RECHERCHES SUR LExSOL ARABLE Par M. E. RISLER. L’HUMUS. Théodore de Saussure a reconnu que les extraits de terreau par l’eau renferment une substance organique que les plantes absorbent. La s’arrêtent malheureusement les recherches de cet admi- rable observateur. Quelle est la nature de celle substance organique ? Quel rôle joue-t-elle dans la végétation ? M. Liebig, dans sa Chimie appliquée à /’agriculture (2me édition, traduction de Gerhardt), affirme que les extraits de terreau sont tous incolores, que, s’ils renferment une sub- stance organique, le carbone de cette substance est en quan- tité si infiniment petite, par rapport au carbone des récoltes, qu’on peut la négliger et même nier son utilité. A la suite de Priestley, de Bonnet et de Sennebier, Th. de Saussure avait établi que, sous l’influence de la lumière, les plantes absorbent l’acide carbonique de l’air et s’assimilent une partie de son carbone; mais il avait ajouté : «Tout le carbone qui entre dans la constitution des végétaux ne vient pas de là; les plantes en tirent aussi du sol sous forme d’humus soluble dans l’eau.» M. Liebig nie cette seconde source de carbone, et, sur sa foi, la plupart des chimistes modernes qui se sont occupés de la nutrition des plantes ont passé sous silence la matière orga- nique signalée par le savant genevois. A les croire, il suffirait 2 RECHERCHES de mettre les terres dans les conditions physiques favorables à la végétation, et d’y ajouter les sels minéraux et les substances azotées que cette végétation exige. Mais les cultivateurs s’ob- stinent a attribuer la plus grande partie de la fertilité des sols à l’humus qu’ils renferment. Qui a raison ? L’humus nourrirait- il les chimistes en dépit de leurs théories ? Avant d’exposer mes propres recherches sur ce sujet, je vais résumer les résultats auxquels ont conduit celles d’un Alle- mand, de M. Charles Sprengel. Elles sont inconnues en France, et se rapportent aux propriétés d’un acide que Braconnot a appris a préparer en traitant du ligneux par un alcali et préci- pitant par l’acide chlorhydrique; c’est Y acide humique, analo- gue au produit de l’action de l’acide sulfurique sur le sucre. Comme les bonnes terres sont toutes légèrement alcalines, que beaucoup d’amendements, les cendres, etc., contiennent de la potasse et de la soude, que la plus grande partie de la valeur des fumiers réside dans leur ammoniaque, que la décomposi- tion des silicates alcalins par l’acide carbonique donne des car- bonates alcalins, il est évident que cette préparation artificielle de l’acide humique est une imitation de ce qui a lieu dans les terres cultivées. M. Sprengel a reconnu que cet acide forme des combinai- sons avec toutes les bases que renferment ordinairement les sols arables. D’après leur affinité pour l’acide humique, ces bases peuvent être mises à peu près dans l’ordre suivant, en commençant par celles qui ont la plus grande : Oxyde de fer cl protoxyde de manganèse, Protoxyde de fer, Alumine, Magnésie, Chaux, Potasse et soude, Ammoniaque. SUR LE SOL ARABLE. 3 Ces combinaisons sont plus solubles dans l’eau que l’acide humique lui-même. D’après leur solubilité dans l’eau, on peut les ranger ainsi : Humate de potasse qui se dissout dans */a partie d’eau. » de s'oude b Vs à 1 » » d'ammoniaque » 1 à 2 » » de protoxyde de fer b ? » * de magnésie » 160 parties d’eau à 15° R. » de protoxyde de manganèse » 1450 » » de chaux » 2000 » à 16° R. » d’oxyde de fer » 2300 b b d’alumine » 4200 » Ces combinaisons sont beaucoup plus solubles dans les dis- solutions d’ammoniaque et de carbonate d’ammoniaque que dans l’eau pure. L’acide humique perd sa solubilité à 0°, et devient de plus en plus soluble a mesure que la température de l’eau s’élève. Il perd presque toute sa solubilité par la dessiccation ; mais il est très-hygrométrique, absorbe 95 pour 100 de son poids d’eau et redevient ainsi peu à peu soluble. L’acide humique libre agit comme antiseptique. Exposé à l’air, l’acide humique se transforme en acide carbonique et eau. Combiné avec les bases, il se transforme également en acide carbonique et eau, mais beaucoup plus lentement que lorsqu’il est libre ; à la place des humâtes, il reste des carbonates. L’acide humique est un acide plus énergique que l’acide carbonique. Tels sont les principaux résultats des travaux de M.Sprengel. Différents réactifs qu’il serait trop long d’indiquer ici, ont permis à M. Mulder de précipiter dans cet extrait alcalin d’au- tres matières organiques. lia distingué l’acide humique, l’acide ulmique, l’acide crénique, l’acide apocrénique, l’acide mudé- sique et l’acide géique. Non-seulement tous ces acides diffè- rent entre eux par leur composition, mais, extraits de ma- 4 RECHERCHES tières organiques ou de sels différents parles mêmes méthodes, ils n’offrent pas toujours les mêmes quantités de carbone d’hy- drogène et d’oxygène. Les uns renferment l’hydrogène et l’oxygène dans les proportions de l’eau, d’autres ont un excès d’hydrogène, d’autres encore un excès d’oxygène. Mais ils présentent cependant un caractère général qu’il est bon de faire remarquer : ils sont tous plus riches en carbone que la cellu- lose, le sucre et l’amidon. Quelques-uns d’entre eux sont so- lubles dans l’eau, tous le sont plus ou moins par les alcalis. Du reste, leurs propriétés sont peu connues. Il est très-diffi- cile de séparer nettement les unes des autres toutes les sub- stances et surtout les substances facilement altérables par l’air, l’eau, la chaleur et peut-être d’autres agents inconnus qui en- trent dans la composition de ce mélange infini et infiniment variable de matières organiques et inorganiques, le sol arable ! Mais quelque incomplets que soient encore les travaux de Ber- zélius, Sprengel, Muider, Boullav, Peligot, Malaguti, Sou- beiran, sur ce sujet, ils ont suffi pour montrer, à la suite de Théodore de Saussure, que certaines matières organiques non azotées des terres cultivées sont solubles par elles-mêmes ou par leurs combinaisons avant d’être arrivées au dernier terme de leur décomposition en acide carbonique et eau. J’ai retrouvé ces mêmes substances dans les terres du do- maine de l’institut agronomique de Versailles que j’ai exami- nées, en 1852, avec M Verdeil. D’après le conseil de M. de Gasparin, alors directeur de cet établissement, nous avions traité ces terres par l’eau et nous avions constaté les résultats suivants Les dix terres que nous avons traitées ainsi nous ont donné des solutions colorées en jaune brun qui, évaporées a siccité, ont laissé un résidu composé de 33 à 70 p. 100 de matières ‘ Comptes rendus de l’Acad. des sciences, tome XXXV, p. 95. SUR LE SOL ARABLE. 