DES RÉCENTS TRAVAUX \ \ : 1 SUR J LES GAZ DU SANG ET LES ÉCHANGES RESPIRATOIRES PAR Le Dp I. STRATJS Extrait des Archives générales de Médecine Années 1873. PARIS P. ASSELIN, successeur de BÉGHET jeune et LABÉ ÉDITEUR DES ARCHIVES GÉNÉRALES DE MÉDECINE, Place de l’École-de-Médecine 1873 DES RÉCENTS TRAVAUX SUR LES GAZ DU SANG ET LES ÉCHANGES RESPIRATOIRES. CL Bernard. Leçons sur les propriétés physiologiques et les altéra- tions pathologiques des liquides de l’organisme. Paris, 1859. T. I. Fernet. Du rôle des principaux éléments du sang dans l’absorption ou le dégagement des gaz de la respiration (Ann. des sc. nat. zool., 4e série, t. VIII, 1857. Setschenoic. Beilræge zur Pneumatologie des Blutes, in Zeitschr. für ration. Medic. T. X, 1861. Ludwig et ses élèves (Holmgren, Schoeffer, Sczelkow, Preyer, etc.), passim in Sitzungsb. der Wiener Akad. et Berich. d. sæchs. Gesellsch. der Wissensch. de ces dix dernières années. Pflüger et ses élèves, passim in Centralbl. für wissensch. Med. (six dernières années), et dans Pflüger’s Arch. T. I-V, 1868-1872. Paul Bert. Leçons sur la physiologie comparée de la respiration. Paris, 1870. — Recherches expérimentales sur l’influence que les changements dans la pression barométrique exercent sur les phéno- mènes de la vie. Compte-rendus de l’Acad. des sciences, passim 1871, 1872, 1873. Grèhanl.Recherches physiologiqnes sur la respiration, in Journal de l’anatomie et de la physiologie, 1864. T I, page 542. — Revue scien- tifique, 1871. Mathieu et Urbain. Recherches sur les gaz du sang. Arch. dephysiol., 1872 (mars-décembre). A voir l’ardeur avec laquelle on se livre aujourd’hui de toutes parts aux recherches hématologiques, on se croirait presque revenu aux 4 beauxjoursdela médecine humorale, si,heureusementpourlascience, ces divisions dichotomiques auxquelles se plaisait l’ancienne école n’avaient disparu sans retour. Depuis l’époque relativement éloignée où Andral etGavarret fondèrent en quelque sorte l’étude scientifique de la pathologie du sang, il ne s’est pas produit, danscette direction, un mouvement aussi considérable et aussi significatif que celui au- quel nous assistons en ce moment; et ce ne serait certes pas uns vue rétrospective dénuée d’intérêt que celle qui nous ferait assister aux phases successives par lesquelles les recherches hématologiques ont passé dans ces trente dernières années. A tout prendre, et pour ne parler que des choses d’hier, la théorie cellulaire, telle que l’a conçue Virchow, était peu favorable à ce genre d’études. En montrant l’autonomie de la cellule animale et des terri- toires cellulaires, en établissant que la nutrition, la prolifération, l’inflammation, bref, tous les processus physiologiques et morbides peuvent évoluer avec toute leur plénitude dans des tissus non vascu- laires, Virchow était amené du même coup à assigner un rôle secon- daire aux vaisseaux et au liquide sanguin. Et, s’il n’était déplacé d’appliquer cette qualification à un esprit aussi compréhensif, et en définitive, aussi prudemment éclectique que Virchow, on pourrait hardiment le ranger parmi les solidistes. Par un singulier contraste avec ces tendances purement histolo- giques, c’est de préférence par leur côté humoral que l’école française a abordé les problèmes de la biologie. Sans doute l’animal, à quelque classe qu’il appartienne, n’est, en dernière analyse, qu’un agrégat de cellules; mais ces cellules,ou du moins l’immense majorité d’entre elles ne puisent pas directement dans les milieux cosmiques les élé- ments de leur nutrition et leurs excitants; elles les trouvent, au con- traire, dans un milieu intermédiaire {milieu intérieur de Cl. Bernard), dans le sang et dans les sucs parenchymateux qui en dérivent. Le rôle de ces liquides, accessoire si l’on envisage la vie à un point de vue purement abstrait et spéculatif, acquiert pour la physiologie de l’homme et des animaux supérieurs, et surtout pour les faits de la médecine, une importance prépondérante. C’est là ce qu’ont parfaite- ment compris ceux qui ont dirigé la science française: ainsi, pour ne citer que Cl. Bernard, la partie la plus originale de son œuvre est, à coup sûr, celle qu’il a consacrée à l’étude des liquides de l’or- ganisme; dans ces deux volumes, toutes les grandes questions d’hé- matologie sont soulevées, plusieurs définitivement résolues, et c’est là proprement la source oùtous les physiologistes contemporains sont venus puiser à pleines mains. Deux grands événements scientifiques ont surtout contribué à mo- 5 dérer l’exclusivisme des conceptions cellulaires de Virchow et de son école. C’est d’abord la mémorable expérience de Cl. Bernard (section du sympathique) qui, en montrant l’indépendance des circulations locales, prouva nettement que des troubles vasculaires peuvent pré- céder le trouble inflammatoire et le commander. Douze ans plustard, l’expérience de Cohnheim, en établissant, aux yeux de la presque totalité des histologistes, l’origine hématique du pus, vint frapper la théorie de l’inflammation, telle que l’avait formulée Virchow, du plus rude coup qui lui ait jamais été porté. Et voilà soudain le rôle du sang, dans cet acte pathologique fondamental que l’on appelle l’inflam- mation, acquérant une importance et une portée que ni Hunter, ni Cruveilhier, ni Rokitanskv n’ont jamais osé lui attribuer. Le mot de dyscrasie est une de ces vieilles locutions, précieuse par la largeur et l’élasticité des acceptions qu’elle comporte, précieuse aussi par son sens rigoureux et étymologique : ce mot indique la mau- vaise composition, le mauvais mélange du sang, envisagé comme cause morbigène. De tout temps l’adultération du liquide sanguin a été invoquée comme le point de départ d’un grand nombre de maladies ; le seminium, la matière peccante, le vice des humeurs, toutes ces lésions mystérieuses du sang que la logique de nos devanciers avait pres- senties, mais qu’ils revêtaient d’interprétations et d’appellations bi- zarres, la science contemporaine est en train de les démontrer à l'aide de sa méthode exacte et de ses procédés rigoureux. Les belles recher- ches de Pasteur sur les fermentations, celles de Goze et FeUz, Davaine, Hallier, celles enfin toutes récentes de Vulpian, Chauveau, Béhier et Liouville, sur les altérations des liquides dans les pyrexies et les ma- 'adies infectieuses ont fait de la question des fermentations internes ou zymoses l’un des plus vastes et des plus intéressants chapitres de l’hématologie pathologique. C’est là le côté actuel, passionnant, mais discutable aussi et, sous bien des rapports, décevant de notre sujet; nous nous proposons d’en faire l’exposé critique dans un prochain article. Mais, sur un terrain moins brûlant et dans une sphère plus sereine se poursuivent paral- lèlement une autre série de recherches, celles-ci d’une précision presque mathématique et portant sur des objets qui, au premier abord, sem- blent accessoires et de pure curiosité scientifique; nous voulons parler de la question des gaz du sang. Modeste dans son énoncé et en appa- rence toute spéciale, cette étude entre en réalité dans le vif des plus graves questions que se pose la biologie; elle nous donne ou nous fait pressentir la solution des problèmes si importants qui se rattachent à la respiration pulmonaire, à la respiration profonde, c’est-à-dire à la vie même des éléments et des tissus; elle nous éclaire sur la nature 6 et le siège précis des échanges moléculaires auxquels le sang sert d’intermédiaire et de foyer (Stoffwechsel des Allemands). Depuis longtemps l’attention des physiologistes et des médecins s’était dirigée sur les produits d’excrétion (urée, acide urique, acide carbonique, etc.), qui représentent le résidu et, comme on l’a dit, «les cendres delà combustion organique. » Aujourd’hui, on a voulu faire un pas déplus, étudier de plus près l’agent oxydant, l’accompagner dans ses étapes et le suivre jusque dans la profondeur des paren- chymes. C’est là le but des laborieuses recherches que nous allons ré- sumer; elles ont déjà trouvé plus d’une application directe aux faits pathologiques et cliniques; aussi nous paraissent-elles mériter une vulgarisation qui leur a fait défaut jusqu’ici, pour entrer définitive- ment dans le domaine de la science courante. La façon dont on envisage aujourd’hui le liquide sanguin en phy- siologie générale diffère un peu de la manière de voir des anciens; pour ceux-ci le sang était surtout un liquide nourricier, servant è réparer les tissus; actuellement, on a spécialement en vue son rôle de liquide respirateur, destiné à porter aux éléments l’oxygène néces- saire à leur fonctionnement et à les débarrasser de leur acide carbo- nique, le rôle nutritif élant plutôt dévolu aux liquides interstitiels qui ne dérivent du sang que de seconde main. Le sang, ainsi envisagé, préside à deux sortes d’échanges: d’une part, il emprunte de l’oxygène à l’air et y déverse de l’acide carbo- nique par l’intermédiaire de certaines surfaces appropriées (poumons); c’est ce qui constitue la respiration externe ou hématose; d’autre part, dans la profondeur des tissus, le sang abandonne une partie de son oxygène et fixe de l’acide carbonique, présidant ainsi à ce que l’on appelle la respiration interne ou profonde. Entre ces deux phases ex- trêmes se placent les oxydations que le sang subit dans ses propres éléments pendant son parcours dans les vaisseaux; c’est ce que l’on pourrait appeler la respiration intravasculaire, dont l’importance et l’existencemêmesont encore grandement discutées. C’estla détermina- tion précise de la nature et du mécanisme de ces échanges moléculaires qu’ont eu