RAPPORT DES ADMINISTRATEURS DE L'HÔPITAL GENERAL DE MASSACHUSETTS ; L'HISTOIRE DE LA DÉCOUVERTE DE L'ÉTHER; MEMOIRE VORESSIO PAR I,F POCTEUR MOUTON À L'ACADÉMIE FRANÇAISE r. h. dana, Jr., éditeur CAMBRIDGE: IMPRIMERIE DE METCALF ET COMPAGNIE. 184&.- *•.- ' ✓*_ é% RAPPORT DES ADMINISTRATEURS DE L'HÔPITAL GENERAL DE MASSACHUSETTS; L'HISTOIRE DE LA DECOUVERTE DE L'ETHER MEMOIRE ADRESSE PAR LE DOCTEUR MORTON, À L'ACADÉMIE FRANÇAISE. R. H. DANA, Jr., EDITEUR. CAMBRIDGE: IMPRIMERIE DE METCALF ET COMPAGNIE. 1848. p | tin. I AU PUBLIC. Il y a plus d'un an que la découverte des propriétés de l'éther a été rendue publique ; de nombreuses brochures ont été pub- liées, et des preuves de toute espèce ont été données, par ceux qui prétendent les avoir trouvées ; et il est maintenant très probable que rien de nouveau ne peut être ajouté à ce qui a déjà été démontré à ce sujet. Les administrateurs de l'hôpital général de l'État de Massachusetts, au nombre de douze, hommes jouis- sant de la plus haute considération, se sont livrés à une investi- gation complète de la question, à l'aide d'un comité pris dans leur sein, et viennent de publier un rapport dont les conclusions ont été unanimement approuvées par eux. Ce rapport a été également approuvé d'une manière unanime par la corporation. Ces messieurs ont joui de grands avantages, indépendamment de leur caractère et de leurs qualités personelles, à l'effet d'éta- blir une investigation impartiale et entière. Ils sont sur les lieux où la découverte a été faite ; ils ont eu des entrevues personelles avec les parties intéressées (les docteurs Jackson et Morton), et aussi avec les témoins les plus importants. Aucun d'eux n'est médecin, ni engagé dans le même genre d'affaires que le prétendants, et, grâce à l'influence qu'exercent toujours le talent élevé et des liaisons antérieures, ils se sentaient prédispo- sés contre celui des deux claimants en faveur de qui ils viennent de rendre leur arrêt. L'un des deux prétendants, le docteur Jackson, refuse de soumettre sa cause à un tribunal quelqu'il soit ; il est donc diffi- cile d'espérer d'arriver à une décision qui entraîne après elle une convention plus profonde que celle que nous avons maintenant sous les yeux. 4 Dans ces circumstances, un certain nombre de personnes, con- vaincues des droits du docteur Morton à la découverte des pro- priétés de l'éther, et désireuses de voir tous les faits importants, arguments, et documents, réunis et présentés dans une seule brochure, avec ordre et sous la garantie d'une personne respon- sable, m'ont chargé de remplir cette tâche. Je ne l'entreprends que comme avocat, et je désire que le public le comprenne ainsi ; ma responsibihté ne s'étend pas plus loin que le récit fidèle et complet des faits parvenus à ma connaissance et l'intro- duction seulement de tels témoignages qui m'auront paru méri- ter qu'on y ajoutât foi. RICHARD H. DANA, Jh. 30 Court Street, 22 février 1848. CHAPITRE I. Connaissances antérieures au Sujet de l'Élher. — Nature de la Découverte. Afin de bien comprendre la question dont nous allons nous occuper, il est nécessaire de diriger notre attention sur deux points. 1. Que savait-on à l'égard de l'éther avant la décou- verte de M. Morton ? 2. Quels sont les points principaux qui donnent aux travaux de M. Morton le caractère d'une décou- verte ? A moins d'avoir une idée claire et précise de ces deux ques- tions, il est bien difficile de tirer avantage des preuves et des arguments qui surgissent dans cette affaire. I. Que savait-on avant cette découverte ? Dans la spécification qui accompagne le premier brevet, et qui est revêtue de la signature des docteurs Jackson et Morton, se trouve ce passage : — "On savait que les vapeurs de quelques unes, si ce n'est de toutes les distillations chimiques, et surtout celles de l'éther sulfurique, lorsqu'on les respire, ou qu'on les introduit dans les poumons d'un animal quelconque, produisent un effet particulier sur le système nerveux, semblable, à ce que l'on supposait, aux résultats de l'ivresse. On n'avait jamais eu l'idée, avant notre découverte (dumoins à notre connaissance), que l'aspiration de ces vapeurs (et surtout celles de l'éther sulfurique) pût produire l'insensibilité aux souffrances physiques, ou une prostration de l'action nerveuse, capable de rendre une personne ou un animal insensible jusqu'à un certain point, sinon entièrement, à l'impres- sion produite par le scalpel ou tout autre instrument de chirurgie, toujours accompagnée de si vives souffrances. Voilà en quoi consiste notre découverte." 1 6 En d'autres termes, les parties intéressées admettent que l'on savait que l'aspiration de l'éther produisait un " certain effet," mais elles nient que l'on sût que ce " certain effet" consistât dans la production de ce degré extraordinaire d'insensibilité, de cette complète destruction de toute sensibilité, démontré par les expériences faites dans ville de Boston. Le docteur Warren, dans son ouvrage sur l'Ethérisation (Bos- ton, 1848), dit (page 2) : —"Les propriétés générales de l'éther sont connues depuis plus d'un sircle, et les effets de son aspi- ration, quant à produire une espèce d'excitement et d'insensibli- té, sont connus depuis bien des années, non seulement parmi les savants, mais aussi parmi les jeunes gens des écoles, et les élèves apothicaires, qui s'en servent fréquemment pour ces deux objets." Le docteur Beddoes, dans son ouvrage sur les gaz arti- ficiels, publié à Bristol en 1795-6, donne plusieurs commu- nications du docteur IVarson sur l'aspiration de l'éther. Sir Ilumphrey Davy, qui avait fait des expériences sur cette matirre, s'exprime ainsi : — " Comme l'acide nitrcux, dans ses propriétés si variées, parait pouvoir prévenir les souffrances phy- siques, on peut probablement s'en servir avec avantage dans les opérations chirurgicales qui ne doivent pas être accompa- gnées d'une grande effusion de sang." Le docteur C. T. Jackson, dans la brochure, publiée sous sa sanction, par le docteur M. Gay, en 1847, dit que les re- marques de Davy sur l'influence des substances gazeuses dans les opérations chirurgicales avaient fait sur lui une impression profonde. Le docteur Jackson, dans la même brochure, admet encore, page 5, d'une manière positive, que " Vinsensibililé produite par l'éther" était connue des physiologistes, et que la question était de savoir si cette insensibilité était d'une nature et d'une régularité à en rendre l'usage sauf et utile dans les opérations chirurgicales d'une nature dangereuse. Il s'exprime ainsi : — " Il restait à prouver que l'insensibilité fût assez parfaite, pendant sa durée, pour éviter la douleur produite par un instrument tranchant." (Paae 10.) x 6 Les cas où l'on a eu recours à l'aspiration de l'éther sont nom- breux. Pereira, dans sa Matière Médicale (Londres, 1839), ou- vrage que le docteur Jackson connaît sans doute, dit: — " On aspire 7 les vapeurs de l'éther dans l'asthme spasmodique, les catarrhes chroniques, les gastrites, et la coqueluche ; on s'en sert aussi pour détruire les effets résultant de l'aspiration du chlore." M. James T. Hodge, géologiste et chimiste de grande ré- putation, connu du docteur Jackson, s'est servi pour lui-même de l'éther sulfurique comme d'un antidote contre le chlore, en 1844, d'après le conseil du Professeur Ellett qui le lui recommanda comme une ordonnance ordinaire. "R. H. Dana, Jr., Esq. "Mon cher Monsieur, —Pendant l'été de 1844, j'eus le mal- heur de respirer une fdrte dose de chlore dans mon laboratoire à New York, et par suite, je perdis connaissance pendant plu- sieurs heures. Je me trouvais dans cette situation, lorsque M. Ellett, Professeur de Chimie au Collège de Columbia, dans la Caroline du Sud, vint me voir et me fit respirer de l'éther sulfu- rique comme antidote, ce qui me soulagea beaucoup, sans ce- pendant me rendre complètement insensible. " Votre très humble serviteur, James T. Hodge. "Boston, S février 1848." Le docteur Warren, dans son ouvrage sur l'Ethérisation (pages 2, 85, 86, et 87), démontre que l'aspiration de l'éther a joui d'une grande réputation en Europe et en Amérique depuis plus de cinquante ans, dans les cas de douleurs aiguës, d'inflam- mations et de spasmes. (Voir aussi les revues étrangères d'avril 1847.) Le docteur Warren dit encore (page 86) :—"M. Ducos a fait à Paris, l'année dernière, sur des animaux, plusieurs expé- riences remarquables avec l'éther, et l'on en trouve le compte rendu dans la Gazette Médicale du mois de mars 1846 ; on retrouve dans ces expériences la plupart des symptômes que l'on avait observés en agissant sur l'homme." L'ouvrage de M. Chambert, intitulé, "Des Effets Physio- logiques et Thérapeutiques des Éthers," et récemment publié à Paris, décrit les expériences faites par M. Damiol, en 1832, à l'effet de produire un état d'insensibilité, à l'aide d'une éponge, trempée dans de l'eau chaude qui avait été, à trois reprises, satu- rée de suc de jusquiame, de datura stramonium, de petite ciguë, ou de laitue vireuse et séchée au soleil après chaque saturation. Il dit que les malades furent immédiatement plongés dan3 un 8 état de somnolence plus ou moins profond, suivant le degré de leur sensibilité nerveuse, et les représente comme entièrement impassibles pendant l'opération qu'on leur faisait subir. Robert Collyer a fait des expériences à Boston, en 1843, pour produire l'état d'insensibilité, par l'aspiration de vapeurs de narcotiques et de stimulants, et il a publié un ouvrage sur ce sujet. Dans l'automne de 1841, le docteur Horace Wells, de Hart- ford, dans l'Etat de Connecticut, vint à Boston et fit une expé- rience, dans le but de produire, par l'aspiration, un tel degré d'insensibilité que l'extraction d'une denj pût être effectuée sans douleur. Il fit «sage de l'oxide nitreux à l'état de gaz, d'après la supjiostion du docteur II. Davy. Celte expérience fut faite devant une compagnie nombreuse. Le docteur Morton y assistait ; et comme elle manqua complète- ment, le docteur Wells fut ridiculisé ainsi que le docteur Morton, qui, se trouvant alors étudiant ;\ l'Ecole de Médecine, avait pré- senté le docteur Wells à plusieurs de ses membres. Cette expé- rience, ainsi que la cause qui l'avait provoquée, ne restèrent point un secret pour le docteur Warren et la Faculté de Médecine ; elle fut également connue, bientôt après, des docteurs Jackson et Hayward et de beaucoup d'autres médecins, et devint une affaire de notoriété publique. Il y fut fait allusion plus tard, au commencement de l'été de 1846, dans une conversation qui eut lieu entre le docteur Morton et M. Metcalf, et dont nous parle- rons plus loin. Nous croyons donc que l'on peut établir, en rendant à chacun ce qui lui est dû, que les faits suivants étaient parfaitement con- nus avant la découverte en question, à savoir : 1. L'aspiration de l'éther produit un état d'insensibilité. 2. L'idée de produire un état d'insensibilité, par le fait de l'aspiration, dans le but de prévenir ou de diminuer les souf- frances dans les opérations chirurgicales était connue et reposait sur des autorités respectables. 3. Des expériences avaient été faites dans ce but, mais d'une manière peu satisfaisante, à l'aide de l'oxide nitreux à l'état de gaz, de décoctions végétales, et de différents narcotiques ; et plusieurs ouvrages avaient été publiés à ce sujet. 4. L'aspiration de l'éther, comme un antidote contre le chlore, et dans plusieurs cas de souffrance, de spasmes, etc., Le Journal des Sciences et des Arts, rédigé à l'Institut Royal de la Grande Bretagne, pour l'année 1848, contient un article intitulé, " Effets produits par l'inhalation des vapeurs de l'Ether sulfurique," dans le quel les effets de cette aspiration sont décrits comme étant semblables à ceux que produit l'oxide nitreux en pareille circonstance. Il y est prescrit de l'aspirer avec un mélange d'air atmosphérique ; la manière recommandée consiste daps l'introduction d'un tube dans la partie supérieure d'une bouteille contenant de l'éther, à l'aide du quel l'aspiration doit avoir lieu. Cette aspiration produit d'abord un état d'excite- ment, accompagné d'une sensation de plénitude ; continuée plus longtems, elle produit un état de léthargie, contre le quel il faut avoir soin de se prémunir. L'édition Anglaise de cet ouvrage se trouve à l'Athénée de Boston ; il a été réimprimé aux _tats-Unis. V 9 soit temporaires soit chroniques, faisait partie des ordonnances ordinaires. Mais il était parfaitement inconnu que l'insensibilité produite par l'aspiration de l'éther était d'une nature et gouvernée par des lois qui lui donnaient une grande importance dans les opérations chirurgicales les plus douleureuses. Ce qui restait à prouver était, en fait, un problême en trois parties. 1. Le point jusqu'où cette insensibilité pouvait être portée. 2. La sécurité avec la quelle elle pouvait être produite, et les effets généraux qui devaient en résulter. 3. L'usage que l'on pouvait faire de cet état d'insensibilité dans les cas d'opérations douloureuses. It faut remarquer ici que ces résultats ne pouvaient s'obtenir qu'à l'aide d'expériences d'un caractère indubitable. C'était un de ces cas dans les quels les déductions, les idées, ou les hy- pothèses scientifiques ne pouvaient rien faire découvrir, ne pou- vaient rien établir ; c'était une de ces découvertes qui ne peuvent être faites que par des hommes de courage et de persévérance ; et pour les quelles les connaissances scientifiques ne sont que d'une utilité secondaire. II. Quels sont les caractères particuliers d'une découverte ? Après avoir établi ce qui était connu antérieurement, et sachant ce qui avait été prouvé dans l'espèce, il ne nous sera pas diffi- cile d'établir le point principal de la découverte. Il consiste dans ce que l'aspiration de l'éther sulfurique pro- duit un tel degré d'insensibilité que les opérations les plus dou- . loureuses peuvent être exécutées sans souffrance. !• Ce qui constitue le miracle de cette découverte, ce qui fait que le monde entier s'est prosterné devant elle, comme devant la révé- lation d'une nouvelle loi de la nature c'est l'étendue et la perfec- tion de cette insensibilité, et le degré de sécurité qui l'accompagne. Nous rappelant alors que, depuis Davy, aucune prétention de découverte ne peut se soutenir pour le simple fait d'avoir suggé- ré l'idée de produire un état d'insensibilité à l'aide de l'aspira- tion ou même pour avoir fait des expériences à ce sujet ; nous rappelant également qu'il était parfaitement connu des physiolo- gistes que l'aspiration de l'éther produisait sans danger un cer- tain degré d'insensibilité et pouvait être utile dans les cas de 1 * 10 souffrance et de spasmes, nous allons nous occuper de l'histoire de cette découverte, des lois qui la gouvernent et qui étaient restées inconnus jusqu'alors. CHAPITRE IL Faits dont tout le Monde convient. — Faits contestés. — Prétentions du docteur Jackson. — Prétentions du docteur Morton. Dans l'examen d'une question en litige, un des premiers points à établir doit être de reconnaître quels sont les faits admis par les parties et quels sont ceux qui se trouvent en dispute. Les faits suivants peuvent être considérés comme admis de part et d'autre : — 1. Le 30 septembre 1846, le docteur W. T. G. Morton, dans son cabinet, Tremont Roto, n. 19, a administrée vapeur de l'éther sulfurique à un de ses patients et lui a arraché une dent, lorsqu'il se trouvait dans un état d'insensibilité complète. 2. Ni le docteur Jackson, ni personne qui le représentât, n'étaient présents pendant la durée de l'opération. 3. Le lendemain, le docteur Morton passa chez le docteur Jack- son et l'informa de ce qui s'était passé dans son cabinet ; ce fut la première information que reçut le docteur Jackson des résul- tats de cette expérience ; il ignorait également qu'elle eût eu lieu ou qu'elle dût avoir lieu. 4. Ni le docteur Jackson ni le docteur Morton ne prétendent avoir fait aucune expérience, ni opération chirurgicale accompa- gnée de ses souffrance physiques, sous l'influence de l'aspiration de l'éther ou de toute autre vapeur, antérieurement à celle-ci. 5. Les expériences d'épreuve faites «à l'hôpital, l'ont été le 16 et 17 octobre et le 6 novembre. Ces expériences furent faites sous la direction du docteur Morton. Le docteur Jackson n'était pas présent et il ne s'y trouvait personne qui l'y représentât. Aucun des médecins, chirurgiens ou employés de l'hôpital ne savait que le docteur Jackson pût être intéressé dans cette décou- verte, jusqu'au moment où la seconde expérience fut accomplie. 6. La première expérience à la quelle assista le docteur Jack- son, fut celle qui eut lieu à l'Hôtel Broomfield, le 21 novembre ; 11 il n'y vint qu'à la suite d'une invitation, et cependant il n'avait pas quitté Boston depuis le 30 septembre, excepté pendant l'espace de huit à dix jours. 7. Le docteur Jackson ne prétend avoir administré l'éther, dans aucun cas d'opération chirurgicale, avant l'époque où sa brochure parut, en juin 1847. 8. Dans la matinée du 30 septembre, quelques heures avant la première expérience, une conversation avait eu lieu entre le docteur Morton et le docteur Jackson dans le laboratoire de ce dernier. C'est pendant cette conversation que le docteur Jack- son fit au docteur Morton les seules communications qu'il pré- tend lui avoir jamais faites à ce sujet. Il est heureux pour les parties et pour le public que l'époque et le lieu où s'est passée cette conversation, la seule qui offre des garanties, aient été fixés par les parties sans discussion et d'une manière immuable. Les principaux faits en discussion sont les suivants : —Le doc- teur Jackson prétend avoir découvert, avant son entrevue avec le docteur Morton, les propriétés merveilleuses de l'éther ; il admet cependant n'avoir jamais fait d'expériences positives pour en con- stater les effets, à l'aide de quelque opération douloureuse. Il prétend avoir fait part de cette découverte au docteur Morton pendant son entrevue avec lui et que le docteur Morton dans l'ex- périenc.e qu'il fit dans son cabinet, ainsi qu'à l'hôpital, n'a agi que comme son agent ou son remplaçant ; que ces expériences lui appartenaient de droit, en vertu du principe ; qui facit per alium facit per se. A l'appui de ces prétentions, il affirme que le doc- teur Morton n'avait aucune intention de faire des expériences sur cette matière, n'avait aucune connaissance de la substance con- nue sous le nom d'éther sulfurique, et que ce fut lui qui, le pre- mier, lui suggéra l'idée de faire une expérience positive, lui prédisant le succès qui devait la couronner. La prétention du docteur Jackson à la connaissance antérieure des propriétés de l'éther est si absolue, qu'il affirme dans sa brochure, n'avoir éprouvé aucune surprise des résultats obtenus, résultats qui ce- pendant ont rempli le monde entier d'étonnement et d'admiration. Il s'exprime aussi: — "Le docteur Jackson n'éprouva aucune surprise ; il s'attendait au résultat obtenu." (Brochure du doc- teur Gay, page 13.) D'autre part, le docteur Morton affirme au contraire, que depuis 12 l'infructueux essai du docteur Wells en 1841 et 1845, son atten- tion avait été dirigée sur ce sujet ; qu'il avait, comme expérience, aspiré des gaz et des mélanges de vapeurs gazeuses, et particu- lièrement, qu'il avait essayé les ethers et l'éther sulfurique pendant l'été de 1846 ; qu'il avait lu des ouvrages sur les ethers et avait pris des information sur les propriétés de ces substances ; que lorsqu'il se rendit chez le docteur Jackson, il s'occupait d'une expérience directe, et qu'd n'alla chez lui que pour se procurer un instrument et obtenir du docteur Jackson telle connaissance addi- tionelle que celui-ci pouvait posséder des propriétés de l'éther, sans lui faire trop pressentir quels pouvaient être ses projets et l'objet qu'il avait en vue ; que le docteur Jackson ne lui dit rien de plus que ce qui avait déjà été publié, et que ce qu'il aurait pu apprendre de tout autre chimiste de talent, et que ce qu'il lui dit, des effets de l'éther, il le fit dans des termes semblables à ceux qui se trouvent dans les ouvrages écrits à ce sujet ; que dans ses expériences, soit à l'hôpital soit dans son cabinet, il agit seulement sous sa propre responsabilité et pour son propre compte, le docteur Jackson n'y étant nullement engagé, n'étant nullement responsable des résultats qui pouvaient s'en suivre, et autant que le docteur Morton peut se le rappeler, ne sachant même pas qu'elles dussent avoir lieu. Après avoir établi ces préliminaires nous appelons l'attention du lecteur sur les preuves que nous allons fournir, et sur quelques remarques qui les accompagnent. CHAPITRE III. Histoire de la Découverte des Propriétés de VÉther, jusqu'à V Époque de l'Entrevue qui eut lieu entre le docteur Jackson et le docteur Morton. Le docteur Morton, à l'époque des expériences, avait à peu- près vingt-six ans ; il exerçait la profession de dentiste à Boston depuis plusieurs années, et y jouissait d'une réputation peu or- dinaire pour un homme de son âge. Il est marié, il a des en- fants, et il s'est allié à une famille très estimée et très connue dans l'État de Connecticut. Son éducation n'a pas été collégiale et 13 n'a été dirigée, dans son jeune âge, vers aucune des profes- sions savantes. Il a acquis la connaissance complète de l'état de dentiste et a suivi pendant deux ans, à Boston, les cours de l'Ecole de Médecine, y compris celui du professeur de chimie de cette école. Il possède des certificats qui justifient de sa pré- sence à ces divers cours. À l'effet d'augmenter ses connais- sances en chimie, il s'attacha au cabinet du docteur Jackson, et demeura dans sa famille pendant l'année 1844. Le docteur Jackson remit au docteur Morton les certificats suivants dans le but de faciliter son admission dans le sein de la Société Améri- caine des Chirurgiens Dentistes. " Au Secrétaire du Comitté Exécutif de l'Association Américaine des Chi- rurgiens Dentistes. " M. W. T. G. Morton, dentiste, est entré chez moi comme étudiant en médecine, le 20 mars 1844, et a suivi le cours d'anatomie pratique à l'École de Médecine de l'État de Massa- chusetts, pendant l'hiver de cette année. Il s'y est livré à la dissection avec zèle et intelligence, et s'est particulièrement dé- voué à l'étude de la tête et du gosier, parties de l'anatomie hu- maine d'une importance spéciale pour le chirurgien dentiste. Il a également étudié les Œuvres du docteur Bell ainsi que d'autres ouvrages importants sur l'anatomie, et a suivi les cours des doc- teurs Warren, Hay ward, et autres professeurs. Je le recommande comme étant parfaitement qualifié pour être admis dans le corps des chirurgiens dentistes. C'est un opérateur habile, tant dans la partie chirurgicale que dans la partie mécanique de cette pro- fession, et il a étudié les propriétés chimiques des ingrédients qui s'emploient dans la fabrication des dents artificielles. " Charles T. Jackson, M. D." Le docteur Morton fut pendant quelques tems associé avec le docteur Horace Wells, mais cette association fut dissoute et le docteur Wells s'établit à Hartford, dans l'État de Connecticut. En 1844 le docteur Wells vint à Boston et pria le docteur Morton de le présenter aux membres de l'École de Médicine à l'effet de leur soumettre quelques observations et de pouvoir se livrer à quelques expériences dans le but de produire l'état d'insensi- bilité par l'aspiration de l'oxide nitreux à l'état de gaz. Le docteur Warren dans son ouvrage sur les effets de l'éther, ouvrage que nous avons déjà cité, dit : — " Sir Humphrey Davy, lui-même, a employé l'aspiration de l'oxide nitreux pour soulager 14 la souffrance pendant les opérations chirurgicales. Dans ce pays-ci, le docteur Wells, de Connecticut, a fait plusieurs expéri- ences avec ce gaz en 1844. Dans l'automne de cette année il vint à Boston, et, accompagné du docteur Morton, vint me voir à l'École de Médecine, dans le but d'obtenir de moi que je consen- tisse à ce que les élèves de cette école entendissent les re- marques qu'il se proposait de faire sur l'aspiration de l'oxide ni- treux, dans le but de prévenir la souffrance qui accompagne toujours les opérations chirurgicales. Ces remarques leur furent adressées et plus tard une expérience eut lieu à l'aide de ce gaz." Cet essai consista dans l'extraction d'une dent. Le docteur Morton était présent. Le docteur Wells dans sa brochure re- connaît qu'il échoua complètement. Le docteur Wells ne pré- tend nullement avoir essayé à cette époque l'usage de l'éther, ni même y avoir fait la moindre allusion. Le docteur Morton, dans son mémoire à l'Académie Fran- çaise, dit, qu'après cette expérience il eut l'esprit constamment préoccupé de cette affaire, qu'il se mit à lire des ouvrages qui traitent de la matière et, de tems à autres, prit des informations sur le même sujet. Nous trouvons la preuve de ces faits, dans un mémoire qui démontre que six semaines après l'expérience du docteur Wells, le docteur Morton acheta plusieurs ouvrages, dont quelques uns contiennent des informations au sujet de l'éther, et entr'autres, la Matière Médicale de Pereira dont nous avons déjà parlé. " Boston, 3 mai 1845. "Dr. Morton Acheté à M. Benj. B. Mussey, 1 Dictionnaire de Hooper, . 1 Chirurgie de Duitt, . 1 Physiologie de Carpenter, 1 Mid. de Churchill, . 1 Anatomie de Wilson, 1 Pratique de Watson, 1 Matière Médicale de Pereira, 1 Chimie de Webster, $27 75 Reçu paiement, Sec, B. B. Mussey, Par, &c, &c." S S3 00 3 00 3 25 3 25 3 25 3 00 $ 18 75 6 50 $ 25 25 2 50 15 De ceci résulte un fait, et nous le soumettons au jugement de nos lecteurs, qui élève une présomption favorable à l'égard de la déclaration faite par le docteur Morton lui-même. Il est bien connu que le docteur Morton a donné une attention toute particulière à la branche de son art qui consiste dans la partie mécanique de la profession du dentiste, c'est à dire, la prépara- tion et la pose des dents artificielles. Cette opération requiert l'extraction de plusieurs dents à la fois, ce qui est ordinairement une chose très douloureuse, qui empêche un grand nombre de personnes de s'y soumettre ou qui les arrête souvent au mi- lieu de l'opération ; ceci est surtout le cas chez les femmes dé- licates. Le docteur Morton avait donc un intérêt pécuniaire di- rect, un intérêt de tous les jours à trouver le moyen de prévenir ou de diminuer la souffrance'inséparable des opérations de son art. Nul, plus que le dentiste, n'est intéressé à arriver à un ré- sultat de cette nature. Les opérations du chirurgien sont néces- saires, mais n'ont ordinairement lieu que lorsqu'elles sont de- venus indispensables. Celles du dentiste mécanicien sont vo- lontaires chez le patient, et ne sont presque toujours qu'une chose d'agrément, de luxe ou de coquetterie. C'est probablement par cette raison que le docteur Wells, dont les occupations avaient été presqu'exclusivement celles d'un dentiste mécanicien, s'était occupé de cet objet en 1844, plus tôt qu'aucun adepte de la sci- ence ou qu'aucun membre appartenant aux professions savantes. Comme les faits notoires n'ont pas besoin de preuves, on peut avancer ici sans crainte de contradiction, que le docteur Wells, bientôt après l'expérience de 1844, abandonna la profession de dentiste, and s'employa, à diverses reprises, d'une part à prépa- rer et à exposer une collection d'oiseaux rares, et d'autre part, à la vente, comme agent, d'une espèce de douches connues sous le nom de bains de pluie. Plus tard il se rendit en Europe pour y acheter des tableaux destinés à être revendus dans ce pays-ci. Il était engagé dans cette entreprise lorsqu'il songea à présenter ses droits à la découverte qui fait l'objet de ce mémoire ; il est enfin certain qu'il continua ce genre d'affaires jusqu'à sa mort arrivée en janvier 1848. Nous allons maintenant fournir les preuves d'un fait ; c'est que le docteur Morton fit des expériences sur l'éther, dans le but d'en découvrir les propriétés, pendant l'été de 1846, et trois mois avant son entrevue avec le docteur Jackson. En présentant 1G le témoignage de M. Metcalf, toutes remarques sont inutiles pour le public de Boston. Mais pour l'édification des personnes qui demeurent au loin, nous présenterons les extraits suivants du rapport des administrateurs de l'hôpital général de l'Etat de Massachusetts, qui, dans leur capacité officielle, s'expriment ain- si : "lia pendant longtems possédé au plus haut degré la con- fiance et le respect de la faculté de médecine ; et il n'est pas un homme parmi nous dont le caractère personnel puisse donner un plus grand degré d'autorité à un exposé de faits présentés par lui d'une manière distincte et positive." " M. Théodore Metcalf, dans une note au docteur Morton, du 20 décembre 1847, s'esprime ainsi : "Tout ce que je peux dire, c'est que je me rappelle vous avoir rencontré dans le ma- gasin de M. Burnet au commencement de l'été de 1846, et d'avoir eu une conversation avec vous sur les qualités médici- nales de l'éther sulfurique, dont vous veniez d'acheter une cer- taine quantité. Je ne puis, comme vous le désirez, préciser la date de cette conversation, mais je sais qu'elle a eu lieu avant le T» de juillet, car j'ai quitté Boston ce jour là pour un voyage d'où je ne suis revenu que depuis quelques semaines." M. Metcalf a également adressé à M. N. J. Bowditch la lettre sui- vante : " Uoston, 26 janvier 1H1*. " Monsieur, —En réponse à votre demande relativement à la nature de mon entrevue avec le docteur Morton, je ne puis qu'a- jouter à ma lettre du 20 décembre, que ce fut lui qui entama la conversation par une enquête sur la nature et les effets de l'éther sulfurique, dont il avait alors une phiole à la main. "En réponse à ses diverses questions, je ne lui donnai d'au- tre information que celle qu'il aurait pu obtenir, à cette époque, de tout apothicaire capable ; je lui fit part également de quelques expériences personnelles sur l'usage qu'on peut en faire en rem- placement de l'oxide nitreux, ajoutant l'opinion alors générale- ment reçue, que son aspiration prolongée au delà de certaines limites, produirait infailliblement des conséquences dangereuses et peut-être fatales. Il fut également fait allusion, soit par moi soit par le docteur Morton, ma mémoire me sert mal à cet éo_rd, à l'expérience manquée de son ancien associé, M. Wells, à l'aide de l'oxide nitreux. Ce fut une de ces conversations acciden- telles qui laissent peu de traces dans la mémoire, et je ne me la 17 rappelai pour la première fois qu'en voyant, quelques mois plus tard, dans un journal français, un rapport sur les effets stupéfi- ants de l'éther, dont la découverte était attribuée par le rédac- teur à un dentiste de Boston. "Je suis, monsieur, avec respect, " Votre très obéissant serviteur, " Théodore Metcalf. " n. i. bowditch, esq." M. Metcalf partit pour l'Europe le 6 juillet 1846, par le navire Joshua Bâtes, et ne revint en Amérique que quelques jours avant l'époque où les lettres ci-dessus furent écrites. Ceci rend compte du délai qu'a éprouvé un témoignage de cette impor- tance, et le docteur Morton déclare qu'il avait totalement oublié le fait de cette conversation jusqu'au moment où M. Metcalf, à son retour, lui en rappela le souvenir. Ce témoignage ne laisse aucun doute quant à la date où la conversation eut lieu, et peut être considéré comme établissant la preuve des faits suivants : Que le docteur Morton a acheté une phiole d'éther sulfu- rique chez M. Burnett, au commencement de l'été de 1846, cer- tainement avant le 6 juillet. Qu'il avait pris des informations quant à ses effets sur l'écono- mie animale, relativement au danger qui pouvait résulter de son emploi, et à l'effet que cet emploi devait produire sur ceux qui s'exposeraient à son influence. Que ces informations se liaient naturellement à l'expérience infructueuse du docteur Wells, à l'effet de produire un état d'insensibilité, par l'aspiration de l'oxide nitreux. Et, enfin, que le docteur Morton ne pouvait ignorer ni l'ex- istence de l'éther sulfurique, ni la nature de ses effets le 30 septembre suivant. Peut-il exister l'ombre d'un doute qu'à cette époque le docteur Morton ne s'occupât de l'idée, que le résultat, qui avait échappé au docteur Wells à l'aide de l'oxide nitreux, pouvait être obtenu au moyen de l'éther sulfurique ? En présentant la déposition de M. Francis Whitman, nous en extrayons les faits suivants du rapport des administrateurs ; et nous ferons remarquer, une fois pour toutes, que si nous offrons 18 des garanties de la véracité des témoins, elles ne s'adressent qu'à ceux qui, personellement, leur sont étrangers. "Francis Whitman, l'un des témoins, est mort depuis peu. Sa véracité parait au-dessus de tout soupçon." Plus loin : " Whitman, dont le caractère est reconnu, même par le docteur Gay, comme à l'abri de tout soupçon." Les certificats concer- nant le caractère de M. Whitman, obtenus sur les lieux mêmes où il était né et où s'étaient écoulées son enfance et sa première jeunesse, là où sa famille occupe une position élevée et honora- ble, sont conçus dans les termes les plus flatteurs, et viennent de gens qui occupent des places de confiance et de distinction. " Boston, 25 mars 1847. "Je soussigné, Francis Whitman, demeurant à Boston, dans le comté de Suffolk, État de Massachusetts, élève dentiste, dé- clare sous la foi du serment ce qui suit : "J'ai souvent entendu dire au docteur Morton qu'il avait découvert un moyen d'extraire les dents sans douleur. Cette découverte parut être le sujet de ses études et de ses inves- tigations pendant la majeure partie de l'année dernière, 1846. Un jour (c'était, je crois, avant juillet 1846), le docteur Morton, parlant des améliorations et des perfectionnements qu'il avait in- troduits dans sa profession, et deJ'un de ces derniers en particu- lier, dit, que s'il pouvait seulement extraire les dents