RECHERCHES CHIMIQUES SUR LE SAM DANS LES NÉVROSES Mémoire présenté à l’Académie des sciences le 29 Novembre 1847, PAR , / LE DOCTEUR MICHÉA. PARIS. — IMPRIMERIE DE FAIN ET THCNOT, Rue Racine, 28, près de l’Odéon. extrait de la gazette médicale de PARIS. — 1848. RECHERCHES CHIMIQUES SUR LE SANS DANS LES NEVROSES. Depuis longtemps on a senti l’importance de connaître les rapports qui existent entre les troubles du système nerveux et l’état du système cir- culatoire. Plusieurs auteurs, au nombre desquels se trouvent Hoffmann(1), Alberti(2), Wardenberg(3), Dittmar (/i), Bach (5), Bergmann (6), M. Brierre (1) Dissert, de mentis morbis ex morbosa sanguinis circülatione. — Halle, 1700. (2) Dissert, de commercio animæ cum sanguine. — Halle, 1710. (3) Dissert, de morbis animi ex anomaliis hæmorrhagicis.— Halle, 1719. (4) Dissert, de sanguinis et animæ nexu. — Halle, 1744. (5) Abhandlung ueber die Schadlichkæit des allzu often Blütlassens in Ansciiung der Seelenwirkung (De l’influence des saignées trop fréquentes chez les aliénés). — Breslau, 1786. (6) Ueber das Blut im Herzen (De l’appel du sang vers le coeur). — 1821. de Boismont(l), Albers (2), Juetting (3), Vichoff (à) et Friedreich (5), ont cherché à établir ces rapports pour ce qui concerne les névroses de l’intelligence. Toutefois leurs travaux n’ont pour objet que des considéra- tions tirées de l’anatomie pathologique, de l’observation clinique, et tout au plus de l’examen purement physique du sang : la chimie y demeure en- tièrement étrangère. D’un autre côté, les études chimiques entreprises tout récemment sur le sang dans quelques névroses laissent beaucoup à désirer ; car ou elles sont relatives à des cas trop peu nombreux, ou bien les inductions qu’on en a tirées ne semblent pas offrir toutes les garanties et toute la sévérité néces- saires en matière de science. En Allemagne, M. Ilittorf a fixé son attention sur le sang des aliénés ; mais ses recherches se bornent à sept analyses, et ne concernent qu’une seule des grandes divisions de la folie, l'excitation maniaque (6). M. Er- lenmeyer, auteur d’un travail beaucoup plus étendu, établit des induc- tions en passant sous silence presque toutes les recherches chimiques d’où elles dérivent. Des 30ù analyses qu’il dit avoir faites, il n’en cite que trois, qui sont relatives à l’épilepsie compliquée de manie (7). D’ailleurs il n’a point examiné le sang dans les cas simples, chez les sujets où les dés- ordres psychiques sont isolés et indépendants de toute espèce de lésions somatiques. Il a principalement analysé ce liquide dans les cas de folie qui existait conjointement avec la tuberculisation, les affections organiques du cœur ou du foie, la pneumonie, la dyssenterie, le typhus, le cancer, l’albu- minurie et autres maladies intercurrentes ; de sorte que son travail, très- remarquable et très-précieux au point de vue de l’anatomie pathologique, (1) De la congestion cérébrale chez les ALIÉNÉS. — 1829. (2) BEMERKUNGEN UEBER DAS BLUTGEFASSSYSTEM BEI IRREN (NOTE SUR LE SYSTÈME CIRCULATOIRE CHEZ LES ALIÉNÉS). — 1830. (3) Dissert, de psychica sanguinis dignitate. — Berol, 1830. (4) Dissert, de sanguinis congesti vi in Vesania. — Bonn, 1832. (5) An verschiedenkn Stellen Seines Handbuciis der allgem. Pathologie DER PSYCHISCHEN KRANKHEITEN (MANUEL DE LA PATHOLOGIE GÉNÉRALE DES MALA- DIES PSYCHIQUES). (6) Dissert, de sanguine maniacorum. — 1846. (7) UEBER DAS Bl.UT DER IRREN (ARCHIV. FUR PIIYSIOLOGISCHE HëILKUNDE VON Roser und Wcnderlicu. — Stuttgart, 1846. — Drilles Ileft und Supplemenl- Heft. Seite, 436-684). 5 est d’un faible secours relativement à la question dont il s’agit, puisqu’il tend à laisser ignorer l’influence que la folie, maladie qui peut exister et qui existe souvent sans aucun désordre matériel appréciable dans les solides, exerce par elle-même sur l’état du sang ; puisqu’il ne permet point de dis- tinguer si les modifications éprouvées par ce liquide sont la cause ou l’effet dn trouble psychique, ou si elles sont la conséquence de la lésion soma- tique, le symptôme d’une maladie intercurrente. En France, à l’exception des recherches faites par MM. Andral et Gavar- ret dans un cas de tic douloureux de la face (1), par MM. Becquerel et Ro- dier dans un cas d’éclampsie (2), par M. Émile Marchand (de Sainte-Foy) dans quelques cas d’hystérie (3), on ne possède aucun travail détaillé sur l’analyse chimique du sang dans les névroses. Voici le tableau des sept analyses du sang faites par M. Ilittorf, dans l’é- tablissement des aliénés de Siegburg, chez des individus affectés de manie aiguë. i G T3 ZZ O CG co ï> G73 £ « SS 0 -G « s-ë gi'.ÏB' 0 c K5 a> co 5 g’DBr £ « £5 0 0 CJ O G <ü G G •a? te r~) -oj te *-* te É3 SB te <-3 <0 ‘«3 Eau. 794,559 803,884 805,701 803,345 788,999 779,093 751,995 Fibrine- 2,083 1,932 3,173 1,929 1,396 1,87 1,455 Globules. 109,191 116,967 119,576 112,010 118,199 137,898 130,808 Albumine. 83,913 68,590 65,099 74,324 79,577 73,353 75,042 Matière extractive et sels solubles. 7,786 7,980 6,075 6,114 8,603 7,432 10,106 Matières grasses. 2,468 0,647 0,376 2,278 3,226 0,354 0,594 ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. De ces sept analyses, l’auteur a tiré les inductions suivantes : lu Dans la manie aiguë, le sang ne subit pas un changement de propor- tion aussi considérable qu’on pourrait l’admettre à priori. 2° Le sang offre une diminution du chiffre des globules et une augmen- tation du chiffre de l’eau. (1) Recherches sur les variations de proportion de quelques principes du sang (Ann. de phys. et de chimie, t. LXXV, 2e série, p. 233). (2) Recherches sur la composition du sang dans l’état de santé et de ma- ladie (Gaz. Méd. de Paris, 1844, n° 51, p. 815). (3) Yoy. une lettre de cet auteur insérée dans la Gazette des hôpitaux, nu- méro du 6 mars 1847. 6 3“ La manie n’est point la cause de l’altération de proportion de ces principes du sang. Cette altération dépend de la constitution des sujets. !\° Cette forme de la folie n’existe jamais conjointement avec une phleg- masie aiguë. 5° Il existe une différence entre le sang des maniaques du sexe féminin et celui des maniaques du sexe masculin. Voici les trois analyses du sang faites par M. Erlenmeyer, dans l’établis- sement des aliénés de Prague, chez des individus où la manie se joignit, dans deux cas, à l’épilepsie. Obs. I. — Franz L.. , âgé de 66 ans, fortement constitué, pléthorique et bien nourri, a eu plusieurs fois des épistaxis. Trois ans avant son entrée dans l’éta- blissement, la perte de plusieurs mille florins lui occasionna quelques accès de mélancolie. Depuis lors ces accès revinrent tous les trois ou quatre mois, et se changèrent ensuite en violente excitation maniaque. Enfin il survint une soif inextinguible, de la diarrhée, de la toux accompagnée de crachais muqueux, et le malade mourut deux mois après sou entrée dans l’établissement des aliénés. L’autopsie révéla les lésions suivantes : visage couvert de taches d’un rouge brun. A la partie latérale inférieure de la hanche gauche, il existe une tumeur de la grosseur du poing, fluctuante et ayant à son centre une tache rouge foncé du diamètre d’une fève. Dure-mère adhérant sur tous les points à la voûte du crâne ; face interne de cette membrane offrant des extravations sanguines dont la superficie, d’une couleur rouillée, est organisée en membrane. Arach- noïde présentant à la partie antérieure et à la base des hémisphères de légères extravasations de sang organisées en membranes sur l’hémisphère gauche. Pie- mère assez pourvue de sang. Mollesse des circonvolutions. Ventricules latéraux dilatés du double, et contenant chacun 3 drachmes d’un sérum clair. Extravasa- tions sanguines dans la fosse antérieure et moyenne du crâne, surtout à gauche. Léger emphysème des poumons. Le lobe inférieur, principalement à gauche, un peu turgescent, gris rouge, avec un œdème spumeux. Hépatisation rouge sur un grand nombre de points, en arrière. Surface des reins atrophiée et granu- leuse, etc., etc. Une saignée fut pratiquée quelques jours avant la mort. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 798,937 Fibrine 1,853 Globules 114,126 Albumine 73,635 Sels et matières extractives. . . . 10,820 Matières grasses 0,629 7 Obs. II. — Charles G..., âgé de 22 ans, garçon tisserand, eut son grand-père du côté maternel qui mourut aliéné, une tante du même côté sujette à l’épilep- sie, et d’autres parents qui, en bas âge, succombèrent aux convulsions. A14 ans, il fut pris lui-même d’épilepsie. Depuis 1843, les paroxysmes de cette névrose sont toujours associés à une violente exaltation maniaque, qui tantôt les précède et qui tantôt les suit. Du reste, ce malade est bien nourri et d’une constitution robuste. Une saignée de 2 onces fut pratiquée au milieu d’un de ces accès d’exaltation maniaque. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 815,747 Fibrine 2,301 Globules 105,596 Albumine 65,830 Sels et matière extractive 9,811 Matières grasses 0,715 Obs. III.—Franz P..., garçon cordonnier, est âgé de 34 ans. A l’âge de 16 ans, à la suite de coups que son maître lui appliqua sur la tête, il eut des attaques d’épilepsie qui avaient lieu tous les quinze jours, dans la nuit, et qui finirent par être plus rapprochées et par déterminer du désordre dans les idées. Depuis qu’il est dans l’établissement, les paroxysmes ne se manifestent que trois fois par an ; mais l’exaltation maniaque est beaucoup plus intense, et se pro- longe plusieurs jours au delà de chaque accès. Ce malade est trapu, coloré ; il a les yeux bleus et les cheveux noirs. Une saignée de 2 onces fut pratiquée au milieu d’un paroxysme d’excitation maniaque. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 803,242 Fibrine 1,721 Globules 118,544 Albumine. 67,325 Matières extractives et sels .... 8,530 Matières grasses 0,638 De ces trois analyses et de plusieurs autres qu’il ne cite pas, M. Erlen- meyer tire les conclusions qui suivent : « La crase veneuse (augmentation de la quantité des globules) est très- rare chez les aliénés. « Elle a principalement lieu dans l’idiotie et dans le delirium tremens. « La crase fibrineuse (augmentation du chiffre de la fibrine) est égale- 8 ment très-rare dans la folie pure, c’est-à-dire dégagée de toute complica- tion susceptible de modifier les proportions de ce principe du sang. » Des deux espèces de crase séreuse (abaissement de la quantité des glo- bules et élévation de la proportion du sérum), l’une avec augmentation de la masse du sang, qui dispose à l’exsudation de la sérosité par les reins et les membranes séreuses ; l’autre avec diminution de cette masse, et dont le degré le plus élevé constitue la chlorose, de ces deux espèces de crase sé- reuse, la seconde, mais à un degré inférieur à celui de la chlorose, est celle qui est la plus commune chez les aliénés. Elle s’y manifeste par un pouls fréquent et débile, des bruits de souffle dans les artères, une diminution de quantité des substances solides de l’urine ; et elle s’y combine, dans la plu- part des cas, avec la pléthore cérébrale qui, lorsqu’elle est combattue par les émissions sanguines, engendre une asthénie considérable. » Cette seconde forme de crase séreuse a principalement lieu dans la ma- nie et la monomanie, et elle devient quelquefois la cause de l’aliénation. » Chez le malade affecté d’un tic douloureux de la face, MM. Andral et Ga- varrel ne trouvèrent dans le sang autre chose qu’une légère augmentation de la quantité des globules (lâ7, 9). Dans le cas d’éclampsie, dont il a été question, MM. Becquerel et Rodier rencontrèrent dans le sang une diminution considérable des globules (70) et une diminution également très-forte de l’albumine (à3). Selon M. Emile Marchand, les maladies nerveuses dépendent en général de la diminution des globules du sang, ou du moins coïncident toujours avec elle. Cette dimunition produit l'hystérie chez la femme et l'hypocon- drie chez l’homme. L’augmentation des globules (1Z|0, 150, 170 pour mille) émousse la sensibilité nerveuse et conduit à Vapathie (1). Ici se termine l’exposé historique que j’ai placé en tête de ce travail, afin de faciliter au lecteur la comparaison de mes recherches avec celles des au- teurs qui se sont occupés de la même matière. Maintenant je me propose de faire connaître les résultats auxquels m’ont conduit mes expériences personnelles à propos des changements de propor- tion que peuvent subir quelques principes du sang : l’eau, la fibrine, les globules et les matériaux solides du sérum, dans les principales névroses de l’intelligence, du sentiment et du mouvement. Je vais tâcher de vérifier ce (1) Le travail où M. Émile Marchand consigne ces résultats n’a point encore été publié. Tout ce qu’on en sait se réduit à quelques assertions vagues et dé- nuées de toute espèce de démonstration scientifique. 