DE LA FATIGUE MUSCULAIRE PAR le Docteur PAUL DUPUY Ancien interne lauréat (médaille d’or). EXTRAIT I*K TA GAZETTE MÉDICALE DE FARIH PARIS, 1869. Fins, — Jmpiimerie 4e Cotset et G', nie Racine, Î6. DE LA FATIGUE MUSCULAIRE. La question de la fatigue musculaire n’a préoccupé les physiolo- gistes que depuis un petit nombre d’années. Déplus, se conformant d’une manière à peu près exclusive à la pratique contemporaine, ils ont beaucoup plus interrogé l’expérimentation que l’observation proprement dite, laissant ainsi dans leur œuvre une lacune qu’il y aurait lieu de combler. Tel est le but que je me suis proposé en écrivant ce travail (1). Avant d’aborder la discussion relative aux conditions détermi- nantes de cet état particulier du système musculaire, il faut évidem- ment étudier les phénomènes qui lui sont propres, indépendamment de toute interprétation. La fatigue se présente à nous, de prime abord, comme une mani- festation de notre faculté de sentir, comme une sensation spéciale. Mais cette sensation elle-même n’est pas simple, car l’analyse la plus élémentaire y distingue deux éléments. Le premier de ces éléments est le sentiment de l’impuissance qui existe seul ou associé à une sorte d’engourdissement; le second est une sensation pénible pou- vant s’élever jusqu’à la douleur la mieux caractérisée. Ces deux éléments parfois marchent de conserve, mais le fait n’est point né- cessaire, l’impuissance se produisant alors en premier lieu, et la douleur venant ensuite, comme un couronnement de la première. (t) 11 est donc bien entendu que c’est de propos délibéré que je laisse dans l’ombre tout un côté de la question traité par d’autres avec un plein succès. 11 me suffit de renvoyer à l’ouvrage de Marey : Du mou- vement, etc. 4 D'autre part, dans les contractions modérées et répétées à de courts intervalles, la douleur, sourde d'abord, vive ensuite, provoque l’im- puissance. 11 y a également les cas où la douleur précède très-nota- blement l’impuissance, sans la produire néanmoins. De ce fait l’exer- cice des membres inférieurs nous donne de très-fréquents exemples, soit dans la marche ordinaire, soit dans la contraction énergique. Il ne sufiit point d’ailleurs d’établir cette distinction d’une ma- nière générale entre l'impuissance et la douleur, il faut encore in- sister sur certaines conditions qui s’y rattachent. On sait que les muscles se contractent avec ou sans intermissions; de là une forme tonique et une forme clonique. Or personne n’ignore que la première devient rapidement, dans les conditions ordinaires, beaucoup plus fatigante que la seconde, et que la fatigue revêt, ici surtout, le ca- ractèrede ladouleur. Ainsi, par exemple,se tenir debout ou marcher. On arrive néanmoins à produire un résultat en apparence inverse en exagérant le travail des muscles qui se contractent d’une manière intermittente, lorsque, d’une part, on modifie la position des leviers osseux dans un sens alternativement favorable et défavorable, et, d’autre part, qu’on ne laisse qu’une durée courte à l’intermission. Prenant à la main un poids de 5 kilog., et plaçant l'avant-bras à angle droit sur le bras, j'ai continué l’expérience pendant six mi- nutes et j'aurais pu, avec un effort de volonté, la prolonger un peu plus longtemps. C’est l’épreuve statique de M. Béclard. Ayant pris le même poids de l’autre main, et lui faisant exécuter une série d’ascensions et de descentes des limites de la flexion à celles de l’extension (deux montées et descentes alternatives par cinq se- condes), je dus m’arrêter à la quatrième minute, vaincu par la dou- leur beaucoup plutôt que par le sentiment d’impuissance. C’était également la douleur, bicipitale surtout, qui avait mis fin à la pre- mière expérience. Non-seulement l'intermission est courte au début, mais de plus elle doit disparaître complètement, parce que l’épreuve dynamique détermine un véritable raccourcissement du muscle dont la rétrac- tion ou contracture est très-facile à constater (1). L'avant-bras n’at- teint plus les limites naturelles de l’extension. L’intermissionn’exis- (1) S'agirait-il ici de la rigidité par la chaleur? Je ne le pense pas et me propose de donner ailleurs.1 expérience in extenso. tant plus, il n’y a qu'à comparer une contraction permanente avec une autre contraction également permanente, mais se produisant dans des conditions différentes, c'est-à-dire avec des alternatives de plus et de moins. Donc, pour l’expérience indiquée, l’épreuve statique donne lieu à des phénomènes douloureux beaucoup moins caractérisés que l’é- preuve dynamique. Dans les deux cas, je le répète, l'impuissance est surtout un effet de la douleur. D’autres sensations pénibles accompagnent fréquemment la dou- leur musculaire. On les voit siéger dans les points où il y a des tiraillements, des frottements durables plutôt qu'énergiques, pat- exemple les attaches et les gaines tendineuses, les surfaces articu- laires. Telles sont les douleurs que la marche détermine facilement à la partie supérieure de la voûte formée par le tarse. Les sensations de cet ordre m’ont toujours paru avoir beaucoup d'analogie avec celles qui siègent dans les muscles. Fait local d’abord, la fatigue musculaire finit par entraîner un état d'affaiblissement général, de prostration plus ou moins complète, et alors elle présente un rapport manifeste avec la fatigue nerveuse. Lorsque cette prostration est poussée à l’extrême, l'état local n’est plus qu’un accessoire eu quelque sorte. Ce n'est point la douleur, l'engourdissement, l'impuissance locale qui tiennent la première place dans les phénomènes observés, mais bien un épuisement géné- ral supprimant, d'une manière presque absolue, l'aptitude motrice. Dans une mesure beaucoup plus restreinte, la lassitude muscu- laire produit chez moi (et probablement chez quelques autres) une sorte d'affaissement intellectuel : la mémoire des mots est pares- seuse, la conception moins nette, et tout exercice de la parole me devient alors d'une véritable difficulté. Nous avons enfin dans la courbature une fatigue musculaire pure- ment locale, se manifestant surtout le lendemain de l’exercice phy- sique et qu’on voit souvent s'exagérer encore le surlendemain. Il y a ici comme une évolution sensitive essentiellement liée aux habi- tudes du sujet, car les muscles entraînés