forme et à sa situation ; elle est d'un vert plus foncé que dans l'état naturel. La rate est réduite à une bouillie noirâtre comme du cambouis. La vessie est entière, vide, très - lisse et de couleur naturelle. La verge et le scrotum, reconnaissables surtout par la place qu'ils oc- cupent, sont aplatis et comme membraneux. Les nerfs lombaires sont très - apparens. Dans les fosses iliaques, on voit des fibres des psoas, mais beaucoup plus pâles que dans l'état naturel. Membres. La cuisse gauche et la partie supérieure de la cuisse droite sont recouvertes départies molles d'un jaune brunâtre, assez difficiles à déchirer, dans lesquelles on trouve des restes membraneux qui semblent aponé- vrotiques, à l'exception de quelques fibres musculaires, d'un rose pâle. Les deux fémurs tiennent assez forte- ment au bassin par les parties molles; les cartilages de leurs extrémités supérieures sont réduits à une sorte de gelée roussâtre. 2l6 TRAITÉ Les membres thoraciques offrent à peine des traces de parties molles, et les os qui les composent sont désar- ticulés. La partie postérieure du tronc est pourvue d'une assez grande quantité de parties molles, qui sont des débris de l'épiderme et de la peau : on voit même près des masses apophysaires des vertèbres, des fibres mus- culaires et tendineuses. En général, ces-diverses parties, excepté la peau, sont peu consistantes : leur couleur» livide foncée, est tachée de noir, surtout à la portion correspondante au foie. La paroi abdominale posté- rieure est conservée à droite; mais elle est entièrement détruite à gauche. Les os n'offrent rien de remarquable ; leurs extré- mités sont dépourvues d'épiphyses. OBSERVATION 24". X.., enfant mâle, âgé d'un mois dix jours, mort le i3 septembre 1828 à midi, enterré le lendemain, dans une bière de sapin, épaisse d'un pouce environ, fut exhumé le i5 juin 1829, neuf mois deux jours après l'inhuma- tion. La bière est entière ; elle offre à l'extérieur presque le même aspect qu'elle avait avant d'être mise dans la terre : elle est seulement un peu plus humide; en l'ouvrant, on trouve le corps enveloppé dans le drap, qui est entier. La face interne de son couvercle, et ses faces latérales internes sont couvertes d'une cou- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 217 che un peu épaisse d'une moisissure blanche dans la partie supérieure, et présentent inférieurement une couleur brunâtre, semblable à celle du fond de la boîte. Le linceul, d'un gris verdâtre supérieurement, offre inférieurement l'aspect d'un linge mouillé : vers sa par- tie inférieure, on trouve de petites chrysalides blanchâ- tres, et une quantité considérable de mouches extrême- ment petites, noires, se remuant à la surface du drap. En ouvrant celui-ci, on ne trouve plus que des restes assez informes du corps, qui est presque entièrement réduit à ses parties osseuses, dans lesquelles on recon- naît, supérieurement, le squelette de la tête et des membres supérieurs, à la partie moyenne, la colonne vertébrale, et inférieurement, les membres inférieurs. Au milieu des os de la partie supérieure qui tiennent encore un peu entre eux de manière àlaisserreconnaître le crâne, on remarque la masse cérébrale sous forme d'une substance blanchâtre mêlée de rose, glutineuse, peu fétide, et de la consistance d'une bouillie un peu molle ; les os de la face sont épars à la surface de cette bouillie. On trouve un peu plus bas, des portions des vertèbres du cou, les omoplates, et l'os maxillaire in- férieur partagé en deux fragmens. Les parties osseuses qui forment le thorax et l'abdo- men sont toutes séparées les unes des autres, et plon- gent dans une matière grasse, de la consistance d'une bouillie, blanche à sa surface, noirâtre ou noire dans d'autres parties : cette matière grasse nous paraît rem- placer le foie et les poumons. On ne trouve plus aucune 2l8 TRAITÉ trace de peau dans les régions thoracique et abdo- minale. Les os des membres sont entièrement dénudés : ceux des membres inférieurs sont presque secs, et ceux des membres supérieurs sont enduits de cette bouillie grais- seuse qui représentait les restes du cerveau. Les os du crâne sont enduits d'une couche peu épaisse d'une espèce de corps gras, auquel sont accolés des cheveux. Le fond de la bière est très-humide, et d'une couleur brune : on voit à la surface une grande quantité des larves blanches dont nous avons déjà parlé dans la des- cription d'autres cadavres. La partie postérieure du drap présente une couleur verdâtre foncée; il est en- duit de la matière grasse qui a été décrite plus haut, et dont la couleur varie suivant que là portion que l'on examine correspond au crâne, à l'abdomen ou au thorax. § V. Putréfaction des cadavres d'adultes nus, renfermés dans des bières de sapin de deux à trois lignes d'épaisseur, et en- terrés dans un coin du jardin de la Faculté de médecine de Paris, ou ailleurs. OBSERVATION 25C. L'un de nous fut appelé le 3o juillet 1823, par M. D. juge d'instruction, pour savoir si l'on pouvait espérer DES EXHUMATION:-. JUMIDIQUES. < 2ig de reconnaître qu'un homme mort le 3o juin de la même année, et dont le cadavre avait été inhumé le lendemain, eût péri empoisonné ; nous répondîmes que cela n'était pas impossible. L'exhumation fut faite le ieraoût,à sept heures du matin. Le cadavre, recouvert d'une che- mise et enveloppé d'un linceul, était enfermé dans une bière en chêne, que l'on avait enterrée dans une fosse particulière de cinq pieds de profondeur. A peine le cercueil fut-il ouvert qu'il s'exhala une odeur tellement fétide, que nous crûmes convenable de faire retirer le corps et de le laisser exposé à l'ombre pendant quelques minutes. (La température de l'atmosphère était déjà à 170 th. R.) L'identité n'ayant pu être constatée qu'à dix heures du matin, par des motifs qu'il est inutile d'in- diquer, il fut facile d'observer que le cadavre avait aug- menté sensiblement de volume pendant les trois heures qu'il était resté à l'air. A dix heures, on le transporta dans une salle de dissection ; là il fut découvert avec rapidité et dépouillé du linceul et de la chemise, avec lesquels une grande partie de l'épiderme se détacha ; l'odeur était tellement infecte qu'il y aurait eu peut-être quelque inconvénient à séjourner pendant plusieurs heures dans cette atmosphère, si on n'était point parvenu à détruire cette mauvaise odeur : nous répandîmes in- distinctement sur toute la surface du corps environ trois pintes d'eau, tenant en dissolution un huitième de son poids de chlomre de chaux; l'effet de cette liqueur fut merveilleux; il s'était à peine écoulé une minute, que l'odeur fétide avait entièrement disparu. Le linceul et la chemise étaient mouillés et tachetés 220 TRAITÉ de vert, de brun et de jaune ; on voyait çà et là des por- tions qui paraissaient moisies. On nous dit que l'indi- vidu était âgé de quarante - quatre ans, qu'il était fort gras, et qu'il avait succombé à une maladie qui n'avait duré que trente-huit à quarante heures; sa stature était d'environ cinq pieds. La tuméfaction du cadavre était extrême; la peau était d'un brun noirâtre au crâne, d'un blanc rosé à la partie supérieure de la face, noi- râtre autour des lèvres, moins foncée aux joues et au menton ; les paupières étaient affaissées et commen caient à tomber en putrilage; le nez, la bouche et le menton, étaient aplatis par la pression du linceul, ce qui alté- rait singulièrement les traits de la face. La peau était d'un brun noirâtre au cou, grisâtre à la poitrine, où l'on remarquait quelques taches noires, surtout sous le mamelon; elle était d'un blanc sale à l'abdomen et sur les côtés du tronc, et d'un brun noirâtre aux régions sus-pubienne et inguinale, ainsi que sur le scrotum ; celui-ci était d'ailleurs du volume de la tête d'un adulte, et ne paraissait devoir son développement excessif qu'à la présence des gaz. La peau qui revêt les membres tho- raciques et abdominaux était d'un vert foncé, marbrée de plaques noires comme torréfiées;l'extrémité des or- teils offrait une couleur d'un vert clair. Du reste, la peau du tronc et des membres n'était pas sensiblement ramollie ; il était impossible de la déchirer en opérant d'assez fortes tractions avec les pinces. L'éDiderme était détaché ou s'enlevait avec la plus grande facilité, et en arrachant celui qui recouvre les pieds, on séparait en même temps les ongles. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 221 En incisant la peau, on voyait que les muscles étaient légèrement ramollis, mais que les faisceaux et les fibres étaient distincts et de couleur rosée; le tissu cellulaire qui les environnait était en partie saponifié ; toutefois cet état de la graisse était beaucoup plus sensible à la face et au tronc. L'ouverture du cadavre, faite suivant les règles de l'art, permit de voir, i° que l'intérieur de la bouche et le pharynx offraient une couleur noirâtre qui était l'effet de la putréfaction; que l'œsophage était pres- que dans l'état naturel; que l'estomac était énor- mément distendu par des gaz, et qu'il ne contenait aucun aliment; que sa consistance ne paraissait point diminuée; que la membrane muqueuse était tapissée d'une couche assez épaisse de mucosités jaunâtres : en enlevant ces mucosités, on apercevait près de l'extré- mité splénique une tache d'un jaune serin, qui corres- pondait à une tache semblable de la face externe; il y avait au voisinage des orifices œsophagien et pylorique, et de la portion splénique, des traces manifestes d'in- flammation; on voyait aussi près du pylore quelques ecchymoses, que l'on faisait disparaître en grattant légè- rement; ces altérations étaient aussi évidentes qu'elles auraient pu l'être si le cadavre eût été ouvert le lendemain de la mort de l'individu. La surface externe de l'estomac était dans l'état naturel, si toutefois on en excepte la tache jaune dont nous avons parlé. La membrane mu- queuse du duodénum était également tapissée de mu- cosités jaunâtres; on en voyait aussi dans les autres por- tions de l'intestin grêle, mais elles diminuaient au fur et 222 TRAITÉ à mesure que l'on avançait vers la fin del'iléum, où l'on apercevait quelques grains blanchâtres durs, que l'ana- lyse démontra être de Y oxyde d'arsenic ; du reste, les in - testins grêles offraient çà et là des parties emphyséma- teuses, mais sans aucune trace d'inflammation. Lecœ- cum, le colon etliléum paraissaient dans l'état naturel. L'épiploon et le mésentère étaient chargés de graisse en partie saponifiée; 2°. Que le foie et la rate, les uretères, la vessie et le pancréas n'offraient rien de remarquable ; que les reins étaient ramollis et réduits en une sorte de putri- lage; qu'il y avait dans la cavité de l'abdomen environ quatre onces d'un liquide jaune, filant et excessivement gras. 3°. Que le larynx , la trachée-artère et les bronches étaient dans l'état naturel; que les poumons étaient d'un brun violacé, crépitans et infiltrés de gaz; que le péricarde était chargé de graisse en avant et sur les côtés; que la face interne, ainsi que la surface ex- terne du cœur, offraient un grand nombre de granula- tions blanchâtres semblables à du sablon ;que cet organe était un peu volumineux et chargé de graisse ; que l'o- reillette et le ventricule droits ne contenaient aucune trace de sang liquide ou coagulé; que la membrane in- terne de cette oreillette était garnie de petites pétrifi- cations semblables à celles dont nous avons déjà parlé; qu'il y avait de pareilles pétrifications dans les cavités gauches du cœur, mais qu'elles se détachaient par le frottement ; qu'il n'y avait pas non plus de sang dans ces cavités; que les valvules n'étaient pas ossifiées, DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 2i3 que seulement les festons qui se trouvent au commen- cement de l'aorte offraient de légères traces d'ossifica- tion (i). 4°. Qu'il n'y avait pas un atome de sang liquide ni coagulé dans aucun des vaisseaux que l'on peut aper- cevoir sans injection préalable ; que la membrane in- terne de l'aorte, de l'artère pulmonaire, les veines du même nom, etc., offraient des taches rosées. 5°. Que. la. graisse qui sépare les os du crâne du pé- ricrâne, était en partie saponifiée; que ces os étaient fragiles et se brisaient en grands fragmens; que la masse cérébrale était très-affaissée, en sorte qu'il y avait un grand vide dans la cavité du crâne ; que la dure- mère était détachée, et qu'il n'y avait pas d'épanchement entre elle et les os ; que la couleur de cette membrane était verdâtre, et qu'elle ressemblait assez à une vessie à moitié pleine ; que la faux se détachait en lambeaux avec les vaisseaux qui s'y rendent; que la face interne de la dure-mère était rosée ; que sa consistance n'était pas sensiblement diminuée; qu'il était impossible de re- connaître la pie-mère et l'arachnoïde ; que le cerveau était converti en une espèce de bouillie grisâtre et fluide à sa surface, tandis qu'il était d'un blanc cendré aux (1) Nous pouvons assurer que l'aspect extérieur du canal digestif, du foie , de la rate, du pancréas, de la vessie , des poumons et du cœur de cet individu , était tel, qu'on aurait pu croire que la mort n'avait eu lieu que la veille ; l'odeur de putréfaction était à peine sensible dans ces organes , qudiqu'au- ciiïi d'eux n'eut été touché par le chlorure de chaux. 224 TRAITÉ \ parties médullaires ; que le plexus choroïdien se dessi- nait sous forme de stries rosées ; que le cervelet et le commencement de la moelle allongée offraient le même aspect que le cerveau. OBSERVATION 26e. Le sieur***, âgé de trente-huit ans, périt le 17 juin 1824 ; l'inhumation eut lieu le lendemain. Quelque temps après, l'autorité soupçonne que la mort peut avoir été occasionée par une substance vénéneuse, et ordonne l'exhumation et l'examen du cadavre. MM. Le- moine, docteur en médecine, et Ferrary, pharmacien, désignés pour exécuter l'opération, se rendent au cime- tière le 2 août, à cinq heures du matin, quarante-cinq jours après l'inhumation, et dressent le rapport sui- vant : Le cadavre de *** n'a été exhumé, et son identité re- connue, que vers les huit heures et demie. (La tempé- rature était alors à 160 th. R.); il était enfermé dans une bière de sapin, enveloppé d'un drap de lit; il n'avait point de chemise, et sa tête était recouverte d'un bon- net de coton. Transporté sur une pierre tombale vers le milieu du cimetière, nous avons procédé de suite à son examen. Il répandait une odeur fétide qui fut promptement neutralisée au moyen d'une assez grande quantité d'eau tenant en dissolution du chlorure de chaux : cette dissolution avait déjà été employée pen- dant l'exhumation; son effet surpassa notre attente, et fit l'admiration des spectateurs. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 225 Le drap de lit était «recouvert d'une grande quantité de larves, particulièrement à la partie supérieure de la poitrine, à la partie inférieure du tronc, et le long de la jambe droite ; il était brunâtre dans ces différentes parties, et marbré de plaques de même couleur sur le reste de son étendue; il cédait à la moindre traction. La face était tuméfiée et recouverte d'une sanie noi- râtre ; cependant cette tuméfaction n'empêcha pas que l'individu ne fût reconnu par plusieurs personnes. La peau était dure, raccornie et tannée sur les parties laté- rales de la face, qui étaient recouvertes d'un bandeau ainsi que sur la partie antérieure du tronc et des mem- bres : l'épiderme adhérait intimement aux parties sous- jacentes , excepté aux mains et aux pieds, où il était facile de l'enlever par lambeaux considérables; les on- gles suivaient cette membrane. Un quart-d'heure après l'exhumation, l'abdomen avait acquis un volume considérable, et la verge, lon- gue de deux pouces et demi, s'était relevée au point de former, avec le corps, un angle d'environ quarante- cinq degrés.Quelques minutes après, elle faisait un an- gle droit, conserva cette direction pendant vingt mi- nutes , et ne put être affaissée que par la pression d'un corps assez pesant. Les cheveux étaient noirs et s'enle- vaient à la moindre traction : la barbe avait la même couleur. La graisse située sous le cuir chevelu était d'un gris sale et saponifiée. La dure-mère est d'un gris brun dans toute son éten- due; elle remplit la cavité du crâne, et n'est point adhérente ; sa consistance est assez ferme. La pie-mère i5 2 26 TRAITÉ est rouge; le cerveau est d'un gris fonce, dans un état de putrilage tel, qu'il ne peut fournir aucun renseigne- ment. A l'ouverture du thorax, il s'est dégage des gaz d'une odeur très-fétide. Les poumons étaient affaissés, le cœur peu volumineux : le médiastin présentait çà et là quel- ques feuillets graisseux, et la graisse était saponifiée. Les poumons, d'une couleur brune à leur partie anté- rieure , étaient noirâtres postérieurement et inférieure- ment; ils étaient crépitans. Le cœur était mou,-et pa- raissait entièrement vide; les ventricules offraient une couleur brune; l'oreillette droite était rouge; le sommet et le sillon qui loge l'artère coronaire étaient couverts de graisse également saponifiée : la surface interne du ventricule droit, d'un rose pâle, offrait une grande quantité de petits grains blanchâtres nullement adhe- rens. L'intérieur de l'oreillette droite était rougeâtre. Les colonnes charnues du ventricule gauche sont peu saillantes : l'oreillette du même côté paraît dans l'état naturel. Les valvules des ouvertures auriculaires, celles qui se trouvent à l'entrée des artères pulmonaires et aorte ne sont point ossifiées. La membrane interne de ces vaisseaux est sèche, ainsi que celle des veines-caves. Le système vasculaire était presque entièrement vide de sang. La cavité buccale était remplie d'une sanie rougeâ- tre : la langue, légèrement tuméfiée, surtout à la base, était rouge, ainsi que la membrane muqueuse de la bouche. On voyait à la partie antérieure de l'amygdale gauche une phlyctène oblongue du volume de deux DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 227 noisettes environ ; il y en avait une autre moins consi- dérable derrière le pilier postérieur correspondant; d'autres vésicules semblables, plus petites, se font re- marquer au côté droit de l'isthme du gosier, à l'entrée du pharynx, et au bord gauche de la glotte : ces tu- meurs contenaient une matière liquide. L'œsophage ne présente rien de particulier, si ce n'est dans les environs du cardia, où l'on voit des signes manifestes de phlo- gose. La surface externe de l'estomac est rouge sur les bords et à son extrémité splénique, et d'un blanc gris dans le reste de son étendue; elle présente aussi quelques phlyctènes vers son bord inférieur. Ce viscère ne con- tient que des gaz ; sa face interne est enduite de muco- sités rougeâtres, de la consistance d'une bouillie claire, dans laquelle on voit nager une assez grande quantité de grains blanchâtres, un peu plus gros que des grains de millet : la membrane muqueuse est rouge dans toute son étendue, mais surtout vers la portion splénique : là, elle est brune dans une étendue du creux de la main d'un adulte, et épaissie; la portion de la mem- brane séreuse correspondante aux deux parties épais- ses , offre une phlyctène. Dans les environs du pylore, la membrane muqueuse est d'un noir foncé, et c'est particulièrement sur cette partie que l'on observe les grains dont nous avons parlé (i). Ces grains sont plus (1) L'estomac , examiné le lendemain , a présenté des diffé- rences frappantes : les portions les plus enflammées n'offraient qu'une légère phlogose; les parties noires du pylore étaient d'un rouge brun. i5. 2 28 TRAITÉ larges que les autres; ils sont aplatis, adherens, et af- fectent la forme d'un cône irrégulier, Les intestins sont distendus par des gaz; ils sont d'un brun cendré, excepté le duodénum et le commence- ment du jéjunum, dont la membrane muqueuse est rouge, enflammée ; on aperçoit aussi sur cette tunique des grains semblables aux précédens. On découvre plu- sieurs phlyctènes de la grosseur d'une noisette dans le reste du jéjunum. La surface interne de l'iléum, du cœ- cum, du colon ascendant et du colon transverse, est de couleur naturelle ; on voit à sa surface des mucosités noi- râtres desséchées. Le colon descendant présente un assez grand nombre de phlyctènes ; le rectum est rouge dans la partie inférieure; la quantité de mucus contenue dans le canal digestif est évaluée à environ quatre onces. L'épiploon est très-chargé de graisse, le foie peu vo- lumineux et noirâtre ; la rate est très-petite, d'un brun foncé ; les reins sont peu volumineux; la veine rénale contient un peu de sang ; la vessie est retirée et con- tractée ; elle est vide et saine ; les vésicules séminales sont très-petites, rouges, et ne renferment point de sperme. Les grains ôlancs trouvés dans l'estomac et dans les premiers intestins, vus à la loupe, sont blancs, brillans, et font entendre un léger bruit lorsqu'on les casse ; ils passent du blanc au jaune verdâtre à mesure qu'on les examine ; ils ont quelque ressemblance avec l'acide arsénieux, mais ils sont formés par une matière ani- male unie à une petite quantité de graisse. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 229 OBSERVATION 27e. Le 11 septembre 1829, je fus chargé, par le ministère public, conjointement avec M. Denis, de procéder à l'exhumation et à l'autopsie du cadavre de la femme Hivet, à Auteuil près Paris, morte le 10 août et enter- rée le lendemain 11, précisément trois mois auparavant. La rumeur publique accusait le mari d'être l'auteur de la mort, et d'après quelques versions de témoins, on sup- posait qu'elle avait été tuée par des coups violens portés sur le crâne, et qui en avaientbrisé les os. Du reste, cette femme, âgée de cinquante-cinq ans environ, était hé- miplégique du côté gauche depuis neuf ans, et maigre son infirmité, elle avait conservé jusqu'à sa mort un em- bonpoint considérable. On rapportait qu'au moment où elle avait succombé, il s'était écoulé du sang par le nez et par la bouche. Le prévenu disait qu'il n'avait connu la mort de sa femme qu'en entrant le lendemain malin dans sa chambre, et qu'il était d'autant plus loin de la soupçonner morte, qu'elle s'était couchée le soir après son souper, dans un état de parfaite santé. Il ajoutait qu'il avait pensé que sa femme n'avait pu mourir si ra pidement que par un coup de sang. Tels étaient les renseignemens qui nous avaient été transmis, quand nous nous rendîmes à la mairie d'Au- teuil, accompagnés de M. Dieudonné, juge d'instruc- tion , et de M. de Charencey, substitut du procureur du roi. Le cimetière, peu distant du village, est, comme ce dernier, situé dans le bassin de la Seine :1e 23o 1RAITÉ terrain est très-sec et caillouteux. Le thermomètre mar- quait de 90 à io° au-dessus de zéro, le temps était brumeux, et pendant que nous étions occupés de l'examen du cadavre, il tomba une pluie très-forte qui ne dura que quelques minutes. Le cercueil était intact dans toute son étendue ; les planches du couvercle étaient affaissées à leur partie moyenne par le poids de la terre qui le recouvrait. La bière put être ainsi extraite de la fosse dans une inté- grité parfaite. Le couvercle enlevé, nous trouvâmes le corps exactement enveloppé par le linceul. Celui-ci était recouvert, dans divers points, de larges taches brunes et verdâtres, produites par des moisissures qui s'étaient surtout formées là où le linge se trouvait en contact avec les planches du cercueil : elles étaient beaucoup plus multipliées, et très-humides, à la partie postérieure du cadavre. Le fond de la fosse était humide, et la par- tie qui correspondait au-dessous du milieu de la bière était rempli par un liquide brunâtre, recouvert de moi- sissures , et qui avait évidemment transsudé à travers les planches du fond du cercueil. Le linge était encore in- tact; on ne le déchirait que difficilement, et les lettres initiales dont il était marqué, nullement altérées, ache- vèrent de démontrer que le cadavre exhumé était bien celui de la femme Hivet. En coupant longitudinalement le linceul pour découvrir le corps, les ciseaux furent arrêtés au niveau de l'ombilic, par une plaque assez large de cire à cacheter, rouge, qui collait ensemble la chemise et le drap. Les questions que nous adressâmes à ce sujet à la personne qui avait enseveli la défunte, DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 231 nous apprirent que dans le village d'Auteuil, et dans les environs, on avait l'habitude de cacheter ainsi le nom- bril du mort lorsqu'on l'enveloppe dans le linceul, parce que, suivant l'opinion générale, toutes les matières con- tenues dans le ventre s'écoulent ordinairement par le nombril peu de temps après la mort, et que, par ce moyen, on empêche cet écoulement d'avoir lieu avant l'inhumation. On conçoit difficilement comment un préjugé aussi ridicule existe encore aujourd'hui parmi les habitans d'un village si voisin de Paris. Le cadavre, entièrement découvert, n'a laissé déga- ger aucune odeur de putréfaction bien prononcée ; il est singulièrement conservé, et dans un état de dessic- cation tel, qu'en le prenant, soit par les pieds, soit par les épaules, on pouvait le retourner d'une seule pièce sans que les membres éprouvassent la plus légère flexion. Aspect extérieur. Les traits du visage sont défigurés par la bouffissure de la face, qui est d'un brun de bistre : bouche ouverte, lèvres desséchées et raccornies, lan- gue noirâtre, dure, sèche, raccornie, réduite à une ou deux lignes d'épaisseur, libre et un peu saillante en avant des arcades dentaires; paupières fermées, noires et raccornies, de même que le nez, qui est réduit à l'é- paisseur de ses cartilages. La couleur brune de la peau est plus foncée au front, au nez, autour des yeux, à la partie supérieure de la tête, de même qu'à la base de la mâchoire qui se confond inférieurement avec le col, dont la tuméfaction est également très-grande; la peau sèche et brune comme celle de la face ; la bouffissure 232 TRAITÉ des parties molles de la face et des parties supérieures de la poitrine ont effacé presque complètement la ré- gion cervicale, qui n'est indiquée que par un sillon pro- fond, résultant de la flexion naturelle de la tête sur la poitrine. La peau du cou et de la partie supérieure de la poitrine est également sèche, comme tannée. La par- tie postérieure de la tête, qui reposait sur le fond du cercueil, est blanchâtre, légèrement humide, et tranche, par sa décoloration, avec la couleur rouge- brun des parties environnantes, laquelle avait beau- coup d'analogie avec celle qu'on observe à la suite des lividités cadavériques. Les cheveux, grisâtres et courts, s'enlèvent aisément par un simple grattage de la surface du cuir chevelu. La peau de la face, du cou et de la partie supérieure de la poitrine, est recouverte d'une couche graisseuse, butireusc, d'une demi-ligne d'épais- seur, d'un gris jaunâtre, qu'on enlève facilement en grattant la peau avec le dos d'un scalpel. Cette couche graisseuse, déposée à la surface du derme, permet de reconnaître, quand elle est enlevée, que la couleur foncée de cette partie des tégumens est due exclusive- ment à la teinte bistre du derme, dont les caractères anatomiques sont parfaitement conservés, et qui a une couleur de suie tout-à-fait semblable à celle qu'on ob- serve dans les momies. Cette couleur bistre du derme disparaît insensible- ment au-dessous du tiers supérieur de la poitrine ; les deux tiers inférieurs de cette région, et tout l'abdomen, jusqu'à la partie supérieure des cuisses, sont d'un blanc rosé. Dans toute cette étendue, la peau présente sa cou- \ DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 233 leur et sa souplesse naturelles ; l'épiderme est intact et adhérent au derme. A la partie postérieure et externe des membres supérieurs, les tégumens sont d'un vert noirâtre, tandis qu'à la partie interne et antérieure ils ont conservé leur couleur naturelle, particulièrement là où ces membres sont en contact avec les parois de la poitrine et du ventre. Les avant-bras étaient croisés au- devant du pubis. Aux membres inférieurs, la peau présente des traces de putréfaction plus avancée; elle est recouverte de moisissures d'un gris verdâtre, très-nombreuses, et cor- respondant surtout aux parties en contact avec le lin- ceul. Les genoux ont une teinte jaunâtre, et les tégu- mens y sont plus secs; aux cuisses et aux jariibes, on remarque dans différens points plusieurs taches ver- dâtres. Toute la partie postérieure du cadavre est humide, et d'une teinte rougeâtre plus prononcée sur les parties latérales du tronc, ainsi qu'on l'observe communément quelque temps après la mort sur les cadavres qui pré- sentent des lividités multipliées au dos, aux lombes et à la face postérieure des cuisses et des jambes. Les ongles des pieds et des mains sont singulièrement ramollis, d'un blanc grisâtre, et se rapprochant de l'état de l'épiderme. La conservation des tégumens, également la même sur toutes les parties du cadavre, nous permit de cons- tater, avec la plus grande exactitude, qu'il n'existait sur aucun point de traces de lésion extérieure. En incisant la peau dans les diverses régions du corps, 234 TRAITÉ on reconnaît que cette membrane est notablement des- séchée, coriace, et présente à la coupe une surface lisse et polie,semblable à celle de la couenne de lard bouilli. Le tissu adipeux sous-cutané a la consistance du suif; sa couleur est d'un gris blanchâtre, et offre à la coupe une surface granuleuse qui semble résulter de l'agglo- mération de granulations miliaires. Il est onctueux au toucher, et donne la sensation d'un savon gras. Dans toutes les régions où le tissu cellulaire et le tissu adi- peux sous-cutanés sont naturellement abondans,la cou- che qu'ils forment, incisée suivant son épaisseur, offre un aspect poreux, feuilleté, résultant de la présence d'une multitude de petites locules vides, produites par lécartement des lames du tissu cellulaire, écartement dû, soit à l'état d'exsiccation de ce tissu, soit au déga- gement de quelques gaz développés pendant les pre- miers temps de l'inhumation du cadavre. Tous les muscles de la face, des parois thoraciques et abdominales, des membres supérieurs et inférieurs, ont conservé la structure anatomique qui leur est propre. Coupés profondément, soit parallèlement, soit perpen- diculairement à la direction de leurs fibres, leur tissu présente une teinte uniforme d'un gris rosé, exacte- ment semblable à celle de la chair bouillie ; ils sont gras au toucher : du reste, on peut isoler les fibres et les faisceaux qui les constituent, jusqu'aux tendons ou aux aponévroses d'insertion qui ont conservé tous leurs caractères physiques. Les muscles de la cuisse droite sont notablement plus rouges que ceux de la gauche; la même différence n'existe pas dans les muscles des DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 235 jambes, non plus que dans ceux des membres supérieurs. (On se rappelle que cette femme était hémiplégique du côté gauche. ) Mais la différence de couleur paraît in- dépendante de cette circonstance. Tête. Le crâne fut dénudé avec la plus grande faci- lité, les parties molles qui le recouvrent n'y adhérant que faiblement; toute la surface fut ruginée avec soin, et nous reconnûmes qu'il n'existait aucune fracture ou fêlure des os qui le constituent. Ces os étaient d'un blanc grisâtre ; ils se laissèrent briser assez aisément. Le cerveau, diminué de volume, ne remplissait que les quatre cinquièmes de la cavité crânienne : la dure- mère qui l'enveloppait était blanche, sans aucune alté- ration. La pie-mère n'existe plus : on trouve à sa place une matière jaunâtre, grasse, grumeleuse, qui enduit toute la surface des lobes cérébraux. Ces derniers ont encore leur forme très-distincte : la saillie et les sinuosités des circonvolutions sont conser- vées, à l'exception du tiers antérieur du lobe droit, qui est entièrement transformé en une matière grasse, jau- nâtre, pour ainsi dire friable, composée de grumeadx d'un blanc jaunâtre, de forme irrégulière, de consis- tance de suif,mêlés à une substance demi-liquide,hui- leuse , plus jaune et sans odeur. Cette matière est sem- blable à celle qui recouvrait l'un et l'autre lobes. Les deux tiers postérieurs du lobe droit sont très-ramollis, presque convertis en bouillie, en sorte qu'on n'y dis- tingue qu'imparfaitement les substances blanche et grise. Le lobe gauche, au contraire, est bien plus con- sistant, plus gros; on peut l'inciser par tranches, qui 236 TRAITÉ laissent apercevoir les nuances grise et blanche des deux substances qui le forment. La teinte de la substance grise diffère à peine de celle qu'on observe dans l'état naturel, peu après la mort. Le cervelet a la même consistance que le lobe gau- che : les substances blanche et grise y sont très-distinc- tes, sa structure feuilletée est très-reconnaissable ; la pie-mère qui le recouvre ordinairement est disparue ; et sa face inférieure, ainsi que la moelle allongée, sont baignées par un liquide huileux, très-jaune, qui stagne dans toutes les anfractuosités de la base du crâne, et qui reflue en assez grande abondance du canal verté- bral : ce liquide huileux contient une multitude de gra- nulations graisseuses, consistantes, semblables à celles déjà décrites. Il n'y a aucune fracture des os de la base du crâne. La masse encéphalique, en totalité, laisse dé- gager une odeur très-peu fétide, mais un peu plus pro- noncée que le reste du cadavre. Le cou, énormément gonflé par le boursoufflement des parties molles qui le composent, se continuait, comme nous l'avons déjà dit, d'une part avec la tête, de l'autre avec le haut de la poitrine, sans former en avant et sur les côtés la dépression qu'on observe ordi- nairement. Il n'existait qu'un sillon assez profond au- dessous de la base de la mâchoire, produit à la fois par la flexion latérale de la tête, et par l'adhérence plus grande de la peau à la base de la