9 qui a déjà été effectué à cet égard, et m’efforcer de remplir les nombreuses lacunes laissées par les auteurs dont j’ai parlé plus haut. Mais avant de signaler les variations de proportion de ces principes du sang dans les névroses, il est nécessaire de bien s’entendre sur la composi- tion de ce liquide à l’état physiologique. Or, selon M. Andral, chez l’individu sain, sur 1,000 parties de sang, la fibrine a 3 pour chiffre moyen, ‘2,5 pour minimum, et 3, 5 pour maximum. La limite inférieure pourrait même descendre jusqu’à 2, et la limite supé- rieure s’élever jusqu’à h, mais cela très-rarement et sous l’influence de l’i- diosyncrasie. Le chiffre moyen de la fibrine est 2, 5, suivant M. Nasse; 2, 7, suivant M. Denis; 2, 9, suivant M. Lecanu ; 2, 2, suivant MM. Becque- rel et Rodier. D’après MM. Andral et Gavarret, les globules ont pour chiffre moyen 127, pour minimum 110, et pour maximum lZiO. Toutefois cette dernière limite serait déjà liée à l’état pléthorique. Suivant MM. Becquerel et Rodier, il y a une différence entre les globules de la femme et les gïobules de l’homme. Chez la femme, le chiffre moyen de ce principe du sang est 127, le maximum 137, le minimum 113; chez l’homme, le chiffre moyen est 141, le maximum 151, le minimum 131. Mais mes analyses me portent à adopter à cet égard les chiffres de MM. Andral et Gavarret de préférence à ceux de MM. Becquerel et Rodier ; à croire que ces deux derniers auteurs ont pris des individus pléthoriques pour des sujets bien portants, car chez un aliéné où il existait une congestion cérébrale très-évidente, et à un de- gré assez élevé, puisqu’elle se traduisait par une hémiplégie, chez cet alié- né, dis-je, j’ai trouvé 1Ù8 en globules. Enfin, toujours à l’état physiologique et d’après les expériences de MM. Andral et Gavarret, le chiffre moyen de l’eau est 790, et celui des ma- tériaux solides du sérum 80, dont 72 pour l’albumine et 8 pour les parties inorganiques. Afin de s’approcher autant que possible de la vérité dans une analyse quelconque du sang à l’état maladif, il faut tenir compte de certaines con- ditions physiologiques et de quelques circonstances purement accidentelles qui modifient les proportions des éléments de ce liquide, sans quoi on cour- rait le risque d’attribuer à la maladie les changements qui dépendent de ces conditions et de ces circonstances. Les influences de cette sorte, qui ten- dent toujours à écarter les chifï'res de leur moyenne, à les élever vers leur maximum, ou à les abaisser vers leur minimum, sont : 1° le tempérament, 2° la constitution, 3° l’âge, U° le sexe, 5° l’alimentation, 6° les évacuations 10 sanguines spontanées ou artificielles, 7° l’état des sécrétions cutanée, in- testinale et pulmonaire. 1° Selon M. Lecanu, le tempérament lymphatique a pour effet de dimi- nuer la quantité des globules, et, par contre, le tempérament sanguin tend à élever le chiffre de ce principe du sang. Quant au tempérament nerveux, il aurait sur les globules la même influence que le tempérament lymphati- que, mais non d’une manière constante et nécessaire ; 2° Suivant M. Andral, la force de la constitution est la condition de l’éco- nomie qui contribue le plus à élever les globules vers leur maximum, tan- dis que la faiblesse congénitale ou acquise les abaisse vers leur minimum. D’après MM. Becquerel et Rodier, qui adoptent en partie ces opinions, la faiblesse de la constitution diminue aussi la quantité de l’albumine, beau- coup moins cependant qu’elle n’abaisse la quantité des globules. 3° M. Denis admet que les globules diminuent après la quarantième an- née. Pour MM. Becquerel et Rodier, à partir de cinquante jusqu’à soixante- six ans, les proportions des principes du sang diffèrent très-peu de celles qui existent dans l’âge mûr. Toutefois la fibrine serait un peu diminuée. La moyenne qui la représente ne serait plus que de 2. Zi° M. Lecanu a établi le premier que les globules sont chez la femme en quantité moindre que chez l’homme. Son opinion s’accorde donc avec celle de MM. Becquerel et Rodier. Cependant je dois répéter que ces deux der- niers auteurs ont exagéré en plus, chez l’homme, la moyenne, le maximum et le minimum des globules ; qu’adopter leurs chiffres sans une réduction assez grande, ce serait commettre une erreur grave, ce serait prendre l’état morbide pour l’état physiologique. 5° La diète, la diminution des aliments, un trouble quelconque de la chy- mification, ont pour effet d’abaisser notablement la proportion des globules et un peu seulement celle des autres principes en général, et en particu- lier de l’albumine. Par contre, l’analogie porte à conclure qu’une alimenta- tion trop abondante et qu’une grande activité de digestion et d’assimilation doivent modifier les globules et les autres éléments, suivant un rapport iden- tique, mais dans le sens opposé. 6° Les écoulements sanguins artificiels diminuent toujours la quantité des globules, et à un degré beaucoup moindre les proportions de la fibrine et de l’albumine. Ils abaissent d’autant pins les chiffres de ces principes du sang qu’ils sont plus nombreux et plus rapprochés les uns des autres. Ce- pendant il est à remarquer, d’après les analyses de MM. Andral etGavarret, que d’une première saignée à une seconde ou à une troisième, les globules 11 ne diminuent pas dans la même proportion chez tous les individus ; qu’il y a à cet égard de très-grandes différences individuelles. Les mélrorrhagiès ou toute autre espèce d’écoulement sanguin spontané agissent de la même manière que les émissions sanguines. 7° Enfin une perspiration, une transpiration, une expectoration, des selles trop abondantes tendent aussi à abaisser la proportion des globules. Il va sans dire que dans toutes ces conditions de l’économie le chiffre de l’eau est d’autant plus élevé que les autres principes du sang sont en quan- tité moindre. La plus grande partie de nos recherches ont été faites, pour ce qui con- cerne la folie et l’épilepsie, à Bicêtre, dans les services de MM. Leuret, Voi- sin, Moreau, Delasiauve, ces maîtres et confrères auxquels je ne peux payer ici qu’un faible tribut de reconnaissance, mais dont je n’oublierai jamais l’extrême bienveillance et le rare empressement qu’ils ont mis à me fournir les matériaux de ce travail. D’autres expériences ont eu lieu sur du sang de malades appartenant à un établissement particulier de Paris, où l’on reçoit principalement des aliénés et des individus atteints d’affections nerveuses. Pour extraire les principes du sang, que je cherchais à obtenir, voici la méthode à laquelle j’ai eu recours. Immédiatement après la saignée et pendant que le sang était encore li- quide, je le partageais en deux parties égales de la manière suivante. Dans un des vases destinés à le recevoir, je versais le premier et le quatrième quart de la saignée, et dans l’autre le deuxième et le troisième quart. Ces vases étaient exactement remplis et bouchés à l’émeri, afin que durant le trajet de l’hôpital au laboratoire le mouvement ne pût séparer quelques filaments de fibrine et l’évaporation enlever une portion de l’élément aqueux. La première partie de la saignée fut pesée dans une capsule de porcelaine immédiatement au sortir du vase clos destiné à transporter le sang du lieu où il était recueilli à celui où il était analysé. Desséchée dans une étuve, elle fut pesée de nouveau. La différence qui existait entre les deux pesées repré- sentait la quantité de l’eau. La seconde partie de la saignée fut abandonnée à sa coagulation spontanée. Le sérum fut soigneusement séparé du caillot à l’aide d’une pipette, desséché au bain-marie et mis en réserve. Quant au caillot dépouillé de sérum, il fut placé dans un nouet de toile fine, à mailles très-serrées, et malaxé dans soixante-dix fois son poids d’eau distillée. Après la malaxation, on trouve dans le nouet la fibrine. Celle-ci fut lavée, desséchée et pesée. L’eau de lavage du caillot fut à son tour portée et main- 12 lenue à la température de C8 à 73 degrés, jusqu’à ce qu’elle fût complète- ment décolorée. Quand il en est ainsi, quand elle a perdu entièrement sa couleur îouge, quand des grumeaux flottent au milieu du liquide devenu grisâtre, les globules sont coagulés (1). La liqueur fut versée sur un filtre qui laissait passer l’eau et qui retenait les globules. Ceux-ci furent dessé- chés, puis pesés. Enfin l’eau dans laquelle ces globules étaient suspendus, et qui renfermait les parties séreuses du caillot, fut elle-même évaporée jusqu’à siccité, et le résidu qu’elle fournit, ajouté au résidu de l’évapora- tion du sérum, Représentait toutes les matières fixes de ce liquide. En les traitant par l’eau bouillante, elles furent débarrassées des sels solubles et des matières extractives, et il resta, après l’évaporation complète de l’eau, les matériaux organiques qui furent desséchés et pesés. Afin de ne pas charbonner le sérum, il faut le dessécher à un feu très- doux ; il est complètement desséché quand il se fendille, et forme des por- tions arrondies, des grains, ayant la couleur de l’ambre, grains qu’on pul- vérise avec soin avant d’en prendre le poids. Tous les principes du sang, réduits à l'état de dessèchement, doivent être pesés quand ils sortent de l’étuve, sans quoi on s’exposerait à des er- reurs ; car en se refroidissant ils absorbent l’humidité de l’air. Enfin, pour me conformer à la coutume, j’ai rapporté, à l’aide d’un léger calcul, à 1,000 parties toutes les portions de sang analysé dans une même saignée. Ce procédé, qui est à peu de choses près celui de M. Denis, fournit toutes les valeurs pondérales des principes que je cherchais à extraire du sang. D’ailleurs, au milieu des circonstances particulières où je me trouvais placé, c’était presque le seul qu’il me fût possible de mettre en usage. Toutefois, pour éviter un reproche qu’on a fait avec raison à M. Denis, pour ne pas m’exposer à obtenir un chiffre trop bas en fibrine, j’ai eu la précaution de malaxer le caillot dans un nouet de linge à mailles très-serrées, conséquem- ment qui retenait bien toutes les parcelles de la fibrine. (1) Le caillot, quoi qu’on fasse pour le dégager du sérum, en renferme tou- jours une certaine quantité parmi ses mailles. Or des expériences ont démontré à M. Denis que lorsque l’albumine se trouve associée aux globules dans la pro- portion d’une partie du premier principe contre 12 parties du second, les glo- bules se coagulent en n’entraînant qu’une quantité extrêmement faible d’albu- mine ; de sorte que, en délayant dans 70 fois son poids d’eau le caillot débarrassé autant que possible du sérum, et chauffant la liqueur jusqu’à 70 degrés, il est facile d’obtenir les globules presque à l’état de pureté. 13 Les recherches auxquelles je vais me livrer ont pour but deux ordres de considérations : 1° Des faits exclusivement chimiques ; 2° Des inductions relatives à la physiologie pathologique et au traitement des névroses. DÉSORDRES SIMPLES OIJ COMPLEXES DE L’INTELLIGENCE. Nos analyses ont porté sur des malades appartenant à chacune des sub- divisions suivantes : 1° La démence accompagnée de paralysie générale ; 2° La manie ; 3° La monomanie; U° La démence aiguë ou la stupidité ; 5° Le delirium tremens ; 6° L’idiotie ou l’imbécillité. 