sont à l'abri de cette sensa- tion douloureuse et consécutive qu’on a qualifiée de courbature. Re- marquons, en dernier lieu, que la douleur est nulle ou très-faible pendant le repos complet. Après avoir essayé de reproduire quelques-uns des traits caraeté- 6 ristiques de la fatigue musculaire, je vais rechercher de quelle ma- nière elle est modifiée par certaines conditions spéciales. Repos. — Il me suffira de rappeler l'influence qu’il exerce sur la fatigue, bien qu’il puisse être insuffisant pour la faire disparaître à lui seul, comme nous le verrons plus loin. Position. — La position produit aussi des effets marqués, ne fût-ce que par ce motif qu’elle favorise le repos ou lui est contraire. De là, pour le premier cas, l’utilité du décubitus horizontal qui amène la résolution de la plupart des muscles. De plus, j’ai constaté que, poul- ies jambes, la sensation d’engourdissement et de douleur provoquée par le travail diminuaient notablement par l’élévation des membres inférieurs, quand on place les pieds à un niveau plus élevé que le tronc. Ce bénéfice, qui ne m’a jamais paru bien durable, semble éta- blir que faciliter la circulation en retour pourrait être de quelque valeur pour combattre la lassitude. Mouvement. — Le mouvement est actif ou passif; je parlerai d'a- bord du premier. Lorsque certains muscles ont été soumis soit à un travail de plu- sieurs heures, soit à un travail énergique, et par conséquent plus court (une course à pied d’une part, le saut en hauteur ou en lon- gueur d’autre part), il survient une fatigue générale qui semble de- voir affaiblir notablement les autres muscles. Toutefois ayant observé qu’après des courses à cheval je voyais la sensation pénible, siégeant dans les jambes, disparaître complètement au bout de dix minutes à un quart d’heure d’exercice des muscles du bras et du tronc, je lis l’expérience suivante : Mauvais marcheur et marchant d’ordinaire aussi peu que possible, je parcourus quinze kilomètres en trois heures dix minutes. Dans le courant de la première heure, sensation douloureuse à la face dor- sale des pieds, puis peu après douleur dans le membre inférieur gauche, siégeant plus spécialement vers le grand trochanter, et s’ir- radiant vers le bas du membre. Au bout de deux heures, douleur dans la partie latérale gauche et postérieure du cou, puis dans l’é- paule gauche. Après deux heures trois quarts de marche, la douleur gagne le milieu du dos, puis se manifeste dans le membre inférieur droit et l’épaule droite. J'arrive, et bien que me sentant sous l’em- pire d’une fatigue générale et locale parfaitement caractérisée, je me mets immédiatement à l’œuvre, et je passe une demi-heure en- viron à faire fonctionner au trapèze les muscles des bras et ceux du tronc. Je dois déclarer que je me suis trouvé d’une vigueur tout à fait exceptionnelle. Jamais je n’ai eu facilité pareille pour des exercices de leur nature peu abordables. Pendant la demi-heure que je leur consacrai, sans éprouver aucune fatigue des muscles des bras et du tronc, je vis disparaître toute sensation douloureuse du cou. du dos, des épaules, des membres inférieurs. La fatigue générale, très-dimi- nuée, persista cependant, et quant aux membres inférieurs, il m'y resta une sensation de faiblesse relative. C’était comme un souvenir de fatigue antérieure. L’expérience a été faite au mois de mai, la température étant chaude, 23" à l'ombre. Malgré la chaleur, j etais a peu près vêtu comme en hiver, saison peu rigoureuse à Bordeaux. Je transpirais un peu vers la fin de la course, et j'étais fort altéré en arrivant; mais j’évitai de boire avant de terminer l’expérience (1), Le lendemain je fis la contre-épreuve dans les mêmes conditions générales, sauf la marche et la fatigue. A la même heure je répétai les exercices de la veille et je pus constater une très-notable diffé- rence dans mes aptitudes motrices, évidemment inférieures à ce qu’elles étaient le jour précédent. De telles expériences n’ont de valeur possible que dans certaines limites. Une prostration absolue, provoquée par la fatigue générale, ne saurait donner des résultats semblables. Ici nous sommes en pré- sence d’une sorte de dérivation physiologique. Nous avons des exemples du mouvement passif dans le cahotement d’une voiture, les impulsions communiquées par le cheval à son ca- valier, la trépidation prolongée en chemin de fer. Dans ces diverses circonstances un exercice énergique, d’un quart d’heure à vingt mi- nutes, me parait très-propre à diminuer ou à supprimer la lassitude, (1) La chaleur due à la marche a favorisé l’exercice musculaire des bras et du tronc, le fait est incontestable. Je dois remarquer de plus, quant à la douleur de fatigue, qu’elle s’est manifestée tout d’abord du côté gauche, que j’ai un peu plus faible que le droit, et cette différence est plus notable pour les jambes que pour les bras. Telle me paraît être la cause de l’ordre d'apparition des sensations douloureuses. La partie forte a éprouvé plus tardivement la souffrance que la partie faible. comme pourrait le faire un bain froid de courte durée ou quelques douches froides. Le fait m'est au moins démontré quand il s’agit d’équitation et que les cas extrêmes sont mis hors de cause. Nous avons là comme une perturbation physiologique. Pression et pesanteur. — La pression de l’air varie suivant les alti- tudes. Lorsqu’on se trouve déjà à 7 ou 800 mètres au-dessus du niveau de la mer, les effets de la contractilité musculaire sont évi- demment modifiés. On éprouve le sentiment d’une vigueur très- grande dans les muscles des jambes; aussi l’ascension est-elle beau- coup plus facile et se produit-elle, du moins dans certaines limites, sans provoquer la seusation de fatigue douloureuse (1). Mais si l’on se trouve à plusieurs milliers de mètres au-dessus du niveau de la mer, la scène change du tout au tout : vers 4,000 mètres d’élévation sur- vient le mal des montagnes, dont une lassitude extrême est un des principaux phénomènes. Avec une diminution notable de pression, l’aptitude motrice est donc augmentée ; mais cette augmentation étant favorisée par l’absence de sensation douloureuse, par la fraîcheur de l'air et par une attraction moindre, l’effort pour soulever le corps doit être également moindre. De là, facilité et continuité plus grande de la