surtout pour but les recherches récentes sur les gaz du sang. Dans ce travail, nous allons donc successivement passer en revue : 1<> la manière dont le sang et ses différentes parties consti- tuantes se comportent vis-à-vis des gaz qui y sont contenus, soit à l’état de solution, soit à l’état de combinaison; 2° la manière dont s’effectue l’échange gazeux au niveau du poumon, c’est-à-dire l’in- fluence de la respiration externe sur les gaz du sang et les conditions qui modifient cet échange; enfin 3° les données que nous possédons 7 sur les modifications gazeuses que le sang éprouve dans l’intimité des parenchymes et sur les phénomènes intimes delà respiration interne. Il est bien entendu que nous ne nous confinerons point dans le do- maine des faits purement physiologiques et que nous chercherons à mettre en relief toute application, môme éloignée, à la pathologie et à la thérapeutique. A. Lois générales de l'absorption des gaz dans le sang. C’est J. Mayow qui, le premier, d’après P. Bert, appela l’attention sur les bulles de gaz « bullulas pene infinitas » qui se dégagent du sang soumis à l’action du vide; c’était ce qu’il appelait l'esprit igno- aèrien. Quand plus tard Lavoisier, par une des plus belles synthèses qu’ait jamais conçue i’esprit humain, eut assimilé les phénomènes respiratoires et calorifiques des animaux au phénomène chimique de la combustion ou de l’oxydation, l’attention des physiologistes et des chimistes se dirigea plutôt vers l’étude des modifications de l’air expiré que vers l’analyse des gaz du sang. H. Davy, Nasse, Yogel, se contentèrent d’y constater la présence de l’oxygène et de l’acide car- bonique. Un premier pas, mais décisif, fut fait par Magnus, qui institua les premières analyses quantitatives des gaz du sang (1). La méthode qu’il employait (vide partiel) était défectueuse ainsi que les chiffres auquel il arriva; mais ces chiffres lui permirent d’établir nettement que les gaz que renferme le sang n’y sont pas simplement dissous, obéissantaux loisqui régissent la solucdüté des gaz dans les liquides (2). (1) Ueber die im Blute enthaltene Gase. (Poggendorffs. Annal. 4837.) (?) Lois de Dalton et de Bunsen. Comme nous les aurons souvent à invo- quer, nous croyons bien faire en les résumant ici, d’après Hermann et Gréhant: 1“ Chaque liquide a un pouvoir d’absorption spécial pour chaque gaz. On appelle coefficient cl'absorption ou de solubilité d’un gaz par rapport à un li- quide, le volume de ce gaz dissous par l’unité de volume du liquide, a 0° et à la pression de 76 centim. de mercure Ainsi le coefficient de solubilité de l’acide carbonique est 1,79, c’est-à-dire qu’un litre d’eau distillée dissout 1 lit. 79 d’a- c'de carbonique à 0° et à la pression de 76 cent, de mercure; le coefficient de solubilité de l’oxygène est très-faible, 0,041. Le coefficient de solubilité diminue avec l’élévation de la température; à l’ébul- lition il devient égal à 0 (de là l’emploi de l’ébullition pour extraire les gaz du sang). 2° Le poids de gaz dissous par un liquide est proportionnel à la pression qu’exerce ce gaz à la surface du liquide; dans le vide, ce poids devient égal 8 montra notamment que le contenu du sang en oxygène est bien plus considérable que ne le comporte le faible coefficient de solubi- lité de ce gaz dans les liquides albumineux ou salins; d’où il conclut que l’oxygène est chimiquement fixé par un des éléments du sang, par le globule rouge probablement. Ce fait fut généralement accepté par les physiologistes. Cl. Bernard fit remarquer que le sang absorbe d’autant moins d’oxygène, qu’il est plus froid, ce qui va juste à l’encontre des lois physiques de la solu- bilité des gaz dans les liquides; en outre, par une expérience ingé- nieuse, il montra que « quand le sang absorbe l’oxygène, il le retient bien. » On sait que l’acide pyrogallique, dans un milieu alcalin, s’em- pare de l’oxygène qu’il absorbe totalement. Le sang étant alcalin, l’injection d’une solution d’acide pyrogallique dans le système circu- latoire semblait devoir dépouiller de leur oxygène les globules san- guins. Or, il n’en a rien été, l’acide pyrogallique injecté a été rendu par les urines sans avoir subi d’altération, sans avoir, par conséquent, enlevé l’oxygène aux globules du sang (t). En outre, Cl. Bernard, en montrant que l’oxyde de carbone chasse l’oxygène pour se combiner avec les globules rouges, enrichit la science d’une méthode d’analyse des gaz du sang qui, pour l’oxygène, mais pour l’oxygène seul, donne des résultats parfaitement exacts, ainsi que Nawrocki (2) l'a démontré en comparant les chiffres ainsi obtenus avec ceux que donne la pompe à gaz de Setschenow. En 1857 parut le travail de Fernet, travail capital et qui fait époque dans l’histoire de la pneumatologie sanguine. Le procédé employé par le physicien français consiste à purger le S3ng préalablement de tous lesgazà l’aide du vide pneumatique et d’un courantd’hydrogène, à le mettre ensuite en contact avec une atmosphère d’oxygène, d’acide carbonique et d’azote à une pression et à une température détermi- à 0 (de là les procédés d’extraction des gaz du sang, à l’aide des appareils faisant le vide). 3® Si un liquide qui contient un gaz en dissolution, de l’acide carbonique par exemple, vient à être placé au contact d’un autre gaz, l’hydrogène par exemple, il laissera dégager le premier comme dans le vide; car pour l’acide carbonique, la pression dans un espace rempli d’hydrogène est égale à zéro (de là le procédé d’extraction des gaz du sang en y faisant barboter un gaz étranger, tel que l’hydrogène,ou en l’agitant avec ce gaz). (Voy. Hermann, Elém. dephys., trad. fr., p. 49.) (1) Cl. Bernard. Liquides de l’organisme, t. I, p.337. (2) De Cl. Bernardi methodo oxygeini copiam in sanguine determinandi. Diss.inaug. Breslau, 1863. 9 nées, et enfin à rechercher la proportion de chacun de ces gaz ab - sorbés parles différents éléments du sang. Voici les résultats auxquels sa méthode le conduisit. Acide carbonique. — Eu faisant agir ce gaz indifféremment, soit sur du sang complet (muni de ses globules et simplement défibriné), soit sur le sérum du sang, soit enfin sur de l’eau distillée tenant en solu- tion les mêmes sels et en même proportion que le sérum du sang, Fernet constata que la quantité d’acide carbonique absorbée était à peu près la même dans ces trois cas; l’absorption du gaz n’obéit pas à la loi deDalton ; une partie du gaz se combine chimiquement avec les sels alcalins du sérum; l’affinité chimique ainsi satisfaite, on a affaire à une solution saline présentant vis-à-vis de l’acide carbonique un coefficient d’absorption un peu moindre que celui de l’eau distillée, c’est ce coefficient qui règle la quantité d’acide carbonique simple- ment dissoute et qui seule obéit à la loi de Dalton. En résumé, le sang se comporte vis-à-vis de l’acide carbonique comme une quantité équivalente de sérum, qui lui-même agit comme une solution de carbonate et de phosphate de soude dans de l’eau distillée. La plus forte portion de l’acide carbonique absorbée par le sang (les 2/3) est chimiquement fixée avec les sels du sérum, en for- mant des bicarbonates alcalins et un phospho-carbonate de soude, ou sel de Fernet, que Preyer est parvenu à isoler récemment (1). L’autre tiers est simplement dissout dans le sérum. Oxygène. — En opérant delà même façon sur l’oxygène, Fernet dé- montra que le sérum seul dissout à peu près la même proportion de gaz que l’eau distillée, proportion très-faible, car le coefficientde solu- bilité de l’oxygène dans l’eau n’est que de 0,0293. Mais si l’on ajoute au sérum les globules rouges, la proportion de gaz oxygène absorbée devient beaucoup plus forte (16 fois plus forte, d’après Gréhant). D’où cette conclusion qu’une faible partie de l’oxv- gène du sang est dissoute dans le sérum, une forte portion chimique- ment combinée avec le globule rouge. Nous verrons plus bas quelle est la nature de cette combinaison et avec quel élément constituant du globule rouge elle s’effectue. Azote. — Fernet a constaté que ce gaz se dissout à peu près dans des proportions identiques dans le sang complet, dans le sérum ou dans l’eau distillée. 11 est simplement dissous, obéit par conséquent à la loi de Dalton et ne possède qu'un faible coefficient de solubilité (0,02). (i) Preyer, Ueber die Kohlensaure und den Sauerstoff im Blute, Ctbl. f. wiss. Medic. 1866, p. 321. 10 Résumé général des recherches de Fer net : L’acide carbonique est presque en entier contenu dans le sérum ; une partie est dissoute, l’autre combinée avec les sels de soude. L’oxygène est en grande partie combinée avec le globule rouge, et en faible proportion en solution dans le sérum. L’azote est simplement dissous dans le sérum (1). On voit que les travaux de Fernet confirmèrent entièrement, en les complétant, les vues de Magnus et de Cl. Bernard ; mais l’habile phy- sicien français, en saturant le sang préalablement privé de ses gaz, s’était placé dans des conditions, excellentes sans doute pour déga- ger une loi générale, mais en définitive artificielles, et qui ne nous font pas assister à ce qui se passe réellement dans l’organisme. Le pro- blème consistait désormais à rechercher de quelle façon les lois de Fernet trouvent leur application et dans quelles mesures elles se vé- rifient dans les différents processus physiologiques. Le travail que Lothar Meyer (2), de Berlin, publia la même année que Fernet, ré- pondit en partie à ce desideratum. Lothar Meyer employait, comme Magnus, le vide partiel pour reti- rer les gaz qui sont simplement dissous dans le sang ; puis il ajoutait de l’acide tartrique pour expulser l’acide carbonique combiné. Voici quelques chiffres qui donneront une idée des résultats obtenus : 100 vol. de sang artériel (chien) renferment : Oxygène. 