REVISTA DEL M U S E O DE LA PLATA OIRECTORi FRANCISCO P. M OR E NO (l)U TOMF. IX, PAGE 399 ET SUIVANTES) QUELQUES OBSERVATIONS NOUVELLES v SUR LES INDIENS GUAYAÇUIS DU PARAGUAY PAH ROBERT LEHMANN - NITSCHE DOCTEUR ÈS-SCI EN CES NATURELLES DOCTEUR EN MÉDECINE CHARGÉ DF LA SECTION ANTHROPOLOGIQUE DU MUSÉE DE LA P LATA AVEC UNE PI AN» lit LA PL ATA IALLEKES DE PUBLICACIONES DEL Ml'SEO 1 S 9 g REVISTA DEL MUSEO DE LA PLATA DIRECTORi FRANCISCO P. MORENO (DU TOME IX, PAGE 399 ET SUIVANTES) QUELQUES OBSERVATIONS NOUVELLES SUR LES INDIENS GUAYAÇUIS DU PARAGUAY PAR ROBERT LEHMANN-NITSCHE nOCTEUR ÉS-SCIENCES NATURELLES DOCTEUR EN MÉDECINE CHARGÉ I)E LA SECTION ANTHROPOLOGIQUE DU MUSÉE DE I.A PLATA AVEC UNE PLANCHE LA PLATA TALLERES DE PIBLICACIONES DEL MUSEO * 899 QUELQUES OBSERVATIONS NOUVELLES SUR LES INDIENS GUAYAQUIS DU PARAGUAY /V PAR KOBEKT LEHM ANN-NITSCHE DOCTEUR ÊS-SC1ENCES NATURELLES DOCTEUR EN MÉDECINE CHARGÉ DE LA SECTION ANTHROPOLOGIQUE DU MUSÉE DE LA PLATA Nos connaissances sur les Guayaquis, cette tribu primitive de l’âge de la pierre du Paraguay, sont encore si limitées qu’il me paraît d'une véritable utilité d'enregistrer exactement et de publier, au fur et à me- sure qu’elles se présentent, toutes les observations d’un intérêt positif, aussi insignifiantes qu’elles paraissent. C'est pour donner suite à cette idée que je me décide à faire aujourd’hui une communication, qui, au fond, contient peu de chose, mais qui fournira cependant des renseigne- ments utiles à beaucoup de spécialistes. L’on sait que c’est à M. le vicomte de La Ilitte que revient le mé- rite d'avoir attiré 1 attention du monde savant sur les Guayaquis et leur culture primitive, que l’on ne connaissait jusqu’alors que par le nom, même rarement cité. La première publication de M. de La Hitte a paru dans «La Nacion», journal quotidien, de Buenos Aires (numéros des i 2 et i3 février 1895), et a éveillé un tel intérêt en Europe même qu'elle fut l’objet d'un extrait très détaillé de M. Charles von den Steinen dans le «Globus» (vol. 67, p. 248-249). Sous les auspices du Musée de La Plata, MM. le docteur 11. ten Rate et le vicomte Charles de La Hitte entreprennent un voyage au Paraguay et consacrent le mois de décembre 1 896 et janvier 1897 à des recherches sur cette mystérieuse tribu. Le voyage est suivi de différentes commu- nications préliminaires du docteur ten Rate (voir par exemple «Zeitschrift der geographischen Gesellschaft in Amsterdam», du 3i mai 1897, citée par le «Globus», volume 72, numéro 1 , 3 juillet 1 897, p. 90. — Com- munication dans «Tijdschrift van het Ron. Nederlandsch Aardrijkskundig Genootschap», Leiden, 1897; etc.), et d’un rapport détaillé qui parut 4 vers le milieu de 1897 O. C'est ce rapport qui constitue la base de nos connaissances sur les Guayaquis. Des analyses de ce rapport ont été publiées dans différentes revues scientifiques. Je ne veux relever ici que le travail du docteur P. Ehrenreich, publié dans le «Globus» (vol. 73, pages 73-78, numéro 5, du 29 janvier 1898). Le célèbre explorateur du Brésil, qui est à la fois un anthropologiste éminent et l’un des connais- seurs les plus autorisés de l’Amérique du Sud, ne se contente pas de donner une simple analyse du rapport de MM. ten Kate et de La Hitte; il le complète au point de vue bibliographique, émet son opinion per- sonnelle sur différents points et formule une hypothèse sur la position ethnographique de nos Guayaquis. J’aimerais, pour ma part, y ajouter quelques petites additions et corrections. Les deux crânes des Guayaquis étudiés par mon savant collègue, le docteur ten Kate, ont été mesurés d’après la méthode de Broca. Les me- sures