TRAITÉ DE PHRENOLOGIE HUMAINE ET COMPARÉE. TRAITÉ DE PHRÉNOLOGIE HUMAINE ET COMPARÉE, ACCOMPAGNÉ % D’UN MAGNIFIQUE ATLAS IN-FOLIO DE 120 PLANCHES, COÏT TE ETANT PLUS BE 700 SUJETS D’ANATOMIE HUMAINE ET COMPAREE , D’UNE PARFAITE EXÉCUTION. Par J. VlMOiVf , DOCTEUR EN MEDECINE DE LA FACULTÉ DE TARIS, MEMBRE HONORAIRE DES SOCIÉTÉS PHRÉNOLOGIQUES DE PARIS ET DE LONDRES. L’orgueil, la superstition, la crainte, ont embarrassé la connais- sance de l’homme de mille préjugés que l’observation doit détruire. La religion est chargée de nous conduire dans la route du bonheur qu’elle nous prépare au-delà des temps. La phi- losophie doit étudier les motifs des actions de l’homme pour trouver le moyen de le rendre meilleur et plus heureux dans cette vie passagère. (G. Leroy, Lettres philos, sur l'Homme et les Animaux. ) TOME SECOND. flam J. B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE, RUE DE CÉCOLE DE MÉDECINE , N° I 3 BIS ; LONDRES , MÊME MAISON, 2i9 , REGENT-STREET. IMPRIMÉ CHEZ HIPPOLYTE TILLIARD. 1835. AVANT-PROPOS. Préparés par l’étude des matières qui ont fait le sujet du premier volume, mes lecteurs arriveront aisément à l’intel- ligence de celles qui composent le second. J’aurais bien voulu lui donner un peu moins détendue; mais la nature des sujets que j’avais à traitèr m’a forcé d’entrer dans une infinité de détails indispensables aux phrénologistes. Les applications pra- tiques au crâne de l’homme et à celui des animaux vertébrés, qu’aucune personne n’avait jusqu’à ce jour traitées d’une manière satisfaisante, ont dû m’entraîner nécessairement dans une multitude d’observations. AVANT-PROPOS. Cependant pour ne pas être trop prolixe, j’ai pris le parti de consigner une partie de ces observations purement anato- miques dans le texte explicatif de l’Atlas. J’évite ainsi une foule de détails qui seraient devenus fastidieux dans le corps de l’ou- vrage, et cela me permet d’insister davantage sur plusieurs points beaucoup plus essentiels. Ce volume renferme seize chapitres divisés en plusieurs paragraphes. Dans le premier, je parle de la philosophie en général, et des opinions dominantes des philosophes anciens sur lame et ses facultés. J’examine ensuite les opinions des philosophes et des physiologistes de notre époque, ce qui me conduit à parler de la pluralité des facultés de lame, et à faire connaître les observations anatomiques et physiologiques qui la prou- vent d’une manière incontestable. Ce chapitre est terminé par un examen des principes métaphysiques généralement ensei- gnés dans les écoles. Il était naturel qu’après avoir fait connaître les principes des physiologistes et des métaphysiciens de notre époque, je fisse l’exposition de la doctrine de Gall; c’est ce qui fait l’objet du second chapitre : je l’ai divisé en trois paragraphes. Dans le premier j’expose la doctrine de Gall; je la développe dans le second, et le troisième traite exclusivement de la pluralité des organes cérébraux. Le troisième chapitre est consacré à des considérations générales sur les fonctions du système nerveux, et à l’histoire AVANT-PROPOS. de la classification des fonctions de ce système. Dans le qua- trième, je traite de la cranioscopie chez l’homme et les ani- maux : ce chapitre est suivi d’un tableau représentant la classification des facultés fondamentales du système nerveux cérébro-spinal dans un ordre anatomique et physiologique. Le cinquième chapitre traite des sens ou des facultés du deuxième ordre : il contient cinq paragraphes. L’histoire des facultés du second genre du deuxième ordre, et du siège de leurs organes forme l’objet du sixième chapitre. Les septième, huitième et neuvième chapitres se compo- sent de dix-neuf paragraphes, contenant l’histoire de toutes les facultés intellectuelles proprement dites : j’entre dans une multitude de détails indispensables pour faire connaître le siège des organes de ces facultés. Dans les -dixième et onzième chapitres je traite de toutes les facultés du quatrième ordre, désignées dans le langage des métaphysiciens comme dans celui des phrénologistes, sous le nom de sentiments. L’histoire de la combinaison des facultés, celle des tètes nationales font le sujet des douzième et treizième chapitres. Dans les quatorzième et quinzième je traite de l’influence de l’habitude sur les facultés cérébrales, et de la mimique propre à chacune d’elles. Le seizième et dernier chapitre est entièrement consacré à l’application de la phrénologie, aux principales institutions civiles et politiques, aux sciences morales, à l’éducation et aux VIII AVANT-PROPOS. beaux-arts, aux écoles de droit et de médecine, aux maisons de détention et aux bagnes. Le volume est terminé par un tableau des expressions com- munément employées dans le langage des métaphysiciens et des philosophes comparées avec celles des phrénologistes. TRAITÉ DE PHRÉNOLOGIE HUMAINE ET COMPARÉE. CHAPITRE I. PHILOSOPHIE. — QUELS FURENT LES HOMMES LES PLUS CÉLÈBRES DE L’AN- TIQUITÉ QUI S’ADONNÈRENT A CETTE SCIENCE. — LEURS OPINIONS PRINCI- PALES SUR L’AME ET SES FACULTÉS.—EXAMEN DES IDÉES DES PHILOSOPHES ET PHYSIOLOGISTES DE NOTRE ÉPOQUE SUR LE MÊME SUJET.—PLURALITÉ DES FACULTÉS DE L’AME : EXPÉRIENCES ANATOMIQUES, PHYSIOLOGIQUES ET PATHOLOGIQUES QUI L’ÉTABLISSENT INCONTESTABLEMENT. — EXAMEN DES PRINCIPES MÉTAPHYSIQUES GÉNÉRALEMENT ENSEIGNÉS DANS LES ÉCOLES. s i- Comme l’histoire de toutes les connaissances humaines, celle de la philosophie se perd dans la nuit des temps. Nul doute qu’à toutes les époques et chez les peuples arrivés à un certain degré de civilisation , n’aient apparu de ces hommes rares dont la vie tout entière fut consacrée à la recherche de la vérité et à la pratique de la vertu. Les traditions générales s’accordent TRAITE pour considérer l’Égypte (i) comme le berceau de la philosophie. Une chose que l’on ne peut révoquer en doute, c’est que les philosophes qui firent école en Grèce, consultèrent les hommes les plus distingués de cette contrée, notamment les prêtres de Memphis , qui jouissaient de la réputation d’hommes éclairés et versés dans les hautes sciences. À la tête des philosophes les plus célèbres, nous placerons Pythagore, Platon, Lycurgue et Solon. Ces deux derniers ne se contentèrent pas d’emprunter aux Egyptiens leurs principes philosophiques : ce fut aussi chez eux qu’ils puisèrent le code de lois qui gouverna si long-temps la Grèce. Examiner les divers systèmes philosophiques les plus remarquables de ce pays, serait un hors-d’œuvre dans notre ouvrage : nous nous contenterons de faire remarquer que les philosophes les plus célèbres, quelles que fussent leurs opinions, admirent toujours chez l’homme deux principes, l’un périssable, ou le corps, et l’autre immortel, qu’ils dési- gnèrent sous le nom dame, esprit, ©'veufxa. Selon quelques- uns, et nous citerons Pythagore (2), ce principe animait tous les corps de la nature, et passait successivement de l’un dans l’autre. D’autres philosophes accordèrent une ame seulement à (1) S’il faut en croire Hérodote, les Égyptiens auraient été le premier peuple qui aurait eu un culte religieux et des principes de haute politique. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que les monuments seuls de ce peuple suffisent pour donner une haute idée de sa civilisation. (*j) Bien que les principes philosophiques de Pythagore aient eu un grand nombre de partisans, ils n’eurent qu’un effet très secondaire sur les mœurs des Grecs. Il n’en est pas de même de sa morale, qui est une des plus pures que l’on ait enseignées. Après avoir entretenu ses disciples de l’existence d’un Être suprême, Pythagore disait que le seul moyen de lui être agréable était de dire la vérité et de rendre service aux hommes. DE PHRÉNOLOGIE. 3 l’homme et aux bêtes ; enfin quelques-uns allèrent plus loin, et prétendirent en connaître la nature et le siège : tel fut Aristote, qui la plaça dans le cœur. Nous ne reviendrons pas sur ce sujet que nous avons déjà touché dans notre premier volume. Il n’en sera pas de même des facultés fondamentales de l ame , dont l’étude constituait la métaphysique d’alors, science dont Aristote passe pour avoir été le fondateur, et que les philosophes et les physiologistes de notre époque ont conser- vée, en lui faisant subir diverses modifications. vSelon Aristote, l’homme naît table rase; c’est-à-dire que toutes ses sensations résultent des impressions qui lui arrivent par les sens. Deux philosophes, Locke et Condillac, mettant à profit les idées d’Aristote, les modifièrent et formèrent une métaphysique, qui fut généralement admise en France et en Angleterre, où elle compte encore un grand nombre de partisans. Bien que les philosophes de nos jours et sur-tout les travaux des physio- logistes aient ébranlé à peu près complètement l’école condilla- cienne, les racines qu elle a jetées ne sont pas encore si bien détruites qu’il n’en reste des traces. Il devient donc utile d’ex- poser ici les principes de cette école, afin d’en faire ressortir plus tard le peu de fondement. Cette exposition devient d’autant plus nécessaire, que les livres de presque tous les physiologistes de notre époque en sont encore entachés. vSuivant Condillac, qui considère avec juste raison le cerveau comme l’organe de l ame , les facultés de celle-ci se réduiraient à la sensation, l’attention, la comparaison, le jugement, la réflexion , l’imagination et le raisonnement. La première de ces facultés serait le résultat des impressions produites sur l ame par les objets qui nous entourent ; la seconde, de l’impression soutenue 4 TRAITÉ sur un objet, sur une de ses parties ou qualités; la troisième faculté, ou comparaison, ne serait que l’attention mise en action sur plusieurs objets, présents ou absents; le jugement, ou quatrième faculté, le résultat des différences ou des similitudes queces objets présentent à notre esprit; un ensemble de compa- raisons, de jugements, constituerait la réflexion ; et selon que celle-ci s’exerce de manière à présenter les objets absents , ou quelle les envisage sous de nouveaux rapports , il en résulte ce que Condillac appelle imagination ; enfin une suite de jugements , par lesquels l’esprit se dirige sur plusieurs parties d’une chose, de manière à apprécier convenablement ce qu’il veut examiner, donne lieu à la septième et dernière faculté, qu’il appelle raisonnement. L’ensemble de toutes les facultés del’ame, c’est-à-dire la sensation, l’attention, la comparaison, le jugement , l’imagination , le raisonnement , produirait l’entendement, ou celui-ci ne serait que le résultat de ces diverses facultés. Il n’existe peut-être pas de théorie plus simple , plus claire , je dirai même plus séduisante que celle de Condillac : il n’est donc pas étonnant quelle ait été tant goûtée, et quelle ait eu une si grande influence sur les masses. Mais pour l’homme qui pense profondément, pour celui qui étudie avec attention l’homme moral et intellectuel, les idées de Condillac sont-elles bien en harmonie avec ce que lui offre la nature ? Ces prétendues facultés sont-elles véritablement fondamentales ? Condillac n’aurait-il point considéré comme faculté ce qui n’en est que l’attribut? Ce qu’il appelle attention, jugement, etc., ne serait-il pas applicable à plusieurs facultés ? Oui, dirons-nous ; et c’est ce que nous établirons positivement lorsqu’il sera question des principes philosophiques de Gall. DE PHRÉNOLOGIE. 5 Tous les actes ou facultés admis par Condillac, sont si bien enchaînés, dépendent tellement les uns des autres, que plusieurs idéologistes ont cru devoir en diminuer le nombre; c’est ce qu’ont fait MM. de Tracy (i) et de La Romiguière. Le premier a réduit toutes les facultés admises par Con- dillac à quatre principales : la perception , la mémoire , le jugement et la volonté; la perception est la faculté qu’a le cerveau de ressentir les impressions extérieures ou intérieures ; la mémoire consiste dans la faculté de conserver la trace de ces impressions, et le jugement dans celle de faire des rapprochements entre des choses semblables ou différentes, afin de reconnaître leur différence ou leur analogie. Vient ensuite la volonté, ou la faculté que nous avons de nous déterminer par suite d’impressions antérieurement reçues. M. de La Romiguière (2) croit à son tour pouvoir expliquer tous les actes de l’intelligence à l’aide de trois facultés seulement : ces facultés consistent dans l’attention , la com- paraison et le raisonnement ; et les deux dernières ne seraient, à la rigueur, qu’une suite de la première, ou de l’attention. Toutes ces facultés se réduiraient en dernier résultat à celle de sentir. Telle est en général la manière de penser des deux idéologues les plus estimés de notre époque sur les facultés de l’entendement. Nous retrouvons chez eux meme clarté et plus de précision que chez Condillac y bien que le fond des idées soit absolument le meme. Nous n’avons parlé jusqu’à présent que des facultés connues (1) Eléments cVidéologie, par Destutt de Tracy, membre de l’Institut. (2) La Romiguière, Leçons de philosophie, 2 vol. in-8°. 6 TRAITÉ dès la plus haute antiquité sous le nom général d’entendement ou d’intelligence : elles constituaient à elles seules la méta- physique (1) des anciens, et se trouve représentée par l’idéologie des modernes, ou autrement la psychologie (2) ou histoire des fonctions de lame. Réunie à la connaissance des facultés morales , elle compose l’histoire complète de l’homme. Ces dernières, comme nous le verrons plus tard, ont aussi le cerveau pour instrument. Les sages de l’antiquité attachèrent la plus grande importance à leur culture et à leur direction. Tous furent , avec raison , pénétrés de l’idée que sur elles seules reposait le bonheur des familles, et partant celui des nations. Pythagore et Socrate étaient si fortement convaincus de l’influence de la morale sur la prospérité et le bonheur des peuples, qu’ils en firent la hase de leur philosophie. Tous deux réunirent l’exemple au précepte : Socrate sur-tout sut en faire l’application, et c’est en cela qu’il nous parait au-dessus de tous les philosophes. Méprisant les choses auxquelles les hommes paraissent si fortement attachés, il chercha à leur inspirer le goût de celles qui sont véritablement essentielles à leur bonheur. Les philosophes qui le précédèrent étudiaient la nature : Socrate s’étudia lui-même et s’efforça de former ses mœurs plus que son esprit. Sa vie entière fut employée à l’étude de l’homme moral et à la pratique de la vertu. Il est sans contredit un des philosophes qui ont le plus contribué au bonheur des hommes. (1) On l’appelait ainsi de deux mots grecs, pera, au-delà , et ou?iz, nature, c'est- à-dire, science qui s’occupait de choses purement spirituelles. (2) Mot composé de ÿvyr), ame, et de ).oyoç, discours. DE PHRÉNOLOGIE. 7 S’il existe, comme nous le verrons plus tard, la plus grande ressemblance entre les idées de Gall et celles des moralistes anciens et modernes, touchant l’histoire des facultés morales, nous verrons cependant que notre philosophe l’emporte de beaucoup sur eux, d’abord comme anatomiste, puisqu’il est parvenu par la voie expérimentale à connaître le siège des organes de ces facultés, enfin parce qu’il en a fait une analyse bien plus judicieuse. Il en résulte que sa psychologie, réunie à son histoire des facultés morales et aux travaux de ses disciples les plus distingués, fait connaître l’homme sous un jour plus vrai que tout ce qui a été publié jusqu’à ce jour. fous les philosophes et les physiologistes de notre époque considèrent le cerveau comme organe de Fame. — Expériences positives à l’appui de cette assertion. — Pluralité des organes cérébraux généralement admise par les physiologistes. — Opinions de quelques philosophes et physiologistes de nos jours sur les actes intel- lectuels : ils doivent être étudiés comme ceux des autres fonctions, et rentrent con- séquemment dans le domaine de la physiologie. Les expériences tendant à prouver que le cerveau est 1 organe de lame, sont si nombreuses et si positives, quelles égalent en certitude une démonstration géométrique. Il serait fastidieux, dans letat actuel de la science, de les énumérer toutes ; il nous suffira donc de faire connaître les principales. i° On a vu chez plusieurs individus, dont les princi- paux viscères étaient détruits ou atrophiés, mais dont le 8 traité cerveau était resté intact, les facultés intellectuelles et morales entièrement conservées. i° Le défaut de développement du cerveau, au-dessous d’une certaine mesure, entraîne constamment l’imbécillité. 3° Des épanchements de sang dans le cerveau ont suffi pour troubler ou anéantir toutes les facultés intellectuelles et morales : une pression exercée sur ce viscère a donné lieu au meme résultat. 4° La masse encéphalique peut être enlevée chez un ani- mal, la vie être entretenue à l’aide dune respiration arti- ficielle; mais il ne se manifeste plus aucune trace d’actes intellectuels ressemblant à ceux dont l’animal était doué. 5° Dans le sommeil parfait, lame n’agit point, parce que son instrument, le cerveau, est sans action. 6° Le développement et la diminution des facultés de lame et des mouvements, coïncident avec le développement et la diminution de la masse du système cérébro-spinal. 7° Chez l’homme et les animaux, le développement ou le volume de la masse cérébrale se trouve en rapport avec 1 intensité daction des actes intellectuels et moraux. s III. Pluralité des organes cérébraux, Lidée de la pluralité d'organes cérébraux est extrême- ment ancienne : Aristote, Platon, Anaxagore, reconnurent plusieurs facultés de lame, puisqu’ils distinguaient l’homme DE PHRÉNOLOGIE. 9 moral de l’homme intellectuel. Bien avant Gall, tous les philosophes et les physiologistes avaient admis plusieurs modes de sensation de lame. Herder et Bonnet allèrent encore plus loin : celui-ci sur-tout, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, démontra que le cerveau, ou l’instru- ment de lame, était composé de diverses parties, qu’il désigna même sous le nom d’organes, et auxquelles il attri- bua une fonction spéciale. La connaissance anatomique et physiologique des cinq sens suffît à elle seule pour démon- trer que les fonctions de l’ame sont complexes. Enfin, pour peu que l’homme s’étudie, il verra que diverses sensations ou impressions ont lieu chez lui, chose impossible à expli- quer sans l’action de divers organes ou parties nerveuses présidant à ces sensations. Des philosophes, des théologiens ont essayé d’expliquer comment le cerveau et l ame, ou l'instrument et le prin- cipe, étaient réunis ensemble. Cette question est tout-à-fait hors du domaine de nos recherches : notre tâche est de faire connaître les facultés de Fame telles quelles se mani- festent, et quelles sont les conditions organiques nécessaires pour leur manifestation. Nos observations ne se borneront pas à l’homme, nous les étendrons encore aux animaux, afin de démontrer comment l’auteur de la nature , en variant la composition du système nerveux, a doué chaque espèce animale des organes les plus propres à produire les phénomènes merveilleux dont nous sommes journellement témoins. L’étude des variétés d’organisation, et conséquemment de fonctions, chez les principaux vertébrés, servira à faire mieux comprendre les facultés de l’homme. D’un autre côté , en nous élevant graduellement des êtres inférieurs, pour 10 TRAITE arriver à celui qui occupe le sommet de leclielle animale, nous suivrons une marche plus rationnelle et plus philo- sophique. Comme il ne serait pas impossible que quelques per- sonnes s'alarmassent du rapprochement que nous ferons entre les facultés de l’homme et celles des animaux, bien que pour l’homme réellement instruit ces comparaisons dus- sent produire un effet contraire, je me vois forcé de déve- lopper mes idées sur ce point : il en résultera, ce me semble, qu’au lieu d’être dangereuses, comme on le sup- pose gratuitement, nos recherches contribueront à donner une juste idée de la supériorité de l’homme sur tous les êtres créés, et lui inspireront ainsi un sentiment de recon- naissance envers l’auteur de la nature. animaux sont-ils doués de facultés intellectuelles ? Leur conduite est-elle raisonnée, modifiée suivant les cir- constances, ou n’est-elle que le résultat de ce qu’on est convenu d’appeler vulgairement instinct, c’est-à-dire la suite d’une impulsion aveugle agissant constamment de la même manière P C’est insulter au bon sens que de supposer que les ani- maux soient dépourvus d’actes intellectuels. L’expérience de tous les jours nous démontre le contraire d’une manière incontestable. On a véritablement lieu de s’étonner que des hommes de talent, des penseurs et des philosophes même, aient nié des vérités aussi évidentes. C’est cependant ce que nous rencontrons dans les ouvrages, je ne dirai pas d’un grand naturaliste, mais du moins d’un des hommes les plus éloquents du dernier siècle, de Buffon enfin, dont les idées sur ce sujet me paraissent tout-à-fait opposées à DE PHRÉNOLOGIE. 11 une saine physiologie. Examinons un peu ce que cet homme, d’ailleurs si célèbre, a avancé sur ce point si im- portant de physiologie comparée, et tâchons, par quelques remarques, de faire voir que ses assertions sont peu fondées. « Pour nous mieux faire entendre (il s’agit des faculte's des animaux) (i), considérons un chien, par exemple, qui, « quoique pressé d’un violent appétit, semble n’oser toucher, « et ne touche point en effet à ce qui pourrait le satisfaire, a mais en même temps fait beaucoup de mouvements pour « 1 obtenir de la main de son maître : cet animal ne paraît-il « pas combiner des idées? ne paraît-il pas désirer et craindre; « en un mot, raisonner à peu près comme un homme qui « voudrait s’emparer du bien d’autrui, et qui, quoique violem- « ment tenté, est retenu par la crainte du châtiment; voilà « l’interprétation vulgaire de la conduite de l’animal. * Certai- nement, et c’est, selon nous, la meilleure. « Comme c’est de cette façon que la chose se passe chez « nous, il est naturel d’imaginer, et on imagine en effet & qu elle se passe de même dans l’animal. » Il nous semble qu’en cela on imagine très bien. « L’analogie, dit-on, est bien « fondée, puisque l’organisation et la conformation des sens, « tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, sont semblables dans l’ani- « mal et dans l’homme ; cependant ne devrions-nous pas voir « que, pour que cette analogie fût en effet bien fondée, il fau- « drait quelque chose de plus ? qu’il faudrait du moins que rien « ne pût la démentir; qu’il serait nécessaire que les animaux « pussent faire et fissent, dans quelques occasions, tout ce que (i) Discours sur la nature des animaux;Buffon, tome I, des Mammifères. 12 TRAITE « nous faisons P » Ainsi, selon Buffon, il faudrait que les ani- maux eussent toutes nos facultés pour qu’il fût permis d établir une comparaison entre eux et l’homme. « Ils n’inventent et ne perfectionnent rien : » jamais idée ne fut moins fondée, car il suffit d’avoir étudié les actes d’un chien chasseur, pour voir jus- qu’à quel point cet animal modifie ses actions. Les oiseaux cons- tructeurs changent leur manière de construire en raison des lieux, et la perfectionnent avec le temps. On a vu des hiron- delles se contenter de réparer leur nid quand elles ne le trou- vaient que légèrement altéré à leur retour ; si leurs actes avaient été machinaux ou instinctifs, elles auraient fait leur nid comme à l’ordinaire. J’ai eu à Paris en i83i deux jeunes serins, auxquels je donnai un peu de charpie très fine, peu de jours avant que leur nid fût terminé : à partir du jour où ils la reçurent, leur principale occupation fut d’enlever avec soin l’herbe sèche qui garnissait le centre de leur nid, et de la remplacer par la charpie. J’ai vu deux pies, dont le nid avait été ébranlé et endommagé par le vent, porter brin à brin les bûchettes et la paille qui le composaient dans un arbre bien plus touffu que celui où elles l’avaient d’abord construit. Est-ce que le chien dressé, à qui on commande et qui obéit sur-le-champ, ne rai- sonne pas son action ? N’est-ce pas parce qu’il se rappelle que le défaut d’obéissance était accompagné d’une correction dou- loureuse, et le cas contraire, de caresses, qu’il se détermine en faveur de l’acte qui lui procure une sensation agréable ? Il y a donc eu, avant cette détermination, mémoire et jugement, puisqu’il y a eu comparaison de deux idées. Que ferait donc de mieux, et en pareil cas, un enfant qui aurait été puni ou récom- pensé pour telle ou telle action ? Si les résultats sont égaux des deux côtés, il nous semble que l’action qui les a produits a dû DE PHRÉNONOLOGIE. 13 s’opérer de la meme manière : c’est donc à tort que Buffon sou- tient que les animaux ne réfléchissent pas et ne perfectionnent rien. Si le chien, l’éléphant, le singe, etc. etc., n’exécutent pas tous les actes qui sont l’apanage de l’homme, il faut s’en prendre à leurs cerveaux, qui sont loin d’offrir le même développement et la même complication. Mais voyons la suite des raisonnements de Buffon. « Les animaux ne perfectionnent et ne réfléchissent pas; ils « ne font jamais que les mêmes choses et de la même façon. » Nous avons, je crois, démontré le peu de fondement de cette assertion, et cela nous arrivera encore assez souvent dans le cours de cet ouvrage. « Nous pouvons donc beaucoup rabattre de la force « de cette analogie; nous pouvons douter de sa réalité, et nous « devons chercher si ce n’est pas par un autre principe, diffë- « rent du notre, qu’ils sont conduits, et si leurs sens ne suffisent « pas pour produire leurs actions. » Conséquence vraiment sin- gulière de la part de Buffon; car dans le passage qui précède celui que je viens de citer (i), il démontre que les sens sont les mêmes dans l’homme et dans l'animal. « Tout ce qui est relatif « à leur appétit, ébranle très vivement leur sens intérieur, « et le chien se jetterait à l’instant sur l’objet de cet appétit, « si le même sens intérieur ne conservait pas les impres- * sions antérieures de douleur dont cette action a été précédem- « ment accompagnée. » Pourquoi donc ne pas donner le nom de mémoire à cette faculté que possède le chien de se rappeler les impressions perçues ? « On peut expliquer , de la même (i) Je n’ai pas cité ici ce passage pour ne pas grossir inutilement ce volume; mais on peut consulter le volume de Buffon indiqué précédemment. 14 TRAITÉ façon et par les mêmes principes , toutes les actions des « animaux , quelque compliquées qu elles puissent paraître, « sans qu’il soit besoin de leur accorder ni la pensée ni la * réflexion ; leur sens intérieur suffit pour produire tous « leurs mouvements : il ne reste plus qu’une chose à éclair- « cir, c’est la nature de leurs sensations , qui doivent être, « suivant ce que nous venons d’établir, bien différentes des « nôtres. Les animaux, nous dira-t-on, n’ont-ils donc aucune «■ connaissance ? leur ôtez-vous la conscience de leur existence , « le sentiment ? Puisque vous prétendez expliquer mécanique- « ment toutes leurs actions, ne les réduisez-vous pas à n’être « que de simples machines, que d’insensibles automates? Si je « me suis bien expliqué, on doit avoir déjà vu que, bien loin de « tout ôter aux animaux, je leur accorde tout, à l’exception de « la pensée et de la réflexion. » C’est-à-dire que vous leur ôtez ce que la plus simple observation suffit pour constater chez eux : Vous expliquez tout à l’aide d’un sentiment que vous appe- lez intérieur; et de quel sentiment voulez-vous donc parler, si ce n’est la réflexion, la pensée? Vous dites qu’ils ont la conscience de leur existence actuelle, mais non celle de leur existence passée. Comment expliquerez-vous alors l’éducation des chiens, des chevaux, des éléphants? Il en est de même de la faculté de comparer, que vous leur ôtez, tandis que l’exemple du con- traire nous est démontré tous les jours. Tout ce passage de Buffon est donc complètement faux. Mais à quelle cause faut- il donc attribuer des erreurs aussi palpables, chez un homme de cette trempe, si ce n'est aux préjugés de son enfance, ou plutôt aux persécutions qu’il éprouva de la part de la Sorbonne ? Du moins c’est ce qu’il donne à entendre, dans une lettre qu’il écrivait à Georges Leroi son contemporain : autre chose, lui marquait-il, DE PHRÉNOLOGIE. 15 est de faire parler les animaux à Paris ou à Nuremberg (i). Nous verrons plus loin, combien les raisonnements et les obser- vations de ce dernier sur les mœurs des animaux, sont supérieurs à ceux de Buffon. Sa manière de peindre leurs actes est vraiment admirable, et l’on peut dire de lui, qu’il a pris la nature sur le fait. Ses observations sont d’autant plus pré- cieuses , qu’il était à même par sa position (2) de les renouveler journellement. Concluons donc en disant : i° Qu’il existe chez les animaux des actes annonçant de la réflexion, et des facultés affectives, ou ce que l’on entend vulgairement par intelligence et passions. 20 Que ces actes varient en raison des espèces et des circonstances où elles se trouvent. 3° Que ces facultés, bien que renfermées dans certaines limites sont cependant perfectibles. 4° Enfin que ces actes sont en harmonie, comme nous le démontrerons plus amplement, avec le développement du système nerveux cérébral. J’aurais moins insisté sur ces faits, si je n’avais eu la conviction que beaucoup de personnes partagent encore les idées que je viens de réfuter : la propagation de ces idées n’a pas peu contri- bué à répandre les expressions vagues de nature et d'instinct dies animaux , langage d’autant plus vicieux, qu’il n’exprime en aucune manière les variétés et les caractères propres des facultés intellectuelles ou affectives des espèces. (1) Place où s’était retiré Georges Leroi afin de ne pas être la victime du fanatisme. (2) Il était lieutenant des chasses de Marly et de Versailles. TRAITÉ § iv. Opinions de quelques physiologistes et philosophes modernes sur les fonctions du cerveau. Si les philosophes et les physiologistes les plus distingués de notre temps s’accordent pour considérer le cerveau comme l’organe de lame; si tous admettent la pluralité des organes céré- braux, et conséquemment celle des facultés, il s’en faut encore de beaucoup que la manière d’envisager ces dernières soit la même. Après un examen attentif des opinions émises sur ce sujet, on peut ranger les philosophes et les physiologistes de notre époque en trois classes. La première, et c’est la plus nombreuse, adopte exclusivement les idées de l’école condillacienne. L’autre se compose de philosophes ou de physiologistes qui ont adopté les idées de Locke et de Condillac, avec les modifica- tions que les idéologistes modernes leur ont fait éprouver. Vient enfin la troisième classe représentant l’école de Cabanis et de Bichat, mélange bizarre d’idées condillaciennes et de faits anatomiques, vrai contresens philosophique, puisque les passions et les facultés intellectuelles résulteraient, selon les partisans de ces hommes célèbres, de l’action de certains organes ayant une fonction bien connue et entièrement opposée à celle de la vie de relation. Cabanis, médecin philosophe, ayant observé qu’une multitude d’affections et de sentiments avaient lieu chez l’homme sans DE PHRÉNOLOGIE. 17 1 entremise des sens, admit deux sources de sensations, lune, pour me servir de ses propres expressions, résultant de sensations extérieures, et l’autre dérivant de perceptions internes, qu’il désigne sous le nom d’instinctives. Cette distinction simple et séduisante nous paraît complètement fausse, du moins dans le sens bien connu que lui attachaient Cabanis et ses partisans. C’est à elle que nous sommes redevables de ces idées absurdes qui ont inondé la plupart des ouvrages des physiologistes de notre époque. De là aussi les explications de facultés morales en rapport avec tel ou tel tempérament. Nous croyons tout-à- fait inutile, vu les progrès de la science, de reproduire ici des idées si opposées au sens commun et à la saine physiologie. Qu’on se pénètre bien une fois pour toutes de cette vérité physiologique, que le tempérament n’a qu’une action indirecte sur les actes céré- braux , dont il ne fait que modifier l’action, comme il modifie celle des autres organes; que ce n’est pas parce qu’un homme a le foie volumineux , la peau jaune, les yeux noirs, etc., qu’il sera vaniteux que ses vues seront étendues et profondes, qu’il sera, ainsi que l’a dit Cabanis et ceux qui l’ont suivi, capable de grands desseins, mais bien parce qu’il aura un cerveau d’un plus grand développement. Gall a eu tort, ce me semble, de reproduire très au long les idées de Cabanis : de pareilles pensées ne pouvaient avoir qu’une réputation éphémère, et je doute très fort que parmi les médecins, voire même ceux qui ont reproduit son lan- gage, tous soient sincèrement convaincus de la solidité de ses principes. Bien certainement, cet homme célèbre n’aurait pas avancé de pareilles erreurs, si ses connaissances médicales avaient été précédées de l’étude de l’anatomie et de la physiologie com- parées. Ces belles sciences ne nous démontrent-elles pas, qu’avec des organes ou viscères de la vie organique semblables, les animaux 18 TRAITÉ nous offrent cependant des instincts bien différents, et dans le même genre, et dans les même espèces, ou chez les individus de la même famille. Est-ce à leurs reins, leurs poumons, que le cas- tor, l'écureuil et la majeure partie des oiseaux, doivent leur penchant à construire ? Le gésier du canard sauvage serait-il la cause qui le porterait à voyager ? Est-ce à son foie que le rossi- gnol doit son chant si mélodieux ? Telle serait pourtant la fausse voie où nous conduiraient les idées de Cabanis, si l’opinion pu- blique n’en eût pas fait justice. Bichat, dans un ouvrage plein d'erreurs, bien que portant l’empreinte de son génie, a reproduit les idées dominantes de Cabanis (ij. Il pose d’abord en principe, que tout ce qui est relatif aux passions appartient aux viscères de la vie organique; et, ce qu’il y a de vraiment surprenant, c’est que les exemples qu’il donne se trouvent complètement en opposition avec les principes de ses raisonnements. Mais écoutons Bichat lui-même. « Mon objet nest pas de considérer les passions sous le rapport « métaphysique. Qu elles ne soient toutes que des modifications « diverses d une passion unique; que chacune tienne à un principe « isolé, peu importe. » Pardon, il importe beaucoup, comme nous le verrons plus tard. « Remarquons seulement que beaucoup de « médecins, en traitant de leur influence sur les phénomènes orga- « niques, ne les ont point assez distinguées des sensations : celles- « ci en sont l’occasion, mais en diffèrent essentiellement. La « colère, la tristesse, la joie, n’agiteraient pas, il est vrai, notre « ame, si nous trouvions dans nos rapports avec les objets (i) Recherches sur la vie et la mort. Paris, i8o5. Troisième édition. DE PHRÉNOLOGIE. 19 « extérieurs les causes qui les font naître. Il est vrai que les sens « sont les agents de ces rapports, qu’ils communiquent la cause « des passions : simples conducteurs dans ce cas là, ils n’ont rien « de commun avec les affections qu’ils produisent. Cela est si « vrai, que toute espèce de sensation a son centre dans le cer- « veau; car toute sensation suppose l’impression et le cerveau « qui la perçoit, en sorte que là où l’action de cet organe est sus- « pendue toute sensation cesse. «Qui s’attendrait que cette dernière proposition avancée par Bichat, serait suivie de la conséquence suivante. « Cependant le cerveau n’est jamais affecté dans les pas- » sions ; les organes internes en sont le siège unique. « Un défaut de logique aussi frappant, serait inexcusable chez un homme d’un pareil mérite, si, comme je l’ai dit dans mon premier volume, les hommes les mieux organisés ne payaient jamais tri- but aux idées erronées de leurs contemporains. .Nul doute qu’en revenant sur les faits avancés dans ses ouvrages, Bichat, s’il eût vécu plus long-temps, n’eût supprimé cette multitude d’asser- tions peu fondées, qui sont moins les opinions de cet homme célèbre que celles de son temps. J’ai cité Bichat, comme il m arri vera de nommer d’autres savants qui ont erré, afin que les hom- mes qui se livrent à l’étude des sciences, ne prennent pas tou- jours à la lettre les faits avancés par des auteurs d’une grande réputation. Trop long-temps la science n’a été chez les quatre cinquièmes de ceux qui s’y livrent que l’écho de quelques tètes. L’époque n’est pas encore bien éloignée, où il suffisait qu’un fait fût avancé par un homme de quelque célébrité, pour être aussitôt admis comme chose démontrée. Hâtons-nous de dire cependant, pour la gloire de nos contemporains, qu’un autre esprit commence à dominer le monde savant. Les faits avancés par les hommes le plus en réputation, doivent, avant d’etre 20 TRAITE admis, passer par la triple épreuve du raisonnement, de l’expé- rience et du temps. Loin de perdre à ce genre d’investigation, la phrénologie, j’en suis profondément convaincu, ne pourra que gagner dans l’esprit des médecins philosophes. On a lieu de s’étonner que des physiologistes aient cru que les fonctions de l’instrument de lame, c’est-à-dire du cerveau, ne devaient pas trouver place dans un livre de physiologie. Cette manière de voir est d’autant plus singulière, qu'aucun d’eux, sans exception, n’a négligé l’histoire des sens, autre sorte d’ins- truments de fame. Pourquoi donc ne rien dire des fonctions des parties affectées aux facultés morales et intellectuelles ? Est-ce que faction de leurs organes mériterait moins d’attention que celle des sens ? Et par cela meme qu elles dépendent de certaines conditions organiques, n’est-ce pas une raison pour quelles rentrent dans le domaine de la La meilleure raison, et celle qu’on ne veut pas dire pour se justifier de n’avoir pas traité les fonc- tions du cerveau, c’est qu’indépendamment de l’étude des orga- nes qui sont le siège des facultés, l’histoire de celles-ci demande, pour être traitée convenablement, un esprit d'observation et de logique assez remarquable. Je sais bien que quelques physiolo- gistes distingués ont prétendu que l’étude des fonctions du cerveau était des plus simples; mais il s’en faut de beaucoup que je me trouve d’accord avec eux sur ce point. « Il faut bien se gar- der de croire, dit M. Magendie, que l’étude des fonctions du cerveau est infiniment plus difficile que celle des autres orga- nes, et qu elle appartient exclusivement à la métaphysique. En s’en tenant rigoureusement à l’observation, et en évitant avec soin de se livrer à aucune explication (cependant que devient l’observation sans explication) ni à aucune conjecture, cette étude devient purement physiologique, et peut-être est-elle plus DE PHRÉNOLOGIE. aisée que celle de la plupart des autres fonctions, par la facilité avec laquelle nous pouvons produire et observer sur nous- même les phénomènes (i). Il est probable que M. Magendie ne s’était pas encore bien observé, je veux dire n’avait pas encore produit sur lui-même tous les phénomènes cérébraux, quand il écrivit la partie de son livre où il en est question; car j’avoue que ce qu’il en dit me parait aussi opposé à l’observation journa- lière de ces phénomènes qu’aux principes d’une saine logique. Je vais exposer ici les idées principales de cet académicien, en les accompagnant de quelques remarques propres à soutenir la vérité de mon assertion. i° M. Magendie , après avoir dit que l’on devait s’aban- donner à la simple observation dans l’étude des fonctions du cerveau, adopte cependant en partie les idées des métaphysiciens de l’école de Locke et Condillac, plaçant à leur tête M. Destutt de Tracy. Nous reviendrons encore sur ce sujet quand il sera question de la doctrine de Gall. M. Magendie admet ensuite plusieurs espèces de mémoires, dont il n’est pas question dans les livres des idéologistes : ainsi, il y a, dit-il, la mémoire des mots, des lieux, des noms, de la musique, etc. : on voit que, sous ce rapport, ce physiologiste se trouve parfaitement en rapport avec Gall, dont il parait avoir emprunté les idées, bien qu’il ne l’ait pas cité. La plus importante des facultés, selon le même auteur, est le jugement. De quel jugement M. Magendie veut-il parler? car, sans le moindre doute, il en existe plusieurs?Il existe, dit-il une science dont le but est d’apprendre à raisonner juste, c’est (l) Precis élémentaire de physiologie. Paiis, 1825; pag. ï()5 et suiv., deuxième édition. 22 TRAITE la logique : mais le jugement sain ou le bon sens, le jugement erroné ou l’esprit faux, tiennent à l’organisation: il est impos- sible de se changer à cet égard. Nous restons tels que la nature nous a faits. Pourquoi donc avoir dit qu’il existait une science qui avait pour but d’apprendre à raisonner juste? car si le bon sens ou le jugement tiennent, ainsi que vous le dites, à l’organi- sation, votre logique devient inutile, et son but, qui est de nous apprendre à raisonner juste , est tout-à-fait manqué. Le même auteur ajoute : la vivacité des sensations paraît nuire à l’exactitude du jugement. Cette idée me paraît entièrement erronée : on peut juger tout aussi sainement avec des sensa- tions vives qu’avec des sensations lentes : Napoléon , avec des sensations très vives , avait un jugement exquis. Presque tous les malheurs, dit M. Magendie, qui accablent moralement l’homme , ont leur source dans des erreurs de jugement: les crimes, les vices, la mauvaise conduite provien- nent de faux jugements. Je ne crois pas m’abuser en disant que les faits ci-dessus avancés se trouvent en opposition avec les vrais principes de la physiologie intellectuelle. Je ne crois pas, avec le physiologiste que je viens de citer, que tous les vices et les malheurs de la société tiennent au défaut de jugement : un homme peut avoir les plus grands vices, être un grand criminel, sans manquer de jugement. Ne voit-on pas tous les jours de grands scélérats faire preuve de beaucoup de sagacitéet de jugement ? Ce n’est pas, selon nous, le défaut de ces facultés qui les portent à commettre des actions infâmes : mais presque toujours celles-ci sont la suite de certains penchants dont les organes sont trop actifs, tels sont, le désir d’acquérir, le penchant à détruire, une lasciveté effrénée, etc., sur-tout, comme nous le démontrerons plus loin , s’d existe un faible DE PHRÉNOLOGIE. 23 développement des parties cérébrales affectées aux sentiments supérieurs. Vient ensuite l’histoire de l’instinct, que M. Magendie divise en instinct éclairé et en instinct aveugle. Quelque contradictoires, ou du moins inintelligibles, que soient ces expressions, je me vois forcé de les citer. Le mot instinct signifie, comme je le crois, impulsion intérieure : il peut donc s’appliquer à toute espèce de sensation. Si, comme M. Magendie a voulu l'indiquer, il entend par instinct éclairé les actes de l’homme, et par instinct brut, celui des animaux, je crois qu’il a commis une grave erreur, car beaucoup d’actes des animaux, ne sont rien moins que bruts ou machinaux. Je ne suivrai pas l’auteur dans ce qu’il appelle ennui, amour du repos, dégradation des instincts ; car tout ce qu’il en dit suffit pour démontrer le peu de fondement de ses assertions. C’est aux personnes versées dans la connaissance profonde des actes intel- lectuels et des passions de l’homme, à juger si les faits avancés par M. Magendie sont conformes ou non à la saine observation. Pour ma part, je n’hésite pas à dire qu’après une lecture attentive des faits avancés par ce médecin, j’ai cru que la partie de son livre, qui traite des actes psychologiques, était entièrement à refaire. §v. Observations sur quelques principes de philosophie enseignés dans les écoles. Depuis plusieurs années, les études philosophiques ont pris dans les écoles une direction qui conduirait infailliblement, ce 24 TRAITE nous semble, dans une voie opposée aux phénomènes naturels, je veux dire qui n’aurait plus pour base Fétude de l’organisation et des fonctions. Si des physiologistes ont cru, mais à tort, que l’anatomie et la physiologie pouvaient suffire pour arriver à une connaissance parfaite de l’homme moral et intellectuel, d’un autre coté les philosophes ont commis une autre faute, en sup- posant que, sans connaissances anatomiques et physiologiques , il serait possible d’arriver au meme résultat. C’est là, ce me sem- ble, le double écueil contre lequel ont échoué des hommes doués d’ailleurs de facultés fort distinguées. Selon les philosophes dont je veux parler, tous les hommes pourraient arriver aux memes résultats intellectuels: il suffirait, pour cela, de donner à son esprit une direction particulière, on, pour me servir de l’expres- sion généralement employée par eux et leurs partisans, s’écouter penser. Je demande pardon à mes lecteurs si je les entretiens d’un sujet qui a déjà été l’objet de discussions et de critiques amères et virulentes ; mais comme il ne s’agit rien moins que de phénomènes intellectuels, actes résultant, selon nous , de Faction des organes qui composent le cerveau , il est de notre devoir d’examiner si les nouveaux principes philosophiques peuvent cadrer avec les faits physiologiques. J’empruuterai les propres expressions du chef de cette nouvelle école, en les faisant suivre d’observations puisées dans la physiologie intellectuelle. Voici donc ce que dit à cet égard M. Jouffroy (i), en qui nous nous plaisons à reconnaître un talent fort distingué, bien que ses pensées ne s’accordent pas avec notre manière de voir. (i) Esquisse de philosophie morale, par Dugald Stewart, traduit de l’anglais par Th. Jouffroy. (Voir la préface. ) DE PHRÉNOLOGIE. 25 « Nous ne croyons pas, avec les naturalistes, qu’il n’y ait de « faits que ceux qui tombent sous les sens. Nous croyons qu’il y « a des faits d’une autre nature, qui ne sont point visibles à l’œil, * point tangibles à la main, que le microscope ni le scalpel ne « peuvent atteindre si parfaits qu’on les suppose, qui échappent « également au gout, à l’odorat et à l’ouïe, et qui cependant sont « très observables et très susceptibles d’etre constatés avec une « absolue certitude. Admettant des faits d’une autre nature que « les faits sensibles, nous sommes forcé d’admettre aussi une « autre observation que celle qui s’opère par les sens ; nous « reconnaissons donc deux espèces de faits. » OBSERVATION. Je ne vois pas, jusqu’à présent, en quoi cette méthode diffère de celle des anciens philosophes , puisqu’ils admettaient une action de l’esprit indépendante de celle des sens. Il ne nous paraît pas exact non plus de dire que les naturalistes n'admet- tent comme positives que les impressions perçues par les sens ; nous verrons plus loin que les physiologistes ont bien su distin- guer leur action de celle des sensations dont nous avons la conscience, et auxquelles l’action des sens est complètement étrangère. « Nous croyons que les sciences philosophiques ne méritent « point encore le titre de sciences, parce quelles sont encore « livrées à cet esprit de système auquel échappent à peine la « plupart des sciences naturelles; mais nous croyons quelles sont « susceptibles de devenir des sciences aussi certaines que les « sciences naturelles. » TRAITE OBSERVATION. Et nous aussi nous croyons que les sciences philosophiques ne méritent point encore le titre de sciences; mais à quoi faut-il s’en prendre, si ce n’est à ce que chaque philosophe a interprété la nature à sa manière, ne l’a vue qu’à travers le prisme de son organisation, et n’a pas voulu se soumettre à l’observation pure et simple des faits qu elle nous présente ? Au lieu de se ren- fermer dans l’étude de ses propres facultés, il était nécessaire d’étudier les variétés que les facultés présentent d’homme à homme; il était sur-tout important, pour arriver à la philoso- phie de la science, d’étudier comme points de comparaison et de développement, les variétés psychologiques présentées par les principaux vertébrés. Yoilà quelle devait être, selon nous, la marche la plus sûre, pour arriver à un corps de science à l’abri des vacillations. « Jbes questions philosophiques 11e se rapportent pas à la « réalité sensible, elles ne peuvent être résolues par des faits « sensibles' mais la réalité qui tombe sous nos sens, n’est pas, « comme le pensent les naturalistes, toute la réalité. Il en est une « autre qu’ils oubJient, et à laquelle précisément se rapportent « les questions philosophiques. Cette autre réalité' n’est pas moins « observable que la réalité sensible, quoi quelle le soit d’une « autre manière ; on y découvre des faits d’une autre espèce que « les faits sensibles, et dans lesquels les questions philosophiques cr trouvent leur solution naturelle; et comme ces faits sont aussi « certains que les faits sensibles, et que rien 11’einpèche d’en tirer « des inductions aussi rigoureuses, les sciences philosophiques DE PHRÉNOLOGIE. 27 « sont susceptibles d’une aussi grande certitude que les sciences « naturelles. L’erreur des naturalistes est de méconnaître cette « autre réalité et cette autre série de faits, que les mains et les « yeux ne rencontrent point et ne peuvent atteindre ; c’est là ce « qui les rend injustes et faux quand ils raisonnent des sciences philosophiques. L’erreur des philosophes est d’avoir négligé « l’observation de ces faits , et de n’avoir pas suffisamment « compris que tout ce qu’on peut apprendre de certain sur les « questions philosophiques s’y trouve, et ne se trouve pas « ailleurs : c’est là ce qui a retenu dans le berceau et discrédité « les sciences philosophiques. Il serait donc important, pour « détruire les préjugés des naturalistes et du public contre les « sciences pilosophiques, de montrer qu’il y a une autre réalité et « d’autres faits que la réalité et les faits sensibles ; et pour mettre « enfin la philosophie et les philosophes dans les voies de la « certitude et de la science, de faire voir que toutes les questions « philosophiques dont la solution est possible, sont, en dernière « analyse, des questions de faits comme les questions naturelles, ff et qui sont exclusivement comme elles de la compétence de « l’observation et de l’induction. Le plus grand service que l’on « pût rendre en France aux sciences philosophiques, consisterait, « selon nous, à mettre en lumière ces deux vérités. » OBSERVATION. J’ai déjà dit que M. Jouffroy supposait gratuitement que les naturalistes n’admettaient comme certain ou positif que les impressions provenant des sens : presque tous au contraire, 28 TRAITÉ parmi ceux qui sont à la tête de la science, ont abandonné l’école condillacienne ; ce qui ne devrait pas être dans la sup- position de M. Jouffroy. L’erreur des naturalistes n’est donc pas, comme le prétend ce savant, d’avoir méconnu une autre réalité que les yeux et la main ne rencontrent point; car ils savent très bien que les sens sont insuffisants pour acquérir tou- tes les connaissances; ils n’ignorent pas qu’il existe, comme je l’ai déjà énoncé, des actes indépendants de leur action; seule- ment ils ne partagent pas votre opinion sur votre manière d’ar- river à votre résultat philosophique. Il s’en faut aussi de beau- coup que le langage que vous employez pour convaincre vos disciples, soit considéré par les naturalistes et les physiologistes comme le meilleur employé jusqu’à ce jour. Ou je connais mal leur manière d’envisager l’étude de la philosophie, ou vos prin- cipes leur paraissent peu concorder avec l’étude de l’organisation et les fonctions du système nerveux, seule base, selon eux, de la meilleure philosophie. Mais voyons, puisque M. Jouffroy trouve que c’est pour avoir négligé les faits qu’il enseigne à ses élèves, que les naturalistes sont devenus faux et injustes quand ils ont raisonné des sciences philosophiques, voyons, dis-je , quelle est sa méthode de philosopher. Des phénomènes intérieurs, et de ta possibilité de constater leurs lois. « Il est un fait peu remarqué, attendu qu’il se répète en nous « continuellement, et que nous finissons par devenir insensibles « aux phénomènes qui nous sont familiers. » (Il n’est pas exact. DE PHRÉNOLOGIE. 29 cerne semble, de dire que nous devenons insensibles aux phéno- mènes qui nous sont familiers : l’habitude peut faire que nous y donnions moins d’attention, mais nous n’y sommes pas insen- sibles) ; « mais que personne cependant ne peut refuser de recon- « naître et d’accepter, c’est que nous sommes incessamment « informés de ce qui se passe en dedans de nous, dans le sane- « tuaire impénétrable de nos pensées, de nos sensations et de « nos déterminations. Quoi que fasse notre intelligence, quoi « qu’éprouve notre sensibilité, quoi qu’agite notre volonté, « nous en sommes instruits à l’instant meme, nous en avons « conscience. » Ce fait de conscience n’est pas chose nouvelle ; nous ne croyons pas cependant que tous les hommes l’éprouvent, du moins de la même manière. « Rien, dans l’état de veille, ne « paraît suspendre ni interrompre cette conscience de ce qui se « passe en nous. Il est inutile de faire observer que cette percep- « tion continue de notre état intérieur, n’est pas f oeuvre des « sens; c’est une chose assez évidente d’elle-même, et que tout le « monde connaît aisément. Ce qu’il est important de remarquer, « c’est que de toutes les convictions possibles, il n’en est pas de « plus forte, de plus complète que celle qui s’attache à cette « information. Ce qu’il y aurait de plus absurde, ce serait de « contester à un homme qu’il souffre quand il sent qu’il souffre, « qu’il désire telle chose quand il sent qu’il la désire, qu’il est « occupé de telle pensée, qu’il se souvient de telle personne, « qu’il prend telle résolution, quand il a conscience en lui de « tous ces faits. » Certainement il serait absurde de contester à un homme qu’il souffre, qu’il désire, etc.; aussi ne trouve-t-on personne assez absurde pour nier cette vérité : pourquoi donc ce raisonnement et où nous menera-t-il ? Voyons. « Tout ce que « noustémoigue cette vue intérieure, nous paraît d’une incontes- 30 TRAITÉ » table certitude. » Eli bon dieu ! qu’est-ce qui vous a jamais sou- tenu le contraire? « Les choses que voient nos yeux, que touchent « nos mains, ne vous semblent pas d’une réalité plus assurée « que les faits dont nous avons conscience. « Sans nul doute; aussi les naturalistes et les physiologistes ne l’ont jamais contesté, ainsi que vous le supposez. « Nous ne chercherons pas, comme on l’a tenté plusieurs fois, « à élever l’autorité du sens intime au-dessus de celle des sens ; « mais nous poserons au moins comme un fait hors de doute « et que personne ne contestera, l’égale autorité de ces deux « perceptions ; » mais jamais les naturalistes ou les physiologistes nont soutenu le contraire. « Bien que, dans l’état actuel, notre « attention se dirige habituellement vers les choses extérieures, « une foule de faits concourent à démontrer quelle conserve la « faculté de se replier sur les phénomènes intérieurs, et que sa « direction habituelle n’est point une direction nécessaire. Sans « parler des hommes célèbres, qui, dans tousles temps, ont pos- « sédé à un éminent degré la faculté de considérer et de discerner « les phénomènes intérieurs, l’expérience démontre que toutesles « circonstances qui peuvent diminuer l’attraction qu’exercent sur « notre intelligence les choses extérieures, et toutes celles qui « peuvent réveiller son intérêt ou sa curiosité pour les phéno- « mènes intérieurs, la détournent plus ou moins et sans effort « de ses voies accoutumées : c’est ainsi, d’une part, que le silence « qui laisse en repos notre oreille, que l’obscurité qui nous débar- cr rasse des perceptions de la vue, que la solitude qui nous sépare « du mouvement et des intérêts de la vie sociale, nous ramènent « naturellement au sentiment de ce qui se passe en nous. » Si parce que nous venons de lire, M. Jouffroy a voulu dire, que les facultés réflectives agissent avec d’autant plus d’énergie que DE PHRÉNOLOGIE. 31 les sens externes sont sans action, il n’a rien appris de nouveau aux physiologistes et aux naturalistes; car il n’en est pas un seul qui ne sache combien le repos des sens extérieurs aide à la réflexion. « Un tempérament froid, lourd et peu sensible aux impres- « sions extérieures, produit souvent le meme résultat chez les « personnes qui en sont douées. Une nature triste et monotone, « repoussant pour ainsi dire l’épanchement de l’intelligence au- « dehors, est une autre circonstance qui porte à la réflexion. » Une nature triste qui repousse l’épanchement de l’intelligence au-dehors est un langage sans doute propre à l'auteur ; j’avoue que pour moi il ne présente pas un sens très clair, et ce que M. Jouffroy ajoute ne me paraît pas propre à le rendre plus intelligible. « Et pour le dire en passant si les peuples du Nord « ont plus de capacité pour les études métaphysiques que ceux « du midi, si dans la poésie des uns, les phénomènes de l ame y « jouent un plus grand rôle, et ceux de la nature dans l’autre, « c'est à ces deux dernières causes réunies qu’il faut l’attribuer. » En admettant comme vrai que les peuples du Nord aient plus de disposition pour les études métaphysiques, nous croyons qu’il eût été plus sage d’en chercher la cause dans leur organisation cérébrale que de l’attribuer à un tempérament froid et lourd, à une nature triste et monotone. « D’un autre côté, la pénétration qu’acquièrent tout-à-coup en « matière d’observation intérieure, les personnes les moins réflé- « chics, quand les faits de conscience prennent accidentellement « en elles une grande véhémence, ou qu’un puissant intérêt les « engage à les étudier. » Voilà pour le coup qui nous paraît éton- nant’. Car nous qui avons fait par profession, une étude spéciale de l’homme intellectuel et moral, nous n’avons pas été assez 32 TRAITE heureux pour rencontrer de ces personnes les moins réfléchies, qui acquièrent tout-à-coup une grande pénétration. Ce serait vraiment, selon moi, le triomphe de la science et de l’humanité que de faire connaître les circonstances qui pourraient rendre les individus les moins réfléchis capables d’une grande pénétra- tion. Selon M. Jouffroy rien n’est plus facile. Voyons donc en quoi consiste une méthode aussi précieuse qu’importante pour l’humanité. « Le procédé d’enseignement et de démonstration en matière « de faits intérieurs nous est très familier; nous l’employons « vingt fois dans un jour , et avec autant de succès que de con- « fiance ; mais nous ne le remarquons pas , précisément parce « qu il est d’un usage trivial. Quand nous voulons transmettre « à quelqu’un l’idée d’un fait sensible , nous nous trouvons dans « l’un ou l’autre de ces trois cas : ou bien nous pouvons mon- te trer le fait, et alors nous le montrons; ou bien nous « ne le pouvons pas , et alors de deux choses l’une : ou la « personne a vu le fait, ou elle ne l’a pas vu; si elle ne l’a pas « vu, elle est forcée de s’en rapporter à notre témoignage ; si « elle l’a vu, nous nous adressons pour la convaincre à sa « mémoire, nous décrivons avec tous les détails possibles le fait « en question, de manière à ce quelle en reconnaisse la cir- « constance caractéristique, et tombe d’accord avec nous sur « l’idée que l’on doit s’en faire. Ce dernier procédé, qui s’emploie cr accidentellement en matière de faits naturels, et au moyen « duquel deux personnes, qui ont vu un meme phénomène, « tombent d’accord ensemble sur la nature de ce phénomène, « est précisément, en matière de faits intérieurs, le procédé « habituel de démonstration et de transmission. Nous l’avons « déjà dit, rien ne se passe en nous sans que nous en ayons DE PHRÉNOLOGIE. 