ÉTUDE SUR LES MALADIES CHRONIQUES D’ORIGINE PUERPÉRALE ÉTUDE SUR LES MALADIES CHRONIQUES D’ORIGINE PUERPÉItALE FAR f / Le D' Auguste OLLIVIER MÉDECIN DES HÔPITAUX, AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS. Extrait des Archives générales de Médecine numéros de janvier 1873 et suivants. PARIS P. ASSELIN, successeur de BÉGHET jeune et LABÉ, Place de l’EcoIe-de-Médecine. 1873 ÉTUDE SUR LES MALADIES CHRONIQUES D’ORIGINE PUERPÉRALE L’état de grossesse amène dans la constitution de la femme des modilications organiques et fonctionnelles, et ces modifica- tions non-seulement existent dans l’utérus, mais encore reten- tissent sur la plupart des autres organes. Il en résulte que la femme enceinte se trouve soumise à des accidents aussi nombreux que variés, les uns passagers, les autres permanents. Les pre- miers disparaissent d’habitude après l’accouchement, les autres persistent et deviennent ainsi le point de départ de certaines ma * ladies chroniques. Le silence gardé sur l’influence delà grossesse par les auteurs qui ont traité de l’étiologie des maladies chroniques, m’a engagé à publier le résultat des recherches que, depuis plusieurs années, je poursuis sur ce sujet (1). (1) OUivier (Auguste). Note sur une cause peu connue des maladies organi- ques du cœur et sur la pathogénie de l’hémiplégie puerpérale in C. R. des séan- ces et mém. de la Société de Biologie, 1868, 4e série, t. V, p. 195. — Nouvelle note sur l’endocardite et l’hémiplégie puerpérales. Ibid., 1869, 5e série, t. I, p. 123. — Note sur la pathogénie de l’albuminurie puerpérale. Ibid., 1810, 3» série, t. II, p. 101. 6 Quelques-uns des faits que j’ai essayé de mettre en lumière avaient passé inaperçus; d’autres ont été mentionnés dans divers mémoires, mais sans lien aucun. Personne n’avait songé, que je sache, à les rattacher à une cause commune, à un même processus. J’ai donc cru qu’il serait utile de réunir en un seul et même groupe les principales maladies chroniques qui recon- naissent pour origine l’état puerpéral. Lorsque la femme devient mère, son organisme tout entier subit des modifications physiologiques qui sont en rapport avec la fonction nouvelle qui lui est dévolue. A mesure que le fœtus se développe, l’utérus augmente de volume; non-seulement sa cavité s’agrandit, mais ses parois deviennent plus épaisses qu’elles ne le sont à l’état normal; il n’y a pas seulement dilatation d’un organe creux, mais accroisse- ment dans l’épaisseur, dans la force, dans la résistance de ses parois : épaisseur et résistance pour contenir et renfermer le fœtus, force active pour amener, par contraction des parois, l’expulsion du fœtus au terme de la grossesse. L’épaisseur et la résistance sont données par le développement considérable du tissu conjonctif interstitiel, la force active par l’hypertrophie des fibres musculaires préexistantes et la formation de fibres nouvelles. De plus, comme on sait, il se produit dans l’épaisseur de la paroi un riche réseau vasculaire. Cette action irritative du nouvel être qui agit si puissamment sur l’utérus, s’étend plus loin encore; elle affecte, pour ainsi dire, tous les organes et modifie toutes les fonctions de la femme enceinte. Ainsi les mamelles augmentent de volume; pendant la première grossesse des vésicules glandulaires nouvelles se forment; il y a là, comme dans l’utérus, apparition d’éléments nouveaux. A la gros- sesse suivante, la mamelle augmente encore de volume, mais cette fois sans que de nouvelles vésicules se développent en elle (1). (1) Ces résultats sont dus aux travaux de C. Langer. Ueber den Bau und die Eutwickelunç der Milehdrüsen in Denkschrifften der Wiener Akademie. 1851, t. III. 7 Le cœur n’est pas indifférent à ces transformations. La surac- tivité fonctionnelle augmente, la nutrition s’accroît en même temps. Il en résulte une hypertrophie qui a été signalée pour la première fois par M. Larcher (1). Les organes respiratoires sont peut-être aussi le siège d’alté- rations, mais aucune recherche anatomique précise n’a encore été faite sur ce sujet. J’en dirai autant de l’appareil digestif, notamment de l’estomac (2). Le foie subit des modifications organiques ou fonctionnelles, qui peuvent être le point de départ d’états pathologiques graves (3). (1) Menière (P.) Observations et réflexions sur l'hémorrhagie cérébrale, con- sidérée pendant la grossesse, pendant et après l’accouchement; in Arch. gén. deméd., 1828, lre série, t. XYI, p. 489. — Ce mémoire renferme une note de Larcher, relative à l’hyperthropie du ventricule gauche chez les femmes en- ceintes (p. 521). Larcher. De l’hypertrophie normale du cœur pendant la grossesse et de son importance pathogénique; in Arch. gén. de méd., 1857, 5e série, t. XIII, p. 291 et C. R. séances et mém. de l’Acad. des sciences. 1857, t. XLIV,p.719, et 1860, t. L, p. 230. * D’après l’invitation des membres de la commission des prix de médecine de l’Institut, Zambaco a fait des recherches analogues sur des femmes mortes en couches, et sur d’autres qui n’étaient point en gestation, et il a également noté pour les premières l’augmentation de volume du ventricule gauche. Béraud, qui a fait la même vérification, est arrivé au même résultat à la Maternité. De plus, il a noté que cet excès de volume ne s’observait pas seulement alors dans le cœur, mais qu’on le retrouvait dans d’autres organes comme les glandes lym- phatiques et la rate. Enfin, Blot, procédant d’une autre manière, s’est borné à peser comparativement les cœurs vides de sang et a noté un excès de pesanteur chez celui des femmes en gestation. Le fait anatomique semble donc bien établi : l’hypertrophie conviderait avec l’augmentation de volume de l’utérus, et le re- tour des deux organes à leurs dimensions physiologiques aurait lieu simultané- ment. » (Joulin. Traité complet d’accouchements, 1866, p. 383,. Guéniot (Alexandre). Des vomissements incoercibles pendant la gros- sesse. Thèse d’agrégation. Paris, 1863, p. 43. (3) Dès 1803, Laënnec signalait l’altération graisseuse du foie chez les femmes enceintes. Voici ce qu’il dit à propos de l’autopsie d’une femme morte de péritonite puerpérale : «Le foie, d’un volume considérable, refoulait en haut le diaphragme ; son parenchyme se déchirait très-facilement, grais- sait fortement le scalpel et avait extérieurement et intérieurement une couleur d’un jaune d’ocre pâle, mêlée de points blancs, ce qui lui donnait l’aspect de certains granits. Les moyens chimiques y démontraient la présence d’une très- grande quantité de graisse. » In Journal de médecine, chirurgie, pharmacie, vendémiaire, an XI, p. 22. Mais il est à remarquer que l’illustre anatomo-patho- Les reins n’échappent pas non plus à ces modifications : ils sont fréquemment congestionnés, et l’albuminurie peut survenir comme un des termes extrêmes de cette congestion. 11 n’est pas rare de voir, pendant la gressesse, le corps thy- roïde augmenter de volume, subir une véritable hypertrophie, et constituer ainsi une espèce particulière de goitre, le goitre des femmes enceintes. Le retentissement de l’évolution fœtale sur l’organisme at- teint aussi le système nerveux; et si nous ne pouvons connaître la lésion anatomique, point de départ de ces troubles si graves, — manie, paralysies, névralgies, etc. — qu’on observe au cours de la grossesse, on ne saurait en nier l’origine puerpérale. La peau elle-même est le siège de troubles de nutrition; en différents points, les cellules du corps de Malpighi se remplis- sent de pigment, et ainsi se forme l’aréole brune du mamelon, la traînée brunâtre de la ligne médiane de l’abdomen, et les ta- ches du visage qui forment le masque de la grossesse. Enfin, il n’est pas jusqu’au système osseux qui ne puisse de- venir le siège de modifications plus ou moins importantes. Il suffit de rappeler l’ostéomalacie, les ostéophvtes, ces singulières productions de tissu osseux nouveau, etc. 8 II. Cumme on le voit, les modifications anatomiques et physiolo- giques — troubles de circulation et de nutrition — que subis- logiste n’osait décider si c’est à la grossesse elle-même ou bieu à l'inflammation du péritoine qu’il faut rapporter l’altération du foie. En 1856, M. Tarnier communiqua k la Société de Biologie une importante note sur l’état graisseux du foie dans la fièvre puerpérale (C. R.des séances etmém. de la Soc. de Biol., 1856, 2e série, t. III, p. 209). Dans sa dissertation inaugurale soutenue l’année suivante, le même auteur s’exprime ainsi : « Tout d’abord, j’ai pensé que cette altération graisseuse était un état pathologique, résultat de la fièvre puerpérale, plus tard j’ai vu que c’était un état anatomique transitoire qu’on retrouvait chez les femmes grosses.» (De la fièvre puerp., Paris,1857, p. 18). Consulter encore : Blot. C. R. des séances et mém. de la Soc. de Biol.. 1856, 2° série, t. III, p. 213. Cornil et Ranvier. Manuel d’histologie pathologique. 1869, p. 53. Ranvier. C. R. des séances et mém. de la Soc. de Biologie, 5e série, t. IV. 9 sent les divers organes, sous l’influence de la grossesse, sont extrêmement nombreuses. Tantôt ces modifications ne dépassent pas certaines limites, et alors elles disparaissent le plus habituellement après l'accou- chement. Tantôt elles sont portées à un plus haut degré et donnent lieu à des accidents aigus, quelquefois même mortels. Tantôt enfin, quel qu’ait été leur mode d’apparition, aigu ou subaigu, elles peuvent ne pas disparaître et continuer à évoluer lentement, progressivement, en dehors de l’état puerpéral. 11 en résulte alors des lésions chroniques diverses, reconnaissant une origine commune (1). C’est l’étude de ces lésions, à sens pathogénique bien défini, qui fera l’objet du présent mémoire. Comme cette étude, prise dans son ensemble, m’entraînerait beaucoup trop loin, je choisirai, parmi les lésions chroniques d’origine puerpérale, celles qui peuvent servir de types; je veux parler des lésions chroniques du corps thyroïde, du cœur, du foie et des reins. § I. Corps thyroide. Tous les auteurs s’accordent pour dire que le goitre est plus fréquent chez la femme que chez l’homme. Cette opinion est dé- montrée par des statistiques très-probantes. En 1854, Tourdes notait cette prédominance chez la femme comme un fait général à Strasbourg (2). En Ecosse, Mitchell (3) trouvait, sur 100 per- sonnes atteintes de goitre, 80 à 90 femmes. Enlin, Laycock (4) dit (1) Il est uu autre ordre de lésions chroniques d’origine puerpérale, dont je n’ai pas à m'occuper ici. Ces lésions reconnaissent une cause purement mécani- que et sont la conséquence de la tumeur abdominale (compression des vais- seaux, tiraillements, inflammation de voisinage, etc.). Telles sont les varices, les hémorrhpïdes, les oblitérations veineuses des membres intérieurs, les phlegmasies des organes contenus dans le petit bassin. (2) Tourdes (M.-G.) Du goitre à Strasbourg, rechercnes statistiques et mé- dicales. In Gaz. mèd. de Strasbourg, 1854, t. XIV, p. 209. 3) Mitchell (Arthur). On the Nithsdale neck, or goitre mScotland, inbritish and foreign Med. chir. lier., 1862, t. XXIX, p. 504. (4) Lavcock (Tliomas). On the cause and nature of the vascnlar kind of bron- chocèle and of pulsations and palpitations termed anémié. In Edinb. Med. Journ. 1863, v. IX, p. 8. qu’il n’a vu que 26 hommes sur 551 cas de goitre, c’est-à-dire 4,7 sur 100. Ces chiffres montrent suffisamment que la femme est bien plus que l’homme prédisposée au goitre. L’étiologie du goitre est encore très-obscure, malgré les nom- breuses recherches dont elle a été l’objet. Parmi les observateurs, les uns ont voulu y voir une maladie développée sous l’influence de Pair humide et non renouvelé (Saussure, Fodéré, Bénédict); d’autres ont accusé l’usage de cer- taines eaux (eaux provenant de la fonte des neiges, eaux désoxy- génées, eaux séléniteuses), l’absorption de la magnésie dans la boisson et les aliments ou bien l’absence d’iode; enfin, on a in- voqué une influence tellurique pour certaines contrées. Mais au- cune de ces opinions n’a été appuyée, jusqu’à ce jour, sur des preuves certaines, et la cause réelle du goitre est encore à trou- ver. Ajoutons que,parmi les causes occasionnelles, on a également signalé les efforts qui amènent une turgescence du corps thyroïde. Quoi qu’il en soit, en admettant que toutes les causes que je viens d’indiquer aient une influence sur la production du goitre, l’hypertrophie du corps thyroïde serait aussi fréquente chez l’homme que chez la femme; mais nous venons de voir que tous les auteurs s’accordent à dire qu'il n’en est pas ainsi. Il doit donc y avoir quelque chose de spécial qui rende compte de la plus grande fréquence du goitre chez la femme; or cette fréquence se lie à la fonction utérine : la menstruation, la ménopause et sur- tout la grossesse influent sur la production du goitre. Cette influence de la grossesse — fait des plus importants — a été négligée par la plupart des auteurs et à peine mentionnée par quelques-uns d’entre eux. Vidal (de Cassis) la passe entièrement sous silence (1). M. Lebert, dans un long et compendieux mémoire sur les ma- ladies du corps thyroïde, publié en 1862, se contente de dire que le goitre est plus fréquent chez la femme que chez l’homme et parmi les causes de cette affection il ne cite ni la menstruation ni la ménopause, ni la gestation (2). (1) Vidal (de Cassis). Traité de pathologie externe et de médecine opératoire. 14e édit. Paris, 1855. (2) Lebert (Hermann). Die Krankheiten der Schilddrüse und ihre Behan- dlung. Breslau, 1862. Boyer (1) et Nélaton (2), après avoir indiqué la plus grande fréquence du goitre chez la femme, ne font aucune mention de l’influence de l’état puerpéral. Cependant, déjà, au siècle dernier, J. L. Petit avait entrevu cette influence sur la production du goitre quand il dit : « Il ar- rive assez souvent aux femmes, à la suite de leurs couches, qu’en conséquence des nombreux efforts qu’elles ont faits pour mettre leurs enfants au monde, la glande thyroïde se gonfle et forme une tumeur plus ou moins considérable: cette maladie arrive quelquefois aux filles qui n’ont pas encore leurs règles ou en qui cette évacuation naturelle s’établit difficilement » (3). A une époque plus rapprochée de nous, l’attention fut attirée sur le goitre des femmes enceintes par une intéressante com- munication que fit à la Société médicale des Hôpitaux, mon re- gretté maître, le professeur Natalis Guillot (4). Il s’agissait de deux cas de goitre sporadique développés chez deux femmes non scrofuleuses pendant la durée de la grossesse, sans que ni l’une ni l’autre n’eût été soumise, avant ou pendant la gestation, aux conditions regardées comme nécessaires à la production d’une semblable maladie. Ces deux femmes succombèrent par suite du développement des organes hypertrophiés, et M. Guillot put faire l’étude anatomique de l’une d’elles. Il constata « une hypertro- phie des éléments fibreux e!; granuleux qui constituent la glande thyroïde. » « J’aurais peut-être dû — dit-il en terminant son travail — me contenter de présenter à la Société les deux observations de goitre sporadique que je viens de lire ; leur rareté, la gravité des effets produits peuvent les rendre intéressantes; mais, conduit par ha- bitude à chercher le rapport mutuel des phénomènes patholo- (1) Boyer (A.-L.). Traité des maladies chirurgicales et des opinions qui leur conviennent. 5°édition, t. VII, p. 61. (2) Nélaton. Eléments de pathologie chirurgicale, 1854, t. III, p. 366. (S"1 J.