Salneduckvon ay vost “ Vaarnunk Wenrrokarl, . y 24, 1942 Donald FREDRICKSON Dans Coriolan (Acte I, Scéne 1), vous trouvez ceci : "Je renvoie tout par les riviéres du sang jusqu'au palai» du coeur, j ' 6 i t a duits sinue du jusqu'au tréne de la raison et grace aux conduits sinueux corps humain, les nerfs les plus forts et les moindres veines recoivent de moi ce siwple nécessaire qui les fait vivre”. Coriolan est joué pour la premiére fois en 1608. La grande découverte de la circulation du sang par Harvey est annoncée en 1629. I1 semble bien que le poéte ait précédé le physivlogiste. - Pendant plusieurs millénaires, les hommes n'ont pas su que le sang circulait. Les grands médecins grecs croyaient que les vaisseaux transportaient de l'air. Depuis plusieurs centaines d'an- nées, depuis IBNAFIS, médecin de 1'hépital El Mansour &@ DAMAS qui, au XIII& siecle, bien avant Michel SERVET, décrit la petite circu- lation, depuis Shakespeare et Harvey, les hommes savent que le sang circule. Mais ils ne savent’ pourquoi il starréte, comment, pourquoi surviennent ces obstructions que nous nommons thromboses. Le Professeur Donald FREDRICKSON est au premier rang des pionniers qui ont reconnu, compris, découvert les mécanismes, les raisons de l'obstruction, de la thrombose des artéres. Son nom s'inscrit ainsi aprés ceux de Shakespeare et de Harvey sur une liste anglo~saxonne plorieuse. Entre tous les équilibres nécessaires 4 la vie, l'un des plus remarquables est celui qui maintient dans le sang la fluidité convenable. Excés de fluidité et c'est pour la moindre plaie, la mort par hémorragie. Insuffisance de fluidité et c'est la mort par thrombose. De nombreux facteurs concourent au maintien de cet équi- libre. Les plus importants de ces facteurs sont les lipides auxquels Donald Fredrickson a consacré l'essentiel de ses recherches. Lipides ? Dans toutes les circonstances solennelles de la vie, et surtout s'il s'agit d'une Académie, il faut ouvrir le dictionnaire., J'avais pour mission de recevoir le maftre des lipides, j'ai ouvert les dictionnaires au mot lipides. D'abord en vain. Le mot lipides ne figure ni dans le Littré qui connait seulement lipofdes (1867), ni dans la derniére édition du Dictionnaire de 1'Académie frangaise, ni pour l'anglais, dans le Chambers de 1920. Il entre dans notre langue en 1923, nous apprend le Robert : “les lipides comprennent les graisses proprement dites, les esters des acides gras et les lipoides"”. L'homme et les lipides. Cette confrontation illustre l'absurdité de nos comportements. Dans les pays riches, les hommes se gavent de lipides et meurent obéses. Les belles dames ,avalant leurs toasts trés beurrés, discutent les taux de leur cholestérol. Dans les pays pauvres, peu ou point de lipides dans l'alimentation et de redoutables carences qui conduisent 4 la misére, a la maladie, 4 la mort. Dans tous les pays riches et pauvres, les hommes souffrent de désordres constitutionnels ou acquis de la chimie des lipides dont les conséquences sont souvent graves. D'étroites relations unissent les lipides, leurs excés, leurs insuffisances, leurs désordres 4 l'artériosclérose. Les travaux de Donald Fredrickson ont eu essentiellement pour objet l'étude de ces relations. Ce n'est pas le lieu d'analyser en détail ces recherches. Il est pius important d'en examiner les principes et d'en souligner les consé- quences. Les principes d'abord, Deux surtout. La pluridisciplina-— rité en premier lieu. Des querelles passionnelles et passion- nées ont, en ces derniéres années, opposé partisans de la formation scientifique, partisans de la formation litté- raire, partisans de la formation purement clinigue, parti- sans de la formation purement biologique des futurs méde- cins. La personne, l'oeuvre de Donald Fredrickson démon- trent l'absurdité de ces querelles dérisoires. Le médecin doit @tre 4 la fois lettré et savant, biologiste et cli- nicien. On s'émerveille, quand