CONSIDÉRATIONS CHIMIQUES, PHYSIOLOGIQUES ET THÉRAPEUTIQUES SUR LES SELS D’ARGENT, Mémoire présenté à l’Académie des sciences les 18 novembre et 2 décembre 1850, le Docteur J. DELIOUX, Médecin en chef de la marine à Cherbourg, chevalier de la Légion d'honneur professeur aux écoles de médecine navales, etc. A PARIS, Chez LABÉ, libraire, éditeur de la faculté de médecine, Place de l’École-de-Médecine, 23. 1851 Paris. — Imprimé par E. Thünot et c% 26, rue Racine, près de l’Odéon. EXTRAIT de la Gazette Médicale de Paris. — Année 1851. CONSIDÉRATIONS CHIMIQUES, PHYSIOLOGIQUES ET THÉRAPEUTIQUES SUR LES SELS D’ARGENT. Faciliter l’absorption des médicaments, eh annihilant ou en atténuant les effets irritatifs de leur action topique pour mettre seulement en oeuvre leur action dynamique virtuelle, tel est le but que, dans un grand nombre de circonstances, se propose le thérapeutiste. Pour l’atteindre, la connais- sance des lois physiques et chimiques lui vient si souvent en aide qu’il n’est plus permis aujourd’hui de contester l’utilité de leur application à l’interprétation des faits pharmacologiques. Mais dans celte voie nouvelle, que la médecine organique indiquait d’avance à la matière médicale, il ne faut entrer qu’avec des expériences positives, ou au moins avec des induc- tions rationnelles. Puissent les considérations qui vont suivre offrir ce double caractère ! Parmi les éléments nombreux qui constituent la crase des humeurs or- ganiques, tant des humeurs versées à la surface tégumentaire interne et externe que de celles qui circulent dans les vaisseaux ou imprègnent les parenchymes, les sels alcalins et les matières albuminoïdes ou protéiques 4 se présentent comme les plus éminemment susceptibles de réactionner les substances médicamenteuses et d’assurer leur absorption. Toute théorie qui attribuerait à l’un seulement de ces deux groupes d’éléments des humeurs vivantes une prépondérance exclusive dans les modifications chimiques des médicaments appliqués à l’organisme et dans leur absorption, serait, à mon avis, trop absolue, et il est plus conforme à l’induction rationnelle d’ad- mettre que ces deux ordres de réactifs les influencent, soit séparément et chacun pour son compte, soit simultanément. Il y a plus : dans la digestion du médicament, pourquoi le rôle prépon- dérant n’appartiendrait-il pas aux matières albuminoïdes comme il leur appartient dans la digestion de l’aliment? Et l’élément protéique n’a-t-il pas été déposé providentiellement dans les liqueurs vitales pour modifier tout ce qui doit pénétrer dans leur sein, de manière à satisfaire à l’assimila- tion organique dans un cas, et dans l’autre, à adapter aux conditions de la chimie vivante les molécules médicamenteuses ? Il est donc permis de penser qu’une importance exagérée et trop exclu- sive a été accordée aux chlorures alcalins dans quelques théories modernes sur l’action chimique de plusieurs médicaments, particulièrement de ceux du règne minéral. Ce n’est que pour les composés mercuriels que l’on a fait intervenir la réaction de l’albumine, et il est étrange qu’après les travaux de M. Las- saigne (1), corroborés par les observations de M. Mialhe, sur la combinaison du sublimé corrosif avec l’albumine, on n’ait pas songé qu’une réaction analogue pouvait et devait s’établir entre les éléments albuminoïdes de nos humeurs et beaucoup d’autres sels métalliques, et que l’on n’ait pas re- cherché si effectivement l’absorption de ces sels ne s'opérait pas aussi à la faveur d’une combinaison triple des éléments du sel avec l’albumine. On a d’autant plus le droit de s’en étonner que M. Lassaigne ne s’était pas borné à étudier l’action de l’albumine d’abord, puis des alcalis et des sels alcalins sur le sublimé : il avait ultérieurement observé et signalé l’in- fluence de ces mêmes agents sur plusieurs autres sels métalliques (2); il (1) Recherches sur la nature et les propriétés du composé que forme l’al- bumine avec le bichlorure de mercure ; par M. Lassaigne. (Comptes rendus de l’Académie des sciences et Journal de chimie médicale, année 1836.) (2} Lassaigne, Comptes rendus de I’Académie des sciences, 1840. Journal de chimie médicale, 1840; Ibid ! 842. 5 avait vu que l’albumine s’unit avec ces derniers, comme avec le bichlo- rure de mercure, sans les décomposer; que ces albuminates se dissolvent à la faveur d’un excès d’albumine ou de solution du sel métallique qui lui est déjà combiné, et dans les dissolutions de plusieurs sels alcalins. Enfin il avait pensé, avec une haute raison, à mon avis, que ces faits devaient jeter une vive lumière sur le mécanisme de l’action des sels métalliques sur nos organes, sur leur absorption et leur effet médicamenteux, et il avait invité les thérapeutistes à examiner les effets de ces albuminates sur l'éco- nomie animale. Cet appel ne fut point entendu, et je ne connaissais moi-même que le travail de M. Lassaigne relatif au sublimé, lorsque j’entrepris, vers l’année 1848 (lj, de généraliser les faits spéciaux qu'il contient en étudiant l’ac- tion de l’albumine sur d’autres sels métalliques employés en médecine. Ainsi, plagiaire à mon insu, j’aurais cru émettre des idées nouvelles sur l’albuminate d’argent, si les recherches bibliographiques provoquées par mes études habituelles ne m’avaient démontré bientôt qu’il ne restait pres- que plus rien à découvrir, au point de vue chimique, sur ces albuminates si intéressants et si singuliers. On avait remarqué d’ailleurs depuis longtemps combien la présence des matières organiques modifie les réactions ordinaires des sels à base d’oxydes métalliques, et M. H. Rose, insistant particulièrement sur ce sujet, avait indiqué un grand nombre de ces modifications. Ce n’est donc qu’en seconde ligne, à titre de modeste essai dans un ordre de recherches basées sur les faits et les principes précédemment posés, et pour servir a leur confirmation, que je viens examiner l’influence que peuvent exercer les sels alcalins, et principalement les chlorures, d’une part, et les matières albuminoïdes, de l’autre, sur les sels d’argent, et je crois en conséquence être arrivé, en répétant et en étendant parfois les ex- périences de M. Lassaigne, à établir une théorie nouvelle sur le mode d’ad- ministration et d’absorption de ces composés. Peut-être du moins aurai-je été le premier à introduire dans la thérapeu- tique les albuminates métalliques. Peut-être encore me sera-t-il permis plus tard de présenter des consi- dérations analogues sur d’autres médicaments minéraux; mais plus préoc- (i) La plupart îles faits et dos opinions qui font l’objet de ce mémoire ont été exposés dans mon cours de matière médicale à l'École de médecine navale de Ro- da tort, pendant le semestre d’hiver 18û8-!8't9. cupé des véritables intérêts scientifiques et du perfectionnement de la pra- tique médicale que de toutes questions de priorité, je me verrais avec plaisir suivi et devancé même dans cette voie d’investigation par des ob- servateurs plus habiles, car je suis persuadé que l’on rendrait un pressant et éminent service à la pharmacologie en déterminant le rôle précis que jouent les matières albuminoïdes dans l’absorption, l’assimilation, et le mode intime d’action des composés métalliques. Ce mémoire sera divisé en deux parties. Dans la première, j’examinerai seulement l’azotate d’argent, l’agent le plus important de la médicamentation argentique. Dans la seconde, je passerai en revue les autres préparations de ce métal employées en thérapeutique ou susceptibles de l’être. 6 PREMIÈRE PARTIE. DE L’AZOTATE D’ARGEIVT. 1° EXPÉRIENCES CHIMIQUES. M. Mialhe admet que l’azotate d’argent et les sels de ce métal sont trans- formés dans l’estomac, par les chlorures alcalins, en chloro-argenlate al- calin soluble et immédiatement absorbable. Mais les chlorures alcalins ne forment avec le chlorure d’argent des chlo- rures doubles solubles qu’en faisant réagir à la température de l’ébullition des dissolutions concentrées de chlorures alcalins sur le chlorure d’argent. Alors il se dépose par le refroidissement un double chlorure argentique et alcalin cristallisé ; mais ce nouveau sel est décomposé par l’eau, qui dissout le chlorure alcalin et très-peu de chlorure d argent (1). Ainsi, en admettant que l’azotate d’argent dans l’estomac soit transformé en chlorure d’argent, que ce dernier, sous l’influence des chlorures alcalins, soit ultérieurement transformé en chloro-argentate alcalin, ce nouveau chlorure double ne serait pas une substance immédiatement ni même facilement absorbable, puisque, décomposé par l’eau, il donnerait lieu à la recomposition d’un composé insoluble, ce même chlorure d’argent dont il est impossible d’ex- (1) Thénard, Traité de chimie, t. III, p. 469, et tous les traités de chimie. 7 pliquer la dissolution, du moins complète, et l’absorption, en ne spéculant que sur l’action des chlorures alcalins : cercle vicieux d’où l’on ne peut en définitive faire sortir une explication plausible de l’action chimico-théra- peutique des sels d’argent. On peut aller plus loin, et assurer qu’à la température du corps humain et dans l’état de dilution où les chlorures se trouvent dans les liqueurs or- ganiques, si l’on ne fait valoir que la réaction des chlorures sur l’ar- gent, il est impossible d’admettre la formation d’un chloro-argcntate al- calin. En effet : PREMIÈRE EXPÉRIENCE. Une dissolution de : Chlorure de sodium ; Chlorhydrate d’ammoniaque 1 Sa 0,60 Eau distillée 100 a été jetée sur du chlorure d’argent, récemment précipité, dans un tube de verre. Le tube a été plongé dans de l’eau dont la température, au commen- cement de l’expérience, était de-j-55° et à la fin de-j-20°. Au bout d’une heure, la dissolution surnageant le précipité a été essayée par les réactifs de l’argent, qui n’ont décelé aucune trace de ce métal. Donc, à la température du corps humain, les chlorures alcalins ne peu- vent dissoudre le chlorure d’argent. Mais si, au lieu de chercher à conclure sur des essais faits avec des li- queurs purement minérales, on fait intervenir dans la réaction des éléments organiques, on arrive à des résultats différents. DEUXIÈME EXPÉRIENCE. Si, dans une solution filtrée d’albumine, on verse quelques gouttes d’une solution d’azotate d’argent, il se forme un coagulum lié et tenace, analogue à celui que produisent la plupart des acides et des sels métalliques; mais ce coagulum se dissout sensiblement dans un excès de la solution albumi- neuse, et la liqueur conserve seulement une teinte opaline. TROISIÈME EXPÉRIENCE. Si après avoir produit un coagulum par l’azotate d’argent dans une dis- solution albumineuse, on ajoute quelques gouttes d’une dissolution de chlorure de sodium et que l’on agite la liqueur, le précipité se dissout im- 8 médiatement et ne se reforme plus, même au bout de plusieurs heures ; la liqueur prend seulement une teinte légèrement opaline, comme dans la deuxième expérience, surtout si l’on a employé plus d’azotate que de chlo- rure, ce qui prouve bien, à la rigueur, que l’albumine a éprouvé un certain degré de coercion ; mais il n’y a pas là un véritable précipité, partant de composé insoluble produit. Était-il permis d’inférer de la deuxième et de la troisième expérience que l’azotate d’argent reste soluble dans les liqueurs chlorurées en présence et sous l’influence des matières albuminoïdes? Celte question paraît devoir être résolue affirmativement par l’expérience suivante sur le sérum du sang. QUATRIÈME EXPÉRIENCE. Lorsque, dans le sérum du sang, on verse quelques gouttes d’une disso- lution d’azotale d’argent, il se fait à la surface un léger précipité qui se dissout immédiatement et complètement en agitant le sérum ; celui-ci ne perd sensiblement de sa transparence que lorsqu’on y a versé un certain excès de la dissolution argentique. Au bout de plusieurs heures, le précipité ne se reforme pas- Dans cette expérience comme dans la précédente, la liqueur, laissée à l’air et à la lumière, brunit de plus en plus et abandonne souvent une très- petite quantité d’un dépôt noir résultat de la réduction de l’argent par la ma- tière organique. L’azotate d’argent peut donc rester à l’étal soluble dans les liqueurs où se trouvent simultanément de l’albumine et du chlorure de sodium; et par conséquent sa solubilité est assurée dans les humeurs organiques qui offrent abondamment des matières albuminoïdes et des chlorures alcalins, et il ne peut pas s’y transformer en chlorure d’argent. Bien plus, si cette dernière transformation avait lieu, l’absorption du com- posé argentique ne paraîtrait plus possible (1); en effet, non-seulement à la température du corps humain le chlorure d’argent n’est pas soluble dans les dissolutions chlorurées pures, mais il ne l’est pas non plus dans les dis- solutions albumineuses chlorurées et dans le sérum, comme le prouve l’ex- périence suivante, contre-épreuve des exp. 3 et h. (1) En admettant toutefois l’hypothèse que les substances insolubles ne sont pas absorbables, chose en question et sur laquelle je dirai ultérieurement mon opinion. 