APPLICATION DU COURANT CONSTANT AU TRAITEMENT DES NÉVROSES Extrait de la Revue des cours scientifiques Paris. — Imprimerie de E. Martinet, rue Mignon, 2. APPLICATION DU COURANT CONSTANT AU TRAITEMENT DES NÉVROSES LEÇONS FAITES A L’HOPITAL DE LA CHARITÉ PAR Le professeur REMAK De rUniversité de Berlin PARIS GERMER BAILLIÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR Rue de l’École-de-Médecine, 17. Londres Hipp. Baillière, 149. Relent itreet. New-York Baillière Brothers, KO, Broadmj. MADRID, CH. BAILLY-BAILLIÈRE, PLAZA DEL PRINCIPE ALFONSO, 16. 1865 APPLICATION DU COURANT CONSTANT AU TRAITEMENT DES NÉVROSES Messieurs, Je suis venu à Paris pour démontrer, au moyen des ap* pareils qui se trouvent sous vos yeux, les effets physiolo- giques et thérapeutiques du courant galvanique constant sur l’homme sain et sur l’homme malade. Ainsi que vous le savez, mes expériences ont été sou- mises au jugement de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine, et c’est seulement pour éclai- rer les commissaires que j’entreprendrai le traitement d’un certain nombre de malades de cet hôpital. Mais, comme vous désirez savoir en détail ce qui va se passer devant vous, je dois vous donner quelques explications préalables. N’attendez pas une longue histoire des applications du galvanisme à la pathologie; je me bornerai à vous rappe- ler que l’électricité de frottement, dès sa découverte, a été employée pendant deux siècles pour le traitement des malades, et que nous possédons, surtout en France, un grand nombre d’ouvrages, cités dans le livre d’AIf. Becquerel, ayant trait à ces applications. Malheureuse- ment, ces ouvrages ne nous apprennent pas grand’chose, car leurs auteurs ne possédaient ni les connaissances 2 physiques, ni les connaissances pathologiques néces- saires pour l’emploi méthodique de l’électricité, et aussi parce que les cas pour lesquels on recourait alors à l’em- ploi de ce moyen, étaient des cas désespérés et sou- vent môme incurables. Ce ne fut qu’après l’immortelle découverte de la pile par Volta, que l’attention des médecins et des savants se tourna sérieusement du côté de l’électrothérapie ; et pour donner idée des espérances qui furent nourries alors à cet égard, il suffit de rappeler que le consul Bo- naparte voulut assister debout à la lecture du célèbre mémoire de Yolta, lecture qui eut lieu à l’Institut en 1800, et mémoire qui contenait les premières indications scientifiques relatives à l’application thérapeutique du galvanisme. Plus tard, les médecins des différents pays, et Volta, le premier sur des sourds-muets, essayèrent cette application. Ces essais restèrent infructueux, non- seulement à cause du mauvais choix des cas pathologi- ques et du manque de connaissances physiologiques suf- fisantes, mais encore, et surtout, à cause de Y inconstance et de ta courte durée du courant fourni par la pile de Volta. Même, comme les physiciens étaient parvenus à s’as- surer de l’identité réelle du galvanisme et de l’électri- cité de frottement, on crut pouvoir se passer complète- ment du galvanisme, et employer cette électricité de frottement, dont l’usage était depuis longtemps fort répandu. En 1830, Becquerel trouva le moyen de produire un courant voltaïque constant. Malheureusement, l’attention des savants s’était portée ailleurs; elle était absorbée par les travaux d’QErsted et de Faraday, c’est-à-dire par la découverte des courants d’induction. Le premier, ainsi qu’on le sait, venait de trouver les courants magnéto- électriques, et le second, les galvano-électriques. Ces tra- vaux donnèrent lieu à la construction des appareils de rotation et d’induction dont les médecins se sont servis jusqu’ici, pensant qu’il est indifférent que l’électricité soit dégagée de telle ou telle façon. Tel était l’état des choses, quand, en 1855, en exami- nant les effets des différents courants électriques sur lTiomme sain et malade, je parvins à reconnaître que la valeur du courant galvanique constant pour le traitement des maladies est incomparablement supérieure à celle des autres courants électriques, et que, pour la plupart des cas où le courant constant a une influence heureuse, les courants d’induction sont plutôt nuisibles qu’utiles. C’est un fait démontré aujourd’hui, du moins en Allemagne, et j’ose croire, qu’après les développements dans lesquels je vais entrer, vous serez convaincus comme moi que le courant constant possède une action beaucoup plus in- tense et beaucoup plus bienfaisante que les autres cou- rants, et qu’il doit cette supériorité thérapeutique à la facilité avec laquelle il permet d’introduire une grande quantité d’électricité dans le corps, sans secousse et sans douleur. Je commence par la description des instruments dont je me sers. Mon appareil se compose d’une boîte solide de bois portée par une charrette à bras, et contenant 32 éléments pesant chacun 3 kilogrammes. La boîte est fermée à sa partie supérieure par une tablette sur laquelle sont Axés trois petits appareils différents l’un de l’autre, et corres- pondant tous trois avec le courant. Le premier, nommé électeur, est une plaque de bois verticale sur laquelle sont fixés des boutons métalliques correspondant aux éléments de la pile. Une espèce de manivelle, également métallique, se meut sur ces boutons, et permet, au moyen d’une disposition particulière, de recueillir le courant fourni par un nombre voulu d’élé- ments, nombre inférieur, bien entendu, à 32. Dans le cas où 32 éléments ne suflisent pas, on a des éléments additionnels enfermés dans des boîtes accessoires, et qui se peuvent facilement relier aux autres. Le deuxième petit appareil est un galvanoscope qui indique l’intensité approximative du courant: Le troisième, enfin, consiste en un commutateur qui sert à changer comme on l’en- tend la direction de ce courant. Il est nécessaire de dire comment sont composés les éléments voltaïques dont je me sers. J’employais d’abord les éléments de Daniell, qui fournissent un courant plus constant que ceux de Grove ou de Bunsen, mais qui ont l’inconvénient de nécessiter presque tous les jours un nettoyage, à cause du dépôt cuivreux s’accumulant à la surface du cylindre poreux, par l’effet de l’endosmose qui se produit entre les deux liquides de différentes den- sités. Pour diminuer ce travail endosmotique, MM. Sie- mens et Halske, habiles fabricants d’appareils télégraphi- ques, à Berlin, ont imaginé de mettre la plaque de cui- vre au-dessous du cylindre de zinc, en les séparant par une voûte d’argile qui est recouverte d’une couche épaisse de papier mâché. Comme le liquide le plus dense, c’est- à-dire la solution de sulfate de cuivre, se trouve à l’inté- rieur de la voûte d’argile, au-dessous du papier mâché qui supporte le cylindre de zinc, la décomposition encfbs- motique est considérablement diminuée, grâce à quoi, la durée du courant produit par cet élément est véritable- ment étonnante, pourvu que de temps à autre on ajoute des cristaux de sulfate de cuivre et de l’eau. Depuis 1859 jusqu’à 1861, première époque où je me servis de cette pile, je la faisais nettoyer à peu près tous les trois mois ; mais dans ces dernières années, je me suis assuré qu’elle peut fonctionner intacte pendant dix mois, sans que le courant perde sensiblement son in- tensité. Dans la plupart des cas, je me sers, pour appliquer le 5 courant à la surface du corps, de tampons métalliques recouverts de calicot et de laine humectés d’eau, et com- muniquant avec l’électrode par un faisceau de fils d’argent enduit de gutta-percha ou de caoutchouc. La surface de ces tampons varie dans ses dimensions, selon l’endroit du corps où ils doivent être appliqués. Je me sers, d’ail- leurs, de tampons aussi larges que les circonstances le permettent, car il s’agit presque toujours d’introduire une grande quantité d’électricité. Je passe maintenant à un aperçu des effets généraux et des effets locaux du courant constant. Les effets généraux de l’application prolongée du cou- rant constant consistent en une augmentation de la cha- leur du corps, en une transpiration ultérieure, et très- souvent en une prolongation de sommeil suivi d’une espèce d’allégement de tout le corps. Les effets locaux sont extrêmement variés. Les plus curieux sont certainement les effets sur les nerfs de la sensation, d’autant plus qu’ils ne se produisent pas avec le courant induit. En touchant, par exemple, la tempe, le front ou la joue avec les électrodes d’un courant très- faible et ne produisant aucune sensation sur la peau, on détermine des phosphènes particuliers, semblables à une tache rayonnée qui imite, jusqu’à un certain point, la structure de la rétine. Le même phénomène a lieu en appliquant les électrodes sur n’importe quelle partie de la tête, et même du cou, jusqu’à la cinquième vertèbre verticale, où se trouve ordinairement la limite des points où cette excitation de la rétine peut être effectuée. Le sens du goût est excité par un procédé identique avec celui qui excite le sens de la vue. En effet, le goût est stimulé en touchant avec les électrodes certains points de la face, et surtout de la nuque. Cette saveur galva- nique est très-prononcée : les uns la trouvent acide, les autres amère, quelques-uns styptique, etc. On la ressent 6 non-seulement dans la langue, mais encore dans le pa- lais, dans les gencives et même dans l’œsophage. Il arrive souvent que la limite des