sans dou- leur, il ferait beaucoup de bruit dans le monde. Je répondis que j'avais peine à croire que cela pût se faire. Il dit qu'il croyait la chose possible, et qu'il trouverait bien un moyen d'ar- river à ses fins. "Dans sa conversation en juillet, le docteur Morton dit qu'il faisait entrer ses patients par une porte, qu'il leur arrachait les dents sans douleur et sans qu'ils s'en doutassent, puisqu'il les faisait passer dans un autre salon où il leur posait un râtelier. "Je me rappelle avoir vu un jour le doctor Morton entrer dans le cabinet tout radieux ; il s'écriait : ' je l'ai enfin trouvé, et désormais je pourrai extraire les dents sans douleur !' Je ne me rappelle pas ce qui suivit ; mais quelque temps après, il voulut que l'un de nous prit de l'éther, et il envoya Thomas et William en ville, afin de chercher un homme qui consentît à ce que l'expérience se fît sur sa personne. Plus tard, le docteur Hay- den engagea le docteur Morton à consulter quelque chimiste 19 relativement à cette découverte. À la demande du docteur Morton, j'allai m'informer si le docteur Jackson était de retour (il n'était pas en ville à ce moment) ; on me dit à son domicile qu'il était encore absent. " Je dis au docteur Morton que je savais ce qu'avait acheté William, et j'ajoutai que c'était de l'éther chlorique. Le docteur Morton dit qu'il voudrait bien savoir si l'éther dissoudrait la gomme élastique, et il envoya William P. Leavitt chez le doc- teur Gay pour s'en informer. "Vers cette époque, le docteur Morton me pria de me pro- curer des ouvrages sur la chimie et de voir ce que l'on y disait de l'éther. Je le fis, et je lui donnai lecture de ce que j'avais trouvé. Je crois qu'il alla voir, chez Burnett, s'il ne pourrait pas trouver quelque chose à cet égard. Après que les journaux eurent parlé pour la première fois de la découverte, j'allai voir le docteur Jackson, qui me parla de quelques-unes des annonces faites dans les journaux ; mais im- médiatement après, il dit que peu lui importaient les annonces que faisait faire le docteur Morton, si son nom, à lui, n'y figu- rait pas. Huit ou quinze jours après cette conversation, je re- tournai chez le docteur Jackson, qui me demanda comment allait l'affaire du gaz ; je lui répondis : ' mais cela va parfaitement.' Il me dit : 'je ne savais pas l'effet qu'il produirait dans l'extraction des dents, mais je connaissais bien les effets de l'éther au collège sur les élèves, puisque la Faculté dut demander un certificat à un médecin à l'effet de constater que son usage leur était nuisi- ble, afin de les empêcher d'en user;' mais, répétait-il, • je ne savais pas du tout ce que cela pourrait faire quant à l'extraction des dents.' Ainsi signé : Francis Whitman." Les administrateurs, dans leur rapport, en parlant de MM. Spear et Leavitt, dont les dépositions se trouvent plus bas, s'ex- priment ainsi : " M. John P. Bigelow et M. Charles Sprague, deux de nos plus respectable citoyens, parlent d'une manière très honorable de la véracité de M. Thomas R. Spear. M. William P. Leavitt est également désigné au comité comme un témoin digne de foi, par M. Nathaniel G. Snelling,- que tout le monde connait comme ayant été président de la compagnie d'assurance de l'Etat de Massachusetts contre les risques de mer et d'incendie, la quelle n'existe plus aujourd'hui." M. 20 William Flagg, de West Needham, juge de paix et maître de poste, certifie également de la véracité et du caractère de M. Leavitt. Il est aussi à remarquer que ces jeunes gens, MM. Whitman, Spear, et Leavitt, appartiennent à des familles connues et respectables de la Nouvelle Angleterre, ayant reçu une bonne éducation académique, demeurant à Boston d'une manière per- manente et se préparant à embrasser la profession de dentiste. "Boston, 2."» mars 1S-17. " Je soussigné William P. Leavitt, demeurant à Boston, dans le comté de Suffolk, Etat de Massachusetts, déclare sous la foi du serment : " Qu'environ huit jours après que le docteur Hayden fut venu pratiquer les opérations de dentiste conjointment avec le docteur Morton, auprès de qui j'étais alors élève, c'est-à-dire vers le l«r juillet 1846, le docteur Morton entra dans son arrière cabinet ; il était fort agité, et il s'écria, en proie à une grande émotion (autant du moins que je puis me rappeler ses propres paroles): ' Je le tiens maintenant : je conduirai mes clients dans le pre- mier salon, et je leur extrairai des dents ; puis je les ramène- rai dans l'arrière cabinet ; je leur poserai un râtelier, et je les renverrai sans qu'ils aient eu le moindre sentiment de l'opération.' " Quelques jours après, vers le 1er août 1846, le docteur Mor- ton demanda au docteur Hayden où il pourrait se procurer de l'éther très-pur. Le docteur Hayden l'engagea à en faire de- mander chez Brewers, Stevens et compagnie. Le docteur Mor- ton m'appela de derrière le paravent, et il me pria d'aller chez Brewers, Stevens et compagnie demander de l'éther pur. Il me dit de garder le silence à cet égard. Il désirait que j'eusse bien soin de ne pas leur laisser savoir pour qui était cet éther : Brewers, Stevens et compagnie devaient ignorer de chez qui je venais et où j'allais. J'achetai de l'éther sulfurique : je dis à Brewers que je devais l'envoyer à la campagne, et je demandai que la facture fût faite au nom d'une personne demeurant à la campagne : je ne me rappelle pas le prête-nom dont je me servis. "Je rapportai l'éther à la maison, et je le donnai au docteur Morton. Quelque temps après, le docteur me pria d'aller chez le docteur Gay et de lui demander si l'éther dissoudrait la gomme élastique, attendu qu'il voulait mettre de l'éther dans une bou- teille ou un sac de cette substance. Je partis pour cette visite ; 21 mais je ne pus trouver la résidence du docteur Gay, et le lende- main je fis part du résultat de ma démarche au docteur Morton. Huit jours après, le docteur Morton me dit que si je pouvais trouver un homme ayant une dent à extraire, et qui voulût se prêter à une expérience tout-à-fait inoffensive sur sa personne, il me donnerait cinq dollars : il me chargea, ainsi que Thomas R. Spear, de cette commission. Nous allâmes sur les quais, et nous fîmes la proposition à beaucoup de monde : chacun refu- sa de venir avec nous, de sorte que nous rentrâmes sans rame- ner personne. Le docteur Morton me demanda de faire l'essai sur moi-même ; je refusai : il dit alors qu'il en avait pris, que cela ne faisait aucun mal, et que s'il désirait en faire prendre à une autre persone, c'était pour constater les effets de ses propres yeux. Le docteur Hayden dit : ' Thomas en prendra bien : ' Thomas dit qu'il n'en prendrait pas, qu'il n'avait pas de dent à se faire arracher ; mais il finit par dire : 'oui j'en prendrai ; ' et s'adressant à moi : ' et vous, n'en prendrez-vous pas ? ' Nous en prîmes tous les deux dans la soirée en l'inhalant sur un mou- choir. Thomas en prit d'abord ; je restai auprès de lui : il parut s'assoupir profondément, laissant glisser le mouchoir ; lorsqu'il reprit connaissance, il était très-agité ; je fus obligé de le tenir sur le fauteuil. Revenu à lui, il parut enchanté des sensa- tions qu'il avait éprouvées, si enchanté qu'il ne trouvait pas d'expressions pour les définir. II me persuada d'en inhaler moi- même ; je lui dis que je le ferais s'il quittait la salle : j'en pris, et les effets furent presque les mêmes : ainsi signé : "William P. Leavitt." " Boston, le 25 mars 1847. "Je soussigné Thomas R. Spear, Junior, demeurant à Boston, dans l'État de Massachusetts, déclare que vers le 1" août 1846, à la demande du docteur Mortcn, j'inhalai une partie de l'éther sulfurique que William P. Leavitt avait apporté de chez Brew- ers, Stevens et compagnie, dans une fiole demi (John), dans le cabinet du docteur Morton. Les autres aides du cabinet crai- gnaient de le prendre ; mais ayant respiré moi-même ce que je pensais être la même chose, auparavant, à l'Académie de Lex- ington, je n'hésitai pas à le prendre lorsque je sus ce que c'était. "Environ huit jours après que l'éther avait été acheté chez Brewers, Stevens et compagnie, le docteur Morton attendait 2» OO quelques personnes dans son cabinet pour être témoins de l'ex- périence : il m'offrit de l'argent si je voulais venir et inhaler l'éther. J'allai chez moi ; je consultai mes parents, ils m'en- gagèrent à ne pas le faire. J'avais souvent entendu dire au doc- teur Morton que lorsqu'il aurait complété son invention pour l'extraction des dents sans douleur, il serait content. "Après que le docteur Hayden fut venu s'installer au cabinet, le docteur Morton sembla tout-à-fait absorbé par les travaux de sa découverte : il avait un grand nombre de bouteilles, un sac de gomme élastique, etc., etc. ; il s'en servait pour ses expériences dans la petite chambre attenant au cabinet ; souvent il s'y ren- fermait. "Le docteur Morton m'offrit cinq dollars si je pouvais lui amener à son cabinet quelqu'un qui consentît à se prêter à l'ex- périence, et à qui l'on enlèverait une dent pendant qu'il se trouverait sous l'influence du gaz : en conséquence, j'allai avec M. P. Leavitt, faire une tour sur les quais, cherchant quelqu'un pour cette expérience: nous ne trouvâmes personne qui fut dis- posé à la tenter. Signé: Thomas R. Spear, Junior. Nous appelons maintenant l'attention sur la déposition du docteur Grenville G. Hayden. M. Samuel Greely, et M. N. C. Be.tton, avocat, hommes dont l'opinion sera toujours du plus grands poids, dans des certificats écrits et en possession de l'au- teur du présent mémoire, affirment connaître le docteur Hayden depuis plusieurs années, et garantissent sa véracité. M. Benja- min Fisk, ancien président de la Banque Américaine, et MM. Gilbert Brownell et Jeffrey R. Brackett, tous deux marchands, résidant à Boston, et y jouissant de la plus haute considéra- tion comme hommes et comme négociants, dans un certificat publié dans la brochure du docteur Warren, affirment avoir connu le docteur Hayden depuis plusieurs années, et posséder une entière confiance dans sa véracité. Ils ajoutent qu'ils le considèrent comme un homme honnête et vrai. " Boston, 25 mars 1847. "Je soussigné Grenville G. Hayden, demeurant à Boston, dans le comté de Suffolk, État de Massachusetts, dentiste, dé- clare sous la foi du serment : " Que vers la fin de juin 1846, le docteur William T. G. Morton 23 est venu me voir dans mon cabinet, n. 23 Tremont Row ; il m'a dit qu'il désirait faire quelqu'arrangement avec moi pour que je le relevasse de tout soin, quant à la surveillance des personnes employées par lui à fabriquer des dents, et de toutes les autres affaires de son cabinet. Pour m'expliquer ce qui l'engageait à me déléguer aussi cette surintendance des affaires de son cabinet, il me dit avoir en tête une idée se rattachant à l'art du dentiste ; il pensait que ce serait une des plus grandes choses qui eussent jamais été connues : il désirait, dit-il, la perfectionner et consa- crer à son développement toute son attention et tout son temps. Il fut très pressant, et conformément à sa demande, je conclus avec lui, ce même jour, un engagement. . . Je lui demandai son secret. — 'Oh! me dit-il, vous le connaîtrez bientôt.' — J'in- sistai pour le savoir, et il finit par me dire danslasojrée (c'est-à- dire le soir du dernier jour de juin 1846) que c'était une dé- couverte qu'il avait faite et qui lui permettrait d'extraire les dents sans douleur. Je lui demandai si ce n'était pas ce qu'em- ployait le docteur Wells, son ancien associé. Il me répondit : non ; cela n'y ressemble pas du tout. C'est quelque chose que ni lui ni d'autres n'ont jamais employé.— Il me dit en avoir déjà fait l'essai sur un chien et il me décrivit ses effets sur lui-même. Ces effets (d'après la description qu'il m'en donna) sont exacte- ment semblables aux effets de l'éther sur les personnes qui se sont sumises à son influence, ainsi que l'ai observé moi-même. Tout ceci se passait en juin 1846. Il me pria de ne pas parler de ce qu'il m'avait dit. " Un mois après, le 1er août 1846, le docteur Morton me demanda où il pourrait se procurer de l'éther sulfurique pur ; et il me pria d'aller à la pharmacie de Joseph Burnett et d'y acheter une fiole d'éther de quatre onces : il désirait, me dit il, l'emporter avec lui, attendu qu'il se disposait à quitter la ville pour se rendre à West-Needham, où il résidait à cette époque. Vers le même temps, il m'expliqua la nature et les < effets de l'éther, et il me dit que s'il pouvait trouver un client dé- cidé à inhaler une certaine quantité de ce gaz, cela produirait l'absence du sentiment de la douleur dans l'extraction des dents (l'insensibilité) : il essaya de m'engager à en prendre. Le doc- teur Morton me dit en avoir respiré lui-même et que cela ne faisait pas de mal : au même moment il essaya d'amener trois jeunes gens qui travaillaient dans le cabinet (trois aides) à 24 prendre le gaz : on était alors au mois d'août 1846 ; il me parlait sans cesse de sa découverte. Depuis l'époque de mon engagement avec la docteur Morton, celui-ci me disait fréquem- ment qu'il avait perfectionné presque toutes les branches de l'art du dentiste, sauf l'extraction des dents sans douleur, et qu'il était décidé à atteindre ce résultat. Mais vers la fin de sep- tembre, il me laissa entendre que, sous quelques rapports, sa découverte n'opérait pas d'une manière très-parfaite, et en ma présence il consultait ses livres afin d'apprendre quelque chose de plus sur l'éther. "Là dessus, je conseillai au docteur Morton de consulter quelque chimiste. Il envoya Francis Whitman s'informer si le docteur Jackson était chez lui ; Francis revint dire que le docteur était absent. Toutefois, le lendemain, c'est-à-dire vers les derniers jours de septembre 1846, le docteur Morton dit que ce jour-là il, avait vu le docteur Jackson ; et il avait tiré de lui une indication qui lui permettrait de faire disparaître la seule difficulté restante. Le docteur Morton disait que dans sa conférence avec Jackson on avait parlé librement du gaz oxyde nitreux et du gaz d'éther et de l'air atmosphérique, comme exen.ant de l'influence sur l'imagination du patient ; et de diverses expériences faites avec ces gaz sur des élèves du collège de Cambridge : on avait également traité des expériences du doc- teur Wells et des siennes avec le gaz oxyde nitreux ; mais il n'avait pas dit au docteur Jackson qu'il eût fait précédemment des expériences sur le gaz d'ether. . . Le même jour le docteur Morton me dit qu'il venait de faire un nouvel essai de l'éther, conformément à la suggestion de Jackson ; il avait fait cet essai sur lui-même, et il était demeuré insensible sept ou huit minutes, montre en main. "La première expérience heureuse sur un patient eut lieu le 30 septembre 1846. Le patient avait inhalé de l'éther sulfurique sur une écoffe pliée en deux, et alors une dent lui avait été arrachée sans douleur. Nous fîmes ensuite diverses expériences de la même manière: toutes échouèrent complètement. Le doc- teur Morton me dit que le docteur Jackson lui avait recommandé un certain appareil qu'il lui avait prêté et qui était tiré de son laboratoire ; cet appareil se composait d'un tube de verre, d'égal volume dans toute son étendue, ayant un goulot et trois pieds de longueur. Même échec complet avec cet appareil ; toutes nos 25 expériences, sauf une seule exception, venant ainsi à manquer, nous pensâmes qu'il fallait chercher un autre appareil : c'est à ce moment que le docteur Morton se procura chez M. Wight- man, demeurant dans Cornhill Street, un tube de verre conique : en y insérant une éponge saturée d'éther, au plus grand bout, nous arrivâmes à de meilleurs résultats, et nos expériences com- mencèrent à prendre une tournure plus flatteuse. " Cependant nos résultats n'étaient pas uniformes, et ils étaient loin d'être parfaits. A cette époque, le docteur Morton pensa que notre insuccès pourrait bien tenir à ce que jusque-là, dans toutes nos expériences, le patient avait aspiré la vapeur expirée et ren- trée dans le tube, inhalant ainsi toujours le même gaz. Il ditqu'il faudrait faire passer l'air expiré dans l'atmosphère environnante; et il me pria de faire un modèle d'appareil au moyen duquel l'air passerait dans le vaisseau, se combinerait avec l'éther, et serait inhalé dans les poumons, tandis que l'air expiré serait rejeté dans l'appartement. Cette idée, ainsi qu'elle se présentait à lui et qu'il me la communiquait, fut élaborée d'une manière com- plète : elle répond minutieusement à l'appareil actuellement employé dans ce pays et en Europe, et pour lequel le docteur Morton a demandé un brevet. Je lui répondis qu'il avait exposé son idée avec tant de clarté qu'il n'aurait pas de peine à faire confectionner par un fabricant d'instruments de phisique, un appareil à inhaler, parfaitement approprié, sans avoir besoin de modèle ; et je lui recommandai M. Chamberlain, demeurant dans School Street; il s'adressa à lui, et ce fabricant lui fit le premier instrument à inhaler (inhaler), comme il le désirait. Avec cet appareil nous avons eu presque constamment du succès jusqu'à ce jour ; les résultats sont bien connus de tous. "Je déclare encore que dans la soirée du 30 septembre 1846, après la première expérience qui eût réussi, le docteur Morton parla d'aller à l'hôpital faire usage de l'éther, et faire connaître la nouvelle découverte. Après diverses autres expériences cou- ronnées de succès, s'offrit de nouveau la question de savoir de quelle manière il faudrait présenter la découverte au public : le docteur Morton dit que le docteur Jackson avait refusé d'en- courager la découverte ou d'aider à la mettre en avant, et qu'en conséquence il irait voir le docteur Warren, et ferait introduire la découverte dans l'hôpital général de Massachusetts. . . II sortit et rentra peu de temps après, déclarant que le docteur Warren 26 était convenu de lui offrir l'occasion d'employer la vapeur, aus- sitôt que la chose se pourrait faire dans l'hôpital. "Pendant plus d' un mois après notre première expérience, on savait parfaitement, et l'on disait souvent, dans le cabinet, que le docteur Jackson repoussait toute participation, tout titre ou intérêt dans la découverte : il ne s'est jamais trouvé dans le cabinet du docteur Morton pendant toutes nos expé- riences, à ce que je sache, jusqu'au 21 octobre ; et je n'ai jamais eu connaissance que le docteur Morton se fût consulté avec le docteur Jackson autant qu'elle fit avec beaucoup d'autres, ou autrement qu'une seule fois : signé, Grenvili.e G. Hayden." A l'uppui de ce qui a été dit de l'association du docteur Morton avec le docteur Hayden et de l'objet qu'il avait en vue en la formant, l'auteur de ce mémoire croit pouvoir produire une lettre de lui à M. Bowditch, l'un des administrateurs de l'hôpital, et une autre d'un de ses parents, M. Francis Dana, junior, M. D., les quelles sont extraites du rapport des administrateurs. "Court Street, n 30, 8 janvier 1848. "Mon cher Monsieur, — Le 30 juin 1846,1e docteur W. T. G. Morton vint dans mon cabinet, accompagné du docteur G. G. Hayden, à l'effet de passer un contrat par le quel M. G. G. Hayden s'engagerait à se charger pour un temps limité des affaires du docteur Morton, afin que celui-ci pût donner ses soins à autre chose. Le docteur Morton ne divulgua pas l'objet qu'il avait en vue ; mais, j'ai conservé l'impression, sans autre assistance que celle de ma mémoire, et je ne crois pas me tromper, qu'il dit qu'il s'agissait d'une chose d'une très grande importance, qui, si elle réussissait produirait une révolution dans la pratique de l'art du dentiste. Je me trouve confirmé dans cette impression par une lettre du docteur F. Dana, qui se trouve incluse ci-après. Il fut convenu que le contrat resterait entre mes mains, et je l'ai maintenant sous les yeux. Il est daté du 30 juin 1846, et devait prendre effet dès le lendemain. L'in- scription sur mes livres de la somme qui m'était due pour la rédaction du contrat est de la même date. " J'ai l'honneur d'être, &c. " Richard H. Dana, junior. "Nathaniel I. Bowditch." 27 (Billet enclos dans le précédent.) "À M. R. H. Dana, junior: "Mon cher Monsieur, — Pendant l'été de 1846, dans le cours d'une conversation sur l'art du dentiste, vous m'informâtes que le docteur Morton vous avait dit qu'il s'occupait de quelque chose de très important, et qui produirait une révolution dans l'art du dentiste. Cette conversation eut lieu pendant les grandes cha- leurs de l'été, longtems avant qu'il fût découvert que l'éther pouvait produire un état d'insensibilité pendant les opérations douloureuses ; c'est-à-dire, autant que je puis me le rappeler, deux ou trois mois avant que cette découverte devînt publique. " 10 janvier 1848. F. Dana, junior." Nous devons à MM. Brewers, Stevens, et Cushing, chez qui le docteur Morton acheta son éther en août, de dire, que ce sont des marchands en gros, vendant des articles de toutes qualités, et que l'acheteur ne fut peut être pas assez soigneux dans sa des- cription de celui qu'il désirait. Il faut également dire que l'éther hautement rectifié était alors très difficile à trouver. Le docteur Morton déclare que si cet éther avait été suffisam- ment rectifié et de la meilleure qualité, il aurait fait sa décou- verte en août avant d'aller voir le docteur Jackson. Comme preuve de la mauvaise qualité de cet éther, le docteur Morton produit les certificats suivants : — " Boston, 22 juin 1847. " Examen du liquide de M. Léonard. " C'est essentiellement un éther sulfurique impur. Il con- tient plus d'impuretés qu'il ne s'en trouve d'ordinaire dans les meilleurs ethers vendus par les droguistes. La proportion de l'alcool est très-considérable : le quart presque du liquide se compose de cette substance. Outre les autres impuretés de l'éther ordinaire, il contient surtout de l'acide sulfurique, ainsi qu'une trace d'essence ou huile de vin (oil of wine). " Signé Martin Gay. "P. S. Le renseignement général ci-dessus est donné sans connaître l'objet que l'on a en vue par cet examen." " Boston, 22 juin 1847. " À la requête de M. G. G. Hayden, je certifie par les pré- 2S sentes que le contenu d'une fiole (demi-john), qu'il m'a exhibée, est de l'éther sulfurique non rectifié (unrectified). " Signé JosErn Burnett." "Je certifie que l'éther (dont l'analyse est donnée plus haut), a été constamment chez moi depuis le mois d'août dernier, et que c'est bien celui qui fut apporté par W. P. Leavitt de chez Brewers, Stevens et compagnie, ainsi qu'il est dit dans son afii- davit. " Signé Grenville G. Hayden. " ISoston, 22 juin 1817." CHAPITRE IV. Entrevue avec le docteur Jackson. Lis points à établir, quant à cette entrevue, sont les suivants : L'intention, le but précis, qui porta le docteur Morton à s'adresser au docteur Jackson, et la nature exacte de la com- munication que ce dernier lui fit. Le docteur Morton, dans son mémoire à l'Académie Fran- çaise, après avoir décrit l'expérience qu'il fit avec l'éther sul- furique de MM. Brewers & Co., dit : — "Cette expérience avait eu lieu en août; comme il faisait chaud, et que j'étais un peu indisposé, j'allai à la campagne et j'abandonnai les expériences jusqu'à la mi-septembre. À l'automne, ma santé étant rétablie, j'eus le désir de reprendre mes expériences, et je dis au docteur Hayden que je craignais bien qu'à cause de la grande différence que existe dans la qua- lité des ethers, il ne fût très-difficile, dans une question si déli- cate, d'arriver à des résultats généralement utiles et sur lesquels on pût compter. " Pensant qu'un effet plus sûr pourrait être obtenu par l'inha- lation de l'éther au moyen de quelqu'appareil, j'allai voir à diverses reprises M. Wightman, fabricant d'instruments de phi- sique, afin de me procurer ou de faire faire un appareil. Pen- dant que j'étais en train d'examiner ses sacs (ou sachets) pour l'inhalation du gaz oxide nitreux, la pensée me vint que je pour- rais bien mettre l'éther dans un de ces sacs, et qu'en pratiquant 29 une ouverture qui serait fermée par une soupape, pour l'admis- sion de l'air atmosphérique, je pourrais en faire un appareil d'in- halation. En y pensant plus sérieusement, il me sembla que l'éther dissoudrait la gomme élastique ; j'en fis la question à M. Wightman, son avis fut pour l'affirmative ; je lui fis la même question relativement à la soie huilée : je n'en sais rien, me ré- pondit-il, mais je vous conseille de voir un chimiste nommé le docteur Jackson. J'achetai chez M. Wightman un tube de verre (glass tunnel,) un sac en gomme élastique, en revenant chez moi, et je rentrai dans mon cabinet; j'envoyai alors Leavitt chez le docteur Gay, chimiste, pour lui soumettre cette simple ques- tion : — "L'éther est-il de nature à dissoudre la gomme élas- tique ? " Le docteur Gay n'était pas chez lui ; en attendant, j'acquis la conviction que la bouteille et le verre n'étaient pas assez grands pour ce que je voulais faire ; et afin de ne pas faire de dépenses inutiles, je dis au docteur Hayden que j'em- prunterais un sac à gaz au laboratoire du docteur Jackson ; il me conseilla alors de demander au docteur Jackson quelques renseignements sur les diverses qualités et préparations de l'éther : les chimistes, me dit-il, sont familiarisés avec ces choses là. J'approuvai cette idée, mais j'avais une crainte, c'était que le docteur Jackson ne pût deviner ce sur quoi j'expéri- mentais, et ne prît l'avance sur moi. J'allai chez le docteur Jackson pour lui emprunter un sac à gaz ; je comptais aussi obtenir des informations plus précises, relativement aux diffé- rentes préparations de l'éther ; si toutefois je croyais pouvoir le faire sans mettre le docteur sur la voie des expériences que j'avais entreprises et m'en faire un concurrent. Je sais qu'en faisant cet aveu je m'expose à ce qu'on trouve que je n'étais pas animé de l'esprit le plus désintéressé d'enthousiasme philoso- phique, entièrement dégagé de toutes vues de droits ou bénéfices personnels ; mais il suffira de dire que j'avais présents à la pen- sée les sacrifices faits par moi et les risques que j'avais courus pour cet objet ; je croyais être à la veille d'atteindre mon but, et cependant un autre, avec de meilleures occasions d'expéri- mentation, profitant de mes idées et de mes travaux, pouvait cueillir le fruit que j'avais sous la main ! " M. Wightman, dont nous allons donner la déposition, est bien connu de touts les hommes scientifiques aux États-Unis. Il s'occupe beaucoup de sciences, il a écrit plusieurs excellents 3 30 articles pour les journaux scientifiques, et il a donné des cours dans un grand nombre de nos institutions. Son caractère comme homme de conscience et de véracité ajoute un grand prix à sa déposition. " Boston, 10 février 1H1S. " À M. N. I. Bowditch, "Mon cher Monsieur, — En réponse au billet que vous m'avez écrit hier et dans le quel vous me priez de vous dire tout ce que je sais des applications de l'éther, faites par le docteur Morton, je me trouve heureux de pouvoir mettre sous les yeux des administrateurs de l'hôpital la déclaration suivante, dont ils peuvent faire tel usage que bon leur semblera. " Ma liaison avec le docteur Morton a commencé pendant l'été de 1846, époque à la quelle il vint me demander des infor- mations sur la manière d'augmenter la solidité des dents artifi- cielles à l'aide de la pression atmosphérique. Peu de tems après, il revint chez moi, et sur ma demande, il m'annonça avoir aban- donné ses vues sur la théorie de la pression de l'atmosphère, dont il avait reconnu la fausseté. 11 s'occupait alors, me dit-il, de quelque chose de beaucoup plus important pour sa profession. Il me pria de lui montrer quelques sacs d'étoffe de gomme élastique, destinés à contenir des gaz, et me demanda s'ils pour- raient servir à renfermer de l'éther sulfurique. Je lui répondis que l'on se servait de l'éther pour ramollir la gomme élastique et qu'il pourrait la dissoudre de manière à faire fuir le sac. Il me demanda ensuite si un sac de taffetas ciré pourrait servir à cet usage ? Je lui repondis que la soie était recouverte d'une pré- paration d'huile de lin, sur la quelle l'éther réagirait certaine- ment; mais comme je ne pouvais lui donner aucun renseignement positif à cet égard, je l'engageai à aller voir le docteur Charles T. Jackson, qui était compétent dans ces sortes de choses et pourrait lui donner les renseignements qu'il désirait. Il me dit alors que le docteur Jackson était un de ses amis, qu'il avait vécu dans sa famille, qu'il avait étudié sous lui, qu'il n'avait pas pensé à lui jusqu'à présent, mais qu'il allait se rendre chez lui. " Quelques jours après cette entrevue, le docteur Morton re- vint chez moi me demander quelques appareils chimiques en verre, mais il parut vouloir me cacher le motif qui les lui faisait désirer ; cependant dans le cours de la conversation, je n'eus aucun doute qu'il eût l'intention de faire des expériences sur 31 l'éther. Les articles qu'il prit chez moi ne répondant pas à ce qu'il en voulait faire, il revint dans mon magasin plusieurs fois pendant la semaine, et après avoir essayé plusieurs instruments, il m'avoua que ce qu'il lui fallait, c'était quelque chose qui pût servir ;i l'aspiration de l'éther, à l'effet de produire un état d'insen- sibilité à la douleur, pendant la durée de ses opérations comme dentiste. Je lui demandai si cette aspiration ne pourrait pas compromettre les poumons ? Il me répondit l'avoir essayée sur lui-même sans en avoir éprouvé le moindre inconvénient, et que le docteur Jackson assurait qu'il n'y avait pas le moindre danger à s'en servir. "Après avoir parlé de différentes formes à donner à un aspi- rateur, nous nous arrêtâmes à un globe tubulé destiné à recevoir une éponge qui serait entretenue dans un état de saturation avec de l'éther, et dont l'ouverture, qui sert d'entrée à la cornue, se- rait appliquée contre la bouche, l'air étant admis dans le globe par la tubulure qui, dans les cas ordinaires, se trouve fermée d'un bou- chon. Je lui conseillai de se servir de cet appareil, et s'il réus- sissait, de faire faire un vase convenable. Il me quitta là-dessus et je ne le revis plus jusqu'au jour où il revint chez moi, dans l'a- près midi, me prier de lui arranger un appareil à l'aide du quel il pût administrer de l'éther le lendemain à un patient de l'hôpital, attendu que le docteur Warren avait consenti à s'en servir pour l'opération. Il me parut très aniné, et malgré des engagements antérieurs, je consentis, vu l'urgence des circonstances, à lui préparer un appareil temporaire qui pût servir pour l'occasion. Cet appareil consistait en un globe tubulé de la contenance d'un litre, fermé d'un bouchon de liège, au lieu d'un bouchon de crystal, traversé d'un petit tube destiné à servir à alimenter l'éther à mesure de son évaporation dans le globe. Je fis alors plu- sieurs coupures au bouchon afin de permettre à l'air d'entrer et de se mêler, dans le globe, aux vapeurs de l'éther ; ce fut dans cet état que je le remis au docteur Morton. " Depuis cette époque je n'ai eu qu'une entrevue avec le doc- teur Morton et je suis fâché de ne pouvoir préciser les dates de ces diverses transactions ; mais, vu le nombre et la variété des articles qui lui ont été fournis, et qu'il m'a rendus, et le peu de valeur de ceux qu'il a conservés, je n'en ai pas tenu compte sur mes livres. C'est donc à d'autres circonstances qu'il me faut recourir à l'effet de fixer l'époque où ces faits ont eu lieu ; j'en 32 trouve une qui ne laisse aucun doute, c'est que je revins de la compagne à Boston, avec ma famille, le J8 septembre Ï84C> ; ce fait ressort d'une entrée sur mes livres, faite à cette époque. Je rencontrai le docteur Morton dans les wagons et le souvenir de la conversation qui eut lieu entre nous à cette époque, me donne la conviction que notre discussion sur les effets de l'éther sulfu- rique sur les sacs à gaz, eut lieu avant mon retour de la cam- pagne. Ce fut pendant l'hiver de 1846 à 1847 que mon atten- tion fut appelée sur la date et les circonstances de cette entrevue, et j'ai la certitude de ne pas me tromper à cet égard. " Lorsque l'article signé ' E. \\V, où il était fait allusion à mon nom, parut dans le Daily .lilccrliser du 5 mars 1847, le docteur Jackson et M. Peabody vinrent me voir pour s'informer du dé^ré de certitude que j'avais à l'égard des dates de mes entrevues avec le docteur Morton. .le leur expliquai les faits à cette époque, et quoique nous différassions d'opinion quant à la date de la première démarche du docteur Morton, je suis heureux de pourvoir dire que depuis lors, le docteur Jackson a reconnu que mon opinion, quant aux dates de ces diverses transactions était parfaitement correcte, ajoutant que quant à lui, il pouvait justifier de l'anté- riorité de sa découverte et en faire remontrer l'époque jusqu'en 1842. J'ai l'honneur d'être, etc. "Joseph M. Wightman." L'auteur de ce mémoire a vu lui-même l'entrée sur les livres de M. Wightman, et il la trouve faite au temps fixé et suivie de plusieurs autres du 29 et 30 septembre. M. Wightman lui a confirmé, ainsi qu'aux administrateurs de l'hôpital, les circon- stances de la conversation qui eut lieu dans les wagons. Il s'ac- corde à dire, avec les administrateurs, qu'elles sont de nature à ne pas permettre l'apparence même d'un doute. M. Wightman préfère, comme chose de convenance, ne pas publier ces détails, à moins que son témoignage ne soit révoqué en doute, ce que M. Jackson ne semble pas disposé à faire quant à présent. Ce témoignage de M. Wightman vient à l'appui du dire du doc- teur Morton sur un point très important. Il prouve que c'est après l'avis de M. Wightman que le docteur Morton s'est décidé à pas- ser chez le docteur Jackson, et qu'avant de se rendu chez ce der- nier il s'était procuré un instrument pour l'aspiration de l'éther 33 et qu'il avait parlé de l'objet de ses recherches, à cette époque, comme d'une chose très importatante dans sa profession. Il est bon de faire remarquer ici que le docteur Jackson et M. Peabody, son élève et son principal agent dans cette difficul- té, attachaient une haute importance à la déclaration de M. Wightman fixant au 28 septembre, la date de sa conversation avec le docteur Morton, et qu'ils firent, comme il nous l'a dit lui- même, tous leurs efforts pour lui prouver qu'il se trompait ; et que ce n'est, comme les administrateurs le font observer dans leur rapport, qu'après l'apparition d'autres témoignages d'une semblable nature, qu'il prit le parti de se rebattre sur sa décou- verte de 1842 et d'admettre que la déposition de M. Wightman pouvait en effet se trouver basée sur des faits vrais et positifs. Nous nous écarterons ici un moment du cours régulier des événements, pour dire que le docteur Jackson ignorait l'exist- ence des dépositions précédentes quand il rendit publique sa pré- tention exclusive au mérite de la découverte. Ces dépositions ne furent obtenues qu'après l'apparition de ces prétentions, qui fut publiée en Europe, d'abord en décembre 1846, puis connue en Amérique en février 1847. Le docteur Morton, alors, pour sa propre défense, rassembla des preuves qui ne consistèrent d'abord que dans les déclarations faites sous serment par les jeunes gens de son cabinet. Puis vint la brochure authentique du docteur Jackson. Quand cette brochure eut paru, se présentèrent l'impor- tant témoignage de M. Eddy, que nous citerons plus tard, ceux de M. Dana, du docteur F. Dana, et de M. Metcalf. Nous ne pou- vons nous empêcher de penser que si le docteur Jackson eût su qu'il existât des faits tels que ceux que l'instruction a divulgués, il aurait mieux apprécié les droits du docteur Morton et n'aurait point adopté la marche qu'il a suivie depuis. Nous avons maintenant poussé les preuves et l'état des faits jusqu'à l'époque de l'entrevue que le docteur Morton a eue avec le docteur Jackson. Le docteur Jackson, dans sa brochure, prétend que c'est à cette entrevue qu'il fit part de sa découverte au docteur Morton et qu'il le chargea, comme son agent, de faire les expé- riences d'essai. Le docteur Morton, de son côté, nie que le doc- teur Jackson lui ait rien divulgué qui ne se trouvât déjà imprimé et connu de tous les chimistes distingués. Une question se présente ici naturellement : — De quelle dé- couverte le docteur Jackson a-t-il fait part au docteur Morton ? 