14 vol. Azote. 2 Acide carbonique libre. 6 Acide carbonique combiné. 28 Le procédé de Lothar Meyer, quoiqu’il marquât un grand progrè sur celui de Magnus, ne laissait pas que d’être défectueux; il ne pro- duisait le vide qu’une seule fois; en outre, l’action de l’acide tartri- (1) Dans cet exposé nous ne nous occuperons que des variations de proportion de l’oxygène et de l’acide carbonique, qui seules sont intéressantes. L’azote est simplement dissous ; il se rencontre à peu près toujours dans la même propor- tion dans le sang, tant artériel que veineux, proportion qui oscille entre 1 à 2 pour cent (en volume). A plus forte raison ferons-nous abstraction des quantités infinitésimales A'ammoniaque que contient le sang normal (Richardson, Briicke) et qui est si faible qu’un chien de taille moyenne n’en exhale que 0'g. 02 par les poumons dans les vingt-quatre heures (Thiry). (2) Die Gase des Blutes, Zeitsch. f. ration. Medic., t. VIII, p. 2S6, 1857. que ajouté au sang, fixe une certaine quantité d’oxygène et dimi- nue, par conséquent, le chiffre qui correspond à ce gaz (1). Ces causes d’erreurs ont été surtout signalées et corrigées par Lud- wig et ses élèves ; depuis plus de dix ans la question des gaz du sang est en quelque sorte à l’ordre du jour au laboratoire de Leipsig, où l’on s’attacha surtout à perfectionner les procédés d’extraction. Nous ne pouvons entrer dans tous ces détails techniques; qu’il nous suffise de dire que « la pompe à mercure, telle que l’ont employée Ludwig, Setschenow, Schaeffer, etc., permet : 1° de faire rapidement un vide parfait et de le renouveler à volonté ; 2„ d’isoler les gaz au fur et à mesure de leur extraction ; 3° d’employer, en outre, la chaleur et les acides.» (P. Bert). Enfin, récemment, la pompe à mercure a été très-heureusement modifiée et simplifiée par Gréhant et est devenue un appareil com- mode, facile à manier, et dont la place est désormais marquée dans tout laboratoire bien outillé. Ces perfectionnements de la technique ont singulièrement modifié les chiffres qui représentent le contenu gazeux du sang. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le tableau suivant, emprunté à Sets- chenow et à Schaeffer, aux chiffres donnés plus haut d’après Lothar Meyer. Ces nombres n’ont pas une valeur absolue, hâtons-nous de le dire, et les comparaisons sont surtout périlleuses, tantsont multipliées, comme nous le verrons plus loin, les causes qui modifient les quanti- tés des gaz du sang chez un même animal. Ici, cependant, la diffé- rence des résultats est tellement considérable et a été obtenue d’une façon si constante, qu’elle nous permet de juger la valeur relative des procédés d’extraction, et les progrès accomplis. Yoici les chiffres (2) obtenus par les deux élèves de Ludwig : 11 (1) Pflüger et Zuntz (Archiv de Pflüger, 1872) ont démontré que sous l’in- fluence des acides, l’oxyhémoglobine du sang est partiellement changée en héma- tiue, transformation qui fixe une portion de l’O. du globule. D’après un autre élève de Pflüger, P. Hering, l’acide phosphorique ferait exception à cette règle. (2) Il est indispensable de rappeler que les Allemands, dans leurs mesures volu- métriques des gaz, supposent toujours les gaz à Oo de température et à une pres- sion mercurielle d’un mètre ; en France, au contraire, nous les mesurons à la pression de 0m,76 de mercure seulement. Comme les volumes sont en raison inverse de la pression (loi de Mariotte), il suffit, pour rendre les résultats com- parables, de multiplier les chiffres allemands par la fraction 100/76 ou par le nombre 1,306. (Gréhant.) 12 100 vol. de sang artériel (chien) renferment : Oxygène. 20(1) Acide carbonique libre. 34 Acide carbonique combiné. traces à 0,8 400 vol. de sang veineux: Oxygène. 12 Acide carbonique libre. 43 Acide carbonique combiné. 4 La différence la plus frappante que l’on constate entre ces résultats et ceux de Lothar Meyer porte sur le chiffre de l’acide carbonique combiné. Pour Meyer, la quantité d’acide combiné était énorme (28 à 29 dans le sang artériel) ; avec la pompe à mercure on en laisse à peine des traces, et récemment Pfluger et Gréhant, à l’aide du vide seul et de l’ébullition, sans addition d’aucun acide, ont pu extraire tout le gaz acide carbonique contenu dans le sang. Ces faits prouvent que l’acide carbonique fortement lié, comme disent les Allemands, est en proportion extrêmement faible dans le sang, surtout dans le sang artériel. A ce propos, les analyses déterminant la quantité d’acide carbo- nique fixe et celle d’acide carbonique libre, c’est-à-dire dégageable par la seule action du vide, ont permis de constater des différences très-intéressantes, selon que l’on agit sur le sérum du sang simple- ment, sur le sang veineux ou sur le sang artériel. Dans le sérum seul, la proportion de l’acide combiné est bien plus forte que dans le sang complet; dans le sang veineux, elle est plus forte aussi que dans le sang artériel, où elle est à peu près nulle. De là cette conclusion : le globule rouge du sang, surtout le globule oxygéné joue le rôle d’un acide (Preyer), qui met en liberté l’acide carbonique des sels alcalins du sérum. Nous aurons à revenir sur celte question de l’acide du sang, quand nous traiterons des échanges gazeux pulmonaires. Quant au mode de fixation de l’oxygène sur le globule rouge, les récents travaux sur l’hémoglobine et l’emploi, en physiologie, de (1) Dons ce tableau, ainsi que dans le précédent, nous avons supprimé à des- sein les décimales que les auteurs allemands poussent jusqu’au centième et jusqu’au millième. C’est une affectation de précision presque puérile ; en effet, P. Bert a montré récemment que dans les recherches gazométriques du sang les plus exactes, l’erreur porte inévitablement sur la première décimale, et peut entacher jusqu’au chiffre des unités. 13 l’analyse spectrale ont fait de cette question le point le mieux connu et le plus satisfaisant de toute la chimie hématologique. Ces recherches, si intéressantes, n’ont pas encore suffisamment pénétré dans le monde médical. En voici la substance. Hémoglobine. Analyse spectrale du sang.— Le globule rouge renferme une matière colorante, et qui, quoique de nature albuminoïde, jouit de la propriété de cristalliser ; c’est l’hémoglobine ou hémalo-crislal- line ; autrefois on ne connaissait que les dérivés de ce corps, tels que l’hématoïdine, l’hématine, l’hémine, etc. On obtient i’hémogiobine cristallisée en agitant le sang défibriné et filtré avec une certaine quantité d’éther, ou en soumettant le sang à des congélations et à des dégels successifs, ou à des décharges électriques (Rollett) ; chez l’homme, ces cristaux appartiennent au système rhombique ; leur forme et leur solubilité dans l’eau varient avec les espèces animales. L’hémoglobine ne fut nettement connue et distinguée d’avec l’hé- matine que du jour où Hoppe-Seyler eut l’idée ingénieuse d’appliquer l’analyse spectrale à l’étude des matières colorantes du sang (1). Grâce à cette méthode, on acquiert la preuve physique, optique du fait de la combinaison de l’oxygène avec l’hémoglobine. Voici, en quelques mots, le principe de la méthode. Si sur le trajet des rayons du prisme on interpose une couche très- mince d’hémoglobine oxydée (oxyhémoglobine) et en solution très- étendue, l’aspect du spectre est modifié. D’une part, la portion la plus réfrangible (le violet et le bleu), est uniformément obscurcie ; d’autre part, et là est le point important, dans la partie jaune du spectre, en- tre les lignes D et E de Frauenhofer, on voit apparaître deux raies obscures; ce sont les bandes d’absorption de l’hémoglobine oxydée.Que si maintenant on réduit l’oxyhémoglobine, à l’aide du fer ou du suif- hydrate d’ammoniaque, par exemple, on voit ces deux bandes se confondre en une seule, plus large, et dont les bords sont moins net- (i) Ueber die chemischen und optischen Eigenschaften des Blutfarbstoffes, Vir- chow’s Arch., 1862, t. XXIII, 1864, t. XXIV. Le premier qui fit connaître en France les travaux allemands sur l’analyse spectroscopique du sang, fut Ritler (de Strasbourg), dans les thèses de ses élèves Balley (Des méthodes à suivre pour rechercher le sang. Th. de Strasb. 1867, n° 100) et Lulorrain (De l’oxyde de carbone au point de vue hygiénique et toxicologique. Th. de Strasb. 1868). Mais ce furent surtout les leçons de Cl. Bernard, de P.Bertet de Gréhant qui vul- garisèrent chez nous cette méthode. Citons en outre la thèse de Benoit (Etudes spectroscopiques sur le sang. Montpellier, 1869), et surtout celle de V. Fumouze (Les spectres d’absorption du sang. Paris, 1871) qui forme la monographie 1a plus complète sur la matière. 