33 « conscience, et nous parlons ici des phénomènes constitutifs « de notre nature, les seuls qui intéressent la science; il n’en est « pas, disons-nous, que le dernier paysan, comme le plus grand « philosophe, n’ait éprouvé et senti plusieurs fois. Ce sentiment « rapide et irréfléchi ne suffit pas assurément pour donner « des idées précises ; autrement la science des phénomènes « intérieurs serait faite dans toutes les consciences ; toutefois il « laisse des traces, il imprime dans l’entendement des notions « fidèles, quoique vagues et confuses, de tous les phénomènes « intérieurs; et c’est à l’aide de ces notions, que tout homme est « capable de rendre plus ou moins ses sentiments et de compren- « dre ceux des autres quand ils en parlent. Les faits de conscience « ne sont donc pour personne des faits. Avant que le philosophe « les observe avec attention et les décrive avec précision , il en « avait, et tout le monde comme lui en avait une idée vaguë ; « c’est à ce souvenir d’impressions mille fois éprouvées de « phénomènes mille fois sentis, que s’adresse le philosophe, soit « qu’il professe, soit qu’il écrive, pour communiquer et démon- tt trer ses découvertes. « Quel que soit le phénomène quil ait observé et qu’il veuille « décrire, ce phénomène n’est point inconnu même au commun « des hommes; il s’agit uniquement de ramener la mémoire des « lecteurs ou des auditeurs sur la trace de ce fait, de manière à « ce qu’ils le reconnaissent; et pour cela ce n’est pas l’idée analysée « et précisée qu’il doit d’abord présenter : sous cette forme le <( phénomène ne serait pas reconnu ; c’est le sentiment que tout « le monde en a qu’il doit peindre et dans les termes et sous les « images dont le vulgaire se sert par-tout pour l’exprimer quand « il parle : sous cet habit populaire il sera reconnu par toutes les « consciences. Or, une fois que vous avez gagné ce premier point, 34 TRAITÉ « et fixe' le souvenir des auditeurs sur le fait en question, il n’y « a plus entre eux et vous qu’une seule différence : ils ont une « idée confuse du phénomène, vous en avez une distincte. Mais « à quoi tient qu’ils n’en ont qu’une idée confuse ? uniquement à « ce qu’ils ne se sont jamais appliqués à en démêler les éléments. « La notion qu’ils ont, renferme tous les éléments du phénomène; « mais la réflexion n’ayant jamais séparé et distingué ces éléments, « la notion est pour ainsi dire tout d’une pièce : c’est l’idée au « berceau, l’idée quand elle n’est pas encore analysée, l’idée sous « sa forme primitive quand on ne l’appelle encore qu’une im- « pression, un sentiment. Votre notion précise n’est donc que « l'analyse de leur notion confuse ; c’est le même mot, mal écrit « dans leur intelligence, distinctement écrit dans la vôtre. Il suf- « fit donc pour amener vos auditeurs ou vos lecteurs à la notion « précise que vous voulez leur transmettre, de leur faire renia r- « quer les éléments de la notion confuse, éléments que cette « notion contient, mais que, faute d’attention, ils n’y ont jamais « remarqués. Et pour y parvenir il faut partir de leur impression « et peu à peu démêler avec eux les circonstances du fait dont elle « est l’empreinte, de manière à ce qu’ils reconnaissent toujours « l’identité de ce que vous dites avec ce qu’ils sentent ; jusqu’à « ce qu’enfin leur notion vague et concrète se trouve transformée « en une idée précise et analytique, qui est précisément celle que <( vous voulez leur communiquer. Et remarquez bien que ce (( procédé n’opère pas seulement la transmision de votre idée, « il en opère encore la démonstration : vous n’imposez pas votre u connaissance à ceux qui vous écoutent ou vous lisent, vous leur « faites acquérir la même connaissance que vous avez, et de la c même manière que vous l’avez acquise, par l’analyse d’une « notion confuse qui est en eux comme elle était en vous. Vous DE PHRÉNOLOGIE. 35 « n êtes pas pour eux un voyageur qui raconte ce qu’il a vu dans « un pays ignoré ; vous êtes un démonstrateur, comme le profes- « seur de physique, qui fait remarquer aux autres ce quil a « remarqué lui-même. Aussi la conviction qui accompagne la dé- « monstration bien faite d’un phénomène intérieur, n’est point la « confiance au témoignage du professeur; c’est la confiance au « témoignage de la conscience, qui, sollicitée et dirigée par les indi- « cations du professeur, remarque, dans un phénomène quelle « a mille fois senti, des circonstances très réelles quelle n'y avait « jamais distinguées. Cette conviction est de même nature et de « même force que celle qui accompagne la démonstration d’un « fait visible et tangible; toute la différence qu’il y a, c’est que « d’un côté c’est la mémoire qui vérifie les indications du profes- « seur, et de l’autre les sens. « On ne saurait croire dans combien de circonstances de la « vie s’opère, sans que nous le remarquions, et accompagnée « d’une conviction parfaite, cette transmission de notions inté- « rieures. Ce n’est point un fait extraordinaire, c’est un fait de « tous les jours et presque de tous les instants; il se renouvelle « toutes les fois que deux personnes se communiquent leurs « sentiments intimes. Quand un ami décrit à son ami ce qu’il a « éprouvé dans telle situation de sa vie, si celui-ci le comprend, « s’il se fait une idée nette de ce que l’autre lui dépeint, c’est « qu'il retrouve dans sa mémoire le souvenir d’impressions « pareilles: ne les ayant jamais éprouvées fortement, il n’en avait « jamais remarqué tous les détails: mais à la description que son « ami lui fait, il les reconnaît, il J es démêle, il les comprend distinc- « tement: c’est de la même manière que les personnes les moins « capables d’analyses intérieures, comprennent parfaitement la u peinture du cœur humain qu elles trouvent dans les moralistes 36 TRAITÉ « et les romans. Mais jamais ce phénomène ne se produit avec « plus d’évidence qu’aux représentations de théâtre. Voyez avec « quel assentiment vif et unanime les spectateurs accueillent ces « traits naïfs de la nature humaine, si profondément sentis et si « franchement exprimés dans les bonnes comédies de Molière. « Parmi tant d’hommes rassemblés, il n’en est pas un qui n’ait cr eu conscience plusieurs fois de ces mouvements naturels de la « passion , et qui n’en ait plusieurs fois remarqué les signes chez* « les autres; et néanmoins chez presque tous, ces observations « familières, que la réflexion n’est point venue préciser et fixer, « ont été aussitôt abandonnées que recueillies, et n’ont laissé « aucune idée arrêtée dans l’intelligence ; mais la mémoire « en a secrètement gardé l’impression ; et quand le peintre et de la nature humaine la marque et la signale par ces « traits, tout le monde reconnaît la vérité de l imitation et « l’atteste par ses applaudissements. La représentation d’une « tragédie ou d'une comédie est un véritable cours d’obser- « vation intérieure. Si le poète peut transmettre au public « quelques fragments de la science de lame humaine , le « philosophe le peut ; et si le public est compétent pour « apprécier l’exactitude ou la fausseté des observations du « poète 9 il ne doit pas être incapable de reconnaître la vérité a des analyses du philosophe, si le philosophe sait les prê- te senter avec art et sous des formes convenables. En général, (c quand le philosophe échoue auprès du public dans la trans- « mission ou la démonstration de ses idées, c’est la faute de « ses observations qui ne sont pas justes, ou de ses formes nous ne croyons pas que l’on puisse con- tester les vérités suivantes. « i° Attribuer à un appareil organique quelconque la vertu de produire certains phénomènes, c’est lui attribuer une faculté (l) Précis élémentaire de Physiologie, par Magendie , pag. 17$, 2e édition. DE PHRÉNOLOGIE. 45 que nous ne découvrons pas en lui, et que nous ne saurions y dé- couvrir. Nous voyons bien , par l’expérience, qu’il y a une dépendance entre l’appareil organique et la production ; et comme cette dépendance existerait egalement si cet appa- reil, au lieu d’être le principe de cette production, n’en était que l’instrument, il est impossible d’assimiler une raison de préférer à la première supposition la seconde opinion qui identifie la cause d’un phénomène avec son organe : celle-ci n’est donc qu’une explication arbitraire, qu’on peut rejeter ou admet- tre ; loin d’être prouvée pour le cerveau, elle ne l’est pour aucun organe du corps humain. » Pourquoi M. Jouffroy n’est-il pas fidèle au précepte si sage qu'il a donné, il y a peu de temps, d’employer le concours de la physiologie et la perception des faits de conscience, pour arri- ver à la connaissance de l’homme moral et intellectuel ? Ainsi qu’on a pu le voir, nous sommes très loin de partager les opinions de M. Magendie quant aux explications qu’il donne des facultés intellectuelles et affectives de l’homme et des animaux ; mais nous croyons avec lui, que l’on ne peut expliquer les facultés de l ame qu’en les considérant comme la suite de l’action d’un or- gane. Les faits physiologiques qui appuient cette assertion, sont tropnombreux pour être rapportés ici; je vais seulement indiquer les principaux que j’ai déjà fait connaître. i° Le développement des facultés intellectuelles se trouve constamment en relation chez l’homme et les animaux avec celui de l’instrument de l ame ou le cerveau. La perte de l’encéphale est accompagnée de celle des facultés de l ame. 3° Enfin la diminution des facultés intel- lectuelles accompagne toujours celle du cerveau, etc. Consé- quemment, quand le physiologiste voit de pareils phénomènes coïncider avec telle condition anatomique, physiologique et 46 tjkaité pathologique d’un organe, il doit nécessairement et logique- ment en tirer la conséquence, que le cerveau joue le principal role dans les actes des facultés intellectuelles et morales ; et comme le physiologiste ne s’occupe que de choses positives, il doit sur-tout avoir en vue l’organe qui tombe sous les sens, sans chercher à expliquer comment il se trouve lie' à lame, étude qu’il abandonne tout-à-fait aux métaphysiciens. M. Jouffroy poursuit ainsi : « l’observation ne découvre dans le cerveau, comme dans tout autre organe, qu’un amas de parti- cules matérielles arrangées d’une certaine manière. Comment cet amas de particules matérielles est-il capable de produire quelque chose ? C’est ce que les physiologistes ne comprennent pas du tout : ils ont une idée de l’appareil organique, ils n’en ont aucune de sa vertu productive. Le mot organe, employé pour désigner la cause de certains phénomènes, ne laisse donc pas dans l’es- prit une idée plus nette de cette cause que le mot ame ; ce sont deux mots employés pour indiquer une cause inconnue. qu’ils n’expliquent pas plus l’un que l’autre. Dire que l’appareil organi- que a la vertu de produire certains phénomènes, ou dire que cette vertu appartient à un principe distinct de l’appareil, re- vient donc au même pour la clarté. « Il est certain que le cerveau, comme tout autre organe, n’est qu’un amas de particules matérielles. Mais il est impossible de ne pas admettre, après les faits que nous venons de faire con- naître, que cet amas de particules soit capable de produire quelque chose : soutenir le contraire me parait une absurdité. Nous voyons tous les jours le chimiste donner lieu à la forma- tion d’un nouveau corps, en mettant en contact un amas de particules matérielles : comment le phénomène a-t-il lieu P nous l’ignorons ; mais il n’est pas moins vrai qu’il a été produit. Le DE PHRÉNOLOGIE. 47 physiologiste obéit donc à une saine logique, quand il dit que les actes intellectuels dépendent de l’organisation cérébrale , puisqu’il existe un rapport entre eux et cette organisation. « La manière dont nous nous servons de divers instruments « pour produire certains résultats, ou dont nous appliquons à « certaines machines, comme un moulin ou un métier à filer, cer- « taines forces naturelles, comme l’eau, le vent ou la vapeur, nous « aide à concevoir l’hypothèse d’une force servie par des organes. « Tandis que nous ne concevons pas du tout comment des « parties matérielles, qui n’ont par elles-mêmes ni la propriété « de digérer, ni celle de penser, peuvent constituer par leur « réunion seule et le mode de leur arrangement, des forces diges- « tives et pensantes. Hypothèse pour hypothèse, celle de la dis~ « tinction de la cause et de l’organe est donc la plus intelligible.» Il n’était pas nécessaire,selon nous, de citer l’exemple d’un moulin à filer mis en action par certaines forces naturelles, comme aidant à concevoir comment des parties matérielles pour- ront avoir la propriété de digérer , etc., etc., puisque l’expérience vient nous démontrer que cela se passe ainsi. » Comme il est démontré que les organes des sens et les nerfs sont indispensables à la perception et à la sensation, et ne sont cependant que des instruments qui ne sentent pas et ne connais- sent pas et, d’autre part, que les nerfs, les muscles et les membres sont également indispensables à la production des mouvements volontaires, et cependant ne sont aussi que des instruments im- puissants par eux-mêmes, il nous est facile de concevoir par ana- logie que le cerveau, tout indispensable qu’il est à la perception, à la sensation, au mouvement volontaire, n’est lui-même qu’un instrument, une autre condition de la production des phéno- mènes. Tous les raisonnements qu’on fait pour prouver que le 48 TRAITÉ cerveau est le principe des mouvements volontaires, le sujet de la sensation et de l’intelligence étant fondé sur ce que le cerveau est indispensable à la production de ces phénomènes, et sur ce qu’on altère ces phénomènes en altérant cet organe, pourraient s’appliquer avec la même rigueur aux nerfs aux muscles, aux membres, aux organes des sens. Ces raisonnements ne sont pas concluants pour le cerveau, puisqu’ils ne le sont pas pour toutes les parties du corps. Si l’on n’a pas de peine à comprendre que ces parties soient des instruments, on n’en peut avoir à concevoir que le cerveau en soit un, tandis qu’on en a beaucoup à se figu- rer qu’il soit une cause. Dans cette application, l’hypothèse de la distinction a donc sur l’autre une supériorité de clarté parti- culièrement remarquable. » Dans ce passage M. Jouffroy rentre entièrement dans le domaine de la physiologie; mais, loin que les faits qu’il emprunte aux physiologistes déposent en faveur de ses raisonnements, ils nous paraissent au contraire les détruire. En disant que les nerfs et les sens ne sont que des instruments, M. Jouffroy a tort de dire qu’ils ne sentent pas. Leur propriété ou sensibilité, est d’être influencée par certains corps et mettre cette impression au cerveau qui la modifie. Dire ensuite que celui-ci n"est à son tour qu’un instrument, c’est ce que per- sonne ne nie; mais instrument de quoi, si ce n’est des facultés intel- lectuelles et morales. Il est vraiment singulier que M. Jouffroy trouve que les physiologistes aient tort de fonder leur raisonne- ment sur ce que le cerveau étant altéré, les phénomènes céré- braux le sont aussi. Et sur quoi donc faudra-t-il raisonner, si ce n’est sur ce que l’observation et l’expérience démontrent journelle- ment ? Pourquoi donc remonter à une autre cause, si les phé- nomènes peuvent s’expliquer par faction de l’encéphale? Si les actes intellectuels et moraux pouvaient réellement avoir lieu DE PHRÉNOLOGIE. 49 sans le cerveau, oli! alors la manière de procéder des physiologis- tes serait peu conséquente; mais puisqu’il n’en est pas ainsi, leur marche est donc celle qu’il faut suivre. Ainsi, les physiologistes considèrent le cerveau comme étant l’instrument sans lequel la manifestation des facultés intellectuelles et morales ne peut avoir lieu. Les expressions suivantes, empruntées à M. Jouffroy, vont encore servir à développer ce que nous avançons. « On parvient par différentes altérations du cerveau, à nous enlever, l’une après l’autre, toutes nos sensations, toutes nos perceptions, tous nos mouvements volontaires, et même la direc- tion du mouvement. Certaines maladies produisent les mêmes effets. Mais aucune maladie, aucune opération n’est encore parvenue à supprimer en nous la volonté. Cela s’explique très bien dans l’hypothèse des métaphysiciens, mais non dans celle des physiologistes. D’une part les sensations et les perceptions nous viennent du dehors. » Nous démontrerons plus loin le con- traire, « Si l’on supprime les intermédiaires, on doit les intercepter* D’autre part, pour exécuter et diriger les mouvements volontai- res, il faut des instruments dociles, qui ne soient pas désorganisés. Mais pour vouloir, il ne faut rien, et si le principe volontaire est distinct du cerveau (c’est justement ce que M. Jouffroy ne prouve pas), aucune opération sur le [cerveau ne doit avoir l’effet de l’abolir en nous. (On peut renvoyer M. Jouffroy pour le convaincre du contraire , aux attaques d’apo- plexie.) L’intelligence de l’homme se compose de phénomè- nes tellement différents de tout ce que présente d’ailleurs la nature, qu’on les rapporte à un être particulier que l’on regarde comme une émanation divine, et dont le premier attribut est l’immortalité. » 50 TRAITÉ Bien certainement qu’avec plus de connaissances physiologi- ques et pathologiques, M. Jouffroy n’eût pas soutenu qu’aucune maladie, aucune opération n’étaient parvenues à supprimer la volonté chez l’homme. Se prononcer ainsi 7 c’est avancer une assertion détruite par une multitude de faits et d’expériences. Comme ]es observations suivantes de M. Jouffrov ne font j que développer son idée dominante, c’est-à-dire les faits de cons- cience, nous terminerons ici des citations qui doivent seulement trouver leur place dans un ouvrage consacré à l’examen critique des principes philosophiques. Nous engageons nos lecteurs à lire dans le livre que nous avons cité les paragraphes suivants de cet auteur. i° Des phénomènes de conscience et de la possibilité de constater leurs lois. 2 ° De la transmission et de la démonstra- tion des notions de conscience. 3° Des sentiments des physiolo- gistes sur les faits de conscience. 4° Enfin, des principes des phénomènes de conscience. J’ai lu avec toute l’attention dont je suis capable ces quatre paragraphes, et j’avoue, tout en rendant justice au talent de M. Jouffroy, qu’il s’en faut de beaucoup, selon moi, que sa manière de philosopher soit celle qui convienne pour arriver à une con- naissance parfaite de l’homme moral et intellectuel. Voici, ce nous semble , à quoi se réduit le fond de l'argumentation de M. Jouffroy et de ses partisans. Je ne puis expliquer comment la matière pense, donc il existe une substance immatérielle qui pense en nous. A cela je répondrai : je ne puis expliquer plus facilement comment une substance immatérielle peut penser : bien plus je ne conçois en aucune manière l’existence d’une sub- stance immatérielle, car sansl’étendue et l’impénétrabilité, je ne vois que le néant. Si, comme le dit M. Jouffroy, la physiologie doit venir au secours de l’analyse des faits de conscience, on peut lui adresser le reproche de ne l avoir pas étudiée : certainement qu’il aurait pu en tirer un grand parti. Nous ne passerons point ici en revue tous les systèmes de phi- losophie publiés jusqu’à ce jour. Quelques-uns sont complète- ment tombés en désuétude, ou leurs idées principales refondues dans les systèmes de philosophie moderne. Ainsi Descartes et Leibnitz n’ont fait que modifier les idées de Platon, comme Locke et Condillac celles d’Aristote : il n’est pas un seul ouvrage de ces grands hommes, qui ne contienne des vues très profondes, des pensées annonçant de puissantes facultés réflectives; mais on peut dire, d’une manière générale, que tous manquent juste- ment par le point essentiel, celui qui doit être par dessus tout la base de tout système philosophique, je veux dire la connais- sance de l’organisation et des fonctions de l’organe de l ame, ou l’anatomie et la physiologie du cerveau. L’étude de la doctrine de Gall qui va faire l’objet du chapitre suivant, fera mieux ressortir toute l’importance de l’étude de la physiologie,, en même temps qu’elle mettra au grand jour l’im- perfection des systèmes de la philosophie moderne. DE PHRÉNOLOGIE. 51 CHAPITRE II. DOCTRINE DE GALL. § Ier- Ayant de traiter de la doctrine de Gall, je considère comme un devoir, et sur-tout comme un acte de justice, de faire quel- ques remarques sur les droits que cet homme célèbre a au titre de fondateur de la phrénologie. J’aurais gardé le silence sur ce point si mon séjour en Angleterre, et sur-tout la lecture de l’ou- vrage de feu le docteur Spurzheim, ne m’avaient convaincu que ce dernier avait des prétentions au même titre. Je me contenterai d’exposer les faits, et le lecteur impartial jugera. Si le docteur Spurzheim avait débuté en même temps que Gall, dans la manière d’envisager l’étude des fonctions du cerveau, nul doute qu’il ne dût avoir les mêmes droits au titre de fonda- teur de la science. Je vais plus loin, je suppose que Gall n’eût découvert, à l’épo- que où Spurzheim devint son élève, qu’une ou deux facultés ; bien que ce fait fût cependant la clef de voûte de la physiologie du cerveau, je serais encore volontiers disposé à considérer Spurzheim comme l’un des fondateurs de la science. Mais combien TRAITÉ DE PHRÉNOLOGIE. 53 Gall avait-il découvert de facultés quand Spurzheim lui fut asso- cié ? Vingt-sept! Cest donc avec peine que nous avons vu au commencement des ouvrages publiés par Spurzheim, que Gall avait eu le grand avantage de découvrir quelques facultés avant la publication de leurs travaux. Ce mot quelques ne me parait pas seulement une injustice, c’est une maladresse; car en faisant l’histoire de chaque faculté, il faut bien faire connaître comment Gall a été conduit à la découvrir ; il résulte même des laits avancés dans le corps de l’ouvrage de Spurzheim, que Gall avait déjà découvert, par la voie expérimentale, le nombre de facultés que je viens de citer. La prétention de. Spurzheim au titre de fondateur (i) nous parait donc tout-à-fait injuste. (i) Je cite ici textuellemeut les expressions tie feu le docteur Spurzheim sur les droits qu’il prétend avoir au titre de fondateur de la science. (Journal phrénolo- gique d’Edimbourg, n° XXIÏI, page 3oy.) « Comme nos découvertes sont souvent citées sous le nom de Gall, il est né- « cessaire d’accorder à chacun de nous la part qui lui revient. Il est généralement :< connu que Gall a le grand mérite d’avoir commencé le premier nos recherches « phrénologiques (je crois qu’il faut dire les au lieu de nos) la médaille frappée « à Paris après sa mort et dédiée au créateur de la physiologie du cerveau , indique « que le mérite en est dû à lui seul.» Eh qui donc a créé si ce n est Gall? les Français en le considérant comme le vrai fondateur , ri ont pas seulement rempli un devoir , ils ont, selon moi, fait un acte de justice. « Gall avait indiqué plusieurs relations qui existent entre les divers talents et ca- « ractères de l’homme et des animaux , avant que je fusse assez heureux pour faire »< sa connaissance. » Plusieurs relations ! vingt-sept facultés ! Dans une note qui suit celle-ci, M. Spurzheim énumère les découvertes et les perfectionnements qui lui sont propres. Nous reviendrons sur ce sujet lorsqu’il sera question des classifications et des facultés en particulier ; car on ne peut traiter con- venablement cet objet qu’en faisant connaître les observations de Gall. On peut compter que nous mettrons la plus grande impartialité dans nos remarques , et que nous ferons connaître les droits de chacun à l’estime des vrais savants. 54 TRAITE Que M. Spurzheim ait contribué par ses voyages avec Gall , à augmenter la quantité des observations faites par son maitre; que dirigé parles découvertes de Gall,il aitété conduit à analyser avec plus de soin quelques facultés fondamentales, ce qui l’aura conduit à la découverte de nouvelles facultés ; qu’il ait contribué par son séjour en Angleterre à la propagation de la nouvelle doctrine; voilà ce que personne ne peut lui contester ; et je verrais d’un très mauvais œil tout homme qui ne lui rendrait pas justice à cet égard. Mais je ne puis m'empècher de dire hautement que ce médecin s'abuse tout-à-fait quand il élève des prétentions au titre de fondateur. Je suis convaincu» qu’il n’existe pas un phré- nologiste distingué en France qui ne partage mon opinion : je dis en France, car en Angleterre où les ouvrages de Gall ne sont pas généralement assez connus, plusieurs personnes auront pu s’abuser sur les assertions du docteur Spurzheim. J’ajouterai cependant que plusieurs phrénologistes du premier mérite, que j’ai vus à Londres, partagent entièrement l’opinion des phrénolo- gistes français sur ce point. La pluralité des facultés, base de la phrénologie , n’est pas, ainsi que je l’ai déjà démontré, une idée des temps modernes : plusieurs philosophes de l’antiquité, Aristote, Platon, Anaxagore l’avaient établie. Tous distinguèrent divers actes ou modes d’agir du principe immatériel de l’homme. Plus tard, Herder, mais parti- culièrement Bonnet, avancèrent et prouvèrent que fame possédait diverses facultés, et que celles-ci ne pouvaient se manifester qu’à l’aide du cerveau, qu’ils considéraient comme un composé depetites machines ayant chacune une fonction spéciale. Toute la différence de ces idées à celles de Gall ne consiste donc réellement que dans l’application. Cependant personne avant lui n’y avait songé. Je dis personne, car je ne pense pas qu’il faille considérer comme DE PHRÉNOLOGIE. digne d’attention les signes crânioscopiques donnés par Albert-le- Grand, évêque de Ratisbonne, et la carte publiée par Pierre de Montagnana en 1491, et celle publiée à Venise par Ludovico Dolci en i5Ô2. i En admettant avec les érudits que Gall n’ait pas été sans con- naître les travaux de Herder et Bonnet, il faut convenir que jusqu'à lui la science n’était encore qu’en théorie, et que de là à la manière dont Gall a traité son sujet, la différence est immense. Voici comment cet homme célèbre fut amené à la découverte de sa doctrine. Doué d’une grande sagacité et d’un rare esprit d’observation, Gall distingua de très bonne heure les variétés que lui présentè- rent les facultés de l’homme et des animaux chez les individus de la même espèce. Placé chez un de ses oncles, il eut pour condis- ciple un jeune homme qui lui était inférieur sous une infinité de rapports, mais qui l’emportait toujours sur lui quand il était question d’apprendre un morceau de mémoire. Envoyé plus tard dans les universités, Gall retrouva encore plusieurs individus doués d’une mémoire de mots prodigieuse, bien que souvent très ordinaires sur beaucoup d’autres points. Ayant observé que tous ces écoliers pourvus d’une mémoire verbale excellente, avaient de gros yeux à fleur de tête, Gall supposa qu’il devait exister un rapport entre cette organisation et la mémoire ver- be1 e. S’étant appliqué plus tard à l’étude de la médecine, il fut surpris de ce que les professeurs qui parlaient de toutes les fonc- tions des organes du corps humain, ne disaient rien de celles qui appartenaient au cerveau. A peu près certain d’avoir reconnu un signe extérieur en rapport avec un grand développement de la mémoire verbale , il supposa qu’il ne lui serait pas impossible de reconnaître d’autres facultés par quelques signes extérieurs. 56 TRAITÉ II s’attacha donc à remarquer soigneusement la conformation du crâne et des yeux des personnes qui présentaient quelques facultés dominantes. Ses recherches, comme on le voit, étaient purement empiriques, et eurent lieu d’abord selon les idées qu’il avait reçues de ses maîtres, c’est-à-dire qu’il chercha des signes pour la mémoire, le jugement, etc., etc., etc.; mais ses observa- tions, faites dans ce sens, furent loin de s’accorder avec les remarques qu’il était à même de faire. Tantôt c’était une per- sonne ayant seulement de la mémoire pour la musique, d’autres fois c’était une grande facilité pour retenir les traits d’une per- sonne qu’on n’avait vue qu’une seule fois. Cependant il ne retrou- vait pas toujours des yeux saillants avec ces dispositions. Gall dut nécessairement tirer de ces faits la conséquence qu’il devait exis- ter plusieurs espèces de mémoires, et que chacune avait proba- blement un siège distinct. Ce fut vers la possibilité de trouver le siège de ces mémoires, ou pour mieux dire leurs organes, que Gall dirigea toute son attention. Cédant alors à l’influence de son génie, il abandonna le sentier battu pour prendre celui que la nature lui présentait : il s’attacha donc à observer quelles étaient les facultés dominantes de certains hommes, et même de plusieurs animaux (i), et à s’assurer s’il existait quelques rap- ports entre la conformation de leurs têtes et ces facultés. Peu d’observations suffirent pour le mettre sur la voie de la vérité ; ainsi un seul fait, celui d’une mémoire verbale très heureuse, accompagnée d’un signe extérieur, conduisit Gall à Pinvention (i) On pourra se convaincre par la lecture de notre ouvrage que Gall, malgré, ses nombreux travaux , a laissé l’anatomie et la physiologie comparée bien imparfaites. BE PHRÉNOLOGIE. 57 de son système, comme la chute d’une pomme avait conduit Newton à l’explication du système d’attraction des corps célestes. Ce n’est donc pas, comme plusieurs personnes l’ont supposé9 par l’étude de l’anatomie que Gall parvint à ses recherches. Ce ne fut qu’après de nombreuses observations que lui etSpurzheim cherchèrent à lier l’anatomie du cerveau à la physiologie, sachant bien que ces deux sciences sont inséparables et doivent marcher de pair. Après avoir répété à l’infini ses expériences sur un grand nombre d’individus doués de facultés très énergiques, qu’il avait confrontés avec des hommes qui pouvaient lui servir de contre- épreuve, Gall professa publiquement la nouvelle doctrine des fonctions du cerveau. Ses voyages et ses ouvrages la firent con- naître au monde savant. Alors il fut démontré que le cerveau, considéré par quelques-uns comme un organe sécréteur, comme une matière gélatineuse par quelques autres , était composé de parties fibreuses, dont l’agglomération dans une certaine éten- due, composait un organe ayant une fonction spéciale , et qu’il existait autant d’organes cérébraux que de facultés fondamenta- les : à l’aide de sa double manière d’expérimenter, c’est-à-dire la preuve et la contre-épreuve , Gall fut conduit à tracer, à l’exté- rieur du crâne, des lignes indiquant le siège et jusqu’à un certain point la forme des organes. Cetteespèce de cartephrénologique, bien qu’imparfaite, eut l’im- mense avantage de servirà constater ses observations. Les esprits superficiels, je veux dire ceux qui ne voient qu’un côté des choses? furent séduits par cette fraction de la phrénologie, et crurent qu’en recueillant une multitude de plâtres ou de crânes , ils posséderaient la science à fond. (Semblables à ces gens qui 58 TRAITÉ s’arrogent le titre de naturalistes, parce qua leur porte se trouve un vieux crocodile empaillé ou d’autres objets d’histoire natu- relle, ils se crurent phrénologistes; véritables eunuques au milieu d’un sérail, possédant une multitude d’objets dont ils ne peuvent tirer parti. ) La phrénologie, comme tous les médecins et phi- losophes distingués l entendent, n’est pas une science de surface ; elle demande de la part de celui qui s’y livre, non-seulement un esprit d’observation remarquable, mais encore des connaissan- ces anatomiques, zoologiques et philosophiques assez étendues, elle n’est autre que la physiologie du cerveau, éclairée par les sciences naturelles. Les écoles d’Edimbourg et de Londres, dans leur manière d’envisager cette belle science, ont déjà tracé une ligne de démarcation profonde entre ce que le vulgaire entend par crânioscopie et phrénologie, c’est-à-dire la science du collec- teur, et celle du vrai phrénologiste. Le nombre d’organes et conséquemment de facultés recon- nues par Gall , et dont il a indiqué le siège , s’élevait à vingt- sept, dont voici les noms (i) : i° Instinct de la propagation, de la reproduction ; instinct vénérien. 2° Amour de la progéniture. 3° Attachement, amitié. 4° Instinct de la défense de soi-mème et de sa propriété ; penchant aux rixes ; courage. 5° Instinct car- nassier ; penchant au meurtre. 6° Ruse, finesse, savoir-faire. 7° Sentiment de la propriété ; instinct de faire de provisions; con- voitise, penchant au vol. 8Q Orgueil, hauteur, fierté, amour de l’au- torité, élévation. 90 Vanité, ambition, amour de la gloire.io° Cir- conspection, prévoyance. 11° Mémoire des choses , mémoire des (i) Pour éviter des répétitions inutiles, nous n’indiquerons point ici le siège de ces organes ; il eu sera question au chapitre qui traite des facultés et du siège de leurs organes. DE PHRÉNOLOGIE. 59 faits, sens des choses; éducabilité, perfectibilité. 12° Sens des loca- lités; sens des rapports de l’espace. 13° Mémoire des personnes. i4° Sens des mots, sens des noms; mémoire verbale. i5° Sens du langage de parole; talent delà philologie. i6° Sens des rapports des couleurs ; talent de la peinture. 170 Sens des rapports des tons ; talent de la musique. 180 Sens du rapport des nombres , du calcul. 190 Sens de mécanique, sens de construction ; talent de l’architecture. 20° Sagacité comparative. 210 Esprit métaphy- sique, profondeur d’esprit. 220 Esprit caustique, esprit de saillie. 3° Talent poétique. 24° Bonté, bienveillance, douceur , compas- sion, sensibilité, sens moral, conscience. 2 5° Faculté d’imiter; mi- mique. 26° Dieu et religion. 270 Fermeté, constance ,, persévé- rance, opiniâtreté. Telles sont les 27 facultés reconnues par Gall, auxquelles nous devons ajouter le penchant aux visions et le sens de l’ordre, bien que Gall n’ait pas indiqué leur siège dans les planches de son atlas qui servent à l’application. (1) Il résulte des observations précédentes, que Gall, dans sa manière d’étudier les facultés intellectuelles et morales de l’homme, diffère complètement, sous beaucoup de points, des principaux philosophes anciens et modernes. Ainsi, au lieu de partager l’opinion des partisans de Locke et de Condillac, qui attri- buent toutes nos sensations à l’influence des sens extérieurs, (i) Dans la nouvelle classification que nous donnerons , nous rejetterons plusieurs expressions employées par Gall pour désigner une faculté fondamentale. Nous croyons devoir les conserver ici, afin de faire connaître les tentatives faites par cet homme célèbre pour arriver à la connaissance du caractère propre à chaque faculté. Je dois encore faire observer que ces diverses expressions, qu'il était important de faire con- naître , n’ont pas été consignées dans l’ouvrage du Docteur Spurzheim. 60 TRAITÉ Gall soutient et démontre que ceux-ci, au lieu d’être le siège de nos sensations, n’en sont que les instruments, et qu’il existe plu- sieurs modes de sentir ou de percevoir, tout-à-fait indépendants de l’action des sens. Nous pouvons prendre pour exemple du premier cas le sens de l’ouïe, dont le propre est de transmettre les sons sans en saisir l’harmonie, puisque avec une ouïe excel- lente, on peut très bien n’avoir aucun goût pour la musique. Quant aux perceptions indépendantes de l’action des sens, elles sont extrêmement nombreuses, soit dans les facultés affectives, soit dans celles ordinairement connues sous le nom d’intellec- tuelles. Le courage, la bienveillance,la circonspection, etc., etc., sont entièrement indépendants de l’action des sens. La faculté de tirer des inductions de plusieurs faits ou circonstances est une action tout-à-fait distincte de celle des appareils sensitifs. S n- Développement de la doctrine de Gall 5 son évidence démontrée par l’anatomie et la physiologie du système nerveux cérébro-spinal. Chez tous les animaux vertébrés, les fonctions ne peuvent s’entretenir et se développer qu’à l’aide d’organes : ceux-ci rem- plissent isolément une fonction spéciale: de l’ensemble de leurs mouvements partiels résulte le mouvement général qui constitue et caractérise l’être animé. DE PHRÉNOLOGIE. 61 Parmi ces organes dont les fonctions entretiennent la vie, plusieurs ne jouent qu’un rôle secondaire ; il en est d’autres dont la suspension pourrait occasioner la mort : au nombre de ces derniers appartiennent les organes chargés de convertir les sub- stances alimentaires en matière réparatrice : appareils masti- cateurs et digestifs; ceux de la respiration, poumons et canaux aériens; ceux de la circulation: cœur et vaisseaux sanguins; les glandes sécrétoires et excrétoires : foie, glandes salivaires, reins, etc., etc. Plus les fonctions deviennent compliquées, et plus les organes chargés de les exécuter, offrent, à leur tour, de complication ; ainsi, si on étudie la vie d’un grand nombre d’êtres appartenant aux classes inférieures, on voit qu’elle se compose seulement de fonctions d’absorption et de sécrétion : absorber les matières pro- pres à la nutrition et rejeter celles qui n’ont pas été absorbées, composent les fonctions vitales d’un grand nombre de mollus- ques. Plus on s’élève dans l’échelle animale, et plus la vie se com- plique : c’est sur-tout ce qui a lieu chez les animaux pourvus de ce qu’on appelle système nerveux , ou sorte d’appareil siège de tout sentiment, de toute perception. Ce système a son origine dans la masse cérébrale contenue dans le crâne et le canal formé par la réunion des pièces qui composent le rachis, colonne ver- tébrale (i). Sa destruction chez les animaux un peu élevés dans l’é- chelle animale, donne lieu sur-le-champ à la mort. Il est le siège de tous les mouvements, de toutes les sensations appartenant (1) Il existe un antre système de nerfs appartenant aux viscères des cavités thoracique et abdominale, dont les fonctions sont encore peu connues; il com- munique avec l’autre par de nombreuses ramifications. TRAITÉ aux facultés intellectuelles et affectives. L'histoire de sa struc- ture et de ses fonctions, constitue une des parties les plus im- portantes de la physiologie, ou la phrénologie, mot composé de deux mots grecs cppiv esprit, et aoyoa discours. Comme beau- coup d’expressions, celle-ci a l’inconvénient de donner une idée imparfaite de ce que l’on doit entendre par cette science; cependant nous la conservons, parce qu’elle a reçu la sanction du temps. Il nous reste maintenant à exposer, d’une manière méthodique et logique, les faits qui établissent que le système nerveux céré- bro-spinal est le siège ou pour mieux dire la condition organique nécessaire à la manifestation des actes intellectuels et moraux et des mouvements volontaires. i° Il est généralement connu en physiologie que, plus les fonctions d’un organe sont compliquées, et plus sa texture l’est aussi. La vérité de cette assertion nous est démontrée par l’exa- men du système nerveux, à partir des animaux inférieurs jus- qu’à l’homme. 2° La diminution du système nerveux cérébral est générale- ment accompagnée, chez les individus de la meme espèce , d’un état de faiblesse ou d'inaction; comme son développement se trouve, au contraire, en harmonie avec une plus grande sphère d’action ou d’énergie. Pour appuyer cette proposition générale, nous citerons les faits suivants. Il est reconnu qu’au-dessous d’un certain volume du cerveau, on rencontre l’imbécillité; on sait aussi que tous les hommes qui se sont fait remarquer par de grandes facultés intellectuelles, ont présenté un système cérébral dans un degré de développe- ment remarquable. Cette loi générale de développement d un organe accompagnant celui de ses fonctions est si bien établie par l’expérience, quelle se trouve à l’abri de toute objection. Ce DE PHRÉNOLOGIE. 63 n’est pas seulement au système nerveux quelle s’applique, mais encore à tous les organes des animaux vertébrés. Qui pourrait mettre en doute, par exemple, qu’une grosse glande mammaire, salivaire ou rénale ne sécrétera pas une plus grande quantité de lait, de salive ou d’urine? qu’un système musculaire athlétique ne présentera pas plus de force ou d’énergie qu’un système mus- culaire de moyenne proportion ? Quel serait le physiologiste assez peu conséquent pour soutenir qu’un petit foie sécrétera autant de hile qu’un autre très volumineux ? Mais n’insistons pas davantage sur une proposition aussi évidente. 3° Chez l’homme, ainsi que dans toutes les classes de vertébrés, le développement du système nerveux cérébro-spinal, coïncide avec celui des actes intellectuels et affectifs et ceux des sens et des mouvements volontaires. Cette proposition générale a pour base les faits immenses qui nous sont fournis par l’étude de l’ana- tomie et de la physiologie comparées, chez les individus de diver- ses classes, ordres, genres, espèces, et meme ceux de Ja meme famille. 4° L’anatomie pathologique démontre que le système cérébro- spinal le siège des actes intellectuels et moraux, des sens et des mouvements volontaires. Tous les médecins savent que des épanchements séreux ou sanguins dans la masse cérébrale, ont suffi pour anéantir complètement les facultés affectives et intel- lectuelles. Le professeur Richerand a rapporté dans sa physiolo- gie l’histoire d’une femme dont le cerveau se trouvait à nu par suite d'une carie de son enveloppe osseuse : toutes les fois que ce médecin exerçait une pression sur l’encéphale, la malade perdait connaissance et restait complètement étrangère aux questions qui lui étaient adressées. Plusieurs observations consignées dans les ouvrages de chirurgiens distingués, tendraient à faire croire 64 TRAITÉ que la perte d’une grande masse cérébrale pourrait avoir lieu sans trouble des actes intellectuels et moraux. Malheureusement les personnes à qui nous sommes redevables de ces faits, d’ailleurs très importants, n’ont pas tenu compte de la double composi- tion de l’encéphale. Il n’existe pas un seul cerveau, mais deux cer- veaux; et de même que la perte d’un œil ou d'une oreille n’em- pêclie pas de voir ou d’entendre, de même la perte entière d’un hémisphère ne pourrait empêcher de penser. Je dois encore ajouter que rien n’est plus vague que le langage employé par les chirurgiens dont je viens de parler, quant aux facultés que les malades, sujets de leur observation, avaient conservées; car avant de dire que les malades, nonobstant la perte d’une grande masse encéphalique, avaient conservé leurs facultés, fallait-il au moins faire connaître l’état de celles-ci avant l’accident. Ces observa- tions nous paraissent donc doublement inexactes, considérées sous un point de vue physiologique. Gall a cité très au long les faits principaux consignés dans les ouvrages de médecine sur le point en question : nous croyons qu’il suffisait d’en citer un seul, parce que tous présentent le même caractère d’inexactitude. Je ne reproduirai pas ici comme objection l’histoire des pré- tendus cerveaux ossifiés dont nous avons parlé dans notre premier volume. 65 DE PHRÉNOLOGIE. § in. Pluralité d’organes du système cérébro-spinal. Dans les fonctions qui caractérisent les facultés intellectuelles ou affectives, celles des sens ou des mouvements de la vie de relation, le système nerveux contenu dans le crâne et la colonne vertébrale agit-il en masse; ou bien ce système est-il composé de diverses parties ou organes ayant chacun une fonction spé- ciale , bien qu’en communication les uns avec les autres ? Selon la première hypothèse le système nerveux cérébral au- rait la faculté de remplir diverses fonctions avec une organisation uniforme; en cela il différevait complètement des autres viscères de l’économie animale, car il n’en existe pas un seul qui remplisse deux fonctions distinctes à la fois. L’œil transmet la lumière, l’oreille le son, la langue les saveurs, etc.; en un mot, chaque sens a un mode d’agir ou de sensibilité qui lui est propre. Toute per- ception ou sensation dont l’homme a conscience, doit donc avoir son système de sensibilité. Examinons maintenant les va- riétés de sensations ou de perceptions que nous présente la réunion d’un grand nombre d’hommes, et nous verrons qu elles sont très nombreuses : ainsi les uns sont braves, d’autres poltrons, d’autres étourdis ou circonspects, ceux-ci naturellement appli- qués aux sciences qui demandent de la réflexion, tandis que ceux-là au contraire, quels que soient leurs efforts, ne peuvent 66 TRAITE s’y livrer. Répétons-nous notre expérience chez un seul individu, nous trouvons des différences entre ses divers modes de percep- tion ou facultés. Il s’en faut de beaucoup que toutes aient le même degré d’énergie ; il n’est pas rare même d’en trouver quel- ques-unes dans un état de faiblesse remarquable. Maintenant comment expliquer ces variétés chez le même individu, dans l’hypothèse que le cerveau agit en masse dans les actes intellec- tuels? Les disciples de Locke et de Condillac ne manqueront pas d’avoir recours, pour l’explication de ces phénomènes, aux varié- tés présentées par les sens. Cette explication serait fondée, si la perfection des actes intellectuels de l’homme et des animaux était en rapport avec la perfection des sens ; mais, comme je l’ai déjà dit, il n’en est pas ainsi : les plus grands philosophes, les plus célèbres peintres, calculateurs, mécaniciens, ne doivent pas leur supériorité à l’étendue de leur vue ou de leur toucher. On voit tous les jours des idiots doués d’une admirable perfection des sens, tandis que de grands poètes, de grands philosophes, en ont souvent présenté de très faibles. Combien de faits l’anatomie et la physiologie comparées ne fournissent-elles pas à l’appui de notre assertion. Le renard dont la vue est si bonne, l’odorat si exquis, l’ouïe si fine, ne pourra jamais égaler le chien en intelligence; jamais, quelle que soit la perfection de ses sens et les précautions que l’on prenne , on ne parviendra à le dressera la chasse, ou à lui apprendre ces actes qui nous étonnent chez le chien. Prenez dans la même espèce d’animal deux individus dont les sens soient égaux, et voyez si vous trouverez chez eux égalité de facultés cérébrales. Je ne puis résister, a l’occasion de la question qui nous occupe, à consigner ici une observation faite sur un jeune DE PHRÉNOLOGIE. 67 Écossais par le docteur Spurzheim. Je la reproduis d’après les documents qui ont été publiés par le docteur Gordon , Dugald Stewart, Jacques Wardrop, et ceux qui ont été fournis à Spurzheim par la sœur de cet être si remarquable, (i) « Ce jeune homme est né le 11 novembre 1795, sourd et aveu- gle, de parents intelligents. On peut supposer qu’il n’est pas sans percevoir des sons intérieurement, car il paraît éprouver du plai- sir à mouvoir des corps durs entre ses dents : on l’a vu conti- nuer ce genre d’exercice pendant plusieurs heures. Lorsqu’un trousseau de clefs, dit le docteur Gordon, lui est donné, il le saisit promptement, et essaie chacune d’elles séparément en la suspen- dant négligemment entre ses deux doigts, de manière à lui per- mettre de vibrer facilement, et après les avoir toutes tintées de cette manière entre ses dents, il choisit généralement celle dont le son paraît lui plaire davantage : c’est un de ses amusements les plus favoris : il est vraiment surprenant com- bien il peut arrêter son attention, et avec quel empressement il voudrait le renouveler dans toute occasion. M. Brougham ayant observé cette circonstance, lui apporta une boîte à musique, et la plaça entre ses dents. Cela parut non- seulement provoquer son étonnement, mais lui procurer un plaisir délicieux: son père et sa sœur qui étaient présents, remar- quèrent qu'en aucune circonstance, ils ne l’avaient vu aussi affecté. Durant tout le temps que l’instrument joua_, il le serra étroitement entre ses dents, et quand l’air fut terminé, il conti- nua à tenir la boîte à sa bouche, et à l’examiner minutieusement (i) Cette narration diffère un peu de celle que le docteur Spurzheim a consignée dans son ouvrage français intitulé : Observations sur la phrénologie. Celle que nous donnons ici se trouve consignée dans la troisième édition de la Phrénologie du même auteur, publiée à Londres. 68 TRAITÉ avec ses doigts, exprimant par ses gestes et sa contenance une grande curiosité. Il a toujours vu assez pour distinguer le jour de la nuit et percevoir les couleurs éclatantes, principalement le rouge et le blanc. Il aime beaucoup à fermer la porte et les contre-vents, et à rester pendant un temps considérable les veux fixés sur un petit trou ou fente, à travers lesquels les rayons du soleil pénè- trent. Il ne paraît pas cependant tirer aucune information de la vue, car il tourne constamment la tète lorsqu’on lui présente quelques corps. Ses sens du toucher et de l’odorat sont très développés, et par leur secours il peut distinguer les choses et les personnes, les étrangers et ceux-ci de sa famille. Lorsqu’un étranger l’approche, dit M. Wardrop, il commence avec empressement par toucher quelques parties de son corps, communément en prenant son bras qu’il place près de son nez; et après deux ou trois fortes inspirations à l’aide de ses narines, il paraît décidé dans son opinion. Si la personnne ne lui plaît pas , il se retire à quelque distance avec l’apparence du dégoût; si au contraire elle lui est agréable, il annonce une disposition à devenir plus intime, et exprime par sa contenance plus ou moins de satisfaction. Lorsque je le visitai en 1816, sa sœur me dit que la dernière année il avait eu moins recours qu autrefois au sens de l’odorat pour la connaissance des objets extérieurs; et aucun fait n’a prouvé que jamais il ait distingué la présence de quelqu’un par l’odorat seul. Dans le cours de l’année 1808, les tympans des deux oreilles furent percés, l’un par M. Astley Cooper, l’autre par M. Saunders. En 1810, à lage de quatorze ans, M. Wardrop pra- tiqua la cataracte sur l’œil droit, ce qui lui donna la possibilité de distinguer les objets qui l’entouraient, pourvu qu’ils ne DE PHRÉNOLOGIE. 69 fussent pas trop petits. Il continua néanmoins à examiner chaque chose avec ses autres sens, comme s’il avait été entièrement aveu- gle et sourd. Le rouge attire principalement son attention, et il le regarde toujours plus que toute autre couleur; viennent ensuite le blanc et le jaune. Il cueille toujours dans les champs les fleurs de la meme espèce. Il ne peut mesurer exactement la distance qui existe entre lui et les objets; mais il dirige sa main dans leur direction, et les examine selon la manière déjà indiquée. Ce jeune homme, bien que privé des deux principaux sens de relation, eut un grand désir, dès son enfance, d’acquérir une connaissance des objets extérieurs. Il manifesta différentes facultés affectives, sans avoir eu occasion de les observer chez d’autres personnes. Il aimait beaucoup les jeunes enfants; il les prenait avec affec- tion dans ses bras; mais jamais il ne s’associa aux amusements des garçons de son âge. Il aimait cependant la compagnie du garçon qui l’accompagnait dans ses excursions , afin de le préserver des situations dangereuses. Dans son enfance , il fut très affecté quand ses domestiques furent changés; dernièrement et plus tard, il y fut moins sensible. Il est très attaché à ses parents. Le docteur Gordon a rapporté que Michel ne fut pas affecté aux funérailles de son père ; qu’il se donna beaucoup de mouvement parmi la foule, touchant presque chaque personne et l’examinant minutieusement. Le respectable Thomas Mac Farlane, au con- traire, dans une lettre en date du 7 mai 1812 et écrite à M. Glen- nie d’Aberdeen , s’exprime ainsi : lorsque le cercueil qui renfer- mait le corps de son père fut apporté de la maison et placé sur des chaises devant le presbytère, avant l’enterrement, j’approchai du cercueil et vis bientôt après Jacques Michel venant de la mai- son dans une grande agitation : il tourna rapidement et renifla beaucoup, se guidant évidemment par l’odorat. Il approcha diree- 70 TRAITE tement vers le coffre, le sentit fortement durant plusieurs se- condes , laissa tomber sa tète sur le couvercle qu’il embrassa, tandis que sa contenance annonçait les marques du plus profond chagrin. Je demeurai près de lui, et peu de temps après je frap- pai légèrement sa tête une ou deux fois; sur quoi il se leva et retourna à la maison. Ceci arriva immédiatement après que le coffre eût été transféré, et vingt minutes avant qu’il ne fût porté au cimetière. Comme on a élevé des doutes sur la véracité de ce fait, j’attendis à vous en faire part jusqu’à ce que j’eusse eu l’oc- casion de parler avec le respectable Pryce Campbell, pasteur d’Ardensien, beau-frère de Madame Michel, qui était présent aux funérailles, et chargé de leur direction. Ayant trouvé cette per- sonne, je lui demandai si elle avait vu quelques marques de chagrin chez Michel,lors des funérailles de son père. Elle m’assura qu elle en avait observe les marques les moins équivoques dans sa contenance; elle ajouta même une circonstance qui m’était échappée , c’est que lorsqu’il fut question d’enlever le coffre dans l’intention de le porter au cimetière, Jacques Michel le saisit afin de s’y opposer. M. Campbell fut obligé de l’en détacher de force. Ces deux Messieurs remarquent que la circonstance men- tionnée par le docteur Gordon, de Michel courant à travers la foule et touchant chaque personne, ne prouve pas qu’il fût insensible à la perte qu’il avait éprouvée. En agissant ainsi, Michel examinait seulement la réunion des personnes qui l’en- touraient, et dans ce cas, sa curiosité surmonta son chagrin. Il vint plusieurs matins pour visiter la tombe, frappa doucement le gazon qui la recouvrait, et à la fin, comme s’il avait été sans espoir de revoir son père, il devint triste jusqu’au point de ver- ser des larmes. Peu de temps après la mort de son père, sa mère étant indisposée et alitée, on observa qu’il pleurait; sa mère DE PHRÉNOLOGIE. 71 quitta Ardelach, et fut à Nairn. Jacques Michel retourna trois fois visiter sa première habitation. A sa première visite, il entra clans tous les appartements du presbytère, examina le mobilier, et après cela, manifesta le désir de partir, et retourna directement à Nairn. A la seconde visite, plusieurs ouvriers étaient employés à démolir la cuisine; il s’arrêta quelque temps évidemment affecté de ce que l’on faisait, et s’en alla sans avoir été dominé par le désir d’entrer dans la maison. A sa troisième visite, le presbytère était réparé; il revint à la maison en bonne humeur; et pour communiquer à sa sœur ce qu’il avait observé, il leva ses mains l’une après l’autre successivement, depuis le plancher vers le plafond de la chambre. Dans le courant de l’an- née 1814 , il éprouva une maladie grave pendant le cours de laquelle il eut une affection particulière pour sa tante, la sœur de son père, qui vivait à cette époque avec sa mère, et il insista pour quelle demeurât constamment près de lui. Sa sœur étant tombée malade avant qu’il fût complète- ment rétabli, il ne voulut pas permettre que sa tante de- meurât près de lui, mais il indiqua toujours par signes quelle devait aller où était sa sœur, il ne demeura tranquille quaprès avoir obtenu ce qu’il désirait. Il manifesta le désir d’aller lui- même à la chambre, et y ayant été conduit, il paruttout-à-fait satisfait lorsque sa sœur le frappa doucement, et lui donna une poignée de main. Ainsi il ne peut y avoir aucun doute de son affection pour les autres. Il est ordinairement tranquille et d’un tempérament très doux; mais s’il est trop tourmenté, ou s’il est interrompu dans ses amusements, il s’emporte , tombe quelquefois dans de vio- lents paroxysmes de rage, et déchire ses vêtements. Il est mainte- nant homme fait et n’est plus sous la direction de sa mère et de 72 TRAITE sa sœur; il est réservé sans être timide : dernièrement il voulait ne prendre de la nourriture que de la part de l’un de ses parents ou de sa sœur. Dès son enfance il a toujours aimé à se reti- rer dans un coin obscur, où il allumait une bougie : il continue à manifester sa répugnance pour les ténèbres. Lorsque la nuit survient, il paraît heureux en atteignant une chambre où il y a une chandelle allumée ou du feu; on a cherché à lui montrer à faire des paniers, mais il manque d’application pour terminer quelque chose, et jette les matériaux dans le feu. Il connaît par expérience le danger du feu, de l’eau et des instruments tran- chants. Il s’est fréquemment amusé avec une poule morte dans la cuisine , la plaçant à plusieurs reprises sur ses jambes, et riant quand elle tombe. On lui avait permis de toucher le cadavre de son père; aussitôt qu’il le sentit, il se retira: c’était la première fois qu il touchait un cadavre. Plusieurs années après, un voisin qui lui avait souvent donné une pipe et du tabac, mourut; sa sœur le conduisit à la chambre où le corps était déposé et lui permit de le toucher, ce qu’il fît promptement sans se retirer, comme il l’avait fait dernièrement en touchant son père. Il parut au contraire désirer l’examiner : quand il l’eut fait, il demeura rêveur pendant quelques secondes, et se mit à sourire : il se retira de son propre mouvement, mais non sans avoir montré auparavant qu’il recon- naissait la personne, et était sensible à ce qui lui était arrivé; ce qu’il manifesta en faisant le signe ordinaire pour fumer et met- tant sa main à terre en signe d’enterrement. A présent il paraît appréhender de mourir. En 1814, bien que très affaibli , puisqu’il ne pouvait marcher sans support, on ne put le forcer à rester un seul jour au lit. Il atten- dait la première apparence du crépuscule et insistait surtout pour qu’on l’habillât aussitôt; pensant probablement qu’il DE PHRÉNOLOGIE. 