9 Du chlorure d’argent, récemment précipité, a été laissé en contact pen- dant vingt-quatre heures avec une solution albumineuse chlorurée, avec du sérum du sang, et jamais il n’a été possible de redissoudre aucune par- celle de ce précipité. Pour chercher la preuve que les matières albuminoïdes sont la cause de la solubilité de l’azotate d’argent dans les liqueur chloruréps ou salino- alcalines, j’ai fait une expérience qui me semble concluante, et que voici : CINQUIÈME EXPÉRIENCE. SIXIÈME EXPÉRIENCE. Du sérum ayant été privé d’albumine par la coagulation à l’aide de l’acide azotique, la liqueur décantée a été traitée par l’azolate d’argent qui l’a pré- cipitée aussitôt. Un excès du sérum privé d’albumine ne redissout pas le précipité. Si au sérum privé d’albumine, on ajoute du sérum ordinaire, en versant dans le mélange quelques gouttes d’une solution d’azotate d’argent, on voit se produire les mêmes phénomènes que dans la quatrième expérience. Enfin, si, dans une solution d’albumme de blanc d’œuf, on détermine un précipité par l’azotate d’argent, et si l'on ajoute du sérum privé d’albu- mine, on reproduit les phénomènes notés dans la troisième expérience. J’ai recherché ensuite si le précipité formé par l’azotate d’argent dans les solutions albumineuses ne se dissout que sous l’influence des chlorures alcalins, si d’autres sels à base alcaline ou les alcalis puissants seuls ne jouiraient pas des mêmes propriétés, et je suis arrivé aux résultats sui- vants : J'ai expérimenté d’abord sur les sels qui existent abondamment dans les humeurs organiques à côté des matières albuminoïdes. Le phosphate de soude dissout le précipité albumino-argenlique un peu moins que les chlorures alcalins. Le sulfate de soude le dissout un peu moins encore. Les carbonates de soude et de potasse le dissolvent presque autant que les chlorures alcalins. Enfin, la potasse, la soude et l’ammoniaque dissolvent entièrement le précipité, et la liqueur devient incolore et transparente. Ainsi les humeurs organiques possèdent, non pas exclusivement dans les chlorures, mais simultanément dans leurs éléments salins et albumi- noïdes des réactifs susceptibles de transformer l’azotate d’argent, et pro- 10 bablement tous les autres composés de ce métal, en une combinaison so- luble et absorbable, autre que le chlorure d’argent ou un chloro-argentate alcalin. En outre, les matières albuminoïdes impriment aux dissolutions argen- tiques des caractères spéciaux et dénaturent leurs réactions ordinaires ; de telle sorte que tous les réactifs de l’argent, hors l’acide sulfhydrique qui acquiert par cela même, dans l’espèce, une grande valeur, au lieu de four- nir les précipités colorés si caractéristiques, éclaircissent généralement la dissolution et semblent augmenter la solubilité du composé argento-pro- téique. En effet, des dissolutions d’azotate d’argent, Dans le sérum du sang, Dans l’eau albumineuse additionnée de chlorures sodique et ammonique, Dans l’eau albumineuse seule employée en grand excès, ont présenté, dans l’essai des réactifs de l’argent, les caractères suivants : Acide chlorhydrique (l) Pas de précipité, les liqueurs s’éclaircissent. Chlorures alcalins id. id. Phosphate de soude id. id. Arséniate de potasse id. id. Acide arsénieux id. id. Ferro-cyanure de potassium . . . id. id. Ferri-cyanure de potassium ... id. id. Potasse, soude, ammoniaque (2). id., les liqueurs s’éclaircissentbeaucoup. Carbonates alcalins id. id. Cyanure de potassium id. id. Chromate de potasse id., les liqueurs jaunissent. (1) C’est ainsi du moins que les choses se sont passées dans la majorité des expériences ; dans quelques-unes cependant il s’est formé un précipité ressem- blant plutôt à la coagulation de l’albumine par l’acide chlorhydrique qu’à la for- mation d’un chlorure d’argent. Cette réaction négative serait contradictoire du fait avancé par M. H. Rose, savoir, que la présence des substances organiques non volatiles n’empêche pas l’acide chlorhydrique de précipiter les dissolutions argentiques. (2) M. H. Rose a déjà appelé l’attention sur ce point : que la présence de ma- tières organiques empêche beaucoup d’oxydes d’être précipités par les alcalis de leurs dissolutions qui, sans cette circonstance, les précipiteraient complètement. 11 lodure de potassium Léger trouble peu durable, qui disparaît par un excès de précipitant. Lames métalliques, zinc, fer, étain, cuivre Pas de réduction de l’argent; seulement au bout de plusieurs heures, il se dépose sur les lames métalliques des flocons albumi- neux brunâtres, qui sont peut-être un albu- minate d’oxyde d’argent? Acide sulfhydrique, sulfhydrate d’ammoniaque Coloration brun noirâtre instantanée. Ce ré- actif est d’une grande sensibilité. En résumé, que se forme-t-il dans les circonstances précitées? Puisque nous voyons l’azotate d’argent rester soluble dans un grand ex- cès d’eau albumineuse, et cette solution offrir tous les caractères réaction- nels de celles qui sont additionnées de chlorures ou d’autres sels alcalins, rien n’autorise à admettre que les chlorures entrent comme éléments dans la combinaison qui a pris naissance; on peut établir seulement qu’ils en favorisent la solubilité. Restent deux hypothèses : Il s’est formé un composé binaire d’albumine et d’oxyde d'argent ; Ou bien, une combinaison triple des deux éléments du sel et de l’élé- ment protéique, un azoto-albuminale ou un azotate double d’albumine et d’argent. Cette dernière manière de voir est probablement la plus logique (1) ; elle est susceptible d’être généralisée pour l’interprétation des réactions qui s’établissent entre la plupart des sels métalliques et les matières albumi- noïdes, et applicable enfin à l’explication du mode d’absorption et d’action physiologique de ces mêmes sels, ainsi que je l’ai fait pressentir au com- mencement de ce mémoire. Donc, au contact des matières albuminoïdes et de l’azotate d’argent, il se forme un composé soluble dans une grande quantité d’eau, dont les (3) C’est aussi l’opinion de M. Lassaigne qui, ayant analysé ce composé, l’a trouvé formé de : Albumine 84, 5 Azotate d’argent 15,5 100,00 (Journal de chimie médicale, 1S40.) sels alcalins et particulièrement les chlorures favorisent lasolubilité, qui se comportent autrement que les sels d’argent ordinaires avec les réactifs, même avec l’acide chlorhydrique et les chlorures, composé qui joue un rôle essentiel et capital dans l’action chimico-physiologique des préparations d’argent. 12 2° APPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES. Des faits chimiques qui viennent d’être exposés découlent des consé- quences importantes au point de vue de la pharmacologie et de la théra- peutique. Lorsque, sur la peau dénudée, sur une membrane pyogénique, sur une membrane muqueuse, on applique un crayon ou une solution concentrée d’azotate d’argent, on voit se former presque instantanément une escarre blanche due à la coagulation de l’albumine. Si cette escarre est très-mince, pelliculaire, elle peut être résorbée au moins partiellement ; mais pour peu qu’elle ait une certaine épaisseur, il est incontestable qu’insoluble dans les humeurs qui la baignent, elle ne tend qu’à l'élimination. On pourrait croire, au premier abord, que la production de celte escarre est en désaccord avec mes expériences chimiques ; mais elle les corrobore au contraire. En effet, dans cette circonstance, on fait réagir sur les tissus et au sein des humeurs organiques une proportion d’azotate d’argent excé- dant, et de beaucoup, celles des chlorures alcalins qui entrent dans leur composition. Or j’ai expérimenté que, pour dissoudre le précipité produit dans une solution albumineuse par l’azotate d’argent, il faut employer une quantité de chlorure de sodium au moins égale à celle de l’azotate d’ar- gent ; corrélativement, nous voyons les dissolutions étendues où ce dernier sel n’existe que dans des proportions inférieures à celle des chlorures et autres sels qui alcalinisent les humeurs vitales, ne déterminer dans ces humeurs aucun précipité sensible, et occasionner seulement à la surface des tissus un certain degré d’aslriction insuffisant pour s’opposer à l’ab- sorption d’une partie de l’azotate d’argent, soit en nature, soit à l’état d’al- buminale. Aussi nul doute, à mon avis, que ces dissolutions étendues n’ont pas seulement dans beaucoup de cas, et notamment lorsqu’elles sont por- tées dans les voies digestives, un effet local, comme le pensent tant de médecins trop préoccupés encore de l’action topique des médicaments ; elles ont en même temps, sinon davantage, une action dynamique, résultat de leur facile absorption. Au surplus, cette escarre est la négation la plus complète de toute théo- 13 rie qui présuppose la transformation de l’azotate d’argent en chlorure au contact des tissus et des liquides organiques. Coagulum protéique, lié, te- nace, élastique, identique à celui qui se produit dans une solution albu- mineuse pure, cette escarre traduit de la manière la plus évidente l’action élective du sel argenlique sur les éléments albuminoïdes, et rien ne res- semble moins qu’elle au précipité grumeleux, caillebotté, dur, constitué par le chlorure d’argent. Ce n’est là, il est vrai, qu’une induction plus ou moins rationnelle, mais l’expérience la confirme péremptoirement ; car si l’on traite l’escarre, ce produit de l’action topique des sels d’argent solubles, par une solution de potasse, on la dissout entièrement, ce qui n’aurait lieu qu’incomplétement si elle contenait du chlorure d’argent insoluble dans la potasse. Il résulte de ces considérations que des changements importants doivent être introduits dans la rédaction des formules ayant pour objet l’adminis- tration interne de l’azotate d’argent. Je regrette d’être obligé de taxer d’irrationnelles celles qui ont pour but, en réunissant dans un excipient commun l’azotate d’argent et le chlorure de sodium, de préparer d’avance le chlorure d’argent : loin de faciliter l’absorption du médicament, elles ne peuvent que le retarder; car si le chlorure d’argent est, dans nos verres, l’un des plus insolubles précipités, je crois qu’il en est à peu près de même au milieu des humeurs orga- niques, puisque je ne suis jamais parvenu à le dissoudre en reproduisant approximativement les conditions physiques et chimiques de l’économie vivante. Les formules rationnelles seront celles qui prescriront de porter immé- diatement et sans aucune décomposition préalable l’azotate d’argent au sein des liqueurs organiques, qui, le recevant sans le précipiter, permettront son absorption dans les secondes voies. Pour la forme pilulaire, une sub- stance inerte sera le meilleur excipient possible; pour la forme liquide, l’eau distillée comme dissolvant sera préférable à tout autre véhicule. Tou- tefois, l’action topique de l’azotate d’argent est trop irritante pour que je conseille la forme pilulaire, et la solution aqueuse elle même peut exercer sur la membrane gastrique une agression douloureuse. Je crois en consé- quence que la solution albumineuse chlorurée offrirait pour ce sel le meil- leur véhicule, parce qu’elle le transforme en un composé immédiatement absorbable, et dont l’action topique est,infiniment plus douce que celle de l’azotate d'argent pur, même en dissolution étendue,ainsi que j’en ai acquis la preuve dans plusieurs expériences cliniques comparatives. 