points de la moelle épinière où peut être déterminée cette saveur dépasse la cin- quième vertèbre cervicale, et se prolonge quelquefois jusqu’aux reins, et même jusqu’aux jambes. On peut ainsi constater que l’application locale et limitée du courant sur une partie du corps n’exerce pas seulement une action bornée entre les deux pôles, mais que la courbe électrique sortant de sa voie directe peut péné- trer jusque dans les profondeurs de l’organisme, et at- teindre les centres nerveux. On peut se rendre compte par là de plusieurs effets inattendus que l’on observe quelquefois dans le traite- ment galvanique des maladies nerveuses, surtout chez les personnes très-sensibles. Quant au sens de l’ouïe, il est difficile d’influer sur lui chez l’homme sain; mais, chose étrange, chez les sourds, et particulièrement chez ceux dont la surdité provient du système nerveux, l’excitabilité du nerf acoustique est si grande, que la moindre application du courant constant sur le rocher produit des sons qui éveillent quelquefois, mais vainement, l’espérance d’une guérison. Quant au choix des électrodes, il faut savoir que la ré- tine est plus sensible au pôle négatif, et le nerf du goût au pôle positif. Le nerf acoustique est plus sensible à la sortie du pôle positif qu’à l’entrée, et plus sensible à l’entrée du pôle négatif qu'à la sortie; enfin il se com- porte comme un nerf sensible. Dans la surdité provenant des centres nerveux, on observe que l’une des deux élec- trodes produit des effets croisés, à la manière des con- tractions réflexes croisées que j’ai observées dans l’atro- phie musculaire progressive et dans d’autres maladies de la moelle épinière. Un effet intéressant du courant constant, c’est l’espèce 7 de vertige, ou plutôt la perte de l’équilibre du corps qui est déterminée quand il agit sur un certain point bien limité : la fosse auriculo-maxilîaire. Quelquefois ce point de vertige se trouve à la fosse carotique, tout près de l’angle de la mâchoire. Je crois que ce phénomène peut être expliqué par un changement d’équilibre entre les deux parties du cervelet, changement déterminé par une excitation de plusieurs faisceaux partant du gan- glion supérieur cervical du grand sympathique, et se trouvant en communication directe avec les cellules gan- glionnaires des centres nerveux. En ce qui concerne l’action du courant constant sur les nerfs sensibles et les nerfs moteurs, mes expériences sur l’homme sain et l’homme malade même confirment en général la loi constatée par Marianini dans la gre- nouille vivante. On sait d’ailleurs que cette loi peut se formuler ainsi : Le courant descendant agit plus énergi- quement sur les nerfs sensibles, et le courant ascendant sur les nerfs moteurs, le premier à la sortie et le second à l’entrée. Je dois ajouter toutefois que, lorsqu’on fait agir le courant d’une façon unipolaire, c’est-à-dire en appliquant une électrode sur un seul point du nerf et l’autre sur un point quelconque du corps, on observe que le pôle positif possède à peu près la même in- fluence sur les nerfs sensitifs que sur les nerfs moteurs, influence identique avec l’action du courant descendant, et que le pôle négatif exerce une influence identique avec l’action du courant ascendant. Je terminerai ces explications théoriques par une ex- périence qui mettra en évidence cette action unipolaire. Je place l’électrode positive d’un courant de 25 à 30 éléments sur le nerf médian du bras d’un homme, et l’électrode négative sur le nerf radial du même bras. Dès que je ferme le circuit, on aperçoit une contraction beaucoup plus forte du côté du pôle négatif, c’est-à-dire dans les fléchisseurs, et dès que je change la direction du courant, la contraction devient beaucoup plus forte du côté des extenseurs. Cette expérience, nullement douloureuse, peut être multipliée autant qu’on le désire, et le même phénomène se reproduira toujours. Notons encore que les deux électrodes agissent chacune différemment sur les vaisseaux. Le pôle positif les dilate et rend la peau rouge, tandis que le pôle négatif déve- loppe l’effet contraire, après une action continue de cinq à dix minutes. On observe de plus, au pôle positif, une dépression de la peau, et au pôle négatif un gonflement de l’épiderme et du derme. J’insisterai sur ces faits dans une conférence suivante. Voilà quelques-uns des résultats auxquels je suis arrivé en expérimentant sur moi-même et sur d’autres hommes sains, depuis le 13 décembre 1855 jusqu’au 18 juillet 1856, avant de passer aux applications thérapeutiques du courant constant. Je vous conseille de suivre la même voie, et de ne pratiquer l’électrothérapie qu’après avoir répété maintes fois ces expériences préalables. Avant d’aller plus loin, permettez-moi de revenir sur un point important : la distinction du courant constant et du courant continu. On se sei l surtout en France de l’une et de l’autre de ces expressions indifféremment, mais elles correspon- dent à des effets très-différents. La pile de Volta et les chaînes qui en sont des modifications immédiates, don- nent un courant continu, qui dans certaines conditions peut, d’après la loi de Ohm, si la résistance du corps con- ducteur est considérable, se rapprocher du courant constant. Mais si la résistance diminue par l’effet du courant lui-même qui ramollit la peau, l’inconstance de a pile se manifestera par des oscillations très-notables 9 qui influeront non-seulement sur le galvanoscope, mais encore sur le système nerveux. En ce cas, le courant sera toujours continu, mais non constant, c’est-à-dire qu’il s’affaiblira de plus en plus, vu la diminution de la force électro-motrice des plaques métalliques. De la sorte, il finira par s’annuler tout à fait, et cela en très-peu de temps. Le courant constant est celui qui, au contraire, dure longtemps, même si la résistance est très-faible, sans perdre de son intensité. L’application du courant constant ne consiste pas tou- jours en un contact immobile des électrodes et de la peau, elle peut se faire en promenant les électrodes à la surface du corps, mais sans les éloigner, c’est-à-dire sans interruption du passage. J’appelle le premier mode : application du courant en repos {stabile strome), et le second : application du courant en mouvement (labile strome). Il y a contradiction apparente entre les termes : cou- rant constant et courant en mouvement, vu que le mou- vement n’est pas de la constance; mais cela importe peu. Il nous faut seulement un appareil dont le courant soit constant tant que la résistance est la même. Évidem- ment, si la résistance change, le courant n’est plus réel- lement constant. Complétons aussi ce qui a été dit relativement aux effets visibles des électrodes sur la peau. On voit au pôle négatif, plutôt qu’au pôle positif, une éruption pa- pilleuse et urticaire, quelquefois extrêmement sensible, qui peut, après une application prolongée du courant, s’infiltrer d’un liquide sous-épithélial et se transformer immédiatement après en une eschare brune, qui ne se détache que très-lentement de la peau, et quelquefois même qu’après trois mois, de dehors en dedans, en forme d’assiette, sans produire de suppuration, quand 10 elle n’est pas irritée ou humectée, et sans laisser de trace sur la peau. On comprend par là combien il est important de dis- tinguer l’action des deux pôles pour les effets du cou- rant, que j’appelle catalytiques, c’est-à-dire relatifs au traitement des troubles de circulation, des infiltrations, des endurcissements de tissu, en un mot, de tous les états pathologiques désignés sous le nom d’inflamma- toires. Gomme dans ces cas il s’agit presque toujours d’un rétrécissement des vaisseaux artériels et lymphatiques, on comprend qu’il faille employer le pôle positif pour produire un effet favorable, d’autant plus qu’en même temps il calme la sensibilité exagérée des nerfs affectés. Après cette digression, je passe aux effets thérapeuti- ques généraux du courant constant. Parmi ces effets, il faut distinguer ceux du courant en repos et ceux du courant en mouvement. Le courant en repos se reconnaît à l’immobilité de l’aiguille du galva- noscope quand le circuit est fermé par l’intermédiaire du corps humain, et le courant en mouvement, aux oscil- lations de cette aiguille dans les mêmes circonstances. Le courant en repos se produit, nous le répétons, quand les électrodes sont tenues immobiles à la surface du corps, et le courant en mouvement, en les faisant glisser sur cette surface, sans interruption de communication. En général, l’action du courant en repos est calmante, et celle du courant en mouvement excitante. Cependant, dans les cas de paralysie grave, le courant en repos, quand son action n’est pas trop prolongée, produit un effet antiparalytique plus énergique que le courant en mou- vement. Non-seulement les interruptions, mais même les oscillations trop prononcées du courant sont, en pa- reil cas, plus nuisibles qu’utiles. On peut dire que généralement les interruptions du courant constant affaiblissent et ne produisent un bon effet que dans le traitement local des muscles contracturés, car elles se relâchent, à la condition toutefois que la cause centrale de cette contracture ait été déjà supprimée par un autre traitement approprié. Le courant induit, malgré les fortes contractions qu’il détermine, ne produit pas l’effet cu- ratif des interruptions du courant constant, parce