3* 34 Le docteur Jackson admet qu'il ne s'est livré à aucune expéri- ence à l'effet de décider la question en litige. Il n'avait à com- muniquer tout au plus qu'une idée, une impression. C'est ainsi du moins que le docteur Gay s'exprime dans sa brochure. " Le docteur Jackson mit en avant une de ses plus chères idées qu'il avait déjà communiquée à plusieurs autres personnes, son système pour la suppression de la douleur pendant les opérations chirur- gicales." Mais admettant que le docteur Jackson eût une idée, quel dé- gré de certitude, quelle connaisance possédait-il, même à cet égard ? Sous ce rapport nous avons heureusement une lettre du docteur Jackson au docteur Gay, dans la quelle, il est naturel de suppo- ser, que ses prétentions se trouveront dévelopées dans toute leur énergie ; la voici : — " Boston, 1 mai HI7 " Mon cher Monsieur, — l'n réponse à votre requête, je vous présente le résultat des observations et des expériences que j'ai faites, il y a déjà plusieurs années, sur l'aspiration des vapeurs de l'éther sulfurique. Je savais par l'expérience des autres et par mes propres essais, l'espèce d'énervement que produit l'aspi- ration de ces vapeurs. On ne savait cependant pas à cette époque que cet agent pût produire un état d'insensibilité de courte durée et privée de tout danger. J'humectai un linge et je me l'appliquai sur la bouche et sur les narines, puis je m'éten- dis dans un fauteuil et j'aspirai la vapeur, prenant note de ses effets sur le système. La première impression que je reçus fut celle du froid ; j'éprouvai ensuite une sensation de chaleur et de gaieté accompagnée d'un effet singulier de tension à la poitrine. Je perdis bientôt connaissance, mais mon évanouissement ne fut pas de longue durée, et en peu d'instants je fus entièremeut re- mis des effets que l'éther avait produits en moi. "J'ai souvent aspiré les vapeurs d'éther sulfurique pour dé- truire l'irritation causée par l'introduction dans les poumons de gaz dangereux. Pendant l'hiver de 1841 à 1842 et peu temps après l'essai mentioné plus haut, je préparais du chlore destiné à des expériences qui devaient être faites devant la Société de Charité des Artisans de l'État de Massachusetts, et alors que j'étais occupé à rassembler le chlore dans de grandes bouteilles de verre remplies d'eau bouillante, dont le gouleau était immersé 35 dans le récipient d'une machine pneumatique, mon aide, qui te- nait une de ces bouteilles à la main, la laissa tomber par acci- dent, et elle vint se casser près de moi. Je respirai immédiate- ment une grande quantité de ce gaz, qui faillit m'asphyxier et ce ne fut qu'avec beaucoup de difficulté que je pus regagner mon appartement. Aussitôt que je pus me procurer du secours, j'en- voyai chercher de l'éther sulfurique et de l'ammoniaque, et j'en aspirai alternativement, espérant ainsi neutraliser le chlore par l'hydrogène de l'éther, et l'acide ainsi formé, par l'ammoniaque. Je me sentis soulagé pour le moment, mais je me trouvai si acca- blé que je craignis de ne pouvoir prononcer mon discours. Je le fis cependant sans trop de difficulté. Plus tard, souffrant tou- jours des effets du chlore, je résolus de tenter de nouveau l'influ- ence de l'éther et d'en aspirer une plus grande quantité que la première fois. Je fus donc dans mon laboratoire qui communique avec mes appartements et y prenant une bouteille d'éther sulfu- rique pur, je trempai un linge dans le liquide, je le pressai lé- gèrement, et m'étendant dans un fauteuil, les pieds appuyés sur une chaise, je me mis à aspirer l'éther dont le linge était imbibé, après m'être appliqué ce linge sur la bouche et sur les narines, la tête penchée en arrière sur le dos du fauteuil, parfaitement à l'aise et dans une position solide. Les effets de l'aspiration furent semblables à ceux que j'ai déjà décrits, avec cette excep- tion que je toussai d'abord un peu. Je fus donc fondé à croire que la paralysie des nerfs serait telle, qu'une opération chirurgi- cale pourrait être pratiquée sur un malade placé sous l'influence de l'éther, sans qu'aucune douleur se fît actuellement sentir ; car l'absence de sensibilité fut complète, et ressemblait plutôt à celle qui résulte de l'état d'épilepsie, qu'à toute autre. J'enten- dis parler plus tard d'effets semblables d'insensibilité obtenus ac- cidentellement, et j'acquis ainsi la conviction que l'aspiration de l'éther ne présentai aucun danger réel ; mes premières expéri- ences m'avaient d'ailleurs déjà donné cette opinion. Je me trou- vai donc disposé à recommander l'emploi de l'éther dans les opé- rations chirurgicales, à l'effet de prévenir toute sensation de dou- leur. Vous avez connu l'histoire de ce qui eut lieu plus tard quant à l'application de cet ingrédient, par le témoignage d'autres personnes. Je dois ajouter que les expériences de Sir H. Davy furent la première cause de l'intérêt que je pris plus tard dans l'aspiration des substances gazeuses et que depuis que j'en ai eu 36 connassince, ce sujet m'a toujours semblé mériter une plus am- ple investigation. Je suis, etc., Charles T. Jackson." Nous ne sommes pas surpris que les administrateurs de l'hôpital aient conclu, de ce document, que : "Le docteur Jackson n'a rien trouvé, quant à l'aspiration de l'éther qui n'eût été imprimé en Angleterre plusieurs années avant sa prétendue découverte." Il est vraiment étonnant qu'avec des matériaux de si peu de valeur, le docteur J icks< n ait osé se représenter comme ayant pu communiquer au docteur Morton quelque chose de nouveau et d'important lors de la visite de ce dernier, ou à quelque autre époque que ce soit. En 1842 il avait respiré de l'éther, et avait éprouvé, comme le dit le docteur Gay (page 7), "une sorte de sommeil ou d'insensi- bilité," effet que mille autres avaient obtenu auparavant, qui se retrouve dans l'opium, qui se reconnaît dans l'ivresse et dans le phénomène plus ordinaire du sommeil, découvert avant le siècle de Sancho Pansa. Il n'essaya pas de s'assurer s'il en résultait une insensibilité à la douleur, et nous ne pouvons réellement croire qu'une pareille idée lui soit jamais venue à l'esprit ; car s'il l'eût eue, il en aurait certainement tenté l'expérience ; le fait en valait bien la peine. Plus tard il a respiré de l'éther comme un antidote contre le chlore, et en effet ce remède fait partie des ordonnances admises en médecine. (Voir la Matière Médicale de Pereira, et la lettre de M. Hodge, ante, page 7.) C'est en ceci que consistent les expériences et les observa- tions que le docteur Jackson pouvait communiquer au docteur Morton en septembre 1846. La déclaration de M. W. F. Channing ne porte que sur l'an- tidote contre le chlore ; il ajoute cependant que lorsqu'il était, comme élève, sous la direction du docteur Jackson, dans l'inter- valle de 1842 à 1844, il a entendu plusieurs fois le docteur Jack- son parler de l'aspiration de l'éther sulfurique comme d'un moyen de produire un état d'insensibilité pendant les opérations chirur- gicales ; M. Channing ne dit pas dans quels termes le docteur Jackson parla de cet agent. Il est hors de doute, qu'il commu- niquait à ses élèves ce que l'on savait alors sur cette matière; au delà il n'a rien essayé, il ne connaissait rien. Nous devons, 'par 37 égard pour lui et par un sentiment de charité chrétienne, suppo- ser que s'il avait eu une confiance quelconque dans les effets découverts depuis, il en aurait, au moins une fois, tenté l'expé- rience. La déclaration de M. Peabody tend à prouver ce seul point : qu'en février 1846, le docteur Jackson l'engagea à respirer de l'éther, lorsqu'il se fit arracher une dent. M. Peabody lui de- manda alors ce qu'il savait des propriétés de l'éther, et le doc- teur Jackson lui raconta les deux expériences aux quelles il s'é- tait livré quelques années auparavant et aux quelles il fait allu- sion dans sa lettre ; il est évident que ceci ne satisfit pas M. Peabody ; car après avoir examiné les autorités il se refusa à en faire l'essai. Cette intimation du docteur Jackson, quant à l'effet des propriétés stupéfiantes de l'éther, ne fut évidemment qu'une de ces suggestions ordinaires, telles qu'on en peut faire à une personne qui va se soumettre à l'opération douloureuse de l'extraction d'une dent, mais sans l'insistance nécessaire pour la faire adopter et en obtenir des résultats utiles. Le seul témoin que le docteur Jackson produise en dehors de ceux-ci est le docteur S. A. Bemis, dont voici la déclaration : "En septembre 1846, pendant une conversation que j'eus avec le docteur Jackson, à l'époque et au lieu ci-dessus mentioné, en présence de plusieurs autres personnes, et entr'autres de M. W. F. Channing, de Boston, alors aide du docteur Jackson, il fut fait plusieurs remarques à l'égard de la profession que j'exerce ; et le docteur Jackson parla des souffrances physiques et des opérations douloureuses comme d'un sujet qui ressortait de la pratique ordinaire. Le docteur Jackson dit alors qu'il désirait pouvoir diminuer ou anéantir toute sensation douloureuse pen- dant la durée des opérations de chirurgie, et il avança que l'on parviendrait à ce résultat par l'adoption d'un système nouveau d'opérations dans les circonstances de cette nature. Après avoir fait quelques remarques sur l'importance de l'introduction de quelque nouveau mode de traitement, ou sur l'emploi de quelque nouvel agent capable de prévenir tout sentiment de douleur, le docteur Jackson ajouta que, si je le désirais, il me donnerait ou me mettrait à même de me procurer, quelque chose qu'il savait devoir produire l'effet désiré ; et il m'engagea également à in- troduire le même objet dans ma pratique." En se reportant aux expressions que nous avons marquées en 33 italiques, le lecteur se convaincra du peu d'importance de ce témoignage ; on ne voit nullement si ce nouvel agent doit s'em- ployer, soit en plombant une dent, soit en détruissant le nerf ou de toute autre manière. Le docteur Jackson ne s'explique pas non plus sur l'identité de cet agent, ni sur la nature de ce traite- ment nouveau. Le docteur Bemis dit adjourd'hui qu'il ne doute nullement qu'il ne s'agît alors de la nouvelle découverte de Péthérisation ; mais ceci, après tout, n'est qu'une conjecture. Nous ne pensons pas, quant à nous, qu'il s'agît de l'aspiration. Après cette conversation avec le docteur Bemis, le docteur Jackson envoya au docteur Morton et à deux autres dentistes de cette ville de l'éther chloique préparé avec soin, leur recom- mendant de s'en servir pour tuer le nerf des dents à plomber, en remplissant la cavité de la dent de cette substance en rem- placement de l'arsenic. Xous déclarons (pic nous sommes enclins a croire que tel était le traitement auquel le docteur Jackson avait fait allusion lorsqu'il parla de diminuer la souffrance pen- dant les opérations du dentiste. Quoi qu'il en soit, le docteur Bemis, qui est un homme entreprenant, ne se trouva pas assez convaincu, après cette conversation, pour tenter d'introduire ce nouveau système dans sa pratique. Le docteur Morton, dans son mémoire, fait la déclaration sui- vante, que, suivant lui, le docteur Jackson ne tentera pas de contester. " En 18 * *>----ct----(deux dames de la famille du docteur Jackson) étaient sous ma direction pour les soins à donner à leurs dents, et il devint nécessaire que chacune (.'elles s'en fit arracher plusieurs ; c'était une opération d( uloureuse, et ces dames manifestaient une répugnance prononcée. La dernière de ces dames, surtout, avant l'extraction de chaque dent, restait plusieurs heures sur la chaise de douleur, avant de se sentir le courage de se soumettre à l'opération, me priant de la magnéti- ser ou de lui donner quelque chose que la rendît insensible à la souffrance. Le docteur Jackson était présent, et fit tous ses efforts pour relever le courage de la dame en question, mais il ne proposa jamais un seul moyen de produire l'insensibilité de- mandée. Il faut remarquer que nous parlons ici de personnes dont les souffrances devaient exciter vivement la sympathie du docteur Jackson, et que ceci se passait alors qu'il avait deux fois aspiré 39 de l'éther, seules circonstances sur les quelles il fonde aujour- d'hui ses droits de priorité à la découverte de ses propriétés stu- péfiantes. Le docteur Jackson produit les dépositions de deux de ses élèves qui se trouvaient dans son laboratoire à l'époque de son entrevue avec le docteur Morton ; ce sont MM. George O. Barncs et James Maclntire. Il ne faut pas oublier que le docteur Jackson admet qu'il était connu que l'éther pouvait produire un état d'insensibilité. Le docteur Warren déclare " que l'insensibilité et l'exhiléralion sont des effets connus de l'aspiration de l'éther, compris depuis bien des années, non seulement par les hommes de science, mais même parmi les étudiants dans les collèges," etc. Et le docteur Brewster, le célèbre dentiste Américain à Paris, dans une lettre au docteur Morton, où il lui parle des prétentions du docteur Jackson à avoir communiqué à lui, le docteur Morton, que l'éther devait produire l'insensibilité, s'écrie, "Vraiment il ne fallait être ni médecin ni chimiste pour vous dire cela, car il y a à peine une école ou une réunion de personnes jeunes dans notre pays où les garçons et les jeunes filles n'aient aspiré de l'éther pour se rendre plus gais, et dans un grand nombre de cas le résultat de leurs jeux a été de produire un état complet d'insensibilité." Insensibilité est un mot susceptible de vaste interprétation. La question est de savoir si le docteur Jackson savait que l'éther produirait cet effet merveilleux qui seul mérite le nom de dé- couverte, et s'il a communiqué cette connaissance ou cette croyance au docteur Morton. Mr. Maclntire répète ainsi les paroles du docteur Jackson : " Comme il (le docteur Morton) s'en allait, le docteur Jackson lui dit qu'il voulait lui dire quelque chose qui le mettrait à même de produire l'insensibilité chez ses patients, de manière à lui permettre d'opérer sur eux suivant son bon plaisir." Ceci con- stitue toute la confidence faite par le docteur Jackson ; elle a été faite ouvertement, en présence de ses élèves, et au milieu de ses occupations ordinaires non interrompues. M. Maclntire repré- sente le docteur Morton comme étant venu s'informer des pro- priétés de l'éther, et comme un homme parfaitement ignorant de la nature de cet agent ; mais ici, comme il résulte de toutes les dépositions, il se trompe, et cette erreur provient, sans aucune 40 doute, de ce que le docteur Morton eut grand soin de cacher l'étendue de ses expériences et la nature de ses projets. L'autre témoin, M. Barnes, représente le docteur Jackson comme ayant dit "que l'on pouvait produire un état parfait d'in- sensibilité." Le sens des paroles du docteur Jackson est cepen- dant très clair, car, d'après la déposition de M. Barncs, le doc- teur Jackson répondit au docteur Morton qui lui demandait quelque ne uveau renseignement, " par la description de ses propres expériences et de leurs résultats. Ces effets consistaient simplement, ce sont ses propres paroles, "Dans une singulière espèce de sommeil ou d'absence de connaissance ; " et il a solemnellement déclaré sous serment, dans sa demande de brevet, (]ue l'on ignorait jusqu'alors que l'aspiration de l'éther " pût rendre une personne incapable, complètement ou non, de ressen- tir les atteintes de la douleur sous l'influence du scalpel ou de tout autre instrument capable de produire le même effet." Et, dans sa brochure il ajoute, " qu'il restait à prouver que cette insen- sibilité fût assez complète pour qu'un instrument tranchant pût opérer sans douleur pendant le tems de sa durée." M. Barnes déclare aussi que le docteur Jackson a fait usage de la phrase suivante: "Le patient se renversera dans son fauteuil dans un état d'insensibilité parfaite, vous pourrez en user avec lui comme bon vous semblera, sans qu'il se doute de rien ou ressente aucune douleur ; vous pourrez ainsi lui arra- cher une dent sous votre bon plaisir." Cette manière de s'exprimer est certainement plus précise que celle de M. Maclntire. Si le lecteur la trouve plus forte que celle dont le docteur Jackson lui-même s'est servi dans sa déposition, faite sous la foi du serment, et dans sa brochure, c'est une question à décider entre le docteur Jackson et son témoin. Il est impossi- ble, dans une affaire de cette nature, d'espérer un souvenir par- fait quant au choix des expressions employées par les parties. M. Barnes déclare que lors de la conversation il s'occupait d'une analyse ; qu'elle eut lieu d'une chambre à l'autre, et qu'il ne l'entendit pas toute entière. Il se passa près de huit mois avant qu'il donnât son témoignage, et pendant cet intervalle, cette difficulté était devenue l'objet d'une controverse animée et de disputes fréquentes. M. Barnes était forte attaché à la cause du docteur Jackson ; l'esprit de corps s'était maintenu dans son laboratoire, et M. Barnes avait tout naturellement épousé avec 41 chaleur la querelle et les vues de son maître, né dans la même ville que lui. Les remarques du professeur Greenleaf, dans son traité sur le témoignage, méritent d'être prises en considération dans les cir- constances présentes. " Les preuves résultant de déclarations orales sont souvent d'une nature fallacieuse, et leur importance se trouve par con- séquent de beaucoup diminuée, par la probabilité que la déclara- tiona été imparfaitement recueillie ou mal comprise, et qu'elle n'a laissé dans la mémoire que des souvenirs incomplets et souvent pervertis. Il arrive souvent, aussi, que le témoin, en altérant, sans mauvaise intention, quelques unes des expressions em- ployées par l'une des parties, donne un sens à sa déclaration entièrement différent de ce qui a été réellement dit par elles." La vérité est, que le docteur Jackson fit part au docteur Morton de ce que tout le monde savait des effets de l'éther, et en les lui décrivant, il se servit des expressions suivantes : Stu- péfaction, perte de connaissance, sommeil d'une espèce particulière, insensibilité, ou quelque chose de semblable; la quelle ou les quelles de ces expressions furent employées est chose impossible à dire, et ne présente d'ailleurs aucune importance réelle dans l'espèce. Si le lecteur veut prendre la peine de comparer ce que dit le docteur Morton de cette entrevue, dans son mémoire, avec la déclaration de M. Maclntire, il verra que la différence entr'eux est bien légère. Tous d'eux déclarent que le docteur Jackson entama la conversation en demandant au docteur Morton ce qu'il allait faire de son sac ? que le docteur Morton lui répondit de manière à lui laisser l'impression qu'il ne voulait se servir que d'air atmosphérique ; que la conversation se tourna alors vers l'expérience de M. Wells, puis enfin sur l'éther sulfurique. M. Maclntire croit que ce fut le docteur Jackson qui, le pre- mier, mit en avant l'éther, mais le docteur Morton prétend qu'il amena le docteur Jackson sur ce terrain, à l'effet de s'assurer s'il ne pourrait lui rien apprendre de nouveau. La déclaration de M. Eddy est conclusive sur ce point. M. Eddy est un ancien habitant de Boston, et il y est bien connu ; il occupe dans la société un rang élevé et honorable, et il a occupé plusieurs places de confiance. Il a été très lié avec le docteur Jackson, et celui-ci serait la dernière personne à mettre en doute sa véracité. 4 42 "Boston, 1~< mai 1847. " À MM. Caleb Eddy et R. H. Eddy. " Messieurs, les soussignés ayant appris que vous êtes en possession de détails importants sur la découverte de la nouvelle propriété de l'éther sulfurique et de son histoire subséquente, désirent qu'à vos prochains loisirs vous leur fournissiez des ex- plications sur la matière, de nature à jeter du jour sur une ques- tion si importante. Ils vous seront obligés de dire comment les noms du docteur Charles T. Jackson et du docteur W. T. G. Morton ont été associés dans le brevet, en énonçant la part de chacun (suivant votre opinion) dans la découverte, et tous les autres faits que vous voudrez bien communiquer, tendant au même but. " Ainsi signé : Geo. IIayward, S. D. Townsend, Samuel Parkman, chirurgiens de l'hôpital général de Massachu- setts." " Boston, 24 May 1847. " Aux docteurs George Hayward, S. D. Townsend, Samuel Parkman, Henry J. Bigelow, chirurgiens de l'hôpital général de Massachusetts. " Messieurs, vos honorées lettres du 18 et 20 mai adressées à moi et à M. R. H. Eddy nous sont parvenues. Présumant que toute réponse émanée de moi sera rendue publique, je ferai remarquer que, sans la circonstance qu'il ne paraît pas au- jourd'hui possible que la controverse engagée entre les docteurs W. T. G. Morton et C. T. Jackson soit arrangée par un arbi- trage mutuel, à cause du refus de ce dernier d'en saisir des arbi- tres, je ne me sentirais pas disposé à faire le récit de ce qui est à ma connaissance au sujet de cette découverte. Je ne voudrais pas dépouiller le docteur Jackson d'un honneur auquel il pourrait avoir des droits acquis : et je n'ai autre chose en vue que le désir de voir celui à qui le monde doit en réalité cette décou- verte, recevoir la récompense à la quelle il a de justes titres. "Dans la soirée du vendredi 23 octobre 1846, le docteur Charles T. Jackson vint me voir. Je lui demandai alors des détails sur la nouvelle découverte qui avait pour but d'empêcher la douleur dans les opérations chirurgicales. Il me dit que le docteur W. T. G. Morton était venu vers la fin du mois dernier lui demander à emprunter un sac à gaz (gas bag) : 43 il devait, disait-il (lui, le docteur Morton), s'en servir pour ad- ministrer l'air atmosphérique, ou autre chose, à une dame, afin de calmer ses craintes et de pouvoir lui enlever une dent. Le docteur Jackson dit au docteur Morton, que ses instruments étaient dans son atelier, et qu'il ne serait pas facile de se les procurer. Le docteur Morton lui dit alors : ' Je veux faire de l'effet sur l'imagination de cette personne, à peu près comme on raconte que l'on agit à l'égard d'un criminel con- damné à la peine de mort. On faisait couler de l'eau chaude sur une partie de son corps, blessée or lacérée, pendant que ses yeux étaient bandés.' Le docteur Jackson dit au docteur Mor- ton : ' Cette épreuve échouera, et vous vous rendrez ridicule : vous feriez bien mieux de faire aspirer à cette dame un peu d'éther (si vous pouvez la décider à l'inhaler) ; avec cela vous l'endormirez, alors vous pourrez extraire sa dent: elle ne pourra pas se défendre, elle ne vous empêchera d'agir par aucune ré- sistance.' Le docteur Morton lui fit alors des questions sur le danger et le mode d'emploi de l'éther. Le docteur Jackson lui dit : vous pourriez saturer d'éther une éponge ou du drap et la lui appliquer sur bouche ou au nez. Lorsque le docteur Jack- son m'eut raconté cela, je lui dis : docteur Jackson, saviez- vous à cette époque qu'après qu'une personne avait inhalé de l'éther, et qu'elle était endormie, on pouvait entamer sa chair avec un couteau sans qu'elle ressentît aucune douleur. Il me ré- pondit : non ; Morton non plus. C'est un étourdi de faire ce qu'il fait ; il pourrait bien arriver qu'il tuât quelqu'un. —Voilà tous ou presque tous les détails importants qui me reviennent à la mémoire, au sujet de cette découvrte, antérieurement à la de- mande be brevet dans laquelle furent associés les noms des doc- teurs Morton and Jackson. Je suis respectueusement votre obéissant serviteur. Signé, Caleb Eddy." En tant que la décision de cette question peut être affectée par des preuves extérieures, elle se présente entourée de bien peu de difficultés ; mais lorqu'on nous demande de former notre opinion sur celle d'un autre, sur ce qu'il sait, et sur ce qu'il ne sait pas, le tout dépourvu de preuves, reposant sur des faits ou des témoignages en rapport avec ces opinions, nous nous trou- vons fort embarrassés. Un homme peut se tromper de bonne foi (et les administrateurs de l'hôpital pensent que le docteur ■14 Jackson est dans ce cas) sur la nature de ses connaissances à une certaine époque donnée. Il existe une très grande différence entre certains individus quant à l'opinion qu'ils peuvent avoir de la portée de leurs connaissances et de leurs idées ; et cette difierence dépend de leur organisation, tant sous le rapport moral que sous le rapport intellectuel et même purement phi- sique. CHAPITRE V. Histoire de la Découverte après l'Entrevue du docteur Morton avec le docteur Jackson. Le docteur Jackson laissa le docteur Morton libre de faire son expérience ou non, comme et quand bon lui semblerait, et ne s'informa nullement des résultats obtenus. Le docteur Morton s'enferma chez lui et se mit à respirer de l'éther. Les détails de ce qu'il éprouva se trouvent racontés dans son mémoire. Le soir il recommença l'expérience sur un de ses patients et lui arracha une dent avec un succès complet. "Boston, 30 Septembre 1H46. "Le présent est à cette fin de certifier que je me suis adressé au docteur Morton, ce soir à neuf heures, souffrant du plus vio- lent mal de dents. Le docteur Morton a pris son mouchoir de poche, il l'a saturé d'une préparation à lui ; je l'ai aspiré pen- dant environ une demi-minute, et je me suis endormi. Un in- stant après je me suis réveillé, et j'ai vu ma dent par terre sur le parquet. Je n'ai pas éprouvé la moindre douleur. J'ai passé encore vingt minutes dans son cabinet, et je n'ai ressenti aucun effet désagréable à la suite de 1' opération. "Ainsi signé : Eben H. Frost, 42, Prince Street, à Boston. " Nous avons été témoins de l'opération ci-dessus. Le cer- tificat est exact sous tous les rapports : il y a plus, l'homme a demandé où était sa dent, ou si elle était extraite. "Ainsi signé : A. G. Tenny, bureau du journal. "H. G. Hayden, chirurgien-dentiste. " Boston, 30 Septembre 1846." 45 Le docteur Morton se fit donner le certificat ci-dessus à l'in- stant même et annonça ce résultat à tous ceux qui se trouvaient alors dans son cabinet. Le lendemain il se rendit chez M. Frost et s'assura que l'aspiration n'avait été suivie d'aucun accident fâ- cheux. Il alla ensuite chez le docteur Jackson, lui annonça le succès qu'il venait d'obtenir et lui demanda un certificat consta- tant que l'éther sulfurique pouvait s'administrer sans danger ; mais le docteur Jackson s'y refusa. Ayant appris la non réus- site du docteur Wells, connaissant toutes les déceptions et dé- sappointements qui se retrouvent dans touts les cas de ce genre, il attribua sans doute le succès du docteur Morton à une erreur d'imagination ou bien il le crut exagéré ; dans tous les cas il y attacha peu d'importance. M. Barnes, son propre témoin, dé- clare qu'il dit au docteur Morton, — " On ne voudra pas croire à un état d'insensibilité complète pour le seul fait de l'extraction d'une dent, car il arrive souvent à des patients de dire, dans des cas ordinaires, qu'ils n'ont point éprouvé de douleur, lorsque l'instrument est manié avec rapidité et que l'opération a été faite avec adresse ; ceci ne serait point considéré par le public comme une preuve satisfaisante." Telle est la véritable interprétation de la déclaration de M. Barnes, — " Que le docteur Jackson ne pa- rut nullement étonné "; ce qui ne veut pas dire que le docteur Jackson prévît dès lors tout ce qui devait suivre, et, seul au monde, ne fût ni surpris ni ému de ce résultat. M. Barnes prétend que le docteur Jackson conseilla au docteur Morton une expérience à l'hôpital. Mais le docteur Morton nie le fait, quoiqu'il eût pu en être question entr'eux, et la dé- position du docteur Hayward prouve que le docteur Morton avait déjà cette intention avant de se rendre chez le docteur Jack- son. La conduite postérieure du docteur Jackson est la meilleure explication que l'on puisse trouver de ce qu'il pensait a cette époque. Il ne fit aucune expérience, et n'assista à aucune. Aucune expérience ne fut tentée, à sa connaissance ou sous sa direction, quoiqu'il pensât que l'extraction de la dent n'était point une preuve décisive. Le docteur Morton se^rendit à l'hôpital où il obtint du docteur Warren qu'une opération serait faite à l'aide de l'agent dont il avait déjà fait usage. Il ne nomma point le docteur Jackson, il ne se recommanda pas de lui, il n'en avait pas l'autorisation, même à l'égard du degré de 4* 46 sécurité que présentait l'emploi de cet agent. Le docteur Mor- ton faisait cependant tous les jours de nouvelles expériences dans son cabinet avec des succès variés. Les journaux s'emparèrent de ces faits et donnaient à cette nouvelle découverte le nom du docteur Morton ; rien de tout ceci ne fut contesté. Enfin, le 16 octobre le premier essai eut lieu à l'hôpital, et le docteur Warren fit l'opération d'une tumeur qu'il détacha du cou d'un patient. Le lendemain l'essai fut répété par le docteur Hay- ward dans l'enlèvement d'une tumeur au bras, opération très douloureuse et quelque fois mortelle. Le docteur Morton pré- sida seul aux expériences et fut seul responsable du résultat. Toutes les facultés scientifiques et médicales, les journaux et l'esprit public étaient dans l'attente. Cependant le docteur Jack- son resta muet et ne prit aucune part à ce qui se passait. Aucun des médecins ou chirurgiens de l'hôpital n'avait entendu dire ou même ne soupçonnait que le docteur Jackson eût la moindre part à cette découverte. Quoiqu'il ne fallût que cinq minutes pour se rendre de la maison ou du laboratoire du docteur Jackson à l'hôpital ; quoiqu'il fût lié depuis des années avec tous les méde- cins et chirurgiens de cet hôpital, qu'il fût le voisin de plusieurs, et en rencontrât un grand nombre presque tous les jours ; quoi- que le cabinet du docteur Morton, où tous les jours avaient lieu des opérations sur les dents, fut même plus rapproché de son domicile que ne l'est l'hôpital ; malgré tout cela, il ne sort point de son laboratoire pour voir de ses yeux une seule expérience ! C'est un chimiste pratique ; c'est aussi un médecin par l'éduca- tion ; la plus grande découverte du siècle subsissait l'épreuve de l'expérience dans la rue voisine; il pouvait y aller de la vie de quelques uns des patients ; l'humanité, l'ambition, tout devait le pousser à agir et cependant il se tient à l'écart ! Plus d'un té- moin, dit le rapport des administrateurs, se rappelle distincte- ment avoir entendu le docteur Jackson dire, en parlant des pre- mières expériences du docteur Morton pour la confirmation et l'établissement de sa découverte: — "Peu m'importe ce qu'il en fera, pourvu que mon nom ne s'y trouve pas mêlé ; " ainsi que beaucoup d'autres choses ayant la même portée. M. R. H. Eddy, dont nous donnerons une lettre plus bas, dit : — "J'ai la pleine conviction qu'à cette époque (25 octobre) le docteur Jackson n'attachait aucune importance à toute cette af- faire ; la conversation que j'ai eue avec lui me donne lieu de le 47 croire." M. Francis Whitman, té noin que le docteur Gay admet ne pouvoir être sourçonné de mensonge, dit : — " Après la première apparition dans les journaux de la découverte du doc- teur Morton, j'allai chez le docteur Jackson, il me parla de quelques uns des articles qui avaient paru dans les journaux ; mais immédiatement après il ajouta, — 'Je me soucie fort peu des annonces du docteur Morton, pourvu que mon nom ne s'y trouve mêlé en rien.'" C'est en vain que nous cherchons l'explication de cette con- duite dans sa brochure ou dans toute autre publication émanée de lui ou de la plume de ses amis. La seule explication