14 FORMULE MODÈLE POUR UNE POTION. Blanc d’œuf 1 n°. Dissolvez dans : Eau distillée 120 grammes. Filtrez à travers un linge fin. Ajoutez ensemble, après avoir dissous séparément les deux sels dans s. q. d’eau distillée : Azotate d’argent i _ Chlorure de sodium j aa 0,05 Sirop de sucre 30 Il esl bien entendu que la dose du sel argentique n’a rien d’absolu , et qu’elle sera augmentée selon l’indication. Ce qu’il importe de signaler dans ce type de formule, c’est qu’une même dose des deux sels doit être em- ployée. Dans le petit nombre d’essais qu’il m'a été donné de faire jusqu’ici, celte potion n’a déterminé aucune douleur, aucun trouble dans les organes di- gestifs, et je crois qu’elle mérite d’être essayée dans les formes si variables de la gastralgie, contre laquelle d’ailleurs les préparations d’argent ont été préconisées, notamment dans les dernières années, par plusieurs médecins anglais et allemands. Je crois enfin que s’il fallait administrer ce médicament pendant long- temps et le pousser à des doses élevées, comme on l’a fait dans l’épilepsie (où il a été donné jusqu’à 1 gramme par jour), cette formule, mieux que toute autre, en dissimulant les propriétés irritatives de l’azotate d’argent, en assurerait la tolérance et permettrait de soutenir la médication. Mais il faut se hâter de dire aussi qu’en contact avec des matières orga- niques, ce sel se réduit plus promptement encore que dans l’eau distillée, et que cette potion, sous peine de voir s’amoindrir de plus en plus son énergie thérapeutique, doit être consommée très-peu de temps après sa préparation. G’est principalement en lavement, contre divers flux intestinaux, que j’ai eu l’occasion déjuger les avantages de l’administration de l’azotate d’argent en dissolution dans l’eau albumineuse chlorurée. D’abord on réunit de cette manière deux substances dont Peflicacité a été mise souvent à l’épreuve contre diverses formes de diarrhées et de dyssenteries. Enveloppé par l’albumine, le sel argentique n’exerce plus sur la surface intestinale cette impression vive qui se traduit en coliques dou- 15 loureuses. Son action locale est diminuée sans doute; mais est-il bien prouvé que ce soit cette action physico-chimique toute de contact qui mo- difie les flux intestinaux? N’est-il pas un grand nombre de ces flux qui ne s’accompagnent d’aucune lésion de la muqueuse intestinale ; d’autres qui s’établissent sans que cette lésion, assez variable d’ailleurs, les explique d’une manière rationnelle? Est-ce que la dyssenterie, par exemple, la dys- senterie épidémique et celle des pays chauds surtout, n’a d’autre support organique que la phlogose et les ulcères de la membrane cœco-colique, et l'étude raisonnée de ses symptômes, l’examen des déjections spécifiques qui la caractérisent ne conduisent-ils pas à admettre qu’il y a au fond de cet état morbide des altérations humorales et des lésions nerveuses ? Or on ne guérit pas ces perturbations profondes en limitant l’action des agents phar- macologiques aux surfaces tégumentaires ; en tant que modificateurs topi- ques, ils ne sont que des adjuvants parfois utiles, mais leur action dynamique générale n’est consécutive qu’à leur absorption. On ne saurait trop répéter, pour combattre sans relâche les tenaces préjugés qui régnent encore dans les écoles, que l’art de faire pénétrer les médicaments dans les voies de l’absorption est l’un des moyens de progrès les plus féconds de la thérapeu- tique moderne. Je crois donc que si, en administrant les injections intestinales dont l’a- zotate d’argent est l’élément actif, on a parfois intérêt à produire un effet local, dans beaucoup d’autres cas, dans les plus nombreux peut-être, l’effi- cacité du remède dépend de l’endosmose vasculaire, et l’intermède de l’al- bumine et des chlorures alcalins assure ce résultat. En formulant les lave- ments argentiques d’après ces principes, on les verra réprimer les flux de ventre au moins avec autant de garanties de cure définitive qu’en préférant l’eau pure pour véhicule, et ils auront sur ceux préparés par la méthode ordinaire l’avantage de causer peu ou point de douleurs, et d’être plus faci- lement retenus, comme j’en ai acquis l’expérience, en administrant, sui- vant mon procédé, l’azotate d’argent par le rectum depuis 10 jusqu’à 60 centigrammes. lime reste à signaler un dernier avantage qui n’est pas sans importance, et qui ressort de l’un des caractères chimiques les plus curieux de l’albu- minate d’argent. Quand on destine une injection à agir ailleurs que dans l’intestin, la pe- tite seringue en verre employée pour les injections urétrales sert sans au- cun inconvénient et sans exposer à la décomposition du sel argentique; mais pour les lavements, on ne peut se servir, particulièrement dans les 16 hôpitaux, que des seringues d’étain dont le métal réduit l’argent ; par conséquent, quelque promptitude que l’on mette à pousser la solution dans l’intestin aussitôt qu’elle a été versée dans l’instrument, la décomposition s’est opérée en partie, et à part le désagrément de couvrir les parois de la seringue d’une couche noire qu’il n’est pas toujours très-facile d’enlever, on a administré tout autant un sel d’étain qu’un sel d’argent ; si bien qu’en définitive le malade reçoit un médicament défectueux et différent, quant à la nature et quant à la dose, de celui que le médecin a prescrit. En prescrivanl, au contraire, la solution albumineuse chlorurée d’azotate d’argent, comme l’étain ne peut opérer aucune réduction (sinon au bout d’un temps assez long, et encore fort incomplètement), tous les inconvé- nients signalés plus haut disparaissent. J’ai adopté dans mon service à l’hôpital maritime de Rochefort ce mode d’administration, et je n’ai eu, sous tous les rapports, qu’à m’en applaudir. J'ai cru aussi devoir tenter quelques essais sur l’emploi de cette solution dans le traitement de la blennorrhagie ; j’ai reconnu que sur la muqueuse de l’urètre comme ailleurs, son action est plus douce, à dose égale de sel d’argent, que celle delà solution dans l’eau distillée; j’ai obtenu quelques résultats favorables dans les écoulements chroniques et vers la fin des écou- lements aigus qui menacent de passer à la chronicité ; mais je ne lui ai pas attribué de supériorité sur d’autres injections plus usitées et d’une conser- vation plus facile ; et comme moyen abortif il est impossible de compter autant sur elle que sur la solution aqueuse où l’azotate d’argent conserve toute sa causticité. Au nombre des agents thérapeutiques essayés contre le choléra, l’azotate d’argent paraît avoir eu entre les mains de quelques praticiens de notables avantages; ainsi il a été recommandé par M. Barth (1), par MM. Girouard et Greslou, de Chartres (2 , par M. Garlick (3), médecin anglais, par M. Immanuel Lévy, médecin allemand (4); d’un autre côté, le chlorure de sodium est l’un des éléments les plus importants du traitement salin opposé à la même maladie. Enfin les déjections cholériques entraînent des déperditions considérables de matières albuminoïdes, soit altérées sous (1) Bulletin de thérapeutique, 30 sept. 1849. (2) Union médicale, 7 et 14 avril 1849. (3) Gazette Médicale, 1849, p. 605. (4) Union médicale, 11 déc. 1849. 17 forme (Talbu min ose, soit à l’état d’albumine pure. Or donc ne peut-on se demander si, en administrant à la fois l’azotate d’argent, le chlorure de so- dium et l’albumine, on ne modifierait pas favorablement les symptômes du choléra ? Je me borne à poser la question, prévention purement théorique, car des essais peu nombreux ne me permettent pas de la résoudre. J’aborde en finissant un point de toxicologie fort délicat, car mes expé- riences ne tendraient à rien moins qu’à détruire des opinions généralement reçues, et à me mettre en dissidence avec l’un des plus habiles et des plus savants toxicologistes, M. Orfîla, dont je respecte autant que personne l’au- torité. Si l’azotate d’agent, en présence de matières albuminoïdes, n’est pas précipité par le chlorure de sodium, et je crois l’avoir surabondamment démontré, ce dernier sel n’est pas le contre-poison du premier, puisqu’ils ne peuvent réagir l’un sur l’autre dans l’estomac qu’en présence des élé- ments albumineux des liquides sécrétés par ce viscère, et partant le résultat de cette réaction ne doit pas être la précipitation du chlorure d’argent : la conséquence est forcée. Si, par impossible, il n’existait actuellement dans l’estomac qu’une petite quantité de liquides organiques, en même temps que de fortes proportions d’azotate d’argent et de chlorure de sodium y seraient introduites, et si alors il se produisait une certaine quantité de chlorure d’argent, il se formerait toujours aussi un composé albumino-argentique soluble et absorbable, et par conséquent là encore le sel marin n’aurait pas eu tout l'effet qu’on en attendait. Le chlorure de sodium ne peut donc pas être le véritable contre-poison de l’azotate d’argent. Tout au plus pourra-t-on admettre que l’eau salée sera utile en transfor- mant le sel d’argent en un composé qui n’exercera plus d’action caustique sur la muqueuse gastrique, ce qui sera, dans la majorité des circonstances, un immense bienfait ; car cette action caustique constitue en très-grande partie, dans l’espèce, la gravité de l’empoisonnement, et il me paraît bien probable que lorsqu’un composé d’argent ne possède pas de propriétés to- piques irritantes, ou du moment qu’il les a perdues, il peut être, sans danger d’intoxication, absorbé à des doses bien plus élevées qu’on ne le suppose communément. Pour décomposer dans l’estomac l’azotate comme tout sel d’argent so- luble et déterminer la formation d’un précipité insoluble, il ne faut comp- 18 1er que sur le proto-sulfure de fer hydraté, ce précieux contre-poison si- gnalé avec tant de bonheur par M. Mialhe, et qui doit dominer le traite- ment chimique de la plupart des empoisonnements métalliques. Je crois cependant devoir appeler l’attention sur une substance qui, ne fùt-ce qu’à défaut du proto-sulfure de fer et vu la facilité avec laquelle on peut se la procurer dans un cas où il est urgent d’agir, me paraît susceptible d’être employée avec avantage dans l’empoisonnement par l’azotate d’argent. Si l’on verse une dissolution de ce dernier sel dans du lait, il se forme instantanément un précipité blanc, caillebotté, soluble dans l’ammoniaque, devenant violet à la lumière. Celte expérience démontre que la caséine ne jouit pas comme l’albumine de la propriété de maintenir la solubilité de l’azotate d’argent en présence des chlorures alcalins qui existent dans le lait. Il en résulte aussi qu’il ne faut pas accorder cette propriété aux matières albuminoïdes en général, mais qu’il faut l’attribuer plus spécialement à l’albumine. Si l’on ajoute au lait de l’albumine, on n’empêche pas le précipité de se produire. Ainsi l’albumine des humeurs gastriques, en se mêlant avec le lait, n’ar- rêterait pas la décomposition du sel d’argent. Conséquemment n’est-il pas permis d’espérer que le lait serait un contre- poison efficace de l’azotate d’argent ? C’est à l’expérience de prononcer. Je me propose d’essayer le lait à cette fin sur les animaux. DEUXIÈME PARTIE. DE QUELQUES PRÉPARATIONS D’ARGENT SUSCEPTIBLES D’ÊTRE EMPLOYÉES EN THÉRAPEUTIQUE. Comme résultat de l’administration des préparations d’argent à l’inté- rieur, deux accidents peuvent se produire, double éventualité qui, pré- occupant sans cesse les thérapeutistes, les empêche souvent d’insister sur l’emploi interne de ces médicaments et de les porter à une dose suffisante pour développer leur action : 1° L’action irritante topique de ces préparations ; 2° La coloration spéciale de la peau. L’action irritante n’appartient en propre qu’aux préparations solubles ; une seule d’entre elles est entrée dans la matière médicale, l’azotate d’ar- gent Or il a été démontré précédemment que l’on peut éluder, annihiler 19 en partie l'action topique de ce sel en favorisant sa combinaison avec l’al- bumine, et ne déterminer ainsi que son action dynamique. La coloration argentique de la peau a été, dans un grand nombre de circonstances, la conséquence fatale d’un long traitement par l’azotate d’argent chez les épileptiques, conséquence assez grave malgré la chance d'une guérison constatée dans un petit nombre de cas. Rien n’arrête les progrès de cette coloration que la suspension du médicament, rien ne la fait disparaître quand elle est établie. Cet accident, contre la production duquel le thérapeutiste n’est nullement armé quand il emploie l’azotate d’argent longtemps et isolément, mérite d’être pris en sérieuse considé- ration. Il n’est donc pas sans intérêt de rechercher si d’autres sels d’argent que l’azotate méritent d’être conservés ou introduits dans la matière médicale, sous la triple condition — qu’ils auront une action topique peu irritante ou nulle, — qu’ils seront absorbables, — qu’ils ne détermineront pas la co- loration bronzée des surfaces tégumentaires, ou du moins qu’ils ne la pro- duiront qu’cà un moindre degré que l’azotate d’argent. A ces titres, j'examinerai : 1° L’argent métallique et les composés insolubles que, dans ces derniers temps, on a tenté d’introduire dans la pratique médicale ; 2° Comme composés solubles, Tiodure double de potassium et d’argent et l’hyposulfite double de soude et d’argent. 