mâchoire, adhérence qui s'était opposée au soulèvement de cette partie des tégumens. Poitrine. Les poumons étaient entièrement affaissés DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 237 sur eux-mêmes, aplatis transversalement, appliqués sur les côtés du rachis et du péricarde, de la même manière qu'ils le sont chez un fœtus qui n'a pas respiré. Ils sont tellement revenus sur eux-mêmes, qu'ils sont pour ainsi dire réduits à leur enveloppe séreuse. Leur tissu est mou, presque sec, et d'un vert noirâtre. La trachée- artère fut ouverte dans toute sa longueur, ainsi que les bronches ; la cavité de ces canaux aérifères était libre dans toute son étendue. La membrane qui les tapisse était sèche et d'un gris verdâtre. On remarquait seule- ment à la face postérieure de ia trachée jusqu'aux pre- miers rameaux bronchiques, une tache longitudinale brunâtre, évidemment formée par du sang desséché, qui s'était écoulé de l'arrière - gorge dans la trachée- artère et les bronches. La cavité de l'une et l'autre plèvres contenait dans sa partie postérieure un liquide rougeâtre, huileux, assez abondant ( une demi-livre environ ). Ce liquide était mélangé avec une matière grasse, d'un gris jau- nâtre, séparée en grumeaux plus ou moins gros, dont une partie s'était déposée sur la plèvre costale dans sa moitié postérieure. Cette matière, onctueuse et de con- sistance de savon, ressemblait complètement à celle qui existait clans la cavité du crâne. Le péricarde est sec ; sa cavité, sans sérosité, est tapis- sée dans une partie de sa surface par une légère couche graisseuse, formée par l'agglomération d'un grand nombre de petites granulations de la même nature : cœur flasque, vide de sang, légèrement décoloré; le tissu adipeux qui accompagne les vaisseaux coronaires 238 TRAITÉ est également transformé en une matière grumeleuse, plus solide, onctueuse, et d'un gris jaunâtre. Les parois de l'aorte, des carotides, des iliaques, etc., sont sèches, élastiques comme dans l'état naturel, et d'une couleur très-légèrement rosée. Abdomen. A l'ouverture de cette cavité, il ne s'est dégagé aucune mauvaise odeur. Tous les organes sont un peu affaissés, et recouverts par l'épiploon, qui est chargé de graisse, dont la couleur est blanc-jaunâtre. Toute la surface du péritoine pariétal est tapissée de petits grains graisseux, jaunâtres, inodores, dissémi- nés isolément, ou groupés les uns près des autres; leur consistance est assez grande; ils ont, au toucher, l'onctueux du savon. Ces grains graisseux étaient mélan- gés à d'autres grains moins nombreux, plus blancs, très- solides, d'apparence cristalline, et paraissant formés de phosphate de chaux. Le tissu adipeux des épiploons, celui qui enveloppe les reins, en un mot, partout où l'on en observe dans l'abdomen, est très-consistant, d'un blanc jaunâtre, grumeleux, formé de granulations très - distinctes. Au centre de la plupart des lobules graisseux les plus gros, existe un liquide rougeâtre, huileux : chaque lobule forme ainsi une espèce de géode, dont les parois com- pactes et consistantes extérieurement, présentaient in- térieurement des saillies stalactiformes produites par l'agglomération des granulations graisseuses. L'estomac et les intestins ont extérieurement la cou- leur qu'ils offrent habituellement dans l'état sain : ce degré de conservation est remarquable. Leurs parois DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 23g sont molles et résistantes comme dans l'état naturel. La surface interne de l'estomac est sèche, d'un rose pâle • on n'y aperçoit aucune ramification vasculaire, et au- cune trace d'altération. Même aspect pour les intes- tins grêles, qui sont un peu rétrécis, et dont la couleur est seulement un peu grisâtre. Ces derniers, de même que l'estomac, ne renferment aucune espèce de ma- tière étrangère. Les gros intestins ont à l'intérieur la couleur grisâtre des intestins grêles, et contiennent quelques débris de matières fécales. Tout le paquet in- testinal que j'avais enlevé fut soumis à l'analyse chi- mique, et il fut démontré qu'il n'y existait aucune trace de substances vénéneuses. Quelques grains blan- châtres, graisseux, semblables à ceux dont il a été plu- sieurs fois question, existaient seulement sur quelques points de la surface de l'estomac ; l'analyse fit voir qu'ils étaient essentiellement formés de matière animale. Le foie était d'un vert noirâtre, flétri, dans un com- mencement de dessiccation ; il offrait à l'intérieur la même couleur qu'à l'extérieur. On voyait à sa surface plusieurs groupes assez larges de grains très-blancs, durs, d'apparence cristalline, rudes au toucher, et qui tran- chaient d'une manière remarquable sur le fond verdâtre de l'organe ; ces grains formaient, par leur aggloméra- tion, des plaques arrondies, à zones concentriques et ondulées, qui offraient beaucoup d'analogie avec ces li- chens blancs qu'on voit sur l'écorce de certains arbres; ils paraissaient être des cristaux de phosphate de chaux. On en retrouvait encore de nombreux à l'inté- rieur du foie, sur la paroi interne des veines hépati- 24o TRAITÉ ques : il en existait dans toutes leurs ramifications. La rate a conservé une densité assez grande;sa cou- leur et son volume sont les mêmes que quelques jours seulement après la mort. A l'intérieur, elle est d un rouge lie de vin. Les reins sont exactement dans le même état que sur un sujet mort depuis vingt-quatre heures. Sans doute leur conservation est due à la couche graisseuse très- épaisse qui les enveloppait entièrement. La vessie était vide, et sa membrane interne à peine humide : du reste, cet organe était parfaitement conservé. L'utérus était très-aplati, sa cavité libre et de cou- leur grisâtre. Ses parois éprouvaient un commence- ment de transformation graisseuse. L'état de conservation dans lequel nous trouvâmes le cadavre de la femme Hivet rendit toutes les recher- ches extrêmement faciles, et les détails qui précèdent ont prouvé qu'il n'existait sur aucun point du corps et dans aucun des organes du ventre et de la poitrine la moindre trace d'altération. Il n'en était pas de même du cerveau; en effet, on a dû remarquer que le lobe droit était bien plus mou et plus désorganisé que le lobe gauche ; que son tiers antérieur était converti en une matière grasse, liquide et concrète, entièrement sem- blable à celle qui existait sur toute la surface du cer- veau, à la base du crâne et dans le canal rachidien. Ajoutons qu'une matière de même nature se trouvait dans l'une et l'autre plèvres, en arrière des poumons, là où s'était épanché peu à peu le sang que contenaient ces organes au moment delà mort. L'abondance de cette DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 241 matière dans cette région, mais surtout dans le crâne et le rachis, où elle remplaçait en quelque sorte la mem- brane vasculaire ( pie-mère) qui enveloppait le cerveau et la moelle, nous démontrait qu'elle s'était formée par- ticulièrement dans les parties où le sang était plus abondant dans les premiers temps qui suivirent la mort. Maintenant', si nous avons égard à l'état antérieur de la femme Hivet, qui était hémiplégique du côté gauche depuis neuf ans, à son extrême embonpoint, à la rapidité de sa mort, aux traces de mucosités sangui- nolentes écoulées dans la trachée-artère et les bron- ches , n'est-il pas très-probable qu'une nouvelle hémor- rhagie cérébrale s'est manifestée subitement, et a causé la mort d'autant plus promptement qu'elle a eu lieu dans le côté du cerveau déjà altéré? Le ramollissement plus considérable observé dans le lobe droit ne vient-il pas à l'appui de cette opinion? En outre, la trans- formation huileuse et graisseuse de son tiers antérieur n'est-elle pas le résultat de l'hémorrhagie qui désorga- nisa tout à coup cette portion du cerveau, et qui causa la mort ? Cette dernière question nous paraît résolue affirmativement par les faits que nous venons de signa- ler, savoir, que cette matière grasse, huileuse et con-' crête, n'existait que dans les points où du sang avait été accumulé plus abondamment au moment de la mort. Quant à la formation des grains de phosphate de chaux disséminés à la surface du péritoine et dans la cavité des veines du foie, nous ne hasardons aucune conjecture à cet égard; nous ferons seulement remar- quer que la présence de ce sel calcaire dans la profon- 16 »42 TRAITÉ deur des tissus d'un cadavre parfaitement intact, est un phénomène digne d'attention, et qui mérite d'être si- gnalé parmi les changemens que le corps subit dans le sein de la terre. (Ollivier, d'Angers.) OBSERVATION 28*. Le 3o janvier 1826, je partis de Vannes à quatre heures et demie du matin, accompagné de M. le pro- cureur du roi, de M. le juge d'instruction, d'un commis greffier et de M. Quéral, élève en médecine. Nous ar- rivâmes au bourg de Caden à onze heures et demie. Le thermomètre de Réaumur marquait 6°-j-o°. Le vent soufflait du sud-est;la pluie commença aussitôt, et aug- menta pendant toute la durée de l'opération. Pendant que je disposais ce qui était nécessaire pour l'exhumation, le maire déclara et prouva, par les regis- tres de la commune, que François Le Borgne, âgé de cinquante-huit ans, était mort le 8 octobre 1825, et qu'on l'avait inhumé le lendemain, 9 octobre, cent treize jours avant l'exhumation. M. le vicaire désigna le lieu où il avait donné à François Le Borgne la sépulture ec- clésiastique. Le garde-champêtre et le fossoyeur de la commune de Caden furent chargés d'exhumer le ca- davre. Après avoir enlevé environ trois pieds de terre végé- tale, on découvrit le cercueil et on l'arrosa d'une solu- tion de demi-livre de chlorure de chaux dans six livres d'eau. Ce cercueil fut enlevé et placé sur le bord de la fosse sans qu'il se manifestât aucune odeur fétide ; mais DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 243 lorsqu'on l'ouvrit, il se dégagea des miasmes très-féti- des, qu'une forte ablution de solution de chlorure de chaux neutralisa sur-le-champ. Le cercueil était très- bien conservé, sans rupture, et ne contenait aucun corps étranger qui aurait pu occasionner quelque frac- ture ou quelque lésion des parties molles. Le cadavre était enveloppé d'un linceul parfaitement cousu, pu- tréfié dans quelques-unes de ses parties, notamment vers la tête, vers la partie antérieure de la poitrine, et vers la plante des pieds. Ce cadavre fut transporté sur une table en pierre située dans le cimetière. Dans ce mo- ment, une odeur très-fétide exigea de nouvelles ablu- tions de la solution de chlorure, et fut détruite sur-le- champ. Le linceul enlevé, de nouvelles ablutions furent faites.Malgré l'altération des traits de la face,il eût été facile de constater l'identité. Plusieurs assistans re- connurent que le cadavre était celui de François Le Borgne. Extérieur. Le corps a éprouvé une diminution de volume; les muscles sont aplatis et rétractés; la peau est durcie, noire et comme tannée ; les poils se déta- chent par le simple frottement; il n'existe aucune trace de solution de continuité ; l'exposition à l'air n'a pas produit la tuméfaction observée dans quelques cas ana- logues. v ffr Poitrine. La peau est très-adhérente aux muscles ; ces derniers se détachent des os avec facilité : lorsque j'ai scié les côtes et le sternum, il s'est dégagé de ces os, et surtout du sternum, une odeur très-fétide : du reste, il n'y a aucune fracture aux os de la poitrine. Les pou- 16. 244 TRAITÉ mons, presque affaissés, sont appliqués sur la partie postérieure de la poitrine, et convertis en une masse putrilagineuse, verdâtre, renfermée dans les plèvres durcies : l'incision de cette masse laisse échapper un li- quide écumeux, et mêlé de quelques bulles gazeuses. Le cœur est vide, mollasse, jaune pâle,mais on distin- gue encore ses cavités; il est sain, et s'il avait été ma- lade , on aurait pu le reconnaître. Abdomen. Les muscles sont très-amincis, rétractés et fortement adherens à la peau. L'estomac et les intestins ont éprouvé un commencement de putréfaction ; on peut cependant les déplisser. L'estomac et les gros in- testins sont livides ; les intestins grêles sont d'un jaune un peu rosé. Le foie, putréfié et aplati, présente ses membranes d'enveloppe assez fermes, son tissu propre converti en une bouillie noirâtre un peu consistante. La rate est dans un état de putréfaction beaucoup plus avancé; ses membranes aplaties renferment une pulpe noirâtre et diffluente. La vessie est vide, et assez bien conservée; les reins sont putréfiés. Tête. Les tégumens se détachent avec facilité; les os sont sans fracture; la dure-mère conserve la forme qu'elle a dans l'état sain ; le cerveau, diminué de moitié, réduit en une masse verdâtre et diffluente, est contenu dans les fosses cérébrales postérieures, et la moitié postérieure des cérébrales moyennes. Membres. Les muscles sont pâles, aplatis, adherens les uns aux autres et desséchés : les os sont sans frac- ture et sans luxation. Des faits ci-dessus observés, j'ai conclu que la mort X DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 2,{5 devait être attribuée à une maladie des parties molles, que l'état avancé de la putréfaction a empêché de re- connaître. Pendant tout le temps qu'a duré l'opération , il s'est dégagé des gaz très-fétides, sous la forme d'une fumée sensible même pour l'œil. Les aspersions et ablu- tions faites avec la solution de chlorure de chaux les ont détruits à l'instant même. La quantité de chlorure em- ployée a été de sept livres huit onces. La promptitude avec laquelle l'odeur se renouvelait, et la crainte de me blesser, ou d'aggraver une blessure que je m'étais faite au doigt la veille de l'opération, m'ont empêché de porter mes recherches plus loin qu'il n'était nécessaire pour la solution des questions qui m'étaient faites par M. le procureur du roi et le juge d'instruction. J'ai été surtout fâché de ne pas examiner plus particulièremen t l'état des organes digestifs. On peut cependant déduire de cette observation les conclusions suivantes : L'exhumation peut être prati- quée sans danger au bout de cent treize jours de séjour dans la terre, en se servant du chlorure de chaux comme moyen désinfectant : je pense même qu'un mois plus tôt, avant la dessiccation des muscles, cette opération eût été plus dangereuse. A mesure que la pu- tréfaction fait des progresses organes putréfiés tendent à s'appliquer vers les parties du corps les plus déclives, et abandonnent les parties les plus élevées. Les organes parenchymateux se putréfient beaucoup plus prompte- ment que les organes membraneux. On peut donc, à une époque avancée, après l'inhumation, reconnaître des maladies du cœur, de la vessie, des organes digestifs, 246 TRAITÉ et dans le cas d'empoisonnement par les substances mé- talliques surtout, où il est souvent utile de procéder à l'exhumation, quel que soit le temps écoulé depuis la mort. Dans le cas d'infanticide, cette mesure ne serait pas inutile, puisque l'on pourrait voir si les poumons ren- ferment, comme dans le cas présent, un fluide écumeux mêlé de bulles d'air, et on serait porté à croire que ces bulles d'air appartiennent à l'air inspiré, puisque dans tous les autres organes putréfiés, dont plusieurs, tels que la rate, l'étaient beaucoup plus que les poumons, nous n'avons pas trouvé de bulles gazeuses ; on pour- rait, d'ailleurs, faire passer ces gaz sous une cloche placée sur l'appareil pneumatico-chimique, et en faire l'analyse. (Observ. de M. le docteur Mauricet.) OBSERVATION 29e. X***, âgé de vingt-quatre ans, mort de la petite- vérole confluente, le 26 juillet 1829, au douzième jour de la maladie , fut inhumé le 27 juillet, à sept heures du matin, dans un des coins du jardin de l'hospice de la Faculté de médecine de Paris. La fosse était creusée à trois pieds environ, la bière en sapin mince , et le corps enveloppé d'une serpillière. La maladie était déjà assez avancée ; il y avait des pustules très-abondantes à la face, où elles étaient ex- coriées et croûteuses, et aux membres, tant supérieurs qu'inférieurs; il y en avait beaucoup moins au tho- rax, au ventre, au dos et aux fesses : l'abdomen était DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 247 légèrement verdâtre à sa partie inférieure ; la verge était aussi le siège de quelques pustules : du reste, le cadavre n'était ni tuméfié ni d'une coloration insolite. L'exhumation eut lieu le 3i janvier i83o,àmidi, six mois quatre jours après l'enterrement. Il fut impos- sible de retirer la bière, parce que la terre était gelée tout autour : on se borna donc à l'ouvrir sur place pour en extraire le corps, qui était encore enveloppé par la serpillière. Celle-ci n'était déchirée que vers la partie supérieure de la cuisse droite; ce qui permit d'enlever le cadavre entier ; elle offrait supérieurement une couleur brune assez semblable à celle du fumier ; inférieurement elle est d'un brun clair : partout elle est assez résistante et couverte de vers d'un blanc jaunâtre, qui abondent surtout à sa partie postérieure. Le cadavre , d'une teinte généralement olivâtre foncée, est presque entièrement réduit au squelette ; ce que l'on n'aurait guère pu soupçonner, d'après l'é- tat assez bien conservé de la serpillière. La tête est en- tièrement séparée du tronc et dépouillée de parties molles, excepté à la partie antérieure et supérieure, où l'on trouve une sorte de membrane très-amincie,de cou- leur olivâtre, couverte de cheveux qui y sont simplement accolés. Il n'y a plus ni cerveau, ni cervelet, ni vestiges des méninges ; il n'y a pas non plus de vers dans la cavité du crâne. La vacuité de cette boîte est un fait qui nous paraît d'autant plus extraordinaire, que, jusqu'à présent, nous ne l'avions pas encore remarquée; nous avons même trouvé une quantité notable d'encéphale chez lç sujet de l'observation 3ie, qui n'a été exhumé qu'au 24^ TRAIIÉ bout de trois ans et quatre mois. Il est certain qu'ici les parties molles de l'intérieur du crâne ont été dévorées par les vers qui ont dû sortir de cette cavité, aussitôt qu'elle a cessé de pouvoir leur fournir un aliment. La mâchoire inférieure est détachée et armée de toutes ses dents; il en manque au contraire quelques-unes à l'os maxillaire supérieur; il est probable qu'elles au- ront été arrachées après la mort par les garçons d'am- phithéâtre. Les cinq premières vertèbres du cou sont également séparées desautres, et tiennent à peine entre elles ; on ne trouve des parties qui composent le col, le larynx et la trachée-artère, qu'une portion du car- tilage cricoïde qui est olivâtre ; les autres parties sont perdues au milieu des débris des organes thoraciques et des vers très-nombreux qui sont logés dans les cavités des plèvres. Les différentes pièces qui composent le sternum et les cartilages costaux sont séparées ; on en voit les dé- bris épars dans le thorax et dans l'abdomen ; ce qui produit nécessairement une grande ouverture à la par- tie antérieure du thorax; les espaces intercostaux, sur- tout supérieurement et en avant, sont vides ; inférieu- rement et à la partie postérieure des côtes supérieures, on rencontre des parties molles de couleur bistre , qui paraissent formées par les muscles intercostaux et le tissu cellulaire; on ne découvre aucune trace de peau- et quoique le tissu ait une apparence fi breuse, on ne peut cependantpas distinguer latexturemusculaire;rien,dans ces parties, n'annonce la conversion des tissus en gras de cadavres. La cavité thoracique, en apparence vide, con- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 249 tient, outre des vers excessivement nombreux, des débris du poumon gauche, sous forme d'une masse d'un vert foncé, aplatie, comme membraneuse, hu- mide, dont la structure n'est plus celle du poumon, et dans laquelle il y a aussi beaucoup de vers ; dans la ca- vité droite du thorax, il 'reste à la place du poumon une sorte de terreau brunâtre. On aperçoit encore plusieurs portions de la plèvre costale, qui est très- mince , d'un vert olive, et assez fortement adhérente aux côtes. Il n'y a plus de vestige de cœur ni de vais- seaux. Le diaphragme est presque entier et aminci ; il con- serve toutes ses attaches postérieures, ainsi que ses rapports avec le foie, auquel il adhère encore assez intimement ; il est de couleur olive foncée, même dans son centre aponevrotique, "que l'on distingue cepen- dant à son brillant. Abdomen. Au premier aspect, il semble réduit à ses parois osseuses, parce que les débris des parties molles qui forment sa face antérieure sont affaissés, et plon- gent dans la cavité du bassin et sur les fosses iliaques. En soulevant ces parties, on voit qu'elles tiennent aux dernières côtes, aux pubis et à la partie pos- térieure des crêtes iliaques, ainsi qu'au ligament de Faîlope du côté gauche , qui existe encore ; elles sont de couleur olivâtre et perforées dans plusieurs en- droits ; leur plus grande épaisseur est dans le trajet de la ligne blanche. En les disséquant, on les trouve for- mées de quelques restes de peau dépouillée d'épiderme, molle, amincie, offrant de petites perforations arron- 25o TRAITÉ dies, dont la circonférence présente une teinte plus foncée, et qui intéressent tout le derme : ces perfora- tions paraissent être les anciens boutons varioliques. Pour peu que l'on étende la peau dont nous parlons , on y remarque en outre un assez grand nombre de petites élevures et de points où s'inséraient les poils; ces élevures pourraient très-bien n'être aussi que des boutons déprimés de la petite-vérole. Les autres parties qui composent les débris des parois abdominales sont le tissu cellulaire sous-cutané, des muscles encore re- connaissables à leur structure , et non à leur couleur, qui est d'un bistre olivâtre. Le bassin est presque entièrement réduit au sque- lette , excepté en arrière, où l'on voit des débris fila- menteux et membraneux des parties molles, et en avant, à la région pubienne, où l'on trouve aussi au milieu d'une masse molle les restes des organes géni- taux dojit il sera parlé plus bas. Partie postérieure du tronc. Il existe de la peau dans une assez grande étendue; elle est verte olivâtre, hu- mide , et recouvre des parties molles dans lesquelles il est aisé de reconnaître des muscles verdâtres, des apo- névroses et des tendons, qui offrent la même couleur, mais qui présentent encore leur aspect nacré. Aucune de ces parties n'est infiltrée; on remarque entre elles plusieurs lames dans lesquelles sont logés des vers nom- breux. Les fibro-cartilages qui unissent les vertèbres dorsales et lombaires sont d'un vert olive : toutes ces vertèbres tiennent entre elles. Le canal vertébral est rempli de vers, excepté supérieurement, depuis l'occi» DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 201 pital jusqu'à la seconde vertèbre dorsale, où les vertè- bres sont dénudées et réduites au squelette. Il n'y a plus de vestiges de moelle épinière ni de membranes. Le foie est sous forme d'une masse aplatie, comme membraneuse, dont l'épaisseur varie dans ses diffé- rentes parties d'une à dix lignes; le lobe gauche est le plus aminci ; il est mou, de couleur olivâtre à l'exté- rieur, jaune verdâtre à l'intérieur, d'une structure vas- culaire et aréolaire très-prononcée, bien différente de celle du foie dans l'état ordinaire, mais dans laquelle on reconnaît bien distinctement les vaisseaux veineux, qui sont bleus. La vésicule biliaire est entière, de cou- leur olivâtre à l'extérieur, rouge brun à l'intérieur, où il existe un peu de bile épaisse, de cette dernière cou- leur. L'estomac et tous les intestins sont contenus dans l'abdomen; ils sont tellement affaissés et appliqués sur la colonne vertébrale, qu'au premier abord on ne se douterait pas de leur existence ; on les retire en en- tier; mais il y a une si grande quantité devers, et le mésentère et les épiploons sont tellement rongés et dé- figurés, qu'on a beaucoup de peine à reconnaître l'es- tomac et les divers intestins. Enfin, par une dissection soignée, on parvient à caractériser chacune de ces par- ties, et on voit que l'estomac, d'une couleur grise oli- vâtre, ne renferme dans son intérieur qu'une grande quantité de vers, qu'il est composé de trois membranes, que la tunique muqueuse, loin d'être rouge, est d'un gris blanchâtre avec plusieurs taches bleues à la partie correspondante à la rate. Les intestins sont en appa- 25 2 TRA.1TÉ rence dans l'état naturel; ils sont cependant colorés extérieurement en olive très-foncé ; leur membrane muqueuse est teinte en jaune verdâtre par de la bile : on n'aperçoit aucune trace de rougeur. Les gros intes- tins contiennent des matières fécales. Une substance vénéneuse qui aurait été introduite dans le canal diges- tif avant la mort, aurait pu encore être reconnue. La rate, de grandeur naturelle, est aplatie, d'un bleu tirant sur le vert, de structure plus compacte que dans l'état ordinaire ; elle ne contient point de sang; sa membrane externe se détache avec facilité. On ne trouve ni les reins ni le pancréas. La vessie ne contient que des vers qui l'ont perforée dans plusieurs points ; elle offre la couleur olivâtre du canal digestif, sans la moindre trace de rougeur. Organes génitaux. Il ne reste de ces organes qu'une masse dans laquelle on reconnaîtles enveloppes des corps caverneux et la cloison fibreuse qui les sépare, le canal de l'urètre et quelques poils ; les autres parties sont sous forme de feuillets membraneux, de filamens mous, humides, mêlés de vers. Quoi qu'il en soit, il eût été facile de constater le sexe du sujet aux débris des corps caverneux. Membres. Les parties qui composent les membres thoraciques sont désunies, excepté l'humérus, qui est encore articulé avec l'omoplate, mais peu solidement; cette union a lieu au moyen de parties molles, sem- blables à celles de la cuisse, si ce n'est qu'elles sont plus sèches. Membres abdominaux. Les fémurs sont enveloppés à DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 253 la partie antérieure externe, et un peu à la partie in- terne, par des restes de parties molles, singulièrement affaissées, collées sur l'os, d'une ligne environ d'épais- seur, et qui sont formées par une assez grande quantité de peau dépouillée de son épiderme, d'une couleur olive claire, assez résistante, comme tannée, et moins humide que celle de l'abdomen; le tissu cellulaire grais- seux sous-jacent est jaune, très-reconnaissable et nul- lement transformé en gras; les muscles sont réduits à des feuillets membraneux, accolés les uns aux autres; et lorsqu'on les sépare, on découvre des filamens cellu- leux presque secs, qui sont des débris d'un tissu cellu- laire olivâtre. On voit, au milieu de la portion de cette masse qui occupe la région inguinale, de gros filamens véritables restes des vaisseaux encore canalcculés, et des nerfs; les nerfs sciatique et crural sont parfaitement conservés, mais d'un brun olivâtre. A la partie posté- rieure des cuisses existe une masse feuilletée filamen- teuse, semblable à celle dont nous venons de parler. Les aponévroses intermusculaires, quoique verdâtres, présentent encore le reflet nacré et la structure qui leur sont propres, et peuvent être facilement distinguées. Les articulations du fémur avec le tibia, et du pé- roné avec ce dernier os, sont assez fortement mainte- nues par des restes de parties molles, composées de filamens, d'un peu de peau semblable à celle des cuisses, et de fibres ligamenteuses olivâtres, qui ont perdu beau- coup de leur solidité. Les cartilages de cette articula- tion , de couleur olive claire, sont souples et se cou- pent avec facilité. Le paquet graisseux qui se trouve 254 TRAITÉ sous le ligament inférieur de la rotule, semble avoir subi un commencement de transformation en gras. Les tibias sont complètement dénudés, et les péronés pres- que complètement; il ne reste plus à la place des par- ties molles des jambes qu'un réseau, de couleur brune, formé de filamens et de feuillets desséchés et criblés de trous. Les pieds sont entiers, à l'exception des dernières phalanges qui sont presque toutes tombées; ils sont recouverts, si ce n'est à leur partie interne et supé- rieure, de parties molles d'un brun verdâtre très-foncé; ces parties sont formées de peau, de feuillets celluleux sous-jacens et de tendons; la peau est amincie, dessé- chée, comme tannée, translucide, d'un rouge brun lorsqu'elle est vue par réflexion, et jaune verdâtre quand elle est vue par réfraction ; elle est encore très- résistante : les feuillets celluleux sont évidemment les débris des muscles et du tissu cellulaire. Les os sont olivâtres, très-resistans, et ne présen- tent rien de remarquable : ils renferment encore de la moelle. Le cadavre exhale une odeur très-désagréable, sur- tout vers les parties molles de l'abdomen et du thorax. Remarques. Cette observation est remarquable, i°par la rapidité avec laquelle la putréfaction a marché, quoi- que l'inhumation eût eu lieu dans un terrain qui n'est pas très-propre à l'accélérer : c'est donc à la petite- vérole que l'on doit attribuer la rapidité de la décom- position; 2° par l'absence de toutes les parties qui composent l'encéphale. Il est inutile d'indiquer l'impos- sibilité absolue où se seraient trouvés les gens de l'art DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 255 de constater que la mort avait été le résultat d'une phlegmasie cutanée. OBSERVATION 3oC. X***, femme âgée de soixante-huit ans, succomba, le 27 juillet 1823, à une pneumonie qui avait duré soixante-cinq jours. Elle fut inhumée le lendemain dans un des coins du jardin de l'hospice de la Faculté de Médecine de Paris, après avoir été enveloppée d'une serpillière et placée dans une bière de sapin mince. La fosse était creusée à trois pieds et demi. Avant l'inhu- mation, on constata que le ventre était verdâtre, qu'il y avait quelques excoriations sur les mamelles qui étaient assez volumineuses, que la partie inférieure des jambes était légèrement verdâtre, et qu'à leurs par- ties internes il existait quelques vésicules, dont les unes étaient affaissées et les autres remplies de sérosité; on voyait sur la face dorsale du pied droit une escharre large comme une pièce de trente sous, et sur la face correspondante du pied gauche une autre qui était un peu moins large. Les parties génitales étaient flasques et très-rouges; il y avait aussi de la rougeur au pour- tour de l'anus et à la partie supérieure des cuisses : du reste, le cadavre était assez gras. Exhumation le 28 février 1824, à dix heures du matin, c'est-à-dire sept mois quatre jours après l'inhu- mation. La bière, de deux à trois lignes d'épaisseur, ne peut être retirée que par fragmens, non pas parce qu'elle est pourrie, car en examinant chacune des pièces 256 TRAITÉ qui la composent, on voit qu'elles sont assez résistantes, et que le bois est presque neuf; la difficulté qu'on éprouve à l'extraire tient à ce qu'elle a été cassée par les hommes chargés de l'exhumation , et à ce qu'elle adhère assez à la terre qui l'entoure. Du reste, la sur- face de quelques-uns des fragmens de cette boîte offrent une couleur naturelle, brunâtre ou noirâtre ; il en est qui sont couverts de moisissures blanches, surtout à l'intérieur. Un thermomètre centigrade, laissé pendant quelques minutes dans la terre à la profondeur où était la bière, marque 3,6-(-o0; tandis que la température atmos- phérique est de 8,7 -f- o°. La serpillière est presque entièrement réduite en filamens et en lambeaux, semblables à du fumier un peu humide, de couleur grise, brune et même noi- râtre dans certains endroits, dont les uns, mêlés et cou- verts de terre, adhèrent entièrement à la surface du cadavre avec lequel ils semblent faire corps, et dont les autres sont libres et placés çà et là à côté des diffé- rentes parties du sujet. Le cadavre est entier et couvert de terre dans beau- coup d'endroits; il y a à peine quelques vers à sa face postérieure; il n'exhale point d'odeur désagréable, et sent évidemment le fromage de Chester; sa position n'offre de remarquable que la demi-flexion des mem- bres inférieurs et l'application immédiate du genou gauche sur la partie interne et inférieure de la cuisse droite : quant aux mains, elles sont appliquées, la gau- che sur l'épine iliaque antérieure et supérieure, et la DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 1^" droite sur le pubis correspondant. Sa couleur est gé- néralement fauve; dans quelques points cependant elle est brunâtre, et dans une très-grande étendue, surtout au côté gauche, la surface du corps est couverte de moisissures blanches cotonneuses, offrant des flocons par places, et qui, étant grattées et enlevées avec le scalpel, laissent voir la couleur fauve de la surface du corps dont nous avons déjà parlé. La peau existe partout, excepté vers la partie moyenne droite de l'arcade dentaire supérieure, à la partie an- térieure du cou, à ses parties latérales gauche et pos- térieure, où cependant il en reste quelques traces sur le côté droit de la poitrine , au niveau des trois premières fausses côtes en avant, et dans une étendue de deux pouces carrés environ : elle est encore détruite, dans quelques parties du dos, à la partie supérieure de la cuisse droite et autour de l'anus. Elle est plissée, comme demi-desséchée, quoiqu'elle offre encore l'apparence charnue; lorsqu'on frappe avec le scalpel sur les parties où elle ne recouvre pas immédiatement les os, on en- tend un bruit semblable à celui que donne un carton vide sur lequel on frappe ; et en effet, au premier abord, le cadavre a un aspect cartonné, si on peut s'exprimer ainsi. En détachant quelques fragmens de peau dans différentes régions, on voit qu'elle est recouverte dans beaucoup d'endroits d'un enduit fauve auquel elle doit sa couleur, enduit qui est assez épais, et qui ressemble, pour sa consistance, à de la croûte de fromage de Chester, dont il a exactement l'odeur. Débarrassé de l7 258 TRAITÉ cette couche, la peau est amincie, comme