Y. DES GLOBULES BLANCS DANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE, le Dr Jean TARCIIAKOFF et le D>- A. SWAEN, de Liège. Généralement on s’accorde à considérer la rate comme un organe élaborateur de globules blancs. Il est admis que conti- nuellement une quantité considérable de ces globules se mêle au sang qui traverse l’organe et passe ainsi dans les veines spléniques. Cette opinion est basée : 1° Sur la comparaison du sang des veines et des artères de la rate. 2U Sur les résultats de la section des nerfs spléniques. 3° Sur la texture de l’organe ; 4° Enfin sur les conséquences de l’extirpation de la rate. Reprenons chacun de ces points en particulier. 1° La comparaison du sang des veines et des artères de la rate ou l’étude isolée du sang veineux ont montré qu’il se trouvait toujours une énorme quantité de globules blancs dans le sang des veines, alors que,/‘dans celui des artères, leur nombre était normal. Ainsi Hirt, expérimentant sur des veaux, trouve 1 globule blanc sur 70 rouges dans le sang veineux splénique, tandis que dans le sang des artères, il ne trouve en moyenne que 1 glo- bule blanc sur 2,000 rouges. Funke, dans le sang de la veine splénique du cheval, trouve 1 globule blanc sur 3 et même sur 2 globules rouges. Vierordt, dans le sang de la veine splé- nique de l’homme, arrive à la proportion de i globule blanc- sur 4,9 globules rouges, et Frey enfin, chez l’homme aussi, DES GLOBULES BLANCS DANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE. 325 trouve 1 globule blanc sur 102 globules rouges dans le sang veineux de la rate. 2° A la suite delà section des nerfs spléniques, il se pro- duit une énorme dilatation de la rate. Il est intéressant de savoir si, dans cet état, l’organe continue à fonctionner norma- lement, ou s’il présente une exagération de ses fonctions. Mosler1, à la suite de la section des nerfs spléniques et de là dilatation de la rate, n’a observé aucun changement dans le nombre des leucocytes du sang. L’un de nous2 au contraire, qui s’est également occupé de cette question, a démontré que, dans ce cas, il y avait une exagération marquée du fonction- nement de l’organe, et, par suite, une production considérable de globules blancs qui étaient mêlés par la rate au sang de ses veines. Malassez et Picards enfin ont prouvé aussi que, dans ces conditions, la rate fonctionnait avec plus d’énergie, ils ont montré qu’à la suite de la section des nerfs spléniques, l’aug- mentation du nombre des globules rouges dans le sang des veines de la rate est plus considérable que quand l’organe est dans son état normal. 3° Nous n’insisterons pas sur les résultats fournis par l’é- tude histologique de la rate. Nous ferons seulement remarquer que M. Schultze * et Kyber5 ont distingué dans cet organe une partie sanguine, la pulpe, et une partie lymphatique, les gaines artérielles et les corpuscules de Malpighi. Dans l’une et l’autre de ces deux parties se trouve une foule d’éléments analogues aux leucocytes du sang. Les éléments de la pulpe peuvent passer dans les veines, ceux de l’appareil lympha- tique peuvent passer dans les vaisseaux lymphatiques pro- fonds, et de là aussi dans la circulation. 4° Après l’extirpation de la rate, on voit généralement l’ani- 1 Mosler, Die pathologie und Thérapie der Leukamie, 1872, S. 180. 2 Tarchanoff, Ueber die Innervation der Milz und deren Beziehung zur Leu- cocythâmie. Pflüger's Archiv f'ùr Physiologie, Bd. VIII. 3 Malassez et Picard, Recherches silr le sang de la rate. Société de bio- logie, séance du 5 décembre 1874. Schultze, Ueber die Blut und Lymphcapilharen der Milz in normalen Zu- stande und bei verschiedenen Thieren, in Berliner klin. Wochenschrift no 45. 