LA FIEVRE JAUNE] J OBSERVEE À LA j NOUVELLE-O RLE AN S j PENDANT LES MOIS DE j JUILLET, AOUT, SEPTEMBRE, OCTOBRE ! 1 8 7 8 j 1 1 ET SON TRAITEMENT j Par le Docteur MAXIMIN ESCOUBAS NOUVELLE-ORLÉANS Imprimerie du Propagateur Catholique 1879 LA FIÈVRE JAUNE OBSERVEE À LA NOUVELLE-ORLÉANS PENDANT LES MOIS DE JUILLET, AOUT, SEPTEMBRE, OCTOBRE 18 7 8 ET SON TRAITEMENT Far le Docteur MAXIMIN ESCOUBAS NOUVELLE-ORLÉANS Impeimekie du Peopagateue Catholique 1879 INTRODUCTION. Cet opuscule est le résumé de mes études thérapeutiques, médicales et scientifiques sur la Fièvre Jaune. Les documents que j’ai réunis dans ce petit livre, je viens les offrir au public. On y trouvera ma méthode sur le traitement de la Fièvre Jaune. Ce qui m’a engagé à le publier, c’est la divergence d’opinion des docteurs pour combattre ce fléau. Il convien- drait de faire des statistiques médicales pour savoir quelle est la méthode thérapeutique qui a le plus de succès ; que chacun publierait la sienne, avec les résultats obtenus, cela éclairerait l’esprit du médecin et le conduirait à un traitement approprié. Ma pratique de trente-sept ans me conduit à une profession de foi nette et précise au sujet du traitement. Il n’y a pas de spécifique. L’unique spécifique de la Fièvre Jaune, c’est l’association intelligente et raisonnée de cet ensemble de médications, dont l’expérience et l’observation clinique ont reconnu l’eflicacité. Il faut se pénétrer de cette vérité, que c’est surtout dans l’application des règles bien comprises de la propliilaxie individuelle et de l’hygiène sociale, que les classes pauvres et laborieuses, qui n’ont pas les moyens d’émigrer, peuvent trouver le moyen de résister avec succès aux atteintes du terrible fléau. Le riche, tous les ans à la même époque, et comme à un signal donné pour échappera la contagion, impatient, s’élance sur l’océan, court en France, en Allemagne, en Suisse, dans le nord de l’Amérique, de l’autre bord du lac, partout enfin où le plaisir l’attend et où il espère la santé. PREMIÈRE PARTIE. Il faut non seulement que le médecin fasse ce qu’il convient, mais encore que le malade, ceux qui l’approchent et tout ce qui l'environne coucourrent au même but. Hippocrate, Aphorisme 1, § 1. Je suis un vieux médecin français ; j’ai trente-sept ans de pratique en France et aux Etats-Unis (Nouvelle-Orléans), où je suis arrivé au mois d’avril 1853. Depuis cette époque, j’ai observé les épidémies de Fièvre Jaune qui ont sévi, et je certifie que celle qui vient de nous frapper marquera dans nos annales comme une des plus néfastes, car elle a fait presque autant de victimes parmi les enfants natifs de la ville que parmi les étrangers de tout âge et de tout sexe. Pardonnez, je vous prie, si je me crois obligé de critiquer et de vous appeler à la froide raison pour les qmdques assertions exprimées dans les journaux par certains médecins d’une grande expérience. “ La maladie qui a régné à la Nouvelle-Orléans parmi les natifs n’est pas la Fièvre Jaune ; c’est, disent-ils, la fièvre intermittente pernicieuse, la fièvre rémittente bilieuse.” Il résulterait, d’après ces médecins, que cette malheureuse ville de la Nouvelle-Orléans aurait eu, en même temps, trois grandes épidémies à la fois : une épidémie de fièvre jaune, une épidémie de fièvre rémittente bilieuse et une intermittente pernicieuse. Sur quels faits repose une assertion pareille, s’il vous plait ? la même cause peut-elle engendrer trois effets différents, lorsqu’il est incontestable que l’invasion de la maladie est la même, et se manifeste de la même manière : par un frisson, une céphalalgie profonde, occupant le front et les tempes, par une douleur à la région des lombes, une douleur épigastrique, vomissements de matières bilieuses ; que tous les symptômes sont les mêmes ; que le deuxième, troisième, quatrième et cinquième jour souvent se présentent : l’ictère, les vomisse- ments noirs, les hémorragies passives, la suppression d’urines ; que le mode de propagation a été le même. De tous ces faits nous devons conclure que c’était une seule et même maladie, et que cette maladie n’était autre que la Fièvre