contraction. Non-seulement la pression est susceptible de diminution, mais elle peut aussi augmenter, auquel cas, d’après Pravaz, l'énergie contrac- tile devient plus marquée, fait qui n’est point inconciliable avec les effets associés à la diminution de pression qu'accompagne toujours dans la nature une pesanteur moindre. Température. — L’action du calorique est bien différente suivant qu’elle se produit sous forme sèche ou sous forme humide. Autant l’élévation de la température est, dans certaines limites, favorable au déploiement de la puissance motrice lorsqu’on fait abstraction de (1) Je tiens de mon ami le docteur Devalz, médecin consultant aux Eaux-Bonnes, que dans les montagnes, à des hauteurs moyennes de 1,000 à 2,000 mètres, on n’éprouve jamais de douleurs musculaires, môme pour les courses les plus longues. Le sentiment de l’impuissance arrive seul et avec une lenteur tout à fait inusitée. En admettant qu’il y ait une certaine exagération à dire que la douleur de fatigue disparaît complètement, cette assertion n’en est pas moins l’indice d'un fait assez étrange. toute humidité, autant un bain chaud produit une inaptitude mus- culaire, un sentiment de lassitude quelquefois très-intense et pou- vant réagir sur l’ensemble presque entier du système nerveux. J'ai éprouvé souvent, pour mon compte, une sorte d’affaissement intel- lectuel quand il s’agissait de faire une leçon cinq à six heures après un bain chaud. Toutefois si la saison chaude favorise le pouvoir musculaire, au point de vue de la somme d’énergie dont il est capable à un moment donné, on Voit néanmoins survenir beaucoup plus rapidement la fatigue et surtout, à mon avis, la fatigue générale en été qu’en hiver. Dans cette dernière saison la combustion interstitielle devient très- active, mais nous perdons davantage en été d’éléments liquides par la transpiration cutanée et l’évaporation pulmonaire. Sont-ce là des éléments sérieux de fatigue? J’en doute fort pour les climats tempé- rés et suppose qu’il faut particulièrement attribuer celle-ci à l’action de la chaleur sur le système nerveux (1). Personne n’ignore l’action tonique d’un bain frais de courte durée. On connaît aussi l'efficacité des lotions froides pour donner à un cheval fatigué les moyens de fournir une nouvelle carrière. N’est-ce point d’uu fait vrai, pour l’homme comme pour l’animal, qu’est empruntée l’expression de re- tremper ses forces? Ne sait-on pas combien est vif, chez l’individu lassé par la Chaleur et la marche, le désir d’un bain frais? Ainsi le froid sans humidité prévient la fatigue quand il est modéré, et si l’association du froid et de l’humidité produit assez rapidement l’affaiblissement du système musculaire quand l'action se prolonge, il est au contraire parfaitement constaté que, sous l’influence d'une action rapide, une immersion dans l’eau froide diminue ou dissipe la fatigue (2). Mais si la chaleur, au lieu d’être diffuse, formant milieu à l’individu, est circonscrite dans son action à une partie donnée du corps, obte- nons-nous deseffets semblablesou différents, dans cette circonstance, comparativement à la condition contraire? J'ai soumis les muscles du bras à une chaleur vive pendant deux à trois minutes avant de leur faire exécuter un certain travail, et il ne m'a point paru que (1) Si l'action primitive de la chaleur est d'exciter le système ner- veux, l’action secondaire est certainement dépressive. (5) Le froid modéré excite, le froid intense engourdit. 10 l'énergie musculaire fût augmentée ni diminuée, que la fatigue se produisît avec plus de facilité ou de lenteur. J’ai essayé ensuite de l’action circonscrite de la chaleur dans le cas de lassitude générale et surtout locale. M'étant un jour notablement fatigué pour m’être livré à un travail dont je n’avais pas l'habitude, éprouvant un peu d’affaissement, associé à une sensation pénible dans la région lombaire et les membres inférieurs, je lis chauffer le pied gauche à un feu vif et clair, pendant deux minutes environ, et cela suffit pour dissiper toute douleur, toute sensation de lassitude dans le membre correspondant, bien que ces phénomènes persis- tassent à droite. De là, quand je marchais, un sentiment assez bi- zarre. La fatigue générale avait disparu de son côté; mais peut-être faut- il attribuer le fait à l’attention que je portais à l'observation elle- même. Une heure après l’expérience, il revint un faible sentiment de douleur dans la jambe gauche. Le lendemain je renouvelai l’épreuve dans les mêmes conditions sur la jambe droite, et j’obtins des résul- tats identiques. Ainsi le pied seul étant soumis à une chaleur vive, la fatigue dou- loureuse avaitdisparu dans toute la longueur du membre abdominal, J’admets, comme explication, un effet révulsif. Alimentation. — L’un des etlets de l’ingestion des aliments, môme lorsque la quantité en est modérée, est de diminuer l’aptitude mo- trice, et si le repas a été copieux il survient comme un engourdisse- ment général, bien qu’il y ait une augmentation marquée dans la combustion du carbone. Il s’est produit une véritable dérivation physiologique. Or, avant l’absorption digestive, les premiers aliments introduits exercent une action favorable sur la fatigue générale qui commence à diminuer, de même que la faim diminue dans les mêmes circonstances, en dehors de toute réparation effective. On dirait, dans le premier cas, une sorte de révulsion sensitive relativement à la lassitude générale, Cet effet in’a toujours paru assez passager, et dès que la digestion commence, alors la sensation d'engourdissement et d’affaissement se manifeste d’autant plus caractérisée que l’alimentation aura été plus abondante. Les deux effets s’additionnent ensemble. J’insiste sur le fait que, malgré l’élévation du chiffre de l’acide carbonique, les aliments ingérés déterminent une impuissance rela- live et provoquent rapidement la lassitude (1). Tous les estomacs, de même, ne s’accommodent point de l’exercice musculaire pendant la période digestive; aussi peut-on dire que nous sommes ici en pré- sence d’un véritable balancement fonctionnel. Excitants et toniques. — Certains excitants jouent un rôle d’une véritable importance dans l’alimentation : ainsi les alcooliques, le café, le thé. Les boissons alcooliques, le café, le thé, l’opium, l’arsenic, l'hy- drothérapie, jouissent