14 tement limités ; elle occupe à peu près le milieu de l’espace compris entre la ligne D et la ligne E. C’est la bande de l’hémoglobine ré- duite, ou simplement bande de réduction de Stockes, qui la signala le premier. Aucune matière colorante autre que l’hémoglobine ne donne cette réaction spectroscopique ; elle est donc absolument caractéristique et constitue un des moyens les plus délicats pour reconnaître des traces de sang en médecine légale. Les bandes d’absorption en question ne se montrent pas seulement si l’on interpose sur le trajet des rayons du spectre de l’hémoglobine dissoute ; on les constate pareillement, si on examine les globules rouges intacts, à l’aide du microspectroscope; on les constate même en faisant traverser à la lumière solaire la membrane interdigilale de la grenouille (Fumouze), ou l’oreille de l’homme (Hoppe-Seyler), et par conséquent avec du sang encore contenu dans les vaisseaux. L’oxyhémoglobine n’est jamais complètement réduite par les tissus, et le sang veineux le plus noir donne néanmoins les deux raies de l’hémoglobine oxydée. Ce fait répond entièrement aux analyses di- rectes des gaz du sang veineux, lequel renferme toujours une notable portion d’oxygène. Nous verrons plus bas que dans l’asphyxie, au contraire, l’hémoglobine, tant du sang artériel que du sang veineux, est entièrement réduite. Les analyses gazeuses de Fernet et de Lothar-Meyer et les expé- riences de Cl. Bernard nous avaient déjà montré que l’oxygène est combiné avec le globule rouge; la méthode spectroscopique nous per- met de faire un pas de plus et d’affirmer que l’oxygène est fixé par un des éléments constituants de ce globule, par l’hémoglobine. Cette combinaison chimique est néanmoins très-instable, plus instable que celle de l’acide carbonique avec les sels du sérum ; l’oxygène est donc faiblement lié ; de là la facilité relative avec laquelle on l’extrait du sang à l’aide du vide et de la chaleur (1). Il est d’autres gaz, tels que l’oxyde de carbone, le bioxyde d’azote, l’acide cyanhydrique qui ont plus d’affinité pour l’hémoglobine que l’oxygène, et qui chassent ce gaz pour prendre sa place. Chacune de ces combinaisons possède son spectre d’absorption particulier dans la description duquel nous ne saurions entrer ici. Disons cependant que si ces gaz ont une affinité plus grande pour l’hémoglobine que (1) Il est probable que l’oxygène fixé sur le globule est de « l’oxygène actif > ou ozone. Cependant la principale réaction que l’on invoque (action du globule rouge sur la térébenthine et la teinture de gaïac) n’a pas toute la signification qu’on lui a attribuée, et la question n’est pas encore définitivement jugée. (V. Hermann. Physiologie, trad. franç., p. 51. l’oxygène, ils sont cependant, eux aussi, faiblement liés. Ainsi Don- ders a pu déplacer l’oxyde de carbone de sa combinaison avec les globules rouges, à l’aide d’un courant prolongé d’azote, d’hydrogène et même d’oxygène (sans formation d’acide carbonique dans ce der- nier cas). Enfin récemment, Zuntz (4), en employant simplement le vide, est parvenu à enlever tout l’oxyde de carbone des globules d’un animal empoisonné par ce gaz. Les détails, trop longs peut-être, dans lesquels nous venons d’en- trer, nous ont fait assister à l’évolution historique de la question des gaz du sang ; on voit quelle laborieuse série de recherches il a fallu pour dégager ces trois propositions fondamentales dont nous emprun- tons l’énoncé à P. Bert (2) : 4° l’azote est simplement dissous dans le plasma sanguin; 2° l’acide carbonique est presque entièrement con- tenu dans le sérum ; il y est â la fois dissous, et combiné, mais il abandonne ces combinaisons sous l’action du vide; 3° l’oxygène est, en grande partie, combiné avec les globules sanguins, et plus par- ticulièrement avec l’hémoglobine de ces éléments (3). Fort de ces notions premières, nous pouvons maintenant aborder d’une façon scientifique les intéressants problèmes qui se rattachent d’une part à la respiration externe, de l’autre, à la respiration intime et aux échanges moléculaires profonds. 15 B. Respiration externe, hématose. Partout où le sang est mis en rapport avec l’air atmosphérique, des échanges gazeux s’établissent; sous ce point de vue, l’enveloppe cutanée et la muqueuse digestive respirent au même titre que le pou- mon ; mais ce dernier organe, chez les animaux supérieurs, localise, (1) Pflüger’s Archiv, 1872, p. 584. (2) Leçons sur la respiration, p. 93. (3) Au moment où ceci s’imprime, MM. P. Schiitzenberger et Pdssler ont communiqué à l’Institut (compte-rendu de février 1873) un procédé chimique pour doser l’oxygène du sang (à l’acide de l’hydrosullHe de soude). Ils auraient ainsi déterminé dans le sang une quantité d’oxygène double de celle que donne l’emploi de la pompe à mercure. Ce résultat, tout à fait inattendu, demande à être pris en très-sérieuse considération; il s'agit surtout de bien rechercher, par l’analyse spectroscopique, si ce n’est pas de l’oxygène de cônstitution que ces chi- mistes enlèvent par leur procédé réducteur à l’hémoglobine. Si ces résultats se confirment, il en faudra conclure (P. Bert) que ce que l’on considérait jusqu’ici comme de l’hémoglobine réduite n’est qu’un protoxyde d'hémoglobine, assez stable pour résister à l’action du vide ; l’oxygène qui se dégage du sang sous l’influence du vide proviendrait de la réduction partielle d’un bioxyde d'hémoglobine. 16 en quelque sorte, ces échanges ; la vaste surface de la muqueuse pulmonaire (déplissée, elle mesurerait environ 200 mètres carrés), par- courue par le lacis capillaire le plus serré et le plus riche de tout l’or- ganisme, et tapissée par une couche épithéliale d'une ténuité telle que son existence même a été longtemps contestée, présente, en effet, la disposition anatomique la plus favorable au conflit de l’air avec le liquide sanguin. C’est le mode d’après lequel s’opèrent ces échanges, et les conditions qui les modifient, qu’il nous faut mainte- nant étudier. On démontre en physique que la diffusion entre un liquide et une atmosphère gazeuse n’est pas sensiblement modifiée par l’interposi- tion d’une membrane organique humide. Il en résulte que les lois que nous avons pu établir plus haut en mettant le liquide sanguin directement en contact avec l’air peuvent en toute rigueur s’appli- quer aux échanges qui se passent dans le poumon. Pour bien comprendre la signification générale de ces échanges, supposons un instant, avec Wundt, que le sang du poumon, au lieu d’être animé d’un mouvement de propulsion rapide, se trouve à l’état de repos au niveau de l’alvéole pulmonaire; supposons aussi que la colonne d’air qui remplit cette alvéole, au lieu d’être soumise à une ventilation continue, soit immobile elle-même, et qu’au début de l’expérience elle présente la même composition que l’air atmosphé- rique. Cette conception, purement schématique, peut néanmoins se réaliser partiellement par l’expérimentation directe. En effet, si nous n’avons pas d’action sur la circulation pulmonaire, nous pouvons du moins suspendre les mouvements respiratoires pendant un temps assez long pour qu’un véritable équilibre d’échanges se soit établi entre le sang d’une part, et le contenu alvéolaire de l’autre. Or, lorsqu’un liquide, en présence d’une atmosphère gazeuse, n’absorbe ni ne cède plus de gaz, la pression des gaz dans le liquide est identique à celle de ces mêmes gaz dans l’atmosphère : par conséquent, pour con- naître la pression de ces gaz dans le liquide, il suffit de mesurer celle qu’ils présentent dans l’atmosphère maintenue assez longtemps en contact avec ce liquide. C’est en se basant sur ce principe que deux élèves de Ludwig, Becher et Holmgren, ont déterminé la tension de l’oxygène et surtout de l’acide carbonique au niveau des capillaires du poumon. Yierordt déjà avait constaté qu’un arrêt de la respira- tion, dans la phase inspiratoire, d’une durée de 40 à 60 secondes, suffit pour porter la proportion d’acide carbonique de l’air pulmo- naire à un maximum à peu près invariable; l’air expiré au bout de ce temps contiendra une certaine proportion d’acide carbonique qu’un arrêt de la respiration plus prolongé ne modifiera pas sensi- blement. Il en résulte qu’après une suspension respiratoire de 40 à 60 secondes, la tension de l’acide carbonique dans l’air expiré don- nera la tension de ce gaz dans le sang. Les expériences sur l’air confiné, telles que les ont surtout insti- tuées Cl. Bernard et P. Bert, et l’analyse finale de cet air, au moment où les animaux succombent, c’est-à-dire au moment où les échanges respiratoires sont devenus impossibles, constituent une méthode tout à fait comparable à celle de Becher et Holmgren ; car la suspen- sion de la respiration, soit volontaire, soit par la strangulation, n’est, en dernière analyse, qu’une respiration dans un espace clos poussé à l’extrême, l’espace clos étant, dans ce cas, réduit à la capacité pul- monaire elle-même. Yoici les principaux résultats qu’ont fournis les deux méthodes. Relativement à l’oxygène, on constate que ce gaz est absorbé par le sang des capillaires du poumon, non-seulement (ce qui du reste n’arrive jamais chez les animaux supérieurs) quand l’air vésiculaire offre la composition de l’air atmosphérique, c’est-à-dire quand ce gaz possède une tension de i/o d’atmosphère, mais même quand cette tension est très-minime. Dans un espace clos, les mammifères con- tinuent à vivre jusqu’à ce que l’oxygène qu’il contient est réduit à 2, 1 et même 0,5 0/0 (P. Bert). W. Müller (l) a montré que plus l’espace clos devient petit, plus l’absorption de l’oxygène peut être poussée loin, et si l’on fait respirer un animal dans le plus petit espace clos possible, c’est-à-dire dans l’air de ses poumons alors qu’on l’a étranglé, il épuise la totalité de l’oxygène de cet air. On peut donc conclure de ces faits que l’absorption de l’oxygène par le sang des poumons est, non pas indépendante de la pression de ce gaz (nous verrons plus loin l’influence exercée par cette pres- sion), mais qu’elle se produit alors même que cette pression devient presque nulle : l’hémoglobine, en vertu de son affinité chimique, s’empare de l’oxygène à mesure que ce gaz se dissout dans le sérum, de sorte que celui-ci, constamment spolié, n’arrive jamais à satis faire son coefficient (fabsorption pour l’oxygène, quelque faible qu’il soit du reste. C’est ce que les Allemands expriment en disant que la tension de l’oxygène dans le sang est très-faible. Les recherches faites sur le mode de dégagement de l’acide carbo- nique dans les poumons vont nous faire assister à un phénomène inverse, quoique du même ordre. Nous venons de voir que, grâce à l’affinité de l’hémoglobine, l’oxygène est, dans une certaine mesure, 17 (1) Beitràge zur Théorie der Respiration, analysé par Meissner, in Arch. f. ration. Medic., 1858, p. 309. 