-L. Petit. Traité des maladies chirurgicales et des opérations qui leur conviennent. Ouvrage posthume, mis au jour par M. Lesne. Nouvelle édition corrigée. Paris, 1740, t. I, p. 255. (4) Natalis Guillot. De l’hypertrophie de la glande thyroïde des femmes en- ceintes. In Actes de la Société médicale des hôpitaux, 5e fascicule, p. 470, et Arch. gén. de méd. 1850, 3' série, t. XVI, p.503. giques, à concevoir la plupart des faits de détail comme l’ex- pression d’un ensemble que le médecin doit s’efforcer de décou- vrir, j’ai tenté de rapprocher ces particularités, qui peut-être, quoiqu’elles se soient produites simultanqjnent, n’ont entre elles aucun lien appréciable. « Cette simultanéité de production, au milieu d’un état géné- ral commun, m’a frappé. C’est pour cela qu’avec beaucoup de réserve j’ai pu dire que 'peut-être l’hypertrophie du corps thy- roïde, chez la femme enceinte, était une des conséquences et un des témoignages de l’activité imprimée au système d’éléments fibreux, non pas que je croie exprimer une vérité démontrée, me permettant seulement d’énoncer une manière de voir personelle et de la soumettre à l’appréciation éclairée delà société.» Il est juste aussi de dire que les accoucheurs français ont, à plusieurs reprises, fait mention de ces sortes de goitre, qui pa- raissent avoir échappé à l’observation des accoucheurs étrangers. M. Paul Dubois en a observé un exemple à la clinique de la Faculté (1). Yoici ce que dit M. Chailly (2) sur ce sujet : « Le gonflement de la glande thyroïde survient plus souvent après l’accouchement que dans d’autres circonstances. Il paraît deux ou trois jours après la délivrance et alors un l’attribue au froid, ou bien aux efforts du travail et aux cris. » Dans les importantes additions qu’il a faites au livre de Ca- zeaux, M. Tarnier dit que l’hypertrophie du corps thyroïde, en dehors de toute influence endémique, n’est pas rare pendant la grossesse (3). Enfin, dans une thèse récemment soutenue devant la Faculté, thè>e qui est due à un ancien élève de l’Ecole de Reims, M Le- vêque (4) et qui referme un grand nombre d’observations de goitre, recueillies par lui-même ou empruntées a divers au- (1) In Natalis Guülot. Mém. cité, p. 501. (2) Chnilly (Honoré). Traité pratique de l’art des accouchements. P. :is, 1845, p. 763. (3) Cazerux. Traité théorique et pratique de l’art des accouchements. P’67, 7e édition, revue et annotée par S. Tarnier, p. 448. (4) Levêque (Paul-Louis). Des injections interstitielles iodées dans le goitre. Th. de doct. Paris, 1872. teurs (1) se trouvent sept observations (obs. 2, 9, 10, 11, 18, 19 et 29) qui sont manifestement d’origine puerpérale. La cause ressort nettement de la lecture de ces observations sans que l’auteur ait pensé tirer aucune conclusion au point de vue de la pathogénie du goitre. C’est là une lacune que je lui ai signalée lorsque j’ai eu, comme l’un des juges de cette thèse, à l'argumen- ter publiquement. Le goitre puerpéral apparaît habituellement vers le troisième ou le quatrième mois de la grossesse. Il peut revêtir dans son évolution plusieurs formes distinctes que nous retrouverons dans les maladies de même origine qu’on peut observer dans d’autres organes. I.Dans une première série de faits, le goitre,—goitre subaigu et passager — se développe lentement, et ce n’est que par exception qu’il atteint des dimensions considérables; quelquefois même il est si peu accusé qu’il passe inaperçu chez certaines femmes peu soigneuses de leur personne, et il ne devient apparent que long- temps après l’accouchement ou à une grossesse ultérieure. Il ne détermine point de douleur, et généralement la femme arrive au terme de la grossesse sans avoir éprouvé aucune gêne de la res- piration. Enfin, il n’est sujet à aucun battement et c’est ce qui le distingue essentiellement du goitre vasculaire et du goitre ex- ophthalmique. L’accouchement terminé, il diminue graduelle- ment.de volume et, après un laps de quelques semaines à plu- sieurs mois, il n’en reste plus de trace. Le fait suivant est un type de goitre passager chez une femme enceinte. Obs. r*. — R.... Marie, âgée de 20 ans, couturière, est admise le 1,r septembre 1867, à l’Hôtel-Dieu, salle Saint-Pierre, n° 14, dans le service de M. Tardieu, que je suppléais alors en qualité de médecin du Bureau central. Cette jeune femme est enceinte de huit mois et demi. (1) Morel (A.). Du goitre et du crétinisme. In Arch.gén. de méd. 1863, 6® série, t. II, p. 129. — Ibid. 1864, 6e série, t. 3, p. 173, 322 et 440. Luton (A ) Nouvelles observations d’injections de substances irritantes dans l’intimité des tissus malades. In Arch. gén. de méd. 1867, 6e série, t. X, p. 438. Bertin (de Gray). Des injections irritantes dans l’intimité des tissus. In Arch. gén. de méd. 1868, 6e série, t. II, p. 444. 14 Elle est originaire de Bourgogne et, dans sa famille, il n’existe pas de goitreux. Vers la fin du troisième mois de sa grossesse, elle s’aperçut que son cou devenait plus gros, sans être toutefois douloureux. Cette augmentation de volume ne fit que s’accuser de plus en plus, mais lentement, graduellement. Elle finit par amener un peu de gêne de la respiration, et même, depuis quelques jours, par rendre le sommeil assez difficile. Voici ce que nous constatons le 2 septembre : Les deux lobes du corps thyroïde sont hypertrophiés, mais non d’une manière uniforme. La partie supérieure du lobe droit a pris un développement considérable et déborde le bord de la mâchoire in- férieure. La partie inférieure du lobe gauche descend dans le triangle sus-claviculaire. La masse de la tumeur est allongée et dirigée de haut en bas et de droite à gauche. La circonférence du cou, prise au niveau de la pomme d'Adam, est de 44 centimètres. L’accouchement eut lieu sans accident le 8 septembre. Dès le lendemain, le cou ne mesurait plus que 41 centimètres. Aucun traitement ne fut institué. Le goitre diminua peu à peu de volume et lorsque, la malade quitta l’hôpital, le 1er novembre, le cou ne présentait plus rien d’extraordinaire, et sa circonférence n’était plus de 37 centimètres. II. Dans un seconde ordre de faits, on voit le goitre se déve- lopper très-rapidement et donner lieu à des accidents de suf- focation. On peut rapprocher de ces faits le cas suivant, rapporté par M. Tarnier et dans lequel les accidents déterminés par un goitre préexistant à la grossesse devinrent tellement menaçants qu’on fut obligé de recourir à l’accouchement prématuré. Obs. IL — En 1861, j’ai observé le fait suivant à l’hôpital des Cli- niques. Une primipare goitreuse depuis longtemps vit la tumeur du cou faire de rapides progrès pendant la grossesse. Au sixième mois, la respiration devint très-difficile et de véritables accès de suffoca- tion l’amenèrent à l’hôpital. Les accidents étaient si menaçants à la fin du huitième que je fus obligé de provoquer l’accouchement pré- maturé. Quelques heures après l’accouchement, la malade mourut dans un accès de suffocation. Mon ami, le docteur Tillaux, alors pro- secteur de la Faculté, voulut bien se charger de la dissection de la tumeur, et constata que la glande thyroïde hypertrophiée comprimait la trachée (l). (i) Tarnier. Op. cit., p. 449. Les faits de ce genre sont rares, j’ajouterai même qu’ils sont exceptionnels. Lorsque le goitre prend une marche rapide, il peut encore se terminer par la suppuration. Il s’agit alors d’une véritable thy- roïdite aiguë. La glande, après avoir présenté tous les caractères d’une affection inflammatoire, devient le siège d’un abcès de vo- lume variable, qu’on ouvre par la ponction ou l'incision. Cette forme est importante à connaître, car si on ne livre pas au pus un passage à l’extérieur, il peut arriver, au moment où Ton s’y attend le moins, de redoutables accidents. Le pus se fraye un chemin à travers la trachée, ou bien, fusant le long des gaines du cou, il pénètre dans la cavité thoracique. C’est là, du reste, un fait commun à tous les abcès du corps thyroïde, mais qu’il est bon de signaler comme pouvant arriver dans le cours de la grossesse ou après l’accouchement. III. Enlin, il est une troisième forme de goitre puerpéral : c’est la forme chronique. Tantôt la tuméfaction du corps thyroïde, sur- venue lentement au cours delà grossesse, reste stationnaire après l’accouchement ou même subit de légers accroissements à chaque nouvelle grossesse; tantôt elle succède à un goitre à marche ra- pide qui s’est arrêté dans son évolution. D’autres fois le goitre n’apparaît ou plutôt n’est reconnu que quelque temps après une grossesse. Il s’est développé d’une façon lente, progressive, in- sidieuse et sans cause appréciable. Cette forme est loin d etre rare, et souvent on méconnaît, faute d’être prévenu, son origine réelle. Je donnerai, comme exemple de goitre chronique d’origine puerpérale, l’observation suivante : Obs. III. —La nommée L.., âge de 30 ans, couturière est admise e 1er février 1871 à la Maternité de l’hôpital Cochin, salle n° 4, lit a0 33, dans le service de M. de Saint-Germain Son père est mort à la suite d’un accident, à l’âge de 33 ans. Sa mère vit encore et se porte bien ; seulement elle est d’un tempé- rament très-nerveux. Il n’y a jamais eu de goitreux dans la fa- mille. La femme L... a toujours été placée dans de bonnes conditions hy- giénique. Elle est née à Nevers et depuis quatorze ans elle habite Pa- ris dans le quartier Saint-Jacques. Mariée depuis 48S7, elle n’a ja- mais supporté de privations ni fait d'excès alcooliques. Ses antécédents pathologiques sont presque nuis. Comme sa mère, elleest très-nerveuse, mais on ne retrouve chez elle aucun des signes caractéristiques de l’hystérie proprement dite. Elle devint enceinte pour la première fois à l’âge de 18 ans. La gressesse fut régulière et l’accouchement facile. Pendant le cours de cette grossesse le corps thyroïde augmenta graduellement de volume, puis reprit ses dimensions normales quelque temps, après l’accou- chement. Seconde grossesse à l’âge de 20 ans; même augmentation de vo- lume du corps thyroïde, laquelle disparut un ou deux mois après la délivrance. Troisième grossesse à 24 ans, aussi régulière que les deux précé- dentes. Vers le quatrième mois, nouvelle tuméfaction du cou dont il n’existait plus de trace un mois environ après l’accouchement. Trois ans plus tard, deux fausses couches presque successives, l’une de trois mois, l’autre de six mois. Le corps thyroïde ne subit aucun changement de volume lors de la première de ces fausses couches; au moment de la seconde il était devenu notablement plus gros qu’à l’état normal. La tuméfaction persista pendant près de trois mois. Enfin, en juin 1870, commencement d’une sixième grossesse au quatrième mois de laquelle on vit de nouveau un goitre se dévelop- per. Survint le siège de Paris et les dures privations qui en furent la conséquence. La femme L.... fut complètement dénuée de ressources, souffrit particulièrement du 'froid. Le 26 janvier 1871, après avoir ressenti, pendant quelques jours, des fourmillements dans les doigts et les orteils, elle fut prise de contracture des extrémités. Elle ne pouvait ni se lever, ni s’habiller seule. C’est alors qu’elle se fit transporter à l’hôpital. On constata à son entrée tous les signes de la tétanie: les doigts étaient fortement contracturés surtout ceux du côté gauche, le pouce infléchi dans la main, la main contournée vers le bord cubital, l’avant- bras fléchi sur le bras. Mêmes contructures aux orteils. Toutes ces parties étaient le siège de fourmillements, de douleurs continues et lancinactes par moments. Pas de trismus, aucun autre phénomène nerveux grave. Ces symptômes durèrent sept jours. Chargé, pendant le siège de Paris, du service des vaccinations dans les hôpitaux situés sur la rive gauche de la Seine, j’eus l’occasion de voir cette malade à plusieurs reprises. Voici quel était son état le 40 février : Grossesse de huit mois environ. Au cou, tumeur constituée par le corps thyroïde hypertrophié ; à son niveau, peau unie, non enüam- mée. parfaitement mobile : pas de battements, aucun bruit de souffle; pas de douleurs spontanées ni à la pression; pas de gêne pendant la déglutition. La circonférence du cou mesure : A sa partie supérieure 33 centimètres. A sa partie moyenne 36 — A sa partie inférieure 37 — Souffle intermittent dans les vaisseaux du cou. Rien au cœur, si ce n’est un léger souffle systolique à la base. Pouls à 80 pulsa- tions. Toux assez fréquente, expectoration séro-muqueuse, quelques râles sibilants disséminés dans les deux poumons. Fonctions digestives bonnes — quatre portions. Depuis 24 heures, apparition, à la suite d’une émotion, de légères contractures de la main gauche qui, en même temps, présente un peu d’insensibilité au toucher, à la douleur et à la température. Cinq jours après les signes de bronchite et les contractures avaient disparu. Le 13 mars, la femme L... accouche naturellement d’un garçon vi- vant, pesant trois kilogrammes. Pendant le travail qui dura quatre heures et demie, les contractures reparurent, mais aux mains seule- ment et cessèrent après l’accouchement. Cette malade se rétablit promptement, et le l*r avril elle quittait l’hôpital, ayant le cou aussi volumineux qu’au moment de son entrée. Une année après, le goitre présentait encore les mêmes dimen- sions. Au lieu de rester stationnaire, le goitre puerpéral chronique peut poursuivre son évolution et, à une époque plus ou moins éloignée de la grossesse pendant laquelle il a débuté, on voit ses dimensions augmenter rapidement au point de comprimer la trachée, d’amener la suffocation et la mort. Les deux faits qui sont rapportés dans le travail de Natalis Guillot sont deux exem- ples frappants de cette variété de goitre chronique (1). Ces goitres chroniques peuvent aussi, après un temps plus ou moins long, s’enflammer et même suppurer. 11 existe, dans les œuvres de J.-L. Petit, un bel exemple de ce mode de terminai- son, observé sur la femme de cet éminent chirurgien. Je ne sau- (i) Natalis Guillot. Mcm. cité. In Arch. gén. de méd. 1860, 5e série, t. XVI, p. 514 et 51a. rais mieux faire, je pense, que de reproduire ici cette intéressante observation, qui est en même temps un type de la manière dont les chirurgiens de cette époque entendaient l’étude'des maladies. Obs. IV. — Mon épouse, après une couche suivie d’un gros rhume qui la fit tousser pendant plus d’un mois, s’aperçut d’une tumeur au col, au-dessous du cartilage thyroïde; elle était molette et ne lui causait aucune douleur; elle resta même longtemps sans grossir, au point d’être aperçue par d’autres que par elle : il est vrai que la graisse la cachait en partie. Au bout de quatre ou cinq ans, devenue plus considérable, elle commença d’inquiéter la malade : on appliqua tous les remèdes usités : de temps en temps je touchais cette tumeur sans y trouver de changement ; elle était toujours dure, sans douleur, mais augmentait de grosseur. Un jour, se plaignant qu’elle sentait quelquefois des élancements assez vifs, je crus y apercevoir un point moins résistant; quelques jours après, ayant touché le même endroit, j’y trouvai un peu plus de mollesse, et je commençai d’espérer que peu à peu et de proche en proche cette mollesse augmentant, on pourrait obtenir un amollissement général ; cette tu- meur fut cependant encore cinq ou six ans presque dans le même état ; les élancements devenant plus fréquents,elle augmentait degrosseur , et quelquefois je n’y retrouvais plus cette mollesse sur laquelle je fondais toutes mes espérances ; heureusement’, excepté quelques élancements que la malade y sentait de temps de temps, elle n’avait point de douleurs suivies; mais elle commençait de se plaindre de la difficulté d’avaler, qui cependant n’était pas continuelle : enfin, après plusieurs années, la tumeur parvint à s’amollir, et j’y apercevais une fluctuation à faire juger qu’il y avait déjà plus d’une chopine de fluide amassé; mais, suivant le principe que j’ai ci-devant établi, je ne jugeai point à propos d’évacuer ce fluide, parce que la circon- férence de la tumeur était encore fort dure. D’ailleurs la malade ne souffrait point; elle buvait, mangeait et vaquait à toutes ses affaires dans la maison et hors la maison ; enfin, à force de patience, la frumeur devint universellement molle ; et, comme la difficulté d’avaler augmentait, je me déterminai à faire l’opération que j’avais méditée sans lui