tannée, sur- tout au crâne, de couleur orange dans certaines par- ties, et marbrée de fauve, de gris et de brun dans d'autres; sa consistance est à peu près celle d'un vieux gant mouillé, et elle est en partie saponifiée, car l'ana- lyse y démontre la présence des acides margarique et oléique unis à de l'ammoniaque et à de la chaux. Il n'y a point dit épiderme, et il paraît probable que l'enduit dont nous venons de parler est le résultat de la fonte de cet épiderme : toutefois, on découvre à la partie interne des jambes quelques lambeaux de cuticule sou- levés, sensiblement éloignés des membres, et qui pa- raissent être les débris des vésicules séreuses observées et notées au moment de l'inhumation; cette portion d'épiderme, en effet, s'étant trouvée soulevée par la sérosité, a pu résister au mouvement général de dé- composition, étant en quelque sorte isolée. Quoi qu'il en soit, les débris dont il s'agit sont translucides, fauves, peu resistans, et ressemblent assez à une feuille à moitié desséchée qui aurait été en partie rongée et piquetée. Les ongles existent encore, mais ils adhèrent très-peu; le plus léger effort suffit pour les détacher : ils sont recouverts de l'enduit caséeux déjà indiqué et de terre; leur couleur est fauve, et leur consistance semblable à du parchemin vieux et desséché; ils sont translucides. Le tissu cellulaire, dans les parties où il est ordi- nairement peu graisseux,est comme desséché, mat, blanc ou d'un blanc grisâtre, filamenteux et facile à déchirer; là où il est graisseux, il est d'un blanc légèrement jau- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 25û nâtre, peu résistant, humide, assez semblable à du lard bouilli et refroidi ; il diffère par conséquent du tissu cellulaire graisseux dans l'état naturel, qui est d'un jaune plus foncé, et dont les globules graisseux sont parfaitement distincts. Dans les parties du corps où le tissu cellulaire graisseux est très-abondant, comme aux fesses, les couches les plus profondes sont d'un jaune orangé, et offrent encore l'aspect globuleux, quoique moins apparent qu'à l'état normal : l'odeur de ce tissu cellulaire est à peu près celle du fromage de Chester. Il est en partie transformé en savon, car il fournit à l'analyse des acides margarique et oléique unis à l'ammoniaque et à la chaux. Les muscles des cuisses semblent convertis en partie en gras , excepté en arrière où l'on aperçoit quel- ques fibres d'un rose plus ou moins pâle qui tendent aussi à se saponifier : soumis à l'analyse, ils donnent en effet du savon ammoniacal et calcaire, comme la peau et le tissu cellulaire graisseux. Ceux de la partie postérieure des jambes sont dans le même état que ceux de la partie postérieure de la cuisse. Du reste, la tex- ture des muscles qui ont subi un commencement de transformation en gras, est telle que l'on reconnaît encore la disposition des fibres musculaires ; leur con- sistance n'est pas grande, puisqu'on les déchire très- facilement; leur odeur est celle du fromage de Chester. Au milieu de ces masses saponifiées, on reconnaît à leur structure et à leur brillant nacré les parties ten- dineuses et aponévrotiques. Aux bras et aux avant- l7- 2ÔO TRAMÉ bras, les muscles, moins changés que les précédens, conservent davantage leur couleur, leur consistance et leur aspect musculaire, quoiqu'ils soient déjà en partie saponifiés, et qu'ils tendent évidemment à se saponifier de plus en plus. Les tendons existent partout, et sont très-reconnais- sables, quoique de couleur jaunâtre et moins brillans que dans l'état naturel; ils sont souples et très-résistans ; mis dans l'eau, ils reprennent promptement tous les ca- ractères qui leur sont propres. On ne trouve aux mem- bres ni nerfs, ni vaisseaux ; ils sont probablement transformés en gras*, et confondus avec les fibres mus- culaires. Les cartilages articulaires sont en partie dé- truits ; les portions qui restent sont amincies et d'un blanc jaunâtre. Les ligamens ne paraissent pas différer de l'état normal, si ce n'est qu'ils sont grisâtres. Les os sont blancs, très-fragiles, spongieux, et se laissent faci- lement couper avec le scalpel, surtout vers leurs extré - mités : cet état tient évidemment à une altération pa- thologique des os, et ne dépend en aucune manière du séjour prolongé dans la terre. Tête. La tête tient encore assez fortement au tronc; la face est méconnaissable, et couverte de moisissures blanches, excepté aux lèvres et à la joue gauche : un morceau de serpillière est appliqué sur celle-ci et v adhère assez ; lorsqu'on l'enlève, on voit la peau d'un jaune fauve. Les fosses orbitaires paraissent pleines au premier abord. Les paupières sont réduites à une mem- brane mince, desséchée ; on ne trouve plus à la place DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 261 des yeux que les restes des membranes, sous forme d'une coque incomplète, ayant encore jusqu a un certain point la forme du globe oculaire : ces restes de mem- branes parmi lesquels on reconnaît bien les débris de la sclérotique, sont de couleur brunâtre et assez resis- tans. Le nerf optique, dont les rapports avec la sclé- rotique sont très-manifestes, est brunâtre, luisant, très-consistant et peu volumineux. Ces diverses par- ties, mises dans l'eau, ne tardent pas à reprendre leur blancheur et leur aspect ordinaires. On ne trouve plus de vestiges des muscles du globe de l'œil, ni du pa- quet graisseux qui existe ordinairement dans l'orbite. Le nez est aplati, singulièrement déformé, détruit à peu près dans son tiers inférieur droit; la peau qui le recouvre est d'un brun très-foncé, desséchée et amincie ; il n'offre plus aucune trace de cartilage. Les deux joues sont comme cartonnées; la droite n'est dé- truite que vers la commissure correspondante; lors- qu'on enlève la moisissure qui la recouvre en grande partie, on voit qu'elle est d'un brun clair mêlé çà et là de taches plus foncées; que la peau est amincie ; que le tissu cellulaire graisseux et brunâtre tend à se trans- former en gras, et qu'à la place des muscles on trouve une masse réticulaire d'un brun noirâtre, formée de filamens et déportions membraneuses. La joue gauche, d'une teinte généralement fauve, est à peu près dans le même état que la droite, si ce n'est qu'elle est moins altérée. La bouche est ouverte; il n'y a plus que quel- ques dents molaires à. la mâchoire supérieure; l'os » 2Ô2 TRAITÉ maxillaire inférieur, au contraire, en est assez bien garni ; des dents sont vacillantes et peuvent être facile- ment arrachées avec des pinces ; elles sont brunâtres, ce qui tient à la présence d'un enduit que l'on peut enlever par l'eau ; alors elles sont jaunâtres. Les lèvres sont réduites à une membrane très-mince, brune : la supérieure est presque entièrement détruite dans sa portion droite; 1 inférieure est un peu rongée vers ses bords : du reste, elle est entière ; la commissure gauche est la seule qui existe. L'os maxillaire inférieur est main- tenu dans sa position, et tient encore fortement. La peau du crâne, sur laquelle sont accolés des cheveux gris qui tiennent à peine, est très-sèche dans les deux tiers antérieurs, et plus humide dans le tiers postérieur : quand on l'enlève, on détache en même temps les par- ties aponévrotiques et musculaires de l'occipito-frontal, qui forment un tout avec elle; alors on voit les os du crâne à nu , excepté là où la peau est humide et où ces os sont recouverts d'une certaine quantité de vers. Le cerveau occupe au moins la moitié de la cavité du crâne; il est mou, mais non diffluent, d'une couleur violette à l'extérieur, dans certains points, et grise dans d'autres : on peut reconnaître très-bien les deux sub- stances, dont la couleur diffère à peine de l'état normal. Le cervelet est beaucoup plus altéré ; il en reste à peine quelques portions qui sont ramollies et presque réduites en pulpe grise mélangée de violet. La moelle épinière t-st détruite; ses enveloppes existent, et leur cavité est yemplie de vers blancs. L'odeur qu'exhalent ces orga- DES EXHUMATIONS JURIDIQDES. 2Ô3 nés est des plus infectes. La dure-mère, la seule des membranes de l'encéphale que l'on puisse reconnaître, est assez résistante, entière,et offre tous les caractères des membranes séreuses. A. la place des parties molles qui composent le col, on trouve une masse formée par des filamens et des por- tions membraneuses brunâtres et même noirâtres, hu- mides et mêlées de vers postérieurement, presque sèches antérieurement, et dans laquelle il est impossible de reconnaître autre chose que l'os hyoïde, le larynx, le commencement de la trachée-artère, les vertèbres et quelques restes de peau. Thorax. Le thorax est entier, et offre sa configura- tion naturelle. Les reins sont parfaitement reconnais- sablés et assez volumineux; les mamelons sont visibles, mais on ne peut pas retrouver les excoriations qui fu- rent notées lors de l'inhumation ; on découvre bien cà et là quelques portions de peau détruites, qui pour- raient bien correspondre à ces excoriations ; mais on ne saurait affirmer qu'il en soit ainsi. Iî n'y a plus de vestige de glande mammaire; il n'existe sous la peau des mamelles que du tissu cellulaire graisseux, qui tend à se saponifier, et qui offre, jusqu'à un certain point,l'as- pect de celui du bras. A la place des muscles qui recou- vrent les parties latérales du thorax, on ne trouve plus que des feuillets membraneux, en général brunâtres, mais fauves dans quelques points, presque complète- ment desséchés et percés çà et là de trous. Les cavités thoraciques sont presque vides; on y remarque quel7. 264 TRAITÉ ques vers, mais point de liquide.La plèvre, que l'on re- connaît encore, est très-mince, très-facile à déchirer, et couverte d'un enduit noirâtre; il en est de même du médiastin, qui est aussi très-reconnaissable. Les poumons présentent des adhérences nombreuses, et sontrefoulés à la partie postérieure ; ilssont réduits à une sorte de mem- brane d'une demi-ligne d épaisseur, et d'une longueur à peu près égale à celle du poumon dans l'état naturel, lisse, luisante, noire, assez molle, dans laquelle on ne distingue plus la structure des poumons, mais qui offre une substance homogène, que Ion peut cependant di- viser en plusieurs feuillets. Les pièces du larynx sont assez réunies entre elles pour qu'on puisse reconnaître cet organe; ces pièces sont d'une couleur brunâtre; les cartilages sont presque ossifiés et se coupent avec facilité ; la membrane interne qu'ils recouvrent est pres- que noire. La trachée-artère est entière, ramollie, d'une couleur brune à l'extérieur, noire à l'intérieur; les cer- ceaux qui la composent ont perdu leur élasticité et sont également noirs. Le péricarde, dont il ne manque au- cune portion, est brunâtre à ses deux faces, et contient le cœur, sans qu'il y ait aucun liquide entre ces deux organes. A l'exception de l'oreillette droite, qui a été probablement rongée par des vers, on trouve dans le cœur toutes les parties qui le composent; il est mou , vide, et d'un gris livide à l'extérieur, tandis qu'à l'inté- rieur il est noirâtre, excepté là où les colonnes charnues ont été détruites, et où il est d un gris livide. Les deux ventricules et l'oreillette gauche sont très - distincts., DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 2Ô5 quoique notablement amincis et perforés çà et là par des vers; les colonnes charnues, qui sont encore assez nombreuses, s'attachent visiblement aux valvules tri- cuspide et mi traie, et sont extrêmement minces; les valvules sygmoïdes et l'origine de l'aorte sont très-vi- sibles; ce gros tronc artériel est d'un gris noirâtre à sa naissance, et offre distinctement les trois membranes qui le composent; plus bas, dans tout l'abdomen, il est aussi très - visible, mais sa membrane interne, au lieu d'être noirâtre, est d'un blanc jaunâtre. Le diaphragme, fortement refoulé en haut, est très- aminci et gris verdâtre. On y reconnaît très-bien le centre phrénique et des restes de fibres musculaires minces et verdâtres; il existe sur ses deux faces des gra- nulations dures, semblables à celles dont nous avons déjà parlé plusieurs fois. Abdomen. L'abdomen présente une forme très-diffé- rente de celle qu'il a dans l'état naturel ; il est enfoncé ; ses parois antérieures paraissent comme appliquées contre la colonne vertébrale, et offrent des bosselures et des enfoncemens. Lorsqu'on enlève la terre et la moi- sissure qui recouvrent la presque totalité de la surface abdominale, on voit que la peau est sèche et de cou- leur fauve i on ne trouve à la place des muscles et des autres parties qui formaient ces parois, que les aponé- vroses et quelques fibres musculaires à peine reconnais- sablés; ces parois sont extrêmement amincies et dessé- chées. On remarque, à l'ouverture de l'abdomen, que la cavité abdominale est extrêmement sèche, et que les ■l66 TRAITÉ viscères, qui, au premier abord, paraissent aussi très- desséchés, sont fortement refoulés en arrière; ce refou- lement fait, pour peu que l'on tende en avant les lam- beaux des parois incisées, qu'il existe un vide très- considérable entre ces mêmes parois et les viscères abdominaux. L'épiploon gastro-colique est entier, plus mou que dans l'état naturel, et transformé en gras de cadavres. L'estomac, entier aussi, est grisâtre à l'intérieur comme à l'extérieur, et vide; sa membrane muqueuse est lisse et ne présente aucune trace de rougeur; çà et là on y voit quelques points emphysémateux; les autres tuni- ques sont distinctes et peuvent être séparées, mais elles sont très amincies. Userait impossible de confondre cet estomac avec un autre qui serait enflammé. Le canal in- testinal etîe mésentère forment, avec l'estomac et l'épi- ploon gastro-colique,une sorte de masse dans laquelle plusieurs parties sont réunies, accolées et entortillées au point qu'on ne peut pas les reconnaître au premier abord. Cette niasse est de couleur marbrée de rose, de vert, de gris, de brun et de noir : lorsqu'à l'aide des doigts on est parvenu à en séparer les circonvolutions intestinales et. le mésentère, on peut s'assurer que celui-ci est en grande partie transformé en gras d'un blanc mat, que le rectum contient des matières fécales molles et noires, qui lui communiquent cette couleur, et que les intestins sont humides ou secs ; les portions humides sont d'un blanc grisâtre à l'extérieur comme à l'intérieur, sans la '.'joindre trace de rougeur; quelque-, DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 267 unes aussi sont vertes; les parties qui sont desséchées sont brunâtres à leurs deux faces. Le foie est attaché au moyen de son ligament suspen- seur, qui est très-reconnaissable. et dans l'épaisseur duquel on voit le ligament formé par la veine ombilicale oblitérée. Il est aplati et déformé ; sa partie la plus épaisse n'offre guère que huit lignes ; il est en général d'un gris livide, excepté à son lobe droit qui est brun ; il est flasque, et présente à sa face supérieure des gra- nulations de phosphate de chaux, semblables à celles qui ont été déjà décrites plusieurs fois; sa structure est méconnaissable ; on ne peut guère y apercevoir que les orifices des vaisseaux qui le parcourent ; à l'intérieur de ces vaisseaux, on remarque des granulations molles blanches, évidemment formées par du gras de cadavres. La vésicule biliaire est remplie par un calcul de deux pouces de longueur et d'un pouce dans son centre, où il est le plus large; sa surface interne est enduite d'une matière jaune graisseuse, qui ressemble à de la bile épaissie; la membrane qui est sous cet enduit est veloutée, verte et presque comme dans l'état natu- rel. La veine-cave, qui est vide, est très-visible dans la partie inférieure de l'abdomen , et se fait remarquer à l'intérieur comme à l'extérieur par une couleurblanche, quoiqu'elle ne soit pas saponifiée. Les reins sont apla- tis, bleuâtres à l'extérieur et olivâtres à l'intérieur, ra- mollis et humides; on y distingue des mamelons et des calices; la graisse qui se trouve dans le bassine lest en- partie saponifiée. La vessie est détruite dans sa partie 268 TRAITÉ inférieure; on peut encore reconnaître sa cavité, qui est vide; sa membrane muqueuse est brunâtre et cou- verte de larves très-petites et blanches; ses parois sont amincies et comme desséchées; on peut les diviser en plusieurs feuillets celluleux. La rate est entière, d'un bleu foncé et ramollie. L'utérus est tellement aplati et déformé, qu'on ne le reconnaît d'abord qu'à sa situation; cependant, en l'in- cisant et en introduisant le scalpel, on peut très-faci- lement séparer la paroi antérieure de la postérieure, et apercevoir son col et sa cavité : du reste, ces parois ressemblent à du caoutchouc,si ce n'est qu'elles sont beaucoup plus molles. On ne trouve plus ni trompes ni ovaires; mais on voit encore les ligamens larges sous forme d'un feuillet membraneux grisâtre. Les parties génitales externes ne constituent plus qu'une masse informe, feuilletée, qui ne permet pas de reconnaître le sexe. Dos et colonne vertébrale. Comme nous l'avons déjà dit, la peau du dos est rongée et perforée dans quel- ques endroits : elle est amincie et humide vers la partie supérieure du tronc, de couleur brunâtre; quoique plus sèche inférieurement, elle l'est cependant moins que dans les parties antérieures du tronc. Les masses musculaires qui avoisinent la colonne vertébrale sont humides supérieurement, conserventleur aspectfibreux et ne sont point transformées en gras; leur couleur est brune foncée; lorsqu'on les incise, on y trouve une quantité considérable de vers blancs; inférieurement DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 260 les muscles sont plus secs et sous forme de membranes minces, d'un brun foncé. Les portions aponévrotiques et tendineuses de cette région sont parfaitement recon- naissables, et offrent leur aspect varié et luisant, quoi- que moins éclatant. La colonne vertébrale forme un tout continu, et les ligamens vertébraux existent par- tout. Réflexions. Cette observation est remarquable sous plusieurs rapports : i° Il a été impossible, lors de l'ex- humation, de constater que les seins étaient excoriés, que les parties génitales externes étaient rouges, et qu'il y avait des phlyctènes aux jambes et des escarres aux pieds : to u tes lésions que l'on avait reconnues au moment de l'inhumation : cependant, relativement aux escarres, nous dirons qu'à la place où elles avaient été notées,sur le dos des pieds, nous avons trouvé deux cavités d'envi- ron huit lignes de large et une ligne et demie de profon- deur, ce qui est d'autant plus remarquable, que les pieds étaient entiers, à l'exception des cavités que nous signalons. 2° Ce cadavre, qui a été enterré dans le même terrain que l'individu mort de la petite-vérole, qui fait le sujet de la 29e observation (voy. pag. 246), était éton- namment conservé, tandis que l'autre était à la dernière période de la putréfaction; et cependant les corps étaient à côté l'un de l'autre, et avaient été inhumés et exhumés à peu près à la même époque : cette différence, qui peut tenir en partie à l'âge des sujets, dépend évi- demment surtout de ce que l'un deux avait succombé à une maladie de la peau, qui a dû hâter singulièrement 2JO TRAITÉ la destruction. 3° L'altération éprouvée par ce cadavre est très-remarquable, et telle que nous ne lavions en- core jamais observée à ce degré, dans aucune de nos exhumations; nous voulons parler de la saponification de la peau, des muscles et du tissu cellulaire, qui était fort avancée dans plusieurs parties, tandis que dans d'autres il y avait eu dessèchement et même destruc- tion. OBSERVATION 3lC. Le 26 septembre 1828, l'un de nous fut chargé par le ministère public de procéder à l'exhumation du ca- davre de madame Noresse, morte le 6 mai 1825. Le cadavre avait été enveloppé, dit-on, d'un drap, et placé dans une bière d'environ neuf à dix lignes d'épaisseur, enterrée à six pieds de profondeur dans le cimetière de l'est de Tours. La bière se brisa, et on ne l'obtint que par morceaux ; alors on vit que ces fragmens étaient pourris, tachés cà et là en brun, en violet, en noir. On ne découvrit au- cun vestige de drap. Le cadavre, réduit au squelette, ne put pas être enlevé en totalité; au plus léger effort, les os se séparaient, et on ne les obtenait que dans cet état d'isolement. Il tomba tant de terre, qui se riêla avec les os, qu'il fut impossible de découvrir d'autres parties molles, qu'une espèce d'enduit brunâtre qui ta- pissait les extrémités des côtes et les vertèbres; toute- fois, le crâne, qui se laissa briser facilement, contenait DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 271 environ un septième de la masse cérébrale d'un gris légèrement verdâtre, très-molle, comme graisseuse et nullement fétide. Il y avait des cheveux sur la tète. On reconnut facilement aux os du bassin que le cadavre était celui d'une femme. OBSERVATION 32e. Le 25 mars 1829, un fossoyeur découvrit, dans un cimetière de Valenciennes, deux cadavres parfaitement conservés. Voici ce qui nous a été écrit à ce sujet : Le 2 avril, à cinq heures du matin, le procureur du roi, accompagné du juge d'instruction, d'un médecin, d'un chirurgien et de deux pharmaciens, s'est rendu au cimetière pour procéder à l'exhumation des deux cadavres. Les cercueils étaient placés l'un au-dessus de l'autre, parallèlement ; la partie droite inférieure du premier était posée sur la partie supérieure gauche du second. L'autopsie du premier cadavre a été faite avec les précautions usitées en pareil cas, et il a été constaté que l'individu n'était pas mort de mort violente, mais qu'il avait succombé à une péripneumonie avec com- plication de gastro-entérite. Il avait été saigné aux deux bras, les bandes y étaient encore. La saignée du bras gauche était belle et d'un rouge vif, ainsi qu'un peu de sang qui s'en était épanché. Le second cadavre était aussi bien conservé que le premier. Le procureur du roi, le juge d'instruction et la commission ont reconnu unanimement qu'il n'y avait 272 - TRAITÉ point eu inhumation illicite. Le premier cercueil était de hêtre et de bois-blanc, et le second de chêne : dans l'un et dans l'autre, les clous qui servaient à unir les planches n'étaient seulement pas oxydés. A l'endroit où se trouvaient les cercueils, le terrain est un composé de terre végétale mêlée de silex et de carbonate de chaux, plutôt siliceux que calcaire; il est humide, frais,compacte, et peu éloigné d'une rivière au-dessus de laquelle il s'élève de douze à' quinze pieds. On a la certitude que l'inhumation des deux cadavres remonte au moins à l'année i8i4- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 273 RÉSUMÉ DES CHANGEMENS PHYSIQUES QU'ÉPROUVENT LES TISSUS DES CADAVRES ENTERRÉS DANS DES FOSSES PARTICU- LIERES. Épiderme. L'épiderme a une tendance marquée à se détruire. Dans les premiers temps, il s'amincit, se ramollit, et tend à faire corps avec le linceul ou avec la terre, si le cadavre a été enterré tout nu. Dans les parties où il n'a pas été enlevé avec la terre qui le re- couvrait, il est plissé, soulevé et facile à détacher en lambeaux minces, translucides, d'un blanc grisâtre, même à l'abdomen, où le derme est coloré en vert ; à la paume des mains et à la plante des pieds, où il est plus épais, il est plus sec, plus mat, d'un blanc tirant légèrement sur le jaune, rugueux, fortement plissé, et semblable à celui de la même partie sur lequel on au- rait appliqué pendant long-temps un cataplasme émol- lient ; quelquefois sa face interne est partiellement colorée en rouge ou en vert par un liquide séreux que l'on peut enlever par l'eau, et alors la couleur blanche du tissu reparaît. Il n'est guère possible d'établir l'ordre suivant lequel les parties se dépouillent de leur épi- derme, parce qu'il n'y a rien de constant à cet égard. A une époque un peu plus avancée, les portions d'épiderme non encore séparées commencer! ta éprouver 18 274 TRAITÉ une altération remarquable; souvent elles deviennent graisseuses, et adhèrent de plus en plus à la terre ou au linceul qui les recouvrent ; elles forment alors des couches d'un jaune rougeâtre ou brunes, composées de plusieurs petites élévations arrondies, comme lenti- culaires et confluentes; quelquefois, au lieu de ces couches, on trouve une mucosité gluante et grasse qui semble fournir un moyen d'agglutination entre cer- tains organes : c'est par son intermède, par exemple, que la partie interne des membres thoraciques est sou- vent collée au. thorax. Il arrive aussi qu'au lieu d'un enduit gras et poisseux, on en trouve un autre qui est sec et presque comme de la croûte de fromage dessé- ché. Les enduits dont nous parlons, soui quelque forme qu'ils se présentent, sont quelquefois recouverts de moisissures blanches, floconneuses, semblables dans certains cas à de la gelée blanche. Plus tard l'épiderme a disparu ; cependant, si pendant la vie il a été soulevé par de la sérosité, il peut se faire qu'il résiste à la putré- faction , et qu'on le trouve encore, au bout de plu- sieurs mois, avec la plupart des caractères qui lui sont propres. Ongles. Les ongles se ramollissent, acquièrent une couleur grisâtre, et perdent de leur élasticité; ils de- viennent aussi de moins en moins translucides ; on peut les arracher facilement, même lorsque le cadavre n'est enterré que depuis vingt ou trente jours. La peau qu'ils recouvrent dès cette époque est lisse , humide et d'un rouge vif, comme de la gelée de groseilles; plus tard, ces ongles tombent après s'être desséchés. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 27J Cheveux et poils. Ces parties résistent beaucoup à la putréfaction ; nous les avons constamment trouvées avec toutes leurs apparences, même après plusieurs années d'inhumation. Peau. Après avoir étudié séparément l'épiderme, nous allons examiner les changemens qu'éprouve la peau, que nous ne supposerons pas encore être dé- pouillée de sa cuticule. Dans les premiers temps, elle est de couleur jaunâtre, tirant un peu sur le rose; cepen. dant on voit cà et là des teintes verdâtres, rougeâtres et violacées ; du reste, elle est à peine ramollie, nulle- ment corrodée, et presque dans l'état naturel. On peut établir en principe qu'elle est plus humide à la partie postérieure du tronc que partout ailleurs. Plus tard elle est quelquefois recouverte, dans cer- tains endroits, de petites granulations comme sablon- neuses, formées par du phosphate de chaux : alors, par l'effet de la putréfaction, elle est presque décollée au dos, où elle paraît former une poche, comme le fait la peau du crapaud au corps de cet animal; son épaisseur n'a pas encore sensiblement diminué, si ce n'est aux paupières où elle se déchire facilement; sa structure est parfaitement reconnaissable, et nulle part on ne la voit transformée en gras. Plus tard encore elle commence à se dessécher, devient plus mince, et prend une couleur qui varie du jaune fauve au jaune presque orangé, et au brun quel- quefois assez foncé; elle est recouverte par l'enduit dont nous avons parlé à l'occasion de l'épiderme, et dans certains points par de la moisissure; cette der- 18. '2j6 ' ' • ■' TRAITÉ nière n'existe guère dans lesparties les plus humides, comme au dos, tandis qu'il y en a beaucoup dans celles qui sont ordinairement sèches. La dessiccation fait chaque jour de nouveaux progrès ; l'enveloppe tégu- mentaire semble se tanner; aussi, lorsqu'on frappe avec le manche d'un" scalpel sur une partie quelconque du!cadavre, on entend un bruit à peu près semblable à celui qu'on produit par la percussion sur une boîte de carton. Si alors on incise ce tissu, on voit que la coupe offre l'aspect d'une couenne grisâtre, et déjà on distingue une tendance évidente à la saponification, tendance qui est surtout marquée là où le tissu cellu- laire sous-cutané est chargé de graisse : c'est aussi dans ces parties qu'en général la peau se conserve le mieux, et'si elle se détruit aisément au pourtour de l'anus, cela tient à la facilité avec laquelle les vers peuvent l'atta- quer. Son adhérence aux parties sOus-jacentes varie; quand elle est appliquée sur des os, elle y tient par du tissu cellulaire sec, facile à déchirer et à séparer; elle est au contraire très-adhérente lorsqu'elle répond à des portions fournies de tissu cellulaire graisseux, ou lors- qu'elle recouvre des parties musculaires, sans l'inter- médiaire de ce tissu graisseux abondant. A une époque, encore plus éloignée, la dessiccation et l'amincissement de la peau augmentent là où elle n'a pas été saponifiée, et, comme précédemment, ce sont les parties antérieures qui sont, plus sèches; quelquefois même elle est déjà excessivement desséchée en avant, que la partie postérieure est encore très-humide, très- amincie, et en partie détruite par les vers. Elle brunit DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 277 de plus eu plus ou devient d'un jaune sale; mais en général elle conserve encore assez de consistance , quoiqu'elle-soit détruite et comme corrodée en plu- sieurs points. Enfin l'amincissement est porté au point que le tissu disparaît peu à peu. Il est inutile d'indiquer que la destruction de l'organe cutané est beaucoup iplus rapide dans les portions.qui n'ont été ni dessé- chées ni transformées en gras. m! On remarquera, sans doute, que nous n'avons pas compris parmi les changemens que la peau, éprouve pendant l'inhumation, les lividités >cq.daveriqu.es, les 7)ergetures, ni les ecchymoses ; c'est qu'en effet les livi- dités cadavériques de la peau paraissent ordinairement lorsque le cadavre commence à se refroidir, et .par conséquent bien avantl'inhumation; d'ailleurs, elles ont été parfaitement décrites, et nous croyons nousrmême les avoir fait connaître en détail dans nos Leçons de médecine légale (tome II; page »3,7^;3eédition). Quant aux vergetures, cortirtie elles ne sont autre chose^que des lividités cadavériques de la peau, traversées par des lignes, des sillons.ou des plaques blanchâtres,,ré- sultat évident de la pression exercée sur les parties livides par les vetemens, les ligatures, etc., nous $e devions pas nous en occuper davantage par le. même motif. Nous n'avons pas fait mention des ecchymoses sous-cutanées, parce que nous n'avons jamais eu occa- sion d'en observer chez les, sujets que pous avons fait pourrir, non pas que nous pensions qu'il ne s'en déve- loppe dans aucun cas pendant là putréfaction des ca- davres qui ont été enterrés; au contraire, tout concourt 278 TRAITÉ à établir qu'il doit s'en former chez les individus jeunes, gras, abreuvés de sucs, qui ont succombé à une maladie aiguë, et qui ont été inhumés pendant l'été. Ces ecchy- moses se montrent le plus souvent dans les parties les plHs déclives, comme à l'occiput, aux lombes, ou bien aux paupières et au scrotum, organes dont le tissu lamineux sous-cutané est fort lâche et facile à distendre; il n'arrive jamais qu'elles offrent les diverses nuances jaune clair, jaune foncé, rouge brun et noi- râtre, qu'il n'est pas rare de voir dans les ecchymoses faites pendant la vie : en général, leur couleur est uni- forme. Tissu cellulaire sous-cutané. Ce tissu change à peine dans les premiers temps; toutefois il est aisé de remar- quer, même de bonne heure, qu'il se comporte diffé- remment à la partie antérieure du corps, qu'en arrière et suivant l'épaisseur des couches musculaires qui l'avoi- isinént. Ainsi^ loin de s'infiltrer, il se dessèche et con- serve assez de résistance quand il est placé à la partie antérieure du tronc, surtout là où la couche muscu- laire est mince, comme à l'abdomen et au milieu du thorax. Il est au contraire infiltré, mou, peu résistant dans toute la partie postérieure du tronc: cette infil- tration peut être simplement sanguinolente, ou bien à la fois sanguinolente et huileuse ; dans ce dernier cas, des gouttelettes jaunes, comme graisseuses, sont mêlées au liquide rouge. A la partie postérieure de la tête et du cou , et même dans presque toute l'étendue du dos et des lombes, l'infiltration dont il est le siège est plus ou moins violacée, et présente un aspect gélatineux TES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 279 assez semblable à celui du tissu cellulaire épicranien de certains enfans nouveau-nés : là ce tissu est gonflé et se déchire avec facilité. Dans la région fessiere et à la partie postérieure des membres, cet état gélatineux est à peine marqué, et le liquide qui imbibe le tissu cellulaire s'écoule avec beaucoup plus de facilité. Dans les régions latérales du thorax et de l'abdomen, ce tissu offre en quelque sorte un état d'infiltration intermé- diaire entre celui de la partie antérieure et de la partie postérieure du tronc. En avant et sur les côtés des cuisses et des bras , où la couche musculaire est assez épaisse, il est assez humide, sans être infiltré, et se déchire facilement, ce qui tient évidemment à l'altéra- tion putride qu'il éprouve déjà, et qui est plus marquée là que dans les endroits où les muscles sont moins épais. Il est inutile d'ajouter que l'infiltration du tissu dont il s'agit sera surtout considérable quand le cadavre baignera pour ainsi dire dans un liquide, comme dans les cas d'anasarque. ( Voyez Observ. 7e, page 90. ) Plus tard, surtout chez les sujets gras, le tissu cel- lulaire adipeux tend à se transformer en savon; il devient d'un gris blanchâtre ou jaunâtre, de consis- tance de suif, et onctueux au toucher; partout où il est très-abondant, il offre, lorsqu'on l'incise, un aspect poreux, feuilleté, résultant de la présence d'une multi- tude de petites locules vides produites elles-mêmes soit par la dessiccation, soit par le dégagement des gaz. Plus tard encore, nous l'avons vu comme desséché, mat, blanc, ou d'un blanc grisâtre, filamenteux, et facile à déchirer là où il est ordinairement peu graisseux. 