qu’il ne permet pas de ranimer, au moyen d’un circuit fermé, les fibres nerveuses motrices, ni d’amener le gonflement des muscles dont nous parlerons plus loin. Mais il importe d’insister sur cet effet calmant du cou- rant constant, effet thérapeutique fort intéressant, d’au- tant plus qu’il est produit par des courants très-faibles et n’impressionnant nullement la peau. Je dois même ajouter que, d’après mes expériences, le courant constant, pour qu’il soit calmant, doit être faible et nullement douloureux, car la douleur engendre des mouvements involontaires qui peuvent troubler la constance de son action. L’effet calmant du courant constant diffère de celui produit par les autres calmants. L’opium, la morphine, la belladone, l’atropine calment, et leur administration est facile, en sorte qu’il vaut mieux avoir recours à eux qu’à l’emploi de l’électricité. Mais quand ces médica- ments toxiques ne soulagent pas avec promptitude, et quand l’usage qu’on en veut faire doit être prolongé, ils affaiblissent considérablement le système nerveux, et dans ce cas il vaut mieux recourir à l’emploi del’électri- cité, qui habilement appliquée calme et ranime. L’effet calmant du courant constant se produit dans des circonstances très-différentes. Une des plus fré- quentes, et où l’expérience réussit avec une grande net- teté, est celle où il s’agit d’abolir la sensibilité exagérée d’une partie douloureuse par suite d’inflammation. Si, danscecas,nousappliquonsl’éJectrodepositive(ayantune étendue convenable) sur la partie douloureuse, et l’élec- trode négative sur un point bien éloigné de cette partie, électrodes d’une pile à 15 à 25 éléments, selon la résis- tance de la peau, et si nous maintenons les deux élec- trodes fortement, en sorte que l’aiguille du galvanoscope ne change pas de position et ne dépasse pas 20 degrés, nous constaterons qu’après une application de 5 à 10 mi- nutes, la sensibilité de la partie douloureuse a considé- rablement diminué. Le moyen curatif le plus sûr et le plus commode, même dans des cas d’inflammation grave, où le moindre toucher des parties enflammées cause déjà une grande souffrance, c’est de mettre l’électrode posi- tive sur un point du tronc nerveux dont les rameaux se rendent à ces parties douloureuses, mais sur un point très-éloigné de ces parties, et l’autre sur un point quel- conque. Par exemple, si dans une inflammation très-dou- loureuse de l’articulation de la main ou du coude, nous plaçons le pôle positif sur le plexus brachial et l’autre sur l’omoplate par exemple, nous verrons après quelques instants que la sensibilité exagérée a beaucoup dimi- nué. Je recommande cette méthode, parce qu’elle est d’un emploi presque toujours heureux (1). L’action antinévralgique du courant constant la plus (1) Je l’ai appliquée devant MM. Cl. Bernard, Velpeau et Beau sur un homme qui depuis dix jours était tombé sur son genou gauche, chute suivie d'une augmentation excessive de la sensibilité au bord interne de la rotule. Cette augmentation, vainement combattue par les moyens ordinaires, empêchait le malade de marcher sans plier les ge- noux. Je lui plaçai l’électrode positive sur le nerf crural à sa sortie au-dessous du ligament de Poupart, et l’autre électrode sur le muscle extenseur de la jambe, un peu affaibli et amaigri par la marche anor- male mentionnée. Après quelques minutes, nous constatâmes que l’ar- ticulation était devenue beaucoup moins douloureuse, et par conséquent que l’extension de la jambe et la marche étaient beaucoup plus faciles. En répétant trois fois ce traitement, on a guéri complètement le malade. curieuse est celle qui résulte de l’application directe du courant constant sur certains points des centres ner- veux, sans relation apparente de ces points avec la par- tie des membres frappés de névralgie. Pour donner une idée de cet effet, je citerai l’exemple d’une dame de trente-deux ans, mariée depuis dix ans à un médecin et restée stérile. Après avoir souffert pen- dant quelques années d’une métrite chronique qui fut traitée par cautérisation locale, laquelle laissa un endur- cissement de l’utérus assez notable, elle fut saisie peu à peu d’accès névralgiques dans les deux jambes, localisés chacun sur de petites surfaces rondes de quelques centi- mètres de diamètre. Au plus léger toucher de ses habits, cette dame ressentait une douleur insupportable qui l’em- pêchait de marcher, en sorte que pendant le maximum d’intensité des accès, elle était quasi paralysée. Ces accès duraient quelquefois quarante-huit heures. La malade se plaignait elle-même d’un malaise dans le dos qui l’obli- geait à se tenir un peu courbée. En examinant de près le dos, je pus reconnaître que pendant les accès les plus vio- lents de la névralgie, il existait entre la quatrième vertèbre dorsale et la troisième vertèbre lombaire un point particu- lier situé quelquefois sur la colonne vertébrale, et plus sou- vent sur le trajet d’un nerf intercostal. En mettant le pôle positif sur le point de la colonne vertébrale correspon- dant à l’origine de ce nerf intercostal, j’eus la satisfaction d’observer toujours la cessation subite de l’accès névral- gique. Le traitement de la maladie dura trois à quatre mois, pendant lesquels je fis l’expérience 25 à 30 fois. On observe souvent le même effet sur des hommes, qui à la suite d’une paralepsie cervicale {tabes cervicalis) souffrent de névralgies excentriques dans les membres, qui souvent sont confondues avec des douleurs rhumatismales (1). (1) A ce propos, je dois dire, pour les médecins qui voudraient répé- Il faut ajouter que l’effet du courant constant n’est radicalement curatif que s’il atteint les maladies à leur source, par exemple, s’il atteint et supprime le gonfle- ment de la gaine nerveuse dans le rhumatisme articu- laire, ou dans une lésion traumatique suivie de névralgie. S’il n’atteint pas cette source, s’il n’enlève pas la cause effective de la maladie, l’effet produit ne sera que passa- ger. Aussi, quand une tumeur comprime un nerf et en- gendre une névralgie, il est évident que le courant ne pourra pas guérir la névralgie, s’il est impuissant à ré- duire la tumeur. L’effet excitant ou plutôt ranimant du courant con- stant se manifeste dans plusieurs circonstances. D’abord il faut noter que cette recrudescence des forces de tout le corps au moyen du courant n’a jjas lieu seulement dans les paralysies centrales, mais encore dans les pa- ralysies périphériques, et d’autant mieux que l’applica- tion est faite plus près de la région cérébrale et cervi- cale. Cet effet se montre surtout quand la faiblesse des centres nerveux est causée par une contraction des grands vaisseaux cérébraux, qui ne laissent pas passer le sang; en ce cas, on voit disparaître bientôt la pâleur de la face, qui pourrait faire croire à une anémie réelle. D’autre part, l’application du courant sur les fonctions des nerfs de la respiration et de ceux du cœur peut améliorer l’état du sang, de sorte qu’après une applica- tion prolongée, on voit des gens faibles et pâles recouvrer de vives couleurs et offrir un pouls plus accéléré. Quant à la chlorose et à l’anémie qui proviennent des maladies organiques du foie et des intestins, je dois dire qu’elles ont toujours été rebelles à l’action du courant. ter mes expériences, que l’effet curatif dépend de la surface des éléments de la pile, c’est-à-dire qu’il faut rejeter absolument les piles composées de petits éléments. Pour faire comprendre l’action antiparalytique du courant, il faut considérer à part les différentes espèces de paralysies. Si la paralysie dépend d’un travail d’in- flammation ou d’excitation dans le trajet des nerfs ou des centres nerveux, le courant détermine un effet que nous appelons catalytique et dont nous parlerons plus tard. Nous ne nous occuperons aujourd’hui que des expé- riences relatives aux états paralytiques où il s’agit de ranimer la faiblesse du système nerveux indépendam- ment de la cause productrice. Il y a deux sortes de paralysies: 1° la paralysie mo- trice, et 2° la paralysie sensible, ou anesthésie. La paralysie motrice ou musculaire peut être com- plète ou incomplète. Dans ce dernier cas, il peut exister un affaiblissement général de toutes les fibres muscu- laires, ou une paralysie complète de certains faisceaux seulement. On ne pourra rétablir les muscles dans leur état normal que si tous les centres nerveux, et le trajet des troncs nerveux dont les rameaux se rendent à ces muscles, n’ont pas perdu ou ont déjà regagné leurs fonctions régulières. Dans ce cas seulement, l’action lo- cale antiparalytique du courant sera manifeste. On observe alors que le courant constant, agissant par l’électrode négative sur les rameaux nerveux qui se ré- pandent dans le muscle affecté, rendra immédiatement à ce muscle sa corrélation avec la volonté et sa force nor- male en produisant en même temps un gonflement des fibres musculaires. Le hasard nous permet de mettre sous vos yeux un cas de paralysie du deltoïde qui nous fournit l’occasion de démontrer ces effets. Il s’agit d’un homme de trente et un ans, emballeur, pâle, mais bien portant du reste, entré à la Charité il y a trois mois, pour un gonflement rhumatismal articulaire des trois grandes jointures du bras droit. Après avoir été traité pendant trois semaines par les moyens ordinaires, il fut saisi subitement,—d’après l’affirmation deM. Beau, dans le service