d’une action marquée sur la fatigue, soit pour la prévenir, soit pour l’atténuer ou la faire disparaître (2). Les boissons alcooliques et le café ont sur la lassitude un effet primitif presque immédiat. Aussitôt après leur ingestion nous éprou- vons une diminution marquée de la fatigue générale, et ce résultat se confirme à mesure que l'absorption s’opère. C’est un effet analo- gue à celui qui a lieu pour la sensation de la faim, laquelle com- mence à s’apaiser avant toute espèce d’absorption.L’action si prompte des douches froides, des immersions froides de courte durée produit une impression qui corrobore l’ensemble du système organique, et ce retentissement a lieu aussi avec beaucoup de promptitude. J’ajoute que, pour l’hydrothérapie, il est probable qu’il y a à tenir compte non- seulement d’une influence tonique, mais encore d’une véritable ré- vultion sensitive. Les boissons alcooliques, dans une juste mesure, le café, l’hydro- thérapie, servent donc à atténuer ou à faire disparaître la fatigue générale et môme locale. Un autre effet non moins remarquable de ces agents, de l’opium, de l’arsenic, est de prévenir la fatigue mus- culaire, du moins en partie. En admettant que l’hydrothérapie obtienne un effet tonique ou de révulsion, avec soustraction de calorique, elle s’adresse, en tout cas, 11 (1) Oxydation et force motrice ne sont donc pas nécessairement cor- rélatifs. (2) « L’infusion de thé noir produit en nous une excitation générale, plus ou moins durable, capable de rendre une énergie nouvelle à l’homme affaibli par la diète, par le froid, par la tristesse : le pouls s’accélère, la force, l'activité, succèdent à l’abattement et se sou- tiennent durant quelques heures sans laisser ensuite aucun malaise. » (Payen, Substances alimentaires, p. 420.) 12 très-directement au système nerveux. La question n’est plus aussi simple lorsqu’il s’agit des substances que je viens d’indiquer. Ainsi l’alcool diminue et ralentit les phénomènes chimiques relatifs à la combustion du carbone, bien qu’il n’exerce aucune influence sur la formation de l’urée : « Les boissons alcooliques prises à dose mo- dérée et dans les conditions usuelles, on peut dire hygiéniques, pro- voquent constamment, dans une proportion qui a varié de 5 à 22 pour 100, suivant leur richesse respective, une diminution dans l’exhalation de l’acide carbonique. En diminuant la quantité de l'acide carbonique exhalé, l’usage des boissons alcooliques ralentit dans la même mesure l’activité de l’oxydation intra-vasculaire, et par conséquent la production de la chaleur animale (1). » Je ne crois point qu’on ait cherché à déterminer les effets que produit l’opium sur la fatigue générale ou locale. Il est à présumer que son influence est favorable, mais il a pour propriété bien évi- dente, dans tous les cas, de soutenir les forces et de mieux permet- tre à l’homme et aux chevaux de supporter un exercice prolongé (2). Il prévient donc la lassitude. Le café est l'un des meilleurs toniques pour résister aux fatigues de la marche ou de tout autre travail. M. de Gasparin a fait voir que cette substance supplée à la faible nourriture azotée que prennent les mineurs de Charleroi (13Br,82 d’azote par jour et 308r,59 de café). « Il semblerait, dit M. Paven, que le café ait la propriété de rendre plus stables les éléments de notre organisme, en sorte que s’il ne pouvait pas par lui-même nourrir beaucoup, il empêcherait de se dénourrir ou diminuerait les déperditions (3). » Il y aurait donc, sous ce rapport, une très-remarquable analogie entre le café et l’alcool. L’arsenic active la respiration, la rend plus complète, plus ample, empêche ou combat l'essoufflement (Miller). Il excite le système ner- veux cérébral (Miller, Trousseau etPidoux), mais non d’une manière constante (Delioux de Savignac); il excite les nerfs de la vie de rela- tion, donne plus d’énergie aux facultés locomotrices, une vigueur (1) Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, art. Alcool par M. Perrin. (2) Il a, paraît-il, cet usage en Orient. (3) Paven, Substances alimcn(a;res, p. 416. 13 insolite aux membres inférieurs, permettant de faire de longues courses sans fatigue. D'où très-grande aptitude à la marche (Mas- selot). En Allemagne, les vétérinaires administrent l’arsenic aux vieux chevaux pour leur donner du jarret. Dans la Styrie et la basse Autriche les arsenicophages puisent, dans son emploi, un redouble- ment de force très-remarquable lorsqu’il s’agit de faire des ascen- sions longues et pénibles. Or d’après Schmitt et Brettschneider, l’arsenic ralentit la combus- tion de la graisse et diminue l’exhalation de l’acide carbonique par le poumon. De plus, d’après Schmitt et Stürzwage, il y a aussi diminu- tion dans l’excrétion de l’urée par les reins (1). Le rôle de l'alcool comme aliment respiratoire est devenu très- problématique, celui du café comme aliment azoté est naturellement restreint ; quant à l’opium et à l’arsenic, on ne saurait leur recon- naître des propriétés alibiles. Ces substances diverses n’en ont pas moins des résultats communs qu’ont peut chercher à interpréter, soit par leur action excitante sur le système nerveux, soit par leur influence négative sur les combustions respiratoires. Cette dernière influence démontrée pour l’alcool, l’arsenic, affirmée pour le café, pourrait être également fondée pour l’opium (.2). L'action excitante sera la plus probablement admise par ce temps de foi naïve à la transformation du calorique musculaire en mouve- ment extérieur (3), bien qu’il en puisse coûter cher de reconnaître (1) Ces résultats ont été confirmés par les recherches de M. Lolliot qui a reconnu aussi l'existence d'un phénomène corrélatif, savoir l’abaissement de la température. Cet abaissement de la température est produit également par l’emploi de l’alcool (M. Perrin). (2) M. Édouard Robin parle du café comme d'un modérateur de la combustion lente. (3) La métamorphose dynamique appliquée aux êtres vivants sup- pose, entre autres choses, que pour le mouvement extérieur ou travail accompli, le corps organisé fonctionne à l'instar d’une locomotive. Dans celle-ci la chaleur due à la combustion du charbon se transforme en puissance motrice, donc il en est de même pour tout ce qui est doué du mouvement spontané. C’est là une question que