73 ne mourrait pas, une fois hors du lit. Il ne pouvait voir quelque chose de blanc près de son lit ou meme dans sa chambre, quand il était malade. Plusieurs fois quelque chose de blanc ayant été jeté par accident sur les pieds de son lit, il parut très mal à son aise jusqu’au moment où on l’eut enlevé ; et de meme quand du linge était mis devant le feu ou à l’air y il était dans la plus grande angoisse. On ne peut expliquer ce dégoût que parce qu’il avait sans doute toujours vu les corps morts enveloppés dans le linge blanc Il prenait toujours plaisir en faisant prisonnières les autres personnes, soit en les enfermant dans l’étable ou dans une chambre, riant et sautant ça et là pendant tout ce temps. Sa sœur l’envoya un jour avec un demi penny pour acheter deux pipes. Il entendit ses signes, s’en fut à la maison du cor- donnier où il devait se les procurer, et revint à la maison avec une pipe à la main. On soupçonna qu’il en avait une autre sur lui, et on lui donna à entendre qu’il devait en avoir acheté deux. Sa sœur insista pour qu’il allât chercher l’autre. Il déboutonna alors son gilet et montra la seconde en riant aux éclats. Le dimanche après , lorsque sa sœur lui donna dans l’église un demi penny, comme à l’ordinaire, pour mettre dans la boite des pauvres , il le plaça entre ses dents comme une pipe et se mit à rire ; mais sa sœur l’ayant pressé un peu, il le laissa tomber dans la boite. Lorsque je le vis , il fumait quatre pipes chaque jour. Comme son désir de fumer est bien connu, plusieurs personnes de Nairn lui donnent du tabac lorsqu’elles le ren- contrent dans les rues; mais jamais il ne le montre avant d’avoir reçu sa portion accoutumée à la maison. Il avait autrefois l’habitude de briser sa pipe aussitôt qu’il l’avait 74 TRAITÉ lumée ) maintenant il l’emploie deux lois avant de la casser. Quand il a reçu du tabac des étrangers , il fume plus souvent parce qu’il sait que deux pipes composent sa part ordinaire. Un jour on lui donna une pipe de longue durée, mais il la jeta. Il en fait de même pour ses vieux souliers , afin de ne pas être forcé par ses parents à les porter davantage. Il est cer- tain qu’il a des idées de propriété. Un jour , il rencontra à une distance peu considérable du presbytère , une personne mon- tée sur un cheval qui avait été acheté à sa mère peu de semaines auparavant. En touchant l’animal il parut le recon- naître aussitôt. L’homme qui le montait descendit pour voir ce que Michel ferait : il fut très surpris de voir qu’il con- duisit le cheval à l'étable de sa mère, ôta la selle et la bride , mit de l’avoine devant lui, et se retira en fermant la porte dont il mit la clef dans sa poche. Il aime extrêmement à marcher, courir, monter à cheval. Depuis que sa vue a été un peu améliorée, il fait de longues excursions, mais il re- vient toujours à l’heure des repas. Etant encore enfant, i! es- saya de bâtir de petites maisons avec du gazon , laissant de pe- tites ouvertures ressemblant à des croisées. Souvent il s’occupe pendant plusieurs heures , dans le lit de la rivière qui coule à quelque distance de la maison, à choisir des pierres rondes , presque du même poids et présentant une surface un peu lisse. Il les place en cercle sur le bord et s’assied au milieu. Il s’amuse encore à faire flotter quelques pièces de bois sur l’eau. Il a toujours aimé les corps polis. Il essayait souvent à polir quelque bâton ou baguette avec ses dents : on obligea le garçon qui l’accompagnait à les lui polir avec un canif. Il montra de bonne heure une grande prédilection pour les DE PHRÉNOLOGIE. 75 habits neufs : rien ne paraît plus occuper son esprit. Lorsque la mesure a été prise, il persécute le tailleur et le cordonnier , jusqu à ce que ses vêtements et ses souliers soient prêts: il est toujours avec eux du matin au soir. Il préfère un homme bien habillé à ceux qui sont mal vêtus. Il n’aime pas à prendre ses repas dans la cuisine : cependant s’il vient à la maison avant l’heure du dîner, il demandera une pomme de terre à la servante. Il recherche sur-tout la bonne opinion de sa sœur, et s’il sait qu’il a mal agi ou qu’il a offensé sa sœur ou sa mère, son chagrin devient apparent. On trouvera une preuve particulière de sa bonté dans l’anecdote suivante : il reçut un jour une blessure très grave a un des pieds; pendant sa guérison il s’asseyait près du feu , son pied placé sur un tabouret un peu bas. Plus d’un an après , un jeune domestique avec qui il avait l’ha- bitude de jouer , fut obligé de garder la chambre pour la même cause. Le jeune Michel voyant que son compagnon demeurait long-temps dans la même position , l’examina attentivement et découvrit promptement , par les bandages de son pied , la cause qui le retenait ; il alla aussitôt au grenier , chercha , parmi plusieurs autres pièces du mobilier, le petit tabouret sur lequel il avait dernièrement placé son membre blessé , l’apporta à sa main dans la cuisine , et plaça doucement dessus le pied du domestique. Il est difficile de dire s’il a quelque idée religieuse : il accompagne ses parents à l’église, agit paisiblement et s’age- nouille aux prières de la famille. Trois mois après la mort de son père, tandis qu’un ecclésiastique était dans la maison , un dimanche matin, il indiqua la bible de son père, et fit 76 TRAITÉ un signe pour que la famille s’agenouillât. Le fit-il par habi- tude? Jacques Michel a toujours montré une grande curiosité, une grande mémoire, et un haut degré de jugement et de réflexion. Le docteur Gordon assure que les connaissances qu’il a tirées des sens du toucher, du goût et de l’odorat, paraissent aussi étendues que celles que quelque personne que ce soit pourrait acquérir avec les facultés les plus parfaites , si l’on pouvait , par quelque moyen , la mettre dans le cas de faire usage de ses yeux et de ses oreilles pendant la même période de temps, depuis la naissance, et dans une contrée retirée. L enchaînement de ses idées paraît dirigé par les mêmes principes que ceux des esprits les plus profonds ; ses actions n’indiquent ni incohérence ni faiblesse d’esprit; mais chaque chose qu’il fait paraît être la suite de motifs raisonnables. J’ajouterai : pourquoi pas , puisqu’il a un cerveau bien orga- nisé ! Il manifeste toujours le désir d’acquérir des connaissances. Il explore chaque jour quelque terre où il n’a pas été aupara- vant. Il désire connaître chaque chose qui tombe sous ses mains. Il s’amuse à visiter le charpentier ou d’autres ouvriers, ma- niant leurs instruments , et cherchant à découvrir ce qu’ils font. Il connaît l’usage de toutes les choses communément employées , et il est satisfait quand l’usage de quelque chose avec quoi il nest pas accoutumé lui est communiqué. Un jour, et lorsqu’il était encore jeune , il fut surpris se traînant sur ses mains et ses genoux le long d’un pont étroit en bois qui traverse la rivière dans un endroit où la source est profonde et rapide. Son père désirant le détourner d’une nouvelle tentative, ordonna à un domestique de le pousser DE PHRÉNOLOGIE. 77 et de ]e plonger une ou deux fois dans la rivière , cette mesure eut l’effet qu’on en attendait. Mais plusieurs années après , s'étant mis en colère contre le jeune domestique pendant qu’ils jouaient dans un bateau , il le prit, le plongea dans l’eau, et le retira de la même manière que l’on avait employée à son égard. Il fut bientôt attentif aux avantages dont les autres per- sonnes jouissent.il allait quelquefois seul dans ses excursions; mais trouvait-il quelque obstacle , il attendait jusqu’à ce que le garçon arrivât et l’aidât. Il va maintenant à de grandes distances , par exemple de Nairn au Fort-Georges. Il apprit facilement à mesurer le temps. Sa mère ayant quitté un jour la maison , il parut en concevoir de l’inquiétude. Sa sœur inclina un peu sa tête doucement en la plaçant sur un oreiller , et fermant ses yeux une fois pour chaque nuit que sa mère devait être absente, dans l’intention de lui montrer qu’il dormirait au- tant de fois avant son retour. On lui indiquait de cette manière combien de jours se passeraient avant que ses nouveaux vêtements fussent terminés. Sa prompte interprétation des signes, prouve un degré considérable de réflexion: il emploie des signes qui s’adressent tous à la vue de ceux avec qui il converse. Quand il a faim il vient près de sa mère ou de sa sœur , les touche d’une manière très expressive , porte sa main à sa bouche et la dirige vers le buffet où les aliments sont déposés. Sasœurlui exprime sa satisfaction ou son mécontentement en touchant sa tête ou ses épaules de diverses manières. Un petit coup est un signe de satis- faction, un coup plus fort celui de mécontentement. Il indique la manière dallera cheval en élevant son pied et plaçant les doigts de chaque main sous le pied pour imiter l’étrier. Lorsqu’il désire aller au lit, il incline sa tête de côté comme s’il voulait la poser. 78 TRAITÉ sur un oreiller. Il indique un cordonnier en imitant avec ses bras les mouvements d’un cordonnier qui tire son ligneul. Il indique un tailleur de la même manière, c’est-à-dire par les mouvements que celui-ci fait en cousant. Il résulte des faits précédents , que 1 esprit de Michel déploie une grande dose de dispositions naturelles, et se trouve seule- ment dépourvu des moyens qui servent à les mettre en évi- dence , les yeux et l’ouïe. C’est vraiment une grande pitié qu’il n’ait reçu aucune éducation , puisqu’il n’est pas une seule faculté qu’il ne manifeste. A l’aide du toucher, il aurait pu apprendre plu- sieurs signes artificiels; mais l’activité de son esprit est perdue pour ceux qui l’entourent et conséquemment pour l’étude de l’homme. Après tout, il fournit une preuve évidente qu’il existe des dispositions innées, et que les sens externes ne sont pas la cause des facultés intellectuelles et affectives. » Cette observation, bien que très intéressante, ne prouve pas plus que beaucoup d’autres que nous pouvons faire tous les jours , que les sens soient la cause des facultés intellec- tuelles et affectives. Ceux-là ne sont sans doute que les instru- ments de celles-ci. Mais encore ces instruments sont-ils néces- saires P Ils ont été , si j’ai bien lu l’observation de Spurzheim , les plus puissants moyens de transmission pour le jeune Michel. C’est aussi par leur secours qu’il est parvenu à faire connaître aux autres les réactions de son cerveau sur les impres- sions perçues par les sens. Effectivement, son odorat est exquis , son toucher parfait , son organe du goût ne diffère en rien de celui des autres ; il n’est pas aveugle, puisqu’il peut distinguer certaines couleurs ; enfin je dirai qu’il n’est DE PHRÉNOLOGIE. 79 pas non plus complètement sourd , puisqu’une boite à musique placée entre ses dents a paru lui procurer quelques sen- sations agréables. Toutes les facultés intellectuelles et affectives ne se manifestent pas à la même époque chez l’homme et les animaux, phénomène qui devrait cependant avoir lieu, si le système nerveux agissait en masse dans l’exercice de ces actes : nos lecteurs se rappellent sans doute ce que nous avons dit à ce sujet dans notre premier volume. Les observations fournies par l’anatomie pathologique auraient été plus que suffisantes pour établir la pluralité des organes cérébraux, si l’on ne savait qu’en médecine, comme en toute autre science, le vulgaire présente le même caractère, ne vit que d’idées acquises, ou de faits superficiellement observés ; de là ces théories et ces pratiques formulées d’avance. Qu’un homme, plus heureusement organisé ou meilleur observateur que ses confrères, ne se laisse point influencer par les idées reçues; qu’il marche à part, aussitôt tout le corps médical s’élève contre lui. C’est ce que nous avons vu pour Gall, et c est ce que l’on verra toujours pour tous les hommes supérieurs. Cependant la vérité chemine, elle s'infiltre peu à peu dans les esprits, et remet l'homme de génie à sa place. Une fois les choses arrivées à ce point, les savants se divisent en plu- sieurs classes bien tranchées : l’une est celle des hommes qui, mieux organisés que les autres, ont su apprécier les vérités d’une science et prévoir son succès : ceux-ci doivent s’atten- dre à voir leurs partisans s’accroître; l’autre, et c’est la plus nombreuse, se compose des penseurs par procuration, qui deviendront, si l’âge le leur permet, Gallistes, comme ils étaient partisans de Locke, Condillac, etc., etc. Vient enfin 80 TRAITÉ la classe des incurables , c est-à-dire celle des gens incapables ou de mauvaise foi, par conséquent doublement impossible a convertir. C est donc par faiblesse d esprit , habitude ou mauvaise foi, que certains hommes n’ont pas reconnu l’évidence de la pluralité des organes cérébraux , pluralité si bien mise au jour par les lésions de l’intelligence. Pénétrez dans une maison d’aliénés, et vous serez surpris du nombre d'affections partielles qui s’y rencontrent, bien que souvent réunies à une justesse et à une profondeur de pensées qui vous étonnent. Comment concilier des phénomènes aussi contradictoires en apparence, si ce n’est par la diversité de fibres ou d’organes ayant cha- cun une fonction spéciale ? Et de meme qu’il peut exister une lésion delà vue, de l’ouïe, du goût, de même aussi doit-on s’attendre à rencontrer des lésions de la bienveil- lance, du sentiment d’approbation, de l’orgueil, etc.; autant de modes de perception ou de sensation , qui diffèrent trop , pour ne pas avoir, comme les organes des sens , des fibres propres à leur manière de sentir. Mais, diront les partisans de l’action des sens, dans les phénomènes intellectuels, l’ana- tomie démontre clairement les variétés d’organisation des sens, et il n’en est pas de même des autres organes céré- braux. A cela je répondrai que l’on ne connaît bien , jusqu a ce jour, que 1 extrémité nerveuse extérieure des sens : quant à celle qui se confond avec le système nerveux cérébral, je défie le plus habile anatomiste de me la préciser : il en est de meme des parties affectées aux facultés morales et intellec- tuelles , parties dont l’expansion périphérique se trouve dé- montrée par la voie expérimentale. Quand même les faits si nombreux , que la mauvaise foi ou l ignorance seules peuvent DE PHRÉNOLOGIE. 81 révoquer en doute, n’existeraient pas, l’évidence de la plu- ralité de facultés et d’organes ne serait pas moins démontrée par les variétés de sensations chez les individus de la meme espèce ou d’espèces différentes. Etudiez avec moi l’immense variété d’actes intellectuels et affectifs dans les animaux, et expliquez , s’il est possible , autrement que par les dif- férences de systèmes nerveux , la diversité de ces actes. Dans telle espèce, la femelle seule prend soin des petits ; dans une autre, le père et la mère s’en occupent alterna- tivement; dans telle classe, la reproduction de l’espèce a lieu plusieurs fois dans l’année ; dans telle autre, seulement une fois. Ici nous voyons deux oiseaux du même genre se ressembler sous tous les rapports, une seule faculté excep- tée, ainsi, l’un reste dans les lieux qui l’ont vu naître (ou s’en écarte très peu); l’autre, au contraire, sans instruction préalable , franchit des espaces de sept, huit et douze cents lieues. Avec les mêmes instruments, certaines espèces pré- sentent des différences on ne peut plus remarquables sous le rapport de quelques facultés : les unes placent leurs œufs sur la terre ou le sable, d’autres au contraire les déposent dans un nid aussi remarquable par son élégance que par sa commodité. On a réellement lieu d’être surpris que des naturalistes et des physiologistes n'aient pas su apprécier et reconnaître l’exactitude de faits aussi nombreux et aussi im- portants, et qu’au lieu d’avoir eu recours à l’anatomie et à la physiologie pour expliquer ces phénomènes, ils se soient contentés d’une expression qui n’a aucun sens quand elle est généralisée : on prévoit que nous voulons parler du mot instinct. Ainsi un acte avait-il beu chez un animal, c’était, disait-on, le résultat de son instinct ; l’instinct , toujours 82 TRAITÉ l’instinct ! Mais instinct de quoi ? Car vous ne m’apprenez rien en me disant que cet acte est le résultat d’un instinct : après votre grand mot lâché , je ne suis pas plus avancé qu’auparavant, et la science n’a rien gagné. Joignez-y la divi- sion de M. Magendie en instinct brut et en instinct éclairé, vous n’aurez pas fait un pas de plus en physiologie céré- brale. Selon ce médecin , les animaux auraient seulement l’instinct brut, l’homme seul au contraire serait pourvu de l’instinct éclairé (1). Ainsi, voici un chien qui reconnaît les lieux mieux que moi, un autre qui apprend ce que vous ne pourriez pas enseigner à certains individus de l’espèce humaine , et vous appelez cela instinct brut ! Eh bien moi je l’appelle intelligence y et quand je vois un animal faire certaines choses tout aussi Lien et quelquefois mieux que beaucoup d’hommes, je dis qu’il y a eu de sa part atten- tion , jugement, réflexion, en un mot intelligence, et non instinct brut. A propos de cet instinct que l’on appelle brut, je ne puis passer sous silence l’histoire d’un éléphant qui avait pour cornac un homme extrêmement dur, et qui le battait chaque fois qu’il lui enseignait quelque chose. Les châtiments étaient d’autant plus sévères que les leçons étaient plus difficiles. Il y avait déjà quelque temps que cet homme entendait toutes les nuits et à la meme heure, un bruit sourd qui paraissait venir de l’endroit où était logé l’éléphant: cu- rieux d’en connaître la cause, il s’achemine doucement vers cette place. Mais que Ion juge de sa surprise en voyant (i) Magendie, Physiologie, 2e édition, page 207. DE PHRÉNOLOGIE. 83 I animal qui répétait une leçon très difficile de la veille ! Et voilà ce qu’on appelle instinct brut. Ainsi ce que l’on appelle instinct, ne doit signifier, selon nous, et comme le mot l’indique, qu’une impulsion intérieure qui présentera autant de variétés que de modifications de texture et de complication du système nerveux cérébral. Et comme nous le démontrerons plus tard, plus ce système, considéré comme organe, présentera de volume dans les espèces, et plus sa sphère d’action sera étendue. Concluons donc, en disant i« qu’il n’existe pas de rapport direct entre les sens et l’étendue d’action des actes intellectuels et des facultés affectives de l’homme et des animaux. 1° Que ces actes ne peuvent avoir lieu quà l’aide de fibres nerveuses ou d’organes particuliers. 3° Que ces variétés d’organes expliquent les caractères qui distinguent les espèces et les individus de la meme famille, et font connaître les différences présentées par les facultés d’un seul homme. CHAPITRE III. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX CÉRÉBRO-SPINAL. OBSERVATIONS SUR LES CLASSIFICATIONS EN GÉNÉRAL, ET EN PARTICULIER SUR CELLES DES FACULTÉS PROPRES A CE SYSTÈME. SI- Les fonctions du système nerveux cérébro-spinal ont un caractère qui ne permet pas de les confondre avec celles des autres organes. Leur propriété distinctive consiste à nous procurer la conscience de certaines impressions ou sensa- tions. C’est ce qui constitue dans un sens général ce que Ion entend par sensibilité. Celle-ci présentera autant de variétés de percevoir ou de sentir, qu’il existera d’organes ou d’ap- pareils nerveux ayant une fonction déterminée : c’est ce que nous voyons pour les sens de l’ouïe, de la vue , du tou- cher , etc., et pour les fonctions intellectuelles et affectives par les facultés de se rappeler les mots y les faits , de calcu- ler , d’etre sensible à la louange , d’etre attaché à ses petits ; modes de sentir bien distincts et possédant nécessairement un appareil nerveux particulier. J’ai déjà dit et je ne saurais trop le répéter , qu’en s’étudiant traité 85 soi-même on a Ja conscience de diverses impressions ou sen- sations. L’histoire des parties nerveuses qui sont le siège de ces sensations , l’analyse philosophique de celles-ci chez l’homme et les principaux vertébrés , l’histoire de leur développe- ment et des variétés quelles présentent f constituent la phy- siologie du système cérébro-spinal , ou la phrénologie , science dont Gall, malgré l’imperfection de ses travaux, a eu la gloire d’être le fondateur. Les fonctions du système nerveux cérébro- spinal furent désignées par le célèbre Bichat, par l’expression générale de vie animale, parce qu'il considérait les actes qui en dépendent, comme le caractère le plus propre à distinguer les animaux. Ces actes sont encore généralement désignés dans tous les livres de physiologie , sous le nom de vie de relation , c’est-à- dire fonctions qui nous mettent en rapport avec tout ce qui nous entoure. Ces deux manières de définir sont seulement gé- nérales , et ne font connaître en aucune manière les caractères propres à chaque mode de sensation , soit qu’il appartienne au système nerveux des mouvements volontaires , ou des sens , ou des facultés affectives ou intellectuelles, et encore moins les rap- prochements ou les différences qui peuvent exister entre les sensations , afin d’en former plusieurs groupes ou séries , en un mot une classification. C’est sur-tout dans les sciences naturelles, que le besoin d’une bonne classification se fait vivement sentir. Quel cahos , et combien de temps perdu , si le jeune naturaliste n’avait pas déjà pour se diriger, une bonne division des corps en classes , ordres , genres, espèces, et même des sous-divisions pour les variétés spécifiques 1 D’un autre coté, le défaut de con- naissances anatomiques et physiologiques et la manie de géné- raliser à priori, ont été la cause d’une multitude d’abus et d’erreurs. 86 TRAITÉ Trop souvent les mots sensibilité, sentiment, intelligence, instinct, fonction, faculté, ont été employés pour désigner des choses semblables ou différentes. Les métaphysiciens, dont le principal tort a toujours consisté à ne pas vouloir prendre pour point de départ l’organisation, confondirent les caractères généraux des facultés avec les facultés elles-mêmes. De là les ex- pressions de jugement, mémoire? instinct, etc., sans cesse répétées dans les livres de presque tous les physiologistes de nos jours : langage vicieux et contraire à l’étude de l’organisation du système nerveux, qui partout nous démontre une variété de composition d’organes en raison des fonctions. Pourquoi donc n’avoir pas fait, pour le système nerveux et ses facultés, la même distinction que pour les autres organes ? Pourquoi sur-tout avoir isolé l’étude de l’homme de celle des animaux, et n’avoir pas mis à profit cette mine féconde que nous présentent les variétés d’organisation du système nerveux des vertébrés, variétés si riches en faits précieux , que leur seul examen eût suffi pour expliquer une multitude de phénomè- nes jusqu’alors inexplicables? En effet, que nous offre la grande série des corps organisés, sinon une augmentation ou com- plication d'organes selon l’étendue des fonctions ? Dans les classes animales inférieures, l’organisation est si simple, qu’il est à peu près impossible de les bien distinguer des végétaux. Au- dessus , les caractères d’animalité se dessinent davantage, l’or- ganisation devient moins simple, et successivement ainsi, jusqu’à ce que les animaux occupent un rang plus élevé dans l’échelle. Chez tous les animaux sans exception, se rencontrent cer- tainement les mêmes tissus élémentaires d’organisation, partout des os, un tissu cellulaire, musculaire, fibreux, etc. Mais combien de variétés dans le nombre, la texture et la composition de DE PHRÉNOLOGIE. 87 ce s tissus pour la composition des organes ? Étudiez la variété de composition de l’appareil digestif. Chez certaines espèces des classes inférieures, il consiste dans un simple réceptacle. Chez les oiseaux, où la digestion est plus compliquée,nous voyons des or- ganes plus nombreux. Cette fonction ne s’opère-t-elle que sur des matières peu réfractaires à faction de l’estomac ? on ne trouve qu’un simple conduit membraneux variant en longueur. Il en est ainsi chez les oiseaux de proie. Les aliments , pour être con- vertis en matière réparatrice, demandent-ils une action plus sou- tenue et plus énergique? Deux nouveaux viscères, l’un mem- braneux destiné à ramollir la substance alimentaire, le jabot, l’autre d’une organisation plus résistante, le gésier, seront ajoutés pour aider le travail digestif. Tel est le mode d’organisation que nous présente toute la famille des gallinacés. Quelle différence immense d’organisation ne trouvons-nous pas dans le système di- gestif des quadrupèdes, en raison des fonctions qu’il doit remplir! Chez les carnassiers où la digestion est assez compliquée , ce système se compose d’un très long canal, s’étendant de l’oeso- phage à l’anus , et divisé en plusieurs parties ou organes faisant éprouver une modification ou changement à la masse réduite en pulpe grossière par l’appareil masticateur. Cette complica- tion d’organes est cependant peu de chose , si nous la compa- rons à celle du canal digestif des herbivores, tels que le bœuf, chez qui on rencontre, indépendamment d’un intestin grêle de près de cent pieds de longueur , quatre grands réservoirs ou estomacs variant de forme et d’organisation. Le premier, qui paraît sur-tout avoir pour usage de ramollir, à l’aide de ses nombreuses papilles , l’énorme quantité d’herbe que la bête en- gloutit, est le plus grand de tous : c’est la panse; vient ensuite le bonnet, composé d’une multitude de cloisons formées par un 88 traite réseau présentant diverses figures. La pâte chimeuse, après avoir été divisée par ces cloisons et y avoir séjourné, passe dans le troisième réservoir, le plus compliqué de tous ; il se compose d’une immense quantité de lames minces, ce qui lui a valu le nom de feuillet: une fois soumise à l’influence de ce nouvel or- gane la pâte alimentaire entre dans la caillette, espèce de poche tapissée d’une muqueuse offrant des rides et des replis moins nombreux et moins consistants que ceux du feuillet. Viennent ensuite les intestins duodénum, jéjunum, iléum , colon et rec- tum , variant encore de texture et d étendue. Ce que je viens de dire de l’appareil digestif est applicable à ceux des principales fonctions, telles que la circulation, la loco- motion, la respiration, etc., et celles qui ont leur siège dans le svstème nerveux de la vie de relation. Depuis les animaux inférieurs, tels que les zoophites, les vers, les insectes, les mollusques, les poissons, les reptiles, les oiseaux, etc., jusqu’à l’homme, le système nerveux, siège de la sensibilité ou du sentiment, suit un ordre de développement en raison de l’étendue des fonctions. L’homme est de tous les animaux celui qui paraît avoir ce système le plus compliqué, sur-tout la por- tion qui préside aux facultés affectives et intellectuelles. Nous allons sur-tout nous attacher à faire connaître ces fonctions et les organes qui en sont le siège. Nous les étudierons dans les trois classes d’animaux placées à la tête des vertébrés, c’est-a- dire l’homme, les mammifères et les oiseaux. La comparaison des facultés de l’homme avec celles des animaux fera ressortir sa supériorité. Tous les animaux vertébrés, ainsi que je l’ai déjà dit dans mon premier volume, sont pourvus de deux cavités osseuses ser- vant de protection au système nerveux de la vie de relation. La DE PHRÉNOLOGIE. 89 mière renferme la moelle épinière, sorte de cordon composé de deux substances, l une grise, pulpeuse, et l’autre fibreuse, d’où partent des filaments (nerfs spinaux) allant se distribuer au cou, aux membres supérieurs et inférieurs, et fournissant, dans cha- que région principale, des filets de communication avec les nerfs du coté opposé. Indépendamment des caractères généraux propres à tous les nerfs provenant du prolongement rachidien, tels que la dupli- cité, la blancheur, une enveloppe fibreuse, la présence de gan- glions à leur racine postérieure, leur division constante en deux branches , les nerfs de chaque région, et meme chaque nerf pré- sentent des caractères particuliers, soit dans le volume, soit dans le nombre, la consistance, etc. Ainsi, les nerfs thoraciques sont moins volumineux que les nerfs cervicaux inférieurs, que les lom- baires et que les sacrés supérieurs. Il est aussi très certain, comme l’avait déjà remarqué Haller, que les nerfs thoraciques diffèrent des autres, non-seulement pour le volume, mais encore en consis- tance. Peut-être, ajouterai-je, existe-t-il encore d’autres différences qui échappent à nos moyens d’investigation. Nul doute que ce ne soit à ces différences de structure qu’il faille attribuer les varié- tés de sensibilité des parties où les nerfs vont se rendre : quelle différence, par exemple entre,l’impression produite par le frot- tement de la peau du dos et celle de la plante des pieds, du cou, des parties sexuelles, etc. ! Le système nerveux contenu dans le crâne, comme celui de la moelle épinière, se compose d’une collection de parties possé- dant aussi diverses manières de sentir ou de percevoir. Comme le système nerveux de la colonne vertébrale, celui qui se trouve contenu dans le crâne est double, mais le volume des parties qui le constituent n’est jamais égal des deux côtés. Cette diffé- rence est sur-tout très apparente chez l’homme dans les parties 90 TRAITE désignées sous le nom de cervelet, et celles qui forment les cir- convolutions. La différence n’existe pas seulement dans l’hémi- sphère considéré en général, mais encore dans chaque circonvo- lution. Il suffit, pour apprécier la différence des parties qui composent la masse encéphalique, de comparer entre elles les diverses masses qui la constituent. Ainsi, par exemple, les circonvolutions pla- cées sur le plancher orbitaire ne ressemblent en aucune ma- nière à celles du lobe médian, pl. LXXXIV fig. i et 2; celles-ci, à leur diffèrent de celles qui appartiennent au lobe posté- rieur, pl. LXXXIII, fig. 1 et 2. La partie connue sous le nom de cervelet, id., pl. 4? 5, 6, 7, 8, ne ressemble en rien aux parties que nous venons d’indiquer. Nous avons déjà vu que par sa base, pl. LXXXIV, le cerveau nous présentait plusieurs filaments blanchâtres, vulgairement appelés nerfs cérébraux. Ces nerfs diffèrent, comme ceux de la moelle épinière en volume, en forme et en consistance. Il est donc bien établi, par les observations qui précèdent, que le système nerveux de la vie de relation présente des modifica- tions de structure, suivant les fonctions qu’il doit remplir : tan- tôt il se présente sous forme de pulpe, de lamelles, de membra- nes, de circonvolutions, etc., et quand il y a absence de ces der- nières, comme chez les rongeurs et les oiseaux, un renflement plus saillant de l’encéphale indique une sphère d’action plus grande. J’ai dit plus haut que l’on donnait le nom de sensibilité à la faculté que possèdent l’homme et les animaux de percevoir des impressions. Maintenant se présentent naturellement les ques- tions suivantes. Dans quelle partie de l’économie animale la sensi- bilité réside-t-elle ? DE PHRÉNOLOGIE. 91 JN existe-t-il qu’une seule partie qui en soit le siège ? Avant de répondre à ces questions, je suis obligé d entrer dans quelques considérations générales. Le système nerveux a été, avec juste raison, considéré par tous les physiologistes comme étant le siège de la sensibilité; mais, selon moi, on s’est trompé beaucoup, en ne considérant, comme sensibles ou capables de recevoir des impressions, que les nerfs dont la matière mise en contact avec le fer, le feu ou d’autres agents, produisait une impression douloureuse. C’est à l’esprit étroit et peu philosophique de quelques expérimentateurs de notre époque, que nous sommes redevables d’une manière de voir si absurde (i). Il faut avoir bien peu réfléchi sur les diverses espèces de sensations ou de perceptions, pour n’avoir pas su dis- tinguer qu’il doit exister autant de modes de sensibilité que de manières de sentir ou de percevoir. De ce qu’une partie nerveuse ne fera pas jeter des cris à un animal sous l’influence du fer ou du feu, on ne pourra conclure que cette partie est insensible. Je m’explique: je suppose que les nerfs optique, olfactif, acousti- que, soient cautérisés, mis en contact avec un acide, tordus, et (i) Je crois que i’on pourrait comparer les expérimentateurs de notre époque aux alchimistes , qui, en réunissant ensemble plusieurs corps, obtenaient quelquefois des résultats auxquels ils n’avaient jamais pensé. A force de brûler , couper, empoison- ner, on obtenait quelques phénomènes, et l’on chantait victoire. Il y a eu un temps où de pareils résultats ont produit quelque effet sur les esprits superficiels ; mais heureusement l’on commence à demander que les faits recueillis soient analysés , comparés et en rapport avec les actes physiologiques de l’homme et des animaux ; qu’ils présentent un caractère scientifique, et non celui de faits isolés , dont l’im- portance , même comme faits , n’a de valeur qu’en se rattachant à la science rai- sonnée. 92 TRAITE que l’animal ne manifeste aucun signe de douleur, faudra-t-il rationnellement en conclure que ces nerfs n’ont aucune sensi- bilité ? Non certainement, caries véritables excitants de ces nerfs sont la lumière, les particules odorantes ou les sons. Ce que je viens de dire de ces nerfs s’applique au système nerveux cérébral. Si nous ouvrons, par exemple, l’ouvrage de M. Magendie, nous y trouvons les expressions suivantes (1): « Examiné sur l’animal vivant , le cerveau présente des propriétés bien éloignées de ce que l’imagination pourrait nous représenter. Qui par exemple, que la plus grande partie des hémisphères, sinon la totalité, est insensible aux piqûres, déchirements, sections, et même aux cautérisations , etc., etc. ; » c’est pourtant un fait sur lequel l’expérience ne laisse aucun doute. Observation. Si au iieu de faire des expériences avec Je 1er et le feu, M. Magendie les eût faites en observant les actes cérébraux de l’animal, il aurait reconnu diverses sortes de sensibilités qui ont échappé à son scalpel. Je dirai donc avec M. Charles Bell, que c’est par cela meme que ce viscère est insensible au fer et au feu, qu’il doit avoir un autre mode de sensibilité, c’est-à-dire celui qui se rattache aux facultés intellectuelles et affectives. N’est-il pas anti-physiologique de croire que la partie cérébrale qui perçoit l’impression du plaisir vénérien, celle qui perçoit la sapidité des (1) Liv. cit., î. i. 2e édition, page 192. DE PHRÉNOLOGIE. 93 aliments, ou les sons harmonieux, seront sensibles au fer, au feu et à la torsion. Ce sont ces variétés de perceptions qui constituent le caractère des diverses fonctions ou facultés fondamentales du système ner- veux cérébro-spinal. Nous devons entendre par cette expression faculté, l’idée d’un pouvoir, d’une puissance ou d'une action. Il existera donc autant de pouvoirs, de puissances ou d’actions que d’organes nerveux; et, comme nous l’avons démontré, plus ceux ci seront nombreux et plus développés, et plus la sphère de sen- sibilité , de sensations , sera étendue et énergique. L’histoire des fonctions des organes qui composent le système cérébral , ou ce que l’on a désigné collectivement sous le nom de facultés intellectuelles, sentiments, penchants , instinct de l’homme et des animaux, constitue , ainsi que je l’ai dit précé- demment la phrénologie ou la physiologie du cerveau. Je crois nécessaire de récapituler ici , mais très sommaire- ment , les faits principaux qui servent de hase à cette science. i° L’anatomie : elle démontre que la sphère d'action du système nerveux augmente en raison de sa complication chez les principaux vertébrés. 2° L’expérience de réflexion et d’application : par la pre- mière nous pouvons reconnaître la différence que présentent entre elles nos facultés propres , et celle qui résulte de leur comparaison avec les facultés des individus de notre espèce. Par l’autre voie d’expérimenter , je veux dire Xappli- cation ( crânioscopie) , nous pouvons apprécier la coïncidence qui existe entre le développement des parties cérébrales et celui des facultés dont elles sont le siège. 3e Le développement graduel des facultés coïncidant avec celui des organes, et leurs différences chez les sexes. 94 traité 4° La multiplicité de facultés chez l’homme et les prin- cipaux vertébrés. 5° Les variétés d'action des facultés intellectuelles et af- fectives chez les individus de la même espèce. 6° Les idioties partielles. 7° Les monomanies. 8° Les lésions de quelques parties qui ont aboli plusieurs facultés sans altérer les autres. Une fois la pluralité d’organes, et conséquemment de fa- cultés, bien établie, nous devons faire connaître les carac- tères propres à une faculté, ou quels sont les signes posi- tifs qui pourront la stigmatiser. Gall et tous les phrénologistes qui l’ont suivi, ont donné les faits suivants comme ceux qui doivent caractériser essen- tiellement une faculté fondamentale. Mais, comme j’espère le démontrer, tous ont confondu des caractères généraux avec des caractères propres; cependant comme je ne puis être bien entendu qu’après avoir exposé les idées de Gall et de Spurzbeim sur ce point, je commencerai par les citer textuellement (i). « Nous croyons pouvoir indiquer , de la manière suivante , les « conditions caractéristiques pour qu’un instinct, un sentiment, « un talent, méritent la dénomination de fondamental, de primitif, de radie al. » i° Lorsqu’une qualité ou une faculté, ou bien son organe , ne se manifeste, ni ne se développe, ni ne diminue à la même époque que d’autres. Cest ainsi que l’organe du penchant à la propagation et le penchant lui - même, se développe et se manifeste ordinairement plus tard que d’autres penchants. (0 Gall, vol. 3e édition in 8°; Paris. Spurzheim Phrnologie 5e édition; Londres. 95 DE PHRÉNOLOGIE. C’est ainsi que la mémoire des noms faiblit ordinairement plus tôt que les autres facultés. Observation. Gall et Spurzheim me paraissent confondre ici l’état ou la manière d’être de la faculté , c’est-à-dire son dévelop- pement , avec ce qui la caractérise ou la constitue. Ainsi, selon moi, ce n’est pas parce que le penchant à la propa- gation se développe à une époque plus ou moins éloignée de la naissance; ce n’est pas non plus parce que la mémoire des noms faiblit plus tôt que les autres, que ces facultés doivent mériter le nom de fondamentales ; mais bien à cause de leur mode spécial d’action, qui consiste, pour le premier, dans le pen- chant à reproduire , et dans le second , à se rappeler les mots. I/époque de développement d’une faculté n'est donc , dans cer- tains cas, qu’un moyen de la faire reconnaître, mais ne constitue pas son vrai caractère. 2° Lorsque, dans le même individu, une qualité ou une faculté est plus ou moins active sa partie cérébrale est plus ou moins dé- velopée que les autres. C’est ainsi que les grands sculpteurs, pein- tres, dessinateurs , n’ont quelquefois pas la moindre disposition pour la musique, les grands poètes peu de talent pour les ma- thématiques. Observation. O que j’ai dit précédemment est applicable à cette proposition. 96 TRAITE Ainsi, de ce qu’une faculté est plus active et sa partie cérébrale correspondante plus développée, cela ne la caractérise en aucune manière ; cela sert seulement; à prouver que toutes les facultés sont loin d’avoir la meme énergie chez tous les hommes ou tous les animaux de la meme espèce. 3° Lorsqu’une seule qualité ou une seule faculté est active, tandis que les autres sont paralysées, et quegalement il n’y a de développé que le seul organe qui lui correspond. C’est ainsi que des imbécilles, sous tous les autres rapports , sont quelque- fois impérieusement portés à l’amour physique, ou ont un grand talent d’imitation. Observation. L’objection que je viens de foire s’appliquant entièrement à cette troisième proposition 3 je m’abstiendrai de toute espèce de remarque. 4° Lorsque toutes les qualités et toutes les autres facultés sub- sistant dans leur intégrité et tous les autres organes étant suffi- samment développés, une seule qualité ou une seule faculté se trouve dans l’inaction et un seul organe non développé. C’est ainsi que certains individus ne sauraient comprendre que deux fois deux font quatre ; que d’autres ont la musique , les femmes en horreur. 5° Lorsque dans les maladies mentales, il n’y a qu’une seule qua- îité ou une seule faculté qui souffre, ou qu’il n’y en a qu’une seule qui subsiste dans son intégrité. C’est ainsi que tel aliéné n’est égaré ou exalté que sous le rapport des idées religieuses , de la fierté ; que tel ou tel autre , quoique fou sous tous les rapports , donne encore des leçons de musique avec une très grande intelligence. DE PHRÉNOLOGIE. 97 6°- Lorsque la meme qualité ou la meme faculté se manifeste d’une manière toute différente dans les deux sexes de la meme espèce d’animaux, et que l’organe, dans l’un des sexes est, diffé- remment développé que dans l’autre. C’est ainsi que l’amour de la progéniture et son organe sont plus prononcés dans les femel- les de la plupart des animaux; c’est encore ainsi que chez les oiseaux de chant, le mâle seul chante et a seul cet organe bien développé. 7° Lorsquenfin la meme qualité ou la même faculté et le même organe se trouvent toujours dans telle espèce, et man- quent toujours dans telle autre. C’est encore ainsi que plusieurs espèces d’oiseaux, que le chien, le cheval, etc., n’ont ni le pen- chant ni l’organe de la construction, qui se manifestent si mer- veilleusement dans espèces d’oiseaux, dans l’écureuil, dans le castor. C’est encore ainsi que certaines espèces d’animaux sont carnassiers, émigrent, chantent, soignent leurs petits, tan- dis que d’autres espèces sont frugivores, restent toute leur vie sédentaires, ne chantent point, et abandonnent leur progé- niture. J’ai cru devoir réunir les quatre propositions qui précèd en avant quelles devinssent l’objet de mes remarques. Tout ce que Gall et Spurzheim disent ici sur les caractères d une faculté, ne me parait, comme je l’ai déjà observé, qu’un moyen de la faire reconnaître, mais n’indique en aucune manière sa nature. Ainsi, de ce qu’une faculté est restée dans l’inaction et un seul organe moins développé, je ne suis pas plus avancé sur la nature de la faculté; je vois seulement qu il en manque une, et encore ne le sais-je que parce que je connaissais déjà son caractère; telle est, par exemple, la faculté de reconnaître les lieux, de se rappeler les nombres, etc., etc. 98 TRAITÉ Enfin, ce n’est pas non plus la présence d’une faculté dans une espèce et son absence dans une autre , qui constituent les carac- tères d’une force primitive ou d’une faculté; car il y a un assez grand nombre de facultés qui se rencontrent dans toutes les espèces sans exception. Je citerai comme exemple le penchant cà la reproduction, la faculté de reconnaître les lieux., etc. Ce n’est pas non plus parce que le mâle, dans certaines espèces, chante mieux que la femelle, que cette faculté devra être consi- dérée comme fondamentale ; car je ne vois dans cet acte qu’un degré différent d’action d’une faculté, et non son vrai caractère, qui consiste à saisir les rapports des tons, ou, si l’on veut, la faculté de la musique. Je n’insisterai pas davantage sur les faits propres, selon Gall et Spurzheim, à caractériser une faculté, un instinct, un penchant ou un sentiment. Je crois en avoir dit assez pour prouver que ces conditions peuvent aider à faire reconnaître une faculté, mais ne la constituent pas, comme le donnerait à entendre le lan- gage de ces médecins. J’appellerai faculté, tout mode de sensibilité ou d’action du système cérébro-spinal donnant lieu à une perception telle, quelle ne puisse pas être confondue avec une autre. Ainsi l’im- pression produite par la musique, celle qui résulte du plaisir vénérien, celle que nous éprouvons en compatissant aux maux d’autrui, ont un caractère si bien tranché, qu’il est impossible de les confondre : chacune de ces impressions constitue donc une faculté fondamentale. DE PHRENOLOGIE. 99 § H. FACULTÉS DU SYSTÈME NERVEUX CÉRÉBRO-SPINAL. LEUR CLASSIFICATION. La masse nerveuse contenue dans le crâne, et celle qui est ren- fermée dans le canal rachidien, comme nous l’avons dit, sont les deux sources de toutes les sensations appartenant aux sens, des phénomènes dits intellectuels et affectifs, et des mouvements. Il ne nous reste plus qu’à nous occuper de ces facultés en particu- lier (i). Si nous jetons les yeux sur les ouvrages des principaux phy- siologistes ou métaphysiciens de notre époque, qui ont entrepris de traiter l’histoire des facultés intellectuelles et affectives, deux choses essentielles frappent sur-tout notre attention. i° C’est que des personnes complètement étrangères à la connaissance du système nerveux, à son développement et à ses altérations , aient eu la prétention de se croire aptes à traiter ses fonctions. 2° C’est de voir, d’un autre coté, des physiologistes donner dans (i) Nous ne nous occuperons dans notre ouvrage que de l’histoire des facultés des sens et de celles désignées sous le nom d’intellectuelles et affectives, renvoyant aux ouvrages d’anatomie et de physiologie les personnes qui voudraient étudier les fonc- tions des nerfs affectés aux mouvements. 100 TRAITE l’extrême opposé, en supposant que l’étude anatomique et pa- thologique suffisait pour arriver à une connaissance parfaite des fonctions de ce système. C’est, selon nous, delà réunion des connaissances philosophi- ques et de celles que possèdent les anatomistes, les physiolo- gistes et les médecins, que doit résulter la connaissance exacte et profonde des facultés intellectuelles et affectives. On voit donc combien il est ridicule de vouloir prétendre connaître ces facul- tés, si on ne possède pas tout à la fois un esprit d’observation et des connaissances anatomiques, physiologiques, zoologiques et philosophiques assez étendus. Tous les travaux publiés sur la physiologie du cerveau, qui n auront pas pour base les sciences que je viens de mentionner, nauront donc qu’une existence éphémère. On peut dire, d’une manière générale, que dans ceux qui ont été entrepris jusqu’à ce jour sur la physiologie du cerveau, ceux de Gall et des princi- paux phrénologistes exceptés, aucun esprit philosophique n’a présidé à l’histoire des fonctions. On s’est contenté de répéter ce que les métaphysiciens avaient déjà dit ; ou l’on a cru pouvoir arriver, à l’aide de mutilations, à des résultats satisfaisants sur les fonctions du système cérébral. Mais il suffit de lire les expériences des mutiiateurs, pour voir à quels résultats contradictoires elles ont donné lieu , et combien peu de profit la science en a retiré. Passons maintenant à l’histoire des facultés fondamentales et à leur classification. Les philosophes qui observèrent avec attention les facultés de l’esprit humain, découvrirent bientôt que toutes étaient loin de présenter le même caractère ; de là les divisions si anciennes entre les facultés de l’esprit et du cœur, ou de lintelligence et des passions. Plus tard Aristote , Locke, Condillac et les DE PHRÉNOLOGIE. 101 Idéologistes établirent les subdivisions de ces facultés , que nous avons déjà fait connaître. Mais, comme je l’ai démontré , tous se trompèrent, dans ce sens qu’au lieu de saisir les caractères d’une faculté , ils n’en prirent que l’attribut : de là leur division en mé- moire , attention, etc. Ils firent pour les facultés de l’esprit, ce qu’aurait pu faire un naturaliste en divisant les corps de la nature en végétaux , animaux et minéraux , sans donner les caractères propres à chaque végétal ou animal. Ainsi , lorsqu’on a parlé d’attention , de mémoire , de jugement, je ne sais de quelle mé- moire , ni de quel jugement il est question. J’ai dit qu’après avoir marché dans le sens des idéologistes, Gali se vit forcé de les quitter , pour étudier les facultés telles que la nature nous les présente. Cependant nous devons faire remarquer que, dès le principe, il s’attacha sur-tout à l’examen des hommes qui lui présentaient une faculté dans un très haut degré de développement : si cette manière d’observer eut des avantages immenses , elle ne fut pas aussi sans inconvénieifts. Ainsi, il est certain que par cette voie , Gall renversa l’école condillacienne : mais comme ii n’observait les facultés que dans un haut degré d’excitation , sa nomencla- ture dut nécessairement s’en ressentir : c’est là ce qui explique plusieurs expressions vraiment incorrectes qu’il emploie pour désigner certaines facultés fondamentales. L’idée d’avoir recours à des expressions propres à donner le vrai caractère des forces primitives , appartient sur-tout à Spur- zheim ; c’est aussi à ce médecin que nous sommes redevables d’une classification des facultés. Tout en rendant justice à son ta- lent et à ce qu’il a fait pour la science, je trouve qu’il a dou- blement erré dans les expressions qu’il emploie , et dans sa clas- sification. Il fallait que ce médecin ne fût pas lui-même bien 102 TRAITE convaincu de l’excellence de son langage ; car il n’a pas publié une seule édition de son petit ouvrage, sans faire à sa classifi- cation de nouveaux changements. Gall n’a suivi aucun ordre , ou pour mieux dire n’a donné dans son ouvrage aucune classifica- tion des facultés (1) : en cela il a eu tort ; car, ainsi que je lai dit plus haut, une classification , meme imparfaite , n’eût-elle que l’ayantage de ranger dans l’esprit les matières qui sont l’objet de nos études, nous devrions encore y avoir recours. Je vais exami- ner le plus succinctement qu’il me sera possible la classification proposée par Spurzheirn ; j’indiquerai ensuite celle qui me paraît la meilleure eu égard à l’état de la science. Spurzheirn (2) , ainsi que nous allons le voir, adopte la grande division des facultés de 1 esprit des anciens philosophes. « Toutes « les fonctions de l’homme qui ont lieu avec conscience, dit-il, « constituent la vie animale. Celles-ci peuvent être rangées dans « deux ordres ou divisions admises depuis la plus haute anti- « quité , et connues sous le nom dame ou esprit, facultés mo- a raies et intellectuelles, entendement, volonté, le cœur et la « tête. Je les désignerai sous le nom de sentiments et intellect, « ou par les expressions de facultés affectives et intellectuelles. (1) Voici quelles sont les expressions de Gall sur sa manière de procéder à l’his- toire des facultés, (page 224 vol 3e édition in 8°). Je tâcherai de me conformer, autant (t qu’ilme sera possible, à l’ordre tel qu’il existe à peu près dans l’organisation du cer- » veau humain. Je m’occuperai d’abord des penchants ou des qualités inférieures ; « successivement je passerai aux qualités et aux facultés qui revêtent de plus en plus cr un caractère de noblesse, et je finirai par le sentiment le plus élevé, par celui « de rendre hommage à la divinité.*' (2) Spurzheirn, Phrénologie, 3e édition; Londres. DE PHRÉNOLOGIE. 103 « Ces deux ordres de fonctions cérébrales peuvent être sub- « divisées en plusieurs genres, et chaque genre en plusieurs « espèces. Quelques facultés affectives produisent seulement des « désirs, des inclinations ou instincts: je les appellerai par le « titre général de propensités. Le nom propensité est alors em- « ployé pour indiquer des impulsions internes qui invitent à « de certaines actions. Il y a d’autres facultés qui ne sont point « bornées au simple penchant, mais ont quelque chose de plus et « peuvent être appelées sentiments. L’orgueil, par exemple, pro- « duit un certain penchant à agir, mais en même temps éprouve « une autre émotion ou affection qui n’est pas un pur pen- « chant. Toutes les facultés que j’appelle penchants sont commu- « nés à l’homme et aux animaux; mais celles dont je parle main- « tenant et que j’appelle sentiments, sont en partie communes « à l’homme et aux animaux y et en partie propres à l’homme. « Le second ordre de pouvoirs intellectuels est destiné à nous « mettre en relation avec le monde extérieur , avec les qualités « des corps qui nous entourent et leurs relations : je les appelle « intellectuels. Ils peuvent être divisés en quatre genres : le pre_ « mier renferme les fonctions des sens externes et des mouve- « ments volontaires ; le second, ceux des sens internes qui « mettent l’homme en relation avec les objets physiques ; le « troisième, les fonctions liées à la connaissance ou relation des « objets et leurs qualités : j’appelle ces trois genres facultés per- « ceptives ; le quatrième genre comprend les facultés qui agissent « sur toutes les sensations et notions, et celles-ci je les appelle « facultés réflectives. Chaque genre de facultés affectives et in- « tellectuelles se compose de plusieurs espèces, et chaque espèce « présente plusieurs modifications ou variétés, même d’idiosyn- « crasie ou monstruosités. 104 traité Des divisions et subdivisions admises par le docteur Spur- zheim résulte le tableau suivant : ORDRE 1er, F A C ULTÉS AFFECTIVES. Genre 1er. Penchants. 1 Amativité. 2 Philogéniture. 5 Habitativité. 4 AfFectiouivité. 5 Combativité. 6 Destructivité. 7 Sécretivité. 8 Actfuisivité. 9 Gonstructivité. Genre 2me Sentiments. 10 Orgueil ; estime de soi. 11 Approbativité. 42 Circonspection. 13 Bienveillance. 14 Vénération. 15 Fermeté. 16 Conscienciosité. 17 Espérance. 18 Merveillosité. 19 Idéalité, 20 Gaieté. 21 Imitation. ORDRE 2me. Facultés intellectuelles. Genre 1er. Sens extérieurs. Genre 2mt‘. Facultés perceptives. 22 Individualité. 23 Configuration. 24 Etendue. 25 Pesanteur. 36 Coloris. 27 Localité. 28 Calcul. 29 Ordre. 30 Eventualité. 51 Temps. 32 Mélodie. 55 Langage. Genre 5me. Facultés réflectives. 54 Comparaison. 35 Causalité. DE PHRÉNOLOGIE. 105 Le tableau que nous avons sous les yeux a été copié sur celui qui se trouve à la tète de la troisième édition de la Phrénologie de Spurzheim, publiée à Londres. Deux facultés nouvelles ne s’y trouvent point: l’amour de la conservation, dont j’ai parlé le premier dans le Mémoire que j’ai présenté à l’Institut de France en 1827, et celle qui détermine les animaux dans le choix de leurs aliments , dont la découverte est due au docteur Hope de Copenhague. M. Georges Combe , dans la troisième édition de son système de Phrénologie, a adopté, sans restriction, la classification de Spurzheim ; on peut meme dire qu elle est généralement reçue en Angleterre. Ainsi que je l’ai déjà dit , les avantages d’une nomenclature ou d’une classification sont généralement trop bien appréciés pour que nous négligions d’y avoir recours. J’avais d’abord eu l idée de conserver celle de Spurzheim, et mon principal but, en agissant ainsi, était de faire accordery autant que possible, les travaux des plirénologistes Anglais et Français. Mais après un examen réfléchi de la classification de ce médecin , je me suis vu forcé de l’abandonner ; plus je l’ai étudiée , et plus elle m’a paru vicieuse par le fond et la forme, par les divisions et sub- divisions des facultés , et par la majeure partie des expres- sions ridicules employées pour les désigner. J’ai peine à conce- voir comment, avec un esprit d’observation assez remarquable, Spurzheim n’a pas été frappé lui-mème du vice de sa nomencla- ture. J’ai vu avec plaisir que les médecins les plus distingués en France n’ont jamais pu condescendre à recevoir les mots secré- tivité, merveillosité, etc., langage prétentieux , de mauvais goût, et qui figurerait à merveille dans la comédie des Précieuses ridi- cules ou des Femmes savantes. 106 TRAITÉ Parmi les principaux reproches que i on peut faire à la classi- fication de Spurzheim , voici, selon moi, quels sont ceux qui méritent sur-tout de fixer l’attention des phrénologistes. i° Sa division des facultés en deux ordres, affectives et intel- lectuelles , qu’il a empruntée aux anciens, ne serait bonne qu’autant que ses subdivisions ou genres concorderaient avec elle , ce qui est loin d’avoir lieu. Ainsi, si nous jetons un coup d’œil sur le tableau précédent, nous voyons, par exemple, que la fermeté et l imitation se trouvent dans la classe des sentiments seulement propres à l’homme ; tandis qu’il nous sera facile de prouver que ces facultés sont communes à l'homme et aux animaux. a° Nous voyons dans la classe des penchants , des facultés qui procurent autre chose qu’un simple instinct ou inclination , comme l’appelle Spurzheim. Ces subdivisions sont même, comme je vais le démontrer, en contradiction avec ses principes. Mais afin d’être mieux compris, je vais citer textuellement cet auteur. « Quelques pouvoirs produisent seulement des inclinations ou instincts, je les appelle penchants. Le mot penchant est alors seulement employé pour indiquer des impulsions internes qui portent à certains actes. 