3 Kyber, Untersuchungen liber die lymphatischen Apparat in der Milz, in Archiv fur mikrosc. Anat., Bd. VIII. ARCH. DE PHYS., 2e SERIE, II. JEAN ET A. SWAEN. mal résister parfaitement à la perte de cet organe, guérir de cette opération et continuer à vivre comme par le passé, sans présenter aucune altération de ses fonctions. Pour expliquer ce fait, la plupart des physiologistes admettent qu’il se produit chez ces animaux une hypertrophie marquée de tous les autres organes élaborateurs des globules blancs et que ces organes, ainsi anomalement développés, remplacent la rate dans l’exer- cice de son importante fonction. De ces quatre points, sur lesquels repose l’opinion que l’on s’est faite de la nature de la rate, il est bien évident que le premier et le deuxième présentent la plus grande importance. C’est la comparaison du sang des veines et des artères qui est la base de cette théorie ; ce sont les modifications, amenées dans les qualités du sang veineux par la section des nerfs spléniques, qui servent de contrôle à cette comparaison. La texture de la rate, les conséquences de l’extirpation de cet organe, n’ont guère d’importance que comme preuves à l’appui des deux principales données qui précèdent. Aussi avons-nous particulièrement porté notre attention sur ces deux points principaux. L’ancienneté relative des expériences précitées, le peu de perfection des méthodes d’ob- servation employées, la diversité marquée des résultats obte- nus, nous ont engagés à reprendre cette étude, en nous plaçant dans les conditions plus parfaites que nous fournissaient les méthodes actuelles d’expérimentation. Pour faire la numé- ration des globules sanguins, nous avions à notre disposition l’excellent procédé du docteur Malassez, et, profitant de con- naissances nouvellement acquises sur la constitution du sang dans les différentes parties de la circulation, nous pouvions éviter une foule de causes d’erreur inconnues aux observa- teurs précédents. Avant de passer directement à l’étude du sang splénique, nous avons cherché à constater, si, sous le rapport du nombre des globules blancs, il y avait une relation constante à établir entre le sang artériel et le sang veineux en général. Dans ce but, nous avons étudié le contenu des artères et des veines de différentes parties du corps chez différents animaux et dans différentes conditions, et nous sommes arrivés aux résultats suivants : DES GLOBULES BLANCS T1ANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE. 327 a) Chez un lapin. Le sang de l’artère auriculaire contenait 4,300 gl.bl. par mil. cube. Le sang de la veine auricu- laire contenait 4,300 — — b) Sur un chien. Le sang de l’artère thyroï- dienne inférieure contenait. 11,900 — — Le sang de la veine jugulaire externe contenait 8,600 — — Voulant connaître quelle influence pouvait avoir sur la con- stitution du sang veineux les modifications profondes amenées dans l’état de la circulation par la section du grand sympa- thique, nous coupâmes ce nerf uni au pneumo-gastrique à la région cervicale, et au bout de quelques minutes ayant repris du sang de la veine de ce côté, nous trouvâmes 10,700 glo- bules blancs par millimètre cube. Leur nombre avait donc notablement augmenté. c) Sur un autre chien. Le sang d’une branche collatérale de l’artère crurale con- tenait 4,600 globules blancs 1. Le sang de la veine crurale contenait. . 8,900 — d) Le sang de l’artère tibiale d’un chien contenait 12,500 Le sang de la veine crurale contenait 13,200 — Pour constater l’effet d’un obstacle à la circulation dans les veines, nous fîmes la ligature de la crurale, et au bout de quel- ques instants le sang d’une de ses collatérales contenait 18,700 globules blancs. e) Enfin, cherchant quels résultats produirait la section du nerf sciatique sur le nombre des globules blancs dans le sang des veines du membre inférieur, nous avons examiné le sang d’une collatérale de la veine crurale avant et après la section de ce nerf. 1 Tous ces chiffres sont donnés par millimètre cube. JEAN TARCHANOFF ET A. SWAEN. Avant la section, il contenait. 8,200 globules blancs. Après 14,100 — La température du membre s’était élevée de 16° centigrades. De cette première série d’expériences, nous avons été amenés à conclure : qu'il ny a aucune règle générale à établir sur les relations existant entre le sang des veines et celui des artères au point de vue du nombre des globules blancs. Tantôt en effet nous avons trouvé le sang veineux et le sang artériel également riches en leucocytes, tantôt, au contraire, l’un ou l’autre contenait un plus grand nombre de ces globules. Les relations varient suivant la partie du corps que l’on étudie, suivant que la veine est superficielle ou profonde, suivant qu’elle ramène le sang de tel ou tel tissu, d’un organe en fonc- tion ou à l’état de repos, suivant enfin l’état des nerfs vaso- moteurs, suivant qu’il y a ou non des obstacles à la circulation veineuse. Dans un seul cas, il nous semble qu’il y aune relation con- stante à établir, c’est entre le sang du cœur gauche et celui du cœur droit. Nous avons en effet trouvé. a) Sur un chien bien portant. Dans le sang du cœur gauche. 