18 absorbé indépendamment de sa pression dans l’air; eh bien, de môme, dans les capillaires pulmonaires, il se passe un acte chimique qui met en liberté, qui dégage une certaine quantité d’acide carbo- nique fixe, augmente ainsi la tension de ce gaz dans le sang et faci- lite son expulsion. C’est ce que les travaux de Becher et de Holmgren ont établi nettement. Après une respiration volontairement suspendue pendant 50 à 60 secondes, l’air expiré contient 7 à 8 0/0 en volume d’acide carbonique; ce gaz présente donc une tension d’environ 55 à 60 millimètres de mercure; il possède donc une tension au moins équivalente dans les capillaires pulmonaires. Or, les expériences de W. Müller, confirmées par celles de J.-J. Müller (1) ont montré que la tension de l’acide carbonique (libre) dans le cœur droit ou dans l’artère pulmonaire, c’est-à-dire dans le sang qui arrive au poumon, n’est que de 30 à 40 millimètres de mercure. D’autre part, les recherches de P, Bert et de Gréhant sur la com- position de l’air vésiculaire ont établi que, même après l’inspiration, cet air contient de 7 à 8 0/0 d’acide carbonique. Tout force donc à admettre que la tension de l’acide carbonique augmente subitement dans le sang, au niveau des capillaires du poumon, puisque, de 30 millimètres de mercure, elle atteint au moins 55 à 60 millimètres. Il faut admettre, par conséquent, que dans ces capillaires il se passe une action chimique donnant naissance à un acide qui met en liberté une portion de l’acide carbonique fixé par les sels du sérum. Robin et Yerdeil, il y a longtemps déjà, supposaient que le tissu pulmonaire lui-même produit, sous l’influence de l’acte respiratoire, un acide libre, qu’ils appelèrent Yacide pneumique, et qui déplacerait une partie de l’acide carbonique fixe du sang. Effectivement, presque immédiatement après la mort, le tissu pulmonaire offre une réaction acide; mais les récentes recherches d’un élève de Pflüger, Strassburg, ont montré que cette réaction est due à un phénomène purement cadavérique. Pour Ludwig et ses élèves, ce qui accroît subitement la tension de l’acide carbonique dans le sang du poumon, c*est le fait même de l’absorption de l’oxygène par l’hémoglobine, qui, en s’oxydant, don- nerait naissance à un acide. Voici les principaux arguments invoqués à l’appui de cette hypothèse ; si au sérum du sang, préalablement privé de tout son acide carbonique par le vide, on ajoute des globules rouges, un nouveau dégagement d’acide carbonique se produit (Schoeffer); le sang abandonne plus d’acide carbonique dans une (1) Bericht. der sachsischen Akad. 1869, p. 145-188 ; résumé in Ctbl. 1870, p. 231. 19 atmosphère d’oxygène que dans le vide; donc l’absorption de l’oxy- gène accroît la tension de l’acide carbonique dans le sang (Holm- gren) (1). La respiration de l’oxygène aurait donc un double but : d’une part, la fixation de ce gaz sur l’hémoglobine; de l’autre, la production d’un acide qui chasserait une portion de l’acide carbonique fixe du sérum. Cette manière de voir est ingénieuse, sans contredit, mais elle sou- lève un certain nombre d’objections, dont la principale est la diffi- culté d’admettre la production d’un acide libre dans le sang du pou- mon quand là, comme partout ailleurs, ce liquide présente une réaction franchement alcaline. De nouvelles recherches qui se poursuivent très-activement au laboratoire de Bonn, sous la direction de Pflüger, tendent à révoquer en doute cette expulsion de l’acide carbonique sous l’influence d’un acide et à prouver que la tension de ce gaz n’augmente pas dans le poumon et n’est pas supérieure à celle qu’il présente dans le sang de l’artère pulmonaire. Wolffberg, notamment (2), reproche à l’expé- rience de Becher et Holmgren de modifier les échanges gazeux qui se passent dans le poumon et par conséquent le contenu du sang en acide carbonique. Il pratique le tubage du poumon à l'aide d’une sonde rappelant celle que Tarnier emploie pour l’avortement provo- qué; il extrait ainsi de l’air qui a séjourné pendanlcinq à six minutes dans les vésicules; l’analyse de cet air donne une proportion d’acide carbonique atteignant au maximum de 3,2 0/0, et offrant par con- séquent une tension de 25 millimètres de mercure. Ce serait là la mesure de la pression de ce gaz dans le sang des capillaires pulmo- naires. Or, la tension de l’acide carbonique dans le sang de l’artère pulmonaire ou dans le contenu du ventricule droit est de 30 à limètres de mercure, tension supérieure par conséquent à celle des capillaires du poumon. Un autre élève de Pflüger, Strassburg (3), est arrivé à des chiffres identiques. Si ces faits se vérifient, il faudra bien renoncer à l’opinion presque classique de Ludwig et de ses élèves, qui admettent une augmenta- tion subite de la tension de l’acide carbonique du sang des capillaires pulmonaires sous l’influence de la production d’un acide ; et de môme (1) Voy. Hermann, op. cit., p. 157. (2) Ueber die Spannung der Blutgase in den Lungencapillaren. Pflüger’s Arch., t. IY, 465-492 ; 1871. (3) Die Topographie der Gasspannungen im thierischen Organismus, ibid. , t. VI, p. 23-43, 1872. 20 que Pfliiger est arrivé à retirer tout l’acide carbonique du sang avec le seul aide de la pompe à mercure et sans l’addition d’aucun acide, de même dans l’acte de l’hématose, le simple jeu de « la pompe res- piratoire » (pour employer une heureuse expression de P. Bert), et les lois de la diffusion gazeuse suffiraient pour rendre compte du dégagement de l’acide carbonique, sans que l’on soit forcé d’invoquer l’intervention hypothétique d’un acide quelconque. Quoi qu’il en soit de ces faits et de leur intérêt au point do vue physiologique, il importe maintenant de laisser là cette étude d’en- semble de la fonction respiratoire et d’analyser de plus près les prin- cipaux facteurs qui modifient cette fonction et qui intéressent plus directement la pathologie et la thérapeutique. L’idéal, au point de vue de l’hématose, consisterait à obtenir un sang artériel dont l’hémoglobine serait saturée d’oxygène et qui serait absolument purgé d’acide carbonique. Ce sang artériel n’existe point; nous avons vu plus haut que le sang artériel, tel qu’il se ren- contre dans l’organisme, ne renferme que le cinquième de l’oxvgèno qu’il pourrait absorber à saturation et qu’il retient en outre des pro- portions considérables d’acide carbonique. Établir quelles sont les conditions qui favorisent l’acte de l’hématose et celles qui l’entravent, c’est là ce que nous nous proposons d’indiquer rapidement. Influence de la vitesse de la circulation pulmonaire. — La rapidité avec laquelle le sang traverse les capillaires du poumon est une des rai- sons qui font qu’il ne s’hématose pas complètement. Néanmoins, cette question a été fort peu étudiée, et, à notre connaissance, les seuls qui s’en sont occupés sont deux physiologistes dont nous aurons sou- vent à citer le remarquable mémoire, MM. Mathieu et Urbain. D’après leurs recherches, plus le courant sanguin s’accélère dans le poumon, moins il absorbe d’oxygène, moins il dégage d’acide carbonique, moins il s’artérialise, en un mot. Mais il faut bien reconnaître que l'expé- rience qu’ils invoquent à l’appui de cette opinion n’est pas à l’abri de toute critique; ils remarquentque la section des pneumogastriques (1) accélère les battements cardiaques et en même temps diminue la proportion d’oxygène dans le sang artériel. Mais de ce que le cœur bat plus fréquemment, il ne s’ensuit pas que la vitesse de l’ondée qu’il lance dans les artères augmente en proportion ; cette vitesse est en raison directe, non-seulement du nombre, mais encore de la force (1) MM. Mathieu et Urbain se mettent à l’abri du ralentissement de la res- piration, conséquence inévitable de la section des pneumogastriques, en excitant le bout central de ces nerfs. 