j’ai longuement étudiée, mais qui mérite une dernière remarque. Dans une locomotive, tout ce qui diminue la combustion ou le combustible diminue d’autant la puissance motrice. l’existence d un phénomène dynamique non fondé sur la chimie. M. Perrin accepte le rôle purement dynamique de l'alcool. Action du système nerveux. — La part que prend le système ner- veux à la fatigue, tant générale que locale, est mise en lumière par des faits bien connus et qu’il me suffira de rappeler. L’ennui est le plus fâcheux compagnon des marcheurs. Une longue route en ligne droite lasse d’avance par sa perspective indéfinie, tandis que le même parcours, décrivant des courbes ondulées au milieu de riants ou pit- toresques paysages, produira une fatigue notablement moindre. Un autre résultat bien plus remarquable encore est la disparition sou- daine de la fatigue, tant générale que locale, sous l’influence d’une vive stimulation morale (1). Il en est ici comme de la sensibilité que l’on voit s’évanouir en pareille circonstance. La lassitude musculaire peut être déterminée et mise dans un sin- gulier relief par une décharge nerveuse non suivie d’effet, lorsqu’il nous semble tout à coup que l’effort que nous venons de commencer est au-dessu3 de nos forces. II survient alors soudainement une sen- sation d’épuisement général et surtout d’impuissance locale trôs- caractérisée. Or le même travail exécuté l’instant d’après ne déter- mine rien de semblable. Cet effet singulier de lassitude a beaucoup d’analogie avec le reten- tissement immédiat produit sur l’économie par une affection morale déprimante. Dans le rêve et divers états pathologiques où le système nerveux est en cause, on peut trouver réunis les deux éléments (général et local) de la fatigue ordinaire sous l'influence d’une modalité parti- 14 Or nous avons ici des substances qui modèrent l’oxydation, abaissent la température, telles que l’alcool et l’arsenic ; qui jouent probablement le même rôle, telles que le café et l’opium, et cependant l’énergie mo- trice est augmentée. Pour un esprit non prévenu un pareil fait n’a qu’une explication possible : la négation de l’hypothèse dans son application aux êtres vivants. Mais ce serait toucher à l’arche sainte, à l’économie d’un très- beau système. Gare donc à l’imprudent! (1) Cette disposition ne se produit évidemment que lorsque la fatigue n’est point excessive. J’ajoute que si l’excitation morale dissipe la fa- tigue, elle la prévient, pour les efforts énergiques, d'une manière très- remarquable. 15 culière de l’innervation. Aiusi, par le fait du rêve ou d hallucinations relatives à des dangers imaginaires qu’on voudrait fuir, on croit se livrer à des efforts très-considérables; le pouls s’accélère, la peau est quelquefois baignée de sueur; il y a une sensation de brisement, de douleur, de fatigue extrême, et le sujet n’a fait aucun mouve- ment. Le sommeil profond et interrompu qu’appelle la fatigue musculaire est le meilleur moyen pour la dissiper. Il y a ici d’ailleurs deux élé- ments associés dont il faut tenir compte, savoir, le repos ou détente des organes contractiles et le sommeil lui-même. De ces deux élé- ments, le dernier est de beaucoup le plus important pour dissiper la lassitude. Par contre, l’absence de sommeil y prédispose très- manifestement; mais cet effet n’est peut-être pas toujours immédiat, car il m’a semblé qu’une seule nuit sans sommeil produisait plutôt une sorte d’excitation du système nerveux, d’où une aptitude no- toire beaucoup plus énergique au moins pour un travail de courte durée. CAUSE PROCHAINE DE LA FATIGUE MUSCULAIRE. Pour arriver à la solution du problème de la cause ou des causes prochaines de la fatigue musculaire, nous avons à analyser des con- ditions fort complexes. Nous avons tout d’abord un état physique ou mécanique : le plis- sement de la libre ou onde musculaire pouvant amener, par un exercice énergique, le raccourcissement du muscle, dû ou non aune variété de tétanos. Nous avons ensuite la congestion sanguine que provoque aisément la contraction fréquemment répétée. Puis vient la combustion respiratoire donnant lieu à l’acide urique, la créatine, la créatinine, la sarkine, la sarkosine, la xanthine, l’a- cide inosique, l’acide lactique, l'acide carbonique, la glycose elle- même d'après certains auteurs. Ces produits chimiques auraient une action paralysante, spécialement l’acide lactique et la créatine. L’a- cide carbonique et la créatinine viendraient ensuite, dans une mesure moindre, et les autres produits dans une mesure plus faible encore (Ranke). De plus, au dire de M. Longet, la coagulation de la myosine due aux agents qui précèdent?) serait réputée déterminer la fatigue musculaire. À côté de ces conditions chimiques relatives aux solides, il v au- 16 rait sans doute à tenir compte de la déperdition des liquides (pou- mons, peau). En regard des modifications mécaniques et chimiques constatées dans les muscles fonctionnant, avec ou sans perte bien marquée de leur aptitude motrice, nous avons à rappeler le rôle si important de l’innervation qui, à l’état normal, est la cause déterminante de leur action. Tout en tenant compte du rôle de quelques conditions chi- miques et mécaniques dans la fatigue locale, on pourrait y voir sur- tout une conséquence de l’excès d’incitation. De même la fatigue générale relèverait particulièrement de l’excès d’incitation. J’examinerai, en premier lieu, l’hypothèse chimique. L’acide lactique se trouve dans le suc musculaire, mais point dans le sang. Si l’on injecte le suc musculaire devenu acide, on diminue graduellement l'irritabilité du muscle. Injecté seul, l’acide lactique tue le cœur et les autres muscles, après une excitation préalable. Lorsqu’on soumet une grenouille à l’action de la strychnine, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de contractions réflexes, et qu’on enlève tout le sang par la saignée de l’aorte, les mouvements reparaissent par des excitations électriques jusque-là restées impuissantes. D’où l’on con- clut que la soustraction du sang musculaire enlève les agents de l’épuisement, dont le plus actif est, pense-t-on, l’acide lactique. Les expériences que je viens de rapporter ne me paraissent point établir, d’une manière suffisante, le rôle assigné à cet acide. Les in- jections pratiquées s’éloignent