DEUX OBSERVATIONS DE MYRINGITE (DU TYMPAN) SUIVIES DE SYMPTOMES SIMULANT UNE AFFECTION GRAVE DES MÉNINGES l’une produite par la compression de la membrane du tympan PAR UN ÉPANCHEMENT DE MATIÈRES DANS LA CAISSE; L’AUTRE PAR L’INFLAMMATION DE CETTE MEMBRANE VÉGÉTATIONS A SA SURFACE EXTERNE*^ Par le Dr BONNAFONT Médecin principal de première classe des armées en retraite Ex-chirurgien en chef de l’hôpital militaire du Roule Membre correspondant des Académies de médecine de Paris, de Madrid, etc. Officier de l’ordre de la Légion d’honneur Commandeur de l’ordre de N.-D. de la Guadalupe, etc. EXTRAIT De l’Unios Médicale (3? série) du i3 Avril 1872 DEUX OBSERVATIONS DE MYRINGITE (DU TYMPAN) Dans le mémoire que j’ai lu à l’Académie des sciences, séance du 22 août 1869, je disais que, sons l’influence de l’inflammation aiguë de la membrane du tympan (myringitis), ou par la simple pression de cette membrane, soit que cette pression fût occasionnée par la présence d’une induration cérumineuse au fond du conduit auditif externe (comme chez le confrère qui me fut conduit par M. le professeur Sappey), soit par l’accumulation de mucosités dans la caisse, il se produisait des symptômes qui pouvaient donner facilement le change et faire croire à une affection des méninges. Depuis la publication de ce mémoire, des faits nombreux sont venus corroborer ceux que j’avais recueillis et ajouter ainsi un nouveau témoi- gnage au rôle plus important qu'on ne le croit généralement, que joue, dans son état pathologique, cette membrane. Il importe, dans l’intérêt de la science, de la pratique médicale et des malades surtout, d’appeler tout spécialement l’attention des praticiens sur cet état patho- logique, car il ne saurait être indifférent de traiter un malade pour une affection qu’il n’a pas et de négliger celle qui existe réellement. Mais la pathologie auriculaire est encore si négligée, et la place qu’elle occupe dans renseignement si modeste, que le jeune médecin, s’il n’avait la ressource des traités spéciaux, quitterait ses études avec des notions bien superficielles des ma- ladies de l’appareil de l’audition. Disons cependant que cette étude est moins négligée, et que les travaux publiés tant en France qu’à l’étranger, témoignent d’un grand progrès et des efforts despra- ticiens qui s’y livrent plus spécialement. A propos des études spéciales, citons quel- ques passages d’un discours d’ouverture prononcé, en 1869, par le savant professeur de la clinique ophlhalmologique de la Faculté de Strasbourg, Stœber. « Les sciences médicales ont pris un tel développement qu’aucun mé- decin ne peut se tenir également au courant de toutes les branches; il en néglige nécessairement un certain nombre N’est-il pas naturel qu’un médecin qui a fait ses preuves de savoir, et qui voit par centaines des maladies que d’autres n’ob- servent que de loin en loin, acquiert une grande expérience de leur traitement? Le public ne s’y trompe pas. Il va vers celui qu'il sait s’occuper plus spécialement de telle ou telle affection et ce n’est pas seulement le public non médical qui se porte ainsi vers les hommes spéciaux, nous avons vu des chirurgiens célèbres, opposés aux spécialistes, s’adresser à Civiale et à Leroy (d’Étiolles) lorsqu’ils ont été atteints de calculs dans la vessie (1). » Citons pareillement l’opinion sur le même sujet d’un savant praticien, agrégé de la Faculté, non spécialiste celui-là, mais bien certainement un encyclopédiste des plus complets et des plus érudits : j’ai nommé M. Giraldès. Dans une leçon faite en novembre 1869, à l’hôpital des Enfants, voici comment le savant professeur s’est exprimé : « La spécialité dans l’enseignement est donc nécessaire, je dirai même indispensable; et il est malheureux pour notre instruction que, chez nous, les ten- dances officielles portent à rendre l’enseignement clinique tout encyclopédique. Aussi, tandis que l’Allemagne et l’Angleterre marchent hardiment dans la voie des spécialités, qui est celle du progrès, attirent dans leur sein les spécialistes célèbres qui leur font honneur, nous conservons encore les errements dans lesquels notre Faculté a été lancée à l’époque de sa création. Dans ces deux pays, au contraire, toutes les branches spéciales de la science médicale sont enseignées dans les éta- blissements principaux et même de troisième ordre. » Les faits que j’ai consignés dans mon premier mémoire, de même que ceux que je vais relater ici, justifient pleinement les réflexions si sages de ces deux émi- nents praticiens. Obs. I. — M. A..., médecin fort distingué d’une des principales villes du Midi, vint me consulter il y a près de quatre ans. Voici, à peu près, le récit qu’il me fit de son indisposition : « Il y a environ deux mois, à la suite d’une angine légère et d’un coryza, j’éprouvai des maux de tête assez violents, des bourdonnements à l’oreille droite qui, pendant un mois, ne m'empêchèrent pas de vaquer à mes occupations nombreuses; mais bientôt à ces symptômes (1) Tribune médicale (janvier 1872). 