que ait été offerte tend à aggraver sa position. On dit que s'il a refu- sé sa sanction aux expériences et s'est abstenu d'y assister, c'est par suite d'un manque de confiance dans l'adresse et la prudence du docteur Morton, et par la crainte de son aveugle témérité ; mais cet argument a mauvaise grâce dans la bouche du docteur Jackson qui fonde ses prétentions sur le fait que le docteur Mor- ton n'a été que son agent, son homme de confiance, qu'il n'a agi que sous l'égide de son autorité et de sa responsabilité per- sonnelle. (Voir la brochure du docteur Gay.) Il connaissait le docteur Morton depuis des années. Pourquoi donc s'est-il donné un agent de ce caractère ? Pourquoi lui a-t-il laissé toute l'af- faire entre les mains, s'il le savait incapable et d'une coupable témérité ? Pourquoi n'a-t-il pas alors rompu toute relation avec lui ? Pourquoi ne s'est-il pas chargé lui-même des expériences ? Pourquoi au moins ne s'est-il pas montré et n'a-t-il pas surveillé ces expériences d'une importance vitale, afin de pouvoir, si le cas échéait, l'aider de ses conseils et prévenir tout danger, assurant ainsi le succès de sa découverte ? Tous ces faits sont inexplicables ; ils restent sans réponse, à moins d'amettre, et les administrateurs, les médecins et chirur- giens de l'hôpital, ainsi qu'un grand nombre, des amis personnels du docteur Jackson en sont arrivés là, à moins d'admettre disons- nous, qu'il avait trop peu de confiance dans la découverte pour permettre que son nom s'y trouvât attaché. Afin qu'il ne puisse rester aucun doute sur les faits^que nous venons d'exposer, quant aux expériences faites par le docteur Morton ou en sa présence, nous renvoyons le lecteur au rapport des administrateurs de l'hôpital, à l'ouvrage du docteur Warren sur l'éthérisation, à la brochure du docteur George Hayward, à 48 celle du docteur J. Mason Warren, et à la publication du docteur Henry J. Bigelow, ouvrages qui ont été lus devant la Société d'Amélioration Médicale et devant l'Académie. Le rapport des administrateurs dit : — "À coup sur, quant à toutes ces expé- riences subséquentes (à l'hôpital), aucune espèce de responsa- bilité ne peut peser sur le t'octeur Jackson, soit qu'il se soit ab- stenu parcequ'il doutait que l'opération pût se faire sans danger, soit et cela parait probable, qu'il manquât de confiance dans la capacité du docteur Morton et dans sa prudence. Dans les deux premières expériences, la responsabilité pesait entièrement sur le docteur Morton et sm les chirurgiens de l'hôpital. La troisième expérience eut lieu à l'hôpital, le 7 novembre ; elle consista dans une amputation de la cuisse au-dessus du genou, et fut faite par le docteur Hayward. Cette fois encore le docteur Morton fut le seul qui y prê fit son assistance. Le pas- sage suivant du mémoire du docteur Morton a été lu par l'auteur des présentes aux docteurs Hayward et Townsend, qui l'ont au- torisé à le déclarer conforme à la vérité : " Ce ne fut que le 2 janvier 1847 que le docteur Jackson fit la première démarche qui pût donner aux chirurgiens l'idée qu'il eût le moindre intérêt dans cette affaire. Ce jour là il se présenta à l'hôpital apportant avec lui de l'oxigène comme un antidote contre l'asphix <, qui, à ce qu'il avait entendu dire, résultait de l'aspiration de l'éther. Mais les chirurgiens avaient eu le temps de se convaincre qu'elle n'était nullement à craindre ; à l'exception d'une seule allusion faite au docteur Warren, et qui se retrouve dans son ouvrage, aucun des chirurgiens, aucun de ceux qui participèrent à ces expéri- ences ne reçurent du docteur Jackson, ni ne purent inférer de sa conduite qu'il eût la moindre participation à cette découverte, qu'il fût responsable des effets du liquide employé, qu'il eût aucun droit à l'honneur du succès obtenu, où qu'il pût être recherché et accusé dans le cas d'une défaite." L'intimation faite au docteur Warren, et à la quelle nous ve- nons de faire allusion, consiste dans le fait suivant ; après la seconde opération pratiquée à l'hôpital, lorsque la découverte commençait à se répandre, ver* le fin d'octobre, le docteur Warren rencontra le docteur Jackson et celui-ci lui dit que c'était lui qui avait conseillé au docteur Morton de se servir de l'éther pour l'extraction des dents ; mais il n'assuma aucune responsabilité, il ne conseilla aucune expérience, et ne prit part 49 à aucune. Le docteur Warren attacha d'ailleurs si peu d'im- portance à cette communication, qu'il n'en fit part à aucun autre chirurgien, et que tout se passa comme si le docteur Morton était en effet le seul responsable. La conduite du docteur Morton présente certainement un contraste frappant avec celle de son antagoniste. Dans l'après midi du 30 septembre, au risque de sa propre vie, ou de tout autre danger, à lui inconnu, il aspira de l'éther sulfurique jusqu'à ce qu'il eût entièrement perdu connaissance. Il raconte le fait dans son mémoire ; plus tard, il tente la même expérience sur M. Frost. Sa confiance dans l'importance de sa découverte était telle, que le soir même il demanda à M. Frost un certificat de ce qui s'était passé. Il pria alors le docteur Warren de vou- loir bien permettre qu'un essai fût fait à l'hôpital; ce qui lui fut accordé, et l'époque en fut fixée au 16 octobre suivant. Dans l'intervalle il ne cessa pas de faire des expériences dans son cabinet, avec des succès divers. Dans une circonstance, un jeune garçon s'étant trouvé mal de l'emploi de l'éther, le docteur Morton fut menacé de poursuites judiciaires par ses parents. Les détails de ces opérations sur les dents se trouvent dans la circu- laire du docteur Morton, et le docteur Bigelow, qui en fut té- moin, en parle dans sa brochure que nous avons déjà mentionnée. Les confrères du docteur Morton formèrent une ligue contre l'usage de l'éther, et attaquèrent cette prétendue découverte avec un acharnement extraordinaire ; ils étaient en grand nom- bre, comme nous le démonstrerons plus tard. Le docteur Morton fut seul à supporter ces attaques. Dans les jours de doute et d'obscurité de sa découverte, le docteur Morton fut seul exposé à ce déchaînement général, et ne songea jamais à rejeter sur d'autres une partie du blâme qui ne s'adressait qu'à lui. Il se sentit obligé de dévouer tout son tems à l'éthérisation et il en ré- sulta que sa pratique comme dentiste fut presqu'entièrement ruinée. Pendant la nuit qui précéda le premier essai fait à l'hô- pital, le docteur Morton veilla très tard chez le docteur Gould, comme celui-ci nous autorise à l'affirmer, cherchant à découvrir quel serait l'instrument le plus convenable pour l'administration de l'éther, et le docteur Gould conseilla l'emploi des soupapes comme préférable au moyen dont le docteur Morton s'était servi jusqu'alors. L'idée d'un modèle fut mise sur le papier, et le lendemain de bonne heure, le docteur Morton était chez M. 50 Chamberlain, et il y resta, surveillant la fabrication de son ap- pareil, jusqu'à l'heure fixée pour l'opération ; il était tellement désireux qu'elle eût lieu et qu'elle fût menée à bonne fin, qu'il emmena avec lui, à grands frais, M. Frost, afin que celui-ci pût rassurer et encourager le patient dans le cas où il aurait peur de se soumettre à l'influence de l'éther. Le lendemain il l'administra de nouveau pendant l'opération pratiquée par le docteur Hayward, et ce fut à sa requête qu'eut lieu la troisième opération, qui se trouva, parle fait, la plus décisive. Depuis le jour de la première expérience, on peut dire avec vérité, que le docteur Morton ne goûta pas un seul instant de sommeil, et que pendant trois mois il ne s'assit point à table pour y prendre ses repas. Ce fut lui qui administra l'éther dnns toutes les opéra- tions chirurgicales qui se pratiquèrent à Boston sous l'influence de cet agent, autant que nous avons pu nous en assurer, du moins jusqu'au 1" janvier ; et il est probable que pendant long- tems encore après cette époque, il ne fut administré par personne qui n'eût vu opérer le docteur Morton, ou qui n'eût reçu de lui les informations nécessaires; tandis que jusqu'à ce jour tout le monde ignore que le docteur Jackson l'ait une seule fois donné à un patient pendant la durée d'une opération chirurgicale. Le docteur Morton reçut des lettres de toutes les parties du pays, et il nous a montré dix volumes reliés qui en contiennent plus de deux mille, reçues par lui sur ce sujet seul, du mois d'octobre 1846 au mois de juillet 1847. Il fut obligé d'employer un secré- taire pour répondre à ces lettres ; et il lui fallut augmenter, à grands frais, son établissement, négliger sa profession de den- tiste, et l'on peut dire avec vérité que, temps, argent, santé, travail, il a tout dévoué au succès de sa découverte. Il a issu des circulaires décrivant les résultats détaillés de ses expériences, et tenu un journal exact des événements, des expériences et des suggestions qui arrivaient jusqu'à lui. Il a fait faire un grand nombre d'appareils aspirateurs qui ont été présentés par lui à un grand nombre de chirurgiens et d'institutions de charité, tant ici qu'à l'étranger et par l'intermédiaire de ses agents il en a fait pré- senter quelques uns de très coûteux à plusieurs des têtes cou- ronnées de l'Europe. Il est juste de faire remarquer ici le caractère libéral et indé- pendant de la marche suivie par les chirurgiens de l'hôpital ; ils autorisèrent des expériences, lorsqu'il leur fut démontré par 51 le docteur Morton et par ses patients qu'elles ne présentaient aucun danger ; et ils continuèrent à permettre qu'elles eus- sent lieu, malgré les réclamations et les clameurs parties de plusieurs villes voisines, et quoiqu'un grand nombre de per- sonnes, même à Boston, s'y opposassent d'une manière formi- dable. Quoique la responsabilité de ce qui s'est passé à l'hôpital ait été partagée, non seulement entre les chirurgiens qui ont pratiqué les opérations, mais aussi entre ceux qui permirent qu'elles eussent lieu, nous nous sentons obligés de reconnoître d'une ma- nière spéciale l'assistance personnelle que nous avons reçue de quelques uns d'entr'eux. Le docteur H. Bigelow, se trouvant convaincu, après examiné la nature des premières expériences, de l'importance et de l'étendue des applications de cette décou- verte, fut le premier à y risquer sa réputation par la publication d'une brochure, et il s'identifia avec sa destinée, d'une manière irrévocable en présentant un mémoire à la société médicale, ainsi qu'à l'académie, à une époque où, dans l'esprit de beau- coup de gens, le succès de l'entreprise était loin d'être certain. Les autres chirurgiens de l'hôpital, les docteurs T. C. Warren, Hayward, Townsend, T. M. Warren, et Parkman, continuèrent, de tems à autre, leur puissant patronage, en autorisant et en practiquant eux-mêmes diverses expériences, et aussi en publi- ant, sous leur propre nom, des rapports sur ce phénomène; y ajoutant leurs propres suggestions sur les points qui présentent le plus d'importance et le plus d'intérêt. On peut se donner une idée des attaques que les amis et les protecteurs de cette découverte eurent à subir, par la lecture des citations suivantes, extraites des principaux journaux scien- tifiques de New York, Philadelphie, et autres villes. M. Robert M. Huston, docteur en médecine, éditeur de " L'Ex- aminateur Médical," de Philadelphie, s'exprime ainsi: "Un certain docteur Morton, dentiste à Boston, publie, dans les jour- naux de cette dernière ville, qu'il a reçu un brevet pour ce qu'il appelle sa découverte, à l'aide de la quelle les opérations du den- tiste et celles du chirurgien se pratiquent sans douleur apparente ou réelle ; et il offre maintenant de vendre le droit de se servir de sa découverte aux dentistes, aux chirurgiens, ou à toute autre personne désirant en faire usage. Comme nous ne voyons dans cette annonce ni plus ni moins qu'un nouveau moyen de tirer à 52 vue sur la bourse de la partie éclairée du public, nous n'y attache- rions pas la moindre importance, si nous ne trouvions pas dans le Journal de Médecine et de Chirurgie de Boston que des médecins éminents de cette ville, se sont déjà laissé prendre à cet appât." Plus loin nous lisons encore : " Nous sommes persuadés que les chirurgiens de Philadelphie persisteront dans la ligne honorable des devoirs de leur profession, et ne se laisseront pas entraîner dans le bourbier du charlatanisme, par l'apparence de ce feu-follet. " Nous trouvons encore plus loin: "Nous ne pouvons terminer ces remarques sans exprimer de nouveau notre vif chagrin et nos siucères regrets de voir que des hommes éminents, qui, pendant si longtems, ont fait l'ornement de la médecine à Boston, aient pu consentir à donner un si dangereux exemple à leurs jeunes confrères, comme nous avons la conviction qu'ils l'ont fait dans cette circonstance. Si de telles choses doivent être sanctionnées par la profession, nous ne voyons pas la grande nécessité d'asso- ciations réformistes, ni de tous les efforts qui se tentent chaque jour pour relever la profession dans l'estime publique. Médecins et charlatans ne feront bientôt plus qu'une seule et même famille." William C. Roberts, éditeur de L'annaliste de New York, expose ainsi ses objections : " Nous verrons bientôt l'aspiration antipathétique de Morton portée aux nues dans des articles revêtus des noms honorables des Warren, des Bigelow, et des Pierson ; et, en quoi, nous le demandons, diffèreront-ils des tirades ab- surdes en l'honneur de tant d'autres drogues tout aussi méprisa- bles ; telles, par exemple, que la panacée universelle de Swaine ? " Autre part, il dit : "La dernière merveille du jour est déjà arri- vée au terme de son existence, et l'intérêt créé à sa première apparition, s'est pour ainsi dire évanoui ; elle s'est vu précipitée au fond de cet abîme, où se sont déjà englouties tant de nou- veautés inappréciables, mais qui n'en reste pas moins entr'ou- vert, prêt à dévorer quelqu'autre miracle de date plus récente." Il dit encore, en parlant de l'usage de l'éther à Londres : " Nous regrettons de voir que M. Liston oublie le respect qu'il doit à sa profession et en néglige les devoirs au point de se servir de cette drogue brevetée." Charles A. Lee, docteur en médecine, et éditeur du Journal de Médecine de New York, s'exprime ainsi : " Nous sommes fâchés de voir tant de nos confrères, soit dans notre pays soit a l'étran- ger, descendre du rang élevé qu'ils occupent dans la profession, 53 pour s'allier à des charlatans et défendre leurs doctrines sous quelques formes qu'elles se présentent. Une telle conduite est certainement en opposition avec les principes sacrés de notre profession, et ne doit être tolérée dans aucune. Les docteurs W. M. Carpenler, E. D. Fenner, J. Harrison, et A. Hesier, éditeurs du Journal de Médecine et de Chirurgie de la Nouvelle-Orléans, s'expriment ainsi : " Que les principaux chi- rurgiens de Boston se soient laissé captiver par une invention de cette nature, se présentant devant le monde entier sous l'égide d'un droit breveté, et sans autres guaranties de son utilité et de son innocence que les preuves offertes par le docteur Bigelow, excite notre surprise au plus haut degré : d'où vient donc que les savants de Boston ont répudié les doctrines de Mesmer ? Elles ont produit des miracles mille fois plus étonnants, et sans aucun des dangers inséparables de l'application de ce nouveau prodige ; rien, désormais, ne pourra nous surprendre." Le président d'un comité du Congrès, au quel fut référé la question de savoir si l'usage de l'éther pouvait être introduit avec avantage et sans danger, soit dans l'armée, soit dans la ma- rine, s'adressa, sur ce sujet, au Professeur D. T. Mùtter, de Philadelphie, lui demandant si cet agent pouvait s'employer utilement dans la chirurgie à l'aide des moyens présentés par le docteur Morton ; sa réponse fut péremptoire : "Il dit qu'il lui était impossible de considérer comme un objet d'utilité générale, un agent dont l'emploi exposait indubitablement la vie du pa- tient."" Il dit ailleurs dans sa lettre : "La méthode adoptée par le docteur Morton se trouve donc sans valeur, puisque d'autres peuvent arriver au même résultat sans se servir de son appareil breveté. Mais en admettant même que son procédé soit nouveau et préférable à tout autre, je pense que nous sommes encore loin du jour où un corps aussi distingué que l'est notre Congrès national, se trouvera disposé à protéger le charlatanisme, sous quelque forme qu'il se présente." Les éditeurs du journal intitulé Bibliothèque Américaine de l'Art du Dentiste, qui se publie à Baltimore, s'expriment de la manière suivante : " L'annonce dans le Journal Médical et Chi- rurgical de Boston, de la découverte, par un M. Morton, de cette ville, d'une préparation gazeuse d'une nature tellement ano- dine, qu'elle remplit l'objet tant recherché dans la chirurgie^ a excité le plus vîf intérêt dans le public, aussi bien que dans le 5 54 monde savant. " Ils disent aussi : " Les effets qui résultent ou qui peuvent résulter de l'aspiration de l'éther sont, dans notre opin- ion, beaucoup plus à redouter, que la douleur causée par la plu- part des opérations chirurgicales ; nous devons, par conséquent, mettre nos confrères en garde contre l'emploi d'un article capa- ble de produire des résultats d'une nature aussi inattendue que puissante et dangereuse." Les dentistes de Boston organisèrent une opposition systéma- tique et formidable, et nommèrent un comité chargé de suivre les opérations et de prendre note de celles qui ne réussiraient pas ou qui produiraient des effets fâcheux. Un article, en forme de rapport, rédigé par un comité de douze dentistes, et présenté par le docteur Flagg, parait dans le Daily Adverliser du 12 dé- cembre 1846, et l'on y trouve la citation de plusieurs cas (sans donner toutes fois le nom des patients), qui auraient été suivis d'accidents fâcheux produits par l'opération de l'éther. On y parlait de jeunes filles sortant du cabinet du docteur Mor- ton dans un état de délire ; elles étaient restées, disait-on, dans cet état pendant plusieurs jours, crachant le sang, attaquées d'une sombre mélancolie, et mille autres symptômes effrayants. Ils admettent bien que l'aspiration avait lieu avec avantage dans les opérations chirurgicales sous les yeux d'hommes scientifiques, à la fois chimistes et phisiologistes ; mais ils affirment qu'elle ne peut être que d'un usage limité dans la profession du dentiste, et engagent leurs concitoyens à se mettre en garde contre ces hommes qui ne possèdent ni diplômes ni certificats de leur édu- cation collégiale ou médicale, qui ne sont ni phisiologistes ni pathologistes, enfin, contre des hommes tels que leur confrère le docteur Morton. Comme ces dentistes ont fait usage de l'éther aussitôt que ses propriétés furent connues afin d'empê- cher que cette découverte ne fût brevetée, ou afin que le brevet se trouvât sans valeur, leur cloche d'alarme et leur opinion n'ont que bien peu de valeur ; mais quand il parut, leur manifeste porta le plus grand préjudice aux intérêts du docteur Morton, et fut cité dans toute l'Union, comme preuve concluante de l'inutilité et du danger de l'usage de l'éther lui-même. 55 CHAPITRE VI. Suite de l'Histoire de la Découverte. La période qui suit, dans notre histoire, est celle de l'obten- tion d'un brevet par le docteur Morton. La personne dont le témoignage jette le plus de lumière sur cette période est M. R. H. Eddy, ingénieur civil, et agent pour l'obtention des brevets d'invention. M. Eddy est bien connu parmi nous comme un homme intelligent et honorable, et les administrateurs de l'hôpi- tal considèrent son témoignage comme irrécusable. Le 23 octobre, près de huit jours après la seconde expérience faite à l'hôpital, et alors que la découverte avait été adoptée par des hommes distingués, le docteur Jackson, pour la première fois depuis l'annoncement de celte découverte, vit le docteur Morton. Il se rendit dans le cabinet de celui-ci et eut avec lui une entre- vue qui se trouve décrite dans son mémoire. " Le 23 octobre, je vis le docteur Jackson pour la première fois depuis l'entrevue dont j'ai parlé. J'emprunte ma narration de cette entrevue à un mémoire rédigé au moment même ; sa fidélité est attestée par deux témoins très-recommandables, pré- sents à la conversation. Il dit que son attention avait commen- cé à être éveillée quand il avait appris que je réussissais avec l'éther ; M. Eddy lui avait dit que je me proposais de prendre un brevet, et que je ferais une bonne affaire.—Je répondis que tout cela m'avait occasionné bien du tourment et des dépenses, mais que je pensais, pouvoir en tirer parti. — Je le crois aussi, ajouta-t-il, et je crois que je devrais vous demander une rétri- bution, à titre d'honoraires pour les conseils que je vous ai don- nés.— Je lui demandai pourquoi il soulevrait cette prétention plutôt dans ce cas que pour tous les autres conseils qu'il pouvait m'avoix donnés dans le cours de nos précédentes relations, spé- cifiées au commencement de ce mémoire.—Il me dit: Mon conseil vous a été utile ; vous ferez une bonne affaire avec le 56 brevet, et vous me devez bien un dédommagement (compensa- tion) ; —et je vous le donnerai, dis-je, si le brevet me rapporte beaucoup, indépendamment du produit de mes autres affaires. — Il dit me alors qu'il me demanderait 500 dollars. — Je lui dis : je vous les donnerai, si dix pour cent sur les bénéfices nets du brevet s'élèvent à cette somme.—Je suis très content de cet arrangement, me dit-il. Ainsi finit cette entrevue. "Le lendemain matin, il raconta à M. R. H. Eddy, ce qui s'était passé ; et deux ou trois jours après, M. Eddy me suggéra l'idée, qu'au lieu de donner un honoraire au docteur Jackson, je devrais l'intéresser dans le brevet, en lui donnant dix pour cent sur les bénéfices nets. M. Eddy me suggérait cette idée par amitié pour le docteur Jackson qu'il désirait voir avantagé. Il ajouta que le brevet aurait ainsi l'avantage du nom et de la sci- ence du docteur Jackson ; que celui-ci serait ainsi intéressé à donner son attention à la préparation et à l'appareil, et que nous pourrions prendre l'avance sur les améliorations qui pourraient être suggérées par d'autres. Il ajouta que si un procès s'en- gageait (et si le docteur Jackson était appelé à déposer, comme il le serait indubitablement), l'assistance qu'il m'avait donnée pourrait devenir une arme entre les mains des tiers qui attaque- raient le brevet, à l'effet d'invalider mon titre à être réputé in- venteur. A ce moment les dentistes avaient organisé une ré- sistance formidable à l'emploi de l'éther, et tous les magazines ou revues médicales de l'Union, à l'exception de Boston, s'étaient prononcés contre ce procédé. Je sentais le besoin de m'entou- re r de toute l'assistance que je pourrais me procurer : j'avais la conscience que je péchais par l'absence d'une éducation scienti- fique complète ; tous ces motifs me déterminèrent à accéder à la demande de M. Eddy. Mais il ne m'était pas venu alors à la pensée que le docteur Jackson prétendit être l'inventeur ; sous ce rapport, je me réfère aux affidavits (déclarations sous ser- ment) de messieurs Eddy." Cette déclaration est corroborée par la lettre suivante de M. Eddy, provoquée par celle des chirurgiens de l'hôpital, lettre que nous avons déjà donnée. Ce qui est en Italique a été ainsi mar- qué par l'auteur de ce mémoire. 57 " Boston, 22 mai 1847. " Aux docteurs (l », _, „ _. " Boston, 17 février 1847. A M. R. H. Dana. " Mon cher Monsieur, —En réponse à votre billet de ce ma- tin, je déclare qu'à peuprès à l'époque où j'étais occupé à pré- parer les documents nécessaires à l'obtention d'un brevet, aux État-Unis, dans l'affaire du docteur Morton, quant à sa décou- verte de la propriété que possèdent les vapeurs de l'éther sulfu- rique de prévenir la douleur dans les opérations chirurgicales, le docteur Morton me fit prier de passer à son bureau, à l'effet d'y assister à une entrevue qu'il devait avoir avec le docteur Wells qui se trouvait alors à Boston, et qui, selon lui, pouvait lui rendre d'importants services quant à la manière de disposer du droit de se servir de sa découverte. J'eus donc une entrevue avec le docteur Wells, pendant la quelle nous parlâmes librement de cette découverte ainsi que des expériences dont il avait été té- moin dans le cabinet du docteur Morton. Je ne me rappelle pas assez bien les détails de notre conversation pour me permettre de es raconter ici, mais l'ensemble de ce qui fut dit, aussi bien que les manières du docteur Wells à cette époque, ne me donnèrent jamais heu de penser qu'il eût la moindre connaissance des effets de lether quant à l'annulation de la douleur pendant les opéra- 89 lions de chirurgie. Le docteur Wells doutait que le docteur Morton pût obtenir un brevet, non pas qu'il ne fût le véritable in- venteur, mais parceque lui, le docteur Wells, pensait que cette découverte, par sa nature, ne pouvait donner lieu à la délivrance légale d'un brevet d'invention. Il lui conseilla cependant de faire son application, et de disposer d'autant de licenses qu'ils le pourrait avant qu'il ne fût fait droit à sa demande ; en fait, il lui donna le conseil de faire autant d'argent que possible à l'aide de sa découverte aussi lorîgteins qu'elle aurait le privilège d'exciter l'attention et la curiosité du public. Je doit donc avouer que plus tard ma surprise fut grande, lorsque j'appris les prétentions du docteur Wells à être considéré comme l'auteur de la découverte des effets de l'éther, car tout ce qui s'était passé entre nous pen- dant notre entrevue, m'avait donné lieu de penser qu'il recon- naissait alors le docteur Morton comme ayant seul le droit abso- lu de se proclamer l'inventeur de cette découverte, ou que dumoins le docteur Jackson serait le seul homme qui pût pré- tendre à en partager l'honneur, comme je le supposais alors moi- même. J'ai l'honneur, etc., "R. H. Eddy." Pendant le peu de jours que le docteur Wells passa à Boston, les expériences faites dans le cabinet du docteur Morton furent moins heureuses que par le passé, ce que celui-ci attribuait à la difficulté de se procurer la meilleure qualité d'éther, à cause d'une soudaine augmentation dans la demande de cet article. Le docteur Wells ne fut pas content de ces expériences, et il conseilla au docteur Morton de ne plus s'en occuper, lui disant que les résultats en seraient incertains, limités, dangereux, et de trop peu d'utilité pratique pour justifier le risque et les dépenses qui en étaient inséparables. Il n'assista à aucune opération chirurgicale, et il retourna à Hartford bien convaincu que les expériences du docteur Morton se termineraient ou par quelque catastrophe, ou, comme les siennes, seraient abandonnées comme ne pouvant devenir d'aucune utilité réelle dans la pratique; ceci suffit à expliquer son silence pendant les deux mois qui suivirent l'éclat que produisit la découverte à la étranger, et après ce qu'il avait vu lui-même des résultats de son application. Nous regrettons de voir que dans sa brochure il ne dise pas un mot de 8 90 la correspondance ci-dessus, pas plus que de la visite qu'il fît à Boston et dont nous venons de rendre compte. Nous n'entendons plus parler du docteur Wells, quoiqu'il n'eût pas quitté le pays, jusqu'au jour où le succès de la décou- verte fut prouvé d'une manière incontestable, où de grands noms en eurent assumé la responsabilité et qu'une pétition eut été adressé au Congrès, pour qu'une récompense fût décernée à l'in- venteur, en échange du brevet qu'il avait obtenu. Ce ne fut qu'alors, et pour la première fois, que le docteur Wells chercha à faire valoir ses droits, à l'aide d'une remonstrance informe, mise sous les yeux du comité du Congrès, par le député du district d'Hartford, l'Honorable M. James Dixon, et dans la quelle il fait remonter ses droits de priorité jusqu'en 1844 ; mais le docteur Wells ne saisit le comité d'aucune preuve, et il partit pour l'Eu- rope. Ce vovage en Europe n'avait rien de commun avec la découverte, et il est assez étrange de voir l'homme qui se préten- dait l'inventeur de la plus étonnante découverte du siècle, la né- gliger pendant deux années, en laisser pendant plusieurs mois tout l'honneur à un autre, puis partir pour l'Europe à l'effet de s'y livrer à une spéculation basée sur un achat et une revente de tableaux A la arrivée du docteur Wrells en France, ou bientôt après cette époque, il s'aperçoit que la découverte relative aux propri- étés de l'éther y est reçue avec enthousiasme. Il confie alors au docteur Brewster, célèbre dentiste Américaine, qu'il y avait plus de deux ans qu'il avait suggéré au docteur Morton l'idée de pro- duire un état d'insensibilité à l'aide de l'aspiration de cette sub- stance, et qu'il avait lui-même fait avec succès de nombreuses expériences à ce sujet. Le docteur Brewster, dans sa lettre au docteur Morton, du 21 mars 1847, dit qu'il lui fallut du temps pour décider le docteur Wells à faire valoir ses droits comme in- venteur, auprès des sociétés scientifiques de Paris. Cette hési- tation fut attribuée, par le docteur Brewster, à un excès de mo- destie ; mais maintenant que nous connaissons tous les faits nous n'y trouvons d'autre cause qu'une juste appréciation de ses droits réels. Il n'avait point fait la découverte que l'aspiration devait produire ce degré d'insensibilité qui allait rendre nulle la douleur qui accompagne toujours les opérations d'une certaine gravité. Il s'était borné à faire des essais pour arriver à ce but d'après les suggestions de Davy, et sans avoir tenté la moindre 91 opération chirugicale, il avait laissé là ses expériences comme incertaines, dangereuses et d'une utilité douteuse dans la pra- tique ; laissant dans une obscurité complète l'effet .qui pouvait être produit dans une opération longue et dangereuse. Il s'était avanturé en soldat perdu dans cette affaire, et après aveuglément suivi un sentier obscur, indiqué par un autre, il était revenu dé- couragé, et avait laissé à des mains plus habiles le soin de pour- suivre et d'atteindre ce qui pour lui n'était plus qu'une chimère ; il avait laissé son fanal au pied de l'obstacle qui avait obstrué sa route, mais le docteur Morton avait franchi l'écueil et était ar- rivé au but. Le docteur Jackson joue le rôle de l'observateur qui dit à l'aventurier, — J'ai examiné il y a quelques années, à l'aide de ma lunette d'approche le sentier que vous allez parcou- rir ; il semble se diriger vers le lieu que vous désirez atteindre, 'mais que ce lieu existe ou non, qu'il vaille la peine qu'on le re- cherche, que la trace que vous suivez vous y conduise ou vous égare vers un abîme, je l'ignore ; essayez par vous-même et n'oubliez pas que si vous succombez, je vous défends bien de mêler mon nom à votre décomfiture. CONCLUSION. Nous demandons maintenant au lecteur, si, après avoir lu ce qui précède, le résumé suivant n'est pas l'expression fidèle de toute l'affaire ? L'idée que l'aspiration pouvait produire un certain degré d'in- sensibilité, plus ou moins utile dans les opérations chirurgicales, a été mise en avant, il y a bien des années et le fait repose sur des autorités incontestables. On savait que l'aspiration de l'éther produisait une espèce d'insensibilité. La découverte actuelle consiste dans la démonstration du fait, prouvé par de nombreuses expériences, que cette aspiration produit sans danger «m état d'insensibilité tel que les opérations les plus sévères de la chirurgie peuvent s'exécuter sans douleur. Le docteur Wells, obéissant aux suggestions mises en avant par ses devanciers, fit des expériences dans le but d'arrivé aur ' résultat tant désiré, à l'aide du gaz oxide nitreux ; mais il échoua [)2 dans ses efforts, n'essaya point de l'éther sulfurique, et abandon- na la partie, persuadé qu'elle n'offrait dans l'avenir rien de cer- tain quant à la production d'une insensibilité complète, rien de sûr quant aux résultat des opérations pratiquées sous son influ- ence, rien enfin qui lui parût d'une utilité réellement pratique. Le docteur Jackson également, se fondant sur les mêmes au- torités, peut avoir pensé que l'on pouvait essayer de l'éther, aussi bien que de l'oxide nitreuz, mais il n'a fait aucune expéri- ence et n'a rien découvert. Le docteur Morton a agi sous l'influence de la même idée gé- nérale ; il savait que les essais tentés à l'aide de l'oxide nitreux avaient manqué ; il a dans le silence de son cabinet, à l'inseu du docteur Jackson, essayé sur lui-même l'action que pouvait produire l'éther sulfurique, afin de se bien convaincre de sa portée et des résultats de cette action ; il a plus tard appliqué à d'autres ce qu'il avait ainsi appris en opérant sur lui-même, et il a eu assez de courage, d'énergie et de persévérance pour arriver à une démonstration complète de la réalité d'un résultat dont jusqu'alors on n'avait fait quesouçonner l'existence. Le docteur Morton n'était nullement sûr d'avance (et il n'a jamais prétendu qu'il le fût), pas plus qu'aucun de ses devan- ciers ne l'avait été, de toute l'étendue des effets dont il a démon- tré la portée; il pressentait que ses expériences devaient aboutir à quelque chose d'extraordinaire ; il était déterminé à ne rien négliger de ce qui pouvait lui faire découvrir tout ce qui pou- vait être découvert à ce sujet, à l'aide de son courage et de sa persévérance ; il a réussi à donner un corps à ses conjectures et la portée de sa découverte dépasse de beaucoup ses plus folles espérances. RAPPORT DES ADMINISTRATEURS DE L'HOPITAL GÉNÉRAL DE L'ÉTAT DE MASSACHUSETTS. L'Administration de l'Hôpital Général de l'État de Massa- chusetts était en 1847 composée comme il suit :__ William Appleton, Président. Théodore Lyman, Vice-Président. Henry Andrews, Trésorier. Marcus Morton, Jr., Secrétaire. 