6,400 gl.bl. par mill. cube. Dans celui du cœur droit. . . 4,600 seulement. b) Sur un chien qui avait perdu beaucoup de sang. Dans le sang du cœur gauche. 2,700 gl. bl. par mill. cube. Dans celui du cœur droit. . 1,500 — — Il en résulte que le sang du cœur gauche est beaucoup plus riche en globules blancs. Cette différence s’explique facilement par la concentration que le sang subit dans son passage à travers les capillaires pulmonaires et par la dilution du sang contenu dans le cœur droit, auquel vient se mêler la lymphe déversée dans les deux trous veineux brachio-céphalique. Ces premières données une fois acquises, nous savions combien de précautions nous avions à prendre pour comparer entre eux le sangdes veines et celui des artères spléniques, et nous avions un guide certain dans le choix des méthodes à employer. DES GLOBULES BLANCS DANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE. 329 Avant de passer aux résultats qu’elles nous ont fournis, nous décrirons donc le procédé opératoire que nous avons suivi et nous insisterons quelque peu sur les précautions dont nous nous sommes entourés pour éviter les nombreuses causes d’erreurs qui pouvaient entacher les résultats de nos obser- vations. Manuel opératoire. Toutes nos expériences ont été faites sur des chiens qui n’avaient plus reçu de nourriture depuis 16-18 heures environ. Ces chiens devaient être complètement immobiles, et nous obtenions leur immobilité en les chloroformant, ou mieux en- core, en suivant le procédé de M. Claude Bernard, en faisant précéder l’administration du chloroforme d’une injection sous- cutanée de 4-5 centigrammes de chlorhydrate de morphine. Une fois le chien bien préparé, on fait à la paroi abdominale, 1 centimètre à gauche de la ligne médiane, une incision lon- gitudinale de 4-5 centimètres d’étendue, puis, avec beaucoup de précautions on amène la rate à l’extérieur et on l’y main- tient en tiraillant le moins possible les vaisseaux du hile en la préservant de l’influence du froid, de l’évaporation, etc. etc. Pour recueillir le sang dans le mélangeur Potain on choisit une petite artère ou une veine, on l’ouvre assez largement de façon à permettre de s’écouler sans peine, puis celui- ci étant recueilli, on ferme la plaie au moyen d’une pince ou d’une ligature. Le sang artériel provenait d’un petit rameau de l’artère splé- nique, ou, pour altérer le moins possible les conditions de la circulation dans la rate, était recueilli d’une des artères courtes voisines. Quant au sang veineux, nous le retirions d’une des nombreuses veinules qui émergent du hile de la rate, de façon à n’avoir certainement que du sang émanant de l’organe lui- même. De plus, pour éviter le reflux du sang des grosses veines vers la périphérie avant de faire l’incision au vaisseau, nous placions une pince sur son extrémité centrale. Nous savons certes qu’il y a encore bien des reproches à faire à ce genre d’expériences; nous n’ignorons pas que, quelles que soient les précautions prises, la rate se trouve toujours dans un état tout à fait anormal, que ses vaisseaux sont plus ou 330 moins tiraillés sinon tordus sur eux-mêmes, que la surface de l’organe ne peut être soustraite complètement aux influences du froid, de l’air extérieur, de l’évaporation, que, dans tous les cas, la rate n’est plus soumise à la pression des parois et des viscères de l’abdomen ; toutefois, nos observations ayant été faites dans des conditions évidemment meilleures que celles où s’étaient placés les physiologistes qui ont travaillé ce sujet avant nous, et nos expériences nous ayant fourni des résultats différant complètement de ceux qui étaient connus jusqu’à ce jour, nous tenons à les faire connaître, en les présentant moins comme l’expression certaine de ce qui se passe dans le fonctionnement normal de la rate, que comme une rectifi- cation des données qui ont généralement cours dans la science actuelle. JEAN TARCHANOFF ET A. SWAEN. Résultats. Voici donc quelques-unes des observations que nous avons recueillies. • a) Sang de l’artère splénique. . 