Jaune sur les natifs aussi bien que sur les étrangers. Une fois bien assuré que la maladie qui a régné à la Nouvelle-Orléans était bien la Fièvre Jaune, le point le plus essentiel est de chercher quelle est l’origine de la maladie. Sur ce point, il y a deux suppositions : ou qu’elle est due à une cause locale, ou qu’elle est importée. Ces deux supposi- tions partagent encore aujourd’hui les médecins de la Nou- velle-Orléans ; l’une et l’autre opinion ont pour défenseurs des médecins respectables que personne n’est en droit de traiter légèrement ; je veux cependant, si humble que soit mon opinion, vous la faire connaître. Pour moi elle peut être importée du dehors ; et, dans ce cas, elle ne prendra le caractère épidémique que si des circonstances météorologi- ques, telles qu’une atmosphère de chaleur et d’humidité et d’électricité (cet agent de la nature, dont l’influence sur la vie et sur tout ce qui nous entoure est immense) ; mais elle peut aussi éclore spontanément à la Nouvelle-Orléans ; et, cette année, quoiqu’on en dise, elle a pris naissance parmi nous, et l’opinion d’importation proclamée par quelques médecins est peu fondée et inadmissible ; elle ne repose que sur l’autorité de ceux qui ont tout intérêt à la soutenir. Les causes locales et météorologiques ont été, cette année, très favorables ; elles 5 6 ont agi avec une grande intensité à la Nouvelle-Orléans, et c’est à elles qu’on doit attribuer l’origine et la propagation de la maladie. La quarantaine et les purifications prescrites par les lois sanitaires n’ont lias empêché la maladie. Il est donc certain qu’il n’y a pas’eu importation d’un germe imaginaire, et la quarantaine était fort inutile. Les mesures de quaran- taine sont malheureusement plus souvent vexatoires qu’utiles, et les germes volatils, formés par les maladies infecto-conta- gieuses, se moquent de toutes les autorités terrestres. Libres comme l’air avec lequel ils voyagent, ils passent outre malgré les lazarets, les quarantaines et les cordons sanitaires qui ne sont positivement utiles que contre les maladies conta- gieuses, transmissibles par le contact des objets infectés ; ils sont insuffisants dans les maladies infecto-contagieuses comme la Fièvre Jaune, transmissibles par la contamina- tion de l’air, dont les courants échappent à toute étreinte et se jouent de toutes les mesures sanitaires. Le commerce et l’industrie se plaignent beaucoup des entraves portés à leur développement par les quarantaines. Il serait temps qu’on s’occupât de cette question au nom de l’intérêt public. Cinq ou six mois de quarantaine tous les ans ruinent notre commerce et notre industrie. Je dis qu’en dépit de la quarantaine la Fièvre Jaune a sévi, à la Nouvelle-Orléans, depuis juillet jusqu’en novembre ; elle a commencé l’attaque au Premier District en se répandant de quartier en quartier, de rue en rue, de maison en maison ; elle a frappé les étrangers arrivés ici depuis l’épidémie de 1867, et aussi les enfants nés depuis cette époque dans toute la ville. Il a été déclaré au Bureau de Santé 22,200 cas et 4,200 décès de Fièvre Jaune ; bien entendu que ces nombres sont loin de la vérité ; ils ne comprennent pas toutes les morts qu’on a déclarées fièvres paludéennes, fièvres intermittentes 7 pernicieuses, fièvre rémittente bilieuse, ce qui n’était autre que la Fièvre Jaune. Ces déclarations ont été faites par les médecins qui n’admettent pas la Fièvre Jaune chez les natifs. Rapport sur la Constitution Médicale, Pendant les Mois de Juillet, Août, Septembre et Octobre 1878. Après la sinistre apparition de la Fièvre Jaune, pendant le mois de juillet, nous avons vu se manifester de toutes parts des craintes relatives à la santé générale. Des mesures très énergiques ont été prises immédiatement par le Bureau de Santé. Malgré ces mesures, sans doute, l’état sanitaire s’est aggravé et la Fièvre Jaune a pris le caractère épidémique en août, septembre et octobre, et le chiffre des décès a beaucoup augmenté. La mort a surtout frappé les jeunes enfants, nés depuis l’épidémie de 1867, ce qui ne s’était jamais vu dans les précédentes épidémies. L’explication