280 - TRAITÉ tandis qu'il était jaunâtre, peu résistant, humide et assez semblable à du lard bouilli et refroidi, dans les endroits où il est graisseux ; enfin il était d'un jaune orangé, d'un aspect globuleux et évidemment saponifié partout où il était encore plus graisseux. La transfor- mation en savon du tissu cellulaire graisseux est loin d'être un phénomène constant; nous avons en effet rencontré ce tissu dans l'état naturel chez un individu qui était enterré depuis six mois, et qui était maigre, tandis que chez une femme grasse, inhumée à peu près depuis le même temps et dans le même terrain, ce tissu était déjà saponifié dans plusieurs parties. A une époque plus avancée, le tissu cellulaire non saponifié se détruit, après s'être desséché et avoir hruiii. Tissu musculaire. Les muscles commencent par se ramollir; eu général, ils deviennent d'abord d'un rouge moins foncé partout où ils ne sont pas très'-ihfiltrés; quelques-uns cependant offrent une couleur violacée; ceux de l'abdomen sont souvent verts. Quelque temps après, leur tissu est.encore parfaitement reconnais- sable; il n'est pas transformé en gras, si ce n'est dans les orbites, où la saponification paraît avoir lieu bien plus tôt que dans les autres parties. Leur couleur est alors Verdâtre ou lie de vin. La première de ces colo- rations est beaucoup plus commune que la seconde, qui ne se'rémarque guère que dans les endroits où l'on trouve une infiltration sanguinolente. Le tissu dont il s'agit est partout humide (les orbites exceptés), et, dans plusieurs parties, il est imbibé par un liquide séro-sanguinolent de la même couleur que / DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 281 celui qui imprègne le tissu cellulaire, et qui est telle- ment abondant dans certaines régions, surtout au dos qu'il en découle une grande quantité non-seulement parla pression, mais encore par la simple incision; il est même des muscles qui ressemblent à une gelée, au milieu de laquelle se trouveraient des fibres charnues, réunies pourtant de manière à ce qu'on pût très-bien reconnaître la forme des organes que l'imbibition a envahis; malgré cette imbibition qui devrait augmenter leur volume, les muscles sont affaissés, et leurs fibres pour ainsi dire dissoutes dans le liquide. A la partie antérieure des membres, le tissu musculaire forme une couche très-peu épaisse sur les os quil recouvre. La résistance qu'il présente est en général considéra- blement diminuée , et la facilité avec laquelle on le dé- chire est en raison directe de son imbibition : or, comme cet état est plus marqué à la partie postérieure du tronc, et là où les couches musculaires sont plus épaisses que partout ailleurs, c'est aussi là que les fibres se déchirent avec le moins d'effort. Le tissu musculaire, après s'être ramolli et coloré plus ou moins en verdâtre ou en lie de vin, ou : bien au contraire après être devenu plus pâle, se saponifie ou se détruit. La saponification a surtout lieu chez les personnes grasses; les fibres musculaires pâlissent de plus en plus; quelques-unes d'entre elles sont déjà changées en savon blanchâtre, que d'autres conservent encore leur couleur rosée : nous n'avons jamais vu un muscle tojit enriet transformé en gras. L'autre genre d altération Jceluï qui amène la destruction du muscle, 282 TRAITÉ est beaucoup plus commun; voici comment il a lieu : Après s'être ramolli, le tissu musculaire se dessèche petit à petit, et perd de son volume à un point tel que les masses qu'il forme s'aplatissent; à mesure que la dessiccation augmente, il prend une teinte plus foncée; enfin il peut être tout-à-fait brun; mais, malgré cet aplatissement et cette coloration, on peut encore re- connaître les tendons, les aponévroses et la structure fibreuse de cette sorte de membrane. La dessiccation pourtant n'atteint pas tous les muscles qui se détrui- sent, et ceux qui se conservent humides offrent tou- jours une couleur foncée, verte ou lie de vin. Plus tard, les fibres musculaires desséchées se dé- truisent, et il ne reste plus à leur place que des feuillets membraneux grisâtres ou d'un jaune brunâtre, dans lesquels il est impossible de reconnaître des fibres; quel- quefois ces feuillets sont humides, bruns et assez sem- blables à des feuilles de tabac que l'on aurait mouillées après les avoir desséchées; enfin, dans quelques parties du corps, on ne trouve à la place des muscles que des masses aréolairesbrunes et même noirâtres, semblables par leur aspect à certains polypiers. A la région postérieure des membres, la dessiccation dont nous parlons n'est jamais aussi complète; nous ne l'avons pas non plus remarquée dans la région du dos ni des lombes, où les muscles sont constamment baignés dans des liquides : dans ces endroits ils se dé- truisent pour ainsi dire par macératiqn,v Tissu aponevrotique et tendineu^li^s «aponévroses qui enveloppent les muscles conservent long-temps DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 283 leur brillant et leur consistance ; mais elles ont en gé- néral une couleur légèrement bleuâtre là où elles sont peu épaisses ; il en est de même du tissu tendineux dont la couleur toutefois est plus blanche et plus éclatante, ce qui tient évidemment à sa plus grande épaisseur: en effet, dans les parties où les tendons existent sous la forme aponevrotique, ils ont une teinte analogue à celle des aponévroses. i Plus tard, et à une époque déjà assez avancée, les aponévroses, et les tendons deviennent d'abord opa- lins et jaunâtres , puis de couleur brune, claire et même foncée ; ils se dessèchent plus ou moins complè- tement, et perdent l'aspect nacré qui leur est propre; mais il suffit de les mettre en contact pendant quelque temps avec l'eau, pour qu'ils reprennent leurs carac- tères primitifs; ce sont eux qui constituent, avec le tissu cellulaire, la totalité ou la presque totalité de ces masses feuilletées qui sont les seuls restes des partjes molles que l'on remarque dans ces différentes parties du corps, et qui, à leur tour, finissent par se détruire entière- ment, en sorte que le cadavre se trouve réduit au sque- lette. Le tissu tendineux est un de ceux qui résiste le plus à la putréfaction. Tissu ligamenteux. Pendant les premiers mois, les articulations conservent tous leurs rapports, et sont maintenues par les ligamens qui ont à peine çfeangé d'aspect, et qui présentent encore beaucoup de.résis- tance. Plus tard, le tissu ligamenteux se ramollit, jau- nit, et, au bout d'un temps assez long, finit par se 284 TRAITÉ détruire complètement; il résiste beaucoup moins à la décomposition que les tendons. Les ligamens croisés sont ceux que l'on peut reconnaître le plus long-temps : quant aux autres, ils sont tellement confondus, au bout de quelques mois, avec les autres parties molles qui environnent ces articulations, qu'il est impossible de les distinguer. Tissu cartilagineux. Les cartilages articulaires offrent pendant long-temps l'aspect et la texture qui leur sont propres, excepté qu'ils sont légèrement rosés. Plus tard, ils deviennent jaunâtres et commencent à s'amincir; leur consistance diminue de plus en plus ; enfin ils se détruisent, et il ne reste plus à leur place, Sur les sur- faces articulaires, qu'un enduit très-mince; humide, légèrement graisseux et de couleur bistre. Les carti- lages costaux brunissent aussi et perdent leur sou- plesse; mais avant de disparaître ils deviennent tout- à-fait 'noirs, fragiles, et sont comme vermoulus. Tissu osseux. Les o* subissent à peine de l'altération, même au bout de plusieurs centaines d'années. On a trouvé à Saint-Denis ceux du roi Dagobert, mort il y a près de douze cents ans ; à la vérité, ils étaient dans un coffre -de bois, placé lui-même dans un tombeau de pierre. Haller dit, dans les premières pages de ses Élémens de Physiologie, que la gélatine des os s'est conservée pendant deux mille ans dans'des; momies, tandis qu'à l'air ou dans des terrains humides'quelques siècles suffisent à sa destruction: alors les os se con- vertissent en poussière et disparaissent. (Vofez, pour plus de détails, l'art. 2e, aux pag. 349 et 35o.) Les dents DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 9.85 résistent long-temps; l'émail est presque indestructible. Tissu séreux. Les plèvres, le péritoine, etc., devien- nent d'abord grisâtres et se ramollissent; plus tard ces membranes s'amincissent, se déchirent facilement, et tendent à se dessécher; plus tard encore , leur couleur se fonce et passe au bleuâtre, au brun olive, ou au noir bleuâtre; quelquefois aussi leur surface est enduite d'une couche noire, comme graisseuse ; enfin elles dis- paraissent. Nous avons pu reconnaître la plèvre chez un sujet enterré dans une bière épaisse, et ouvert quatorze mois après la mort. Encéphale. Le cerveau, qui se pourrit si vite quand il est hors du crâne, résiste sensiblement au mouve- ment de décomposition putride tant qu'il est enfermé dans cette boîte osseuse. Quelquefois, avant l'inhuma- tion , les vaisseaux sont gorgés de sang par l'effet de la mort; ce qui tient à la distension de l'estomac par des gaz , et au refoulement en haut du diaphragme et du sang contenu dans le côté droit du cœur. Pendant plusieurs semaines, à moins que la température n'ait été fort élevée, le cerveau conserve assez toutes ses proprié- tés normales pour qu'on puisse y reconnaître les diverses parties qui entrent dans sa composition, et constater les traces d'épanchemens et de ramollissemens patho- logiques; cependant il tend de bonne heure à devenir d'un gris olivâtre clair. Quelque temps après il se ra- mollit, et le ramollissement commence par la substance grise, diminue de volume, et ne remplit plus déjà exactement la cavité du crâne : à cette époque, on 286 TRAITÉ aperçoit encore, sinon la totalité, au moins une grande partie des circonvolutions, ainsi que les deux sub- stances, dont la blanche est devenue grisâtre, et l'autre d'un vert olivâtre. Dans un cas de mort, à la suite d'une apoplexie foudroyante, il fut trouvé, même d'assez bonne heure, réduit en une bouillie très-molle couleur de lie de vin. Plus tard il est encore plus mou, et pour ainsi dire réduit en bouillie : alors les deux substances, qu'il n'est plus permis de bien distinguer, sont verdâtres ou couleur de lie de vin, et répandent une odeur excessivement fétide; il est inutile] de dire que l'on ne reconnaît plus aucune des parties qui se trouvent dans les divers ventricules : on voit çà et là dans la masse de l'encéphale des filamens entourés de granulations graisseuses , qui semblent être des vais- seaux. A une époque plus éloignée encore, l'organe dont nous parlons n'est plus aussi fétide, et sa consis- tance est augmentée; il forme alors une masse d'un gris verdâtre, semblable a de la terre glaise détrempée ou azurée : quelquefois cette masse est jaunâtre à sa surface; dans d'autres circonstances, elle est percée de trous faits par des vers. Dans tous les cas, le cer- veau diminue peu à peu de volume, et il arrive un moment où il n'occupe plus que le dixième et même le douzième de la cavité du crâne, et alors il est sou- vent saponifié. Dans les nombreuses ouvertures que nous avons faites, nous avons constamment trouvé une plus ou moins grande partie de cet organe, tandis que déjà il ne restait aucun vestige d'autres viscères ; ^N DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 287 une fois seulement (voyez page 247) le crâne était vide, parce que des vers nombreux avaient dévoré tout l'encéphale. Le cervelet et la moelle épinière présentent les mêmes changemens de consistance et de couleur que le cerveau ; ils sont cependant en général plus ra- mollis. La pie-mère et l'arachnoïde se comportent à peu près comme les autres parties du tissu séreux (voyez pag. 285). La dure-mère résiste beaucoup à la putréfac- tion , et présente à peine des changemens dans les pre- miers temps ; plus tard , elle devient presque toujours verdâtre, se ramollit et se déchire souvent en lambeaux qui offrent une couleur ardoise claire (1). (1) On ne doit pas considérer la présence d'un liquide sé- reux dans les ventricules cérébraux, le canal rachidien ou les aréoles de la pie-mère cérébrale , comme un effet cadavéri- que; et on ne pourrait l'attribuer à une cause pathologique qu'autant que ce liquide s'écarterait beaucoup, par sa quan- tité et ses qualités, des conditions qu'il présente dans l'état normal, et que nous allons exposer. On sait, par les recher- ches de M. Magendie sur les animaux vivans et sur les cadavres d'individus chez lesquels il n'avait existé aucun dérangement des fonctions du système nerveux, i° que l'espace compris entre la moelle et la dure-mère est habituellement rempli par un liquide incolore, qui soumet la moelle à un certain degré de compression nécessaire à l'exercice de ses fonctions, en même temps qu'il protège cet organe important contre les commotions violentes , etc. ; 2° que l'écoulement de ce liquide, provoqué chez un animal vivant, donne naissance à des symp- tômes graves que fait bientôt cesser la régénération facile de 288 TRAITÉ Les nerfs sont parfaitement conservés , même plu- sieurs mois après l'inhumation, et ne diffèrent de leur état normal que par leur solidité qui est moindre , et par leur couleur qui est un peu rosée. Globes oculaires. Peu de jours après l'inhumation , la cornée transparente est déjà affaissée, et notable- ment obscurcie, et les humeurs vitrée et aqueuse ten- dent à se colorer en bistre clair ou en rougeâtre. Quel- ques semaines après, l'affaissement a fait de tels pro- grès, que les yeux semblent quelquefois vides au pre- cette humeur; 5° qu'un liquide semblable infiltre les aréoles de la pie-mère , et distend modérément les ventricules céré- braux ; 4° que la position de ce liquide est surtout remar- quable, puisque dans le rachis comme à la surface du cerve- let et du cerveau , il est placé, ainsi que l'avait déjà vu Cotu- gno, entre le feuillet viscéral de l'arachnoïde et le viscère lui- même revêtu par la pie-mère; 5° qu'une simple vapeur lubri- fie en dedans les deux feuillets contigus de l'arachnoïde, et que quand on y rencontre de la sérosité, elle est en petite quantité et rougeâtre, et due uniquement à la transsudalion cadavérique, rarement à une irritation des méninges; 6° que le liquide cérébro-spinal peut avec facilité passer du rachis dans les ventricules , ou de ceux-ci dans le rachis, par une ouverture placée entre la face postérieure du bulbe rachidien et le cervelet ( elle paraît cependant bouchée par une mem- brane chez les moutons). On conçoit qu'il peut aussi facile- ment passer du rachis dans les aréoles de la pie-mère céré- brale, puisque dans l'un comme dans l'autre cas , il est sous l'arachnoïde. Ces remarques font aussi prévoir que la position dans laquelle on place le cadavre pendant qu'on en fait l'exa- men , peut favoriser l'accumulation de cette humecr , 5oit vers le crâne, soit vers le canal rachidien. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 289 mier abord ; l'obscurcissement de la cornée et la coloration des humeurs ont augmenté ; celles-ci sont remplacées par un fluide peu consistant, de couleur bistre qui paraît être due à la choroïde ; le cristallin , ainsi que les diverses membranes, conservent leurs caractères. En général, nous avons trouvé les yeux entiers jusqu'au deuxième mois. Plus tard ils se vident, et on ne rencontre que leurs membranes et le cristal- lin ; quelque temps après, il n'existe que des débris brunâtres de la sclérotique; enfin, plus tard, les cavités orbitaires ne renferment qu'une masse de gras de ca- davres formée aux dépens des yeux, dont on ne dé- couvre plus de traces , des muscles et du paquet graisseux de cette région. Il est peu d'organes qui dis- paraissent aussi promptement que les globes oculaires: dans les exhumations faites à Bicêtre, nous n'en avons jamais trouvé de vestiges quatre mois après la mort. Organes de la respiration et de la circulation. Avant d'indiquer les divers états que nous ont présentés les poumons, voyons en peu de mots ce qu'ils nous of- frent de remarquable vingt-quatre ou trente-six heures après la mort. Si l'agonie n'a pas été longue, la portion des poumons qui était la plus déclive au moment du refroidissement du cadavre, sera engorgée ; si, comme il arrive le plus ordinairement, l'individu est couché sur le dos, et que le cadavre n'ait pas été retourné, la con- gestion sanguine se trouvera dans la portion dorsale des poumons ; elle occupera au contraire leur partie antérieure ou leur partie inférieure, si, au moment de la mort, l'individu était couché sur le ventre dans l9 29O TRAITÉ une situation verticale, comme dans la suspension, et que l'on n'ait point changé l'attitude du cadavre pen- dant le refroidissement. Si on retourne le corps immé- diatement après la mort, les poumons présenteront à peine quelques traces d'engorgement dans la partie qui était la plus déclive quand l'individu a cessé de vivre; tout le sang s'accumulera dans les portions les plus dé- clives au moment du refroidissement. Dans ces diffé- rens cas, l'engorgement pourra être-porté au point de diminuer la force de cohésion du parenchyme , et de chasser entièrement l'air qui occupe les parties les plus déclives. Il est inutile de dire que les bronches se colorent également en rouge dans les portions des poumons où le sang s'est accumulé. Si £ agonie a été longue, ou que le malade ait succombé à une affec- tion du thorax, avec gêne considérable de la respira- tion , la congestion sanguine occupera la partie des poumons la plus déclive au moment de la mort. On a beau retourner sur le ventre le corps d'un pareil indi- vidu qui vient d'expirer étant couché sur le dos , l'engorgement sanguin se trouve dans la portion dor- sale de la partie thoracique des poumons ; celle qui est la plus déclive au moment du refroidissement, offre à peine quelques traces de congestion. Il suit de ce qui précède, que l'on se tromperait en voulant juger, d'après la lividité de telle ou telle autre partie des poumons, la situation de l'individu au moment de la mort ou du refroidissement du cadavre, puisqu'il est évident que l'on doit tenir compte aussi de la durée de l'agonie. Les congestions dont nous venons de parler don- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 291 nent quelquefois aux poumons, et surtout à leur par- tie postérieure, une couleur plus ou moins noire, qui, dans certaines circonstances, a pu être regardée par des médecins peu attentifs comme étant le résultat de la gangrène ou du sphacèle. Examinons maintenant les divers états des poumons après une inhumation plus ou moins prolongée. Ils conservent leur aspect naturel pendant long-temps, mais ils ne tardent pas à devenir emphysémateux ; ils ne sont pas plus gorgés de sang à leur partie postérieure , que lorsque la mort est récente ; on peut même, au bout de quelques mois, reconnaître leur structure, et constater s'ils sont le siège d'une lésion pathologique. Plus tard , ils sont plus ou moins affaissés, et ils n'oc- cupent plus les cavités des plèvres ; leur couleur devient d'un vert-bouteille plus ou moins foncé, tirant sur l'ardoise, ou bleuâtre; à cette époque, il est rare qu'en les incisant on puisse reconnaître la structure qui leur est propre; ils sont plus mous, plus faciles à déchirer, et renferment un liquide couleur de bistre. Plus tard encore, ils offrent l'apparence de deux membranes très-aplaties, d'un petit volume, collées contre les par- ties latérales de la gouttière vertébrale, est quelque- fois couvertes de moisissures blanches ; et ils diffèrent déjà tellement de l'état normal, qu'on ne peut les re- connaître qu'à leur situation. Enfin , ils perdent peu à peu leur humidité, s'aplatissent de plus en plus , noircissent, et finissent par ne former qu'une masse mince, composée de plusieurs feuillets noirs et secs , qui est appliquée sur les parties postérieures des cavi- *9- 292 TRAITÉ tés thoraciques, et près de la colonne vertébrale Cette masse elle-même ne tarde pas à se détruire. La membrane muqueuse delà trachée-artère et du larynx commence par devenir d'un vert olive clair ou d'un vert noirâtre ; quelquefois cependant, surtout vers la partie supérieure de ce canal, elle est colorée en gris légèrement violacé et parsemée çà et là de taches noirâtres. Plus tard, au lieu de la teinte verdâtre dont nous parlons, on trouve une coloration rougeâtre ou lie de vin , surtout aux parties qui correspondent aux cerceaux cartilagineux. Enfin la couleur devient noire ou d'un brun foncé. Dans certains cas, Yépithèlium de cette membrane muqueuse se détache par petits lam- beaux, dont la couleur varie. On remarque aussi quel- quefois des granulations grisâtres, comme grais- seuses , de la grosseur de deux têtes d'épingle à peu près, déforme irrégulière, paraissant formées d'autres granulations beaucoup plus petites ; ces corpuscules , quelquefois assez durs, ainsi que les petits lambeaux d'épithélium déjà mentionnés, pourraient être pris, au premier abord, pour des corps étrangers introduits dans le canal aérien. Indépendamment de ces change- mens , le larynx et la trachée-artère se ramollissent de plus en plus, les cerceaux cartilagineux perdent leur élasticité, et au bout d'un certain temps, on ne dé- couvre que les cartilages cricoïde et thyroïde, séparés l'un de l'autre, comme vermoulus, demi-transparens , de couleur jaunâtre, spongieux, cassans, et quelques anneaux de la trachée-artère flexibles, comme des car- tilages, et d'un brun jaunâtre. Enfin , et à une époque DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 2g5- plus éloignée encore, il ne reste plus de vestige de ces. organes. Diaphragme. Ce muscle conserve pendant assez long-temps son aspect normal : au bout de six et sept mois d'inhumation, nous avons souvent pu reconnaître son centre aponevrotique et des fibres musculaires ; plus tard, il s'amincit, se dessèche, devient olivâtre ou brunit, se perfore quelquefois , et finit par se ré- duire à une membrane brune , très-mince, n'offrant plus ni la forme, ni la texture de ce muscle. Dans certains cas, on trouve sur les deux faces des granula- tions dures et blanches de phosphate de chaux. Cœur et vaisseaux sanguins. Avant de faire con- naître les changemens éprouvés par ces organes pen- dant l'inhumation, rappelons l'état dans lequel ils se présentent vingt-quatre ou trente-six heures après la mort. Souvent le cœur est à l'état normal ; quelquefois il est pâle ; dans d'autres cas, il offre une teinte rouge marquée, ou seulement des stries rouges, soit dans l'épaisseur de sa substance, soit à sa surface interne ; enfin sa consistance peut être diminuée. Les artères et les veines peuvent également être le siège d'une colo? ration rouge, uniforme ou striée à leur intérieur , quoique le plus ordinairement elles soient à l'état na- turel ; cette teinte rouge se trouve indifféremment à la suite de toutes les maladies , et doit être considérée comme un phénomène cadavérique, résultat manifeste de la transsudation du sang qui se fait après la.mort. Au reste, il est aisé de se convaincre par des expé- riences directes qu'il doit en être ainsi. Que l'on intro- 294 TRAITÉ duise dans un uretère dont la couleur est parfaitement blanche, une certaine quantité de sang fluide, on ne tarde pas à observer, après avoir lié ses deux extrémi- tés , que le tissu de ce conduit acquiert une couleur rouge. Qu'à l'exemple de M. Chaussier, on injecte par la veine mésentérique une certaine quantité d'eau colorée avec de l'encre, et quelques heures après on trouvera la portion de l'estomac qui est recouverte par le foie, teinte en noir ; cette liqueur transsudera à travers les parois de l'estomac, et formera à l'épiploon et au colon des taches plus ou moins étendues. Si l'on examine le cœur après quelque temps d'in- humation , on voit qu'il est déjà sensiblement ramolli, flasque, d'un violet plus ou moins foncé et plus rare- ment verdâtre, vide, ou contenant du sang en partie fluide, en partie coagulé; sa couleur se fonce de plus en plus, surtout à l'intérieur, où elle finit par de- venir noire ; quelquefois les valvules présentent des taches brunâtres qui sont aussi l'effet d'une imbibi- tion ; d'autres fois on remarque à la face interne des oreillettes, ou à l'extérieur de l'organe, des granula- tions blanches, dures, semblables à du sablon. Plus tard , le cœur s'aplatit et se réduit à une sorte de lan- guette d'un brun noirâtre, souple, amincie, et même déchirée dans quelques points, semblable à une dou- ble poche de gomme élastique , dont on peut encore écarter les parois de manière à reconnaître les deux ventricules; mais déjà on ne distingue plus la texture de l'organe; on aperçoit seulement quelques brides noirâtres qui doivent être les restes des colonnes clrnr- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 0X)% nues. Enfin , comme tous les autres organes, il dis- paraît et laisse à sa place une couche noire, comme bitumineuse, qui s'enlève facilement par le lavage. Plus les parties molles des parois thoraciques sont détruites de bonne heure, plus la disparition dont nous parlons arrive promptement. Péricarde. Le péricarde se colore d'abord en rou- geâtre, puis en rouge foncé, enfin en brun noirâtre ; il se ramollit de plus en plus, et finit par disparaître. Nous lavons souvent vu contenir une plus ou moins grande quantité de liquide sanguinolent. Vaisseaux sanguins. On trouve en général, deux et trois mois après l'inhumation, une certaine quantité de sang noir fluide ou coagulé, soit dans les veines , soit dans les artères. Il est des cas cependant où nous n'en avons pas rencontré au bout d'un mois d'inhu- mation; et quelquefois, au lieu de sang, nous avons vu, même huit ou neuf mois après la mort, un liquide san- guinolent de couleur rosée. Les parois de ces vaisseaux se colorent d'abord en rose, puis en rouge, en violet foncé et en brun. C'est surtout à l'intérieur que ces teintes sont bien prononcées ; dans certains cas , la membrane interne devient vert-bouteille : tantôt cette coloration est uniforme, tantôt ce sont des plaques ou des stries. Quoi qu'il en soit, pendant plusieurs mois, il est facile de séparer les unes des autres les diverses tuniques de ces vaisseaux. Dans une de nos ouver- tures , l'aorte était encore entière , et parfaitement re- connaissable au bout de quatorze mois d'inhumation. Organes de la digestion. Canal digestif. On ne peut 296 TRAITÉ bien juger les changemens qui s'opèrent dans le canal digestif pendant le séjour des cadavres dans la terre, qu'en examinant comparativement l'étal de ce canal peu de temps après la mort, avant l'inhumation , par exemple, et plusieurs semaines, et même plusieurs mois après. Comment reconnaître , en effet, qu'il y a eu des changemens de couleur, de consistance, etc., si on ne sait pas quelles sont le plus habituellement les couleurs et la consistance des tissus de ce canal quelques heures après la mort ? C'est ce qui nous en- gage à tracer en peu de mots les principaux états du canal digestif chez des individus qui n'ont pas suc- combé à une phlegmasie de cet appareil ; et comme nos observations ont eu surtout pour objet les cada- vres des vieillards , c'est particulièrement de ceux-ci dont nous allons nous occuper. Quelle que soit la maladie qui occasionne la mort des vieillards (hémorrhagie cérébrale, ramollissement du cerveau, pneumonie , pleurésie, maladies du cœur, etc.), jamais ou presque jamais la membrane muqueuse de l'appareil digestif n'est dans un état par- fait d'intégrité; il est rare qu'on ne rencontre dans l'estomac et les intestins des altérations diverses que l'on.ne peut considérer comme morbides que dans un très-petit nombre de cas, et qui cependant ne sont pas l'état physiologique parfait. Bien plus, ces sortes d'altérations sont souvent beaucoup plus prononcées que ne le sont les traces que laissent après elles des ma- ladies très-intenses du conduit alimentaire, maladies qui ont pu seules déterminer la mort des malades. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 297 De toutes ces affections étrangères au tube digestif, celles qui occasionnent les changemens les plus remar- quables sur la membrane qui le tapisse, sont, sans con- tredit , les maladies du cœur et des gros vaisseaux ; et comme il est peu de septuagénaires qui meurent sans quelque altération de ces organes, il en est peu aussi qui ne présentent quelques modifications dans la mem- brane muqueuse gastro-intestinale. Cette altération , qui ne sort pas des bornes physiologiques, tant qu'elle ne consiste que dans une injection mécanique plus ou moins considérable, peut être portée jusqu'à l'état morbide ; ainsi le sang accumulé dans ces tissus per- méables , agissant comme un corps étranger , finit souvent par déterminer une sorte d'inflammation (si l'on peut s exprimer ainsi) : alors la rougeur est cerise, violette, lie de vin, et pénètre profondément la mem- brane muqueuse gastrique dans toute son étendue, ou seulement d'une manière plus marquée dans quelques- uns de ses points; d'autres fois, le sang ainsi accumulé s'exhale dans les cavités gastro-intestinales , et donne lieu à des hémorrhagies consécutives. Mais avant d'atteindre à ces points qui peuvent être considérés comme des états morbides, la membrane muqueuse gastro-intestinale passe par divers états, qui ne gênent que peu ou point l'action des intestins, et qui peuvent être regardés à peu près comme physiolo- giques. Alors l'œsophage est généralement plus injecté que dans l'état normal ; on rencontre çà et là, mais principalement vers le cardia , et vers le tiers in- férieur, des plaques ou taches plus ou moins larges , 298 TRAITÉ violettes, ressemblant parfaitement à une ecchymose ; ces taches sont sous un épithélium plus épais et plus dense que celui qui revêt la membrane muqueuse gas- trique , si même il en existe dans ce dernier cas. Le diamètre du conduit œsophagien est quelquefois rétréci d'une manière partielle. Dans les points qui correspondent aux endroits rétrécis, il existe des plis longitudinaux, et dans ces endroits les parois de ce conduit paraissent plus épaisses et plus denses. Il est impossible d'ailleurs de reconnaître là les traces d'un travail inflammatoire. L'estomac présente des variétés infinies de couleur, de consistance, de volume, de diamètre , etc. La mem- brane muqueuse qui le tapisse , molle, spongieuse, re- cevant une multitude innombrable de vaisseaux capil- laires, essentiellement perméable au sang, étant d'ail- leurs continuellement en action, devient facilement, ainsi qu'on le conçoit bien, le réceptacle d'une quan- tité plus ou moins grande de sang, lorsqu'il existe quelque obstacle à la circulation ; aussi est-il extrême- ment rare de trouver cette membrane d'un blanc lé- gèrement et uniformément rosé, qui est sa couleur physiologique parfaite. Mais dans l'exploration de cette membrane il ne faut pas oublier qu'elle se pénètre avec la plus grande facilité des substances colorantes que renferme le ventricule ; les lotions les plus exactes et les plus répétées n'enlèvent jamais complètement la coloration produite par cette imbibition : ainsi le vin , les décoctions de quinquina, colorent en rouge cette membrane, et pourraient faire croire à des observa- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 299 teurs peu attentifs ou peu exercés que la couleur qu'ils communiquent est le résultat d'une injection sanguine : d'autres préparations médicamenteuses ou alimentaires peuvent avoir un résultat analogue ; nous nous bornons à citer ces deux exemples. La présence d'un liquide colorant rouge doit d'abord faire naître des doutes sur la nature de la coloration de la mem- brane gastrique ; ajoutons encore que cette coloration est uniforme, et qu'on n'y distingue point ces arborisa- tions, ces injections vasculaires, qui sont le caractère de la pénétration véritable du sang dans les vaisseaux capil- laires ; d'ailleurs les lotions et la macération détei- gnent en partie, sinon complètement, cette membrane ainsi colorée. La part de cette coloration mécanique ou chimique ainsi faite, il reste à examiner celle qui est le résultat de la stase du sang dans les vaisseaux. La couleur de la membrane muqueuse varie alors depuis une teinte légèrement rosée, depuis l'injection la plus légère jusqu'au noir foncé , et cela sans que les fonctions digestives aient été dérangées d'une manière notable. La grande courbure de l'estomac, le grand cul-de-sac , et surtout l'extrémité pylorique, sont le siège de cette pénétration sanguine, soit parce que le système capillaire s'y trouve plus développé, soit enfin parce que les fluides, y séjournant, favorisent l'injection de ses vaisseaux. On observe des plaques plus ou moins étendues (car jamais, ou bien rarement, la coloration est uniforme), de couleur rosée, rouge rif, lie de vin, brunes, bleuâtres, ardoisées, et même noires ; ces plaques ont l'étendue de la paume de la 300 TRAITÉ main , quelquefois plus , d'autres fois moins. Il n'est pas rare de rencontrer la plupart de ces nuances dans un même ventricule , et les lignes qui les séparent sont souvent bien déterminées; de sorte qu'à côté d'une plaque rosée, on en voit une brune, ou rouge, etc. La membrane muqueuse est souvent tachetée de macules qui présentent un aspect scorbu- tique ; la surface de cette membrane peut être lisse, polie, ou rugueuse , pointillée, mamelonnée et quel- quefois parsemée de véritables fongosités très-petites ; souvent aussi de grosses veines bleuâtres rampent sous elle et sous la tunique muqueuse de l'intestin grêle, qui est d'une couleur blanchâtre et peu cendrée : dans tous ces cas, l'individu vivant n'éprouvait rien vers ces viscères. ** La consistance de la membaane muqueuse est loin d'être la même dans toute son étendue; dans quelques points elle est si peu adhérente, qu'elle s'enlève par le frottement avec le dos du scalpel, qu'elle se confond avec de la mucosité dont on a beaucoup de peine à la distinguer, tandis que, dans d'autres points, le tran- chant de l'instrument la détache très-difficilement. Les parois de l'estomac sont quelquefois translu- cides ; on voit seulement serpenter dans leur épais- seur des vaisseaux d'un assez gros calibre. L'estomac est alors d'un volume considérable : il peut être double de l'état naturel. Dans certains cas, ce viscère est ramassé, rétréci ; ses parois sont épaisses, plus consistantes que dans l'état ordinaire; à l'intérieur, la membrane muqueuse DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3oi est alors ridée, et offre d'une multitude de plis en géné- ral longitudinaux. On observe aussi des dilatations et des rétrécissemens partiaux : l'estomac présente alors l'aspect d'une gourde, et c'est vers le point rétréci que la membrane interne présente les plis dont nous avons parlé. Dans quelques circonstances, on trouve la plus grande partie de la membrane muqueuse complètement enlevée vers le grand cul-de-sac de l'estomac, sans qu'il y ait eu maladie du tube digestif; mais alors l'ap- pareil circulatoire est développé outre mesure. Telles sont les modifications les plus ordinaires que l'on rencontre dans l'estomac des vieillards qui meurent de maladies du cœur. Ces modifications peuvent être considérées jusqu'à un certain point comme physio- logiques , puisqu'elles permettent le libre exercice des fonctions du ventricule. Mais, dira-t-on, la maladie de l'estomac a été latente dans ces différens cas ; noUs répondrons que ces cas étant excessivement nom- breux , et la manière dont ils se produisent étant sus- ceptible d'une explication plausible d'après les lois physiologiques, nous aimons mieux les considérer comme des modifications coïncidant avec l'état de santé, que comme des cas pathologiques exceptionnels. Les intestins, surtout ceux qui plongent dans le pe- tit bassin, présentent des modifications analogues à celles de l'estomac. Le duodénum est souvent rouge, injecté , brun, etc., mais ordinairement beaucoup moins que l'estomac. Le séjour de la bile qu'il renferme lui fait contracter une nuance jaune, verdâtre, qui le distingue très-bien de 302 TRAITÉ l'estomac, lorsque ce fluide n'a pas remonté par le py- lore dans la cavité gastrique. De toutes les divisions intestinales, celle qui est le plus souvent exempte d'altération , c'est le jéjunum ; coloré en jaune ou en vert par la bile que ses nom - breuses villosités retiennent, il est rarement le siège d'injections notables, d'hypertrophies ou d'atrophies de ses parois, de dilatation ou de rétrécissement, quoiqu'il n'en soit pas entièrement exempt. Mais l'iléon est au moins aussi souvent que l'estomac le siège de ces injections violacées, brunes, noirâtres, bleuâtres, que nous avons signalées dans le ventricule. La position très-déclive de cet intestin , qui séjourne presque entièrement dans le petit bassin , le cadavre étant couché sur le dos, paraît être la cause de ce phénomène , qui se passe probablement dans les der- nières heures de la vie, ou dans les premières qui sui- vent la mort. La membrane muqueuse de cet intestin est, en effet, bien souvent d'un rouge très-foncé , et véritablement lie de vin ; cette coloration occupe la totalité de la tu- nique ; elle est seulement plus prononcée par inter- valles. L'aire de l'intestin est souvent rétrécie ; les pa- rois paraissent alors hypertrophiées ; dans d'autres cas, plus rares, le diamètre est plus grand, et les pa- rois plus minces : cet amincissement est quelque- fois tel que l'intestin est pellucide transparent , et paraît réduit à sa membrane séreuse. Enfin on observe aussi des rétrécissemens et des dilatations alternatifs. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3û3 Le rectum, le colon ascendant, transverse et des- cendant, sont loin de rester étrangers aux modifica- tions dont nous parlons ; toutefois elles y sont moins prononcées et moins fréquentes que dans les autres parties du tube digestif. Les épaississemens, les rétré- cissemens , les dilatations , sont les modifications les plus ordinaires ; les injections le sont beaucoup moins : en effet, la coloration du gros intestin , à moins que cet organe n'ait été le siège d'un travail morbide , est la plupart du temps d'un blanc légèrement rosé, c'est- à-dire , physiologique ; bien entendu qu'on a dû le net- toyer exactement des fèces qu'il contient, et dont la couleur pourrait avoir altéré la sienne. Si après avoir examiné le canal digestif des vieillards qui ont succombé avec une maladie de cœur, et ce cas est excessivement commun, nous étudions ce même canal chez d'autres vieillards qui ne présentaient au- cune trace de cette lésion, nous verrons qu'à la suite de brûlures qui déterminèrent la mort d'un homme de soixante-quinze ans au bout de huit jours, la mem- brane muqueuse gastrique était grisâtre, et celle des intestins d'un gris de cendre ; que, chez une femme de quatre-vingts ans, morte de vieillesse, la tunique interne de l'estomac était aussi d'une couleur cendrée, celle du duodénum blanchâtre avec une nuance jaune peu intense, celle du jéjunum, de l'iléon, du colon et du rectum, blanchâtre, et celle du cœcum grisâtre. M. Billard, à qui nous avons emprunté ces deux faits, place au nombre des colorations qu'il faut considérer comme des phénomènes cadavériques, chez des indi- 3o4 TRAITÉ vidus dont la membrane muqueuse gastro-intestinale est dans l'état sain, des plaques jaunes plus ou moins étendues ou de simples bandes de cette couleur répan- dues sur la surface muqueuse du duodénum et du jéjunum. Les variétés de coloration de la membrane muqueuse gastro-intestinale, pour être moins nombreuses chez les adultes que chez les vieillards, n'en existent pas moins : si l'individu est mort subitement pendant la digestion, d'une affection qui n'intéresse pas le canal digestif, la tunique interne de l'estomac est ordinai- rement de couleur rose, tandis que celle des intestins est grise, cendrée ou blanche, avec ou sans plaques jaunes; la coloration de la partie interne du tube diges- tif peut au contraire être plus variée et plus foncée si la mort n'a pas eu lieu pendant la digestion, et qu'elle n'ait pas été prompte, quoique la maladie à laquelle on a succombé n'ait pas été de nature à altérer direc- tement les tissus de l'estomac et des intestins. Nous terminerons cette esquisse rapide des divers états sous lesquels peut se présenter le canal digestif avant l'époque de l'inhumation, par quelques consi- dérations sur les lividités cadavériques de ce canal. On sait qu'il n'est pas rare de trouver sous la membrane séreuse, dans le tissu même de la partie, des taches rouges, livides ou noirâtres, étendues, irrégulières, semblables à celles que l'on voit à la peau des cadavres: ces taches occupent la partie du canal digestif qui était la plus déclive au moment du refroidissement ; elles ne dépendent que de la stase, de la congestion du sang DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3û5 dans les capillaires , et ne sauraient être regardées comme des traces d'inflammation. Les deux observa- tions suivantes mettront cette vérité hors de doute. i°. A l'ouverture de l'abdomen d'un individu qui suc- comba brusquement à une attaque d'apoplexie, et qui se trouvait peu de temps auparavant dans un état de santé parfaite, on observa que toutes les anses intes- tinales superposées, et la portion de l'estomac que Ton put découvrir, étaient d'une pâleur remarquable : on n'aperçut de rougeur que dans la partie la plus déclive de chacune de ces anses, et nulle part l'injection vei- neuse n'était aussi considérable que sur les portions de l'iléum plongées dans le petit bassin. La membrane muqueuse de l'estomac, celle de la vessie étaient rouges à leur partie la plus déclive. Le cadavre était resté en supination: l'ouverture avait été faite vingt-quatre heures après la mort. 2° On plaça sur le ventre, immé- diatement après la mort, le cadavre d'un jeune soldat qui venait de succomber à une pneumonie grave et de peu de durée ; on veilla à ce que le corps restât dans cette position jusqu'au moment de l'ouverture, qui fut faite le lendemain. Les lividités cadavériques de la peau se montrèrent à la face, à la poitrine, au ventre et à la partie antérieure des membres ; les portions de l'es- tomac et de l'intestin grêle qui étaient en rapport avec l'épigastre, l'ombilic et l'hypogastre, offraient les teintes de rose, de rouge, de violet, que 1 on remarque ordinairement dans les anses intestinales qui occupent le petit bassin et les côtés de la colonne vertébrale, et qui, dans cette occasion, étaient toutes d'une extrême 20 3o6 TRAITÉ pâleur, ainsi que la partie postérieure de l'estomac et de la vessie. ( Trousseau, Dissertation inaugurale. Paris, 1825.) Arrivons maintenant à la description des divers états que nous avons observés dans le canal digestif des in- dividus exhumés plus ou moins de temps après l'in- humation. Tout ce qui précède montre combien il est difficile, pour ne pas dire impossible, d'affirmer que les colorations et même les ramollissemens dont nous allons parler, soient le résultat du séjour des cadavres dans la terre, puisque nous savons qu'avant d'enterrer les corps la membrane muqueuse pouvait déjà présen- ter ces colorations et ces ramollissemens : aussi nous bornerons-nous à dire ce que nous avons vu, sans pré- tendre établir, du moins pour ce qui concerne l'esto- mac et les intestins, que ce soit un effet nécessaire de l'inhumation prolongée. La membrane muqueuse de la bouche, le voile du palais, le pharynx et la langue, sont verdâtres dans les premiers temps, et sensiblement ramollis; cette cou- leur se fonce de plus en plus, et finit par devenir noi- râtre; toutes ces parties se dessèchent au point qu'au bout de quelques mois on ne trouve à la place de la langue qu'un appendice membraneux, très-sec et fort mince. Dans les premiers temps, la membrane interne de Y œsophage était colorée en vert plus ou moins foncé, surtout à sa partie supérieure, car inférieurement elle offrait souvent une couleur rougeâtre, même d'assez bonne heure ; quelquefois aussi la teinte verdâtre de la portion inférieure était piquetée de rouge et de violet. DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3o? Dans certains cas, chez les vieillards, nous avons ren- contré à l'intérieur de ce conduit musculo-membraneux plusieurs petites tumeurs variqueuses remplies de sang noir liquide, et qui ne constituaient pas évidemment une altération cadavérique, mais bien une lésion patho- logique. Plus tard, l'œsophage brunissait de plus en plus et se détruisait, comme nous allons le dire en parlant de l'estomac. Estomac. Ce viscère ne contenait ordinairement qu'une très-petite quantité de liquide. Dans les premiers temps, sa membrane muqueuse était jaunâtre, d'une couleur aurore, grisâtre, d'un gris bleuâtre ou d'un vert- bouteille; quelquefois ces teintes étaient piquetées de rouge et de violet ; près du pylore, le plus ordinairement, elle offrait une plaque bleuâtre plus ou moins large, plus fortement colorée que le reste. Plus tard, elle était soulevée dans certains points par des gaz qui formaient des bulles du volume de têtes d'épingle ou plus grosses; souventalors elle avait acquis une couleur rosée d'abord, puis rougeâtre violacée, et elle était tapissée d'une couche peu épaisse d'un liquide couleur de bistre, ou semblable à de la boue délayée. A une époque encore plus éloignée, elle était d'un gris blanchâtre , avec plu- sieurs taches bleues, sans la moindre apparence de rougeur : alors l'estomac, qui déjà avait éprouvé un ramollissement considérable, s'altérait de plus en plus, et bientôt après on ne le retrouvait qu'en partie sous forme d'une portion de cylindre offrant une cavité; enfin ce n'était plus qu'une masse feuilletée, desséchée, susceptible d'être réduite en filamens coralliformes, 20. 3o8 TRAITÉ et, en dernier lieu, une matière noire humide, avec le luisant du cambouis, recouverte çà et là de moisis. sure d'un blanc, verdâtre sous forme de petits globules, et de plaques ressemblant beaucoup à ces lichens d'ap- parence terreuse qu'on trouve sur les troncs des vieux arbres. Plusieurs mois après l'inhumation, on pouvait encore séparer les trois tuniques de l'estomac; la mus- culeuse et la séreuse ne présentaient pas toujours les mêmes phénomènes de coloration que la muqueuse; en général, leur teinte était d'abord grisâtre ou jau- nâtre, puis rosée; enfin elle redevenait grisâtre; quel- ^ quefois cependant les parties de la membrane séreuse correspondantes au foie et à la rate, étaient rougeâtres, surtout dans les premiers temps. Intestins. Les intestins étaient d'abord d'un gris quel- quefois légèrement rougeâtre à l'extérieur et grisâtre à l'intérieur; dans certains cas cependant, la tunique muqueuse était rosée ou violacée par parties, et là où elle était couverte d'excrémens, jaunâtre. Plus tard, l'épaisseur des intestins diminuait; ils commençaient à se dessécher et à être collés entre eux, puis brunis- saient, devenaient plus secs, et leurs parois s'accol- laient de plus en plus, au point que l'on avait beaucoup de peine à les séparer ; ils constituaient alors une masse qui était assez fortement appliquée contre la colonne vertébrale; ils conservaient pendant long-temps les matières fécales ; enfin ils éprouvaient les mêmes alté- rations que l'estomac, et se détruisaient comme lui. Nous examinerons ailleurs si les changemens que la putréfaction fait subir au canal digestif sont de nature DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3o9 à pouvoir être confondus avec ceux que développe une inflammation ( voyez chapitre VI ) ; bornons-nous actuellement à observer que long-temps après ia mort lors même qu'il n'existe déjà plus de traces des viscères thoraciques, on découvre le plus souvent encore dans l'abdomen quelques vestiges de portions cylindriques du canal digestif, dans les cavités desquelles il serait pos- sible de trouver des restes d'une substance vénéneuse. Épiploons. Les épiploons et le mésentère deviennent d'abord grisâtres ou rosés, et se ramollissent; bientôt après ils se dessèchent, perdent de leur souplesse, et tendent à se transformer en gras de cadavres : du reste ces organes se conservent long- temps sans subir d'al- tération marquée. Le foie commence par se ramollir et par brunir; sa membrane péritonéale se détache assez facilement, et ne tarde pas à se détruire, du moins en partie ; il suffit de quelques semaines pour que la structure normale de cet organe ne soit plus reconnaissable: en effet, on ne distingue plus alors les deux substances qui le com- posent; mais on aperçoit encore très-bien les gros vais- seaux qui sont souvent enduits intérieurement d'une sanie lie de vin foncée. Plus tard, il existe à la surface du foie des granulations comme sablonneuses de phos- phate de chaux, et, chez certains individus, l'intérieur des vaisseaux contient d'autres granulations molles, blanches, évidemment formées par du gras de cada- vres. Plus tard encore, l'organe dont il s'agit est réduit à une masse aplatie, épaisse d'un demi-pouce, d'un brun noirâtre, légèrement desséchée, qui, étant coupée, se 3lO TRAITÉ subdivise en feuillets, dans l'intervalle desquels il y a une matière solide, brune, comme bitumineuse ; cette masse, qui s'aplatit de plus en plus, finit par devenir noire, coralliforme, et par se séparer au plus léger effort; quelquefois cependant, au lieu de se dessécher ainsi, le foie se transforme en une matière molle, noi- râtre, qui ressemble à du cambouis, sorte de bouillie au milieu de laquelle on aperçoit une matière jaune, comme graisseuse. La vésicule biliaire, vide ou contenant de la bile, épaisse, d'un vert olive, se retrouve presque avec tous ses caractères, lorsque le foie a subi des changemens notables. ( Rate. Elle se ramollit de très-bonne heure, et peut être facilement déchirée ; elle brunit de plus en plus, et sa structure normale ne tarde pas à être méconnais- sable; bientôt après elle est réduite en une bouillie noirâtre, semblable à du cambouis ou à de la boue dégoûts, qui imprègne les parties voisines et leur com- munique cette couleur. Enfin, dans certains cas, elle finit par être tellement diffluente, qu'on ne peut la reconnaître que par sa situation ; elle ressemble alors à du sang décomposé. Le pancréas commence par se ramollir, puis devient plus gris; le ramollissement est porté à un point tel, que l'organe est transformé en une bouillie d'abord grisâtre, et qui brunit de plus en plus. Organes urinaires. Les reins ne se ramollissent pas aussi vite que la rate ; cependant ils perdent aussi de bonne heure leur consistance ; on peut facilement en DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3ll détacher la membrane extérieure ; les bassinets et les calices sont encore faciles à reconnaître, lorsque déjà les substances corticale et tubuleuse sont entièrement confondues. Enfin, ces organes se transforment en une bouillie brunâtre comme du cambouis, et dispa- raissent. La vessie n'offre rien de remarquable pendant les premières semaines ; quelquefois cependant elle est le siège d'un emphysème sous-muqueux. Plus tard, elle se rétracte, et éprouve à peu près les mêmes change- mens que les intestins : toutefois on trouve souvent des traces de ces derniers quand déjà elle n'existe plus, ce qui s'explique par le voisinage de l'anus. Organes génitaux. Dans les premiers temps, ces or- ganes , quoique ramollis, conservent leurs formes; les corps caverneux s'affaissent de bonne heure. Plus tard, la verge est aplatie, ressemble à une peau d'anguille, et n'offre nullement l'aspect de cet organe. Le scrotum, qui d'abord a pu être excessivement distendu par des gaz, se dessèche de plus en plus; les testicules dimi- nuent de volume, acquièrent une couleur vineuse et se transforment en gras. Plus tard encore, la verge ressemble à un tube d'un tissu consistant, dont les pa- rois sont appliquées l'une sur l'autre, et qui, étant écar- tées, le réduisent à un cylindre creux. Déjà on ne trouve plus, à la place du scrotum et des testicules, qu'une matière molle, brunâtre, humide, offrant çà et là quelques lambeaux, comme membraneux, et re- couverte d'un enduit visqueux, noirâtre, et de beau- coup de vers. A une époque plus éloignée, la destruc- 3l2 TRAITÉ tion des organes génitaux est portée à son comble, et l'on ne peut plus reconnaître le sexe à l'inspection de ces organes, quoique le pubis soit couvert de poils qui sont accollés à la masse feuilletée et carbonnée, à laquelle sont réduites les parties molles. Chez la femme, les organes génitaux externes, après s'être ramollis, finissent par ne plus constituer qu'une masse informe feuilletée, qui ne permet plus de dis- tinguer le sexe. L'utérus se ramollit aussi,puis s'aplatit, et se déforme tellement qu'au bout de quelques mois on ne le reconnaît qu'à sa situation. Les trompes et les ovaires disparaissent d'assez bonne heure. Les ligamens larges résistent davantage à la putréfaction, et devien- nent grisâtres. Développement de certains gaz. Nous ne donnerions pas une idée complète des changemens que peuvent éprouver nos organes pendant l'inhumation, si nous ne parlions pas du développement de certains gaz qui a quelquefois heu dans la plupart de nos tissus. L'es- tomac , les intestins, la plèvre, le péricarde, les cavités droites du cœur, les veines caves et d'autres parties du système veineux, l'utérus, la cavité du péritoine et les aréoles du tissu cellulairej, peuvent en effet être dis- tendus par des gaz, qui sont le résultat de la décompo- sition des fluides : c'est ce que l'on observe particuliè- rement après des morts promptes et violentes, précédées de douleurs vives, de grands efforts, etc. ; et il suffit alors quelquefois de deux ou trois heures pour rendre le corps emphysémateux, au point de le faire nager sur l'eau. On ne doit pas hésiter à rapporter au dévelop- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3l3 pement de ces bulles gazeuses dans les veines, un phénomène en apparence fort extraordinaire, et dont les anciens avaient prétendu tirer une induction juri- dique; nous voulons parler delà cruentation, c'est-à- dire du suintement et même du jaillissement de sang par les plaies : faut-il s'étonner que le sang contenu dans les veines s'échappe par les ouvertures des vais- seaux d'une plaie , lorsqu'il est poussé par les gaz dé- veloppés dans le système veineux ? Après avoir exposé succinctement les phénomènes que présentent les divers organes en se pourrissant, il ne sera pas inutile de jeter un coup d'œil sur les principaux changemens éprouvés successivement par la tête, le thorax, l'abdomen, le bassin, les membres, et même le drap et la bière. Tête. La tête tient encore à la colonne vertébrale, et conserve tous ses rapports, que déjà les paupières sont amincies et assez enfoncées pour qu'au premier abord les cavités orbitaires ne paraissent qu'à moitié pleines; les globes oculaires sont affaissés de très-bonne heure ; il en est de même du nez, dont les parties latérales cependant sont les seules qui soient quelquefois dépri- mées. Bientôt après, les cheveux se détachent, les pau- pières , les parties molles du nez, et même les lèvres déjà très-amincies, se détruisent; une portion de la peau du crâne se détruit aussi, et les os, mis à nu, sont enduits d'une légère couche d'une matière comme graisseuse, couleur de bistre. Il existe à la partie pos- térieure de la tête une infiltration sous-cutanée, séro- sanguinolente, que l'on trouve également entre le pé- 3l4 TRAITÉ rioste et les os, et qui est le résultat de la situation du cadavre sur le dos; là, par conséquent, les parties molles se détachent très-facilement, quoique les tégumens aient encore assez de consistance. Au milieu de tous ces désordres, les oreilles et les joues sont assez bien conservées. On voit aussi çà et là, sur quelques parties du crâne et de la face, des moisissures vertes ou blan- châtres, humides et cotonneuses. Plus tard, entre le troisième et le quatrième mois (du moins dans les ou- vertures faites à Bicêtre), on n'aperçoit plus aucune partie molle de la face; il n'y a que quelques débris membraneux, notamment aux régions molaires; mais l'os maxillaire inférieur tient encore au temporal, et la tête à la colonne vertébrale ; à la vérité, une légère traction suffit pour amener la désarticulation. A une époque plus éloignée, les deux mâchoires, largement séparées, laissent voir l'apophyse basilaire de l'occi- pital; cependant elles sont encore unies par quelques débris de parties molles; la tête tient à peine au tronc. Enfin, plus tard, ces os sont complètement désarti- culés et dénudés : alors les os du crâne sont recouverts d'un magma qui est un mélange de terre et de che- veux, et qui, étant enlevé, laisse voir leur couleur bistre clair-tachée çà et là de larges plaques brunes foncées. Thorax. Il est rare que, pendant les trois premiers mois, le thorax ait éprouvé quelque changement dans sa forme ou dans les rapports des diverses pièces qui le composent; les cavités des plèvres peuvent contenir une plus ou moins grande quantité de liquide; mais DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3l5 cet épanchement n'est pas le résultat de la putréfaction. Enfin, l'affaissement des viscères thoraciques, et no- tamment des poumons, n'est pas encore assez marqué, pour qu'en ouvrant la poitrine on soit frappé par le vide qu'offriraient ses cavités. Quelque temps après, la dé- pression est évidente ; le sternum semble toucher à la colonne vertébrale ; on l'enlève facilement avec la main ; quelques-unes des côtes commencent à se séparer de leurs cartilages ; les espaces intercostaux, dans certains points, ne sont plus occupés que par une tunique gri- sâtre qui sert de moyen d'union ; l'intérieur du thorax, lorsqu'on l'incise, paraît vide et comme tapissé d'une membrane ressemblant par sa couleur et sa consistance à du papier gris mouillé, sans qu'on puisse dire au juste de quels organes cette membrane est le débris. Plus tard, les côtes sont presque entièrement décharnées, et tiennent à peine au sternum, qui est enfoncé, brun, et souvent recouvert de moisissure ; les cartilages ster- naux sont presque tous séparés du sternum et des côtes; ceux qui restent sont noirs, percés de trous, encore souples et faciles à enlever ; on n'éprouve pas beaucoup de difficultés à les casser, et alors on entend un léger bruit; les cavités thoraciques sont parsemées de moi- sissures blanches ou autrement colorées, et déjà quel- ques-uns des intervalles intercostaux sont à jour par suite de la destruction des parties qui les remplissaient. A une époque plus éloignée, le sternum et les carti- lages costaux sont séparés; on en voit les débris épars dans le thorax et dans l'abdomen; ce qui produit né- cessairement une grande ouverture à la partie anté- 3l6 TRAITÉ rieure du thorax. Plus tard encore, la cage thoracique est détruite; le sternum, séparé en deux pièces, occupe la cavité du thorax ; les côtes sont presque toutes déta- chées et couchées les unes sur les autres, sur les parties latérales du cadavre; elles sont enduites d'une matière noire semblable à un extrait végétal mouillé, et qui est évidemment un reste des parties molles détruites; elles ne sont pas plus fragiles qu'à l'état naturel, mais leur intérieur est très-sec et très-poreux ; il n'en est qu'un très-petit nombre qui conservent encore une partie de leurs cartilages ; ceux-ci sont très-souples, d'un gris olivâtre, mais couverts d'un enduit brunâtre, comme vermoulus par places, et offrant une coupe excessive- ment poreuse ; leur substance intérieure est évidem- ment détruite. Abdomen. Pendant long-temps l'abdomen n'éprouve aucun changement notable, si ce n'est qu'il devient vert, jaune marbré de vert ou ochracé. Du troisième au quatrième mois, du moins dans nos expériences, il s'affaisse, et ses parois tendent à se rapprocher du rachis ; quelque temps après, ces parois sont réduites à une couche membraneuse quelquefois humide, mais le plus souvent mince, desséchée, brune, couverte de terre et de moisissure, très-facile à déchirer, collée surtout inférieurement à la colonne vertébrale et même au bassin; lorsqu'on l'enlève, on remarque un vide considérable sur les deux côtés de cette colonne et dans le bassin. Quand cette couche est humide, les feuillets qui la composent sont comme savonneux, d un blanc jaunâtre, et ordinairement séparés les uns DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3l7 des autres par une quantité innombrable de vers. Quelques semaines après , les parois abdominales sont tellement collées au rachis, qu'on ne les détaehe fa- cilement que sur les côtés, où elles existent sous forme d'une couche feuilletée, d'un rouge noirâtre à l'inté- rieur et quelquefois encroûtée de gras de cadavres à l'extérieur. Il résulte de l'accollement sur la colonne vertébrale, de la portion sous-ombilicale des parois dont nous parlons, un creux très-prononcé, à partir de l'appendice xyphoïde, jusqu'un peu au-dessous de l'ombilic. Quelquefois, au lieu de présenter une surface lisse et unie, la couche membraneuse qui est collée au rachis, offre des bosselures et des enfoncemens. A une époque plus éloignée, les parois abdominales sont réduites à quelques débris tégumentaires d'une cou- leur bistre, olivâtre ou noirâtre, souvent perforés dans plusieurs endroits , et qui tiennent encore aux dernières côtes, au pubis, et à la partie postérieure des crêtes iliaques ; ces débris paraissent formés par le péritoine, et peut-être par des portions des muscles droits et obliques, fortement desséchés et en quelque sorte méconnaissables. Enfin tout est détruit et on ne trouve sur les côtés du rachis, et adhérente à des os qui en sont teints, qu'une matière noire, humide, avec le luisant du cambouis, formant en quelques en- droits des masses épaisses d'un demi-pouce, qui sont évidemment des débris des parties molles. La conservation des viscères abdominaux, dépen- dant surtout de l'état d'intégrité des parois abdomi- nales, il ne sera pas sans intérêt de jeter un coup d'œil 3 I 8 TRA.1TÉ rapide sur les époques auxquelles ces parois se détrui- sent. Nous trouvons ici, ce que nous voyons partout ailleurs, des différences immenses qui tiennent à des causes souvent difficiles à déterminer. Ainsi il ne res- tait plus de traces de parois abdominales chez les sujets des observations 11e, i4e (voyezpages i3i et i54), qui avaient été exhumés, le premier neuf mois dix-huit jours, et l'autre treize mois seize jours après l'inhuma- tion ; tandis qu'il existait une portion de paroi abdomi- nale chez un individu dont le corps était inhumé de- puis dix-sept mois six jours ( V. observation i5e, page i58); et ce qui est bien plus extraordinaire, chez un autre sujet enterré vingt-trois mois cinq jours avant, la paroi antérieure de l'abdomen était presque entière et sous forme d'une membrane comme tannée, au milieu de laquelle on voyait l'enfoncement ombi- lical, et à laquelle adhéraient des feuillets de couleur bistre ou noirâtre, semblables à des feuilles de tabac préparées et humectées ; ces feuillets étaient réunis entre eux par des filamens mous, semblables à de l'a- madou et se déchirant avec facilité (V. observ. 16e). Pourtant tous ces sujets avaient été déposés dans des bières du même bois, de même épaisseur, enveloppés d'une serpillière, et à côté les uns des autres dans le cimetière de Bicêtre. Nous pouvons encore ajouter, pour mieux faire ressortir ces différences, que l'indi- vidu qui fait le sujet de l'observation 20e, et qui avait été inhumé deux ans neuf jours auparavant, n'offrait aucune trace de paroi abdominale, quoiqu'il eût été DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3ig enterré dans une bière excessivement épaisse, et en- veloppé d'un drap de toile. La cavité abdominale ne contient jamais de liquide dans son intérieur, à moins qu'il n'en existât avant la mort ; au contraire, les viscères abdominaux tendent de plus en plus à se dessécher, et leur aspect est loin d'être humide quelques mois après l'inhumation. Du reste, la conservation des organes contenus dans l'ab- domen a quelque chose de surprenant pour les per- sonnes peu habituées à ces sortes de recherches : on peut dire que tant que les parois abdominales sont in- tactes, les viscères sous-jacens conservent leur inté- grité, leurs formes, et même leurs rapports; seulement quand l'affaissement de ces parois a été porté jusqu'au point de les coller au rachis , et lorsque déjà les or- ganes eux-mêmes ont considérablement diminué de volume, n'aperçoit-on pas d'abord facilement, en ou- vrant l'abdomen, toutes les parties qui y sont con- tenues. Plus tard, la difficulté devient plus grande ; et si l'on reconnaît bien le foie, la rate et les reins, plutôt à leur situation qu'à leur forme , on ne trouve à la place du canal digestif qu'un amas de tuniques membraneuses affaissées, débris évidens de l'estomac et des intestins; car en les écartant on refait la cavité du premier et une partie des autres : du reste, ces tuniques sèches, d'un brun verdâtre, amincies, per- forées dans certains points, ne permettraient pas , ni à beaucoup près, de refaire toute la longueur du canal digestif , non plus que d'en distinguer les diverses S20 TRAITÉ parties, ni les tuniques constituantes, et encore moins les altérations morbides, si la maladie quia déterminé la mort était de natureà en produire. Plus tard encore, on ne découvre plus qu'une masse feuilletée, dessé- chée , dont l'intérieur est souvent rempli de vers, et que l'on peut réduire en filamens coralliformes ; dans un point de cette masse seulement, on reconnaît encore quelques vestiges de portions cylindriques appartenant au canal intestinal. Enfin , et comme nous l'avons déjà dit à l'occasion des parois de cette région, il ne reste plus dans la cavité de l'abdomen qu'une petite quantité de matière noire comme du cambouis. Membres. Pendant les premières semaines, les mem- bres ne présentent rien de remarquable ; seulement là où les bras appuient sur le thorax et sur l'abdomen j la peau a conservé sa couleur naturelle, tandis qu'ail- leurs elle peut être déjà fortement colorée ; là aussi il existe une mucosité gluante, rougeâtre, qui semble unir ces parties , et lorsqu'on vient à les séparer, l'é- piderme se détache. Plus tard, à mesure que la peau et les muscles se pourrissent, quelques parties de ces membres sont à nu ; mais les os conservent encore leurs rapports, parce que les ligamens articulaires ne sont pas détruits : en général alors, les portions qui ne sont pas décharnées, se présentent sous deux états : i° elles offrent beaucoup de parties molles qui sont impré- gnées de terre , de moisissure blanche, de débris de la serpillière, et qui ont l'apparence d'une matière solide, feuilletée et comme cartonnée à l'extérieur, et sous laquelle on sent des vides : cette matière est évidem- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 321 ment formée par les élémens fibreux et aponevro- tique , sans la moindre trace de gras de cadavres ; en l'incisant, il en sort une quantité considérable de vers et de mouches : quelquefois aussi cette couche est filandreuse, comme celluleuse, grasse au toucher, d'un ou de deux pouces d'épaisseur dans beaucoup de points, et offre extérieurement une sorte de croûte formée par du gras de cadavres, tandis qu'intérieure- ment elle ressemble à du bois pourri, si ce n'est que les filamens sont plus humides et qu'il est possible de distinguer çà et là qu'ils sont de nature animale ; 2° les parties molles sont réduites à une couche assez mince , desséchée, grisâtre, parsemée dans quelques endroits de moisissures blanches, pouvant se subdivi- ser en deux lames, dont la plus externe semble devoir être la peau , et l'interne la partie aponevrotique , ou bien en une couche également mince, spongieuse, fi- landreuse, sèche, couleur d'amadou, dans laquelle il n'est plus permis de reconnaître ni nerfs, ni vaisseaux, ni muscles. A une époque plus éloignée, le plus léger effort suffit pour séparer les os des membres , tant les liga- mens présentent peu de résistance ; quelques débris filamenteux des parties molles les maintiennent seuls dans leurs rapports ; bientôt après ces os ne tiennent plus entre eux, quoiqu'ils conservent leur situation respective. Enfin, plus tard, lorsque tous les moyens d'union sont détruits, la séparation des os est com- plète, et on les trouvé isolés soit dans la bière, dans le drap ou dans la terre. 