1° DES PRÉPARATIONS ARGENTIQUES INSOLUBLES. L'argent métallique n’a guère été de nos jours préconisé comme mé- dicament interne; mais il est entré jadis dans la confection de plusieurs formules officinales à l’état de limaille. A quelque degré de division qu’on pût amener la limaille, si l’on voulait expérimenter à l’intérieur l’argent métallique, il vaudrait mieux, à mon avis, employer l’argent précipité par le zinc ou par l’étain, ou obtenu du protoxyde par réduction à l’aide de la chaleur ; le métal se trouverait ainsi sous forme d’une poudre fine et im- palpable, dont on pourrait encore augmenter la ténuité par la porphyrisa- tion, état physique qu’il est toujours bon de rechercher dans la préparation des médicaments insolubles, afin d’assurer leur absorption et par suite leur action dynamique. L'oxyde d'arqent (protoxyde, Ag O) a été l’objet d’expérimentations récentes. Plusieurs médecins anglais et allemands, et notamment M. Lane (des États-Unis), lui ont reconnu des propriétés sédatives et antispasmo» dïques assez marquées pour se croire autorisés, en invoquant de nombreux succès, à ie recommander non-seuiement dans plusieurs affections névral- giques pures, telles que les diverses formes de la gastralgie, mais, déplus, dans plusieurs maladies étrangères à ce type, dans certains cas spéciaux où l’élément nerveux les complique; parmi ces derniers, la ménorrhagie, surtout quand elle s’accompagne d’excitation nerveuse générale ou d’éré- tisme spécial du système utérin, aurait trouvé dans l’oxyde d’argent un sorte de spécifique. Enfin, attribuant, en outre, à ce médicament, sur des motifs plus ou moins valables que je n’ai pas à apprécier ici, des propriétés toniques et astringentes, ces praticiens témoignent en faveur de l’efficacité de l’oxyde d’argent dans le traitement de différents flux, tels que la diar- rhée, la dyssenterie, les sueurs nocturnes, la polyurie et toutes les formes de la ménorrhagie. On comprend que ces assertions, qui n’ont pas été vérifiées dans les grandes cliniques françaises, soient accueillies avec une certaine réserve ; mais elles sont dignes d’appeler l’attention sur l’oxyde d’argent et solli- citent à rechercher quel peut être le mode de pénétration de ce médica- ment dans l’organisme. Le protoxyde d’argent est soluble dans l’eau, quoique à très-faible degré ; mais cette solubilité n’est constatable qu’autant que le protoxyde est ré- cemment préparé et n’a point été altéré dans sa composition par un com- mencement de réduction ; or comme celte réduction s’opère très-prompte- ment, il arrivera que, dans la majorité des circonstances, lorqu’on admi- nistrera ce médicament aux malades, on n’aura plus affaire qu’à un sous- oxyde d’argent (Ag 2 O), ou à un mélange variable de sous-oxyde et d’ar- gent métallique, c’est-à-dire en définitive à un médicament aussi insoluble que le métal divisé dont il était question tout à l’heure. L’oxyde d’argent, au point de vue pharmacologique, n’a donc droit à être considéré que comme un médicament insoluble. Le chlorure d'argent, dont l’emploi interne a été proposé par quelques médecins, entre autres par M. Trousseau dans le traitement de l’épilepsie à la place de l’azotate, pour éviter la coloration de la peau et l’irritation des voies digestives, est d’une insolubilité parfaite dans l’eau ; fonçant de cou- leur et se réduisant sous l’influence de la lumière, il passe à l’état de sous- chlorure en restant indéfiniment insoluble, et de même que l’oxyde, à mesure que sa réduction s’opère, il sera, théoriquement du moins, d’au- tant moins attaquable par les humeurs dissolvantes des voies digestives. Viodurc d'argent, proposé pour l’usage interne par M. Patterson, ety 20 21 avec plus de raison à mon avis, de préférence à l'azotate el au chlorure* employé antérieurement dans le traitement antisyphilitique par M. Serre (de Montpellier), est également une substance insoluble; mais il a sur l’oxyde et le chlorure l’avantage très-considérable, pour l’emploi thérapeu- tique, d’être plus stable dans sa composition et de ne se colorer qu’avec une extrême lenteur sous l’influence de la lumière. Quelle que soit l’appréciation que l’on porte des résultats obtenus par l'administration interne des composés argentiques qui viennent d’être cités, résultats signalés par des praticiens honorables, on ne peut les récuser comme faits ; des composés argentiques insolubles ont donc produit des effets thérapeutiques avérés; or ces effets n’étant que la traduction sen- sible d’une action dynamique, et l’action dynamique de tout médicament ne pouvant s’exercer qu’après son absorption préalable, ces composés, que nous tenons pour insolubles dans nos verres sous l’influence des menstrues aqueuses, ont donc été absorbés. Voyons de quelle manière ils ont pu l’être. De deux choses l’une : ou ces composés sont absorbables en nature, ou ils ne le sont qu’après leur transformation en composés solubles. L’ancienne chimie avait posé comme axiome : Corpora non agunt nisi sint soluia; et il a été accepté par la majorité des physiologistes mo- dernes qui ont appelé la chimie et la micrographie à leur aide pour étudier les phénomènes de l’absorption dans l’organisme vivant. Cet axiome, contestable même en chimie, l’est plus encore en physiolo- gie; avant d’examiner les graves objections qui peuvent lui être opposées, demandons-nous si les préparations argentiques insolubles sont suscep- tibles d’être transforméés dans les premières voies en composés solubles, soit en totalité, soit seulement en partie. On a dit pour l’oxyde d’argent qu’il est attaqué par les acides de l’esto- mac et absorbé sous forme de sel; mais on n’a pas réfléchi qu’il ne pou- vait se former dans cette réaction qu’un sel insoluble ; les acides trouvés dans le suc gastrique ou les humeurs de l’estomac sont le chlorhydrique (Prout, Tiedmann et Gmelin, Bouchardat et Sandras), le lactique, lephos- phorique (Cl. Bernard et Bareswill), l’acétique dans quelques cas rares ; or chlorure (1), lactate, phosphate, acétate d’argent sont autant de composés (1) L’idée première que les sels d’argent et particulièrement l’azotate sont transformés dans l’estomac en chlorure d’argent, appartient à M.Cazenave. (V, Ï)ict. de méd., V éd., art. Argent.) ou fort peu soîubles, et si l’on admet que l’un ou l'autre se forme au contact de l’oxyde et des humeurs gastriques, on se retrouve en présence d’un composé dont l’absorption n’est pas plus facile à expliquer que celle de l’oxyde lui-même, dans la théorie de la solubilité préalable, et la question n’a point avancé d’un pas. Si l’on fait valoir les idées de M. Mialhe, d’après lesquelles les chlorures alcalins jouent un rôle exclusif, on devra supposer que, sous l’influence de ces réactifs, l’oxyde et le chlorure d’argent sont transformés en chloro-ar- gentate alcalin, que l’iodure est changé en iodo-argentate alcalin. Mais j’ai dû faire remarquer, dans la première partie de ce mémoire, qu’il y a dans cette théorie un cercle vicieux ; qu’un chloro-argentate alcalin est décom- posable par l’eau, que par conséquent une fois formé, il reproduirait un chlorure d’argent insoluble ; de même un iodure double de sodium, potas- sium ou ammonium, né sous la réaction chimique des chlorures de nos humeurs sur Piodure d’argent, retournerait aussitôt né, par l’action de l’eau de ces humeurs ou des boissons ingérées, à l’état d’iodure d’argent, et forcément, dans cette hypothèse qui va à l’encontre de ce qu’elle veut prouver, il n’y aurait pas d’absorption possible, puisqu’en même temps on nie celle des substances insolubles. Enfin l’albumine, qui paraît jouer un rôle si important dans l’action chi- mico-physiologique de l’azotate d’argent, serait-elle appelée à favoriser la dissolution des préparations insolubles de ce métal ? Pour juger cette question, j’ai fait digérer pendant plusieurs heures, à, une température moyenne-J-38° centig. de l’argent métallique précipité, de l’oxyde, du chlorure et de l’iodure d’argent récemment préparés, savoir : Dans une dissolution d’albumine pure ; Dans une dissolution d’albumine chloruré ; Dans du sérum de sang; L’argent métallique, le chlorure et l’iodure d’argent, sont toujours restés complètement insolubles ; il en a été à peu près de même pour l’oxyde d’argent; toutefois, dans quelques circonstances il m’a semblé qu’une très- petite quantité de cet oxyde s’était dissoute, soit sous l’influence de l’albu- mine, soit simplement sons l’influence de l’eau ; la liqueur filtrée se colo- rait alors légèrement en brun par l’acide sulfhydrique, ce qui n’a jamais eu lieu pour les trois composés précédents. Il est permis d’inférer de ces expériences que les préparations insolubles d’argent ne rencontrent dans les humeurs qui baignent la muqueuse gas- tro-intestinale aucun élément susceptible de les dissoudre, et que l’oxyde 22 23 of’argent lui-même dans toute sa pureté s’y dissolvant à peine, il n’en pé- nétrerait que des atomes dans les ramuscules veineux, siège d’élection de l’absorption des substances solubles. Il ne reste donc, après ces exclusions, qu’à admettre l’absorption en na- ture des substances insolubles. Le fait est vivemement contesté, l’œil des micrographes modernes n’a vu aucun pertuis appréciable sur toute l’éten- due des muqueuses internes; les bouches absorbantes et exhalantes de Bichat ont été reléguées au rang des chimères, et le double tégument con- stitué par l’ensemble des muqueuses et l’enveloppe cutanée, a été considéré comme une vaste membrane endosmique, à travers laquelle les gaz et les liquides ont seuls la faculté de pénétrer. Cependant, des faits nombreux, soit physiologiques, soit pathologiques, s’accordaient assez mal avec ces principes d’histologie. Ainsi le sang transsude à travers les parois vascu- laires ; or, il n’est pas formé seulement de substances dissoutes, le plasma qui contient celles-ci, tient en supension des corps non dissous, les glo- bules ; on a dit, il est vrai, pour faire concorder les phénomènes de trans- sudation hémorrhagique avec le système de l’imperforation des membranes dans l’ordre normal, qu’il y avait érosion des parois vasculaires, déforma- tion , dissolution des globules sanguins. Il a été fort souvent impossible de constater l’érosion des vaisseaux, et en admettant un certain mode d’al- tération des globules qui aurait été reconnu par quelques observateurs, le fer qui enveloppe ces globules à l’état de composé insoluble (composé dont les analystes n’ont pu encore préciser la nature, mais qu’ils rapportent au type des oxydes de ce métal), le fer a pénétré de dedans en dehors la trame des canaux circulatoires. Les globules du lait, ceux du pus, d’où viennent- ils ? on répond qu’ils se forment à la surface extérieure des membranes sécrétantes : en a-t-on péremptoirement fourni la preuve ? Et dans la ré- sorption purulente, les globules du pus ne traversent-ils pas, en sens in- verse de leur point de départ, les trames vasculaires, pour apparaître mêlés au sang des veines ou à la lymphe, et charriés jusqu’aux foyers creusés dans les parenchymes, où ils doivent se déposer ultérieurement après avoir franchi de nouvelles barrières membraneuses ? A cette