8,200gl. bl.parmill. cube. Sang de la veine 7,600 — — b) Sang d’une artère courte. . . 10,100 globules blancs. Sang d’une veinule splénique 4,300 — — c) Sang d’une artère splénique. 8,600 — — Sang d’une veinule splénique 5,800 -— — d) Sang de l’artère splénique. . 5,800 — — Sang d’une veinulesplénique. 7,900 — De ces faits il résulte, que le sang des veines spléniques, loin de contenir une énorme quantité de globules blancs, en contient le plus souvent moins que le sang artériel. Dans la dernière observation seule, les globules blancs sont plus nom- breux dans les veines, mais nous ferons remarquer que cette rate se trouvait probablement dans des conditions particulières, qu’ayant fait la section de ses nerfs, nous l’avons vue ne pas prendre ce développement considérable qui est toujours la conséquence de cette opération, et ne présenter au con- traire qu’une très-légère augmentation de volume. Enfin, dans cette première série d’expériences, nous avons aussi pu con- stater que le moindre gonflement de l’organe avait pour con- DES GLOBULES BLANCS DANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE. 331 séquence une diminution notable du nombre des globules blancs dans le sang veineux. Ainsi au sortir de la cavité abdo- minale, le sang veineux de la rate d’un chien contenait 7,900 globules blancs par millimètre cube. Quelques instants après, la rate s’étant un peu dilatée, le sang de la veine ne contenait plus que 4,300 globules blancs. Cette dernière remarque ren- dra bien compréhensible notre prudence et notre crainte d’ap- pliquer au fonctionnement normal de la rate les résultats obtenus dans ces conditions. Les difficultés d’expérimenter sur une rate complètement normale nous engagèrent à passer immédiatement à l’étude de l’influence exercée par la section des nerfs spléniques. Résultats de la section des nerfs spléniques et de la dilatation consécutive delà rate. Dans une première série d’expériences, nous examinions d’abord le sang d’une artère et celui d’une veine splénique, puis nous coupions les nerfs, nous laissions la rate se dilater pendant dix à quinze minutes environ et nous recommençions l’examen de ces deux espèces de sang. Nous sommes ainsi ar- rivés à des résultats toujours identiques, dont nous nous con- tenterons de signaler les suivants : a) Sang d’artère splénique. . . 8,600 globules blancs. Sang d’une veinule splénique . 5,800 — Après la section des nerfs spléniques. Sang artériel 7,900 globules blancs. Sang veineux 2,100 — b) Après la section des nerfs de la rate d’un autre chien. Sang artériel 11,300 globules blancs. Sang veineux. ...... 6,400 — c) Le sang artériel avant la sec- tion des nerfs contenait. . 10,700 — Après la section des nerfs, le sang veineux contient. . . 2,700 — d) Avant la section des nerfs, le sang d’une ve inule splénique contenait 7,900 — Après la section des nerfs, il ne contenait plus que. . . 3,600 — 332 JEAN TARCHANOFF ET A. SWAEN. De ces différentes recherches nous devons évidemment conclure que la dilatation delà rate, consécutive a la section de ses nerfs, détermine une diminution considérable des globules blancs dans le sang veineux qui en émane. Il suffit en effet de jeter un coup d’œil sur les chiffres cités pour constater la différence énorme que présentent, sous le rapport de leur richesse en globules blancs, le sang des artères et celui des veines d’une rate dilatée. A première vue, on dirait que dans ces conditions, la rate joue le rôle d’un filtre sur lequel le sang abandonnerait ses globules blancs. Cette idée nous entraîna à étudier l’effet de cette dilatation de la rate sur la composition du sang en général. Effet de la dilatation de la rate sur la composition du sang en général au point de vue des globules blancs. Dans ce but, après avoir comparé le sang des artères et ce- lui des veines de la rate d’un chien, nous faisions la section des nerfs spléniques, nous rentrions la rate dans la cavité ab- dominale, nous placions quelques points de suture sur la plaie et nous abandonnions le chien pendant trois à quatre heures ; nous examinions ensuite le sang des veines spléniques à des intervalles variés, et, de plus, celui d’artérioles de différentes parties du corps. Nous citerons deux de ces observations : a) La rate étant normale, Le sang artériel contenait. 