SUR LES BAINS ET DOUCHES DE GAZ carbonique; EXTRAIT D’UN MÉMOIRE LU A L’ACADÉMIE DES SCIENCES DE L'INSTITUT, (Comptes rendus des séances des 26 mars, 30 aviil et 14 mai 185 ).) Par Iff- le db JT Cl». Ilerpin (de Metz ), LAURÉAT DE L’iNSTITUT ; .MEMBRE DU CONSEIL DE LA SOCIÉTÉ D’ENCOURAGEMENT POUR l/lNDUSTRlE NATIONALE , ETC. Dans le cours de mes visiles aux établissements ther- maux de l’Allemagne, j’ai eu, plusieurs fois, l’occasion d’étudier les effets d’une médication fort intéressante en- core inconnue en France ; je veux parler des bains et dou- ches de gaz acide carbonique. Il existe, depuis plusieurs années, en Allemagne, aux principales sources carbo-gazeuses, des établissements où l’on administre le gaz acide carbonique soit en bains gé- néraux ou partiels, soit sous la forme de douches ou d’in- jections, soit enfin par voie de déglutition ou d’inhalation. Plusieurs faits particuliers avaient, depuis longtemps, attiré l’attention des médecins allemands sur les propriétés médicamenteuses du gaz acide carbonique, lorsqu’une guérison tout à fait extraordinaire, presque miraculeuse, opérée par ce moyen, vint mettre en grande vogue ce nou- vel agent thérapeutique. Le docteur Struve, savant distingué, prenait les eaux à Marienbad (Bohême), pour une affection lymphatique très- douloureuse, qu’il avait à la cuisse et a la jambe gauches. Il ne pouvait marcher depuis plusieurs années sans le se- cours de béquilles; les glandes et les-vaisseaux lympha- tiques de la jambe étaient durs et enflammés. Le malade 2 souffrait, en outre, d'un engorgement du foie et d’hémor- roïdes. Le docteur Struve eut un jour l’idée d’exposer sa jambe malade à l’action d’un courant de gaz carbonique qui se dégageait d’une des sources de Marienbad et formait une couche de plusieurs décimètres d’épaisseur à la surface du liquide. Appuyé sur un bâton, soutenu par son domes- tique, il parvint à se traîner, avec beaucoup de peine et en éprouvant de vives douleurs, jusqu'à la source. Assis sur le bord du bassin, il laissa pendre sa jambe dans la cou- che de gaz; il éprouva d’abord un fourmillement et une chaleur agréable qui alla en augmentant, au point de dé- terminer une abondante transpiration du membre malade. Lorsqu’il retira son pied du bain de gaz, il fut tout sur- pris de ne plus ressentir aucune douleur, et même de pouvoir marcher sans le secours de ses béquilles et de son domestique; il courut annoncer lui-même à ses amis l’heureuse nouvelle de cette guérison inespérée. Le ma- lade continua pendant quelque temps l’usage des bains locaux de gaz acide carbonique, et il partit guéri de Ma- rienbad. Il a joui, depuis cette époque, d’une santé excel- lente , sans éprouver de rechute ni de renouvellement de ses douleurs. Le docteur Struve a publié lui-même la relation détail- lée de sa maladie et de sa guérison. Aujourd’hui il y a, en Allemagne, notamment à Ma- rienbad, Carlsbad, Kissingen, Eger, Nauheim, Canstadt, Meinberg, Cronthal, etc., des établissements spéciaux très-remarquables pour les bains, les douches et même l’inhalation du gaz carbonique. On emploie le gaz carbonique tantôt pur, tantôt mélangé en proportions plus ou moins considérables avec de l’air atmosphérique ou du gaz sulfhydrique, à l’état sec ou hu- mide, avec de la vapeur d’eaux minérales, etc. Les appareils dont on se sert pour l’administration des bains de gaz sont analogues à ceux que l’on emploie pour 3 les bains de vapeur ou sulfureux, pour les bains locaux, les douches de vapeur, etc. On prend même des bains en com- mun dans un bassin ouvert, de 1 mètre environ de profon- deur, creusé dans le sol, et formant un salon élégamment décoré. La tête est élevée au-dessus de la