11 y en a d’autres qui ne sont pas bor- nés à de simples inclinations, mais qui ont encore quelque chose de plus , que l’on peut appeler sentiment. L’orgueil , par exemple, produit une certaine disposition à agir; mais on éprouve en même temps une autre émotion ou affection qui n’est pas un simple penchant. » Je ne sais réellement pas comment Spurzheim a pu soutenir que dans les penchants il y avait seulement dis- position ou inclination vers telle ou telle chose, sans que cette inclination fût accompagnée dune émotion particulière. Est-ce que l’attachement d’une mère pour son enfant n’est pas une DE PHRÉNOLOGIE. 107 inclination accompagnée d une vive émotion ? et le penchant au plaisir de l’amour, et celui de l’attachement, etc., etc., ne sont-ils pas dans le même cas ? Ce que je viens de dire des facultés appelées affectives, s’ap- plique à celles que le même auteur désigne sous le nom & intellec- tuelles : ici, mêmes erreurs dans les divisions et les subdivisions. Dans le premier ordre des facultés intellectuelles , Spurzheim place les sens extérieurs, dont les actes, bien qu’en relation avec les facultés intellectuelles, en diffèrent cependant complètement. Sa division des facultés perceptives et réflectives est loin d’être exacte; car, ainsi que nous le démontrerons, plusieurs facultés qu’il range parmi les sentiments , devraient appartenir aux facul- tés intellectuelles; et toutes les facultés réflectives ne se bornent pas à la comparaison et à la causalité. Revenons maintenant sur les nouvelles expressions employées par Spurzheim pour désigner chaque faculté fondamentale. Afin de réussir, dit-il, à donner des noms spécifiques « aux for « cuités fondamentales, j’ai été obligé de changer la nomen- « clature. J’admets que les organes tels que Gall les a nommés, « sont plus développés chez les personnes qui se distinguent par « des caractères particuliers ou des talents : je nie seulement « qu’il y ait un organe de la ruse, de la religion, de la poésie, des « mathématiques, de la mécanique; ces opérations sont compo- « sées , et je pense que leurs éléments doivent être déterminés. « Je ne donne pas conséquemment un nom aux organes d'après « les actions, mais d’après la nature des facultés seulement. « J’éclaircirai ma manière de voir par les sens externes. Il y a un « pouvoir de voir et un organe de la vue, mais il n’y a pas d’or- « gane pour voir le rouge, le bleu, le jaune, ou des carrés ou « d’autres formes. Nous parlons du sens de l’ouïe , et non 108 traité (c du sens d’entendre le chant des oiseaux , la musique de (c l’homme ou le bruit du canon. Dans le même sens, il y a un « organe du penchant à cacher, mais pas de l’hypocrisie; un « organe du désir d’être approuvé, mais pas de F émulation ou de « la gloire ; un sens de vénération, mais non de tel ou tel mode « d’adorer. Des précédentes considérations il résulte qu’un cer- « tain ordre peut être établi dans les organes cérébraux , et que « je fais plus que de me borner à la méthode de Gall, qui con- « siste seulement à les considérer selon leur situation. Je parlerai (( d’abord des penchants, des sentiments, des sens externes, des « facultés perceptives et finalement des facultés réflectives. » Ayant établi divers penchants ou facultés particulières de J es- prit , afin d’indiquer les penchants, j’ai pris la terminaison iwté, et je l’ai ajoutée à une racine française pour dénoter les penchants. Pour les autres facultés, les facultés intellectuelles exceptées, qui ne demandent pas d’explication, et dont les noms sont faci- lement entendus, Spurzheim emploie les mots usités par Gall, tels que imitation, comparaison, fermeté, circonspection (i). On verra cependant dans notre volume anglais, que Spurzheim a employé dans la langue anglaise, une expression particulière pour indiquer les sentiments. observation. Il est certain que le langage employé par Gall pour dési- gner les facultés est loin d’etre toujours correct, et Gall lui- même convient de l’imperfection de sa nomenclature. L’idée de (i) Page 4°7> vol. 5% édition in-8°. DE PHRÉNOLOGIE. 109 Spurzheim, de rendre par une expression le vrai caractère d’une faculté, est très bonne ; c’est même à elle que nous devons quel- ques expressions plus correctes. Mais ce n’est vraiment que par quelques expressions que la nomenclature de Spurzheim est meilleure; car, prise dans son ensemble et dans ses détails, elle est aussi vicieuse que de mauvais goût. Je ne donne pas, dit-il, un nom aux organes d’après les actions, mais d’après la nature des facultés. Pourquoi alors avoir conservé une foule d’expressions indiquant une action déterminée, telles que imitation, circonspection, vénération, etc., où l’on ne retrouve pas sa terminaison d'évité, employée, selon lui, pour indiquer une force, une manière d’agir dans un sens. Ainsi, c’est pour avoir voulu rendre une pensée que tout le monde entend si bien, que Spurzheim s’est mis l’esprit à la torture et a imaginé un langage aussi barbare qu’absurde. Pourquoi donc n’avoir pas conservé l’expression de l’action même en y joignant le mot organe? Tous les jours nous disons respiration, digestion, circulation : faudra- t-il y joindre la terminaison ivité, et dire circulativité, afin d’indi- diquer une force particulière ? est-ce que ce mot seul n’entraine pas avec lui l’idée d’une force, d’une puissance ? J’aurais bien encore une multitude d’observations à faire sur les vices de la nomenclature de Spurzheim; mais comme il suffit d’une simple lecture des ouvrages de ce médecin pour les saisir, je préfère y renvoyer mes lecteurs. L’on peut, dans la classification des organes du système ner- veux cérébro-spinal, suivre un ordre à peu près anatomique, comme l’a fait Gall; ou bien adopter un ordre basé sur la nature des facultés : ce dernier mode de procéder serait sans contredit le meilleur ; mais comme il supposerait une analyse parfaite des facultés, il nous paraît inadmissible dans l’état actuel de la science ; 110 TRAITÉ DE PHRÉNOLOGIE. c est même, indépendamment des locutions vicieuses employées par Spurzheim, ce défaut complet d’analyse qui m’a fait rejeter sa nomenclature, tout en rendant justice aux efforts qu’il a faits pour se rendre utile. Je désire ardemment que les phrénologis- tes vraiment dignes de ce nom, se bornent à suivre un ordre anatomico-physiologique, je veux dire une classification des organes d'après leur situation et leur développement ; car si chaque phrénologiste vient armé d’une nouvelle nomenclature , il en résultera, au bout de peu de temps, un véritable cabos et une perte réelle pour la science. Une nomenclature parfaite dans les sciences d’observation, et sur-tout dans la phrénologie qui repose sur une analyse réfléchie des facultés de l’esprit humain, ne peut être que le fruit du temps et de nombreuses observations. J’ai dit tout-à-l’heure qu’un ordre de classification basé sur l’anatomie et la physiologie, serait celui que je jugerais le plus convenable dans l’état actuel de la science : on verra ci-après , et sous forme de tableau, la classification que je propose. Voici quels sont les principaux avantages qu elle me parait présenter. i° Sauf des transpositions assez importantes dans l'ordre des organes, elle se rapproche beaucoup de la classification adop- tée jusqu’à ce jour. 2° La dénomination des facultés me paraît capable d’être bien comprise par tout le monde. 3° Elle est tout-à-fait au niveau de la science. 4° On y trouve des facultés dont la découverte m’est propre ou m’est commune avec d’autres phrénologistes. 5o Enfin cet ordre de classification est celui qui me paraît le plus en harmonie avec le développement des facultés dans la longue chaîne des animaux vertébrés : ce motif seul eût été plus que suffisant pour me le faire adopter. lomeIÏ,paffe no. TABLEAU DES ORGANES ET DES FACULTÉS * DF SYSTÈME NERVEUX CEREBR O-SPINAL , D’APRÈS UN ORDRE ANATOMIQUE ET PHYSIOLOGIQUE. ORDRE 1er. Facultés de sensibilité générale , d’ex- pression , DE COMMUNICATION ET DE LOCO- MOTION. ORDRE 2e. Facultés de conservation individuelle ET DE REPRODUCTION DES ESPECES. ORDRE 3e. * ACULTES intellectuelles. ORDRE 4°. Sentiments. Genre 1er. Facultés perceptives. Ces facultés sont sur-tout en relation avec les sens et nous donnent une idée des objets qui nous entourent, de leurs qualités, de leur état, de leur nombre , etc. 1° Organe de la perception ou conscience des objets. 2° M:De la configuration. 3° Id. De l’étendue. 4° Id De la distance/ 5° Id. Du sens géométrique. 6° Id. De la résistance. 7° Id. Des localités. 8° Id. Des nombres. 9° Id. De l’ordre. 10° Id. Du temps. ll° ld. Du langage. 12° Id. Du coloris. 15° Id. De l’éventualité. Genre 2e. Talents. 4° Talent de construction. 2° Id. musical. 3° Id. d’irnitation. Genre 3e. Facultés réjlectives. Facultés destinées à réagir sur les sensations produites par les facultés des deux genres précédents en appréciant leurs relations et les causes qui les produisent. 1° Comparaison ou appréciation de l’état des choses. 2° Causalité. 3° Discrimination. Genre 1er. 1° Vanité. 2° Orgueil. 3° Fermeté, persévérance. 4° Conscience. 5° Vénération. 6° Espérance. 7° Bienveillance. Genre 2me. 1° Organe du penchant au merveilleux» 2° ld. De l’esprit poétique. 3° Id. Du beau dans les arts. Genre 1er. Nerfs et fonctions de sensibilité générale. Genre 2 e. Nerfs et fonctions d’expression. Genre 5e. Nerfs ayant pour fonction d’établir une com- munication entre les diverses parties du sys- tème nerveux. Genre 4e. Nerfs des mouvements ou de l’appareil loco- moteur. Genre 1er. Organe des sens. 1° Du goût. 2° De l’odorat. 3° De l’ouïe. 4° De la vue. 5° Du toucher. Genre 2 e. 1° Organe de la conservation. 2° Id. Du choix des aliments. ( Alimen- tation.) 3° Id. De la destruction. 4° Id. De la ruse. 5° Id. Du courage. 6° ld. Du choix des lieux. 7° Id. De la concentration. 8° Id De l’attachement à vie , ou mariage. 9° Id. De l’attachement. 10° Id. De la reproduction. 11° Id. De l’attachement pour le produit de la conception. {P kilo gé ni turc.) 12° Id. De la propriété. 13° ld. De la circonspection. CHAPITRE IV. CRANIOSCOPIE. Si- Cette partie de la physiologie du cerveau a été confondue jusqua ce jour , par la populace phrénologique , avec la science dont elle ne forme qu’une fraction : elle consiste dans une explo- ration attentive du crâne de l’homme et des principaux verté- brés, afin d’apprécier les rapports qui existent entre la boite osseuse et la partie nerveuse quelle contient,je lui donne le nom de crânioscopie, mot dérivé de xpcmoi crâne, et n° 3, est le siège de l’organe du penchant à détruire; sa position est la même chez tous les oiseaux sans exception. Plus ce penchant est prononcé, et plus la région du crâne qui y répond présente de surface ou devient plus renflée. Voici quels sont les oiseaux qui m’ont offert cette ré- gion du crâne dans le plus haut degré de développement : L’ai- gle pêcheur, pl. LIV, fig. 3; la petite chouette, id. pl., fig. 4; la cresserelle, id. pl., fig. 5; le grand-duc, pl. LXI, fig. i ;îa grande chouette des bois, id. pl., fig. 2; la buse, pl. LXXI, fig. 2; une très petite chouette assez commune dans le nord de la France, id. pl., fig. 4 ; la sous-buse, id. pl., fig. 5. C’est le développement considérable du penchant à détruire qui augmente dune ma- nière sensible la circonférence de la voûte du crâne des oiseaux destructeurs. On peut comparer, à cet égard, la voûte du crâne DE PHRÉNOLOGIE. 191 de la buse, pi. I bis, fig. 4? avec celle de la poule, id. p]., fig. 9. Tout ce que Gall a dit sur le siège de l’organe de destruction chez les oiseaux, est extrêmement vague ou inexact ; il confond avec cet organe celui qui préside au choix des aliments ; de là ces différences de place suivant les espèces. Sur la fig. 11 de la pl. LXIV (1) , il indique la région de l’or- gane qu’il appelle instinct carnassier, exactement sur la partie qui se trouve correspondre à celui de la circonspection; il prend l’organe de l’alimentation, chez le cormoran, pour celui du penchant à détruire. Comme je perdrais beaucoup de temps s’il me fallait relever toutes les erreurs qui se trouvent dans son ouvrage, je renvoie mes lecteurs à la comparaison de son tra* vail et du mien, mis en regard avec la nature. Il ne faut pas confondre, en comparant le crâne d’espèces dif- férentes, la région 2 avec celle indiquée par le n° 3 : la première est celle de l’organe de l’alimentation, et la seconde celle du penchant à détruire. La première est très développée chez le cormoran, pl. LV, fig. 5; le corbeau, pl. XLIV, fig. 3; le ca- nard, pl. LI, fig. 3; le goéland, pl. LIX, fig. 6; le stercoraire, id. pl., fig. 2, tous oiseaux qui se font remarquer par leur vo- racité. J’ai dit plus haut, que l’action des organes cérébraux était sou- vent accompagnée de certains mouvements, que l’on pourrait appeler l’expression d’action des facultés. Ceux qui accompagnent celle de destruction ont un caractère qui leur est propre. Que l’on donne, par exemple, ainsi que je l’ai fait, un morceau de viande à une poule, on verra qu’après l’avoir saisi, elle l’attirera d’avant (i) Voir son Altas. TR/VITE en arrière, en le traînant à la surface du sol, où elle le becque- tera à plusieurs reprises. En faisant la même expérience sur un goéland, j’ai vu cet animal se jeter sur la viande avec une avidité incroyable : pour peu que le corps fût volumineux, i! le serrait fortement entre son bec, et l’agitait, par un mouve- ment de tête, de droite à gauche. Si, au contraire, je donnais un morceau de chair à une cresserelle, animal essentiellement destructeur, il le plaçait sous ses pattes, le maintenait à l’aide de ses serres, et en saisissant une portion avec son bec, il por- tait la tête alternativement à droite et à gauche, ahn d’en mieux opérer le déchirement; pendant tout ce manège, ses yeux bril- laient du plus vif éclat. Après avoir indiqué le siège de l’organe du penchant à dé- truire chez les oiseaux, je vais préciser sa place chez les autres animaux. Chez les rongeurs et les herbivores , cet organe occupe la ré- gion écailleuse de l’os temporal ; mais son étendue est bien moins considérable que chez les animaux carnassiers. La diffé- rence qui existe à cet égard, peut être bien saisie sur les bases du crâne de deux animaux de l’une et l’autre classe. (Voir la fi g. i et 2 de la pi. III bis} représentant les bases du crâne d’un lièvre et d’un chat. Le n° 5, sur la base du lièvre, me parait être le centre de l’organe du penchant â détruire (i). Chez le chat, le même organe occupe toute la dépression placée devant (i) C’est cet organe qui. augmente la largeur du cerveau du lièvre dans cette région. Dans mes leçons, j’ai l’habitude de faire voir, sur un cerveau de lièvre coulé sur nature , et sur les dessins de mon Atlas, la région de l’encéphale où siège i’or'gane en question. DE PHRÉNOLOGIE. la ligne transversale A B, fîg. 2, et à peu près les deux tiers de celle qui est placée derrière. Je dis à peu près, car son plus ou moins grand développement peut faire qu’il se porte plus ou moins en arrière. Chez les quadrupèdes omnivores, tels que le blaireau, pi. XVIII, fig. 1, le hérisson, pi. XXXVII, fîg. 4, l’organe du penchant à détruire occupe la région du crâne placée au-dessus du conduit auditif. Son étendue, de haut en bas et d’avant en arrière, varie un peu suivant les espèces. Chez les quadru- manes, les deux tiers postérieurs de la portion écailleuse de l’os temporal se trouvent être le siège de l’organe du pen- chant à détruire : sa situation est absolument la meme que chez l’homme. Chez celui-ci, le volume de l’organe peut varier à l’infini, depuis le plus faible degré caractérisé à l’extérieur par un aplatissement de la portion écailleuse de l’os temporal, comme dans le crâne d’une momie d'Egypte représenté pl. C, fig. 2, jusqu’au summum de développement, comme sur les deux crânes représentés pl. CXI, fig. 1, et pl. CIII, fig. 1. Il résulte des faits et observations que je viens de faire connaître : i° que le penchant à détruire est évidemment une faculté fondamentale; 20 quelle a été donnée à tous les verté- brés pour seconder l’action de diverses facultés, mais plus particulièrement celle qui préside au choix des aliments ; 3° quelle est développée en raison du degré d'action de ce pen- chant, ce qui rend compte de son plus grand développement chez les animaux éminemment destructeurs. TRAITE § iv. Ruse. Cette faculté est une de celles qui contribuent le plus à Ja conservation des espèces ; sans elle une multitude d’animaux deviendraient facilement la proie de leurs ennemis; souvent elle est l’arme du faible contre le fort, quelle parvient à fuir ou à dompter. Quelques espèces la présentent dans un haut degré de développement : rusé comme un renard, fin comme la marte, sont des expressions passées en proverbe. Il n’est pas rare de rencontrer dans l’espèce humaine , des hommes doués de cette faculté dans un degré tel, qu’il constitue le trait le plus saillant de leur caractère, leurs actes, leur langage : leurs habitudes sont toujours empreints d’une manière d’être caractéristique. Personne ne sait mieux qu’eux s’accommoder aux temps, aux lieux et aux circonstances ; personne n’entend mieux comment il faut cacher leurs vues, leurs projets, leurs intentions, en s’enveloppant de la plus profonde dissimulation. Leur conduite paraît souvent inexplicable pour qui ne tient pas le fil de leurs actions que l’on ne découvre souvent que lorsque leur but est atteint. Cette faculté peut présenter mille nuances, selon l’état de développement des autres organes. Dans un degré modéré, et avec un très faible développement d’une faculté dont je parlerai plus loin (la circonspection) * elle constitue un des DE PHRÉNOLOGIE. caractères les plus singuliers que I on puisse rencontrer ; ce sont de ces hommes dont la finesse est, si je puis m’exprimer ainsi, percée à jour: après avoir tenu une conduite annon- çant une certaine fiiiesse, leur manque de circonspection vous fait tout de suite découvrir leurs vues et leurs projets. Dans un degré moyen de développement, réuni à la circonspec- tion et à une faculté précieuse, l’esprit d’induction, la ruse contribue à donner du tact et constitue ce qu’on appelle un caractère prudent. Toutes les fois que cette faculté ne se trouve pas réunie à des facultés intellectuelles et à des sentiments élevés, il en résulte ces êtres ignobles, à vues aussi basses que la faculté qui les domine. Les maisons de réclusion, les bagnes sont peuplés de cette sorte de gens : si on pouvait les suivre dans leurs actions, lire dans leur esprit, on ny verrait que bassesse, fourberie et intrigue. Je reviendrai encore sur ce sujet qui ne peut être bien compris qu’après que j’aurai traité de la combinaison des facultés. Il est impossible pour les personnes versées dans l’histoire des actes de l’esprit humain, de confondre la faculté que je désigne sous le nom de ruse, avec celles qui me restent à traiter. Les personnes étrangères à la vraie connaissance psychologique des actes cérébraux, confondent cette faculté avec l'intelligence ou la pénétration, bien quelle en diffère complètement ; mais quel est le caractère distinctif de cette faculté ? Les expressions ruse, finesse y savoir-faire, employées par Gall pour la désigner, n’en sont-elles au contraire que des modifications P Selon Spuçzheim, son caractère distinctif serait le penchant à cacher. Si j’examine, dit-il, les manières des animaux rusés 196 TRAITÉ et considère l’essence de leur ruse , et plus spécialement si je considère les actes des hommes et des animaux quand ils exercent cette fonction, il me paraît que la faculté spéciale est Je penchant à être clandestin en général, être secret en pensée, mots, choses ou projets, Le renard prend soin de ne pas être observé. Un chat guettant une souris, ne remue aucun membre. Les animaux rusés lorsqu’ils sont poursuivis, se cachent adroitement ; un chien cache son os, et les personnes rusées cachent leurs intentions, et quelquefois professent des opinions opposées à celles qu elles ont réellement. Je crois avec Spurzheim, que la ruse, la finesse, le savoir- faire indiquent plutôt des modifications de la même faculté ; mais le penchant à cacher est-il bien le vrai caractère de la faculté en question ? ne serait-il pas aussi une modification de cette faculté ? Le renard qui est en garde, le chat qui guette une souris sans remuer un membre, ne mettent pas seulement en jeu la ruse, mais encore la circonspection. En disant que le chien cache son os, Spurzheim abuse évidemment ici du mot cacher. Je ne crois pas non plus que la faculté d’être secret ap- partienne à la ruse. Plus j’étudie les actes des animaux et des hommes rusés, et plus cette faculté me paraît avoir une sphère d’action étendue et difficile à rendre par une expression; c’est une manière d’agir tout-à-fait à part, et qui n’a point d’analogue dans les autres facultés. Dans les animaux des classes inférieures, cette faculté aide puissamment celles qui sont indispensables à la con- servation des espèces, telles que la destruction , le penchant à faire des provisions, etc. Les actions de l’homme rusé ne se bornent pas à cacher ses projets, comme le dit Spurzheim; c’est cette faculté qui DE PHRÉNOLOGIE. 197 porte à deviner ceux des autres : je crois quelle contribue beaucoup à rendre très défiants les hommes qui la possèdent dans un haut degré. La partie du cerveau qui est le siège de l’organe de la ruse, occupe la région moyenne du bord inférieur de l’os pariétal chez l’homme, pl. LXXXVIÏ. Le siège de cet organe est générale- ment mal indiqué sur toutes les figures qui accompagnent les livres publiés jusqu a ce jour sur la phrénologie. Quand l’or- gane est très développé, toute la région du crâne répondant à la région du pariétal, dont la surface interne est taillée en biseau pour s’articuler avec le temporal, est très saillante, et la surface placée un peu au-dessus, très bombée. On peut avoir une idée d’un grand développement de cet organe sur le crâne représenté fig. 2, pl. CXI. Chez les quadrumanes, le siège de l’organe de la ruse est absolument le même que chez l’homme. Chez les carnassiers, tels que le chien, pi. XXIII, fig. 1 et 1, le loup, pl. XXXVI, fig. 1 , le renard, pl. XXXV, fig. 1 , la marte , pl. XXXI, fig. 4? le putois, id pl., fig. 2, l’organe de la ruse est placé exactement au-dessus de la ligne que décrit l’articulation écailleuse de l’os temporal : il occupe la partie moyenne du bord inférieur pariétal, qu’il renfle d’une ma- nière variable suivant les espèces. Cette saillie est bien exprimée sur le crâne du renard, représenté pl.XXXV. Comme le crâne de cet animal offre peu d’épaisseur, il en résulte que la circon- volution cérébrale, siège de l’organe de la ruse, se dessine à mer- veille à l’extérieur. Une ligne perpendiculaire tirée du milieu du conduit auditif externe des carnassiers, après avoir traversé la région du penchant à détruire, tombe exactement sur celle que l’organe de la ruse occupe, pl. XCII, fig. 1, et pl. XCIII, fig. 1. TRAITÉ Gall, en parlant du siège de l’organe de la ruse chez les oiseaux, s’exprime ainsi : « En général, et sans en excepter les frugivores et les oiseaux qui se distinguent par leur caractère rusé, la région ci-dessus indiquée est très saillante (i). » Comme on le voit, c’est une manière très aisée et très simple d’indiquer le siège d’un organe. Cependant la différence d’organisation du crâne chez les oiseaux, ne permet en aucune manière de se prononcer ainsi ; et si on voulait, comme Gall, assimiler les crânes des oiseaux à ceux des quadrupèdes, on commettrait de graves erreurs. Je suppose, par exemple, comme le dit Gall, que l’on cherchât le siège de l’organe de la ruse chez les oiseaux dans la meme région que chez les quadrupèdes, c’est-à-dire sur l’os pariétal, et que l’on choisît pour exemple un crâne de coq pour faire l’application, on tombera juste sur une partie du crâne où l’on ne voit aucune trace de cerveau , c’est-à-dire sur le cervelet. Chez les oiseaux du genre corvus, la partie cérébrale affectée à la ruse est celle qui se trouve située dans la région 4, bg. 4 5 pl. XCIII, à quelques lignes au-dessus de la petite apophyse os- seuse placée à la partie la plus reculée du conduit auditif ex- terne , et elle se prolonge en avant dans l’étendue de plusieurs lignes, chez le corbeau. Chez les granivores l’organe est placé derrière et au-dessus de l’apophyse orbitaire externe. Chez les quadrupèdes herbivores et les rongeurs, il est placé plus en devant et plus haut que chez les carnassiers. C’est lui qui forme cette masse bombée que l’on voit chez le chevreuil , pl. XXVI, l’isard, pl. XXXVIII; c’est lui qui contribue à élargir la voûte du crâne du lièvre, pl. Ill bis, fig. 4 , du lapin, de lecu- reuil, pl. XXXIII et XXXVII. (l) Liv. cit. , page 191 , in-8°. DE PHRÉNOLOGIE. J’ai trouvé cette partie du crâne très apparente chez des liè- vres de quelques jours. J’engage les personnes qui auront occa- sion de s’en procurer, à les observer avec attention, et elles y trouveront quatre organes très apparents : i° un situé à la par- tie interne de l’arcade orbitaire, qui donne à ces animaux la possibilité de reconnaître les lieux; 20 un autre très apparent occupant la région pariétale moyenne, circonspection ; un troi- sième renflant d’une manière sensible le bord inférieur de l’os pariétal; enfin, comme je l’ai vu sur le cerveau, l’organe de la conservation et celui qui préside au choix des aliments. En réfléchissant sur la prédominance de ces facultés à cet âge, on ne peut s’empêcher d’admirer leur coïncidence avec les premiers besoins de l’animal. § v. Organe du courage. Je ne crois pas que personne puisse contester que le cou- rage soit une qualité distinctive de l’homme et des animaux. Chez lui, comme chez eux, cette faculté se manifeste à divers degrés. Certains hommes sont remarquables par leur poltron- nerie, comme d’autres le sont par un courage poussé jusqu’à l’audace, et quelquefois meme jusqu’à la témérité. Le cou- rage avait été attribué jusqu’ici à l’action d’autres viscères que le /cerveaû. Je ne répétera?'pas ce que des physiologistes ont 200 TRAITE avancé sur l’influence que le développement du système muscu- laire , ou celui du principal organe de la circulation ( le cœur) peuvent avoir comme produisant le courage. De pareilles as- sertions ne méritent pas même d’être refutées. Les observations de Gall dans l’espèce humaine, celles plus nombreuses encore que j’ai faites chez les animaux, ne laissent aucun doute non- seulement sur la question si c’est dans le cerveau que réside la faculté désignée sous le nom de courage, mais encore sur la partie cérébrale qui en est le siège. Comme ces expériences peu- vent être répétées tous les jours, je n’insisterai pas sur les preu- ves théoriques qui pourraient soutenir mon opinion. Je vais donc faire connaître le siège de l’organe du courage chez l’homme et les animaux. Chez l’homme, l’organe du courage occupe la partie moyenne de l’angle postérieur inférieur de l’os pariétal, pl. LXXXVII, fig. 2, n° 5. Tous les individus qui se font remarquer par leur bravoure, ont cette région dans un degré de dévelop- pement remarquable ; une disposition contraire se rencon- tre chez les hommes très pusillanimes et poltrons. La fig. i de la pl. XCIX peut donner une idée du grand développe- ment de l’organe du courage. On trouvera le même mode d’organisation sur le crâne du général Wurmser, qui se trouve dans la collection de Gall. On voit combien le déve- loppement considérable de cet organe contribue à augmenter le diamètre transversal du crâne dans cette région. O Chez les quadrumanes, le siège du courage est absolument le même que chez l’homme. Chez les quadrupèdes, la circonvolution, ou la portion céré- brale affectée au courage, est indiquée sur le cerveau de la marte, parle nombre 13 , pl. LSeXXV , fig. 7. Cè1* LX^V, ftg. Cette partie étant très développée chez les espèces renommées pour leur courage, la région du crâne qui y répond est aussi générale- ment très bombée chez elles. Le n° 5 de la fig. ‘i de la pl. XCIII, indique le siège du courage chez les carnassiers. Que l’on examine maintenant le crâne du renard, pl. XXXV, fig. i, du blaireau, pl XXVIII, fig. i, de la marte, pl. XXXVI, fig. 45 du putois, ici. pl., fig. 2, et l’on verra que chez tous ces animaux la région indiquée est très renflée. Le crâne représenté pl. XL, fig. i, est celui d’un chien que son maître fit tuer à cause des désagréments que lui causaient ses com- bats acharnés avec les animaux de son espèce. Le crâne placé au-dessous appartenait au contraire à un chien très lâche. Jamais animal ne fit preuve d’une poltronnerie égale à la sienne : le cri seul d’un petit roquet suffisait pour le faire fuir. Gall dit avoir observé que les chevaux qui ont les oreilles rapprochées sont toujours ombrageux et craintifs ; tandis que ceux, au contraire, qui ont les oreilles distantes à leur origine sont sûrs et courageux. Il est possible que ce fait soit vrai; mais je ne puis m’expliquer le rapport qui peut exister entre ce signe extérieur et le courage , dont Gall indique le siège, chez cet animal, dans un point où ne se rencontre pas de cerveau, (voir la pl. LXIV de son Atlas). Spurzheim a repro- duit la meme erreur en copiant le dessin de Gall. Ce médecin avait si peu étudié l’anatomie du crâne des animaux, qu’il place l’organe du courage chez le chien, sur le point d’inser- tion des muscles postérieurs du cou. (Voir la pl. VII de sa Phrénologie, 3e édition. Londres. ) 202 TRAITE y Chez ley ror*getp?s et Jes herbivores , l’organe du courage est placé immédiatement conduit auditif ; il ré- pond à la partie la plus externe de la portion écailleuse de l’os temporal, et à l’angle postérieur et inférieur de l’os pariétal. Cet organe est très prononcé chez le chevreuil, pl. XXVIT , le cochon cabiais, pl. XXXVII, fîg. 3. Pour bien apprécier le siège de l’organe du courage chez les oiseaux, il faut avoir fait une étude particulière du crâne de ces animaux appartenant à différentes classes. Je vais indiquer succinctement le résultat de mes observations, renvoyant à l’étude de la nature les personnes qui voudraient faire des recherches sur un très grand nombre d’oiseaux. Chez tous les oiseaux du genre corvus, et les oiseaux de proie proprement dits, l’os pariétal présente un grand dévelop- pement : sa partie qui représente l’angle postérieur et inférieur du pariétal de l’homme, recouvre la portion cérébrale affectée au courage; une portion de l’os temporal, celle qui se trouve appartenir à la partie la plus externe de la portion écailleuse, y répond aussi. Le n° 5 de la fig. 4 de la pl. XCIII, indique le siège de cet organe, qui est le même dans les deux classes d’oiseaux que je viens de citer. Sa position est encore la même chez la mésange tricolore, pl. XVI, fig i , Y étourneau id. pl., fig. 4 ? k roitelet, pl. LXVII, fig. 4 ? trois espèces d’oi- seaux remarquables par leur courage. Dans la cresserelle, pl. LIV, fig. 5, oiseau de proie très hardi et courageux , cette région est très développée. Il existe certaines espèces de granivores qui sont doués d’un courage assez remarquable pour que les hommes en aient fait un objet de spectacle: les combats de coqs, si communs de nos jours, ont été connus dès la plus haute antiquité; les DE PHRÉNOLOGIE. 203 Rhodiens les célébraient avec pompe : il en était de même chez les Athéniens. Buffon assure que ceux-ci employaient les cailles au même usage. Gall dit qua la première entrevue qu’il eut, pendant ses voyages, avec un amateur passionné de combats de coqs , celui-ci crut lui confier un secret en lui disant qu’il savait distinguer, à la seule vue, les braves champions d’avec les mau- vais combattants, et il lui désigna comme caractère, la lar- geur de la tête un peu en avant des oreilles. Gall donne ensuite la figure du crâne du coq de combat et celle du coq ordinaire. (Voir la pi. LX1V, de son Atlas.) Je n’ai aucune confiance dans ce que l’amateur de combats de coqs a pu dire à Gall, car les plumes qui recouvrent la tête du coq peuvent être un obstacle à saisir le vrai développement du crâne. Les deux dessins donnés par Gall ne servent en rien à faire reconnaître le développement de l’organe du courage, car ils ne sont qu’au trait. D’ailleurs il existe entre le crâne des oiseaux de la famille des gallinacés une différence d’organi- sation que Gall n’a pas indiquée et qu’il faut cependant connaître, si on veut apprécier le développement de l’organe du courage chez diverses espèces. J'ajouterai que dans cette classe d’animaux, et passé un certain âge, le crâne peut aug- menter d’épaisseur au point d’empêcher de saisir le déve- loppement de la partie cérébrale affectée au courage : on ne peut alors en avoir une juste idée qu’en examinant le cerveau. Il existe, ai-je dit, entre le crâne des gallinacés et ceux des oiseaux dont j’ai parlé précédemment, une différence d’orga- nisation assez remarquable, et sans la connaissance de la- quelle on ne peut préciser parfaitement le siège de l’organe du courage chez les oiseaux de cette classe. Je vais indiquer 204 traité par deux exemples, pris chez deux oiseaux appartenant à deux classes differentes, comment on peut arriver à reconnaî- tre extérieurement son vrai siège chez les gallinacés. Si l’on jette les yeux sur les deux bases de crâne représentées fîg. 3 et fig. 5, de la pl. i bis, on verra que dans la première qui appartient à un oiseau de proie, la buse, la cavité générale de la base du crâne présente plus détendue d’avant, en arrière, que la même cavité de la base du crâne de la fig. 5, qui est celle d’un granivore, la poule : à quoi tient cette différence ? à ce que chez l’oiseau de proie , le penchant à détruire étant plus considérable que chez le premier, l’organe du courage se trouve placé nécessairement plus en arrière. La lettre f, de la fig. 7, pl. LVI, indique la partie du crâne où répond l’organe du courage chez les granivores. Il en résulte que , lorsqu’on examine d’arrière en avant deux crânes de cette famille, l’un d’un individu très brave, et l’autre d’un poltron , chez le premier le diamètre du crâne d’un f à l’autre est plus considerable. Je ferai remarquer que, malgré l’aplatisse- ment qui se voit en f, chez ces oiseaux, on est surpris de voir que la partie cérébrale qui y répond se trouve souvent très renflée, notamment chez les vieux granivores où l’épaisseur des parois du crâne fait disparaître le parallélisme des deux tables. Sur le crâne d’une dinde dont j’ai étudié les mœurs? et qui se trouve représenté pl. LVII, fig 2, la région du cou- rage est très développée. Lorsqu’elleœonduisait ses petits, ou les poulets dont elle avait couvé les œufs, elle entrait en fureur et se battait contre tous les animaux de la basse-cour qui en approchaient de trop près. On retrouve la même région très saillante sur le crâne de la pintade, id. pl., fîg. 7 et 8. Le courage est une des facultés de conservation des espèces DE PHRÉNOLOGIE. 205 ]a plus fréquemment mise en jeu chez les animaux; elle est l’auxiliaire puissant d’une multitude de facultés. Les combats des hommes et des animaux pour la conservation de leurs propriétés, de leurs petits, etc, etc.; ceux que se livrent avec tant d’acharnement deux animaux dont l’un doit devenir la proie de l’autre, sont autant de preuves de l’existence et de l’emploi de cette faculté. Selon Gall, le défaut de développement du courage pro- duirait la poltronnerie ou la peur; c’est ce qu’il appelle faculté ou qualité négative. Spurzheim croit, au contraire, que la peur est une affection toute positive, résultant de l’extrême développement de la circonspection. Je ne crois pas avec Gall que la peur tienne au defaut de l’organe du courage : je la considère comme une affection de l’organe de la conser- vation, et non de la circonspection, comme le pense Spurzheim, car j’ai rencontré des gens très braves et très circonspects : il en est de même chez les oiseaux. Le corbeau et la cresserelle sont très circonspects, et cependant très courageux (i). § VI. Organe du choix des lieux. L’impulsion intérieure qui porte les animaux à choisir, de (i) Je ne rapporterai pas ici le passage dans lequel Gall cherche à prouver son opinion , car plusieurs de ses raisonnements ne m’ont paru que spécieux. TRAITÉ jiréPéfencè , telle ou tëlle place, a été assëz bien connue des anciens naturalistes: elle à même servi à Pline comme base de classification , puisqu’il divise les animaux en terrestres, aquatiques et aériens ; mais, loin de rattacher la prédilection des animaux pour certains lieux , aux facultés du système nerveux cérébral, il l’explique seulement par l’expression vague d’instinct. Si nous étudions avec soin les habitudes de plusieurs ani- maux, nous verrons que de très bonne heure et sans qu’aucune cause ait pu leur donner connaissance de l’avantage qui peut résulter pour eux de leur direction vers tel ou tel lieu, une force intérieure les y entraîne. La jeune chèvre aime à gravir sur les endroits montueux; le chamois, le bouquetin, l’isard autre espèce de chamois, se plaisent sur les sommets escarpés des AlpeS et des Pyrénées. A peine éclos, le jeune canard se dirige vers l’eau, nonobstant les cris et les transes de la poule sa mère adoptive. Le corbeau de la grosse espèce ne vit que dans les endroits solitaires ; le choucas habite ordi- nairement les clochers; le hibou et presque tous les oiseaux de proie nocturnes se logent préférablement dans les vieilles ruines ou les greniers. Sans la faculté du choix des lieux, beaucoup d’espèces, telles que les palmipèdes, et plusieurs autres appartenant aux oiseaux de rivage, auraient péri. La faculté du choix des lieux a fixé l’attention de Gall et de Spurzheim, bien que ces deux auteurs ne l’aient pas envi- sagée de la même manière. Comme je ne pourrais pas être bien entendu de mes lecteurs, quand il sera question de rectifier les erreurs que Gall a commises en cherchant à déterminer chez les animaux le siège de l’organe dont je fais maintenant l’histoire, je vais rapporter ici textuellement comment il dit DE PHRÉNOLOGIE. avoir été conduit à la découverte de cette faculté et au siège de son organe. Mes remarques ne s’adresseront pas à Spurzheim, qui n’a publié sur ce sujet aucunes recherches anatomiques ou physiologiques chez les animaux. « Après avoir donné mon attention à l’orgueil, comme qualité particulière, et à son organe chez l’homme, je voulus voir si mes observations se confirmeraient chez les animaux dont on a coutume de dire qu’ils sont fiers ; par exemple, des chevaux de race, du coq, du paon, etc. Je ne trouvai chez aucun d’eux un développement remarquable des parties cérébrales correspondantes à l’organe de l’orgueil chez l’homme; mais je trouvai bien un développement considérable de ces parties chez les animaux chez lesquels je n’aurais jamais songé à les chercher, c’est-à-dire chez ceux qui séjournent sur les hauteurs, sur les montagnes, et qui se tiennent volontiers dans le haut des airs, chez le chevreuil, le chamois, le bouquetin, chez certaines espèces d’aigles et de faucons; et ce qui me frappa le plus, la partie cérébrale en question était d’autant plus développée , et la proéminence alongée d’autant plus saillante, que ces animaux ont leur demeure habituelle sur des lieux plus élevés. » Je pense avec Spurzheim, que Gall a eu tort de confondre l’orgueil dans l’espèce humaine, avec la faculté qui porte les quadrupèdes à gravir sur les montagnes, ou les oiseaux à s’élever à une grande hauteur dans l’air. Si Gall avait étudié avec plus de soin l’anatomie du cerveau des animaux, il n’eût certainement pas confondu des organes aussi distincts. D’un autre coté, si Spurzheim s’était livré à l’étude de l’ana- tomie et de la physiologie comparées, il n’eût pas répété avec Gall que les animaux qui s’élèvent très haut dans l’air, ou qui 207 208 traité habitent les montagnes, ont la région en question plus développée que ceux qui habitent les contrées bases ; ce qui n’est pas géné- ralement vrai, comme je vais le démontrer. J’admets bien que la faculté du choix des lieux est fondamentale, et se trouve con- séquemment affectée à une partie du système nerveux cérébral ; mais je ne crois pas qu elle ait été donnée aux animaux dans le seul but de faire de ces lieux leur habitation, ainsi que le donne- rait à penser l’expression (habitativité) employée par Spurzheim. Je crois que les animaux l’ont reçue pour satisfaire au besoin de plusieurs facultés , telle que la recherche de leur nourriture, de leur demeure , de l’endroit le plus convenable pour placer leur nid , etc., etc. Comme tout ce qui se rattache au siège de cet organe chez les animaux a été traité par Gall d’une manière tout-à-fait inexacte, soit chez l’homme, soit chez les animaux, je ne rapporterai pas ici ce qu’il en a dit, du moins chez les animaux. Je ferai seule- ment remarquer que la région considérée par Spurzheim comme le siège de l’habitativité, est celle qui se trouve indiquée par le n° 6 de la fig. i de la pl. LXXXIX. Cette partie cérébrale est en blanc dans les planches de Gall : c’est à la partie cérébrale placée au- dessus, n° 35, organe de l’orgueil, qu’il attribuait chez l’homme la faculté d’habiter préférablement les lieux élevés. Tout ce que Gall a dit pour soutenir son opinion sur ce point, ne m’a paru que spécieux. Je crois donc que Spurzheim a réellement raison d’attribuer les actes qui résultent de l’orgueil et ceux qui portent les hommes à choisir de préférence des lieux élevés, à deux fa- cultés tout-à-fait distinctes. Je passe maintenant au siège de l’organe du choix des lieux chez les animaux. Je commencerai par les oiseaux. En jetant les yeux sur la fig. 5 de la pl. LVI, qui représente le crâne de la sarcelle DE PHRENOLOGIE. 209 vu en arrière, on remarque sur la ligne médiane deux éminences oblongues, ayant à peu près la forme d’un pépin de prune, dont l’extrémité la plus large se trouve dirigée en arrière d, d, k, k ; cette partie du crâne répond, selon moi, à l’organe qui porte les animaux à choisir tel ou tel lieu, soit que ces animaux vivent dans fair, à la surface du globe, sur les montagnes, ou dans l’eau. La forme extérieure du crâne, dans l’espèce que je viens de citer, est absolument conforme à celle de l’organe ; ce qui s’explique très bien par le peu d’épaisseur des parois du crâne de cet oiseau. Plus il devient nécessaire pour l’animal d'être poussé par une force intérieure vers telle ou telle place, et plus cet organe se trouve apparent; voilà sans doute pourquoi il est énorme chez les macreuses, oiseaux qui quittent rarement la mer. Voir la pl. LU, fig. 2 et 3 (i). Il en est de même chez tous les palmipèdes notamment dans les canards, les oies, les cygnes. Voir la pl. LXXII, représentant les cerveaux de plusieurs canards sauvages. On voit par les faits que je viens de citer, combien est peu fondée l’opinion de Gall et de Spurzheim, qui prétendaient que plus les oiseaux avaient de tendance à s’élever dans l’air, et plus cet organe était prononcé. S’il en était ainsi, les macreuses, qui vivent toujours dans l’eau, devraient l’avoir moins développé que l’aigle ou le faucon; et c’est cependant le contraire qui a lieu. Chez les quadrupèdes, la forme de la portion cérébrale que je viens d’indiquer, n’est pas constante. Il existe cependant une es- pèce chez qui j’ai trouvé, quant à la forme, le même aspect que chez les canards ; c’est le chevreuil. Comme il existe ici une plus (i) Dans les premieres planches publiées, le graveur a oublié une h, de manière qu’elle est seulement marquée II. 210 TRAITE grande épaisseur du crâne que chez les oiseaux, on ne pourra avoir une juste idée de l’organe et de sa vraie forme, qu’après avoirscié horizontalement le crâne de cet animal. Une fois cette opération faite, si l’on examine la voûte à l’intérieur, on trouvera deux dé- pressions ressemblant assez, pour la forme, aux deux saillies qu’on vient de remarquer à la surface du crâne de la sarcelle : elles vont se terminer en pointe à la partie supérieure de la suture frontale. Le nombre 12 de la fîg. 1 représentant le cerveau du chat, pl. lxx y, est précisément placé sur la portion cérébrale affectée au choix des lieux. Lorsque cette partie est très développée, elle sou- lève la partie postérieure et moyenne du bord interne des parié- taux.Quelquefois, ainsi que cela a lieu dans le chevreuil, la portion la plus large et la plus renflée se trouve séparée de l’autre, mais seulement à l’extérieur du crâne, par une légère dépression. § VIL Organe forçant une faculté à continuer son action. Après avoir comparé un assez grand nombre de crânes de per- sonnes ayant un caractère orgueilleux bien prononcé , j’ai pu me convaincre que Gall et Spurzbeim ont placé l’organe de cette faculté trop en arrière, ou du moins qu’une grande portion de la circonvolution qui le constitue, c’est-â-dire environ les deux tiers postérieurs, appartiendrait à un autre organe. Il résulte de mes remarques, que l’intervalle placé entre l’orgueil et rattache- ment pour la progéniture, présente plus d’espace que Gall ne lui en attribuait, et qu’il existe là deux organes distincts, l’un su- périeur, n° 6, et l’autre inférieur, n° 7, pl. LXXXIX, fig. 2. La DE PHRÉNOLOGIE. 211 première région occupe, comme on le voit, Tangle postérieur et supérieur des pariétaux, et l’autre l’angle supérieur de l’os occi- pital. Quand ce dernier est très développé , il soulève un peu la partie la plus reculée de l’angle postérieur et supérieur des parié- taux. La remarque anatomique que je viens de faire connaître, et dont personne avant moi n’avait parlé, pourra jeter, ce me semble, quelque jour sur une espèce de polémique qui s’est éle- vée entre le docteur Spurzheim et M. Georges Combe, et dans laquelle ce dernier a fait preuve de beaucoup de talent. Il s’agi- rait d’une nouvelle faculté, qui , selon M. Combe, aurait pour usage de concentrer notre esprit sur tel ou tel sujet : cepen- dant il croit que sa sphère d’action pourrait s’étendre plus loin, et que le choix des lieux ou de l’habitation de Spurzheim appar- tiendrait à la même faculté. Après avoir lu les observations de M. Combe et les objections qui lui ont été adressées par Spur- zheim, il m’a été démontré que les raisonnements de Spurzheim ne détruisaient en rien les observations de M. Combe. Seule- ment je ne pense pas, avec ce dernier, que la faculté de choisir les lieux, et celle de concentrer son esprit sur tel ou tel sujet, dépendent du même organe; mais que toutes deux ont des orga- nes distincts, le premier répondant au n° 6, et le second beau- coup plus bas, n° 7. Celui-ci serait, selon moi, l’organe auquel M. Combe donne le nom de coneentrativité. Il assure avoir trouvé cet organe très prononcé chez toutes les personnes capables d’ar- rêter long-temps leur esprit sur un sujet. Je copie ici textuelle- ment ce qu’il dit à ce sujet (1). « Quelques personnes possèdent (i) Je ne rapporte pas ici les observations de M. Combe et les objections de Spur- zh eim. On peut consulter à cet égard l’ouvrage de M. Combe, 3e édition. 212 TH AIT E naturellement la conscience de chaque chose qui se passe dans leur esprit, tandis que d’autres paraissent manquer de cette (acuité. Les premières peuvent fixer leurs sentiments, et exami- ner facilement leur caractère et leur liaison. Les autres ne le peuvent faire. Leur esprit est comme la surface d’un miroir sur lequel chaque sensation, chaque pensée parait comme l’ombre d’un objet en mouvement, produisant une légère impression et disparaissant ensuite. Elles éprouvent une grande difficulté à fixer leurs émotions et leurs idées, de manière à pouvoir les examiner et les comparer, et sont peu capables en conséquence d’avoir une vue systématique d’un sujet, et de concentrer leurs pouvoirs vers un point. J’ai observé cet organe, large chez les premières, et petit chez les dernières (i). Je suis d’autant plus disposé à admettre les idées de M. Combe sur la faculté en question, mais en la renfermant dans une autre limite que celle qu’il lui accorde, que mes recherches en ana- tomie comparée viennent lui donner une nouvelle évidence. Bien long-temps avant M. Combe, j’avais fixé, comme on va le voir, mon attention sur cette faculté; seulement je croyais quelle ne se rencontrait que chez les animaux, tandis que je suis maintenant disposé à croire qu elle se trouve aussi chez l’homme. Un jour que je m’entretenais avec un chasseur sur les facultés les plus saillantes des chiens employés à la chasse, il me de- manda à quelle faculté il fallait rapporter celle qui distingue le chien d’arrêt, et par là, il entendait, ainsi que moi, la faculté que possède cet animal de s’arrêter court lorsqu’il a découvert le gibier. Ma réponse fut que cette conduite du chien tenait à (i) Lib. cit., page i83. DE PHRÉNOEOG1E. 213 l’éducation qu’il avait reçue. Cependant, sur la remarque que beaucoup de chiens se mettaient naturellement en arrêt sans aucune éducation préalable, et qu’il existait certaines espèces qui ne pouvaient être dressées à ce genre d’exercice, je pensai que cette disposition tenait à une organisation particulière que l’édu- cation pouvait développer. En étudiant la conduite de plusieurs animaux, je trouvai que cette faculté était en quelque sorte commune à toutes les espèces, bien que plusieurs la possédassent dans un degré plus remarquable. Ainsi, j’avais vu des chats, des renards, présenter, en allant à la recherche de leur proie, tous les caractères du chien d’arrêt. J’aperçus un jour dans un jardin placé au-dessous de ma fenêtre, un chat qui guettait un moi- neau : son corps était alongé, la tête portée en haut et en avant, et sans les mouvements de sa queue, je l’aurais pris pour un chat empaillé. L’examen du crâne de deux chiens d’arrêt que je possédais dans ma collection, celui des crânes de la marte, du chat et du renard, chez qui j’avais cru rencontrer des dispositions sembla- bles, ne me furent, pour le moment, d’aucune utilité : ce fut par les habitudes de quelques oiseaux et l’examen de leurs crânes, que je parvins à découvrir cette faculté et à préciser son siège. J’ai toujours eu l’habitude d’ouvrir l’estomac de tous les oi- seaux que je recevais : en agissant ainsi, j’avais sur-tout en vue de connaître quelles étaient les substances qui composaient leur nourriture. Un jour je trouvai dans le pharynx et l’estomac du grèbe cornu (colymbus cristatus) (i), plusieurs petits poissons, (i) Le grèbe est un très bel oiseau aquatique : on emploie les plumes de son ventre, qui ont l’éclat de l’argent, pour faire des palatines et des manchons. 214 TRAITE connus en Normandie sous Je nom de dards. (Voir son crâne re- présenté pl. LU, fig. I.) Comment se fait-il, me disais-je, que cet oiseau puisse saisir un poisson dans un milieu tel que l’eau, où le plus léger mouvement suffit pour le soustraire à son avidité? Il faut pour arriver là une ruse et une circonspection incroyables. Comme c’était le premier crâne de grèbe que je voyais, sa con- formation singulière me frappa : car, bien qu’il présentations beaucoup de rapports, quelque analogie avec ceux des autres espèces que je possédais alors (1819), il en différait assez sous d’autres. Ce qui fixait particulièrement mon attention, c’était non- seulement le développement remarquable de la partie antérieure du frontal, mais encore celui des régions situées sur les parties latérales du cervelet.En 1821, jeme procurai un petit cormoran: en ouvrant son estomac, j’y trouvai, comme dans le grèbe, une multitude de poissons- mais une disposition particulière du crâne me frappa : c’était le rapport de conformation entre le crâne de ces deux oiseaux. Ici, comme on le voitpl. LV, fîg. 1, les parties situées sur les cotés du cervelet se trouvaient aussi très renflées ; ses parties latérales l’étaient sur-tout d’une manière re- marquable. Comme je possédais alors plus de sept cents crânes d’oiseaux, je réunis et comparai ensemble tous ceux qui me pré- sentaient un caractère semblable à celui que j’avais d’abord observé chez le grèbe. Je vis avec satisfaction que tous ceux qui appartenaient aux oiseaux qui ont l’habitude de fixer leur proie long-temps ou avec infiniment d’attention, étaient précisé- ment ceux qui me présentaient ce mode de conformation, quelle que fût la classe à laquelle ils appartinssent : voici les noms et les dessins des crânes des oiseaux chez qui je rencontrai cette organisation : i° le grèbe, pl. LU, fîg, 1; 20 le grand et le petit cormoran, pl. LV , fîg. 1 et 5; 3° le héron bleu, le héron étoilé. DE PHRÉNOLOGIE. 215 et l’aigrette, id. pl., fig. 2, 3 et 4- Je retrouvai la meme confor- mation chez le guillemot, pl. LIX, fig. 7 ; chez les hirondelles de 111er, pl. LIV, fig. 2 > 4 et 5; chez le martin pécheur, id. pl., fig. r. Si j’examinais tous ces crânes après les avoir placés sur une table, et de manière à être vus en arrière, j’étais surpris de leur ressemblance dans un point ( 1 ) , bien qu’ils différassent assez sur tous les autres. Je fus donc conduit à considérer comme fondamentale la faculté particulière de pouvoir arrêter long-temps leur attention sur un objet, que possédaient cer- tains animaux, tels que le chien d’arrêt, le renard, le chat chez les quadrupèdes; le grèbe, les cormorans, le martin pêcheur chez les oiseaux. La circonvolution marquée sur le cerveau de la marte, pl. LXXV, fig 7, et toute la portion de circonvo- lution placée après le n° 12, sur le cerveau du chat, id. pl., fig. 2, est celle que je considère comme affectée à la faculté en question. J’ai trouvé cette région bien saillante à l’extérieur du crâne du renard ; elle l’est beaucoup moins sur le blaireau; elle est très prononcée sur le crâne d’un chien de chasse qui m’a été donné par le docteur Gaubert, et sur quatre crânes d’excellents chiens d’arrêt qui font partie de ma collection. S'il existe, comme je suis très disposé à le croire , un organe semblable chez l’homme, il doit, selon moi, occuper la portion de l’angle supérieur de l’occipital n° 7, pl. LXXXIX, fig. 2; et la région placée au-dessus (6) serait l’organe qui préside au choix des places. C’est maintenant à des expériences répétées un grand nom- bre de fois sur des personnes dont les habitudes seront bien (l) Voir la fig. 3 de la pl. XCIII, n° 7. 216 TRAITÉ connues à venir confirmer, dans l'espèce humaine, la démons- tration de la coïncidence constante du développement de la partie cérébrale avec les qualités que M. George Combe lui attribue. Quant aux animaux, je la considère comme à peu près démontrée, (i) § VIH. Organe de l’attachement à vie, ou mariage. L attachement pour la vie ou le mariage tient-il à une faculté spéciale ? N’est-il que le résultat de l’action de plusieurs, ou la modification d’une seule faculté, celle de l’attachement par exemple, dont je parlerai plus loin ? Une étude approfondie de l’organisation du système nerveux cérébral des animaux et de leurs mœurs, peut seule jeter du jour sur cette question. Si nous suivons de près la conduite des animaux sauvages, nous verrons que chez quelques espèces, les mâles, après avoir satisfait le penchant à la propagation, se séparent de leurs femelles, soit pour aller en féconder d’autres, vivre dans l’état de solitude, ou se réunir à plusieurs individus semblables et de (i) J’engage mes lecteurs à lire ce que M. Combe a dit sur cette faculté chez l’homme. Ses remarques m’ont paru dignes de fixer l’attention des phrénologistes. Je les aurais consignées entièrement dans ce volume, si je ne m’étais pas vu forcé de me renfermer dans certaines limites. DE PHRENOLOGIE. 217 même sexe. C’est ce que nous voyons chez les sangliers, les loups et les cerfs. D’autres espèces, au contraire , vivent constamment dans l’état de mariage, tels sont le renard, les martes, les chevreuils, chez les quadrupèdes; les corbeaux , les geais, les pies, les hirondelles, les moineaux, chez les oiseaux. Gall, tout en paraissant disposé à croire que l’attachement à vie dépendait d’une organisation particulière, n’a pas éclairci ce sujet par des exemples puisés dans l’anatomie comparée. Il n’a rien dit non plus de cette faculté chez l’homme. Spurzheim pense que le mariage n’est qu’une modification de la faculté de rattachement; que l’instinct de vivre en société et celui de vivre en famille ne sont que des modifications propres et particulières dans leur nature : de la même manière que le goût pour les végétaux ou la viande est une modification de l’odorat et du goût dans les animaux herbivores et car- nivores. Ces observations de Spurzheim ne sont que spécieuses, et se trouvent détruites par l’étude des mœurs de certaines espèces. Je ne pense pas que le mariage à vie ne soit qu’une modification de rattachement : il me paraît avoir tous les caractères d’une faculté fondamentale. Il m’est bien démontré qu’un animal peut avoir infiniment d’attachement , et cependant ne pas vivre dans l’état de mariage. Le chien est un exemple frappant a l’appui de mon assertion. Les loups vivent souvent en troupes et ne vivent pas dans l’état de mariage. Les cerfs sont dans le même cas. Le renard, bien qu’élevé très jeune, ne s attache à per- sonne; cependant il s’unit à sa femelle pour la vie. Il nest donc pas vrai que là oû le mariage existe, on rencontre de l’attache- ment; ce qui devrait cependant avoir lieu, s'il n’était, comme le soutient Spurzheim, qu’une modification de cette faculté. 218 traité Gall n’a pas, selon moi, donné une solution plus satisfaisante sur la question qui nous occupe, en disant: « Si je pouvais avoir pleine confiance dans mes connaissances en histoire naturelle , j émettrais, de mon côté, une opinion. 