1° DE LA DÉMENCE ACCOMPAGNÉE DE PARALYSIE GÉNÉRALE. Aucune analyse chimique du sang n’a encore été faite, soit en France, soit en Allemagne, soit en Angleterre, chez des individus atteints de cette forme de la folie, dont il est bon de rappeler ici la division des principaux symptômes. Dans la première période, il y a monomanie ambitieuse ou orgueilleuse au moins dans la moitié des cas. Les malades prétendent qu’ils sont riches, puissants, élevés en dignités, couverts de distinctions et de titres honorifi- ques, comblés d’une foule d’autres avantages personnels. Leur figure est en général rouge et épanouie ; elle traduit la satisfaction et le bonheur que leur font éprouver leurs prétendues richesses ou grandeurs. En même temps il y a très-souvent diminution de la sensibilité tactile ou anesthésie com- plète, presque toujours affaiblissement des facultés intellectuelles, et alté- ration des mouvements d’une manière constante. L’affaiblissement des facultés intellectuelles porte sur l’attention, qui se fixe difficilement, sur le jugement, qui n’embrasse qu’un petit nombre de termes, enfin, et princi- palement, sur la mémoire. Le souvenir des choses ou des idées anciennes survit en partie ; mais celui des idées et des choses récentes ou actuelles est nul ou à peu près. L’altération des mouvements commence par un certain tremblement des lèvres, par un embarras de la parole, qui se manifeste par un peu de lenteur, d’hésitation ou de bégayement dans la prononciation de certains mots, par la vacillation de la langue. Ce désordre de la phonation, quelquefois fort difficile à reconnaître au début, est suivi d’une légère dif- ficulté dans la marche, difficulté que l’on ne peut guère apprécier que quand on soupçonne la maladie d’ou elle provient, et qui se traduit par un peu de roideur dans les membres, par quelques faux pas, par un peu de déviation de la ligne droite. Toutefois ce dernier symptôme manque assez souvent, surtout quand il existe de l’exaltation. Enfin, vers les derniers temps de celte période, la paralysie gagne les extrémités supérieures. Les doigts perdent de leur force et de leur souplesse. Les malades emploient un temps considérable à boutonner leurs vêtements, et souvent même ils sont incapables d’y parvenir. Dans la seconde période, la monomanie orgueilleuse et ambitieuse per- siste ; elle s’accompagne d’un état d’agitation maniaque qui varie depuis la simple loquacité jusqu’à la fureur la plus complète. En même temps l’inco- hérence des idées commence à se généraliser. Les malades ne font plus at- tention à ce qui se passe autour d’eux ; ils ne répondent plus aux questions qu’on leur adresse, ou ils font des réponses remplies d’extravagance. L’em- barras de la langue et la difficulté du mouvement des membres augmentent. Souvent, au contraire, l’anesthésie diminue ou cesse tout à fait. Enfin la troisième période est en général caractérisée par la démence complète. L’entendement ne conserve qu’un très-petit nombre d’idées va- gues et sans suite. Souvent la monomanie orgueilleuse ou ambitieuse dis- paraît. Le calme remplace l’agitation. La parole devient très-difficile et quelquefois inintelligible. La marche est extrêmement chancelante, ou elle est impossible ainsi que la station. Les excrétions sont involontaires, et le pharynx participe à la paralysie. Du reste, dans les trois périodes, sauf de très-rares exceptions, le pouls est naturel. Les fonctions nutritives ne présentent aucune altération. Les malades conservent de l’embonpoint, leur appétit est vorace ; et en général, loin de diminuer avec les progrès de la maladie, la gloutonnerie et l’em- bonpoint augmentent en raison directe de l’acheminement vers la mort. Première période. LÉGÈRE DÉMENCE ; ABSENCE DE MONOMANIE AMBITIEUSE ; PARALYSIE GÉNÉRALE IN- COMPLÈTE; CHIFFRE NORMAL DES GLOBULES, DES MATÉRIAUX SOLIDES DU SÉ- RUM, ETC., ETC. Ors. I. — Fuet, ancien huissier, âgé de 42 ans, d’une constitution moyenne et d’un tempérament sanguin, est entré à Bicêtre le 3 mai 1847. 15 Il a la prononciation embarrassée, il hésite en articulant certains mots, il ne peut tirer sa langue sans qu’elle vacille. Il se tient debout et il marche encore, mais il a les extrémités inférieures mal assurées, il les fait mouvoir avec plus de lenteur. Parfois même il lui arrive de tomber quand il veut hâter le pas. Il éprouve de la difficulté à se servir de ses extrémités supérieures ; il s’habille et se déshabille seul avec quelque peine ; il a beaucoup de tremblement dans les doigts lorsqu’il boutonne ses vêtements, etc. Les sphincters de l’anus et de la vessie exécutent leurs fonctions. Cet individu est sans agitation et exempt de toute espèce de conceptions déli- rantes : il ne possède ni titre, ni dignité, ni fortune. Il répond d’une manière juste et nette aux questions qu’on lui adresse. Il assure que sa mémoire s’all'ai- blit de jour en jour ; cependant il se souvient des choses qui lui sont survenues récemment aussi bien que de celles qui ont une date plus reculée. N’était un faible degré de démence, une certaine paresse, une absence de prime saut dans l’intelligence, ce malade pourrait être regardé comme non aliéné. Avant d’entrer à Bicêtre, il avait une nourriture suffisamment réparatrice ; mais son appétit est médiocre. Apyrexie habituelle. Une saignée de 200 grammes est pratiquée à ce malade le 5 mai. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 783,67 Globules 125,02 Fibrine 2,56 Matières solides du sérum 88,75 CAUSE INCONNUE; LÉGER AFFAIBLISSEMENT DE LA MÉMOIRE; MONOMANIE AMBITIEUSE; PARALYSIE GÉNÉRALE INCOMPLÈTE ; ABSENCE D’EXCRÉTIONS INVOLONTAIRES ; PRO- PORTIONS DES PRINCIPES DU SANG NE S’ÉCARTANT PAS DES LIMITES PHYSIOLO- GIQUES. Obs. II. — M. R..., négociant, a il ans. Il est doué d’une forte constitution ; il compte un aliéné dans sa famille, un cousin germain du côté paternel. Il n’a jamais fait d’excès d’aucune espèce ; il n’a point eu occasion d’être en butte à des contrariétés prolongées, à des chagrins violents. Il y a six mois, il présenta un léger embarras dans la parole ; il faisait plus d’efforts pour articuler ses mots et il les prononçait avec plus de lenteur et moins de netteté. En même temps il offrit un désordre partiel de l’intelligence : il prétendit être possesseur d’une fortune immense, notamment des plus fortes maisons commerciales de Paris, et avoir assez d’or pour être à même d’acheter cette capitale. Aujourd’hui (18 mai 1846), M. R... présente la même aberration d’esprit. Néanmoins la mémoire est presque exempte de toute lésion. L’embarras de la parole est plus prononcé ; il est accompagné de difficulté dans la marche. Le ma- 16 lade paraît avoir les extrémités inférieures un peu roides. Il se tient mal sur ses jambes, il les écarte; debout, il ne semble point complètement en équilibre, et pour peu qu’il veuille presser le pas, il vacille et s’éloigne de la ligue qu’il veut parcourir. Les extrémités supérieures ne sont point sensiblement soumises au désordre dont il s’agit. Du reste, les fonctions de la vessie et du rectum s’ac- complissent avec facilité. Ce malade a un appétit très-vif, et il le satisfait à l’aide d’une nourriture copieuse et succulente. La constitution n’est affaiblie par au- cun écoulement hémorrhoïdal ni par toute autre sorte d’excrétion abondante. Une saignée de 200 grammes a été pratiquée le 25 mai 1846. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 795 Globules 120,18 Fibrine 2,7 Matériaux solides du sérum 82,12 AFFAIBLISSEMENT DES FACULTÉS INTELLECTUELLES; ABSENCE DE MONOMANIE AMBI- TIEUSE PROPREMENT DITE, MAIS SENTIMENT DE SATISFACTION DE SOI-MÊME; PARA- LYSIE GÉNÉRALE INCOMPLÈTE ; APPÉTIT VORACE ; ABSENCE D’EXCRÉTIONS INVO- LONTAIRES; DIMINUTION DES GLOBULES ET DE LA FIBRINE; AUGMENTATION DE L’EAU ET DES MATÉRIAUX SOLIDES DU SÉRUM. Obs. III. — Françoise Q..., âgée de 45 ans, boulangère, mariée, sort d’une famille dans laquelle on ignore s’il y a eu des aliénés. Elle est d’une complexion assez forte et d’un tempérament sanguin. Vers le mois de juillet 1846, sans qu’on puisse apercevoir l’existence d’aucune cause, soit morale, soit physique, cette femme éprouve de l’affaiblissement dans la mémoire et un peu de difficulté dans la prononciation. Loin de diminuer ou de rester stationnaires, ces symptômes allèrent toujours en augmentant. Placée dans une maison particulière d’aliénés le 1er septembre, la malade of- fre l’état suivant : elle est lente à comprendre les questions qu’on lui adresse ; pour qu’elle les saisisse, il faut les lui répéter plusieurs fois. Elle ne présente point d’incohérence dans le discours, elle répond juste et sans aucune hésitation aux questions qui concernent son âge, son pays, sa profession, sa famille; mais elle perd presque totalement le souvenir des personnes et des choses qu’elle a vues à des époques récentes ; elle oublie surtout leur nom. Elle ne se rappelle ni depuis combien de mois elle est éloignée de sa famille, ni, le lendemain, la na- ture des aliments qu’elle a pris et le nombre des repas qu’elle a faits la veille. Elle n’a pas de monomanie orgueilleuse et ambitieuse ; elle ne possède pas de titres, de millions, de diamants; mais elle est dans un contentement et dans une satisfaction extrêmes ; elle sourit presque constamment ; elle se dit heureuse 17 d’être bien portante et d’être aimée de son mari et de ses enfants ; elle est assez calme ; elle ne parle que quand on l’interroge. Elle exprime ses idées avec embarras; elle a surtout de la difficulté à pronon- cer certains mots ; elle a des contractions dans les muscles labiaux et du che- vrotement dans la voix. Elle éprouve des tremblements dans les membres, qui cependant ne sont pas assez forts pour l’empêcher, soit de se servir de ses mains, soit de marcher; elle essaye même parfois de marcher très-vite, presque de courir, sans tomber ni trop vaciller. Les fonctions nutritives sont dans l’état d’intégrité. L’appétit est vorace. Les règles sont un peu plus abondantes depuis deux mois. Point de paralysie de la vessie et des intestins. Point d’autres hémorrhagies, point d’évacuations alvines ni de sueurs trop copieuses. On pratiqua une saignée de 648 grammes (14 onces) la veille de l’entrée de la malade en maison de santé. Le 5 septembre, cinq jours après, une seconde sai- gnée de 192 grammes fut pratiquée. C’est le sang de cette seconde saignée que j’ai analysé. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG- Eau 808 Globules 79,625 Fibrine 1,5 Matières iixes du sérum . . . 110,875 L’abaissement du chiffre des globules ne dépend ici ni de la constitution ni de l’alimentation, puisque la malade était assez robuste et qu’elle satis- faisait en partie son violent appétit. Il est en rapport avec le sexe. Il a aussi sa raison dans l’écoulement un peu trop abondant des règles, et dans la forte saignée antérieure, quoique pendant les cinq jours qui ont précédé l’émission sanguine, objet de notre analyse, le sang ait eu le temps de ré- parer un peu ses pertes. DÉMENCE; MONOMANIE AMBITIEUSE ; DIMINUTION DE LA SENSIBILITÉ TACTILE ; PARA- LYSIE GÉNÉRALE INCOMPLÈTE ; ABSENCE D’EXCRÉTIONS INVOLONTAIRES; AUGMEN- TATION ASSEZ CONSIDÉRABLE DES GLOBULES ; DIMINUTION DE LA FIBRINE. Obs. IV. — Roumanille (Jean), jardinier, a 40 ans, une constitution robuste, un tempérament bilioso-sanguin et un embonpoint notable. Il est à Bicêlre depuis le mois de mai 1847. Le 20 juillet, il oflre l’état suivant : il répond d’une manière juste aux ques- tions qu’on lui adresse relativement à ses noms et prénoms, à sa profession, au nom du mois courant, etc., etc.; mais il ne peut se rappeler son âge (il dit qu’il a 60 ans), ni indiquer l’année dans laquelle nous sommes, ni fixer à peu prés l’époque à laquelle il est entré à Bicêtre. Il a des conceptions délirantes relatives à la possession des dignités : il est colonel de la garde nationale de Paris, chevalier de la Légion d’honneur, etc. Embarras très-marqué de la prononciation ; marche et station difficiles; trem- blement des mains quand il s’agit de boutonner ses vêtements, et extrême len- teur à y parvenir; diminution de la sensibilité générale ; point d’excrétions in- volontaires ; apyrexie habituelle ; appétit normal. L’urine ne se trouble ni par la chaleur ni par l’addition de quelques gouttes d’acide nitrique. Une saignée de 300 grammes est pratiquée. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG- Eau 766,009 Globules 160,451 Fibrine 1,872 Matériaux solides du sérum . 