craniologiques, d'après les indications de la convention de Franc- fort (Frankfurter Verstàndigung) deviennent si générales qu’il est de toute importance de mettre en relation les résultats obtenus par ces deux méthodes. La comparaison de ces résultats paraît impossible au premier moment. Les difficultés sont cependant plutôt apparentes que réelles. Dans la supposition qu’il soit attribué à une méthode essentiellement mé- trique l'importance que lui donne encore aujourd'hui la plupart des an- thropologistes— un point de vue duquel je suis revenu presque complè- tement ("’) —l’on arrive à comparer les mesures obtenues par ces deux méthodes, ajoutant aux mesures données, suivant l’école française, la hauteur sus-auriculaire, les hauteurs du visage et peut-être l’angle du profil, qui sont à prendre d après les indications de l’école allemande. On a alors tous les éléments pour pouvoir comparer les indices. On sait que la hauteur sus-auriculaire (projection entre le bord su- périeur du méat auriculaire externe et le point le plus élevé du crâne) est aussi prise sur le vivant par les anthropologistes français (3) ; elle pourrait, vu son importance, entrer sans inconvénients dans les tableaux des mesures craniométriques de l’école française. Quant aux hauteurs du visage, il en est autrement. Elles sont prises, par l’école française, de l’ophryon qui souvent ne peut être déterminé avec précision, quoiqu'il donne, je l’avoue, une limite naturelle du visage, tandis que l’école allemande rapporte ces mêmes mesures au nasion. La différence entre (*) Charles de La Hitte et Dr. H. ten Kate : Notes ethnographiques sur les Indiens Guay'aquis et Description de leurs caractères physiques. «Anales del Musco de La Plata», An- thropologie II. La Plata, 1897. (2) Robert Lehmann - Nitsche : Antropologia y craneologia. Conferencia dada en la secciôn antropolôgica del primer Congreso Cientlfîco Latino-Americano (Buenos Aires, 10-20 de Abril de 1898). «Revista del Museo de La Plata», tomo IX, pâg. 12 1 y siguientes. (3) Voir, por exemple, la dernière publication de M. le professeur Manouvrier: Aperçu de céphalométrie anthropologique. « L’Intermédiaire des Biologistes», Paris, lre année, 1897 98, numéros 2 1 et 2 2 du 5 et 2o Septembre 1898. 5 1 un et l’autre point n eutre pas dans les tableaux craniométriques, la longueur naso-alvéolaire n'étant pas toujours indiquée dans la littérature française, de sorte qu'il devient impossible de relationner par le calcul les résultats obtenus par l'une ou l'autre méthode. On ne peut remédier à cet inconvénient qu'en faisant entrer dans les tableaux craniométriques de l'école française les hauteurs du visage obtenues suivant la méthode allemande. A cela on pourrait ajouter, à mon avis, l'angle du profil mesuré au moyen de l’appareil du professeur Ranke. — C’est ainsi que l’on arriverait à pouvoir comparer directement entre eux toutes les me- sures et les indices obtenus par l une ou l’autre méthode. La «hauteur» du crâne mesurée d’après les indications de la convention de Francfort (basion au plus haut point du crâne en projection, le crâne étant orienté dans le plan horizontal de Francfort) diffère si peu de la «hauteur» (basilo-bregmatique) des anthropologistes français, laquelle est indiquée dans le tableau craniométrique allemand sous le nom de «hauteur auxi- liaire», que 1 on peut les confondre sans s’exposer à des erreurs notables. L'indice céphalique se détermine par les anthropologistes français en faisant entrer dans les calculs la plus grande longueur absolue prise sur le crâne ou sur le vivant. D'après les indications de la convention de Francfort, les anthropologistes allemands