21 322 TRAIIÉ Bière. Va bière s'altère d'autant plus vile, tout étant égal d'ailleurs, qu'elle est en bois plus mince. En gé- néral, ce n'est guère qu'au bout de plusieurs semaines, même pour les bières qui ont peu d'épaisseur, que l'on y remarque des changemens ; l'intérieur de la planche inférieure commence par devenir d'un gris noirâtre , plaqué de taches noires ; il est enduit de moisissures, notamment sur la partie où reposent la tête et le dos ; il existe aussi une assez grande quantité d'une bouillie brunâtre très-fétide, recouverte elle-même, dans plu- sieurs points, de vers, de larves, d'œufs; bientôt après, l'extérieur de la planche inférieure présente une colo- ration et un enduit analogues; les ais latéraux sont déje- tés en dehors et comme plies;ils sont brunâtres, grisâ- tres par places, et en quelque sorte tapissés de larves à l'intérieur ; le fond de la bière ne tarde pas à se perforer en plusieurs endroits, il est comme rongé par des vers; le bois qui environne les parties perforées est noir et paraît gras ; on y voit aussi quelquefois une matière brillante , moins brune , comme graisseuse ; enfin on découvre au milieu de ce fond des milliers de larves et de vers, dont quelques-uns ont dix lignes de long. Déjà à cette épocrùe le couvercle est enfoncé, brisé en plusieurs parties , et la terre a pénétré jus- qu'au fond de la bière. Plus tard il est difficile de re- tirer cette i>oîte sans rompre les planches latérales et le couvercle; les divers fragmens de ces parties offrent, surtout à l'intérieur $ &e& teintes variées, jaunes, blan- ches, noires, vineuses, et en certains lieux ressemblent à l'intérieur d'un vieux tonneau ; le boiscjui les forme DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3a3 est pourrri au point qu'on peut le réduire en poudré en le pressant entre les doigts. Enfin l'altération finit par être portée si loin qu'il est impossible de retirer la bière autrement que par petits fragmens ; il a suffi, pour que cela eût lieu dans nos expériences, de treize à quatorze mois, lorsque les boîtes étaient en sapin mince, tandis que deux ans après les bières étaient intactes et à peine colorées en jaune à l'extérieur, quand elles avaient été faites avec le même bois, ayant un pouce d'épaisseur. (V. observ. 20e, page 199). Serpillière et drap. La serpillière et le drap se détruis sent beaucoup plus vite, lorsque le cadavre n'a pas été déposé dans une bière. Dans ce cas, la première de ces toiles ne tarde pas plus de vingt à quarante jours à être réduite en lambeaux brunâtres et même noi- râtres, déjà à moitié pourris, dont quelques-uns se détachent facilement, tandis que d'autres sont intime- ment mélangés avec la terreaveclaquelle ils sont comme massés, et tellement adherens au corps, que pour les enlever, il faut gratter assez fortement avec le scalpel, et alors on détache aussi de larges plaques d'épiderme qui restent étroitement unies avec cemélange de terre et de serpillière. Si le corps a été enterré dans une bière, la serpillière se couvre dans plusieurs points d'œufs, de! larves, d'insectes, et de la même sanie dont nous avons parlé à l'occasion de la bière : cette bouillie brunâtre forme, surtout à la face postérieure du corps, et no- tamment au niveau du col, de la tête, des épaules, des espèces de plaques noires semblables à de la poix fluide, ou grisâtres comme de la sanie purulente, mêlée 21. 324 TRAMÉ de poix liquide; quelquefois aussi la matière a la con- sistance et l'aspect du cambouis. Déjà la serpillière se déchire facilement, et peut être couverte de moisis- sures blanches. La putréfaction faisant des progrès, cette toile s'enlève par fragmens de couleur de fumier, ou noirs, enduits le plus ordinairement d'une matière comme bitumineuse. Enfin, on n'en trouve plus de traces. Le drap commence par se colorer en jaune tirant plus ou moins sur le roussâtre, dans les parties qui sont en contact avec le corps ; quelque temps après, sa surface interne se récouvre, surtout dans les portions sur lesquelles repose le cadavre, de taches ou de petites plaques de couleur extrêmement variée, plus ou moins épaisses,ordinairement mollasses, quelquefois presque diffluentes, provenant souvent de l'épiderme altéré; tandis qu'à l'extérieur on voit dans plusieurs points une matière comme glutineuse jaune ou rougeâtre, sous forme de boutons lenticulaires, de stalactites, etc., qui a évidemment transudé : à cette époque la consis- tance du drap n'est pas sensiblement diminuée, et plu- sieurs des parties qui n'ont pas été en contact immé- diat avec le cadavre , sont encore blanches. Plus tard, il est encore entier, mais de couleur différente; sa partie antérieure est fauve très-foncé par places, et parsemée de taches noirâtres, si l'on en excepte les portions où il avait été noué, comme celles qui sont au-dessus de la tête et au-delà des pieds et qui sont blanches; sa partie postérieure , celle qui est appliquée sur le fond de la bière, est beaucoup plus humide et DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. $2*) beaucoup plus tachée en brun, en jaune foncé , en lie de vin, surtout dans les environs de la tête : souvent alors cette toile est presque entièrement couverte à l'ex- térieur de larves d'un blanc jaunâtre, encore vivantes, qui la rendent comme lanugineuse, tandis qu'à l'inté- rieur on trouve dans quelques points une moisissure jaune, et dans d'autres un enduit graisseux, d'un brun noirâtre, et une quantité innombrable de larves qui s'agitent en tous sens. Déjà à cette époque elle est pourrie dans certains points, et se déchire avec la plus grande facilité; ailleurs elle adhère assez fortement à quelques parties du corps , et dans ces portions l'épi- derme est sous forme de lambeaux mous presque pois- seux. Plus tard l'altération est plus marquée : il ne reste plus que des lambeaux plus ou moins volumineux, qui cachent une partie du corps, et qui sont entièrement pourris; leur couleur est brune noirâtre, mais ils sont tellement couverts de moisissures blanches et de chry- salides roussâtres, que cette couleur brune n'est pas ap- parente au premier abord, et qu'ils offrent l'aspect de certains lichens. Lorsqu'ils ont été débarrassés de ces diverses matières , on voit qu'ils sont humides, impré- gnés d'une matière grasse à laquelle ils doivent leur couleur brune, et très-faciles à déchirer. Il arrive enfin une époque où il ne reste plus de traces de cette toile; nous n'en avons pas trouvé chez M™0 de Noresse, qui fut exhumée trois ans cinq mois après sa mort ( V. observ. 3ie); tandis qu'elle existait 326 TRAITÉ encore en partie dans un cas d'exhumation faite sept ans après l'inhumation. Après avoir décrit les changemens que les tissus éprouvent successivement en se décomposant, il im- porte de déterminer si ces changemens arrivent à des époques fixes, ou bien si la nature présente à cet égard des variations plus ou moins nombreuses. Il résulte de nos recherches et de celles d'un très- grand nombre d'auteurs qui nous ont précédés, que les cadavres enterrés à la même époque se pourrissent avec des vitesses différentes, les uns étant déjà complè- tement réduits au squelette, tandis que d'autres sont encore entiers ou commencent à peine à subir la dé- composition putride. Il né sera pas sans intérêt de jeter un coup d'oeil sur les principales causes de ces diffé- rences, d'autant mieux que leur examen justifiera l'impossibilité où nous étions de préciser l'époque de la mort d'un individu enterré depuis quelque temps. Ces causes se rapportent particulièrement à l'âge, à la constitution, au sexe, à l'état de maigreur ou d'obé- sité, de mutilation ou d'intégrité des sujets, au genre et à la durée de la maladie à laquelle ils ont succombé, aux phénomènes qui ont précédé immédiatement la mort, qui a pu arriver après une agonie plus ou moins longue, ou subitement, à l'époque où l'inhumation a eu lieu , à la ponte de quelques insectes à la surface du corps , à la nature des terrains, à la profondeur de la fosse, à l'état nu ou enveloppé des cadavres qui ont pu être habillés, enfermés clans un drap ou dans une serpillière, à la présence ou à l'absence d'une DES EXHUMATIONS JURIDIQUES., 327 bière, à la nature et à l'épaisseur de celle-ci, qui pou- vait être en bois de sapin, de chêne plus ou moins mince, en plomb, etc., aux influences atmosphériques, telles que la température, le degré d'humidité, etc. Examinons chacune de ces causes en particulier. Age. Les observations 22, 23 et 24, prouvent d'une manière incontestable que les cadavres d'enfans très- jeunes mis dans la terre, se pourrissent beaucoup plus vite que ceux des adultes et des vieillards, toutes les autres circonstances étant égales d'ailleurs. Constitution de l'individu. Quoique l'influence de la constitution soit moins facile à prouver que celle de l'âge, on ne peut pas moins établir que des individus d'un tempérament lymphatique, sanguin, etc., mis dans la terre, toutes les. autres circonstances étant les mêmes d'ailleurs, se pourrissent avec des vitesses diffé- rentes. N'a-t-on pas vu en effet des sujets à peu près d u même âge, aussi inaigres les uns que les autres, ayant succombé à la même affection (lors d'une épidémie), et après avoir été malades â peu près le même nombre de jours, ayant été enterrés dans des bières de bois pareil et de la même épaisseur, à côté les uns des autres, dans le même terrain et vingt-quatre heures après la mort; n'a-t-on pas vu, disons-nous, ces indi- vidus se pourrir dans des temps trèsànégaux ; et tandis (pie l'un des cadavres était au dernier terme de la décomposition, l'autre commençait à peine à s'altérer? A quelle cause attribuer dans ce cas la différence dont nous parlons, si ce n'est à la constitution des individus, qui n'était pas la même? Linfluence dont il s'agit tient. 328 TRAIiÉ dans beaucoup de circonstances, à ce que la quantité des fluides animaux n'est pas la même chez les sujets de différente constitution, et à ce que les tissus n'of- frent pas le même degré de densité. Sexe. La prédominance du système lymphatique chez la femme, et la plus grande quantité de graisse que contient son tissu cellulaire sous-cutané, font que la putréfaction marche plus vite chez elle en général qUe chez l'homme, tout étant égal d'ailleurs. Etat de maigreur ou d'obésité. Ce qui vient d'être dit relativement au sexe doit déjà faire sentir que l'état d'obésité favorise la putréfaction dans la terre ; c'est ce que l'expérience démontre. Il y a plus : comme nous le dirons ailleurs, la plus ou moins grande quantité de graisse influe sur le genre de décomposition qu'éprou- vent les corps. ( V. gras de cadavres, page 35o. ) État de mutilation ou d'intégrité du sujet. L'observa- tion 9e (p. 106) prouve combien marche rapidement la putréfaction des cadavres qui offrent des solutions de continuité d'une certaine étendue : on sait aussi que les parties contuses, ecchymosées, dans lesquelles il y a du sang épanché, se pourrissent beaucoup plus vite que celles qui sont dans des conditions opposées; et cependant nous supposons qu'il n'y a aucune perte de substance, ni aucune trace de solution de continuité à la peau : à plus forte raison cette différence serait-elle sensible, s'il y avait eu une plaie contuse du vivant de l'individu. Genre et durée de la maladie à laquelle ont succombé les sujets. En général, la putréfaction marche plus vite DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 320 chez les individus qui ont succombé à une maladie ai- guë que chez ceux qui sont morts d'une affection chro- nique qui a exténué le corps; la prédominance des humeurs sur les solides, dans le premier cas, rend suffisamment raison du fait. Il serait curieux de déter- miner par des expériences nombreuses quel genre d'influence chaque groupe de maladies aiguës exerce sur le développement de la putréfaction ; il faudrait pour cela enterrer comparativement des sujets ayant succombé à des encéphalites, à des pneumonies, à des gastro-entérites, etc. ; mais ce travail est hérissé de dif- ficultés, les autres influences qui hâtent la putré^ faction étant trop nombreuses et trop variables, pour qu'on pût supposer leur action nulle dans la décompo- sition des corps. Quoi qu'il en soit, nous savons que tout étant égal d'ailleurs, la putréfaction s'empare plus lentement du cadavre d'un individu mort par hémor- rhagie que de celui dont les vaisseaux sont distendus par le sang, comme on le voit après quelques asphyxies ; que les individus qui meurent dans un état d anasarque se pourrissent beaucoup plus vite ( V. observ. 7e, page 89 ); que ceux qui ont succombé à la petite-vérole, ou à toute autre affection pustuleuse de la peau, se détruisentplus rapidement que les autres(^. page 254); enfin, que les parties dans lesquelles l'irritation; l'in- flammation ont attiré le sang, se pourrissent très- promptement. Il est probable aussi que l'altération manifeste qu'éprouvent les humeurs et même les so- lides dans certaines maladies aiguës, doit être une des causes qui hâtent la putréfaction. 33o TRAITÉ Phénomènes qui ontpuprécéder immédiatement la mort. Que la mort soit subite ou précédée d'une maladie qui aura duré quelques jours ; que celle-ci se termine par une agonie longue ou courte ; qu'elle soit le résultat de l'introduction dans le torrent de la circulation d'un de ces virus qui paraissent altérer le sang, la marche de la putréfaction sera plus ou moins rapide, sans que l'on puisse apprécier au juste la somme d'influence de chacun de ces élémens. Epoque oh ïinhumation a eu lieu. La putréfaction marchant plus rapidement dans l'air que dans tout autre milieu, il est évident que si elle ne s'est pas encore développée lorsqu'on enterre le corps, celui-ci tardera plus à être pourri, que si l'inhumation avait eu lieu plusieurs heures et surtout plusieurs jours après le commencement de la putréfaction ; il pourrait arriver même, en été, qu'au bout d'un mois d'inhumation un cadavre qui n'aurait été inhumé que cinq ou six jours après la mort, et déjà lorsque la putréfaction était très- avancée , fût aussi pourri qu'il l'eût été sept ou huit mois après la mort, s'il eût été enterré vingt ou vingt- quatre heures après. Dès-lors on concevra l'influence d'un certain nombre de causes secondaires qui agissent sur les corps depuis l'instant de la mort jusqu'au momen t où la putréfaction se manifeste : celle-ci ne se dévelop- pant que lorsque la rigidité cadavérique a cessé d'exis- ter, il est évident que la durée de cette rigidité, durée qui est loin d'être la même pour tous les cadavres, doit exercer de l'influence sur la marche de la putréfaction ; il suffira, pour justifier cetteassertion, d'établir qu'il est DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 331 des sujets qui ne sont plus raides quand on les en- terre, tandis que d'autres offrent un état de rigidité remarquable ; les premiers seuls ont commencé à se pourrir avant l'inhumation. Or, si la durée de la rigidité est un élément dont on doit tenir compte, ne savons- nous pas que celte durée est en grande partie subor- donnée à celle de la chaleur, ou, en d'autres termes, que la rigidité ne s'établit le plus ordinairement que dans les parties déjà refroidies ? Voilà ce qui détermine une marche différente dans la putréfaction des corps, suivant qu'ils ont été enveloppés de vetemens de laine, de draps de fil, ou qu'ils ont été nus, suivant qu'ils ont été laissés dans des ch&tnhresfroides, ou dans d'autres qui ont été chauffées. Ponte de quelques insectes. Nous savons qu'en été, dans l'espace de temps pendant lequel les cadavres sont exposés à l'air, avant l'inhumation, quelques mouches pondent à la surface de la peau des œufs qui, éclos pjus tard dans le cercueil, peuvent donner naissance à d'autres mouches; celles-ci, après s'être fécondées , peuvent encore reproduire sept ou huit fois des gé- nérations qui vont en se multipliant à l'infini. Les insectes qui paraissent se repaître de préférence des cadavres, et dont les œufs sont déposés à la surface du corps, sont les suivans : musca tachina simplex de Meigen ; vomitoria, cœsarea, domestica, carnaria, fur- cata ; scaiophaga stercoria; thyreophora cynophila; an- threnus ; dermestes ; hister; nccrophorus ; sy/pha; ptenus fur, imperialis; oxyporus, lathrobium; pœderus ; ste- 332 TRAITÉ nus ; oxytelus ; tachinus ; aleochara ; noterus ; scarites ; harpalus ; julus lepisma. Or, il est avéré que , dans les premiers temps après la mort, les mouches ne s'arrêtent pas autour des ca- davres ; que plus tard elles ne font que voltiger près d'eux, et qu'enfin, lorsque la putréfaction est plus avancée, elles s'appliquent sur eux et y déposent leurs œufs; bientôt en effet on voit des larves plus ou moins nombreuses ramper sur plusieurs de leurs parties. Que si l'on enterre maintenant deux cadavres, dont l'un offre à sa surface des milliers d'œufs, tandis que l'autre n'en présente pas encore, il est évident que le premier se pourrira beaucoup plus Vite, toutes les autres cir- constances étant les mêmes, parce que le propre des larves est de détruire nos tissus pour s'en nourrir. On ne saurait donc nier l'influence de la ponte des insectes à la surface du corps sur la marche de la putréfac- tion. Ce serait ici le cas de se demander quelle est, dans toutes les saisons de l'année, l'origine de ces larves , de ces nymphes et de ces insectes, surtout de la musca tachina simplex de Meigen, que nous avons si souvent rencontrée à l'ouverture de cadavres enterrés à la profondeur de quatre à six pieds, depuis plusieurs mois et même depuis quelques années. La ponte de quelques-unes de ces mouches à la surface des cada- vres paraîtra insuffisante pour expliquer le phénomène, dès qu'on l'observe également sur les corps enterrés en hiver, époque pendant laquelle il n'y a point de DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 333 mouches. On n'admettra pas non plus que ces insectes qui sont mous et très-faibles, puissent sortir de la terre et d'une aussi grande profondeur pour aller pro- pager leur espèce. 11 est tout aussi invraisemblable de supposer que les insectes aériens aient pu percer la terre pour parvenir jusqu'au cadavre. Si l'on ne ren- contrait que des larves ou des nymphes, on aurait pu croire que ces insectes étaient clans une sorte d'engour- dissement ou d'hybernation qui aurait pu cesser par une circonstance opportune; mais les larves, les nym- phes et les mouches se trouvent ensemble, et plusieurs des nymphes ont donné des insectes parfaits. Quelle peut donc être l'origine de ces races d'animaux? Avouons qu'il nous est impossible de résoudre ce pro- blème. Nature des terrains ( V. §. vi, page 339 )• Pression. Profondeur de la fosse. La pression retarde la putréfaction, comme l'ont prouvé Godard et quelques autres auteurs. On pourra juger des résultats obtenus par Godard, par l'expérience suivante (i) : Le 10 mars, à six heures du soir, le thermomètre étant de 8 à io°, on mit deux morceaux de maigre de veau, d'égal poids, dans une même quantité déau, mais contenue dans deux bouteilles de différente hau- teur, savoir : l'une de deux pouces et demi, l'autre de trois pieds , y compris le tuyau que l'on y avait (f) Godard. Voyez Dissertation sur les antiseptiques , im- primée par ordre de l'Académie. Paris, 1769, page q68 et suiv. 334 TRAITÉ adapté; la petite bouteille fut bouchée avec un bou- chon de oire, percé d'un trou égal à l'ouverture du tuyau. Le 14, à la même heure, on voyait de l'air dégagé dans la petite bouteille; il ne paraissait rien dans l'autre. Le i5 , à onze heures du matin , le morceau de la petite bouteille flottait, et-son eau était louche; on voyait dans l'autre quelques bulles, mais en bien moindre quantité que dans la petite, et son eau con- servait sa transparence. Le 17, à six heures du soir, le nombre des bulles de la petite bouteille était beaucoup augmenté; le mor- ceau continuait d'y flotter, tandis qu'il n'y avait rien de changé dans l'autre. Le 22, à sept heures et demie du matin, l'eau de la petite bouteille puait bien plus, et était beaucoup plus louche que celle qui était au fond de la grande ; car l'eau contenue dans la partie supérieure et dans le tuyau n'avait pas reçu la moindre altération. La même différence avait lieu dans les puanteurs de leurs viandes; mais ces dernières puanteurs ont disparu dès que les morceaux tirés de l'eau ont été exposés à l'air pen- dant quelques secondes. Si l'on fait attention que la viande de la bouteille était entourée d'un plus grand volume d'eau que celle de la grande, on jugera qu'à pourriture égale, l'eau de celle-ci aurait dû puer da- vantage que celle de l'autre, puisque les miasmes pu- trides y étaient délayés dans moins d'eau ; cependant le contraire a eu lieu, et par conséquent la différence DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 335 de la transparence des eaux , de leur puanteur et de celle des viandes, prouve d'une façon manifeste la vertu antiseptique de la compression. Plus la fosse sera profonde, les autres circonstances étant les mêmes, plus la putréfaction sera donc retar- rdée, d'autant mieux que la terre est plus froide dans l'étendue de quelques pieds, à mesure qu'on la creuse plus profondément. Etat nu ou enveloppé du cadavre. Les faits recueillis jusqu'à ce jour, et entre autres plusieurs de nos obser- vations, établissent que plus les corps sont immédiate- ment en contact avec la terre, plus ils se pourrissent facilement, tout étant égal d'ailleurs; ainsi un cadavre enterré nu se pourrira beaucoup plus promptement qu'il ne l'eût fait dans un même terrain , s'il eût été enveloppé d'un drap et enfermé dans une bière enplomb; la putréfaction serait déjà moins tardive, si la bière était en chêne de l'épaisseur d'un pouce, moins encore si, étant construite avec le même bois, elle n'avait que quelques lignes d'épaisseur , moins encore si elle était en sapin, et surtout si celuitci était très-mince ; enfin le ralentissement dont nous parlons serait beaucoup moins sensible, si le corps, au lieu d'être inhumé dans une bière, était simplement enveloppé de vetemens, ou d'un drap ou d'une serpillière. On concevra l'in- fluence de l'enveloppe sur la putréfaction, quand on saura que les viscères ne doivent réellement leur longue conservation, relativement à la peau, qu'à ce qu'ils sont enveloppés par celle-ci ; aussitôt que la des- truction a atteint les tégumens, la putréfaction des 336 TRAITÉ viscères marche rapidement. Voyez, à l'appui de ce que nous avançons, combien le cerveau se conserve long-temps par rapport aux autres organes; c'est parce qu'il est recouvert d'une enveloppe très-solide, le crâne : dès-lors, il est aisé de sentir toute l'influence que doivent exercer sur la marche de la putréfaction les vetemens, et surtout les bières qui agissent dans le même sens que les enveloppes naturelles, c'est-à-dire , en ralentissant l'action des causes destructives des corps. Nous ne prétendons pas cependant que les obstacles apportés par les bières au développement de la putréfaction puissent être tels que celle-ci soit com- plètement arrêtée; loin de là,, les corps les moins dis- posés à se pourrir finissent par se détruire, même lors- qu'ils sont renfermés dans des bières en plomb; nous disons seulement que tout étant égal d'ailleurs, la dé- composition putride marche d'autant plus lentement que le corps est enveloppé de manière à se soustraire davantage à l'action des agens extérieurs. Influences atmosphériques. Il suffira de signaler l'in- fluence de la chaleur et de l'humidité atmosphériques, pour convaincre nos lecteurs du rôle que jouent ces élémens pour accélérer la putréfaction. Que penser maintenant de l'opinion deBurdach,sur le mode d'altération que les corps éprouvent dans les terre? Suivant lui, il faut reconnaître trois périodes dans cette décomposition : i° Bouffissure de tout le corps par développement de substances gazeuses ; c'est la période de fermentation qui dure plusieurs mois. 2° Conversion des parties molles en une matière pul- DES' EXHUMATIONS JURIDIQUES. 33^ tacée, verdâtre ou d'un brun foncé ; le corps s'affaisse parce que les gaz se volatilisent ; cette période dure de deux à trois ans. 3° Les gaz achèvent de se dégager ; l'odeur fétide est remplacée par une odeur de moisis- sure, et il reste une matière terreuse grasse, friable, brunâtre, qui ne se convertit qu'au bout d'un nombre considérable d'années en une cendre qui se mêle à la terre ordinaire. Nous ne saurions admettre de pareilles idées sur la marche de la putréfaction dans la terre; elles sont évi- demment erronées, et propres à induire les experts en erreur. Et d'abord, pour ce qui concerne la pre- mière période, n'avons-nous pas vu souvent, pour ne pas dire presque toujours, les cadavres ouverts dix, quinze, quarante, cinquante jours après l'in- humation, dans un état d'affaissement qui ne ressem- blait guère à celui dont parle Burdach, qui suppose que le corps est bouffi pendant cette première époque, à laquelle il assigne une durée de plusieurs mois? Non pas que nous prétendions que jamais les cadavres ne se tuméfient lorsqu'ils commencent à se pourrir ; nous voulons seulement établir que cette tuméfaction n'a pas nécessairement lieu , puisqu'elle manque souvent, et que lorsqu'elle existe , elle ne dure pas, en général, ni à beaucoup près, autant de temps que l'indique Bur- dach. Quant à la seconde période , il est évident que cet auteur s'est encore trompé ; car tout en accordant que le corps s'affaisse , il n'en est pas moins vrai que les parties molles ne se convertissent pas constamment en une matière pultacée ; n'avons-nous pas vu au con- 338 TRAITÉ traire ces parties se dessécher pour la plupart, se ré- duire en lamelles ou en filamens coralliformes, et quel- ques-unes d'entre elles imiter même une sorte de cartonnage ? D'ailleurs, comment admettre que cette période dure de deux à trois ans, lorsque dans la plu- part de nos expériences le»cadavres étaient déjà presque réduits au squelette au bout de quatorze, quinze ou dix-huit mois , même lorsqu'ils avaient été enterrés dans des bières et enveloppés d'une toile ? L'inexacti- tude des phénomènes annoncés comme caractérisant la troisième période, ne saurait non plus être mise en •doute ; en effet, la matière grasse qui reste en petite quantité, comme dernier terme de la décomposition putride , n'est ni terreuse ni friable; c'est une sorte de cambouis mou , oléagineux , semblable à du vieux oing fortement coloré. Ajoutons à tous ces faits, qui combattent victorieu- sement l'opinion de Burdach, qu'en admettant même que la durée des périodes assignées par lui fût exacte pour des observations faites dans un terrain donné et avec certains cadavres, elle ne le serait plus quand d s'agirait d'autres terrains et de sujets qui seraient placés dans d'autres conditions. Les experts ne sauraient donc assez se méfier de pareils résultats, qui malheureuse- ment ont déjà été pris plusieurs fois pour guide, lorsqu'il a été question de déterminer l'époque à la- quelle avait eu lieu la mort d'individus inconnus. On prévoit déjà que nous n'adopterons pas davan- tage l'opinion des médecins et des anatomjstes qui ad- mettent, d'après le dire des fossoyeurs, qu'il faut de DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 33g trois à quatre ans pour la destruction complète des parties molles d'un cadavre sous terre ; d'autres por- tent jusqu à six ans le laps de temps nécessaire à l'ac- complissement de ce travail. Ne sait-on pas qu'il y a à cet égard des variétés et des différences aussi nom- breuses qu'extraordinaires? Les exemples de conser- vation de corps ensevelis depuis plusieurs années se présentent en foule ; nous nous bornerons à en citer quelques-uns. Limprecht a fait connaître une observa- tion intitulée : De manu in sepulchro ultra sœculum ah omniputredine conservata. Plus loin, il dit que, pas- sant par un monastère de la Gaule narbonnaise, on lui avait fait voir des cadavres bien conservés qu'on avait depuis long-temps retirés de leurs sépulcres ( V. article Momification ). Faber a communiqué à Fabrice de Hilden une observation intitulée : De cere- bro nonputrefacto in cadavere quinquagennis annis sub terra reposito. §. VI. De la putréfaction comparée de fragmens de cuisse d'un même cadavre, dans des terres de différente nature. Les terrains hâtent ou retardent îa putréfaction par plusieurs causes. Leur situation : deux terrains de même nature, dont l'un sera élevé et en pente,et dont l'autre sera dans un fond, n'agiront pas de même sur les corps : le premier étant beaucoup plus sec, ralentira la marche 22. 34<> TRAITÉ de la décomposition, tandis que l'autre pourra la fa- voriser. Leur degré d'humidité : la putréfaction ne se développe jamais quand les corps sont desséchés ; au contraire elle parcourt rapidement ses périodes dans un milieu humide; donc elle arrivera bientôt à son dernier terme dans des terrains humides, tandis que dans les terrains qui se dessèchent aisément, elle sera singulièrement retardée. Leur nature chimique : nous entendons ici par nature chimique, non-seulement la composition du terrain, en tant qu'on le considère comme formé de plusieurs oxydes métalliques, de sul- fate , de carbonate de chaux, etc. ,mais encore sa com- position accidentelle; en effet, il peut contenir des gaz plus ou moins fétides, des matières animales en putré- faction ou à moitié pourries, etc.; ainsi nous verrons, en parlant du gras des cadavres, qu'au cimetière des Innocens non-seulement la putréfaction avait été ra- lentie, mais encore qu'elle avait fourni un produit particulier, le gras de cadavres; et nous dirons que Fourcroy et Thouret avaient attribué ces deux phé- nomènes à*^e que la terre qui recouvrait les corps avait été promptement saturée des gaz provenant de la première période de la putréfaction. Ne sait-on pas, d'une autre part, que la terre des cimetières où l'on a enterré beaucoup de cadavres, et qui par conséquent est fortement imprégnée de détritus de matières pu- tréfiées , hâte la putréfaction ? Ces diverses proposi- tions seront, du reste, eclaircies par les expériences suivantes, qui ont autant pour objet de faire connaître l'influence des terrains sur la marche de la putréfaction DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. J4 c que le genre d'altération que chacun de ces terrains fait éprouvera la matière animale. Ces expériences ont été faites avec des parties d'un même cadavre, enve- loppées d'un même linge, et enterrées au même mo- ment , afin de pouvoir bien juger la seule influence qui ne fût pas la même, celle du terrain. Que si l'on nous blâmait d'avoir agi ainsi et de ne pas avoir cherché à résoudre le problème avec des cadavres entiers, inhu- més dans différens cimetières, nous répondrons que les résultats fournis par un travail de ce genre eussent été loin d'être concluans comme ceux que nous allons faire connaître, parce qu'il eût été impossible d'affirmer que les différences observées dépendaient plutôt delà nature du terrain que de l'âge, de la constitution du sujet, delà maladie à laquelle il avait succombé, de la durée de celle-ci, etc. Expériences. Le i5 avril i83o, on a enfermé dans quatre sacs de toile crue assez épaisse quatre fragmens égaux de cuisses d'un cadavre encore frais, ne présentant aucune coloration ni aucun indice de putréfaction; chacun de ces fragmens était long d'environ six pouces. Les sacs* ont été aussitôt enterrés à un pied de profondeur dans quatre tas de terre de la hauteur et de la largeur d'un mètre, préalablement disposés les uns à côté des autres, dans un coin du jardin de la Faculté de Médecine de Paris. Ces terres seront désignées sous les noms de terre de Bicêtre, de terre du jardin de la Faculté de Médecine 342 TRAITÉ de Paris, de terreau, et de sable. La terre de Bicêtre, prise dans le cimetière où nous avions enterré tous les cadavres dont il a été parlé jusqu'ici, est jaunâtre, cal- caire, et ne présente aucun des caractères des terres végétales; elle a fourni à l'analyse, sur dix mille parties : Matière organique très-azotée, soluble dans l'eau............................ o,o4o Sulfate de chaux..................... o,238 Matière organique insoluble........... 0,520 Silice et sable siliceux................ 456*00 Carbonate de chaux.................. 3,800 Oxyde de fer....................... o,54o Phosphate de chaux.................. 0,100 Alumine........................... 0,080 Perte............................. 