71,668 Deuxième période. DÉMENCE ; LÉGÈRE AGITATION ; ABSENCE DE MONOMANIE AMBITIEUSE ; DIMINUTION DE LA SENSIBILITÉ TACTILE; PARALYSIE GÉNÉRALE INCOMPLÈTE; APPÉTIT VORACE; AT- TAQUE DE CONGESTION CÉRÉBRALE. — AUGMENTATION DES GLOBULES. Obs. I. — Lef..., ouvrier en nacre, est âgé de 39 ans. Il a une constitution moyenne et un tempérament bilioso-sanguin. Il est malade depuis peu de temps. Il est entré à Bicêtre le 19 juin 1847. Le 24, il offre l’état suivant : il ne peut indiquer ni le jour, ni le mois, ni l’an- née dans lesquels nous sommes; mais il répond sans hésitation et avec justesse aux questions qu’on lui adresse sur son âge, sa profession, sa famille. Il sait qu’il est à Bicêtre. Il demande avec instance à en sortir. Il pleure avec une très- grande facilité. II n’a pas de conceptions délirantes relatives à la fortune ou à la grandeur. Un peu d’agitation et de loquacité. Embarras très-marqué de la prononciation ; paralysie du mouvement à peine notable dans les extrémités supérieures et inférieures ; diminution assez consi- dérable de la sensibilité tactile; voracité; apyrexie (64 pulsations). L’urine ne se trouble pas par la chaleur ou l’addition de quelques gouttes d’acide nitrique. Une saignée de 300 grammes est pratiquée. Le 25, le malade est pris tout à coup d’une légère hémiplégie à gauche. Une seconde saignée de 400 grammes est pratiquée. Le 26, l’hémiplégie avait totalement disparu. Le sang de la première saignée a été seul examiné. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 770,879 Globules >..... 155 Fibrine 2,476 Matériaux solides du sérum 71,645 18 L’augmentaüon des globules est, dans ce cas, en rapport avec la vigueur de l’âge, la nature du tempérament et l’intensité de l’appétit. Elle justifie pleinement d’ailleurs l’opinion de M. Andral, qui la regarde comme une des causes de la congestion cérébrale. AFFAIBLISSEMENT DES FACULTÉS INTELLECTUELLES ; CONTENTEMENT ET SATISFACTION DE SOI-MÊME ; DIMINUTION DE LA SENSIBILITÉ TACTILE ; PARALYSIE GÉNÉRALE IN- COMPLÈTE DU MOUVEMENT; ATTAQUE DE CONGESTION CÉRÉBRALE.— AUGMENTATION DES GLOBULES. Obs. II. — Antoine Holland, cocher de fiacre, âgé de 36 ans, est à Bicêtre depuis dix-huit mois. Il a une forte constitution et un tempérament sanguin. Le 15 mai 1847, embarras très-prononcé de la parole. La station est possible, mais les extrémités inférieures vacillent pendant la marche. Les mains éprou- vent un tremblement continuel ; le malade les occupe sans cesse à boutonner ses habits sans pouvoir y parvenir. Les sphincters de l’anus et de la vessie n’ont rien perdu de leur contractilité ; diminution de la sensibilité tactile. Holland a la mémoire très-affaiblie : il se rappelle son nom, celui de son pays ; il sait même qu’il est à Bicêtre, mais il ne peut pas dire quel est son âge, à quelle époque il est entré à l’hospice, etc., etc. Il paraît content de lui-même, il sourit sans cesse ; il trouve belles ses mains calleuses, et magnifiques ses vête- ments d’hôpital. Toutefois, il n’a à proprement parler aucune idée de fortune ou de grandeur. Il mange sans voracité bien notable. Le 16, ce malade éprouve presque tout à coup une attaque de congestion cé- rébrale : le visage devient rouge violacé, la station et la marche sont impossi- bles, etc., etc. ; apyrexie. Une saignée de quatre palettes est pratiquée pendant la durée de cette at- taque. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 769 Globules 148,6 Fibrine 2,62 Matériaux solides du sérum 79,78 L’augmentation du chiffre des globules coïncide encore ici avec l’exis- tence d’une congestion cérébrale. Elle s’explique du reste par l’âge du ma- lade, la nature de son tempérament et la force de sa constitution. DÉMENCE ; MONOMANIE AMBITIEUSE ; SENSIBILITÉ TACTILE JOUISSANT DE TOUTE SON INTÉGRITÉ; PARALYSIE GÉNÉRALE INCOMPLÈTE DU MOUVEMENT; ATTAQUE DE CON- GESTION CÉRÉBRALE. — AUGMENTATION DES GLOBULES; DIMINUTION DE L’ALBU- MINE. Obs. III. — Gr..., marchand de parapluies, est âgé de 37 ans. Il a une consti- 19 tution moyenne, les cheveux et les yeux noirs, le teint cuivré, peu d’embonpoint, l’humeur irritable. 11 est à Bicêtre depuis le commencement d’avril 1847. Actuellement (1er juillet), il offre l’état suivant : il se rappelle assez exactement la nature des aliments qu’il a pris la veille; il sait le mois et l’année dans les- quels nous sommes ; mais il est incapable de nommer le quantième et le jour. Il a des châteaux à Paris, à Vitry-le-Français, à Aurillac, etc. Les Tuileries lui appartiennent; elles sont en or et couvertes de pierreries. Il prétend que Napo- léon est revenu de Sainte-Hélène, qu’il est aux Tuileries, etc. Embarras très-marqué de la prononciation; tremblement des extrémités su- périeures; marche et station indécises; parfois quelques secousses convulsives du tronc. L’urine et les fèces sont expulsées volontairement. Le 2, le malade tombe plusieurs fois. Il conserve la connaissance, mais la sensibilité et la motilité sont notablement diminuées dans tout le côté droit du corps. Le visage est rouge et la prononciation plus gênée qu’à l’ordinaire. On lui lire 500 grammes de sang par une saignée générale, et 200 grammes à l’aide de ventouses scarifiées appliquées à la nuque. *Le 3, l’hémiplégie a complètement disparu. La sensibilité tactile jouit de toute son intégrité dans les deux portions du corps. Pouls assez mou, 72 battements par minute. Une seconde saignée de 100 grammes est pratiquée. Les urines ne se troublent ni par la chaleur ni par l’acide azotique. Le sang de la seconde saignée a été seul examiné. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 800,412 Globules 138,803 Fibrine 3,254 20 organiques . . 48,341 inorganiques . 9,13 Matériaux solides du sérum . Le chiffre 138 ire représente point ici exactement la quantité des glo- bules. Il est évidemment inférieur de beaucoup à ce qu’il aurait été sans la circonstance d’une première émission sanguine très-copieuse (700 grammes) pratiquée vingt-quatre heures avant la seconde, la seule qui ait été l'objet de notre analyse. Par cette même raison, le chiffre de l’albumine est peut- être un peu trop bas. Néanmoins, abstraction faite de cette circonstance, la diminution assez notable de ce dernier principe du sang ne dépend égale- ment point ici de sa perte par les urines, puisque celles-ci n’en renferment aucun vestige. Du reste, il n’y a ni œdème ni anasarque. Enfin l’attaque de congestion cérébrale coïncide, non pas avec la diminution de la fibrine, mais avec l’augmentation des globules. 21 DÉMENCE ; PARALYSIE GÉNÉRALE DU MOUVEMENT ET DU SENTIMENT; LÉGER DEGRÉ DE MONOMANIE ORGUEILLEUSE ET AMBITIEUSE ; APPÉTIT VORACE ; PARFOIS EXCRÉTIONS INVOLONTAIRES ; DIMINUTION ASSEZ FAIBLE DES GLOBULES ET ABAISSEMENT CONSI- DÉRABLE DE L’ALBUMINE. Obs. IV. — Cof..., âgé de 37 ans, bijoutier, est à Bicêtre depuis dix-huit mois. Il a une bonne constitution, les yeux bleus, les cheveux roux, le teint coloré, les membres forts, et passablement d’embonpoint. Tremblement continuel des lèvres; embarras très-prononcé delà parole; dé- marche chancelante; un peu de vacillation dans les mains; parfois excrétions involontaires; diminution notable de la sensibilité tactile. Faim dévorante ; alin de la satisfaire, le malade vole la nourriture de ses voisins. Affaiblissement de la mémoire ; nul souvenir des choses survenues récem- ment ; aucun délire bien marqué. Il répond toujours qu’il se porte bien, qu’il a fait des économies, qu’il avait de beaux habits, que sa sœur est mariée à un homme riche. Le 25 mai 1847, contre l’ordinaire, la face est rouge et animée. Pouls assez plein ; point de chaleur à la peau ; 76 pulsations par minute. Les urines ne se troublent ni par la chaleur ni par l’addition de quelques gouttes d’acide azo- tique. Une saignée de 100 grammes est pratiquée. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 840,1 Globules 108,97 Fibrine 3,653 Matériaux solides du sérum organiques. . 40 ! inorganiques. 6,677 En dépit d’une forte constitution et d’un appétit vorace, les globules sont ici quelque peu au-dessous de leurs limites physiologiques. Or, loin de tendre à produire une décoloration des vaisseaux capillaires, cet abaisse- ment détermine au contraire la rougeur et l’apparence pléthorique de la peau du visage. Quant à l’albumine, sa diminution énorme semble encore être tout à fait spontanée ; car on ne découvre dans les urines aucune trace de ce principe du sang. Du reste, il y a absence d’infiltration séreuse dans les mailles du tissu cellulaire, dans le péritoine, le péricarde et les plèvres. 22 AFFAIBLISSEMENT DES FACULTÉS INTELLECTUELLES; ABSENCE DE MONOMANIE AMBI- TIEUSE ; PARALYSIE GÉNÉRALE DU MOUVEMENT ; DIMINUTION DE LA SENSIBILITÉ ; AUGMENTATION DES GLOBULES ; ABAISSEMENT DE LA FIBRINE ET DE L’ALBUMINE. Obs. V. — V..., cuisinier, âgé de 55 ans, a une constitution vigoureuse et un tempérament bilioso-sanguin. 11 est entré à Bicêtre en 1844. Aujourd’hui (14 juillet 1847) il a les facultés intellectuelles très-affaibUes ; il se rappelle son nom et son âge, mais il ne sait dans quel lieu il se trouve, dans quel mois et dans quelle année nous sommes. Il y a parfois de l’incohérence dans les idées. Absence de conceptions délirantes relatives à la fortune on à la gran- deur. Prononciation très-embarrassée. Le tremblement des muscles qui président à la phonation est tel que les paroles sont presque inintelligibles et parfois cessent d’être articulées. Les muscles du pharynx ne peuvent quelquefois plus pousser le bol alimentaire de la bouche dans l’œsophage ; et pour prévenir l’asphyxie il faut enlever alors à ce malade les aliments qui séjournent dans la cavité buccale. Station difficile ; démarche chancelante ; sensibilité générale diminuée ; appétit normal; apyrexie habituelle; point d’évacutions involontaires. Les urines ne renferment point d’albumine. Une saignée de 300 grammes est pratiquée. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 774,792 Globules 165,892 Fibrine 1,443 „ .. . ... . . < organiques . . . 47,543 Matériaux solides du sérum. i inorganiques . . 10,33 AFFAIBLISSEMENT DES FACULTÉS INTELLECTUELLES; PARALYSIE GÉNÉRALE; PARFOIS EXCRÉTIONS INVOLONTAIRES; ABSENCE DE MONOMANIE AMBITIEUSE; AGITATION; DIMINUTION CONSIDÉRABLE DE LA SENSIBILITÉ TACTILE; ALTERNATIVE DE SE- COUSSES SPASMODIQUES ET D’ATTAQUES DE CATALEPSIE; DIMINUTION CONSIDÉ- RABLE DES GLOBULES; AUGMENTATION DE L’EAU; LA FIBRINE ET LES MATÉRIAUX SOLIDES DU SÉRUM RESTENT DANS LEURS LIMITES NORMALES. Obs. VI. — Hénin, serrurier, âgé de 40 ans, est à Bicêtre depuis l’année 1843. Il a une constitution vigoureuse, assez d’embonpoint, les cheveux châtains, le visage coloré, les yeux noirs. Ce malade est aujourd’hui (10 mai 1847) dans l’état suivant : il éprouve un embarras très-notable dans la prononciation, de la gêne dans les mouvements opérés par les extrémités supérieures et inférieures ; il a la station peu sûre et la démarche chancelante. Cependant il se fait remarquer par une activité physi- que très-grande ; il parcourt presque sans cesse les salles, et s’occupe très-sou- vent à balayer les cours. Assez fréquemment, la nuit, il est agité, il se lève, il cherche à s’habiller, il crie, et l’on est obligé de l’attacher au fauteuil ou de lui mettre la camisole. Parfois le sphincter de l’anus est inapte à retenir les matières fécales. Diminution considérable et égale de la sensibilité dans les deux moitiés du corps ; on pince et on pique la peau presque sans que le malade s’en aper- çoive. Les facultés intellectuelles sont profondément altérées ; l’attention est amoin- drie ; la mémoire, qui s’exerce encore sur les faits remontant à une date an- cienne, est entièrement nulle quand on cherche à la lixer sur une idée dont l’existence est récente. Hénin répond juste aux questions qu’on lui adresse à propos de sou nom, de son âge, de son état, mais il ne sait pas dans quel lieu il se trouve ; il ne peut pas dire depuis combien de temps il est à Bicêtre ; il ignore combien il fait de repas par jour, et ne se rappelle point ce qu’il a mangé à cha- cun de ses repas. Il n’offre point de conceptions délirantes ; il n’a point d’idées fixes relatives à la fortune ou aux grandeurs. Il a un appétit passable ; mais depuis quelque temps il mange très-peu. Le 12 mai, pendant la visite, le malade est pris d’attaques convulsives; les mâchoires sont fortement serrées; les muscles du tronc sont agités de mouve- ments qui se renouvellent régulièrement toutes les secondes; le globe oculaire, porté en haut, ne laisse apercevoir qu'une légère portion de la pupille ; les mains sont fermées et les pouces cachés sous les doigts indicateur et médian; la bou- che n’est point déviée et ne laisse pas échapper d’écume; les bras et les doigts des mains gardent toutes les positions qu’on leur imprime. Le malade semble être insensible à l’influence de tous les objets qui l’entourent. Apyrexie; aucun bruit de souffle. Le visage n’a rien perdu de sa coloration habituelle. Une saignée de l00 grammes est pratiquée au milieu même d’une de c* attaques. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 879,02 Globules 32,847 Fibrine 2,99 Matériaux solides du sérum. . . . 83,143 L’abaissement énorme du chiffre des globules, le plus considérable que nous ayons encore rencontré, s’explique, du moins en partie, par l’alimen- tation insuffisante dont le malade a fait usage pendant un certain temps. Cet abaissement coïncide alternativement ici avec la manifestation de se- cousses convulsives et d’immobilité cataleptique. Du reste, un phénomène très-remarquable, déjà signalé par M. Andral, et qui prouve combien l’état 23 de la vascularisation capillaire est parfois insuffisant à révéler l’anémie la plus prononcée, c’est que, dans ce cas, le visage avait conservé toute sa coloration habituelle. DÉMENCE : PARALYSIE DU MOUVEMENT ET DU SENTIMENT ; ABSENCE DE MONOMANIE AMBITIEUSE ; TENDANCE PRONONCÉE A LA CONGESTION CÉRÉBRALE ; TRÈS-LÉGÈRE DIMINUTION DES GLOBULES ; ABAISSEMENT DE LA FIBRINE. Obs. VII. — Dardel, maçon, a 44 ans, une constitution vigoureuse, un tem- pérament sanguin et passablement d’embonpoint. Il est à Bicêtre depuis le mois de janvier 1847, et il a présenté plusieurs alter- natives d’amélioration et de rechute. Aujourd’hui (15 août 1847) il est dans l’état suivant : il répond avec peine et lenteur aux questions qu’on lui adresse ; il ne se rappelle ni son nom, ni son âge, ni sa profession ; il ne sait pas depuis combien de temps il est à Bicêtre ; aucun délire ambitieux bien évident ; tendance continuelle à l’assoupissement. Insensibilité complète de la peau, même lorsqu’on la pince ou lorsqu’on la pique profondément; embarras marqué de la prononciation; tremblement des lèvres quand le malade parle ; impossibilité de marcher depuis plusieurs jours ; le visage a conservé sa coloration habituelle ; le pouls donne 78 battements par minute. Il est de force moyenne ; la peau est fraîche. Le malade a fort peu d’ap- pétit ; il ne mange depuis environ deux mois que deux soupes par jour. Une saignée de 100 grammes est pratiquée. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 800,602 Globules 107,903 Fibrine 1,92 Matériaux solides du sérum 89,515 L’inappétence et l’alimentation insuffisante font ici que les globules s’a- baissent légèrement au-dessous de leurs limites physiologiques. Mais ce qu’il y a de plus intéressant à noter dans ce cas, c’est qu’une tendance très-prononcée à la congestion cérébrale coïncide avec une diminution de la fibrine. MISÈRE ET CHAGRINS ; HALLUCINATIONS ET MANIE AIGUE ; GUÉRISON ; MONOMANIE ORGUEILLEUSE ET AMBITIEUSE ; PARALYSIE DU MOUVEMENT ET DU SENTIMENT; CON- TRACTURE DES DOIGTS DES MAINS ; ILLUSIONS DES SENS SANS AFFAIBLISSEMENT DES FACULTÉS INTELLECTUELLES ; VORACITÉ ; DIMINUTION DES GLOBULES ; LÉGÈRE AUG- MENTATION DE L’ALBUMINE. Obs. VIII. — Fouilloud est entré à l’Hôtel-Dieu, service de M. Martin-Solon, salle Saint-Lazare, n* 44, le 5 avril 1847. Il est bottier, âgé de 51 ans, d’une 25 constitution détériorée et d’un tempérament d’apparence lymphatique. Il ignore s’il y a eu des aliénés dans sa famille. Il s’est toujours bien porté jusqu’à l’an- née 1841. A cette époque, sous l’influence de chagrins domestiques et d’une profonde misère, il fut pris subitement d’un accès d’exaltation maniaque : il commença par voir danser devant lui des fantômes, par apercevoir, entre autres hallucinations, un homme noir portant des cornes et une queue qui projetait des étincelles, puis il devint furieux, il cassa et jeta par les fenêtres tous les meubles de sa boutique. Il entra alors à Bicêtre, dans le service de M. Leuret. Là il eut de nombreuses hallucinations : il entendait très-souvent, dans le jour, des voix masculines, qui semblaient provenir de personnes cachées au chevet de son lit et qui articulaient le plus ordinairement ces paroles : Fouilloud tu es /■..... Il retournait la tête, mais il ne voyait personne. Pendant la visite de M. Leuret, il entendait ces mêmes voix prononcer ces mots : Fouilloud fou, fou, fou. Il crut longtemps que les élèves qui suivaient cette visite se plaisaient à lui tenir ce langage, et alors il répondait ceci : Il faut des fous pour amuser les imbéciles. Il sortit de Bicêtre à peu près guéri, au bout d’un mois. Il y rentra en 1844 pour le même genre d’aliénation. Cependant il présentait cette fois un délire ambitieux et orgueilleux qui prédominait sur toutes les autres conceptions folles : il croyait posséder cinq milliards, avoir été fait prince de la Moskowa et avoir reçu de l’empereur de Russie la Sibérie en don. Il sortit de Bicêtre pour la seconde fois, le 27 novembre 1844, malgré l’avis de M. Leuret, qui, avec rai- son, ne le croyait pas suffisamment en état de quitter l’hospice. Alors il avait déjà un peu de faiblesse dans les jambes, il marchait avec quelque difficulté en inclinant légèrement à droite. État actuel (25 avril 1847). Diminution considérable de la sensibilité à la peau du visage et à celle des extrémités supérieures et inférieures dans les deux côtés du corps : le malade ne sent rien quand on le pince ou quand on le pique dans ces parties. Affaiblissement correspondant de la motilité un peu plus pro- noncé à droite qu’à gauche ; difficulté très-grande dans la marche et dans la station, toutefois le malade peut encore soulever ses bras et ses jambes dans son lit sans notable apparence d’eflbrt. La convulsion des muscles qui servent à la phonation va jusqu’au bégayement le plus intense; il y a une légère contracture dans les deux pouces ; absence de paralysie du rectum et de la vessie. Fouilloud a des illusions des sens quand il fixe un objet quelconque, mais ex- clusivement quand il le fixe pendant quelques minutes ; son imagination méta- morphose cet objet en un autre. Le pot de tisane qu’il a à ses côtés, ou celui qui est destiné au malade couché dans un lit voisin, devient souvent, pour lui, une tête de mort, dont les orbites projettent des flammes. A part ces troubles senso- riaux, l’intelligence est saine. La mémoire n’a rien perdu de sa vivacité, il y a cohérence dans le discours. Fouilloud analyse son état maladif avec netteté et précision ; il sait très-bien qu’il a été fou. Quant au délire sensorial, le seul 26 symptôme psychique qui existe, il en apprécie l’objet à sa juste valeur, il en at- tribue la cause à un vice particulier de son imagination. Le malade n’a pas été saigné depuis quatre ans, il n’a pas eu de flux hémor- rhoïdai depuis douze ans. Il a un très-vif appétit : il mange les trois cinquièmes depuis quinze jours, et il désire beaucoup manger le double. Apyrexie, pouls peu résistant, absence de sueurs, d’urines et de selles copieuses. Le 26 avril une saignée de 100 grammes est pratiquée. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 795,7 Globules 95,5 Fibrine 3,06 Matériaux solides du sérum organiques . . 95,3 inorganiques . 10,66 Troisième période. DÉMENCE ; ABSENCE ü’AGITATION MANIAQUE ET DE MONOMANIE AMBITIEUSE ; PARALYSIE GÉNÉRALE INCOMPLÈTE; EXCRÉTIONS INVOLONTAIRES; AUGMENTATION DES GLO- BULES ; DIMINUTION DE L’ALBUMINE. Obs. I. — M...., chapelier, a 38 ans, une constitution robuste et un tempéra- ment sanguin. Il est à Bicètre depuis le mois de décembre 1866. Le 25 juin 1867, il offre l’état suivant : il répond d’une manière juste aux ques- tions qu’on lui adresse sur son âge, sa profession et sa famille ; mais il est inca- pable d’indiquer le quantième, le jour, le mois et l’année dans lesquels nous sommes. Il pleure avec la plus grande facilité quand on lui parle de sa femme et de ses enfants. Absence d’agitation et de conceptions délirantes relatives à la fortune ou à la grandeur. Embarras très-marqué de la prononciation ; tremblement des lèvres et des mains; démarche vacillante; bon appétit; excrétion involontaire de l’urine et des matières fécales. Les urines ne se troublent pas par la chaleur et l’addition de quelques gouttes d’acide nitrique. Le 26, la station devient presque impossible. Une saignée de 600 grammes est prescrite. Le 27, même état que la veille ; pouls fort et large donnant 76 battements par minute. Une seconde saignée de 300 grammes est pratiquée. Le sang de la seconde saignée a été seul examiné. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 796,162 Globules 138,616 Fibrine 3,658 organiques . . 53,653 inorganiques . 10,333 Matériaux solides du sérum. Le chiffre 138, qui représente ici la quantité des globules, est inférieur à ce qu’il aurait été, sans la circonstance d’une saignée de ZtOO grammes pra- tiquée vingt-quatre heures avant l’émission sanguine qui a fait l’objet de notre analyse. Quoique un peu trop bas par cette même raison, le chiffre des matériaux organiques du sérum ne l’est pas moins d’une manière abso- lue, c’est-à-dire abstraction faite de la première émission sanguine. Du reste, il est à remarquer que les urines ne renferment aucune trace d’albumine, et que l’abaissement de ce principe du sang ne coïncide avec l’apparition d’aucune espèce d’hydropisie. AFFAIBLISSEMENT DELA MÉMOIRE; EXCITATION MANIAQUE; INCOHÉRENCE DES IDÉES AVEC PRÉDOMINANCE DE MONOMANIE AMBITIEUSE ; PARALYSIE GÉNÉRALE ; EXCRÉ- TIONS INVOLONTAIRES; LÉGER ABAISSEMENT DE L’ALBUMINE. Obs. II. — S...., commis, a quarante ans, une constitution vigoureuse et un tempérament sanguin. Il est à Bicêtre depuis le mois de juin 1846. Actuellement (10 juin 1847) il est dans l’état suivant : diminution très-consi- dérable de la mémoire ; il ne peut se rappeler ni son nom ni son âge ; loquacité assez prononcée ; incohérence dans le discours avec prédominance d’idées ambi- tieuses : il a le petit Bonaparte dans son genou,il a truffé son père, il est riche, il a le monopole de tout le pain blanc, de toutes les truffes et de tout le vin de Thorins qui se consomment à Paris. Il semble heureux ; il dit avoir une bonne santé et un bon estomac; parfois il chante. Embarras très-marqué dans la prononciation ; tremblement des extrémités supérieures et inférieures ; excrétion involontaire de l’urine ; appétit vorace ; désir incessant de le satisfaire. Pouls de force moyenne, donnant 72 battements par minute. Une saignée de 200 grammes est pratiquée. ANALÏSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 804,439 Globules 125,612 Fibrine 2,634 organiques. . 58,212 inorganiques. . 9,103 Matériaux solides du sérum. DÉMENCE ; ABSENCE DE MONOMANIE AMBITIEUSE ; PARALYSIE GÉNÉRALE INCOMPLÈTE ; EXCRÉTIONS INVOLONTAIRES; SECOUSSES CONVULSIVES ET ATTAQUES ÉPILEPTI- FORMES ; FIÈVRE ; MORT ; MÉNINGES ADHÉRENTES AUX CIRCONVOLUTIONS CÉRÉ- BRALES ; INJECTION DES VAISSEAUX DE LA PIE-MÈRE ; SÉROSITÉ ABONDANTE A LA BASE DU CRANE, DANS LES VENTRICULES LATÉRAUX ET DANS LE TISSU CELLULAIRE SOUS-ARACHNOÏDIEN; PIQUETÉ ROUGE DE LA SUBSTANCE GRISE; DIMINUTION DE L’EAU ; AUGMENTATION DE LA FIBRINE ET MATÉRIAUX SOLIDES DES DU SÉRUM. Obs. III. — Lourmant a 42 ans ; il est entré à Bicêtre en 1845. Il est doué 28 d’une forte constitution et d’un tempérament sanguin II présente tous les attri- buts de l’embonpoint. Embarras de la parole; station et démarche vacillantes ; tremblement très- prononcé des extrémités supérieures ; état de calme, mais affaiblissement de la mémoire portant sur les événements de date récente; absence de conceptions délirantes relatives à la fortune ou à la grandeur ; écoulement involontaire des urines et des excréments ; appétit vorace. Le 17 mai 1847, perte subite de connaissance; mouvements convulsifs épilep- tiformes de tout le corps, et principalement des muscles du visage. ( Saignée de deux palettes.) Le 18, point de réponse aux questions qu’on adresse ; continuation des se- cousses spasmodiques, qui reviennent toutes les quatre ou cinq secondes, et qui sont toujours plus prononcées au visage qu’aux autres parties du corps ; coucher en supination ; nul mouvement volontaire, nul signe de sensibilité lors- qu’on lui pince la peau; hoquet; face, cou et membres d’un rouge violacé ; pouls assez plein et donnant 100 battements par minute. On pratique une se- conde saignée de 150 grammes au milieu d’une de ces attaques épileptiformes. Le 19, mort. Autopsie cadavérique. — Le cerveau semble faire irruption au dehors lors- qu’on incise les membranes. Celles-ci sont adhérentes aux circonvolutions sur plusieurs points. Le feuillet de l’arachnoïde, qui recouvre la face interne des hémisphères et leur convexité, est soulevé par de la sérosité. Sous cette mem- brane, la pie-mère est infiltrée d’une grande quantité de sérosité limpide s’écou- lant de toutes parts. Les vaisseaux encéphaliques sont injectés. Les ventricules latéraux sont pleins de sérosité ; la base du cerveau en est également remplie. Absence de ramollissement, mais piqueté rouge très-prononcé de la substance grise. Le sang provenant de la deuxième saignée a été seul analysé. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 755,58 Globules 119,98 Fibrine 10,75 Matériaux solides du sérum 113,69 DÉMENCE; ABSENCE DE MONOMANIE AMBITIEUSE; EXCRÉTIONS INVOLONTAIRES; ES- CARRE AU SACRUM ; VORACITÉ ; MOUVEMENT FÉBRILE ; CONGESTION CÉRÉBRALE ET PHÉNOMÈNES CONVULSIFS ; AUGMENTATION DES GLOBULES ET DE LA FIBRINE. Obs. IV. — Roubaud, charpentier, a 40 ans, une constitution robuste et un tempérament bilioso-sanguin. Il est à Bicêtre depuis le mois de juillet de l’année 1846. Au mois de juin de l’année 1847, il offre l’état suivant : oubli de presque tous 29 les événements de sa vie ; les choses récentes notamment ne laissent aucune im- pression dans son esprit. Absence de conceptions délirantes relatives à la for- tune ou à la grandeur. Prononciation très-embarrassée; marche et station difficiles; état de calme; appétit considérable ; commencement d’escarre au sacrum ; excrétions involon- taires. Le 18 juillet, le malade perd tout à coup connaissance; sa (igure est rouge, ses yeux sont convulsés; insensibilité complète de la peau ; soubresauts des tendons ; chaleur à la peau; le pouls donne 120 pulsations par minute. Une saignée de 300 grammes est pratiquée. ANALYSE DE 1,000 PARTIES DE SANG. Eau 743,071 Globules 179,728 Fibrine 4,89 Matériaux solides du sérum .... 72,311 L’augmentation considérable des globules coïncide encore, dans ce cas, avec l’existence incontestable d’une congestion cérébrale, et celle-ci avec l’absence de toute espèce de traces de monomanie ambitieuse. Quant à l’é- lévation du chiffre de la fibrine, elle trouve sa raison dans la manifestation d’une phlegmasie aiguë de la substance cérébrale, qui se traduit ici par l’état spasmodique des muscles oculaires, les soubresauts des tendons, etc. Ainsi donc, chez 16 individus plus ou moins aliénés, affectés de paraly- sie générale sans aucune distinction de degrés, les globules ont été trou- vés 5 fois au-dessus de leurs limites physiologiques; le chiffre le plus bas a été 148, le plus élevé 179. Ils sont descendus 5 fois au-dessous ; le chiffre le plus élevé a été 108 et le plus bas 32. Enfin ils ont oscillé 6 fois entre leurs limites normales (138,8-138,4-125,02-125,120,119). De ces 6 der- niers cas, il en faut toutefois retrancher 2 : l’un où une première saignée de 400 grammes, pratiquée la veille, avait abaissé le chiffre des globules à 138,4; l’autre où une émission sanguine de 700 grammes, pratiquée éga- lement la veille, avait fait descendre le chiffre de ce principe du sang à 138,8; de sorte qu’en réalité ces deux derniers cas rentrent dans la caté- gorie de ceux où les globules ont subi une augmentation, cas qui, au lieu de rester à 5, s’élèvent au nombre 7. La fibrine est descendue 4 fois au-dessous de ses limites physiologiques ; le chiffre le plus élevé a été 1,92 et le plus bas 1,44. Elle est montée 2 fois au-dessus (4,89—10). Elle a oscillé 10 fois entre ces mêmes limites physio- logiques (2,476-2,56—2,62—2,63—2,07—2,99-3,04—3,25—3,653— 30 3,658). Son abaissement absolu a coïncidé 2 fois avec la diminution des glo- bules et 2 fois avec leur augmentation. Enfin, 4 fois son abaissement était relatif, c'est-à-dire le chiffre de ce principe du sang restait normal pen- dant que le chiffre des globules s’élevait au-dessus de ses limites physiolo- giques. L'albumine est descendue 5 fois beaucoup au-dessous de sa proportion moyenne ; le chiffre le plus élevé a été 58, le plus bas 40. Les matériaux solides du sérum ont dépassé 3 fois leur quantité moyenne ; le chiffre le plus bas a été 105, et le plus élevé 113. Enfin, 8 fois ces matériaux ne se sont pas éloignés notablement de leur chiffre moyen (89, 88, 85, 82,79, 71, 71,64.) Veau a dépassé 9 fois sa proportion moyenne; le chiffre le plus bas a été 794, et le plus élevé 879. Elle est descendue 7 fois au-dessous; le chiffre le plus élevé a été 778, et le plus bas 743. Avant de chercher à tirer de ces faits chimiques quelques inductions sus- ceptibles d’éclairer la physiologie pathologique et le traitement de la para- lysie générale des aliénés, il est nécessaire de rappeler en peu de mots cer- taines propositions émises récemment en hématologie appliquée à la patho- logie, et qui font partie des lois de l’humorisme contemporain. Or, selon MM. Andral et Gavarret, l’augmentation des globules et la diminution absolue ou relative de la fibrine, soit qu’un seul de ces prin- cipes du sang varie, soit qu’ils changent de proportion tous les deux à la fois, caractérisent, dans un grand nombre de cas, la congestion et l’hémor- rhagie cérébrales. Au contraire, l’abaissement des globules est la cause de l’anémie, et l’excès de fibrine traduit d’une.manière constante le dévelop- pement d’une phlegmasie aiguë. Enfin, la diminution de l’albumine coïnci- derait avec l’existence d’un certain nombre d’hydropisies. Parmi les faits qui me sont propres, sur 9 cas de paralysie générale des aliénés, où j’ai trouvé dans le sang, soit isolément, soit d’une façon simul- tanée, une augmentation des globules et une diminution absolue ou rela- tive de fibrine, une congestion cérébrale bien déterminée, c’est-à-dire ca- ractérisée par les phénomènes suivants : injection et turgescence delà face, impossibilité subite de marcher ou de se tenir debout, hémiplégie disparais- sant en totalité au bout de vingt-quatre heures ou de quarante-huit heures, sous l’influence des émissions sanguines ; une congestion cérébrale, dis-je, bien déterminée, a eu lieu 4 fois, et une simple tendance à cette maladie, 1 fois. Elle a coïncidé 1 fois avec l’augmentation isolée des globules, et 3 fois avec celle-ci réunie à l’abaissement relatif de la fibrine ; enfin, une 31 diminution absolue de ce dernier principe du sang s’est seule montrée dans la simple tendance à la congestion cérébrale. Ces faits confirment donc, comme on voit, les lois d’hématologie patho- logiques posées par MM. Andral et Gavarret. Ils prouvent que, dans la ma- jorité des cas, l’excès des globules et l’abaissement absolu ou relatif de la fibrine, soit isolément, soit d’une façon simultanée, sont la cause prochaine de la congestion cérébrale. Seulement, d’après nos analyses, la modifica- tion de proportion des globules paraîtrait avoir plus d’influence que la mo- dification de la fibrine sur le développement de cette maladie, puisque dans les quatre cas de congestion cérébrale bien déterminée, le premier de ces deux éléments du sang a toujours subi une augmentation absolue, contrai- rement au second dont l’abaissement n’a jamais été que relatif, c’est-à-dire dont le chiffre n’est jamais descendu au-dessous des limites physiolo- giques. Ces résultats sont par cela même opposés à ceux obtenus par M. Erlen- meyer, qui pense que la pléthore cérébrale coïncide toujours, chez les aliénés, avec une diminution des globules, moins considérable toutefois que celle qui existe dans la chlorose, et d’où, en thérapeutique, il conclut au rejet des émissions sanguines. Des symptômes convulsifs alternant avec, des attaques de catalepsie se sont liés une fois à un abaissement des globules. Des phénomènes propres à caractériser la phlegmasie aiguë du cerveau ont coïncidé 2 fois avec l’élévation du chiffre de la fibrine. Enfin, sur les 5 cas où l’albumine est descendue beaucoup au-dessous de sa proportion moyenne, il n’existait aucune trace d’hydropisie dans les mailles du tissu cellulaire, dans le péritoine, les plèvres, le péricarde et la tunique vaginale. D’où provenait donc, dans ces 5 cas, une telle diminution de l’albumine du sang? La perte de l’albumine par les urines, sous l’in- fluence d’une affection inflammatoire ou autre des reins, n’y avait point la moindre part, puisque les urines, qui ont toutes été analysées, ne se sont aucunement troublées, soit par la chaleur, soit par l’alcool, soit par l’acide nitrique. Les épanchements de sérosité dans les ventricules du cerveau et dans le tissu cellulaire sous-arachnoïdien, épanchements assez considéra- bles et assez fréquents durant le cours de la paralysie générale, notamment quand cette maladie est passée à ses deux dernières périodes, y entraient- ils pour quelque chose ? N’aurait-on pas pu retrouver dans la sérosité céré- brale une quantité d’albumine susceptible, je ne dirai pas de balancer la diminution que ce principe subissait dans le sang, car ce balancement n’a 32 lien dans aucun cas, ainsi que l’a prouvé M. Andral, mais du moins ca- pable de faire équilibre à une bonne partie de cette diminution ? Cette théorie pourrait peut-être avoir quelque vraisemblance, si l’on se bornait à raisonner par voie d’analogie, puisque, dans 22 analyses de sérosité ex- traite tant du péritoine, de la plèvre et du péricarde, que du tissu cellu- laire et de la tunique vaginale, M. Andral a trouvé pour 1,000 parties, comme expression de l’albumine, les chiffres 59, 55, 2 fois 51,A9, A8, A7, Zjl, AO, 35, 30, 28, 19, 15, IA, 2 fois 12, 11, 10, et 3 fois seulement un chiffre inférieur à ce dernier, lequel chiffre n’est jamais descendu au-des- sous de A. Mais, suivant des analyses qui remontent à des époques assez éloignées de nous, la sérosité arachnoïdienne serait beaucoup moins riche en albumine, et même n’en renfermerait souvent que des traces insaisis- sables. Le fluide séreux contenu dans cette dernière membrane ne se coa- gule, d’après M. Haldat (1), ni par l’alcool, ni par la chaleur, ni par les acides. Sa pesanteur spécifique diffère peu de celle de l’eau ordinaire ; il n’est pas visqueux, il mousse très-faiblement quand on l’agite avec de l’air. Enfin 100 parties de ce fluide ont donné : Eau 96,5 Muriate de soude 1,5 Albumine 0,6 Mucus 0,3 Gélatine 0,9 Phosphate de soude, quantité indéterminée. Phosphate de chaux, présumé. Le chiffre de l’albumine, déjà si inférieur ici (6 parties sur 1,000 de sé- rosité), l’est bien davantage dans une autre analyse due au docteur Marcet. Sur 1,000 parties de sérosité arachnoïdienne, ce chimiste a trouvé : Eau 990,8 Matière mucoso-extractive avec albumine. . . . 1,12 Muriate de soude 6,64 Sous-carbonate de soude avec légère portion d’un autre sulfate alcalin 1,24 Phosphate de chaux, phosphate de magnésie et de fer 0,2 (1) Voyez, sur le mémoire de cet auteur, un rapport fait par le professeur Deyeux, et inséré dans le Bulletin de la Faculté de médecine de Paris et de la Société de médecine, année 1814, h° VI, p. 125. 33 Ce qu’il y a de particulier, et ce qui prouve que, dans l’élude des phé- nomènes de la vie, il ne faut pas toujours conclure de ce qui a lieu chez les animaux à ce qui doit se passer chez l’homme, c’est que le professeur J.