prennent sur le crâne la plus grande longueur en projection horizontale et la plus grande lon- gueur absolue; sur le vivant, ils ne prennent que la première de ces mesures. Ils établissent, en conséquence, 1 indice céphalique du crâne en introduisant dans les calculs soit l une soit l’autre de ces mesures, ou bien toutes les deux indépendamment(l). Dans les travaux récents, l’in- dice céphalique est calculé sur la base de la plus grande longueur absolue. Pour se rendre compte de la différence dans les résultats, suivant que 1 on introduit pour le calcul de l’indice céphalique du vivant la plus grande longueur absolue, ou la plus grande longueur en projection ho- rizontale, M. Ammon a procédé à des mesures sur près de trois mil cons- crits O. Il resuite de ses recherches que la différence moyenne n’excède pas i,5; c est à dire qu elle est insignifiante sur le vivant. Fn est-il de même sur le crâne? Les différences seraient probablement un peu plus grandes, surtout dans certains cas spéciaux, comme la série de crânes d’Australiens publiée récemment par M. Krause(8), par exemple. Ce- (') Kollmann: Utber die lleçichungen der Vtrerbung çur liildung der Menschenrassen. «Correspomicnrblatt der Dcutschcn Anthropologischen Gescllschaft», numéro ii, novembre i H 98, p. i i 6 à >21, spécialement p. 11 i. O Otto Ammon: Ueber die des Kopf index nach deutscher und fran- tosischer Slessung. «('.cntralblatt für Anthropologie, Ethnologie und lîrgeschichte», publié par Buschan, Il année, livraison i, 1897, p. 1 d 6. — Differença tra l'indice cefalico calcolato se- conda llroca e quello seconda Jhering. «Archivio per l’Antropologia e la Etnologia», XXVI, 1896, p. 295 à 3oo. (*) \\ 11 11 r: 1 m Ekaiisf.: Australischc Schàdel. «.Yerhandlungcn der Bcrliner Gescllschaft fur Anthropologie, Ethnologie und Urgcschichte», 1897, p. 5o8 d 558. 6 pendant l’on peut dire que ces différences ne sont jamais que de peu d’importance. Ces considérations que j établis, comme je le dis plus haut dans la supposition qu il soit attribué à la méthode métrique l’importance que lui donne encore aujourd hui la plupart des anthropologistes, m ont amené à examiner les deux crânes des Guayaquis étudiés par M. ten Kate. Leur appliquant les indications de la convention de Francfort, j’ai obtenu, pour le premier de ces crânes (sexe indéterminé), les mesures qui suivent: hauteur naso-alvéolaire (Obergesichlshôhe), 74 mm.; hau- teur sus-auriculaire (Ohrhôhe), 118 mm.; angle du profil, au moyen de l’appareil de Ranke, 80 degrés. Le crâne de la pauvre vieille femme assassinée m’a fourni ces mesures: hauteur sus-auriculaire, i 2 3 mm.; hauteur du visage (naso-mentonnière), 92 mm. plus ou moins; la hau- teur naso-alvéolaire et l'angle du profil sont indéterminables. Les anthropogistes, qui défendent les principes de la craniométrie, peuvent ainsi calculer les indices et faire suivre les déductions corres- pondantes. Pour eux, suivant la nomenclature de la convention de Francfort, le premier de ces crânes est brachycéphale (indice 81,1; modifié d après Ammon, 81,6); hypsicéphale (indice vertical 78,9, calculé d’après la «hauteur auxiliaire»); mésorrhinien (indice 48,9); hypsikonche (indice 102,6); leptostaphvlin (indice 60,0) ; 1 indice du foramen occipital est 76,5; l’indice facial supérieur (Jochbreiten-Ober- gesichtshôhenindex), d'après Broca, 67,9, suivant les indications de Francfort, 56. 