5 organiques. Cette matière organique renfermait de 1,5 à 2 p. 100 de son poids d’azote a l’état d’ammoniaque. Quant aux matières minérales, elles se composaient en moyenne de : Sulfate de chaux 31,06 Carbonate de chaux 26,90 Phosphate de chaux 6,69 Oxyde de fer 1,60 Alumine 0,30 Chlorures de sodium et de potassium.. 7,58 Silice 18,65 Potasse et soude des silicates 5,00 Magnésie 1,59 Nous avons fait remarquer que ces cendres renferment en proportion notable de la silice, du carbonate de chaux, du phosphate de chaux et de l’oxyde de fer, et nous ajoutions : « Comme ces substances ne sont obtenues insolubles dans l’eau qu’après la destruction, par l’incinération, de la substance organique, il faut bien attribuer à celle-ci une action dans la solubilité des principes minéraux que nous retrouvons dans les cendres.» A Versailles, nous avons fait digérer les terres dans l’eau à une température peu régulière qui approchait quelque- fois de celle de l’ébullition. C’était s’éloigner beaucoup des procédés de la nature qui dissout les aliments des plantes à des températures beaucoup plus basses par l’eau de pluie et d’irri- gation. Pour me rendre compte de l’erreur que nous avions commise, j’ai pris deux poids égaux d’une même terre (trois kilogrammes contenant 14 p. 100 d’eau), j’y ai ajouté la même quantité d’eau distillée (2,2 litres). J’ai fait bouillir l’une, j’ai laissé l’autre en digestion à environ 20° C.; j’ai filtré d’abord à travers une toile, puis au moyen d’un double papier à filtrer ordinaire ; j’ai évaporé au bain-marie, puis à siccité dans une étuve chauffée à 100°. 6 RECHERCHES Voici les résultats que j’ai obtenus : Extrait bouilli. Extrait à 20° C. Poids du résidu 3,426 CO ( matières organiques.. dont { , 1 et cendres Ces cendres renfermaient : 1,519 0,950 1,907 2,162 Silice 0,711 0,836 Oxvde de fer 0,009 0,005 Phosphate de chaux 0,025 0,016 Carbonate de chaux 0,588 0,788 Sulfate de chaux 0,192 0,230 Ainsi, l’eau bouillie a donné un plus fort résidu que l’eau à 20° C.; elle a extrait beaucoup plus de matières orga- niques, mais une moindre quantité de matières minérales. J’ajouterai que, dans les nombreux extraits par l’eau de terres cultivées que j’ai faits depuis, j’ai constamment obtenu plus de substance organique dissoute, a mesure que la température s’élevait. J’ai exposé aux gelées de l’hiver des terres qui, en été, m’avaient donné des solutions très-colorées, et, traitées par une eau très-froide, elles ne m’ont plus donné que des extraits presque incolores. Quant aux matières minérales dissoutes dans celle expé- rience comparative, l’extrait bouilli contient plus d’oxyde de fer et de phosphate de chaux ; par contre, le second renferme plus de silice, beaucoup plus de carbonate de chaux et un peu plus de sulfate de chaux. Ainsi, la température de l’eau employée à Versailles a pu influer sur la solubilité de ces matières, mais pas assez pour inférer les conclusions que nous avons tirées des résultats ob- tenus. Les quantités que nous avons indiquées sont trop faibles pour le carbonate de chaux surtout ; et l’on sait, en effet, que l’ébullition précipite en grande partie celui qui est dissout à la faveur de l’acide carbonique. SLR LE SOL ARABLE. 7 Pour reconnaître quelles sont les matières inorganiques qui, dans le sol arable, se sont dissoutes sous l’influence de cette substance organique, on peut encore, au lieu de détruire cette dernière par l’incinération, la laisser se détruire spontanément. Si l’on expose pendant quelques semaines un extrait de terre cultivée à l’air, il se produit des faits différents, suivant les circonstances qui les accompagnent. Dans certaines condi- tions, et je suis porté a croire, d’après divers essais, que cela n’a lieu qu’a une température suffisamment élevée, il se forme dans le liquide des corps organisés, des espèces de conferves. Dans d’autres, et principalement quand le vase renfermant l’extrait offre un grand accès a l’air, la substance organique se décompose. Il se forme à la surface du liquide des pellicules d’un blanc jaunâtre, qui bientôt tombent au fond, et qui, analysées, se montrent composées d’oxyde de fer, de silice, de phosphate de chaux et de sulfate de chaux. J’ai même plu- sieurs fois trouvé ce dernier sel en jolis cristaux. Ainsi, il faudrait admettre que cette substance organique exerce une action toute particulière sur la dissolution de l’oxyde de fer, de la silice, du phosphate et du sulfate de chaux, et partage cette action avec l’acide carbonique pour le carbonate de chaux. J’ai essayé de vérifier le fait le plus directement pour ces diverses matières : Sulfate de chaux. J’ai montré4 qu’en mélangeant du terrai»* avec du plâtre, non-seulement l’eau extrait de ce mélange plus de sulfate de chaux que du plâtre isolé, mais aussi plus de substance organique que du terreau seul, ce qui ferait croire que l’action dissolvante de la substance organique sur le plâtre est réciproque, ou que la présence du sulfate de chaux modifie la décomposition du terreau, de telle sorte qu’il se forme plus de substance soluble. 1 Principes d'agronomie, parM. deGasparin. Appendice. 