5 se joignirent des vertiges, des titubations qui, me faisant perdre l’équilibre, m’obligeaiei parfois à chercher un appui afin d’éviter une chute ; ces accidents qui se renouvelaient tou les trois ou quatre jours, se compliquèrent plus tard de vomissements opiniâtres suivis d’u ' malaise général indescriptible. Croyant à une affection des méninges, j’employai, pour 1 combattre, les moyens les plus énergiques; mais rien n’y fit; les accès de vertiges, d défaillance et d’étourdissement se succédèrent plus souvent et l’état général allait rapidemer en s’affaiblissant. Mais, une chose qui m’étonnait pendant ces accès, c’est que je ne perdai jamais connaissance, et que je me rendais parfaitement compte de tous les phénomènes qu j’éprouvais ; cependant, je n’étais pas sans quelque inquiétude sur mon état, lorsque je lu votre mémoire sur les phénomènes nerveux réflexes, produits par la membrane du tympar Malgré mon état de faiblesse, je suis venu à la hâte vous consulter. » Voici l’état dans lequel je trouvai mon intéressant malade : Stature élevée ; constitulio forte et robuste; visage pâle, décoloré, simulant un état anémique; pouls fort et régulier démarche incertaine et inconfiante; muqueuse pharyngienne rouge dans toute son étendur et surtout du côté de l’amygdale droite; le conduit auditif externe à l’état normal, la mon brane du tympan pâle et très-sensible au toucher ; dysécie assez prononcée de ce côté. D’après son désir, je pratiquai immédiatement le cathétérisme de la trompe, suivi d’in sufllations d’air simple; au troisième ou au quatrième coup de piston de la pompe, il éprouv un soulagement si subit qu’il en fut tout émotionné; la tête lui paraissait plus dégagée; h idées plus libres et les bourdonnements à peine sensibles. Qui avait donc pu produire un pareil changement? Tout simplement le déplacement de mucosités qui, encombrant la caisse, comprimaient la membrane du tympan. A chaqu insufflation on entendait, en effet, le bruit que faisait la colonne d’air en se frayant u passage à travers les mucosités épanchées. Le lendemain, le malade entra dans mon cabinet rayonnant de bonheur du mieux qui avait déjà été obtenu. L’opération du cathétérisme fi ainsi renouvelée tous les jours pendant sept jours, et M. A... se sentait si bien, sa démarch était devenue si assurée, les vertiges et les bourdonnements si peu sensibles, qu’il se croya déjà guéri. Je calmai un peu son illusion en lui disant que, bien que nous fussions sur 1 bonne voie de la médication, nous n’avions encore que diminué l’effet sans attaquer la caus principale du mal; mais le huitième jour, c’était un dimanche, se sentant si bien, il vouli aller avec son fils, élève en médecine fort distingué de la Faculté de Montpellier, aujoui d’hui docteur, qui l’avait accompagné, faire une promenade au bois de Boulogne. Le temp étant froid et humide, il fut pris, à sa rentrée, d’un léger mal de gorge, auquel succéda, quelques heures après, une crise pareille, mais plus légère que celles qu’il avait eues, et qi se traduisit par quelques vertiges et des vomissements. Le lundi, il garda le repos; le mard: en pratiquant le cathétérisme, je constatai que l’épanchement muqueux de la trompe et d la caisse avait sensiblement augmenté. Mais comme ces mucosités étaient très-visqueuses e que la douche d’air les déplaçait très-difficilement, j’eus l’idée de les délayer par de injections liquides et de procéder immédiatement après à leur expulsion au moyen d’un pompe aspirante et foulante. Cette opération ne peut se faire avec les sondes ordinaires, parce qu’elles ne s’engagent pa ssez profondément dans la trompe et ne ferment pas assez hermétiquement ce conduit pour ire l’aspiration ; j’ai dû, pour cela, faire faire une sonde un peu plus forte (fig. 1) qui donne assage à une autre sonde en gomme élastique plus petite, très-mince et très-flexible (fig. 2), 6 laquelle, glisssant dans l’intérieur de la première, peut s’engager aussi profondément que pos- sible dans la trompe d’Eustache et recevoir ainsi, sous l’action aspirante de la pompe, les mu- cosités des parties les plus éloignées de