1. On voit que la face supérieure est leptoprosope ou plutôt, d’après M. Weissenberg (l), entre la chamœoprosopie et leptopro- sopie. L’indice passe 5 5,o. Le crâne est, en outre, prognathe. Le crâne de la vieille femme est brachycéphale (indice 81,5; mo- difié d’après Ammon, 82,0); hypsicéphale (indice vertical 77,5, cal- culé d’après la «hauteur auxiliaire»); platyrrhinien (indice 5 3,3); hypsikonche (indice 94,4); leptostaphvlin (indice 61,2). L’indice du trou occipital est 81,9; l’indice facial total, d’après Broca, 95,2 (doli- chofacial); d'après la convention de Francfort plus ou moins 73.0 (cha- mœo - prosope ; d’après Weissenberg ultra - chamœo-prosope). Pour compléter ces données ostéométriques, j’ajouterai que les indi- cations qui figurent dans le travail du docteur ten Kate, relatives aux dia- mètres antéro-postérieur et transversal, au-dessous du petit trochanter du fémur, ont évidemment souffert une erreur d’impression. J'ai obtenu les chiffres suivants: DROIT GAUCHE Diamètre antéro-postérieur » transversal au-dessous du petit trochanter » » » . . . . i 8 • • 27 1 8 27,5 (*) Du. S. Weissenberg : Ueber die verschiedenen Gesichtsmaasse und Gesichtsindices, ihre Eintheilung und lirauchbarkeit. «Zeitschrift für Ethnologie », 1897, P-41 à 58. 7 Il en résulte, pour le fémur droit du squelette de la vieille femme, l’indice mérique 66,7 et pour le gauche 0 5,5 ('). Pour en revenir à nos Guayaquis memes, sans toutefois pouvoir signaler des observations plus précises, des rumeurs se sont cependant fait cours au Paraguay, et sont arrivées aussi à la presse de ce pays, antérieurement à la publication de 1 article de M. de La llitte dans « La Nacion» du 1 2 et 1 3 février i8q5. Par là, il ne faudrait pas croire que la publication de M. de La Hitte perd de son mérite; les notices de la presse du Paraguay, dont je veux parler, ne reposent que sur des obser- vations directes de peu d importance et bien que le journal qui les a publiées paraisse en langue allemande, il ne sort pas des limites du con- tinent. Ces notices viennent confirmer les indications de M. de La Hitte sur différents points et les complètent sur d autres. A ce propos, elles revêtent certainement de l'intérêt. Leur valeur augmente encore si l'on tient compte du fait que leurs auteurs n ont pas eu de relations avec M. de La llitte et que les articles en question ont une origine absolu- ment indépendante. Ces notices constituent deux articles de la « Paraguay-Rundschau », revue qui paraît à l’Assomption (capitale du Paraguay). Le premier de ces articles porte le titre «Les Guayaquis» («Die Guayaquis-*) et est signé B. Sch. qui veut dire Baldomero Schulz. 11 a paru dans le numéro 12, du 20 décembre 1894. L auteur indique comme zone de distribution des Guayaquis les immenses forets qui s étendent à l'est des districts de Villa Lncarnacion, Villa Rica, Ajos, Carayaô, l nion et San Joa- quin jusqu'au Haut-Parana. 11 dit ensuite qu il est absolument impos- sible d’affirmer si cette peuplade comprend une seule ou plusieurs tri- bus. On ne connaît pas non plus le nombre de ces sauvages; et 1 auteur insiste tout particulièrement sur leur caractère farouche; ils fuient même les Cainguas aux simples indices de leur approche. La précipitation, dans ces cas, est telle que l'on rencontre fréquemment, dans les campe- ments de ces sauvages, des instruments et ustensiles ainsi que des armes abandonnés par eux. Il est, par contre, excessivement rare d’arriver à les surprendre à la vue. «Moi même», dit M. Schulz, «j ai eu le bon- heur de voir une seule fois un de ces individus fugitifs. Dans une ope- ration d’arpentage, pratiquant une trouée dans le bois, au pied des mon- tagnes de Villa Rica, mon équipe se reposait à 1 heure de midi, et moi. je m’avance pour reconnaître un curieux affleurement de roches, quand, soudain, j'aperçois à une distance d'environ soixante mètres une figure sombre descendre d’un arbre; en un instant, elle disparut dans la pro- (') J'ai déjà indiqué cette correction dans une analyse du travail du docteur tcn Katc, «Archiv für Anthropologie, XXV, 4, 1898, p. 486 à 488. — *Ccntralblatt fur Anthropologie», etc., publié par Huschan, III* année, livraison 3, 1898, p. 240 à 242. 