8 RECHEKCHKS Cette seconde hypothèse est d’accord avec les faits suivants: J’ai mélangé intimement du plâtre avec du sucre. L’humi- dité atmosphérique qu’ils ont absorbée et le contact de l’air ont suffi pour transformer peu à peu le sucre, à la température ordinaire, en une matière brune très-hygrométrique. Le mé- lange donnait une forte réaction acide. Une portion, traitée parla potasse, a donné, a l’approche d’une baguette trempée dans l’acide chlorhydrique, d’abondantes vapeurs de chlorhy- drate d’ammoniaque. Serait-ce une confirmation de l’opinion de MM. Mulder et Lassaigne d’après laquelle, pendant l’oxy- dation des substances organiques non azotées, il se forme- rait de l’ammoniaque aux dépens de l’hydrogène de l’eau et de l’azote de l’air ? Quand j’ai ajouté une plus grande quantité d’eau, une substance organique noire a surnagé, une partie du plâtre et du sucre non décomposé est restée au fond du vase, et l’eau a dissout le reste du plâtre avec une matière organique jaunâtre qui offrait les caractères de celle que j’ai trouvée dans tous les sols fertiles. Après avoir pétri la solution saturée et recueilli 50 centimètres cubes de celle solution, j'y ai dosé 0&r,25 de sulfate de chaux, ce qui donne 0,5 partie de sulfate de chaux dissoutes dans iOO parties d’eau à envi- ron 20°. Or, selon M. Régnault, l’eau à 20° ne dissout que 0,241 p. 100 de sulfate de chaux. Il faut donc admettre que la solubilité de ce sel a été augmentée par la présence de la matière organique dissoute. Silice. La seule manière dont on a pu s’expliquer jusqu’à présent la présence de la silice dans la plupart des eaux de source et dans les plantes est la suivante : la décomposition des matières organiques renfermées dans le sol fournit de l’a- cide carbonique qui sature les eaux, décompose les silicates, et forme avec les bases de ces derniers des carbonates so- lubles, tandis que la silice à l’état naissant se dissout égale- ment, et peut être entraîné par les eaux dans les rivières ou pénétrer avec elles dans les plantes. SliK LE SOL ARABLE. 9 Or l’acide humique de Sprengel a une affinité plus grande pour les hases que l’acide carbonique. La matière organique que je retrouve dans tous les extraits de terre cultivées, ne peut pas non plus être chassée de ses combinaisons, si toute- fois combinaisons il y a, par l’acide carbonique. Je m’en suis assuré en faisant passer dans les extraits un courant d’acide carbonique qui n’y a produit aucun précipité. D’après cela, il y a lieu de croire que les matières organiques solubles qui existent dans le sol en même temps que l’acide carbonique doivent s’emparer des bases des silicates plus rapidement en- core que lui. Mais, comme il est impossible de faire l’expé- rience directe au moyen de cette substance organique, telle que les eaux l’extraient des terres, complexe sans doute elle- même, et combinée avec toutes espèces de matières minérales, j’ai cru devoir employer a cet effet l’acide humique de Spren- gel, qui, en vertu de son mode de formation facile à vérifier dans les laboratoires, est évidemment une des parties consti- tuantes de cette substance organique, et j’ai pensé que, après avoir prouvé que la partie décompose les silicates mieux que l’acide carbonique, je pourrais conclure que le tout jouit de la même propriété. Je dois remarquer d’abord que l’acide humique, tel qu’on l’obtient par l’action de la potasse sur le terreau, et la préci- pitation par l’acide chlorhydrique, renferme presque toujours une certaine quantité de silice précipitée avec l’acide, après avoir été dissoute par la potasse. Avant de me servir de l’acide humique pour une expérience comparative entre les pouvoirs que possèdent cet acide et l’acide carbonique de désagréger les silicates, j’ai donc pris la précaution de doser la silice qu’il renfermait. Puis j’ai mélangé 50 grammes de feldspath finement pul- vérisé avec environ 20 grammes d’acide humique humide, et j’ai ajouté un peu d’eau. J’ai laissé ce mélange pendant plu- sieurs mois exposé à l’air, mais à l’abri de toute poussière. 10 RECHERCHES D’autre part, un même poids de feldspath, avec la même quan- tité d’eau à peu près, a été soumis à l’action d’un courant d’acide carbonique, et exposé dans les mêmes conditions que le mélange précédent. A de courts intervalles de temps, quand les matières étaient à peu près sèches, je les ai remuées ; j’ai ajouté des deux côtés la même quantité d’eau, et j’ai fait pas- ser dans le deuxième de l’acide carbonique. A la fin du troi- sième mois, l’acidité de l’acide humique avait complète- ment disparu. Au bout de cinq mois, j’ai fait les extraits. Celui que m’a donné le feldspath traité par l’acide carbonique n’a laissé qu’une trace inappréciable à la balance de matière dissoute. L’autre, au contraire, renfermait 0gr,024 de silice. L’acide humique employé en contenait 0?r,003. Il s’est donc dissout 0£r,021 de silice. On pourrait objecter que cette silice a été dissoute, grâce à l’acide carbonique produit par la décomposition de l’acide hu- mique. L’acide chlorhydrique, ajouté au mélange, donnait en effet une très-légère effervescence, preuve qu’une portion des bases avait passé à l’état de carbonate. Mais l’acide chlor- hydrique, ajouté à l’extrait par l’eau du mélange produisit un précipité jaunâtre qui était évidemment formé par l’acide humique uni aux bases. Ainsi, l'acide humique concourt, avec l’acide carbonique, à décomposer les silicates et à mettre ainsi une certaine quantité de silice à l’état naissant, qui permet sa dissolution dans l’eau. Mais la matière organique soluble possède-t-elle un pouvoir qui favorise la dissolution de la silice qui ne se trouve pas à cet état naissant, celle du quartz, par exemple? J’ai essayé en vain de mélanger du quartz finement pulvé- risé avec de l’acide humique, et de le traiter comme j’avais traité le feldspath; je n’ai pas réussi à en dissoudre. Cependant, on ne peut expliquer que par ce pouvoir le fait de la silice renfermée dans un extrait de terre et précipitée dès que la matière organique de l’extrait est détruite. Les 11 cendres des plantes, et de même celles des résidus d'extraits de terres renferment des silicates de potasse et de soude. Mais il est difficile de savoir si ces silicates existaient comme tels dans les plantes et les extraits, car l’incinération a pu les pro- duire par la combinaison de la silice avec les bases des carbo- nates, humâtes, etc., c’est-à-dire par une sorte de vitrification. Chaux. Dans les extraits de quelques terres très-pauvres en chaux et très-riches en débris organiques, je n’ai obtenu par l’ébullition aucun précipité de carbonate de chaux. Par contre, il y avait du carbonate de chaux dans les cendres du résidu de ces extraits. Donc, la chaux v avait été dissoute par une matière organique que l’incinération avait transformée en acide carbonique. Dans la plupart des autres extraits que j’ai faits, l’ébullition donnait un précipité composé en majeure partie de carbonate de chaux. Donc, les substances organiques solubles dans l’eau des terres arables concourent avec l’acide carbonique à dis- soudre la chaux. Réciproquement, la chaux vive favorise la formation de la substance organique soluble. On peut s’en assurer en chau- lant un certain poids de terre, laissant un poids égal de la même terre sans addition de chaux, et extrayant quelques mois après par une même quantité d’eau. L’eau dissout dans la première plus de matière organique que dans la seconde. Le carbonate de chaux tend également à modilier la dé- composition des substances organiques, de manière à les rendre solubles ; mais son pouvoir est plus faible que celui de la chaux vive. Potasse, soude et ammoniaque. Des expériences semblables à celle qui a été faite pour la chaux, constatent que les alcalis provoquent la production de la matière organique soluble. Phosphate de chaux. J’ai broyé du phosphate de chaux (ob- tenu par précipitation) avec de l’acide humique. J’en ai fait une solution saturée à la température de 20° G. J’ai fdtré: SUR LE SOL ARABLE. 