21 des contractions du cœur; or, l’on sait que la section des pneumo- gastriques affaiblit le cœur en même temps qu’elle en précipite les mouvements. Dans l’expérience de MM. Mathieu et Urbain, on pour- rait donc teut aussi bien admettre que l’hématose incomplète tient au ralentissement et non à l’accélération de la circulation pulmo- naire. L’influence de cette vitesse, ainsi que celle de la tension qui règne dans les capillaires du poumon sur l’acte de l’hématose est donc une question qui exige et qui mérite de nouvelles recherches. Influence de la fréquence et de la profondeur des mouvements respiratoires. —Chaque mouvement respiratoire expulsant une certaine quantité d’a- cide carbonique et le remplaçant par de l’oxygène, il est évident, d’une façon absolue, que l’accélération de la respiration favorise l’hématose. Néanmoins, l’amplitude des respirations, qui est habituellement en raison inverse de leur nombre, a une influence encore plus prononcée sur l’hématose, en augmentant ce que Gréhant a appelé le coefficient de ventilation du poumon. Ainsi, un simple calcul suffit pour établir que « 40 inspirations de 100 c. c. chacune ne produisent pas un re- nouvellement aussi parfait de l’air intrapulmonaire que 20 inspira- tions de 600 cent, cubes. » Pour obtenir le plus d'effet utile, qu’on nous permette cette expression, de l’acte respiratoire, il importe donc de combiner le nombre des inspirations et leur profondeur, d’après des règles susceptibles d’une exactitude presque mathématique. On pourra ainsi, dans certaines affections thoraciques, en soumettant le malade à des respirations dont le rhythme et la profondeur seront d é terminés, retirer d’excellents résultats de cette sorte de gymnastique respiratoire (l). Influence de la pression barométrique. — C’est là un des points les plus intéressants du problème qui nous occupe et que les recherches ex- périmentales récentes de P. Bert ont singulièrement contribué à éclaircir. Que l’acide carbonique, dont une notable partie est dissoute dans le sang en faveur de la loi de Dalton, augmente de proportion avec la pression, c’est ce qui n’a jamais été mis en doute et dont on peut facilement s’assurer en analysant les gaz du sang d’un animal ayant longtemps respiré dans un espace confiné. (1) Uneexpérience qui met dans tout son jour l’influence du mode respiratoire sur la composition des gaz du sang consiste simplement à trachéotomiser l’ani- mal (chien). Aussitôt ces respirations deviennent extrêmement rapides et pro- fondes. Avant l’opération, 100 vol. de sang artériel de l’animal contenait 18 vol. d’oxygène et 32 à 35 d’acide carbonique ; après l’introduction de la canule, on constate 24 pour 100 d’oxygène et 18 seulement d’acide carbonique (P. Bert, Soc. de biol., février 1873). 22 Il en est autrement de l’influence de la pression sur l’absorption de l’oxygène par le sang. Se fondant sur la propriété que possède l’hémoglobine de fixer chimiquement l’oxygène, la plupart des phy- siologistes s’accordent à admettre que cette absorption est à peu près indépendante de la pression; en faveur de cette manière de voir mi- lite ce fait qu’un animal placé dans un espace clos en épuise presque tout l’oxygène, ce qui prouve que le sang absorbe de l’oxygène, quelle que faible que soit la pression de ce gaz (voy. pag. 469) ; les ha- bitants des hauteurs des Andes et de l’IIimalaya, disait-on encore, qui vivent dans une atmosphère où la pression n’est que de 0.48 de mercure, vivent activement, dégagent autant d’acide carbonique et possèdent par conséquent un sang aussi riche en oxygène que les habi- tants des Basses-Terres. On fut ainsi conduit à nier toute influence de la pression sur l’absorption de l’oxygène par le sang. Cependant un certain nombre de faits bien observés et incontes- tables protestaient contre cette opinion absolue. Chez les ouvriers soumis à une pression de 3 à S atmosphères (pont de Kehl, d’Argen- teuil), le sang de la saignée s’échappe rutilant comme le sang artériel, témoignant ainsi d’une plus grande richesse oxygénée. Les accidents provoqués par l’ascension des hautes montagnes ne peuvent être attri- bués uniquement à la fatigue musculaire et à la réfrigération, car ils se produisent également chez les aéronautes qui s’élèvent immobiles dans l’atmosphère et se mettent à l’abri des causes de refroidissement. Il y a une dizaine d’années, dans un livre remarquable et critiqué plusieurs fois avec plus de vivacité que de justesse (1), le Dr Jourdanet a insisté avec beaucoup de sagacité sur l’influence qu’exerce sur i’hvgiène et la pathologie des habitants des hautsplateaux du Mexique la faible pression de l’atmosphère au milieu de laquelle ils sont plon- gés. Nombre de prévisions et d’hypothèses de cet observateur original ont été pleinement confirmées par les expériences si nettes et si pré- cises de P. Bert. Ces expériences démontrent que la richesse oxygénée du sang arté - riel est en raison directe de la pression de l’oxygène. L’habile profes- seur de la Sorbonne soumet des animaux à des pressions très-faibles ou très-élevées dans des appareils que nous ne saurions décrire ici et qui permettent le renouvellement de l’air (ce qui évite l’accumulation de l’acide carbonique) et l’extraction du sang artériel sans que l’on soit obligé de retirer l’animal de l’appareil et de la pression qu’il y supporte. P. Bert a constaté ainsi que « quand la pression diminuera (1) Le Mexique et l’Amérique tropicale : climats, hygiène et maladies. Paris, 1864. 23 quantité des gaz contenus dans le sang diminue également. La dimi- nution de l’oxygène devient manifeste dès 20 centimètres de diminu- tion de pression, c’est-à-dire dans des conditions à peu près égales à celles où vivent des millions d’hommes, particulièrement sur le plateau mexicain d’Anahuac. Ces hommes sont donc régulièrement placés dans des conditions d’oxygénation insuffisante; ils sont, pour employer l’expression de Jourdanet, qui a étudié les conséquences médicales de ce fait et en a signalé, je dirai même démontré, autant que l’observation seule pouvait le faire, la cause véritable, ils sont anoxyhèmiques. En définitive, bien qu’il n’y ait dans le sang que des quantités extrêmement faibles de gaz simplement dissous, les combi- naisons chimiques dans lesquelles ces gaz sont engagés se disso- cient très-aisément et d’une manière progressive sous l’influence de la diminution de pression. Chose remarquable, cette dissociation se fait plus facilement dans l’organisme que dans les expériences in vitro » (1). En soumettant les animaux à des pressions de 5, 10 et jusqu’à 15 atmosphères, P. Bert a constaté que l’oxygène augmente dans le sang; mais cette augmentation est très-faible (à 10 atmosphères elle n’est que de 26 0/0), surtout si l’on rapproche ce fait de ce qu’on obtient par la diminution de la pression (à la pression d'une demi- atmosphère, l’oxygène baisse de 36 à 56 0/0 dans le sang). La proportion d’acide carbonique, elle, n’est aucunement influencée par l’augmentation de pression, tandis que la diminution de pression abaisse notablement cette proportion. Cela tient à ce que dans toutes ces circonstances la quantité absolue d’acide carbonique produite par l’organisme et contenue dans le sang ne varie guère; or, dans l’augmentation de pression, la proportion centésimale de l’acide car- bonique que renferme l’air alvéolaire est diminuée, mais sa pression réelle reste constante, ainsi que celle de l’acide carbonique contenu dans le sang; dans une atmosphère raréfiée, au contraire, si l’air alvéolaire contenait toujours la même proportion absolue d’acide carbonique, celui-ci occuperait un volume plus considérable, double par exemple, si la pression est d’une demi-atmosphère; il ne reste- rait donc qu’une proportion d'oxygène insuffisante pour entretenir la vie. De là une exagération de la ventilation pulmonaire qui diminue la pression réelle de l’acide carbonique contenu dans les alvéoles, et par conséquent celle de ce gaz dans le sang (P. Bert). (1)P. Bert, Recherches expérimentales sur l’influence que les changements dans la pression barométrique exercent sur les phénomènes de la vie (Comptes- rendus, 1872, t. LXXV, p. 88). 24 Quant à l’azote, qui est simplement dissous dans le sang, la pro- portion augmente avec la pression à peu près conformément à la loi de Dalton. C’est ce gaz qui se dégage brusquement lorsqu’un animal soumis à une pression considérable est, sans transition, ramené dans l’atmosphère normale. Il se produit ainsi de véritables embolies aériennes (Rameaux, de Strasbourg), dont P. Bert apareillementétudié plus exactement le mécanisme. Lorsque la décompression a eu lieu très-brusquement et que l’ani- mal a été soumis à une haute pression (6 à 10 atmosphères), l’azote se dégage tout à coup en grande quantité, surtout dans le cœur droit et dans l’artère pulmonaire; la circulation pulmonaire est totalement interceptée et l’animal succombe presque instantanément après quelques convulsions. Cela rappelle tout à fait le tableau de la mort subite produite par un gros embolus venant obturer l’artère pulmo- naire (Virchow, Panum) (1). Lorsque la pression a été moins considérable et sa cessation rela- tivement moins brusque, l’azote ne repasse à l’état aériforme que par bulles plus ou moins nombreuses qui s’arrêtent çà et là dans les capillaires, déterminant chez l’homme des troubles légers de la loco- motion, des gonflements musculaires, des démangeaisons, etc., qui se dissipent à mesure que le gaz se redissout peu à peu. Néanmoins il est des organes où ces embolies aériennes donnent lieu à des lésions durables et de la plus haute gravité : nous voulons parler des centres encéphalo-rachidiens ; la moelle et le cerveau sont des organes émi- nemment délicats et qui supportent très-mal l’ischémie, pour peu qu’elle se prolonge; de là des ramollissements par arrêt circulatoire qui se produisent très-rapidement et qui entraînent la mort (s’ils siè- gent au niveau du bulbe, par exemple) ou des paralysies incurables. C’est ainsi que se produisent ces paraplégies subites que l’on a trop souvent occasion d’observer chez les plongeurs et les ouvriers travail- lant dans les caissons à air comprimé, quand ils quittent trop rapi- dement le milieu artificiel dans lequel ils se trouvaient pour remonter à l’air libre. Ces expériences sur l’influence de l’air comprimé ont amené P. Bert à un résultat bien inattendu, la constatation de l’action toxique qu’exerce l’oxygène de l’air suffisamment condensé. (1) Les gaz se retrouvent à l’état libre, dans ces cas, non-seulement dans le cœur droit, mais dans tout le système veineux et capillaire, où le sang est mousseux. P. Bert ayant décomprimé subitement une chienne pleine, trouva les vaisseaux du placenta déchirés, et, chose curieuse, le sang des fœtus lui-même était mousseux comme celui de leur mère. (Comptes-rendus, 19 août 18'/2.) 