dire précisément le jour. Je mandai MM. Boudou, Malaval et plusieurs autres de mes confrères qui avaient vu et exa- miné la tumeur plusieurs fois dans les différents degrés de son accroissement : je leur déclarai mon dessein; l’ayant approuvé, nous entrâmes chez la malade ; je la fis asseoir dans un fauteuil, lui faisant tenir la tête ferme appuyée sur un oreiller : alors, appuyant une de mes mains sur la tumeur pour en augmenter encore la ten- sion, de l’autre, je la perçai dans le lieu le plus déclive avec l’espèce particulière de trocart, qu’on peut voir dans la figure. Il sortit envi- ron une pinte de matière, qui était tout au plus la moitié que ce qui y était contenu : j’en retirai autantdouze heures après, et le lende- main il en sortit encore plus d’une chopine ; et comme l’ouverture avait environ huit lignes de longueur, je ne mis plus rien dans la plaie et laissai couler la matière à son gré : cette matière était mêlée ; il y en avait de blanchâtre, de sanieuse, de grise, de consistance et couleur d’huile, mais il n’y avait aucun grumeau ; tout pouvait passer par la plaie sans difficulté, diminuant la quantité à chaque pansement : le huitième ou le dixième jour la source fut tarie ; il n’y eut qu’un suintement de matière lymphatique en fort petite quan- tité, qui cessa peu après ; la plaie se consolida, et la malade se guérit de cette maladie qui avait duré plus de vingt-cinq ans. Les premiers jours de l’opération, la malade eut des étouffements qui paraissaient dépendre de ce que l’air entrait avec trop de faci- lité dans la trachée artère. Je pensai que, comme les évacuations avaient été promptes et abondantes, les parties voisines de la tumeur avaient été trop brusquement délivrées de la gène où elles étaient depuis plusieurs années. Dans cette pensée, je crus qu’il fallait les comprimer et les soutenir : et pour y faire une compression analogue h celle qu’elles avaient soufferte, je pris une vessie demi- pleine de lait chaud que je plaçai sur le devant de la gorge depuis le menton jusqu’aux clavicules ; je la retins en ce lieu par un ban- dage légèrement compressif ; et la malade fut soulagée. La charpie, les compresses, tout autre moyen de compression, n’eût pas produit le même effet; le lait renfermé dans la vessie s’ajustait mieux aux endroits qu’il fallait comprimer ; c’était, pour ainsi dire, mettre au dehors un fluide égal à celui que j’avais tiré du dedans. C’est ce qui me fait dire que cette compression est analogue à celle que faisait la matière lorsque la tumeur existait, (Op. cit., 1740, 1.1, p. 256.) En résumé : Deux formes de goitre, le goitre passager, qui apparaît avec la grossesse et disparaît avec elle, et le goitrepermanent) tels sont les troubles de circulation et de nutrition que la grossesse peut amener dans la glande thyroïde. S II. — Coeur. Le cœur, ainsi que le corps thyroïde, peut .-ubir, sous l'influence de l’état de grossesse, des modifications de différente nature. Ces modifications portent tantôt sur le muscle cardiaque lui-même, tantôt sur l’endocarde et spécialement sur les valvules. Jusqu’à ce jour je n’ai encore observé aucun exemple de lésion primitive du péricarde développée dans le cours et par le seul fait de la grossesse ; mais il est possible que d’autres observa- teurs soient plus heureux que moi, car on ne comprendrait pas pourquoi l’une des deux séreuses serait plutôt atteinte que l’autre. Myocarde. — La suractivité nutritive imprimée au myocarde par la grossesse peut donner naissance à une hypertrophie passa- gère ou permanente. Si l’irritation est portée plus loin, au lieu d’une simple hypertrophie, la lésion est plus accusée et aboutit à l’iniïammation du muscle lui-même et à sa dégénérescence. C’est en 1828 queM. Larcher signala le premier cette particu- larité intéressante que la grossesse peut être une cause d’hypertro- phie du cœur, et surtout du ventricule gauche. Plusieurs auteurs, entre autres Rochoux (1), s’élevèrent contre cette assertion. Mais en 1816, alors qu’il était interne à la Maternité, Ducrest (2), sous l’inspiration de Beau, porta son attention sur ce point d’anatomie pathologique et confirma les recherches de Larcher. Il trouva que sur 100 femmes mortes en couche et âgées de 20 à 30 ans, les parois du ventricule gauche avaient en moyenne 0“,015 d’épaisseur, c’est-à-dire 5 millimètres de plus que le chiffre normal, 0ra,01, indiqué par Bizot (3). Or ces données cor- roboraient entièrement le travail de Larcher qui avait indiqué que, dans les cas observés par lui, les parois du ventricule gauche étaient augmentées d’un quart ou d’un tiers au plus, tandis que le ventricule droit et les oreillettes conservaient leur épaisseur normale. Plus récemment, M. II. Blot s’est livré sur ce sujet à de nou- velles recherches dont il a communiqué le résultat à M. Tar- nier (4), Sur 20 femmes mortes en couche, il a trouvé que la (1) Rochoux, article Apoplexie cérébrale, in Dictionnaire de médecine ou Ré- pertoire général des sciences médicales. 1833. T. III, p. 504. (2) Ducrest, cité par Beau. In Nouvelles recherches sur les bruits des artères et application de ces recherches îi l’étude de plusieurs maladies. (Arch. gén. de méd, 1846, 4e série. T. X, p. 28.) (3) Bizot. Mémoires de la Société médicale d’observation. 1837. T. I, p. 284. (4) Cazeaux. Op. cit. 1857, p. 133. moyenne du poids total du cœur était de 291 gr. 95, tandis qu’il n’est, comme on le sait, que de 220 à 230 grammes à l’état nor- mal chez une femme adulte. On voit donc que, pendant la gros- sesse, le poids du cœur subit une augmentation notable qui doit être rapportée principalement à l’hypertrophie du ventricule gauche. Dans la grande majorité des cas, cette hypertrophie du cœur développée sous l’influence de la gestation est passagère comme l’hypertrophie de la glande thyroïde. Elle s’accroît lentement jusqu’au moment de l’accouchement, puis, à partir de la déli- vrance, elle disparaît rapidement sans laisser aucune trace après elle. Dans certains cas cependant, elle peut persister, continuer son évolution, et ne donner lieu à des symptômes graves qu’au bout d’un temps plus ou moins long. Elle constitue alors, si l’endocarde n’a pas été atteint en même temps que le myocarde, une variété d’hypertrophie simple du cœur, sur laquelle l’atten- tion des cliniciens n’a pas été suffisamment attirée. Le fait suivant est un exemple frappant de cette hypertrophie cardiaque liée à la grossesse, ayant continué sa marche après l’accouchement. Obs. Y. — Au mois de septembre 1867, une femme âgée de 38 ans, de robuste apparence, se présente à la consultation du Bureau central d’admission des hôpitaux, se plaignant de dyspnée et de palpitations. La face était animée sans toutefois être cyanosée. La respiration était fréquente, mais il n’existait ni toux, ni expectoration. La percussion et l’auscultation ne firent, du reste, découvrir rien d’anormal dans les organes respiratoires. La pointe du cœur battait dans le sixième espace intercostal, à 2 centimètres en dehors du mamelon. L’impul- sion était énergique et se faisait sentir dans une grande étendue. La matité cardiaque, considérablement augmentée, mesurait environ 8 à 9 centimètres carrés. A l’auscultation, on n’entendait ni frottement péricardique, ni souffle endocardique, mais les claquements valvu- laires étaient très-éclatants, à timbre métallique. Le pouls radial était plein, vibrant et régulier, et les parois de l’artère avaient conservé leur souplesse normale. Il n’y avait aucune trace d’œdème et les urines ne contenaient pas d’albumine. Cette femme, dont les antécédents hygiéniques étaient très-bons — aucun excès alcoolique, aucunes privations, — avait toujours joui d'une bonne santé. Ses règles avaienttoujours été régulièreset jamais elle n’avaient présenté de symptômes hystériques. Mariée à l’âge de 28 ans, elle eut deux enfants dans les trois premières années de son mariage, et depuis cette époque elle ne cessa d’être souffrante. Vers le septième mois de sa seconde grossesse (à la première grossesse elle ne ressentit rien de pareil), elle commença à se plaindre de pal- pitations. L’accouchement se fit sans accidents, mais les palpitations ne discontinuèrent plus. Une émotion, une marche précipitée, l’as- cension d’un escalier les rendaient très-violentes. Peu à peu, aux battements de cœur se joignit de la gêne de la respiration, et aujour- d’hui ces deux symptômes sont tellement prononcés qu’ils constituent pour elle une véritable infirmité. J’ai revu cette femme six mois plus tard ; les palpitations et la dyspnée étaient aussi accusées que lors de mon premier examen. En lisant cette observation, il ne peut y avoir aucun doute sur la véritable cause du développement énorme du cœur. En effet, on ne saurait faire entrer en ligne de compte aucune mala- die antérieure de l’endocarde ; la lésion du myocarde paraît tout à fait primitive. On ne peut n n plus rattacher cette hyper- trophie à l’alcoolisme, à Eathérome artériel, à une maladie de Briglit pas plus qu’à des émotions vives et répétées, autant de causes qui ont été considérées à juste titre comme capables de donner naissance à une hypertrophie simple du cœur. Ce premier point établi, faut-il admettre avec M. Larcher que si le cœur s’hypertrophie dans la grossesse, c’est «pour apporter à la fois son contingent d’énergie à deux organismes unis encore et sur le point de se séparer, à la mère d’une part, d’autre part à l’embryon » (i); ou bien faut-il penser avec M. Raynaud que a la cause gît dans un accroissement de la tension aortique occasionnée par la compression que l’utérus gravide exerce sur la partie inférieure de ce tronc et sur les artères iliaques » (2) Je ne le pense pas. Cette hypertrophie du cœur reconnaît, à mon avis, une cause bien plus générale : comme l’hypertrophie de (1) Larcher. De l’hypertrophie normale du cœur pendant la grossesse et de son importance pathogénique. In Arch. gén. de méd. 1859. 5e série.T. XIII, p. 305. (2) Raynaud (Maurice). Article Cœur. In Dict,. de méd. etdechirur pratiques. 1808. T. VIII, p. 482. 23 la glande thyroïde, elle est la conséquence de la suractivité imprimée à la nutrition de divers organes par la présence du fœtus dans la cavité utérine. Alors même que l’hypertrophie cardiaque devient permanente, chronique, généralement elle n’amène d’accidents qu’après un laps de temps assez long. Mais si les manifestations apportées à la nutrition du cœur dépassent certaines limites, si le processus irritatif est très-actif, il peut se développer des lésions infiniment plus graves, c’est-à-dire une inflammation ou une dégénérescence graisseuse de cet organe. Sans me charger de décider si ces deux modes pathologiques sont identiques ou absolument distincts l’un de l’autre, je me crois autorisé, d’après les faits rapportés par les auteurs et d’après ce que j’ai observé moi-même, à avan- cer que ces lésions peuvent naître sous l’influence seule de l’état de grossesse, et bien que le microscope ne soit pas encore suf- fisamment intervenu pour permettre de préciser tous leurs ca- ractères histologiques, je n’hésite pas à les faire rentrer dans la présente étude. Il existe dans la science des faits que les auteurs rattachent à la myocardite sans que la preuve histologique ait été donnée. J’établirai, comme les observateurs que j’aurai occasion de citer, une distinction entre la myocardite ou inflammation du muscle cardiaque et la dégénérescence graisseuse des fibres de cet or- gane, me bornant à constater que ces altérations sont dues à l’influence de la grossesse. Spiegelberg (1) rapporte une observation qui est un exemple re- marquable de myocardite. Cet auteur l’intitule ainsi: «Mort su- bite trois jours après l’accouchement. Rupture du ventricule gauche à la suite d’une myocardite aiguë. » Voici un résumé de cette observation : Obs. VI. — S... R..., enceinte pour la seconde fois, entre le 31 mars 1866 à la Maternité de Fribourg en Brisgau. Ni le jour de son admis- sion dans l’établissement, ni le 4 avril, au moment où Spiegelberg (1) Spiegelberg (Otto). Mittheilungen aus der gynakologischen Klinik. In Monatsschriftfür Geburtskunde und Frauenkrankheiten. 1866. T. XXVIII, p. 469. l’examine, cette femme ne présente rien de particulier. Elle déclare en outre n’avoir jamais eu de maladies sérieuses. Le 9 avril, elle accouche à terme, avec de fortes douleurs qui du- rèrent peu de temps. Le 12 au matin, sans avoir accusé le moindre malaise, elle est subi- tement prise d’un accès convulsif qui se termine par la mort au bout de cinq minutes. L’autopsie faite par le professeur Kusmaul donne les résultats sui- vants : La cavité du péricarde est distendue pur environ 15 onces de sang en partie liquide, en partie coagulé. Le cœur est contracté; son vo- lume dépasse un peu celui du poing d’une femme; la pointe du ven- tricule gauche présente une saillie hémisphérique. Sous le péricarde il existe beaucoup de graisse, principalement vers la pointe et autour des vaisseaux. La surface de la séreuse est lisse partout, excepté au niveau de la pointe du ventricule gauche, là où l’épithélium a disparu dans une étendue de 11” de long sur 6” de large. Il existe en ce point une déchirure longue de 5”, qui est verticale et intéresse toute la paroi épaissie du muscle cardiaque dont les fibres apparaissent jaunâtres et parsemées d’ecchymoses. À la pointe, la paroi est excavée et ra- mollie depuis la face interne du ventriculejusqu’au péricarde, qui est épaissi. Dans les autres parties du même ventricule, le tissu, quoique encore mou, a cependant une consistance plus ferme : il présente une coloration gris jaunâtre. Le ventricule droit est plus consistant: il a une couleur jaune-brun. Le cœur tout entier, du reste, est flasque et cassant. Les valvules sont normales et la surface interne de l’aorte est par- faitement lisse. Les poumons n’ont subi qu’une faible rétraction. Le lobe supérieur du poumon gauche parait très-congestionné. Au sommet, il existe un noyau induré, de couleur noirâtre, ainsi que quelques nodules tuber- culeux grisâtres et ramollis. Des nodules de même nature se voient aussi au sommet du poumon droit. Les branches de l’artère pulmo- naire ne présentent aucune altération. Les bronches contiennent une matière purulente. La muqueuse de la trachée, tuméfiée et injectée, est recouverte d’un mucus grisâtre. Les ganglions bronchiques sont noirâtres et volumineux. Le corps thyroïde, transformé en deux tu- meurs du volume d’un œuf de poule, est rempli de matière colloïde. L’estomac et l’intestin sont très-distendus. La rate est un peu grosse et molle. Le foie est volumineux et ramolli. Les voix biliaires sont per- méables et la vésicule ne renferme qu’une petite quantité de bile. Les reins sont très-injectés; les veines de la muqueuse du bassinet pré- sentent des dilatations variqueuses. L’utérus fait une saillie notable dans l’abdomen : il a encore le volume des deux poings réunis, et son tissu ne paraît point altéré. Rien à noter du côté des ovaires. La dure- mère est très-adhérente aux os du crâne. Il existe de nombreuses ostéophytes à la face interne de ces os. Les sinus contiennent une assez grande quantité de sang liquide. L’arachnoïde et la pie-mère ne sont pas altérées. Quant à l’encéphale, il est pâle et de consistance un peu molle. Les ventricules semblent rétrécis. Dans les remarques qui accompagnent cette observation Spie- gelberg la considère comme un cas de myocardite avec ané- vrysme partiel aigu, ouvert dans le péricarde. Après avoir mon- tré qu’on ne peut la rattacher à aucune des causes ordinaires des maladies du cœur, il en fait une affection primitive et sponta- née, s’étant développée sans cause appréciable. Nul symptôme pendant la vie n’avait permis d’en soupçonner l’existence. L’au- teur allemand se fonde sur l’état du muscle cardiaque au voisi- nage de la déchirure pour affirmer que la lésion ne devait pas remonter bien loin, et