12 RECHERCHES 1000 parties d’eau avaient dissout 1,397 de phosphate de chaux et 0,728 de matière organique. D’autre part, j’ai fait passera plusieurs reprises un courant d’acide carbonique dans du phosphate de chaux trempé d’eau: 1000 parties d’eau ont dissout 0,1225 de phosphate de chaux. D’où je conclus que l’acide humique, ou du moins la ma- tière organique qui s’étail formée après plusieurs semaines d’exposition a l’air, possèdent la propriété de dissoudre le phosphate de chaux à un plus haut degré que l'acide carbo- nique. Comme 1000 parties d’eau ne dissolvent à 20° C. que 0,4 d’acide humique, il paraîtrait que le phosphate de chaux a fa- vorisé la dissolution de la matière organique. Ojcyde de fer. On sait depuis longtemps que la présence de matières organiques dans une solution qui contient de l’oxyde de fer empêche la précipitation de cet oxyde par l’ammoniaque. De plus, dans les terres calcaires, l'oxyde de fer ne peut être dissout que par l’influence de ces matières organiques. Car sous quelle forme pouvez-vous imaginer qu’il pénètre autre- ment dans les plantes? En présence d’un grand excès de chaux, le sulfate elle phosphate de fer ne peuvent pas exister. Les recherches précédentes ont donc bien établi que, dans les circonstances où la culture produit la décomposition des matières organiques que renferment les terres, cette décom- position fournit, avant d’aboutir à ses termes extrêmes, acide carbonique, eau et ammoniaque, une substance organique qui est soluble dans l’eau et qui est d’autant plus abondante que certaines matières minérales sont présentes en plus grande quantité. Le plus souvent, j’ai trouvé les extraits de terres fertiles neutres ; mais les sols riches en débris organiques donnent quelquefois des solutions acides. Des terres du pays de Caux SUR LE SOL ARABLE. 13 que l’on marne habituellement tous les douze ou quinze ans, m’ont donné un extrait acide à la fin d’une période de mar- nage. Cetle réaction peut être considérée comme le signe de la nécessité d’un nouvel amendement. (Les oseilles apparaissent a mesure que l’extrait du sol devient acide, et disparaissent quand cet extrait est rendu neutre a la suite d’un marnage). Tandis qi-e les terres de Versailles paraissaient contenir tout l’azote à l'état d’ammoniaque, d’autres terres m’ont donné des extraits contenant des nitrates; ces dernières étaient en géné- ral moins riches en matières organiques peu azotées que les premières. Le résidu de l’extrait d’une terre engazonnée n’a donné a l’analyse qualitative aucune trace d’acide nitrique; la potasse n’a pas réussi à en chasser tout l’azote; il faut con- clure de là qu’il y restait une certaine quantité d’azote enfermée dans des substances albuminoïdes. La partie organique des extraits de terres fertiles est donc variable dans sa composi- tion. Elle renferme ordinairement des matières azotées de di- verses natures; mais elle renferme aussi des matières non azotées, comme le prouvent les extraits d’où la potasse a chassé tout l’azote, les procédés par lesquels on prépare les acides humique, apocrénique, et la présence de l’acide crénique de Berzélius dans presque tous ces extraits. L’analyse élémentaire de la matière organique soluble m’a donné une composition différente, suivant les sols dont elle était tirée, et même variable avec leur mode de culture, mais toujours une plus grande proportion de carbone que dans la cellulose et les diverses matières ternaires auxquelles elle doit son origine. Nous avons affaire à une matière complexe. Je n’ai pas réussi à séparer les uns des autres les divers principes dont elle est composée, mais, en attendant que des chimistes plus habiles que moi résolvent cette partie, en quelque sorte ana- tomique du problème, je crois pouvoir montrer que nous avons sur ces matières organiques solubles des notions suffi- 14 RECHERCHES santés pour indiquer leur rôle physiologique, et éclairer quelques questions importantes de la pratique agricole que les théories admises jusqu’à présent sont complètement impuissantes à ex- pliquer. Tout le monde admet Futilité de l’ammoniaque, de Facide nitrique et des matières albuminoïdes que les eaux dissolvent dans les terres, mais M. Liebig et la plupart des chimistes modernes nient celles des substances non azotées. Nous allons nous occuper principalement de ces dernières. On appelle humus les débris organiques en décomposition que renferment tous les sols fertiles, et qui leur communiquent la couleur foncée, signe caractéristique de la présence de ces débris organiques. Comme le sable, l’argile, la marne, etc., l’humus n’est pas susceptible d’une définition chimique rigoureuse. La terre arable est un mélange très-intime de matières or- ganiques azotées et non azotées avec un grand nombre de substances minérales, soumis à l’influence de l’air, de l’eau, etc. Que se passe-t-il dans ces conditions? Les substances organiques subissent une désorganisation. On sait que ces substances sont les plus complexes de toutes celles que la nature offre à nos études. Elles doivent leur sta- bilité à la puissance de forces que nous ne connaissons guère, et dont nous désignons l’ensemble par le nom de force vitale. On peut considérer la force vitale comme faisant équilibre, dans les êtres vivants, aux forces inorganiques qui sollicitent constamment les substances organiques, et qui, restant seules maîtresses après la mort, tendent à les dédoubler, pour ne laisser en fin de compte que les substances les plus simples, et, par conséquent, les plus stables, Facide carbonique, l’am- moniaque, l’eau et les sels minéraux. Mais, avant d’arriver à celte limite extrême, la désorgani- sation suit une marche différente, et fournit des produits inter- médiaires variables suivant le rapport dans lequel agissent les SUR LE SOL ARABLE. 