façon d’interpréter la résorption purulente on objecte une altération du pus qui en détruit les globules, ou l’explosion d’une phlébite qui serait l’unique cause de la présence du pus dans les veines. Enlin les globules des graisses, corps suspendus dans desliquides plus ou moins complexes, mais jamais réellement dissous, passent de l’intestin dans l’appareil chylifère, sortent de l’économie dans la sueur, dans le lait, dans 24 le pus, dans les urines même, parfois, auxquelles ils donnent une appa- rence laiteuse, comme plusieurs faits récents l’ont démontré. Si l’on attribue exclusivement cette pénétration facile à la mollesse, à la flexibilité des glo- bules graisseux, qualités qui leur permettraient de se faufiler en s’atténuant à travers les porosités des membranes, n’est-on pas autorisé à croire qu’ils ne dépasseront pas cependant, le degré de ténuité des particules des pou- dres impalpables, et pourquoi alors celles-ci ne suivraient-elles pas la route que prennent ceux-là ? Si sur ce point litigieux de l’histoire de l’absorption deux opinions con- tradictoires se renvoient des objections réciproques, il est juste de recon- naître que les partisans de l’absorption des substances insolubles apportent en sa faveur des considérations de l’ordre le plus sérieux, et je n’hésite pointa me ranger de leur côté. En rejetant cette manière de voir, il est impossible de se rendre un compte satisfaisant du mode d’action de plusieurs médica- ments insolubles, tels que les antimoniaux, les mercuriaux, les ferrugineux, car l’hypothèse de la chloruration uniforme de ces composés ne me paraît point faite pour résoudre la difficulté. L’absorption des substancesinsolubles est, en outre, démontrée par des expériences irrécusables dont le petit nombre est compensé par le talent et l’autorité des observateurs ; les faits cités à l’appui par MM. Slerlin.Follin, OEsterlen (1), Cl. Bernard (2), mesemblentde nature à juger définitivement la question.Comme l’avait établi antérieure- ment M. Magendie, les veines présideraient à l’absorption des substances (1) Passage des substances insolubles du canal intestinal dans le torrent circulatoire, par le professeur OEsterlen (Jour, de chimie méd. et Union méd., 1848). Une note communiquée à l’Académie de médecine par M. Mialhe, séance du 1er août 1848, ayant pour objet de réfuter les faits avancés par M. OEsterlen, a donné lieu, dans la séance du 5 mars 1849, à un rapport de M. Soubeiran en- tièrement favorable à l’opinion de M. Mialhe ; mais plusieurs membres de l’Aca- démie, MM.Orfila, Piorry, Moreau, Gaultier de Claubry, Bussy, ont trouvé les conclusions du rapport trop absolues, et l’examen de la question a été renvoyé à la commission, avec adjonction de MM. Orlila, Gaultier de Claubry et Bérard. L’Académie ne s’est pas encore prononcée sur ce point important de physiologie. Je ne pouvais ici donner plus d’extension à la théorie de l’absorption des sub- stances insolubles, je n’ai dû qu’en indiquer les principaux arguments s’appli- quant à l’étude de l’action chimico-physiologique de certains composés d’ar- gent. (2) Leçons de M. Cl. Bernard au Collège de France, année 1849, 25 solubles, les vaisseaux lymphatiques et chylifères à celle des substances in- solubles. Pour ce dernier appareil, il est vrai, il reste à donner une expli- cation anatomique rigoureuse de cette spécialité d’attributions ; toutefois les travaux de MM. Gruby et Delafond, Goodsir, Cl. Bernard, tendraient à attribuer aux villosités intestinales une structure compatible avec une perforation qui coïnciderait avec l’existence d’un caualicule lymphatique central entouré d’un lacis veineux. Quant au cyanure d'argent, je le considère comme devant être banni de la thérapeutique, avec tous les cyanures métalliques insolubles. Que ces cyanures soient absorbés en nature, ou qu’ils soient réaclionnés par les humeurs du canal digestif, ils peuvent donner lieu à la production de quantités d’acide cyanhydrique capables de déterminer les accidents toxiques les plus graves, surtout si, par suite d’idiosyncrasies humorales qu’il n’est jamais possible de prévoir a priori, l’absorption ou la décom- position de ces cyanures ne s’opérait que tardivement après l’accumula- tion de plusieurs doses dans l’estomac. 2° DE QUELQUES COMPOSÉS ARGENTIQUES SOLUBLES. La crainte d’irriter d’une manière fâcheuse la muqueuse gastrique a fait restreindre excessivement l’emploi interne de l’azotate d’argent ; mais il restait peu de choix à faire dans le petit nombre des composés solubles de la même base. De tous les médicaments argentiques que M. Serre (de Montpellier) avait essayés dans le traitement de la syphilis, celui qu’il préférait était une dissolution de chlorure d’argent dans l’ammoniaque, qu’il administrait par gouttes dans une potion (1). Ce mode d’administration me paraît ration- nel, si l’on tient à faire pénétrer une préparation soluble dans les secondes voies ; car rien ne fait prévoir qu’elle serait décomposée et précipitée par les humeurs digestives. Sans prendre parti pour ou contre les idées de ce (1) Mémoire sur l’emploi des préparations d’argent dans le traitement des maladies vénériennes; par M. Serre (de Montpellier). 1836. En 1842, M. Salvolini, médecin italien, a publié un mémoire sur le même sujet. Comme M. Serre, il préfère le chlorure et le chlorure ammoniacal d’ar- gent à l’oxyde, au cyanure, à l’iodure et au métal divisé ; il emploie seulement des doses un peu plus fortes. Toutefois les doses de ces deux expérimentateurs, qui n’allaient qu’à des fractions de grain, pourraient bien être dépassées sans danger. 26 savant regrettable relativement à la curabilité des affections vénériennes par l’argent, je crois que sa solution ammoniacale mérite d’être conservée dans la pharmacologie, pour être utilisée dans plusieurs des cas où l’on jugera à propos de recourir à la médication argentique. Il serait peut-être intéressant d’essayer, à l’extérieur du moins, le chlorate et le chlorite d’argent, qui sont solubles dans l’eau ; mais toute expérience me manquant encore à cet égard, je me borne à les men- tionner. A. de l'htposuleite de soude et d’argent. Il est un autre sel soluble sur lequel je suis à même de présenter quel- ques considérations plus précises, après en avoir fait l’objet d’une étude expérimentale assez suivie depuis deux années : ce sel, qui n’avait pas en- core été, que je sache, introduit dans la thérapeutique, c’est Phyposulfite de soude et d’argent. On sait que les hyposulfites alcalins s’unissent avec l’oxyde d’argent pour former des hyposulfites doubles qui sont très-solubles dans l’eau, et qu’ils partagent avec l’ammoniaque le privilège de dissoudre le chlorure d’argent. Le sel qui a servi à mes expériences a été préparé en versant une dissolution d’hyposulfite de soude sur de l’oxyde d’argent récemment précipité par la potasse jusqu’à ce que l’oxyde se soit complètement dis- sous. La liqueur évaporée abandonne de très-petits cristaux d’hyposul- fite de soude et d’argent, qui sont desséchés à une douce chaleur et à l’abri de la lumière. On pourrait aussi, comme je l’ai fait d’abord, précipiter par l’alcool une dissolution d’oxyde ou de chlorure d’argent dans l’hyposulfite de soude ; mais je préfère le procédé que j’ai indiqué plus haut. Ce sel se présente sous forme d’une poudre cristalline blanc grisâtre, d’une saveur douceâtre avec arrière-goût légèrement styptique, très- soluble dans l’eau, insoluble dans l’alcool. Il noircit à la longue à la lu- mière, mais se conserve indéfiniment dans des flacons colorés ou entourés de papier noir et bien bouchés. Sa solution aqueuse se colore en noir en se décomposant sous l’influence de la lumière diffuse, mais beaucoup plus lentement que celle d’azotate d’argent. En la préservant de la lumière, elle conserve indéfiniment sa transparence. Quand on l’emploie dans sa pureté, elle ne colore ni l’épiderme ni le linge, avantage qui n’est pas à méconnaître dans le choix à faire entre ce sel et l’azotate d’argent. 27 L’hyposulfite de soude el d’argent ne coagule que très-légèrement l’albumine; aussi, comparativement à l’azotate, ses propriétés astrin- gentes sont-elles très-faibles. Son action locale est également beaucoup moins irritante. Pour éprouver cette action sur des plaies tantôt récentes, tantôt an- ciennes, je touchais deux points de la surface suppurante, préliminairement détergée avec deux pinceaux de charpie trempés, l’un dans une solution d’un gramme d’hyposulfite de soude et d’argent pour 30 grammes d’eau distillée, l’autre dans une solution d’un gramme d’azotate d’argent pour 30 grammes d’eau distillée. Tandis que l’application de la seconde solution déterminait presque instantanément, avec production simultanée d’une douleur plus ou moins vive, un coagulum blanc, tenace, véritable escarre due à la plastification des éléments albuminoïdes du pus et de la mem- brane pyogénique, l’application de la première solution ne donnait lieu qu’à la formation d’un léger nuage blanchâtre, beaucoup moins plastique, avec sensation douloureuse peu prononcée ou même nulle, selon la sensi- bilité des sujets. Si j’étudiais davantage les solutions, celle d’hyposulfite de soude et d’argent finissait par ne déterminer à la surface des plaies aucune modification visible à l’œil, quand celle d’azotate décelait encore l’énergie supérieure de ses propriétés astringentes par un coagulum albumineux très-sensible. Enfin, à quelque degré de concentration qu’on amenât la solution du premier sel, elle ne produisait jamais une douleur aussi vive ni un coagulum aussi plastique que celle du second sel, dissous cependant dans une plus forte proportion d’eau. Il résulte de ces expériences, conformes à des essais thérapeutiques plus nombreux : 1° que, dans l’emploi externe, l’hyposulfite de soude et d’ar- gent peut être porté à des doses supérieures à celles de l’azotate d’argent, et qu’à ces doses, à fortiori à doses inférieures, il est beaucoup moins ir- ritant et incapable de produire une véritable escarrification ; 2® que, dans l’emploi interne, en l’étendant d’une manière suffisante, il n’exposera pas à compromettre l’intégrité de la muqueuse gastrique; de plus, comme ses dissolutions étendues ne déterminent aucun trouble, ni coagulum protéi- que, ni précipité de chlorure d’argent dans les liqueurs albumineuses arti- ficielles, chlorurées ou non chlorurées, et dans les humeurs organiques, il sera absorbé promptement, facilement, et sans décomposition par les veines de l’estomac. Ces avantages, théoriquement supposés, m’ont engagé à expérimenter à l’intérieur ce nouvel agent thérapeutique, et à l’essayer dans le traitement 28 de répiîepsie. Malheureusement je n’ai à présenter à cet égard qu’un fait* qui n’est point concluant sous le rapport thérapeutique, mais qui confirme ce que j’ai avancé de l’innocuité de l’hyposulfite de soude et d’argent, et donne une idée de ses effets physiologiques. Obs. — Le nommé R...., soldat (remplaçant) au 2' régiment d’infanterie de marine, est entré à plusieurs reprises dans mon service, à l’hôpital de Roche- fort, comme atteint d’épilepsie. Ses attaques sont courtes, fréquentes, parfois très-intenses ; on croit longtemps que cette affection est simulée. Les accès n’ont jamais eu lieu en ma présence; mais les officiers de santé de garde ont fini par constater la réalité de l’épilepsie. Décidé à essayer les préparations d’argent, je donne le choix à l’hyposulfite double. Je le prescris simplement dissous dans l’eau distillée, en commençant par 5 centigrammes ; il ne survient aucune trace d’irritation gastrique ni aucun signe qui commande de suspendre l’emploi du médicament, depuis cette première dose jusqu’à celle de 60 centigrammes, à la- quelle je me suis élevé graduellement. Le sel était dissous dans 120 à 150 gram- mes d’eau distillée, et cette solution, versée dans un flacon entouré de papier noir, était prise en trois ou quatre fois, matin, midi et soir. Sous l’influence de ce traitement, aucune modification appréciable n’est survenue dans les fonc- ions des grands appareils organiques, sauf celle assez remarquable qui s’est ma- nifestée dans les fonctions digestives. Dès les premiers jours du traitement, le sujet a accusé