on se penche sur l'oeuvre de Donald Fredrickson de la constante alliance de 1l'ob- servation clinique, de la génétique médicale, de la biochimie la plus fondamentale. Cette alliance suscite les progrés de la connaissance. Son oeuvre comme toutes les grandes oeuvres de la biologie et de la médecine est parcourue par un double courant. Tantét la constatation d'une anomalie de la structure d'une molécule lipidique le conduit 4 des applications cliniques. Tantét d'un fait clinique, de la maladie d'un homme, d'une famille, il remonte vers la biologie moléculaire. Avec modestie. Les généraux quand ils triomphent, ne donnent pas 4 leur victoire leur nom tais le nom du village, Iéna, Austerlitz, ou de la riviére. Les médecins, plus vaniteux, méme quand ils ne triomphent pas, donnent leur nom aux maladies et on parle de la cirrhose de Laennec, de la maladie d'Addison. Donald Fre- drickson, plus proche des généraux que des médecins, quand il identifie et décrit admirablement une maladie anté- rieurement ignorée du métabolisme des lipides leur donne le nom Tangier de l'ile de la baie de Chesapeake ot le premier cas a &té observé. On s'émerveille aussi de la constante alliance de la biologie et de la culture. L'étude de certaines maladies héréditaires des lipides permet de préciser certaines mi- grations humaines telle celle de populations du sud de la Russie, au nord de la mer Noire, marquées par leur anomalies des graisses au long de leurs voyages. L'étude des formes particuliéres du corps de certains malades permet d'heureux rapprochements avec les images que les peintres en ont données. Deuxiéme grand principe, la mesure, Le mot mesure a certes en frangais et en anglais (ne serait-ce que dans Shakespeare) des sens trés divers. Pour Donald Fredrickson, il s'agit de la rigueur chiffrée, de l'appréciation exacte des phénoménes. Quelques exemples en témoignent : la découverte et l'identification de 3 des 10 apolipoprotéines connues, la premiére détermination de la structure de ces apolipoprotéines, ces nouvelles structures qui sont de nouveaux paradigmes comme dira Fredrickson lui-méme, le premier classement ri- goureux des maladies des lipides du plasma. Les conséquences de ces travaux sont trés grandes. Long- temps restées mystérieuses, les relations entre les lipides qui circulent dans le sang et la paroi des vaisseaux commen~ cent d'&tre comprises. Grace aux remarquables recherches de Donald Fredrickson,nous savons comment se fait le dép6t dans la paroi de ces lipides, Nous connaissons la genése des altérations artérielles et le début puis les progrés de l'artériosclérose aboutissant 4 la thrombose, 4 l'obstruc-— tion des vaisseaux., Ces désordres commencent trés t6ét dans la vie. La prévention de l'artériosclérose doit, comme le montre trés bien Donald Fredrickson, commencer dans l'en- fance. On mesure l'importance de ces recherches, de ces progrés en rappelant que les maladies des vaisseaux sont partout dans le monde, au premier rang des causes de morbidité, de mortalité. En France seulement 200 000 morts par an. Deux fois plus que le cancer. Les travaux de Denald Fredrick- son diminuent le malheur des hommes. do t@e,l La recherche est une fonction Wétats. Une longue et forte chaine de solidarité unit la collectivité nationale qui consent l'effort financier en amont )4 l'homme, la femme, l'enfant qui, en aval, souffrent et meurent. Sur cette chaine. des maillons de trés grande importance, ceux de l'’Administration de la Recherche. Le trésor que la nation consacre 4 la recherche doit étre géré ; sa répar- tition doit &tre inspirée par la qualité des recherches, son emploi doit étre contr61é, Certes le chercheur doit rester libre. Le contréle doit aceepter une part de li- berté et de aésordre. oint de bonne recherche sans une bonne administration. Aux administrateurs professionnels, ignorant la re- cherche, aux chercheurs médiocres trouvant refuge dans l'administration, on