93 Charles Amory, Nathaniel I. Bowditch, Robert Hooper, Fran- cis C. Lowell, Henry B. Rogers, J. Wiley Edmands, William T. Andrews, George M. Dexter, Thomas Lamb, John A. Low- ell, J. Thomas Stevenson, et Edward Wigglesworth, Adminis- trateurs. Les docteurs James Jackson, John Jeffries, George C. Shat- tuck, et Edward Reynolds, Comtré de Consultation. I^es docteurs Jacob Bigelow, Enoch Haie, J. B. S. Jackson, Henry I. Bowditch, John D. Fisher, et Oliver W. Holmes, Mé- decins Visitants. Les docteurs John C. Warren, George Hayward, S. D. Townsend, Henry J. Bigelow, Samuel Parkman, J. Mason War- ren, Chirurgiens Visitants. Le rapport annuel de l'année courante fut rédigé par un co- mité composé de MM. N. I. Bowditch, et J. W. Edmands, et il fut adopté à l'unanimité par leurs collègues. Cette unanimité fut non seulement légale, mais réelle, car tous les administrateurs furent consultés, qu'ils eussent été présents à la délibération ou non. Ce rapport exprimait l'opinion des administrateurs de l'hôpital, et la corporation lui donna sa sanction unanime. Nous allons extraire de ce rapport tout ce qui se rapporte à la découverte des propriétés de l'éther. Il est bon de faire remarquer ici que le comité a eu plusieurs entrevues personnelles avec le docteur Jackson, le docteur Gay et le docteur Morton ; qu'il a consulté toutes les personnes les plus compétentes à l'éclairer dans cette affaire, et qu'il a exami- né tous les documents publiés aussi bien qu'un grand nombre de témoins. " L'année qui vient de s'écouler a démontré l'incalculable im- portance de la découverte récente des propriétés de l'éther ; pas moins de 132 opérations,* dont plusieurs extrêmment dan- * " Le docteur Ralph K. Jones, l'un des médecins attachés à l'hôpital d'une manière permanente, a bien voulu, pour l'usage du comité, copier une liste de ces 132 opérations (elle avait été préparée par le docteur Dalton, l'un des chi- rurgiens résidents de l'hôpital, pour un objet tout différent). Cette liste con- tient les noms de tous les malades, la nature de l'opération, et les résultats obtenus. À la fin de cette liste se trouve une table sommaire, où l'on trouve que des malades ainsi opérés, 75 ont été déchargés parfaitement guéris; 15 ont reçu un soulagement notable; 5 ont été entièrement soulagés; 7 n'ont 8* 94 gereuses, ayant été pratiquées, avec un succès complet, sur des malades rendus insensibles à l'aide de l'aspiration de cet agent ; en anéantissant la résistance de la puissance musculaire et ner- veuse, il a étendu les limits du domaine de la chirurgie ; en rendant possibles des opérations qui sans lui n'auraient pu avoir lieu, qui n'auraient même point été tentées sans son assistance, et en détruisant la crainte de la douleur, le nombre des opéra- tions se trouve augmenté dans une proportion remarquable. Il a été adopté comme un remède d'un mérite puissant et incontes- table dans toutes les principales villes de l'Europe, et ses heu- reux effets se sont déjà fait sentir parmi les habitants de Can- ton et de Singapore. " C'est donc avec un juste orgueil que les administrateurs en- registrent dès aujourd'hui le fait que c'est dans cette enceinte même que se sont accomplis les premiers miracles d'opérations chirurgicales pratiquées sans douleur sur la charpente humaine. Le monde entier a contracté une vaste dette de reconnaissance envers les médecins et chirurgiens attachés à cette institution. S'ils n'eussent immédiatement apprécié l'importance de cette dé- couverte, s'ils ne se fussent promptement, et avec zèle et pru- dence, associés aux efforts du docteur Morton en en permettant l'application dans leur pratique, elle eut peut-être été bornée, dans ses effets, à soulager la souffrance dans les opérations, comparativement peu importants, du dentiste. Qui peut dire au- jourd'hui quel aurait été le sort de cette découverte, si les ouver- tures du docteur Morton eussent été reçues avec cette réserve et cette défiance si communes en pareils cas ? La réponse à cette question se trouve peut-être écrite dans le fait, que ce n'est que depuis quelques semaines seulement que l'usage de l'éther sulfu- rique a été introduit à l'hôpital général de la Pensylvanie ; et encore ne sommes nous pas bien surs que nous ne nous trompons pas à cet égard. Cette assertion résulte du rapport annuel sur la chirurgie, lu devant le Collège des Médecins, le 2 novembre 1847, par Isaac Parish, M. D., où l'on trouve ce qui suit : — ' À l'hô- pital de la Pensylvanie il n'a point encore été essayé, les chirur- giens de cet hôpital le considérant comme un remède d'une sé- èprouvé aucun changement dans leur situation ; 8 ontsuccombé; 2enfin sont ^rpTe?:^!1^16"" b»—*««*»"* traitement n'est pas 95 cunté douteuse, ou dumoins établie sur des preuves trop peu solides pour en justifier l'emploi.' Et cependant dans le même rapport, nous trouvons la phrase suivante : — ' Mais quand nous portons au loin nos regards vers les nations étrangères, quand nous voyons que depuis neuf mois, il a été adopté dans la plu- part des grands hôpitaux de la Grande Bretagne, dans la géné- ralité de ceux de Paris, et depuis six mois parmi les nom- breuses institutions, d'un caractère semblable, répondues sur le sol de l'Allemagne, y compris les vastes hôpiteax de Vienne et de Berlin, nous pouvons nous former une idée de l'étendue de sa sphère d'action, et de l'empire que cette belle découverte Amé- ricaine exerce déjà sur l'esprit du monde scientifique.' " Ceux qui les premiers firent l'application de cette décou- verte furent les docteurs John C. Warren et George Hayward, chirurgiens de cet hôpital. L'enthousiasme de l'un de leurs col- lègues,* qui avait déployé le plus de zèle pour obtenir que les opérations eussent lieu, l'amena à se déclarer le champion de l'éther dans ce pays-ci, dans une brochure de beaucoup de mé- rite ; et à faire passer en Angleterre les premiers documents qui parurent, concernant cette découverte, où ils furent reçus avec un sentiment d'admiration impossible à décrire. Un autre mé- decin,! également attaché à notre institution, à la fois favori de la science et des muses, a fait aussi une chaleureuse descrip- tion de ses bienfaisants effets : — 'Le couteau est à la recherche de la partie malade, la poulie disloque les membres de la victime, la nature elle-même maudit en secret la cause-première, qui soumit la plus frêle de ses créatures aux terribles épreuves qu'elle lui tient en réserve, mais l'aiguillon perçant de la douleur vient s'emous:-er contre ce nouveau Momus, et le sillon qui creusait autrefois l'agonie sur le front du patient, a disparu pour faire place au calme d'un sommeil bienfaisant.' Le docteur Warren lui-même toujours si grave et si calme (dans un ouvrage * " Il s'agit ici du docteur Henry J. Bigelow, qui, le 9 novembre 1846, lut un mémoire devant la Société pour l'Amélioration Médicale de la ville de Boston, dans lequel il fit connaître la plupart des usages importants aux quels l'éther a été appliqué depuis, à l'exception de celui qu'on en a fait dans les accouchements. \ t '' Le docteur Oliver W. Holmes. Voir son Discours d'Ouverture, pro- nonce devant la Classe de l'École de Médecine de la Université de Harvard, le 3 novembre 1^17. 96 non encore publié, qu'il a bien voulu nous communiquer, et où l'on trouve le résultat de ses propres méditations et de ses nom- breuses recherches sur ce sujet), s'exprime comme il suit : — ' Qui se fût imaginé que le passage du scalpel à travers la peau délicate du visage pût jamais produire une sensation indicible de plaisir ! Qui eût jamais pu croire que le contact de l'instrument et son action sur les parties les plus sensibles de la vie pussent un jour être accompagnés de rêveries de bonheur ! '* "Le Professeur Simpson, d'Édinbourg, a découvert qu'un nouvel agent, le chloroforme.t possède la même puissance que l'éther sulfurique, et il affirme qu'il lui est infiniment supérieur sous beaucoup de rapports. La loi générale des connaissances humaines est en voie de progrès ; mais quoique d'autres puis- sent aujourd'hui se charger des constructions supérieurs, la pre- mière pierre de l'édifice recouvira à jamais les titres impensables de son fondateur ; le nom de Fulton ne sera jamais oublié, et cependant quelle immense différence n'existe-t-il pas entre le modeste bateau à vapeur qui le premier sillona les flots de l'Hudson et les magnifiques constructions qui de nos jours bra- vent les tempêtes de l'Atlantique et du monde entier ! "Comme philantropes nous ne pouvons que nous réjouir, de la part que avons eue, quelque minime qu'elle soit, au don que le génie du siècle vient d'offrir à la pauvre et souffrante humanité. Indépendent et libre comme la lumière divine, il est venu porter la joie et le bonheur au cœur de notre planète. Il laissera par- tout derrière lui des traces d'amour et de reconnaissance, la gé- nération actuelle le bénira aussi bien que celles que le ciel nous tient en réserve. L'étudiant venu des régions lointaines, ou celui des siècles futurs, en visitant ce lieu consacré se sentira pénétré * " De l'Etherisation, accompagnée de Remarques Chirurgicales, par le docteur John C. Warren, de Boston, 1848. Cette ouvrage, qui a maintenant paru, est respectueusement dédié au président et aux membres de cette corpo- ration. t " Dans une communication du docteur Henry J. Bigelow au Journal Mé- dical et Chirurgical de Boston, sous la date du 4 décembre 18-16, se trouve la phrase suivante, qui offre de l'intérêt comme prédisant un quelque sorte la découverte qui serait faite de quelque nouvel agent: — 'Et même,'dit-il, ' lorsque la science, dans ses progrès futurs, aura simplifié et amélioré la mé- thode actuelle, ou y en aura substitué une autre, ce nouveau venu ne détruira en rien le mérite des premiers inventeurs d'un grand et nouveau principe.' 97 de respect et de gratitude en se rappelant que là a été démontrée la vérité, l'efficacité d'une des plus grandes merveilles que le génie de l'homme et le pouvoir de la science aient jamais enfantée. "Obéissant à un simple suggestion de la corporation, qui re- garde cette découverte comme l'événement le plus important qui se rattache aux annales de cette institution, le comité s'est livré à l'égard de son origine à une investigation beaucoup plus mi- nutieuse qu'il n'eut cru nécessaire de le faire sans cela. " Une publication récente du docteur George Hayward, inti- tulée, ' Compte rendu des premières Expériences qui ont été faites à l'Aide de l'Ether dans les Opérations Chirurgicales,' contient un récit simple et clair de l'histoire de cette découverte, et des circonstances qui l'ont accompagnée en tant qu'elles se rattachent à ce qui s'est passé à l'hôpital. Il est intéressant de suivre pas à pas les démarches successives qui ont enfin amené ce grand ré- sultat. Elles se trouvent jusqu'à un certain point récapitulées dans les revues étrangères du mois d'avril dernier. Il y est dit que dès 1779, 'Des expériences furent tentées sur des hommes et sur des animaux à l'aide de l'aspiration de différents gaz.' ' Le docteur Beddoes, dans son ouvrages sur les Airs Factices, publié à Bristol en 1795-6,' 'donne plusieurs communications du docteur Thornton sur l'aspiration de l'éther.' Il communique également ' une lettre d'un malade du docteur Thornton, dans la quelle ce malade fait lui-même la description de ce qu'il a éprouvé après s'être soumis, d'après l'avis du docteur Thorn- ton, à l'aspiration de l'éther, et des résultats qui s'en sont suivis dans un cas de catarrhe pulmonaire. Il s'exprime ainsi : — ' Cette aspiration me soulagea presqu'immédiatement quant à l'oppression et à la douleur que j'éprouvais à la poitrine.' Dans une seconde expérience, il dit avoir aspiré deux petits cuillerées d'éther, ce qui le soulagea immédiatement comme la première fois ; il ajoute ' qu'il tomba bientôt dans un sommeil profond, et passa une nuit très tranquille.' 'Un autre cas d'une nature sin- gulière est également rapporté par le docteur Thornton, dans lequel l'aspiration fut prescrite pour le soulagement d'une vive af- fection inflammatoire des mamelles, et elle fut suivie des plus heu- reux effets.' L'éditeur de la revue dit : — 'A cette époque et beaucoup plus tard, le docteur Thornton était dans l'usage d'ad- ministrer les vapeurs de l'éther à ses patients.' ' Dans tous ces essais, personne n'avait réellement l'idée d'arriver à prévenir ou 93 à détruire le sentiment complet de la douleur, quoique ce résul- tat ait été obtenu dans le cas du docteur Thornton. Mais Sir Humphrey Davy, qui, comme on le sait, commença sa carrière de chimiste comme aide du docteur Beddoes, semble, non seule- ment avoir prévu qu'un tel résultat existait dans l'avenir, à l'aide de quelque aspiration médicale, mais aussi en avoir fait l'essai sur lui-même. L'ingrédient dont il se servit, toutefois, ne fut pas l'éther, mais bien l'oxide nitreux. Sir Humphrey nous dit que dans deux occasions, l'aspiration de l'oxide nitreux guérit le mal de tête. Il a essaya également les effets en cherchant à alléger la vive souffrance qui accompagne l'enlèvement des dents de sagesse.' ' Il dit : — " Comme l'oxide nitreux, dans ses nom- breuses applications, semble pouvoir anéantir la souffrance physique, il est probable qu'on peut s'en servir avec avantage dans les opéra- tions de chirurgie qui ne sont pas suivies d'une trop grande effusion de sang." ' — ' À l'article, Éther, Dictionnaire des Sciences Mé- dicales, volume XIII., publié en 1815, nous trouvons que l'auteur, Nysten, parle de l'aspiration de l'éther comme d'une chose gé- néralement connue, et employée dans la guérison de quelques maladies de la poitrine, et aussi pour le soulagement des douleurs causées par la colique.'— Le comité est redevable à un méde- cin ami, de la connaissance du fait que, dans la Matière Médi- cale de Pereira, publié à Londres en 1839, il est dit en termes ex- près que : — ' On se sert de l'aspiration de la vapeur d'éther, dans les asthmes spasmodiques, les catarrhes chroniques, et dans la dys- pnée ; dans la coqueluche et pour neutraliser les effets causés par la respiration accidentelle du chlore.' Le docteur Charles T. Jack- son, de cette ville, (à ce que nous apprenons par une brochure publiée par le docteur Gay en 1847, sous sa sanction et avec sa permission, et intitulée, ' Découvrte faite par le docteur Chartes T. Jackson, M. D., de l'Applicabilité de l'Éther Sulfurique dans les Opérations Chirurgicales,') a distinctement reconnu ' qu'il avait été singulièrement frappé des remarques de Davy * sur la puissance médicale des subtances gazeuses.'| En sa qualité * " Le docteur Jackson, dans une lettre publiée dans la brochure du docteur Gay, dit: — ' L'intérêt que je pris dans la question de la respiration des gaz, tire son origine des expériences faites par Sir Humphrey Davy, et depuis l'é- poque où ces expériences me furent entièrement connues, il m'a toujours sem- blé que ce sujet méritait une plus ample investigation.' t " Voir le Daily Adrertiser du 1er mars 1847. 99 de chimiste distingué, il connaissait, sans doute, aussi la dernière publication à la quelle nous venons de faire allusion. En con- séquence de ce qui précède, deux ou trois ans après l'apparition de cette publication, pendant l'hiver de 1841 à 1842, 'il aspira de l'éther sulfurique, à l'effet de se soulager d'une sensation très pénible causée par l'aspiration accidentelle d'une certaine quantité de chlore.' En d'autres termes, ayant, par accident, été exposé à respirer du chlore, il s'appliqua le remède prescrit par les auteurs accrédités. ' Au commencement de l'aspiration, il ne perdit pas la connaissance de ce qui se passait autour de lui, mais il en obtint du soulagement. Plus tard, souffrant en- core des suites du même accident, il poussa l'expérience jusqu'à arriver à un état complet d'insensibilité.' A une époque posté- rieure, et dans des circonstances entièrement analogues, il en prescrivit l'usage à l'un de ses élèves. Il en avait aussi aspiré auparavant, comme il le dit, vers 1841, en toute sécurité, et jusqu'à produire une 'singulière espèce de sommeil ou d'absence de connaissance.' — ' Avant ses observations personnelles, tin état complet d'insensibilité, provenant d'une telle cause, était considéré par les meilleures autorités, comme accompagné d'un danger plus ou moins grand; l'on connaissait plusieurs instances où celte insensi- bilité avait été suivie de résultats fatals. Des personnes jeunes avaient aspiré de celte vapeur jusqu'à arriver à un étal d'insensi- bilité, et dans quelques cas, sans aucunes suites fâcheuses.' " Le docteur Jackson, à cette époque, n'avait donc découvert aucune nouvelle puissance ou propriété de l'éther. On savait qu'il pouvait produire un état d'insensibilité ; et que cette insensi- bilité, quoique fatale dans certains cas, n'était quelquefois suivie d'aucuns résultats fâcheux. II était aussi connu comme un anti- dote contre les effets de la respiration du chlore. Il n'avait fait qu'essayer ces différents effets sur sa personne, et reconnaître l'exactitude de faits connus et constatés avant lui. En agissant ainsi, il avait conçu une opinion arrêtée que, comme il le dit, l'éther sulfurique rectifié pouvait s'aspirer sans danger ; mais quant â son efficacité pour la prévention de la douleur il n'en avait constaté l'existence que dans un seul cas, c'est-à-dire, comme nous le trouvons dans le texte de son ouvrage, dans le cas de respiration accidentelle du chlore. Cette expérience est constatée d'une manière toute particulière dans la brochure du docteur Gay, comme un fait qui jusqu'alors aurait été entièrement 100 inconnu. Les causes qui amenèrent cette expérience, et les con- séquences philosophiques qu'en déduit le docteur Jackson, sont notées avec un soin particulier. On serait réellement tenté de cro- ire que ce fait n'est mis enavant que pour servir de fondation aux prétentions du docteur Jackson à la découverte de l'efficacité et de l'absence de danger de l'aspiration de l'éther. // restait cepen- dant à prouver, cela est évident, qu'il pût être respiré d'une ma- nière efficace et sans danger, dans le but de prévenir la douleur dans toute autre circonstance d'une nature différente.* Le doc- teur Jackson ne s'est jamais, dans le but d'établir ce point, livré à aucune expérience soit sur l'homme soit sur des animaux. Il est vrai, de dire cependant, qu'il a communiqué à plusieurs per- sonnes (et, entr'autres, en 1842, à M. Bemis, dentiste distingué) les observations qu'il avait faites, et les conclusions aux quelles il était arrivé quant à l'anéantissement de la douleur pendant les opérations chirurgicales ; il est également vrai, ' qu'au mois de février 1846, i! dit, dans son laboratoire, à un de ses élèves (M. Joseph Peabody), qui voulait se faire arracher deux dents, que s'il s'exposait à l'aspiration des vapeurs de l'éther sulfurique, il en résulterait un état complet d'insensibilité ; qu'il lui conseilla de se servir de ce moyen, et de se soumettre à l'opération alors qu'il serait sous l'influence de cette aspiration et dans cet état singulier de sommeil.' Mais quel effet ce conseil produisit-il sur M. Peabody ? ' Il abandonna l'idée de se soumettre à cette expérience, pareeque son père, homme versé dans les sciences, craignit qu'il ne s'en suivît une irritation des poumons,—par- eeque les meilleures autorités étaient en opposition sur ce sujet avec les idées du docteur Jackson, et que d'ailleurs il ne voulait se sou- mettre à aucun risque pour une opération de si peu d'impor- tance.' Et tel était réellement l'état général de l'opinion publique à cette époque, parmi les hommes scientifiques.j" La découverte restait à faire, et cela par un homme disposé à risquer l'expérience, quoique les plus hautes autorités se fissent à ce sujet prononcées pour la négative. "Après les faits qui précèdent, de 1842 à 1846, il ne paraît pas * Le docteur Gay dit lui-même : " Il restait encore à prouver, que cette insensibilité, fût assez parfaite, pour que pendant sa .durée, le malade pût, sans douleur, se soumettre à l'action d'un instrument touchant." (Page 10 de la brochure.) + Voir la lettre de M. Metcalf au Comité. 101 que le docteur Jackson ait proposé à qui que ce soit de faire usage de l'éther, excepté dans quelques opérations peu impor- tantes ressortant de la profession du dentiste. Familier, comme il avoue l'avoir toujours été, avec les vues de Sir H. Davy, qui, depuis si longtems, avait conseillé l'emploi de l'oxide nitreux dans les opérations qui n'étaient suivies que de peu d'effusion de sang, il était tout naturel que les idées du docteur Jackson se fussent exclusivement tournées vers l'emploi de l'éther sulfurique dans les opérations peu importantes, spécifiées comme elles l'ont été plus haut, par un savant d'un ordre si élevé ; il parait même évident qu'il n'avait pas le plus léger soupçon de l'universalité de ses applications, ni de leur importance. Telle est, en effet, la seule explication satisfaisante du fait, que pendant près de cinq ans, il n'a fait aucun essai de l'application de sa découverte, ni engagé qui que ce soit à le faire, car aucune expérience n'a eu lieu pendant cet intervalle. A ce sujet, l'avocat du docteur Jackson s'écrie, ' Plus de vingt-cinq ans s'écoulèrent après que Jenner eut entendu la laitière vanter pour la première fois l'in- fluence protectrice du vaccin, avant qu'il se décidât à vacciner personne ' ; puis il ajoute, ' que pendant cette période il s'était livré à une investigation complète du sujet.' Mais il paraîtrait que, contrairement à ce que fit Jenner, le docteur Jackson ne s'est occupé de l'éther qu'accidentellement et comme par hasard, pendant cette espèce d'interrègne : afin de rendre le parallèle complet il faudrait prouver que Jenner, après avoir vacciné son premier sujet, avait laissé passer cinq ans avant de se décider à en vacciner un second, ne se doutant pas plus que le docteur Jackson de l'importance de sa découverte- Ces découvertes sont d'ailleurs d'une nature tellement différente, qu'elles n'offrent à l'esprit qu'un contraste frappant au lieu d'un parallèle. Dans le cas de la vaccine, la vérité ne pouvait se faire jour que par des essais répétés, et par une patiente investigation ; elle avait à lutter contre les préjugés invétérés de tout l'ancien monde ; dans le cas de l'éther, au contraire, le problème se trouve résolu tout d'un coup, à la suite d'une seule opération importante faite avec succès et l'humanité tout entière applaudit à sa venue et en reçoit la solution avec transport. " Pendant cette même période, le docteur Wells, de Hart- ford se servait de l'oxide nitreux, pour faciliter l'extraction des dents dans sa pratique. Ses prétentions au titre d'inventeur dans 9 102 cette affaire, doivent céder le pas à celles de Sir H. Davy, qui, après de nombreuses expériences, avait, pour ainsi dire, suggéré distinctement l'emploi de ce même agent pour des cas sem- blables, tant d'années auparavant. Il existe, sans doute, des raisons, fondées sur la nature même de cette substance, qui se sont toujours oposées à ce que ces suggestions de Sir H. Davy n'aient depuis longtems été mises en pratique ; et quelqu'ait été le résultat des essais du docteur Wells partout ailleurs, il n'en est pas moins certain que son expérience publique faite à Boston en 1844 s'est terminée par une mystification complète. Le docteur Wells déclare également que déjà en novembre 1844, une opération chirurgicale avait été pratiquée dans le cabinet du docteur Marcy, sous l'influence de l'éther sulfurique, et il ajoute, ' Le docteur me conseilla cependant alors de con- tinuer à me servir de l'oxide nitreux.' Et il semblerait que le résultat de cette seule et unique expérience fut tel, que, suivant le conseil qui lui avait ainsi été donné, il renonça à l'idée de renouveler l'emploi de l'éther dans l'exercice de sa profession. Ses prétentions quant à la découverte en question, paraissent donc, d'après ce qui précède, entièrement dénuées de fonde- ment. Il nous paraît impossible de ne pas croire que ce n'est que par suite d'un manque de due considération, que ses prétentions ont pu recevoir la sanction officielle de son pays natal, l'Etat de Connecticut.* Il a même été publié une lettre du docteur Wells au docteur Morton dont le contenu semble exclure l'idée que lui, le docteur Wells, ait jamais prétendu à un droit de priorité dans cette découverte.! On ne peut cependant lui re- fuser la justice de dire qu'il a droit à l'honneur d'avoir compté parmi ceux qui se sont lancés avec ardeur et des premiers, à la recherche de la vérité dans ce sentier encore peu frayé, mais qui devait plus tard conduire à cette grande découverte ; et ses travaux et ses expériences peuvent, nous le pensons du moins, être considérés comme ayant eu une influence indirecte sur le résultat, quoique en eux-mêmes ils n'aient point été couronnés de succès. J [* " La résolution de la législature de l'État de Connecticut, fut passée à la •hâte, sans avoir entendu le docteur Jacksun ni le docteur Morton, et sans que leurs droits aient reçu la moindre investigation.— Ed.] t " Voir la lettre du docteur Wells mentionnée plus haut. t » Voir la lettre de M. Metcalf que nous avons donnée plus haut. 103 " Il est tems maintenant que nous nous occupions du doc- teur W. T. G. Morton, de cette ville. Il avait été élève du docteur Jackson, et autrefois associé du docteur Wells. Il se prévalait donc quelquefois des conseils du premier ; et (à l'occa- sion de l'expérience publique faite à Boston) il avait pris part aux expériences du dernier, dans l'application de l'oxide nitreux. Nous ne voyons nulle part que le docteur Wells ait jamais men- tionné à Boston, la seule et unique expérience qu'il ait jamais faite à l'aide de l'éther sulfurique. Il existe des preuves suffi- santes que le docteur Morton s'était pendant longtems occupé de ce sujet ;* qu'il avait acheté de l'éther et s'en était servi pour * " Un brocure, entitulée, ' Compte rendu du Léthéon ; ou, Quel est l'In- venteur? par Edward Warren, publiée à Boston en 1847,' contient plusieurs dépositions prouvant le fait des expériences pratiquées par le docteur Morton ; plusieurs des déposants sont entièrement inconnus du comité ; mais la véracité de M. Thomas R. Spear est attestée d'une manière très honorable par l'Honora- ble John P. Bigelow et par M. Charles Sprague, deux de nos citoyens les plus respectables. M. William P. Leavitt est aussi représenté comme un témoin digne de foi par M. Nathaniel G. Snelling, le président bien connu de l'ex- Compagnie du Massachusetts pour l'assurance contre l'incendie et les risques de mer. M. Francis Whitman, l'un des déposants est mort depuis peu ; sa véracité parait également inattaquable. Mr. Caleb Eddy est personnellement connu de l'un des membres du comité, comme ayant été pendant des années l'ami intime du docteur Jackson ; et le témoignage de son fils, R. H. Eddy, dont nous parlerons bientôt, est digne de toute croyance. Ces deux dernières dépositions se rapportent spécialement à la participation du docteur Jackson à la découverte. Le docteur Jackson, cependant, rejette ces deux dépositions, attendu que le fils avait un intérêt dans le brevet d'invention, et était par con- séquent partie dans la cause, et que le père naturellement devait suivre la même marche que son fils dans une affaire où celui-ci se trouvait personnelle- ment et pécuniarement intéressé. Il existe aussi des dépositions de deux chirurgiens dentistes, MM. Grenville G. Hayden et John C. Hardy, mais le comité ne connait personnellement ni l'un ni l'autre de ces messieurs. [Spear et Leavitt étant les deux témoins dont les dépositions, si l'on y ajoute foi, offrent la preuve des expériences directes faites par le docteur Morton, le comité n'a pas cru nécessaire de s'addresser aux personnes qui se portaient garantie de la véracité de MM. les docteurs Hayden et Hardy, attendu, qu'à une exception près, aucun de ses membres ne connaissait ces mêmes per- sonnes, même de réputation. Cette omission, cependant, de la part du comité, ne doit en aucune manière être regardée comme impliquant un manque de confiance, de sa part, dans l'entière véracité de l'un ou l'autre de ces témoins* Le docteur Hayden forma une association avec le docteur Morton pendant l'été de 1^40 et le docteur Hardy avait autrefois été élève avec le docteur * " Voir plus haut ce qui est dit du docteur Hayden. 104 suivre ses expériences ; que dès 1846 un chimiste distingué de cette ville avait eu avec lui une conversation sur ses qualités Morton. Le témoignage de ce dernier témoin est ainsi conçu:—'Pendant l'automne de 1844, je fus requis par le docteur Morton, de vouloir bien exami- ner une préparation qui devait être administrée dans le but de prévenir la souf- france qui résulte toujours de l'extraction d'une dent. Le docteur Morton semblait alors fortement préoccupé de ces expériences et y prendre un vif intérêt, et il me pria même de l'aider à en faire de nouvelles dans le cas où celles dont il s'occupait seraient couronnées de succès. " Il ne paraît peut être pas hors de propos, dans cet état de la cause, de dire ici que le docteur Morton, le 3 mai IH45 (comme il résulte d'un mémoire de libraire de cette date, et communiqué au comité), acheta sept volumes sur la chirurgie, la physiologie, l'anatomie, et la chimie ; il se procura aussi la Matière Médicale de Pereira,—' ouvrage qui contient la relation de. plusieurs expériences faites sur des chiens à l'aide de l'éther sulfurique. Le comité toute- fois n'attache pas grande importance à cette circonstance. Le témoignage de George O. Barnes et celui du docteur Keep, publiés dans la brochure du doc- teur Gay, semblent prouver que le docteur Morton ne se rendait pas compte de l'importance de l'introduction de l'air atmosphérique dans l'appareil destiné à renfermer l'éther sulfurique, à l'époque de ses premières expériences; d'où il résulte qu'il n'avait pas encore à cette époque une connaissance entière de ses propriétés.* " Le témoignage du docteur Hayden se rapporte principalement à certaines expériences faites avec une certaine quantité 'd'éther,'acheté chez Stevens, Brewers A. Co., au mois d'août 1846, et renfermé dans une demi-john (espèce de grosse bouteille couverte d'osier) ; et les témoignages de Leavitt et Spear se rapportent également, en apparence, entièrement à la même qualité ' d'éther ' ; et, en parlant de cet ' éther,' M. Whitman prétend avoir dit au docteur Mor- ton, qu'il savait ce que c'était, que c'était de l'éther chlorique. Le docteur Jackson infère de cette déposition qu'il existait un désir, de la part des autres déposants, de supprimer le fait que c'était en effet de ' l'éther chlorique ' que contenait la demi-john, et de faire ainsi croire au public que leur patron avait ré- ellement opéré avec de l'éther sulfurique. D'après le certificat supplémentaire du docteur Hayden, joint à l'analyse faite par le docteur Gay et par M. Bur- nett, il semblerait cependant, qu'il reconnaît aujourd'hui que cette substance était en effet de l'éther sulfurique non rectifié. D'ailleurs, le témoignage de M. Whitman, quoiqu'il ne fasse mention d'aucune expérience directe con- firme sous plusieurs rapports, d'une manière éclatante, celui de MM. Spear et Leavitt; et nous pensons que la remarque dont Whitman dépose comme faite par lui, dans cette seule occasion, au docteur Morton, et dans les termes où elle fut faite, que la demi-john contenait de l'éther chlorique, est loin de res- sembler à une affirmation positive que cette substance douteuse fût en réalité et •sa connaissance de l'éther chlorique. Le comité pense que c'est comme s'il avait dit: —« Vous mettez bien du secret et du mystère dans vos opérations • * Voir cependant ce qui a été dit plus haut à ce sujet. 105 médicinales ; * et qu'à cette époque même il avait arrangé ses affaires de manière à se débarrasser des devoirs immédiats de sa mais vous avez beau vous racher, je n'en sais pas moins ce qu'il y a dans la demi-john ; je suis sur que c'est de l'éther chlorique.' Mais d'ailleurs cette prétendue contradiction, qui n'est au fond qu'apparente, disparaît entièrement devant la lettre de M. Metcalf, dont nous nous occuperons dans la note sui- vante, la quelle prouve positivement, et met hors de tout doute possible, que le docteur Morton connaissait réellement la nature de l'éther sulfurique et en avait eu en sa possession avant l'achat fait chez MM. Stevens, Brewers & Co. Cet argument du docteur Jackson est, de plus, singulièrement remarqua- ble, quand l'on considère que dans la spécification qui accompagne la demande de brevet, il ne s'appuie pas exclusivement, dans l'exposition de ses droits, sur l'emploi de l'éther sulfurique à l'exclusion de toute autre substance. Les termes dont il se sert sont même assez vagues pour embrasser le chloroforme dans sa pétition. Le docteur Jackson se plaint également de ce que le doc- teur Morton ait omis de dire dès le commencement à Mr. Eddy, qu'il avait déjà fait des expériences avant l'entrevue qu'il avait eue avec lui, le docteur Jackson, le 30 septembre 1846; mais M. Eddy lui-même trouve cette omis- sion suffisamment justifiée par les faits mêmes de la cause. Le docteur Jack- son fait aussi remarquer que l'éther que Leavitt, comme il le déclare dans sa déposition, alla chercher chez MM. Stevens, Brewers & Co., fut acheté par lui sous un nom supposé, et cela d'après les ordres du docteur Morton, comme s'il était destiné à être expédié dans l'intérieur du pays. On peut sans doute regretter l'emploi de ce système de cachoterie et de mystèi'e, mais nous sommes loin de penser que la véracité du témoin puisse avoir à souffrir de cette circonstance. Le comité, dans cette investigation, a toujours préféré n'admettre que des faits résultant du témoignage de personnes tierces ; reje- tant, autant que possible, toute déclaration verbale et non étayée de preuves, sans distinction de parties, attendu que ses membres sont autorisés à penser que de telles déclarations sont souvent faites dans un moment de chaleur, et dans des circonstances qui permettent de donner aux paroles employées soit une fausse interprétation, soit un sens exagéré. * " Voir la letter de M. Metcalf. " M. Metcalf est le prédécesseur bien connu de M. Burnelt, et, comme apo- thicaire, a longtemps possédé, au plus haut degré, la confiance et le respect de la faculté de médecine ; il n'existe personne parmi nous dont le témoignage puisse donner un plus haut degré de confiance à un état de faits précisés d'une manière positive et distincte. Il est donc certain que le docteur Morton, plusieurs mois avant son entrevue avec le docteur Jackson, acheta de l'éther sulfurique à la boutique même où celui-ci lui avait conseillé, en dernier ressort, de s'en procurer d'un autre qualité, qui fût pur et rectifié ; et que c'est à l'aide de l'ar- ticle qu'il se procura alors qu'eurent lieu les expériences qui ont si bien ré- ussi. L'on peut même remarquer ici que les détails de cette conversation,, rapportés par M. Metcalf, semblent prouver, d'une manière concluante, quelle était l'intention du docteur Morton quand il fit cet achat. " Le comité peut s'attribuer le mérite d'avoir obtenu cet important témoi- 9* 106 profession, afin de pouvoir se livrer en toute liberté à une chose qui devait amener une révolution complète dans l'art du den- tiste.