8 fondeur de la forêt. Je n'avais eu le temps que de reconnaître un Indien nu. La rapidité, avec laquelle il s'était dérobé à mes regards, me laissait presque confondu.» «Pour donner une idée de l’extraordinaire agilité de ces sauvages», continue M. Schulz, «je veux faire mention ici du témoignage d’un homme âgé déjà, de Carayao, duquel je n'ai pas de motif de mettre la véracité en doute. Jeune homme encore, me dit-il, j’étais en service dans une ferme de la contrée. Un jour, avec plusieurs camarades, nous étions occupés de rassembler les troupeaux, quand nous apercevions, à un moment donné et à quelque distance, un groupe de Guayaquis se précipiter d un bosquet isolé dans ces parages en direction à une forêt. Comme le fermier, pour des motifs sur lesquels je reviendrai, avait cette tribu en horreur, nous n avions certes rien de plus pressé que de nous lancer à leur poursuite. Les sauvages arrivèrent à la forêt bien avant que nous les atteignions. Un seul d entre eux n’avait pu suivre; mais, malgré la distance encore assez grande qu’il devait parcourir à pied pour gagner la forêt, ni nous, qui étions bien montés, ni les chiens qui nous accompagnaient, n’aurions réussi à atteindre ce sauvage, qui, certainement aussi, aurait échappé si 1 un de mes camarades n’eut eu la présence d esprit d employer les boleadoras, au moyen desquelles le Guayaqui fut renversé sur le sol et put ainsi être fait prisonnier. Ce sauvage, d après ce témoin, était de taille moyenne, d’un naturel ro- buste et complètement nu. Cette personne n’a pas pu me donner d’autres détails; et, sur la destination de cet individu, il ajoutait que le proprie- taire de la ferme l'avait emmené à l'Assomption, et qu il n’en avait jamais eu de nouvelles plus tard.» Le degré de culture des Guayaquis est des plus primitifs; ils se nourrissent des produits de la chasse et du miel sylvestre. Les pointes de flèche, d’après l’article cité, sont faites du bois ex- cessivement dur du Yhira-pepi. Les haches de pierre, paraît-il, sont encore emmanchées d’une autre façon, que celle que décrit M. de La Hitte, car M. Schulz nous dit: «Pour obtenir le miel, ils emploient des haches d’une roche noirâtre, bien polies, et dont le manche est renforcé au moyen de cordages faits de fibres de Caraguatà, imbibés de cire. Ces haches ne présentent na- turellement pas un tranchant vif, et leur effet est plutôt celui d’un marteau, au moyen duquel les arbres sont martelés aux endroits conve- nables, jusqu à ce que le bois se soulève sous forme de fibres que l’on sépare alors avec facilité. J’ai souvent eu l’occasion», ajoute M. Schulz, «d examiner des arbres qui présentaient des ouvertures de ce genre.» Les dommages que les Guayaquis occasionnent parmi les troupeaux et principalement parmi les chevaux expliquent l’acharnement des colons à poursuivre ces sauvages. «Dans l une ou l’autre région des districts de Ajos, Carayao et Union», dit le même article, «ils deviennent de temps 9 à autre un véritable fléau. Il ne se passe pas de mois qui ne soit signalé par le sacrifice de l'une ou l’autre tète de bétail. Lors de mon séjour à Ajos, 1 année dernière, ils tuèrent coup sur coup, au moyen de leurs flèches, cinq chevaux, parmi lesquels se trouvait un magnifique cheval à poil blanc, du chef de police de cette région. Il y a quelques semaines, on a signalé de nouveau aussi l'exécution de cinq tètes d’animaux de l’espèce bovine, de la ferme du Rosarito (Département de l’Union), des- quels deux tètes seulement ont pu ctre sauvées. Des bouvillons tués, ils n enlevèrent que le train postérieur; cette partie leur présente proba- à l'aide de leurs instruments tranchants si peu perfectionnés, moins de difficulté à être séparée.» Cette poursuite aux sauvages, grâce à l’épaisseur des forêts, reste généralement sans résultats, ce qui est d autant plus réjouissant pour les ethnographes.