11 me parait que dans toutes les espèces où le mâle et la femelle concourent l’un et l’autre à soigner les petits, il y a mariage pour la vie ; que dans les espèces , au contraire, où le mâle se contente de procréer les petits, sans concourir en rien à leur éducation, la première femelle venue lui sert à satisfaire ses désirs, et que le but essentiel de la nature se trouve rempli sans le lien du mariage. » (i) Cette observation de Gall ne résout en aucune manière la question. D’abord il n’est pas vrai, comme il le dit, que dans les espèces où la femelle donne des soins aux petits conjoin- tement avec le mâle, il y ait constamment mariage. Le chevreuil qui est attaché à sa femelle pour la vie, ne s’occupe en aucune manière du soin des petits. Gall dit que cet animal défend sa famille contre ses ennemis: je ne nie pas le fait; mais je ne pense pas qu’il faille attribuer sa conduite , dans ce cas, à la faculté de l’attachement, pour les petits. En supposant même, ce qui cependant n’est pas démontré, que dans certaines espèces où le mariage existe, le mâle et la femelle donnent alternative- ment des soins à leurs petits, cela ne prouve en aucune manière que ces deux facultés ne sont pas distinctes : l’une me paraît tout-à-fait différente de l’autre, puisque son action a lieu long- temps après que les petits sont séparés de leurs parents. L’expli- cation de Gall n’en est donc pas une. Spurzheim croit que c’est (0 Db. oit, ; 4 yol. in-80., page i85. DE PHRÉNOLOGIE. 219 l'attachement et l’amitié que le mâle et la femelle ont l’un pour l’autre, qui les déterminent à ne point se quitter après que l’instinct de la propagation est satisfait, et à rester unis, meme hors du temps des amours (1). JN’est-ce pas dire d’une autre manière, existe chez certaines espèces une sorte d’attache- ment qui les porte à rester unis pour la vie ? et d’après les observations que j’ai fait connaître précédemment, n’est-on pas forcé de convenir que ce n’est pas à l’attachement propre- ment dit qu’il faut attribuer une pareille conduite ? Gall ne paraît pas disposé à considérer comme une faculté propre à l’homme, celle de l’union pour la vie; ou du moins il paraît la considérer comme une modification de l’organe de rattachement, et non comme une faculté fondamentale parti- culière. Il existe, dit-il, des hommes et des femmes qui, sans cause extérieure accidentelle, ont de l’aversion pour le mariage. Si l’on pouvait lire au fond de leur cœur, on y trouverait peut- être le mot de l’énigme. De telles personnes sont-elles incapa- bles d’attachement ou d’amitié ? craignent-elles les charges qu’impose une famille ? (2) On voit que ce langage de Gall est très vague, et qu’il est seulement présenté sous forme de doute. Plus j’ai étudié la conduite des hommes et celle de plusieurs espèces d’animaux, et plus je suis demeuré convaincu que le penchant qui porte à s’attacher à une compagne pour la vie, était le résultat d’une faculté fondamentale. Quelques observations que j’ai faites dans l’espèce humaine, et celles plus nombreuses (1) Lib. cit., 3e édition. (2) Vol. 4e édit., in-8°, page 487. 220 TRAITE que j’ai recueillies chez les animaux, mont mis clans le cas de préciser le siège de cet organe chez l’homme et les animaux. Avant d’indiquer sur le cerveau et sur le crâne l’endroit ou il se trouve, je dois entrer dans quelques détails anatomiques. La région de l’attachement pour les petits, telle quelle est circonscrite dans les ouvrages ou sur les bustes que les phréno- logistes ont entre les mains, occupe un espace trop étendu, et contient deux parties cérébrales distinctes, l’une placée à la partie moyenne, n°n, pl. LXXXYIII, fig. 2, l’autre, n° 8, située plus latéralement et en dehors. La première me paraît être le siège de l’organe de l’attachement pour les petits, l’autre celle de rattachement à vie ou du mariage. J’ai déjà trouvé cette der" nière région assez développée chez deux personnes qui avaient manifesté de très bonne heure le désir de s’unir à une autre, et sans y être entraînées par d’autres motifs que ceux qui occa- sioned les quatre cinquièmes des mariages. J’ai trouvé au contraire la même région peu saillante chez des personnes qui avaient naturellement de la répugnance pour le mariage. Comme quelques observations ne suffisent pas pour établir une certitude, j’engage les phrénologistes qui sont à même de faire de nombreuses observations, à voir si de nouveaux faits bien observés viendraient confirmer mes remarques. Les quadrumanes exceptés, ce n’est pas dans la région de l’os occipital qu’il faut chercher le siège de l’organe qui porte les animaux à s’unir pour la vie. On doit se rappeler que j’ai insisté sur ce point d’anatomie, à l’occasion de la description de Foccipital des quadrupèdes et des oiseaux : chez les premiers il est entièrement rempli par le cervelet, chez les seconds il loge le cervelet et une grande partie de l’appareil acoustique. C’est donc dans la région pariétale postérieure que nous devons DE PHRENOLOGIE. 221 chercher, dans ces deux classes, l’organe en question et son siege. J’ai comparé avec soin le crâne et le cerveau des espèces d’oiseaux bien connues pour vivre dans l’état de mariage, et ceux des espèces qui vivent séparées de leur femelle après la fécondation. Voici la différence remarquable que j’ai cru obser- ver entre eux. La partie du crâne répondant à la partie moyenne du bord postérieur de l’hémisphère cérébral n° 8, pl. XCIII, fig. 3, est très saillante chez tous les oiseaux qui vivent dans l’état de mariage. Voici quels sont les crânes et les cerveaux qui m’ont présenté ce mode d’organisation bien appa- rent: la buse, pl. LXIX, fîg. 2; le grand corbeau, pl. LIX, fig. 1 ; la grande chouette, pl. LXI, fig. 2 ; la corneille mantelée, pl. XLIV, fig. 3; la pie, id. pl., fig. 4 ; la corneille des clochers, id. pl., fig. 5. Les cerveaux de la corneille mantelée, de la grande chouette et de la buse, se trouvent représentés, pl. LXX III, fig. 1, id. pl., fig. 5, et pl. LXX , fig. 4- On doit remar- quer que chez ces trois espèces, qui vivent dans l’état de mariage, l’hémisphère cérébral est non-seulement très renflé et très arrondi vers son bord postérieur, mais qu’il se prolonge encore sur le tubercule bijumeau d’une manière sensible. Un autre fait que je dois signaler, c’est que si l’on remarque l’étendue du bord postérieur de l’hémisphère cérébral . à partir du point où il touche l’autre jusqu’au bord externe, ce bord est bien plus développé ici que chez les espèces qui ne sont pas mariées pour la vie. On peut comparer à cet égard le cerveau de l’oie domes- tique, pl. LXX, fig. 2, avec celui de la buse,ù/. pl., fig. 4; on peut encore comparer la région (8), chez le corbeau, pl. XCIII, fig. 3, avec la meme région chez le dinde, pl. LVII, fig. 4? et chez la poule, id. pl.,fig. 1. Avec un peu d’attention on trouvera que la différence est bien saillante. J’engage les 222 TIIA LTE personnes qui possèdent une collection de crânes d’animaux , a placer l’un près de i autre le crâne d’un dinde et celui d’une corneille mantelée; elles seront aussitôt frappées de la différence que je viens d’indiquer : chez le dinde, toute cette partie est déprimée; chez la corneille mantelée, au contraire, elle est pleine et arrondie. La partie cérébrale affectée à l’attachement à vie chez les quadrupèdes, est celle qui se trouve située derrière et en dehors du n° 11, fig. 7, pl. LXXV. Que l’on compare deux cerveaux ayant à peu près le même volume et de la même classe, celui que je viens d’indiquer, par exemple, et qui est celui d’un animal qui vit dans l’état de mariage, la marte, avec celui du chat, qui vit dans un état opposé, id. pî., fig. 1, et l’on verra que chez le premier la circonvolution 10 ne se prolonge pas autant en arrière et couvre bien moins le cervelet. La circonvolution 10, chez le chat, est celle qui est affectée à l’at- tachement pour les petits. Chez tous les animaux qui vivent dans l’état de mariage, celte circonvolution s’étend davantage en arrière. J’ai trouvé cette disposition bien exprimée sur le cerveau du blaireau, du renard, du putois, de la marte et de la belette, tous animaux qui vivent dans l’état de mariage. On peut comparer sous ce rapport le cerveau du blaireau avec celui du chien, pl. LXXX, La même partie m’a paru peu dé- veloppée chez les lapins , les lièvres, les cabiais. On peut encore comparer pour la différence de développement de Tor- gane en question, le cerveau de la belette qui vit dans l’état de mariage, avec celui du cabiais qui n’a aucun attachement durable pour sa femelle, pl. LXXIV, fig. 5 et fig. 1. Avant de terminer l’histoire de la faculté qui porte l’homme et les animaux à s’unir pour la vie, je ne puis passer sous silence DE PHRENOLOGIE. 223 quelques remarques qui sembleraient en apparence combattre l’opinion que je viens d’émettre. On assure, et Gall lui-mème raconte le fait, que des chats sauvages et des loups avaient vécu ensemble dans l’état de mariage. En supposant que cette obser- vation soit vraie , je ne crois pas qu elle puisse détruire l’opinion que l’attachement à vie soit seulement le caractère de quelques espèces, et conséquemment une faculté fondamentale. De ce que l’on aura vu un loup ou un chat, qui ne vivent point ha- bituellement dans l’état de mariage , être toujours ensemble, il ne faut pas, ce me semble, en conclure que ce soit-là l’état ordi- naire de ces animaux. Il n’est pas surprenant que vivant isolés, deux animaux de même espèce s’attachent au point de rester ensemble : mais pour que cette observation eût été concluante, il eût fallu que le loup et le chat sauvage eussent vécu dans l’état de mariage, bien qu’entourés de plusieurs animaux de la même espèce. § ix. Attachement. Je ne m’appesantirai pas beaucoup sur cette faculté, dont l’existence est trop bien prouvée pour avoir besoin de démons- tration. Ses caractères me paraissent aussi trop tranchés pour qu elle soit confondue avec une autre. Des milliers d’oiseaux vivent par troupes avant ou après l’accouplement. Presque tous les oiseaux de passage voyagent 224 TRAITÉ en bandes plus ou moins nombreuses. Chez les quadrupèdes, nous voyons beaucoup d’espèces vivre en compagnie, tels sont les singes, les chevaux sauvages, les cerfs, les chevreuils; d’au- tres, au contraire, ne vivent que par couple : les renards, les blaireaux, les martes sont dans ce cas. L’homme est un animal éminemment organisé pour vivre en société. Indépendamment du penchant naturel qui le porte à s’attacher à ses semblables, il possède d’autres facultés qui ne peuvent se développer que dans leur commerce. Combien de facultés eussent été peu connues ou peu énergiques, si les hommes qui les possédaient n’avaient pas trouvé dans la so- ciété de ceux qui les entourent de puissants excitants ? En laissant à part ce pêle-mêle d’intérêt qui en impose sou- vent aux hommes et leur fait prendre le change dans beau- coup de cas, on ne peut s’empêcher d’admettre qu’il existe chez eux des différences frappantes dans leurs relations. Il en est, et j’en connais plusieurs, qui ne s’attachent à personne, ou qui sont d’une tiédeur étonnante en amitié. D’autres, au contraire, se font remarquer par un attachement que la mau- vaise fortune ne fait pas toujours disparaître. Ces cas cependant sont assez rares. J’ai la conviction qu’il existerait plus d’atta- chement entre les hommes, si mille circonstances extérieures, telles que le torrent du monde et des passions, ne venaient les distraire d’un penchant qui leur est si naturel. Rien ne contri- bue plus à fortifier l’amitié que l’habitude de vivre long-temps ensemble et dans la retraite; rien ne la diminue plus au con- traire que l’éloignement et la dissipation. Souvent deux individus naturellement disposés à s’attacher l’un à l’autre, deviendront ennemis, par cela même qu’ils parcourront la même carrière : avec deux professions différentes ils eussent été inséparables. DE PHRENOLOGIE. 225 On sait qu’il en est de certains peuples comme des individus. Il existe chez quelques-uns une disposition assez saillante pour former un des traits du caractère national : les Suisses sont généralement très attachés à leur pays. Je n’en ai pas rencon- tré un seul qui ne m’en parlât avec plaisir , souvent même avec attendrissement. On sait qu’il était défendu aux régiments Suisses de jouer le rans-des-vaches, sorte d’air qui, en leur rappelant le pays natal, produisait la nostalgie. Je me rappelle avoir vu mourir à l’hôpital de Caen un jeune soldat Suisse, dont la maladie ne présenta d’autres caractères qu’un dépéris- sement journalier, évidemment occasioné par le regret d’a- voir quitté sa famille et son pays, dont il s’entretint jusqu’au dernier soupir. Peu de temps après, un Italien mourut avec les mêmes symptômes. La faculté de l’attachement devait être bien prononcée chez le philosophe Montaigne, car jamais homme n’a peint ce sen- timent avec des couleurs plus vives et plus vraies. On voit, en le lisant, que personne n’avait plus que lui goûté les charmes et les douceurs d’une amitié sincère. Je souhaiterais, dit-il, parler à des gens qui eussent essayé ce que je dis : mais sachant combien c’est chose éloignée du commun usage qu’une telle amitié, et combien elle est rare , je ne m’attends pas d’en trou- ver aucun bon juge ; car les discours mêmes que l’antiquité nous a laissés sur ce sujet, me semblent lâches au prix du sentiment que j’en ai ; et en ce point les effets surpassent les préceptes mêmes de la philosophie. « Si on me presse, continue-t-il, de dire pourquoy ie l’aimais (la Béotie ami de Montaigne ), je sens que cela ne se peut exprimer qu’en respondant : parce que c’estait luy, parce que c’estait moy. Il y a au-delà de tout mon discours, et de ce que i’en puis dire particulièrement, ie ne TRAITÉ sçais quelle force inexplicable et fatale , médiatrice de celle union. Nous nous cherchions avant que de nous estre veus, et par des rapports que nous oyons l’un de l’aultre, qui faisoient en nostre affection plus d’effort que ne porte la raison des rapports; ie crois par quelque ordonnance du ciel, nous nous embrassions par nos noms : et à notre première rencontre , qui feut par hazard en une grande leste et compagnie de ville , nous nous trouvasmes si prins, si cogneus , si obligés entre nous, que rien, dès lors, ne nous feut si proche que i un à l’aultre. Au demourant, ce que nous appelons ordinai- rement amis et amitiez, ce ne sont qu’accointances et fami- liaritez nouées par quelque occasion ou commodité , par ie moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié , de quoy ie parle , elles se meslent et confondent l’une en l’autre d’un meslange si universel, quelles effacent et ne retrouvent plus la cousture qui les a iointes (i). » Je ne rapporterai pas ici tout ce que Montaigne dit sur l’amitié : son vieux langage, loin d’affaiblir ses pensées, leur donne dans cette occasion plus de charme et plus de force. Il n’est pas rare de rencontrer dans le monde des personnes entièrement étrangères aux plaisirs de l’amitié. Quand à ce dé- faut, se trouvent réunis la faculté de conservation, celle qui préside au choix des aliments, et le désir de posséder, dans un haut degré de développement, il en résulte un caractère pro- fondément égoïste. Le développement considérable de quelques facultés commu- nes à l’homme et aux animaux n’exclut pas celle de l’attache- (i) Montaigne, livre XXVII. DE PHRÉNOLOGIE. ment : c est là ce qui explique pourquoi des hommes très dépra- vés ont cependant fait preuve de beaucoup d’attachement. Gall cite l’histoire d’un voleur de grand chemin qui se pendit afin de ne pas être forcé de trahir ses complices, et il attribue cette conduite à l’attachement. Il n’est pas impossible que l’attache- ment de cet homme pour ses compagnons ait entré pour quel- que chose dans sa conduite; mais je ne pense pas qu’il en ait été la seule et unique cause. Souvent la fermeté est très dévelop- pée chez les grands scélérats, et cette faculté seule pourrait donner lieu au même résultat. Chez d’autres, la vanité pourrait produire le même effet. Les observations que j’ai faites sur le crâne de plusieurs per- sonnes remarquables par leur attachement, m’ont appris que Gall et Spurzheim avait placé le siège de l’organe de cette fa- culté trop en dedans et trop haut. Sa véritable place me paraît être celle que j’ai indiquée par le n° 9, pl. LXXXYII, fig. 2; cette région est généralement plus développée chez la femme que chez l’homme; elle l’est aussi dans un degré remarquable chez les Nègres. Le crâne représenté fig. 1 , pl. GXIY, la présente dans un haut degré de développement; c’est celui d’un Calmouck faisant partie de la collection de Gall. Cet homme ne cessa durant toute sa vie de donner des preuves d’attachement à ses maîtres. Chez les singes, la place de l’organe de l’attachement est abso- lument la même que chez l’homme. J’ai trouvé cette région très développée sur tous les crânes de singes qui font partie de ma collection. Chez les oiseaux capables de s’attacher aux personnes, ou qui vivent en société, la région 9, pl. XCIII, fig. 3, que je considéré comme celle qui répond à l’organe de l’attachement, est ordi- TRAITÉ nairement très apparente. Que l’on examine maintenant les crânes de la corneille mantelée, pl. XLIV , fig. 3; du choucas, id. pl., fig. 5 ; de la pie, id. pl., fig. 4; de l’oie, pl., Ll, hg. i et 2; de l’étourneau, pl. XLYI, fig. 4î du geai, pl. LXVIII, fig. 1, et l’on trouvera que chez tous, cette partie est assez renflée. Elle est sur-tout très apparente sur le cerveau de l oie domestique. Les observations et les recherches que j’ai faites sur cet oiseau m’ont prouvé non-seulement qu’il aime à vivre en troupe , mais qu’il est très capable de s’attacher aux personnes qu’il affectionne. J’ai rapporté dans le Mémoire que je présentai à l’Institut de France, l’histoire d’une oie qui s'était attachée singulièrement à un fermier dont j'étais le médecin ; cet animal le suivait par- tout : un jour il vint le trouver jusque chez un de ces amis qui demeurait à plus de deux cents pas de chez lui. Les perroquets sont ordinairement très susceptibles d’attache- ment. Je possède dans ma collection le crâne d’un petit perro- quet appartenant à l’espèce connue sous le nom d’inséparable ; il mourut le lendemain de la mort de sa femelle. La région que je viens d’indiquer est très bombée. J’ai dans ce moment une petite perruche du Sénégal, qui affectionne beaucoup la femme- de-chambre d’une dame qui demeure près de moi : celle-ci lut obligée de s’absenter pendant quelques jours ; sa disparition produisit un effet très remarquable sur cet oiseau qui devint, au bout de deux jours, d’une maigreur étonnante; ce ne lut qu’au retour de cette personne quelle reprit ses allures ordi- naires et tout son appétit. Qui n’a entendu raconter les traits d’attachement dont cer- tains chiens ont donné des preuves ? Il est digne de remarque que chez cette espèce d’animal la première impression s’efface rarement; il faut même quelle soit bien forte, puisqu’on en DE PHRENOLOGIE. a vu quitter des personnes chez qui ils étaient parfaitement soignés, pour retourner avec leurs premiers maîtres chez qui ils étaient loin de trouver les memes avantages. Une pareille conduite nous surprendra moins si nous examinons la confor- mation du cerveau du chien dans la région affectée à rattache- ment. L’organe de cette faculté est généralement très développé chez cet animal ; cependant la femelle est celle qui le présente communément dans le plus haut degré. La circonvolution marquée 8, pl. LXXY, fig. 6, est celle qui constitue l’organe de rattachement; elle se termine, comme on le voit en consultant le dessin fini, fig. 2 , pl LXXX, par une espèce de crochet, dont la convexité est en dehors. Pour le chat, la portion de circon- volution située entre ro et 12, et formant, comme chez le chien, une sorte de crochet, m’a toujours paru saillante chez les chats capables de beaucoup d’attachement. Chez les animaux à cerveau lisse, tels sont le lièvre, le lapin, la taupe, qui vivent par troupes, la meme région se trouve renflée d’une manière sensible. Je dois faire remarquer ici, qu’après avoir indiqué le siège de l’organe de l’attachement chez l'homme, Gall se contente de dire que la même région se trouve très développée chez certains animaux. C’est, comme on le voit, une manière très commode de faire de la science. Mais quelle est cette région chez les ani- maux ? C’est ce qu’il n’indique en aucune manière. Au reste, nous retrouverons partout dans son ouvrage, le même vague quand il s’agira de préciser le siège des organes chez les verté- brés. TRAITÉ § x. Organe du penchant à la reproduction. Chez les animaux des classes inférieures, tels que les poissons et les reptiles, les facultés dominantes se bornent à trois princi- pales : se conserver, se nourrir et se reproduire. Si d’autres facultés se manifestent, on peut dire , dune manière générale, quelles ne sont que les rudiments de celles que nous retrouve- rons à un plus haut degré chez les animaux des classes supé- rieures. Par reproduction nous n’entendons pas ici la faculté de reproduire un individu semblable à soi ; nous voulons seule- ment indiquer un penchant qui n’a rien de commun avec les autres, et qui existe chez tous les vertébrés. Son activité, son énergie et sa durée varient beaucoup, suivant les espèces, et ne se manifestent qu’à une certaine époque de la vie : c’est ordinairement celle où les animaux ont atteint leur complet développement. L’influence du penchant à la reproduction sur l'activité des autres facultés, est on ne peut plus remarquable : c’est ordinai- rement à l’âge où il entre en action, qu’une nouvelle énergie, une sorte de surabondance vitale se laisse apercevoir chez tous les animaux sans exception. Le coassement des grenouilles, le bourdonnement des insectes , les hennissements des chevaux, les longues courses qu’entreprennent certains herbivores et carnassiers, annoncent un état de surexcitation, dû en partie a DE PHPiÉNOLOGlE. l’activité qu imprime à tout le système nerveux l’une des plus importantes fonctions de l’espèce. Qui n’a observé l’activité que le penchant à la reproduction donne aux facultés des oiseaux ? que d’agitations, que de soins, que de mouvements! Les oiseaux chanteurs qui s’étaient tenus silencieux pendant l’automne et l’hiver, font entendre de toutes parts leurs chants harmonieux. L’homme est de tous les animaux le plus favorisé sous le rap- port de la durée et de l’énergie du penchant à la reproduction. Si quelques animaux ont pu le satisfaire un plus grand nombre de fois dans un temps donné, c’est que chez eux la sensation qu’il fait éprouver aura été beaucoup moins vive et accompagnée d’une perte moins grande. Chez la majeure partie des animaux, il existe d’assez longs intervalles entre les périodes où ce pen- chant entre en action : l’homme au contraire peut le satisfaire à toutes les époques de l’année, et même jusqu’à un âge assez avancé. Lorgane qui préside au penchant à la reproduction, présen- tant chez tous les vertébrés une multitude de variétés de volume et d’activité, on doit s'attendre à trouver des nuances innom- brables d’action et d’énergie de cette faculté. Chez quelques espèces, son influence est peu remarquable et son action de peu de durée, tandis que chez d’autres son énergie est telle , qu elle subjugue et anéantit toutes les facultés. Si l’animal qui l’éprouve jouit d’une bonne santé; s’il vit dans l’état de continence sans pouvoir satisfaire le penchant qui le domine , des traces éviden- tes d’un état maladif ne tardent pas à se manifester. J’ai vu des chattes et des vaches maigrir à l’époque de leur chaleur , de manière à n être plus reconnaissables. Les loups se livrent alors des combats acharnés pour s’emparer d’une femelle. A l'époque du rut , les cerfs parcourent des distances TRAITÉ incroyables et deviennent d’une maigreur effrayante. L’homrue n’est pas plus que les animaux à l’abri des accidents que pro- duit le penchant à la reproduction non satisfait. Buffon a peint avec une rare vérité d’expression les effets fâcheux que produisit chez l’infortuné curé de la Réolle une continence portée à {’ex- trême. Quels sont les journaux qui n’ont pas retenti de l’attentat horrible du curé Maingrat ? quelle est l ame honnête qui n’a pas frémi d’horreur au récit des détails qui l’accompagnent ? C’est un homme qui, pour satisfaire sa passion brutale, entraîne une jeune femme dans un lieu retiré de sa maison, et qui après l’avoir vainement sollicitée de céder à ses désirs, ne trouve d’autres moyens de la posséder que de letouffer. Ni la présence de sa servante, ni les cris de sa victime ne peuvent l’arrêter un instant. Ce n’est plus une passion, c’est une rage qu’il faut assouvir ! Si de pareils actes pouvaient être calculés de sang froid, il n’existerait pas de châtiments trop sévères pour leurs auteurs Je conçois l’influence que de pareilles atrocités doivent avoir sur les masses qui ne voient que les actes sans tenir compte des circonstances qui les produisent; mais pour celui qui connaît l’homme, pour le médecin sur-tout, leur rareté et les scènes dégoûtantes qui les accompagnent, sont précisément ce qui prouve que les individus qui les ont commises étaient dans un état très voisin d’une aliénation mentale. Supposons pour un instant, qu’au lieu d’etre célibataire, Maingrat eût été marié. Est-il présumable qu’il se fût porté à de pareils actes ? N’est-il pas à croire au contraire que l’état de continence dans lequel sa profession l’obligeait de vivre, aura été la principale cause du trouble de ses facultés, et les aura perverties au point de le changer pour un instant en une véritable bête féroce ? Je ne crains pas dire que si j’avais été appelé à prononcer DE PHRÉNOLOGIE. 233 sur le sort de Maingrat, je ne lui aurais pas infligé la peine capitale, mais la réclusion perpétuelle , l’assimilant à ces êtres que le développement excessif de quelques facultés affectives place à coté des monomaniaques. Mais quelle est la partie du système nerveux cérébral affectée au penchant de la propagation ? Des expériences multipliées paraissent démontrer que la partie nerveuse que nous avons décrite dans notre premier volume sous le nom de cervelet, serait le siège du penchant à la reproduction. Voici quels sont les principaux faits sur lesquels la phrénologie s’appuie pour prouver cette assertion. i° Le cervelet n’acquiert un développement remarquable qu’à l’époque où les désirs vénériens se manifestent. 2° L’énergie du penchant à la propagation est en raison du développement de cet organe. Les faits recueillis à cet égard sont excessivement nombreux. 3° Des apoplexies cérébelleuses ont été accompagnées de phé- nomènes érotiques portés au plus haut degré. 4° La castration complète produit une diminution remarqua- ble du cervelet, et donne lieu, après un laps de temps assez considérable, à une diminution du volume de la nuque; de là, la différence qui existe entre la nuque du taureau et celle du bœuf. 5° La castration uni-latérale occasione une diminution du lobe cérébelleux opposé à celui où l’opération a eu lieu (i). (i) Dans le mémoire que je présentai à l’Institut en 1827, j’avais dit n’avoir observé aucune diminution dans un des lobes cérébelleux de quatre lapins que j’avais châtrés unilatéralement, et conservés pendant huit mois. Chez quatre au- tres lapins que j’ai fait nourrir pendant dix-huit mois , j’ai trouvé après la mort une diminution apparente du lobe cérébelleux opposé. 234 TRAITÉ Aux faits déjà cités je joindrai les suivants qui me sont per- sonnels. Chez tous les animaux qui pullulent beaucoup, et qui entrent plusieurs fois en amour dans l’année, le cervelet est généralement très développé. C’est ce dont on peut se con- vaincre en examinant le cervelet du chat, pl. LXXV, fig. 4; du lièvre, id. pl. fig. 8; de l’écureuil, pl. XXIX, fig. 4; du cochon d’Inde, id. pl., fig. i; de la taupe, id. pl., fig. n.On peut dire que le cervelet des rongeurs, qui se trouvent être la classe d’animaux qui pullulent le plus, est aussi celle où l’on rencontre un cervelet très développé, eu égard au volume de l’encéphale. On objectera peut-être que les oiseaux qui n’ont que le lobe médian du cervelet, présentent une grande activité du penchant à la reproduction. Considérés d'une manière générale, il s’en faut de beaucoup que cette assertion soit vraie. Un nombre très consi- dérable d’espèces chez les oiseaux ne se livre aux plaisirs de l’amour qu’une ou deux fois dans l’année. Il n’existe dans nos climats qu’un très petit nombre d’oiseaux qui font exception à cette règle, encore appartiennent-ils aux espèces domestiques, mieux nourries et à l’abri de l’inclémence de l’atmosphère. Il est bien certain qu’un seul coq suffit dans une basse-cour pour cocher plusieurs femelles: ce phénomène qui paraîtrait en appa- rence en opposition avec cette loi générale de la nature, qui démontre que l’énergie d’un organe coïncide avec son volume , me paraît très facile à expliquer ; et comme on va le voir, si, ainsi que je l’ai déjà observé dans le cours de cet ouvrage, la com- paraison de volume des organes cérébraux se fait chez les indi- vidus de la même espèce, la nature vient déposer en faveur de cette règle générale. Personnene peut révoquer en doute que les fonctions animales DE PHRÉNOLOGIE. ne s’opèrent avec plus d’activité chez les oiseaux que chez les quadrupèdes. Il n’est donc pas surprenant que le coq répare beaucoup plus vite, d’une part, par la nature même de sa propre organisation , de l’autre, par une nourriture plus abondante et plus nutritive que celle qu’il eût trouvée dans l’état sauvage. ITun autre coté, je ne crois pas que l’on puisse comparer dans tous ses points l’acte de la reproduction chez l’homme et chez le coq. Les pertes que l’un éprouve et qui doivent être une grande cause d’épuisement, ne ressemblent en rien à celles de l’autre : ce qui explique très bien la plus fréquente répétition de l’acte vénérien chez celui-ci. J ai examiné comparativement quatre encéphales, dont deux avaient appartenu à des coqs excessivement ardents en amour, et deux à deux autres qui l’étaient très peu. Chez les deux premiers le cervelet était très développé: la fig. i de la pl. LXXI, repré- sente un de ces encéphales. Chez les deux autres il y avait un cervelet qui présentait, avec celui que l’on vient de voir, une différence de plus d’un tiers en volume. Le cervelet du qua- trième était presque aussi volumineux que chez un des coqs ardents, mais d’une mollesse singulière; le reste de l’encéphale, les tubercules bijumeaux exceptés, était très mou. Les carnassiers qui présentent un grand développement du cervelet, tels que les chiens et les chats, sont très ardents en amour (i). Sur plus de deux cents crânes de chats qui font par- tie de ma collection , il y en a plus de trente dont j’ai examiné (i) Chez ie chien le cervelet est couvert en partie par les hémisphères céré- braux ; chez le chat, au contraire , il est entièrement à nu. (Voir les planches où leurs cerveaux sont représentés. ) 236 TRAITÉ l’encéphale. J’ai constamment trouvé chez toutes les femelles très ardentes un cervelet très volumineux. Quelle est la personne qui n’a pas été réveillée par les cris que ces animaux poussent dans le temps de leurs amours ? J’ai fréquemment observé la femelle de cet animal venir roder dans un jardin sur lequel ma fenêtre avait vue, y jeter des cris aux quels ne manquaient pas d’accourir, plusieurs matous que je voyais sur les murs. Un instant après, commençait le plus infernal des sabbats; on eût dit une demi-douzaine d’enfants à qui on administrait le fouet. On connaît les expériences qui ont été pratiquées par plusieurs médecins sur le cervelet de quelques animaux. Le professeur Rolando de Turin est le premier qui ait fait ces expériences en assez grand nombre : ses observations à ce sujet ont été consi- gnées dans un ouvrage publié à Sassary en 1809, intitulé Saggio sulla vera structura del cervollo delVuomo c degli animah , e sopra le funziom del sistema nervose. Voici quels sont les princi- paux résultats obtenus par les expériences de cet habile anato- miste. Elles ont été pratiquées sur le cervelet des mammifères , des oiseaux, des reptiles et des poissons. « La structure du cervelet, les découvertes importantes faites par le professeur de Padoue sur le grand nombre de feuillets dont il est composé, firent naître en moi plusieurs soup- çons sur le véritable usage de cet organe. Je crus qu’il était destiné à la locomotion; et pour confirmer cette opinion, voici les expériences que j’entrepris de faire sur le cervelet. Ayant pratiqué avec le trépan une ouverture sur un des côtés du cervelet chez quelques cochons et chez un mouton , j emportai a plusieurs reprises tout ce que je pus emporter. Mais la lésion s’étendait à peine au-delà du côté trépané, que DE PHRÉNOLOGIE. 237 l’animal était frappé d’hémiplégie, et il périssait au milieu des spasmes convulsifs et de l’hémorrhagie. Il est très difficile de pénétrer dans le cervelet des quadru- pèdes , sans les priver toutûi-coup de la vie ; et l’animal qui m’a paru le plus propre à ce genre d’expérience, c’est encore le che- vreau. Une ouverture ayant été faite avec le trépan , je coupai en différents avec un stylet tranchant, le cervelet d’un de ces animaux , après quoi il ne put plus se soutenir sur ses jambes, comme s’il eût été paralysé. 11 vécut vingt-quatre heures en cet état, et mourut dans les convulsions. L’autopsie me montra une grande quantité de sang coagulé sur le quatrième ventricule, ce qui, je crois, fut la principale cause des spasmes et de la mort. Je manquerais à la brièveté que j’ai dû m’imposer, si je voulais rapporter minutieusement toutes les expériences que j’ai multipliées de différentes manières sur le cervelet d’un grand nombre de quadrupèdes : je me bornerai à dire que la diminution du mouvement était toujours en raison directe de la lésion du cervelet. C’est pourquoi l’animal était tantôt entièrement paralysé, tantôt il ne l’était que d’un seul côté; d’autres fois les extrémités antérieures ou postérieures seules étaient privées du mouvement, suivant que cet organe était détruit en totalité ou en partie. Sur le cervelet des oiseaux. — J’ai trépané des oiseaux de plusieurs espèces sur le point correspondant, tantôt à la partie latérale, tantôt à la partie supérieure du cervelet, et le mouve- ment des muscles soumis à la faculté locomotrice cessa toujours en raison de la lésion qui avait été faite. Ayant perforé la partie supérieure du cervelet dûn coq avec un instrument approprié, j’enlevai à peu près la moitié du côté droit de cet organe. A l’instant, il fut frappé de paralysie et 238 TRAITÉ tomba du même côté sans pouvoir se servir en aucune manière de !a jambe droite, ni exécuter avec cette jambe le plus léger mou- vement. Pour m’assurer de plus en plus de ce phénomène singu- lier, je pris avec la main la jambe du côté blessé, et en la soutenant dans une position favorable, le coq pouvait faire quelques pas sur l’autre jambe ; mais peu de temps après il ne pouvait pas même s’en servir, et à la fin la paralysie gagna les deux côtés. On doit observer que , dans ces lésions du cervelet, l’animal ne tombe jamais dans l’assoupissement et la stupeur: il tient les yeux ouverts, regarde tous les objets, mais c’est en vain qu’il essaie d’exécuter le moindre mouvement au moyen des muscles qui dépendent de la faculté locomotrice. Il faut convenir néan- moins qu’il fait quelquefois de légers mouvements avec les ailes et les extrémités inférieures; mais ces mouvements semblent être l’effet de la seule mobilité dont jouit encore la fibre mus- culaire , ou bien ils ont lieu lorsque quelque morceau consi- dérable du cervelet reste intact, de manière qu’il peut encore remplir une partie de ses fonctions. Si je déchirais l’organe tout d’un coup, ou que je l’emportasse en entier, l’animal était constamment frappé d’une paralysie complète ; mais quand la lésion n’était que légère, peu d’heures après il recouvrait la faculté de se mouvoir. Sur le cervelet dès reptiles et des poissons. — Les expériences que j’ai faites sur les animaux à sang froid m’ont donné des résultats semblables. Une tortue dont je séparai le cervelet de la moelle alongée resta entièrement paralysée, et vécut pendant dix ou douze jours dans la plus parfaite immobilité. Après une pareille opéra- tion, une autre tortue vit encore depuis deux mois, sensible comme à l’ordinaire aux plus légères offenses et à la plus faible DE PHRÉNOLOGIE. 239 stimulation, mais immobile au point de ne pouvoir s’éloigner en aucune manière du lieu où elle est inquiétée. Je traitai de la même façon un lézard avec un égal succès. Mais ce qui est sur- prenant, c’est de voir les mêmes phénomènes avoir lieu chez deux serpents d’une espèce extrêmement agile [coluber natrix). N ayant pas emporté complètement l’organe d’où dépend la locomotion chez le premier, qui était le plus petit, il resta paralytique pen- dant deux ou trois heures, mais il recouyra ses forces par la suite, et s’enfuit. Le second ayant été mieux opéré, fut entièrement privé de la faculté de se mouvoir ; seulement il était par inter- valles agité de mouvements incertains, qui n’étaient point dirigés par l’instinct, mais dépendant de la grande mobilité de la fibre musculaire de ces animaux : il périt au bout de cinq jours. Pour rendre complète cette expérience sur les poissons, qui meu- rent avec facilité pour peu qu’on les tienne hors de leur élément, je fixai, avec des attaches contre une petite table, un sparus erythrj- nus, L., pesant environ deux livres; et étant ainsi assujetti sous l’eau, je lui emportai tout le cervelet; l’ayant ensuite détaché, il tomba comme mort au fond du baquet, quoiqu’il vécut ensuite. Je pratiquai la même opération sur un squalus catulus avec bien plus de facilité, parce que le crâne de ce poisson est cartilagi- neux , et qu’il peut rester plus long-temps hors de l’eau. Il perdit la faculté de se mouvoir, et l’ayant remis dans l’eau, il n’exécu- tait plus que quelques mouvements vagues et incertains, et ne pouvait plus se livrer à la natation. J’ai observé, comme je l’ai dit, que les lésions faites sur le cervelet de plusieurs poulets, guérissaient promptement, et que ces animaux recouvraient leur ancienne aptitude à se mouvoir ; mais j’ai vu la même chose d’une manière plus singulière chez la tortue que j’opérai la première, et dont je n’avais fait que 240 TRAITÉ déchirer et diviser l’organe en question : l’animal resta paralysé pendant plusieurs heures, mais bientôt après, il acquit une faculté surprenante à se mouvoir, si bien qu’il marchait avec une vitesse pour ainsi dire quadruple de ce qu’il avait coutume de faire auparavant. Je fus curieux d’examiner le cervelet qui était seulement couvert d’un sang coagulé ; il me parut cicatrisé et avoir acquis un volume considérable. Serait-il possible que le cervelet ayant acquis, par le moyen de la cicatrice, un plus grand développement, il pût ainsi contribuer à l’agilité insolite dont cet animal jouissait après l’opération (i). En admettant comme rigoureusement exactes les expériences précitées, bien que nous ayons peine à admettre comme telle la dernière, dans laquelle il est question d’une cicatrice qui se serait formée au bout de plusieurs heures , nonobstant la déchirure du cervelet, je ferai observer que les expériences qui ont été tentées plus tard par MM. Flourens, Magendie et Bouillaud, ont donné des résul- tats trop variés pour servir de base à des observations bien faites. La nature de mon ouvrage ne me permettant pas de suivre ces auteurs dans toutes leurs expériences, je me contenterai de faire observer qu’après les avoir lues, tout esprit impartial sera frappé des différences obtenues dans les résultats. Il est meme plusieurs de ces expériences qui se contredisent évidemment : ainsi, par exemple, M. Flourens assure que la spontanéité des mouvements appartient aux hémisphères ; M. Magendie, au contraire, prétend que leur soustraction chez les reptiles et les poissons n’influe en rien sur les mouvements. Le même auteur dit aussi que les expériences de M. Flourens sur (i) Ier vol. des Archives de Médecine, pag. 371 et suiv. Med. Popular Evey man his own doctor. A family medical adviser. New York, G. W, Carlton & Co., 1879. 598p. 291722 DE PHRÉNOLOGIE. 241 le cervelet ne sont nullement applicables aux quadrupèdes; il va plus loin même, car il assure qu’elles n’ont lieu que sur certaines espèces d’oiseaux, c’est-à-dire celles sur lesquelles M. Flourens a fait ses expériences (1). Enfin, comment donner comme certain que le cervelet soit le régulateur des mouvements, si, comme l’assure M. Magendie, les mouvements ont conservé leur régu- larité chez des animaux privés de cervelet? J’ai déjà dit dans mon premier volume, que je ne pensais pas que la voie des mutilations fût un guide bien sûr pour arriver à la connaissance des fonctions du système nerveux cérébral. M. Rolando ne jus- tifie-t-il pas lui-même la vérité de ma remarque, en s’exprimant ainsi? J’ai fait, dit ce professeur distingué, des expériences innombrables pour découvrir les résultats des lésions faites aux tubercules bijumeaux et aux parties voisines des couches opti- ques; mais j’ai rarement obtenu des résultats constants : ce qui n’est pas surprenant, si nous considérons l’entrelacement parti- culier des nombreuses fibres qui se rencontrent dans ces parties; car, comme il est extrêmement difficile de connaître quels sont les faisceaux de fibres qui ont été lésés dans ces opérations, nous ne pouvons tirer de conclusions claires et précises là où il existe une différence dans le résultat. (1) Mes nombreuses observations anatomiques sur le cervelet des animaux vertébrés me portent à croire que cet organe n’est pas simple. Son volume, sa forme et sa composition, ainsi que je l’ai démontré dans mon premier volume, varient beaucoup dans les diverses classes d’animaux. On sait qu’il est générale- (1) Magendie, Physiologie, 2e édition , page 336. (2) Rolando , lib. cit. 242 TRAITÉ ment peu développé chez les reptiles ; que chez les oiseaux il se compose de demi-anneaux, dont le plus large occupe la partie moyenne; chez les quadrupèdes, les quadrumanes et l’homme , il se compose de deux masses latérales formées de diverses James; au milieu de ces deux masses se voit un renflement, processus vermicularis. J’ai été frappé, en étudiant le cervelet, du volume de cette partie chez quelques espèces: je citerai comme exemple le chat, pl. LXXV, fig. 4 ; l’écureuil, pi. LXX1V , fig. 4« On voit que, dans le premier, cette portion moyenne se com- pose de deux masses bien distinctes, pl. LXXIX, fig. 2; l’une supérieure c, l’autre inférieure c 2; ici., fig. Je ne crois pas que cette partie moyenne du cervelet remplisse les mêmes fonctions que les deux masses latérales. Un fait bien certain, c’est que je l’ai constamment trouvée très développée chez les ani- maux grimpeurs, tels que le chat, l’écureuil, la marte; et chez ceux qui ont le pas très sûr, ou qui peuvent marcher facile- ment sur des terrains en pente et des lieux escarpés. Voici les noms des animaux chez qui j’ai trouvé le processus vermi- cularis très fortement exprimé : les chamois, les chèvres, les mules, l’âne, le cheval, le mouton. Je ne serais donc pas surpris qu’il existât quelque relation entre le développement de cette partie du système nerveux cérébro-spinal, et l’agilité et la sûreté des pas chez les animaux. Quelques faits d’anatomie pathologi- que viendront peut-être un jour éclairer cette question , soit chez l’homme, soit chez les animaux. DE PHRÉNOLOGIE. 243 Siège de Torgane du penchant à la reproduction. Chez l’homme, le cervelet se trouve logé dans les fosses occi- pitales inférieures, pl. Y bis, fig. 2 , F, F. On reconnaît son développement à l’extérieur par la largeur qui existe entre les deux apophyses mastoïdes, ou, comme je l’ai rencontré bien des fois, par deux reliefs bombés dirigés de haut en bas. Dans le premier cas, la nuque présente toujours de la largeur; dans l’autre, la nuque peut être étroite, ce qui n’empêche cependant pas le cervelet d’être assez développé : il gagne alors en épais- seur ce qu’il perd en largeur. Quand l’intervalle placé entre les deux mastoïdes est très considérable, et les deux surfaces qui recouvrent le cervelet, 10-10, fig. 2, pl. LXXXVIII, très bombées, le cervelet présente un haut degré de développement. La fig. 2 et la fig. 3 de la pl. XCIY, peuvent servir à donner une idée dont cet organe se prononce, à l’extérieur, dans un très faible et dans un assez haut degré de développement. Chez les oiseaux, le cervelet occupe la partie moyenne et pos- térieure du crâne, n° 10, fig. 3, pl. XCI1Ï ; il est logé dans la fosse c, fig. 8, pl. V bis; celle-ci se trouve formée en grande partie par la portion moyenne postérieure de l’os occipital; cepen- dant deux petites dépressions c, c: fig. 11 et 10, pl. XVII , appartenant aux angles supérieurs et postérieurs des pariétaux, contribuent aussi à sa formation. Chez les rongeurs, le cervelet répond à toute la surface interne de l’os inter-pariétal, fig. 11 , pl. XV, et à toute la surface de 244 TRAITÉ l’os occipital indiquée par les chiffres i , 2,3, fig. 12, ici. pl. Chez les carnassiers , le cervelet occupe non-seulement la cavité de l’os inter-pariétal, fig. 5, pl. XIII, toute celle de l’os occipital, id. pl., fig. 6, mais encore une portion assez consi- dérable des pariétaux. Chez quelques espèces, toute la région couverte d’astérisques, et celle marquée par des points d’inter- rogation , fîg. 2, pl. XCIII, répondent au cervelet. La portion supérieure du processus vermicularis correspond ici à la partie moyenne de la lame osseuse qui sépare la voûte du crâne en deux parties chez les carnassiers. (Voir la fig. 3 de la pl. I représen- tant la voûte d’un jeune chat, vue par sa face interne.) Le développement de la portion la plus en arrière du lobe moyen du cervelet, peut être apprécié à l’extérieur du crâne , car elle répond à la portion osseuse que nous avons désignée sous le nom d’inter-pariétale, et n’en est séparée que par la cloison osseuse qui se trouve dans cette région, immédiatement appli- quée sur elle. Mais plus en devant, la cloison ne touche plus aux pariétaux, de manière que la portion du cervelet qui y répond, n’est plus appréciable à l’extérieur. Sur les cotés et en arrière, nonobstant la présence de la cloison, le volume du cervelet est appréciable à l’extérieur, parce que le cervelet touche l’os pariétal dont il n’est séparé que par la membrane dure-mère. Dans le chien, le cervelet occupe la même place que chez le chat, seulement il est impossible d’en apprécier une aussi grande surface à l’extérieur. Il suffit de jeter les yeux sur la fig. 4 de la pl. LXXV représentant le cervelet du chat, et sur la fig. 1 de la pl. LXXX représentant celui du chien, pourvoir de suite à quoi tient cette différence. Chez le chat, le cervelet est entièrement à découvert , tandis DE PHRÉNOLOGIE. que dans le chien les lobes postérieurs du cerveau en recou- vrent une grande partie : il n’y a donc chez celui-ci que la por- tion inférieure du processus vermicularis, et celle qui répond aux lobes latéraux , qui soient appréciables à l’extérieur. Ces régions sont marquées par des astérisques, pl. XCIII, fig. i : toute la surface marquée de points d’interrogation chez léchât, pl. XCII, fig. i , répond au cervelet; tandis que chez le chien elle correspond aux circonvolutions postérieures. Le siège du cervelet est absolument le même chez les quadru- manes que dans l’homme. § xi. Organe de conservation du produit de la conception. — Philogéniture. Il existe très peu de personnes qui n’aient eu occasion d’obser- ver les soins que les parents, chez l’homme ou les animaux, prodi- guent aux nouveau-nés. Les nuances et les degrés d’énergie que présente ce penchant varient prodigieusement selon les espèces. Chez certaines, le mâle y est complètement étranger ; dans d’autres, au contraire, il le partage avec sa femelle. L’homme est de tous les animaux celui qui en est doué au plus haut degré; aussi est-il de tous, celui qui demande le plus de soins et de secours de la part de ceux qui Font engendré. Le penchant pour la progéniture étant indispensable a la conservation des espèces, il n’existe pas un seul animal qui n’en 246 TRAITÉ présente quelques traces. Sans cette faculté précieuse, tous les êtres créés eussent disparu de la surface du globe. C’est vrai- ment une chose digne de remarque, que cette espèce de surexci- tation vitale qui modifie un être faible, au point de lui donner assez d’énergie pour résister à des soins qui paraîtraient devoir lepuiser. Je ne reproduirai pas ici toutes les explications qui ont été données de ce pepchant admirable : avec plus de connais- sances en phrénologie comparée, leurs auteurs se seraient bien gardés d’en placer le siège dans le cœur ou les entrailles. Il est assez curieux que cette faculté, dont les caractères sont si tranchés et qui frappe si fréquemment les hommes les moins observateurs, n’ait pas été une des premières qui aient été découvertes par Gall. Ce fut même sur la remarque d’un ecclé- siastique qui assistait à une de ses leçons, qu’il parvint à la connaître, et à préciser, sur l’homme et les quadrumanes , le siège de son organe. Je démontrerai plus loin que ses applica- tions sur le cerveau et le crâne des autres animaux sont loin d’avoir la même exactitude. Mais avant d’en venir là, il est bon que nous étudions un peu dans diverses classes la faculté qui porte les animaux à prendre soin du produit de la con- ception : ces observations serviront à en éclaircir et développer l’histoire. La classe des reptiles présente ordinairement peu d'attache- ment pour les petits ; et encore n’est-ce que la femelle qui s'en occupe : tous leurs soins consistent à déposer leurs œufs ou le produit de la conception, dans les lieux les plus favorables à leur éclosement. Les grenouilles déposent leur frai dans les eaux dormantes peu profondes, et exposées à l’ardeur du soleil; les tortues, les crocodiles, placent leurs œufs dans le sable. Chez les vivipares, telles sont les couleuvres et toute la famille des serpents, les petits éclosent tout formés du sein de la mère, et peuvent se passer d'elle à leur naissance. La même chose se passe chez les poissons qui pourvoient à leur subsistance le jour même de leur éclosement. (i) Chez les le coucou excepté, les parents donnent des soins assidus et soutenus à leurs petits. On trouve dans cette classe des variétés extrêmement remarquables, soit pour la durée de ce penchant, soit pour les soins particuliers ou donnés en commun. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’il existe constamment chez eux, à quelques classes qu’ils appar- tiennent, une différence d’organisation cérébrale, en harmonie avec l’absence ou le développement de ce penchant. C’est ce que nous trouverons dans la famille des gallinacés, où la femelle s’occupe presque exclusivement du soin des petits. Chez les corbeaux, les buses, toute la famille des becs-fins, où le père et la mère se partagent alternativement les soins de la couvée, nous verrons que l’organisation du mâle diffère de celle du mâle chez les gallinacés, et quelle se rapproche beaucoup de celle de la femelle. Il en sera de même dans les quadrupèdes, chez qui se remarquent des variétés non moins curieuses dans le penchant pour les petits. Quelles que soient les classes aux- quelles les animaux appartiennent, on peut dire d’une manière générale que la femelle présente toujours l’attachement pour les petits dans un plus haut degré que le mâle. Dans l’espèce DE PHRÉNOLOGIE. (i) J’ai observe plusieurs fois, que tous les poissons qui proviennent du même frai vivent long-temps en compagnie. Il est excessivement commun de voir dans les rivières ou les étangs peu profonds, des bandes de jeunes poissons présentant à peu près le même volume. 248 TRAITÉ humaine ce penchant existe dans les deux sexes, mais il est tou- jours plus prononcé chez l’individu du sexe féminin. Cependant, comme les variétés de devéloppement du système cérébral sont très nombreuses dans l’espèce humaine, il n’est pas rare de rencontrer des femmes ayant peu d’attachement pour les enfants, et encore moins de trouver des hommes qui ont pour eux le penchant le plus vif. Tous les individus qui présentent ce caractère ont, dans leur organisation cérébrale, et seulement dans celle qui annonce un grand développement de l’organe de rattachement pour les petits, la plus grande ressemblance avec celle de la femme. Quel est le vrai caractère de la faculté qui nous occupe, et quelle est l’expression qui convient le mieux pour en donner une juste idée ? Tous les phrénologistes qui ont écrit jusqu’à ce jour, ont considéré l’attachement pour les enfants comme étant le vrai caractère de cette faculté. De là, le nom d’attachement pour les petits, de Gall; de philogéniture, de Spurzheim.Cependant, plus j’étudie les actes des animaux, et plus je demeure convaincu que rattachement pour les petits n’est qu’un degré d’action de cette faculté, et non la faculté elle-même. Son vrai caractère me parait sur-tout consister à prendre soin du produit de la conception. Ne voyons-nous pas beaucoup d’espèces prendre toutes les précautions possibles pour recevoir et protéger ce produit, long-temps avant qu’il soit question de nouveau- nés ? Si l’amour pour les petits était le vrai caractère de cette faculté, je ne vois pas pourquoi la femelle s’attacherait avec tant de soin à couver ses œufs; car on ne voit encore rien qui puisse l’émouvoir : cependant, quelle précaution pour les garantir du froid et de l’humidité ! Long-temps avant que la DE PHRÉNOLOGIE. femelle du lapin mette bas, elle s’arrache les poils du ventre pour en former un coussin qui garantira ses petits du froid. Qui peut donc porter cet animal à cet acte, si ce n’est une force instinctive destinée à préserver le produit de la conception? Il est vrai que lorsque les oiseaux éclosent, leurs parents mani- festent par leurs actions la plus vive tendresse pour leurs petits ; mais ce n’est qu’un degré d’action plus considérable de la faculté primitive, qui portait l’animal à prendre soin de ses œufs, ou à préparer un nid pour les recevoir. D’ailleurs on n'a pas assez réfléchi, ce me semble, à l’effet que doit produire la présence des nouveau-nés sur les parents; elle devient un puissant stimulant d’une multitude de facultés. Voilà d’autres êtres, dont les gestes et les accents vont se trouver en harmo- nie avec les facultés du père et de la mère : les besoins des petits vont les forcer à pourvoir à leur nourriture : la ruse et la circonspection des parents, éclairés sur les dangers qu’ils ont courus, vont être incessamment mises en jeu. C’est alors que va s’établir entre eux et les nouveau-nés un langage de gestes et de cris, destinés à transmettre, d’une part, les impressions éprouvées par les parents, de l’autre, les nouveaux besoins des petits. Ces variétés d’action et de langage qui se manifestent alors chez les espèces, est une des études les plus piquantes de la physiologie du cerveau, et qui demanderait, pour être traitée convenablement, de fort longues et de nombreuses obser- vations. Il résulte, ce me semble, des faits que je viens d’exposer, que la faculté désignée jusqu’à présent sous le nom d’attachement pour les petits, serait infiniment mieux caractérisée par celle du penchant à préserver le produit de la conception. Plus le produit se rapproche de l’époque de la naissance, et plus son 250 TRAITE action a d’effet sur l’être chargé de lui donner des soins. C’est- là ce qui explique pourquoi les grands parents paraissent avoir plus d’affection pour leurs petits-enfants, que pour leurs enfants propres. Les adolescents n’inspirent jamais autant d’affection qu’un très jeune enfant. J’ai vu des femmes âgées> dont les facultés intellectuelles étaient très affaiblies, éprouver encore à la vue de leurs petits-enfants une émotion délicieuse, tandis quelles voyaient avec indifférence leurs enfants devenus adultes. Il est certain que l’état d’enfance, et j’entends par-là les traits qui caractérisent un être faible et délicat, est un puissant moyen d’excitation de l’organe qui porte à prendre soin du produit de la conception. M. Scot, dans une note consignée dans le Journal phrénologique d’Edimbourg, me parait avoir fait preuve de sagacité, en disant que les femmes célibataires et celles qui sont mariées, mais qui n’ont pas d’enfants, pro- diguent quelquefois des caresses aux animaux de l’espèce la plus délicate, quelles nourrissent et soignent avec un degré d’af- fection qui ne peut être seulement comparée qu'à celle que les mères ont pour leurs enfants. Siège de l’organe destiné à conserver le produit de la conception. Chez l’homme, et dans la famille des quadrumanes, ie siège de 1 organe de la philogéniture est le même. Il est logé dans la dépression 2 de l’os occipital, fig. 2, pi. XI bis, et XII bis, DE PHRÉNOLOGIE. 