un sentiment de vacuité et de défaillance dans la région de l’es- tomac, qui, vague et mal défini d’abord, s’est traduit en besoin de manger im- périeux, sentiment tout à fait comparable à ces faims nerveuses, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que l’on observe chez certains individus atteints de gastral- gie. Du moment que l’alimentation de R.... a été augmentée proportionnelle- ment à cet accroissement d’appétit, ce symptôme de médicament a diminué, mais sans disparaître jamais, pour longtemps du moins, d’une manière com- plète. Les médecins italiens, qui ont souvent insisté sur la concordance de sen- sations analogues avec les propriétés hyposthénisantes de diverses substances, relèveraient ce fait en faveur de l’action contro-stimulante des sels d’argent. Au bout d’un mois de ce traitement, complété par l’infusion de valériane (on a parfaitement su dégager l’action de la valériane de celle du composé d'argent), ce soldat est sorti de l’hôpital pour être réformé. Après une amélioration appa- rente pendant une quinzaine de jours, dans la dernière semaine les accès n’a- vaient rien perdu de leur fréquence et de leur intensité. Cet aveu est livré avec la simplicité et la bonne foi que tout expérimen- tateur doit mettre au nombre de ses premiers devoirs ; seulement on peut dire, sans chercher à corriger un insuccès, que la moralité de R.... ne nous a jamais été parfaitement prouvée, d’une part, et de l’autre que, dans le traitement de l’épilepsie, un mois ne suffit pas pour établir l’efficacité ou 29 l’inutilité d’un remède, et pour conclure sur ses effets contingents pendant un laps de temps plus considérable. Toujours est-il qu’aux médecins qui voudront essayer l’influence des préparations d’argent dans les névroses et les névralgies, on peut en signa- ler une nouvelle dont l’administration est facile et ne présente, dans cer- taines limites, bien entendu, aucun danger. Je crois, par exemple, que l’on peut dépasser la dose de 60 centigrammes, à laquelle je me suis arrêté, mais sans aller beaucoup au delà. Il n’est survenu aucun changement dans la coloration cutanée du sujet de cette expérience ; mais le traitement a été trop court pour qu’on puisse en rien inférer, et je dirai même ultérieurement que je crois l’hyposulfite de soude et d’argent susceptible d’altérer, après un long usage, la couleur de la peau. L’efficacité de l’hyposulfite de soude et d’argent comme modificateur to- pique m’a été démontrée par un assez grand nombre d’expérimentions. Je suis loin de croire qu’il soit appelé, sous ce rapport, à effacer l’azotate d’ar- gent; je suis arrivé seulement à reconnaître que , dans quelques circon- stances, il peut lui être substitué avec avantage ; ce sera surtout lorsque l’on croira devoir faire usage d’un topique moins irritant ou moins suscep- tible d’altérer la texture superficielle des tissus, ou lorsque l’azotate d’ar- gent ayant échoué, on lui cherche souvent avec embarras un analogue, un succédané parmi les nombreux agents de la médication substitutive (1). Ainsi je crois qu’il mérite d’être essayé dans le traitement des ulcères rebelles, en injection dans les foyers purulens, les trajets fistuleux, les flux chroniques de l’oreille externe et des fosses nasales, en collyres dans les affections oculaires ; parmi ces dernières, mon expérience ne me permet de citer que la conjonctivite chronique et la conjonctivite aigüe, après amendement des premiers accidents inflammatoires, que j’ai vues quelque- fois heureusement influencées par des dissolutions étendues de ce sel. Quelquefois encore je l’ai vu réussir en lavement contre les flux intestinaux, mais je donne la préférence à l’azotate d’argent, surtout quand il est em- ployé suivant la méthode indiquée dans la première partie de ce mémoire. C’est dans le traitement de l’urétrite, soit aiguë, soit chronique, que j’ai le plus employé l’hyposulfite de soude et d’argent, et c’est là aussi que j’ai (1) Médication mal définie, plus mal comprise encore dans ses effets, mais que je désigne à titre provisoire pour ne pas entrer à cet égard dans une digression étrangère à mon sujet. 30 le plus éprouvé son efficacité. Je suis trop disposé à mettre au rang des prétentions exagérées la préconisation de toute injection soi-disant infail- lible dans le traitement de la blennorrhagie pour en prôner une nouvelle comme spécifique. Tous les praticiens savent à quoi s’en tenir sur la pos- sibilité d’appliquer une méthode unique d’injection à la cure de cette affec- tion si souvent désespérante par sa ténacité; sans parler de la blennorrha- gie virulente qui, tarie ou non, réclame autre chose qu’un traitement topique, quand on veut par l’injection guérir d’emblée ou achever de gué- rir après une médicamentation antérieure un écoulement blennorrhagique, il faut s’attendre à plus d’un mécompte si l’on n’accorde sa confiance qu’à un seul agent modificateur. L’expérience a jugé ces théories intolérantes, inflexibles, ces méthodes exclusives; elle apprend surabondamment que nulle d’entre elles n’est applicable, à titre absolu, à tous les cas, et que, dans les cas rebelles, ce n’est pour ainsi dire qu’en tâtonnant que l’on finit par trouver le remède qui enlève la dernière goutte du suintement urétral. Que l’un donne la préférence aux sels de zinc, l’autre aux sels de plomb, tel au tannin, tel à l’alun, etc., nous voulons bien y voir le penchant naturel de chacun à se créer son formulaire usuel, mais nous attaquerons la pré- tention de formuler l’unicité de traitement de la blennorrhagie. Il ne sera pas même fait grâce à ces merveilleuses vertus de l’azotate d’argent que l’on a voulu substituer, dans l’espèce, à tout autre médicament, et sans contester son utilité, sans nous armer même contre son emploi à dose caustique, mais par courtoisie pour nos adversaires, des accidents éprouvés par plusieurs de ceux qui en ont subi l’épreuve, nous dirons, avec tous les médecins désintéressés dans les luttes de systèmes, qu’il est nécessaire de CQnserver dans la thérapeutique de la blennorrhagie plusieurs agents mo- dificateurs, parce qu’il est de notoriété clinique que l’essai de plusieurs d’entre eux est souvent à faire, et que l’on ne rencontre pas toujours du premier coup celui qui ramène la muqueuse génito-urinaire à sa sécrétion normale. Eh bien ! l’hyposulfite de soude et d’argent est appelé purement et sim- plement à se placer parmi ces modificateurs ; on ne met point ici en ques- tion sa prééminence ; dans la pratique ordinaire, je concéderais même son infériorité relativement aux astringents purs ; mais j’engage à y recourir avec quelque confiance quand ceux-ci ou d’autres médicaments auront échoué ; il m'a rendu surtout de bons services dans le traitement des écoulements chroniques et à la fin de la période d’acuité, et je puis certi- fier que ces écoulements ont été enlevés parfois avec une extrême rapidité. 31 J’ai employé des doses très-variables. Ainsi, pour tenter un parallèle avec la méthode abortive par l’azotate d’argent, j’ai poussé dans l’urètre des solutions de 1 et même 2 grammes du sel dans 30 grammes d’eau ; la douleur, tantôt vive, tantôt modérée, a toujours été moins forte que celle suscitée par l’azotate à dose moitié moindre ; j’ai réussi rarement à sus- pendre l’écoulement d’une manière complète. J’ai eu plus à me louer de l’emploi des petites doses, et l’injection composée de 0,50 à 1 gramme de sel pour 100 d’eau distillée est l’une de celles qui m’ont le mieux réussi dans le traitement de la blennorrhagie chronique. Quelle action exerce ce sel sur les parois de l’urètre? A hautes doses, il m’a semblé produire des effets cathérétiques comparativement aux effets caustiques produits par l’azotate d’argent en solution concentrée. Le muco- pus expulsé après l’injection était moins épais, contenait en plus petite quantité des concrétions pelliculaires que lorsque l’on a fait usage de l’in- jection abortive à l’azotate d’argent ; en outre , ces concrétions étaient beaucoup moins plastiques et ne se sont pas montrées toujours. A petites doses, la douleur était légère ou nulle le plus souvent. L’action astringente des solutions étendues d’hyposulfite de soude et d’argent est si faible que l’on peut à peine la faire entrer en ligne de compte dans la caractérisation de leurs effets thérapeutiques. Ce sel, auquel on reconnaîtra sans doute, après son absorption, des propriétés sédatives, antispasmodiques, hypo- slhénisantes, produirait-il dans la circulation capillaire locale de l’urètre une action contro-stimulante qui détruirait les conditions de l’état inflam- matoire, aigu ou chronique par lequel l’écoulement est entretenu ? Cette explication est par trop rasorienne et trop spéculative pour qu’on la soutienne. On ne peut donc que se borner à dire que ce nouvel agent, en tant que modificateur topique, n’est pas encore rigoureusement appréciable dans son mode d’action. Nous n’en savons pas davantage de l’action topique de beaucoup d’autres médicaments. B. DE L’IODURE DE FOTASSIUM ET D’ARGENT. J’ai rappelé que M. Patterson avait proposé de substituer l’administra- tion interne de l’iodure d’argent à celle de l’azotate pour prévénir la colo- ration de la peau ; ce médecin a encore avancé que l’usage interne de l’iodure de potassium pourrait être utile pour dissiper cette coloration une fois produite ; mais aucun fait n’a été cité à l’appui. 32 Il y a dans ces deux propositions une idée juste qui mérite d’être sou- mise à Pexpérimention clinique. L’incertitude qui règne encore sur la question de l’absorption des sub- stances insolubles, peut conduire plusieurs praticiens à rejeter l’iodure d’argent. Un doute n’existât-il pas à ce sujet dans l’esprit de quelques au- tres, il n’en est pas moins vrai qu’il est rationnel de rechercher de préfé- rence les médicaments solubles, dont l’action est, sinon plus positive, du moins plus prompte et plus régulière. Partant de ce principe , ne pour- rait-on pas offrir aux voies absorbantes l’iode et l’argent à l’état de com- posé soluble? On sait que l’iodure d’argent est soluble dans une solution d’iodure de potassium, et qu’un iodure double se forme dans cette circonstance. On pourrait se demander si cet iodure double est susceptible d’être introduit dans la matière médicale : la réponse doit être négative. En effet cet iodure, qui se présente sous forme de prismes soyeux, groupés, d’une couleur jaunâtre, est très-déliquescent, peu stable, et la difficulté qu’il y aurait à le conserver éloignerait déjà de son emploi ; mais de plus, il n’est soluble que dans une petite quantité d’eau : un erçcès le décompose en précipitant de l’iodure d’argent et en dissolvant de l’iodure de potassium. J’ai voulu savoir si les liqueurs organiques auraient sur ce sel la même action que l’eau pure. Eh bien ! l’eau albumineuse, l’eau albumineuse chlo- rurée, le sérum décomposent également l’iodure double de potassium et d’argent, et sans qu’un excès de liqueur redissolve le précipité. On se créerait donc sans profit un embarras en cherchant un moyen d’administrer ce sel, en recourant à la forme pilulaire, par exemple, puis- que, parvenu dans l’estomac, sa décomposition s’opérerait immédiatement : autant eût valu administrer simplement l’iodure d’argent. Je suis arrivé à la détermination d’une formule qui permet d’introduire dans l’économie l’iodure d’argent, sinon à l’état de dissolution complète, du moins dans un état de division qui autorise à prévoir son assimilation entière. Je fais dissoudre un blanc d’œuf dans 100 grammes d’eau distillée ; — dans cette solution filtrée j’ajoute 10 centigrammes d’azotate d’argent cris- tallisé et autant de chlorure de sodium, dissous l’un et l’autre dans une pe- tite quantité d’eau; — on additionne en dernier lieu de la même quantité, 10 centigrammes d’iodure de potassium, également dissous dans un peu d’eau : il se forme en cet instant un très-léger trouble blanc jaunâtre, mais 11 ne se dépose aucun précipité. Si l’iodure d’argent n’est pas alors entière- 33 •ment dissous, il n’en reste qu’une très-pelite quantité en suspension, et dans un état de division telle que l’on ne peut se refuser à admettre l’absor- babilité de ces particules impalpables. Cette solution