— L autre article a paru dans le numéro 2 3, du 7 mai i8q5, du même journal («Paraguay-Rundschau»). Il est intitulé: «Une contribu- tion pour la caractéristique des Guayaquis» («Ein Beitrag *ur Charak- teristik der Guayaquis») et est signé s qui veut dire H.Mangels. Il ne contient rien d utilisable. Dans une communication particulière que j’ai reçue de M. Man gel s même, il retire son affirmation relative à la taille de ces sauvages, qu’il avait considérés comme des nains. A part cela, l’article ne contient que la description détaillée d’une aventure de voyage: l’nrticuliste et ses compagnons ont avancé à travers les fourrés d'une forêt; et, quand ils songèrent au retour, revenant sur leur pas, la forêt était incendiée; le méfait est tout naturellement attribué aux Guayaquis, bien qu aucun des participants n’aient réussi à en apercevoir. M. Mangels lui-mème n'a, en outre, jamais vu de Guyaquis. C'est à l’extrême bienveillance de M. le docteur Endlich, de Leipzig, qui, après un long séjour au Paraguay, et lors de sa visite au Musée de La Plata, sur son retour en Europe, que je dois de pouvoir présenter ici quelques observations propres, ainsi que les belles photographies d'une enfant guayaquie. Le docteur Endlich me conta à ce sujet ce qui suit: Sur la route de Carayao à Union, se trouve la ferme San Miguel. I n jour de février ou de mars 1898, 1 administrateur de la ferme voit une colonne de fumée s élever dans la forêt. 11 se dirige sur les lieux et découvre une femme avec deux enfants. Sans provocation aucune, et suivant 1 habitude au Paraguay des gens qui sè disent civilisés de tuer les Guayaquis où on les rencontre, il blesse la femme qui se met cepen- dant en fuite et échappe. L un des deux enfants, garçon âgé d’environ huit ans, tombe mort. M. Endlich est parvenu à en obtenir le crâne et des restes du sque- lette qu il destine au Musée Ethnographique de Leipzig, de même 10 qu’une quantité d'autres objets des Guayaquis collectionnés au Pa- raguay. L’autre des deux enfants, une fillette de quatre h cinq ans, est emmenée à San Bernardino où on 1 élève. On l’appelle, en cet endroit, où elle expérimenta les premiers bienfaits de la civilisation chrétienne, du nom de «Miguela». M. le docteur Endlich en prit, approximativement deux mois plus tard, trois photographies que je reproduis dans la planche ci-contre. Sur les deux premières photographies, l’enfant nue est vue de face et de côté. Elle a autour du cou un collier fait de dents perforées, identique à ceux qui sont réprésentés par M. de La Hitte (1. c., pi. III, 5, 8, io). M. le docteur Endlich m assure que ces colliers sont faits de dents de singes, et que c'était Tunique ornement que Miguela portait au moment de sa capture. Sur la troisième photographie, l'enfant est représentée sans le collier. Miguela est corpulente; le bas-ventre est proéminent et les genoux quelque peu tournés en dedans. La physionomie laisse une impression de bonne humeur et de confiance, mêlée d’une certaine inquiétude de ce qui va lui passer pendant la photographie. Le corps présente, en outre, les proportions enfantines. La tète est grosse, arrondie, élevée, le