il pense que très-probablement elle s’est développée dans les trois jours qui ont suivi l’accouchement. (?) Il croit aussi que l’on doit faire entrer en ligne de compte, au point de vue de l’étiologie, les efforts violents de la malade pen- dant un accouchement rapide. Spiegelberg termine en considérant cette lésion comme une des rares causes de la mort subite dans l’état puerpéral. Sans insister davantage sur cette observation, je dirai que, selon moi, elle est un remarquable exemple de myocardite déve- loppée sous l’influence de l’état de grossesse et ayant amené la mort dans un bref délai. Indépendamment de l’hypertrophie et de l’inflammation, le muscle cardiaque peut encore subir, dans le cours de la gros- sesse, une véritable dégénérescence graisseuse. Ce fait a été noté par divers auteurs—et j’ai eu plusieurs fois occasion de le vérifier — chez des femmes récemment accouchées, ayant suc- combé à une syncope ou à une maladie intercurrente. Le Mémoire de Quain renferme une observation de dégénéres- cence graisseuse du cœur qui me paraît être d’origine puerpé- rale. Voici le résumé de cette observation due à Henry Bennett: Obs. VII. —Une dame âgée de 23 ans, d’une constitution lympha- tique, avait traversé sa grossesse dans un état de santé passable, ne se plaignant que par intervalle de gêne de la respiration. Elle eut une légère hémorrhagie due à une adhérence partielle du placenta, mais l’écoulement du sang cessa peu de temps après la délivrance. On avait employé le chloroforme à faible dose. La malade se rétablit mais sans recouvrer complètement ses forces. Le pouls était faible et petit. Elle mourut subitement d’une syncope. A l’autopsie, le cœur parut hypertrophié ; ses cavités étaient dilatées. Les parois muscu- laires étaient molles et d’une consistance semblable à celle du cuir mouillé (1). En 1859, M. Mac Niclioll publia un cas de mort subite chez une femme accouchée depuis douze jours. En descendant de son lit, cette femme s’écria: «Je suis perdue, quelque chose vient de se rompre dans ma poitrine, » et elle mourut vingt minutes après. Le ventricule droit s’était rompu et une grande quantité de sang s’était épanché dans le péricarde. Il existait en même temps une dégénérescence graisseuse du cœur (2). La môme année, M. Danyau communiqua à la Société de chi- rurgie l’histoire d’une dame qui mourut subitement vingt jours après un accouchement des plus faciles. A l’autopsie, on ne dé- couvrit qu’un certain degré de dégénérescence graisseuse du cœur avec un peu de vascularisation du péricarde (3). Enfin, les mémoires plus récents de M. Mordret (4) et de M. Moynier (4) renferment plusieurs exemples d’état graisseux du cœur observés chez des femmes mortes subitement dans l’état puerpéral et dont la mort a été attribuée aune autre cause. L’un de ces deux auteurs, M. Mordret, refuse même à la grossesse toute influence sur l'altération que je décris ici : «Quant à l’état graisseux du cœur, dit-il, c’est une coexistence quej’aurai à no- ter plusieurs fois. Cependant je ne saurais admettre aucun rap- (1) Quain. On the fatty diseases of the heart. In médico-chirurgical Transac- tions. 1850. Vol. XXXIII, p. 186. (2) Mac Nieholl. Case of Rupture of The heart. In The Lancet. 1852. Vol. I, p. 280. ;3) Danyau. Bulletin de la Société de chirurgie. Paris, 1852. T. II, p. 412. (4) Mordret (Ambroise). De la mort subite dans l’état puerpéral. In Mém. de Académie de médecine. 1858. T. XXII. (4) Moynier (Kugènel. Des morts subites des femmes enceintes ou récemment accouchées. Paris, in-8, 1858. port entre cette dégénérescence graisseuse du cœur et l’état puer- péral » (p. 207). Il ressort clairement de ces citations, qu’il me serait facile de multiplier, que l’on peut observer chez les femmes récemment accouchées une véritable dégénérescence graisseuse du cœur. Cette altération, de même que l’hypertrophie et la myocardite, se rattache directement à l’état de grossesse. Dans un certain nombre de cas elle a pu être la cause de ces morts subites sur- venues dans l’état puerpéral et que l’examen nécroscopique—fait à l’œil nu seulement — n’avait permis d’expliquer par aucune lésion bien apparente. C’est à propos de ces faits négatifs que Gerdy et Yelpeau ont dit qu’il y a des morts subites dont les causes sont tout aussi obscures après qu’avant l’autopsie (1). Il est préférable, ce me semble, de rapporter dans certains cas la mort subite à l’étatde dégénérescence du cœur—pouvant chez la femme enceinte déjà prédisposée aux syncopes, amener une syncope mortelle — que d’invoquer le poison puerpéral. Cette conception ingénieuse de l’empoisonnement puerpéral, due à M. Hervieux (2), n’est malheureusement qu’une théorie: la ma- térialité du poison n’est pas démontrée; il échappe à toute analyse. En somme, l’inflammation et la dégénérescence graisseuse du myocarde, survenues sous l’influence de l’état de grossesse, peu- vent causer la mort subite ou par rupture du cœur ou seulement par syncope. L’arrêt du cœur, au lieu d’être momentané comme cela arrive si souvent chez la femme grosse lorsque le muscle cardiaque est sain, devient définitif et amène subitement la mort lorsque ce muscle est altéré (3). (1) Gerdyet Velpeau. Bull. del’Acad. de méd. de Paris, 1837. T. I, p. 907. (2) Hervieux (E.). Traité clinique et pratique des maladies puerpérales. Pari3, 1870. (1) Il n’entre point, dans le plan de ce travail, de faire l’histoire de la mort subite dans l’état puerpéral. On trouvera dans l’ouvrage de Winckel (£)ie Patho- logie und Thérapie des Wochenbetts, 2e édit. Berlin, 1869) un résumé complet de la question et une classification bien faite des différentes causes auxquelles on peut rapporter la mort. On consultera également avec fruit l’important ouvrage de M. Hervieux. Ce que je désire surtout faire remarquer, c’est que dans plu- Endocarde. — Les modifications que l’endocarde peut subir sous l’influence de la grossesse ne diffèrent pas de celles que présentent, sous la même infiuence, la glande thyroïde et le muscle cardiaque : ou retrouve en quelque sorte les mêmes formes, les mêmes types morbides. Tantôt le processus est aigu ou plutôt subaigu, et alors l’endocardite guérit ou passe à l’état chronique; tantôt il est suraigu et la mort survient après un court laps de temps, au milieu de symptômes typhoïdes ou pyohé- miques : c’est l’endocardite végétante ou ulcéreuse; tantôt enfin l’inflammation de l’endocarde se développe lentement, insidieu- sement, et est ainsi chronique d’emblée. L’endocardite de la grossesse peut donc être chronique soit primitivement, soit con- sécutivement à une endocardite aiguë ou subaiguë. 28 I. La forme subaiguë de l’endocardite puerpérale a, pour ainsi dire, échappé à l’attention des premiers observateurs qui se sont occupés de cette maladie : ils n’ont vu et décrit que la forme suraiguë avec toutes ses complications d’origine embolique, qui lui donnent une physionomie spéciale. M. de Lotz (1), dans une note communiquée à l’Académie, chercha, le premier en France, à démontrer l'influence de l’état puerpéral sur le développement de l’endocardite. Mais il n’éta- blit aucune des distinctions dont je viens de parler, et, de plus, ses observations laissent beaucoup à désirer. C’est ce que fit res- sortir, dans son rapport, l’illustre membre de l’Académie chargé d’examiner le travail de M. de Lotz. Je ne saurais mieux faire que de reproduire ici le passage suivant de ce rapport : « Nous n’en conclurons pas cependant que, considéré en lui- même, l’état puerpéral ne puisse, comme le pense M. le Dr de Lotz, constituer une cause nouvelle d’endocardite. Nous dirons sieurs observations consignées dans divers recueils et où la mort est attribuée à la lésion d’un viscère, le poumon par exemple, on trouve noté un état particulier du cœur — cœur flasque, mou et vide de sang — et qu’il serait possible que le rôle principal dans ces cas de mort subite appartînt seulement au cœur, dont les lésions ont été indiquées, il est vrai, mais n’ont pas été interprétées comme elles auraient pu l'être. (1) De Lotz. De l’état puerpéral considéré comme cause d’endocardite. Bulletin de l’Acad. de méd., 1857, p. 744. purement et simplement que cette proposition n’est pas encore suffisamment démontrée. Nous sera-t-il permis d’ajouter que, pour résoudre complètement ce problème, il conviendrait d’abord d’en résoudre un autre non moins délicat : celui de savoir en quoi consiste d’une manière claire et précise la cause première ou essentielle de l’état dit puerpéral, ce to ôeîov de la clinique des femmes en couche » (1). « M. Hervieux est allé bien plus loin que M. le professeur Bouillaud dans l’appréciation du travail de M. de Lotz. Sur les cinq observations qui font la base de ce travail, «deux, dit-il, se rapportent à des accouchées qui, à la suite d’hémorrhagies uté- rines abondantes, présentèrent des signes de chloro- anémie pris par l’auteur pour des phénomènes d’endocardite. Une troisième malade, en proie aux symptômes de la cachexie tuberculeuse, offrait cliniquement quelques troubles cardiaques parfaitement explicables par un état cachectique, sans qu’il lût nécessaire d’in- voquer l’existence d’une endocardite. La quatrième accouchée, atteinte d’un érysipèle de la face, aurait éprouvé en même temps un sentiment de gêne dans la région sternale, et des palpitations coïncidant avec un léger bruit de souffle au premier temps. Mais si l’on considère que tous ces prétendus signes d’endocar- dite avaient disparu au bout de quelques jours, on aura peine à croire à la réalité de cette assertion » (2). Une seule de ces cinq observations paraît à M. Hervieux à l’abri des reproches qu’il adresse aux autres. En voici un résumé : Obs. VIII. — Primipare, quinze heures de travail ; le lendemain, signes d’une pneumonie à droite. Le troisième jour, douleur sourde dans la région cardiaque, dont la matité est de 68 à 70 millimètres carrés; battements visibles, forts, étendus; bruit de souffle systo- lique au niveau de l’orifice auriculo-ventriculaire gauche. Mort le septième jour à partir de l’invasion de la pneumonie. Autopsie. — Lésions de la pneumonie au deuxième degré occupant les 4/5 postérieurs et inférieurs du poumon droit. Caillots volumineux dans les quatre cavités du cœur et s’étendant dans l’aorte. Quelques I) Bouillaud. Rapport sur le travail de M. de Lotz. Bull. del’Acad. deméd. 1856-57, p. 751. (2) Hervieux. Op. cit., p. 874. 30 concrétions fibrineuses adhèrent à l’intérieur des cavités gauches et sur le bord libre de la valvule bicuspide, qui paraît plus épaisse qu’elle ne l’est normalement. Sa coloration d’un rouge foncé se pro- page en diminuant d’intensité sur la membrane ventriculaire. Cette membrane paraît plus friable, mais sur la valvule seulement, laquelle, débarrassée des concrétions, ferme complètement l’orifice auriculo- ventriculaire gauche. Les valvules aortiques offrent une rougeur moins intense que celle de la valvule bicuspide et ne sont sensible- ment ni plus épaisses ni plus friables qu’à l’état normal. Cette observation, malgré son intérêt, présente cependant des lacunes regrettables. L’auteur est trop bref dans la -description des symptômes et des lésions constatées à l’autopsie. Ainsi, il est impossible de savoir en quel état se trouvaient les autres viscères, s’ils étaient ou non le siège d’infarctus, si la valvule mitrale était uniformément rouge ou présentait des arborisations vas culaires. Les concrétions fibrineuses du cœur h’étaient-elles pas simplement la conséquence de la pneumonie?... Pour toutes ces raisons, il me semble difficile de voir dans l’observation précédente un exemple d’endocardite aiguë simple, d’origine puerpérale, s’étant terminée rapidement par la mort. Ce n’est pas généralement ainsi que les choses se passent dans la forme aiguë ou subaiguë. Si la mort survient, elle n’a pas lieu au bout d’un ou de deux septénaires comme dans la forme ulcé- reuse, mais bien après un assez long espace de temps comme dans l’endocardite rhumatismale, alors que la maladie s’est trans- formée en lésion valvulaire chronique (1). Dans d’autres cas, beaucoup moins fréquents, dont il est encore impossible d'in- diquer exactement la fréquence, l’endocardite est passagère et finit par guérir. (1) La 98e observation du Traité clinique des maladies du cœur de M.Bouillaud pourrait bien être un exemple d’endocardite aiguë d’origine puerpérale. oici le sommaire de cette observation, dont le diagnostic est : endocardite (cas moyen). « Femme de 24 ans. A la suile de couches, fièvre, bruit de souffle râpeux, frémissement vibratoire, etc., dans la région du cœur. Convalescense. Accidents intercurrents, diarrhée, marasme, eschares au sacrum, etc. Mort. Rougeur, épaississement, végétations des valvules, taches laiteuses sur le péricarde, con- crétions sanguines dans le cœur. Adhérences entre le poumon gauche et les parois costales. » 2e édit. 1841. T. II, p. 144. Plusieurs des faits que j’ai publiés sont manifestement des exemples d’endocardite aiguë ou subaiguë, développée sous l’in- fluence de la grossesse. En effet, à une époque plus ou moins rapprochée de l’accouchement, les malades avaient ressenti des palpitations qui depuis n’ont jamais cessé et se sont accompa- gnées d’une gêne graduellement croissante de la respiration. J’ajouterai quej'ai pu observer, vers la fin de l’année 1869, dans le service de mon ami le Dr Millard, un bel exemple d’endocar- dite aiguë simple, survenue vers la fin d’une grossesse, et carac- térisée par la présence d’un souffle systolique rude au niveau de la pointe du cœur, par un pouls fréquent, petit et parfois irrégulier et un certain degré de dyspnée. Les symptômes s’amendèrent peu à peu, et le bruit de souffle avait presque disparu au bout de deux mois et demi. II. Quant à la forme suraiguë, elle est aujourd’hui parfaitement connue. Découverte par Simpson (1) et Virchow (2), elle fut en- suite bien étudiée par Westphal (3), MM. Charcot et Vul- pian (4), etc. Plus récemment, M. Décornière (3) a consacré presque entièrement sa thèse à l’exposé des travaux qui ont été publiés sur cette intéressante question. Je n’insisterai pas sur des faits qui maintenant sont acquis à la science et qu’on trouve décrits dans tous les traités de patholo- gie, et je passerai immédiatement à l’étude de la forme chro- nique. III. — Je crois avoir été le premier à signaler cette forme d’en- iocardite puerpérale dans une note communiquée en 1868 à la (1) Simpson. Edinburgh monthly Journal, fév. 1854, et The obstetric me- moirs and contributions, t. II, 1856. (2) Virchow. Gesamm. Abhandlungen, 1856, p. 711, und Alonatschrift für Geburtskunde, 1858, t. II, p. 409. (3) Westphal. Endocarditis ulcerosa im Puerpérium, untèr dem Schein von Puerperalmanie auftretend. In Virchow's Arcliiv, 1861, t. XX, p. 542. (4) Charcot et Vulpian. Note sur l’endocardite ulcéreuse aiguë à forme typhoïde. In Comptes-rendus et Mémoires de la Société de biologie, 1861, 3e série, t. III, p. 205, (5) Décornière. Essai sur l’endocardite puerpérale ; th. de doct. Paris, 1869. Société de biologie (1). L’année suivante, M. Bucquoy en fit men- tion dans ses Leçons cliniques sur les maladies du cœur (2). En- tin, dans une seconde note, je suis revenu sur ce sujet en ajoutant huit observations à celles que j’avais publiées. L’observation suivante est un nouvel exemple de cette forme d’endocardite : Obs. IX. — La nommée L..., âgée de 36 ans, ouvrière dans une fabrique de chapeaux, est admise le 7 avril 1870 à la Charité-Annexe, salle Saint-Joseph, n° 28. Son père est mort à 66 ans; quant à sa mère, elle se porte bien et a près de 82 ans. Elle a été réglée à l’âge de 12 ans 1/2, et les règles se sont établies sans difficulté et sans troubles de la santé: depuis lors elles ont tou- jours été bien régulières. Elle n’a pas souffert de privations et jamais elle n’a habité de loge- ment humide ou malsain. Dans ses antécédents pathologiques on ne trouve aucune des causes habituelles de l’endocardite, ni rhumatisme articulaire ou muscu- laire, ni chorée, ni fièvres éruptives, ni alcoolisme, etc. Sa santé fut toujours excellente jusqu’à l’âge de 29 ans. A cette époque elle devint enceinte. Six semaines ou deux mois après, elle commença à se plaindre de palpitations : sitôt qu’elle marchait un peu vite, elle avait promptement de l’essoufflement. Vers le cinquième mois de sa grossesse, elle fut prise d’une grande envie de se promener et par- courut à pied l’espace qui sépare la Bastille de la Porte-Saint-Denis, s’arrêtant un grand nombre de fois pour se reposer. La nuit suivante elle faisait une fausse couche. Bien qu’il ne fût survenu aucun acci- dent grave, elle resta toujours souffrante à partir de ce moment, et les palpitations et l’essoufflement allèrent graduellement en aug- mentant. Au commencement de décembre 1869, elle dut entrer à l’hôpital de la Charité, dans le service de M. Pidoux : elle avait de l’enflure des membres inférieurs. Sous l’influence du repos, de plusieurs purga- tifs et de la digitale, l’œdème disparut complètement, et le 24 jan- vier la malade partait pour l’asile des convalescents du Vésinet.Les palpitations et l’essoufflement ne diminuant point, elle se décida à entrer à la Charité-Annexe. (1) Ollivier (A.). Note sur une cause peu connue des maladies organiques du cœur (C.