0,082 La terre du jardin de la Faculté de Médecine de Paris diffère de la précédente en ce qu'elle contient beau- coup moins de matière organique azotée, et qu'elle renferme des détritus de végétaux dont la décompo- sition est déjà très-avancée; aussi est-elle noire et offre- t-elle l'aspect d'une terre végétale; du reste, elle est éga- lement très-riche en carbonate de chaux, et contient aussi une assez grande quantité de sulfate de chaux. Le terreau est principalement caractérisé par la forte proportion de détritus de végétaux qu'il renferme; ces détritus sont loin d'être aussi pourris que ceux qui exis- tent dans la terre du jardin; en sorte que le terreau constitue véritablement un terrain beaucoup plus vé- gétal; il est principalement forme de silice et de carbo- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 343 nate de chaux. Le sable de carrière est essentiellement siliceux et très-ferrugineux; on y voit quelques traces de mica et à peine du carbonate de chaux. Examen le 24 avril. — Terre de Bicêtre. Le sac est entier, très-altéré, et se déchire au plus léger effort ; sa surface interne est enduite d'une sanie lie de vin sale et d'une couche jaunâtre desséchée. Il n'y a plus .d'épiderme; le derme est blanc à la partie interne, rouge vineux dans une portion de la partie externe; ii est luisant, humide et assez résistant. Les muscles, déjà très-ramollis, sont d'un rouge pâle tirant un peu sur le vert dans quelques points. Le tissu cellulaire ne paraît pas altéré. Terre du jardin de la Faculté de Médecine. Le sac est entier, moins altéré que le précédent, quoiqu'il commence cependant à se déchirer avec assez de faci- lité. Il n'y a plus d'épiderme; le derme est très-humide, coloré en blanc, en rouge et en verdâtre. Les muscles sont à peu près comme les précédens; le tissu cellu- laire est huileux, jaune, et n'offre pas la moindre ap- parence de gras. Ce fragment de cuisse paraît être arrivé au même degré de putréfaction que celui qui avait été mis dans la terre de Bicêtre. Terreau. Le sac est entier, mais commence à se dé- chirer; sa surface externe est fortement imprégnée d'une sanie rougeâtre. On trouve à peine des traces d'épiderme; le derme, à peu près coloré comme dans les expériences précédentes, est un peu plus mou; les muscles sont aussi beaucoup plus ramollis; la putréfac- tion est évidemment plus avancée. 344 TRAITÉ Sable. Le sac est entier et ne se déchire pas facile- ment. L'épiderme est détaché presque partout; les por lions qui restent se séparent très-facilement; le derme et les muscles sont à peu près comme dans le fragment placé dans la terre de Bicêtre ; toutefois, la putréfaction est moins avancée. Le tissu cellulaire ne paraît pas avoir éprouvé de changement notable. Immédiatement après l'examen, ces divers fragmens ont été enfermés de nouveau dans les sacs, et enterrés à la. même profondeur. 28 avril. La décomposition putride est plus marquée; le fragment placé dans le sable est le moins avancé, tandis que celui qui est dans le terreau est le plus pourri ; les deux autres offrent à peu près le même de- gré d'altération; nulle part on n'aperçoit de gras de cadavres. La destruction des sacs est en rapport avec celle des fragmens. 2 mai. Les sacs sont assez pourris pour qu'il soit im- possible de s'en servir; aussi enterre-t-on les fragmens à nu; du reste, la putréfaction a encore fait de nou- veaux progrès, et toujours en suivant la même marche. 19 mai. Tous les fragmens sont plus pourris que la dernière fois, et la différence qui a déjà été remarquée est encore plus prononcée, c'est-à-dire que le fragment entouré de sable est le moins altéré, tandis que celui qui occupe le terreau est le plus avancé. Il y a une quantité notable de gras de cadavres dans le morceau placé dans la terre du jardin; celui qui est enterré dans la terre de Bicêtre en contient moins, et il y en a encore moins dans celui qui a été mis dans le terreau; le frag- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 345 nient qu'enveloppe le sable n'en renferme pas du tout. 29 mai.—Sable. Les muscles, quoique rosés,sont très- ramollis; la peau est presque complètement détruite, et la masse des parties molles se détache avec assez de facilité des os, en entraînant le périoste. La portion de sable qui touche immédiatement ces parties est noi- râtre; on dirait qu'il se forme un peu de gras de cada- vres dans quelques points de la surface du moignon.— Terre de Bicêtre. La putréfaction est beaucoup plus avancée que dans le sable, et même que dans la terre du jardin ; les parties molles sont entièrement déta- chées des os, et réduites en une bouillie de couleur ardoise claire par parties, olivâtre et blanchâtre dans d'autres; le gras de cadavres, plus abondant que la dernière fois, ne l'est pas autant que dans la terre du jardin, et il est à moitié desséché dans certains points. Terre du jardin de la Faculté. Les muscles sont viola- cés et moins ramollis que dans la terre de Bicêtre; le savon est déjà presque sec et en quantité plus considé- rable que partout ailleurs. Terreau. La putréfaction est extrêmement avancée; les muscles, de couleur rous- sàtre, ont atteint le dernier terme du ramollissement; il y a plus de gras de cadavres, mais il ne présente pas la siccité de celui du fragment qui entoure la terre du jardin. 5 juin. —Sable. On ne peut pas dire qu'il se soit formé du gras de cadavres; tout au plus remarque-t-on dans quelques points une légère tendance à la saponifica- tion ; les parties molles sont à peu près dans le même état que le 29 mai. Terre de Bicêtre. On trouve à peine 346 TRAITÉ des traces de muscles; l'os est presque dénudé; les parties molles qui restent, et qui par conséquent sont en très-petite quantité, sont presque entièrement trans- formées en savon. Terre du jardin de la Faculté. Le gras est encore plus abondant que la dernière fois; il ne paraît formé qu'aux dépens de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané : on trouve au-dessous la couche musculaire violacée et très-ramollie. Terreau. Il s'est opéré un changement remarquable pendant ces huit jours; la quantité de savon est tellement abondante, qu'il y en a beaucoup plus que dans la terre du jardin, ce qui n'avait pas eu lieu jusqu'alors ; ce gras est aussi plus sec et mieux formé que celui de cette terre; il n'est pas douteux qu'indépendamment de la peau et du tissu cellulaire, une portion de la couche muscu- leuse ne soit également saponifiée. Il résulte de ce qui précède, i° que la putréfaction est loin d'avoir marché avec la même rapidité dans les quatre terrains soumis à l'expérience ; 2° qu'elle a été beaucoup plus lente dans le sable et beaucoup plus prompte dans le terreau que partout ailleurs, jusqu'au moment où il y a eu une certaine quantité de gras de cadavres de formé (i); 3° qu'à cette époque la décom- (i) Ces résultais ne s'accordent guère avec ceux que Thouret ditavoir été consignés dans un rapport fait à l'Académie royale des sciences , en 1738, par Lémery, Geoffroy et Hunauld. Les expériences de ces savans les auraient conduits à admettre qu'en général c'est en raison de sa facilite à absorber ou à transmettre les gaz , que la putréfaction dans les terres offre des variété* ; ainsi, le subie sec serait, de toutes les terre», DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 347 position putride a fait au contraire beaucoup plus de progrès, là où il y avait moins de gras, comme dans la terre de Bicêtre, que dans le terreau et dans la terre du jardin qui en renfermaient davantage; et que si, dans le sable où il ne s'était point formé de savon, la putréfaction était beaucoup moins avancée, cela tient à ce que ce terrain jouit à un très-haut degré de la pro- priété de ralentir la décomposition; 4° que tous les terrains ne sont pas également propres à opérer la sa- ponification de nos tissus, et qu'en général le terreau et les terres végétales semblent être ceux qui la déter- minent le mieux et le plus promptement; 5° que cette transformation graisseuse paraît commencer par la peau et le tissu cellulaire sous-cutané, pour gagner ensuite les muscles; 6° que quelle que soit la rapidité avec laquelle a lieu la putréfaction jusqu'à l'époque où la saponification a envahi une assez grande partie de la peau, elle s'arrête en quelque sorte dès cet instant, ou du moins ne suit plus la même marche, puisqu'au lieu de se ramollir de plus en plus, de devenir pultacés et de disparaître, les tissus sous-jacens passent au gras, et finissent par former une niasse d'un blanc grisâtre, sèche, dans laquelle il n'est plus possible de les recon- celle qui favoriserait le plus la décomposition des corps , tan- dis que les terres argileuses et compactes la retarderaient. Toutes nos recliercb.es pour découvrir ce rapport ayant été iniruclueuses , il nous a été impossible de juger la valeur des expériences qui lui servent de base , et dont les résultats pa-. raitront si extraordinaires. 348 TRAITÉ naître. ( Voyez page 35o , pour l'histoire du gras île cadavres. ) ARTICLE DEUXIÈME. De la putréfaction des cadavres entassés dans des fosses communes. Les cadavres qui se pourrissent dans des fosses com- munes peuvent se présenter au moins sous trois états différens : i° ils sont réduits au squelette, on ne trouve plus que leurs ossemens; 2° ils sont transformés en gras, c'est-à-dire, ils ont éprouvé une véritable sapo- nification; 3° ils sont changés en momies sèches (i). (i) Le lecteur sera peut-être tenté de croire que la saponi- fication et la momification sont exclusivement l'apanage des corps qui se pourrissent dans des fosses communes , puisque nous traitons de ces transformations à l'occasion des cadavres entassés dans ces fosses ; il n'en est pourtant pas ainsi : la momification a fort souvent lieu dans les exhumations par- tielles, quand le terrain est sec et exposé à une température élevée ; la saponification, il est vrai, ne s'observe guère que partiellement lorsque les cadavres sont enterrés dans des fosses particulières ; on ne trouve alors de tranformés en sa- von , et encore en savon incomplet, que la peau , le tissu cel- lulaire , les muscles et un très-petit nombre de viscères ; pour que les corps soient complètement changés en gras , il faut qu'ils se pourrissent , après avoir été entassés dans des fosse- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 34ç> Nous n'affirmerons pas que cette triple altération soit constante, et qu'on l'ait reconnue toutes les fois que l'on a eu occasion d'observer des cadavres enterrés dans des fosses communes : nous manquons à cet égard des descriptions qu'il nous serait nécessaire d'avoir sur létat anatomique et chimique des corps exhumés de la plupart de ces fosses communes ; mais nous établi- rons que dans le travail de ce genre, le plus remar- quable qui ait été fait jusqu'à ce jour, celui qui avait pour objet les fouilles du cimetière des Innocens de Paris, ces trois états ont été observés et signalés par Fourcroy et Thouret, dont les mémoires nous servi- ront principalement de guide dans la rédaction de cet article. §• I. Cadavres réduits à leurs ossemens. Les cadavres que l'on trouve réduits au squelette dans les fosses communes peuvent primitivement avoir subi la transformation graisseuse, et avoir ensuite été dépouillés de toutes les parties molles par l'action des eaux ; mais il est probable que plusieurs de ces cadavres ont été réduits à leurs ossemens sans avoir été saponifiés, et après avoir éprouvé un genre d'altération analogue à celui qu'ils subissent dans les cimetières, lorsqu'ils sont enterrés dans des fosses particulières, altération que nous avons décrite avec soin dans l'article précédent. Quoi qu'il en soit, les os une fois dépouillés de leur* 35o TRAITÉ chairs ne se décomposent que très-lentement, soit que les cadavres aient été inhumés clans des fosses commu- nes ou dans des tombeaux particuliers; en général, ils deviennent d'un jaune nankin, striés quelquefois de rouge. Des os humains, enterrés depuis six cents ans, ont encore fourni à l'analyse 27 pour 100 de gélatine et 10 de graisse à peu près, comme s'ils eussent été frais; on sait en effet que la gélatine ne forme guère que les 3o/ioo des os. Si le terrain dans lequel l'inhu- mation avait eu lieu eût été à la température de 280 -f~ °° thermomètre centigrade, la graisse aurait fondu et se serait écoulée. Il est cependant des cas où les os subis- sent un genre d'altération remarquable; ceux que l'on retira d'un tombeau du onzième siècle, trouvé dans le sol de l'ancienne église de Sainte-Geneviève de Paris, présentèrent des caractères particuliers, tout-à-fait dif- férens de ceux que l'on avait recueillis au cimetière des Innocens. Ces os, qui pouvaient avoir sept cents ans, étaient en général extrêmement fragiles; il suffisait de les presser légèrement avec les doigts pour les briser; ils étaient pourpres, à peu près comme la lie de vin des- séchée , et leur surface était recouverte d'une grande quantité de cristaux blancs et brillans de phosphate acide de chaux. Ces os étaient remarquables par l'ab- sence de matière animale et de carbonate de chaux, et par la présence de la matière pourpre et du phosphate acide de chaux; tout porte à croire que la matière colo- rante pourpre, qui était soluble dans l'eau et dans l'al- cool, était le résultat de la décomposition de la partie gélatineuse des os. Quant à l'origine du phosphate acide DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 351 de chaux, Fourcroy et Vauquelin pensaient que la matière animale contenait du phosphore qui s'était converti en acide phosphorique, lequel se serait com- biné d'abord au carbonate de chaux, puis au phos- phate de chaux des os, et les aurait transformés en phosphate acide; cette formation de phosphate de chaux très-soluble, serait même un des moyens dont la nature se servirait pour détruire le tissu des os, et pour le mêler aux couches terreuses. ( Annales du muséum d'Histoire naturelle, tome X. ) §• IL Ca<îa vres transformés en gras. Il ne sera pas inutile, avant de décrire l'état de ces cadavres, d'indiquer succinctement la manière dont ils étaient enterrés, d'autant mieux que cette connaissance pourra nous servir dans ,1a recherche des causes qui déterminent la saponification. Les fosses communes du cimetière des Innocens avaient trente pieds de profondeur et vingt de lar- geur dans leurs deux diamètres; on y plaçait, par rangs très-serrés, les corps des pauvres renfermés dans leurs bières. La nécessité d'en entasser un grand nombre obligeait les hommes chargés de cet emploi de placer les bières si près les unes des autres, qu'on peut se figurer ces fosses remplies comme un massif de cada- vres , séparés seulement par deux planches d'environ six lignes d'épaisseur, sans aucune couche de terre in- 352 TRAITÉ terposée entre eux. Ces fosses contenaient chacune mille à quinze cents cadavres. Lorsqu'elles étaient pleines, on chargeait la dernière couche des corps d'environ un pied de terre, et on creusait une nou- velle fosse à quelque distance. Chaque fosse restait environ trois ans ouverte, et il fallait ce temps pour la remplir. Le nombre plus ou moins grand des morts, comparé à l'étendue du cimetière, rendait nécessaire le creusement de ces fosses à des époques plus ou moins rapprochées; c'était au plus tôt après quinze ans, et au plus tard après trente ans, qu'une fosse était faite dans le même lieu. L'expérience avait appris aux fossoyeurs que ce temps ne suffisait pas pour la destruction entière des corps. La première fouille que l'on fit dans une fosse fermée et remplie depuis quinze ans, permit de constater que les cercueils étaient conservés dans toutes leurs dimensions et leur solidité; qu'à l'exception d'une légère teinte noire dont les bières étaient salies exté- rieurement, et qui était due à la terre qui les environ- nait, ces bières avaient conservé leur fraîcheur; toute- fois, elles étaient un peu affaissées les unes sur les autres ; le bois en était sain, et seulement teint en jaune. Description des cadavres. Les corps étaient placés sur la planche du fond de la bière; il existait une dis- tance assez grande entre leur surface et la planche de dessus; ils étaient tellement aplatis, qu'ils semblaient avoir été soumis à une forte compression (i). Le linge (i) Quelqu'affaisés que soient les cadavres complètement saponifiés , on ne peut pas moins établir que le gras qui s'est DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 353 qui les recouvrait était comme adhérent aux corps qui, avec la forme des différentes régions, n'offraient plus, en soulevant ce linge, que des masses irrégulières d'une matière molle, ductile, d'un gris blanc; ces masses en- vironnaient les os de toutes parts ; elles n'avaient point de solidité, et se cassaient par une pression un peu brusque. L'aspect de cette matière, son tissu, sa mol- lesse, la fit d'abord comparer au fromage blanc ordi- naire , et cette comparaison était juste, surtout par les empreintes ou aréoles que les fils tissus du linge avaient formées à sa surface. En touchant à cette substance blanche, elle cédait sous le doigt, et se ramollissait en la frottant quelque temps. Les cadavres ainsi changés en gras ne répandaient point une odeur très-infecte. En examinant attentivement beaucoup de corps passés à cet état, on reconnut que tous n'étaient pas également avancés dans cette espèce de conversion. Plusieurs offraient, au milieu de masses blanches et grasses, des portions de muscles reconnaissables à leur tissu fibreux, et à leur couleur plus ou moins rouge. Dans ceux qui étaient complètement convertis en gras, les niasses qui recouvraient les os étaient partout de la même nature, c'est-à-dire, présentaient indistincte- ment , dans toutes les régions, une substance grise, le plus souvent molle et ductille, quelquefois sèche, toujours facile à séparer, en fragmens poreux, percés de cavités, et n'offrant plus aucune trace des mem- formé a plus de volume que n en avait toute la graisse du corps. 23 354 TRAITÉ bfanes, des muscles, des tendons, des vaisseaux, des nerfs : on eut dit au premier aspect que ces masses blanches n'étaient que du tissu cellulaire dont elles représentaient très-bien les aréoles et les vésicules. En suivant "cette matière blanche dans les différentes régions du corps, on put se convaincre que le tissu de la peau éprouvait partout cette altératioh remarquable $ on reconnut ensuite crue lès patries ligamenteuses et tendineuses,'qui attachent et retiennent les os , n'exis- taient plus, ou qu'au fnoins, ayant perdu leur tissu et leur ténacité, elles laissaient les articulations sans atta<- ches, sans soutien, et les ds livrés à leur propre pesan* teur; (le Sorte qu'il n'existait plus entre eux qu'unejuxta- position sans réunion et sans adhérence : aussi le moindre èflort suffisait-il potir les séparer, conrïnte le savaient les fossoyeurs, cpui, pour transporter Ces corps et les enlever des fossés que l'on voulait vider, les pliaient et les roulaient sur eux-mêmes de îa'tête aux pieds, en écartant ainsi les extrémités des os autrefois articulés. Il n y avait plus de cavité ubdbthinale. Les tégumens elles muscles de cette région, changés en matière grasse comme les autres parties molles de ces corps, étaient af- faissés et appuyés sur la colonne vertébrale, de sorte cfaè le reste était aplati, et qu il ne restait plus de place pour les viscères; aussi ne trouvait-on prefcque jamais de traces de ceux-ci dans les lieux presque effacés qu'ôccupaït autrefois là cavité abdominale. En vain cherchait-on dans le plus grand nombre des corps et le lieu et la substance de l'estomac, des intestins, de la vessie et DES EXHUMATIONS JDRIDIQUES. 355 même du foie, de la rate, des reins et de la matrice chez les femmes : tous ces viscères étaient fondus, et sou- vent il n'eivrestait absolument aucune trace; quelqfl»» fois seulement on trouvait des masses rrrégulières de la même nature que la matière grasse, de difîférens vo- lumes, depuis celui d'une noix jusqu'à deux ou trois pouces de diamètre, dans les régions du foie ou de la rate. L'extérieur de la poitrine était aplati et comprimé comme le reste des organes;.les côtes, luxées sporitù* nément dans leurs articulations avec les vertèbres, étaient affaissées et couchées sur la colonne dorsale; leur partie arquée ne laissait entre elles et les vertèbres qu'un petit espace de chaque côté, bien différent des cavités thoraciques, par l'étendue et par la forme. On n'y retrouvait point distinctement la plèvre;'le médias- tin, les gros vaisseaux, la trachée-artère, ni même les poumons'et lecteur : ces viscères étaient souvent entiè- rement fondus, et la plus grande partie avait presque disparu ; on ne voyait à leur place que (jùëlijûes gru- meaux de matière grasse; cette matière étant le produit de la> décomposition de viscères chargés de sang et dé diverses espèces d'humeurs, différait de celle de la sur- face du corps et des os longs, en ce qu'elle avait toU* jours une couleur plus ou moins rouge ow brUnei Quelquefois on trouvait dans la poitrine une massé irrégulièrement arrondie, de même nature que les pré* cédentes, et qui paraissait appartenir à la graisse et au tissu fibreux du cœur : apparemment que chez les su- jets chez lesquels cela s'observait, le cœur avait été pfi- 23. 356 TRAITÉ mitivement chargé de graisse. Dans d'autres circons- tances^ il y avait, dans un des côtés du thorax, une masse de forme ovoïde, qui paraissait en avoir occupé toutes les dimensions, offrant à sa surface des empreintes très-évidentes des côtes, et qui devait être la suite d'un engorgement très-considérable de l'un des lobes du O o poumon, fortement pénétré et distendu par une con- gestion de sucs épais et lymphatiques. L'extérieur de la poitrine des femmes présentait souvent la masse glan- duleuse et adipeuse des mamelles, convertie en matière grasse, très-blanche et très-homogène. La tête était environnée de matière grasse. La face n'était plus reconnaissable dans le plus grand nombre des sujets; la bouche, désorganisée, n'offrait plus de langue ni de palais; les mâchoires, désarticulées et plus ou moins écartées, étaient environnées de plaques irrégu- Jières de gras. Quelques grumeaux de la même matière tenaient ordinairement la place des parties situées dans la bouche ; les cartilages du nez participaient à l'altéra- tion générale de la peau ; il n'y avait plus dans les orbites quequelques plaques blanchesau lieu d'yeux ; on décou- vrait encore les cils et les sourcils; les oreilles étaient également désorganisées ; 1 e cuir chevel u, changé comme les autres organes, conservait encore les cheveux. Le crâne renfermait constamment le cerveau rapetissé, noirâtre à sa surface, et changé absolument comme les autres viscères; du moins c'est'ce que l'on put obser- ver sur un grand nombre de sujets qui furent examinés avec soin. J'ai réuni, dit Thouret, une nombreuse suite de différens organes et de différentes parties sa- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 357 ponifiées; la conservation du cerveau, qui reste même dans les corps qui ne passent point au gras, après l'entière destruction des parties molles, est une circon- stance digne d'une attention toute particulière. Les parties qui, indépendamment des poils et des cheveux, avaient résisté à la saponification, étaient les ongles, qui se conservaient intacts, et les os? toutefois, cette altération avait atteint l'intérieur de ceux-ci ; la moelle, la membrane médullaire et toutes les divisions qu'elle forme jusqu'aux cellules du tissu alvéolaire-, étaient changées en gras. Certains principes colorans résistaient également à la saponification ; tels sont celui de la bile, les glandes bronchiques, lepigmeriturn de la choroïde et la partie rouge du sang. Curieux de connaître les phénomènes que présen- taient les cadavres dans les premiers temps de leur dé* composition dans les fosses communes, et par conséquent bien avant d'être transformés en gras, FourcToy inter- terrogea les fossoyeurs, qui lui apprirent les détails suivans : Les corps enterrés ne changent sensiblement de cou- leur qu'au bout de sept à huit jours. C'est dans le bas- ventre que se passe la première scène de cette altération ; l'abdomen se boursouffle et paraît être distendu par des fluides élastiques qui se dégagent dans son intérieur; ce boursoufflement a lieu plus ou moins promptement, suivant que l'abdomen est plus ou moins gros et rempli de fluides, suivant la profondeur où les corps sont enfouis, et surtout suivant la température plus ou moins. chaude de l'air. Ainsi, en réunissant toutes les circon- 358 TRAITE stances favorables à ce premier degré de la décompo- sition putride, un corps très-gras, dont le ventre est infiltré, enterré à peu de profondeur dans une saison chaude, offre ce boursoufâement du bas-ventre au boutdetrois ou quatre jours, tandis qu'un corps maigre, desséché, profondément enfoui dans une saison froide, peut rester plusieurs semaines sans présenter d'altéra- tion sensible. Les fossoyeurs ont cru remarquer qu'un temps d'orage avait une grande influence sur ce bour- soufflement du ventre ; ils assurent que cet état de l'atmosphère favorise singulièrement cette dilatation. Suivant leur témoignage et leurs expressions, le ventre bout à l'approche des orages; cette distension du ventre va, suivant eux, en augmentant,]'usqu a ce que les parois trop tendues, et ayant d'ailleurs leur tissu relâché et ramolli par la putréfaction qui les attaque, cèdent à l'effort de cette raréfaction intérieure, et se brisent avec une sorte d'explosion. Il paraît que c'est aux environs de l'anneau, et quelquefois autour du nombril, que se fait cette espèce d'éruption ; il s'écoule alors par ces ouvertures un fluide sanieux brunâtre, d'une odeur très-fétide, et il se dégage en même temps un fluide élastique très-méphitique. Les corps amoncelés les uns sur les autres "ne sont pas, comme ceux qui sont enterrés dans des fosses par- ticulières , exposés sur un sol qui puisse en absorber l'humidité. Comme ils se recouvrent les uns les autres, l'évaporation due à l'atmosphère n'a point ou presque point d'influence sur eux; en un mot, ils ne sont point exposés aux circonstances environnantes, et l'altéra- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 35.0, tion qu'ils éprouvent ne dépend que de leur propre substance. Lorsque la rupture des parois du bas-ventre est faite, la putréfaction abdominale qui en est la cause, a déjà désprganisé les viscères mous de cette cavité ; l'estomac e.t les intestins ne forment plus un tube membraneux continu. Brisées en, plusieurs points et déjjà fondues en sérosités putrides, les portions de membranes qui res- tent encore tombent et s'affaissent sur elles-mêmes; bientôt la putréfaction qui s'y est établie, et dont la marche devient de plus eu plus rapide, en. détruit et en désorganise tout-à-fait le tissu ; il n'en reste donc, quelque temps après, la rupture du bas-ventre, que quelques fragmens qui s'appliquent et se confondent avec les parois mêmes de, cette cavité, Le parenchyme du foie, plus .solide, paraît résister à cette fonte sep- tiquejla putréfaction s'y ralentit, et ne va point jusqu'à U destruction complète; l'humidité n'y est plus assez abondante pour en faciliter la décomposition totale; et telle est sans doute la cause de ces fragmens de gras que l'on trouve à la place de tous les viscères du bas- ventre. Le cliaphragme, l'œsophage, le médiastin; les vaisseaux , les membranes % et toutes les parties, molles contenues dans la cavité thoracique, se désorganisent à peu près en même temps que les viscères abdomi- naux. La rupture des fibres du diaphragme paraît, aç cQmpagner ou suivre immédiatement celle des parois du ventre\ à mesure que les. liquides du thorax s'épui- sent, les portions, sohdes du cœur et des ,pqu.m°n^ éprouvent la même, altération que la base de tous les 3ÔO TRAITÉ autres organes; mais comme le tissu pulmonaire est très-lâche et contient beaucoup de sucs, les parois des cellules qui les constituent s'affaissent et se compri- ment, de sorte que sa forme se perd bientôt, et qu'il ne reste plus de sa substance que quelques masses irré- gulières de gras. Quoique les cavités du cœur donnent aussi lieu à l'affaissement de ses parois musculaires, celles-ci étant d'un tissu plus dense, perdent moins de leur forme générale, et donnent, par leur conversion en gras, naissance à ces masses irrégulièrement arron- dies, que nous avons dit exister dans la cavité thora- cique. Le même affaissement, la même désorganisation ayant lieu avec plus ou moins d'énergie dans toutes les parties musculaires, tendineuses et ligamenteuses qui environnent les os, suivant leur mollesse et la quantité de sucs dont elles sont pénétrées, la conversion en gras s'opère successivement dans toutes ces parties; tout ce qui est membraneux et plus ou moins muqueux se détruit et disparaît : c'est pour cela qu'on ne trouve plus de traces de vaisseaux, de nerfs, d'aponévroses, au milieu des masses de gras qui recouvrent les os des extrémités. Voici du reste comment s'exprime Thouret à l'occasion de l'ordre et des principaux phénomènes de cette transmutation en gras. C'est la peau qui la première subit la saponification : d'abord son tissu fibreux subsiste; mais le corps adipeux est déjà blanc. Lorsque celui-ci est passé à cet état, il offre encore en quelques parties la couleur jaune qui lui est ordi- naire. Sous la peau et la couche de graisse déjà trans- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 361 formées, les muscles conservent encore quelque temps leur couleur. Les viscères sont long-temps aussi recon- naissables dans leurs cavités, où on les voit d'abord seulement affaissés, desséchés, et ayant perdu de leur volume. Mais bientôt ces mêmes parties subissent la conversion, et l'on voit se développer dans leur tissu la matière du gras, qui les pénètre enfin profondément. Toutes les chairs ayant éprouvé la transmutation, le tissu fibreux subsiste encore dans les masses qu'il forme, et ce n'est que lorsqu'il n'en reste plus de vestiges que la saponification est complète. Mais que deviennent les corps ainsi changés en gras, se conservent-ils sans se détruire, ou bien je décompo- sent-ils? Quelques faits semblent autoriser à croire que ces corps se décomposent par l'action des pluies, qui les réduisent à l'état de squelette. Dans plusieurs fosses communes que l'on fit creuser au cimetière des Inno- cens, on trouva quelques bières dérangées de leur po- sition horizontale par Téboulement des terres : dans plusieurs de ces bières placées obliquement, la portion inférieure des corps était réduite à l'état de squelette, tandis que la partie supérieure présentait les masses de gras ordinaires dans tous ces corps; il était aisé de juger par l'inspection qu'une cause dissolvante avait agi sur le bas de ces cadavres, sans porter son action sur les parties élevées. Cette cause ne fut pas difficile à reconnaître ; on trouva dans la partie inférieure de ces bières un fluide brun et fétide; la terre des environs était humide et pénétrée des mêmes miasmes que l'eau des bières; celles-ci d'ailleurs ne se trouvaient qu'au 362 TRAITÉ bas des fosses, et en général tous les cadavres qui oc- cupaient cette région avaient la matière, grasse, la plus molle, la plus altérée et la moins abondante. On re- connaît à ces iadices l'action de l'eau des pluies; en filtrant à travers une terre perméable, elle se rassemble dans le fond des fosses, elle baigne la partie des cadavres qui y sont situés, elle enlève, la matière grasse qui y plonge; car on verra tout à l'heure que cette matière se délaie facilement dans l'eau, Les fossoyeurs ont re- marqué qu'après de longues et fortes pluies > le dessus des fosses ou le sol qui les recouvre se creuse et s'abaisse de quelques pouces : on voit dans cette observation la preuve d'une diminution dans la masse des corps dont la matière soluble est peu à peu enlevée par l'eau et distribuée en molécules plus ténues dans la terre qui les environne, et dans laquelle on a trouvé les élémens de cette substance. La dégradation ou décomposition dont il s'agit com- mence parles cavités; on ne trouve plus dans le thorax et dans l'abdomen qu'une petite quantité de gras sous forme de débris et comme endettés : alors les os sont désarticulés, le sternum et les tégumens du ventre sont appliqués sur la colonne épinière, les côtes sont cou- chées de chaque côté, les vertèbres séparées, et l'on trouve dans les jeunes sujets les épiphyses désunies. Lu décomposition a lieu ensuite dans les chairs par la partie qui correspond au tissu cellulaire; ce gras, toujours spongieux et d'une consistance plus rars, se réduit aussi en débris ou an fragmens plus pu moins atté- nués. La peau et le corps adipeux se conservent $'une DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3°3 manière plus durable; ils offrent des plaques plus ou moins épaisses et étendues, diversement configurées, le plus ordinairement de forme circulaire, qui s'ap- pliquent sur les os longs, qu'elles enveloppent et qu'elles touchent immédiatement; elles conservent long-temps leur densité et leur blancheur, le cuir chevelu surtout. Mais ce gras lui-même se détruit à la longue, et l'on ne trouve plus enfin à la surface des os qu'une sub" stance peu abondante, ou molle comme de l'argile dé- trempée et un peu épaisse, dont elle à la couleur, ou sèche et comme friable, d'une teinte plus rembrunie. Il paraît que c'est le résidu des principes colorans et indestructibles, ou le principe terreux, peut-être, qui restent ainsi comme mêlés d'un peu de gras. De la nature et des propriétés du gras des cadavres. Composition chimique. Le gras des cadavres, considéré à tort par Fourcroy comme un composé d'ammoniaque et d'adipocire, est formé, d'après M. Chevreul, d'acide margarique, d'un acide gras et liquide qui paraît être Yoléique, d'un peu de substance arrière, d'un principe colorant orangé, qui colore l'acide liquide, d'une trace de principe odorant, d'ammoniaque, de très-petites quan" tités de chaux et de potasse, et de quelques sels; les alcalis dont nous parlons saturent en partie les acides margarique et oléique; ce dernier n'existe qu'en très- petite proportion dans le gras, surtout relativement à l'acide margarique qui y est très-abondant (i). Il est (i) Le gras des cadavres analysé par Fourcroy fournit un gros et demi de sous-phosphate de chaux par livre. 