-F. John, dont l’analyse de la sérosité arachnoïdienne provenant d’un enfant mort d’hydrocéphalie confirme les assertions de Marcet et de M. Hal- dat, c’est que, dis-je, ce professeur affirme avoir rencontré une grande quantité d’albumine dans la sérosité émanée des ventricules cérébraux de veaux tués dans les boucheries. L’auteur de l’article Sérosité, du Diction- naire des sciences médicales, dit, de son côté, posséder des observa- tions à l’appui de ce fait de chimie comparée. Ces résultats établissant chez l’homme une telle exception à la loi qui régit la composition du liquide exhalé par toutes les autres membranes sé- reuses, valaient bien la peine d’être répétées. Ce qui m’a surtout décidé à en opérer la vérification, c’est que les recherches de MM. Marcet et Hal- dat, etc., ont porté exclusivement sur de la sérosité prise dans l’arachnoïde d’enfants morts d’hydrocéphalie. Or, avant de généraliser, avant de con- clure, comme l’a fait M. Haldat, que le liquide séreux contenu dans le pé- ritoine, les plèvres, le péricarde, la tunique vaginale, les alvéoles du tissu cellulaire, diffère presque essentiellement de celui qui mouille les envelop- pes membraneuses de l’encéphale et de la moelle épinière, avant d’affirmer que l’albumine et la soude dominent dans le premier, le muriate de soude et la gélatine dans le second ; avant, dis-je, de généraliser et de catégoriser, il fallait au moins s’assurer si la composition du fluide arachnoïdien était, chez les adultes, la même que chez les enfants. Chez un homme de 28 ans, qui mourut d’une méningo-encéphalite, j’ai retiré des ventricules latéraux environ trois cuillerées à café de sérosité légèrement colorée en rose. Or ce liquide, soigneusement séparé du sang avec lequel il se trouvait mêlé, s’est troublé d’une manière assez sensible par l’alcool, la chaleur et l’acide azotique. Chez une femme, âgée de 60 ans, ayant succombé à la tuberculisation pulmonaire, j’ai obtenu environ 16 gr. de sérosité cérébrale plus pure. Ce liquide s’est également coagulé d’une manière sensible en présence des réactifs dont je viens de parler. 1,000 parties ont fourni : Eau 991 Sels 2 Albumine et matière extracto-mu- queuse 7 Il résulte, comme on voit, de ces analyses, que, chez les adultes, l'albu - mine contenue dans la sérosité cérébrale est appréciable par ses réactifs ordinaires, contrairement à ce qui aurait lieu, selon M. Haldat, chez les en- fants hydrocéphales; mais que ce principe organique s’y trouve en quan- tité beaucoup moindre que dans la sérosité du péritoine, des plèvres, du péricarde et de la tunique vaginale. L’hématologie prouve, d’un autre côté, qu’il peut y avoir, dans un tiers à peu près des cas de paralysie générale, une diminution spontanée ou plu- tôt une formation insuffisante de l’albumine du sang. Je dis diminution spontanée, formation insuffisante de l’albumine; car si ce principe, d’abord en quantité normale, se fût ensuite échappé du sang, on l’eût retrouvé dans les urines et jusqu’à un certain point dans la sérosité du tissu cellu- laire, du péritoine, etc., comme cela arrive dans la maladie de Bright et dans les hydropisies consécutives aux lésions organiques du cœur. Or les urines ne se troublaient ni par l’alcool, ni par la chaleur, ni par l’acide azo- tique, et dans aucun cas il n’y eut trace d’œdème, d’anasarque, d’ascite, etc. D’un autre côté, l’albumine contenue dans la sérosité encéphalique, séro- sité qui, selon M. Bayle, remplit plus ou moins les ventricules cérébraux chez les deux tiers des sujets dans la dernière période de la paralysie géné- rale et qui, chez un tiers environ, les distend outre mesure, les dilate au point de constituer une hydrocéphalie chronique; l’albumine, dis-je, conte- nue dans la sérosité encéphalique, était moins encore susceptible de re- présenter la quantité d’albumine soustraite au sang, puis qu’il résulte de l’analyse que la sérosité arachnoïdienne renferme infiniment moins d’albu- mine que la sérosité provenant des autres cavités séreuses. Rapprochons des résultats offerts par la chimie ceux que donne l’anatomie pathologique, et voyons en quoi ils diffèrent, en quoi ils se ressemblent. Or, selon M. Bayle : 1° la congestion cérébrale, brusque ou lente, pré- cède constamment la paralysie générale, et conséquemment en est la cause prochaine ou directe ; 2° la paralysie est due à la compression du cerveau exercée par la congestion sanguine qui, chez un huitième des cas, est ac- compagnée d’un épanchement sanguin entre les méninges ; 3° l’agitation excessivement violente et continuelle est souvent occasionnée par un tra- vail inflammatoire très-intense qui donne lieu à une exsudation albumi- neuse à la surface de l’arachnoïde, exsudation qui consiste parfois en petits amas d’une matière jaunâtre, grisâtre, blanchâtre ; mais qui, ordinairement plus abondante se transforme en fausses membranes analogues à celles qu’on rencontre si fréquemment sur la plèvre, le péricarde, le péritoine, etc. ;ù° les attaques épileptiformes, les tremblements partiels ou généraux, les soubre- 35 sauts des tendons, les convulsions, les grincements de dents, les roideurs et les rigidités, les extensions tétaniques, les contractures, les tremble- ments avec contracture dépendent de l’inflammation de la substance grise, consécutive à la phlegmasie chronique des méninges ; 5° les attaques apo- plectiformes, si fréquentes dans la troisième période, sont produites pres- que toujours par une congestion subite dans les vaisseaux de la pie-mère et du cerveau, très-rarement par un afflux de fluide séreux, et jamais par une hémorrhagie cérébrale ; 6° dans la troisième période, la cessation de l’agi- tation, l’augmentation de la paralysie et de la démence sont les signes d’une compression du cerveau qui dépend d’une exhalation de sérosité dans la cavité de l’arachnoïde, d’une infiltration séreuse de la pie-mère et d’un épanchement de même nature dans les ventricules latéraux; 7° l’état de stu- pidité avec oblitération des facultés et des idées et la paralysie générale presque complète sont le résultat de la compression du cerveau, et par con- séquent de l’épanchement séreux porté au plus haut degré. De même que l’anatomie pathologique, la chimie vient donc assigner un rôle considérable à la congestion cérébrale dans le fait de la folie ou dé- mence paralytique, puisque dans la majorité des cas (neuf fois sur seize) le sang des aliénés dont il s’agit a offert dans ses principes les changements proportionnels que MM. Andral, Gavarret et d’autres hématologistes don- nent pour caractères à la première de ces affections, c’est-à-dire l’augmen- tation des globules et l’abaissement de la fibrine, soit que la modification concerne un seul de ces principes, soit qu’elle ait trait à tous les deux à la fois. Seulement nous ne croyons pas avec M. Bayle que la fluxion sanguine dans les vaisseaux encéphaliques existe chez tous les individus atteints de paralysie générale et précède constamment l’invasion de celle-ci, en un mot qu’elle en soit la cause prochaine ou directe. Dans celte hypothèse, toute congestion vers le cerveau produirait, tôt ou tard, nécessairement et infailliblement, la paralysie générale, ce qui est contraire aux résultats de l’observation journalière. Elle en est une condition capitale, mais non pas la raison suffisante. On l’explique d’ailleurs très-facilement. La paralysie générale survient surtout, comme on sait, dans la force de l’âge, de 30 à 50 ans ; elle atteint de préférence le sexe masculin, les individus doués d’un tempérament sanguin, d’une consitution robuste, athlétique. Un appétit violent et souvent insatiable, auquel correspond une grande activité di- gestive et assimilatrice, en est un caractère fondamental, un symptôme presque pathognomonique. La vie organique en un mot semble être, dans celte maladie, en raison inverse de la vie animale ou intellectuelle. Mais si la congestion au cerveau n’entre pour rien, suivant nous, dans la cause directe, prochaine, initiale de la paralysie générale, elle participe, au contraire, d’une manière puissante au développement d’une foule de phé- nomènes consécutifs qui concourent singulièrement à aggraver cette mala- die et à hâter son terme funeste ; elle engendre la phlegmasie chronique ou aiguë des membranes ou de la substance du cerveau. La stagnation que le sang éprouve dans les vaisseaux capillaires s’oppose à l’absorption de la sérosité et produit des épanchements mécaniques de ce dernier liquide. Aussi toutes les fois que l’analyse chimique révèle dans le sang des aliénés paralytiques une diminution de fibrine, mais surtout un excès de globules, ne doit-on pas hésiter, d’une part, à assujettir le malade à une alimentation très-modérée et de nature végétale, de l’autre, et quoi qu’en diseM. Erlen- meyer, à pratiquer des émissions sanguines. L’hématologie peut-elle expliquer ou éclaircir le mode de formation des fausses membranes qu’on trouve dans l’arachnoïde des aliénés paralytiques ? Les anatomo-pathologistes sont fort divisés sur l’origine de ces produc- tions. Les uns veulent que les pseudo-membranes dont il s’agit soient ou l'effet d’une irritation déterminée par la présence d’un épanchement san- guin dans les méninges, ou le résultat d’une arachnitis indépendante de toute espèce d’hémorrhagie méningée. Les autres, MM. Baillarger et Au- banel sont de ce nombre, les rattachent à l’existence préalable d’une apo- plexie méningée, les considèrent comme une transformation pure et simple de la partie coagulable du sang épanché, et non pas comme la solidification d’une lymphe plastique exhalée par la séreuse enflammée. « Il s’ensuit, dit » M. Aubanel, puisque la fibrine seule peut s’organiser en fausses mem- » branes, que, dans les épanchements sanguins de l’arachnoïde, il pourra » arriver que l’absorption fasse disparaître toutes les parties du sang qui » peuvent être entraînées, et qu’il ne reste plus dans le foyer que la por- » lion fibrineuse qui se transformera en un produit, en tout semblable au » produit fourni par une exhalation fibrineuse primitive. C’est, en effet, ce » qui arrive à une époque avancée du développement des fausses mem- » branes qui nous occupent; alors toutes les traces de sang ayant disparu, » il n’existe plus dans leur aspect et même dans leur structure aucun ca- » ractère différentiel qui puisse les faire distinguer des fausses membranes »» d’une origine différente (1). » (1) Des fausses membranes de l’arachnoïde chez les aliénés. (Ann. mèdico- PSYCHOL., sept. 1843, p. 210.) 37 Pour être en droit d’admettre, avec M. Aubanel, que les fausses mem- branes de l’arachnoide sont la simple transformation de la librine du sang en nature épanché dans cette séreuse, il fallait s’assurer d’abord de l’état où se trouve cette fibrine dans le sang, c’est-à-dire avoir recours, non pas au scalpel, mais à l’inspection physique et à l’analyse chimique de ce li- quide. Or presque de tout temps on a constaté que le sang se coagulait avec difficulté chez les individus sujets aux congestions et aux hémorrhagies. Ce fait s’explique très-bien du reste, puisque, chez ces mêmes individus, nous savons, depuis les recherches de MM. Andral et Gavarret, que la fibrine subit le plus ordinairement, soit un abaissement absolu, soit une diminu- tion relative. Nos analyses chimiques du sang des aliénés paralytiques nous ont fourni des résultats complètement identiques. D’un autre côté, selon M. Bayle, la quantité de sang épanché, dans ces cas, au milieu de l’arach- noïde varie depuis un quart d’once (ù grammes) jusqu’à une once et demie (Ù5 grammes), son maximum habituel. D’après cela, si, dans la démence accompagnée de paralysie générale, 1,000 grammes de sang donnent pour chiffre moyen de la fibrine 2,7, et nos analyses ont établi ce fait chimique, ù5 grammes de sang exhalé dans l’arachnoïde, et remarquez que je prends, non pas le minimum ni même la moyenne, mais bien le maximum habituel du chiffre donné par M. Bayle, Zi5 grammes, dis-je, de sang exhalé dans la séreuse arachnoïdienne devront nécessairement ne fournir que 0,03 en fibrine. Or comment supposer à une quantité si minime de ce principe le pouvoir de se transformer, de s’organiser de manière à produire une fausse membrane qui ordinairement a une épaisseur égale à celle de la plèvre ou de la dure-mère, et qui peut s’étendre à une portion très-vaste ou à toute la convexité d’un hémisphère ? L’analyse chimique est donc défavorable à l’opinion des auteurs qui re- gardent les épanchements sanguins entre les méninges comme le point de départ et la raison suffisante de la formation des fausses membranes arach- noïdiennes, tandis qu’elle n’est nullement opposée à celle des anatomo-pa- thologistes qui considèrent ces productions comme l’effet d’une sécrétion, qui les attribuent à la coagulation de la lymphe plastique, autrement dit de la fibrine s’exhalant de toutes les membranes, et notamment des séreuses, sous l’influence de l’état inflammatoire. De ce qu’une