duquel se trouve le malade, — d’une pa- ralysie complète du deltoïde qui ne céda ni par les vési- catoires, ni par les courants d’induction, et qui l’a laissé dans l’état où nous le trouvons maintenant. En observant ce malade, on constate que son épaule droite est affaissée sur tout le deltoïde, tandis que les jointures de la main et du coude sont à l’état normal. On ne trouve à l’articulation de l’épaule aucun gonfle- ment, mais une sensibilité exagérée à la capsule synoviale et au deltoïde lui-même, à la surface duquel on voit la trace d’un large vésicatoire. Si l’on demande au malade de lever son bras droit, on observe qu’il peut à peine l’éloigner de 20 à 30 degrés de la verticale du thorax, et que c’est par l’inter- vention du trapèze non paralysé. Nous constatons que le trapèze est intact, en priant le malade de rapprocher les omoplates l’une de l’autre, ce qui se fait normalement. En levant nous-même le bras du malade, nous ne rencontrons presque aucun obstacle, il y a seulement une légère contraction du grand pectoral qui attire l’os en dedans, vers le processus coracoïde. Voilà constatée la paralysie du deltoïde. Au point de vue du diagnostic dif- férentiel, il faut ajouter que la paralysie pourrait coexis- ter avec un gonflement de l’os; mais ce qui est plus im- portant à savoir, c’est que souvent on rencontre, en levant le bras, un obstacle causé apparemment par le gonflement, soit de l’humérus, soit de la cavité glénoï- dale, et qui n’est pourtant que la suite d’une forte contracture du grand pectoral, qui attire l’humérus vers le processus coracoïde, en sorte que la tête de l’humé- rus s’appuie contre le bord antérieur de la cavité. Si dans ce cas l’électrode positive d’un courant de 20 à 30 éléments agit pendant quelques minutes dans la fosse sous-claviculaire, on peut, soit par une application in- stantanée, soit par des applications répétées, relâcher et ramollir le grand pectoral, et supprimer l’obstacle, en apparence mécanique, qui s’est opposé à l’élévation du bras. Mais dans notre cas cette complication n’existe pas, nous avons affaire à une paralysie simple du deltoïde. Reste à savoir quelles sont l’origine et la nature de cette paralysie. Au début d’une inflammation de l’articulation humé- rale, on observe presque toujours une subluxation de la tête de l’humérus vers le processus coracoïde, causée par les mouvements volontaires du malade; c’est surtout cette déviation qui semble prolonger la durée de l’in- flammation. Si dans ce cas on applique pendant quel- ques minutes l’électrode positive sur le plexus brachial, on arrive à diminuer la sensibilité exagérée de l’articu- lation, et, en relâchant le grand pectoral, à rétablir la tête de l’humérus dans sa position naturelle. En empê- chant alors tout mouvement du bras par un bandage approprié, on observe que l’inflammation, qui ordinai- rement dure des semaines et des mois, se termine avec une étonnante rapidité, évidemment parce que le trouble de la circulation que détermine la compression de l’ar- tère et de la veine circonflexe est supprimé par notre procédé. Si l’on n’applique pas le courant et si la com- pression persiste, il se développe une névrite secondaire articulaire descendante ou ascendante, qui, dans les deux cas, peut engendrer une paralysie du deltoïde : dans le premier, par gonflement et endurcissement du nerf cir- conflexe dans le creux de l’aisselle, et dans le second, par gonflement de la partie supérieure du nerf circon- flexe jusqu’à son point d’émergence du plexus brachial. Dans le cas qui nous occupe, en touchant le creux de l’aisselle, nous ne trouvons rien d’anormal; mais, en exerçant une légère pression avec le bout du doigt sur le plexus brachial dans la fosse sus-claviculaire, nous con- statons un gonflement douloureux et très-prononcé sur- tout des cordons inférieurs, où le nerf circonflexe prend son origine. Quant au pronostic de cette paralysie, on peut affir- mer qu’elle est capable de durer des années et meme toujours. J’ai traité et guéri par le courant constant des paralysies semblables qui existaient depuis vingt ans. Dans certaines conditions, c’est-à-dire si rendurcissement delà gaine des nerfs est supprimé par d’autres moyens, le courant induit exerce quelquefois une influence heu- reuse, tandis qu’il aggrave l’état des choses, et peut même engendrer des névralgies articulaires si cet endur- cissement dure encore. Il y a deux manières de procéder à l’application thé- rapeutique du courant constant dans ce cas. Nous pouvons commencer par l’excitation des fibres nerveuses intra-musculaires du deltoïde avec le pôle né- gatif du courant en mouvement, et en gonflant en même temps les fibres musculaires. Mais je prédis d’avance que l’effet sera médiocre, puisque le mal a sa source dans le tronc nerveux et doit être attaqué là. Néanmoins faisons l’expérience de cette manière. Je place le pôle négatif sur le point d’émergence du nerf circonflexe et je promène l’autre pôle à la surface du deltoïde. La con- tractilité, qui n’est aucunement réveillée par le courant induit, — selon l’interne de M. Beau, — ne l’est pas non plus par le courant constant, si nous effectuons des in- terruptions, mais elle l’est au bout d’une application continue de quelques minutes. Néanmoins c’est un effet curatif presque nul. Il y a une augmentation de quelques degrés dans l’angle que peut faire le bras avec le corps. Traitons maintenant les troncs nerveux. Jeplace le pôle positif d’un courant fourni par vingt à vingt-cinq éléments sur le point douloureux du plexus brachial, et le pôle négatif sur l’omoplate du côté opposé, pour nous assurer qu’il ne s’agit pas d’un effet immédiat sur le muscle deltoïde. Laissons agir ce courant jusqu’à ce que sa con- stance soit arrivée à un maximum, ce qu’on reconnaît à l’immobilité de l’aiguille du galvanoscope. Après une action de deux ou trois minutes, nous enlevons les élec- trodes, et, comme vous le voyez, le malade lève complè- tement son bras, c’est-à-dire jusqu’à la position verticale, la main en l’air. — Mais ce mouvement s’accomplit avec une certaine difficulté, et l’on observe une contraction irrégulière des faisceaux du deltoïde. Le malade accuse des craquements dans l’articulation et qu’on saisit à l’audition. Il faut revenir maintenant au traitement local du del- toïde. En appliquant le courant comme primitivement, la contractilité est plus énergique et le gonflement des fibres beaucoup plus prononcé ; aussi y a-t-il une rou- geur très-vive de la peau, surtout au pôle positif. Le ma- lade lève actuellement son bras sans aucune gêne, il le meut en tout sens et avec la plus grande facilité, comme un gymnaste ou un athlète. Et si l’on touche le point douloureux du plexus brachial, on constate qu’il est moins sensible et moins dur. Pour terminer l’explication de ces phénomènes qui excitent à juste titre l’étonnement, il faut ajouter que le courant, en agissant sur le plexus brachial, a dû aussi toucher de près les rameaux du grand sympathique qui se rendent aux vaisseaux sanguins du bras, et sous la dé- pendance desquels, d’après la découverte de notre illustre ami Cl. Bernard ici présent, se trouvent les parties musculaires des parois des vaisseaux. Ainsi, cetfç, action du courant n’a pas engendré seulement une exci- tation des fibres nerveuses motrices, excitation faible, puisque nous avons employé ce pôle positif, mais elle a déterminé de plus une dilatation des vaisseaux sanguins et un afflux abondant de sang aux parties paralysées, afflux qui joue un grand rôle dans l’accomplissement des phénomènes qui se sont passés sous vos yeux. Pour obtenir une guérison complète, il faudra appli- quer encore quelquefois le courant, afin de rétablir par- faitement l’état normal des quelques fibres qui pour- raient avoir échappé aujourd’hui à notre action. Gomme nous l’avons déjà prédit, la guérison de la paralysie du deltoïde, que nous avons effectuée il y a quelques jours, ne s’est pas démentie depuis; seulement nous avons appliqué encore deux fois le courant constant sur le plexus brachial, et surtout sur les fibres contrac- turées du grand pectoral, qui gênaient encore la com- modité des mouvements et empêchaient le malade de reprendre ses occupations habituelles. Cet exemple peut servir de type en cette espèce de paralysie, que j’appelle névritique, parce qu’elle dépend uniquement d’un gonflement de la gaine des nerfs, et se combine facilement avec des névralgies et même des anesthésies si les fibres sensibles des troncs nerveux sont comprimées. On comprend ainsi que la même cause morbide puisse produire, selon les circonstances, aussi bien une paralysie qu’une contracture, qu’une anesthésie ou qu’une hyper- esthésie. Je distingue deux espèces de paralysie névri- tique : 1° la primaire ; 2° la secondaire. La secondaire est celle qui se combine avec une inflammation, soit des articulations après fractures des os, soit d’autres organes plus profonds, tels que la matrice, les ovaires, les intes- tins, et même les poumons. Userait trop long d’insister sur les différentes névroses de ce genre. Quant à la paralysie névritique primaire, elle est cau- sée par un refroidissement ou un tiraillement forcé des troncs nerveux. On l’observe sur les muscles de l’épaule, tels que le grand dentelé, le rhomboïde, le deltoïde, etc. Dans ces divers cas, il n’y a pas seulement gonflement du plexus