-R. et Mém. de la Soc. de biologie, 1868, 4e série, t. V, p. 195, et Nou- velle note sur l’endocardite et l’hémiplégie puerpérales. Ibid. 1869, 5e série, t. I, p. 123). (2) Bucquoy (J.). Leçons cliniques sur les maladies du cœur (Union médicale, 1869, 3e série, t. VII, p. 114). 33 Voici dans quel état je la trouvai le 6 au matin : embonpoint con- servé, face très-colorée, aucune trace d’œdème aux membres infé- rieurs. Palpitations pénibles. La pointe du cœur bat dans les cin- quième et sixième espaces intercostaux en dehors du mamelon; l’impulsion est énergique et produit un soulèvement très-manifeste dans une grande étendue. La percussion permet de constater une notable augmentation de la matité du cœur. Au niveau de la pointe, on perçoit un souffle systolique rude et râpeux qui commence et finit avec le premier bruit; à la base, on entend assez distinctement les deux bruits du cœur. La respiration est gênée, fréquente, mais sans toux ni expectoration, et l’auscultation, à part quelques râles sous- crépitants dans les parties déclives des deux poumons, ne révèle r en de particulier. L’appétit est conservé et les garde-robes faciles. Menstruation régulière. Urines non albumineuses. Depuis cinq ou six mois la vue est moins bonne qu’autrefois; après un séjour de deux semaines à l’hôpital, la malade demande à être envoyée de nouveau au Yésinet. Le début de l’affection varie suivant qu’elle succède à une inflammation aiguë ou subaiguë de l’endocarde ou quelle est chronique d’emblée. Dans le premier cas, les symptômes sont en général assez accusés pour qu’on puisse les reconnaître pen- dant le cours de la grossesse. Dans le second cas, la marche est lente, insidieuse, et la lésion cardiaque passe souvent inaperçue du médecin, surtout si ce dernier n’est pas prévenu de la possi- bilité d’une semblable complication. Les palpitations, la gêne respiratoire sont si habituellement rapportées à la grossesse ou à la chlorose qu’elles ne commandent pas l’attention. Arrivée à une certaine période de son évolution, à une époque déjà bien éloignée de son début et de la cause qui l’a produite, l’endocar- dite puerpérale chronique se comporte comme les affections val- vulaires anciennes d’origine rhumatismale, et rien à ce moment, à part l’étiologie, 11e peut distinguer ces deux affections l’une de l’autre. Elles sont caractérisées par des lésions anatomiques absolument identiques. Des nombreuses observations que j’ai recueillies, je n’ai publié que celles où l’influence de l’état de grossesse était manifeste et sans coïncidence avec les autres causes bien connues de l’endo- cardite. C’est ainsi que j’ai écarté avec soin toutes les observations où il existait en même temps des signes d’endocardite et des douleurs articulaires plus ou moins aiguës, dans la crainte qu’on ne pût invoquer l’influence de la diathèse rhumatismale. Ce n’est pas ici le lieu d’insister sur cette question qui réclame en- core de nouvelles études : les arthropathies qu’on observe chez les femmes enceintes pourraient bien, — de même que les arthropathies uréthrales, — avoir simplement une origine ré- flexe et partant reconnaître la même cause que la tuméfaction du corps thyroïde, l’hypertrophie du cœur dont j’ai parlé précé- demment (1), etc. La découverte des modifications que l’endocarde peut subir sous l’influence de la grossesse fournit, pour certains cas au moins, une explication naturelle de l’hémiplégie dite puerpérale. Par suite de la marche progressive de la lésion valvulaire et aussi de la gêne circulatoire que détermine l’utérus gravide, des dépôts fibrineux, des végétations peuvent se détacher et aller oblitérer une des branches artérielles de la base du cerveau. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit ailleurs (2) de cette On consultera avec fruit, à propos de l’histoire du rhumatisme puerpéral, les auteurs suivants : Simpson. The obstetric memoirs and contributions. Edinburgh, 185(5. T. II. Lorain. Bulletin et mémoires de la Société médicale des hôpitaux. 1866.2e série. T. III, p. 295 et 320. Vaille. Du rhumatisme puerpéral. Th. de doct. Paris, 1867. Cnarcot. Leçons sur les maladies des vieillards et les maladies chroniques. Paris, 1868. P. 229. Braunberger (Jules). Essai sur les manifestations rhumatoïdes de la puerpéra- lité. Th. de doctorat. Paris, 1869. (2) L’observation qui fait la base de ma première note m’avait paru un exem- ple bien net d’hémiplégie d’origine embolique et j’avais cru pouvoir indiquer l’endocardite des femmes enceintes comme une des causes de l’hémiplégie puarpérale. Mais dans une monographie récente (Contribution à l'histoire des paralysies puerpérales. Paris, 1872, p. 12) M. Charpentier est venu critiquer l’in- terprétation que j’avais donnée de mon observation : « Quelque intéressante qu’elle soit, dit-il, cette observation ne nous semble pas concluante, car il s’agit ici d’une femme hystérique ; de plus, elle travaillait à la manufacture des ta- bacs, et nous ne croyons pas qu’on puisse tenir aussi peu compte que l’a fait Ollivier de ces deux conditions, qui nous semblent au contraire avoir ici une importance capitale. Ajoutons enfin la présence de contractures que nous allons reti’ouver du reste dans les deux observations suivantes et qui nous semblent devoir rapprocher ces faits de ceux signalés par Trousseau, de paralysies des nourrices avec contracture des extrémités. » De pareilles objections ont tout lieu de surprendre. Comment, en effet, la cause de paralysie puerpérale. D’un autre côté je ne saurais, sans sortir des limites que comporte ce Mémoire, tracer ici l’histoire de ces singulières paralysies qui ont si vivement préoc- cupé les pathologistes depuis Hippocrate jusqu’à nos jours et qui ont donné lieu à tant d’interprétations diverses. Je me con- tenterai donc de rapporter une nouvelle observation d’hémi- plégie survenue au cours d’une grossesse et manifestement d’origine embolique. Obs. X. — La nommée N... (Marie), âgée de 41 ans, est admise le 29 juin 1870 à la Charité-Annexe, salle Saint-Joseph, n° 16. Son père est mort à l’âge de 35 ans d’une fluxion de poitrine; sa mère vit encore et se porte bien. Depuis près de 25 ans elle fait le métier de journalière et se livre à des travaux manuels parfois très-rudes. Elle n’a jamais souffert de privations, jamais non plus elle n’a fait d’excès alcooliques. Ses antécédents pathologiques se réduisent à quelques indisposi- tions : elle n’a eu ni rhumatisme, ni chorée, ni fièvres éruptives, ni manifestations syphilitiques. Enfin elle n’a jamais présenté de phé- nomènes nerveux pouvant se rapporter à l’hystérie ou même au ner- vosisme. Elle avait 17 ans lorsque ses règles apparurent pour la première fois, et depuis lors celles-ci n’ont cessé d’être régulières. Elle a eu quatre enfants : le premier il y a dix-sept ans, le second il y a dix ans, le troisième en 1862, et le quatrième en 1867. Les deux premiers sont morts, l’un de convulsions, l’autre des suites d’un accident. Vers la fin de sa troisième grossesse, — la malade en fait elle-même la remarque,—- elle fut prise de palpitations qui, loin de disparaître après l’accouchement, allèrent en augmentant peu à peu; en même temps elle devenait promptement essoufflée lorsqu’elle marchait vite ou qu’elle montait un escalier. Au commencement du second mois de sa deuxième grossesse, elle eut une violente discussion avec son mari. Presque aussitôt après, elle éprouva des fourmillements à l’extrémité des doigts de la main gauche, puis le bras s’engourdit et se paralysa ainsi que le membre manipulation des feuilles de tabac peut-elle donner naissance à une hémiplégie ? En outre, loin de ne tenir aucun compte des symptômes d’hystérie constatés chez ma malade, j’ai montré que l’hémiplégie dont elle était atteinte ne présen- tait pas les caractères de l’hémiplégie hystérique, — ces caractères sont aujour- d’hui bien connus des pathologistes, — mais bien ceux du ramollissement céré- bral d’origine embolique. J’ajouterai enfin que M. Charpentier me semble avoir pris pour de la tétanie la griffe caractéristique des anciennes paralysies. inférieur correspondant. Elle fut alors transportée à l’hôpital de la Charité, où l’on constata une paralysie complète de la moitié gauche du corps, membres et face. Après un séjour de quatre mois et demi pendant lequel elle prit beaucoup d’iodure de potassium, elle sortit un peu améliorée. Il ne survint aucun accident pendant la grossesse, et, le 27 août 1867, elle accoucha à l’hôpital Beaujon. Les symptômes de paralysie disparurent graduellement, et vers la fin de la même année elle put reprendre son métier de journalière, mais en évitant, à cause des palpitations, les travaux pénibles. Vers le milieu de février 1870, elle était occupée à laver, lorsqu’elle sentit son bras gauche retomber inerte, elle regagna son domicile à pied, mais avec peine et en traînant fortement la jambe. Quatre mois après elle entrait à la Charité-Annexe, présentant les symptômes suivants ; hémiplégie incomplète du côté gauche, portant à la fois sur les membres et la face; conservation de la sensibilité générale de ce côté; sens spéciaux intacts (il est à noter qu’ils n’ont pas été troublés non plus lors de la première attaque); marche possible, mais en fauchant. Battements du cœur énergiques; double souffle systolique très-rude, l’un à la base et l’autre à la pointe, s’entendant nettement dans la fosse sous-épineuse gauche; pouls petit et parfois irrégulier. Aucun bruit anormal dans les poumons, fonctions diges- tives normales; ni albumine, ni sucre dans les urines. La malade quitta le service au bout d’un mois, sans qu’il fût sur- venu aucun changement dans son état. Comme on le voit, l’état de grossesse peut déterminer dans la nutrition du cœur des troubles passagers ou 'permanents et partant donner naissance à certaines maladies chroniques de cet organe. § III. Dans les paragraphes précédents, j’ai étudié les altérations du corps thyroïde et du cœur qui peuvent résulter de l’état de gros- sesse; je chercherai maintenant si des lésions de nature ana- logue et reconnaissant la même cause, peuvent aussi s’observer dans d’autres organes, et comme types, je choisirai les altéra- tions du foie et du rein. Le foie est un organe simple formé d’un très-grand nombre d’éléments similaires (lobules hépatiques), je n’aurai donc à étu- dier qu’une seule série de lésions, et non point, comme pour le cœur où il y avait à considérer les membranes, le muscle et les valvules, des séries parallèles de lésions. Les troubles de circulation et de nutrition peuvent se borner h une simple congestion, donner lieu à une légère suffusion ictérique (ictère simple), mais si le processus irritatif s’accuse davantage, il peut se développer une inflammation diffuse, et souvent une destruction rapide du tissu même de l’organe, l’atro- phie jaune aiguë. Mais ce processus irritatif, tout en se bornant, au début, à une simple congestion du foie, peut persister; et il en résulte un tra- vail pathologique à évolution lente, à marche chronique, qui ne se découvre souvent qu’après plusieurs grossesses ; c’est l’hépa- tite interstitielle, la cirrhose. Il n’est pas nécessaire que le pro- cessus irritatif ait amené de l’ictère; il existe à la première gros- sesse et chaque grossesse nouvelle en accentue les progrès. C’est là un point assez nouveau dans l’étiologie de la cirrhose et qui peut rendre compte de certains cas assez obscurs où l’on observait la cirrhose chez la femme, sans pouvoir la rapporter à aucune des causes qui habituellement la produisent. I. U ictère simple se rencontre assez fréquemment dans la gros- sesse et on a beaucoup discuté quelle pouvait en être la patho- génie. L'influence de la grossesse sur la production de l’ictère est reconnue par tous les auteurs. Il y a même des observations dans lesquelles cette influence est tellement évidente, qu’on ne peut élever le moindre doute à ce sujet. Mais par cela seul qu’une femme en état de grossesse est atteinte d’ictère, cet ictère n’est pas nécessairement lié à la grossesse, il peut reconnaître pour cause une impression morale vive et cela d’autant plus facilement que la femme, par le fait de la grossesse, a une exagération delà sensibilité que l’on ne saurait mettre en doute. Il faut donc écarter de notre cadre ces ictères succédant à une vive émotion, à un accès de colère, à une frayeur ; il faut écarter aussi les ictères qui peuvent, chez la femme enceinte comme chez tout autre sujet, être la conséquence d'un catarrhe gastro-duodénal. Mais il est incontestable qu’un certain nombre d’ictères surve- nant chez la femme enceinte ne reconnaissent pas d’autre cause que la grossesse. Cette variété d’ictère est connue depuis long- temps. L’opinion de Sauvages (1) et de Portai (2) qui prétendaient que cet ictère était dû à la pléthore, n’a pas prévalu contre l’idée plus ancienne de Yan Swieten (3), l’idée de la compression des voies biliaires par l’utérus augmenté de volume. Cette explication de l’ictère par compression a été acceptée par tous les auteurs; c’est encore avec le catarrhe des conduits hé- patiques et les émotions morales, la seule cause à laquelle Frerichs (4) a recours pour donner une explication de l’ictère des femmes grosses. Cependant elle ne satifait pas tellement l’esprit qu’on n’ait pas élevé de doute à son égard. C’est ce qu’ont encore fait récemment MM. Pouchet (5) et Meunier (6) dans leurs disser- tations inaugurales. Comment se fait-il en effet qu’avec des con- ditions si favorables à la compression des canaux biliaires, l’ictère soit si peu fréquent ? On ne saurait nier absolument la possibilité d’un pareil mécanisme dans quelques cas, mais évidemment ils sont l’exception, car, si c’était là réellement la cause efficiente de l’ictère, on l’observerait bien plus fréquemment. On devrait l’observer en même temps que l’œdème ou l’ascite, et surtout dans tous les cas de développement exagéré de l’utérus (grossesse gémellaire au compliquée de tumeurs). (1) Sauvages. Nosologie méthodique, traduction de Gouvion. Lyon, 1772, t. IX, p. 472. (2) A. Portai. Observations sur la nature et le traitement des maladies du foie. 1813, p. 136. (3) Voici comment s’exprime Van Swieten à ce sujet : « Observavi in quibusdam mulicribus icterum graviditatis tempore, licet nec ante graviditatem, nec post puerpérium, hoc morbo afficerentur. Forte a tumente utero, abdominalia vis- cera comprimente, et intestina sæpe miro modo a situ removente, hoc fieri po- tuit : quandoquect durissimas fæces, et magnæ admodum molis, aliquot diebus post puerpérium alvo reddebant, et paulo post omnis color ictericus evanescebat : unde non improbabilis suspicio nascitur, colon illo in loco, ubi sub hepate poni- tur, fæcibus talibus accumulatis disteutum, ductum cysticum comprimere po- tuisse. »— G. Van Swieten. Commentaria in Boerhaave aphorismos de cognos- cendis et curandis morbis. Lugd. Batav., 1753, t. III, p. 95 et 96. (4) Frerichs. Traité pratique des maladies du foie et des voies biliaires. Traduit de l’allemand par Duménil et Péligot. 