phlegmasie aiguë quelconque est toujours accompagnée d’un excès de fibrine dans le sang, et de ce que dans ce liquide, chez les aliénés paralytiques, on trouve une diminution relative ou absolue de fibrine, on ne doit pas conclure à l’impossibilité d’un état inflammatoire dans les 38 méninges des malades dont il s’agit. Les recherches de M. Andral ont prouvé qu’avant la manifestation de toute phlegmasie aiguë, il n’existe au- cun excès de fibrine dans le sang, non plus qu’avant le développement de l’inflammation artificielle créée au moyen du vésicatoire. En conséquence, des phlegmasies peuvent donc se former de toutes pièces indépendamment de toute influence exercée par l’état préalable du fluide sanguin. Or, si l’augmentation de la fibrine est, non pas la cause de l’inflammation, mais un simple phénomène qui marche parallèlement avec celle-ci, il n’y a au- cune raison pour que l’abaissement de ce principe du sang s’oppose au développement d’une méningite chez les déments paralytiques, et consé- quemment pour qu’il empêche la formation de fausses membranes ayant exclusivement cette phlegmasie pour point de départ et pour raison patho- génique. Quant à cette méningite, qui offre presque toujours le caractère chronique, il peut arriver qu’elle soit primitive, qu’elle donne naissance à des fausses membranes qui ne coïncident nullement avec l’existence d’une apoplexie méningée ; mais comme les pseudo-membranes arachnoïdiennes, isolées de tout épanchement sanguin, sont très-rares, il y a lieu de croire que l’état inflammatoire est le plus souvent consécutif, qu’il est déterminé d’ordinaire par la présence même de cet épanchement sanguin. La diminution spontanée de l’albumine du sang peut-elle être une des causes de l’hydropisie cérébrale? Son influence, réunie ou non, d’une part, à celle de l’inflammation chronique des méninges, de l’autre, à l’influence de la pression trop forte exercée sur les parois des vaisseaux par un embar- ras de circulation, par une stagnation du sang dans le cerveau, suffit-elle à rendre raison de l’épanchement séreux dont il s’agit ? On sait en physique que deux liquides de nature différente, séparés l’un de l’autre par une cloi- son membraneuse, finissent par la traverser mutuellement ; qu’il s’opère en elle, comme l’a démontré M. Magendie, une imbibition à double courant; que le liquide le plus visqueux attire le moins visqueux ; que celui-ci pé- nètre plus facilement la cloison, transsude mieux que l’autre. Le célèbre professeur du collège de France a fait l’application de ces données à la pa- ■ thologie humaine ; il a voulu fonder sur elles le traitement de l’hydropisie enkystée de l’ovaire, il a cherché à modifier ces tumeurs à l’aide d’injec- tions irritantes, pour obtenir que leurs surfaces exhalantes substituent à la sérosité visqueuse évacuée par la ponction une sérosité moins épaisse, con- séquemment plus susceptible d’être absorbée à travers les vaisseaux du kyste. Or le sang qui subit un abaissement très-notable dans le chiffre de son albumine, perd évidemment de sa viscosité. Il est moins épais relative- 39 ment à la densité respective des autres liquides ambiants. Il se trouve donc dans toutes les conditions physiques de l’exosmose. Rien ne s’oppose à ce qu’une partie considérable de sa sérosité ne filtre à travers les pores de ses vaisseaux, à moins qu’on ne se demande, comme l’a fait M. An- dral : « L’eau du sang s’écoule-t-elle moins facilement dans les réseaux » capillaires, alors que, moins chargée d’albumine, elle est devenue moins » onctueuse, et qu’elle glisse peut-être moins facilement à la surface in- » terne des vaisseaux? S’il en était ainsi, la diminution de l’albumine dans » le sérum du sang aurait pour l’un de ses effets de rendre le passage du » liquide plus difficile à travers les petits vaisseaux, et par conséquent, re- » lativement à sa cause immédiate, il n’y aurait pas si loin de l’hydropisie » qui suit une maladie organique du cœur ou du foie, à celle qui suit l’a- » baissement du chiffre de l’albumine du sang. » Si l’on cherchait à ébranler ces hypothèses, en objectant que, dans la paralysie générale des aliénés, on rencontre très-rarement l’œdème propre- ment dit, l’anasarque, l’ascite, je pourrais peut-être répondre par un argu- ment tiré de la pathologie comparée : je pourrais peut-être dire que, chez les moutons qui ont des douves au sein des conduits biliaires, et dont l’hy- dropisie est regardée comme la conséquence de la diminution de l’albumine du sang, diminution constatée par MM. Andral et'Gavarret, je pourrais peut-être dire que, chez ces animaux ainsi malades, l’infiltration se mani- feste seulement à la conjonctive et aux tissus mous qui entourent la mâ- choire inférieure ; que c’est seulement dans les cas où l’affection est très- avancée qu’il se forme des épanchements d’une certaine quantité de liquide dans les cavités séreuses. Mais je répondrais surtout par un argument bien plus solide. En effet, l'exclusion dans l’humorisme est aussi illégitime que l’exclusion dans le solidisme. La ténuité du sang a besoin, pour produire nécessairement l’hydropisie, d’une autre condition, qui est, comme l’admet Henle, un certain relâchement des mailles des parois des vaisseaux. Sui vant cet auteur, la laxité de tissu est provoquée par une atonie due proba- blement à une paralysie directe des nerfs, à un vice d’influx nerveux, à la stagnation du sang dans les vaisseaux, à sa pression trop forte sur leurs pa- rois dont les pores se trouvent alors forcés. Or, dans la paralysie générale des aliénés, sans parler de la lésion dynamique primitive, il y a très-sou- vent au sfin du cerveau, comme nous l’avons démontré, un état permanent de gêne circulatoire. En adoptant la théorie éclectique de Henle, on expli- que alors très-bien pourquoi, au lieu de se faire dans les aréoles du tissu cellulaire, dans le péritoine, etc., l’épanchement séreux survient dans la cavité de l’arachnoïde, dans la pie-mère et dans les ventricules latéraux. Il est donc très-probable, en se fondant sur les considérations qui précè- dent, que la diminution spontanée, la formation insuffisante de l’albumine du sang, soit la cause prochaine d’un certain nombre desliydropisies céré- brales qui ont lieu chez les aliénés paralytiques. Quoi qu’il en soit, je pense, avec M. Bayle, que, chez ces malades, l’exhalation de sérosité dans la cavité de l’arachnoïde, l’infiltration séreuse de la pie-mère et surtout les épanchements de même nature dans les ventricules latéraux, tendent, en .raison de la compression qu’ils exercent sur le cerveau, à augmenter la pa- ralysie et l’affaiblissement des facultés intellectuelles. Le fait suivant vient à l’appui de cette opinion. Un aliéné paralytique, dont l’observation n’est pas comprise parmi les seize cas que j’ai rapportés, fut saigné par moi tout récemment. La maladie avait fait des progrès très-rapides. La paralysie était telle, que la marche et la station étaient impossibles ; l’affaiblissement de l’intelligence si prononcé, qu’il y avait défaut presque absolu d’attention et de mémoire, en un mot, un véritable état de stupidité. Ayant analysé le sang, je trouvai le chiffre des globules au-dessous de sa proportion moyenne (119), la fibrine en quantité normale, et une diminution dans les matériaux organiques du sérum. Après avoir été soumis pendant environ un mois, trois fois par semaine; à des doses assez fortes d’aloès, qui déterminaient chaque fois des selles liquides très-abondantes, le malade éprouva une amé- lioration considérable. De stupide qu’il était, il devint apte à converser ; de tout à fait immobile dans son lit, il finit par se tenir debout et par marcher seul. Dans ce cas, la compression du cerveau ne pouvait point dépendre d’une congestion sanguine, puisque la fibrine du sang n’avait pas diminué et que les globules se trouvaient inférieurs à leur moyenne physiologique. Si tant est que cette compression existât, elle devait donc plutôt être pro- duite par une accumulation de sérosité, à la disparition de laquelle les sé- crétions alvines, dues à l’influence de l’aloès, n’auraient point été étran- gères. Aussi, un précepte thérapeutique très-rationnel découle de cette induction pathogénique, celui d’employer, dans des cas analogues, les pur- gatifs et non pas les saignées ; car, dans ces cas, les premiers moyens n’ont du moins pas le désavantage des seconds, l’inconvénient de priver le sang de ses globules, dont le chiffre tend ici à s’abaisser, conséquemment à produire l’anémie, affection tout aussi propre que la congestion gérébrale à aggraver la paralysie. Loin de nuire à l’anatomie pathologique, la chimie peut donc lui venir en aide et lui servir de contrôle. Également légitimes, ces deux moyens d’in- vestigation sont comme deux flambeaux qui s’éclairent et se fortifient mu- tuellement. RÉSUMÉ. De ce travail dérivent trois ordres de conclusions : 1° Des faits chimiques ; 2° Des inductions pathogéniques ; 3° Des inductions thérapeutiques. FAITS CHIMIQUES. 1° Dans la paralysie générale des aliénés, l’analyse quantitative du sang offre des résultats très-variables. 2° L’augmentation des globules (crase veineuse des Allemands) existe dans la majorité des cas. Ce principe du sang reste à ses proportions nor- males dans une assez forte minorité. Enfin, il s’abaisse dans une minorité plus faible. 3° La fibrine demeure à ses limites physiologiques dans la majorité des cas. Elle s’abaisse d’une manière absolue dans une certaine minorité. Elle s’élève (crase fibrineuse, hypérinose des Allemands) dans une minorité in- férieure. Zi° Les matériaux solides du sérum, soit organiques, soit inorganiques, restent à leurs proportions normales dans la majorité des cas. Ils s’élèvent notablement au-dessus de leur moyenne physiologique dans une faible mi- norité. 5° Les matériaux organiques du sérum, où l’albumine entre pour une si forte part, diminuent notablement dans un peu moins d’un tiers des cas. 6° L’eau dépasse sa proportion moyenne dans une faible majorité. Elle descend au-dessous dans une forte minorité. INDUCTIONS PATHOGÉNIQUES. 1° L’augmentation des globules (crase veineuse) et la diminution absolue de la fibrine (hypinose), tantôt un seul de ces changements, surtout le pre- mier, tantôt tous les deux à la fois, sont la cause de la congestion cérébrale qui joue un si grand rôle dans l’étiologie de la paralysie générale des aliénés. 2° La congestion au cerveau est une condition capitale, et non pas la raison suffisante du fait initial de la paralysie générale. Elle est au con- traire la cause prochaine ou directe des phénomènes secondaires de cette maladie. 42 3° L’augmentation des globules, loin d’être inhérente à l’essence de la paralysie générale, dépend de plusieurs conditions purement contingentes : le sexe masculin, le tempérament sanguin, la force de la constitution, l’âge moyen de la vie, la voracité, l’activité digestive et assimilatrice. U° L’abaissement des globules engendre parfois les mouvements convul- sifs et les accès de catalepsie. 5° L’augmentation de la fibrine coïncide souvent avec les attaques épi- leptiformes et plusieurs autres symptômes de l’inflammation aiguë du cer- veau ou de ses membranes. 6° Les fausses membranes arachnoïdiennes sont le résultat de la coagu- lation d’une lymphe plastique sécrétée par une surface enflammée et non pas la transformation ou l’organisation pure et simple de la fibrine con- tenue dans du sang épanché en nature au milieu des méninges. T La diminution spontanée de l’albumine entre très-probablement pour quelque chose dans la formation des épanchements séreux plus ou moins considérables qui compriment si souvent le cerveau dans les dernières pé- riodes de la paralysie générale. INDUCTIONS THÉRAPEUTIQUES. 1° Les saignées, une alimentation modérée et végétale sont les moyens les plus rationnels et les plus efficaces pour prévenir, chez les aliénés para- lytiques, le développement de la congestion cérébrale, et pour la combattre quand elle est déclarée. 2° Dans les cas où l’on soupçonne l’existence d’une compression exercée sur le cerveau par une accumulation de sérosité, et où l’analyse du sang révèle une tendance à l’abaissement des globules, on doit employer les pur- gatifs et non pas les saignées.