trop considérablement des conditions normales pour rien conclure des résultats obtenus. La saignée de l’aorte rappelle, dit-on, l’irritabilité, mais je n’v saurais voir une preuve en faveur du rôle assigné aux produits de combustion et plus spécialement à l’acide lactique. En effet, nous sommes avertis que celui-ci ne se rencontre pas dans le sang, qu’il n’existe que dans le suc musculaire. Donc, puisque la fatigue a disparu après la sai- gnée de l'aorte qui n’élimine point l’acide lactique, il s’ensuit que ce corps n’a point sur la production de la fatigue l'influence qu’on lui a attribuée. L’expérience subsiste sans doute, mais elle comporte une autre interprétation. Je n’ai point lu le mémoire de llanke et n'ai pu m’en procurer une analyse complète. Dans un muscle isolé de l’organisme auquel il appartient, a-t-il reconnu la présence de l’acide lactique après l’avoir fatigué par des courants électriques, des irritants chimiques, des irritants mécaniques? S'il en est ainsi, comme le muscle redevient irritable par le repos et que l’acide lactique n’a pu être éliminé, on ne saurait admettre que ce corps neutralise le pouvoir contractile. En supposant que contraction musculaire et formation d’acide lactique soient des termes toujours et nécessairement corrélatifs, il faudrait toutefois éviter le cum hoc, ergo propler lioc. N’existe-t-il point dans l’économie un organe dont l’action est pour ainsi dire in- cessante, dont les propriétés acides sont permanentes (Kühne), et qui cependant ne connaît point la fatigue? J’ai nommé le cœur. Je n’insiste point sur l’action paralysante peu démontrée que l’on assigne à la créatine et à la créatinine, car ces produits existent aussi dans le cœur. J'arrive à l’acide carbonique. L’acide carbonique se forme sans doute dans le suc musculaire comme produit ultime de rétrogression, mais pendant la vie il est surtout dû à l’oxydation intravasculaire, oxydation qui entraîne la disparition relative de l’oxygène. Ce dernier corps étant l’excitant naturel de la libre contractile, il y a ici à tenir compte de deux élé- ments : diminution de l’oxygène d’une part, formation de l’acide carbonique d’autre part. D’une manière générale l’oxygène est indispensable à l’énergie et à la durée de la contraction, et cependant, au dire de M. Hermann (de Berlin), l’expérience aurait démontré que la présence de l’oxy- gène n’est pas nécessaire à l’accomplissement des fonctions muscu- laires. Mais s’il n’est pas absolument nécessaire pour toute contrac- tion actuelle, il l’est pour une action d’une certaine durée. Dans une atmosphère d’azote, le cœur ne tarde pas à s’arrêter après quelques contractions faibles (Gyon). D’autre part, M. Gyon a démontré l’arrêt du cœur sous l’influence de l’acide carbonique, ce qu’il interprète par une action paralysante sur le pneumo-gastrique. Le même auteur cite une autre expérience où le cœur en contact avec du sérum sa- turé d’acide carbonique et additionné d’une forte dose de curare (lequel paralyse les terminaisons du pneumo-gastrique et par cela môme supprime toute paralysie du cœur consécutive à l’excitation du nerf), où le cœur, dis-je, se contracte sans doute encore, mais faiblement et irrégulièrement. On sait que, d’après Brown-Sequard, l’acide carbonique serait la cause excitante des contractions du cœur, d’où l’on pourrait con- clure à une action analogue sur les autres muscles. Ainsi, un produit 17 18 de combustion intravasculaire, qui est aussi rangé parmi les résidus de la dénutrition, serait un agent, non de paralysie, mais de contrac- tilité. Action excitante, action paralysante directe (Ranke), indirecte (Cyon), tel est le rôle assigné à l’acide carbonique. Malgré le dire de M. Hermann, il est difficile de supposer que l’excitant normal de tous les tissus, savoir l’oxygène, ne soit pas indispensable au fonctionne- ment de la fibre musculaire, et ne m’arrêtant point à l’action stimu- lante assignée à l’acide carbonique, il me paraît nécessaire de tenir compte, lorsque ce corps se produit, de la disparition concomitante de l’oxygène (t). L’impuissance serait, à ce point de vue, déterminée essentiellement par la consommation de ce dernier. La fatigue extrême que produit le moindre effort sur les sommets très-élevés n’est point due à une exagération des résidus de la com- bustion interstitielle, mais bien à la très-grande pauvreté du milieu respirable. La lassitude, si facile à provoquer chez les anémiques, est liée à la diminution des globules rouges, seule partie du sang sur laquelle se fixe l’oxygène. L’insulïisance de l'oxygène est donc l’une des causes les mieux con- statées de la fatigue musculaire, tandis que le rôle assigné aux ré- sidus de la nutrition et aux produits de l'oxydation intravasculaire est passible de plusieurs objections. N’a-t-il point d’ailleurs contre lui l’épreuve comparative que nous fournissent un homme entraîné pour la marche et un autre homme dont l’existence est molle et oi- sive? Le premier sera moins fatigué après une traite de dix lieues, je suppose, que le second qui en aura parcouru deux ou trois. Il n’y a donc aucune connexion nécessaire entre la combustion et la lassi- tude des muscles. Enfin y aurait-il lieu de penser que la fatigue pût être déterminée, comme la faim, par le besoin de réparation? Il serait, de prime abord, assez étrange qu’il y eût une double sen- (1) Les expériences de M. Hermann et celles de M. Cyon conduiraient à admettre que l’oxygène n’est absolument nécessaire que pour le centre d’innervation (ganglions moteurs du cœur, par exemple) et point pour la fibre musculaire elle-même. Celle-ci ne serait donc plus une admi- rable machine à oxydation d’abord, à transformation ensuite. Faudrait-il alors accorder ce rôle éminent aux divers centres nerveux de la vie ani- male et de la vie végétative? 