2e édit., Paris, 1866, p. 174. (5) Pouchet (Albert). Quelques considérations sur l’ictère des femmes enceintes. Th. de doct., Paris, 1872. (6) Meunier (Jules). Essai critique sur l’ictère des femmes enceintes à propos de l’épidémie de Paris, 1871-1872. Mais il est une autre cause que l’on peut invoquer, il me semble, dans bon nombre de cas, particulièrement dans ceux où il ne saurait être question de compression, alors que la maladie appa- raît dans les premiers temps de la grossesse, je veux parler de la congestion hépatique. L’idée d’une congestion sympathique pour expliquer l’ietère dans les cas où l’utérus n’a pas dépassé le petit bassin, se trouve dans Churchill (1). Monneret s’était fait le défenseur de cette opinion, ainsi qu’il résulte du passage suivant, a Dix observations d’ictère gravidique simple et bénin que nous avons recueillies dans nos services d’hôpitaux, nous ont montré surabondamment que la congestion du foie et dans quelques cas la simple irrita- tion sécrétoire en étaient la seule cause. La compression méca- nique exercée par l’utérus ne peut être invoquée ici; s’il en était ainsi, l’ictère puerpéral serait plus commun qu’il ne l’est » (2). Cette congestion reconnaît le même mécanisme que celle du corps thyroïde; c’est un effet réflexe. Elle peut aboutir à l'ictère simple. Yoici un exemple de cette forme d’ictère par congestion du foie : Obs. XI. — La nommée R... (Louise), âgée de 20 ans, se présente le 13 février 1872 à la consultation du Bureau central des hôpitaux. Elle est atteinte d’ictère, et de plus enceinte de quatre mois. Il y a huit jours elle s'aperçut que, sans cause bien appréciable (ni émotions vives, ni troubles gastriques antérieurs), ses yeux d’a- bord, puis le reste du corps prenaient une teinte jaunâtre ; presque en même temps survenait un dégoût prononcé pour les aliments. Cette femme a toujours joui d’une bonne santé. Mariée il y a deux ans, elle eut un enfant au bout de dix mois de ménage. La grossesse n’offrit rien de particulier à signaler. Yoici ce que je constatai : ictère intense aux conjonctives, moins accusé sur les téguments; pas d’éruption cutanée ni de démangeai- sons. Inappétence, nausées, garde-robes faciles, non décolorées, (1) Churchill (Fleetwood). Traité pratique des maladies des femmes hors l’état de grossesse, pendant la grossesse et après l’accouchement. Traduit de|l’anglais sur la cinquième édition par Wieland et Dubrisay. Paris, 1866, p. 771. (2) Mcnneret. Traité élémentaire de pathologie interne, 1864,1. 1, p. 602. sensation de poids dans l’hypochondre droit, mais la matité du foie mesure au moins 12 centimètres au niveau de la ligne mamelonnaire. Urines verdâtres, donnant par l’acide nitrique les réactions caracté- ristiques de la présence du pigment biliaire. Le fond de l’utérus ar- rive à peu près au niveau du détroit supérieur. Cette femme revint me voir trois semaines après, son ictère per- sistait encore, mais il avait notablement diminué. II. L'ictère grave peut être la conséquence de l’irrilation gravi- dique lorsqu’elle est très-intense (1). L’influence de la grossesse sur le développement de l’ictère grave a été signalée par divers auteurs. « On observe surtout cette affection, dit Frerichs, chez des individus appartenant au sexe féminin; sur 31 cas nous en trouvons 9 concernant les hommes et 22 les femmes, de sorte que ces dernières fournissent un contingent de plus du double. Sur ces 22 femmes, la moitié étaient enceintes, par conséquent un tiers des cas se trouvaitlié à la grossesse; ce fait indique une relation de causalité entre les deux états » (2). (1) Ozanam (A.). De la forme grave de l’ictère essentiel. Th. de Paris, 1849, (obs. 8), p. 50.— Meunier, thèse citée (obs. 1), p. 29, etc. (2) Op. cit., p. 261. Frerichs ajoute ensuite — ce qui est en contradiction avec ce qui précède — : « Cependant, d'une manière générale, l’atrophie aiguë du foie est une complication rare de la grossesse; en effet, sur 33,000 femmes en couche, Spaeth ne l’a rencontrée que deux fois. » Ces chiffres ne me semblent pas être l’expression exacte de la vérité. Toutes les femmes atteintes d’ictère aux différentes périodes de la grossesse sont, le plus souvent, admises dans les hôpitaux généraux et non dans les maternités. En outre, des observations assez nombreuses, publiées dans ces dernières années, out montré que l’ictère grave n’est pas aussi rare chez les femmes enceintes que les chiffres de Spaeth ne permettraient de le supposer. Il est à remarquer que dans les épidémies d’ictère qui se développent spontané- ment dans une ville ou une petite région, on voit assez souvent la maladie de- venir grave chez les femmes enceintes, alors qu’elle était bénigne chez les autres femmes. Épidémie de Lüdenscheid, en 1794. — Von einer epidemischen Gelbsücht, von Frid. Kercksig in Hufeland’s Journal der praktischen Heilkunde, 1798, Bd. 7, S. 94. Épidémie de Roubaix, en 1852. — Carpentier. Du danger de l’ictère chez les femmes enceintes. Revue médico-chirurgicale de Paris, 1854, t. XV, p. 268. Épidémie de Saint-Pierre de la Martinique, en 1858. — Douillé. Quelques mots sur l’ictère. Th. de doct. Montpellier, 1861. — Saint-Vel. Note sur une Niemeyer insiste également sur cette influence de la grossesse. « L’atrophie jaune aiguë du foie, dit-il, se présente plus fréquem- ment chez les femmes que chez les hommes et le plus souvent pendant la grossesse. Il est remarquable que la grossesse qui présente une prédisposition s: marquée aux inflammations pa- renchymateuses des reins, entraîne également une prédisposition à une affection analogue du foie, c’est-à-dire à l’atrophie jaune aiguë de cet organe » (1). III. J’ ai dit plus haut quela congestion subaiguë de foie accom- pagnée d’ictère peut, chez la femme enceinte, aboutir à la cirrhose, mais que cependant celle-ci se présente parfois comme lésion primitive, sans avoir été précédée d’ictère. Ce fait s’explique faci- lement par les modilications dont la glande hépatique peut être le siège pendant la grossesse. La cirrhose est précédée de troubles vasculaires qui ont pour conséquence une congestion de l’organe; celui-ci augmente de volume, son tissu devient plus ferme. Pendant ce temps, les cellules du tissu conjonctif interstitiel prolifèrent à la périphérie des lobules et autour des parois des vaisseaux. A cette prolifération est due la tuméfaction du foie qu’on observe à la première période. Plus tard, ce tissu de nou- velle formation se rétracte, comprime les lobules hépatiques et finalement amène la diminution du volume de l’organe. Ces diverses phases d’un même processus ont une marche fort lente, et il est souvent difficile, sinon impossible, de suivre l’évo- lution progressive de la maladie, d’autant plus que l’attention n’est pas toujours attirée de ce côté. forme d’ictère grave chez les femmes enceintes. Gazette des hôpitaux, 1862, p, 538. Épidémie de Limoges, en 1859. —Bardinet. De l’ictère épidémique chez les femmes enceintes ; de son influence comme cause d’avortement et de mort. Bul- letin de l’Acad. de méd., 1863, t. XXIX, p. 117, et Blot (H.), Rapport sur le mé- moire de M. Bardinet, même recueil, 1864, t. XL, p, 155. Épidémie de Paris, en 1872. — Meunier. Th. citée, p. 38. (l)Niemeyer (F. de). Traité de pathologie interne et de thérapeutique. Tra- duction française de la septième édition. Paris, 1869, t. I, p. 842. Murchison (Clinical Lectures on diseases of the liver, jaundice and abdominal dropsy; London, 1868, p. 232 et 389) range également la grossesse parmi les causes prédisposantes de l’ictère grave. Cependant on a pu observer, chez une femme enceinte, une congestion du foie, persistant après l'accouchement et donnant lieu à une hypertrophie notable de tout l’organe comme le mon- tre l’observation suivante : Obs. XII. — Le Dr Imbert dit avoir observé une jaunisse chez une femme de 40 ans qui en était à son neuvième enfant et au second mois de sa grossesse. Il dit que le foie dépassait de trois largeurs de doigt le bord inférieur des côtes, et même après l’accouchement, il était encore plus large qu’à l’état normal. Il eut d’abord grand’ peur de cet accident : pendant quatre jours cette femme eut une légère atteinte de fièvre, puis les seins se distendirent, la sécrétion du lait s’établit, la jaunisse disparut entièrement, et quinze jours après cette femme avait repris ses occupations ordinaires, bien que le foie continuât à être hypertrophié (1). Dans un travail antérieur sur un tout autre sujet (2), j’ai mon- tré qu'on peut rencontrer chez la femme un état cirrhotique du foie qu’il est impossible de rattacher à une autre cause que !a grossesse. Dans les trois cas que j’ai publiés, rien ne pouvait faire admettre l’influence de l’alcoolisme, de la syphilis ou de l’impaludisme, causes habituelles de la cirrhose. Bien que les malades fussent atteintes toutes trois d’une affection cardiaque, la cirrhose ne pouvait être rapportée à cette affection. On sait aujourd’hui, contrairement à l’opinion de Becquerel, qui, sur 42 cas de cirrhose, prétendait avoir trouvé 21 fois une maladie du cœur, que les lésions organiques du cœur n’engendrent pas la véritable cirrhose, mais bien cet état particulier du foie qui a été désigné sous le nom de foie muscade et qui résulte de la stase du sang longtemps prolongée dans la glande hépatique. Mais il est certain que la cirrhose peut coïncider avec une affection cardiaque. Frerichs a vu cette coïncidence 4 fois sur 36 cas. J'ai moi-même recueilli 6 observations dans lesquelles les malades présentaient à la fois une affection cardiaque et delà cirrhose du foie; de plus, chez quatre d’entre eux il existait (1) Churchill (FleeUvocd). Op. cit., p. 772. (2) Nouvelle note sur l’endocardite et l’hémiplégie puerpérale. C. R. des séances et Mém. de la Soc. de biologie, 4e série, t. V, p. 123. dans les reins les lésions de la maladie de Bright. Mais dans ces cas, la cause de la maladie était l’alcoolisme qui avait atteint à la fois le cœur, le foie et le rein. L’action irritative du fœtus peut agir en même temps sur plusieurs organes et déterminer des lésions dont l’origine était complètement méconnue. Aux trois cas de cirrhose déjà publiés, i’en joindrai un qua- trième. Obs. XIII (3). —Lanommée FrançoiseUrban, âgée de 42 ans, coutu- rière, est admise le 27 avril 1869 à l’hôpital Lariboisière, salle Sainte- Joséphine, n° 15. Les antécédents héréditaires de cette femme ne présentent rien de particulier à signaler. Au point de vue de l’hygiène, elle a toujours été dans de bonnes conditions : nourriture saine, logement salubre, pas d’excès de tra- vail, pas d’habitudes d'ivrognerie. Jusqu’à ces derniers temps sa santé a toujours été bonne, à part quelques indispositions légères. Mariée à l’âge de 25 ans, elle a eu cinq enfants, dont deux sont morts en bas âge. Les quatre premiers accouchements furent très- réguliers, mais au cinquième on dut appliquer le forceps. Aujour- d’hui elle se dit enceinte de huit mois. Il y a six semaines, elle s’aperçut que sa figure, ses pieds et ses mains commençaient à enfler. A partir de ce moment, elle ressentit de la céphalalgie frontale et des douleurs lombaires. Le 12 avril dernier, elle éprouva des troubles de la vision qui durè- rent deux jours : les objets ne lui apparaissaient plus qu’à travers un nuage. Le 28, nous la trouvons dans l’état suivant : face bouffie, œdème des mains ainsi que des membres inférieurs; céphalalgie presque continue, pas de troubles des sens; dyspnée non accompagnée de toux; palpitations, léger souffle systolique à la base du cœur ; inap- pétence, nausées, constipation; urines très-albumineuses. De plus, on constate tous les signes d’une grossesse arrivée au moins au hui- tième mois. L’administration d’un purgatif amena une diminution notable de la céphalalgie. Dans la soirée du 1er mai, violente attaque d’éclampsie qui se ré- péta deux fois pendant la nuit. (3) Une partie de cette observation, intéressante à divers titres, a déjà paru dans un autre travail. A. Oilivier : Note sur un cas d’utérus et de vagin doubles. (C. R., des séances et mém. de la Soc. de biologie, 1870, 5e série, t, II, p. 35.) 44 Le lendemain, nouvelle attaque au moment de la visite : saignée de 600 grammes. Quelques heures plus tard, la malade accouchait sans difficulté d’un enfant probablement mort déjà depuis plusieurs jours. Le 3, les attaques d’éclampsie n’ont pas reparu, mais les urines sont encore fortement albumineuses. A la première attaque, la langue, violemment serrée entre les ar- cades dentaires, avait été déchirée en plusieurs endroits. Bientôt sur- vint un gonflement considérable de cet organe qui fit hernie entre les dents. En même temps il se développa un œdème du cou et de la partie inférieure de la face. L’haleine ne tarda pas à prendre une odeur fétide ainsi que la salive qui s’écoulait en abondance par les commissures labiales. Le gonflement commença à diminuer le qua- trième jour, mais ce ne fut que le 7 mai qu’il fut possible d’explorer la bouche. Voici ce que l’on constata : langue intacte à sa face supé- rieure; mais sur son bord gauche, à égale distance de la pointe et du pilier palatin antérieur, ulcération déchiquetée, à grand diamètre, dirigé en dedans et en avant. Sur le bord droit, ulcération en tout semblable à la précédente. Ces deux ulcérations semblaient faire partie d’une courbe correspondant à celle des arcades dentaires. Il existait également des ulcérations au niveau du sillon qui sépare du plancher de la bouche la partie libre de la face inférieure de la lan- gue. Le frein avait disparu et à sa place se voyait une ulcération à diamètre antéro-postérieur. Plusieurs de ces ulcérations étaient en partie recouvertes de fausses membranes jaunâtres qu’il était impossible de détacher par le grat- tage. A la suite de l’accouchement, il survint une incontinence absolue d’urine; puis un gonflement considérable des grandes et des petites lèvres sur lesquelles il se développa plusieurs ulcérations très-dou- loureuses. Le cathétérisme fut néanmoins pratiqué matin et soir pour préve- nir l'action irritante de l’urine. On put constater ainsi la diminution graduelle de l’albuminurie, et le 40 mai il n’y avait plus trace d’albu- mine dans les urines. Le 12, chute des pseudo-membranes ou plutôt des eschares de la langue ; suppuration très-abondante ; fétidité de l’haleine. La malade non-seulement respire un air qui traverse un foyer purulent, mais encore doit avaler du pus, à chaque mouvement de déglutition, mal- gré des lavages fréquents de la bouche. Bientôt apparaissent des frissonnements, indices d’une septicémie commençante, en même temps que de la diarrhée. Malgré l’emploi des astringents, du bismuth et du diascordium, des toniques, de la viande crue, etc., ces accidents persistent jusqu’à la guérison des ulcérations de la langue, c’est-à- dire jusqu’à la fin de mai. 45 A ce moment, la maladie entre dans une phase nouvelle, ou plutôt des phénomènes demeurés inaperçus jusqu’alors, deviennent de plus en plus marqués. L’abdomen se développe graduellement, et l’on ne tarde pas à reconnaître tous les signes d’une ascite. Le 4 juillet, on constate l’état suivant : la palpation de l’abdomen ne fait découvrir l’existence d’aucune tumeur. Le foie ne déborde pas les fausses côtes; sa matité verticale, au niveau de la ligne ma- melonnaire, est difficile à apprécier en raison, d’une part, de la sono- rité