précipite en brun par le sulfhydrate d’ammoniaque; elle n’est point précipitée par les chlorures, les carbonates, les phosphates al- calins... En un mot, dans l’essai par les réactifs de l’argent, elle offre les mêmes caractères que l’azotate double d’albumine et d’argent. Si on l’additionne d’eau amylacée et de quelques gouttes d’hydrochlore ou d’acide azotique, elle se colore immédiatement en bleu intense. Je pense donc qu’en mettant simultanément en présence au sein de l’eau albumineuse, de l’azotate d’argent, du chlorure de sodium et de l’iodure de potassium, il se forme une combinaison complexe dans laquelle intervien- nent l’albumine, l’iode et l’argent; cette combinaison est soluble, car le précipité d’iodure d’argent (quand il se forme, et il ne se dépose alors qu'au bout de plusieurs heures) est en très-minime quantité, comparativement à celle qu’on en recueillerait en faisant réagir les mêmes proportions d’azo- tate d’argent et d’iodure alcalin dans l’eau pure; ce précipité, en outre, peut être redissous par un excès de ce dernier sel, sans qu’il se reforme ulté- rieurement en étendant la liqueur, comme cela a lieu pour l’iodure double de potassium et d’argent. On peut diminuer ou forcer les proportions des trois sels, mais il faut em- ployer des doses égales de chacun d’eux, ou augmenter seulement celle de l’iodure alcalin, pour ne pas troubler la transparence de la solution. Cette solution albumineuse iodo-argentique peut servir de type à une formule rationnelle dont tous éléments seraient absorbables sans décompo- sition, et qui aurait l’avantage de transporter dans les humeurs organiques, dans le sang, deux corps, l’argent et l’iode, dont la combinaison binaire, en raison ultime, n’aurait pour résultat que la formation d’un composé non susceptible d'altérer la couleur de la peau, ou incapable de l’altérer au même degré que les autres composés argentiques. Deux faits autorisent à prévoir ce résultat : 1° Malgré la double action réductive des matières organiques et de la lu- mière sur les sels d’argent, la solution albumineuse iodo-argentique reste exposée à l’air et au jour sans changer de couleur. 2° Si l’on verse cette solution dans du sérum de sang, il ne se forme au- cun précipité; le sérum s’éclaircit, au contraire, et, exposé à la lumière, conserve indéfiniment sa couleur. C’est dans les cliniques spéciales où sont réunis de nombreux épilep- 34 tiques, que pourraient être jugées en dernier ressort ces prévisions. 3" de la coloration argentine. Il est un phénomène extraordinaire dont l’explication rigoureuse n’a pas été donnée jusqu’ici par les chimistes ni par les physiologistes, et qui suit très-fréquemment l’administration interne de l’azotate d’argent : c’est la co- loration bronzée de la peau. Ordinairement cette coloration ne se manifeste qu’assez longtemps après le début du traitement; mais le moment de son apparition ne peut être prévu, caron l’a vue manquer après un long usage du médicament, se montrer quel- quefois au bout de plusieurs mois, quelquefois au bout de plusieurs années même, après la cessation de l’emploi du sel. On a pensé que la lumière so- laire pouvait favoriser et accroître cette coloration, et M. Bulini (de Ge- nève), M. Sementini (de Naples) ont engagé à tenir couverts le visage et les mains des malades pendant le traitement. Mais si les parties exposées à la lumière sont ordinairement plus colorées, la même altération se produit, non-seulement sur celles qui sont protégées par les vêtements, mais en- core dans les organes intérieurs, et notamment dans les plexus choroïdes (Esquirol, Rostan). Enfin, chose plus remarquable et inexpliquée, la mort, dans des cas fort rares du reste, a fait disparaître ce phénomène ; ainsi, Es- quirol dit qu’à l’autopsie d’une femme épileptique soumise à l’azotate d’ar- gent, on trouva la teinte bronzée dans les organes intérieurs et les plexus choroïdes, tandis que depuis la mort la peau avait repris sa couleur natu- relle. La cause de cette coloration, l’usage interne et longtemps prolongé de l’azotate d’argent, a été révoquée en doute ; mais c’est un fait rendu incon- testable par les témoignages de tous ceux qui ont expérimenté ce sel, sur- tout depuis Fourcroy, qui l’un des premiers a éveillé l’attention sur ce point important de physiologie pathologique (1). Évidemment ce phénomène est produit par un acte purement chimique, mais quel est-il ? « Dans un cas où tous les tissus avaient acquis une teinte livide, (l) Dict. de méd., t. III. — Dict. de matière médicale, de MM. Mératet De- lens. — Traité de mat. méd., de MM. Trousseau et Pidoux, etc., etc. — V. par ticulièrement un mémoire très-intéressant de M. Lombard (de Genève) : De l’emploi du nitrate d’argent a l’intérieur, Gaz. Méd., 1832. 35 M. Brandes a reconnu l’oxyde d’argent tant dans les os que dans la peau et les autres parties molles (1). » Il est bien difficile, pourtant, de concevoir la formation d’oxyde d’argent dans cette circonstance. On tend généralement à attribuer ce phénomène à la pénétration des tissus par le chlorure d’argent. Les objections ne manquent pas à cette théorie, et en voici quelques-unes qui ne sont pas dépourvues de valeur : 1° Le chlorure d’argent, personne ne le nie, se décompose sous l’influence de la lumière, et se réduisant partiellement en perdant de son chlore, ac- quiert une coloration violette plus ou moins foncée ; mais il ne se colore pas jusqu’au bronze, et surtout jusqu’au noir, et je demanderai à ceux qui ont été à même d’observer la coloration argentique à son summum d’ex- pression (2), si elle est comparable avec les dégradations ultimes de couleur d’un précipité de chlorure d’argent qu’on laisse exposé à l’action de la lu- mière solaire. 2° Le chlorure d’argent pourrait bien se réduire dans le tissu cutané sous l’influence de la lumière, mais non pas dans les cavités splanchniques, car ce composé, soustrait complètement à cette influence, conserve sa blan- cheur; et comment alors expliquerait-on la coloration des organes inté- rieurs des plexus choroïdes, par exemple ? 3° Je veux amoindrir la portée de cette seconde objection et faire un moment la part plus belle à l’opinion mise en cause ; j’admets que le chlo- rure d’argent ne soit pas réduit par la lumière, ou qu’il ne soit pas réduit seulement par elle, et qu’il le soit par la matière organique ; mais je laisse à ceux qui adopteront cette manière de voir le soin de l’étayer sur des faits. 4° Enfin, quelque spécieuses que soient les raisons à l’aide desquelles on cherchera à établir une corrélation entre la coloration des tissus et la for- mation préalable du chlorure d’argent, il n’en est pas une seule qui puisse tenir devant ce fait, savoir, que l’azotate d’argent, en se mêlant avec toutes les humeurs albumineuses de l’économie animale, sang, lymphe, sérosité, en traversant toutes les membranes à trame d’éléments albuminoïdes, ne peut être transformé en chlorure ; or toute théorie en opposition avec (1) Citation de M. Lombard, dans le mémoire précité. (2) M. Lombard cite une femme dont la peau, surtout au visage, devint noir de jais comme celui d’une négresse ; elle en conçut un tel désespoir qu’elle se suicida. (Loc. cit.) 36 un fait est une hypothèse gratuite; il n’est donc pas admissible qne la coloration argentique des tissus ait pour point de départ un chlorure d’argent. Je dois maintenant dire mon opinion. J’incline à penser que la coloration spéciale dont il s’agit reconnaît uni- quement pour cause la réduction sous l’influence de la matière organique, favorisée et accrue sur les parties découvertes par l’action des rayons so- laires, action toute chimique des deux parts, la réduction, dis-je, de l’azo- tate d’argent, par suite de laquelle se dépose, en dernière analyse, non de l’oxyde d’argent, mais de l’argent pur, à l’état d’extrême division, et avec la couleur noire qui lui appartient quand on précipite ce métal d’une disso- lution saline. La proportion de plus en plus considérable de ce dépôt dans les couches les plus extérieures de la peau et des organes, coïnciderait avec l’intensité des teintes, et serait aussi en relation avec le degré de saturation de l’économie par ce médicament. Celle opinion s’accorde avec l’extrême réductibilité des sels d’argent par les matières organiques ; une preuve journalière en est fournie par ces ta- ches que l’attouchement de la pierre infernale laisse sur la peau, taches que je considère également comme le résultat de la pénétration des couches épidermiques par les particules du métal réduit. Elle est basée sur les deux expériences suivantes : 1° En laissant exposé à la lumière du sérum de sang où l’on a fait dis- soudre de l’azotate d’argent, ce sérum se colore de plus en plus en brun noir, et finit par déposer un précipité pulvérulent d’argent. N’est-il pas permis d’en induire que la même réaction s’opère dans le sang vivant, en partie du moins, de telle sorte que ce sang abandonne peu à peu, pendant son parcours dans les dernières radicules capillaires, un précipité identique à celui recueilli dans le verre à expérience? Mais l’azotate d’argent arrivant dans le sang à l’état de composé soluble avec l’intervention de l’albumine, une partie non réduite doit se présenter aux voies ordinaires d’excrétion des sels métalliques, et l’on devra alors re- trouver dans l’urine des traces du médicament antérieurement absorbé. Sous ce dernier rapport, l’expérience justifie cette prévision ; du chlorure d’argent a été reconnu (1) dans le sédiment de l’urine d’épileptiques traités par l’azotate d’argent. Et qu’on n’aille pas chercher dans les faits de cette nature une objection contre la théorie que j’établis sur le mode d’assimila- (1) Journal de pharmacie, 18,'i2, p. 60. 37 lion des sels d’argent, car ils la confirment ; si, en effet, à l’état d’albumi- nale soluble, l’argent est charrié dans les courants circulatoires, au delà des membranes uro-poiétiques, il doit se précipiter sous forme de chlorure dans l’urine, puisque, dans l’état normal, l’urine ne contient pas d’albu- mine qui puisse s’opposer à ce qu’un composé de ce métal soit réactionné par les chlorures qu’elle tient en dissolution. 2° Si l’on immerge par sa face cellulaire un morceau de peau, soit dans une dissolution pure d’azotate d’argent, soit dans une dissolution albumi- neuse, chlorurée ou non, de ce sel, la surface épidermique devient légère ment violacée d’abord, livide, se plombe de plus en plus, et fonçant gra- duellement ses teintes, finit par acquérir une couleur noire brillante, tout à fait comparable à celle du plus beau nègre. Cette expérience, dans laquelle la réduction de l’argent est manifeste, ne reproduit-elle pas approximativement, les diverses phases de la coloration argentique de la peau? Les composés insolubles seraient-ils susceptibles de compromettre égale- ment la coloration normale des tissus? Ils ont été trop peu employés à doses prolongées pour que l’on puisse répondre d’une manière formelle à cette question ; si l’on en excepte l’iodure d’argent, je crois qu’il serait prudent de se méfier, et que l’oxyde en particulier serait très-susceptible de produire ce genre d’accident, si on l’administrait avec la persistance né- cessaire pour triompher des accès d’épilepsie. Quant au chlorure, admi- nistré avec succès une fois sur quatre contre cette redoutable névrose par M. Trousseau, s’il n’a dans aucune de ces tentatives amené d’altération dans la couleur des surfaces tégumentaires, il faut attendre des faits plus nombreux pour juger sa valeur sous ce dernier rapport, d’autant plus que je ne saisis aucune raison chimique ou physiologique bien rigou- reuse qui l’empêcherait de modifier à la longue les teintes de la peau. En effet, quelque opinion que l’on se forme du mode d’absorption des substances insolubles, une fois introduites dans le sang, elles peuvent y rester à l’état insoluble ou y être dissoutes ; dans le premier cas, leurs par- ticules auront plus de peine à pénétrer dans les réseaux capillaires et à s’approcher des membranes périphériques, mais par contre, elles séjour- neront plus longtemps dans l’économie et en seront expulsées avec plus de difficulté ; dans le second cas, elles pourront parcourir tous les espaces que traversent substances primitivement solubles et restées telles. Dans l’une ou l’autre de ces deux alternatives, n’y a-t-il pas, pour les prépa- rations d’argent insolubles, quelques chances de se réduire à des dis- 38 tances plus ou moins rapprochées de la peau? Restons alors daus le doute à leur égard, et ne nous hâtons pas de proclamer leur immunité. L’expérience, si quelques praticiens jugent un nouveau médicament di- gne de quelque attention, prononcera sur l’influence que peut avoir l’hypo- sulfite de soude et d’argent dans la production du phénomène qui nous occupe en ce moment. La propriété que possèdent les hyposulfites alcalins de dissoudre l’oxyde et le chlorure d’argent pourrait faire supposer à ceux qui attribueraient la coloration argentique à l’un de ces deux derniers composés, que dans celte innovation pharmacologique, le remède a été placé à côté du mal. Mais outre que ces idées théoriques ont été mises hors de cause, on peut crain- dre que l’hyposulfite de soude et d’argent ne détermine aussi, à un certain degré de saturation de l’organisme, l’altération de couleur des tissus. Voici du moins une épreuve analogue à celle que j’ai rapportée plus haut au su- jet de l’azotate d’argent : 1° Si l’on fait dissoudre de l’hyposulfite de soude et d’argent dans du sé- rum de sang, la dissolution finit par se colorer en brun ; seulement cette coloration est moins foncée et se produit plus lentement que lorsqu’on a employé de l’azotate d’argent. 