19 sation pour exprimer un même fait. Ensuite, comme je viens de le dire, l’exercice développe singulièrement la résistance à la fatigue, sans diminuer ni retarder la sensation de la faim qui, elle, est évi- demment liée au besoin de réparation. Arrivons maintenant aux explications physiques et mécaniques. La lassitude, on le sait, survient beaucoup plus facilement en été qu’en hiver. Or l’exhalation pulmonaire, la transpiration cutanée qu’exagère tout exercice, amenant une déperdition très-notable de liquide, on pourrait voir dans ce fait une des raisons déterminantes de la fatigue générale. Je réponds : dans les zones tempérées les bois- sons tiôdes ne délassent nullement, tandis que l’ingestion d’une quantité môme assez faible d’eau fraîche produit ce résultat en partie et d'une manière instantanée, ce qui prouve qu’elle agit uniquement par sa température. Mais il est évident que dans d’autres conditions, sous la zone torride par exemple, une soif intense, liée à une déper- dition notable de liquide, doit concourir puissamment à la fatigue générale. L’ordre mécanique nous fournit aussi des causes possibles de fati- gue, savoir le plissement répété de la libre et la congestion sanguine. Les douleurs déterminées par l’exercice et portant sur les join- tures, les insertions tendineuses, musculaires, articulaires et sur les gaines tendineuses sont évidemment d'ordre mécanique (frottements, tiraillements), et la sensation qui les caractérise a une analogie très- marquée avec l’élément douloureux de la fatigue musculaire. Cet élé- ment ne s’observe pas seulement lorsque la contraction est répétée et prolongée, mais on le voit aussi survenir avec beaucoup de rapi- dité quand des muscles non entraînés se livrent à des efforts éner- giques. Si, dans ce cas, on ne peut voir qu'un phénomène d’ordre mécanique dans l’apparition de la douleur, il n’y a vraiment aucune raison plausible d’y voir autre chose lorsque celle-ci met plus de len- teur à se produire. De la douleur presque soudaine à la douleur lente, il y a évidemment tous les intermédiaires imaginables. La congestion sanguine, consécutive à l’exercice, qu’il est facile de démontrer dans certaines conditions que j’ai déterminées ail- leurs (1), joue-t-elle un certain rôle dans la production de la fatigue? (1) Gazette médicale de Paris, 1866. La congestion sanguine me paraît entraîner une autre conséquence que je développerai ultérieurement. 20 Elle pourrait concourir, sans doute, à la sensation d'engourdisse- ment et même à l’impuissance motrice pour une faible mesure; tou- tefois je n’ai pu obtenir, sous ce rapport, que des résultats assez vagues. Revenons maintenant sur certains faits qui me paraissent répugner aux interprétations physico-chimiques. A. Les actions chimiques sont diminuées par l’usage de l’alcool, de l’arsenic, du café et peut-être aussi de l’opium, d’après ce qui a été établi précédemment. Nous devons reconnaître à chacun de ces corps, employé à une dose donnée, un caractère commun, savoir : une sti- mulation plus ou moins énergique du système nerveux qu’on ne fera sans doute pas dépendre de leur influence modératrice sur l’oxyda- tion interstitielle. Nous savons aussi que des causes excitantes nor- males (passions) ou d’ordre pathologique modifient d’une manière très-remarquable l’intensité et la durée des contractions musculaires. Parmi les causes pathologiques, je citerai certaines actions, les unes toxiques, les autres réflexes, qui sollicitent une exaltation des plus marquées de l’énergie motrice. Le fait qui domine, dans l’espèce, est donc l’excitation du système nerveux. De même, par une corrélation nécessaire à mon point de vue, la fatigue se dissipe bien plus facilement par le sommeil que par le repos sans sommeil. Dans le premier cas, le système nerveux est à son minimum d’excitation, et le repos devenu général n’est pas seulement de la résolution musculaire. Pouvons-nous expliquer par des actions chimiques locales la sen- sation de lassitude musculaire développée pendant certains rêves ou certaines hallucinations? N’en devons-nous pas rapprocher cette fa- tigue extrême se produisant si fréquemment chez les femmes ner- veuses? Celle qui accompagne les décharges nerveuses non suivies d’effet, quand il s’agit de contractions énergiques (1)? Comment in- (1) L'effort soudainement interrompu, lorsqu’il nous paraît au-dessus de nos forces, produit une impuissance motrice des plus caractérisées et s’accompagnant d’une sensation locale très-particulière. Le même effort, réussi l’instant d'après, ne donne lieu à rien de semblable. Donc la fatigue nest point ici la conséquence du travail musculaire et des oxydations qui s’v rattachent. 21 terpréter la disparition de la fatigue par le fait d’excitations morales puissantes? Par la révulsion que produit une chaleur vive sur l’en- veloppe tégumentaire? Pourquoi survient-elle beaucoup plus facile- ment suivant telle ou telle disposition affective? Faudrait-il donc supposer que toutes les causes excitantes diminuent les oxydations cérébrales et musculaires, que toutes les causes déprimantes pro- voquent des actions chimiques plus actives? Mais alors nous arrivons à cette conclusion singulière que, dans le premier cas, l’énergie mo- trice est nécessairement moindre et qu’elle est plus considérable dans le second. Qu’en pensent les fauteurs de la transformation des forces? Je rappellerai l’influence négative exercée par la fatigue sur les facultés intellectuelles. De même en est-il pour un bain chaud qui prédispose à la lassitude au plus haut degré. Tous ces faits me paraissent mettre en pleine évidence le rôle du système nerveux, et l’action de la température vient déposer dans le même sens. Eu effet, la chaleur favorise sans conteste l’énergie mus- culaire, mais alors la fatigue arrive assez rapidement avec la répéti- tion durable de l’effort. Le froid modéré détermine un résultat pré- cisément inverse, car s’il diminue la puissance motrice pour un moment donné, il lui communique un caractère de persistance très- marqué. (La chaleur extérieure développe probablement l’élasticité muscu- laire, et il n’est pas douteux que, dans certaines limites, un exercice préalable réchauffant tel ou tel muscle, ne devienne très-favorable à l'énergie de la contraction, ou du moins à la puissance de l'effort. Ce développement de l’élasticité impliquerait-il une transformation du calorique en mouvement? Peut-être, et je n’y vois pour ma part nulle objection.) Ne pouvant rattacher la fatigue exclusivement aux actions chi- miques, puisqu’elle se manifeste avec plus de lenteur lorsque l’oxy- dation est la plus accusée (hiver) ; nous trouvant en présence d’un résultat contraire aux prévisions théoriques, nous sommes conduits à accorder un rôle prépondérant au froid et à la chaleur comme étant, dans