logique de ces faits est que ces enfants n’avaient jamais été soumis à une influence épidémique de Fièvre Jaune. Car il y a onze ans que la Fièvre Jaune n’avait pris le caractère épidémique à la Nouvelle-Orléans. Us n’étaient pas acclimatés. L’étude attentive des faits médicaux, observés pendant le mois de novembre, me permet d’avancer que l’état sanitaire est très satisfaisant, et qu’il ne se développe plus que des maladies saisonnières sans gravité, et tout permet de penser qu’il n’y aura pas de longtemps de changements notables. Bulletin des Malades Traités tae le Docteur M. Escoubas, Pendant les Mois de Juillet, Août, Septembre et Octobre 1878. 8 Nombre de cas 732 Guéris 700 Morts 32 Fièvre Jaune 314 Décès 25 Maladies diverses 418 Décès 7 .732 32 DEUXIEME PARTIE. Climatologie, Conditions Hygiéniques de la Nouvelle Orléans. La ville de la Nouvelle-Orléans, dont la population ordinaire est 200,000 habitants et qui pourrait contenir le double, est située sur les bords du fleuve Mississippi, qui a, dans les grandes eaux, de deux à quatre pieds de hauteur au-dessus du niveau du sol de la ville, par 29° 58° de latitude nord, et de 90° de longitude sud. Elle est la capitale de la Louisiane. Bordée de lacs, cette plaine est remarquable par sa végétation luxuriante due au terrain d’alluvion dont elle est formée ; car la Nouvelle-Orléans est, dit-on, un ancien lac. Cette disposi- tion topographique donne une grande humidité et des jours d’orage très nombreux. La température estivale commence en juillet, août, septembre et octobre. Pendant ces quatre mois, la chaleur est très intense ; l’air y est lourd et impur ; pas de montagnes qui forment un rempart contre les vents généraux. Son altitude est au niveau de la mer ; il n’y a aucun obstacle à opposer aux courants atmosphériques. La température estivale, cette année, a été de 28°, 30° à 34° cen- tigrade. Cette grande chaleur longtemps prolongée est une condition très favorable pour développer la Fièvre Jaune. Par suite de la disposition topographique du sol, de la stagnation des eaux, il s’établit une fermentation putride qui peut faire éclore toutes les fièvres pestilentielles ; car, d’après mon jugement, il y a communauté d’origine et cause com- mune de septicémie médicale qui se développe sous l’influence 10 des constitutions médicales accidentelles, formant, par l’ab- sorption pulmonaire ou cutanée, des miasmes existant dans l’air, la Fièvre Jaune ou toute autre peste. Quelle est la nature de ces miasmes ? Pour Lister et Holmes, c’est une fermentation analogue à celle de la levure de bière, et provient du développement d’organismes microscopiques dont les germes flottent dans l’air. Les recherches de Ranvier semblent avoir confirmé ces idées. Pour Pasteur, il s’agirait d’un ferment végétal. Béchamp admet l’existence du microzimas, sorte d’animalcules microscopiques. Monsieur le Professeur Gubler croit que, à côté de ferments venus du dehors, il faut admettre des ferments développés dans l’économie. Dans ce milieu nouveau, ils deviendraient la cause d’affections différentes suivant les organes atteints. Je crois que l’origine de la Fièvre Jaune est là. Pour que ce poison pénètre dans l’économie et y produise la Fièvre Jaune, il faut une prédisposition, et nous savons déjà que les enfants, nés dans l’intervalle d’une épidémie à une autre, et les étrangers sont prédisposés. Cette condition est la porte d’entrée du miasme de la Fièvre Jaune dans l’économie. Conclusion théorique : il existe un poison né dans l’organisme ou venu du dehors qui produit la Fièvre Jaune. Je ne crois pas aux antiseptiques volatils destinés à neutraliser le poison dans l’atmosphère. Comme prophilactique, je conseille la propreté extrême, les bains frais, l’isolement, les toniques, quinquina, café, et des alcooliques, qui abaissent la tempéra- ture, diminuent la pression artérielle et ralentissent l’absorp- tion de l’oxigène. TROISIÈME PARTIE. Traitement de la Fièvre Jaune. Il est peu de maladies contre lesquelles aient été dirigés un plus grand nombre de moyens thérapeutiques que la Fièvre Jaune. La matière médicale presque tout