8,200 globules blancs. Le sang veineux. 7,600 — Nous faisons la section des nerfs, la rate se dilate, et 3 heures après l’opération : Le sang de l’artère splénique contient 5,200 globules blancs Le sang d’une veine en contient 1,200 ’ — 3/4 d’heure plus tard : Sang d’artère splénique. . 3,000 Sang de veinale splénique . 2,100 — 3/4 d’heure plustard encore: DES GLOBULES BLANCS DANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE. Sang d’artère crurale ... 2,100 — Sang de veinule splénique. 2,100 — h) Rate un peu gonflée. Sang d’artère courte. . . . 10,100 — Sang de veinule splénique . 4,300 3 heures après la section des nerfs et la dilatation consé- cutive de la rate: Sang de l’artère crurale . . 1,500 Sang de veinule splénique. 900 1 heure 1 /2 plus tard : Sang d’artère crurale ... 1,800 — Sang de veinule splénique. 1,500 De cette dernière série de faits, nous avons conclu que, à la suite de la dilatation de la rate, le satig qui traverse cet organe y abandonne ses globules blancs et s en dépouille progressivement jusqu'à ce quune sorte d’équilibre s'éta- blisse entre le nombre des globules abandonnés dans la rate par le sang artériel et celui des globules entraînés hors de la rate par le sang veineux. De l’ensemble des expériences que nous avons insti- tuées sur la comparaison du sang des vaisseaux de la rate, nous pouvons donc tirer les conclusions suivantes : Conclusions. 1° Chez le chien, dans les conditions aussi normales que possible, nous n’avons jamais trouvé dans le sang veineux de la rate la quantité énorme de globules blancs qu’on lui attribue généralement. Il ne nous est arrivé qu’une seule fois de trouver dans le sang veineux un peu plus de globules blancs que dans le sang artériel; toujours, au con- traire, nous avons trouvé le sang des veines moins riche en leucocytes que celui des artères. Nous ferons encore remarquer ici que nos observations sur la rate normale sont trop peu nombreuses et que dans nos expériences la rate se trouve dans des conditions trop extra- ordinaires, pour que nous voulions assurer que dans cet or- gane à l’état normal le même phénomène se produise certai- nement. 2° Toute dilatation de la rate a pour conséquence immédiate une diminution du nombre des globules blancs dans le sang de ses veines. 3° A la suite de la section des nerfs spléniques et de la di- latation consécutive de la rate, il y a une diminution consi- dérable du nombre des globules blancs dans le sang des veines spléniques. Dès le début de ce phénomène, la différence entre le sang des veines et celui des artères de la rate, sous le rapport du nombre des leucocytes, est très-marquée ; puis, au fur et à mesure que l’on s’éloigne du moment de la section des nerfs, cette différence diminue progressivement et tend à dispa- raître au bout de 4 à 5 heures. 4° En comparant à des intervalles de plus en plus éloignés du moment de la section des nerfs le sang de différentes parties du corps de l’animal, on constate un appauvrissement progressif du sang en globules blancs, appauvrissement qui a pour limite l’équilibre qui finit par s’établir entre le sang des artères et celui des veines spléniques. 5° Cette diminution des globules blancs dans la masse totale du sang ne peut s’expliquer que par une accumulation mécanique de ces globules dans la pulpe splénique, par leur destruction à l’intérieur de la rate, ou par leur transformation en globules rouges. Nous n’avons encore pu vérifier aucune de ces trois hypothèses; nous ferons seulement remarquer que les résultats obtenus par MM. Malassez et Picard viennent à l’appui de la dernière d’entre elles. 