la trompe, et même de la caisse. — C’est ainsi qu’à 7 # chaque coup de piston, on sent le tube se remplir ainsi que le bruit que font les mucosités e s’y engageant. L’inconvénient de cette opération, c’est l’obligation où l’on est, d’ôter après deux ou troi coups de piston, la sonde pour la nettoyer et la réintroduire ; mais tout cela était bien com pensé par les avantages qui en résultaient. Au bout de quinze jours, mon confrère allait beaucoup mieux, quoique éprouvant parfoi quelques crises, mais légères et qui ne l’empêchaient pas de sortir. La conviction qu’il vena: d’acquérir sur le siège réel de son affection à laquelle l’appareil encéphalique était étrange ramena bien vile chez lui la confiance. Après un résultat si favorable, il eut été prudent e, nécessaire de continuer la même médication plus longtemgs, car, après avoir expulsé le plu possible l’épanchement muqueux de la cavité du tympan, il aurait fallu prévenir son retou par des injections liquides appropriées, mais le temps nous manqua; le malade fut obligé d\ rentrer chez lui, appelé, qu’il était, par des affaires importantes. J'en ai eu depuis des nouvelles et j’ai appris avec plaisir que, bien qu’il ne soit pas com plétement guéri, il a pu reprendre ses occupations et que tous les symptômes qui pouvaien faire craindre une affection de l’encéphale ne se sont pas reproduits. Depuis, j’ai soigné deux autres malades, mais chez lesquels les symptômes encéphalique: étaient moins prononcés. Une observation a été recueillie également chez un confrère des environs de Paris, atteint de myringite aiguë, avec des végétations sur la membrane du tym- pan. U a été curieux de suivre l’affaiblissement des vertiges au fur et à mesure de la guérisor de l’altération locale qui les produisait et enfin leur disparition lorsque la membrane du tym- pan est revenue à peu près à son état normal. Ce confrère, qui depuis quelque temps ne pouvait plus ausculter de cette oreille et qui faisait ses tournées avec une grande indécision, est complètement guéri, et ne conserve de son indisposition, qu’il croyait très-sérieuse, qu’une légère dureté de l’ouïe du côté malade. Je crois devoir borner la mes citations, ear ces deux faits, réunis à ceux que j’ai déjà publiés, méritent d’être pris en sérieuse considération. 11 y a là toute une étude sérieuse à faire, sur laquelle je crois de mon devoir d’ap- peler l’attention de mes confrères. J’ai été aussi consulté par des malades qui éprouvaient ces mêmes symptômes, et chez lesquels la membrane du tympan ne présentait rien de particulier, pas plus que l’oreille moyenne auscultée au moyen du cathétérisme des trompes.— Mais la plupart des consultants étaient rhumatisants, et je me suis demandé si l’affec- tion rhumatismale n’avait pas envahi, non pas la membrane du tympan, comme on l’a dit, mais les petits muscles de l’oreille moyenne lesquels, par leur contraction morbide, peuvent exercer une traction sur la membrane du tympan, et produire les mêmes effets que la compression de cette cloison par un corps étranger. Je n’ose encore donner à ce diagnostic un caractère bien sérieux; mais, ce qu’il y a de cer- 8 ain, c’est que bon nombre de malades sont tourmentés par des vertiges et une ncertitude dans la démarche, sans éprouver ni céphalalgie, ni la moindre pertur- bation dans les facultés intellectuelles. Ménière, dans un excellent mémoire, a, le premier je crois, appelé l’attention sur es vertiges de l’oreille, mais sans en indiquer la cause principale. Quant au siège, e pense, comme ce regretté confrère, qu’il faut l’attribuer à la pression que la nembrane du tympan exerce par l’intermédiaire des osselets sur les fluides con- enus dans les cavités séreuses de l’oreille interne, d’où les effets, suivant la direc- ion des nerfs acoustiques, sont transmis à l’encéphale. Quant à la médication à employer dans ces derniers cas, elle est aussi variée et mssi incertaine que celle que l’on emploie pour les rhumatismes en général. J'ai )bservé, cependant, que l’application sur le tympan d’un corps très-froid, du coton, )ar exemple, imbibé d’eau glacé, produisait un soulagement subit, mais momen- tané; d’autres fois, le cathétérisme des trompes avec insufflation de vapeurs de diloroforme amenait également un bon résultat; mais tous ces moyens locaux )nt besoin d’être secondés, comme on le pense bien, par une médication générale ippropriée. L’électricité à courant continu me semble devoir, dans ces cas, être aeureusement appliquée. i'AUîs. — Typographie Félix NUltestecî Ce, rue des Deux-Porles-Sainl-Sauvcur, 22.