364 TRAITÉ aisé de conclure de celte analyse que le gras des ca- davres est un savon à double acide et à base ammo- niacale. Quelquefois cependant il est formé d'acides margarique et oléique combinés à la chaux ; c'est lorsque les cadavres qui le fournissent se pourrissent dans de l'eau contenant du carbonate ou du sulfate de chaux: c'est ainsi que M. Chevreul a trouvé que du gras pro- venant d'un cadavre de bélier, qui avait macéré dans l'eau de puits, était à l'état de savon calcaire. Il arrive quelquefois aussi que les parties des cadavres qui sont déposées dans la terre, se saponifient et se transforment en un véritable savon calcaire : nous avons enterré, le 4 décembre 1828, un estomac, une portion de peau avec le tissu cellulaire sous-jacent, deux testicules hu- mains et un épiploon : tous ces organes appartenaient à l'espèce humaine; chacun d'eux avait été enveloppé d'un linge et placé dans une petite boîte en bois de sapin ; ces boîtes avaient été enterrées à la profondeur de deux pieds et demi ; leur exhumation eut lieu le 3o juillet 1829, sept mois'vingt-sept jours après les avoir placées dans la terre. A la place de l'estomac on trouva environ un demi-gros de gras de cadavres, nul- lement ammoniacal, mais bien composé d'acides mar- garique et oléique et de chaux. La peau, assez humide, offrait çà et là l'apparence du gras des cadavres, et four- nissait à l'analyse un savon calcaire nullement ammo- niacal. Les testicules étaient méconnaissables et trans- formés en gras d'un blanc jaunâtre, véritable savon calcaire aussi. Enfin, l'épiploon avait conservé son aspect et sa structure dans plusieurs points, tandis que DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 365 dans d'autres il n'était plus reconnaissante, et se trou- vait changé en une masse graisseuse jaunâtre, ayant l'odeur du fromage de Roquefort, et composée d'acides gras et de chaux. Nous étions à peu près certains que la présence de ce savon calcaire, aux dépens du savon ammoniacal dans ces matières grasses, tenait à ce que les eaux plu- viales, en filtrant à travers les terres jusque dans l'in- térieur des bières, avaient dissous des sels calcaires qui avaient décomposé le savon ammoniacal et l'avaient changé en savon calcaire : cependant nous crûmes devoir nous assurer, par des expériences directes, que les choses s étaient réellement passées ainsi. i °. Nous préparâmes un savon ammoniacal avec de l'acide stéarique pur et de l'ammoniaque caustique, et nous le plongeâmes au milieu d'une dissolution de sul- falte de chaux; au bout de trois semaines, en examinant ce savon, nous le trouvâmes entièrement, changé en stéarate de chaux, et il s'était formé du sulfate d'am- moniaque. , / ' . 2°. Le 3o octobre 1829, nous renfermâmes un es- tomac vicje et bien lavé dans une boîte de plomb, enve- loppée elle-même par des planches de bois blanc; nous enterrâmes aussitôt oettè boîte à deux pieds et demi de profondeur. A côté, nous en plaçâmes une autre en bois blanc, dans laquelle nous avions également mis un estomac humain bien lavé et vide. L'exhumation de ces boîtes eut lieu le 29 mai i83o, sept mois après 1 inhumation. L'estomac contenu dans la boîte en bois blanc était transformé en savon en partie ammoniacal, 366 TRAITÉ mais surtout calcaire; tandis que celui qui était enfermé dans le plomb n'offrait aucune trace de saponification ; il était même peu altéré. Il e,st évident que, dans cette dernière expérience, la marche de la putréfaction avait été singulièrement ralentie à raison de la double enve- loppe, et surtout de la boîte de plomb ; et tout porte à croire que si le petit appareil fut resté en terre au- tant de temps qu'il était nécessaire pour changer l'es- tomac en savon, celui-ci neût pas été de nature cal- caire, mais bien ammoniacal. Propriétés du gras des cadavres. Les caractères du gras- des cadavres varient suivant l'époque de sa forma- tion et quelques autres circonstances que nous allons faire connaître. Dans les corps; nouvellement saponi- fiés; c'est-à-dire^■dans ceux qui ne sont enterrés que depuis trois à cinq ans, il est mou et très-ductile; il contient une grande quantité d'eau et est très-léger. Dans les cadavres qui sont convertis en gras «depuis trente ou quarante ans, il est plus sec et plus cassant, en plaques plus denses ; on a même vu des corps placés dans des terrains secs, dont quelques portions de la marière grasse étaient devenues transparentes;, l'aspect», le tissu grenu et >la qualité cassante de cette matière ainsi desséchée, imitent asseztiien là Cire : nous* verrons tout à' Theure, en parlant de l'action de l'air sur ce corps,quels sont les changemens que le temps lui foit éprouver. L'époque de la formation du gras influe aussi sur ses caractères; en général, touteelui qui paraîtformé depuis long-temps estilanc, égal dans tous ses points, et ne contient aucune matière étrangère, aucun reste DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 36^ de tissu fibreux; tel eist surtout celui qui appartient à la peau des "extrémité» : au contraire, quand le gras est récent, il n'est ni aussi homogène ni aussi pur que le précédent; on y trouve encore des portions de muscles, de tendons,de ligamens, dont le tissu, quoique déjà altéré et changé dans sa couleur, est encore recon- naissable ; suivant que la conversion est plus ou moins avancée, ces restes de tissu sont plus ou moins péné- trés de matière grasse, comme enchâssée entre les in- terstices des fibres. Chez quelques sujets on voit la matière grasse présenter des surfaces brillantes de la couleur de l'or et de l'argent : ou dirait qu'une couche légère de mica est étendue sur ces surfaces; dans quelques-uns imême cette propriété chatoyatite offre assez d'éclat pour mériter d'être conservée par le dessin et l'impression. On voit aussi dans plusieurs points de la matière grasse des couleurs rouges, ftrangéesel incarnates fort brillantes : ces couleurs se rencontrent surtout aux environs des os qui en sont eux-tfiêmes pénétrés» > Le gras des cadavres se ramollit par la chal&ur^t le mouvement des doigts; il fond comme une graisse lorsqu'on le chauffe au bain-marié à la température de l'ébullîtion. Distillék feu nu en vases clos,, il fournit d'abord de l'eau chargée id'ammoniaque, et au bout d'un temps assez long, une huile qui se fige dans l'al- longe; enfin v'et beaucoup plus tard, du soiis-carbonate d'ammoniaque cristallisé, qui finit par se dissoudre dans l'huile (Fourcroy); il n'est pas douteux aussi qu'il se forme dans cette opération des traces de gaz 368 TRAITÉ inflammable et de charbon, et le produit volatil odo- rant roux et acide que fournissent les acides marga- rique. et oléique que l'on distille. Chauffé avec le contact de Y air, le gras des cadavres s'enflamme et brûle rapidement; le charbon résidu est peu abondant et difficile à incinérer. Lorsqu'on expose des fragmens de gras des cadavres à Y air sec et chaud pendant l'été, ils deviennent secs et cassans, sans diminuer de volume; ils blanchissent et perdent l'odeur qui les caractérisait; leur surface finit par être friable et par se réduire presque en pous- sière sous le doigt; non-seulement le gras a perdu de l'eau par son exposition à l'air, mais il s'est encore dégagéde l'ammoniaque. F ourcroy assure ne pas avoir retiré de cet alcali, en analysant des portions de gras des cadavres qui étaient restées assez long-temps en contact avec l'air chaud, pour devenir demi-transpa- réntes après avoir été fondues, et pour avoir plusieurs des caractères extérieurs d'une vraie cire. L'action de l'air sur cette matière grasse explique, d'après ce savant célèbre, pourquoi les portions de cette matière qui se trouvaient à la partie supérieure des fosses du cime- tière des Innocens étaient sèches, tandis qu'elles étaient hUmides lorsqu'elles occupaient le fond des fosses. D'après Thouret, par son exposition à l'air humide, le gras des cadavres se couvre de moisissures très-abon- dantes qui offrent les couleurs les plus vives et les plus variées. Le gras des cadavres, délayé dans un mortier de verre avec un peu d'eau froide, s'y mêle très-facilement, DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. Z6g et forme une espèce de magma, ou pâte molle et uni- forme. En ajoutant de l'eau, la liqueur devient opaque, semblable à de l'eau de savon, et on y voit des espèces de stries brillantes et satinées. Dans cette expérience, le gras absorbe l'eau avec tant d'activité et y adhère tellement, qu'il en retient toujours une grande quan- tité , ce qui augmente singulièrement son volume; il est simplement délayé et non dissous. Cette action de l'eau froide sur le gras des cadavres vient suffisamment à l'appui de ce que nous avons établi, lorsque nous avons parlé de la manière dont les pluies agissaient sur les corps saponifiés. L'eau que l'on fait bouillir sur le gras des cadavres acquiert la consistance et la forme d'un mucilage épais de graine de lin; par le refroidissement, la liqueur se prend en une sorte de pâte ductile, qui, étant étendue d'eau froide, s'y délaye comme à l'ordi- naire, sans s'y dissoudre; car, par le filtre, on peut en séparer la matière savonneuse. Toutefois, si le gras des cadavres sur lequel on agit a été long-temps exposé à l'air sec et chaud, s'i l a perdu une grande quantité d'ammoniaque, l'eau ne le délaye plus aussi facilement que dans son état oïdinaire. L'acide hydrochlorique étendu d'eau décompose le gras des cadavres, surtout à une douce chaleur, se com- bine avec l'ammoniaque, la potasse et la chaux, avec lesquelles il forme des hydrochlorates solubles, et laisse les acides gras; la dissolution , riche surtout en hydro- chlorate d'ammoniaque, si le gras n'est pas calcaire dégage beaucoup d'alcali volatil par l'addition de la potasse. L'acide hydrochlorique, comme on voit, four- 24 3^0 TRAITÉ nit un moyen simple de connaître la nature de la base ou des bases qui entrent dans la composition de ces savons. Si, après avoir tenu en fusion pendant quelque temps le gras des cadavres ammoniacal, on y ajoute à froid de la chaux vive, il se dégage de l'ammoniaque. L'alcool froid ne dissout point ce savon; bouillant, il en dissout 90,3 parties sur 100, et il les laisse presque entièrement déposer par refroidissement. Les 9,7 par- ties non dissoutes par l'alcool bouillant sont formées d'un principe colorant jaune, d'une matière azotée, d'une matière grasse, de phosphate de chaux, de chaux, de magnésie, d'oxide de fer, d'acide lactique, et de deux sels désignés par M. Chevreul sous les noms de lactates de potasse et de soude. Origine du gras des cadavres ; circonstances qui in- fluent sur sa formation ; théorie de sa production. Le gras des cadavres ne se produit que là où il y a de la graisse et une matière azotée ; le corps gras fournit les acides margarique et oléique, et la substance animale l'ammoniaque : telle est Y origine de cette matière grasse. Les preuves de cette assertion se présentent en foule ; nous ne choisirons que les suivantes : i°. Les cadavres entiers, ou une partie d'un cadavre formant un tout fini, c'est-à-dire constituant un mem- bre, la tête ou le thorax, parties dans lesquelles on trouve de la peau, de la graisse, des muscles, etc., se changent en gras dans l'eau stagnante d'un étang ou dans l'eau peu courante des bords d'une rivière. On sait que Georges Smith Gibbes a décrit, en 1794, les DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 3~I procédés qu'il faudrait suivre pour obtenir en grand le gras des cadavres. ( Voyez son Mémoire intitulé : On the conversion of animal muscle into a substance much ressembling spermaceti, dans les Transactions philoso- phiques. ) Les muscles isolés ne fournissent qu'une pe- tite quantité de gras, et seulement lorsqu'ils sont riches en graisse. 2°. La graisse lessivée, exsangue, et isolée des parties qui contiennent de l'ammoniaque, ne se transforme pas en gras des cadavres. ( Gûntz, ouvrage cité. ) 3°. M. Gay-Lussac a fait voir que la fibrine du sang parfaitement lavée et débarrassée de graisse, ne se changeait point en gras des cadavres. 4°. M. Chevreul a fait la même observation sur les tendons d'éléphans et la chair musculaire de bœuf pri- vés de graisse et submergés pendant un an dans l'eau distillée. 5°. Après sept mois vingt-six jours d'inhumation à la profondeur de deux pieds et demi, nous avons vu de la peau, que nous avions préalablement dépouillée de tissu cellulaire, ne pas s'être transformée en gras ; elle était réduite à de petites lamelles inodores, comme tannées, brunâtres d'un côté et fauves de l'autre, difficiles à déchirer, d'une texture filamenteuse. Au contraire, la peau du même individu, encore adhé- rente au tissu cellulaire graisseux, inhumé dans le même terrain, le même jour, à la même profondeur, et dans une boîte pareille, était assez humide, offrait dans certaines parties l'aspect du gras, et fournissait à l'analyse un savon calcaire. 24. 3yd TRAITÉ Si nous examinons maintenant les circonstances qui influent sur Information du gras des cadavres dans la terre, nous verrons, i° qu'il faut à peu près trois ans de séjour dans la terre pour que les corps soient com- plètement convertis en gras, tandis que cette transfor- mation s'opère plus vite dans l'eau, tout étant égal d'ailleurs ; 2° que l'on n'a presque jamais observé cette transmutation complète dans des corps isolés ou enter- rés seuls ; que, dans ce cas, en effet, on ne trouve que quelques parties saponifiées, et encore ne sont- elles pas toujours à l'état de savon parfait ; il n'y a que les cadavres accumulés dans les fosses communes qui sont sujets à la saponification complète; 3° que parmi les corps inhumés dans des fosses communes, ceux qui sont à la partie inférieure de ces fosses parais- sent être les premiers à subir la transformation en gras; 4° que cette transmutation ne s'établit pas également bien dans les diverses espèces de terres, quoi qu'en ait dit Fourcroy. (Voyez nos expériences à la page 347-) Déjà Thouret avait annoncé qu'on ne trouvait des traces de ce phénomène que dans celles des couches de terre qui ont une couleur noire, qu'elles doivent à une grande quantité de gaz inflammable dont elles sont surchar- gées , ou bien dans les grandes fosses toujours envelop- pées et pénétrées d'une terre très-noire, qui recouvre même de plusieurs pieds les massifs des cercueils. Ce qui avait induit Fourcroy en erreur, c'est qu'il avait constaté la présence du gras des cadavres dans un grand nombre de cimetières , et toutes les fois que les corps étaient déposés en masse, et les uns à côté des DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 373 autres; mais cette observation ne prouve pas que tel terrain ne soit pas plus propre que tel autre à opérer la saponification ; 5° qu'une couche épaisse du sol est né- cessaire au-dessus des corps ; trop près de la surface , l'évaporation des gaz aurait lieu , la terre ne s'en sa- turerait pas, et n'offrirait par conséquent plus les con- ditions voulues; 6° que les corps chargés de beaucoup d'embonpoint, qui sont en même temps d'une struc- ture forte et robuste, d'un tissu compacte et solide , sont ceux qui ont le plus de propension à passer à l'é- tat gras, tandis que les corps très-secs et très-maigres se changent plus particulièrement en momies; 70 que le sexe ne paraît pas influer d'une manière sensible sur l'époque où se fait la saponification ; 8° que les jeunes sujets se transforment plus tôt en gras que les adultes et les vieillards. Il nous est impossible de déterminer, faute d'obser- vations, s'il y a des différences à raison de la position des fosses, pour le moment où la saponification com- mence dans chacune d'elles, si les corps que l'on trouve réduits à leurs ossemens ont d'abord été sa- ponifiés , ou bien s'ils ont été décomposés par un au- tre genre de destruction ; enfin si ceux qui ont été changés en gras ont seuls subi cette transmutation d'une manière simultanée ou successive. La théorie de la production du gras des cadavres dans la terre n'est pas aisée à établir, parce que nous manquons encore d'un certain nombre de données qui sont indispensables; cependant tout porte à croire que les corps entassés dans les fosses commencent à? 374 TRAITÉ se pourrir comme ceux qui sont dans des sépultures particulières ou dans l'air; mais qu'au bout d'un cer- tain temps, il arrive un autre genre de décomposi- tion , la transformation en gras. La cause de cette sa- ponification paraît tenir à ce que la terre étant trop peu abondante autour de l'immense quantité des corps contenus dans les caveaux , ne tarde pas à être satu- rée des produits volatils de la putréfaction; dès-lors elle ne hâte plus la décomposition putride par sa dis- position à recevoir les produits. Le contraire arrive- rait si les cadavres se pourrissaient dans l'air ou isolé- ment dans la terre, c'est-à-dire que, dans ce cas, les gaz ayant une libre issue dans l'air , ou pouvant être retenus par la terre, la décomposition continuerait comme elle avait commencé. Les produits gazeux de la putréfaction dans les fosses communes , d'après ce qui vient d'être dit, étant en quelque sorte réfléchis sur les parties molles, ou retenus dans leurs tissus , il se passe de nouveaux phénomènes, un nouvel ordre de décomposition. Voici comment Fourcroy explique la putréfaction des corps dans ces fosses : le carbone s'échappe en grande quantité sous la forme d'acide car- bonique , soit en réagissant sur l'eau , soit en absor- bant l'oxigène contenu dans les matières animales. Cette volatilisation du carbone avec l'oxiorène est la o cause de la perte considérable qu'éprouvent les ma- tières animales en se convertissant en gras; car ce der- nier ne fait que le dixième ou le douzième de tout le corps. L'azote , principe très-abondant dans ces sub- stances , se combine en entier à l'hydrogène, et forme DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 375 l'ammoniaque, dont une portion se dégage en vapeurs, et l'autre reste fixée dans le gras ; le résidu des ma- tières animales , privées d'une grande partie de leur carbone, de leur oxigène et de tout leur azote , se trouve contenir une proportion beaucoup plus forte d'hydrogène ; et c'est cet hydrogène carboné et légè- rement oxidé qui constitue la matière grasse (acides margarique et oléique), dont l'union avec l'ammonia- que forme le savon des cadavres. Il resterait seulement à déterminer si c'est l'oxigène contenu dans la matière animale, ou celui de l'eau faisant partie de cette ma- tière , qui a opéré la décomposition ; peut-être la pro- portion considérable d'hydrogène qui existe , soit dans l'ammoniaque formée, soit dans la matière grasse du savon, doit-elle faire penser que la décomposition de l'eau est nécessaire à cette opération. ( Fourcroy , deuxième mémoire , page 71. ) Thouret, au contraire, n'était pas éloigné d'admettre que la matière grasse du gras des cadavres (acides mar- garique et oléique) n'est pas le produit de la putré- faction , mais qu'elle existe toute formée chez l'homme pendant la vie. Après avoir indiqué qu'on retire beau- coup de blanc de baleine des cavités du cerveau de la baleine , de la bile, quelquefois du foie, du cerveau de l'homme et de tous les animaux, il dit : « Mais si cette substance existe déjà formée dans l'animal vivant, pourquoi l'attribuerait-on au mouvement de destruc- tion et de putréfaction, lorsqu'elle paraît après la mort? Si dans les corps du cimetière on a trouvé cette ma- tière réduite à 1 état de savon , et unie à une certaine 376 TRAITÉ quantité d'alcali volatil, qui ne peut être que le pro- duit d'une putréfaction avancée, cette putréfaction et la formation de l'alcali volatil n'ont-elles pas pu s'opérer seules, et la matière du gras , antérieurement existante, ne subir d'autre changement que celui de s'unir à une substance alcaline, qui, dans l'état ordinaire, n'était pas formée ? » (Mémoire cité, page 27.) Cette théorie, à laquelle on pouvait opposer tant d'objections au moment où elle fut publiée , n'est plus admissible au- jourd'hui, que l'on connaît la différence immense qui existe entre le gras des cadavres et le blanc de baleine (principalement formé de cétine), que Thouret suppo- sait à tort exister abondamment dans le corps humain. §. III. Cadavres changés en momies sèches. Le mot momie, pris dans l'acception la plus éten- due, sert à désigner toute espèce de cadavres artificiel- lement ou naturellement modifiés dans leur texture, et préservés ainsi de la putréfaction. On a désigné sous le nom de momies grasses les corps saponifiés dont il a été question dans le paragraphe précédent, tandis qu'on a appelé momies sèches ceux qui, loin d'avoir subi ce genre de transformation , ont perdu leurs fluides, et sont dans un état de dessiccation complète. Les momies sèches sont artificielles ou naturelles ; les premières ne sont autre chose que des cadavres em- baumés par un procédé quelconque : telles sont les momies égyptiennes , les momies des îles Fortunées ou DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 377 Xaxos, les momies péruviennes, etc. Les momies natu- relles , au contraire , ne sont le résultat d'aucune pré- paration : ce sont des cadavres qui, à raison de circon- stances particulières, dépendantes de la température, du terrain , etc., se sont desséchés sans se pourrir. Il ne doit être question dans cet article que des momies sèches naturelles appartenant à l'espèce humaine. Etablissons d'abord par des faits la possibilité que des cadavres humains enterrés dans des fosses com- munes se transforment en momies sèches à côté de corps qui se saponifient, et même d'autres qui se trou- vent réduits à leurs ossemens. i° Voici ce que l'on re- marqua lors des fouilles du cimetière des Innocens : dans quelques corps que l'on trouvait toujours isolés, la peau, les muscles, les tendons et les aponévroses étaient desséchés, cassans, durs, d'une couleur plus ou moins grise, et semblables aux momies de quelques caveaux où l'op a observé ce changement, comme les catacombes de Rome et le caveau des Cordeliers de Toulouse. (Fourcroy, mémoire cité.) Parmi les dif- férons corps changés en momies sèches que j'ai trou- vés au cimetière des Innocens, dit Thouret, et que je conserve au nombre de cinquante à soixante, il n'y a qu'un seul corps d'homme ; les femmes, en effet, pa- raissent avoir une propension plus grande à se changer en momies. (Rapport déjà cité, page 48.) 20 On lit dans le Recueil de pièces concernant les. exhumations faites dans l'enceinte de l'église de Saint-Eloi de la ville de Dunkerque, « que, parmi les onze cadavres qui, dans le nombre des soixante exhumés le 12 et le 13 mars , se 3y8 TRAITÉ sont trouvés en entier, il y en avait trois entièrement desséchés et semblables aux momies. Les anciens avaient plusieurs opinions sur la durée des corps enterrés. Nous avons des caveaux dans lesquels ils se conservent des siècles; tels sont ceux des Cordeliers de Toulouse, où l'on en voit plusieurs qui sont encore en entier. Ici on ne peut attribuer cette conservation au terrain et à l'exposition , puisqu'à côté des espèces de momies dont il s'agit, il se trouvait des corps tout-à-fait putré- fiés : il faut donc faire dépendre ce phénomène'de la constitution des corps mêmes, ou peut-être de l'usage long et immodéré des liqueurs fortes. » (page 4^-) Description des cadavres réduits a l'état de momie sèche naturelle. Autant les descriptions des momies ar- tificielles sont communes, autant celles des momies naturelles sont rares et peu détaillées. Nous prendrons pour guide dans ce travail le mémoire de M. de Puy- maurin fils, intitulé : Détails chimiques et observations sur la conservation des corps qui sont déposés aux ca- veaux des Cordeliers et des Jacobins de Toulouse ( voy. tome 3e des Mémoires de l'Académie de Toulouse , 1787 ), et la notice de Vicq-d'Azyr sur les corps dépo' ses dans les caveaux des Cordeliers de la même ville. (Histoire de la Société royale de médecine, année 1779.) Les corps ou momies étaient rangés debout dans l'un et dans l'autre caveau , et adossés au mur. La charpente osseuse et la peau qui les recouvre étaient parfaitement conservées, et leur permettaient de se soutenir dans cette position. Toutes les parties in- ternes de ces corps , musculeuses, tendineuses, carti- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 379 lagineuses, le foie, le poumon et tous les viscères con- tenus dans les trois grandes cavités, ressemblaient à de l'amadou et prenaient feu comme lui, mais n'avaient point la même souplesse ni la même solidité ; elles tombaient en poussière quand on les pressait entre les doigts, par l'effet de l'attaque constante des mites qui les dévoraient. Les paupières , les lèvres , les oreilles, la langue , étaient bien conservées, mais ne ressemblaient plus qu'à un cuir sec et ridé ; il en était de même de la peau qui recouvrait ces momies. Le tissu cellulaire avait cependant encore dans la plupart sa souplesse et son intégrité. Le nez et ses cloisons intérieures, les dents et les ongles étaient aussi à peu près comme dans leur premier état. Les ongles de certains corps avaient même conservé toute leur fraî- cheur. Les ligamens et les tendons résistaient au tran- chant du scalpel ; il fallait une force considérable pour les diviser. Le nerf médian supportait la dissection jus- qu'au doigt; l'artère radiale avait été poursuivie jus- qu'à la paume de la main, et sa cavité avait permis l'in- troduction d'un stylet plus gros qu'une soie de porc. Les recherches que l'on fit pour découvrir les veines furent inutiles. Le périoste était détruit en partie ; les portions qui ne l'avaient "pas été étaient desséchées et recouvraient les parties dures ; mais on l'en détachait avec un peu de patience. Les os étaient très-légers ; ils avaient la solidité ordinaire ; l'acide nitrique les atta- quait. Quelques-unes de ces momies, surtout celles du caveau des Jacobins, avaient les parties de la généra- tion bien entières et parfaitement conservées ; le seul 38o TRAITÉ scrotum existait dans les autres, mais sans nulle ap- parence de testicules. La partie dont la conservation était la plus frappante, était la face : tous les traits de la physionomie étaient conservés au point de recon- naître les personnes. Le cerveau de presque toutes ces momies était ré- duit en une poudre jaune et grossière, sans odeur ni saveur; elle ressemblait à de la sciure de bois , et pre- nait feu comme elle, mais avec quelque détonation. Le poids moyen de ces momies était de dix livres; tandis que la pesanteur moyenne des sujets vivans devait être de cent cinquante livres. Indépendamment des corps conservés dans ces deux caveaux, on en voyait encore une vingtaine rangés à la file, et placés debout dans une tribune qui est dans le porche de l'église de Saint-Nicolas. Ces corps étaient enterrés dans un terrain sablonneux. « Il est très-sin- gulier, dit M. de Puymaurin, qu'exposés au grand air depuis un grand nombre d'années, ils se soient aussi bien conservés qu'ils le sont; du reste, les cadavres maigres et peu chargés d'humeurs sont surtout ceux qui restent sans s'altérer ; le sable absorbe leurs parties humides, tandis que la chaleur du soleil opère une prompte dessiccation. » (V. page i3i.) Voici maintenant les observations faites par Vicq- d'Azyr sur plusieurs membres des momies de Saint- Nicolas qu'il a disséqués avec soin. Lorsqu'on enlevait la peau desséchée, comme tannée et noirâtre, de ces corps, on trouvait dans les endroits où le tissu cellu- laire était le plus lâche, quelques dépouilles d'in- DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 381 sectes ; partout ailleurs on n'en rencontrait point ; tout y était affaissé, mais plein et comme collé à l'os. On voyait sous la peau deux espèces de substances dif- férentes : l'une présentait des plaques minces, coton- neuses, jaunâtres , irrégulières; l'autre était composée de fibres parallèles et semblables à celles que l'on aper- çoit dans les écorces des arbres desséchés. Parmi ces der- nières, on en remarquait aux condyles de l'humérus, dans lesquelles la forme blanche tendineuse était très- reconnaissable. Les fibres que l'on trouvait ainsi sous la peau se ployaient cependant sans se rompre, et brûlaient à la manière des poils et des cheveux, lors- qu'on les exposait à la flamme d'une bougie. Mais ce qui fixa surtout l'attention de Vicq-d'Azyr, ce fut le tendon du muscle biceps, dans lequel les trousseaux de fibres ligamenteuses et parallèles étaient très-dis- tincts; elles opposaient même beaucoup de résistance lorsqu'on voulait les couper avec des ciseaux. Causes de la momification naturelle des cadavres humains. Il est difficile de ne pas admettre que les ca- davres de certains individus se momifient par des causes qui nous sont encore inconnues, et qui pour- raient bien dépendre jusqu'à un certain point de la constitution de ces mêmes individus ; comment expli- quer en effet ces momifications sèches, observées à Dunkerque et dans le cimetière des Innocens, à Paris, à côté de cadavres qui subissaient des transformations d'un genre tout différent, et sous des influences pro- pres à développer la saponification , ou à réduire les corps en squelettes? Mais si, dans quelques circon- 382 TRAITÉ stances, nous ne pouvons pas apprécier les causes qui opèrent la momification sèche des corps, sou- vent nous pouvons l'attribuer , sans crainte de nous tromper, à la nature du terrain et à la chaleur de l'at- mosphère : ne sait-on pas que des caravanes entières enterrées dans les sables brûlans de l'Arabie s'y sont complètement desséchées ? Chardin ne nous parle-t-il pas de la conservation et de la momification sèche de certains cadavres dans les sables du Corassan (Perse), où ils sont ensevelis depuis deux mille ans ? Combien ne pourrions-nous pas citer encore de faits a l'appui de cette manière de voir ? Quoi qu'il en soit, nous sommes loin de regarder l'excès de froid comme une cause de momification ; nul doute que les corps ne se conservent au milieu des glaces , mais ils n'éprouvent alors aucune altération ; tandis que, pendant leur transformation en momies, ils sont pour le moins desséchés : que l'on vienne à re- tirer des glaces du Kamtschatka les cadavres des pois- sons qui y sont restés plongés pendant plusieurs mois, on verra qu'ils ne seront pas pourris ; mais à peine se- ront-ils en contact avec l'air, à la température de io° à i5° -j- o°, la putréfaction se développera et par- courra la marche ordinaire. La momification des cadavres dans les caveaux de Toulouse peut-elle être expliquée par la nature du sol et par la chaleur de l'atmosphère, ou bien dépend- elle de quelque autre cause ? Avant de chercher à ré- soudre cette question , établissons, i° que le caveau des Cordeliers était une petite chapelle souterraine , DES EXHUMATIONS JURIDIQUES. 383 de la forme à peu près d'un ovale allongé, longue de dix-huit pieds, large de douze et haute de six et demi; que l'on y descendait par un escalier très-étroit qui avait quinze marches, et qui n'avait d'autre ouverture que celle de cet escalier; 20 que les cadavres de tout sexe et de tout âge qui étaient conservés dans ce ca- veau , avaient été retirés de quelques tombeaux de l'église et du cloître , qui ont seuls le privilège de les garantir de la dissolution ordinaire : en effet, à l'ou- verture de ces tombeaux on trouvait les corps entiers, on les portait au clocher, on les y laissait quelque temps , et quand ils étaient parfaitement desséchés, on les déposait dans le caveau des Cordeliers; 3° que les cadavres des Cordeliers, que l'on ensevelissait dans un caveau qui n'était destiné que pour eux, n'avaient pas l'avantage de se conserver entiers ; ces cadavres étaient simplement enterrés dans des fosses creusées dans la terre nue, et étaient recouverts ensuite de la terre qui en avait été tirée; 4° que le caveau des Ja- cobins était moins enfoncé que celui des Cordeliers ; il était ovale , aussi long que le précédent , mais il avait quatre pieds de plus de large et trois pieds de plus de hauteur ; il était mieux éclairé et mieux aéré que le précédent ; 5° qu'il ne renfermait que les corps des religieux de la maison , les seuls de tous ceux qu'on enterrait dans le cloître ou dans l'église qui ne fussent pas détruits. Ces religieux étaient enterrés dans des tombes en briques et en pierre de taille, ma- çonnées à chaux et à sable, et tous n'étaient pas éga- lement bien conservés, ce qui paraissait tenir à la 384 TRAITÉ constitution des individus , aux maladies auxquelles ils avaient succombé, etc.; 6° que les corps des indi- vidus enterrés dans des tombes ordinaires ne se con- servaient pas dans l'église ni dans le cloître des Ja- cobins. Il paraîtrait, d'après ce qui précède, que la momi- fication sèche observée à Toulouse pourrait très-bien reconnaître pour une des principales causes l'inhu- mation dans des tombes hermétiquement fermées, puis- qu'on ne l'a jamais remarquée dans les corps enterrés dans la terre nue. On avait été tenté d'abord d'attribuer la conservation des cadavres exhumés et portés au ca- veau des Cordeliers, à ce que la chaux qui avait servi à la construction de l'église où ils étaient primitivement inhumés, avait été éteinte sur les terrains où les tom- beaux étaient placés, et qu'elle y avait séjourné long- temps ; mais alors pourquoi l'église et le cloître des Jacobins, qui ne conservaient point les cadavres, comme nous l'avons déjà dit, et sur lesquels la chaux avait été également éteinte, se comportaient-ils autre- ment ? Quoi qu'il en soit,M. dePuymaurin n'est pas éloigné d'admettre que la putréfaction avait été suspendue, et la dessiccation opérée dans les tombes hermétiquement fermées, parce que la masse d'air pur qui y était con- tenue ne pouvant pas se renouveler, était bientôt viciée, et le corps se trouvait enveloppé d'une atmos- phère en quelque sorte conservatrice. « Si on met de la braise dans un four dont la bouche soit close, dit- il , l'air pur y étant bientôt absorbé, il ne reste plus DBS EXHUMATIONS JURIDIQUES. 385 que le méphitique ; les lumières s'y éteignent, l'huile de tartre s'y cristallise, la braise cesse alors de se détruire et redevient un charbon ordinaire » ( page i3o). FIN DU TOME PREMIER. ERRATA DU TOME PREMIER Page 3i5 , ligne ire, au lieu de n'est pas, lisez est rarement. Page 3i