* Mais nous croyons inutile d'entrer ici dans les détails particuliers de cette série de preuves. Habile dans les spéciali- tés de sa profession, le docteur Morton n'a nulle prétention à passer pour un homme de science ; à la recherche de cette dé- couverte, connaissant cet agent, il se rend chez le docteur Jack- son ; désirant, sans toutefois trahir ses propres pensées, et le gnage. L'absence de M. Metcalf qui avait passé quelque temps en Europe, s'était opposée à ce que le docteur Morton pût s'adresser à lui, et quand il le fit ce fut à la recommendation expresse des membres de comité. En outre de ses rapports directs avec les faits de la cause, ce témoignage vient confirmer celui du docteur Hayden qui avait déjà déclaré qu'il était à sa connaissance que le docteur Morton avait acheté chez M. Burnett une petite quantité d'é- ther sulfurique ; et non seulement cela, mais ce témoignage semble encore prouver que le docteur Hayden ne pouvait avoir aucun motif pour donner une fausse idée du contenu de la demi-john, puisque la chose à prouver était l'en- tière ignorance du docteur Morton des propriétés de l'éther sulfurique, et non le plus ou le moins de connaisance qu'il pouvait avoir de la nature de cet agent. Le docteur Gay conclut, de ce que le docteur Morton omit, dans ses déposi- tions publiées, de déclarer l'espèce d'éther dont il s'était servi dans ses expéri- ences, qu'il ignorait même l'existence de l'éther sulfurique jusqu'au 30 sep- tembre 1846. Le docteur Jackson lui-même a été jusqu'à déclarer à l'un des membres du comité, que lors de son entrevue avec le docteur Morton le 30 septembre 1846, celui-ci n'avait jamais vu d'éther sulfurique, qu'il était entière- ment ignorant de la nature et des qualités de cet agent, et qu'il reçut de lui, pour la première fois, le conseil de s'en servir ; quand il lui fut dit que l'igno- rance manifestée par le docteur Morton était une feinte, il repondit qu'il avait la certitude qu'elle était réelle, et il ajouta cette observation : — 'Le comité peut regarder comme un fait positif que cette ignorance était un fait acquis à la cause et pouvait se prouver d'une manière irrécusable.' Le comité, con- naissant la déclaration de M. Metcalf, chercha à lui faire comprendre qu'un témoin irrécusable avait déclaré que trois mois avant cette entrevue, le docteur Morton avait acheté de l'éther sulfurique et causé avec lui de ses qualités médicinales. Le docteur Jackson répondit que cela ne pouvait pas être, que ce devait être une méprise, etc. Le comité apprit deux jours après de M. Metcalf qu'il avait lui-même, à une époque antérieure, dit au do teur Jackson, qu'avant son départ pour l'Europe, il avait vu le docteur Morton acheter de l'é- ther et qu'il avait causé avec lui de ses propriétés. Il n'avait pas, à la vérité, précisé au docteur Jackson l'époque exacte où cette conversation avait eu lieu ; mais le comité pense que cette circonstance prouve suffisamment que les infé- rences du docteur Jackson, dans ce cas particulier, n'ont pas été déduites avec le soin et la prudence que méritaient les faits, et cela, même lorsque les faits lui eurent été communiqués d'une manière directe et authentique. * " Voir les lettres de MM. R. H. Dana, Junior, et F. Dana, Junior. 107 motif réel qui l'amène, obtenir de lui toutes les informations que ses recherches étendues et son expérience pourraient le mettre même de lui fournir. Le docteur Jackson, pendant cette entrevue, l'assure de la manière la plus positive que l'éther sulfurique hautement rectifié peut s'employer d'une ma- nière utile et sans aucun danger ; il lui dit où il pourra en trou- ver de bonne qualité ;* et lui conseille comme il l'avait aupara- vant fait à bien d'autres, d'essayer d'en faire l'expérience.t S'é- cartant de l'exemple donné par ses devanciers, le docteur Morton se détermine à suivre ce conseil. Il ne se laisse pas décourager par le doute qui devait naturellement résulter de la formidable opposition des plus hautes autorités de la science ; il ne deman- de pas mieux que de courir les risques de l'aventure. En consé- quence, le 30 septembre 1846, après s'être, comme il le dit lui- même, soumis à l'aspiration, il trouve un patient qui lui permet de s'en servir avec lui, et lui arrache une dent sans la moindre douleur. Malgré le succès de cette opération, l'on pouvait cependant douter encore, que l'insensibilité obtenue avec des résultats si satisfai- sants, pût se prolonger de manière à en permettre une autre qui demandât plus de temps. Le lendemain le docteur Morton se rend chez le docteur Jackson, et l'informe du succès qu'il vient d'obtenir ; et celui-ci déclare qu'il l'engagea alors à solliciter des chirurgiens de l'hôpital la permission d'y faire un essai. J Cepen- dant, il ne va voir lui-même aucun de ces chirurgiens ; il n'est * " C'est-à-dire, chez M. Burnett où le docteur Morton lui-même avait acheté de l'éther sulfurique trois mois auparavant. t " Le comité considère comme une chose très importante, à l'égard de cette entrevue, qu'il soit bien entendu que les informations obtenues par le docteur Morton, et qui furent le résultat de sa visite chez le docteur Jackson, avaient été sollicitées par lui (le docteur Morton) dans un but spécial, celui d'obtenir un moyen de décider un de ses patients à se soumettre à une opération, sous l'impression que cette opération serait pratiquée sans douleur ; et qu'elles ne lui furent point données dans une entrevue recherchée par le docteur Jackson, afin qu'une expérience fut faite pour la seule gratification de ce dernier ni pour l'aider en aucune manière à en venir à ses fins. t " Le docteur Hayden déclare cependant, dans sa déposition, que ' le soir même du 30 septembre, après le succès de la première expérience, le docteur Morton exprima l'intention de se rendre à l'hôpital, d'y faire usage de l'éther et de faire ainsi connaître sa découverte,' tandis qu'un des témoins du docteur Jackson déclare que, ' Le docteur Morton fit de fortes objections à l'idée de se rendre à l'hôpital.' Il n'a certainement pas, plus tard, manifesté la même ré- pugnance. 10S présent lui-même à aucune des opérations qui ont eu lieu d'abord.» Il craint, dit-il, que le docteur Morton, par son imprudence, ne soit cause de quelque grand malheur. Il refuse de lui donner un certi- ficat signé de lui, qui atteste que l'éther peut s'administrer sans danger. Il exprime ouvertement, et en termes énergiques, le regret qu'il éprouve des communications qu'il a pu faire au docteur Morton, à ce sujet.! Le docteur Jackson n'est donc f nullement responsable du résultat de toutes les expériences qui ont eu lieu plus tard ; on peut également l'absoudre de ses doutes quant à l'absence de danger dans l'application de l'éther ; ou plutôt, et c'est plus probable, quant à la compétence du doc- teur .Morton à l'administrer avec prudence. Dans les deux cas, tous les risques étaient du côté du docteur Morton et des chirur- giens de l'hôpital. X Quoiqu'il en soit le docteur Morton pour- suit le cours de ses premiers triomphes et cette grande vérité, après la quelle la pauvre humanité a tant soupiré depuis le jour où elle a commencé à exister et à souffrir, et qui jusqu'alors avait été la cause de tant de prières inutiles, parait au grand jour dans toute sa magnificence. JI est enfin démontré que l'éther sulfurique peut s'administrer sans danger à l'effet de produire un état d'insensibilité pendant les opérations chirurgicales. " Il paraît donc évident aujourd'hui, malgré toutes les récrimi- • " Le docteur Jackson n'était point en ville quand la troisième opération eut lieu à l'hôpital, et son absence dura douze jours ; mais outre cette ab- sence précise, il avait assigné une autre raison pour n'être pas présent à cette opération. t " Plus d'un témoin se rappelle distinctement que cette expression, — ' Peu m'emporte ce qu'il en fera, pourvu qu'il n'y mêle pas mon nom,' et beaucoup d'autres de la même nature, furent proférées parle docteur Jackson à l'époque des premières expériences du docteur Morton, dans le but de confirmer et d'é- tablir celte découverte ; et l'un des témoins du docteur Jackson, M. George O. Barnes, dans une déposition publiée par le docteur Gay, dit en termes ex- près,— ' Il (le docteur Jackson) était fâché d'avoir fait part de sa découverte au docteur Morton, et de s'être servi de lui pour faire ses premières expéri- ences sur l'éther. Il s'exprimait avec force à cet égard.' } " Ces chirurgiens étaient alors ce qu'ils sont maintenant, c'est-à-dire, les docteurs John C. Warren, George Hayward, Solomon D. Townsend, Henry J. Bigelow, Samuel Parkman, et J. Mason Warren. Le docteur Gay prétend que le docteur Morton, à cause de son ignorance, ne pouvait courir et en réa- lité n'a jamais couru aucun risque en suivant les directions qui lui avaient été, dés l'abord, données par le docteur Jackson. Cet argument ne peut cer- tainement s'appliquer à ses expériences postérieures. 109 nations, que c'est au docteur Morton que le monde est redevable de cette importante découverte ; et que sans les connaissances scientifiques et les sages conseils du docteur Jackson, le docteur Morton ne l'aurait peut-être pas faite à l'époque où elle a eu lieu ou ne l'aurait même jamais accomplie plus tard. L'un, convaincu que l'usage de l'agent ne présentait aucun danger, a le mérite d'avoir donné d'excellents avis ; l'autre, d'un carac- tère déterminé et étranger à la crainte, a fait le premier essai réel et y a réussi. Entre l'inventeur et le conseiller, il y aura désormais et pour toujours une alliance indissoluble, quelque soit la répugnance qu'elle inspire aux parties que le sort a ainsi liées l'un à l'autre. Deux de mes confrères ont, à ce sujet, publié des documents qui viennent à l'appui des vues générales que nous venons d'exposer. L'un, le docteur Hayward, s'ex- prime ainsi : ' Il est bien connu qu'au docteur Jackson, célèbre pour ses vastes connaissances en chimie et en géologie, est due la première idée de l'emploi de l'éther ; * mais au docteur Mor- ton appartient l'honneur d'avoir été le premier qui ait démontré, par des expériences sur le corps humain, l'existence de ses propriétés extraordinaires.' L'autre, le docteur Jacob Bigelow, Président de l'Académie Américaine des Sciences et des Arts, dans un article publié dans le Journal de Médecine et de Chirur- gie de 7 juillet 1847, dit: 'Quant au docteur Jackson, s'il a fait sa découverte en 1842, comme il le prétend, et même plus tard, il demeure responsable de la masse de souffrances humaines aux quelles il a condamné ses semblables, et qu'ils ont endurées depuis l'époque où cette découverte fut faite par lui jusqu'au moment où le docteur Morton fit aussi la sienne. Mais, en bon Chrétien, nous préferons croire qu'il n'avait aucune idée bien définie de la puissance de l'éther dans l'art de la chirurgie ; car il n'avait été témoin d'aucun de ses effets sur le corps humain, alors que le scalpel laboure sans pitié la chair de la pauvre vic- time. Le premier fit des expériences partielles, en recommanda qui fussent décisives, mais n'en fit aucune ; l'autre courut tous les risques et fit les travaux nécessaires pour démontrer son effi- cacité ou son impuissance, et surtout l'absence de danger dans * " Cette remarque a été faite évidemment, avant que le docteur Hayward sût que le docteur Morton s'était livré à des expériences sur l'éther avant son entrevue avec le docteur Jackson. 110 son application, qui jusqu'à lui avait été considéré comme hasar- deuse et pouvant compromettre la vie du malade, et cela d'après les autorités les plus respectables, depuis Christison jusqu'à M. Peabody. " Sous le rapport de la simplicité de l'agent employé, de l'im- mensité des résultats obtenus, et des nombreuses tentatives si près de réussir, qui ont eu lieu dans la poursuite de cette décou- verte, combien sont vraies les lignes suivantes de Milton, sur les quelles un main amie a appelé l'attention du comité ! "'Chacun admira cette invention, et se rappela combien de fois il avait faillit en être l'auteur ; si simple parait une vérité après sa découverte, qui jusqu'alors enveloppée du mystère de l'obscurité, s'était toujours présentée à l'esprit sous l'aspect de l'impossible ! ' " Il est à regretter qu'une noble découverte dans les sciences se trouve accompagnée de dissensions et de controverses, mêlées d'amertume, et à ce qu'il nous paraît du moins, d'un manque de bonne foi. Le docteur Morton convient franchement que lors- qu'il s'adressa, pour la première fois, au docteur Jockson, il le fit avec l'intention de lui cacher le véritable objet de sa visite ; il affecta même de paraître ne rien connaître du sujet qui l'ame- nait chez lui ; il alla même, à ce qu'il semble, jusqu'à lui de- mander si l'éther n'était pas un gaz. * Le docteur Morton explique la dissimulation dont il s'est servi, à cette occasion, en disant qu'en se conduisant autrement il craignait de perdre le mérite de toute découverte qu'il pourrait faire plus tard. Il en est cependant résulté, pour le docteur Morton, qu'un grand nom- bre de personnes, formant leur opinion d'après le témoignage irrécusable de ceux qui étaient présents à l'entrevue, se sont crues autorisées à lui enlever toute participation au mérite de la découverte, le comparant à une garde malade qui administre à celui qu'elle soigne, une drogue nouvelle et puissante d'après * " La lettre de M. Metcalf ne laisse aucune doute que l'ignorance mani- festée par le docteur Morton ne fût une feinte, car elle prouve qu'il savait très bien ce que c'était que l'éther sulfurique, trois mois au moins avant l'époque de cette entrevue. Si cependant cette ignorance était réelle, les prétentions du docteur Morton au mérite de la découverte s'en trouveraient, il est vrai affaiblies, mais cette circonstance ne serait d'aucun avantage à celles du doc- teur Jackson ; il était en droit de considérer cette prétendue ignorance comme réelle." 111 ordre du médecin,* et ne voyant faussement en lui, du moins, en ce qui régarde cette découverte, qu'un instrument mis en œuvre par le docteur Jackson. Cette démarche, que nous n'hé- sitons pas à blâmer, a semblé donner de la valeur aux conseils du docteur Jackson, en leur donnant un caractère de spontanéi- té, au lieu d'une simple réponse à une question intéressée ; c'est dans celte démarche que se trouve le seul prétexte de plausible appa- rence qui pût tendre à enlever au docteur Morton le mérite de la découverte. La vérité s'est donc enfin dévoilée dans toute sa majesté ! D'un autre côté le docteur Jackson fait passer en Europe, comme un document qui aurait été lu devant l'Académie Américaine, une déclaration de ses droits à la découverte, lors- qu'en réalité ce document n'a jamais été lu ; lui faisant ainsi courir le monde sous le couvert d'une sanction officielle qu'en réalité il n'a jamais reçu et à la quelle il n'a aucun droit. Nous voyons également dans le Daily Advertiser, du 1er Mars, le docteur Jackson s'exprimer ainsi : 'J'étais désireux d'en faire l'essai (il parle de l'éther sulfurique) dans une opération dangereuse, et le docteur J. C. Warren consentit avec plaisir à ce que l'opération eût lieu ; et elle fut suivie des plus heureux résultats, l'opération con- sistait dans une amputation — et elle fut faite sous l'influence des vapeurs de l'éther sans que le malade éprouvât le moindre senti- ment de douleur ; ' tandis que nous possédons deux pièces, devenues publiques, du docteur Warren, l'une en réplique à une lettre de 30 novembre 1846, où se trouve la phrase suivante : ' Deux ou trois jours après les deux premières opérations faites à l'hôpital, me rencontrant avec le docteur Charles T. Jackson, homme distingué par son esprit philosophique en matière de re- cherches, aussi bien que par ses connaissances en chimie et en géologie, il m'informa qu'il avait lui-même suggéré au docteur Morton d'employer l'aspiration de l'éther, à l'effet de prévenir * '' Cette comparaison dont s'est servi le docteur Gay parait au comité en- tièrement inapplicable dans l'espèce. Une garde malade qui refuse de donner à un patient une médecine nouvelle et d'un caractère dangereux, peut être attaquée avec justice par le médecin en attendance près du malade; mais le docteur Morton n'était point un élève placé sous la férule du docteur Jackson, et chargé d'administré les remèdes de celui-ci à un de ses malades. U avait l'usage de son libre arbitre, et ce fut dans la plénitude de cet état de liberté, qu'après avoir reçu l'ordonnance, il s'en alla, de son plein gré, à la recherche d'un malade qui voulût bien s'y soumettre. 112 les atteintes de la douleur dans les opérations sur des dents ; il n'éleva aucune prétention à l'invention de l'appareil à employer en pareil cas, non plus qu'à l'application pratique de sa théorie; nous le devons au docteur Morton.' La seconde pièce est ainsi conçue : 'Boston, 6 janvier 1847. Je déclare ici et je certifie qu'autant que je me puis me le rappeler, je n'avais jamais enten- du parler de l'usage de l'éther sulfurique par aspiration, comme d'un moyen de prévenir le sentiment de la douleur dans le cours des opérations chirurgicales, jusqu'au moment où le docteur Morton m'en informa, vers la fin d'octobre 1846.' Si l'on peut objecter que les deux premières opérations faites à l'hôpital ne pré- sentaient pasunegrande gravité, nous nous pouvons répondre, sous l'autorité du docteur Hayward qui a pratiqué l'opération, qu'il s'agissait de l'enlèvement d'une grosse tumeur au bras, que l'opération dura sept minutes, et que, comme il fallait absolument couper la peau sur un grande étendue, l'expérience fut aussi satisfaisante que s'il s'était agi d'une amputation, car le malade n'évinça pas le moindre symptôme de douleur. Une personne, présente à l'opération, a montré au comité, une esquisse du bras et de la tumeur qui y était attachée, dessinée sur les lieux-mêmes à l'instant de l'opération, et l'on voît aisément, en l'examinant, combien cette opération était formidable, quoique techniquement parlant, on ne peut pas dire qu'elle fût dangereuse. Le docteur Warren dit expressément dans un ouvrage qui n'a pas encore paru : 'Le malade ne fit paraître aucun symptôme de souffrance soit physique soit morale.' Et cependant ce ne fut qu'après cette opération que le docteur Warren ou le docteur Hayward reçurent la communication que le docteur Jackson, soit par lui-même soit par l'intermédiaire d'une tierce personne, eût rien à démêler avec celte découverte. La troisième opération était d'un caractère très dangereux, et cependant elle réussit à marveille. Alice Mohan, jeune femme de vingt ans, qui pendant longtems avait été l'une des malades de l'hôpital, et que les membres du comité, (aux bontés et aux égards des quels son caractère et sa conduite aussi bien que ses malheurs lui donnaient tant de droits), se rappelent sans doute fort bien, fut obligée de se soumettre à une amputa- tion au-dessus du genou. Mais si la déclaration du docteur Jackaon doit être comprise comme faisant allusion à ce dernier cas, nous trouvons encore que chaque partie de cette déclaration est irréconciliable avec la nature des faits. Cette opération fut 113 faite, non par le docteur Warren, mais bien par le docteur Hay- ward ; et non seulement le docteur Hayward ignorait-il alors que le docteur Jackson eût aucune participation à cette décou- verte ; mais la conversation qui avait eu lieu à ce sujet entre le docteur Warren et le docteur Jackson, nous découvre les faits suivants : le docteur Warren, ayant appris du docteur Jackson que celui-ci avait donné au docteur Morton les premières idées relatives à l'emploi de l'éther sulfurique, pria le docteur Jackson de vouloir bien venir l'administrer lui-même à l'hôpital, pendant cette troisième opération, qui devait avoir lieu le samedi suivant; mais le docteur Jackson refusa, et cela pour deux raisons; — la première, c'est qu'il allait s'absenter ; la seconde, qu'il ne pou- vait le faire d'une manière consistante avec les arrangements qu'il avait faits avec le docteur Morton. Le docteur Warren n'a fait aucune communication au comité relativement à cette conversation, mais il serait facile de prouver judiciairement, d'après d'autres prouves qui ont été offertes au comité que telle fut la teneur du langage dont se servirent les parties. Il en résulte que si le docteur Jackson, à une époque quelconque, a jamais prié le docteur Warren de lui laisser faire, à l'hôpital, une expérience à l'aide de l'éther, ce ne peut être que postéri- eurement à cette conversation, pendant la quelle il déclina de l'administrer lui-même, et cela lorsqu'un autre en avait déjà fait une application heureuse sans son assistance. Ce refus d'allouer au docteur Morton tout espèce de droit au mérite de la découverte n'a eu d'autre résultat, que celui d' appeler sur les prétentions du docteur Jackson l'attention d'une critique sévère ; s'il eût voulu admettre que cette découverte avait été faite en commun, le monde lui aurait probablement at- tribué, comme homme de science, la plus grande part à l'hon- neur qui naturellement devait en résulter pour ses auteurs. Les prétentions exclusives du docteur Jackson semblent reposer en- tièrement sur ce fait, que le docteur Morton n'avait, dans tout ceci, agi que comme son agent ; idée que le docteur Morton repousse évidemment, car la première fois qu'il se présente chez le docteur Warren, il ne prononce même pas le nom du docteur Jackson ; et le docteur Jackson ne l'accueille pas mieux, car il la désavoue formellement et sans équivoque possible pendant toute la durée des expériences du docteur Morton. Le comité pense que les premières démarches du docteur Jackson rendent 10 114 pour jamais inadmissibles les prétentions exclusives qu'il mit en avant. Il convint d'abord de recevoir du docteur Morton une somme de 500 gourdes, comme compensation de ses servives. Est-il, pour un seul instant, presumable, que le véritable auteur d'une semblable découverte pût songer à échanger son droit d'aînesse contre un plat de lentilles ? Et lorsque plus tard, d'après l'avis d'un agent pour l'obtention de brevets d'invention, depuis longtems l'ami du docteur Jackson, le docteur Morton consentit à ce que le nom de celui-ci fût associé au sien dans la denande de son propre brevet, à la condition qu'au lieu de 500 gourdes le docteur Jackson recevrait dix pour cent seulement sur les bénéfices à venir ; nous le demandons de nouveau, est-il presumable, que le seul inventeur, se fût ainsi associé une autre personne, faisant serment que la découverte leur était commune, et se contentant en même temps d'une misérable pitance au lieu du tout qui lui revenir de droit ? Non, en vérité, et nous regardons le docteur Jackson comme déchu de tout droit à une prétention quelconque, et cela, non d'après des considéra- tions purement techniques et légales, mais en toute justice et d'après les faits qui ressortent de la cause ; mais nous ne pour- suivrons pas plus loin cette partie ingrate et désagréable de notre tâche. " Il est en tout cas fort à regretter qu'un brevet ait été pris pour une telle découverte. Le docteur Franklin eût eu autant de droit à en demander un quand il découvrit l'usage que l'on pouvait faire du fluide électrique. Un brevet, dans le cas dont il s'agit ici, semblerait consacrer un monopole d'une nature odieuse, une spéculation sur les souffrances humaines, sem- blable à ce qui résulterait d'un privilège accordé pour la vente du pain au milieu d'une société affamée. Il faut, cependant, rendre au docteur Morton la justice de dire qu'il offrit le libre usage de sa découverte à l'institution à la quelle nous apparte- nons,* et qu'il pria le docteur Warren de vouloir bien lui donner une liste des institutions de la même nature, existant dans tout le pays, afin qu'il leur fît à toutes la même concession. Il offrit également de faire l'abandon de ses droits en faveur de la marine " • Cette offre fut faite, il faut le dire, sans avoir été provoquée en aucune façon par le comité, quoique l'un des témoins du docteur Jackson dise que cette concession fut faite à sa requête, et que le docteur Morton n'y consentit que de fort mauvaise grâce. 115 et de l'armée des États-Unis. Il se proposait, comme il le dit, de faire payer une légère somme annuellement à tous les mem- bres de la profession, la quelle, dans son opinion, serait acquittée de bon cœur et sans gêner personne, par tous les malades qui devaient en recevoir le bénéfice.* Le nom du docteur Jackson n'aurait point été associé à celui du docteur Morton dans la demande de brevet, sans l'influence de M. R. H. Eddy, l'agent des patentes ; et celui-ci a depuis déclaré qu'il avait agi alors sous l'influence d'une fausse appréciation des faits ; mieux éclairé, c'est au docteur Morton seul qu'il accorde tout l'hon- neur de la découverte, qu'à cette époque il croyait appartenir en commun aux deux parties. Tout le monde connaît ici l'intelli- gence et la véracité de M. Eddy ainsi que ses anciennes rela- tions d'amitié avec le docteur Jackson ; nous devons cependant répéter que ce fut une fatale méprise que de chercher à s'assu- rer le monopole de droits légaux dans une affaire de cette na ture ; telle est maintenant l'opinion réfléchie de toute la profes- sion et celle du public éclairé, à cet égard. L'une des parties, le docteur Jackson, après avoir fortement reclamé une part plus élevée que celle qui lui avait d'abord été accordée, dans les bénéfices qui pourraient résulter de cette affaire, a renoncé plus tard à toute espèce de profits provenant de cette source ; le docteur Morton "j" s'est vu également forcé de renoncer à tous " * Il y avait dans tous ses contrats une clause portant que tous les paie ments partiels cesseraient d'être exigible du jour où le gouvernment des États- Unis se rendrait maître du brevet en indemnisant convenablement l'inven- teur. " t Les deux personnes, qui ont servi d'avocats au docteur Jackson dans cette affaire, ont adressé à MM. R H. Eddy et W. T. G. Morton, deux let- tres datées de Boston, le 28 janvier 1847, où l'on trouve les deux phrases suivantes : ' dans les circonstances actuelles de l'affaire, nous pensons que le moins que vous puissiez honorablement offrir au docteur Jackson est vingt cinq pour cent sur les bénéfices qui peuvent résulter de cette découverte, soit aux États-Unis, soit à l'étranger, comme une indemnité de son recours contre vous.' " ' Nous désirons vivement que cette affaire s'arrange à l'aimable, si c'est possible. Nous espérons que vous verrez, dans cette proposition, notre vif dé- sire que les bénéfices que cette découverte doit produire, soient raisonnable- ment partagés entre les parties, qui si elles ne viennent pas à s'entendre, ver- ront s'évanouir tous les avantages qui peuvent résulter d'un brevet, dont il leur serait devenu impossible de soutenir la validité ; tandis que s'ils agissent de concert, ce brevet ne peut manquer de répartir entre toutes les parties, de 116 les avantages pécuniaires qu'il avait espérés de la découverte. Il n'en est pas moins vrai, cependant, qu'un présent aussi im- mense, fait à une nation grande et généreuse, a droit à une ré- compense nationale. Il peut être vrai que le docteur Jackson n'ait point le désir d'obtenir une telle récompense, et que ce ne soit pas un besoin pour lui ; mais ce n'en est pas moins un fait regrettable que le docteur Morton se trouve embarrassé dans ses affaires, par suite de l'interruption de l'exercice de sa profession ; interruption à la quelle il a été contraint par les soins que re- quéraient les expériences qui ont servi à établir et à mettre au grand jour cette grande et importante découverte ; et que sa santé en ait tellement souffert que ce n'est qu'à de certains in- tervalles et pendant une petite partie de la journée qu'il peut sans danger s'occuper des devoirs de sa profession. Il est de- venu pauvre dans une cause qui a rendu le genre humain son débiteur.* Le comité, dans ces circonstances, se trouve auto- larges sommes pour récompense de leur coopération mutuelle.' Le docteur Gay, cependant, dit que le docteur Jackson ' a toujours déclaré qu'il considé- rait comme chose peu convenable de demander un brevet pour l'application pratique de découvertes scientifiques ; il se serait, dit-il, constamment refusé, pour lui-même, à en demander un, dans le seul but d'avantages pécuniaires, dans un cas aussi important pour les intérêts de l'humanité'. " Dans le mémoire dont nous avons déj;\ parlé, et que le docteur Morton a présenté à l'Académie Française, nous trouvons la phrase suivante, qui le termine : ' Mais, comme l'usage de cette découverte est devenu général et pour ainsi dire indispensable, j'ai depuis longtems cessé de vendre des li- cences (droits conférés par le brevet), et le public est libre de se servir de l'éther comme si je n'avais pas de brevet d'invention; — et je crois être la seule personne au monde pour qui cette découverte ait été la cause de pertes pécuniaires.' '« * Le comité se fonde sur la plus haute autorité médicale (celle du docteur Homans) pour dire, que pour avoir vécu continuellement, depuis peu, dans un atmosphère saturé de vapeurs d'éther sulfurique, et au milieu des inquiétudes inséparables des expériences nombreuses et variées aux quelles cette décou- verte a donné lieu, aussi bien que par suite de la controverse qui s'est élevée à cette occasion, la santé du docteur Morton est devenue si précaire, ' qu'il lui est maintenant impossible de se livrer à l'exercice de sa profession de manière à le mettre à même de fournir aux besoins de sa famille et aux siens propres.' Nous sommes également en possession de documents irrécusables tendant à établir l'état de gêne au quel le docteur Morton se trouve réduit; et à l'appui de cette assertion, nous joignons à ce rapport des extraits d'une lettre de M Benjamin F. Brooks, avocat, dont la dernière phrase, tout honorable qu'elle est pour le signataire, a reçu l'approbation entière du comité ; nous y joignons aussi les lettres confirmatives du même fait, et écrites par MM. Dana et Bur- 117 risé à déclarer que les médecins et chirurgiens de cette institu- tion avaient préparé un mémoire qui devait être adressé au Con- grès pendant le cours de cette session, et que ce mémoire avait déjà reçu la signature de onze d'entr'eux (c'est-à-dire de tous ses membres à l'exception du docteur J. B. Jackson lui-même), lorsque cette démarche fut arrêtée en conséquence de l'oppo sition qu'y mit le docteur Jackson. Nous mettons ce mémoire à la disposition de votre comité, comme représentant les vues des membres de la faculté ; et nous croyons ne pouvoir mieux ter- miner cette discussion qu'en y joignant la copie suivante du do- cument dont nous venons de vous occuper. " ' Au Sénat et à la Chambre des Représentants des États Unis assemblés en Congrès. " ' Les soussignés, médecins et chirurgiens de l'hôpital général de l'Etat de Massachusetts, prennent la liberté de vous repré- senter : — " * Qu'en l'année 1846, il fut fait dans la ville de Boston, une découverte à l'aide de la quelle le corps humain est rendu in- sensible pendant le cours des opérations chirurgicales, et aussi pendant la durée de sérieuses et violentes affections d'une autre nature, par le moyen de l'introduction des vapeurs de l'éther dans les poumons, à l'aide de l'aspiration. " ' Qu'un brevet d'invention, pour cette découverte, a été pris par deux habitants de Boston, qui, les premiers, ont fait avec succès des expériences tendant à établir l'efficacité de cette dé- couverte, et que les premiers essais, dans des cas d'une extrême gravité, ont été faits à l'hôpital général de l'Etat de Massachu- setts, par les chirurgiens de cet hôpital. " ' Q,ue l'efficacité de ce moyen de prévenir les atteintes de la souffrance au milieu des opérations de chirurgie, a été déjà dé- montrée par cent quinze opérations pratiquées à l'hôpital pen- dant l'année qui vient de s'écouler, et par un nombre beaucoup plus grand d'opérations de la même nature, pratiquées hors de l'hôpital, et dans la ville de Boston. nett • ce dernier est l'apothicaire qui fournit toutes les drogues qui se consom- ment dans cet établissement, et c'est chez lui que fut acheté l'éther à l'aide du quel la découverte fut faite.' (Voir la lettre du M. Dana et celles de MM. Brooks et Burnett.) 