doit préférer le grand chercheur, le maitre de recherche acceptant de sacrifier A l'intérét collectif quelques années de sa recherche. Tel mon cher et regretté ami Jacques Monod, prenant la direction de l'Institut Pasteur. Tel Donald Fredrickson prenant la direction du National Institute of Health, c'est-a-dire de la recherche américaine en biologie et en médecine. Charles Péguy a évoqué nos péres tentant le centuple hasard : “Sous les quatre vingts rois et les trois républiques Et sous Napoléon, Alexandre et César" Fredrickson, lui, aucentuple hasard a préféré la certitude unique sous Ford, Carter et Reagan. Il a orienté, organisé, inspiré toute la recherche biologique et médicale améri- caine dont nous observons l'admirable essor. Il a été 4 la fois administrateur, constructeur, financier, moraliste. L'un des premiers, il a compris l'importance des problémes Moraux que la science pose aux sociétés. Celui de l'énergie nucléaire aprés l'accident heureusement limité de Three Miles Island. Celui du génie génétique. Lthomme de science, pendant le mandat de Donald Fre- drickson acquiert la maitrise génétique. Il est capable de modifier le patrimoine génétique d'un colibacille. Ce qui est vrai pour le colibacille est vrai pour 1'él1éphant, disait un grand biologiste. Les prévisions d'Aldous Huxley et de Brave New World vont-elles se réaliser ? Faut-il laisser se développer des recherches sauvages ? Faut-il interdire des recherches qui peuvent inspirer d'efficaces thérapeutiques ? Une attitude moymne est avec sagesse choisie. Un moratoire est décidé. Pendant le moratoire, les protections sont mises au point. Les recherches reprennent désormais inoffensives et fécondes. Donald Fredrickson, l'un des premiers, a compris que les nouveaux pouvoirs de la science imposaient de nouveaux devoirs. Dans la Rome antique, quand se présentait un probléme difficile, un dictateur était nommé, pourvu de l'autorité totale pendant un temps limité. Une fois les délais échus, le dictateur, mission accomplie, retournait 4 sa charrue. Les dictateurs modernes malheureusement n'ont guére ten- dance 4 retourner 4 leur charrue. Pas seulement les dictateurs. Mais aussi les adminis~ trateurs de la recherche. Une fois en place, ils connais- sent la tentation de la puissance, tentation redoutable. Ils s'écartent de la recherche. Ils laissent se méler vie de science et vie publique. Trés vite s'entrelacent senti- ments purs et sentiments impurs. Au gofit ancien de la recherche s'allient d'abord modeste puis dominante l'ivres- se légére du premier pouvoir, bientét plus dangereuse l'or- ganisation rationnelle de ce pouvoir. Donald Fredrickson a donné deux fois un grand exemple. Une premiére fois en quittant les délices d'une recherche féconde pour les tourments de l'administration de la recherche. Une deuxiéme fois en abandonnant les blandices de la vie publique pour retourner 4 sa charrue. Je veux dire A son laboratoire, 4 son enseignement. De tels exem- ples sont rares. Seul, 4 ma connaissance, Jean Dausset ... Ainsi Donald Fredrickson ayant abandonné la direction du National Institute of Health est actuellement professeur aux Universités de Washington et Georgetown, Un de nos plus éminents confréres a proposé, voici quelques années, de classer les hommes de science sous deux chefs. D'un cété ceux qui regoivent les distinctions, d'un autre cété ceux qui accordent ces distinctions, Il avait omis l'alternance possible. En 1976, lauréat 4 Madrid de la Fondation Jimenez Diaz, j'ai eu le grand honneur d'étre regu par les an- ciens lauréats au premier rang desquels figurait Donald Fredrickson. Aujourd'hui j'ai la joie, au nom de 1‘Aca- démie du Royaume du Maroc, d'taccueillir le Professeur Donald Fredrickson, de lui souhaiter la bienvenue, de lui dire combien nous sommes heureux et fiers de compter désormais parmi nous un savant, un humaniste d'une valeur exceptionnelle. ? _ “a4. Tan Cannank D Yoanes