251 fig. 4- A l’extérieur, son centre répond à la partie moyenne de la ligne courbe de l’occipital, fig. 2, n° 11, pi. LXXXIX. Lors- que cette région du crâne est très développée, elle augmente son diamètre longitudinal d’une manière très apparente. C’est ce que l’on peut voir en jetant les yeux sur la fig. 1 de la pl. HI, représentant le crâne du sajou femelle, et le comparant avec celui du sajou mâle, id. pl., fig. 2. On peut comparer pour l’espèce humaine le crâne d’une femme qui aimait excessive- ment les enfants, pl. CV, fig. I, avec celui d’une autre femme qui n’a jamais manifesté le moindre attachement pour eux, id. pl., fig. 2. Les Nègres, pl. CXYIT, fig. 2, et les Caraïbes, pl. CXV, fig. 1, ont, en général, un amour passionné pour les enfants; aussi l’organisation qui l’annonce est-elle fortement exprimée sur leur crâne. Je n’insisterai pas davantage sur ees observations que l’on peut vérifier tous les jours : je passe donc au siège de cet organe chez les animaux. « J’ai examiné, dit Gall., autant qu’il m’a été possible , les crânes des oiseaux, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, et des mammifères, depuis la musaraigne jusqu’à l’éléphant, et j’ai trouvé partout que, dans les femelles, la partie céré- brale qui correspond à l’organe de l’amour de la progéniture chez l’espèce humaine, est plus développée que chez les mâles. Que l’on me présente dans ï’eau les encéphales frais de deux animaux adultes quelconques, l’un mâle, l’autre femelle, et je distinguerai les deux sexes sans me tromper jamais. Dans le mâle, le cervelet est plus grand, et les lobes postérieurs sont plus petits; dans la femelle, au contraire, Je cervelet est plus petit, et les lobes postérieurs ou la circonvolution affectée à 252 TRAITÉ cette fonction, sont plus gros et sur-tout plus longs. » (1). Il m’a été démontré par mes nombreuses recherches, que l’assertion de Gall est loin d’être toujours fondée. D’abord, il n’est pas généralement vrai que le cervelet soit toujours plus petit chez la femelle que chez le mâle : j’ai souvent trouvé chez les chats et les rongeurs de nombreuses exceptions. Les lobes postérieurs ne sont pas non plus toujours plus déve- loppés chez la femelle : seulement on peut dire qu’une partie, celle affectée à la progéniture, l’est davantage, et quelle l’est d’autant plus, que dans l’espèce la femelle s’occupe exclusive- ment des petits. (2) « Les régions marquées 11, dit Gall( voir la pi. LVI1 de son Atlas) , sont, sans exception , plus bombées dans le crâne de la femelle que dans celui du mâle. Le crâne de la femelle offre dans sa partie supérieure, à côté de la ligne médiane, deux élévations oblongues qui s’étendent jusqu’à la partie qui ren- ferme les organes de l’ouïe. Comparez les organes sur le crâne delà poule, fîg. 2, et celui de la dinde, fig. 4, avec celui du coq, fig. 1, et celui du coq-dinde, fig. 5, 11. » Je suis encore à concevoir comment Gall a pu indiquer d’une manière aussi inexacte le siège de l’organe de la progéniture. Que les personnes qui possèdent son Atlas examinent avec soin les fig. 1, 2, 3, 4 et 3 de la pl. LVII; quelles abais- sent mentalement une perpendiculaire sur le crâne tombant sur le n° 11 , et elles verront que celle-ci touchera la partie moyenne de l’os frontal, et non le point où siège l’organe (1) Lib. cit. , 3e vol., pag. 455, édition in-8o. (2) Lib. cit. , pag. 456. DE PMI1ÉN0I.0GIE. en question. Mais laissons de côté ses dessins, et consultons la nature. Gall vient de dire tout-à-l’heure : le crâne de la femelle, en parlant des oiseaux, offre dans sa partie supé- rieure, à côté de la ligne médiane, deux élévations oblongues qui s’étendent jusqu’à la partie qui renferme les organes de l’ouïe, 11 suffit d’avoir une légère connaissance du crâne des oiseaux, pour voir combien ce langage est vague et inexact : car quelle serait la partie cérébrale qui s’étendrait depuis la ligne médiane jusqu’à l’organe de l’ouïe? ne serait-ce pas toute la partie postérieure de l’hémisphère cérébral ? Et cette région, comme je l’ai démontré, contient plusieurs parties cérébrales affectées à diverses fonctions. Si Gall avait seulement étudié l’anatomie du crâne et du cerveau chez une douzaine d’oiseaux d’espèces différentes, et dont les mœurs lui auraient été bien connues, il n’eût point mis dans son langage ce vague que nous retrouverons cons- tamment, quand il sera question d’appliquer la phrénologie au crâne des animaux. Le n° ii, pl. XCIII, fig. 3 indique le véritable siège de l’organe de la philogéniture chez les oiseaux (i). Si nous jetons maintenant les yeux sur les figures de la LVII de mon Atlas, nous pourrons nous convaincre que la région pl. que je viens d’indiquer se trouve plus prononcée chezL dinde femelle, fig. 2, que chez le mâle, fig. 4- Cette partie est sur- tout très apparente sur le crâne représenté fig. 2 ; c’est celui (1) J’ai donné à Gall, en 1827 , deux crânes de chattes et trois d’oiseaux , sur lesquels j’avais marqué moi-même le siège de cet organe : ils doivent faire partie de sa collection. 254 TRAITÉ d une dinde qui mourut victime de son attachement pour un petit canard qu elle avait couvé. Voici le fait. On avait donné à cet animal un œuf de canne à couver. A peine le petit canard fut-il éclos, qu'obéissant à son penchant naturel, il se dirigea vers un étang et s’y lança nonobstant les cris et les agitations de la dinde. Celle-ci resta sur le bord de l’eau, et s’y accroupit attendant qu’il plût à son fils adoptif de venir la rejoindre, ce qui ne manquait jamais d’avoir lieu, mais seulement quand il avait joué son rôle de canard. Chaque jour, nouvelle promenade sur l’eau, et nouvelles anxiétés de la mère. Un jour un chien de chasse passa près de l’étang, et s’y lança tandis que le canard y prenait ses ébats; la pauvre dinde craignant pour les jours du canard, en fit autant et se noya (1). La fig. 1 de la meme planche représente le crâne d’une autre victime de l’amour maternel. C’est celui d’une poule qui fut étranglée par un chien de basse-cour : il s’était trop approché de ses poussins, que la malheureuse hète avait voulu défendre. La différence que je viens de signaler entre le crâne du mâle et celui de la femelle, est bien sensible sur les crânes de la pintade, mâle et femelle, pl. LVII, fig. 7 et 8 , et sur ceux de la caille, mâle et femelle, id. pl., fig. 5 et 6. (2) Le reproche que je viens de faire à Gall sur sa manière (1) Il est assez commun en Normandie de donner des œufs de canne à couver aux poules ou aux dindes femelles. Je blâme beaucoup cette coutume , parce qu’elle met en relation des individus dont les habitudes sont toutes différentes. (2) Comme chez les gallinacés, la partie occupée par les organes de l’ouïe , forme plus du tiers de la partie postérieure dn crâne : c’est plus en avant que le point indiqué sur le corbeau , qu’il faut chercher le siège de l’orgaue de la phiiogéniture. DE PHRÉNOLOGIE. 255 dindiquer le siège de l’organe de la philogëniture chez les oiseaux, est applicable à ce que cet auteur dit sur le siège du meme organe chez les quadrupèdes. « Que l’on compare, dit-il, le crâne de l’étalon avec celui de la jument.Tant que les chevaux sont jeunes, la partie supérieure de la tète de la jument est considérablement plus bombée et plus large que celle de l’étalon. Chez elle les deux pariétaux se prolongent davantage en arrière, parce que les parties céré- brales placées sous cet os, sont plus bombées, plus larges et plus longues qu elles ne le sont dans le mâle. En supposant que le fait cité par Gall soit généralement vrai, ce n’est pas préci- ser le siège de l’organe que de dire que chez la jument la partie postérieure de la tète se trouve plus bombée, puisque cette région recouvre plusieurs organes. La même chose, dit-il, a lieu dans le taureau et dans la vache. (Voir les fig. i et 2 de la pl. LIX de son Atlas.) Ici Gall indique le siège de l’organe, mais dune manière très inexacte : son chiffre 11 est plus en dedans que l’organe du penchant pour la progéniture. Que l’on consulte ensuite les fig. 3 et 4 de la pl. LXIV de son Atlas, où se voient les crânes du chevreuil, mâle et femelle, et l’on verra que Torgane n’est plus à la même place que chez le veau. Cependant je puis assurer que chez ces deux animaux appartenant à la famille des ruminants, le siège de l’organe est absolument le même. Je n’insisterai pas davantage sur des erreurs semblables qui se trouvent dans les dessins de son Atlas. Afin de préciser d’une manière rigoureuse le siège de l’or- gane de la philogéniture, j’ai fait une collection de crânes ayant appartenu à des femelles excessivement attachées à leurs petits* Je ne crois pas qu’il existe au monde rien de comparable pour le nombre et l’exactitude de mes recherches sur ce point. 256 TRAITÉ Je demanderai à mes lecteurs la permission de citer quelques faits qui se rattachent à cette faculté, avant de préciser le siège de son organe à la surface du crâne des quadrupèdes. Une dame avait une jeune chatte à qui on laissa un petit. Vingt jours après la parturition, cette dame alla chez une de ses parentes qui demeurait à plus d’une lieue de l’endroit qu elle habitait, et fit porter avec elle la chatte et son petit. Proba- blement que la nouvelle habitation ne convenait pas à la mère, car on ne la trouva pas le lendemain de l’arrivée; mais ce qu’il y eut de curieux , c’est qu elle revint à sa première demeure avec son petit quelle avait emporté avec elle, (i) La propriétaire d’une maison que j’occupais à Caen, avait une petite chatte qui m’affectionnait beaucoup. Un jour elle vint à ma porte en poussant des cris que je n’avais entendu que lorsqu’elle était vivement émue; je m’aperçus qu elle allait et venait sans cesse de mon appartement à l’escalier; enfin elle disparut y et revint aussitôt avec son petit quelle tenait dans sa gueule, et qu elle déposa sur un coussin qui était à ma porte. Se couchant ensuite sur le côté, elle s’empara de son petit, agita sa queue brusquement, et fit entendre le bruit cataire. La même chatte fit un jour cinq petits que ma servante m’apporta dans ma chambre; la chatte l’y suivit; et comme ses petits ne lui furent pas rendus, elle vint se poser pendant trois jours sur le mur placé devant ma fenêtre, poussant continuel- lement des cris déchirants. (i) Ayant appris cette circonstance, je parvins à me procurer cette chatte dont le crâne se trouve représenté pi. XXXIII. DE PHRÉNOLOGIE. Un de mes compatriotes avait une chienne qui donna le jour à trois petits qu'une servante fut jeter à l’eau. La cliienue suivit la personne, se jeta après ses chiens quelle porta l’un après l’autre sous un égout. Là, cette malheureuse bète leur prodigua tous les soins que leur position exigeait, et ne les quitta pas un seul instant. On fut obligé pendant trois jours de lui descendre de la nourriture dans un panier; mais au bout de ce temps, la rivière étant devenue plus haute, les petits périrent. Alors la pauvre mère revint à la maison. Une personne qui avait vu un renard s’introduire dans le creux d’un vieux pommier, attendit que l’animal en ressortit pour voir ce qu’il était allé y faire. Elle aperçut au fond de l’arbre deux jeunes renardeaux que la femelle était sans doute venue allaiter. Ayant fait part de sa découverte à une autre personne, toutes deux s’acheminèrent le lendemain vers l’arbre: mais que l’on juge de leur surprise lorsqu’elles virent que les petits avaient été enlevés par la mère. Il n’est pas d’animal chez les carnassiers, qui ait plus d’atta- chement pour ses petits que le renard. Les chasseurs, comme la fait observer Georges Le Roy , ont tourné à leur profit cette tendresse extrême du renard pour ses petits. Us placent à la gueule du terrier un piège, dans lequel la femelle n’aurait jamais donné, si les soins de sa famille ne l’avaient pas forcée à braver le péril. Bien que le renard vive dans l’état de mariage, et que le père et la mère s’occupent du soin des petits, il est digne de remarque que c’est toujours la femelle de ces animaux qui se laisse prendre la première. Dans le commencement de mes recherches, l’aspect lisse du cerveau chez certaines classes me fit d’abord douter de la réalité de la multiplicité d’organes cérébraux; car, me disais-je, si 258 TRAITÉ chaque faculté avait son organe propre, je devrais trouver chez tous les animaux ces circonvolutions distinctes, dont la différence de volume et d étendue explique assez bien la plura- lité d’organes et conséquemment de fonctions. Là, au contraire, je trouve une sorte de masse commune, et cependant il existe, comme chez les autres, pluralité de facultés. L’examen de plusieurs cerveaux d’animaux dont je connaissais les mœurs ( et je citerai comme exemple les oiseaux voyageurs) ; celui des cerveaux des lapins femelles, qui étaient remarquables par leur attachement pour leurs petits, modifièrent tout-à-fail ma manière de voir. Si je comparais, par exemple, le cerveau de deux oiseaux du même genre, l’un voyageur et l’autre sédentaire, je trouvais que, bien que leurs cerveaux fussent lisses, une de leurs parties était cependant plus renflée dans l’un que dans l’autre. En comparant les cerveaux d’un lapin mâle et d’une femelle de même âge , je trouvais encore que ces deux cerveaux lisses n’étaient cepen- dant pas renflés de la même manière dans le point où se trouve le siège de l’attachement pour les petits, point qui se trouve indiqué sur le cerveau de la chatte par le n° io, fig. i, pl. LXXV. Lorsque cette circonvolution est très prononcée, elle se porte en arrière et un peu obliquement de dedans en dehors, en recouvrant une portion du cervelet. On voit que chez le chat, id. pl., fig. 4 , la même circonvolution est moins prononcée, et ne vient pas, comme chez la femelle, couvrir le cervelet. Il faut bien se garder de confondre cette circonvolution avec celle que l’on voit en dedans, et qui se trouve marquée 12; celle-ci est quelquefois plus forte chez le mâle que dans la femelle. D’autres fois le contraire a lieu. J’ai indiqué à la surface du crâne du chat, pl XC1I, fig. 2, n° 11 , l’endroit où siège l organe de l’attachement pour les DE PHRÉNOLOGIE. petits. Le siege est absolument le même chez tous les quadru- pèdes; seulement on trouve une infinité de nuances quant à l etendue en arrière et au volume. Maintenant que Je siège de l’organe de l’attachement pour la progéniture est bien précisé, on fera bien d’examiner quel- ques crânes d’animaux mâles et femelles , afin de saisir la différence de conformation imprimée à cette enveloppe osseuse, par le développement plus considérable de cet organe chez la même espèce : le crâne du chien et de la chienne, pi. XXIII, fig. 1 et 2; ceux du chevreuil mâle et femelle, pl. XXYI et XXVII ; ceux du lièvre mâle et femelle, pl XXXII, fig. 2 et 4- Le crâne représenté en haut et à droite de la pl. XXXIII ( 1), est celui de cette jeune chatte dont j’ai fait connaître 1 histoire, et qui rapporta son petit à son ancienne demeure. Non-seulement toute la région en question est pleine, mais s’étend encore beaucoup en arrière. Dans les espèces où le mâle et la femelle donnent des soins aux petits, la différence de volume et de longueur de la circon- volution est moins sensible. ( Voir le cerveau de la marte mâle et femelle, pl. LXXX, fig. 9 et 10. ) Avant de terminer ce qui a trait au siège de l’organe de 1’attachement pour les petits, je crois nécessaire de faire con- naître un fait rapporté par Gall , probablement connu de beaucoup de monde, et qu’il avait emprunté à Cabanis. Il est d’usage, dans certains pays, de faire servir les chapons (i) Dans les premières livraisons, le graveur avait oublié de mettre les nos des figures. Dans celles qui ont été publiées depuis, ce crâne est indiqué par le n° 2. 260 TRAITÉ pour couver. Pour les aider à ce manège , on les prive des plumes situées sous le ventre, et la peau ainsi mise à nu, est frottée avec des orties de manière à l’irriter fortement. Dans cet état, l’animal est placé sur les œufs; leur contact frais lui fait supporter agréablement cette position à laquelle il s’habitue facilement. Gall a cherché à expliquer ce phénomène, en disant que chez le chapon l’organe de la progéniture se développait par l’effet de la castration. Depuis que j’ai dit ceci, dit-il, j ai fait une nombreuse collection de mâles châtrés de plusieurs espèces d’animaux : chez tous ceux qui ont été châtrés dans la première jeunesse, l’organe de l’amour maternel se trouve presque tou- jours sensiblement plus développé que chez ces mêmes animaux entiers (iJ. » Ma collection de crânes de quadrupèdes châtrés de très bonne heure n’est pas très nombreuse; je n’en possède que six : il n’en est pas de même des chapons dont j’ai recueilli plus de vingt crânes. Mais chez eux, ainsi que chez les quadrupèdes, je n’ai rien vu qui vînt constater la vérité des faits avancés par Gall. D’un autre coté, je ne comprends guère comment l’abla- tion des testicules pourra faire développer l’organe de l’amour pour la progéniture. Je ne puis expliquer ce phénomène de l’action de couver dans le chapon, que parce que l’animal se sera bien trouvé de sa position sur les œufs et l’aura conservée; ou ce qui est plus probable, parce que l’organe pour la progé- niture, qui existe chez lui comme chez la femelle, bien qu’à un moindre degré cependant, aura pu entrer en action, (0 Lib. cit. ; page 465. DE PHRÉNOLOGIE. 261 d’une part, par le procède' quon emploie , de l’autre, par l’effet meme de la castration, qui fait que l’animal n'est plus entraîné par la passion de l’amour qui le maîtrisait auparavant. J'ajouterai qu’avant d’avoir recours à l’extraction des plumes, et au frot- tement des orties, on habitue le chapon à vivre dans 1 obscu- rité, et qu’on ne lui donne à manger qu’à des heures réglées. Si l’on a vu des chapons accompagner de jeunes poulets, leur servir en quelque sorte de mère, il faut plutôt attribuer ce phénomène à l’action de l’organe qui porte cet animal à vivre en société. D’ailleurs il est assez naturel que le chapon préfère vivre avec les poulets plutôt qu’avec les poules, puisque celles-ci ne peuvent le supporter (i). § XII. Organe de l’amour de la propriété. Diverses expressions ont été employées pour désigner cette faculté. Ce fut après avoir étudié sa manifestation dans le plus (i) C’est une chose vraiment curieuse que cette antipathie que les femelles ma- nifestent en général pour les animaux châtrés. Je mis un jour dans une loge , où j’avais deux lapins femelles , un gros lapin châtré ; à peine y fut-il, qu’elles se jetèrent sur lui, et lui firent voler le poil à coups de dents ; je crois qu’elles l’au- raient mis à mort si je ne l’avais pas retiré. 262 TRAITÉ haut degré, que Gall parvint à indiquer le siège de son organe sur le cerveau et le crâne. Plus tard, et afin, comme il le dit lui- même, de donner une idée de la sphère d’action de cette faculté, il l’appela instinct de faire des provisions, convoitise, penchant au vol. Spurzheim, dans son langage de mauvais goût, changea le mot convoitise en convoitivité ; plus tard il adopta l’expression acquisitivité proposée par les phrénologistes d’Edimbourg. Je ne saurais trop répéter, qu’avant d’employer préférable- ment telle ou telle expression, il faudrait étudier les facultés chez l’homme et les animaux. Dès l’instant quelles leur seraient communes, ce serait, je pense, chez les animaux inférieurs qu’il faudrait chercher leur véritable caractère. Si Gall n’a pas traité ce sujet comme il aurait pule faire, il aura toujours le grand mérite d’avoir mis sur la voie ceux qui viendront après lui. Cet homme célèbre cherchant à développer ses idées philosophiques en s’étayant de l’anatomie et de la physiologie comparée, a mis une distance immense entre lui et Spurzheim et tousles phréno- logistes qui n’ont pas su, comme lui, marcher sur ses traces. Le temps qui met les hommes à leur place, tout en nous faisant con- naître les imperfections des travaux de Gall, ne manquera certai- nement pas de rendre justice à l’étendue de ses vues. Mais, avant que l’histoire du développement des organes et l’étude de leurs fonctions soient complètes, de nombreuses observations, basées sur la connaissance approfondie des mœurs des animaux, doivent être recueillies. Ce ne sera qu’après de pareils travaux, qu’il sera réellement possible d’apporter dans le langage phrénologique plus de précision et lui donner un caractère plus philosophique. C’est malheureusement ce que n’ont pas compris quelques esprits superficiels, qui, sans connaissances préalables, se sont cru en DE PHRÉNOLOGIE. 263 état de pouvoir changer la nomenclature, semblables en cela à ces architectes qui croiraient pouvoir construire un édifice avec des pierres taillées sans choix. Que restera-t-il de ces nomencla- tures, fruit de l’ignorance ou de la vanité P l’oubli ou une destruction complète de leur frêle Mais revenons à la faculté qui nous occupe. Existe-t-elle chez l’homme et les animaux? quel est son véritable caractère ? Si tous les animaux étaient enclins à amasser, l’expression penchant a faire des provisions serait très bonne. Mais il existe beaucoup d’animaux qui n’ont point ce penchant : cette expression est donc vicieuse. Celle de penchant au vol n’est pas meilleure, car tous les ani- maux et tous les hommes ne dérobent pas. Le désir d’acquérir , dernièrement adopté par Spurzheim, est-il bien le caractère de cette faculté? Je ne le pense pas : il ne me parait qu’une nuance ou un degré d’action de cette faculté. Son principal caractère consiste, je crois, à conserver ou considérer comme sa pro- priété, les objets ou les choses que l’on peut posséder. Le désir d’avoir n’est, selon moi, qu’un premier degré d’action de la faculté que j’appellerais amour de la propriété. Cette faculté, pour être mise enjeu, suppose l’influence de circonstances exté- rieures en harmonie avec l’organisation des animaux. Les moineaux ne permettent pas aux autres oiseaux de s’emparer de leur nid. Les renards, les chevreuils et beaucoup d’animaux chassent de l’endroit qu’ils occupent, les animaux de leur espèce qui voudraient s’en emparer. L’idée de possession dans ce cas, comme chez l’homme, est celle qui parait prédominer. L’asser- tion que j’avance ici me paraît prouvée par l’expérience. J’ai connu plusieurs personnes remarquables par leur désir d’ac- quérir, qui m’ont avoué que, malgré la certitude où elles étaient de posséder une chose, elles n’étaient tranquilles et satisfaites que 264 TRAITÉ lorsqu’elles la possédaient. L’idée que l’objet ne leur aurait pas appartenu, bien qu ellesen eussent eu la jouissance, suffisait pour faire évanouir tout le plaisir que la possession leur eût procuré. L’avarice et le vol ne me paraissent que des abus du sentiment de propriété. Spurzheim dit que l’expression , sentiment de propriété, n’est pas convenable pour désigner la faculté fonda- mentale en question. On a vu, dit-il, des voleurs qui dérobaient sans avoir l’intention de retenir ce qu’ils avaient pris : les hommes et les animaux prennent, dérobent des choses qui leur sont inutiles. Ce raisonnement de Spurzheim ne me paraît que spécieux : d’abord il parle de l’exagération d’action de la faculté, et non de son caractère propre : il se trouve en contradiction avec lui-même, puisqu’avant, il avait considéré le vol comme une exagération du penchant à acquérir. De ce que l’on a vu des voleurs donner ce qu’ils avaient pris, je ne crois pas qu’il soit juste d’en tirer la conséquence, que le désir de posséder ne soit pas le caractère de la faculté dont je traite. En donnant ce qu’ils possédaient, ils ont obéi à l’influence d’autres facultés. Quant aux oiseaux ou aux personnes qui dérobent des objets qui leur sont inutiles, rien ne prouve que ce n’est pas le désir de posséder qui les fait agir ainsi. J’ai vu une pie privée s’emparer à plusieurs reprises d’un morceau de fer-blanc que je lui avais fait quitter. Elle le considérait si bien comme sa propriété, que je l’ai vue se jeter dessus et le reprendre lorsque je venais près d’elle. Enfin je ne vois pas qu’il soit nécessaire qu’une chose soit utile pour désirer de l’avoir en propriété. J’ai connu une vieille femme qui prenait plaisir à ramasser toutes sortes de guenilles, de vieux plats et un tas d’ordures, qui ne pouvaient lui être d’aucune utilité; mais elle les possédait, et e’était-là sa grande jouissance. Le désir de posséder est essentiel aux hommes et à beaucoup DE PHRÉNOLOGIE. 265 d’animaux. Je ne crois cependant pas, avec Gall, que le pen- chant à faire des provisions dépende seulement de cette faculté; cette conduite, chez les animaux, me parait une action combi- née, résultant de la circonspection et du penchant à posséder. Il est souvent difficile, dans l’espèce humaine, d’apprécier si dans telle ou telle faculté mise en jeu, l’homme n’obéit qu’à l in- fluence d’une seule. Tel individu qui manifeste le désir de pos- séder, n’agit quelquefois que pour satisfaire une autre faculté. Tel autre, avec toute l’apparence du désintéressement, ne donne qu’avec l’intention de recevoir. C’est sur-tout à ceux-ci que s’applique la maxime de Larochefoucault, que les vertus ne sont que des vices déguisés. Les combinaisons des facultés fondamentales variant prodi- gieusement dans l’espèce humaine, il en résulte une foule de nuances dans Ja manifestation du désir de posséder. Aussi que de degrés depuis le misérable que ce penchant domine, jusqu’à celui dans lequel d’autres facultés viennent en masquer la laideur. Pour quelques êtres, acquérir et posséder est lame de leur existence, le but constant de tous leurs efforts : tout ce qui ne se rattache pas à leur passion dominante ne leur inspire qu’un faible intérêt. Si on observe, ainsi que je l’ai fait, la conduite de ces êtres ignobles, on trouvera qu’il y a toujours chez eux quelque chose de particulier dans leur extérieur : leur accou- trement sur-tout se ressent de leur passion dominante , il est habituellement usé ou râpé dans quelques-uns de ses points ; ce qui leur donne cet air crasseux qui distingue si bien les enfants d’Israël. Voulez-vous savoir à quoi vous en tenir sur l’idée qui préoccupe ces hommes ? touchez la corde sensible, parlez-leur d’argent, et vous verrez alors combien leurs traits 266 TRAITÉ s’animeront. L’opération la plus cruelle leur serait plus suppor- table que l’idée de renoncer à leur or et à leurs propriétés. Molière, dans sa comédie de l’Avare, nous représente l’abus du sentiment de propriété sous les couleurs les plus vraies. On m’a raconté un trait qui ne serait pas échappé à ce grand homme s’il lui eût été connu. Un riche propriétaire apporta un jour, chez un notaire, une boite renfermant, assurait-il, une chose très précieuse qu’il voulait donner en dot à sa fille. Que l’on juge de la surprise du fonctionnaire public à la vue d’un rat pétrifié, que ce ladre voulait porter en compte pour la somme de deux mille francs ! Ce trait me rappelle celui d’une dame âgée et très riche , à qui j’avais donné des soins, et qui voulut me payer en vieux fossiles, et toutes sortes d’objets d’histoire naturelle bons à jeter à la rue. Siège de l’organe de l’amour de la propriété, chez l’homme et les animaux. Les nombreuses recherches que j’ai faites sur des personnes qui ont manifesté le penchant à dérober dans un haut degré , ne s’accordent pas complètement avec les observations de Gall y sans détruire toutefois le fond de ses idées. Il n’est pas vrai, comme il le dit, que tous les voleurs présentent un grand développement de cet organe. Dominé par la recherche d’une faculté et de son siège , ainsi que le démontre son ouvrage, Gall ne donna pas assez d’attention, ou plutôt ses recherches ne furent pas assez étendues, pour savoir jusqu’à DE PHRENOLOGIE. 267 quel point le défaut de développement de certaines facultés, comme l’extrême énergie de plusieurs, pouvaient influer sur les actions des hommes. Toute proportion gardée , j’ai trouvé chez les détenus un faible développement des sentiments supé- rieurs, de ceux qui servent en quelque sorte de gouvernail aux facultés animales, tandis que celles-ci sont généralement très développées dans cette classe d’hommes. La ruse, le manque de justice et de vénération, souvent un développement consi- dérable de 1 organe du penchant à la reproduction ou de celui qui préside au choix des aliments, tel est, en général, l’état le plus ordinaire des facultés que l’on trouve chez la masse des détenus. J’ai la conviction que le vol, chez un très grand nom- bre, n’a été qu’un moyen de satisfaire d’autres penchants plus énergiques. Ce sujet recevra un plus grand développement lors- que je traiterai de la combinaison des facultés, de l’influence des circonstances extérieures et de l’habitude. L’angle antérieur et inférieur de l’os pariétal ; pi. LXXXV1I, fig. 2, n° 12, répond au siège de l’organe du penchant à possé- der : la fig. 2 de la pl. CXI donne une idée du développement extrême de cet organe. Il arrive quelque lois que la portion la plus antérieure de l’angle pariétal se trouve déprimée , bien que l’organe présente un assez haut degré de développement. Plus la surface comprise entre les deux lignes qui forment l'angle pariétal et qui se trouve circonscrite par la figure au milieu de laquelle se trouve le n° 12, est large et bombée, et plus l’organe présente de développement. L’épaisseur du muscle temporal, lorsque les parties molles existent, peut devenir un obstacle à saisir le développement de l’organe du penchant à posséder. Chez les quadrumanes, l’organe du penchant à posséder 268 traité occupe la même place que chez l’homme. Je l’ai trouvé généra- lement très développé dans cette classe d’animaux. (Voir la fig. i de la pi. III.) Il est très prononcé sur le crâne de l’orang- outang, pl. XCVII, fig. i. Chez les quadrupèdes voleurs, ou qui font des provisions , la position de l’organe est encore la même. (Voir fig. i, pl. XXXV, le crâne du renard.) La pl. XXXIII représente quatre crânes de jeunes chattes : celui qui se trouve placé en haut et à gauche appartenait â une chatte excessivement voleuse. Dans ce crâne, comme on le voit, cette région est très renflée : le crâne qui se trouve en regard appartenait, au contraire, à une chatte qui n’a jamais volé. Une observation que j’ai été à même de répéter plusieurs fois, m’a convaincu que le développement considérable de l’organe qui préside au choix des aliments, soit chez les chats, soit chez les chiens, était plus souvent la cause des vols que ces animaux commettaient, que la suite d’un grand dévelop- pement de l’organe de posséder. Parmi les nombreux faits que j’ai observés, je citerai celui d’une jeune chatte dont le crâne se trouve représenté à gauche et au bas de la pl. XXXIII. Pendant trois mois et demi j’ai suivi ses habitudes, et j'ai pu me convaincre quelle n’a jamais volé que pour satisfaire sa gloutonnerie. Jamais je ne l’ai vue dérober quand elle était repue. Il n’en était pas de même de celle dont le crâne est placé au-dessus ; rien ne put la corriger de son penchant à voler. Afin de m’assurer que cette disposi- tion n’était pas chez elle la suite d’un appétit excessif, je ren- fermai dans une chambre où j’avais mis sur une table un morceau de veau récemment cuit; mais avant de l’y déposer je l’avais gorgée de viande et de débris de poisson : à peine eus-je DE PHRÉNOLOGIE. 269 quitté l’appartement que l’infernale bête s’empara de la viande, et la cacha derrière un petit meuble. A mon retour d’An- gleterre, M. Broussais me fit voir, et sans me rien dire, le crâne d’un chien que j’ai fait représenter pi. XXXIX, fig. i. A peine eus-je jeté les yeux dessus, que j’assurai que cet animal devait être très voleur. Voleur, me dit M. Broussais, comme il n’en a peut-être jamais existé. Chez ce chien, la ruse, l’organe de l’alimentation et celui du penchant à posséder sont très déve- loppés. Chez tous les oiseaux qui ont le penchant à dérober, ou celui de faire des provisions, tels sont la pie, le geai, les corbeaux, les mésanges, l’organe du penchant à posséder est placé au-dessus de celui de la ruse : réuni à cet organe il forme une masse commune qui élargit les parties latérales du crâne, pl. XCIII, fig. 4, n° 12. Le crâne de la emmeille des clochers, de la pie et de la corneille mantelée, pl. XLIV, fig. 3, 4 et 5 , contrastent singulièrement dans cette région avec ceux du coq, pl. LVIJI, fig. 5; du dinde, pl. LI, fig. 5. § XIII. Organe de la circonspection. L’homme et les animaux ont reçu en partage plusieurs facul- tés propres à les garantir des circonstances extérieures. Chez quelques espèces, ainsi que je l’ai déjà dit, fuir à l’aspect du 270 TRAITE moindre objet qui leur porte ombrage, est leur seule ressource ; d’autres ne se contentent pas de prendre la fuite, mais elles raccompagnent encore de mille détours propres à tromper leur ennemi; enfin il en est d’autres qui présentent une faculté dominante, ayant sur-tout pour caractère d’etre toujours sur leurs gardes, à s’envelopper de précautions lors même qu’il n’existe aucune apparence de danger. Les animaux ainsi orga- nisés sont, avec juste raison , appelés précautionnés ou circons- pects. Les actes du loup, de la loutre, du renard, sont souvent empreints d’un caractère admirable de prévoyance. Qui n’a pas entendu parler des précautions dont celui-ci s’environne? pré- caution dans le choix de l’habitation ou du terrier; précau- tion dans les lieux qui l’entourent, et qu’il examine scrupu- leusement avant de s’y fixer ; examen minutieux des places les plus propres à favoriser la fuite , ou à se cacher au besoin. Va-t-il à la recherche du gibier? le renard, au lieu de courir et de s'élancer sur lui, comme le feraient d’autres animaux, n’y arrive qu’avec lenteur, sans négliger d’être sur ses gardes contre tout ce qui pourrait lui porter ombrage. Plus il approche de sa proie, et plus il redouble de précautions : pas le moindre mouvement imprudent qui puisse déceler sa présence, ses pieds ne font en quelque sorte qu’effleurer la terre : si l’animal qu’il guette se dirige vers lui, il s’arrête court, et s’élance sur lui comme un trait quand il le croit à une distance convenable. Les corbeaux, chez les oiseaux, nous offrent un exemple frappant d’une extrême circonspection ou de prévoyance. On sait que ces animaux placent plusieurs de leurs camarades en sentinelles , tandis que le gros de la troupe est occupé à manger ; à la moindre alerte tout le corps se met en mouve- DE PHRÉNOLOGIE. ment. Voient-ils passer une personne à cheval ou en voiture ? ils savent qu’ils n’ont rien à redouter, et ne quittent pas leur poste. Ils distinguent parfaitement l’homme armé d’un fusil de celui qui ne porte qu’un bâton; à l’aspect de l’arme meurtrière tous les corbeaux s’enfuient avec rapidité, et ralentissent leur vol quand ils se trouvent à certaine distance. Il m’est arrivé plusieurs fois de voir une troupe de corbeaux se diriger vers des chasseurs, et s’abattre à une distance qu’ils savaient être au-delà de la portée du fusil (i). J’ai vu au mois d’avril 1827, deux pies qui avaient fait leur nid au sommet d’un grand platane n’ayant alors que très peu de feuilles. Survint un coup de vent qui ébranla l’édifice à moitié construit : le jour même les pies portèrent brin à brin les matériaux de leur demeure dans un vieux sapin très touffu, prévoyant sans doute que dans cet endroit il serait à l’abri d’une nouvelle secousse. Je ne rapporterai pas, car ils sont trop nombreux, les faits qui démontrent que la prévoyance ou la circonspection forme un des caractères distinctifs de quelques espèces. Je ne puis cependant passer sous silence la conduite d’un oiseau très remarquable, par l’habitude où il est d'être continuellement sur ses gardes. Je veux parler de l’épeiehe, le moyen pic, dont Buffon a raconté la conduite avec une rare fidélité. J’emprunterai avec (i) On attribue, mais à tort, la fuite des corbeaux, à l’aspect d’un homme armé d’un fusil , à l’émanation de la poudre. J’ai mis le feu à une traînée de poudre sous des arbres où les corbeaux venaient se coucher : les corbeaux ne partaient jamais, quelque forte que fut l’odeur de la poudre, tandis que le moindre bruit suffisait pour leur faire prendre la fuite. TRAITE d’autant plus de confiance ce que cet auteur dit de cet oiseau, que des détails à peu près semblables m’ont été procurés par une personne digne de foi, qui a bien voulu m’envoyer deux épeiches. « L’épeiche paraît défiant , car lorsqu’il aperçoit quelqu’un, il se tient immobile après s être caché derrière les branches. En été, dans le temps des sécheresses, on tue sou- vent des épeiches auprès des mares d’eau qui se trouvent dans les bois, et où ces oiseaux viennent boire. Celui-ci arrive toujours à la muette, c’est-à-dire sans faire de bruit, ce qui annonce évidemment de la prévoyance ; il ne vient pour l’ordi- naire qu’en voltigeant d’arbre en arbre : à chaque pas qu’il fait, il semble chercher à reconnaître s’il n’y a rien à craindre pour lui dans les environs; il a l’air inquiet, il écoute, il tourne la tête de tous les cotés et la baisse pour voir à terre, à travers le feuillage des arbres, et le moindre bruit qu’il entend suffit pour le faire rétrograder. Lorsqu’il est arrivé sur l’arbre le plus voisin de la mare d’eau, il descend de branche en branche jusqu à la plus basse, et de cette dernière sur le bord de l’eau; à chaque fois qu’il y trempe son bec il écoute encore, et regarde autour de lui ; dès qu’il a bu, il s’éloigne promptement sans faire de pose comme lorsqu’il est venu. » Que prouve cet attirail de précaution et de défiance chez lepeiche, sinon une extrême prévoyance ou circonspection? quel contraste entre cette conduite et celle que tiennent ordi- nairement une foule d’oiseaux ! Ce caractère de prévoyance que nous venons de voir si pro- noncé chez certaines espèces, se retrouve dans l’espèce humaine avec des nuances tout aussi frappantes. Quelques hommes mettent dans leurs actions une prompti- tude, quelquefois même une légèreté poussée jusqu à l’étour- DE PHRÉNOLOGIE. 273 der *ie. Dautres, au contraire, n’agissent avoir examiné avec soin, vu et revu sur toutes leurs faces les choses dont ils s’occupent. Ces deux caractères si opposés sont ordinairement désignés par les noms d étourdis ou légers, et de circonspects, prudents ou prévoyants. Le défaut de circonspection porté trop loin constitue vérita- blement des êtres incomplets. L’inconséquence de leurs actes est quelquefois portée si loin, que quelque bonnes que soient leurs qualités, il est rare qu’ils ne finissent par perdre l’estime des personnes qui les entourent. Trop légers pour tenir compte des différences et des nuances de caractère des hommes, des circonstances dans lesquelles ils se trouvent, ils se compromet- tent à chaque instant ou compromettent les autres. Je n’ai jamais rencontré une personne manquant de circonspection dans un haut degré, qui ait pu inspirer une véritable confiance. Les personnes ainsi organisées sont peu propres aux profes- sions qui demandent de la gravité et une grande réserve. Dans un haut degré, la faculté qui nous occupe imprime à ceux qui la possèdent un caractère de sagesse et de maturité qui se laisse quelquefois apercevoir dès l’âge le plus tendre. Pour peu que cette faculté se trouve réunie à des sentiments supérieurs et à quelque intelligence, il y a pour ces personnes plus de chances de succès dans ce quelles entreprendront, que pour d’autres plus intelligentes peut-être, mais dépourvues de circonspection. Portée trop loin’, cette faculté peut être la cause d’une infinité d’abus. Je ne crois pas avec Spurzheim qu’elle donne lieu à la peur, pas plus qu elle ne produit, comme il l’assure, la mélancolie. J’ai rencontré des personnes très braves et très circonspectes, comme j’ai vu des personnes très étourdies et très mélanco- 274 TRAITÉ liques. Je crois seulement que cette faculté ne fait qu’ajouter à ces deux manières d’être, sans en être la cause principale. Gall croyait que, portée à l’extrême, cette faculté donnait lieu au suicide. Je ne crois pas que les faits qu’il a observés soient assez nombreux pour étayer son opinion. D’un autre coté, je possède déjà un grand nombre d’observations qui ne s’accordent pas avec ses remarques. Je présume que le penchant au suicide, comme la mélancolie, tiennent à un mode d’organisation particulier du système nerveux cérébral, augmenté sans doute par le déve- loppement ou le défaut d’action de certaines facultés, mais dans des proportions qui n’ont pas été étudiées sur un assez grand nombre d’individus pour avoir tous les caractères d’une chose démontrée. Les deux crânes de suicides qui font partie de la collection de Gall, ne prouvent en aucune manière que l’extrêmç circonspection ait été la cause de leur funeste penchant : leur extrême épaisseur prouve qu’il existait depuis bien long- temps une lésion de tout le système nerveux cérébral. Gall a bien précisé le siège de l’organe de la circonspection chez l'homme, où il occupe la région moyenne de l’os pariétal, pl. LXXXIX , fîg. 2, n° i3. Quand cette partie cérébrale est très développée, elle fait bomber toute la partie moyenne de cet os, de manière à lui donner une forme particulière. Les deux figures de la pl. XCIX présentent cet organe dans un haut, et dans un faible degré de développement. Le crâne de la figure i est celui d’un forçat qui s’était évadé deux fois du bagne, en trompant par son extrême circonspection la vigilance de ses compagnons et de ses gardiens; l’autre est celui d’un homme qui était un vrai modèle d’étourderie. Le Jules César représenté dans les œuvres de Plutarque, peut servir à donner un exemple d’un beau développement de cet organe. Je trouve la même orga- DE PHRÉNOLOGIE. 275 nisation lortement exprimée sur le buste de Georges Cuvier. Quelques peuplades sauvages, les Papous, par exemple, sont remarquables par un grand développement de la circonspec- tion. La meme faculté est le caractère distinctif de la nation Allemande. Le contraire se remarque chez les Français : il n est pas rare de voir en France un assez grand nombre de tètes présentant un très faible degré de développement de la région de la circonspection : on peut meme dire que la masse de la nation ne la présente que dans un degré moyen de développe- ment ; cependant on conçoit que sur une population de trente et quelques millions d’habitants, on doit s’attendre à trouver un assez grand nombre d^exceptions.Nous reviendrons sur ce sujet en traitant des tètes nationales. Siège de l’organe de la circonspection chez les animaux. Les personnes peu versées dans l’anatomie comparée , com- mettraient de grandes méprises, si, sans connaissances préala- bles sur cette science, elles voulaient faire des applications aux crânes des animaux. C’est ce qui est arrivé à Gall qui se con- tente souvent, après avoir indiqué le siège d’un organe chez l’homme, de dire_, je retrouve le meme organe très développé chez telle et telle espèce. Ainsi, d’après cet auteur, ce serait la région moyenne pariétale qui serait encore le siège de la circon- spection chez les animaux; tandis qu’il est de fait, comme je vais le démontrer, quelle n’y répond en rien chez certaines espèces, et que chez d’autres elle n’en forme que la moitié ou environ. TRAITE Pour bien saisir Je siège de l’organe de la circonspection chez les oiseaux, il faut se rappeler, ainsi que je l’ai dit dans mon premier volume : i° que dans cette classe d’animaux, les fron- taux, en général, forment une cavité où se trouve logée la plus grande masse des hémisphères cérébraux; 2 ° que chez certaines espèces les pariétaux présentent un développement peu consi- dérable; telle est la famille des gallinacés. Si nous étudions maintenant la forme du crâne des oiseaux bien connus pour très circonspects, nous verrons que ce qui le distingue est le développement remarquable de la région placée à quelques lignes au-dessus de la partie moyenne du bord postérieur de l’os frontal. Chez les oiseaux très circon- spects , cette région est non-seulement très étendue, mais elle se trouve encore augmentée par le développement considé- rable du pariétal. Le n° i3 de la flg. 3, pl. XCIII, indique exactement le siège de l’organe de la circonspection chez les oiseaux. On peut, en jetant les yeux sur les crânes appartenant aux oiseaux suivants, avoir une idée du mode de conformation qui caractérise les oiseaux circonspects : la corneille des clochers, pl. XLIV, fîg. 5; la corneille mantelée, id. pl., fig. 3; le pic vert, id. pl., fig. 2; la pie, id. pl., fig. 4. Tl est, comme on le voit, très apparent chez l’épeiche, id. pl., fig. 1 : c’est le dévelop- pement extrême de la circonspection , qui contribue à donner au crâne de cet oiseau une forme globuleuse. O On retrouve la même organisation chez la buse, pl. LX1X , fig. 2 ; la sous-buse, id. pl., fig. 5. Je l’ai trouvée dans un degré de développement excessivement remarquable chez une espèce de très petite chouette qui fut tuée dans une forêt près des bords du Rhin : son crâne est représenté id. pl., fig. 4 et 3. DE PHRÉNOLOGIE. Plusieurs crânes d’oiseaux réputés circonspects, se trouvent encore représentés dans mon Atlas; je ne les citerai pas ; car les exemples que je viens de donner suffisent pour les faire reconnaître au premier coup d’œil. On peut comparer maintenant avec les crânes que je viens d’indiquer, et comme contraste , ceux de la poule et du dinde, pl. LVII, fig. i, 2, 3 et 4* Que I on compare les crânes de deux animaux de la même classe, mais présentant la cir- conspection dans un degré différent, et l’on trouvera dans la région qui est le siège de son organe, une différence facile à saisir. Je donnerai comme exemple le crâne du coq représenté fig. 5, pl. LVIII, et celui de la petite outarde, fig. 3, pl. LXVIIl. Chez le premier, la région de la circonspection est peu déve- loppée; elle est, au contraire, assez apparente chez le second. J’ai constamment trouvé la région de la circonspection plus étendue sur le crâne des oiseaux femelles que sur celui des mâles. Il en est même chez qui elle contribue d’une manière frappante à donner plus de volume à la tête : je citerai comme exemple la buse , l epervier, la cresserelle et quelques aigles. Chez les quadrumanes, l’organe de la circonspection occupe la même place que chez l’homme. Dans les quadrupèdes , la portion cérébrale affectée à la circonspection est celle qui se trouve indiquée par le n° 9 sur le cerveau du chat, pl. LXXV, fig. 2. Lorsqu’elle est très développée , elle fait saillir dans toute sa longueur la partie moyenne de l’os pariétal; c’est ce que l’on voit chez le renard, pl. XXXV, fig. 1 ; la marte, le putois et la belette , pl. XXXVI, fig. 2.4 et 5 : elle est très apparente sur le crâne d’un loup représenté pl. XXXI, fig 1. Les deux crânes de chiens représentés pl. XL, offrent un exemple d’un faible et d’un assez grand degré de développe- 278 TRAITÉ ment de la région de la circonspection ; la conduite de ces animaux dont j’ai suivi attentivement les habitudes, répondait parfaitement à leur organisation. Chez les herbivores, la situation de l’organe de la circon- spection est la meme; mais comme la circonvolution est moins alongée, il en résulte que la surface extérieure du crâne est plus bombée et plus arrondie dans le point qui y répond. On voit que chez le chevreuil, pi. XXVII, et l’isard, espèce de chamois des Pyrénées, pi. XXXVIII, la région de la circon- spection est très apparente. Il est probable que c’est en partie au grand développement de la circonspection, qu’il faut attri- buer le peu d’accidents qui arrivent aux mules employées pour voyager dans les lieux escarpés. Humboldt raconte que lorsque ces animaux se croient en danger, ils s’arrêtent, tournent leur tête à droite et à gauche ; le mouvement de leurs oreilles paraît indiquer qu’ils réfléchissent sur la décision qu’ils doivent prendre : leur résolution est lente, mais toujours sûre, si elle est libre, c’est-à-dire, si elle n’est pas dérangée ou précipitée par l’imprudence du voyageur. C’est sur le chemin effrayant des Andes, et pendant un voyage de six ou sept mois, dit ce célè- bre voyageur, à travers des montagnes creusées par des torrents, que l’intelligence des bêtes de fardeau se déploie dans un degré étonnant. Aussi, on entend les montagnards dire, je ne vous donnerai pas la mule dont le pas est le plus agréable, mais celle qui raisonne le mieux. DE PHRÉNOLOGIE. 279 CHAPITRE VII. TROISIEME ORDRE DE FACULTÉS. — FACULTÉS INTELLECTUELLES Ier Genre. Toutes les facultés que nous venons d’étudier sont communes à l’homme et aux animaux, et forme le caractère distinctif de certaines espèces, notamment de celles qui occupent les degrés inférieurs de l’échelle animale. Plus nous avancerons et plus nous verrons les facultés prendre un caractère plus élevé, plus supérieur, plus intellectuel, si je puis m’exprimer ainsi. Ces changements deviendront faciles à expliquer par ceux qui se remarqueront dans l’organisation. Le lobe antérieur du cerveau, siège de ces facultés, va prendre alors un développement et une ampleur remarquable. Nous verrons que l’homme est de tous les animaux celui que fau- teur de la nature a le plus avantageusement doté sous ce rapport. Lui seul, sur-tout, possède dans un haut degré de développement la plus précieuse de toutes les facultés intellec- tuelles, celle qui le porte à remonter aux causes des choses, et à en saisir les rapports. 280 TRAITÉ Les facultés dont je vais parler comprennent trois genres. Le premier renferme celles qui sont destinées à réagir sur les organes de transmission ou les sens, en nous donnant une idée de l’existence des objets qui nous entourent, de leurs qualités, de leur nombre, leur action, leur ordre, leur distance, etc., etc. Le deuxième genre renferme une faculté commune à l’homme et aux animaux, et deux autres, seulement propres à quelques espèces. Vient enfin le troisième genre comprenant les facultés réflec- tives, c’est-à-dire, celles qui réagissent sur les sensations pro- duites par les facultés des deux genres précédents. § i. Organe de la perception ou de la conscience des objets. Toutes les facultés contenues dans les genres du troisième ordre, ont leurs organes logés sous l’os frontal ; c’est donc sur cette région que nous devons fixer particulièrement notre attention. Tout ce que Gall a dit sur les facultés appelées per- ceptives par les métaphysiciens, me paraît souvent très vague, et ses applications aux tètes des animaux, comme je le démon- trerai, on ne peut plus inexactes. Je me verrai donc forcé de l’abandonner entièrement quand il sera question d’appliquer la phrénologie aux vertébrés, citant seulement de son ouvrage les faits principaux qui pourront, par leur comparaison avec mes recherches , faire ressortir les erreurs échappées à cet DE PHRÉNOLOGIE. 281 homme célèbre. Cette manière de procéder, tout en satisfai- sant au désir des personnes qui s’intéressent aux progrès de la science, fera mieux connaître combien est grande l’imperfection des travaux de Gall sur plusieurs points essentiels de la phy- siologie du cerveau. Les expressions, mémoire des choses, mémoire des faits, sens des choses, éducabilité, perfectibilité, employées par Gall pour désigner la faculté que je traite dans ce paragraphe, me parais- sent extrêmement vagues ou incorrectes. De quels faits, de quelles choses Gall veut-il parler? Les mots éducabilité, perfectibilité, ne sont-ils pas aussi applicables à toutes les facultés ? Toutes ne sont-elles pas effectivement capables d’éducation, de perfection- nement? Ce langage est si vicieux qu’il met très souvent Gall en contradiction avec lui-même. Parmi les nombreux faits que je pourrais citer, je n’en rapporterai qu’un seul, afin de démon- trer que cet auteur emploie quelquefois l’expression éducabilité dans un sens tout-à-fait, différent. Un renard, dit-il , pag. 3q3 , vol.4 , édit. in-8°, quia été pris au piège, et qui, pour s’en déli- vrer, s’est vu forcé de se couper le pied, évite pendant des années entières très constamment tous les pièges, Le renard a donc la mémoire des faits ou des choses? et à la page /\oi , id. vol., il donne le crâne de cet animal comme modèle du défaut d’éducabilité. A la page 4°°5 Gall avait dit que la région antérieure inférieure du cerveau, étant occupée par plusieurs organes, à commencer de la ligne médiane jusqua la partie temporale, ne pouvait être prise en considération pour mesurer le degré de perfectibilité. Les seules circonvolutions placées vers la ligne médiane, et séparées seulement par l’interposition de la faux, sont affectées, dit-il, à cette fonction. Ainsi, ce n’est que la partie correspondante du crâne ou de la tête qui doit TRAITÉ fixer notre attention. On voit que Gall n’indique ici qu’une assez petite portion du cerveau. Arrivons-nous ensuite à l’ap- plication pag. 402, alors il parle de tout le front pour indiquer une seule faculté, ledueabilité, Voici ses expressions : le front est bien plus élevé dans la tête du barbet, éminemment éducable comparativement à la loutre, au renard et au blaireau. Ainsi, dans le front de ces animaux se trouve une dixaine d’organes que Gall confond avec une seule faculté, la mémoire des choses. Si nous examinons ensuite ses dessins, où se trouve la place de l’organe de la mémoire des choses, quel est le siège des orga- nes qui l’avoisinent, quels sont ceux qui occupent la région frontale, nous ne trouvons rien, absolument aucune indication : ce sont seulement de simples esquisses de crâne, dont la vue est plutôt propre à induire en erreur qu’à servir à l’instruction. L’aplatissement du front chez le renard, la marte et la loutre, n’est pas seulement le résultat du faible développement d’un organe, mais de plusieurs, dont Gall n’a jamais précisé le siège convenablement dans ses ouvrages. Avant d’indiquer la place de l’organe que je considère comme le siège de la faculté qui donne une connaissance de la substance ou des corps, je crois nécessaire d’entrer dans quelques détails, propres à donner une idée de cette faculté. Je suppose pour un instant que les regards de plusieurs personnes se portent sur un objet quelconque, toutes, après l’avoir vu, se le rappelleront bien comme objet, comme sub- stance ou corps; mais plusieurs de ses qualités n’auront pas été perçues avec la même justesse par ces personnes : toutes diront bien, sans que l’objet soit présent, c’était un cheval, une maison, une fleur, etc.; mais toutes ne s’accorderont plus quand il sera question de la forme, du volume, de la couleur DE PHRÉNOLOGIE. 283 de ce corps. Ainsi , pour avoir une idée complète d’un objet, il ne suffit pas de le voir, car, s’il en était ainsi, avec une vue très distincte on arriverait à ce résultat. Je vais choisir un exemple qui rendra mon observation plus frappante. Que deux dessinateurs, également habiles, aient à faire le portrait d’une personne. Envisagés sous le rapport de l’exécution , les deux portraits pourront être excellents; mais, ainsi que cela se voit tous les jours, l’un sera beaucoup plus petit que nature, Pautre plus grand, ou dans une proportion qui tiendra le milieu : l’un pourra être très ressemblant, l’autre très peu ou pas du tout : celui-ci pourra briller par la richesse du coloris, celui-là en manquer complètement. Ainsi, voilà deux personnes qui pren- nent connaissance d’un même objet, mais dont elles rendent diversement les caractères. Si l’idée de l’objet était toujours accompagnée de celles des propriétés qu’il possède, la repro- duction des deux peintres aurait dû être la même. On peut donc avoir la conscience d’un objet sans avoir une idée exacte de ses formes; d’où nous devons naturellement conclure que, dans ce cas , deux facultés distinctes sont mises en jeu. Spurzheim donne à la première faculté le nom d’individua- lité : au lieu d’en placer le siège dans la région indiquée par Gall, il le met au-dessous, et considère la place indiquée par Gall, comme le siège d’un autre organe dont je parlerai plus tard. Il est réellement remarquable qu’après avoir indiqué sur le cerveau, une circonvolution affectée à ce que Gall appelle édu- eabilité, il engage son lecteur à comparer des têtes d’imbécilles avec celles d'hommes très intelligents. Ce mode de comparaison est on ne peut plus vicieux; car dans le crâne des imbécilles qu’il a fait représenter, ce n’est pas seulement la partie qui 284 TRAITÉ correspond à la place quil indique, qui se trouve peu déve- loppée, mais encore toute la région frontale, où se trouve un assez grand nombre d’organes. Ses comparaisons de crânes d'animaux sont encore plus défectueuses. La mémoire des substances ou des objets existe chez l’homme et chez tous les animaux vertébrés. En rappelant à leur esprit les principales circonstances qui les entourent, elle devient pour eux un guide excellent dans leurs besoins et dans les choses qu ils ont à éviter. La mémoire des objets et des lieux était très faible chez le philosophe Montaigne : « Il n’est homme à qui siese si mal de se mesler de parler de mémoire ; car ie n’en recognois quasy trace en moy : et ne pense qu’il y en ayt au monde une autre si merveilleuse en défaillance. Il dit que les livres et les lieux qu’il revoyait, lui riaient toujours d’une fraîche nouvel- leté » (i). La partie cérébrale, siège de cette faculté, est celle qui se trouve placée chez les animaux à la partie la plus anté- rieure et interne des hémisphères cérébraux 1, i, dg. 6, pi. LXXV. Elle se prolonge seulement jusqu’au deux i , x placés les plus en arrière. On voit que cette partie cérébrale est assez développée sur le cerveau de cet animal (le chien). Je ne pense pas avec Gall que l'éducabilité chez les animaux soit le résultat d’une seule faculté; mais quelle dépend de plu- sieurs, que la mémoire des objets peut aider puissamment. Ainsi, si chez les chiens, l’éléphant, l’orang-outang, les chevaux, on trouve une plus grande éducahilité, c’est qu’à une mémoire des objets extrêmement heureuse, ces animaux joignent d’autres facultés perceptives, et même réfleetives très remarquables. (r) Essais, liv. I > chap. IX. DE PHRÉNOLOGIE. 285 Ce que je viens de dire du siège de l’organe de la perception des objets, peut aisément faire saisir son développement à l’extérieur du crâne. Le n° 14 de la fig. 4 ? pl. XCIII ; le meme n°, fîg. 2, id. pl., indique le siège de cet organe chez les oiseaux et les quadrupèdes; Letendue n’en peut être bien appréciée qua l’aide d’une coupe verticale pratiquée sur le crâne. Que l’on jette maintenant les yeux sur les coupes verticales de crânes d’oiseaux représentées pl. II et II bis, et l’on pourra avoir une juste idée de l’étendue de cet organe chez diverses espèces. Quelle différence par exemple, n’existe-t-il pas à cet égard entre le crâne du perroquet, pl. II, fîg. 1, et celui de la poule, id. pl. , fîg. 4 ; du dinde, id. pl., fîg. 2, et celui de la corneille mantelée, id. pl., fîg. 5 ? L’épaisseur du diploé chez certaines espèces d’oiseaux, telle est l’effraie, pl. II bis, fîg. 5, et la présence des sinus fron- taux chez plusieurs quadrupèdes, peuvent devenir un obstacle à saisir le développement de l’organe en question à l’extérieur. Chez le chat adulte, par exemple, et chez la grosse espèce de chiens, il serait impossible d’apprécier extérieurement le déve- loppement de cet organe. C’est ce dont on peut se convaincre en jetant les yeux sur la fig. 1 de la pl.IY représentant la coupe verticale du crâne du chat, et la fîg. 1 de la pl. IX représentant la coupe verticale d’un crâne de chien pourvu de sinus frontaux. On voit qu’il existe ici un écartement considérable entre les deux tables; tandis que dans le crâne d’un chien appartenant à une petite espèce, id. pl., fîg. 2, il n’y a aucune trace de sinus frontaux , et le parallélisme le plus parfait existe entre les deux tables. La partie cérébrale placée derrière les os du nez est celle qui se trouve être le siège de l’organe de la perception des objets. 