entière a été mise à contribution, les agents les plus divers et les plus énergiques ont été employés dans le traitement de cette grave affection, qui, avouons-le, semble trop souvent se jouer des efforts de la médecine et met en défaut la sagacité de l’homme de l’art. Cette foule de médicaments qui, tour à tour préconisés et délaissés bientôt après, ont agrandi sans l’enrichir le domaine de la thérapeutique de la Fièvre Jaune. On peut dire de ce fléau ce qu’on a dit de bien d’autres maladies, que la grande multiplicité des moyens dissimule mal leur inefficacité, et que, dans ce cas, richesse est synonyme de pauvreté. Quoi d’étonnant dès lors que le praticien cherche encore, cherche toujours, espérant trouver au fond de l’arsenal thérapeutique un remède dont l’action soit incontestable sur les divers éléments constitutifs de la Fièvre Jaune, soit qu’il en diminue l’intensité, soit qu’il en abrège la durée et la rend presque toujours curable, point bien important quand il s’agit d’une maladie si souvent mortelle. C’est ainsi qu’en 1853 j’ai préconisé, pendant l’épidémie de Fièvre Jaune, l’usage du chloroforme comme topique sur la tête et sur les lombes. Pour employer cet anesthésique local, il faut imbiber une ouate dans du chloroforme pur, l’appliquer sur la tête loco dolenti : pendant dix minutes, la recouvrir avec du taffetas 12 gommé pour éviter l’évaporation. Faire la même application sur la région des lombes. Ce moyen est efficace pour suppri- mer la douleur dans dix minutes ordinairement, et, par ce moyen, empêcher la congestion encéphalique et néphrétique de se former (ubi dolor ibi fluxus). Pour les femmes et les enfants, je prescris un liniment composé de parties égales d’huile d’amandes douces et chloroforme, que j’emploie de la même manière pendant dix minutes. Dans le traitement de la Fièvre Jaune, c’est un devoir pour le médecin d’appeler à son aide toutes les méthodes de traitement recommandées par des hommes de l’art, et d’avoir recours à toutes les chances probables de succès. Ce moyen que je recommande n’empêclie nullement de remplir toutes les indications thérapeutiques qui se présentent. On peut, comme révulsif pour dégager la tête, appliquer des sinapismes aux pieds. Si la fièvre survient et'que le pouls s’élève à 100, jusqu’à 105 pulsations par minute, que la chaleur s’accroît dans les mêmes proportions et parvienne en peu de temps à marquer 39° jusqu’à 40° centigrade ; que la soif augmente et que l’épigastre devienne douloureux ; qu’il survienne des vomissements de matières bilieuses ; que les yeux soient rouges et larmoyants; qu’il y ait anxiété et in- quiétude, c’est un cas grave. A ces symptômes, il faut opposer de suite les boissons fraîches (limonade au citron), les lave_ ments émolients (décoction de 30 grammes de racines de guimauve dans 500 grammes d’eau, avec addition de 00 grammes huile d’olives), trois lavements par jour. Les bains frais à 20° ou 25° centigrade, pendant vingt minutes. Le malade doit être plongé dans le bain jusqu’au cou, et aussitôt la tête sera arrosée d’eau froide, à la température de 10° cen- tigrade. Cette aspersion durera une ou deux minutes. Le garde-malade frictionnera et massera dans l’eau les membres 13 du malade pendant trois ou quatre minutes. Sorti du bain, le malade est reporté dans son lit ; on lui enveloppe les pieds dans une couverture de laine, et on lui couvre le corps d’un drap de lit seulement. On lui fait prendre un léger bouillon de poulet dégraissé, et par-dessus, une cuillerée à soupe de vin rouge vieux. Les bains affaiblissent et poussent la maladie vers une terminaison favorable. La température du malade prise après le bain marque un abaissement de 2° centigrade et plus, et le pouls de cinq à dix pulsations de moins. Deux fois par jour le médecin prendra la température du malade et lui donnera, chaque fois, un bain de vingt minutes à la température de 25° centigrade, jusqu’à ce que le thermo- mètre, placé dans la bouche pendant cinq minutes, ne monte pas au-dessus de 38° centigrade. Comme régime, après chaque bain, une tasse de bouillon de poulet dégraissé, tiède, et une cuillerée