15 diverses forces inorganiques, et suivant les actions réciproques qu’exercent les uns sur les autres les divers composés chi- miques qui existaient primitivement, ou se forment successive- ment dans les corps soumis à la décomposition, dans ceux qui les entourent (l’air), dans ceux avec lesquels ils sont mélangés (eau, sels minéraux, etc.). Depuis longtemps les arts connaissent une partie de ces forces et de ces actions réciproques. Ils les utilisent pour ob- tenir, en les réglant jusqu’à un certain point et d’une manière empirique, quelques-uns de ces produits intermédiaires. Le distillateur fait intervenir certaines forces pour amener la fer- mentation alcoolique, puis il se sert de la chaleur pour isoler 1 alcool. De même, le cultivateur fait intervenir certaines forces, certaines actions réciproques, dans des proportions que l’ex- périence sanctionne ordinairement avant que la science les étudie et les perfectionne, pour produire une décomposition particulière, Vhumification. Parmi les agents qu’il utilise, il y a l’eau, l’air, la chaleur, etc.; parmi les actions réciproques, les principales sont précisément celles que les substances mi- nérales exercent sur les matières organiques, et les produits intermédiaires que le cultivateur cherche à obtenir, comme le distillateur veut obtenir de l’alcool, sont les matières solubles dans l’eau, la nourriture des plantes, Y humus soluble. Quels sont les caractères principaux qui distinguent l’humi- fication des autres modes de décomposition ? Comme toute bonne culture cherche à aérer le sol autant que possible, la décomposition des matières organiques dans le sol diffère de la fermentation en ce qu’elle est produite sous l’influence d’un plus grand accès d’air. L’eau lui est nécessaire, mais dans la mesure où elle n’ex- clut pas l’action indispensable de l’air. Un excès d’eau sta- gnante ne permet que la fermentation putride ; il faut l’arrêter par le drainage. Quant à la température, l’humification s’arrête à 0 degré 16 RECHERCHES comme tous les autres genres de désorganisation, et une trop grande chaleur hâte la décomposition en acide carbonique et en eau, ce qui diminue la quantité de substances organiques solubles. L'humification est donc une combustion lente; mais elle diffère encore de la combustion lente ordinaire ou pourriture en ce qu’elle a toujours lieu au contact d’une grande quantité de matières minérales, les meilleurs sols ne contiennent pas plus de 10 pour 100 de matière organique. Le bois pourri lui -même ne peut pas représenter exactement l'humification ; car il ne contient que très-peu de substances minérales. Les jardiniers ne l’emploient, comme terreau doux, qu’après l’avoir corrigé par le marnage, le chaulage, les cendres ou le fumier. Mais je ne crois pas pouvoir mieux expliquer le vrai carac- tère de l'humification qu’en rappelant les méthodes employées pour mettre en culture, c’est-à-dire, transformer en terres arables les immenses tourbières de l’Irlande, de l’Ecosse et du nord de l'Allemagne. Ces tourbières doivent leur existence à l’excès d’eau et, par suite, au manque d’air qui empêche la décomposition des vé- gétaux dont elles sont formées. La première opération que fait le défricheur consiste à les débarrasser de l’eau et à permettre ainsi l’accès de l’air. Puis deux manières de procéder se pré- sentent : l’écobuage, qui fournit par la combustion de la cou- che supérieure des tourbes, et le mélange des cendres à la deuxième couche, une terre contenant assez de parties miné- rales et surtout d’alcalis pour permettre la végétation de quel- ques plantes utiles, la pomme de terre, l’avoine, le sarrasin. Mais le cultivateur prévoyant, qui ne veut pas épuiser i’a- venir au profit du présent, rejette cette méthode. En dépit de la théorie qui méprise ces substances organiques, parce qu’elles ne contiennent presque pas d’azote, il cherche à la conserver. Il se borne à les charger de terres, principale- ment de terres riches en feldspath, par conséquent en silice Sun LE SOL A1UBLE. 17 et en alcalis ; il y ajoute quelquefois un peu de chaux causti- que, il enterre cet amendement et le mélange avec la tourbe par des labours répétés ; il y ajoute du fumier et forme ainsi une couche arable que le temps améliore au lieu de la détruire. Non-seulement les bases minérales et l’ammoniaque four- nissent la formation de l’humus soluble, mais elles provoquent la décomposition qui donne cet humus soluble comme un de ses produits. Elles servent à neutraliser les acides qui existent dans tout sol imparfaitement amendé, et agissent comme anti- septiques. y**' D’après ce qui précède, on pourrait donc dire que le but de la culture, au point de vue chimique, est de former le plus pos- sible de substances organiques solubles dans l’eau, mais non vo- latiles. Cette définition peut s’appliquer également aux sub- stances azotées, car le cultivateur cherche a en faire des sels amoniacaux non volatils et des nitrates. Il doit utiliser le plus vite possible les trésors que renferme la terre, et non pas les laisser se dissiper en corps volatils qui certainement finissent par servira la végétation, mais à celle du voisin ou peut-être à celle d’une autre partie du globe. M. Liebig, dans sa chi- mie appliquée à l’agriculture, MM. Dumas et Boussingaull dans leur belle leçon sur la statique chimique des êtres orga- nisés, ont montré comment le carbone, versé dans l’atmosphère par les combustions de toute nature, combustion proprement dite, respiration des animaux, fermentation, pourriture, est fixé par la végétation et entretient la vie sur tous les points de l’immense cercle qu’il parcourt. L’agriculteur admire la sagesse de la Providence et les savants qui en ont dévoilé les mystères, mais il veut que le carbone se fixe chez lui; son but est de le porter au marché. Un des effets des labours consiste a augmenter la quantité «l’humus soluble. Je m’en suis assuré en extrayant par la même quantité d’eau, d’un côté, un certain point de terre que 18 RECHERCHES j'avais fréquemment remuée, de l’autre un même poids de la même terre non remuée ; la première m’a donné beaucoup plus de matière extractive que la