EXPERIENCES SUR L’INTESTIN Note communiquée à l’Académie de médecine, séance du 5 juillet 1870, PAR le Docteur Armand MOREAU EXTRAIT I)E LA GAZETTE MÉDICALE DE PARIS. SUR L’ACTION DU SULFATE DE MAGNÉSIE Les théories physiologiques relatives à l’action des purgatifs sont, comme on le sait, loin d’être tout à fait satisfaisantes. Des recherches précises méritent d’être faites sur plusieurs points, et c’est à des expé- riences nouvelles qu’il faut recourir pour résoudre les questions sur lesquelles les esprits sont actuellement partagés. Je demande à l’Aca- démie la permission de lui présenter aujourd’hui quelques résultats obtenus en étudiant l’action du sulfate de magnésie. Dans les expériences dont je vais parler, j’ai employé le procédé suivant : Sur un chien à jeun et chloroformé je pratique une incision le long de la ligne blanche; j’attire en écartant l’épiploon, une anse de l’intestin grêle de. 15 à 20 centimètres de longueur que je ferme par deux ligatures convenablement serrées, puis à l’aide d’un trocart fin dirigé obliquement dans l’épaisseur des parois, j’injecte dans cette anse une solution titrée. La plaie est recousue, et l’animal détaché. Quand il se réveille, il regagne à pied sa loge sans paraître éprouver d’autres effets que ceux qui appartiennent à l’ivresse du chloroforme; plus tard il est sacrifié d’une manière instantanée par l’insufflation de l’air dans la jugulaire, et l’anse est examinée. J’ai ainsi injecté 20 centimètres cubes d’eau contenant un cinquième de son poids de sulfate de magnésie dans une anse de l’intestin grêle de chiens à jeun efdans des conditions normales. Les quantités de li- quides trouvées dans l’anse ont été les suivantes : 70" au bout de 6 heures. Expérience du 1" juin 1870 300 18 - — 27 août 1868 200 19 — — 19 juin 1869 50 20 — — 20 mai 1870 130 22 — - 14 juin 1870 155 22 — — 17 mai 1870 166 22 — — 15 juin 1869 335 24 — — 2 juin 1870 En considérant ce tableau, on constate que les quantités des liquides obtenus ne croissent pas en raison du nombre d'heures qu’a duré l’expé- rience; les animaux n’étaient point semblables entre eux; ainsi celui qui fournit en vingt heures 50 centimètres cubes était de petite taille, tandis que celui qui donna 300 centimètres cubes en dix-huit heures était d’une taille supérieure à la moyenne; d’autres conditions existent qui influent aussi sur ces quantités. Leur recherche n’est point sans intérêt. Je dirai, en mettant de côté pour aujourd’hui cette question : 11 résulte des expériences que je viens de citer que, dans les condi- tions normales, la présence d’une solution de sulfate de magnésie au cinquième dans l’anse intestinale d’un chien provoque l’afflux de liquides en quantités notables. J’ai voulu, dans l’expérience suivante, voir si l’on pouvait constater facilement le fait de la réabsorption des liquides produits sous l’influence d’une pareille solution. Sur un chien cité dans le tableau qui précède, je recueillis donc les liquides accumulés à la suite de l’injection de 20 centimètres cubes de la solution au cinquième de sulfate de magnésie. La quantité obtenue fut de 335 centimètres cubes. Je pris 30 centi- mètres cubes de ce liquide et je les injectai dans une anse intestinale d’un autre chien. Le lendemain cette anse fut examinée;elle contenait environ 2 centimètres cubes d’une bouillie épaisse coulant à grand’ peine par un large trocart; il y avait donc eu absorption de la presque totalité des liquides empruntés à l’anse d’un autre chien et provenant de l’action du sulfate de magnésie. Ces résultats sont conformes aux idées généralement reçues et l'on peut se demander s’il était nécessaire de donner le récit d’expériences qui disent ce qui est admis déjà. Le demanderai à l’Académie la permission de répondre à cette question. La proposition que je viens de formuler, à savoir que « dans les con- ditions normales la présence d’une solution de sulfate de magnésie au cinquième dans l’anse intestinale d’un chien provoque l’afllux de li- quides en quantités notables, » est implicitement niée dans deux mé- moires parus en Allemagne. Dans l’un présenté à l’Académie des sciences de Vienne en 1864, et intitulé : Sur une nouvelle méthode d'isoler l’intestin grêle, le docteur Thiry s’exprime ainsi, page 20 : « Il est hors de doute que le sulfate de magnésie, le séné, l’huile de croton (les deux premiers au contact direct de la muqueuse intesti- nale, le dernier seulement instillé sous la peau), ne provoquent pas la diarrhée par une augmentation de sécrétion de glandes de Licberkühn, mais que cette diarrhée doit tenir à autre chose. Il est très-vraisem- blable que les médicaments cités agissent en supprimant d’une cer- taine manière la résorption de l’eau du contenu de l’intestin. Et ceci arrive surtout en ce que le contenu de l’intestin passant dans un temps plus rapide dans le canal intestinal, est chassé au dehors avant que la résorption