de vin rouge vieux. Les jours suivants, ut supra. Dès le troisième ou quatrième jour le malade est laissé en repos. A ce moment, on observe une transformation : La langue s’humecte, le visage prend un ton plus uniforme, un aspect plus normal, l’apétit s’établit ; le thermomètre seul et le pouls indiquent la persistance ou la guérison de la maladie. L’écueil à éviter désormais est l’alimentation exagérée. La viande ne doit être accordée que lorsque le malade sera resté apyrétique pendant douze heures. Conclusion : Toute Fièvre Jaune traitée régulièrement dès le début par les applications topiques de chloroforme, les sinapismes, les lavements émollients et les bains frais sera presque toujours exempte de complications, et guérira. Je traite tous les cas par cette méthode, à part les cas légers, et encore je suis très réservé à ce sujet, la bénignité d’aujourd’hui 14 pouvant devenir la gravité de demain. La seule contre- indication à l’emploi de l’eau fraîche sont la menstruation et les lésions thoraciques et cardiaques graves. Il y a quelque- fois rémission ou intermittence ; dans ce cas, le sulfate de quinine pourra être très avantageux. Je prescris ordinairement un gramme de sulfate de quinine, et un gramme d’extrait de quinquina pour neuf pilules, à prendre deux, matin et soir. Pour les enfants, cinquante centigrammes sulfate de quinine en cinq paquets égaux, un paquet matin et soir dans une demi-tasse de café noir sucré. Si le malade n’est pas en convalescence du troisième au quatrième jour, le pouls qui, depuis l’invasion de la maladie avait été fort et fréquent, baisse quelquefois et devient petit et rare ; prenez garde qu’il ne devienne convulsif : Le coma alors succède bientôt à cet état du pouls et le malade est dans un très grand danger ; il meurt ordinairement le cinquième ou le sixième jour. Cependant, il ne faut pas l’abandonner ; il faut lui appliquer le plus promptement possible un large vésicatoire entre les deux épaules, aux cuisses et aux mollets : C’est dans ce cas seulement que je fais usage de 20 grammes de poudre de quinquina jaune Royal dans un litre de vin vieux, un verre à liqueur toutes les heures, afin de ranimer le sentiment des nerfs et l’action organique des vaisseaux. C’est un traitement efficace. Quand la Fièvre Jaune prend le caractère hémorrhagique on donnera la poudre de matico, 25 centigrammes, toutes les deux heures dans une cuillerée d’eau glacée. On peut encore employer le perchlorure de fer liquide, à la dose de 2 à 5 gouttes dans un demi-verre d’eau plusieurs fois par jour. Dans la suppression d’urine, on donnera un bain tiède à 30° centigrade pendant une heure ; après le bain, un purgatif avec 30 grammes de crème de tartre soluble dans un litre 15 d’eau sucrée, un verre toutes les demi-heures. Après le purgatif, toutes les trois heures, on fera prendre une poudre composée avec 30 centigrammes de nitrate de potasse purifié et 10 centigrammes de camphre. Les lavements ne doivent pas non plus être négligés. Ce traitement dans la Fièvre Jaune m’a toujours donné une grande satisfaction. C’est pourquoi je le publie comme une vérité qui s’échappe et perce toutes les ténèbres qui l’environnent. La thérapeutique de la Fièvre Jaune comprend non seulement l’emploi des substances médicamenteuses pharmaceutiques, mais aussi les moyens moraux. L’influence du moral sur le physique, de l’âme sur le corps, est une question de métaphysique qui m’éloignerait trop de mon sujet. Pour le momeut, mes visées ne portent pas si loin. Au point de vue spécial où je suis placé, je veux établir le fait que le moral a une grande influence sur la production de la Fièvre Jaune et une influence tout aussi grande pour la guérison. La frayeur des épidémies dispose à l’apparition du mal ceux qui en redoutent vivement les atteintes ; l’imagination est une puissante chose qui a un pouvoir immense sur l’apparition des maladies et sur leur guérison. D’après cet exposé, le médecin doit comprendre tout le parti que la thérapeutique peut tirer des influences morales dont il dispose. Par son caractère doux et ferme, il faut qu’il cherche à acquérir sur