6° L’appauvrissement du sang en globules blancs ne peut être attribué aux plaies que l’on est forcé de faire dans ces expériences, aux petites hémorrhagies que l’on peut oc- casionner ou à l’émigration des globules blancs dans les tissus déchirés et irrités. Des expériences de contrôle nous ont en- levé tout doute à cet égard. Ainsi nous avons choisi deux chiens de tailles égales, et à l’un d’eux nous avons incisé la paroi abdominale et les nerfs spléniques, la rate s’étant bien dilatée a été rentrée dans la cavité abdominale, et des points de suture ont été placés sur la plaie. JEAN TARCHANOKF ET A. P WA EN. DES GLOBULES BLANCS DANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE. A l’autre chien, nous avons fait une plaie identique à la paroi de l’abdomen, mais nous avons laissé les nerfs splé- niques intacts, nous avons également placé des points de suture. Avant ces opérations, chose curieuse, le sang des branches collatérales de l’artère crurale contenait chez les deux chiens: 11,900 globules blancs par millimètre cube. 3 heures après les opérations, le sang de l’artère crurale du chien à la rate dilatée ne contenait plus que 5,800 globules blancs. Le sang de l’artère crurale du chien à la rate normale contenait au contraire 3hl/2 aprèsT opération 12,900 leucocytes. 4 heures 1/2 après l’opération, le sang artériel du chien à la rate dilatée contenait seu- lement 3,900globules blancs. 4 heures 45 minutes après l’opération, le chien à la rate normale ayant subi une assez forte hémorrhagie, son sang artériel contenait cependant encore 9,200 leucocytes. Le lendemain, environ 18 heures après nos dernières nu- mérations, nous avons de nouveau comparé le sang artériel de ces deux chiens : Le sang du chien à la rate di- latée contenait 16,500 globules blancs Celui du chien à la rate in- tacte en contenait beaucoup plus encore 25,500 Nous allons voir dans un instant, comment s’explique cette abondance de leucocytes dans le sang, le lendemain des opérations. D’après l’exposé que nous venons de faire de nos obser- vations et des conclusions que nous en avons tirées, il est évi- dent que nous sommes complètement en contradiction avec les données généralement admises et avec les résultats de la plupart des observations antérieures. Voyons comment nous arriverons à expliquer cette diver- gence si marquée de nos opinions, et dans ce but passons en revue les faits connus jusqu’à ce jour. Si nous reprenons le résumé qu’au début de ce travail nous avons fait de l’état de la question, nous trouvons : 1° Les résultats fournis par les études du sang veineux de la rate, ou par la comparaison du sang des veines et des ar- tères spléniques. A première vue déjà, l’observateur le moins prévenu sera frappé de la différence des chiffres donnés. Ainsi, tandis que Frey trouve dans le sang de la veine splénique de l’homme 1 globule blanc sur 102 globules rouges, Funke, dans le sang de la veine splénique du cheval, con- state que les globules blancs forment le quart et même le tiers de la masse totale des globules, et Vierordt, dans le sang veineux splénique de l’homme, arrive à la relation de 1 glo- bule blanc sur 4, 9 globules rouges. Quelque soit l’écart que présentent ces chiffres, il n’en est pas moins vrai pourtant, quetousils concordentet démontrent que la rate déverse continuellement dans ses veines une quantité réellement énorme de globules blancs. Or, ce fait doit aussi cependant exciter quelque défiance, car, s’il en était réellement ainsi, les vaisseaux sanguins devraient en quelques instants être réllement gorgés de globules blancs. Voyons donc dans quelles conditions ont été faites ces dif- férentes observations. Funke a expérimenté de la façon suivante: des chevaux après avoir reçu de la nourriture étaient tués par l’injection de l’air dans les veines, puis le tronc de la veine splénique était pris entre deux ligatures, d’une placée au hile de la rate, l’autre à l’origine de la veine porte; on enlevait alors la veine du corps de l’animal, on la plaçait dans un vase bien fermé et on l’envoyait à Funke. On renouvela cette expérience sur sept chevaux dont trois étaient malades. Le sang ainsi étudié était non-seulement du sang de la rate, mais du sang veineux du tissu graisseux des épiploons, des JEAN TARCHANOFF ET A. SWAEN. DES GLOBULES BLANCS DANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE. 337 parois de l’estomac, de la glande pancréatique, du sang re- fluant presque inévitablement des veines mésentériques ; ce sang appartenait-il au moins à des animaux bien portants? non; trois chevaux étaient atteints de nous ne savons quelle malaladie, (plaies, abcès, peut-être!) Ce sang provenait enfin d’une rate qui s’était fortement contractée après la mort par asphyxie, il n’était pas soumis à un examen immédiat, il était envoyé à Funke, et lors de l’examen, nous ne savons