front vertical, bien développé et sans déformations; les cheveux apparemment abondants; le visage rond et plein, bien visible dans la figure 3 de la planche. Le berceau-corbeille fut aussi recueilli dans cette triste scène, et Miguela y prit place immédiatement, comme elle en avait l'habitude. La photographie nous indique, par conséquent, le mode en usage chez les Guayaquis pour le transport des enfants (avec cette différence que le porteur dans ce cas n’est pas un naturel). Une pareille corbeille se trouve aussi représentée par M. de La Hitte (1. c., pl. IV, 6). Le visage, comme je viens de le dire, se prête bien à l'étude. Il est rond et plein; le front haut; les arcs sourciliers assez forts; les yeux bridés, plus ou moins en forme de boutonnière et apparemment hori- zontaux. Plis mongoloïde très fort. Distance entre le sommet de l’angle interne des orbites assez grande. Racine du nez surbaissée, faisant saillie seulement vers la partie médiane de la région qui sépare les orbites. Le nez même forme une proéminence peu élevée à la surface du visage, et s’élargit à la base. Lèvres fortes; oreille «normale», bien développée; lobules ne faisant pas défaut, mais ils sont sessiles; hélix bien rabattu dans tout son pourtour; le nœud de Darwin fait apparemment défaut. Le prognathisme ne se reconnaît pas facilement.— Il est juste de faire remarquer que les caractères typiques, énumérés ici, ont été relevés aussi par le docteur ten Rate. Voici ce qu'il dit de la physionomie du Guayaqui, photographié par le vicomte de La Hitte, 6111894 (Le., p.3q.): «l'arcade sourcilière fortement développée, la 11 dépression de la racine du nez épaté, le prognathisme maxillo-buccal assez prononcé....; le nez parait être légèrement concave et le menton, tout en étant un peu fuyant, fortement développé.» Chez Mauricio Posdeley, il relève entre autre ce qui suit: « l'aspect général décidément mongoloïde....; les yeux bridés; le nez en profil lé- gèrement convexe; la lèvre supérieure un peu renversée en dehors, allant de pair avec un certain degré de prognathisme. Les lobules de l’oreille sessiles.» Chez Antonio Arzamendi entre autre «les lèvres plutôt grosses que fines. Nez concave en profil. Yeux bridés....; lobule de l’oreille sessile.» Chez Damiana: «le nez est un peu retroussé; le lobule de l’oreille sessile des deux côtés. La lèvre supérieure renversée en arrière.» Tous ces caractères se trouvent plus ou moins également accentués chez Miguela, et sont, du reste, aussi en harmonie avec la description que nous présente des Guayaquis un observateur aussi expérimenté que le docteur ten kate. La grande «uniformité» des types attira particulière- ment son attention. Je ne puis toutefois pas partager sa manière de pen- ser relativement au type mongoloïde. A mon avis, comme je l’ai exprimé du reste déjà O, ce genre d’«isomorphie» ne nous fournit encore aucun point d’appui en faveur de 1 hypothèse d’une affinité de sang entre les tribus chez lesquelles on l’observe, M. le docteur Endlich a obtenu, en outre, aussi quelques renseigne- ments relatifs au langage de la petite Miguela. Le sucre n'était pas de son goût aux premiers moments; elle le refusait par le mot «oté». En examinant un cuir de serpent, elle prononçait le mot «membô». Elle désignait un cuir de grenouille ou de crapaud bourré de sable par le mot «avatevoté» ; une hache (la hache de pierre), « uyupaty» ; la courge, «gnacû»; et l’œuf, «piya». Il est évident que le mot «avatevoté» con- tient aussi le mot «oté» prononcé dans les mômes moments où elle re- fusait de prendre le sucre. Il n est pas douteux que « oté» est un terme exprimant la répugnance. Aussi peu certains