son malade une autorité et une confiance dont l’effet moral réagira sur certains phéno- mènes organiques. Connaître les ressources morales et les utiliser, voilà le devoir du médecin, et avec l’aide de l’hygiène et les remèdes pharmaceutiques, il obtiendra de grands succès. Les malades doivent être mis à l’abri des impressions désagréables et douloureuses de la vue d’un malade ayant la même maladie. Cette vue agit profondément sur les sens. Autour d’eux point de bruit, point de vive lumière, point de 16 longues conversations, de préoccupations d’affaires ; prier les amis du malade de se retirer. Il faut éviter les émotions de nature à bouleverser la sensibilité, sous peine de voir se produire une aggravation de la fièvre et de tous les symptômes, et peut-être la mort. En abordant un malade de Fièvre Jaune, le médecin, toujours plein d’affabilité, doit étudier les troubles de l’état général et moral et déterminer avec exactitude l’étendue des désordres. La bienveillance et la bonté ne lui sont pas moins nécessaires que la science. Une fois l’examen terminé et le diagnostic établi, le médecin ne doit pas annoncer qu’il a reconnu la Fièvre Jaune, pour ne pas impressionner le malade d’une manière fâclieuse. On ne doit cette confidence qu’aux plus proches parents, et encore lorsqu’ils sont en état de l’entendre. Sans déguiser complètement la vérité, le médecin ne doit jamais attrister un malade en lui faisant connaître un pronostic défavorable ; dans ce cas, la franchise est nuisible. Cependant, il y a des circonstances dans lesquelles on ne peut lias se dispenser de répondre. Si on veut connaitre la gravité du cas pour accomplir des devoirs religieux ou certaines dispositions temporelles, on doit alors répondre au malade : “A votre place, et bien qu’il n’y ait pas lieu de craindre pour votre vie, je ferais ce qu’un homme sage et un chrétien doivent faire de sang-froid, en parfaite santé et sans y être contraint par la maladie : Je réglerais ma conscience et ma fortune selon mes affections et d’après ma foi.” Les malades atteints de Fièvre Jaune doivent être placés dans une chambre assez vaste pour jouir d’un air pur, suffisamment renouvelé. Il faut empêcher l’atmosphère d’être viciée par la respiration humaine et par des miasmes. Dans les hôpitaux et dans les asiles la guérison est beaucoup plus rare qu’à domicile, parce que le plus souvent les malades y ari’ivent trop tard ; parce que dans les salles les mieux installées il se produit à tous les instants des conditions d’aérations imparfaites, d’encombrement et d’infection. Je ne doute pas qu’il se forme une septicémie médicale qui est aussi bien la source de la Fièvre Jaune que la cause d’une plus grande malignité. J’admets que presque toujours les cas de Fièvre Jaune sont curables, et que, s’il y a tant de cas fatalement mortels, cela tient le plus souvent aux mauvaises conditions hygiéniques ; presque tous les médecins éminents des hôpitaux nous ont légué, pour le pronostic et le traitement, une histoire sombre et désolante, parce qu’ils l’ont écrite avec des éléments exclusivement nosocomiaux. Des faits sans nombre viennent à l’appui de mon opinion. Comparez la mortalité des hôpitaux et des asiles, pendant la dernière épidémie à la Nouvelle- Orléans, avec les malades traités à domicile, vous y trouverez une preuve qui vient à l’appui de ce que j’avance. De cette remarque importante, il découle naturellement ce précepte, qu’il faut se faire soigner à domicile. Là se termine la tâche que je me suis imposée. Des imperfections et des désidérata sans nombre feront de ce petit livre un ouvrage très incomplet, sans doute ; mais j’espère plus tard pouvoir combler cette lacune, en fournissant de nouveaux documents qui le compléteront dans la juste mesure de mes faibles moyens. Quel sera 1 avenir réservé à cet essai que je présente aujourd’hui à la censure de l’opinion publique ? Je l’ignore. Dans tous les cas, je fais des vœux pour que mon nouveau- né prenne vie et santé, afin qu’il puisse se défendre des attaques des grands et se faire une place digne parmi ceux qui, comme moi, travaillent pour l’humanité. 17