25 Lorsqu’on place un animal, un chien, par exemple, dans de l’oxy- gène pur à la pression de 5 ou 6 atmosphères, ou, ce qui revient au même, dans de l’air ordinaire à la pression de 20 atmosphères, l’animal présente des symptômes véritablement effrayants consistant en des attaques de convulsions toniques, analogues à celles que pro- duit la strychnine et qui alternent avec des convulsions cloniques. Ces accidents débutent dès que le sang artériel du chien, au lieu de la proportion normale de 18 à 20 centimètres cubes d’oxygène par 100 centimètres cubes, en contient 28 ou 30. Si la proportion atteint 35 centimètres cubes, la mort est la règle. Chose très-remarquable, les accidents convulsifs continuent alors même que l’animal est ramené à l’air libre et que son sang ne ren- ferme plus que la quantité normale d’oxygène. Il en faudrait donc conclure que, sous l’influence de cette suroxydation énorme de l’hé- moglobine, il se forme dans le sang un produit quelconque, jouant le rôle d’un poison convulsivant très-énergique et comparable, dans ses effets, à la strychnine ou à l’acide phénique. De toutes ces recherches sur l’influence des variations baromé- triques, on peut tirer les propositions fondamentales suivantes : La diminution de pression, à quelque degré qu’elle se fasse, faci- lite le dégagement de l’acide carbonique. De là l’influence hygié- nique favorable des altitudes moyennes. La diminution de pression, dès qu’elle approche de 20 centimètres de mercure (2,000 mètres de haut), diminue l’oxygène du sang. De là le mal de montagne et l’anémie particulière (anoxyémie) des habitants des hauts plateaux. L’augmentation de pression n’exerce aucune influence sur la pro- portion d’acide carbonique contenu dans le sang; elle augmente, au contraire, la proportion d’oxygène. De là l’efficacité des méthodes thérapeutiques qui consistent dans l’emploi de bains d’air com- primé; ce mode de traitement est indiqué dans tous les cas où le conflit entre l’air et le sang est entravé, que ce trouble tienne à une lésion pulmonaire (emphysème, tuberculose, etc.), à une lésion de l’appareil circulatoire (affections cardiaques), ou à une altération du liquide sanguin lui-même (anémie). Ce traitement aura toujours pour résultat (Pravaz, Vivenot) une absorption plus considérable d’oxy- gène, et consécutivement une excitation plus grande des combus- tions profondes et de l’activité des organes. Dans ces derniers temps, en Angleterre et en Allemagne, on a réa- lisé des appareils qui, à l’aide d’un simple jeu de robinet, permet- tent aux malades d’inspirer de l’air comprimé et d’expirer dans une atmosphère raréfiée; on jouit ainsi à la fois du bénéfice d’une absorp- tion plus grande d’oxygène et d’un dégagement plus facile de l’acide carbonique. Haucke, de Vienne, dit avoir obtenu d’excellents résultats de cette méthode dans le traitement du catarrhe suspect des som- mets (1). Ces tentatives méritent, à coup sûr, d’être contrôlées et poursuivies. Pour ce qui est des modifications que subissent les gaz du sang, dans certaines conditions plus complexes, telles que le sommeil, la digestion, le travail musculaire, etc., nous ne saurions y insister ici, et nous renvoyons le lecteur au consciencieux mémoire de MM. Ma- thieu et Urbain. Mais nous ne pouvons omettre de consigner ici le résumé des récentes notions dont s’est enrichie la science sur le mé- canisme de l'asphyxie. Les expériences des physiologistes qui se sont principalement occupés de cette question (Cl. Bernard, W. Müller, Setschenow, P. Bert) ont trait spécialement à l’asphyxie en vase clos; mais les conclusions qu’ils en ont tirées peuvent absolument s’appliquer à l’asphyxie en général (strangulation, noyade, obstacle quelconque à l’entrée de l’air dans les voies aériennes), car dans tous ces cas, « le vase clos, c’est le poumon » (2). En dégageant ces expériences de toutes les conditions accessoires qui en compliquent les résultats, tels que le volume de l’espace confiné, le degré de vigueur et l’es- pèce d’animal, etc., voici les propositions fondamentales qui nous donneront la clef du phénomène de l’asphyxie : L’asphyxie, dans les circonstances ordinaires et pour les animaux à température constante (3), tient à la diminution de la proportion d’oxygène dans l’air respiré et partant dans le sang. La proportion centésimale de l’oxygène restant normale ou étant même exagérée (atmosphère suroxygénée), les animaux périssent par l'accumulation d’acide carbonique, mais alors seulement que la pro- portion de ce gaz atteint 15 à 30 0/0. Dans ce cas ils meurent non pas par défaut d’oxygène (car leur sang veineux même est rutilant. Cl. Ber- nard), mais empoisonnés par l’acide carbonique; la haute pression de ce gaz dans l’atmosphère artificielle empêche le dégagement de celui qui est contenu dans le sang; le sang, à son tour, ne peut absorber 26 (1) Œstreichische zeitsch. f. Heilk. 1872, n°s37 et 38 ; (2) P. Bert, op. cit., p. 523. (3) Pour les animaux à sang froid, tels que les reptiles, P. Bert a démontré que l’axphyxie (en vase clos) tient non à la diminution de l’oxygène mais à l’aug- mentation de la proportion d’acide carbonique; 13 0/0 d’acide carbonique dans un vase clos suffisent pour tuer une grenouille ou une couleuvre, tandis qu’il en faut 25 à 30 0/0 pour déterminer la mort d’un mammifère. 27 celui que forment les tissus ; les échanges parenchymateux ne s’o- pèrent plus, la respiration profonde est altérée, l’animal se refroidit et meurt (•!). Dans la mort naturelle, quelle qu’en soit la cause, le sang tant ar- tériel que veineux est privé de tout son oxygène, l’hémoglobine est ré- duite (Kovalewsky). De là cette opinion de P. Bert, un peu paradoxale dans son énoncé, que « l’on meurt toujours d’asphyxie. » D’après es recherches récentes de Falk (2), dans l’asphyxie proprement dite, le sang donne déjà la bande de réduction de l’hémoglobine, alors que la respiration est arrêtée, mais que le cœur continue à battre encore. Dans les autres genres de mort, l’oxygène n’a totalement disparu de l’hémoglobine que quand le cœur s’est arrêté. C. De la respiration interne. Le sang artériel, arrivé dans la profondeur des tissus, n'est séparé des éléments histologiques que par la mince paroi des capillaires ; c’est à travers cette paroi que s’effectue un nouvel échange gazeux qui prive le sang d’une portion de son oxygène et le charge d’une certaine quantité d’acide carbonique. Les éléments histologiques se comportent donc vis-à-vis le sang artériel absolument comme l’ani- mal entier le fait vis-à-vis de l’air atmosphérique : ils absorbent de l’oxygène et rejettent de l’acide carbonique. Ils respirent donc, c’est là le mot propre, dans ce milieu intérieur, et la respiration externe n’est en dernière analyse , comme on l’a dit excellemment , « que la somme algébrique » de ces respirations élémentaires dont l’ensemble constitue la respiration interne. C’est à l’étude de ces échanges gazeux profonds et des conditions qui les modifient, que sera consacrée cette dernière partie de notre travail. Mais avant d’aborder l’histoire de cette respiration parenchyma- teuse, il nous faut dire quelques mots de certains processus d’oxyda- tion qui, d’après quelques travaux récents, se passeraient dans les gros vaisseaux artériels où le sang respirerait, pour ainsi dire, pour son propre compte, ce qui établirait une autre variété de respiration, (1) Dans ces cas, la proportion d’acide carbonique contenue dans le sang arté- riel s’élève, peu avant la mort, à 110 et 120 cent, cubes pour 100 cent, cubes de sang, l’oxygène étant encore 18 ou 20 pour 100; la température s’abaisse, chez le cbien, à 25 ou 23°. Dans l'asphyxie dans l’air ordinaire, la proportion d’acide carbonique dans le sang artériel ne dépasse guère 70 pour 100 (P. Bert). (2) Deutsche Clinik. 1872, n° 40. 28 intermédiaire entre la respiration externe et la respiration profonde, et que l’on pourrait appeler la respiration intra-artérielle. Voici les faits, en peu de mots. En 1865, Estor et Saint-Pierre (de Montpellier) publièrent un mémoire (l), où ils produisaient des chif- fres d’après lesquels l’oxygène diminue dans le sang artériel à mesure que celui-ci s’éloigne du cœur, et cela dans une proportion vraiment extraordinaire, l’artère carotide renfermant 21 0/0 d’oxygène, la cru- rale 7 0/0 seulement. Se basant sur ces chiffres, ces deux observa- teurs n’hésitèrent pas à conclure que la plupart des combustions or- ganiques se font non pas dans les profondeurs des tissus et au niveau des capillaires, mais dans le liquide sanguin lui-même. Ces recherches eurent un rétentissement considérable, à cause de l’étrangeté même des conclusions qu’on en tirait, et parce qu’elles s’appuyaient, en les détournant de leur véritable signification, sur quelques chiffres empruntés aux travaux de Cl. Bernard. Hoppe- Seyler et son élève Dybkowski (2) confirmèrent en partie les résultats obte- nus par Estor et Saint-Pierre. Mais les expériences de contrôle de Hirschmann et de Sczelkow (3), une vive critique de P. Bert, enfin les récentes expériences de Mathieu et Urbain établirent la fausseté d’une assertion qui ne tendait à rien moins qu’à déplacer le siège des combustions organiques. En effet, les deux expérimentateurs du Yal-de-Grâce ont montré qu’il y a des différences, très-faibles, du reste, entre la richesse en oxygène du sang provenant de diverses artères, mais que ces diffé- rences tiennent, non pas à la distance du cœur, mais au calibre des vaisseaux. Sur le même animal, du sang pris dans n’importe quelles artères de même calibre donne la même quantité d’oxygène ; que si les artères ont un diamètre inégal, il y a une différence au profit du vaisseau le plus volumineux. Ainsi le sangde l’artère crurale contient autant d’oxvgène que celui de la carotide, et plus d’oxygène que le sang de i’humérale qui est, néanmoins, plus rapprochée du cœur. Cela tient à une cause purement mécanique : les globules rouges, vé- hicules de l’oxygène, ont une tendance marquée à suivre l’axe des vaisseaux, et s’engagent dans les gros troncs de préférence aux bran- ches collatérales moins volumineuses. Le sang des gros troncs, con- tenant plus de globules, contiendra donc plus d’oxygène (4). (1) Du siège des combustions respiratoires; recherches expérimentales. Journal de Robin, t. II, p. 302. (2) Mcdicin. chemis. Untersuchungen, von F. Hoppe-Seyler. Berlin, 1868. (3) Arch. de Dubois-Reymond, t. VIII, p. 502. (4) Mathieu et Urbain, mém. cité, p. 200. La question est donc définitivement vidée, et c’est bien au niveau des capillaires que se passent les combustions internes et les échan- ges respiratoires profonds. Cl. Bernard a déterminé l’intensité de ce qu’il appelle la respiration élémentaire des principaux organes, en comparant la composition des gaz du sang veineux qui quitte l’organe à celle des gaz du sang artériel qui y arrive. Il a ainsi constaté qu’un muscle paralysé pro- duit moins d’acide carbonique qu’un muscle sain, mais inactif, qui en dégage moins lui-même qu’un muscle en activité. 