couche de gaz. La susceptibilité ou la faculté de recevoir l’impression particulière produite par le gaz carbonique varie suivant les sujets. Pour les uns, quelques minutes suffisent; pour d’autres, il faut une demi-heure ou même une heure. Les personnes à peau blanche et délicate, à chair molle ou d’une constitution lymphatique, ressentent très-prompte- ment les effets du gaz. La première impression que l’on éprouve, en pénétrant dans la couche de gaz carbonique, est une sensation de chaleur douce et agréable, analogue à celle que produi- rait un vêtement de laine line ou de la ouate ; à cette sen- sation de chaleur succède un picotement, un fourmille- ment particulier et, plus tard, une sorte d’ardeur que l’on a comparée à celle qui est produite par un sinapisme com- mençant à tirer ou à mordre sur la peau (1). Les dou- (1) Dans une noie lue à l’Académie des sciences au sujet de la présentation que j'ai faite à l’Institut de mon mémoire sur les bains de gaz carbonique, l'honorable M. Boussingault rapporte que, dans ses voj âges aux Cordilières, il a eu l’occasion de pé- nétrer, à plusieurs reprises, dans des cavernes et des mines où se dégage une graude quantité d’acide carbonique; qu’il a ( prouvé là une sensation extraordinaire de chaleur, qu’il éva- luait à 45° centig , tandis que le thermomètre accusait seule- ment une température de-j- 19°, mais « qu’il n’a point ressenti l'ardeur que M. Ilerpin compare à celle qui accompagne les désagréables commencements d’un sinapisme. » J’aurais bien involontairement exagéré les effets des bains de gaz carbonique, si l’on pouvait inférer de mes expressions, ainsi que le paraîtrait croire le savant M. Boussingault, que j’attribue au gazearbonique une action analogue ou semblable à celle d’un sinapisme. Entre les premiers effets de l’application de ce mê- 4 leurs anciennes, spécialement celles des vieilles blessures, se réveillent, la peau devient rouge; il s’établit à la sur- face des parties du corps, exposées à l’action du gaz, une transpiration abondante qui présente les caractères chi- miques de l’acidité ; la sécrétion urinaire est considérable- ment augmentée. La sensation de chaleur et la transpira- tion continuent pendant plusieurs heures après que l’on est sorti du bain. Dans les premiers instants qui suivent l’immersion du corps dans la couche gazeuse, les mouvements du cœur ne sont que faiblement accélérés; mais, lorsque la durée du bain se prolonge, alors arrive la surexcitation; le pouls est plein, vif et accéléré, la chaleur devient brûlante, il y a turgescence et rubéfaction de la peau , céphalalgie, op- pression de la poitrine, etc. Prolongé pendant trop long- temps (plusieurs heures), le bain de gaz carbonique dé- termine un état de stupeur, comme de paralysie, le sang veineux prend une couleur noirâtre, etc. Mais lorsqu’on a pris dans les conditions convenables un bain de gaz carbonique, on se sent plus léger, plus dispos et plus éveillé pendant quelques heures. Il est ar- rivé plusieurs fois que des malades qui avaient eu beau- coup de peine à se rendre de leur logis jusqu’à l’établis- sement des bains ont pu, après avoir pris un bain de gaz carbonique, faire de longues courses en sortant du bain, et môme gravir des montagnes escarpées. Le gaz carbonique est absorbé par la peau; il agit éner- giquement sur les systèmes vasculaire et nerveux (1); il dicament, lorsqu'il commence seulement à agir sur la peau, et ceux du sinapisme proprement dit, qui sont caractérisés par une irritation très-vive, une rubéfaction intense, quelquefois même par la vésication , il y a une très-grande différence qu'il importe de ne pas confondre. (1) M. le docteur Bode m'a raconté