dans quel état d’altération il se trouvait déjà. Enfin, Lehmann, qui étudiait le sang de l’artère pendant que Funke1 étudiait le sang veineux, n’a donné aucun détail sur le nombre des globules blancs qui s’y trouvaient, et c’eût été pourtant la seule façon de contrôler les résultats obtenus. Vierordt2 recueille le sang de la veine splénique d’un sup- plicié 1 heure 1/2 après la mort et trouve 1 globule blanc sur 4, 9 rouges. A cette observation de Vierordt, on peut adresser les mômes reproches qu’à celle de Funke. Enfin, Frey3 trouve 1 globule blanc sur 102 rouges dans le sang de la veine splénique d’un homme mort de pneumonie. Cette observation se trouve encore dans le même cas que les précédentes. Et pourtant nous ferons remarquer le nombre beaucoup plus faible de globules blancs trouvés par Frey, alors cependant qu’il a affaire à du sang d’un homme mort d’une inflammation des poumons, à du sang qui devait, par conséquent, contenir une grande quantité de leucocytes. Pour que cette observation de Frey eût quelque valeur, il faudrait donc évidemment que l’on pût comparer ce sang veineux au sang artériel, et c’est précisément ce qui n’a pas été fait. Quant aux recherches de Hirt4, qui certainement ont été faites dans de meilleures conditions, nous allons aussi les passer en revue et apprécier Leur valeur réelle. Hirt a fait ses trois observations sur des veaux. Ces veaux 1 Funke, Ueber das Milzvenenblut. Henle und Pfeifers, Zeitschrift fur ra- tionelle Medicin, 1851, 2 Vierordt, Beitrâge zur Physiologie des Blutes. Archiv fur physiologische Heiikunde. Jahrg. XIII. 3 Frev, Traité d’histologie et d’histochimie, p. 132. Remarque n°5. * Hirt, Muller’s Archiv. Jahrg. 1856, p. 189. 338 à jeun étaient tués devant lui. Après leur mort, on préparait plus ou moins proprement les vaisseaux spléniques et on re- cueillait le sang y contenu. (Hirt lui-même avoue avoir trouvé une fois le sang caillé à l’intérieur de la veine porte, et cela, dit-il, parce que en tuant le veau on avait incisé cette veine.) Le sang veineux observé par Hirt provenait donc non- seulement des veines spléniques, mais encore des veines courtes, de la veine gastro-épiploïque gauche, des veines pancréatiques, des veines mésentériques, etc., etc. Il était recueilli après la mort de l’animal, et c’était non-seulement du sang veineux qui était ainsi recueilli, mais encore du sang artériel. Or, pour peu qu’il se soit formé quelques petits caillots imperceptibles dans ces derniers, l’on comprendra fa- cilement la différence que présente, d’après Hirt, le contenu des veines et celui des artères delà rate. Tout caillot, en effet, en se formant, emprisonne une quantité considérable de globules blancs qu’il enlève ainsi au restant du sang demeuré liquide. Enfin, il nous sera permis de faire remarquer, que des ob- servations faites sur des herbivores peuvent très-bien ne pas concorder complètement avec celles recueillies sur des car- nivores ou des omnivores. Et de plus, que peut-être ce qui se passe dans la rate du veau ne se passe pas absolument de la même façon dans la rate de l’animal complètement développé. 2° Il nous reste maintenant à expliquer comment, à la suite de la section des nerts spléniques, nous sommes arrivés à des résultats si différents de ceux de Mosler et de ceux que l’un de nous avait recueillis dans ses premières recherches. Mosler a expérimenté de la façon suivante : après avoir fait la section des nerfs spléniques et constaté la dilatation de la rate, il remettait l’organe dans la cavité abdominale, plaçait des points de suture sur la plaie de la paroi, laissait le chien se remettre des suites de l’opération, arriver à une guérison presque complète, puis seulement alors faisait l’examen du sang d’une partie quelconque du corps de l’animal. Nous n’avons pas besoin d’insister pour faire comprendre la diffé- rence des résultats obtenus. Le docteur Tarchanoff se plaçait aussi dans des conditions différentes, il faisait à des chiens la section des nerfs splé- niques, rentrait la rate dans la cavité abdominale, fermait la JEAN TAfiCHANOPF ËT A. SWAÈN. DES GLOBULES BLANCS DANS LE SANG DES VAISSEAUX DE LA RATE. 339 plaie, et le lendemain seulement et les jours suivants exa- minait le sang de l’animal opéré. Or, en procédant ainsi, il devait inévitablement constater une augmentation considé- rable du nombre des leucocytes du sang. Il avait affaire à des animaux porteurs de plaies enflammées, en voie de bourgeon- nement, de suppuration, déversant continuellement dans le sang une quantité considérable de globules blancs. A l’époque où il faisait ses expériences, on ignorait encore l’influence des plaies et des abcès sur la richesse du sang en leucocytes, et; de cette façon, il devait inévitablement attribuer à la dila- tation de la rate ce qui n’était que le produit des plaies faites aux parois abdominales. 