11 découvrit, en outre, que dans certaines sécrétions, comme celles de l’urine, qui constituent plutôt, un acte de filtration que de véritables sécrétions, les oxydations intimes sont à peu près réduites à zéro, d’où la cou- leur rutilante et la composition artérielle du sang de la veine émul- gente. Un autre procédé pour acquérir une mesure de l’activité respira- toire des différents tissus, consiste à en placer des fragments de même poids dans une atmosphère d’un volume déterminé, à les y lais- ser séjourner pendant un certain temps, puis à doser la quantité d’oxygène disparue et celle d’acide carbonique dégagée. Cette mé- thode, imaginée par Spallanzani, employée plus tard par Georges Liebig et Valentin, vivement attaquée par Hermann, a été surtout re- mise en honneur par P. Bert. Sans doute, ainsi que l’établit ce der- nier, elle ne nous permet pas d’apprécier, d’une façon absolue, l’in- tensité du pouvoir respiratoire de tel ou tel élément; mais elle nous donne des chiffres qui sont absolument comparables entre eux, ce qui est surtout le point important. P. Bert a pu ainsi acquérir des données intéresantes sur la manière dont les différents tissus d’un même animal se comportent vis-à-vis d’un volume d’air donné; sur l’échange gazeux de tissus semblables, placés en présence d’afmo- sphères de compositions différentes; enfin sur les variations de ces échanges, les atmosphères étant identiques, les tissus de même na- ture, mais pris sur des animaux d’espèces différentes (I). On peut ainsi dresser une sorte d’échelle hiérarchique de l’activité respira- toire des divers éléments chez les différents animaux et déterminer, d’une façon très-simple, l’influence qu’exercent sur cette activité la composition du milieu, la température, la pression, etc. Mais toutes ces expériences ne nous fournissent que les résultats, les cendres, pour ainsi dire, de la respiration interne, sans nous rensei- gner sur le mécanisme et la nature réelle du processus, dernier et 29 (1) P. 3ert. Op. citât., p. 31-64. capital problème qui, en ce moment, préoccupe singulièrement les esprits en Allemagne et dont, il faut bien le reconnaître, la difficulté égale l’intérêt. En vertu de quelle affinité les éléments histologiques parviennent-ils à enlever l’oxygène au sang et à le dégager de sa combinaison avec l’hémoglobine? Gomment, d’autre part, l’acide carbonique fait-il apparition dans le sang? Telles sont les questions actuellement à l’étude. Là encore nous avons à signaler une dissidence curieuse entre l’école de Ludwig et celle de Pflüger. Pour Ludwig et ses élèves (Worm-Müller, Hammarsten) la respiration profonde ne consiste pas en un simple échange gazeux, l’oxygène diffusant du sang vers les tissus, et l’acide carbonique des tissus vers le sang des capillaires; le phénomène serait bien plus complexe. Ludwig, se basant surtout sur les recherches d’Al. Schmidt, admet qu’il se forme dans les tissus une substance facilement oxydable (leicht oxydable stoffe) qui pénètre dans les capillaires, s’empare là de l’oxygène de l’hémoglobine, et donne naissance à de l’acide carbonique. C’est donc dans Vintérieur des capillaires que se passerait l’acte d’oxydation final et la produc- tion de l’acide carbonique. Les arguments invoqués en faveur de cette manière de voir, repo- sent surtout sur les analyses récentes des gaz de la lymphe, par Ham- marsten (1); elles montrent que ce liquide, qui charrie directement les produits de désintégration des tissus, renferme moins d’acide carbonique que le sang veineux. D’où cette conclusion que l’acide carbonique ne saurait diffuser des tissus vers les capillaires, et que la diffusion de ce gaz se ferait plutôt en sens inverse, du sang vers les tissus. Pfluger, tout en reconnaissant l’exactitude des analyses des gaz de la lymphe, pratiquées par Ludwig et Hammarsten, pense, avec raison selon nous, que la tension de l’acide carbonique dans la lymphe ne nous donne pas la mesure exacte de la tension de ce gaz dans les élé- ments histologiques eux-mêmes. Pour mesurer aussi directement que possible cette tension, Pfluger s’adresse aux sécrétions normales de l’économie (sécrétion gazeuse de l’intestin, urine, bile, salive, etc.) qui, résultant directement de la fonte des éléments cellulaires ou du moins ayant filtré lentement à travers ces éléments, ont eu le temps de se mettre en équilibre de tension gazeuse avec eux. Or, dans tous ces produits de sécrétion, la tension de l’acide carbonique est bien plus considérable que dans le sang veineux. Pfluger en conclut que 30 (1) Ueber die Gase der Himdelymphe (Berioht. der sàchs. Ges. de Wiss. 1871, 617-634; analysé in Cubl., 1er juin 1872. 31 l’acide carbonique se forme dans les tissus et non dans le sang, et que la respiration profonde, aussi bien que la respiration pulmonaire, consiste en un simple phénomène d’échange, de diffusion gazeuse (t). Il est difficile d’imaginer avec quelle ardeur et quelle persévérance les expériences sur ce sujet en apparence purement spéculatif se poursuivent dans les laboratoires de Leipsig et de Bonn ; ardeur bien justifiée, du reste, si l’on songe que ces recherches ont pour but d’é- claircir le mécanisme des échanges moléculaires profonds, c’est-à- dire les phénomènes de la nutrition et de la vie même des éléments. L’étude des modifications qu’éprouvent le gaz du sang dans cer- tains états pathologiques, dans les pyrexies notamment et dans les maladies infectieuses, offre un champ immense et presque entière- ment inexploré. MM. Coze et Feltz, dans leur très-remarquable Mé- moire (2), ont, il est vrai, pratiqué l’analyse des gaz du sang des animaux qu’ils avaient soumis à diverses infections. Malheureusement la technique qu’ils ont suivie est défectueuse et ôte beaucoup de valeur aux chiffres qu’ils ont recueillis. Ils retiraient le sang sans le mettre à l’abri de l’air; ils se servaient de l’ancien procédé de Cl. Bernard, le déplacement par l’oxyde de carbone, qui, on le sait, n’est exact que pour doser l’oxygène; jamais ils n’ont eu recours à l’emploi de la pompe à mercure. Ces recherches sont donc à repren- dre et à poursuivre, en usant des procédés d’extraction si perfec- tionnés que nous possédons aujourd’hui (3). Aux habiles expérimen- tateurs de Strasbourg restera toujours l’honneur d’avoir, les premiers, introduit l'analyse méthodique des gaz du sang dans l’étude des altérations hématologiques que provoquent les pyrexies et les fermen- tations internes. Cet exposé, incomplet malgré sa longueur, nous a fait assister à la laborieuse évolution de la pneumatologie sanguine et suffira, nous l’espérons, pour montrer l’intérêt et la portée de ces sortes de recher- ches. On voit quelle lumière elles ont déjà jetée sur les phénomènes (1) Pfliiger. Die Gase der Secrete, in dessen Archiv. 1869, p. 156-178. Ueber die Diffüsion des Sauerstoff’s den Ort der oxydationsprocesse im thierischen Organismus, ibid. 1872, p. 43-64. (2) Recherches cliniques et expérimentales sur la présence des infusoires et l’é- tat du sang dan3 les maladies infectieuses. 1871. (3) Notre ami, le Dr Lépine, en recueillant le sang de la saignée sous une couche d’huile et en l’introduisant, à l’abri du contact de l’air, dans le ballon de la pompe à mercure, a pu pratiquer cliniquement l’analyse gazométrique du sang d’un malade (Soc. de biologie, février 1873). de la respiration pulmonaire; on voit combien elles sont riches de promesses, dont quelques-unes sont en voie de se réaliser, sur la connaissance plus approfondie de la respiration interne, de la chaleur animale, et de ce grand acte pathologique qu’on appelle la fièvre- Peut-être trouvera-t-on que nous avons fait la part trop belle aux sciences dites exactes, et que nous avons abusé des explications physico-chimiques. Ce reproche ne saurait nous émouvoir ; la vieille conception vitaliste de Bichat a fait son temps; la vie ne consiste point en une lutte incessante contre les lois du monde inorganique; elle n’est, au contraire, qu’une manifestation de ces mêmes et im- muables lois, manifestation plus compliquée, il est vrai, et partant plus obscure, mais que la science doit tendre à dégager et à éclaircir: le progrès et la saine intelligence des processus biologiques sont à ce prix. 32 Pavs, - Typ. A. Parent, rue Monsieur-le-Prince. 31.