brachial, mais encore gonflement des rameaux nerveux qui se rendent aux muscles paralysés. On a cherché en vain, dans de pareilles circonstances, à réta- blir la motricité des muscles paralysés, par application locale immédiate, soit du courant induit, soit même du courant constant ; mais si on laisse agir le courant con- stant sur les nerfs gonflés, on observe, même dans les paralysies invétérées, que la contractilité perdue des muscles renaît, et que les mouvements volontaires re- viennent. Les photographies que je place sous vos yeux vous donneront une idée des effets de ce traitement. Voici deux hommes avec paralysie complète et ancienne du grand dentelé et du trapèze guéris parfaitement au bout de trois mois de traitement. Voici un sous-officier de notre marine qui, dans un naufrage, a été saisi d’une paralysie complète du deltoïde, du trapèze et du sterno- mastoïdien. Malgré une application du courant induit prolongée quatre mois, son état, loin de s’améliorer, s’est compliqué d’une névralgie du bras. Je l’ai traité pendant trois mois et guéri. C’était quatre ans après le début de sa maladie. J’ai pu constater maintes fois, avec mes élèves, que le courant induit affaiblissait les forces du muscle paralysé, et que le courant constant, appliqué immédiatement après, les rétablissait instantanément. On observe aussi des paralysies névritiques primaires et secondaires dans les membres inférieurs, surtout dans la région du nerf crural et du nerf sciatique. Mais nous ne pouvons insister sur cette espèce de paralysie, et nous passons à une autre espèce de paralysie périphérique, dont le traitement galvanique offre un intérêt particu- lier, parce que, dans ce cas, le grand sympathique sert d’intermédiaire à l’influence du courant. L’hémiplégie faciale de la femme de vingt-quatre ans, que je vous présente, offre un exemple de ce cas. Depuis sa jeunesse, cette femme souffre d’une otite du côté gauche, avec suppuration. C’était évidemment d’une prédisposition à l’hémiplégie faciale dont elle fut frap- pée subitement il y a trois mois. Entrée dans le service de M. Beau, elle y a été traitée par les moyens ordinai- res; le courant induit n’a pas même déterminé une contraction des muscles paralysés. Tous les muscles de sa face sont affectés; elle ne peut ni fermer l’oeil ni froncer le sourcil; la bouche et même le bout du nez sont déviés du côté droit, surtout quand la malade parle ou quand elle fait la moue. En soufflant, elle laisse passer l’air par une large ouverture du côté gauche de la bouche. Les muscles de la joue sont endurcis, et le muscle sterno-clido-mastoïdien est un peu raccourci, en sorte que le menton est tourné du côté droit. Au-dessous du bord extérieur de ce muscle, nous ren- controns les cordons gonflés et endurcis, soit des nerfs, soit des ganglions lymphatiques. Du reste, tous les os de la face, surtout l’arcade zygomatique, sont tuméfiés visiblement, et même douloureux au toucher. Si nous appliquons le courant constant sur les muscles paralysés, nous voyons qu’ils ne se contractent pas, même avec un courant énergique, qui produit d’ailleurs une rougeur de la peau. Il n’y a pas non plus contraction si le coue rant agit sur le tronc nerveux lui-même. Mais une expérience antérieure m’a appris que, si le courant agit pendant quelques minutes sur le grand sympathique du cou, et que si l’on examine ensuite les muscles de la face, on s’aperçoit que plusieurs de ces muscles, et quelquefois même tous, ont recouvré leur contractilité. Je fais cette expérience devant vous. Je laisse agir un courant descendant de quinze éléments le long de la partie cervicale du grand sympathique, pendant trois minutes, et, en examinant de nouveau les muscles de la face, nous observons que le muscle zygomatique et la partie inférieure de l’orbiculaire se contractent sous l’influence du même courant, qui, auparavant, était sans effet. Vous voyez en même temps que l’excitation du tronc nerveux ne détermine pas cette contraction, et, par conséquent, que les muscles se trouvent à peu près dans le même état que les muscles d’une grenouille empoisonnée par le curare, qui, d’après la découverte de notre ami Cl. Bernard, sont excitables seulement par l’action électrique, mais non par l’action nerveuse. Je suis heureux que M. Cl. Bernard soit ici présent pour constater ce phénomène. On comprend aussi que le rétablissement de la con- tractilité des muscles seuls n’est pas le rétablissement de la motricité volontaire. Tant que le tronc nerveux n’est pas excitable, c’est-à-dire tant qu’il n’est pas sou- mis à l’innervation, la motricité volontaire n’existe pas. Comment faire renaître cette excitabilité? Voici ce que j’ai découvert à cet égard : en faisant agir le courant constant sur le trajet de la partie vertébrale du grand sympathique, on parvient, après une application répétée de ce courant, à rétablir l’excitabilité du tronc nerveux, et par cela même à faire rentrer les muscles paralysés sous la domination de la volonté. Pour expliquer ces phénomènes complexes, il se pré- sente deux méthodes. La première, la plus simple en apparence et la plus probable, est celle qui consiste à supposer que l’application du courant sur la partie cer- vicale du grand sympathique produit une amélioration de la circulation dans les muscles de la face, attendu que nous savons, par les expériences de Brown-Séquard et de Slannius, qu’un afflux de sang artériel aux muscles, môme à peu près mortifiés, leur rend leur contractilité. En suivant cette manière de voir, on peut expliquer aussi l’action du courant sur la partie vertébrale du grand sympathique. Cette action améliore la circulation autour du tronc nerveux, dans le canal de Fallope, oü il faut chercher la cause de la maladie, et môme dans la fosse postérieure du crâne, sinon dans le pont de Yarole lui-même. Pour appuyer cette interprétation, il faut noter que le gonfle- ment des os de la face disparaît avec le temps par ce traitement. D’autre part, je dirai que, d’après une série d’observations qui seront mentionnées à propos de l’atrophie musculaire progressive d’Aran, je suis disposé à croire qu’il existe, entre les fibres nerveuses du grand sympathique et les cellules cérébro-spinales, des com- munications directes, qui n’ont encore été constatées, ni par le microscope, ni par l’expérience physiologique. C’est l’effet de ces communications qui, probablement, apparaît ici d’une manière aussi étonnante (1). Le cas dont je viens de faire l’histoire peut servir d’exemple, non-seulement pour l’hémiplégie faciale, mais pour beaucoup d’autres maladies paralytiques et spasmodiques, dont la cause consiste en un trouble de la circulation à la base du cerveau. Je renvoie à mon mémoire : Sur le traitement de quelques névroses, ayant leur siège à la base du cerveau, lu par moi à l’Académie des sciences le 12 septembre 186â. Je passe maintenant à une autre série d’effets exci- (1) L’effet indiqué d’avance s’est réalisé après un traitement de quinze jours. La contractilité des muscles de la face, et, jusqu’à un cer- tain point, l’excitabilité du tronc nerveux, sont revenues ; l’œil n’est plus larmoyant, et le gonflement des os a diminué. Arrivée à ce point, l’hémiplégie guérit d’elle-même. tants, du courant constant à la série des elfets que je nomme centripètes, parce qu’il s’agit dans ce cas d’exci- ter les cellules ganglionnaires motrices contenues dans la moelle épinière, au moyen des fibres sensibles qui se rendent à ces cellules. Déjà en 1856, dans un mémoire lu à l’Académie des sciences, j’ai rendu compte d’une suite d’observations sur l’homme sain et l’homme ma- lade, démontrant la réalité de cette excitation. Mais ce ne fut que dans le courant des années suivantes que je parvins à la mettre en pleine évidence, dans le traite- ment de la paraplégie grave. Dans une note insérée en 1860, dans les comptes-rendus de l’Académie des sciences (septembre), j’ai décrit longuement ces contractions ré- flexes qu’il est impossible de reproduire sur des ani- maux décapités ou narcotisés. Ces contractions appa- raissent dans la région du nerf sciatique, quand le même nerf du côté opposé est excité par le courant. Le muscle qui s’est contracté par voie réflexe rentre sous la domi- nation de la volonté. Ce mode d’action du courant, ainsi qu’on peut le pré- voir, apparaît surtout dans les paralysies centrales sur les parties situées au-dessous du point d’interruption, d’après la loi de Marshall-Hall, qui veut que les mouve- ments réflexes soient d’autant plus énergiques que l’in- fluence cérébrale est moindre. On observera ces phénomènes réflexes non-seulement dans la paraplégie mais encore dans l’hémiplégie, et l’on comprendra que partout où ces phénomènes se présen- tent le pronostic est défavorable, et que l’excitation galva- nique réflexe ne pourra rendre que des services limités. Cependant, il faut faire exception en faveur de plu- sieurs phénomènes réflexes que j’ai découverts en 1860, et dont j’ai poursuivi depuis l’étude sur un grand nombre de malades avec le plus grand soin. Le jeune homme que je vous présente et que M. Bouil- laud a bien voulu me confier, nous fournira l’occasion de démontrer la nature de ces dernières actions réflexes. Il est affecté depuis une année de l’atrophie musculaire progressive d’Aran ; cette maladie est déjà fort avancée dans la main et l’avant-bras droit, tandis qu’elle existe à peine