10* 118 " 'Que dans tous les cas mentionnés, ci-dessus, l'application de cette découverte a diminué en grand partie ou entièrement pré- venu le sentiment de la douleur, lorsqu'elle a été faite avec le talent et avec la prudence nécessaires, et qu'ils ne sachent pas qu'aucune de ces opérations ait été suivie de conséquences fâ- cheuses ; et que quoiqu'on ne puisse pas dire qu'un certain ma- laise et un certain dérangement dans le système nerveux, ne se soient présentés quelquefois à la suite de cette application, ces accidents ne doivent être considérés que comme des exceptions à une règle générale, et ils n'ont pas paru plus extraordinaires, et n'ont pas été plus fréquents que ceux qui résultent quelquefois de l'emploi d'autres remèdes puissants et énergiques ; qu'enfin, dans tous les cas, ils ont été beaucoup moins pénibles que les souf- rances qui eussent été endurées à la suite des méthodes ordinaires. " ' Les soussignés sont autorisés à penser que, depuis l'intro- duction de ce procédé, plusieurs mille personnes se sont sou- mises, à Boston et dans le voisinage, à l'inhalation de l'éther avec avantage et impunité ; que son importance est déjà reconnnue, et son usage adopté dans la plupart des Etats de l'Europe ; que l'emploi de ce moyen préventif, à l'aide d'arrangements convena- bles, doit s'étendre et s'étendra probablement dans tous les États de l'union et qu'il n'a été fait aucune découverte, pendant le siècle présent, qui ait servi à alléger plus de souffrances, et con- féré de plus grands avantages à l'espèce humaine que celle de la puissance et de l'application des propriétés de l'éther. " ' Les soussignés n'ignorent pas que la puissance que possède l'éther de produire un état d'insensibilité, et même de causer la mort, quand on s'en sert sans prudence, était connue en Europe depuis bien des années. Ils savent également que d'autres sub- stances aériennes ont été soumises à des expériences et que les vapeurs de l'éther ont même été essayées sans succès, par d'au- tres individus, dans le cours des opérations chirurgicales ; mais ils ont la conviction que c'est à Boston que, pour la première fois, en 1846, la sécurité de l'inhalation, et des procédés employés dans la pratique, a été victorieusement démontrée. " ' Sachant que l'emploi de cette importante découverte est maintenant restreint par suite de la prise d'un brevet d'invention et croyant qu'il est du devoir des gouvernements sages de ré- pandre parmi le peuple le bienfait des découvertes qui tendent à alléger les souffrances de la pauvre humanité, et aussi de ré- 119 compenser généreusement ceux qui ont'ainsi doté le monde de si grands avantages; les soussignés demandent, avec respect, que telle somme, que le Congrès jugera convenable d'allouer à titre de récompense dans l'espèce, soit payée par le gouverne- ment des Etats-Unis à celui ou à ceux qui, après une investiga- tion suffisante, sera ou seraient reconnus l'auteur ou les auteurs du bienfait conféré au public à l'aide de cette découverte, à la condition expresse de l'abandon fait par lui ou par eux de tout droit exclusif résultant de l'obtention antérieure d'un brevet. " ' Ont signé, " ' John C. Warren, H. J. Bowditch, Jacob Bigelow, O. W. Holmes, Geo. Hayward, J. Mason Warren, Enoch Hale, Samuel Parkman, S. D. Townsend, Henry J. Bigelow. John D. Fisiier, " ' Boston, 20 novembre 1847.' " Comme résumé général des faits et des opinions surgissant de cette affaire, les comité déclare, que dans son opinion, les pro- positions suivantes se trouvent victorieusement établies : — "Jusqu'au 30 septembre 1846, le docteur Jackson n'avait rien découvert qui ne fût connu à Londres et qui n'y eût été imprimé depuis nombre d'années.. On savait que l'éther produisait un certain état d'insensibilité; que cette insensibilité, qui pouvait devenir mortelle, dans certains cas, ne présentait aucun danger; et que l'une des propriétés de l'éther était de servir d'antidote contre l'aspiration du chlore. La découverte de l'absence de tout danger, et de l'efficacité de l'inhalation de cette substance dans les opérations de chirurgie, n'avait point encore eu lieu ; car les seules expériences aux quelles le docteur Jackson se fût livré ou qu'il eut fait faire par d'autres, se trouvaient décrites dans les ouvrages qui servent de texte en médecine. Le docteur Jack- son était depuis longtems sous l'impression que l'éther pouvait être employé avec avantage et sécurité dans les opérations que nécessite l'art du dentiste, conjecture qui peut-être était venue à l'esprit de mille autres, sans, pour cela, avoir jamais amené ou produit de découverte utile; il avait même, d'une manière inci- dente, et dans plus d'une occasion, conseillé l'usage de cet agent pour ce genre d'opérations, sans avoir jamais réussi à décider que qui ce fût à en faire l'essai ; et parmi les personnes de sci- 120 ence et d'intelligence qui étaient le plus au courant des idées et des connaissances du docteur Jackson à ce sujet, il ne s'en est jamais trouvé une seule qui aît voulu se prévaloir de ses recom- mandations et de ses avis. " Antérieurement aux faits qui précèdent, le docteur Wells s'était servi de l'oxide nitreux dans le but d'arriver au résultat tant désiré; comme l'avait recommandé, bien des années aupara- vant, le savant Sir Humphrey Davy ; cependant les expéri- ences qu'il fit à Boston ne réussirent point. Il prétend aussi avoir fait un essai à l'aide de l'éther sulfurique ; mais cet essai est entouré de circonstances qui doivent faire penser qu'il ne fut pas suivi de succès; et d'ailleurs il existe des preuves positives que les médecins les plus distingués de Boston, n'entendirent parler de ce dernier essai qu'après la publicité donnée à la dé- couverte du docteur Morton. "Le docteur Morton était depuis longtems à la recherche d'un moyen qui pût sans danger produire un état d'insensibilité pendant les opérations du dentiste. Il connaisait les expériences du docteur Wells à l'aide de l'oxide nitreux et il avait même pris part à l'une d'entr'elles. " Dès le mois de Juillet 1846, on le voit acheter de l'éther sul- furique et s'en servir pour des expériences. Le 30 septembre de la même année, il a une entrevue avec le docteur Jackson, et reçoit de lui le conseil positif de se servir d'éther sulfurique rec- tifié dans l'exercice de sa profession, avec les assurances les plus fortes de toute absence de danger. Le docteur Jackson alla jus- qu'à lui dire où il pourrait s'en procurer de la qualtité voulue. Le docteur Morton, loin de suivre l'exemple de tous ceux aux quels de semblables conseils avaient été inutilement don- nés, et quoiqu'il connût les préjugés généralement accrédités, du danger et des conséquences, quelquefois fatales, qui pou- vaient résulter de l'emploi de cet agent, se mit à l'œuvre sur le champ.* Nous n'avons d'autre preuve qu'il en ait fait l'es- sai sur lui-même, que sa propre assertion, et le comité ne doute pas de son exactitude ; mais ce que l'on ne peut nier, c'est qu'il eu fit l'application à l'un de ses clients, et c'est en agissant ainsi qu'il est arrivé à sa découverte.^ En apprenant * " Voir la lettre de M. Metcalf. t " Il semble, en effet, bien reconnu, même par les avocats du docteur Jack- son, qu'il n'avait fait aucune découverte antérieurement au 30 septembre 1846. 121 cette nouvelle, il était tout naturel que le docteur Jackson con- seillât au docteur Morton de prier les chirurgiens de l'hôpital de Le docteur Gay dit expressément, en discutant les prétentions du docteur Wells :— ' Quoiqu'il se soit écoulé tant de temps (deux ans et demi) depuis les expériences du docteur Wells, il ne présente aucun preuve que ce qu'il pré- tend avoir découvert ait été introduit dans la pratique générale de la chirurgie, même dans cette ville florissante ; tandis qu'il ne fallut qu'un peu plus de deux mois et demi pour que la connaissance et l'application de la découverte du docteur Jackson se trouvât répondue dans toute l'étendue du monde civilisé.' " En fait, la spécification qui accompagne la demande de brevet, signée du docteur Jackson, et du docteur Morton, à la date du 27 octobre 1846, est très explicite quant à l'admission des mêmes faits. Nous en joignons ici les ex- traits suivants, à l'appui de cette assertion et aussi du fait que le docteur Jack- son ne reconnaissait pas l'éther sulfurique comme le seul agent que l'on pût employer h l'effet de produire l'insensibilité à la douleur : — * Il est bien con- nu des chimistes, que lorsque l'alcohol est soumis à la distillation avec certains acides, de nouvelles substances se forment, aux quelles on a donné le nom d'éthers ; chacun des quels est ordinairement distingué des autres par le nom de l'acide employé à sa production. Il a toujours été bien connu aussi, que les vapeurs de quelques unes, si ce n'est de toutes ces préparations chimiques et particulièrement celles de l'éther sulfurique, lorsqu'elles sont respirées par un animal, ou introduites dans les poumons, ont produit sur le système nerveux uneffet singulier, supposé analogue à celui qui résulte de l'état d'ivresse.' " • Mais l'on n'avait jamais su (du moins à notre connaissance) jusqu'à l'é- poque de notre découverte, que l'inhalation des vapeurs de cette nature, et par- ticulièrement de celles de l'éther sulfurique, pussent produire un état d'insensi- bilité à la douleur, ou, si l'on veut, une paralysie temporaire de l'action ner- veuse, capable de permettre qu'un animal, ou l'homme même, pussent en- tièrement ou d'une manière partielle, se soumettre à l'action du scalpel, ou de tout autre instrument de la même nature, employé dans la chirurgie, sans éprouver le moindre symptôme de souffrance physique ou de dérangement moral.' " ' Là est notre découverte,' etc. " ' D'après les essais aux quels nous nous sommes livrés, nous sommes amenés à préférer l'emploi des vapeurs de l'éther sulfurique, à celui des vapeurs de Véther muriatique, ou de toute autre de la même famille ; mais on peut se servir de telle autre qui produira un état d'insensibilité complète sans consé- quence fâcheuses pour le malade.' " Le témoignage du docteur Keep et celui de M. Barnes, quant au fait que le docteur Morton ignorait l'importance de l'introduction de l'air atrnospèrique, ayant été discuté par le comité, il est convenable de reconnaître que dans la spécification, dont nous avons déjà parlé, se trouve la phrase suivante, qui sert de description, à l'appareil à employer : —l II doit y avoir une ouverture sur le côté du récipient, pour faciliter l'introduction de l'air atmosphérique,' etc. Et le premier appareil qui ait été employé à l'hôpital par le docteur Morton, est pourvu, comme le comité s'en est assuré lui-même, de tout ce qui est néces- 122 lui permettre d'y faire une expérience; mais il ne faut pas oublir que l'un des témoins du docteur Morton affirme que celui-ci avait déjà résolu de risquer cette démarche; quoiqu'il en soit il est de fait qu'à dater de ce jour toutes les démarches faites par le doc- teur Morton, sont le résultat de ses propres inspirations, sans la moindre apparence de sympathie ou de coopération de la part du docteur Jackson, qui semblant redouter son imprudence et sa té- mérité, lui retira son appui et refusa de l'encourager plus long- tems. En considération de ce qui précède, le comité est d'avis qui les prétentions exclusives du docteur Jackson,* quoique au- jourd'hui généralement admises dans les pays étrangers, ne sont point fondées, attendu qu'elles ne se trouvent justifiées ni par ses actes, ni par ses omissions et quelles entraînent à une grande injustice envers le docteur Morton; que les noms de ces deux messieurs seront à jamais associés dans cette affaire, quoi- qu'à des titres différents ; qu'au docteur Jackson appartient le mérite d'avoir rendu utiles les connaissances que l'on possédait déjà sur les propriétés de l'éther, après les quelles le docteur Morton courait, sans toutefois laisser paraître le vrai motif de ses efforts; et au docteur Morton doit être attribué l'honneur d'avoir démontré le premier l'absence de danger, dans l'usage de cette même substance, et son efficacité dans la prévention de la dou- leur au milieu des opérations chirurgicales; votre comité pense également, que le docteur Morton, en permettant que le nom du docteur Jackson figure à côté du sien, dans le brevet, accompa- saire à l'admission de l'air dans l'appareil. D'ailleurs, il est évident que si l'air n'avait pu être introduit dans le récipient, le patient eût perdu la vie, le système eût été discrédité, et la découverte peut-être reculée de plusieurs siècles. " Il est également bien de faire remarquer ici, que d'après le désaveu fait par le docteur Jackson, de toute découverte antérieure au 30 septembre 1846, il est difficile de donner un sens à une expression, que le docteur Warren rap- porte dans sa brochure comme empruntée à une lettre du docteur Jackson à M. Elie de Beaumont, publiée d'abord dans le Messager de Galignani, le 25 janvier 1847, et qui consiste en ceci: — ' J'ai dernièrement mis cette décou- verte en pratique, en engageant un dentiste de cette ville à administrer les va- peurs de l'éther aux personnes à qui il avait à arracher des dents.' * " Il est bien connu que ces prétentions ont été réellement avancées par le docteur Jackson. Il dit même à l'un des membres du comité : —'Je ne con- sens à aucune association dans cette affaire ; si votre rapport tend à m'enlever jusqu'à un soupçon du droit que je possède seul, à l'honneur de cette décou- verte, je résisterai de tout mon pouvoir à ses conclusions.' 123 gné d'une clause qui accorde au docteur Jackson un intérêt de dix pour cent sur les bénéfices qui pourraient résulter de la mise en œuvre de la découverte qu'il croit avait fait seule, s'est mon- tré disposé à reconnaître franchement et honorablement l'impor- tance de la dette qu'il avait contractée envers le docteur Jack- son, par suite de l'avis que celui à lui avait donné. " Parmi les 'conclusions aux quelles on arrive dans cette af- faire les plus importantes sont les suivantes : — "1. Le docteur Jackson ne parait avoir fait, à quelque époque que ce soit, la découverte d'aucun fait, en ce qui concerne les propriétés de l'éther, qui ne se trouve rapporté et imprimé en Angleterre dans des ouvrages depuis longtems publiés. " 2. Le docteur Morton, en 1846, a découvert les faits jusque la inconnus, que l'éther prévenait les atteintes de la souffrance dans les opération de chirurgie; que cet agent pouvait être administré, sans danger, en doses suffisantes pour produire cet effet ; Il a établi ces deux faits, d'abord, par une suite d'opérations sur les dents, puis, en décidant les chirurgiens de l'hôpital à permettre qu'en appliquant sa méthode à des opérations d'un ordre élevé, il en démontrât l'im- portance et la sûreté d'exécution. "3. Le docteur Jackson semble avoir eu la croyance que l'on dé- couvrirait un jour dans l'éther sulfurique, une puissance capable d'emprêcher le sentiment de la douleur dans les opérations sur les dents. Il conseilla à plusieurs personnes d'en faire l'expérience, mais ni lui ni ceux aux quels il en donna le conseil ne le mirent en pratique; et le monde entier resta dans l'ignorance de la puissance de l'éther et de l'absence de danger dans ses application, jusqiC au jour où le docteur Morton fit ses expériences. "4. Toute la part que le docteur Jackson semble avoir prise dans celle affaire consiste à avoir suggéré certaines idées, qui condu- isirent ou aidèrent le docteur Morton dans l'achèvement de sa décou- verte, — découverte qui déjà depuis quelque temps était l'objet de ses travaux et de ses recherches* * Les conclusious aux quelles le comité s'est arrêté, ont été pleinement confirmées par l'opinion du docteur Simpson, l'inventeur du chloroforme, le quel a adressé au docteur Morton une copie de sa brochure, intitulée, ' Compte rendu de la découverte d'un novel agent, Anœsthetique, comme de- vant remplacer l'éther sulfurique dans la chirurgie et dans les accouchments,' accompagné du billet suivant écrit sur l'une des feuilles de l'ouvrage non imprimées : — '• Mon cher Monsieur, — Je me trouve heureux de pouvair recommander à 124 " Le comité sait parfaitement que toute investigation, toute opinion que aura reeu la sanction de cette corporation, émanant, comme on ne peut se dispenser d'en convenir, de gens qui doi- vent connaître tous les détails relatifs â cette découverte, sera d'un grand poids aux yeux du public. Cette investigation a été conduite par le comité sous l'impression d'une haute respon- sabilité envers le public, envers la postérité, et aussi avec une con- viction profonde de ce que reclament la justice et la vérité. Les sentiments personnels n'ont eu aucune influence sur nos conclu- sions. Lorsque cette investigation fut résolue, aucun nous ne con- naissait le docteur Morton autrement que de nom, tandis que tous deux nous étions depuis longtems en relations d'amitié avec le doc- teur Jackson. Il avait toujours existé entre nous et lui un senti- ment de bienveillance et de respect réciproques. Il n' est aucun des amis du docteur Jackson qui, de son propre meuvement, voulût prive d'un seul de ses lauriers le front d'un homme dont tout le monde reconnaît les immenses connaissances, et le carac- tère honnête et aimable. Le comité est rèellament convaincu votre bienveillance la brochure ci-jointe. Depuis sa publication, il a été fait ici plusieurs nouvelles opérations, qui toutes ont parfaitement réussi. J'ai aussi reçu un billet du M. Liston,qui nie parle du succès complet de ce nouvel agent, à Londres; la rapidité et la perfection de ses effets sont réellement étonnantes. "J'ai fait insérer dans le Journal des Sciences Médicales de septembre, qui parait tous les mois, un long article sur l'Erhérisation, me faissant l'avocat de vos prétentions contre celles du docteur Jackson. " La grande idée est tout naturellement celle qui a amené à la production de l'insensibilité et c'est à vous seul, selon moi, que le monde en est redevable. " ' J'ai dernièrement lu un mémoire devant notre Société, montrant que Pline en avait autrefois recommandé l'emploi, &c. " * Venilles me permettre de vous exprimer les sentiments d'estime avec les quels j'ai l'honneur d'être, " ' Monsieur, votre très humble, &c. " « Edinbourg, 19 novembre, 1847. " J. y. Simpson.' " Comme conséquence de ce qui précède, dans une note publiée avec l'article dont nous avous parlé, nous lisons la phrase suivante : 'J'ai vu depuis peu de jours une brochure datée de Boston, le 30 mai 1847, dans la quelle il est dit que depuis plus de trois mois tous les appareils ont été mis de côté et que l'éponge est maintenant le seul intermédiaire employé, dans l'administration de l'éther, par le docteur Morton, de cette ville, qui est, je crois, l'homme à qui la faculté et le genre humain sont redevables, d'avoir, pour la première fois, démontré la possibilité, à l'aide de l'inhalation des vapeurs d'éther de prévenir la douleur dans les opérations chiriurgcales." 125 que dans cette affaire. Le docteur Jackson est honnêtement de bonne foi dans son erreur. "Nous soumettons notre rapport à la corporation avec l'assu- rance qu'il sera pour elle l'objet de mûres délibérations, et que si ses conclusions sont adoptées, ce ne sera qu'après avoir appré- cié l'étendue de la responsabilité qu'elles entraînent avec elles.* * " Il ne sera peut être pas hors de propres que nous fassions ici quelques re- marques sur la manière dont nous avons procédé à notre enquête. " Le comité a considéré que comme le docteur Morton seul assistait aux premières opérations qui ont été pratiquées à l'hôpital, il ne se croyait point obligé de faire intervenir dans son rapport le nom du docteur Jackson ; mais La brochure du docteur Gay ayant étéjdepuis quelque tems lancée dans le pub- lic, et le docteur Warren y ayant répondu, il nous a semblé plus tard que la discussion de toute l'affaire se trouvait soumise par les parties au jugement de la société et que lasocièté devait raisonnablement attendre de cette institu- tion, un récit des faits, tel qu'il devait résulter de ces deux sources et d'autres encore plus spécialement à notre portée. Ces deux brochures furent donc scru- puleusement examinées et comparées ; vingt-deux personnes plus ou moins compétentes dans la matière, ont été interrogées par nous ; et le rapport a été préparé avec tous les soins imaginables. Le comité, alors, jugea convenable d'adresser au docteur Jackson une note, l'informant que la brochure du doc- teur Gay avait été considérée par lui comme contenant un exposé complet de ses prétentions ; mais que si, cependant, il avait des faits nouveaux à commu- niquer, le comité serait hereux d'en prendre connaissance; de cette offre de notre part, résultèrent deux entrevueslpersonnelles, sans parler d'une troisième avec le docteur Gay qui dura trois heurs, et qui eut lieu en faveur du docteur Jackson. Le docteur Gay voulut nous donner la preuve de certains faits qui n'avaient rien de commun avec la cause et nous nous refusâmes à les eu- tendre. 11 nous dit aussi qu'il avait d'autres documents d'un caractère pure- ment confidentiel et nous nous opposâmes également à ce qu'il nous en fut donné connaissance. U se mit alors à discuter sur la validité des témoignages contenus dans la brochure du docteur Warren. Tous ses arguments et toutes ses objections sur ce point, ont. été fidèlement recueillies, pendant la séance, et c'est d'après les notes prises à cette époque que notre opinion s'est formée et que nous en avons parlé dans ce rapport. Le comité, dans cette entrevue voulut gsavoir tout ce qui pouvait être objecté contre la véracité des témoins > il ne fut donc fait que peu de remarques quant à la portée de ces objections ; mais elles furent recueillies comme devant servir de base à une investigation postérieure. Le comité peut avoir dit : ' eh bien, en supposant que cette dé- position soit écartée sur ce point, qu'avez vous à dire à la déposition suivante ? ' Mais, d'autre part, il fut suggéré au docteur Gay que deux ou trois des témoins jouissaient d'une très bonne réputation, et la déposition de M. Whitman, que le docteur Gay, lui-même, admettait comme étant à l'abri de tout soupçon, venait évidemment à l'appui du dire des deux autres témoins à qui il semblait refuser toute confiance, et que le témoignage de Whitman suffisait seul à prouver que le docteur Morton s'efforçait de réaliser l'idée de sa découverte, et 11 126 était irréconciliable avec les prétentions du docteur Jackson à être considère comme seul inventeur dans l'espèce. Le comité fit part au docteur Jackson qu'il lui était parvenu de nouveaux témoignages en faveur du docteur Morton (faisant allusion â la lettre de M. Metcalf et à celle de M. Dana) ; mais con- sidérant que le témoignage contenu dans ces deux lettres ètail de nature à ne pouvoir être contredit, il ne se crut pas obligé de dire que ces messieurs avaient été consultés personnellement. Le comité se crut parfaitement libre, comme l'eut été tout simple particulier, de se former une opinion aussi bien que de l'exprimer, sur un sujet d'un intérêt et d'une importance universels, et qui semblait entrer naturellement dans leurs attributions, avec ou sans le constate- vient préalable du docteur Jackson. Son rapport avait été unanimement adopté par les administrateurs et présenté à la corporation et accepté par elle avec le même sentiment d'unanimité. Lorsque ce rapport était en voie de publication il fut reçu une note du docteur Gray ' allégeant que sans doute les objection8 qu'il avait présentées contre les dépositions contenues dans la brochure du doc- teur Warren avaient été reconnues comme fondées par le comité et protestant contre la marche suivie par les administrateurs de l'hôpital général de l'État de Massachusetts, qui par leur conduite, avaient santionné l'essai fait par le doc- teur Morton de voler au docteur Jackson les droits sacrés qu'il possédait à une découverte que lui seul avait faite.' Le docteur Gay, dans sa note, dit d'une manière toute particulière que ' le docteur Jackson avait toujours, excepté dan» un moment de distraction, refusé de soumettre ses prétentions à la déci- sion d'un tribunal quel qu'il lût, soit qu'il fût choisi par les parties, soit qu'il lui fût imposé contre son gré, après avoir été constitué sans son consentement. Il prétend que le docteur Jackson a une foule de nouveaux témoignages à faire valoir, que l'investigation du comité doit avoir été faite avec partialité. Cette note du docteur Gay fut mise sous les yeux des administrateurs, à une assemblée tenue le 6 février, mais ils ne crurent pas qu'elle pût donner lieu à revenir sur ce qui avait été fait Le comité n'a nulle prétention à un pouvoir ou à des fonc- tions jucidiaries. Le docteur Jackson est parfaitment libre de persister dans son refus de soumettre ses prétentions absolues à un tribunal humain, ou bien Is'il le préfère, il pourra toujours, plus lard, les porter devant une autre cour qu'i jugera, sans doute plus compétente ou plus impartiale ; s'il peut, à l'aide de nouveaux témoignages, établir la validité de ses prétentions, il est encore libre de le faire. Le comité ne peut que maintenir, qu'il s'est efforcé de procéder à ses recherches avec franchise et prudence et d'une manière aussi complète que possible, et qu'il a une pleine confiance dans la justice des conclusions aux quelles il est arrivé ; et qu'il a la certitude qu'aucune démarche ni qu'au- cune négligence de sa part, ne peuvent justifier les remarques que le docteur Gay a cru devoir lui addresser. Il finit en se promettant d'abandonner pour ja- mais cette controverse. " Le comité fait la remarque suivante sur la lettre de M. Wightman ; la date du jour où M. Wightman est venu à Boston, est fixée de manière à ne pouvoir être l'objet d'un doute. Les circonstances qui se rattachent à ce fait, ont été verbalement racontées au comité, et sont de nature à rendre une erreur impossible. Cette lettre prouve donc : qu'avant le 28 septembre, 1846, c'est-à- dire, deux jours au moins avant son entrevue avec le docteur Jackson, le docteur Morton alla eheg M. Wightman, parla de quelque découverte projetée et d'une 127 importance majeure, et amena la conversation sur des sacs, capables de contenir de l'éther sulfurique; et il semblerait probable que ce fut plutôt à la suite d'une suggestion faite sans intention, qu'il se décida à consulter le docteur Jackson de préférence d quelqu autre chimist de talent. " Cette lettre prouve également que le docteur Jackson avait entendu M. Wightman ainsi que M. Metcalf rapporter des faits, (voir la lettre de M. Met- calf) qu'il semble difficile de concilier avec la conviction qu'il prétendait avoir et qu'il a exprimée si fortement devant le comité, que le docteur Morton n'avait eu aucune idée de ce que c'était que l'éther sulfurique, jusqu'à son entrevue avec lui. Le docteur Jackson et son ami M. Peabody, semblent avoir eu une juste idée de l'importance du témoignage de M. Wightman, sur ce point. En con- séquence, au mois de mars 1847, ils s'efforcèrent, mais en vain, de lui per- suader qu'il se trompait, quant à la date de sa première entrevue avec le doc- teur Morton, à l'occasion des sacs à gaz. Il semblerait que le docteur Jackson n'avait point encore, à cette époque, recouru à l'hypothèse que sa découverte re- montait à l'année 1842, puisque cette circonstance aurait naturellement mis au néant toutes les transactions de la part du docteur Morton. Lorsqu'il fit cette découverte que sa découverte remontait a l'année 1842, il eut une autre entre- vue avec M. Wightman et lui dit qu'en effet il pourrait bien avoir raison quant à ses dates ; mais que cela lui était parfaitement indiffèrent, attendu qu'il pouvait prouver que sa découverte remontait à l'année 1842.' Malheureusement pour le docteur Jackson, dans la spécification qui accompagne la demande de brevet, il avait désavoué, sous serment, toute prétention à avoir fait aucune découverte antérieure à celle qu'il avait consommée conjointement avec le docteur Morton, et le comité a suffisamment prouvé que ce que le docteur Jackson savait de l'éther en 1842 avait été publié par Pereira en 1839." MEMOIRE 11U DOCTEUR MoRTON À I.'Ac ADKM1 E DES SCIENCES DE Paris, présenté par M. Arago, pendant l'automne de 1847. [L'éditeur de cet exposé a lu ce mémoire lui-même aux docteurs Hayward, Townsend, et H. J. Bigelow, attachés à l'hôpital, au docteur Gould et à MM. Caleb Eddy et R. H. Eddy, qui l'ont tous autorisé à déclarer que les faits qui s'y trouvent, et dont ils ont eu connaissance, se trouvent conformes à la vérité. L'éditeur n'a pas pu par suite de circonstances impiévues, le lire aux autres chirurgiens de l'hôpital, mais il l'ont examiné et l'éditeur croit pouvoir dire avec confiance qu'ils n'ont rien trouvé à redire ceux faits dont l'existence leur avait été antérieurement dévoilée. Le lecteur qui s'est donné la peine de lire les dépositions contenues dans le rapport des administrateurs, ne peut s'empêcher de reconnaître, combien, dans le cours de ce mémoire les déclarations du docteur Morton y sont cor- roborées par les dépositions que y sont données et par l'opinion même des ad- ministrateurs. Le docteur Morton, dans un grand nombre de détails impor- tants, se trouve soutenu par les preuves que les administrateurs n'ont obtenus que longtems après la présentation de ce mémoire, et dont il ignorait l'exis- tence lorsqu'il se mit en devoir de rédiger ce document.] William T. Green Morton, demeurant à Boston dans les Etats-Unis d'Amérique, chirurgien dentiste, appelle respec- tueusement l'attention de l'Académie des Sciences sur le présent mémoire ayant pour objet d'offrir l'historique de la marche par lui suivie, et qui a abouti à la démonstration de la grande vérité que l'inhalation de la vapeur d'éther sulfurique bien rectifié, doit produire l'insensibilité ou l'absence du sentiment de la douleur dans les opérations sur le corps humain. Son intention est que ce mémoire ne constate que les faits de nature à démontrer le caractère scientifique de la découverte, sans entrer dans des questions de controverse personnelle : Mais attendu que la manière dont la découverte a eu lieu, et la personne par qui elle a été faite, ont été mises en discussion ; et attendu que la preuve de ces faits a été soumise à l'attention de VAcadémie, de différentes manières, par d'autres personnes, il prend la liberté de joindre ici, dans un appendice, certaines preuves réunies dans un but différent, désirant les mettre à la disposition de l'Académie qui en fera tel usage qui lui conviendra, ou n'en fera aucun usage, le tout à son entière,discrétion et à son gré. MÉMOIRE SUR LA DÉCOUVERTE DU NOUVEL EMPLOI DE L'ÉTHER SULFURIQUE. Pendant l'été de 1844, exerçant la profession de dentiste, et désirant me perfectionner dans les sciences chimiques et médi- cales, j'étudiais dans le cabinet du docteur Charles T. Jackson, demeurant à Boston ; et afin de mettre mieux mon temps à profit, je demeurais chez lui. Un jour, la conversation étant tombée par hasard sur ma profession de dentiste, je vins à parler de l'opération consistant à détruire le nerf d'une dent, et je fis la remarque qu'il était toujours douteux que la dent put redevenir utile, attendu que l'arsenic occasionnait de l'irritation et laissait une douleur souvent permanente. Le docteur Jackson me dit, en plaisantant, que je devrais essayer un peu de ses gouttes contre le mal de dents.* Il a ajouté qu'à l'époque où il pra- tiquait la médecine, il lui était arrivé d'extraire des dents à quelques-uns de ses malades : une fois, entr'autres, poursuivit-il, une personne qui ne se sentait pas le courage nécessaire pour l'opération, me demanda d'adoucir la douleur par quelque moyen. J'employai l'éther avec succès : quelques jours après, un ami de mon client vint me demander de lui donner quelques gouttes contre le mal de dents, tel était le nom qu'il donnait à mon médicament : ne voulant pas être dérangé pour des soins à donner aux dents, je dis à cet homme que je n'avais plus de gouttes. Le docteur Jackson ajouta que cet éther pouvant être employé d'une ma- nière avantageuse pour les dents malades, il m'en enverrait. La conversation roula alors sur l'effet de l'éther dans ses rapports avec le système. Le docteur me dit que les élèves, à Cambridge, * " Tooth-ache drops." 11 * 130 avaient l'habitude d'inhaler l'éther sulfurique sur leurs mouchoirs, et que cela les grisait et les faisait chanceler. 