des intestins refoulés en haut, et, de l’autre, d’un notable degré d'emphysème pulmonaire. La rate mesure 7 à 8 centimètres dans son plus grand diamètre. Les digestions sont lentes et difficiles. L’appa- reil cardio-pulmonaire n’offre rien de particulier à signaler que l’em- physème pulmonaire dont je viens de parler. Les urines sont rares et d’un rouge briqueté ; elles ne renferment ni albumine, ni sucre. Le toucher vaginal montre que l’utérus est parfaitement libre dans la cavité pelvienne. L’examen au spéculum n’est pas fait, et l’on ne s’a- perçoit pas qu’il existe deux vagins et deux utérus. L’ascite fait des progrès. Les deux membres inférieurs deviennent le siège d’un œdème qui s’étend graduellement aux parois abdomi- nales. Les membres supérieurs, au contraire, s’amaigrissent de plus en plus. Au commencement du mois d’août la malade est prise d’une gêne très-grande de la respiration, produite par le développement d’un double hydrothorax, et elle succombe quinze jours après avec tous les signes de l’asphyxie. Autopsie faite vingt-deux heures après la mort. Le cadavre ne pré- sente encore aucune trace de putréfaction. Le crâne n’est pas ouvert. Les deux plèvres contiennent une grande quantité de sérosité ci- trine. Adhérences résistantes et anciennes au sommet du poumon gauche. Il existe de l’emphysème au lobe antérieur de chaque pou- mon et de la congestion hypostatique à leur lobe inférieur et posté- rieur. Le péricarde renferme un demi-verre de sérosité citrine ; son feuil- let externe adhère à la plèvre gauche. Le cœur est petit, globuleux, à parois épaisses, à cavités rétrécies. Les orifices artériels et auriculo-ventriculaires sont dans un état d’in- tégrité parfaite. A l’ouverture de l’abdomen, il s’écoule plusieurs litres de sérosité également citrine. On ne découvre sur le périloine aucune trace de phlegmasie ré- cente ou ancienne. Tous les organes abdominaux sont remarquables par leur décolo- ration. Le foie est petit, résistant au toucher, comme ratatiné. Ses dimen- sions sont les suivantes : diamètre transversal, 22 centimètres; dia- mètre antéro-postérieur, 15; diamètre vertical, 6. A la coupe, on trouve le tissu jaune, parsemé de petites granulations. L’examen mi- croscopique permet de constater, autour des lobules hépatiques, l’existence de larges cloisons de tissu conjonctif. La rate est augmentée de volume ; sa capsule fibreuse est très- épaissie. Les deux reins sont très-anémiés : la seule altération qu’y révèle le microscope, consiste dans un certain degré de dégénérescence graisseuse. Quant à l’intestin, il présente, à 1 mètre environ au-dessus de la valvule ilio-cæcale, une tumeur constituée par une invagination qui se défait aisément. Il n’y a pas de trace d’inflammation entre les deux séreuses,et partant il ne s’agit là que d’une invaginationpostmortem. La veine porte et la veine cave inférieure ne contiennent que du sang fluide, tandis que les veines fémorale et saphène de chaque membre inférieur sont remplies de caillots dontles uns sont noirâtres, et les autres d’un blanc jaunâtre. Ces derniers sont résistants et adhè- rent aux parois. § IV. — Reins. Depuis longtemps on sait que l’albuminurie peut exister pen- dant la grossesse, indépendamment des causes diverses (alcoo- lisme, refroidissement, syphilis, etc.) qui, chez la femme en- enceinte comme chez tout autre sujet, peuvent lui donner nais- sance. Dans un travail antérieur (4) j’ai mentionné la statistique de Roberts (2) d’après laquelle le chiffre de la mortalité, en ce qui concerne la néphrite albumineuse, serait de 80 femmes pour 100 hommes, et cela entre 20 et 40 ans, c’est-à-dire pendant la période de la vie où la congestion est possible. Au delà de cette époque, la proportion est moindre, et cependant les causes ha- bituelles de maladie de Bright existent aussi bien chez la femme après 45 ans qu’avant cet âge ; mais avant 45 ans, une cause nouvelle vient s’ajouter, l’influence de la grossesse. (1) Note sur la pathogénie de l’albuminurie puerpérale, in C. R. des séances et Mém. de la Soc. de biologie, 1870. 5e série, t. II, p. 101. (2) Roberts (W.). Apractical treatise on urinary and rénal diseases, etc. Lon- don, 1865, p. 289. J’ai relevé, dans la statistique des hôpitaux de Paris pour 1861, 1862, 1863 et 1864, en ne tenant compte que des chiffres fournis par les hôpitaux d’adultes, 673 cas de néphrite albumineuse, et sur ce nombre 231 femmes et 442 hommes; la proportion est un peu moindre que dans la statistique de l’auteur anglais; mais il est un fait incontestable, c’est que les causes habituelles de la néphrite albumineuse s’exercent, pour la femme, comparée à l’homme, dans une proportion moindre que ne le pourraient faire croire les chiffres précédemment donnés; il est donc cer- tain qu’aux causes habituelles de la néphrite, on en doit joindre une importante qui n’a point été suffisamment signalée, la gros- sesse. Pour le rein, le processus est le même que pour la glande thyroïde, le cœur et le foie : c’est, comme point de départ, l’ac- tion irritative du produit de la conception, amenant, comme premier trouble, une congestion subaiguë avec albuminurie légère, qui peut ne pas s’accompagner d’œdème, mais dont la marche lente peut aboutir à l’état chronique et déterminer une véritable maladie de Briglit. Mais il peut se faire que l’action irritative soit plus intense; il en résulte une lésion suraiguë; l’urine est très-albumineuse et on observe souvent les graves accidents de l’éclampsie. Enfin il est des cas de maladie de Bright qui ne sont reconnus que longtemps après un ou plusieurs accouchements, et qu’i. n’est possible de rattacher à aucune cause connue. Dans ces cas, il est fort probable qu’une congestion des reins, survenant pen- dant la grossesse et persistant après elle, a passé inaperçue : et il est facile de comprendre pourquoi rien n’appela l’attention sur l’état des urines. Cette congestion légère ne donna lieu à aucun trouble grave de la santé; ajoutons que souvent, et c’est là un fait capital, elle peut ne pas s’accompagner d’œdème. Mais passons en revue avec plus de détails les trois états de ces troubles du rein liés à la grossesse. I. Une des formes les plus fréquentes que présente l’albumi- nurie des femmes grosses est bien celle qui est due à la congestion subaiguë du rein. Cette variété d’albuminurie apparaît habituel- lement dans les derniers mois delà grossesse, mais elle peut être 48 beaucoup plus précoce. M. Bach (1) l’aurait vue survenir six mois après le début de la grossesse, Cazeaux à quatre mois et M. Cahen (2) au cinquième mois. Dans un travail antérieur, j’ai moi-même rapporté une observation concernant une femme qui avait présenté de l’albumine dans les urines dès le troisième mois de la grossesse. Ordinairement la quantité d’albumine contenue dans l’urine est peu considérable; souvent même il n’y en a que des traces. Les symptômes qui pourraient en déceler la présence sont nuis ou peu marqués. Il existe bien quelquefois un léger œdème péri- malléolaire, mais qui est peu apparent et disparaît rapidement. Dans le plus grand nombre des cas, cette forme d’albuminurie dure jusqu’après l’accouchement, et bientôt après la délivrance on ne retrouve plus de traces d’albumine dans les urines. Mais il n’en est pas toujours ainsi; l’albumine peut persister : peu à peu il se forme une néphrite albumineuse chronique dont les symptômes ne se manifestent que longtemps après l'accouche- ment. Souvent ce n’est qu’en recherchant avec soin dans les antécédents que l’on peut, chez une malade, remonter à la gros- sesse comme cause. L’observation dont j’ai parlé dans mon pre- mier travail sur ce sujet, et que je rapporterai plus loin, est un exemple remarquable de cette forme d’albuminurie. II. Nous avons vu que l'albuminurie qui accompagne la gros- sesse peut disparaître sans avoir déterminé aucun accident grave pendant toute sa durée : la congestion des reins, dans ce cas, disparaît avec la cause productrice, sans laisser aucune trace. Mais il peut arriver que la lésion rénale, au lieu de se borner à une congestion subaiguë, devienne plus intense ; c'est alors une véritable inflammation aiguë, à évolution rapide, qui détermine des accidents graves. Les symptômes varient : il existe assez sou- vent de l’œdème des membres intérieurs, une bouffissure du visage; on peut aussi observer de la céphalalgie et même des (1) Cité par Cazeaux. Op. cit.,p. 491. (2) Cahen. De la néphrite albumineuse chez les femmes enceintes. Th. de doct. Paris, 1846, p. 15. troubles de la vue. On a enfin le tableau symptomatique de la néphrite aiguë. Sous l’influence de l’état physiologique spécial de la femme, il survient parfois brusquement des attaques con- vulsives qui vont se répétant et finissent par déterminer la mort. Le fait de l’action combinée de la néphrite avec la présence du fœtus dans l’utérus pour produire l’éclampsie paraît aujourd’hui bien démontré, du moins pour bon nombre de cas. Si la mort ne survient pas au milieu de ces désordres, l'albuminurie dispa- raît après l’accouchement dans un espace de temps habituel- lement très-court. III. Les deux formes de lésions rénales que je viens de signa- ler peuvent passer à l’état chronique. Ordinairement l'albumine a disparu de l’urine des femmes accouchées après un temps ttès- court. M. Blot (1) admet quatre jours comme maximum, MM. De- villiers et Regnauld (2) quinze jours. Gomme dernier terme, Frerichs donne douze jours. M. Cahen a vu, dans un cas, l'urine présenter de l’albumine onze jours après l’accouchement. Dans tous ces cas, l’albumine disparaît définitivement et les malades guérissent. En analysant les observations publiés il y a près de vingt ans par M. Leudet (3) sur la néphrite albumineuse, consécutive à l’albuminurie des femmes grosses, on voit, en effet, dans la première, l’albuminurie persister encore vingt-neuf jours après l’accouchement. Le même auteur rapporte une observation de Rayer (4) dans laquelle on trouva encore l’albumine dans l’urine près de cinq mois après la délivrance (obs. 2j. Dans l’observa- tion III du Mémoire de M. Leudet, nous voyons un œdème ap- paraître vers le cinquième mois de la grossesse. Les urines ne (1) Blot(H.).De l’albuminurie chez les femmes enceintes ; ses rapports avec l’éclampsie, son influence avec l’hémorrhagie utérine après l’accouchement. Th. de doct. Paris, 1849. (2) Devilliers fils et J. Regnauld. Recherches sur les hydropisies des femmes enceintes. In Arch. gén. de méd., 1848. lre série, t. XVII. (3) Leudet. Mémoire sur la néphrite albumineuse consécutive à /albuminurie des femmes grosses. In Gaz. hebd., 1854, 1.1, p. 656 et 504. (4) Rayer. Traité des maladies des reins, vol. II, p. 405. furent examinées que le neuvième mois et trouvées très-albumi- neuses. L’écoulement s’accompagna d’attaques d’éclampsie qui se reproduisirent encore longtemps après la délivrance. La ma- lade était accouchée le 16 octobre 1852, et le 20 mars 1854 elle rentrait dans le service de Rayer avec tous les signes de la ma- ladie de Bright. Dans un travail qui parut peu de temps après celui de M. Leu- det, M. Imbert-Gourbeyre est encore plus explicite, et il dit expressément « que dans la moitié des cas l’albuminurie puer- pérale disparaîtrait rapidement du deuxième au quatorzième jour des suites de couches, comme on l’a dit, et dans un sixième des cas (11 sur 65), elle persisterait et passerait à l’état chro- nique (1). » Ces faits suffiraient pour démontrer l’existence d’une néphrite albumineuse chronique reconnaissant pour cause la grossesse, persistant après la délivrance et suivant sa marche habituelle. Cependant on a contesté cette origine du mal de Bright. Ainsi, d’après Rosenstein (2), la grossesse, évidemment favo- rable à la production d’œdème, d’albuminurie et de congestion des reins, grâce à la diminution de densité du sang et à la com- pression des veines rénales, n’est cependantque rarement le point de départ d'inflammations sérieuses des reins. Même dans ces cas si rares, eu égard au nombre total des femmes enceintes, où la grossesse a amené une néphrite diffuse, il est bien plus rare encore que la maladie arrive à l’atrophie granuleuse. Yogel (3) croit également que, dans l’albuminurie qui survient pendant la grossesse, celle-ci ne joue aucun rôle bien important : elle est tout au plus une cause prédisposante. « Ce sont, dit-il, les causes occasionnelles, telles que les refroidissemnets, etc., qui agissent dans ces cas plus facilement sur les reins.—«Pourquoi ? l’auteur se garde bien de le dire.—«Probablement aussi la com- 50 (1) Imbert-Gourbeyre. De l’albuminurie puerpérale et de ses rapports avec l’éclampsie. In Mémoires de ’Acad. de méd., 1856, t. XX, p. 34 et 35. (2) Rosenstein. Die Pathologie und Thérapie der Nieren-Krankeiten. Berlin, 1870, p. 225. (3) Yogel (J.). Krankeiten der jharnbereitenden Organe. In Virchow’s Hand- buch der speciellen Pathologie uud Thérapie, 1865, t. VI, p. 642. pression directe des uretères peut amener la stagnation de l’urine dans les calices et le bassinet, de la pyélite et par extension de l’inflammation, du catarrhe des papilles rénales et des tubes droits. » Maisquelle que soit l’autorité des deux pathologistes allemands, leur opinion ne saurait contredire les observations faites par les auteurs que j’ai cités antérieurement. Ces observations restent avec toute leur valeur; je pense que celle qui m’est personnelle et que je vais reproduire ici, ajoute encore à la réalité de cette cause occasionnelle de la maladie de Bright, la grossesse. Obs. XIV. — «En 1865, j’eus l’occasion d’observer, à l’Hôtel-Dieu, le passage de l’albumine dans les urines, dès le troisième mois de la grossesse chez une primipare, âgée de 21 ans. Il ne survint aucun accident et l’accouchement fut régulier et facile, malgré la persistance de l’albuminurie. Mais la délivrance n’amena point la guérison de cette femme ; il se déclara plus tard de la bouffissure de la face, puis un œdème généralisé, et vingt mois après son accouchement, elle succombait avec tous les symptômes de la maladie de Bright arrivée à sa dernière période. L’autopsie n'a pu être faite. Néanmoins, il ne saurait s’élever aucun doute sur l’exactitude du diagnostic, en raison des phénomènes observés durant la vie et de l’état des urines qui nous présentèrent constamment au microscope des cylindres hyalins en assez grand nombre. » Au reste, en Allemagne même, tous les auteurs ne partagent pas l’opinion de Vogel et de Rosenstein. C’est ainsi que, dans un livre classique, Lebert dit expressément : «qu’il n’est pas si rare qu’on le croyait autrefois qu’une véritable maladie de Bright se développe vers la fin de la grossesse, Dans ces dernières années, j’ai vu mourir trois femmes enceintes de maladie de Bright, et j’ai trouvé à l’autopsie la dégénérescence des reins la mieux ca- ractérisée; dans plusieurs autres cas, l’affection a suivi, après l’accouchement, la marche ordinaire de la maladie de Bright. (1)» A l’autorité de Lebert, je joindrai celle d’un auteur anglais, W. Roberts, qui, dans son excellent ouvrage sur les maladies des reins, s’exprime ainsi: « On a beaucoup discuté au sujet de la (1) Lebert (H.). Handbuch der praktischen Meüicin. Tübingen, 1863, t. II, p. 684. nature exacte de la relation entre les phénomènes que je viens d’énumérer (l’albuminerie) et l’état puerpéral. Les uns affirment, les autres nient que la grossesse puisse être une cause efficiente de la maladie de Bright; on a également affirmé et nié l’origine urémique de l’éclampsie puerpérale. «Il est hors de doute qu’un grand nombre de cas de maladie de Bright, coexistant avec la grossesse ou la suivant, ne sont que des exemples de coïncidence de deux états parfaitement indé- pendants. Les femmes enceintes sont certes tout aussi sujettes que d’autres personnes à contracter une maladie de Bright dérivant des causes ordinaires, et réciproquement des femmes atteintes de maladie de Bright peuvent devenir enceintes. Mais après élimi- nation des cas rentrant dans ces deux catégories, il en reste, à mon avis, un nombre considérable où la maladie de Bright a été réelle- ment causée par la grossesse.» (1). §V. Jusqu’à présent j’ai étudié les lésions organiques qui, dans le corps thyroïde, le cœur, le foie et les reins, peuvent se développer sous l’influence de la grossesse; mais cette influence ne se fait pas seulement sentir sur les viscères que je viens de nommer. Il est d’autres organes qui, très-probablement, subis- sent les mêmes modifications de circulation et de nutrition, et, pour ne parler ici que des centres nerveux, il est certain que parmi les troubles qui peuvent dépendre de la grossesse, il n’en est guère de plus fréquents que les troubles psychiques. « Ces troubles sont de deux ordres : les uns constituent de simples dispositions morales qui n’arrivent pas à priver la ma- lade de son libre arbitre, mais impriment à ses allures et à sa physionomie un caractère tout particulier: les autres constituent un état d’aliénation mentale à forme variable, mais bien carac- térisée» (2). Les deux principales formes de ce que l’on appelle Ja folie puerpérale sont la mélancolie et la manie. Il convient de faire (1) Oper. cit., p. 289. (2) Marcé. Traité de la folie des femmes enceiutes, des nouvelles accouchées et des nourrices, etc. Paris, 1858, p. 32. 