dans le membre gauche. Ce sont les muscles intra-osseux qui sont le plus atrophiés. L’ordre d’atro- phie est le suivant : 1° le premier intra-osseux qui est réduit à une couche mince, dure et qui présente des contractions fîbrillaires ; 2° le grand extenseur et le grand abducteur du pouce (presque paralysés); 3° le flé- chisseur du pouce; k° le fléchisseur et les extenseurs, excepté le grand supinateur (encore très-notablement atrophiés) et présentant une dépression profonde. Les muscles de l’hypothénar sont atrophiés et ne peuvent se contracter que très-peu, en sorte que la flexion du petit doigt est presque nulle. On le voit aussi, la fonction des muscles atrophiés est insignifiante et la contraction de la main n’a aucune énergie. L’extension de la main et des doigts n’est pas normale. Les doigts ne peuvent pas être écartés et les articulations moyennes restent quelque peu fléchies à cause de la faiblesse des intra-osseux et des extenseurs, et de la contracture du grand fléchisseur. Le malade, sitôt qu’il veut se servir de sa main, éprouve un tremblement dans la main et dans l’avant-bras. Néanmoins, ce trem- blement a considérablement diminué depuis les trois jours de traitement galvanique qu’il a déjà subis. La mala- dresse, l’incertitudeetla faiblesse de ses mains ont dimi- nué aussi beaucoup, et il nous présente avec surprise quel- ques mots d’une grande netteté écrits par lui aujourd’hui, et qu’il eût été incapable d’écrire auparavant. La sensi- bilité de tout le membre supérieur droit, qui était presque complètement abolie, est revenue depuis le traitement galvanique. Les doigts peuvent s’écarter à peu près comme dans l’état normal, la main a perdu son aspect maladif, et les fonctions des muscles sont tellement rétablies qu’on dirait plutôt une difformité qu’une maladie. On observe que les muscles les plus atrophiés dépen- dent de différents troncs nerveux (radial, médian et cu- bital), tandis que d’autres muscles dépendant des mêmes troncs sont presque intacts, ce qui fait supposer que la lésion ne réside pas dans ces troncs, mais dans un centre nerveux. Gomment avons-nous procédé pour déterminer une amélioration aussi subite dans une maladie considérée jusqu’ici comme incurable ? L’électrisation directe des muscles paralysés et atro- phiés par le courant induit reste sans effet, et aggrave même les symptômes, surtout le tremblement, quand la contractilité musculaire n’est pas tout à fait perdue. Dans le cas qui nous occupe la contractilité des muscles affectés est anéantie en raison de leur atrophie. Le courant cons- tant appliqué localement ne produit pas non plus d’effet. Appliqué par exemple sur le nerf médian, il excite visi- blement le fléchisseur et même le premier intra-osseux. Mais cet effet-là est dû à une excitation centrale préa- lable dont je vous parlerai plus loin. Je me sers d’une électrode positive en forme de bou- ton, que je place à la fosse mastoïdienne droite antérieure sous l’oreillette convexe, derrière la branche ascendante delà mâchoire, etl’électrode négative plus large et plus plate à l’extérieur, du côté gauche au bord de la sixième vertèbre dorsale. Je prends un courant de trente à trente- six éléments et, en fermant le circuit, en appliquant l’élec- trode négative sur le point indiqué, je produis une con- traction dans la main gauche sur le muscle extenseur et fléchisseur du pouce, quelquefois même dans quelques faisceaux du premier intra-osseux. Pour observer cet effet avec précision, il importe de ne pas toucher*avec l’électrode positive les nerfs qui se rendent au sterno- elido-mastoïdien et au trapèze, parce qu’alors on déter- minerait une contraction de ces deux muscles qui pour- rait gêner l’observation. Ces contractions réflexes que je nomme aussi diplègiques, parce que pour les produire il faut frapper (nkr,?ceiv) deux points différents et éloignés des muscles devant être excités, peuvent aussi être re- produites si nous plaçons le pôle positif sur la fosse mastoïdienne gauche et sans changer la position du pôle négatif. En ce cas nous observons le même effet, mats seulement dans la main droite, la plus malade. Ces faits suffisent à prouver qu’il s’agit d’un phéno- mène pathologique extraordinaire ; mais pour vous édi- fier encore davantage, je citerai un autre jeune homme affecté d’une paraplégie, dont nous raconterons bientôt l’histoire. En lui appliquant le courant de la même façon, nous n’observons aucune contraction des muscles de la main. Mais étudions de plus près sur le malade affecté d’atro- phie progressive qui nous occupe, la nature de ces phé- nomènes. Il faut constater avant tout qu’ilsne se reprodui- sent pas avec la direction ducourant, inverse de celle que nous employons. Si cependant la sensibilité du malade était troublée, le courant inverse donnerait lieuà des four- millements excentriques dans le bras affecté. Nous obser- vons qu’en laissant le pôle négatif à sa place primitive et qu’en variant la position du pôle positif, la seule région locale par l’excitation de laquelle on puisse donner nais- sance aux contractions réflexes est la fosse auriculo- maxillaire, c’est-à-dire la région située entre le rameau .ascendant de la mâchoire inférieure et de l’oreillette. En examinant ces faits, on prévoit ce qui d’ailleurs peut être vérifié par des expériences comparatives sur d’autres sujets malades, à savoir, que le ganglion supé- rieur cervical du grand symphatique est le point singu- lier‘de cette espèce d’excitation centrifuge. D’autre part, si nous promenons le pôle négatif sur le dos du malade, nous voyons que les contractions des muscles de la main droite ne perdent pas beaucoup de leur intensité si nous descendons vers la région lombaire, mais qu’elles se perdent si nous remontons vers la région cervicale, et que c’est surtout une limite transversale vers la région de la cinquième vertèbre cervicale, limite au-dessous de laquelle l’application du pôle négatif ne produit plus aucune contraction musculaire dans la main droite. Voilà les effets qui peuvent être constatés dans le cas qui est sous vos yeux. Permettez-moi maintenant de vous parler des résultats que j’ai obtenus en expérimen- tant sur un très-grand nombre de malades de la même espèce. D’après ces résultats, il faut distinguer trois zones spinales : 1° Une zone cervicale supérieure est li- mitée par quatre lignes, la première circulaire, allant horizontalement de la cinquième vertèbre cervicale jus- qu’au larynx, la deuxième et la troisième suivant le cou- rant du grand sympathique et de la carotide jusqu’à la li- mite transversale et la quatrième oblique, commençant à la fosse auriculo-maxillaire et finissant au rocher et à l’occiput, poursejoindreà uneligne symétrique de l’autre côté ; 2° une zone dorsale supérieure, commençant à la cinquième vertèbre cervicale, limitée latéralement par deux lignes correspondant à peu près aux bords inter- nes de l’omoplate et descendant jusqu’à la sixième ver- tèbre dorsale; 3° une zone dorsale inférieure se prolon- geant vers la région lombaire, et s’y perdant quelquefois en allant jusqu’aux membres inférieurs. Telles sont les conditions des contractions diplégiques. En tous cas, le pôle positif doit se trouver dans la zone cervicale. Quant au pôle négatif, il existe deux cas dans lesquels les deux zones dorsales sont susceptibles de re- cevoir le pôle négatif : 1° l’une ou l’autre; 2° l’une seu- lement. Ce n’est pas toujours la zone entière qui est impres- sionnable, et pas toujours non plus l’une et l’autre moi- tié; la zone peut se localiser dans un espace plus ou moins étroit, et quelquefois même dans un simple point. Ainsi, surtout dans les cas invétérés, où évidemment le centre nerveux a déjà beaucoup perdu de son excitabi- lité, il n’existe que deux points très-éloignés les uns des autres et dont l’excitation par les deux pôles pourra pro- duire les contractions diplégiques. Comme vous pouvez le constater sur notre sujet, ce ne sont pas toujours les points situés du côté du membre malade, qui sont le plus impressionnables, aussi l’exci- tation croisée est la plus efficace. Avant de chercher à expliquerces phénomènes, il faut avouer d’abord qu’ils sont en contradiction absolue avec les lois de la physique et de la physiologie jusqu’ici con- nues. D’après ces lois, l’elfet doit être d’autant plus énergique, que les deux pôles sont plus près l’un de l’autre, tandis que dans les phénomènes que nous étu- dions, les deux pôles appliqués l’un et l’aiitre sur la zone cervicale restent toujours inefficaces. La seule supposi- tion que nous puissions faire, c’est qu’il s’agit d’excita- tions simultanées de deux ganglions sympathiques éloi- gnés. Ajoutons encore, que probablement L’excitation se fait par des rameaux communicants qui entrent dans le cordon postérieur de la colonne grise de la moelle, et s’anastomosent avec les cellules ganglionnaires des cor- dons antérieurs, soit du même côté, soit de l’autre côté par l’intermédiaire de la commissure. Quant à l’effet thérapeutique de cette excitation, il est des plus remarquables. Les muscles atrophiés qui sont soustraits à l’influence thérapeutique immédiate du courant constant, non-seulement se contractent par l’ex- citation diplégique centrale mais encore se gonflent et reprennent leur force perdue. J’ai rencontré quelquefois aussi des contractions diplé- giques dans les muscles de la main, dans