l'histoire fort intéres- sante de la guérison obtenue au moyen de bains de gaz carbo- nique, à Nauhcim, près de Francfort-sur-le-Mcin, d’un homme agit assez souvent aussi comme excitant spécifique, comme aphrodisiaque; il rappelle promptement la chaleur et la transpiration à la peau ; il agit d’une manière très-efficace contre les diverses maladies qui ont pour cause la sup- pression ou les dérangements de la transpiration ; il rap- pelle aussi les flux sanguins veineux habituels qui ont été accidentellement supprimés, spécialement les hémor- roïdes, et surtout la menstruation qu’il rend plus abon- dante et dont il fait avancer les époques ; et, pour celte rai- son, il a souvent produit de très-bons effets dans certains cas de stérilité, par suite de l’atonie de l’organe utérin. Dans ces diverses circonstances, l’emploi du gaz carbo- nique devient une ressource très-précieuse , en ce qu’il dispense d’avoir recours à des médicaments internes irri- tants et souvent même dangereux. Enfin, par ses propriétés antiseptiques, le gaz carbonique assainit et améliore les plaies et les suppurations de mauvaise nature, tant à l’in- térieur qu’à l’extérieur. Les douches de gaz carbonique sont employées avec succès contre l’affaiblissement de la vue (1), certaines ma- 5 d’uu certain âge, dont les mains étaient si froides et si engour- dies tous les matins, qu’il était obligé de les faire frictionner pendant plus d’une heure avaut de pouvoir s’eu servir pour s’habiller. Après les premiers bains de gaz, les mains commencèrent à se réchauffer; au bout de quelque temps, elles restaient chau- des et flexibles pendant une heure après le bain; enfin elles pu- rent conserver leur chaleur. Après quelques semaines de trai- tement, le malade fut en état d’écrire, ce qu’il n’avait pu faire depuis plusieurs années, et sa plus grande joie fut de pouvoir écrire lui-même à sa famille l’heureuse nouvelle de sa guérison. (1) M. Boussingault rapporte que les ouvriers employés dans les mines des Cordilières finissent pur éprouver « un affaiblisse- ment des organes de la vue, qui, chez quelques-uns, va jusqu’il la cécité; » or c’est précisément contre l'affaiblissement de la vue que l’on fait grand usage, en Allemagne, des douches de gaz 6 ladies des yeux, des oreilles, les écoulements purulents, la débilité de certains organes, etc. Très-souvent, les malades atteints de douleurs névral- giques, de maux de dents, d’oreilles, de crampes, etc., éprouvent, en entrant dans le bain de gaz, ou par la sim- ple application de la douche gazeuse, un soulagement instantané, une diminution ou une cessation immédiate et surprenante de la douleur. Suivant le témoignage de Hufeland, médecin très-dis- tingué de l’Allemagne, l’inhalation d’une petite quantité de gaz carbonique, mélangé à l’air avec de la vapeurd’eau, produirait des résultats souvent fort heureuxdans certaines affections des organes de la respiration, et même dans des cas d’ulcérations bien constatées du poumon, de l’es- tomac; il a calmé la toux, facilité l’expectoration, etc. (1). « Mais ce n’est pas seulement, ajoute ce savant prati- cien , dans les cas d’ulcération du poumon que l’acide carbonique est l’un des médicaments les plus efficaces; il l’est encore dans tous les cas de suppuration des organes carbonique appliquées sur les yeux. L’action du gaz carbonique appliqué sur l'organe de la vision est si pénétrante, la cuissou ou la sensation de brûlure qu’il y produit sont si vives, que l’on peut supporter à peine pendant quelques secondes la douche ou le jet de gaz ; il faut suspendre très-souvent l’opération. Ces faits prouvent toute la puissance et l’énergie de cet agent médi- camenteux; mais on ne