seconde. Si l’on extrait une même terre successivement par plusieurs litres d’eau, le second litre dissout moins d’humus que le premier, le troisième que le deuxième, et ainsi de suite. En faisant passer des extraits de terre très-colorés a travers de l'argile, de la craie, du noir animal, j’ai vu la solution sortir totalement incolore du noir animal, et presque incolore des deux autres. Cela prouve que l’humus soluble est absorbé par des matières très-divisées ou très-poreuses, propriété qui empêche l’épuisement trop rapide des terres arables et qui ex- plique pourquoi la matière organique soluble n’est ordinaire- ment retrouvée qu’en petite quantité dans les eaux de source et de rivière. Par contre, les eaux d’orage et les eaux limo- neuses en contiennent une grande quantité, non-seulement en suspension, mais en dissolution, d’où la puissance fertilisante du colmatage et en partie de l’irrigation. Une eau alcaline extrait plus facilement que l’eau ordinaire l’humus absorbé par le sol. Cette même propriété, que possède le sol d’absorber jus- qu’à un certain point l’humus soluble, fait comprendre que l’extrait obtenu d’un certain poids de terre par un litre d’eau est loin de contenir toute la nourriture qu’un litre d’eau de pluie pourrait dissoudre dans ce même poids de terre et mettre ainsi à la disposition des plantes. En elfet, essayons de nous faire une idée de ce qui se passe dans le laboratoire encore si mystérieux que l’on appelle sol arable. ï! pleut, le jardinier arrose ou le cultivateur irrigue. La terre n’absorbe qu’une partie de cette eau bienfaisante. Le reste s'écoule à travers ses interstices et, quand ces interstices ne lui offrent pas un passage assez facile, on les multiplie, d’une manière artificielle, par le drainage. Il importe même SCR LE SOL ARABLE. 19 que cet écoulement soit rapide, afin que l’air introduit à la suite de l’eau puisse venir aider à la respiration des racines, et préparer par l’oxydation les aliments que la pluie ou l’irriga- tion prochaine auront à dissoudre. Le pot de fleur du jardinier est l’idéal que la culture cherche a reproduire aussi parfaite- ment que le permettent les conditions économiques, c’est-à- dire, le rapport entre les frais et la valeur de la récolte. Or dans le fond de tout pot de fleur il y a une ouverture, et toute l'eau qui s’échappe à travers celte ouverture est une eau inutile; toutes les substances qu’elle emporte en dissolution sont perdues. Les extraits de terre par l’eau ne représentent donc pas la somme de nourriture que l’eau employée [tour les faire croître aurait pu fournir aux plantes. La vraie nourriture est retenue avec l’eau que le pouvoir hygroscopique de la terre lui a permis d’absorber, et la force d’endosmose qui s’exerce dans les radicelles des végétaux, accrue de toute l’évapora- tion qui se fait dans les feuilles, aura à lutter contre le pou- voir hygroscopique pour lui arracher les principes nutritifs. En faisant nos extraits, nous n’avons donc fait qu’étendre la solu- tion qui était destinée à entrer dans les plantes ; nous avons un échantillon des divers aliments de ces plantes; nous pouvons admettre que les quantités relatives entre les échantillons nous donnent une notion exacte des quantités relatives des prin- cipes alimentaires, mais ils ne nous donnent pas les quantités absolues de ces principes. De ce qu’un litre d’eau a extrait dans le laboratoire 1 gramme de substances organiques, on ne doit pas conclure qu’un litre d’eau de pluie n’aurait servi à porter dans les plantes que 1 gramme de substances organi- ques. Nous ne pouvons donc partager la manière de voir de M. Liebig lorsqu’il se base sur un chiffre obtenu de cette manière, pour estimer la proportion de carbone qui peut être fournie aux récoltes par l’humus soluble. De tels extraits peuvent seulement servir à comparer diffé- rentssols entre eux, et encore faudrait-il, en le faisant, prendre, 20 RECHERCHES par exemple, 1 kilogr. de terre séchée à 100° C., puis la sa- turer d’eau, et enfin en faire l’extrait proprement dit au moyen d’une quantité constanted’eau, 1 litre par exemple. On pourrait alors dire, 1 litre d’eau extrait de tel sol moitié moins de silice que de tel autre sol, donc les plantes doivent trouver moitié moins de silice dans le premier que dans le second ; mais on ne pourrait pas dire les plantes prennent tant de silice dans l’un ou l’autre de ces sols. La méthode ainsi employée fournirait, dans tous les cas, des résultats plus applicables à l’agriculture que les dissolutions de terre par les acides, qui donnent des images très-fausses de la nourriture que les récoltes peuvent en tirer, et surtout que le procédé par lequel on pulvérise les terres, les désagrégé d’une manière quelconque et obtient quelquefois ainsi les mêmes résultats pour une terre argileuse que pour une terre sablon- neuse. Que de travaux infructueux auraient été épargnés, si l’on avait étudié les terres en agriculteur au lieu de les étudier en minéralogiste ! M. de Gasparin, le premier en France, a posé ce principe qu’il faut examiner les terres arables en vue du but que remplissent ces terres, celui de nourrir les plantes par les matières que l’eau peut y dissoudre. Mais ces substances organiques dissoutes entrent-elles réelle- ment. dans les plantes ? Puisque les matières minérales auxquelles elles sont inti- mement liées se précipitent, quand elles sont détruites, il faut bien admettre que les plantes ne peuvent absorber les unes sans les autres. Pour prouver directement cette absorption, il y a l’expé- rience de Th. de Saussure. J’ai pu la reproduire aisément avec des oignons de jacinthe et des oignons ordinaires. 11 faut commencer par laisserccs oignons développer leurs racines dans de l’eau pure ou additionnée de quelques grains de salpêtre, puis les mettre dans l’extrait d’humus, et, si l’on a soin de les exposer au soleil, on verra l’extrait se décolorer rapidement. SUR LE SOL ARABLE. 