286 TRAITÉ Chez l’homme et les quadrumanes, le siège est absolument le même. (Voir la pl. XCI, fîg. a, n° 14.) § il Organe de la configuration. Gall avait appelé cet organe le sens des personnes. Son disciple Spurzheim a proposé le mot configuration, expression infiniment préférable, car elle s’applique à tous les objets qui peuvent frapper les regards de l’homme et des animaux. C’est cette faculté qui donne à ceux qui la possèdent dans un assez haut degré la possibilité de se rappeler facilement la forme des objets, et conséquemment les traits des personnes. Gall l’avait dans un très faible degré. On la rencontre souvent à un degré surpre- nant chez les animaux. Elle est très prononcée chez les chevaux , les chiens, les moutons, les oies, les perroquets et les corbeaux. Une personne digne de foi m’a raconté qu’un ancien émigré, qui avait séjourné plusieurs années en Angleterre, manqua d’être renversé dans une rue de Paris, par une charrette que conduisait un cheval ; cet animai arrivé près de cette personne s’arrête tout court, et agite la tête et la queue en signe de joie. Que l’on juge de la surprise de cet homme en reconnais- sant un cheval qu’il avait eu plusieurs années dans ses écuries. Une personne de Saint-Germain vint un jour a Paris avec un chien qui le suivait partout. Dans une des rues les plus fré- DE PHRÉNOLOGIE. quentées , le chien s’arrête près d’une voiture traînée par un âne, saute à la tête de cet animal, et fait mille cabrioles. Cet âne était un ancien ami avec lequel il avait vécu pendant trois ans. Il n’est pas rare de voir dans les lieux où l’on élève les oies , plusieurs troupes de eesoiseauxse mêler ensemble lorsqu’ils vont paître, et se réunir ensuite par bandes pour retourner à la ferme. Comment expliquer un pareil phénomène, si l’on n’admet pas chez ces animaux une grande facilité à se rappeler la forme des individus ? Les personnes qui ont la faculté de se rappeler aisément les traits des autres, sont remarquables par un mode d’organisa- tion particulier : il consiste dans un abaissement du globe de l’œil vers son angle interne ; il en résulte qu'au lieu d’être placé horizontalement dans l’orbite, le globe oculaire s’y présente obli- quement. La hg. ‘i de la pl. XCIII bis, peut donner une excel- lente idée de la manière dont l’œil se présente â l’extérieur. On concevra facilement cette disposition, lorsqu’on saura que la partie cérébrale qui est le siège du sens de configuration, repose sur le plancher orbitaire et vers l’angle interne de l’œil; il en résulte que si cette partie est très développée, la portion de l’orbite qui y correspond se trouvera abaissée, et forcera conséquemment la portion du globe de l’œil qui y répond à se diriger vers la joue. On conçoit parfaitement comment la faculté de la configura- tion devient indispensable au peintre de portraits : son faible degré fait aisément concevoir aussi comment avec de grands talents en peinture une personne n’attrappe pas la ressem- blance , et vice versa : le sens de la configuration est générale- ment assez prononcé chez les Français. 288 TRAITÉ Gall n’a point fait de recherche sur le siège de l’organe de la configuration chez les animaux. Je crois l’avoir trouvé en com- parant le cerveau de deux chiens de meme âge et de même espèce. L’un était si bien organisé sous ce rapport, qu’il recon- nut, après plus de 16 mois d’absence, la personne qui l’avait donné, bien qu’il fût cependant extrêmement jeune. A peine l’eut-il aperçue qu’il l’accabla de caresses, et pensa mourir de suffocation à la suite des sauts et des gambades auxquels il s’aban- donna. La circonvolution marquée q sur le cerveau du chat, pi. LXXIX, fig. 3, qui est celle que je crois affectée au sens de configuration, était bien plus développée chez le chien qui reconnaissait facilement les personnes , que sur le cerveau de l’autre. Cette circonvolution occupe, chez le chien, la surface placée sur les parties latérales et supérieures des dépressions logeant les bulbes olfactifs. Son développement s’apprécie sur le crâne, par l’intervalle qui existe entre les deux lames osseuses qui encaissent la lame criblée de l’ethmoïde. (Voir la base du crâne représenté pi. III bis, fig. 2. Plus cette ouverture est grande et plus l’organe se trouve développé. Je crois que le renflement placé sur les parties antérieures et internes des hémisphères cérébraux chez l’oie domestique, pl. LXXVIII, fig. 5, n° 3, est la partie affectée au sens de la confi- guration. Ici je suis seulement dirigé par l’analogie de situation des organes, n’ayant pu encore me procurer des oiseaux appar- tenant à cette espèce , et possédant la faculté de configuration dans deux degrés assez tranchés pour servir d’objet de compa- raison. Le point du crâne qui me parait être le siège de l’organe de la configuration chez les oiseaux , est indiqué par le n° i5 sur la DE PHRÉNOLOGIE. 289 base de crâne du corbeau, pl. XCIII, fig. 5. Les oiseaux qui m’ont présenté la partie cérébrale qui répond à cette région dans le plus haut degré de développement, sont toute la famille des oies, des canards et des corbeaux. § m. Organe de l’étendue. Spurzlieim est le premier qui ait parlé de cette faculté, que Von doit admettre en théorie, et probablement en pratique. 11 est certain que l’on peut avoir une idée de la forme d’un objet, sans avoir celle de ses vraies dimensions. Plusieurs observations que j’ai faites sur des dessinateurs, m’ont paru confirmer celles de Spurzlieim, en pratique et en théorie. Je connais plusieurs peintres qui dessinent parfaitement, qui font même très ressem- blant, mais qui donnent constamment à l’objet qu’ils dessinent ou trop, ou trop peu détendue; d’autres, au contraire, bien que très médiocres, rendent exactement l’étendue d’un objet. Voici le moyen auquel j’ai eu recours pour apprécier le déve- loppement de cette faculté. J’ai donné à plusieurs dessinateurs le même sujet à représenter. J’avais choisi avec intention un dessin, afin de mesurer facilement les distances après l’exécution. Les des- sinateurs étaient tous à la même distance : celui qui fit le dessin dans la proportion la plus voisine du modèle, avait évidem- ment la région indiquée par Spurzlieim, c’est-à-dire la partie 290 TRAITE interne et supérieure du grand angle de l’œil, pl.XGl,fig. 2, n°£6, plus saillante que les autres. Chez la personne qui avait le moins bien réussi, la même région était évidemment moins saillante. Je n’ai jusqu’à ce jour trouvé aucune occasion de faire des remarques chez les animaux, pour ou contre les faits reconnus chez l’homme par Spurzheim. § iv. Organe de la distance. J’ai été conduit à la découverte de cette faculté, par l'obser- vation des actes de certains animaux, et quelques faits recueillis chez l’homme. Je ne crois pas que l’on puisse confondre la faculté de letendue avec celle de percevoir la distance ; l’une peut exister indépendamment de l’autre. Apprécier l etendue ou le volume d’un corps, c’est avoir une idée de tous les points de sa surface; tandis que la distance consiste seulement dans l’intervalle qui existe entre deux points d’un corps, ou deux objets placés en différent lieu. Je m’explique : l’aigle qui, du plus haut des airs, s’élance sur sa proie comme un trait, doit avoir, avant d’agir, une juste idée de la distance qui le sépare de sa proie , pour ne pas tomber en deçà ou au delà. Le renard qui se jette sur une poule, la manquera certainement s’il n’a calculé juste l’intervalle qui l’en sépare. Un chasseur m’a dit avoir vu un renard qui, après avoir manqué une poule, DE PHRENOLOGIE. 291 répéta deux fois le même saut, afin de voir pourquoi il n’avait pas réussi dans son opération. Comment certains oiseaux qui ne vivent que de poisson, et dont le bec est très effilé, pourraient-ils saisir leur proie, s’ils n’avaient pas une juste idée de la distance? le chasseur qui tire sur une pièce de gibier, doit, pour réussir, avoir une juste id ée de l’intervalle qui existe entre l’animal et le canon de son fusil. La faculté de la distance est indispensable aux oiseaux de proie. C’est elle qui constitue le bon chasseur : réunie à la faculté de la résistance, elle devient d’un secours précieux aux joueurs de quille et de palet. En comparant les cerveaux du dinde et de l’aigle, j’ai re- marqué une différence très sensible dans le développement de la partie cérébrale placée en 1, fig. 7 , pi. I bis ; celle-ci était bien plus arrondie et bombée sur le cerveau de l’aigle que sur celui du dinde : il existe, sur-tout entre les cerveaux des oiseaux de proie et ceux des granivores, une différence remarquable sous ce rapport : d’où résulte, dans la disposition de la voûte crânienne, une différence de conformation sensible dans sa partie anté- rieure comparée chez ces deux classes d’animaux. On peut rapprocher la voûte du crâne de la buse et de l’effraie, fig. 7 et 8, id. pl., de celle de la poule, id. pl., fig. 9. Que l’on examine le cerveau de la grande chouette, pl. LXXIII, fig. 5 , et l’on verra que la partie du lobe antérieur qui répond au point que je viens d’indiquer chez l’effraie et labuse, est très arrondie. J’ai retrouvé la meme disposition chez le grèbe, pl. LU , fig. 1 ; le cormoran, pl. LY, fig. 1 ; le guillemot, pl. LIX fig. 7; elle est très apparente sur le cerveau de l’hirondelle, pl. LXXIII, fig. 9. Je la trouve encore très prononcée sur le cerveau des canards et des oies sauvages. Je crois que cette faculté donne aux oiseaux traite voyageur une idée de la distance parcourue. J’ai comparé ensemble quatre individus, dont deux étaient remarquables par leur adresse au tir et au palet, et les deux autres d’une grande maladresse pour ces exercices. Chez les deux premiers la région marquée 17, pl. XCI, fig. 1 , était évidemment plus prononcée que chez les seconds. J'engage les phrénologistes à répéter encore ces expériences. J’ai déjà dit que la faculté de percevoir la distance devait être le caractère distinctif de certaines espè- ces; tels sont les oiseaux de proie chez les oiseaux, le renard, le chat parmi les quadrupèdes : on sait avec quelle adresse et quelle justesse celui-ci saute d’un toit sur un autre. Le chamois qui se précipite d’un roc sur l’autre, et sur une place où il peut à peine mettre ses pieds, doit avoir la faculté de percevoir la distance dans un très haut degré. Je connais un chasseur qui possède deux lévriers, bien diffé- rents pour la faculté de la perception de la distance : l’un manque toujours un lièvre ou un lapin plusieurs fois avant de s’en emparer ; il est très très rare, au contraire, que l’autre fasse deux sauts pour le saisir. J’ai employé, mais vainement, tous mes efforts pour me procurer le crâne de ces deux animaux. S iv. Organe du sens géométrique. Si l’on examine avec soin la manière dont volent ou mar- chent les animaux, on trouvera qu’il existe entre eux des DE PHRÉNOLOGIE. différences assez remarquables. Les pigeons, les corbeaux, les alouettes, volent par troupe et sans aucun ordre; les étourneaux, les moineaux, les perdrix, sont dans le meme cas. Il est d’autres oiseaux , au contraire, tels que les canards , les oies, les macreuses, qui marchent, nagent ou volent en suivant un ordre très régulier. Les macreuses forment souvent à la surface de la mer de longues lignes noirâtres, d’une grande régularité. Toutes les personnes qui out observé les oiseaux de passage dans leur vol, ont dû être frappées de ces espèces de figures géométri- ques que certaines espèces tracent dans l’air : le plus souvent c’est celle d’un triangle extrêmement régulier. Cette manière de voler des canards, des oies et des cygnes, était connue dès la plus haute antiquité : Pline, dans son 23e livre, dit, en parlant de ceux-ci : liburnie arum modo, rostrato impetu feruntur, facilius ità Jindentes aéra, quam si recta froute impellerent : a tergo sensim dilatante se cuneo porrigitur agmen, largeque impellenti prœ- betur aurœ y colla imponunt prœcedentibus, fessos duces ad terga recipiunt. Personne, avant moi, n’avait cherché à démontrer que cette faculté dépendît d’une organisation spéciale. Les faits que j’ai recueillis à ce sujet me paraissent assez nombreux pour être à l’abri de toute attaque. Avant d’indiquer le siège de l’organe du sens géométrique à la surface du crâne chez les oiseaux, je dois faire remarquer que je divise la partie antérieure du bord orbitaire en quatre régions, à partir de dedans en dehors, c’est-à-dire du point x au point y. (i) Si de ces quatre régions, comprises entre ces deux (i) Voir la figure 4 de la pl. XCIII. 294 TRAITE points, on examine avec soin celle indiquée par le n° 18 , pl. XCIII, fig. 4, on la trouvera très apparente, sans aucune excep- tion, chez toutes les espèces qui, voyagent en décrivant des figures géométriques. Je citerai comme exemple de ce mode d’or- ganisation, le canard sauvage, pl. LI, fig. 4; l’oie sauvage, id. pl., fig. i; le canard pilet, pl. LUI, fig. i; le morillon, id. pl., fig. 2; le cravant, le souchet et la bernache, id. pi., fig. 3, 4 et 5. La même organisation se retrouve encore chez les macreuses, pl. LU, fig. 2 et 3; le grèbe, le canard siffleur et la sarcelle, id. pl., fig. 1, 5, et 4- La pl. LXXII représente cinq cerveaux appar- tenant à des oiseaux possédant la faculté en question dans un assez haut degré. Tous les crânes que je viens de mentionner, contrastent d’une manière remarquable daus le point que j’ai indiqué, avec ceux des oiseaux qui volent irrégulièrement; tels sont les corbeaux , les goélands, les pigeons, etc. Tous les animaux qui mettent dans leur manière démarcher, de voler ou de nager, un certain ordre , ont cet organe plus ou moins développé. Je l’ai trouvé chez l’oie et le canard domes- tique, bien que moins prononcé que chez les individus sauvages du même genre. Je crois que c’est cet organe qui contribue à rendre le cerveau du hareng plus large dans sa partie anté- rieure (1) : on sait que ce poisson nage par bandes assez régu- lières. Cest encore le même organe qui donne au crâne du lemning une forme carrée. (Voir la fig. 8 de la pl. XXIX. ) Les personnes qui ont lu l histoire de ce rat de la Norwège, savent i) Voir la figure 7 de la pl. LXXÏ. DE PHRÉNOLOGIE. que ce petit animal voyage dans un ordre de bataille admi- rable. La faculté que j’ai découverte chez les animaux, existe-t-elle aussi chez l’homme, et contribue-t-elle à former, seule ou réunie à d’autres, le talent du géomètre? c’est ce que j’ignore: c’est au temps et à l’expérience à nous instruire sur ce point. § VI. Organe de la résistance. —Organe appréciant la densité des corps. Gall n’a rien dit de cette faculté et de son organe , que Spurzheim donna d’abord comme probable, et dont l’existence n’est plus contestée maintenant. Non-seulement j’ai découvert cet organe chez les animaux, mais je crois avoir donné à l’his- toire de cette faculté un plus grand développement, en l’appliquant à plusieurs vertébrés, et en faisant voir le role important quelle joue dans les actes des espèces qui en sont pourvues dans un haut degré. Spurzheim désigne cette faculté sous le nom de pesanteur; mauvaise expression, puisqu’elle indique cette loi générale en vertu de laquelle les corps gra- vitent les uns vers les autres. Un phrénologiste distingué d’Édimbourg, M. G. Mackenzie, a proposé le mot résistance, expression préférable en la prenant dans le vrai sens que l’on doit y attacher, c’est-à-dire, comme la faculté qui nous permet d’apprécier la densité des corps qui nous entourent. 296 TRAITÉ La faculté de saisir la résistance des corps ou leur densité, est loin d’être perçue de la même manière par tous les individus de la même espèce ou d’espèces différentes. L’oiseau de proie qui veut s’emparer d’un animal, ne doit pas seulement calculer la distance qui l’en sépare, mais encore développer une force d’ailes égale à la résistance de Pair qui l’environne. Les hiron- delles, les martinets, les frégates, parcourent dans l’air des distances incroyables. Comment pourraient-elles, sans une juste appréciation de la résistance de ce fluide, donner à leurs mou- vements cette régularité et cette grâce qui nous étonnent? Voyez la cresserelle qui plane au-dessus et à une très grande hauteur d’un mulot quelle veut saisir; la rapidité de ses ailes est telle qu elle paraît presque immobile : en un clin d’œil elle se laisse tomber comme une pierre, s’empare de sa proie et s’envole en exécutant des mouvements bien différents de ceux quelle avait d’abord employés. La faculté de percevoir la densité de l’air, devient sur-tout indispensable aux oiseaux qui sont obligés de franchir des espaces considérables : tous ne doivent-ils pas modifier leur vol, suivant la direction et la densité de l’air? comment les oiseaux palmipèdes pourraient-ils nager avec facilité, s’ils n’avaient pas dans leur cerveau une perception exacte de la résistance que leur offre le liquide qui les supportent? Qui n’a observé les mouvements si légers et si gracieux du cygne, résultant en partie de la juste appréciation de la résistance qu’il oppose à l’eau avec ses pattes, et cà l’air en déployant ses ailes comme les voiles d’un navire? n’est-ce pas la même faculté de percevoir la résistance des corps, qui contribue à rendre le pas des chevaux et des mules plus ou moins sur? n’est-ce pas elle encore qui fail déployer à quelques animaux sauteurs, un DE PHRÉNOLOGIE. degré de force égal à l’espace qu’ils ont à franchir? Quelle diffé- rence ne remarque-t-on pas entre quelques hommes, sous le rapport de certains exercices dans lesquels la perception de la résistance est nécessaire? Comment se fait il que de deux frères, l’un excelle dans les exercices de la natation, du saut, du patin, etc., tandis que l’autre peut à peine se tenir en équilibre sur la glace, ne peut jamais apprendre à nager? J’ai connu dans mon pays une famille composée de quatre garçons; tous, dès l’âge le plus tendre, montraient une disposition étonnante à exécuter avec grâce toutes sortes d’exercices : ils excellaient sur- tout dans l’art de montera cheval, et seraient devenus au besoin d’excellents équilibrâtes. Je connais, au contraire, plu- sieurs personnes d’une maladresse étonnante pour les exercices du corps : l’une, entre autres, est d’une telle gaucherie, quelle a été renvoyée de la garde nationale pour le seul motif de son défaut de tournure : rien de plus comique effectivement que tout son ensemble. J’ai consulté plusieurs personnes remarquables pour bien patiner, danser avec grâce, faire toutes sortes d’exercices du corps avec facilité, et je n’en ai pas rencontré une seule qui ne jouât bien au billard, et n’excellât dans les exercices dans lesquels il est nécessaire d’apprécier la résistance des corps. Chez toutes j’ai trouvé la région marquée 19, pl. XCI, fig. 2, très développée. Chez tous les oiseaux de proie, tels que les aigles, les chouettes, j’ai trouvé que la région marquée 19, pl. XCIII, fig. 4? était très saillante. Il en est de meme chez fhirondelle, le martinet, chez tous les oiseaux voyageurs sans exception, et chez les oiseaux plongeurs. On peut consulter à cet égard les crânes des animaux de ces diverses classes représentés dans mon Atlas. Je suis très 297 298 TRAITÉ disposé à croire que c’est cette faculté qui est mise en jeu dans les oiseaux dits culbutants : on sait que ces pigeons s’élèvent d’abord à une grande hauteur, et font ensuite plusieurs tours sur eux-mèmes à la manière des saltimbanques. Dans les quadrupèdes, la région indiquée par Je n° 19, fig. 1, pl. XCII, est celle qui me parait être le siège de cette faculté. Elle est très apparente chez le chat: c’est cette partie du cerveau qui contribue à renfler la partie antérieure et moyenne du crâne de l’écureuil. J’ai trouvé cet organe très prononcé sur le crâne des chauves-souris. Je regrette vivement que les bornes imposées à mon ouvrage ne me permettent pas d’insérer ici un travail sur la faculté de la résistance, présenté à la Société phrénologique d’Edimbourg, par l’un de ses membres les plus distingués, M. James Simpson : on le trouvera consigné dans le 2e vol. du journal publié par cette Société. L’auteur ne s'est pas contenté de recueillir plusieurs faits très remarquables sur cette faculté, il en a encore fait l’analyse avec un esprit de logi- que et d’observation qui lui font infiniment d’honneur. Il a sur-tout démontre' par la théorie et l’expérience, que cette faculté existait à un haut degré chez les personnes qui s’occu- paient de dynamique , et s’appliquaient à saisir les divers degrés de forces mécaniques. DE PHRÉNOLOGIE. 299 § VII. Organe des localités. — Faculté de s’orienter. Voilà sans contredit une faculté dont l’existence est bien connue de tout le monde, et dont jusqu’à Gall, aucun philo- sophe ou naturaliste n’avait donné une solution satisfaisante. Si ce médecin a bien précisé chez l’homme la partie du système nerveux cérébral qui est le siège de cette faculté, il n’en est pas de même de son application au système nerveux et aux crânes des animaux vertébrés, chez qui il commet des erreurs très graves que je ferai connaître lorsqu’il sera question d’appli- quer la phrénologie. C’est un spectacle vraiment admirable et bien digne de fixer l’attention d’un esprit réfléchi, que celui de ces peuplades d’oiseaux voyageurs, qui peuvent sans aucune espèce de bous- sole , traverser dans l’air des espaces de quatre, cinq et six cents lieues, et revenir au point d’où elles étaient parties. Ce phéno- mène avait paru si extraordinaire à quelques savants, qu'ils l’attribuèrent à un sixième sens dont ils ne démontrèrent pas l’existence. Que d hypothèses n’a-t-on pas inventées pour expli- quer cet acte, qui paraît tenir du prodige ? les uns prétendaient que si les chiens revenaient facilement chez leur maître , c’était parce que celui-ci avait laissé dans l’atmosphère des émanations qui servaient de guide à l’animal; cependant, comme il n’était TRAITE guère supposable que ces émanations existassent encore après deux mois d’absence, et que l’on avait vu des chiens revenir après une époque bien plus éloignée, il fallut rejeter cette opinion. J’ajouterai que les chiens ne sont pas les seuls animaux qui s’orientent facilement : les oiseaux qui retournent à leurancienne demeure après six mois d’absence, n’ont pu trouver dans l’at- mosphère des émanations qui servissent à les diriger. Quelques personnes crurent pouvoir expliquer la faculté de s’orienter chez les oiseaux, par leur seule position élevée dans l’air, qui augmentait ainsi, disait-on , le champ de leur vue : je conçois facilement comment la vue peut être nécessaire pour reconnaître les lieux où l’on veut s’arrêter; mais je nie formellement qu elle soit absolument nécessaire pour s’orienter. Je citerai à cet égard une observation qui me paraît sans répli- que. Il m’est arrivé plusieurs fois d’entendre passer au-dessus de moi, à une très grande hauteur, et par la nuit la plus obscure, des bandes d’oiseaux voyageurs. J’ai vu des chiens et des chevaux retrouver leur chemin nonobstant la plus grande obscurité. Des naturalistes ont supposé que les fleuves pouvaient servir de boussole aux oiseaux voyageurs; mais cette opinion me paraît tout-à-fait gratuite. Il est impossible que par une nuit très obscure , les oiseaux puissent distinguer les rivières : d’ailleurs quand ces animaux traversent un espace de plusieurs centaines de lieues, placés entre l’air et une plaine liquide sans limites, je voudrais bien savoir quels sont les objets qui peu- vent leur servir de boussole; cependant ils ne s’écartent point de la route qui doit les conduire aux lieux qu’ils vont habiter. Deux facultés dont j’ai découvert les organes chez les oiseaux voyageurs, la distance et la résistance, me paraissent jouer un DE PHRÉNOLOGIE. 301 très grand role dans la faculté de s’orienter que possèdent ces animaux. La première, en leur donnant la conscience de l’es- pace parcouru ; la seconde , en leur faisant probablement appré- cier la direction des vents. Je considère ces observations que personne n’avait faites avant moi, comme propres à éclairer l’histoire de la faculté que je traite maintenant. D’autres naturalistes ont prétendu que l’attrait que les oiseaux voyageurs auraient pour certains pays, serait la cause de leur voyage. Georges Le Roi, en réfutant cette opinion, prétend que l’incommodité de la température, qui ne convenait plus à la constitution de l’animal, a donné lieu de proche en proche aux émigrations, que le temps a fini par régulariser. Il ajoute que l’époque des voyages est précédée, chez les oiseaux, de réunions nombreuses, destinées, selon lui, à donner des ren- seignements et des instructions aux jeunes oiseaux sans expé- rience. Ces faits cités par Georges Le Roi sont exacts; seulement rien ne prouve que leur soit l’objet de leur babil. D’ailleurs il existe plusieurs espèces d’oiseaux qui vivent par couple, qui se séparent de leurs petits avant l’époque des voyages; et cependant ceux-ci ne retrouvent pas moins bien leur route. Quant à l’influence du climat, considérée par Georges Le Roi comme cause de voyages, je la crois fondée, et tout ce que Gall a dit pour la réfuter ne me paraît que spécieux. Voyons quelles sont les objections que Gall considère comme victorieuses. « (i) Georges Le Roi a oublié complètement que les animaux (i) Gall, vol. 4; édit. in-80 , page 444* traité voyageurs retournent au printemps dans le pays qu’ils avaient quitté en automne. Qu’est-ce donc qui les force à quitter un climat où ils se trouvaient bien pendant que Hiiver régnait chez nous, et où ils pourraient se trouver bien tout le long de l’année ? S’il était vrai que l’incommodité d’une température qui ne convenait plus à la constitution de l’animal, eût donné lieu à l’émigration, cette incommodité les engagerait, tout au plus, à fuir le climat dont la température les incommode, pour en chercher un plus doux; mais nullement à revenir, non-seule- ment dans le même pays, mais encore dans le même lieu qu’ils ont quitté : ce que nous voyons cependant arriver. Si c’était l’inclémence de la saison qui inspirât aux animaux voyageurs le penchant à émigrer, pourquoi le froid le plus rigoureux pendant lequel les moineaux, les perdrix, les cor- neilles gèlent en l’air, ne les détermine-t-il pas à émigrer dans des contrées plus méridionales ? On dit que c’est le défaut de nourriture qui force les oiseaux d’émigrer; mais dans cas, qui est-ce qui les engage à revenir au printemps, puisque dans le pays où ils s’étaient retirés, ils trou- veraient à manger toute l’année; du reste, les oiseaux émigrent bien avant le temps où la nourriture viendrait à leur man- quer. » Observation. Tout ce passage de Gall me parait abonder en raisonne- ments spécieux, et pèche par l’inexactitude des faits, qui parais- sent en contradiction avec ce que l’expérience nous démontre DE PHRÉNOLOGIE. Si Gall avait voulu se donner la peine d’étudier avec plus de soin les mœurs des oiseaux voyageurs, il eût pu se convaincre que l’inclémence du climat peut avoir une grande influence comme cause déterminante des voyages, en privant les oiseaux des substances dont ils font leur nourriture. Si nous examinons quelle est l’époque de l’année, et sous quelle influence les myriades d’oiseaux voyageurs viennent dans nos climats , nous verrons que c’est lorsque le froid du Nord vient flétrir les végé- taux, ou donner la mort à une multitude d’insectes dont ces animaux faisaient leur nourriture. Il est si vrai que la tempéra- ture a de l’influence sur les transmigrations des oiseaux, qu’en Normandie où il en passe beaucoup, leur quantité est toujours en raison de l’intensité du froid. Il n’y a pas un seul chasseur qui ne sache cela parfaitement. Le froid se fait-il sentir de bonne heure, l’arrivée du gibier se trouve avancée. C’est ordi- nairement vers la mi-août, que plusieurs oiseaux de passage viennent sur les cotes de la Normandie; mais ils ne sont encore qu’en très petit nombre comparativement aux grandes volées, qui n’ont ordinairement lieu qu’en décembre, janvier et février. Pourquoi donc cette différence de nombre chez les individus de la meme espèce? c’est qu’en août une multitude d’oiseaux trou- vent encore à vivre dans les pays septentrionaux, tandis que plus tard l’extrême froid les prive tout-a-coup de nourriture, et les force d’émigrer dans un climat plus tempéré. Que les premiers froids, qui ont lieu dans notre climat vers la fin d’octobre ou au commencement de novembre, se fassent sentir quelques jours plus tôt, et vous ne verrez pas une seule hirondelle ou un seul martinet. Et comment en serait-il autre- ment ? De quoi se compose la nourriture de ces oiseaux ? d’une multitude de petits insectes voltigeant dans l’atmosphère : tant traite que la fraîcheur des nuits ne les a pas fait disparaître, les hiron- delles ne quittent pas. Le nombre de ces insectes vient-il à dimi- nuer? toute la troupe ailée se met aussitôt en route. Mais, objecte Gall, pourquoi les oiseaux, qui restent jusqu’au printemps, retournent-ils dans le pays d’où ils étaient venus, puisqu’ils trouvent alors tout ce qui est nécessaire pour leur nourriture ? Et qui vous a prouvé, répondrai-je, qu’ils trouvent alors tout ce qui leur est nécessaire? Avez-vous assez étudié leurs habitudes, leurs mœurs, leurs goûts, pour savoir si quelques autres motifs, tels que l’attachement pour les lieux qui les ont vus naître, tel ou tel aliment, n’ont pas une influence sur leur penchant à émigrer? Vous demandez pourquoi finclémence de la saison, qui détermine certains oiseaux à émigrer, ne produit pas le meme effet sur les moineaux, les perdrix et les corneilles qui, dites-vous , gèlent en l’air. A cela je répondrai que ni les moineaux, ni les corneilles ne gèlent en l’air pendant l’hiver : que tous ces oiseaux, malgré les froids rigoureux, trouvent à vivre et à s’abriter. J’ai ouvert beaucoup d’estomacs de perdrix grises tuées pendant des hivers très rigoureux, et je l’ai trouvé rempli de feuilles de blé qu elles vont chercher sous la neige. Voici une observation que j’ai constatée deux fois, et qui prouve que la température a de l’influence sur l’émigration des oiseaux. Tous les ans, des pigeons ramiers viennent habiter les grands marronniers des Tuileries, et y faire leur couvée : ils y restent jusqu’à l’époque où l’on ressent les premiers froids. Si l’hiver est très doux,ainsi que cela a eu lieu en i833, ces oiseaux ne quittent pas le jardin : il n’en est pas de meme si l’hiver est rigoureux; on n’en voit pas alors un seul. J’ajouterai enfin, pour soutenir mon assertion, qu’il est bien connu en Suède , DE PHRÉNOLOGIE. que lorsque les rivières et les lacs viennent à manquer d’in- sectes par l’effet du froid, les oiseaux commencent à émigrer, (i) Si le froid se manifeste en Suède et en Finlande un peu plus tôt que de coutume, l’émigration se trouve aussi avancée. Je ne répondrai rien aux autres observations de Gall, parce quelles ne me paraissent pas même spécieuses. Voulant éviter avec soin toute citation qui ne serait qu’un vrai remplissage sans donner plus de corps à mon travail, je vais résumer ici ce qui se rattache à la faculté de reconnaître les lieux. Je passerai ensuite au siège de son organe chez l’homme et les animaux : i° La faculté de reconnaître lés lieux est une des plus pré- cieuses que les animaux aient reçue en partage, puisque sans elle les oiseaux n’auraient jamais pu retrouver leurs nids , et les bêtes, leur demeure; 2° La faculté de reconnaître les lieux, bien qu’appartenant à tous les animaux, ne leur a pas été accordée au même degré. C’est à cette différence qu’il faut attribuer ce phénomène si remarquable, qui fait qu’après cinq et six mois d’absence d’un endroit, certaines espèces d'oiseaux et de quadrupèdes peuvent y revenir facilement ; 3° Le développement considérable de l’organe des localités n est pas la seule cause des voyages chez les espèces qui émi- grent, l’inclémence du climat ou d’autres circonstances encore peu connues peuvent en être la cause déterminante; (i) Les lacs, les rivieres et les étangs de la Norwége , de la Suède et de la Finlande, se trouvent couverts, à l’époque où les oiseaux y arrivent, d’une multi- tude effrayante de moucherons et. d’insectes. ( Acerbi, voyage en Suède. ) traité 4° Indépendamment de la faculté de reconnaître les lieux, deux facultés dont Gall n’a point parlé peuvent aider puissam- ment les oiseaux émigrants dans leur voyage : ces facultés sont la distance, la résistance, et peut-être une autre faculté dont il me reste à faire l’histoire, le temps. Siège de l’organe des localités chez l’homme. Chez les enfants et les personnes adultes, dont le crâne est dépourvu de sinus frontaux, il est très facile d’apprécier à l’extérieur l’organe des localités; il se présente sous la forme de deux saillies oblongues, placées sur les parties latérales de l’organe de la perception de la substance, pl. XCI, fig. 2, n° 20 , et sur le point où correspondent les sinus frontaux. Les personnes peu familiarisées à l’application de la phréno- logie au crâne humain, confondent presque toujours la crête formée par la table externe du frontal avec l’organe lui-même. C’est sans doute ce qui arriverait à un débutant en crânio- scopie, en jetant les yeux sur le crâne représenté fig. 1, pl. C. Ici, non-seulement l’organe des localités se trouve masqué par la table externe, mais encore tous ceux qui correspondent à l’arcade orbitaire, depuis l’angle externe jusqu’à l’interne. Quand la région, placée au point où se trouve les sinus frontaux, est douce et arrondie, c’est une preuve que l’organe est assez déve- loppé. DE PHRÉNOLOGIE. Siège de l’organe des localités chez les animaux. Je commencerai par les oiseaux, parce que c’est dans cette classe que l’on rencontre le plus grand nombre d’animaux possédant à un haut degré la faculté de s’orienter. Il faut que Gall se soit borné à une étude bien superficielle du crâne et du cerveau des oiseaux voyageurs, pour s’être exprimé ainsi : « l’organe des localités est trop difficile à distinguer chez les petites espèces d’oiseaux voyageurs, et l’on pourrait même le confondre avec l’organe de l’amour de la progéniture. » ( Gall, pag. 495 4e vol., édit. in-8°. ) C’est absolument comme s’il était possible de confondre les yeux avec les oreilles, car, ainsi que je vais le démontrer, il n’existe aucun rapport de situation entre les deux organes. O Mais quels sont les cerveaux ou les crânes d’oiseaux voya- geurs, sur lesquels Gall a représenté le siège de l’organe des localités ? Je n’en trouve pas un seul dans son Atlas. Seulement il a fait représenter au trait, pl. LVII, fig. 7 et 6, deux têtes de canards : sur le n° 6 qui représente celle du canard sauvage, il a mis sur le crâne une ligne ponctuée circonscrivant, selon lui, l’organe des localités. Gall ne pouvait manquer de com- prendre cet organe dans cette ligne , car elle embrasse toute l’étendue de l’os frontal, et conséquemment 7 à 8 organes. Afin de bien préciser le siège de l’organe des localités chez les oiseaux, j’aurai recours à une division des oiseaux qui per- mettra de mieux l’apprécier à la surface du crâne chez les diverses espèces. TRAITE Il faut d’abord se rappeler que la faculté de reconnaître les lieux appartient à tous les oiseaux, puisqu'ils retrouvent très bien leurs nids dans les bois les plus fourrés. D’un autre côté , j’ai dit qu’il existait certaines espèces qui pouvaient s’orienter en franchissant des espaces immenses. On peut, je crois, diviser sous ce rapport les oiseaux en trois grandes classes. i° Ceux qui vivent dans un rayon assez circonscrit, tels sont les faisans, les perdrix, les moineaux, les paons, etc. 2° Ceux qui vivent par troupes ou isolés, et changent seule- ment de provinces à l’approche de la mauvaise saison, tels sont les étourneaux, les tourterelles, les ramiers, les grives et les alouettes; celles-ci arrivent par milliers en Normandie lorsque les premiers froids se font sentir en Bourgogne. Enfin vient la troisième classe, celle qui constitue la famille des oiseaux voyageurs proprement dits, ou de passage, par- tant et revenant à des époques périodiques. On peut former, relativement à notre climat, deux grandes sections de cette dernière classe : l’une composée des oiseaux d’été, l’autre des oiseaux d’hiver. Voici deux listes des oiseaux appartenant à ces deux sections, dont j’ai fait représenter quelques cerveaux et tous les crânes. DE PHRÉNOLOGIE. 309 OISEAUX VOYAGEURS d’été. Le coucou, pl. XLVII, fig. 2. L’h:rondelle, id. pl., fig. 4. Le martinet, id. pl., fig. i. La huppe, id. pl., fig. 3. La fauvette à tète noire, id. pl., fig. 5. L’engoulevent, pl. LXIII, fig. 3. Le loriot, pl. LXXII, fig. 5. Le râle de genêt, id. pl., fig. i. La caille, pl. LXYI, fig. 2. La pie grièche-rousse, id. pl., fig. 3. OISEAUX VOYAGEURS d’hiver. La bécassine, pl. XLYIII, fig- 5. La bécasse, id. pl., fig. i. Le grand courlis, id. pl., fig. 3. La large aboyeuse , id. pl., fig. 2. L’oie sauvage commune, pl. LI , fig. i. Le canard sauvage, id. pl. , %• 4. Le canard pilet, pl. LUI, fig. i. Le morillon, id. pl., fig. 2. Le cravant, id. pl., fig. 3. Le souchet, id, pl., fig. 4. La bernache, id. pl., fig. 5. Le pluvier à collier,pl. L, fig. i. La petite maubêge, id. pl., fig. 2. Le moyen courlis, id. pl., fig. 3. Le bécasseau , id. pl., fig. 4. L’huîtrier, id. pl., fig. 5. Le grèbe, pl. LU, fig. î. Les macreuses, id. pl., fig. 2 et fig. 3. La sarcelle , id. pl., fig. 4. Le canard sifïleur, id. pl., fig. 5. La spatule, pl. XLY, fig. i. Le cygne sauvage, id. pl., fig. 2. La cigogne ? id. pl., fig. 3. La grue commune, pl. XLIX, fig. 3. 310 TRAITÉ L os frontal des oiseaux peut présenter deux caractères bien différents dans la partie antérieure et externe, c’est-à-dire celle qui s’étend de i en d, et qui forme l’arcade orbitaire (Voir la fig. i au trait, pi. XVII) : ou cette partie est déprimée et apla- tie , ou bien elle présente une espèce de renflement assez considérable. La première disposition se remarque chez les cor- beaux, pl. LIX, fig. i; la corneille, pl. XLIV, fig. 3; la pie, id. pl., fig. 4; la buse, pl. LXIX, fig. a ; la cresserelle, pl. LIV, fig. a; l’aigle, id. pl., fig. 3; le coucou, pl. XLVII, fig. a ; la huppe, id. pl., fig. 3; le martinet, id. pl., fig. i; les hérons, pl. LV, fig. a et 4- Chez les canards, le grèbe, les oies et les cygnes sauvages, ce rebord orbitaire est arrondi et renflé, comme s’il était soufflé de dedans en dehors. Il présente chez ces espèces quelques rugo- sités, probablement dues à la présence d’un corps glanduliforme (glande de Harderus ) Dans toutes les espèces où le bord orbitaire est déprimé, c est derrière, et dans le point marqué ao, pl. XCIII, fig. 4? qu’il faut chercher Porgane des localités. II est facile de voir que cette partie se trouve sensiblement renflée sur le crâne de Phi- rondelle, pl. XLVII, fig. 4 5 du martinet, id. pl., fig. i; de la huppe, id. pl., fig. 3; du coucou, id. pl., fig. a; de l’engoule- vent, pl. LXÏII, fig. 3; enfin chez tous les oiseaux voyageurs d’été compris dans la liste que je viens de présenter. Il est digne de remarque que chez toutes ces espèces le rebord orbitaire est mince et déprimé à sa partie la plus externe. Dans plusieurs espèces d’oiseaux voyageurs d’hiver , nous trouverons une différence de conformation assez remarquable pour être signalée. Chez tous les oies et les canards sauvages, dont j’ai fait représenter dix espèces dans mon Atlas, le rebord DE PHRÉNOLOGIE. orbitaire est arrondi et bombé. Que l’on se rappelle ce que j’ai dit de l’organe du sens géométrique, et l’on ne sera point sur- pris de trouver ici un tel mode de conformation. Toutes ces espèces, sans exception, ont la faculté de tracer en l’air des figures géométriques. Le grèbe, la famille des courlis et les barges, sont aussi dans le meme cas; aussi la région marquée 18, fig. 4 5 pb XCIII, est-elle bien prononcée sur leur crâne. Une disposition contraire se remarque chez les oiseaux voyageurs d’été. Il n’existe pas d’oiseaux chez qui l’organe des localités se dis- tingue mieux à la surface du crâne que chez la bécassine. Cette disposition est due, d’une part, à l’extrême développement de cet organe chez cet oiseau, de l’autre, au peu d’épaisseur de son crâne, sur-tout dans la région frontale, (i). Toutes les personnes peu familiarisées avec l’anatomie du crâne et du cerveau des oiseaux, prendront les deux masses situées en arrière des orbites et occupant tout le frontal de la bécas- sine, pour les organes des lieux : l’erreur est d’autant plus facile (i) Il est digne de remarque que les bécassines sont, de tous les oiseaux voyageurs, les plus répandus. Voici ce que je trouve à ce sujet dans le 4e vol. du Voyage de Cook, édit. in-4°. , MDCCLXXIV , Paris. Il est question du gibier qui se trouve à Batavia. «. En général, le gibier volant y est assez rare; nous avons aperçu une fois dans les champs un canard sauvage , mais nous n’en avons jamais vu d’exposés en vente : nous avons souvent vu des bécassines de deux espèces, dont l’une est exactement la même que celle d’Europe : il est à remarquer que les bécassines se trouvent dans beaucoup plus de pays du monde qu’un autre oiseau. Elles sont communes à certaines époques dans toute l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amé- rique. 312 TRA.1TÉ à commettre, que le crâne de cet oiseau, placé entre l’œil et la lumière, laisse apercevoir deux masses communes. L’expérience et un grand nombre de comparaisons, m’ont cependant démon- tré que ces deux masses renferment plusieurs organes, et que le point marqué 20 sur le crâne du corbeau, pl. XCIII, fig. 4 , est celui qui correspond aux organes des lieux. Cette partie est généralement très renflée chez tous les oiseaux voyageurs ; on peut comparer comme contre épreuve le crâne du dinde , pl. LI, fig. 5; de la perdrix, pl. LXII, fig. 6; du faisan, pl. LVI, fig. 1; du héron, pl. LV, fig. 2; tous oiseaux sédentaires. On peut encore comparer ensemble, afin de bien saisir la différence d’organisation, deux individus du meme genre ; le crâne du canard domestique et celui du canard sauvage, pl. LI, fig. 3 et 4; celui de l’oie domestique et de l’oie sauvage , id, pl., fig. 2 et fig. 1. Bien que la différence entre ces espèces soit frappante, on aurait tort de supposer que chez l’oie et le canard domestiques, l’organe des localités soit peu développé; il l’est au contraire à un degré très remarquable : c’est là ce qui explique comment ces oiseaux reviennent facilement, de très loin, aux lieux où ils résident. La pl. LXXII représente autant de cerveaux d’oiseaux voyageurs : chez tous, sans exception, la région moyenne an- térieure répondant au nombre 20, fig. 4? pl- XCIII, est très saillante. On retrouve la même disposition sur le cerveau de riiirondelle, pl. LXXIII, fig. 9; de l’huitrier, id. pl., fig. 6. J’ai rencontré, chez des oiseaux de la même espèce, un état de développement de l’organe de localités assez remarquable et que je ne puis passer sous silence. Un chasseur me donna un jour une tête de canard sauvage, en l’accompagnant d’une observation que j’ayais déjà entendu DE PHRÉNOLOGIE. 313 faire plusieurs fois. C’est que cet oiseau se trouvait à la tète du V que la troupe traçait en volant. J’avais ouï dire, me dit ce chasseur, qu’il se trouvait toujours un chef chargé de conduire les autres; ainsi vous pouvez compter Lavoir, car j’ai la con- viction de l’avoir tué. L’année suivante, je reçus encore une tète d’un canard placé à la tète de la troupe. Mais ce qu’il y a de vrai- ment curieux, c’est que sur trente crânes de canards sauvages qui font partie de ma collection, ce sont les seuls qui présen- tent, dans le plus haut degré de développement, les organes de la distance, de la résistance, du sens géométrique et des loca- lités. Ce cas est-il accidentel ? est-il, au contraire, la suite d’un développement plus considérable des organes que je viens de citer chez les individus de la même espèce, développement qui changerait en certitude l’hypothèse d’un chef ou d’un oiseau instructeur chez quelques espèces sauvages ? C’est ce que j’ignore; mais le fait n’en est pas moins exact. Dans les petits quadrupèdes l’organe des localités est très facile à reconnaître, lorsque le crâne offre peu d’épaisseur : c’est ce que l’on peut voir sur le crâne de l’écureuil, pl. XXXVII, fig. i; du lemming de la Norwége, fig. 7 et 8, pl. XIX : ce n’est pas le point indiqué par le n° 4 5 id. ph, fig. au trait, qui est le siège de l’organe des localités, mais celui qui est en dedans de ce n.° La région 4 est affectée au sens géométrique, et sous ce rapport, le crâne de ce rongeur présente une grande ressemblance avec celui des oiseaux qui voyagent en traçant des figures dans l’air. Je ne puis rendre l’impression agréable que j’éprouvai après avoir découvert cette faculté et le siège de son organe chez les oiseaux, lorsque je vis pour la pre- mière fois le crâne du lemming, chez qui je rencontrai une organisation semblable et la même faculté, d après la descrip- 314 TRAITÉ tion que Linné nous a donnée sur ces animaux. Les lemmings, dit ce célèbre naturaliste, voyagent par troupes immenses qu’aucun obstacle n’arrête : on les voit descendre par milliers des montagnes de la Norwége et du nord de l’Europe, a certaines époques, qui, quelquefois , n’arrivent guère qu’une fois tous les huit ou dix ans. Ils descendent en nombre incroyable des Alpes du nord, où sont construits leurs terriers dans les plaines voisines; ils marchent rangés en bataille, les files serrées, laissant leur passage marqué par un chemin de la largeur qu’occupe la troupe. (Linnœus, Sjste/na naturœ. ) Chez le chat, la circonvolution placée derrière le n° 2, fig. 2, pl. LXXV, est l’organe des localités. Cette circonvolution est plus distincte sur la fig. 3, id. pl., parce que celle qui se trouve en devant est bien séparée de celle des localités. Le crâne de la chatte représenté en bas et à gauche, pl. XXXIII, peut servir de modèle quant au développement de l’organe des localités. Bien que très jeune et portée dans un panier à plus d’une demi-lieue, elle revint à sa première demeure : trois heures après son transport elle était de retour. Le crâne du chien représenté pl. XXIII, fig. 2, est celui d’un barbet femelle, ayant appartenu à un Anglais qui habitait Caen en 1827. Obligé d’aller passer quelques jours à Rouen, il emmena son chien avec lui et dans une voiture. Le chien perdit son maître dans cette ville, mais trois jours après il revint à Caen. (1) L’organe des localités est énorme chez ce chien : il donne lieu à cette saillie qui se remarque au-dessous de la crête qui va se (i) On compte 3o lieues de Rouen à Caen. DE PHRÉNOLOGIE. 315 terminer à l’angle orbitaire. La circonvolution marquée 4 ? fig. 6,pl. LXXV, est l’organe des localités chez cet animal. On peut comparer, quant à la différence de développement de cette partie cérébrale, les deux cerveaux représentés pl. LXXI, fig. i et 2 (i). Celui de la fig. i appartenait à une chienne très remarquable par sa facilite' à retrouver les lieux : il s’en fallait de beaucoup que l’autre s’orientât aussi aisément; il lui arrivait meme très souvent de se perdre. (Ces deux animaux étaient de meme âge et de même espèce. ) L’organe des localités est très apparent chez le renard, où qui il occupe la même place; en se confondant avec un autre organe, il donne lieu, chez cet animal, à ce renflement qui se remarque au-dessous de la crête qui va se rendre à l’angle orbitaire externe. Ce grand développement de l’organe des localités chez le renard, rend compte de sa facilité à re- trouver les provisions qu’il a l’habitude de placer tantôt sous la neige, tantôt sous la mousse ou dans les buissons. La faculté de reconnaître les lieux est très prononcée chez les chevaux et les ânes. Je rencontrai un jour , et dans un des quartiers les plus fréquentés de Paris , quatre de ces ânesses que I on a l’habitude de traire dans les maisons. Comme elles étaient seules, je fus curieux de les suivre pour savoir jusqu’où elles pourraient aller sans aucun guide. Après avoir parcouru la rue Saint-Denis, elles traversèrent le boulevard, et se diri- gèrent vers le Château d’Eau ; elles en étaient assez près quand je vis arriver leur conducteur : le drôle s était amusé à boire (i) Il y a erreur dans le texte Anglais, le n° i est l’épagneul femelle, et le n° 2 l’épagneul mâle. TRAITE chez un marchand de vin. Je lui demandai pourquoi il avait quitté ses ânesses, qui auraient pu s’égarer; s’égarer ! ah bien oui, reprit-il; elles connaissent mieux le chemin que vous et moi. Cet homme me raconta alors, qu’un jour où il avait été pris de vin, les quatre ânesses traversèrent tout Paris, et vinrent jusque près la fontaine de l’Eléphant, où se trouvait leur étable. Il m’assura quelles connaissaient si bien les lieux, quelles s’arrêtaient à toutes les portes, ou entraient dans les cours des maisons où l’on avait l’habitude de les traire. § VIII. Organes des nombres. Les observations des Phrénologistes ont confirmé celles de Gall sur l’existence et le siège de l’organe des nombres. D’au- tres assez nombreuses que j’ai faites sur le même sujet, m’ont prouvé qu’il était absurde de supposery avec la majorité des savants, que le talent pour le calcul était l’indice d'une intelli- gence supérieure, ou comme d’autres personnes le croient encore, celui qui donne à l’homme plus de justesse dans les idées. Oui, dirons nous, tant qu’il sera question de nombres ; non et mille fois non ,lorsqu’il s’agira de peinture, de musique, d’esprit philosophique , etc., etc. Si de grands philosophes, tels que Descartes, Leibnitz, Newton, Pascal, ont réuni au talent du calcul une grande DE PHRÉNOLOGIE. profondeur de pensées, il serait absurde d’en tirer la consé- quence qu’ils devaient leur supériorité intellectuelle à leur talent pour le calcul. J’ai rencontré des hommes d’une pauvreté d’esprit incroyable, qui possédaient cependant la faculté des nombres dans un haut degré. D’un autre côté, j’ai vu des hommes d’un esprit fort distingué, pleins de pénétration et d’un grand sens, d’une nullité étonnante pour tout ce qui était calcul. Que répondront les partisans exclusifs de l’éducation, quand ils sauront que des hommes dépourvus de toute espèce d’instruc- tion, sont parvenus par leur seul talent naturel, à calculer toutes sortes de nombres qu’un arithméticien consommé n’au- rait pu résoudre sans le secours du crayon ou de la plume. Parmi les faits nombreux que Gall a recueillis, je choisirai un des plus remarquables : c’est celui du jeune Américain Colborn, dont je vais faire connaître l’histoire en copiant textuellement la note qui fut communiquée à Gall, et qui se trouve insérée dans son ouvrage. « Cet enfant est né en avril 1804, à Cabot, comté de Calé- donie, état de Vermont; il n’avait pas encore sept ans àl’époque où le vit M. Mac-Neven, qui rend compte de cette visite dans le Medical and Philosophical Journal and Review, imprimé à New-York, 1811. Dans le courant de sa vie, Zerah parait en tout semblable aux autres enfants, soit pour la légèreté, soit pour la puérilité de ses amusements; mais lorsque son attention se fixe entièrement sur quelque sujet, il déploie alors des facul- tés très supérieures à son âge, et lorsqu’il s’agit de calculs, supérieures, je crois, à ce qu’on pourrait attendre de quelque âge que ce soit. Ce fut en août dernier 1810, que son père lui entendant répéter entre ses dents quelques nombres qu’il mui- 318 TRAITÉ tipliait pour son plaisir, s’aperçut de sa prodigieuse facilité pour le calcul : l’attention qu elle excita, et l’exercice qui lui fut donné en conséquence de cette attention, ont en quelques mois singu- lièrement augmenté cette faculté.La promptitude de ses réponses sur les questions d’arithmétique qui peuvent lui être proposées, est telle qu’il semble répondre de mémoire. On ne peut cepen- dant douter que cette promptitude ne soit due à la rapidité de ses combinaisons; car dans les calculs un peu compliqués, on lentend souvent multiplier, additionner ou soustraire tout haut, et avec une incroyable vitesse. Il se reprend quelquefois: lors- qu’il commet quelque erreur, il en paraît excessivement mortifié; mais cela ne lui arrive presque jamais. M. Mac-Neven l’a entendu répondre, sans la plus légère apparence d’hésitation et sans la moindre erreur, aux questions suivantes : Demande. Que font 1,347, L953 et 2,091 ? Réponse : 5,391. Demande. Quels sont les nombres qui, multipliés l’un par l’autre, donnent 1,242? les solutions suivantes furent données aussi vite que peut le permettre la parole : 54 par 23, 9 par i38, 27 par /\6, 3 par 414, 6 par 207,2 par 621. Demande. Quel est le nombre qui , multiplié par lui-mème, donne 2,401? Réponse'. 49 et 7 multi- plié par 343, donne le même nombre. Lorsqu’on exprimait les nombres par mille et par cent, il criait avec impatience : mettez- les en cents, c’est-à-dire que pour 2,401 , il voulait qu’on lui dît 24 cents et 1. Demande. Que donnera 6 multiplié 6 fois par lui-même ? Il calcula tout haut de la manière suivante, et aussi vite que peut aller la parole : 6 fois 6 font 36, 6 fois 36 font 216, 6 lois 216 font 1296, 6 fois 1296 font 7,776, 6 fois 7,776 font 46,656, 6 fois 46,656 font 279,936. Demande. Combien d’heures en 26 ans 11 mois et 3 jours ? Réponse : 226,992. La personne qui lui avait fait cette question DE PHRÉNOLOGIE. s était trompée dans le calcul qu elle avait fait de son côté ; en sorte que lorsque Zerah répondit, elle crut que c’était lui qui se trompait. Zerah, après un moment de réflexion, assura que c’était son calcul qui était juste : on refit l’opération , et il se trouva qu’il avait raison. Ceux qui questionnaient l’enfant ont oublié de faire entrer dans ce dernier calcul la différence des années bissextiles, et ont suppose les onze derniers mois de trente jours. » Comme on lui proposa de multiplier 1*23 par 237 , son père objecta que deux nombres triples étaient trop difficiles. L’enfant répondit qu’il pouvait les multiplier, et tint parole; ii multi- plia meme, et très promptement, iü34 par n34- Cependant on voit que les questions difficiles Je fatiguent, et il prie souvent qu’on ne lui en donue pas de si compliquées. Pendant qu’il répond, on voit à son maintien, à l’état de ses yeux, à la con- traction de ses traits, combien sou esprit travaille. Sa physionomie est très expressive ; il a le front petit mais angulaire ; les arcs orbitaux, les sourcils , considérablement avancés; ses yeux sont gris, spirituels et toujours en mouve- ment; son crâne est arqué et considérablement large; il a l’occiput petit, les cheveux roux ; il est singulièrement fort et grand pour son âge : ses mouvements sont précipités, et il est toujours en action. 11 n’a jamais été à l’école, et il ne sait ni lire ni écrire. On lui demanda comment il faisait ses calculs; il répondit qu’il les voyait clairement devant lui. Il n’a point encore d’idée des fractions, et ne sait compter que les nombres roods. Zerah est prompt à la répartie, et quelquefois mordant. Quelques jours avant la visite de M. Mac-Neven, une femme s était divertie à lui demander : combien font trois zéros multipliés 320 TRAITÉ par trois zéros ! précisément ce que vous êtes, dit-il, rien du tout. J’ai fait représenter le masque de cet enfant, pl. CVII, fig. 2. On voit que la région marquée 21, pl. XCI, fig. 2, est très prononcée sur son crâne; c’est elle qui renfle d’une manière très apparente l’angle externe de l’arcade sourcilière. Quelle différence à cet égard entre ce masque et celui qui se trouve à côté ! J’ai été frappé, en examinant les jeunes gens de l’école polytechnique, de voir que le plus grand nombre se faisait remarquer par l’étendue du sourcil, à partir de la bosse nasale jusqu’à l’angle orbitaire externe, ce qui est évidemment dû au plus grand développement de la région où siège l’organe du calcul, généralement assez apparent chez eux. Des observations faites par Georges Le Roi; d’autres que j’ai été à même de recueillir chez les chiens, prouvent incontes- tablement que le sens du calcul existe chez les animaux. Dans le pays où l’on conserve avec soin le gibier, dit Georges Le Roi, on fait la guerre aux pies, parce qu’elles enlèvent les œufs et détruisent l’espérance de la ponte. On remarque donc assidûment les nids de ces oiseaux destructeurs ; et pour anéan- tir d’un coup la famille carnassière, on tâche de tuer la mère pendant qu’elle couve. Entre ces mères, il en est dinquiètes, qui désertent leur nid dès qu’on approche. Alors on est con- traint de faire un affût bien couvert, au pied de l’arbre «sur lequel est le nid, et un homme se place dans l’affût pour attendre le retour de la couveuse ; mais il attend en vain , si la pie qu’il veut surprendre a été quelquefois manquée en pareil cas : elle sait que la foudre va sortir de cet antre où elle a vu entrer un homme. Pendant que la tendresse maternelle DE PHRÉNOLOGIE. lui tient la vue attachée sur son nid, la frayeur l’en éloigne jusqu’à ce que la nuit puisse la dérober au chasseur. Pour tromper cet oiseau inquiet, on s’est avisé d’envoyer à l’affût deux hommes, dont l’un s’y plaçait, et l’autre paraissait; mais la pie compte- et se tient toujours éloignée. Le lendemain, trois y vont, et elle voit encore que deux seulement se retirent; enfin, il est nécessaire que cinq ou six hommes, en allant à 1 affût > mettent son calcul en défaut. La pie qui croit que cette collection d’hommes n’a fait que passer, ne tarde pas à revenir. Ce phénomène renouvelé toutes les fois qu’il est tenté, doit être mis au rang des phénomènes les plus ordinaires de la sagacité des animaux (i). (Georges Le Roi, Lettres sur l’intelli- gence des animaux, pag. 149. ) Voici une expérience assez curieuse que j’ai faite sur un chien, et qui me paraît démontrer que cet animal peut avoir une idée des nombres, Je lui donnais tous les soirs, et à une heure fixe, trois boulettes de viande, en les jetant à diverses places de l’appar- tement. Après douze jours de cette habitude, je laissai avec intention une des boulettes sur une table, et me contentai d’en jeter deux. L’animal alla les prendre, mais comme il ne trouva (i) C’est par erreur que Gall fait dire à Dupont de Nemours, que les pies peu- vent compter jusqu’à neuf. Je n’ai rien vu de semblable chez cet auteur, que j’ai consulté plusieurs fois. Voici seulement ce qu'il dit, après avoir cité le passage de Georges Le Roi qu’on vient de lire : tel est l’état de cette science chez les pies ordinaires,. Il ne serait pas impossible cependant qu’une pie d’élite douée d’une attention plus profonde, et d'une pensée plus constante, parvînt à compter sur ses deux pattes jusqu’à huit. (Dupont de Nemours, Mémoire sur différents sujets , pag. 20G, 2e édition.) 