l’arthrite noueuse, maladie dans laquelle le gonflement des arti- culations est souvent combiné à une atrophie des intra- osseux. C’est surtout dans les premiers temps de la ma- ladie pendant l’état fébrile initial, que l’on peut observer ces contractions très-prononcées. En ce cas, l’applica- tion diplégique du courant est suivie d’une diminution des douleurs,et du renflement des articulations, et en même temps d’une augmentation du volume des mus- cles, aussi d’un ralentissement du pouls et d’une dimi- nution de la chaleur du corps. Il faut noter, pour prévenir de graves déceptions, que ce n’est pas toujours le réveil des contractions qui con- duit à la guérison, mais bien l’action légère et continue d’un courant constant agissant sur les deux points dont la correspondance a été constatée auparavant par l’expé- rience. Cette action amène avec le temps l’effet théra- peutique le plus heureux, si toutefois il n’existe pas de profondes altérations de la moelle épinière, ou des gan- glions sympathiques, altérations qu’on a constatées quel- quefois dans des autopsies. Nous nous occupons ici de la galvanothérapie géné- rale, et nous ne pouvons insister davantage sur les détails pathologiques. Si les contractions diplégiques ne sont pas très-vi- sibles, je recommande l’administration du nitrate de strychnine. Ce sel augmente rapidement l’excitabilité de la moelle épinière. Le courant d’induction ne donne jamais ces phénomènes, et je conseille de n’insister pas sur ces expériences, qui peuvent devenir très-nuisibles. Appendice.— Pour répondre à certaines questions qui m’ont été adressées à mes conférences, je dois répéter que les effets de l’interruption du courant constant sont loin d’être identiques avec ceux du courant induit. Il y a deux espèces de courant induit, le courant d’OErsted qui se développe quand un aimant s’approche ou s’éloigne d’une bobine fermée, et le courant de Faraday qui se développe dans un circuit fermé quand le courant d’un circuit galvanique voisin commence ou finit. C’est le courant de Faraday qui est le plus généralement usité en médecine, et qu’on désigne habituellement sous le nom de courant d’induction. Si l’on a un circuit très-long d’une chaîne galvanique, on obtient en l’ouvrant et en le fermant le courant galvanique compliqué avec des cou- rants d’induction (courants de Jenkins), qui d’après Faraday (voy. les Annales de physique dePoggendorff, 1837) se reproduisent, parce que le circuit métallique sert dans le même temps comme conducteur et comme inducteur. Les courants d’induction sont toujours instan- tanés et précipitent avec une extrême rapidité une cer- taine quantité d’électricité dans le corps humain. Ce développement brusque est inséparable, comme l’a montré Riess, d’une certaine action mécanique qui d’après moi est funeste au système nerveux, ainsi qu’on peut le démontrer en employant des courants d’induc- tion bien isolés dans des souffrances graves, nerveuses. On comprend, que le mot courant induit n’exprime pas des courants isolés ou des jets d’induction, mais un ensemble plus ou moins complexe de courants de très-petite durée. En laissant agir sur l’homme des courants ou des jets d’induction plus ou moins rapprochés les uns des autres, nous sommes hors d’état de prolonger la durée du pas- sage du courant électrique dans le corps. C’est tout le contraire avec le courant constant. 11 permet de déter- miner une influence continue du courant constant pen- 32 dant le temps qu’on désire, et l’interruption de ce courant, môme qu’elle soit mêlée d’un peu d’induction, trouvera l’état moléculaire des fibres nerveuses changé tellement, qu’elle donnera des autres effets que le simple jet d’induction, sans action préalable du courant con- stant. En suivant les expériences de mon illustre con- frère M. du Bois-Reymond, nous jpourrions aussi dire, qu’il faut avant tout faire entrer les nerf dans l’état élec- trotonique, pour avoir un effet thérapeutique dans les maladies du système nerveux. Dans la conférence précédente, je n’ai parlé de l’atro- phie progressive qu’autant qu’elle frappe les membres supérieurs; mais il existe un petit nombre de cas où elle frappe, soit au début, soit plus tard, les membres inférieurs. Malheureusement, le pronostic de ce dernier cas n’est généralement pas favorable. Cependant, j’ai vu quelques exemples d’atrophie progressive des quatre membres, où l’application du courant sur le ganglion inférieur cervical du grand sympathique détermine un effet incontestable. On comprendra que j’aie dû recher- cher s’il n’y a pas de cas de paraplégie des membres in- férieurs sans atrophie, se comportant de la même façon sous l’influence du courant. J’ai rencontré effectivement des cas de paraplégie qui commencent par les membres inférieurs et passent aux membres supérieurs et même aux nerfs cérébraux. Dans ces cas de paraplégie ascendante, l’effet du courant constant s’est réalisé. Voici précisément un jeune homme de vingt ans, cor- donnier de profession, que j’ai pris au Bureau central, et qui est entré, il y a quelques jours, dans le service de M. Velpeau (salle Sainte-Vierge). Comme nous ne pou- vons pas entrer dans le détail des faits pathologiques présentés par ce jeune homme, je renvoie à cet égard aux observations prises avec beaucoup de soin par MM. Duhamel et Hurlot, et qui seront publiées plus tard. Je dirai seulement que ce jeune homme s’évanouit subitement il y a trois mois, et qu’on dut le porter chez lui. Quinze jours après, un nouvel évanouissement se produisit, et laissa une paraplégie assez grave des deux membres inférieurs, laquelle ne s’est pas améliorée de- puis deux mois, malgré l’emploi de différents moyens. Après les évanouissements, il a souffert aussi de dou- leurs dans les deux bras et dans les deux jambes, dou- leurs qui ont passé. En voyant pour la première fois ce jeune homme, nous constatâmes qu’il marchait avec la plus grande difficulté, qu’il ne pouvait se tenir debout sans appui, et que, pendant la marche, il traînait tout à fait les pieds, tandis que les genoux ne se pliaient aucunement. De- bout, il était hors d’état de lever les jambes, preuve d’une paralysie très-prononcée des deux muscles ilio-psoas. Couché sur le dos, la contraction de ces deux muscles devenait plus aisée. En fermant les yeux, le malade n’é- prouvait aucun dérangement. Mais la sensibilité était gra- vement oblitérée depuis le pied jusqu’à la dernière côte. On pouvait pincer fortement la peau des cuisses et des jambes sans produire aucune sensation. Du reste, point de douleur ni dans les membres ni dans la colonne ver- tébrale. Comme il s’agissait dans ce cas traité devant la com- mission d’avoir un effet prompt, j’ai appliqué le courant, d’après plusieurs expériences antérieures, sur la nuque et sur les deux ganglions inférieurs du grand sympa- thique. Le traitement a duré à peu près douze minutes, le courant était en mouvement et fourni par une pile de vingt à trente éléments. L’effet a été immédiat et des plus surprenants. Le malade a pu de suite après, non- seulement lever les deux jambes étant debout, mais en- core monter sur une chaise, en s’appuyant toutefois. Il pouvait marcher en pliant les jambes, mais avec une cer- taine maladresse. Et ce qui est plus important, la sensi- bilité était revenue presque complètement dans les membres inférieurs. Ces faits ont été constatés le lende- main, U décembre, par un grand nombre de médecins qui avaient vu le malade le jour précédent. Le même jour, devant une nombreuse assistance de savants con- frères, j’ai fait observer que c’est, selon moi, l’applica- tion du courant sur les ganglions inférieurs du grand sympathique, qui contribue, pour la plus grande part, à ce changement subit. Pour apprécier la valeur de cette supposition, j’ai ap- pliqué de nouveau le courant constant sur la région du ganglion inférieur des deux côtés, et, après trois mi- nutes, le malade a pu, sans aide et sans appui, monter sur la chaise avec la plus grande agilité. Après un troi- sième traitement, il a sauté à pieds joints sur la même chaise. Depuis lors, il n’a éprouvé aucune souffrance, aucune rechute. Il est tout à fait guéri et va quitter l’hôpital. Quant à la nature de cette maladie, je crois que c’est une espèce particulière d’épilepsie dont le malade a été frappé, et qui, par un rétrécissement subséquent des vaisseaux sanguins à la base du cerveau et de la moelle allongée, a laissé après elle cette paraplégie anesthé- sique. On comprend pourquoi l’application du courant sur la partie cervicale du grand sympathique a pu faire disparaître si subitement les symptômes morbides. Dans ce cas, si le rétrécissement n’avait pas été détruit rapi- dement, il se serait produit une atrophie du centre ner- veux, et, par suite, une incurabilité absolue de la para- plégie. D’autre part, je ne dois pas omettre de vous dire à cette occasion qu’en suivant le procédé analogue, on ar- rive h améliorer et même à guérir quelquefois l’épilep- sie. Malheureusement, nous manquons ici de sujets pour cette importante démonstration. Dans la paraplégie qui vient de nous occuper, les symptômes d’ataxie n’existaient pas, c’est-à-dire que la fermeture des yeux était sans conséquence. Les personnes qui suivent régulièrement ces confé- rences ont pu observer que l’effet du courant constant dans la paraplégie ataxique, que j’appelle paralepsie, n’est pas moindre que