3° Quant à l’opposition qui existe entre les résultats de nos expériences et ceux qui sont fournis par l’étude histologique de l’organe, cette opposition n’est qu’apparente; car, de ce que dans la pulpe splénique il existe une quantité considé- rable de leucocytes, il ne s’ensuit pas logiquement que ces derniers doivent être entraînés par le courant sanguin et passer en foule dans les veines de la rate. Des expériences de Mosler semblent au contraire démontrer que ce passage n’est guère aussi facile qu’on pourrait se l’imaginer. Ainsi, depuis les belles études de Ponfick1, on sait que les grains de vermillon injectés dans le sang viennent se déposer en grande quantité dans les éléments de la pulpe splénique. Mosler2, sur des chiens, auxquels il avait injecté du vermillon, a excité d’énergiques contractions de la rate au moyen d’irri- tations électriques; jamais il n’a vu ces contractions faire passer dans le sang les éléments de la pulpe, chargés de vermillon. Mosler a même examiné du sang des veines spléniques chez des chiens dont la rate était bien normale et l’a comparé au sang s’écoulant par les mêmes veines pendant d’énergiques contractions de l’organe. En aucun cas Mosler n’a trouvé plus de globules blancs pendant ces contractions. De ces faits, on peut donc conclure que les éléments de la pulpe splénique ne s’en laissent pas facilement expulser et chasser dans les veines qui en émanent. 1 Ponfick, Studien über die Schicksale kôrniger Farbstoffe in Organismus. Virchow s Archiv., Bd. 48. — Centralblatt, 1869, n° 42 et 43. 2 Mosler, Joco citalo, p. 135 et suivantes. 4° Enfin, les faits observés à la suite de l’extirpation de la rate sont loin d’être en opposition formelle avec les résultats de nos recherches. C’est surtout, quand on admet que la rate verse continuel- lement dans le sang une foule de leucocytes, qu’il est difficile de comprendre comment un animal résiste à la privation su- bite d’un organe aussi actif et puisse continuer à vivre jusqu’à ce que d’autres organes se soient développés de façon à pouvoir le remplacer. Nous ferons d’ailleurs remarquer que, si la plupart des auteurs admettent à la suite de l’extirpation de la rate une hypertrophie vicariante des autres organes lymphoïdes (gan- glions lymphatiques, plaques de Payer, etc., etc.) il ne manque pas de faits bien observés où, malgré les recherches les plus attentives, on n’a retrouvé aucune trace de pareils processus, où la rate semblait ne pas être remplacée dans l’exercice de sa fonction. Enfin, si l’on considère les résultats fournis par l’étude du sang chez les animaux privés de rate ou porteurs de rates atrophiées, on sera frappé de ce fait, c’est que leur sang se caractérise bien plus par sa pauvreté évidente en globules rouges que par une diminution marquée du nombre de ses leucocytes1. Nous rappellerons enfin que, dans la rate, il y a à consi- dérer la pulpe et l’appareil lymphatique2, et nous ferons observer que, si même il était prouvé que dans la pulpe il n’y a aucune élaboration de globules blancs, il resterait pour- tant encore dans l’organe tout un appareil élaborateur de ces globules, mais les déversant dans la lymphe et non pas dans les veines. On comprendra qu’ainsi l’extirpation de la rate priverait encore l’animal d’une source de globules blancs assez considérable et pourrait entraîner à sa suite les modifi- cations que nous avons énumérées. Nous devons remercier ici M. Cl. Bernard de la bien- veillance avec laquelle il nous a accueillis dans le laboratoire de physiologie générale du Muséum, où nous avons fait cette étude. 340 JEAN TARCHANOFF ET A. SWAEN. l Voir Mosler, loco citato, p. 40 et suivantes, s Voir M. Schulze et Kyber, loc. citât.