2° Un morceau de peau immergée par sa face cellulaire dans une solution d’hyposulfite de soude et d’argent, se colore lentement, en se fonçant de plus en plus, en brun mat. Dans ces expériences, le corps colorant ne paraît plus être de l’argent réduit» mais du sulfure d’argent. Une décomposition pareille de ce sel double s’opérera-t-elle dans le sang et dans les tissus animés par la vie ? Cette question peut être posée, parce que, tandis que l’azotate d’argent détermine sur la peau vivante ou morte des effets identiques, l’hyposulfile de soude et d’argent n’altère nullement, comme je l’ai déjà dit, la peau sur le vivant. Tous les observateurs ont signalé l’indépendance complète qui existe en tre la coloration cutanée et l’action thérapeutipue de l’azotate d’argent ; la première n’est donc qu’un accident qu’il faut prévenir ou arrêter dans sa manifestation. On comprend que cet accident ne soit point pris en trop sé- rieuse considération quand il s’agit de guérir une névrose aussi désespé- rante que l’épilepsie ; mais la crainte de le voir inopinément surgir est faite pour rendre très-circonspect dans l’applicalion des médicaments ar- gentiques à la cure de maladies beaucoup moins graves., 39 Aussi les praticiens les plus hardis dans le maniement de ces remèdes énergiques ont-ils formulé plusieurs préceptes pour tenir leurs imitateurs en garde contre l’imminence de ce phénomène chimico-physiologique. Je citerai, entre autres, MM. Lombard et Trousseau. M. Lombard, après avoir soumis 2ù malades à l’azotate d’argent pen- dant un laps de temps qui, pour plusieurs, a dépassé une année, n’a jamais vu survenir chez aucun d’eux la coloration cutanée, et il ne l’attribue pas à l’exiguïté des doses par lui employées, puisque d’ailleurs on a vu l’accident se produire malgré des doses aussi minimes, mais seulement au soin qu’il avait de suspendre de temps en temps le médicament, ce qui rend, dit-il, les malades sensibles ensuite à une faible dose et empêche l’économie de se sa- turer d’azotate d’argent. M. Trousseau engage à suivre attentivement les moindres changements dans la coloration habituelle du visage, et à étudier surtout le tour de l’or- bite où se traduit la première réaction de l’azotate d’agent sur la peau ; il faut, aussitôt qu’un cercle bistre se montre en cet endroit, suspendre le médicament (1). Ces conseils, et d’autres encore, sont excellents sans doute, mais ils n’arment pas suffisamment contre un accident excessivement insidieux, que l’on a vu éclater parfois dès le troisième mois du traitement, et qu’une fois produit on ne peut plus arrêter dans son irrésistible extension. Avant de discuter l’irremédiabilité du fait, voyons si l’on ne pourrait pas le prévenir. De tous les composés d’argent, un seul offre des garanties réelles contre la coloration qu’il est urgent d’éviter ; c’est celui qui résiste le plus à l’ac- tion réductive de la lumière et des matières organiques, c’est l’iodure d’argent. Il me paraît donc éminemment logique de substituer ce sel à l’azo- tate d’argent, au moins dans les longs traitements exigés par l’épilepsie. Qui sait même si l’iode, dont la portée thérapeutique est si longue et si puissante, ne renforcera pas l’action de l’argent ? Et si l’on a quelque dé- fiance, justifiable jusqu’à un certain point, contre une substance insoluble, il y aurait en faveur de la solution albumineuse iodo-argentique dont la formule a été précédemment indiquée des présomptions théoriques assez rationnelles pour qu’elle mérite d’être expérimentée. (1) Note prise au cours de M. Trousseau à la Faculté de médecine en 1844. Ce précepte, où se révèlent la sagacité et le talent d’observation du savant pro- fessur, n’a été, à ma connaissance, reproduit nulle part. 40 Si jusqu’à présent la coloration argentique de la peau a été laissée pour incurable, elle apporte souvent un trouble trop sérieux dans l’existence morale des sujets pour que l’on ne recherche pas avec persévérance les moyens delà faire disparaître. Ces moyens, dans l’état actuel de la science, se résument dans l’emploi de Piodure de potassium, indiqué pour la pre- mière fois par M. Guérard, conseillé par beaucoup d’autres, et qui n’a jamais été mis à l’épreuve. Il est probable cependant qu’administré avec insistance, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, en boissons, en bains, en appli- cations prolongées, son efficacité finirait par être constatée. Les solutions d’iodures alcalins, en effet, transforment au bout de quel- ques heures de contact l’argent divisé noir en iodure d’argent; en conformité avec cette action chimique, la peau, que l’on a colorée par une longue immersion dans les solutions d’azotate d’argent, finit au bout d’un certain temps par se décolorer complètement quand on la maintient bai- gnée dans une solution iodurée, aussi bien que disparaissent les taches pro- duites par la pierre infernale sous l’influence du même réactif. Mais le but ne serait pas complètement atteint si l’on n’avisait qu’à convertir en iodure d’argent le métal déposé dans la trame de la peau ; il importerait, en outre, d’en débarrasser à tout jamais l’économie. Or, du moment que M. Melsens a démontré théoriquement et expérimentalement que l’on pouvait provo- quer l’élimination du mercure et du plomb cantonnés dans l’organisme, par l’emploi soutenu à l’intérieur de l’iodure de potassium qui ramène à l’état soluble les combinaisons organiques de ces deux métaux, tout porte à croire que le même sel aurait une action analogue sur l’argent, puisqu’il maintient aussi la solubilité de ses combinaisons organiques, et qu’il par- viendrait à l’extraire du corps aussi bien que le plomb et le mercure (1). L’hyposulfile de soude est incapable de rendre les mêmes services, et c’est à tort qu’on l’a conseillé. En admettant que la coloration fût causée par l’oxyde ou le chlorure d’argent, il faut savoir que les hyposulfites alca- lins ne les dissolvent qu’imparfaitement quand ils ont subi un commence- ment de réduction, et qu’ils ne réagissent nullement sur le sous-oxyde, le sous-chlorure et surtout sur l’argent métallique. Des tissus organiques noircis par l’azotate d’argent ont macéré pendant longtemps dans une so- lution d’hyposuffite de soude sans éprouver la moindre décoloration. (1) Mémoire sur l’emploi de l’ioddre de potassium pour combattre les affections saturnines et mercurielles, par M. Melsens (Ann. de chimie et de physique, 3' série, t. XXVI.) 41 Enfm la décoloration brune déterminée par l’hyposulfite de soude et d’argent sur la peau morte ne disparaît ni par l’iodure de potassium ni par Phyposulfite de soude; c’est qu’en effet le sulfure d’argent n’est attaqué par aucun de ces deux réactifs. Je n’ai point prétendu, dans ce mémoire, traiter et élucider toutes les questions relatives à la pharmacologie, à l’action physiologique et théra- peutique des préparations d’argent; il ne s’est point agi d’une monogra- phie; mon intention a été seulement de présenter, avec des faits expéri- mentaux à l’appui et des inductions raisonnées quand l’expérience n’a pu être invoquée d’une manière rigoureuse, des opinions qui n’ont pas géné- ralement cours sur le mode d’assimilation à l’organisme de ce groupe de médicaments, et d’appeler l’attention sur de nouvelles formules qui per- mettraient aux praticiens d’administrer avec plus de confiance et de sécu- rité un métal dont l’efficacité n’est pas douteuse dans un grand nombre de maladies. Je ne sortirai pas non plus du cadre que je me suis tracé en me livrant à l’appréciation des cas qui réclament la médicamentation argentique; je neveux pas jeter des teintes trop spéculatives sur ce travail en cherchant à déterminer quel peut être le mode d’action dynamique de l’argent. Tou- tefois, s’il m’était permis d’exprimer une opinion sur ce dernier point, je dirais que pour ce métal comme pour beaucoup d’autres agents de la ma- tière médicale, les pharmacologistes français me paraissent s’être trop préoccupés de l’action topique du médicament, qu’ils ont trop souvent et bien à tort subordonné aux effets locaux les effets thérapeutiques, et expli- qué les derniers par les premiers. Il y a une différence tranchée entre ces deux ordres de faits; les effets locaux, sensibles seulement quand les sels solubles d’argent ont été administrés à l’intérieur, peuvent et doivent être évités: c’est lorsqu’on ne prend aucune garantie contre l’irritation des muqueuses digestives ou qu’on cherche même à la provoquer, que l’on voit survenir une purgation qui a fait ranger l’azotate d’argent au rang des drastiques ; ainsi la quantité de ce sel donnée en pilules, d’après la mé- thode de Boerhaave, coup sur coup jusqu’à effet purgatif, ne produira rien de semblable si l’on distance les doses, et mieux encore, ainsi que je l’ai éprouvé, si l’on donne le sel dissous dans une grande quantité d’eau albumineuse ou même d’eau pure : alors l’action dynamique n’a qu’à s’exercer dans sa pureté. Or sans faire entrer en ligne de compte une expé- rience personnelle trop restreinte, en invoquant un nombre considérable de travaux sérieux dont l’azotate d’argent en particulier a été l’objet depuis 42 une trentaine d’années, celte action est franchement hyposthénisante ; sous l’influence de l’argent, une sédation puissante est exercée sur le sys- tème sanguin et d’une manière plus spécialement élective sur le système nerveux ; souvent efficace contre les lésions de la sensibilité, ce métal a été employé avec plus de succès encore contre les désordres de la contraction musculaire; et en somme, comme régulateur de toutes les fonctions du système nerveux, peu de médicaments héroïques ont modifié ou guéri aussi souvent les affections spasmodiques et convulsives réputées les plus graves. Lorsque les Arabes introduisirent l’argent dans la matière médicale, en le prônant à titre de remède tonique, cordial, céphalique; lorsque leurs imitateurs au moyen âge, dans leur mysticisme mêlé d’alchimie et d’astro- logie, rapprochaient l’influence de la lune sur le cerveau de la comparaison de cet astre avec l’argent, et formulaient leurs composés lunaires en leur attribuant, en définitive, des vertus spécifiques contre les affections ner- veuses, n’avaient-ils pas tous émis en termes figurés une idée juste, et classé l’argent parmi les antispasmodiques? Les expérimentateurs modernes n’ont fait que confirmer ce jugement. Quant aux propriétés altérantes de ce métal, soupçonnées aussi dès le seizième siècle, elles ont été plus sérieusement contestées, et les faits récents publiés en leur faveur n’ont pu encore élever la réputation de l’argent au niveau de celle du mercure, de l’or, de l’iode, de l’arsenic dans la théra- peutique des affections cachectiques et virulentes. FIH,