53 remarquer que, sous ce titre de folie puerpérale, on n’a pas seu- lement compris la folie qui survient chez la femme enceinte, mais celle qu’on observe après la grossesse et pendant la lac- tation. Je dois restreindre les cas de folie que je me propose d’é- tudier à ceux qui se développent chez la femme enceinte et qui ne reconnaissent pas pour cause l’hérédité ou un ébranlement moral continu et prolongé; il faut qu’on ne puisse trouver à la folie aucune cause nécessaire autre que la grossesse; il faut que ce soient de ces cas dont parle Ramsbotham dans son remarquable Traité de médecine et de chirurgie obstétricales, lorsque — après avoir énuméré les principales causes de la folie, l’hérédité, les passions, les troubles digestifs, etc., — il ajoute : « mais dans beaucoup de cas que fai observés, il n’existait aucune cause excitante à laquelle on pouvait Vattribuer avec quelque apparence de raison» ('1). Bien que la folie ne soit pas un accident fréquent pendant la grossesse, les auteurs ont pu cependant en rassembler un cer- tain nombre de cas. Marcé, sur 310 cas de folie puerpérale, en a compté 27 se rapportant à la grossesse, 180 survenus après l’accouchement, 103 pendant la lactation. Plus récemment Tuke, sur 155 cas de folie puerpérale obser- vés pendant dix*huit années à l’Asile royal d’Edimbourg, a trouvé une proportion un peu différente : 28 cas de folie de gestation (près du double proportionnellement de ce que donne la précé- dente statistique), 73 après l’accouchement, 54 pendant la lac- tation (2). L’influence de la grossesse, et de la grossesse seule, a été dans certains cas absolument incontestable. Ainsi Montgomery (3) a rapporté l’observation d’une femme qui devint maniaque à chacune de ses grossesses, et cela pendant huit grossesses suc- cessives. Chaque fois elle recouvra la raison peu de temps après la délivrance. (1) Ramsbotham H.). The Principles and Practice of obstetric medi- cineand surgery, etc. London, 1868,5e édit., p. 583. (2) Tuke. On the statistics of puerpéral insanity as observes in the Royal Edinburgh Azylum, Morning side. Edinburgh med. Journ, 1865, vol. X, p. 1013 (3) Montgomery (W.-F.), Dublin Journal cf med. and chem. science, 1834, vol. V, p. 64. La folie gravidique peut être passagère et se terminer par la guérison. C’est là même le cas le plus fréquent. Quelquefois, ce- pendant. les troubles cérébraux sont assez intenses pour amener la mort (1 fois sur 19 cas d’après Marcé). On peut donc rapprocher la folie des femmes enceintes des di- verses affections précédemment décrites. Ici encore, suivant l’intensité de l’action réflexe, on observe des cas légers ou graves comme pour le goitre, l’ictère et l’albuminurie. Mais, de même que ces affections peuvent persister après la grossesse et prendre la forme chronique, de même aussi la folie gravidique, qui peut guérir ou se terminer par la mort, peut aboutir à la forme chronique. La guérison, la mort et l’état de démence sont les trois modes de terminaison que nous trouvons indiqués dans les auteurs pour la folie puerpérale. Comme on le voit, l’analogie entre les troubles si variés de la grossesse se poursuit jusqu’au bout. Je vais maintenant donner des types vraiment tranchés des deux formes de la folie des femmes enceintes : la forme passagère cessant ordinairement au moment delà délivrance ou peu de temps après,et la forme persistante,chronique, aboutissant à ladémence. I. Yoici d’abord une observation que j’ai recueillie pendant mon internat. Elle est intéressante par ce fait que les troubles intellectuels cessèrent, pour ainsi dire, immédiatement après l’expulsion du fœtus. Obs. XV. — L. M..., âgée de 19 ans, originaire d’une grande ville de province, est admise, au commencement d’avril 1863, à l’hôpital de la Charité, dans le service de M. Beau. Cette jeune fille a reçu une bonne éducation et appartient à une famille honorable dans laquelle il n’y a jamais eu d’aliénés. Ne pou- vant plus dissimuler une grossesse de cinq à six mois, elle s’enfuit à Paris pour se soustraire aux reproches et môme aux menaces de son père. Des amis de sa famille l’accueillirent chez eux. Elle était à Paris depuis une quinzaine de jours lorsqu’on s’aperçut que son caractère changeait beaucoup, qu’elle devenait d’une suscep- tibilité excessive ; enfin des symptômes d’excitation maniaque ne tar- dèrent pas à se manifester. C’est alors qu’on amena cette jeune fille à la Charité. Malgré le désordre qu’elle causait dans les salles par ses violences, ses cris et ses chants, les injures qu’elle prodiguait autour d’elle, M. Beau ne consentit point à ce qu’on la dirigeât sur un établisse- ment d’aliénés, espérant voir tous ces troubles intellectuels cesser après l’accouchement. Son attente ne fut pas trompée. Étant de garde le jour où l’accouchement eut lieu — accouchement à terme et sans accident, —je pus assister au retour de cette jeune fille à la raison. Dix minutes environ après la délivrance, je la vis, à ma grande sur- prise, devenir aussi réservée qu’elle avait été grossière auparavant. Depuis lors aucun trouble intellectuel n’a reparu. Dans le cas suivant, la guérison eut lieu quelques mois seule- ment après la délivrance. Cette observation m’a été communi- quée par M. le Dr Bouchereau, médecin à Sainte-Anne. Obs.XVI.— La femme G..., âgée de 35 ans, entre au Bureau d’ad- mission des aliénés de la Seine le 16 décembre 1870. Son père était buveur et a divorcé. D’un caractère jaloux, portée à l’avarice comme divers membres de sa famille, la femme G... se refusait à faire pour elle et les siens les dépenses les plus indispensables : cependant on ne l’a jamais considérée comme aliénée. Une première grossesse n’a pas été accompagnée ni suivie d’acci- dents. L’enfant, une petite fille, s’est élevée facilement. Parvenue au huitième mois d’une seconde grossesse, la femme G... est prise de délire mélancolique avec idées de persécution : elle s’imagine qu’on cherche à lui nuire, qu’on parle d’elle dans les rues; elle s’accuse de fautes imaginaires et entend continuellement frapper à ses côtés. Un jour, convaincue qu’on vient pour la tuer, elle jette sa petite fille par la fenêtre et la suit, croyant échapper ainsi à une mort imminente. La mère, conduite d’abord à l’hôpital Beaujon, est ensuite dirigée sur le Bureau d’admission. Le délire mélancolique, les hallucinations persistent; on constate en outre un épanchement sanguin au niveau des articulations tibio-tarsiennes, des contusions à la partie inférieure du tronc, et de la fièvre. Le 19 décembre, la malade accouche à sept heures du soir; les douleurs furent peu intenses et durèrent moins d’une heure. La déli- vrance se fait immédiatement après l’accouchement. Le fœtus était mort et paraissait âgé de 8 mois. Le 26. Les idées mélancoliques subsistent encore. 2 janvier. Par instants, la malade manifeste encore des signes de frayeur : on crie à ses oreilles : «tue-moi, poignarde-moi ces paroles doivent être à son adresse. Elle est inquiète, mais répond assez faci- lement. Le 6. Amélioration sensible, les hallucinations ne sont plus aussi nettes. La malade passe à l’Asile Sainte-Anne, dans le service de AJ. Lucas, où elle demeure jusqu’au 2 juin 1871. L’état intellectuel et physique a progressivement continué à s’améliorer, et le 2 juin, jour de la sortie de la femme G..., on pouvait la considérer comme guérie. II. Les faits de folie chronique d’origine gravidique sont loin d’être aussi rares que le croyait Ellis (1). Marcé a trouvé, en effet, que neuf fois la maladie est restée incurable ou n’a dis- paru que longtemps après la délivrance. Remprunterai à son excellente monographie l’observation troisième (2), qui me paraît être un type de démence consécutive à une manie chronique. Obs. XVII. — Madame C..., entrée le 24 février 1824 à la Maison de Charenton; elle avait alors 39 ans et était grosse de sept mois. Depuis qu’elle était enceinte, elle offrait des signes notables d’exal- tation maniaque, avec quelques traits mélancoliques; ainsi, elle se croit perdue, damnée, etc., etc. 5 avril. La grossesse marche régulièrement, mais la malade est toujours délirante et fort agitée. b mai. L’accouchement a lieu après un travail de trois heures et sans accident fâcheux; l’enfant est bien portant; la mère, après la délivrance, est un peu moins agitée. Le 13. La malade est toujours emportée, délirante, acariâtre, et offre de temps en temps quelques moments de calme très-courts. Elle quitte la maison le 24 mai, malgré l’avis du médecin, mais au dehors son agitation est telle qu’on est obligé de la ramener. Elle sort de nouveau le 21 juillet 1824, pour rentrer d’une manière défi- nitive. La malade est restée depuis lors dans la maison sans que son état ait éprouvé la moindre amélioration. En janvier 1830, elle eut une perte utérine qui mit ses jours en danger; en 1832, elle succomba aux suites d’une entérite chronique. L’enfant dont elle était accouchée fut une fille qui ne vécut que peu de temps. (1) « Dans les cas de folie survenant pendant la grossesse que j’ai observés, l’amélioration avait ordinairement lieu à l’approche du terme de la grossesse, et la guérison a presque toujours été complète quelques semaines après la déli- vrance.» Ellis. Traité de l’aliénation mentale.Trad. par Archambault,!840, p.334. (2) Op. cit., p. 62. A côté de ce fait, je crois pouvoir en citer un autre qui, sans être précisément un exemple de folie des femmes enceintes, est une preuve bien manifeste de l’influence delà grossesse sur le retour d’accidents de manie chez une femme précédemment folle, mais depuis longtemps guérie. J’ai vu cette femme à l’Asile Sainte-Anne, et je dois son observation à l’obligeance de M. le Dr Magnan. Obs. XVIII. — Clémentine de G..., pianiste, née à Varsovie, âgée de 26 ans, est admise le 23 juillet 1868 au Bureau d’admission des aliénés de la Seine. Elle est en proie à une excitation maniaque très- accusée; désordre dans les idées et dans les actes, cris, chants, alter- native de tristesse et de gaieté, hallucinations; la malade aperçoit une foule d’enfants qui passent devant ses yeux : elle parle à son amant et lui répond. Au bout de deux mois de traitement, elle quitta l’Asile Sainte-Anne, étant complètement guérie. Seconde admission le 3 mai 4869 pour les mômes troubles intel- lectuels. Guérison après un séjour de trois mois. Clémentine de G... part alors pour Londres, d’où elle revient en juillet 1871 dans un état de grossesse à terme. Elle est admise une troisième fois à Sainte-Anne le 4 août de la même année. Vers le huitième mois de sa grossesse, elle avait été reprise d’excitation ma- niaque avec incohérence très-grande dans les idées et dans les actes, elle veut s’ouvrir le ventre pour se délivrer elle même. Elle prétend en outre qu’on veut lui faire du mal, ellevoit d s objets effrayants... L’accouchement se fait facilement et rapidement, mais les troubles intellectuels ne sont pas amendés. Aujourd’hui, 20 avril 1873, on constate chez Clémentine de G... tous les signes d’une manie chronique avec hallucinations, idées de persécution, allures bizarres, irrégulières. Ces phénomènes s’exagè- rent à chaque époque menstruelle. Les seuls renseignements qu’il nous fut possible de nous procurer sur les parents de cette malade sont relatifs à deux sœurs qui se portent bien et n’ont jamais présenté de troubles intellectuels. Je terminerai par les quelques considérations précédentes sur les troubles cérébraux passagers ou persistants (manie, mélanco- lie ou démence), l’étude que je me suis proposé de faire des accidents qui, chez la femme, sont liés à la grossesse. J’aurais voulu, si je n’avais craint d etre, bien à tort cependant, accusé de néologisme, les désigner sous le nom d’accidents gravidiques : le mot degravidité revient souvent dans les vieux auteurs, et il 58 a l’avantage de bien désigner l’état de grossesse, tandis qu’on est loin d’être d’accord aujourd’hui sur la signification précise du mot de puerpéralité. Ainsi que je le disais au début de ce travail, comme cette étude prise dans son ensemble m’aurait entraîné trop loin, j’ai dû choi- sir, parmi les lésions chroniques d’origine gravidique, celles qui peuvent servir de types. L’idée générale qui m’a guidé est celle-ci : laissant de côté les altérations du sang dans la grossesse, nous ne trouvons dans cet état physiologique qu’un seul élément, le fœtus. Par sa présence dans l’utérus, il peut, dans certains cas, être le point de départ d’actions réflexes diverses. Je dis que c’est dans certains cas seulement; en effet, ces accidents de la grossesse sont relative- ment rares; mais personne ne met en doute la réalité des con- vulsions réflexes causées par la présence des vers intestinaux, et cependant le nombre est immense des enfants qui ont des oxyures sans avoir des convulsions. Ces actions réflexes se résument en des troubles vaso-moteurs, qui ont pour conséquence la congestion des différents viscères. Ces troubles peuvent être passagers; c’est un fait que chacun sait et admet sans discussion; ils disparaissent après la déli- vrance : sublata causa, tollitur effectus. Mais le fait sur lequel j’ai insisté est le suivant : ces congestions viscérales peuvent persister d’une façon latente et amener quel- quefois des lésions organiques dont la cause première resterait toujours méconnue si on ne songeait û la grossesse. J’ai suivi parallèlement l’évolution de ces accidents gravidiques dans la glande thyroïde, le cœur, le foie, les reins : accidents passagers, légers ou graves, subaigus ou aigus, maladies chro- niques. Mais je n’ai entendu prendre que des types. D’autres organes présentent très-vraisemblablement des lésions de même ordre,et, par exemple, certains troubles gastriques chez la femme pour- raient, éclairés du même jour, être élucidés dans quelques-unes de leurs causes souvent si obscures. C’est en réalité une étude d’étio- logie que j’ai eu surtout en vue de faire. En présence d’une ma * ladie chronique qui a évolué lentement, ce que le médecin a le plus intérêt à connaître, ce sont les causes qui ont amené cette maladie. L’étude des causes domine toute la thérapeutique de ces maladies et elle a été jusqu’ici trop négligée. Je crois avoir, pour un certain nombre de maladies chroniques chez la femme, démontré l’influence d’une cause qui avait pour ainsi dire jus- qu’ici passé inaperçue, la grossesse. C’était là le but de mon travail, et c’en est la conclusion. 59 Paris. A. Parent, imprimeur de la Faculté de Médecine, rue Mr-le-Prince, 3i.