dans la paraplégie simple. Seulement, il existe un si grand nombre d’espèces de paralepsies, que, pour expliquer le mode d’action du courant, il fau- drait entrer dans une foule de détails que j’ai publiés déjà. Il faut citer néanmoins le cas de paralysie hystérique d’une femme âgée de trente-six ans (service de M. Bouil- laud) dont l’histoire pathologique a été rédigée avec beaucoup de soin par M. Blachez. Elle a souffert long- temps d’une chute grave de la matrice, telle que le col se présente immédiatement à l’entrée du doigt dans le vagin ; en même temps elle offrait tous les symptômes d’une grave paralysie et pouvait à peine marcher quel- ques pas. En fermant les yeux, elle tombait immédiate- ment et était hors d’état de monter sur une chaise même en s’appuyant. L’application du courant plusieurs fois répétée sur la région des plexus lombaire et solaire de chaque côté, a déterminé un effet très-rapide et très- prononcé. Non-seulement la marche s’est améliorée, mais la malade a pu monter sur la chaise sans s’appuyer et rester debout les yeux fermés. Et ce qui est plus cu- rieux et que j’avais prédit, c’est que la matrice est re- montée et tellement, que pour la toucher il faut intro- duire tout le doigt dans le vagin, ce qui est évidemment un effet du courant sur les fibres musculaires lisses des ligaments larges. Les troubles de circulation dans la ma- trice ou dans les ovaires ne sont pas des contre-indica- tions relativement à l’emploi du courant; au contraire, le courant aide à la guérison de ces troubles par les moyens connus (bains, injections, etc.). Je ne puis pas insister non plus sur les conditions du traitement galvanique sur l’hémiplégie. Je dirai seule- ment que, d’après mes expériences, les contractures qui surviennent si souvent après l’hémorrhagie cérébrale peuvent être arrêtées dans leur développement avec d’autant plus de facilité que l’hémiplégie est plus récente. Il faut, en ce cas, agir moins sur les muscles contracturés et paralysés que sur le grand sympathique et les vais- seaux cervicaux du côté opposé, afin d’activer la résorp- tion et de diminuer l’irritation du foyer de l’hémorrha- gie, irritation qui est la cause des contractures. Comme je me suis proposé de ne parler que des effets du courant qui peuvent être démontrés expérimentale- ment ici, je ne puis pousser plus loin l’étude des para- lysies, et je dois passer sous silence l’effet antispasmo- dique du courant, attendu que les sujets nous font défaut. Pour terminer ces démonstrations, il ne me reste plus qu’à parler d’une paraplégie traumatique qui nous fournira l’occasion de développer davantage les effets du courant que je nomme catalytiques et que je n’ai pu qu’effleurer jusqu’ici. Voici un homme de cinquante-trois ans, charbonnier, qui tomba, il y a quatre mois et demi, d’un troisième étage, sur ses tubérosités iliaques. Il éprouva non-seule- ment une forte commotion de tout le système nerveux, mais encore sa seconde vertèbre lombaire se brisa, d’a- près le diagnostic de notre illustre confrère M. le pro- fesseur Velpeau, dans le service duquel se trouve ce ma- lade (salle Sainte-Vierge, n° là). Ce malade m’a été confié le lor décembre. Il était hors d’état de rester assis à cause des douleurs qu’il ressentait dans les vertèbres, ces dernières étant déviées de leur position naturelle dans les régions dorsales et lombaires. On apercevait exté- rieurement une grande dépression de la première ver- tèbre lombaire et une saillie considérable et douloureuse de la deuxième. Les muscles de l’abdomen étaient durs et contractés, tandis que les muscles des membres infé- rieurs étaient relâchés et amaigris au plus haut degré. La plante du pied droit était couverte d’un œdème pâle et froid montant jusqu’au genou. Quant aux mouve- ments volontaires, ils étaient bornés à quelques fléchis- seurs des deux jambes et à quelques extenseurs du pied gauche. Tout le reste était paralysé. Autant que je me rappelle, les adducteurs et les abducteurs obéissaient quelque peu à la volonté. Mais c’étaient surtout l’éléva- teur des cuisses (ilio-psoas) et les extenseurs des deux jambes qui étaient le plus dépourvus de la motricité volontaire. Le malade ne pouvait ni lever les jambes ni rappro- cher ses cuisses de l’abdomen. La sensibilité était fort obtuse, surtout dans le pied droit. A première vue, il semblait impossible de soulager et encore moins de guérir cet homme, car il était probable que la moelle avait subi de profondes lésions ou était comprimée par les os fracturés. Pour résoudre la question, j’ai procédé de la manière suivante : J’ai pris un courant de cinquante-six éléments que j’ai appliqué à la surface de la cuisse, surtout sur les nerfs cutanés. L’aiguille du galvanoscope accusait une dévia- tion très-considérable, mais le malade en éprouvait peu de douleur, et l’on n’apercevait pas la moindre trace de mouvements réflexes, ni de contractions musculaires directes. Après cette expérience, je déclarai que la moelle épi- nière n’était pas profondément lésée, car en ce cas il y aurait eu mouvement réflexe. Et j’ajoutai qu’on pouvait espérer que le manque d’innervation était dû à la com- pression des troncs nerveux dans les tissus interverté- braux, au renflement et à la déviation des vertèbres dorso-lombaires. C’est pourquoi je commençai à diriger le courant sur les vertèbres dérangées, dans l'intention 1° de rétablir la colonne vertébrale dans sa position normale en relâ- chant les fibres contracturées et en renforçant les fibres relâchées des muscles dorsaux adjacents, 2° de redres- ser la colonne et d'éviter par ce moyen la compression des troncs nerveux, 3° de dilater les vaisseaux sanguins et lymphatiques, et de déterminer par là un effet cataly- tique, c’est-à-dire un rétablissement de la circulation normale et une résorption des exsudations morbides. Disons un mot de ces effets catalytiques. Il y en a de diverses catégories. L’effet immédiat du courant sur les tissus peut être démontré même sur l’homme sain par le gonflement visible des fibres musculaires dont nous avons parlé plus haut. Ce gonflement peut être observé même sur des grenouilles amaigries. Le même effet immédiat se produit sur le tissu épi- dermique dont les cellules se gonflent surtout au pôle négatif, et tellement, qu’elles apparaissent globuleuses sous le microscope, et que les noyaux sont aussi très- visibles. Dans les mêmes conditions, on observe aussi un gonflement du derme qui donne lieu à des saillies blanches, parce qu’en même temps les vaisseaux se con- tractent, tandis qu’à l’autre pôle on observe une dépres- sion de la peau et une rougeur foncée, c’est-à-dire une dilatation des vaisseaux sanguins. Ces effets acquièrent une valeur thérapeutique si l’on applique le courant sur des parties enflammées et gon- flées. Nous avons affaire, en ce cas, à des effets cataly- tiques immédiats, mais ce qui est plus important, c’est que le même effet peut être déterminé en appliquant le courant sur les nerfs et les vaisseaux qui se rendent aux parties enflammées. A cet égard, je renvoie à ce qui a été dit précédemment sur les effets calmants du cou- rant, et je répète que cette catalyse médiate ou indirecte peut encore être appliquée dans des cas d’inflammation où la catalyse directe pourrait être nuisible. On conçoit que dans notre cas de fracture de la colonne vertébrale, la catalyse directe, agissant sur les parties renflées, pouvait être mise en jeu pour soustraire la moelle et les nerfs à la pression qui les gênait. Le traitement a donné raison à mes prévisions. Après trois applications du courant sur les parties ma- lades de la colonne, les extenseurs de la jambe gauche avait regagné leur contractilité et leur motricité. Le ma- lade commençait à étendre sa jambe gauche et à la lever dans cet état. Après trois nouveaux jours, il put se tenir sur son lit sans s’appuyer, exécuter tous les mouvements possibles du pied gauche et même des orteils. La colonne verté- brale commençait à regagner sa direction régulière et les muscles de l’abdomen à perdre de leur roideur. Malheureusement, le traitement du côté droit n’a pas encore donné un résultat aussi satisfaisant. Il est vrai que le gonflement du pied et de la jambe droite a disparu tout à fait, et que les mouvements des fléchisseurs de la jambe, des adducteurs et des élévateurs de la cuisse, ont assez augmenté pour que le malade puisse, étant couché, rapprocher son pied du grand fessier et lever en même temps le pied à une hauteur de quelques décimètres. Mais il lui manque encore le mouvement volontaire dans les extenseurs du pied et des orteils, et surtout dans le grand fémoral droit, qui est considéra- blement atrophié. Je regrette d’être obligé de partir et de ne pouvoir continuer plus longtemps ce traitement qui, selon moi, laisse espérer une issue favorable, mais j’aime à penser que les médecins de cet hôpital repren- dront le traitement commencé. Il ne me reste plus pour terminer qu’à remercier sin- cèrement les professeurs, médecins et internes de cet hôpital qui ont bien voulu mettre à ma disposition les malades de leur service et m’aider souvent de leur science et de leur bienveillance. Je dois citer particu- lièrement MM. Beau, Bouillaud, Bayer, le Fort, Pelle- tan, Velpeau, Blachez, Hurlot, Duhamel, etc. Qu’ils reçoivent l’expression de ma reconnaissance. Paria.— Imprimerie de E. Martinet, rue Mignon, 2,