21 L’expérience est plus difficile à faire avec les plantes qui sont généralement cultivées dans les fermes, car ces plantes sont terrestres, et, se trouvant dans des conditions anormales quand leurs racines sont baignées par l’eau, elles végètent mal, et absorbent très-lentement le liquide, qui finit par subir une fermentation putride et faire périr les plantes elles-mêmes. Cependant on peut réussir jusqu’à un certain point à montrer que les carottes, par exemple, absorbent l’humus, si l’on prend la précaution de placer les carottes, après les avoir ar- rachées de la terre, dans de l'eau pure, où les extrémités dé- chirées de leur chevelu se reconstituent. Mises ensuite dans l’extrait d’humus et exposées au soleil qui bâte l’aspiration, elles décolorent cet extrait d’une manière très-sensible. Des graines de froment, que j’ai fait flotter sur un extrait d’humus, au moyen de larges bouclions percés de trous, ont parfaitement germé, ont poussé des feuilles de 20 centimètres de longueur qui périrent les unes après les autres, tandis que de nouvelles feuilles se développaient, atteignaient la même longueur et se desséchaient à leur tour. Les plantes tallaient sans former de tige. Mais pour résoudre celte question de l’absorption, les ex- périences contre nature, sous des cloches ou dans des bou- teilles, ne peuvent pas donner un résultat aussi rigoureux qu’une déduction logique des faits pratiques étudiés à l’aide de la chimie. Le fleuriste rejette le terreau quand il est usé; en compa- rant du bon terreau avec du terreau usé, on trouve qu’ils diffèrent uniquement parce que le premier donne beaucoup d’humus soluble, et le deuxième très-peu. Les terres sont d’autant plus fertiles, toutes choses égales d’ailleurs, qu’elles contiennent plus d’humus soluble. Donc cet humus soluble doit être absorbé et assimilé par les plantes. Passons à ce sujet de Y assimilation, de la fixation dans les 22 RECHERCHES plantes du carbone que renferment les matières organiques so- lubles dans l’eau. Quand les extraits sont exposés à une température assez élevée, il s’v développe des corps qui, sous le microscope, se montrent composés d’une série de cellules juxtaposées en chapelet et munis d’embranchements latéraux formés de la même manière. Pendant la formation de ces corps organi- sés, le liquide reste clair et limpide; mais, si les conditions de température et de lumière ne sont pas favorables à cette formation, l’extrait se trouble et les matières organiques se décomposent. Dans ce cas, l’oxygène contenu dans la solu- tion et puisé par elle dans l’atmosphère, brûle la matière or- ganique au lieu de servir à la vie des cellules, et, lorsque cet- oxygène est peu abondant, la fermentation devient putride. Dans tous les cas, l’extrait dégage de l’acide carbonique, fait que l’on constate facilement par l’analyse de l’air renfermé sous la cloche qui abrite le liquide. Or, les cellules formées dans le liquide contiennent du carbone; ce carbone ne vient pas de l’acide carbonique de l’air, puisque l’extrait, loin d’en absor- ber, en dégage: donc l’humus soluble peut fournir directement du carbone a une cellule végétale. D’un autre côté, toute plante se nourrit, pendant son pre- mier développement, des matières renfermées dans la graine, et rendues solubles par la germination, matières auxquelles ressemblent beaucoup les substances organiques qui nous oc- cupent. Pourquoi n’absorberaient-elles donc pas également ces dernières? et celle analogie nous conduit à la plus impor- tante de leurs fonctions. Pendant la première période de la vé- gétation, les matières organiques solubles de l'humus servent de complément à la nourriture que fournissent les cotylédons de la graine. Elles sont éminemment propres à jouer ce rôle, car elles sont plus riches en carbone que la cellulose qui doit se former. 11 faut donc qu’elles subissent une oxydation et une élimination de carbone, sous forme d’acide carbonique. Or SUR l.E SOL ARABLE. 23 les expériences de Théodore de Saussure et de M. Boussin- gault ont précisément prouvé que, pendant la première pé- riode de végétation, il y a absorption d’oxygène et dégage- ment d’acide carbonique. Avant que la deuxième période commence, celle où les feuilles développées absorbent l’acide carbonique de l’air en plus grande quantité qu’il n’est émis par les racines et par elles-mêmes, il faut que ces feuilles aient pu se former, remplies de chlorophyle, sans lequel il n’y a pas d'absorption aérienne. Avant de respirer, il faut avoir des poumons, et la respiration sera d’autant plus abondante que les poumons seront plus grands. Le carbone fourni par l’hu- mus s’ajoute au carbone fourni par la graine pour former les organes qui doivent fixer le carbone de l'air, et chaque atome de carbone puisé dans le sol permet l’assimilation d’un mul- tiplicande énorme d’atomes de l’air. Voilà d’où vient le dicton populaire : « Il n’est bon blé que de tallage, » et pourquoi le blé talle d’autant plus que le sol où il végète est plus riche en humus; voilà pourquoi les plantes élevées en pépinières se ressentent, pendant toute la durée de leur existence, de celte sève puissante qui les a nourries dans leur premier séjour. L’humus du sol développe non-seulement la surface respi- ratoire des feuilles qui doivent fournir du carbone, mais il permet la formation d’une plus grande quantité de racines, et, par conséquent, l’absorption des matières azotées et miné- rales qui doivent se trouver présentes dans une certaine pro- portion, relativement au carbone absorbé, pour que la plante puisse prendre de l’accroissement. Dans toutes les phases de la végétation, je ne puis attribuer la formation des racines qu’à l’humus. En effet, la cellulose, la fécule, le sucre, etc., que renferment un grand nombre de racines, se composent d’une certaine quantité de carbone, puis d’hydrogène et d’oxygène dans les proportions de l’eau. Pour que l’acide carbonique de l’air ait pu former ces sub- stances, il faudrait qu’il y eût dans les betteraves, dans les 24 RECHERCHES pommes de terre, une sève descendante, ce qui n:est pas. Pour que l’acide carbonique du sol ait pu les former avec une partie de l’eau qui l’avait dissout, il faudrait une élimination d’oxygène qui n’a pas lieu, car il est bien prouvé que les ra- cines absorbent au contraire de l’oxygène, et rejettent de l’a- cide carbonique. Mais ce dernier fait, établi d’une manière irréfutable par Th. de Saussure et M. Boussingault, est tout à fait d’accord avec la transformation de l’bumus en cellulose, fécule et sucre. Pour que cette transformation ait lieu, il faut que l’bumus perde une portion du carbone qu’il contient, comme nous l’avons vu, en plus grande proportion que la cellulose, le sucre et l’amidon. Or, l’inspiration de l’oxygène et