des parties aqueuses ait été faite à cause des mou- vements péristaltiques exagérés par l’action de ces médicaments purgatifs. » Il est permis à ceux qui ont, comme moi, connu personnellement Thiry, de penser que ce physiologiste aurait modifié ses idées en va- riant ses expériences, mais sa fin si regrettable et si prématurée a laissé à la science une œuvre inachevée. Aujourd’hui les idées théoriques qu’il avait exprimées, viennent de trouver un nouvel interprète; un mémoire publié au mois d’avril 1870 dans les Archives de Dubois Reymond et Reichert et intitulé : Sur l'ac- tion physiologique des purgatifs, les reproduit. L’auteur, le doctéiir Radziejewski (de Rerlin), aborde dans ce mé- moire plusieurs questions intéressantes et partage les idées théoriques de Thiry sur le mode d’action des purgatifs ; ainsi, page 87 : « Les laxatifs les plus énergiques n’amènent, dît-il, des évacuations « aqueuses qu’en empêchant, par l’accélération des mouvements pé- « ristaltiques, la résorption des liquides. » Et page 100 en bas, dit : « De toutes les propriétés attribuées aux purgatifs (cités plus haut, par « exemple le sulfate de magnésie) l’exaltation du mouvement péristal- « tique reste seule et est seule prouvée; d’elle seule provient la diàr- « rhée. » — « Von allen den Abführmitteln zugéschriebenen Eigens- « chaften bleibt also diese, die Peristaltik anzuregen, allein übrig « und allein erwiesen ; hierdurch allein entsteht die diarrhoe. » Dans les expériences suivantes, je me suis rapproché des conditions particulières dans lesquelles se sont placés ces auteurs. Le 29 juin 1870, sur un chien chloroformé Tinteâtin en deux points ; une anse libre-Bè trouve ainsi formée par éette partie du canal intestinal intermédiaire aux deux points de section. Les deux bouts de l’intestin sont réunis par le procédé de l’adossement des séreuses et la continuité du canal intestinal est par là maintenue. L’anse libre et flottant dans l’abdomen conserve ses vaisseaux et ses nerfs dans l’épaisseur du mésentère correspondant. Je ferme cette anse par des ligatures serrées aux deux extrémités. J’injecte 20 centimètres cubes de la solution magnésienne et je termine l’opération par la suture des parois de l’abdomen. Le lendemain le chien va bien, et gagne à pied le laboratoire. Il est sacrifié comme d’ordinaire par l’insufllation de l’air dans la veine ju- gulaire. L’anse énormément distendue contient 332 centimètres cubes de liquide. Le 30 juin, sur un chien chloroformé j’établis de même une anse et je maintiens, à l’aide de la suture déjà indiquée, la continuité du canal intestinal; puis je procède à l’établissement de la fistule de Thiry en fixant le bout inférieur de l’anse à la paroi abdominale, après avoir lié le bout inférieur de cette anse près du point qui doit constituer l’anus artificiel, 20 centimètres cubes de la solution magnésienne sont injectés dans cette anse dont le bout supérieur est aussi lié. L’animal meurt dans la nuit; l’anse examinée contenait 138 centim. cubes de liquide. Le 1" juillet, je répète l’expérience de la veille, dans laquelle j’at- tribue la mort à ce que la ligature inférieure était trop voisine de l’anus artificiel. J’opère donc de même un autre chien, toutefois en ayant soin de laisser un espace d’environ 8 centimètres entre l’anus artificiel et la ligature inférieure. Des vaisseaux et des nerfs nombreux qui dans cet espace se portent sur l’intestin, établissent les conditions favorables au travail réparateur et doivent prévenir les complications inflamma- toires. Le lendemain le chien est biem vivant; il est sacrifié par l’insuffla- tion de l’air dans la veine jugulaire; l’anse qui avait reçu 20 centimè- tres cubes de la solution magnésienne, contient 90 centimètres cubes de liquide. Ainsi, dans ces nouvelles conditions, j’obtiens les mêmes effets que dans mes premières expériences, Je crois inutile de prendre une à une les expériences des auteurs que j’ai cités, de montrer en quoi elles diffèrent des miennes, et com- ment ces différences expliquent à la fois les résultats négatifs qu’ils obtiennent et les résultats positifs que j’apporte. Ces résultats sont aussi certains les uns que les autres ; je crois avoir suffisamment pré- cisé les conditions de mes expériences pour que chacun puisse les ré- péter et pour que la proposition suivante, que les médecins ont depuis longtemps plus ou moins explicitement admise, puisse être considérée comme élablie expérimentalement, savoir : une solution de sulfate de magnésie au cinquième, mise dans une anse intestinale d’un chien, dé- termine dans les conditions physiologiques ou suffisamment voisines de l’état physiologique, l’afflux de quantités notables de liquides. Par conséquent la théorie qui admet qu’une semblable solution, sé- journant dans l'intestin dans les conditions ordinaires, produit l’affiu'x des liquides, trouve ainsi une confimation expérimentale.