certaines Limites, des agents de stimulation et de dépres- sion pour le système nerveux. En été, la température élevée pro- voque très-particulièrement la fatigue générale, puis secondairement arrive la fatigue locale, tandis qu’en hiver celle-ci débute et précède 22 très-notablement la première. En outre, elle débute tardivement, à cause de l’action stimulante du froid (1). L’élément douleur est souvent associé à la fatigue dans les con- tractions soit énergiques, soit modérées. Par le fait d’une excitation morale, qui suffit pour augmenter considérablement l’intensité de l’effort, on reconnaît que la sensation de douleur arrive plus tardi- vement. L’action nerveuse qui nous rend insensibles dans d’autres conditions, par exemple au traumatisme sur un champ de bataille, produit ici son effet accoutumé en multipliant l’énergie motrice et en supprimant presque l’élément douleur.'De plus, cette douleur est bien moins facilement produite dans un muscle exercé que dans un muscle qui ne l’est point, la sensibilité du premier ayant été émous- sée par le retour fréquent des mêmes impressions. C’est là un fait général en physiologie et que confirme encore la manière la plus efficace de guérir la courbature lorsque celle-ci n’est point exagé- rée : il faut demander un nouveau travail aux muscles endoloris. L’expérimentation nous enseigne aussi qu'un muscle peut être fa- tigué par des excitants divers jusqu’à l’impuissance complète. Ce muscle étant, je suppose, isolé de l'organisme auquel il appartient, il est évident que l’impuissance motrice n’est pas déterminée par la douleur. Elle 11e relève pas non plus des produits rétrogressifs (acide lactique, créatine, créatinine, etc.), car elle se dissipe par le repos qui ne saurait amener l’élimination des résidus de l’oxydation in- terstitielle, puisque les voies vasculaires ne fonctionnent plus. Ici, comme pour la douleur, l’incitation a usé l’incitabilité. On connaît, en effet, la célèbre distinction de Leibniz entre la perception et Yaperception. Le premier phénomène implique l’im- pressionnabilité sans doute, mais en même temps l’inconscience, tandis que le second implique la conscience de l’impression. On sait que le muscle perçoit par un mode d’impressionnabilité qui lui est propre et qu’on appelle l’irritabilité. C'est un fait de per- ception, car il succède à une excitation pouvant demeurer in- consciente, et ce n’est point un phénomène nerveux, puisqu’il se produit encore dans les cas de paralysie du système nerveux. Pour (I) Au nom des modificateurs du système musculaire, il y aurait donc une distinction formelle à établir entre l’élasticité que favorise la cha- leur et la contractilité que favorise le froid modéré. 23 ce système, d’ailleurs, comme le prouvent les actions réflexes, la perception marche très-souvent distincte de l’aperception. Dans l’ordre nerveux la répétition des impressions, ainsi que je viens de le dire, finit par en obscurcir soit la conscience, soit la simple perception (actions réflexes). On voit survenir alors comme une paralysie relative des nerfs qui recueillent les impressions. 11 y a là d’ailleurs une question de mesure avant tout; car si, dans une certaine mesure, la répétition des impressions fortifie, rend plus subtil l’organe d’un sens, dans une mesure plus forte la sensibilité spéciale s’émousse et l’aperception devient obscure et confuse. De même en est-il pour les phénomènes de perception qui disparaissent sous l’influence d’une excitation disproportionnée et trop longue. Dans l’ordre perceptif et non nerveux nous sommes en présence défaits analogues lorsque nous fatiguons, outre mesure, la con- tractilité musculaire. On arrive ainsi facilement à l’impuissance motrice (1). Tous les faits de perception et d’aperception conduisent donc à une conclusion identique : c’est que l’incitation exagérée usei’inci- tabilité (2). (1) Dans les conditions normales la perception du muscle, je le ré- pète, est ordinairement associée à la perception nerveuse. (2) L'incitabilité n’est qu’un mot, me dira-t-on. Or un mot n’ayant de valeur que par l’acception qu’on y attache, quel est donc le sens as- signé par vous à ce terme mystérieux? Je ne lui assigne qu’un sens de distinction pour différencier les phéno- mènes de l’incitabilité de tous les autres qu’on observe chez les êtres organisés, par exemple les sensations, les sentiments, les pensées, les actes volontaires. Une philosophie plus aventureuse cherche sans doute à faire de l’in- citabilité un phénomène d’ordre mécanique ou chimique. Dans le pre- mier cas on voudrait voir un simple fait d’élasticité. Mais lorsque celle-ci est éteinte, dans un corps brut, se reproduit-elle jamais avec son énergie primitive? Les corps bruts ne connaissent évidemment ni la fatigue ni le repos. Dans le second cas il faudrait considérer l’incitabilité comme réduite à la propriété de transformer soit l’action chimique, soit la chaleur, soit l’électricité en mouvement extérieur ; ce qui revient à poser le problème mécanique sous une autre forme. J’ai traité ailleurs cette question avec détail et ne puis que l’énoncer ici. B. L’absence de stimulus normal, le défaut d’incitation est une condition très-favorable à la production de la fatigue. Telle est, dans sa raison d’être, celle qui se développe si promptement chez les sujets anémiques ; telle est celle qui est un des principaux phéno- mènes du mal de montagnes; telle est peut-être, pour une faible part, celle qui naît d’une contraction très-prolongée laquelle déter- mine une diminution de plus en plus marquée d’oxygène. Le mi- lieu intérieur ou extérieur fait défaut et, dans les deux premiers cas, il est bien impossible de rattacher la fatigue à une oxyda- tion exagérée et à l’abondance des produis rétrogressifs. L’incitant normal manque, à la fois, pour le système nerveux et la fibre mus- culaire. CONCLUSION. De l'ensemble des considérations qui précèdent il résulte que, dans la fatigue musculaire, le phénomène de l’épuisement relève surtout de deux conditions, savoir : 1° Âbincitation musculaire par excès de l’agent de stimulation ; abincitation nerveuse par excès d’action du système nerveux. 2° Abincitation musculaire et nerveuse par défaut d’oxygène. Quant à l’élément douleur, il reconnaîtrait pour origine une simple condition mécanique. FIN’