l’émission d’acide carbonique coïncident parfaitement avec ces données des formules chimiques. En représentant la cellulose par Cm(HO)''’, et l’humus correspondant par Cm+n (HO)1’, on a : G“ 4-11 (HO)1’ 4- 0-2n=(C02)n + C“ (HO)5’. De plus, il est bien démontré que toutes les plantes ab- sorbent de l’acide carbonique à la lumière, et rejettent de l’acide carbonique pendant la nuit; elles expériences récentes de MM. Garreau et Robin ont fait voir que, pendant le jour même, les deux actions sont simultanées, mais que, dans la plupart des plantes qui intéressent l’agriculture, l’absorption de l’acide carbonique est plus grande que son émission. Gom- ment expliquer ces phénomènes, si ce n’est par l’oxydation, continue pendant le jour comme pendant la nuit, mais voilée en partie par la fixation du carbone de l’air pendant le jour, et constituant le principal travail de la végétation pendant la nuit, de ces substances surcarbonées que les racines puisent constamment dans le sol avec l’eau et les matières minérales et azotées? Certaines espèces végétales prennent pius de carbone dans le sol que dans l’air; ce sont les plantes qui aiment l’ombre. SCR LE SOL ARABLE. 25 D'autres espèces végétales, et les plus nombreuses, prennent plus de carbone dans l’air que dans le sol ; ce sont les plantes qui aiment la lumière. Au point de vue de son alimentation, on peut concevoir, pour chaque espèce végétale, un état sta- tique dans lequel elle reçoit le carbone de l’air, celui du sol, l’eau, les matières minérales et les matières azotées, suivant certaines proportions favorables à son développement. Quand tous ces principes nutritifs s’accroissent proportionnellement, et que, d’ailleurs, les circonstances physiques, la chaleur, la lumière, etc., permettent leur absorption et leur élaboration, le développement de la plante augmente, sans que l’espèce perde sa constance. Quand la proportion d’un ou de plusieurs éléments nutritifs s’éloigne de ce type, ou encore quand les circonstances physiques viennent à changer dans certaines li- mites, l’espèce, quoique pouvant parcourir encore tous les degrés de la vie végétale, est modifiée dans sa constitution chi- mique : on obtient un blé plus riche en gluten, plus fort en paille, contenant plus de silice. Quand des signes extérieurs révèlent ces modifications, le botaniste reconnaît les variétés. Mais, dès lors que la proportion entre les divers facteurs né- cessaires au développement d’une plante dépasse les limites voulues, la plante meurt. La culture cherche a reproduire artificiellement ces varia- tions de la nature. Elle se propose moins d’obtenir les plantes tout entières que l’une des parties de la plante ou un des prin- cipes que renferme cette plante. En conséquence, elle cherche à développer tantôt la racine, comme dans la betterave, tantôt le grain, comme dans le blé, tantôt la tige, comme dans les plantes textiles. Elle vise a augmenter la production du sucre dans la betterave, de la fécule dans la pomme de terre, de l’huile dans la graine de colza, de la matière tinctoriale dans la garance, etc. Elle demande la qualité des récoltes, en même temps que la quantité, parce que leur qualité représente la quantité des principes qu’elle doit fournir aux arts et à la 26 RECHERCHES nourriture des hommes et des animaux. Pour obtenir la quan- tité des récoltes, elle augmente chacun des facteurs dans ce produit complexe des conditions de développement des plantes, en conservant leur proportionnalité. Pour obtenir la qualité, elle fait varier ces conditions les unes par rapport aux autres. Pour nous rendre mieux compte de Faction de la nature et de l’art agricole, faisons varier dans ce produit complexe l’in- tensité de la lumière, et, par suite, la fixation du carbone de l’atmosphère, en supposant les autres facteurs constants. Pour augmenter, d’une part, les principes sucrés, et diminuer, de l’autre, les principes amers de ses légumes, le jardinier plante les salades et les cardons dans une terre riche en humus, et les protège contre la lumière par des ligatures ou des attéris- sements. Pendant qu’il blanchit à l’obscurité, le cardon ab- sorbe de l’oxygène et dégage de l’acide carbonique. Ainsi donc, la proportion des principes amers est augmentée par la présence de la lumière, et celle des principes sucrés est accrue par son absence. Ces données expérimentales sont d’accord avec la composition élémentaire des essences qui altèrent la saveur des légumes, car il est facile d’expliquer leur formation au moyen de l’eau et de l’acide carbonique par une élimination d’oxygène, comme celle que produit la lumière. Les alcalis orga- niques renferment encore moins d’oxygène relativement au carbone et à l’hydrogène que les essences, et, de plus, ils sont azotés. Leur formation peut donc provenir de l’acide carbo- nique de l’air, de l’eau et de l’ammoniaque, et elle doit être proportionnelle à l’intensité de la lumière. En effet, nous les trouvons dans nos climats, en plus grande quantité dans les parties aériennes que dans les parties souterraines des plantes, et leur production abonde dans les régions lumineuses des tro- piques, tandis qu elle fait de plus en plus défaut à mesure que l'on s’approche des pôles. Par contre, la décomposition moins rapide des substances organiques et la formation plus abon- dante d’humus soluble coïncide, dans les climats tempérés et SUR I.E SOL ARABLE. 27 septentrionaux, avec une intensité moindre de la lumière, et avec la prédominance des matières sucrées et amylacées, non pas d’une manière absolue, car la puissance productive de la nature y est loin d’égaler celle du voisinage de l’équateur, mais par rapport à la quantité des principes aromatiques. La Providence bienfaisante a donné aux pays chauds les substances toniques, et, dans les contrées froides, où elles sont moins né- cessaires à la santé, elle a favorisé la création des aliments respiratoires qui entretiennent dans le corps la chaleur dont le soleil y est moins prodigue. Ainsi donc, non-seulement l’humus soluble favorise la disso- lution de certaines substances minérales ires-nécessaires aux plantes, mais de plus, il fournit à ces plantes une portion du carbone tpi elles renferment, et facilite Vabsorption du carbone de V atmosphère. TIRÉ DES ARCHIVES DES SCIENCES DE EA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE Avril 1