peut pas conclure de l'action qu’exerce ce gaz, dans l’état de santé, sur des ouvriers qui restent conti- nuellement exposés à cette pénible impression, contre les effets salutaires que peut avoir l’emploi du gaz carbonique dans les cas de maladie des organes de la vision. (1) MM. Osann et Yogel rapportent dans leurs ouvrages une observation relative à un célèbre chanteur de l’Opéra de Vienne, qui, ayant perdu la force et l’étendue de sa voix par suite d une maladie inflammatoire des organes de la respiration , fut com- plètement rétabli par l’inhalation d’air chargé de gaz carbo- nique, dans l’établissement d’Eger-Franzensbad Bohème). 7 intérieurs, du foie, des reins, des intestins, du mésen- tère, etc. Le gaz carbonique corrige et améliore la nature du pus et en diminue la quantité, il en favorise la sortie, nettoie et assainit l’ulcère; il possède en même temps la propriété particulière très-importante d’améliorer 1 en- semble de la constitution, lorsqu’elle a été viciée par la résorption de matières purulentes dans le sang ; de dimi- nuer l’excitation fébrile du système vasculaire ainsi que la fièvre lente qui en sont la suite, et, par conséquent, de prévenir la disposition à l’infection putride produite par cette cause. » (Hufeland, Examen pratique des eaux minérales de VAllemagne, page 256.) L’administration du gaz carbonique est facile, commode et même agréable pour les malades ; elle n’exige point de préparatifs particuliers. On peut prendre ces bains tout habillé, car le gaz traverse facilement les habits, pé- nètre les chaussures et même les bottes. Ainsi qu’il est arrivé pour l’antimoine, pour l’émétique, pour la vaccine et pour l’éthérisation , les effets thérapeu- tiques du gaz ont été exaltés et exagérés par les uns, niés ou dépréciés par les autres; mais, quoique cet agent mé- dicamenteux ne doive pas assurément être considéré comme une panacée universelle, il produit néanmoins sui l’économie des effets très-remarquables et incontestables que nous avons nous-même observés, vérifiés, éprouvés en partie, et qui nous ont paru assez importants pour mé- riter de fixer d’une manière sérieuse l’attention des mé- decins français sur cette nouvelle médication, dont nos voisins d’outre-Rhin tirent un parti très-avantageux, et dont il serait convenable, au moins, de faire une étude plus approfondie que je n’ai pu le faire dans de simples excursions. Jusqu’à présent, il n’existe point en France d établisse- ments de bains de gaz carbonique; néanmoins, nous pos- sédons un grand nombre de sources minérales, desquelles ce gaz s’échappe en abondance. Celles de Clermont, Royat, Saint-,Mart, de Saint-Pardoux, de Vichy, de Cusset, du Mont-Dore, de Saint-Nectaire, Châtèlguyon, Chàteldon, Desaignes (Ardèche), Saint-Galmier, Camarès, Saint- Alhan, Hanterive, de Vais, de Soultzmatt, de Soultzhach et beaucoup d’autres fourniraient, sans doute, des quan- tités de gaz carbonique suffisantes pour former des établis- sements de bains et douches de ce gaz. On pourrait même le préparer artificiellement. Ce serait une addition avan- tageuse et profitable pour nos thermes, en même temps qu’un moyen de plus, et une ressource très-précieuse pour l’art de guérir. Je m’estimerais heureux d’avoir pu doter notre pays de cette utile importation. 8 ÉTUDES MÉDICALES, SCIENTIFIQUES ET STATISTIQUES SUR LES PRINCIPALES SOURCES D’EAUX MINERALES de France, d’Angleterre et d’Allemagne; PAR M. LE nr J. CH. HERPIN. 1 volume grand in-18, avec tableaux. Prix, 3 fr. A PARIS, CHEZ •I. II. Baillière, Boiicliard-llnr.arcl, I l.ahé, Victor Basson, ‘ LIBRAIRES, [près l’Ecole de médecine. Ml l'R ni. DK >!>»<■ vc BOl CI1.VRD-HUZAIID, R. DE l'épekov 5. Ji:l\ 1855.