11 entra dans d'autres détails sur l'effet de l'éther ou la manière de s'en servir; j'ajouterai que la docteur Jackson a confirmé mon compte- rendu de cette conversation dans son récit au docteur Gould. (Quelques jours après cette conversation, le docteur Jackson m'envoya une bouteille d'éther chlorique (chloric elher) con- sidérablement rectifié, comme il me l'avait promis. Il en envoya, en même temps, une bouteille à deux autres dentistes recom- mendables de Boston. Je fis l'essai de cet éther pour détruire la sensibilité d'une dent bonne encore de mademoiselle * * * par l'application directe, en lui disant que l'effet serait lent. Je fus forcé de renouveler plusieurs fois l'application ; mais, à la fin, la sensibilité parut écartée ; et la dent est aujourd'hui, autant queje le sache, saine et en bon état. Vers cette époque, la femme et la tante du docteur Jackson étaient en traitement, entre mes mains, pour des maux de dents : il était nécessaire d'extraire des dents à ces deux dames. L'opé- ration était douloureuse et ces dames étaient extrêmement im- pressionnables. La dernière de ces dames, surtout, avant l'extraction de chaque dent, passait plusieurs heures dans le fauteuil d'opération, sans pouvoir recueillir assez de courage pour endurer l'opération ; elle voulait être magnétisée, ou que je lui donnasse quelque chose pour la rendre insensible. Le docteur Jackson, présent, faisait tous ses efforts pour encourager cette dame, mais sans suggérer aucun moyen de nature à produire l'insensibilité. Ses suggestions n'avaient pas été au-delà de l'- application directe de l'éther, de la même manière que le lauda- num et d'autres narcotiques ont été constamment employés pour les dents douloureuses. L'heureux emploi que j'avais fait de l'éther pour détruire la sensibilité d'une dent et le souvenir de ce que m'avait dit le docteur Jackson des effets de l'éther inhalé par les élèves au collège, éveillèrent mon attention ; ayant à ma disposition la bibliothèque du docteur Jackson, je me mis à faire des lectures sur les effets produits par l'éther sur le système animal. J'acquis la conviction qu'il n'y avait rien de nouveau ni de spécialement dangereux dans l'inhalation de l'éther ; que depuis longtemps professeurs et élèves en usaient comme d'un puissant antispasmodique anodin et narcotique, susceptible d'enivrer et 131 de plonger dans la stupeur lorsqu'il était pris en quantité suffi- sante : Je trouvai même décrit dans certains traités l'appareil destiné à l'inhalation ; mais dans la plupart des cas, on spécifiait l'inhalation comme s'opérant au moyen d'une éponge saturée ou d'un mouchoir. Comme il me restait un peu de l'éther que le docteur Jack- son m'avait envoyé, je l'inhalai en me servant d'un mouchoir ; mais il n'y en avait pas assez pour produire d'autre effet qu'une gaîté (exhilaration) suivie de mal de tête. Pendant que je m'occupais de ces recherches, je tombai tout- à-fait malade ; et comme c'était vers le milieu de l'été, mon médecin me conseilla d'aller à la campagne . . J'emportai avec moi quelques emprunts faits à la bibliothèque du docteur Jack- son, et je me procurai, d'une autre manière, divers ouvrages trai- tant de cette question et d'autres encore. Je passai deux mois dans la résidence de mon beau père dans le Connecticut. Là je me procurai, chez les droguistes, de l'éther, et je me mis à faire des expériences sur des oiseaux et d'autres animaux, m'efforçant de les mettre sous l'influence de l'inhalation de l'éther ; ces expériences n'amenèrent pas de résultat satisfaisant : comme on en était instruit parmi mes amis, j'en fus mortifié, et je laissai les sujets en l'état où ils sont encore aujourd'hui. Dans l'automne, je rentrai à Boston ; et trouvant que mes affaires, par suite de l'interruption, réclamaient toute mon atten- tion, je ne pus pas alors continuer le cours de mes recherches. Dans le cours de l'hiver (1844-45), le docteur Horace Wells, de Hartford, (Connecticut,) dentiste, et autrefois mon associé, vint à Boston, il me pria de l'aider à trouver l'occasion d'ad- ministrer le gaz oxyde nitreux (nitrous oxide gas) qui, suivant lui, détruirait ou du moins soulagerait beaucoup la douleur des opérations chirurgicales. J'y consentis avec empressement, et je le présentai au docteur George Hayward, chirurgien éminent qui voulut bien permettre l'expérience ; mais la plus prochaine opération ne devant avoir lieu que dans deux ou trois jours, nous n'attendîmes pas cette occasion, et nous allâmes voir le docteur Warren que nous trouvâmes en train de faire son cours ; il nous dit que ses élèves se disposaient à inhaler l'éther dans la soirée, par distraction ou pour s'amuser : il offrit de leur faire part de notre proposition et de leur demander de se réunir avec nous au collège. 132 Dans la soirée, le docteur Wells et moi, nous nous rendîmes à la salle ; j'apportai avec moi mes instruments ; le docteur Wells administra le gaz, et fit l'extraction d'une dent ; mais le patient cria par l'effet de la douleur ; les spectateurs se mirent à rire et à siffler. La séance se termina, et l'on trouva que nous nous étions rendus ridicules ; je ne vis plus le docteur Wells ; seulement le lendemain matin, de très-bonne heure, il me fit remettre mes instruments, et il retourna chez lui. En juillet, me retrouvant dans le Connecticut, j'allai voir le doc- teur Wells, et nous consacrâmes quelque temps au règlement de nos comptes d'association. II avait alors abandonné la profes- sion de dentiste, et il s'occupait à diriger une exposition d'oi- seaux ; ce qui, à ce qu'il me disait, valait mieux pour sa santé. J'allai avec lui au cabinet du docteur Riggs, où je parlai du gaz ; je demandai que l'on m'en donnât un peu, mais le docteur Wells me fit entendre qu'il avait abandonné ces expériences, pensant qu'elles étaient sans valeur pratique. Dans l'automne de 1845, je repris mes affaires, qui alors con- sistaient presque exclusivement dans la pratique de l'art méca- nique du dentiste, ou travail matériel ; il me fallait souvent extraire un grand nombre de dents presque simultanément. La plupart de mes clients souffraient beaucoup ; quelques- uns étaient forcés (comme cela arrive à tous les dentistes), d'ajourner ou d'abandonner la pose de râteliers complets. En conséquence, tout était fait pour appeler mon attention sur la destruction ou l'adoucissement de la douleur inséparable de ces opérations, et j'étais très-intéressé à continuer mes investi- gations. Ayant trouvé que l'éther enfermé dans une dent creuse, et scellé avec de la cire, détruisait graduellement la sensibilité de la partie, je pensai, par induction, que peut-être, par l'inha- lation il détruirait ou allégerait beaucoup le sentiment de la dou- leur en général. Au printemps de 1846, Thomas R. Spear vint étudier avec moi; m'entendant parler de cela, il me dit qu'il avait inhalé de l'éther sulfurique à l'Académie de Lexington, où il avait fait ses études, et il m'en décrivit les effets. Cela ne fit qu'accroître l'intérêt que je portais à cette question, et je résolus de m'y consacrer aussitôt que je serais affranchi de la presse des affaires au printemps. En attendant, je fis une expérience sur un chien de Terre-Neuve, en lui plongeant la tête dans une jarre où se 133 trouvait de l'éther sulfurique au fond. Cette expérience eut lieu en présence de deux personnes chez moi, à West-Need- ham, où je réside pendant les mois d'été ; après avoir respiré la vapeur quelque temps, le chien fut étourdi complètement, tombant entre mes mains ; j'éloignai la jarre ; au bout de trois minutes, il se releva, hurla très-fort, et il plongea à dix pieds au moins, dans une mare. Immédiatement après cette expérience, j'allai voir le docteur Grenville G. Hayden, jeune dentiste ; je lui fis part de mes projets, et je convins avec lui qu'il viendrait à mon cabinet, et qu'il se chargerait de la direction de mes affaires, afin que je pusse me consacrer à mon étude d'une manière plus exclusive. La convention fut rédigée par R. H. Dana junior, esquire ; je prends la liberté de renvoyer l'Académie, à cet égard, à sa lettre qui se trouve dans l'appendice. Aussitôt que le docteur Hayden se fût initié à la connaissance de mes affaires, je com- mençai à me consacrer entièrement à mes expériences. J'in- halai un peu d'éther chlorique et de morphine ; l'effet fut un assoupissement suivi de courbature et de mal de tête. Au commencement d'août, je priai le docteur Hayden de m'avoir une fiole de quatre onces d'éther sulfurique chez M. Burnett, droguiste fort en renom auprès des chimistes ; il se la procura, je tentai de le décider à en prendre, il refusa ; j'en emportai la moitié à la campagne, afin de tenter une nouvelle expérience sur mon chien ; au moment où tout était prêt, le chien fit un bond et renversa la jarre ; cela me contraria, et je résolus de prendre personnellement l'éther ; ce que je fis le lendemain dans mon cabinet ; j'inhalai sur mon mouchoir tout l'éther qui me restait ; je ne perdis pas entièrement connais- sance, mais je crois que je devins tellement insensible que l'on aurait pu m'extraire une dent sans que je ressentisse presque aucune douleur ou que je m'en doutasse. Je ne voulais pas redemander de l'éther à Burnett, attendu qu'il demeurait tout près de chez moi, et que ses jeunes gens me connaissaient bien, de peur que la nouvelle de mes expériences ne se répandit au dehors. En conséquence, j'envoyai l'élève William P. Leavitt chez des droguistes dans un tout autre quartier de la ville, chez Brewers, Stevens, et compagnie, maison recommendable ; l'élève avait ordre de demander de l'éther sulfurique. Après quelques pourparlers je déterminai Spear qui en avait pris à la 134 pension à inhaler de l'éther ; il en prit, et son insensibilité fut telle qu'il laissa tomber le mouchoir (qui en était sature), et il parut très-assoupi et engourdi ; après ce moment de torpeur, il entra dans une telle excitation et une telle fureur qu'il fallut le faire retomber de force sur le fauteuil ; cette surexcitation s'appaisa, et revenu à lui il dit qu'il était charmé des sensations qu'il avait éprouvées. Leavitt en prit à son tour, les mêmes effets se reproduisirent ; ces essais me découragèrent ; ce n'était pas là les effets que je voulais obtenir ; ces jeunes gens n'avaient pas été affectés de la même manière que je l'avais été moi-même ; ils n'avaient pas été dans l'état où j'avais vu le chien ; ils avaient été bien plus surexcités et bien moins insensibles. Toutefois, je ne puis m'empêcher de faire remar- quer que si cet éther sulfurique avait été pur et bien rectifie {highly rectified), j'aurais, dès ce moment, obtenu les effets désirés, au lieu de ne les avoir obtenus que postérieurement, en septembre. Cet éther a été analysé depuis, ainsi que cela résulte des nffidavits (déclarations sous serment) relatés dans l'appendice ; on a trouvé qu'il renfermait une forte proportion d'acide sulfurique alcoholique et d'autres impuretés (ou mé- langes). Cette expérience avait eu lieu en août ; comme il faisait chaud, et comme j'étais un peu indisposé, j'allai à la campagne et j'abandonnai les expériences jusqu'à la mi-septembre. A l'automne, ma santé étant rétablie, j'eus le désir de reprendre mes expériences, et je dis au docteur Hayden que je craignais bien qu'à cause des fortes différences dans les qualités d'éther, il ne fût très-difficile, dans une question si délicate, d'arriver à des résultats généralement utiles et sur lesquels on pût compter. Pensant qu'un effet plus sûr pourrait être obtenu par l'in- halation de l'éther au moyen de quelqu'appareil, j'allai voir à diverses reprises M. Wightman, fabricant d'instruments philoso- phiques afin de me procurer ou de faire faire un appareil. Pen- dant que j'étais en train d'examiner ses sacs (ou sachets) pour l'inhalation du gaz oxide nitreux, la pensée me vint que je pourrais bien mettre l'éther dans un de ces sacs, et qu'en prati- quant une ouverture qui serait fermée par une soupape, pour l'admission de l'air atmosphérique, je pourrais en faire un ap- pareil d'inhalation. En y pensant plus sérieusement, il me sembla que l'éther dissoudrait la gomme élastique ; j'en fis la 135 question à M. Wightman, son avis fut pour l'affirmative ; je lui fis la même question relativement à la soie huilée : je n'en sais rien, me répondit-il, mais je vous conseille de voir un chimiste nommé le docteur Jackson. J'achetai chez M. Wightman, un tube de verre (glass tunnel), un sac en gomme élastique, en chemin faisant, et je rentrai dans mon cabinet, j'envoyai Leavitt chez le docteur Gay, chimiste, pour lui soumettre cette simple question : " L'éther est-il de nature à dissoudre la gomme élas- tique ? " Le docteur Gay n'était pas chez lui ; en attendant, j'acquis la conviction que la bouteille et le verre n'étalent pas assez grands pour ce que je voulais faire ; et afin de ne pas faire de dépenses inutiles, je dis au docteur Hayden que j'em- prunterais un sac à gaz au laboratoire du docteur Jackson ; il me conseilla alors de demander au docteur Jackson quelques renseignements sur les diverses qualités et préparations de l'éther : les chimistes, me dit-il, sont familiarisés avec ces choses là. J'approuvai cette idée, mais j'avais une crainte, c'était que le docteur Jackson ne pût deviner ce sur quoi j'expé- rimentais, et ne prit l'avance sur moi. J'allai chez le docteur Jackson pour lui emprunter un sac à gaz ; je comptais aussi obtenir des informations plus précises, relativement aux diffé- rentes préparations de l'éther ; si toutefois je croyais pouvoir le faire sans mettre le docteur sur la voie des expériences que j'avais entreprises et m'en faire un concurrent. Je sais qu'en faisant cet aveu je m'expose à ce qu'on trouve que je n'étais pas animé par l'esprit le plus désintéressé d'enthousiasme philo- sophique, entièrement dégagé de toutes vues de droits ou béné- fices personnels ; mais il suffira de dire que j'avais présents à la pensée les sacrifices faits par moi et les risques que j'avais courus pour cet objet ; je croyais être à la veille d'atteindre mon but, et cependant un autre, avec de meilleures occasions d'expérimentation, profitant de mes idées et de mes travaux, pourrait cueillir le fruit que j'avais sous la main ! Je demandai au docteur Jackson son sac à gaz {gas bag) : il me dit qu'il était chez lui : j'allai le chercher, et je revins dans le laboratoire. Le docteur Jackson me dit en riant : " Eh bien, docteur, voilà votre équipement complet ; il ne vous man- que plus que le gaz." Je répliquai, également en riant, qu'il n'y aurait peut-être pas besoin de gaz si la personne destinée à le prendre pouvait être amenée à croire qu'il y avait en effet du 136 gaz ; et je rappelai l'histoire de l'homme qui était mort parce qu'on lui avait fait croire qu'il était emporté par une hémor- rhagie, tandis que réellement il ne coulait que de l'eau distillée sur sa jambe ; mais, ajoutais-je, je n'ai point intention de faire ce tour. Il dit en riant que l'histoire était bonne : mais, ajouta- t-il gravement, je préférerais que vous ne tentassiez pas cette expérience, de peur que l'on ne vous croie un plus grand char- latan (grealer humbug) encore que Wells avec son gaz oxyde nitreux. Croyant l'occasion bonne pour aborder la question, je dis avec autant d'indifférence que je pus en feindre : Pourquoi ne pour- rais-je pas donner de l'éther ? — Vous pouvez le faire, me dit- il ; et il me répéta ce qu'il m'avait déjà dit des élèves de Cam- bridge. Il ajouta que le patient serait hébété et stupéfié, que je pourrais en faire tout ce que je voudrais, qu'il serait hors d'état de se soutenir. Comme nous étions entrés en matière, je lui adressai les questions que je voulais faire concernant les diverses qualités et préparations de l'éther. II entra dans quelques détails sur les préparations ; et pensant que s'il en avait, ce devrait être de la plus pure espèce, je lui demandai de me faire voir son éther : il m'en montra, mais en faisant observer qu'il était déjà préparé depuis quelque temps ; et il me dit que j'en trouverais de parfaitement rectifié chez Burnett. Comme je m'en allais, le docteur Jackson me reconduisit jusqu'à la porte, et il me dit qu'il me recommandait quelque chose de meilleur que le sac à gaz pour administrer l'éther, et il me donna une bouteille avec un tube de verre y inséré. J'ai pris l'éther chez M. Burnett, et avec le tube et la bouteille, je rne suis enfermé dans mon cabi- net, et, assis dans le fauteuil d'opération, j'ai commencé à re- spirer l'éther. J'ai trouvé l'éther tellement fort, qu'il m'a suffo- qué en partie ; mais il a produit un effet décidé. J'en saturai mon mouchoir, et je l'inhalai. Je regardai ma montre ; je perdis bientôt connaissance. En revenant à moi, je sentis de l'engourdissement dans mes jambes, avec une sensation sem- blable à un cauchemar. J'aurais donné le monde entier pour que quelqu'un vînt me réveiller. Je crus un moment que j'allais mourir dans cet état et que le monde ne ferait que prendre en pitié ou tourner en ridicule ma folie. À la fin, je sentis un léger chatouillement du sang à l'extrémité de mon doigt, et je 137 m'efforçai de le toucher avec le pouce, mais sans succès. Un deuxième effort m'amena à le toucher, mais sans éprouver au- cune sensation. Peu à peu, je me trouvai solide sur mes jambes, et je me sentis revenu entièrement à moi ; je regardai sur-le-champ ma montre, et je calculai que j'étais demeuré in- sensible l'espace de sept à huit minutes. Enchanté du résultat de cette expérience, j'annonçai immédi- atement mon succès aux personnes employées chez moi, et j'attendis impatiemment que quelqu'un voulût se prêter à une épreuve complète. Dans la soirée, un homme demeurant à Boston (dont le certificat se trouve à l'appendice) se présenta chez moi ; il souffrait beaucoup, et il demandait l'extraction d'une dent. Il redoutait l'opération, et il demandait à être mag- nétisé. Je lui dis que j'avais quelque chose de mieux que cela, et, saturant d'éther mon mouchoir, je le lui fis inhaler. U perdit connaissance presque immédiatement : il faisait nuit. Le doc- teur Hayden tint la lampe pendant que je procédais à l'extrac- tion d'une dent barrée qui tenait par de fortes racines. 11 n'y eut pas beaucoup d'altération dans le pouls et aucun relâche- ment des muscles. Revenu à lui, au bout d'une minute, il ne savait rien de ce qu'on lui avait fait. Il resta quelque temps à causer de l'expérience, et je lui fis signer un certificat. C'était le 30 septembre 1846. Je considère cette opération comme étant la première démonstration de ce fait nouveau dans la sci- ence. Je ne sache pas que personne puisse citer une démon- stration antérieure à cette date. Si quelqu'un peut le faire, je suis tout prêt à lui céder la priorité en matière de temps. Je ferai une seule observation au sujet de mon entrevue avec le docteur Jackson. Il n'est pas nécessaire de traiter la question de l'origine de toutes les idées. Je suis tout disposé à reconnaître ce que je dois aux hommes et aux livres, en ce qui concerne mes renseignements et lumières à ce sujet. J'ai puisé un peu d'un côté et un peu de l'autre. J'ai appris par le doc- teur Jackson, en 1844, les effets de l'éther directement appliqué sur une dent malade, et j'ai éprouvé par les expériences que l'éther rendait graduellement le nerf insensible. J'ai appris aussi, en 1844, par le docteur Jackson, les effets de l'éther in- halé par les élèves du collège : ce fait a été corroboré par ce que m'a dit Spear et par ce que j'ai lu. J'ai connu les essais du docteur Wells pour appliquer le gaz oxide nitreux (nilrous oxide V2 13S zns), à l'effet de détruire la douleur résultant des opérations chirurgicales. J'étais très-intéressé à détruire ou alléger la douleur dans le cours de mes opérations, et je me suis efforcé d'arriver à ce résultat par l'inhalation de l'éther, pensant bien que si l'éther pouvait rendre le nerf insensible, directement ap- pliqué, il pourrait aussi, par le moyen de l'inhalation, détruire ou adoucir beaucoup le sentiment de la douleur en général. Si l'éther par moi employé le 5 avril avait été pur, je serais arrivé, dès ce jour-là, à ma démonstration ; je reconnais en outre que plus tard j'ai dû au docteur Jackson de précieux ren- seignements sur les espèces et les préparations de l'éther, et que c'est lui qui m'a recommandé l'emploi de l'éther haute- ment rectifié* de Burnett comme étant le plus sûr et le plus efficace. Mais là s'arrêtent les obligations que je lui ai personnellement. J'aurais pu tirer de tout autre chimiste in- struit, ou puiser dans certains livres, tout ce qu'il m'a communi- qué. Il ne m'a pas mis sur la voie des expériences; lorsqu'il m'a recommandé l'éther sulfurique considérablement rectifié ; l'effet par lui prévu était uniquement la stupéfaction qui n'était pas inconnue ; du reste, il ne donnait pas la plus légère atteinte de cette insensibilité, relativement à la douleur, qui a été dé- montrée, et qui a étonné le monde scientifique. Aussitôt que l'homme dont la dent avait été extraite eut quitté i.ion cabinet, je m'entretins, avec le docteur Hayden, de la Meilleure manière de faire valoir cette découverte. Nous fumes d'avis que le mieux était d'en faire part aux chirurgiens de l'hôpital ; mais, comme il s'écoulerait quelque temps avant qu'une opération fût pratiquée, je crus devoir chercher quelque assurance qui engageât mes clients à prendre l'éther. J'allai voir l'homme qui en avait pris, il se portait très-bien ; j'allai ensuite chez le docteur Jackson, à qui je fis part de ce que j'avais fait : je lui demandai un certificat constatant que cet ether était inoffensif dans ses effets. Il réfusa positivement de me livrer ce certificat ; je lui déclarai que je m'adresserais aux premiers chirurgiens et que je ferais approfondir la question. J'allai voir le docteur Warren, qui me promit de me fournir bientôt l'occasion de faire une expérience. Bientôt après je reçus l'invitation qui figure à l'appendice. * Highly rectified ether. 139 En attendant, je procédai, dans mon cabinet, à des nouvelles expériences suivies de différents effets. J'administrai l'éther à un petit garçon : il n'en résulta pas d'autre effet qu'un malaise, accompagné de vomissements. Le petit garçon fut reconduit chez lui en voiture, et un médecin déclara qu'il avait été em- poisonné. Ses amis étaient furieux : on parlait de m'attaquer en justice. La nouvelle de mes expérimentations heureuses s'étant répandue dans les journaux, à mon insu, plusieurs per- sonnes se présentèrent chez moi pour se faire administrer l'éther. J'en donnai à une dame ; l'unique effet produit fut un engour- dissement. Aspiré (ou inhalé) au moyen de l'appareil désigné par le docteur Jackson, l'éther produisait la suffocation : je fus forcé d'abandonner ce mode. Ayant pris chez M. Wightman un tube de verre conique, j'insérai une éponge saturée à l'ex- trémité la plus éloignée ; cette dame aspira ainsi. . . De cette manière, elle parut être dans un état peu naturel, mais elle con- tinuait de parler, et elle refusait de se laisser arracher sa dent ; je lui fis une petite promesse, ce qui la décida. Je fis l'extrac- tion de la dent sans que rien chez elle décelât la moindre douleur : pas un muscle ne bougea. Son pouls donnait 90 pul- sations ; sa figure était très-colorée, et, après être revenue à elle, elle demeura longtemps assoupie. Cette expérience me donna la conviction de ce qui est aujourd'hui bien prouvé, c'est que l'état de pleine connaissance demeurera quelquefois après la cessation de la sensibilité. J'administrai ensuite l'éther à mademoiselle L. . . , âgée d'en- viron 25 ans. L'effet produit sur elle fut très-alarmant ; elle bondit de dessus le fauteuil, sauta en l'air ; elle criait ; et ce fut avec peine que l'on put la faire asseoir. Revenue à elle, elle ignorait complètement ce qui s'était passé, elle voulut que je lui en administrasse encore. Je le fis avec un succès parfait et je fis l'extraction de deux dents molaires. Je fis encore d'autres expériences avec plus ou moins de succès, donnant surtout mon attention à la manière d'administrer l'éther. Le moment approchait où l'expérience devait avoir lieu à l'hôpital ; j'étais excessivement inquiet, jour et nuit dormant à peine, ne mangeant presque pas ; je travaillais au perfectionne- ment de l'appareil et je poursuivais mes investigations générales sur la matière. J'allai voir le docteur Gould, médecin qui s'est beaucoup 140 occupé de chimie ; et je lui communiquai mes anxiétés et mon embarras ; il me témoigna beaucoup de sympathie ; il me prêta toute son attention, et toutes les nuits nous travaillâmes à esquisser des modèles d'appareil : ce fut lui qui, le premier, me suggéra l'idée d'un antidote dans les cas où lés effets seraient mauvais, et qui me fit substituer le bon système à celui que je pratiquais. L'opération devait avoir lieu à dix heures ; je me levai au petit jour ; je me rendis chez M. Chamberlain, fabricant d'instru- ments ; en le pressant vivement, j'obtins la possession de mon appareil après dix heures sonnées ; j'entrais dans la salle au moment où le docteur Warren allait commencer l'opération n'espérant plus me voir arriver. Le compte-rendu détaillé de cette opération se trouve dans la communication du docteur Warren. Il y avait grande affluence. L'intérêt excité était à son apogée : on désirait vivement être dans le secret des sensa- tions du patient ; après l'opération, le patient fit la description de son état ; et le docteur Warren déclara qu'il croyait que le patient avait été insensible à la douleur : on se figurera ce que j'éprouvais mieux que je ne le saurais dire. Je fus invité à ad- ministrer l'éther le lendemain dans une opération sur une tumeur. L'opération fut pratiquée avec un succès parfait par le docteur Hayward. Le 23 octobre, je vis le docteur Jackson pour la première fois depuis l'entrevue dont j'ai parlé. J'emprunte ma narration de cette entrevue à un mémoire rédigé au moment même ; sa fidélité est attestée par deux témoins très-recommandables, pré- sents à la conversation. Il dit que son attention avait com- mencé à être éveillée quand il avait appris que je réussissais avec l'éther ; M. Eddy lui avait dit que je me proposais de prendre un brevet, et que je ferais une bonne affaire. —Je ré- pondis que tout cela m'avait occasionné bien du tourment et des dépenses, mais que je pensais pouvoir en tirer parti. — Je le crois aussi, ajouta-t-il, et je crois que je devrais vous demander une rétribution, à titre d'honoraire pour les conseils que je vous ai donnés. —Je lui demandai pourquoi il soulèverait cette pré- tention plutôt en ce cas que pour tous les autres conseils qu'il pouvait m'avoir donnés dans le cours de nos précédentes relations spécifiées au commencement de ce mémoire. —I] me dit • Mon conseil vous a été utile ; vous ferez une bonne affaire avec le 141 brevet, et vous me devez bien un dédommagement (compensa- tion) ; — et je vous le donnerai, dis-je, si le brevet me rapporte beaucoup indépendamment des produits de mes autres affaires. — lime dit alors qu'il me demanderait 500 dollars. — Je lui dis : je vous les donnerai, si dix pour cent sur les bénéfices nets du brevet s'élèvent à cette somme. — Je suis très content de cet arrangement, me dit-il. Ainsi finit cette entrevue. Le lendemain matin, il raconta à M. R. H. Eddy ce qui s'était passé ; et deux ou trois jours après, M. Eddy me suggéra l'idée qu'au lieu de donner un honoraire au docteur Jackson, je devrais l'intéresser dans le brevet, en lui donnant dix pour cent sur les bénéfices nets. M. Eddy me suggérait cette idée par amitié pour le docteur Jackson qu'il désirait voir avantagé. Il ajouta que le brevet aurait ainsi l'avantage du nom et de la science du docteur Jackson ; que celui-ci serait ainsi intéressé à donner son attention à la préparation et à l'appareil, et que nous pourrions prendre l'avance sur les améliorations qui pourraient être sug- gérées par d'autres. Il ajouta que si un procès s'engageait (et si le docteur Jackson était appelé à déposer, comme il le serait indubitablement), l'assistance qu'il m'avait donnée pourrait devenir une arme entre les mains des tiers qui attaqueraient le brevet, à l'effet d'invalider mon titre à être réputé inventeur. À ce moment les dentistes avaient organisé une résistance formi- dable à l'emploi de l'éther, et tous les Magazines ou revues médicales de l'union, à l'exception de Boston, s'étaient pro- noncés contre ce procédé. Je sentais le besoin de m'entourer de toute l'assistance que je pourrais me procurer : j'avais la con- science que je péchais par l'absence d'une éducation scienti- fique complète ; tous ces motifs me déterminèrent à accéder à la demande de M. Eddy. Mais il ne m'était pas venu alors à la pensée que le docteur Jackson prétendit être l'inventeur ; sous ce rapport, je me réfère aux affidavits (déclarations sous ser- ment) de messieurs Eddy. Je continuai d'administrer l'éther dans mon cabinet ; et dans ' les premiers jours de novembre, je demandai au docteur Hay- ward la permission de l'administrer dans un cas d'amputation, qui, à ce que j'avais appris, devait avoir lieu à l'hôpital. Le docteur H. J. Bigelow avait assisté à mes expériences dans mon cabinet, y prenant un vif intérêt ; il avait rédigé un mémoire dont il a donné lecture à la société de Boston (société de per- 142 fectionnements médicaux de Boston), et ensuite à l'Académie Américaine des Arts et des Sciences. Les chirurgiens de l'hôpital déclarèrent qu'ils croyaient de leur devoir de refuser l'emploi de la préparation jusqu'à ce qu'ils sçussent ce que c'était. J'écrivis sur-le-champ au doc- teur Warren, doyen des chirurgiens, lui donnant la cle de toute l'affaire. L'opération eut lieu le 7 novembre. Environ une demi-heure avant, le docteur H. J. Bigelow vint me provenir qu'il désirait que je fusse sur les lieux dans le cas où l'on juge- rait à propos de m'admettre. Je restai quelque temps dans la salle d'attente : il fut décidé par les chirurgiens que l'on auto- riserait l'expérience, et j'administrai l'éther avec un succès complet. C'était le premier cas d'amputation. Je ferai remar- quer aussi que le docteur Jackson n'était pas en ville à ce mo- ment, et qu'il ignorait entièrement l'opération. Le 21 novembre, j'administrai l'éther dans une opération pour une tumeur, à Bromfield House, en présence d'un grand nom- bre de médecins parmi lesquels je distinguai le docteur Jack- son. C'était la première fois qu'il voyait administrer l'éther ; seul, je l'avais administré à Boston ou ailleurs, du moins à ce que je sache. Dans cette circonstance, le docteur Jackson ne parut que comme simple spectateur. Du 2 janvier 1847 date le premier acte indiquant aux chi- rurgiens qu'il eut quelque intérêt dans l'affairé. Ce jour-là, il se rendit à l'hôpital avec du gaz oxigène comme servant d'antidote à l'asphyxie qu'il avait appris avoir été produite par l'éther. Mais, avant cette époque, les chirurgiens avaient acquis la conviction qu'il n'y avait pas d'asphyxie. A la seule exception près d'une observation faite au docteur Warren, con- signée dans ses dépêches (ou communications), aucun des chi- rurgiens ou des autres personnes se livrant à ces expériences ne s'est imaginé, soit d'après ce qu'aurait pu dire M. Jackson lui- même, soit d'après sa conduite, qu'il dût se rattacher en aucune manière à cette découverte ; qu'il fût personnellement responsa- ble de l'emploi de la préparation ; qu'il eût des titres à s'ho- norer de son succès ; ou qu'il fût passible du désagrément de l'insuccès, si la mort ou une grave indisposition avait atteint quelqu'un à l'issue de l'opération ; dans ces hypothèses, le doc- teur Jackson n'aurait pas pu le moins du monde être incriminé. Ce n'est qu'après tout danger passé, après la certitude acquise 143 du succès, l'appel de l'attention du monde sur cette découverte, après l'impuissance démontrée de la résistance formidable des dentistes et de toutes les revues et sociétés médicales, c'est après tout cela que le docteur Jackson a commencé à se mêler de l'affaire, et qu'il a élevé la prétention d'avoir deviné les effets de la découverte et de me les avoir communiqués. Le 19 octobre, aussitôt que j'eus acquis la certitude du suc- cès, j'écrivis à mon ancien associé le docteur Wells pour l'in- former de ce que j'avais fait. Je le priais de venir à Boston et de m'aider à exploiter la découverte dans l'extraction des dents. Sa réponse est à l'appendice ; elle est en date du 20 octobre 1846. Il vint à Boston, et assista à plusieurs expériences dans mon cabinet : il exprima l'alarme qui s'emparait de lui ; il dit que je pourrais bien tuer quelqu'un, et que je me mettrais mal dans mes affaires. Il me quitta brusquement, mais sans faire valoir aucun titre à la découverte, bien qu'il eût pu reconnaître l'éther et que je lui eusse dit franchement que c'était de l'éther. Je puis aussi citer l'autorité du docteur Warren et celle du docteur Hayward pour déclarer que le docteur Wells ne fit aucune allu- sion à l'éther, du moins à ce qu'ils sachent, lorsqu'il fit son ex- périence à Boston, en 1845. Je sais très-bien qu'une communication adressée à une Acadé- mie qui s'occupe des sciences et non des personnes, ne me donne pas le droit de discuter la question de mes titres au mérite d'une découverte contrairement aux prétentions émises par d'autres. Je me suis borné à raconter les seuls faits de nature à jeter du jour sur l'historique de cette démonstration. Si ces faits invalident les prétentions d'autres personnes, j'ai le droit de profiter de cet avantage ; mais le présent mémoire n'a pas pour but d'exposer tous mes titres comparatifs en regard des prétentions du docteur Jackson ou du docteur Wells. Si l'af- faire était portée devant un tribunal et que la discussion fût ouverte, je me disposerais avec empressement à la plaidoirie, et je me soumettrais volontiers à la décision de tout arbitre éclairé. J'ai proposé cet expédient au docteur Jackson, il a refusé. En justice, je dois dire que je me suis pressé de prendre mon brevet, avant même de savoir positivement l'immense avan- tage que l'on pourrait tirer de cette découverte : outre le mobile du bénéfice et de la rémunération pour moi-même, je pensais qu'il serait bon de mettre des restrictions à un agent si puissant 144 qui pourrait servir aux plus criminels objets. J'accordai la fran- chise des droits à tous les établissements de charité, et j'offris de vendre le droit aux chirurgiens et médecins pour un prix très-modique, prix tel que personne ne pourrait s'en plaindre. Je ne doutais pas que les autorités compétentes n'enlevassent la chose aux mains des particuliers, si le bien public l'exigeait, en indemnisant avec justice l'inventeur qui avait risqué sa réputa- tion et sacrifié son temps et son argent. Mais l'usage en étant devenu aujourd'hui général, et presque nécessaire, j'ai depuis longtemps renoncé à la vente des droits : le public emploie l'éther librement ; et je crois être la seule personne au monde pour qui cett^ découverte ait été un sacrifice pécuniaire. Le très-respectueux et obéissant serviteur de l'Académie, Signé William T. Green Morton. À Boston, États-Unis d'Amérique, le 31 juillet 1847. ■»«o„à latêlede laqa™[Tu :;rr,p"°"vie'" *■ -W » l'hamanhé, par |„ fait de ^ ™°" ^ Se""ces 1"'" » r™,l„. . II a ete' commis une erreur de à