que puissent paraître ces mots encore inconnus, j’ai cependant été agréablement surpris de rencontrer, parmi la liste don- née par M. Charles de La Hitte, le mot « membô» pour serpent, bien qu'il ne soit pas présenté comme vérifié par le cacique des Cainguas. Ce mot que l’on connaît maintenant de sources absolument indépen- dantes peut, à mon avis, être considéré comme un mot guayaqui authen- tique. Cela nous permet aussi d’accorder aux mots marqués d un astéris- que (*), dans la liste de M.de La Hitte, un plus haut degré d’authenticité; mais, d un autre côté, les communications fantaisistes d’un savant gé- néral (*) sont toutefois bien loin d’être justifiées. (‘) Antropotogia y Craneolngia, l. c., p. i 35, etc. (*) K. Laiiii.i.e: Guayaquis y Anamitas. «Rev. dcl Musco de La Plata», tomo VIII, p. 453 y siguicntes. 12 Le docteur P. Ehrenreich (I. c.) entre dans une discussion sur le mot ku (le mot prononcé par l’Indien guayaqui, suivant M. Charles de La Hitte, lorsqu'il lui présenta sa photographie pour l’examiner), et en fait découler l’hypothèse que les Guayaquis représentent une tribu des Gës, qu’il cherche aussi à démontrer. M. le professeur Brinton, dans une publication récente C), s’abstient de se prononcer sur cette hypothèse. Malheureusement je n’ai pu rencontrer, dans aucun des vocabulaires publiés par von Martius, von den Steinen et Ehrenreich des différentes tribus des Gës, un mot ressemblant à membo, mot guayaqui authentique; je n’y ai pas trouvé non plus le mot oté. L’on se trouve, par conséquent aussi au point de vue du langage, en présence d’une énigme. Il est possible que 1 on arrive prochainement à une solution, au retour de M. Boggiani, qui se trouve actuellement, dit-on, au Paraguay, occupé à des recherches. L’occasion de pratiquer des observations sur des enfants guayaquis, à en juger par les notices qui sont arrivées à la publicité, se présente assez facilement. Un enfant, qui n’a pas encore été examiné, se trouve, d’après la communication que m’a faite le docteur Endlich, à dix minutes du village de Carayao, où il est élevé dans la maison d’un Paraguayen. Cet enfant est âgé de huit ans environ, et parle naturellement le guarani. Il fut capturé avec un Guayaqui adulte qui reçut un projectile aux fesses. L a- dulte ne pouvait se faire comprendre des Guaranis que par des gestes. Il finit, du reste, par prendre la clef des champs. Les objets ethnologiques s obtiennent aussi, au Paraguay, avec assez de facilité. On les rencontre déjà dans l’une ou l’autre collection en Eu- rope. Le docteur Endlich fit don de sa collection au Musée Ethnologique de Leipzig, comme je le dis plus haut. La collection d une ecole de Trier (Allemagne) s’est enrichie aussi, comme on me l’assure, d une donation de M. Charles Reverchon, de Villa Encarnacion, consistant en une belle suite d’objets guayaquis. La collection la plus importante se trouve cependant toujours encore au Musée de La Plata. Des figures typiques de races, dans la littérature anthropologique, sont si rares, et elles ont une si grande importance, que les matériaux que je communique, bien qu’ils ne se signalent pas précisément par leur ri- chesse, justifient cependant cette publication. Je me fais un devoir d a- dresser, en terminant, mes plus sincères remercîments à M. le docteur Endlich pour son aimable bienveillance. Musée de La Plata, 3i janvier 1899. (!) Brinton: The linguistic Cartography ofthe Chaco Région, reprinted, November 17, 1898, from «Proceedings of the Amer. Philos. Society», vol. XXXVII, p. 10. TALI.KKES llkl. MUSEO Robert Lehmann - Nitsche INDIENS GUAYAQUIS 2 • L enfant «Mi^uela» 3 Rev. del Museo de La Plata I unie IX I