322 TRAITÉ pas la troisième, il se mit à la chercher partout, et aboya pour l’avoir : ces cris n’avaient certainement pas d’autre but ; car à peine lui eus-je donné la troisième boulette, qu’il cessa de crier. Pareille conduite a eu lieu pour quatre et cinq bou- lettes. Obligé de quitter Caen, il me fut impossible de continuer l’expérience, et de savoir jusqu’à quel point je serais parvenu à faire compter cet animal. Je n’ai pas recueilli un assez grand nombre de faits pour préciser le siège de l’organe du calcul chez les animaux. Je ferai seulement observer que chez les espèces du genre corvus, il existe une disposition assez remar- quable de l’os frontal. Je veux parler de la grande étendue de son bord orbitaire à partir du point 1 au point d, pl. XVIJ , fig. 2, Je serais porté à croire , par la connaissance des organes répondant à ce bord, que s’il existe un organe du calcul, il doit occuper la région marquée 3, placée au-dessus de l’apo- physe orbitaire externe, id. fi g. § JX. Organe de l’ordre. Gall, tout en admettant que le penchant à l’ordre, c’est-à- dire à mettre de la symétrie ou de l’arrangement dans les objets qui nous entourent, était le résultat d’une faculté fon- damentale, na point indiqué la partie cérébrale qui en est le siège. DE PHRÉNOLOGIE. Il est impossible de ne pas admettre l’existence de la faculté de l’ordre, après avoir examiné attentivement la conduite de certaines personnes. Chez elles, c’est cette faculté qui se manifeste par le plaisir qu'elles éprouvent en voyant régner dans les choses qui les entourent l’ordre le plus parfait. Rien ne les flatte tant que la distribution régulière des allées d’un parc ou d’un jardin, qu’une suite de tableaux, de livres ou de médailles de mêmes dimensions. S’occupent-elles d’ento- mologie ? elles s’attachent à mettre dans le même cadre les insectes d’un volume à peu près égal, afin que cette symétrie, qui les flatte tant, ne soit pas dérangée. S’adonnent-elles à la numismatique ? leurs médailles sont classées moins d’après les époques que selon leur étendue. Je connais un homme d’un grand mérite, à qui la fracture de l’aile d’un scarabée donna les plus grandes contrariétés ; c’était moins l’insecte qu’il regret- tait, que l’embarras de pouvoir en trouver un dont le volume fût aussi bien en harmonie avec ceux qui l’entouraient. Portée à l’extrême, la faculté de l’ordre donne à l’esprit un caractère d’étroitesse quelquefois ridicule. Je connais un avocat, qui ne peut pas supporter que les allumettes de son briquet phosphorique soient d’inégale hauteur; aussi s’amuse-t-il, dans les intervalles de temps que lui laissent Cujas, Bartholle et Potier, à les couper une à une et de même longueur. Quelque désagréable que soit cet esprit d’ordre porté a l’extrême, il l’est cependant moins que la disposition contraire. Il est des individus assez mal organisés pour que jamais i idée d’ordre soit passée par leur tête. Tous sont remarquables par le défaut d’arrangement dans leurs effets, ou le peu de soin de ceux qui ne leur appartiennent pas. Leur prêtez-vous un objet? vous pouvez compter, si toutefois ils ne vous l’égarent 324 TRAITÉ pas, qu’il sera plein de taches ou qu’il y manquera quelque chose. Je n’aurais jamais cru, si je ne l’avais vu moi-même, que le défaut d’ordre pût être porté chez quelques hommes jusqu’au point de les mettre au-dessous des animaux les plus immondes. C’est cependant ce que j’ai rencontré chez deux artistes, l’un poète et l’autre dessinateur. Ce dernier peut assurément se vanter d’être une tête modèle sous ce rapport. Jamais cochon, dans sa bauge, n’offrit un spectacle compara- ble à sa chambre : tableaux, linge sale, vase de nuit, vieux souliers, reste d’aliments, tout s’y trouve pêle-mêle. Tout le pan de mur placé près de son lit se trouve couvert de ses crachats : des bouteilles, autrefois pleines de liqueur, lui ser- vent d’urinal, et un grand pot à beurre et quelquefois sa cuvette de lieux d’aisance. J’ai eu la constance d’examiner combien de temps il resterait sans se peigner, et j’ai pu me convaincre que pendant plus d’un mois, le peigne n’avait approché de sa tête. J’avais cru m’apercevoir que sa main droite, outre son extrême saleté, présentait une teinte safranée que je ne voyais pas sur l’autre. Fit-on jamais un pareil usage de sa main ! cependant le papier abondait dans sa chambre. Le sens de l’ordre existe-t-il chez les animaux ? Tous les naturalistes qui ont écrit sur leurs mœurs, ont gardé le silence sur cette faculté; il en est de même de tous les Phré- nologistes. J’ai cependant la conviction quelle existe chez eux, seulement elle ne s’y trouve pas au même degré. Je crois que c’est à cette faculté qu’il faut attribuer en partie la symétrie et la régularité du nid des oiseaux. Je crois encore que c’est elle qui porte les oiseaux et les quadrupèdes à lisser leurs plumes ou leurs poils, étalés remettre en ordre avec leur bec ou leur langue. Qui n’a observé le soin que prennent les canards, les DE PHRÉNOLOGIE. oies et une multitude d’oiseaux, de lisser et nettoyer leurs plumes ? J’ai été sur-tout frappé du soin que prennent les lapins, les chats et les ours, d’entretenir leur robe dans un grand état de propreté. Un autre phénomène qui me paraît tenir à la meme faculté se voit fréquemment chez les chats : ces animaux ont ordinairement l’habitude de faire un trou dans la terre très meuble ou dans la cendre; ils y déposent leurs excréments qu’ils recouvrent ensuite avec leurs pattes. La remarque que je viens de faire sur les chats est applica- ble aux perroquets. Un des principaux marchands d’oiseaux de Paris m’a assuré qu’il était assez commun de voir une grande différence entre les oiseaux de la meme espèce sous le rapport de la propreté. J’ai eu , me dit-il, un kacatoës blanc qui s’occupait presque tout le jour de sa toilette; d’autres de la même espèce s’en occupaient très peu ; enfin il y en avait d’une saleté dégoûtante. L’état de santé n’y entrait pour rien , ajoutait- il, car tous se portaient parfaitement. Chez l’homme, l’organe de l’ordre est placé auprès et en avant de l’organe du calcul, pl. XCI, fig. 2 , n° 22. Sur deux personnes d’un caractère entièrement opposé sous le rapport de cette faculté , j’ai trouvé une différence frappante dans la région ci-dessus indiquée. De nouvelles observations que j’ai faites plus tard ont confirmé cette remarque. Je ne puis préciser rigoureusement le siège du sens de l’ordre chez les quadrupèdes et les oiseaux. Je m’étais procuré deux crânes de chats, l’un très remarquable par son extrême pro- preté, l’autre, au contraire, extrêmement sale : malheureuse- ment ils furent mis ensemble en macération, le fil que j’avais mis à l’un d’eux pour les distinguer se détacha , et il me fut impossible de pouvoir les reconnaître. TRAITÉ § X. Organe du temps. Je n aurais pas eu connaissance de cette faculté , que je serais parvenu, en m’étudiant, à découvrir son existence. Je pourrais au besoin servir de contre épreuve Je ne crois pas qu’il existe au monde une personne, pour qui ce que l’on appelle chro- nologie, dates, temps écoulés, soit aussi désagréable qu’à moi. Il m’est absolument impossible de me rappeler exactement l’époque où un fait s’est passé, fût-elle même assez récente. Tous les faits qui accompagnent une circonstance dont je suis témoin, voire même ceux qui sont insignifiants, je les retiens avec une netteté et une fidélité remarquable. S’agit-il, au contraire, de temps? quinze jours et deux mois ne m offrent aucune différence sensible. On ne saurait croire combien de fois je me suis vu obligé de me rappeler toutes les circonstances qui accompagnaient les faits dont j’avais été témoin, afin d’apprécier la différence des épo- ques. Bien que Gall ait parlé de la faculté d’apprécier le temps écoulé, ou de la mémoire des dates, Spurzheim a été le premier qui ait indiqué le siège de son organe. Ce fut après avoir connu 1 histoire de Barett (i), que ce médecin fut conduit à considérer (i) Le plâtre de Barett qui s’adonna par goût à la chronologie, fait partie de la collection de Gall DE PHRENOLOGIE. la faculté du temps comme fondamentale. Le masque de cet individu lui servit de point de comparaison pour indiquer le siège de l’organe de cette faculté. De nouvelles observations ont confirmé la localisation de cet organe. Je choisirai parmi elles celle qui m’a paru présenter le plus d’intérêt. La voici. Jean-Daniel Chevalley, âgé de 67 ans, éprouva de très bonne heure du plaisir à entendre le bruit des cloches et les vibrations des pendules; il contracta dès son jeune âge l’habitude de comp- ter les vibrations isochrones, et déploya une habileté considé- rable en calculs. Lorsqu’il fut plus développé, il parut prendre plaisir à sonner les cloches du collège et de l’église, et par l’attention qu’il y prêta, il observa que les battements étaient de vingt ou vingt-trois par minute, mais particulièrement vingt, comptant du moment du départ jusqu’au retour. Après cette expérience il chercha à fixer son attention de manière â conserver le plus long-temps possible un mouvement interne semblable â l’étendue du temps et du nombre des vibrations. D’abord, dit-il, en ajoutant vingt vibrations â vingt autres, ou minute à minute, j’arriverai facilement à une heure et mar- querai toutes les subdivisions que je souhaiterai, et cela sans confusion; mais mes idées et mes occupations corporelles se ressentirent de cette attention. Par degrés je devins capable de compter en pensant et en agissant, mais je ne pus aller loin, parce que mon esprit faisant un effort pendant un certain temps, bien que très peu sensible pour moi, je me fatiguais, et je ne suivais plus la suite de mes calculs. Néanmoins en 1789, je parvins à acquérir d’une manière invariable la possession de cette faculté qui ne m’a jamais quitté ou trompé depuis. Il était alors âgé de 22 ans, et occupé à l’école; mais en conséquence de quelques habitudes singulières, telles que celle 328 TRAITÉ de sonner les cloches, quelques notions mystiques qu’il avait acquises, et plusieurs disputes sur les changements à faire aux cloches du village, il fut renvoyé, et revint à son moulin; continuant à faire sonner ses cloches, il fut appelé la momie du moulin. Etant sur le bateau à vapeur du lac de Genève, en juillet 1823, il fixa l’attention par ses remarques, en disant que tant de minutes et de secondes s’étaient écoulées depuis qu’ils avaient quitté Genève ou passé d’autres lieux, et un instant après il s’engagea d’indiquer aux personnes qui l’entouraient un quart d’heure écoulé ou plusieurs minutes ou secondes , selon ce l’on voudrait choisir, et cela pendant une conversa- tion très variée avec ceux qui étaient près de lui, et plus tard d’indiquer par la voix le moment ou l’aiguille d’une montre passerait sur les quarts de minutes ou demi-minutes ou autre subdivision dont on conviendrait d’abord , pendant tout le temps de l’expérience. Ce qu’il fit sans se tromper, malgré ce que firent toutes les personnes qui pour distraire son attention : il frappa des mains à la fin du temps fixé. J’ai acquis, dit-il, par imitation , travail et patience un mou- vement intérieur que ni les occupations de l’esprit ou du corps 11e peuvent arrêter; il ressemble à celui du pendule qui, à chaque mouvement d’aller et de venir, me donne l’espace de trois secondes, de manière que vingt me donne une minute que j’ajoute aux autres continuellement. Les calculs par lesquels il obtint des subdivisions des secondes ne furent pas très clai- rement saisis par M. de Chavannes. Mais cet homme proposa volontiers de donner une preuve de son talent. Après l’avoir mis à l’épreuve pour un nombre de minutes, il secoua la tête au temps indiqué, fit une inflexion de voix au quart, la moitié DE PHRÉNOLOGIE. et les trois quarts de minute, et arriva exactement à la fin de la période indiquée. Il paraît s’aider légèrement par une application de la mnémonique et applique quelquefois menta- lement des noms religieux à ses minutes, et au-delà de la cin- quième quand il recommence. Il agit ainsi pendant une heure et recommence de la même manière. Ayant entendu dire que les gens de la campagne assuraient qu’il se dirigeait par les battements de son pouls, il se mit à rire, et dit qu’il était trop irrégulier pour lui servir à cet effet. Il dit que son mouvement interne n’est pas aussi sùr et aussi constant pendant la nuit; néanmoins il est facile de concevoir, dit-il, que lorsque je n’ai pas été trop fatigué pendant le soir, si mon sommeil a été agréable et que l’on m’éveille douce- ment, je réfléchirai une seconde ou deux, et ma réponse ne sera pas dix minutes en erreur. L’approche du jour renouvelle le mouvement s’il a été arreté, ou le rectifie s’il a été dérangé pendant le jour : lorsqu’on lui demanda comment il pouvait renouveler le mouvement lorsqu’il avait cessé, il répondit, Monsieur, je suis seulement un pauvre homme, ce n’est pas un don du Ciel; je suis arrivé à ce résultat par travaux et calculs trop longs pour être décrits. L’expérience a été faite plu- sieurs fois pendant la nuit, et je la répéterai quand vous voudrez. M. Chavannes n’eut pas occasion de faire cette expé- rience, mais il fut entièrement convaincu de la faculté de cet homme. Il fait remarquer que cet individu est sourd maintenant, et ne peut entendrele bruit de la cloche ou d’une montre, et plus loin il dit que ni l’une ni l’autre ne vibrent vingt fois pendant une minute, ce qui est toujours le nombre indiqué par les mou- vements de Chevalley, lorsqu’il veut indiquer son mouve- ment interne. Il est convaincu , parce qu’il a vu, que cet homme TRAITÉ possède une espèce de mouvement interne qui lui indique les minutes et les secondes avec la plus grande exactitude (i). » Gall, après avoir parlé de la faculté de se rappeler les dates, se demande s’il faut l’attribuer au talent du calcul, ou bien s’il existe pour elle un organe particulier. Je suis réellement sur- pris qu’il ait pu se faire une pareille question ; car il est impos- sible qu’il n’ait pas eu occasion d’observer des personnes qui se rappelaient très bien les dates avec peu de disposition pour le calcul; et d’autres, au contraire, qui calculaient très bien sans pouvoir se rappeler les époques. Ces facultés sont évidem- ment tout-à-fait distinctes. On ne peut mettre en doute, en étudiant les mœurs des animaux, qu’ils possèdent la faculté d’apprécier le temps. Georges Le Roi a cité très au long les habitudes des faisans, des perdrix, des lapins , afin de prouver que ces animaux ont une idée du temps écoulé. Je possède une petite perruche du Sénégal, qui m’a servi plusieurs fois d’horloge. A peine le jour commence-t-il à poin- dre , qu elle se met à manger : à deux heures précises elle fait un repas plus copieux. Je n’ai jamais trouvé une différence de plus de quatre minutes pour les heures de ses repas. Les corbeaux ont le sens du temps très développé. Voici un fait que j’ai constaté plusieurs fois, et qui peut donner une idée de leur appréciation du temps. La ville où je suis né pos- sède plusieurs clochers assez élevés, sur lesquels des troupes de (i) J’ai traduit ce passage d’après un article consigné dans le no de novembre 1827, du journal d’Edimbourg: l’auteur l’a emprunté au journal des Sciences et des Arts. DE PHRÉNOLOGIE. 331 corneilles (le choucas, cojvus monedula) viennent se rendre tous les matins. Toute la troupe qui habite le même clocher y arrive d’assez grand matin; le soir elles se réunissent et retour- nent à l’endroit où elles ont l’habitude d’aller coucher ; c’est dans l’ancien parc d’un couvent construit du temps de Guillaume le Conquérant (l’abbaye aux Dames). Elles partent toujours à une heure fixe. II m’est arrivé plusieurs fois, lorsque j etais enfant, de les voir arriver par troupes des divers clochers de la ville, et nicher sur le sommet des grands arbres sous lesquels j’étais allé promener. A peine arrivées, elles faisaient entendre leurs criailleries qui duraient plusieurs minutes, et auxquelles succédait tout-à-coup le plus profond silence. L’heure de leur départ est toujours avancé ou retardé suivant la saison. Toutes les tentatives que j’ai faites pour déterminer le siège de l’organe du temps ehez les animaux, ont été infructueuses. J’ai cependant quelques raisons pour croire qu’il doit occuper , chez les oiseaux, la région marquée fig. 4 •> pl- XCIII. Voici sur quels motifs je fonde mon opinion : i° la fonction de cette partie du cerveau n’a pas encore été déterminée ; i° certains organes étant voisins les uns des autres, il est naturel que celui du temps se trouve près de ceux de la résistance, de l’ordre et de la distance; 3° cette région est très prononcée chez le cor- beau, qui est doué de la faculté d’apprécier le temps dans un degré remarquable; 4° enfin j’ai trouvé cette région très sail- lante chez tous les oiseaux de passage; ce qui m’a fait supposer que cette faculté pouvait aussi jouer un rôle dans les voyages qu’ils entreprennent. Chez l’homme, l’organe du temps est placé au-dessus de la partie moyenne du sourcil, n° 23, fig. 2, pi, XCI , en dehors de l’organe des lieux. 332 traite §xi. Organe des sons articulés ou non articulés. — Faculté du langage. Par langage , je n’entends pas ici les divers moyens employés par les hommes pour communiquer entre eux; car ces moyens peuvent varier : les gestes, ou des figures tracées servant à exprimer une ou plusieurs actions, furent probablement le lan- gage des premiers peuples : vint ensuite le langage hiérogly- phique, ou la substitution de simples traits aux figures, espèce de signes arbitraires exprimant toujours des idées sans pouvoir servir de langage articulé de nation à nation. C’est ce qui se voit encore de nosjours chez les habitants de la Cochinchine et du Japon, dont le langage articulé diffère complètement, bien quails s’entendent cependant très bien à l’aide de leurs lettres ou caractères. Ce qui se conçoit parfaitement, puisque chaque caractère exprime un objet ou une image; tandis que dans le langage articulé, les sons peuvent être tout-à-fait arbitraires. C’est à cette faculté de se rappeler les sons articulés chez l’homme, et à celle de reproduire les mêmes sons chez les ani- maux, que je donne le nom de langage, et qui constitue la faculté dont je traite maintenant. On peut dire, d’une manière générale, que plus l’organisa- tion cérébrale est compliquée, et plus le langage a d étendue. On concevra facilement ce que je dis ici, lorsqu’on saura que le langage n’est autre chose que l’expression des facultés qu’un ani- DE PHRÉNOLOGIE. 333 mal possède. L’homme étant de tous les animaux celui dont le système nerveux cérébral présente le plus de complication, est aussi celui dont le langage est le plus étendu. On ne conçoit pas que certains philosophes ou naturalistes aient refusé le sens du langage aux animaux. Il faut n’a- voir jamais étudié leurs mœurs et leurs habitudes, pour soute- nir une pareille assertion. Georges Le Roi, dans ses Lettres philosophiques , a combattu victorieusement une manière de voir aussi fausse : ce qu’il dit à ce sujet est trop remarquable pour ne pas trouver ici sa place. « Nous ne remarquons dans les bêtes que des cris qui nous paraissent inarticulés : nous n’entendons que la répétition assez constante des mêmes sons. D’ailleurs , nous avons quelque peine à nous représenter une conversation suivie entre des êtres qui ont un museau alongé ou un bec. De ces préjugés, on conclut généralement que les bêtes n’ont point de langage proprement dit, que la parole est un avantage qui nous est particulier, et que c’est l’expression privilégiée de la raison humaine. Nous sommes trop supérieurs aux bêtes pour chercher à méconnaî- tre ou à nous déguiser ce dont elles jouissent ; et l’apparente uniformité des sons qui nous frappent, ne doit point nous en imposer. Lorsqu’on parle en notre présence une langue qui nous est étrangère, nous croyons n’entendre que la répétition des mêmes sons. L’habitude et même l’intelligence du langage, nous apprennent seules à juger des différences. Celles que les organes des bêtes mettent entre elles et nous, doivent nous ren- dre encore bien plus étrangers à elles, et nous mettre dans l’impossibilité de reconnaître et de distinguer les accents , les expressions, les inflexions de leur langage. Il est certain cepen- dant que les bêtes de chaque espèce distinguent très bien entre 334 TRAITÉ elles ces sons qui nous paraissent confus. Il ne leur arrive pas de s’y méprendre, ni de confondre le cri de la frayeur avec le gémissement de l’amour. Il n’est pas seulement nécessaire quelles expriment ces situations tranchées , il faut encore quelles en caractérisent les différentes nuances. Le parler d’une mère qui annonce à sa famille qu’il faut se cacher, se dérober à la vue de l’ennemi, ne peut pas être le même que celui qui indique qu’il faut précipiter la fuite. C'est une question qui doit se résoudre par la solution de deux autres. Ont-elles ce qui est nécessaire pour parler? peuvent-elles, sans parler, exécuter ce qu elles exécutent ? Le langage ne suppose qu’une suite d’idées et la faculté d’articuler. Nous avons reconnu, sans pouvoir en douter, que les bêtes sentent, comparent, jugent, réfléchis- sent, concluent, etc. Elles ont donc, en fait d’idées suivies, tout ce dont on a besoin pour parler. A l’égard de la faculté d’ar- ticuler, la plupart n’ont rien dans leur organisation qui paraisse devoir les en priver. Nous voyons même des oiseaux, d’ailleurs si différents de nous, parvenir à former des sons articulés entièrement semblables aux nôtres. Les bêtes ont donc toutes les conditions qui sont nécessaires au langage. Mais si nous suivons de près le détail de leurs actions, nous voyons, de plus, qu’il est impossible quelles ne se communiquent pas une partie de leurs idées, et quelles ne le fassent pas par le secours des mots. Leurs diverses agitations ont des intonations différentes qui les caractérisent. Si une mère effrayée pour sa famille n’avait qu’un cri pour l’avertir de ce qui la menace, on verrait à ce cri la famille faire toujours les mêmes mouvements. Mais au contraire, ces mouvements varient suivant les circonstances. Tantôt c’est précipiter la fuite , tantôt c’est se cacher, une autre lois ce sera de se présenter au combat. Puisqu’en consé- DE PHRÉNOLOGIE. 335 quence de l’ordre donné par la mère, les actions sont diffé- rentes, il est impossible que le langage ne l’ait pas été. Peut-on dire que les expressions ne soient pas fort diversifiées entre un mâle et une femelle pendant la durée de leur commerce, puisqu’on remarque entre eux mille mouvements de différente nature ? empressement plus ou moins marqué de la part du mâle; réserve mêlée d’agaceries de la part de la femelle; refus simulés, emportements, jalousie, racommodements. Pourrait- on croire que des sons, qui accompagnent tous ces mouve- ments, ne sont pas variés comme les situations qu’ils expriment? Il est vrai que le langage d’action est d’un très grand usage parmi les bêtes, et qu'il est suffisant pour quelles se communi- quent la plus grande partie de leurs émotions. Ce langage familier à ceux qui sentent plus qu'ils ne pensent, fait une impression très prompte, et produit, presque dans l’instant, la communication des sentiments qu’il exprime; mais il ne peut pas suffire dans toutes les actions combinées des bêtes , qui supposent concert, convention, désignation de lieu, etc. Deux loups qui, pour chasser ensemble, se sont partagé leurs rôles dont l’un est aile attaquer la proie, pendant que l’autre s’est chargé de l’attendre à un lieu donné pour la pousser avec des forces fraîches, n’ont pas pu agir ensemble avec tant de concert sans se communiquer leur projet; et il est impossible qu’ils l'aient fait sans le secours d’un langage articulé. L’éducation des bêtes s’accomplit en grande partie par le langage d’action. C’est l imitation qui les accoutume à la plupart des mouvements qui sont nécessaires à la conservation de la vie naturelle de l’animal. Mais lorsque les soins, les objets de prévoyance et de crainte se multiplient avec les dangers, ce langage n’est plus suffisant; l’instruction devient plus compli- 336 TRAITE quée, les mots deviennent nécessaires pour la transmettre : sans une langue articulée, l’éducation d’un renard ne pour- rait pas se consommer. Il est certain par le fait qu’avant d’avoir pu s’instruire par l’expérience personnelle, les jeunes renards , en sortant du terrier pour la première fois, sont plus défiants et plus précautionnés dans les lieux où on leur fait beaucoup la guerre, que les vieux ne le sont dans ceux où l’on ne leur tend point de pièges. Cette observation, qui est incontestable , démontre absolument le besoin qu’ils ont du langage : car com- ment , sans cela , pourraient-ils acquérir cette science de précautions, qui suppose une suite de faits connus, de com- paraisons faites, de jugements portés? Il paraît donc qu’il est absurde de douter que les bêtes aient entre elles une langue, au moyen de laquelle elles se transmettent les idées dont la communication leur est nécessaire. Mais l’invention des mots étant bornée par le besoin qu’on en a, on sent que la langue doit être courte entre des êtres qui sont toujours dans un état d’action , de crainte ou de sommeil. » ( Georges le Roi, Lettres philosophiques sur les animaux. ) Le langage d’expression existe évidemment chez les animaux : la disposition de leurs yeux, l’état de resserrement ou de dilata- tion des narines, la contraction ou le relâchement des muscles qui vont se rendre à la peau du front, de ceux qui entourent les os delà face ou recouvrent la couche musculaire extérieure, sont en rapport avec l’état de repos ou d’action de plusieurs facultés. Ajoutons que ces signes extérieurs sont accompagnés de mou- vements et d’attitudes du corps non moins expressifs. On ne peut disconvenir cependant que l’homme est, de tous les ani- maux, le plus favorisé sous le rapport du langage d’expression. Le nombre considérable des muscles de son visage , leur DE PHRÉNOLOGIE. admirable distribution, lui permettent de donner à sa physio- nomie une mobilité telle , que les sentiments les plus délicats s’y trouvent peints avec une variété d’expression étonnante. L’étude des variétés ou des modifications de la face sous l’in- fluence des facultés cérébrales en action, constitue la science du physionomiste. Je reviendrai sur ce sujet quand il sera question d’appliquer la phrénologie aux beaux arts. Gall considère le langage articulé, ou la mémoire verbale chez l’homme, comme le résultat d’une faculté particulière tout-à-fait différente du sens du langage proprement dit, qu’il appelle talent de philolo- gie. Spurzheim, au contraire, croit que ce qui constitue l’esprit des langues, c’est-à-dire le rapport ou la construction du langage, ne dépend pas d’une faculté distincte de la mémoire verbale. Il me parait, dit-il, que c’est la même faculté qui apprend les mots par cœur, et qui exerce l’esprit de la langue. Ce dernier mode d’activité est, pour cette faculté, ce qu’on appelle juge- ment de plusieurs autres, c’est-à-dire sa fonction parfaite selon certaines lois auxquelles chaque faculté est soumise. Avant complètement ce sujet, j’engage mes lecteurs à relire, pages 55 et suivantes de ce volume, ce que j’ai dit sur la manière dont Gall parvint à considérer comme faculté primitive, le talent de retenir un grand nombre de mots, ou la mémoire ver- bale. J’insiste d’autant plus sur ce point, que c’est par cette obser- vation que Gall fut conduit à la découverte des autres facultés. Il ne sera pas non plus indifférent de revenir ici sur les signes extérieurs, à l’aide desquels cette faculté peut être reconnue; capils peuvent servir, jusqu’à un certain point, à éclaircir la question de savoir s’il existe une seule ou deux facultés, et con- séquemment deux organes en action dans ce qu’on appelle ordi- nairement langage. 338 TRAITÉ Il est bien certain que la mémoire verbale peut être portée à un très haut degré, sans que la personne qui la possède soit remarquable sous le rapport des facultés réflectives supérieures; comme on peut aussi rencontrer des hommes d’un mérite extra- ordinaire (je citerai comme exemple Jean-Jacques Rousseau) avec une mémoire de mots excessivement ingrate. La mémoire verbale consiste donc dans la répétition de mots ou de sons articulés, abstraction faite du sens que ces mots représentent; et cela est si vrai que l’on voit des hommes pos- sédant cette mémoire, répéter une longue suite de mots d’une langue étrangère ou d’un ouvrage qu’ils ne comprennent pas. Maintenant, est-il certain qu’il existe une faculté spéciale ayant pour but de s’occuper de la construction des sons articulés et de leur harmonie, et constituant le talent du philologue ? Gall répond affirmativement à cet égard, et cite comme exemple plusieurs personnages distingués chez qui il a trouvé un signe extérieur en rapport avec cette faculté. Voici quelles sont ses expressions : lorsque la plus grande partie de la portion moyenne des circonvolutions inférieures et antérieures placées sur le plancher orbitaire ou sur la voûte, est très développée, cette paroi est non-seulement aplatie, mais même déprimée. lien résulte une position particulière des yeux. Dans ce cas, les yeux sont à fleur de tête et déprimés vers les joues, de façon qu’il se trouve un certain intervalle entre le bulbe et l’arcade supérieure ; le bulbe ainsi déprimé agit sur l’arcade inférieure et en aug- mente l’échancrure ; cette forte échancrure produit chez le sujet vivant, lorsqu’il a les paupières ouvertes, l’apparence d’une petite poche remplie d’eau, delà le nom d’yeux pochetés(i). (i) Gall, sur les Jonctions du cerveau y pag. 3o , édit. in-8°? 5 vol. DE PHRÉNOLOGIE. Gall donne ensuite comme exemple de cette organisation , diverses figures représentées dans son Atlas Comme ces dessins ne sont qu’au trait et d’une mauvaise exécution, j’ai fait repré- senter pl. XCIII bis, fïg. i et fig. 3, deux personnes possédant, lune la mémoire verbale, et l’autre le talent de philologue dans un haut degré, avec les deux caractères extérieurs indiquant ces deux facultés. Dans la première, l’œil est, comme on le voit, poussé en avant ou à fleur de tète ; dans la seconde, il existe au- dessous du rebord orbitaire inférieur une saillie due, selon Gall, au globe de l’œil qui se trouve abaissé vers la joue, et forme comme un renflement ou, comme il le dit, une petite pochette. Gall convient avoir rencontré quelques personnes possédant une mémoire verbale très heureuse, avec une conformation ordi- naire des yeux; mais dans ce cas, assure-t-il, le diamètre d’une tempe à Vautre est ordinairement très considérable, et quelque- fois même la partie inférieure des tempes est bombée, ce qui atteste un grand développement des parties adjacentes. J’ai d’abord cherché à constater par la voie expérimentale les faits avancés par Gall, entre la coïncidence de la saillie du globe de l’œil, caractère de la mémoire verbale, et celle de la dépres- sion de ce globe vers la joue, caractère du talent philologique. Voici quel a été résultat de mes recherches : i° Il est certain que, sur un grand nombre de personnes pos- sédant une mémoire verbale très heureuse, la majeure partie présentera des yeux saillants ou à fleur de tête ; ■2° Il est encore certain que, sur un grand nombre de per- sonnes ayant la mémoire verbale ingrate, presque toutes auront dès yeux déprimés. 3° Je n’ai trouvé que peu d’exemples d’enfants ayant une mé- moire verbale très prononcée sans avoir les yeux saillants, mais TRAITÉ moins encore avec le renflement des tempes indiqué par Gail. Il est vrai que j’ai quelquefois rencontré ce signe, mais il tenait évidemment au développement d’une autre partie cérébrale que celle affectée au langage. Quant au talent de philologue que Gall considère comme une faculté spéciale, et que Spurzheim croit seulement un mode de jugement de la mémoire verbale, je ne le considère que comme la suite ou plutôt l’heureux développement des facultés intellectuelles supérieures. Je ne crois pas que le talent de l’ora- teur dépende, comme le dit Gall, de cette faculté; mais qu’il résulte de facultés relevées, secondées par la mémoire verbale. Il est vrai que chez beaucoup d’auteurs célèbres, et chez les phi- lologues, on trouvera des yeux pochetés ; mais je considère ce signe comme indiquant seulement une mémoire verbale heu- reuse. Quels sont effectivement les portraits des personnages donnés par Gall comme modèle d’orateurs ou de philologues ? Ce sont Bacon, Voltaire, Barathier, Milton, Rabelais, etc., etc. Mais ces personnes étaient toutes remarquables par une mémoire prodigieuse; toutes savaient parfaitement plusieurs langues. Quant à la distribution et à la construction des mots, je ne crois pas avec Spurzheim qu elle résulte d’un plus grand développement de l’organe de la mémoire verbale, ou de ce qu’il appelle un mode de jugement de cette faculté. L’histoire nous apprend que la construction des parties du discours est tout-à-fait arbitraire , ou pour mieux dire qu elle varie suivant les facultés intellectuelles des personnes. C’est, selon moi, dans le développement de diverses facultés qu'il faut chercher la cause des variétés présentées dans la con- struction des langues. Si nous comparons les langues anciennes avec les langues modernes, nous verrons qu'elles ne se ressemblent DE PHRÉNOLOGIE. 341 en rien sous le rapport de la eonstruction des phrases. Chez les modernes il existe peu de variétés dans la disposition des mots; chez les anciens elle varie cà l’infini : au lieu de commencer, comme tous les écrivains de notre temps, par le sujet, ils le placent à la fin. Les littérateurs prétendent que ce dernier mode de construction rend la phrase plus animée; soit : mais il n’en est pas moins vrai que cette manière d écrire ou de parler est rejetée de nos jours. Si véritablement le talent du philologue et de l’orateur avait pour signe constant des yeux pochetés, tous les hommes qui présentent cette organisation devraient avoir une grande disposition à devenir philologues ; cependant j’ai vu plusieurs personnes ainsi organisées qui n’étaient nulle- ment orateurs, ni remarquables par la construction de leurs phrases, ou par un goût décidé pour les langues. Si la tournure des phrases, le choix des expressions caractérisent le talent du philologue, comment se fait-il que des hommes célèbres, qui n’avaient pas les yeux pochetés, aient écrit ou donné à la con- struction de leurs phrases une tournure telle, qu’ils se trouvent placés à la tète des meilleurs écrivains de notre siècle ? tel était Jean-Jacques Rousseau, qui réunissait à une mémoire de mots très ingrate, une grande difficulté de s’énoncer. Je crois que l’on peut tirer des faits que je viens de citer les conséquences suivantes : i° Qu’il existe, chez l’homme et les animaux, une faculté ayant pour objet de se rappeler les sons articulés ou non articulés; 2° Que le talent appelé sens des langues, talent du philo- logue, n’est pas le résultat d’une faculté spéciale, comme le prétend Gallou d’un mode de jugement de la mémoire ver- bale, comme le dit Spurzheim, mais celui de facultés supérieures que la mémoire verbale peut aider puissamment; 342 TRAITÉ 3° Que les yeux à fleur de tête ou pochetés, caractère de la mémoire verbale ou de la philologie, ne sont pas toujours des signes constants du développement considérable de ces deux facultés, bien qu’ils les accompagnent trop souvent pour ne pas mériter l’attention des phrenologist es. La manière dont Gall a traité le sens du langage chez les animaux, me paraît incomplète sur beaucoup de points, et entièrement inexacte sur plusieurs autres. Il ne me paraît pas avoir tenu assez de compte de l’influence du langage d’imita- tion, qui remplace très fréquemment, chez les animaux, le lan- gage articulé, et qui devient pour eux un moyen aussi prompt que facile de s’entendre. Enfin, il me paraît avoir confondu les deux langages, quand il s’agit d’appliquer la phrénologie au cerveau et au crâne des animaux. Il y a , dit-il, d’autant plus de masse cérébrale placée au-dessus de la partie interne du bulbe, que l’espèce a plus d’aptitude au langage. Il cite ensuite le perroquet comme modèle de cette organisation. D’abord , rien de plus vague que de dire qu'il existe plus de masse céré- brale au-dessus du bulbe; car cela n’indique en aucune manière quelle est la partie cérébrale affectée au langage. En citant le perroquet comme modèle du sens du langage, Gall commet une autre erreur; car le langage articulé du perroquet dépend, en grande partie, du talent d’imitation ou langage d’expression dont je parlerai plus tard. Les observations du même auteur sur le crâne des chiens et de quelques singes, ne sont pas plus exactes : les crânes auxquels il renvoie ne donnent aucune idée juste de ce qu’il avance; son cerveau de chat représenté pl. LXXVI, et qu’il donne à l’appui de son assertion , est plutôt propre à induire en erreur, puisque la représentation en est infidèle. Que signifie, comme je l’ai déjà dit, ce langage, que DE PHRÉNOLOGIE. 343 plus il existe de masse cérébrale entre la partie interne du bulbe de l’œil, et plus le langage des quadrupèdes et des oiseaux est étendu, puisque la masse comprise dans cet espace contient plusieurs organes ayant des fonctions distinctes. Pour faire voir combien l’assertion de Gall est fausse, je citerai comme exemple le cerveau de la grande chouette des bois, pi. LXXIII, fig. 5 , et celui du perroquet, id. pl., fig. 4? que Gall donne comme un modèle d’un grand développement du sens du langage. On voit que sur le cerveau de la chouette, l’intervalle qui existe entre la partie interne du bulbe est plus étendu que chez le perroquet. Je crois qu’il est très difficile de préciser avec certitude, la partie du cerveau qui est le siège de l’organe du langage chez les quadrupèdes, et j’entends ici, non les mots articulés que répètent le perroquet, la pie ou d’autres animaux, car je crois que cette sorte de langage est dû à la faculté d’imiter ; je parle du langage propre à chaque espèce, c’est-à-dire du son ou des cris que les animaux font entendre, et qui leur servent de moyen de transmission pour rendre leurs impressions. Ce qui peut jeter de rembarras sur la découverte de cette faculté, c’est qu’il est souvent très difficile de savoir si les actes d’une multi- tude d’animaux sont la suite du langage des sons ou des cris, ou du langage d’expression que je considère comme dépendant d’une autre faculté. Il faudrait avoir obseryé pendant très long- temps, chez les quadrupèdes de la meme espèce, les actes qui accompagnent leurs cris, pour préciser avec justesse le siège de l’organe du langage. Cette étude est moins difficile chez les oiseaux, où l’on peut suivre, du moins chez certaines espèces, les actions qui accompagnent toujours tels ou tels cris. J’ai remar- qué bien des fois, chez les oiseaux de la meme espèce, que le 344 TRAITÉ même langage était, toujours suivi des mêmes aetes : c’est ce que j’ai sur-tout observé chez les serins, lors de la construction de leurs nids, ou dans les soins qu’ils donnaient à leurs petits, et chez les oiseaux voyageurs d’hiver, pendant leur vol. Il mest arrivé plusieurs fois d’aller dans les lieux où se trouvaient des troupes d’oies ou de canards domestiques; rien qu’à leur seule manière de crier, j’étais sûr des mouvements qu’ils allaient exé- cuter : tantôt c’était d’aller se précipiter à la mare, de se réunir en troupes ou de marcher sur une seule ligne; d’autres fois c’était pour indiquer le moment de leur toilette; tous sortaient alors de l’eau, se mettaient sur le bord de la mare, frottant et lus- trant leurs plumes avec leur bec. J’ai vu plusieurs troupes appartenant aux mêmes espèces, jeter un cri particulier lorsqu’il était question de retourner à la ferme. J’ai examiné avec soin la conformation du cerveau et du crâne des oiseaux qui paraissent avoir un langage assez étendu, et je suis disposé à croire que la partie cérébrale qui repose sur le point du plancher orbitaire indiqué par le n° 24 , pl. XCIII , fig. 5 , est le siège de l’organe du langage chez les oiseaux. § XII. Orgaoe du coloris. Rien ne me parait plus propre à établir l’existence d’une faculté ayant pour but de saisir l’harmonie des couleurs primi- DE PHRÉNOLOGIE. 345 tives que la fréquentation d'un atelier de peinture. Cette faculté est si bien un don naturel, et non le fruit du travail, comme le supposent quelques personnes, qu’il est facile de distinguer de bonne heure le peintre qui aura peu de talent pour faire, ce qu’on appelle en terme d’atelier, de la couleur, de celui qui tien- dra un jour un rang distingué parmi les coloristes. J’ai fait depuis plusieurs années un nombre incroyable de recherches sur des personnes remarquables sous le rapport du développement de certaines facultés, aussi bien que sur celles qui les possédaient dans un faible degré. Comme ces observa- tions sont trop nombreuses pour trouver ici leur place, je les ferai connaître dans un travail spécial. Je me bornerai à dire, pour la faculté que je traite maintenant, qu elle est une des plus faciles à reconnaître, et quelle est entièrement indépen- dante du talent de dessiner , de saisir les formes, l’étendue des objets, ou de ce que l’on appelle composition, qualité principale du peintre, mais qui suppose la mise en action de plusieurs facultés. J’ai fait représenter avec intention l’un près de l’autre les mas- ques de deux jeunes peintres de l’école de M. le baron Gros. Celui représenté fig. i, pl. Cil , était, sans contredit, le premier dessinateur de l’atelier, l’autre, ici. pl., hg. i , en était le premier coloriste. J’ai choisi préférablement ces deux personnes, parce que s’adonnant toutes deux à la même profession, elles présentent cependant des différences de talent très remarquables : ainsi, si le premier brille comme dessinateur, il est au-dessous du médiocre comme coloriste; tandis que le second, qui ne pour- rait égaler le premier sous le rapport du dessin, lui est telle- ment supérieur comme coloriste, qu’on ne peut établir de 346 TRAITE comparaison entre eux. Gall et Spurzlieim ont cité une multi- tude d’observations de personnes qui ne pouvaient distinguer une couleur d’une autre, ou l’harmonie qui existe entre plu- sieurs couleurs primitives, bien que leur vue fût excellente. Mais de toutes les observations recueillies sur ce sujet, il n’en est pas, je pense, de plus curieuse que celle que M. G. Combe a insérée dans la troisième édition de son Système de phrénolo- gie, publié à Edimbourg en i83o. Je cite cette observation avec d’autant plus de confiance, que les détails ont été fournis à M. Combe lui-même, par la personne qui en est le sujet; la voici : Le grand-père de M. J. Milne ( M. James Milne, fondeur de bronze à Edimbourg) avait de la peine à saisir les couleurs, mais distinguait très bien les formes et la distance. Un jour cette personne désira que sa femme achetât une belle robe verte : elle lui montra plusieurs échantillons sans qu’il pût en trouver un qui présentât la couleur en question. Un jour apercevant une dame qui passait dans la rue, il s’empresse d’indiquer sa robe à sa femme, comme étant delà couleur qu’il désirait quelle prit. Alors elle lui exprima son étonnement, et lui dit que la couleur qu’il avait prise pour verte était brune. Ce fut alors seulement qu'il fut connu qu’il était dépourvu de la faculté de percevoir les couleurs. Ni son père, ni sa mère ou l’oncle du coté de la mère, n’a- vaient un pareil défaut, de manière que cette imperfection n’a pas atteint une génération. Chez lui et ses deux frères, cepen- dant, elle existe d’une manière évidente ; tandis que chez ses quatre sœurs , on n’en trouve aucune trace ; toutes distinguent parfaitement les couleurs : M. Spankie, cousin éloigné, pré- sente un défaut semblable. DE PHRÉNOLOGIE. 347 M. Milne a la vue un peu courte (i), mais il n’a jamais trouvé de verres qui pussent corriger son défaut. Il excelle à distinguer les formes et les proportions; et quoiqu’il ne puisse pas distin- guer le gibier sur terre, à cause de son défaut de perception des couleurs, il est cependant très amateur de la chasse. Dans sa jeunesse, il était excellent tireur, lorsqu’il apercevait les oiseaux en l’air. Il les voit seulement lorsque le jour baisse. Un jour une couvée de perdrix s’éleva à dix ou douze verges de lui, dans un champ rempli de navets de Suède, et il ne put aperce- voir un seul de ces oiseaux. Son œil est convexe dans un haut degré. Le défaut de M. Milne fut découvert d’une singulière manière. Il fut placé comme apprenti chez un marchand de drap , et continua son service pendant trois ans et demi. Pendant deux ans il commit une multitude d’erreurs pour les couleurs, que l’on attribua à l'inexpérience et à l’ignorance des noms des diverses teintes. A la fin , cependant, comme il vendait une pièce de drap pour faire des culottes, l’acquéreur demanda des cordons pour les attacher, et M. Milne allait couper ceux qu’il consi- dérait comme les mieux assortis, quand la personne l’arrêta, et demanda de la même couleur que le drap. M. Milne la pria de lui indiquer une couleur, et elle en choisit une de celle du drap. Quand elle fut partie, M. Milne se croyait si sûr d’avoir raison , et que la personne se trompait dans la couleur qu elle avait choisie, qu’il coupa un morceau des cordons qu’il voulait donner, et un morceau de ceux qui avaient été choisis, et les (i) La myopie n’influe en rien sur le talent de percevoir les couleurs , car j’ai rencontré des myopes parmi des peintres très bon coloristes. 348 TRAITÉ emporta chez lui avec une portion delà pièce de drap qu'il mon- tra à sa mère. Elle lui dit alors que son ruban était d’un brillant écarlate, et l’autre vert-gazon. Son maître ne voulait pas croire à son défaut de percevoir les différences de couleur; et ce ne fut qu’après plusieurs erreurs et réprimandes, qu’il fut obligé de quitter sa profession, et de s’adonner à une autre, celle de fon- deur de bronze, pour laquelle il a une disposition naturelle, car il avait employé le tour à métier en fabriquant des jouets quand il était enfant. Pour ce qui est des couleurs, il connaît le bleu et le jaune, mais il ne peut distinguer le brun, le vert et le rouge; il ne peut faire de différence entre le brun et le vert vus séparé- ment, mais vus ensemble, il aperçoit une différence. Le bleu et l’œillet, de meme nuance, et vus en plein jour, lui parais- sent de la couleur du ciel, qu’il appelle bleue; mais vus à la lumière d’une bougie, l’œillet lui apparaît comme du buffle sale, et le bleu conserve la couleur qu’il avait pendant le jour. Le gazon lui apparaît plutôt couleur orange que tout autre objet colorié aveclequel il est familiarisé.L’indigo, le violet et le pour- pre lui paraissent différentes nuances de la même couleur plus ou moins foncée, mais ne différant en rien pour la base. Il ne confond jamais les objets noirs avec les blancs : il distin- gue facilement entre le noir et le bleu , et est capable de dire si le noir est bon ou mauvais. Dans l’arc-en-ciel il ne voit dis- tinctement que le jaune et le bleu. Il voit bien qu’il existe d au- tres teintes, mais il ne peut les distinguer, et est incapable de les nommer. Durant le jour le cramoisi lui apparaît comme bleu ou pourpre, mais à la lumière d’une bougie il lui apparaît rouge. Etant à Glascow , sa grande redingotte fut emportée par DE PHRÉNOLOGIE. erreur de la chambre des voyageurs; s étant inlormé au garçon ce quelle était devenue, on lui demanda quelle était sa cou- leur. M. Milne fut tout-à-fait embarrassé par cette question ; et bien qu’il l’eût portée pendant un an, il put seulement répondre qu elle était ou brun tabac , ou vert olive , mais qu’il ne pou- vait l’affirmer. Le garçon le regarda comme s’il l’avait soupçonné de vouloir prendre une redingotte au lieu d’en retrouver une ; mais la redingotte fut retrouvée , bien que M. Milne ne fut pas capable d’en discerner encore la couleur. Il prend facilement le cuivre pour du bronze, à moins qu’il ne les distingue à l’aide de la lime. Chez toutes les personnes qui se sont fait remarquer comme coloristes, la région marquée n° 25, fi g. 2, pl. XCI, est très développée. Le développement de l’organe se reconnaît à l’ex- térieur par deux signes : ou la partie moyenne externe du sourcil se trouve portée en dehors et en haut, comme dans Je masque fig. 1 , pl. Cil (1); ou bien l’arcade orbitaire avance dans cette région d’une manière remarquable. Cette dernière disposition est très marquée sur le front de M. le baron Gros, un des peintres les plus célèbres de notre époque comme co- loriste. On ne possède jusqu’à présent aucune observation qui prouve que le sens de l’harmonie des couleurs existe chez les animaux. (i) Gall et Spurzheim ont évidemment exagéré ce mode de conformation dans leur portrait de Rubens. J’ai vu une excellente représentation de ce peintre, si rare comme coloriste. Mais bien qu’il soit facile d’y trouver le caractère qui distin- gue les personnes douées de ce talent , il s’en faut de beaucoup que ce soit porté au point où le représentent les deux auteurs que je viens de citer. TRAITÉ Organe de l’éventualité. Il existe évidemment deux parties cérébrales distinctes dans l’espace circonscrit par Gall, et où serait placé, selon lui, l’organe de la mémoire des faits, des choses ou de l’éducabilité. L’une est placée supérieurement, n° 26, et l’autre inférieure- ment, n° 14. La première a été considérée par Spurzheim comme l’organe d’une faculté, qu’il désigna d’abord sous le nom de phénomènes, et plus tard sous celui d’éventualité. Les observations très nombreuses que j’ai faites chez certaines espèces d’animaux, où cette partie cérébrale est assez déve- loppée, d’autres, mais en plus petit nombre, dans l’espèce humaine, me portent à croire que les fonctions de cet organe n’ont pas encore été analysées d’une manière satisfaisante. Je me contenterai, mais seulement pour ne pas laisser une lacune dans les travaux des Phrénologistes, de rapporter ce que Spurzheim dit de cette faculté, en y joignant toutefois quelques remar- ques. Si, comme j’ai lieu de l’espérer, je rencontre chez l’es- pèce humaine de nouveaux faits qui viennent donner plus de poids à ceux que j’ai déjà recueillis, non-seulement sur cette faculté, mais encore sur d’autres avec lesquelles elle me paraît essentiellement en relation, j’en ferai l’objet d’un travail parti- culier, et je le consignerai dans les journaux que les Phréno- logistes ont entre les mains. o « On rencontre, c’est Spurzheim qui parle, des hommes qui ont des idées sommaires de toutes les connaissances humaines, qui s’intéressent à tout ce qui est art, science; qui n’ont pas DE PHRÉNOLOGIE. 351 toujours étudié les choses à fond, mais qui savent assez pour en parler avec facilité; qui, en effet, parlent beaucoup, et racontent bien : en un mot, des hommes qu’on nomme brillants en société. Leur front est saillant, et élargi en bas et au milieu, au-dessus de la racine du nez. (Ici Spurzheim renvoie à la fîg. VI de son ouvrage, représentant le portrait de Bayle. J Cette organisation est très développée chez les enfants, et chez les garçons plus que chez les filles, et chez certaines nations plus que chez d’autres. Quelle est donc la faculté manifestée par cet organe? Gall, dans le principe, a appelé cet organe celui de la mémoire des choses, parce que les personnes, chez lesquelles il l’avait observé, savaient beaucoup de choses. Plus tard, il lui a donné le nom de sens des choses; enfin , celui d’éducabilité. Mais ces expressions ne désignent pas de faculté primitive. D’abord, il est certain que la faculté en question connaît tout ce qui se passe autour de nous; elle est attentive aux événements et aux phénomènes extérieurs; elle aime l’instruction de l’histoire, la connaissance des anecdotes et des faits. En outre, il me semble qu elle sait tout ce qui a lieu en nous avec connaissance : les sen- sations organiques, les actions des penchants, des sentiments, des sens extérieurs et des facultés perceptives des objets. Elle veut connaître tout, et exerce à cet effet les sens extérieurs; elle connaît les faits et aime à les raconter : c’est pourquoi elle est essentielle aux rédacteurs de toute espèce, aux instituteurs et historiens. Elle ne connaît que ce qui se fait. Combinée avec la faculté de l’individualité, elle forme l’esprit pratique qui devrait servir de base au raisonnement philosophique. ( Spurzheim , Observations sur la Phrénologie, Paris, 1818, pag. 29V ) Afin de compléter ce que cet auteur a dit sur cette faculté, je vais extraire de la 3e édition de son ouvrage publiée à Londres, les 352 TRAITÉ expressions suivantes : cette faculté voudrait écouter, voir. sentir, goûter et toucher, elle aime l’instruction en général , elle contribue essentiellement à l’unité de conscience, elle pa- raît percevoir les impressions qui sont les fonctions immédiates des externes et les changer en notions ou idées; de plus , elle paraît essentielle à l’attention en général et à la reconnais- sance de l’entité, du moi en philosophie. On voit d’après Spurzheim que la sphère d’action de la faculté qu’il appelle éventualité, serait excessivement étendue. Tantôt c’est le désir de connaître toute espèce de sciences : les personnes qui la possèdent sont brillantes en société , chose que je suis loin d’admettre, car je crois qu’on peut parler très bien, sans avoir le désir de posséder toutes sortes de sciences; comme d’un autre côté on peut avoir le désir de s’instruire dans beaucoup de sciences, sans être brillant en société, ou parler de tout avec facilité. Est-il vrai aussi que toutes les personnes qui présentent cette organisation aiment beaucoup les anecdotes ? Est-il certain que cette faculté contribue à donner une idée de la conscience ou du moi ? N’a-t-on pas rencontré plusieurs personnes ayant une idée nette et précise de leurs perceptions, conséquemment de leur individu ou de leur moi, sans que cette région fût bien saillante. J’avoue que pour moi cela ne souffre aucune objection* J’ajouterai encore qu’une faculté qui voudrait sentir, goûter, toucher, etc., me paraît un langage qui n’est pas excessivement clair. Je terminerai, enfin, en disant que les observations d’ana- tomie et de physiologie comparée, qui pouvaient servir à l’analyse de cette faculté, ont été complètement négligées par Spurzheim. Quoiqu’il en soit des observations de ce phrénologiste, je suis loin de les considérer comme indifférentes : d’abord elles ont DE PHRÉNOLOGIE. 353 servi à démontrer l’existence de deux organes là où Gall n’en voyait qu’un; et ce qu’il a dit de celui dont la faculté est dési- gnée sous le nom d’éventualité, bien que me paraissant impar- fait, pourra peut-être mettre sur la voie pour arriver un jour à quelque chose de plus correct. CHAPITRE VIII. FACULTÉS INTELLECTUELLES. IIe Genre. § i- Talent de construction. Encore une faculté qui prouve jusqu’à la dernière évidence, que les sens ne sont que des instruments mis en œuvre par le cerveau. Que de belles phrases, que de belles théories n’a-t-on pas faites pour démontrer que, sans l’organisation de sa main, l’homme n’eût été qu’au niveau des quadrupèdes? Il fallait vraiment que le philosophe Helvétius fût aveugle, quand il sou- 354 TRAITÉ tînt une pareille opinion, car la vue seule suffisait pour en démontrer toute l’absurdité. Il appartenait à celui qui soutenait que tous les hommes naissent égaux en intelligence, d’avancer de pareilles assertions; et ce sont d’aussi bons observateurs qui se sont cru appelés à donner des règles pour l’éducation de l’homme. On sourit de pitié en voyant que des philosophes complètement étrangers à la constitution de l’homme et à l’histoire de ses facultés intellectuelles et morales, se soient arrogés le droit de le diriger, semblables en cela à des gens qui ignorant la navigation, auraient la prétention de commander un vaisseau. Quelle absurdité î On se demande encore comment des naturalistes, familiarisés avec les mœurs et l’organisation des animaux, ont pu soute- nir que leur talent de construction était en rapport avec l’ins- trument qu’ils employaient; tandis qu’il est bien démontré, au contraire, qu’avec des variétés innombrables dans la forme du bec chez les oiseaux, des conformations différentes ou semblables dans les pattes des quadrupèdes, on peut rencontrer ou non un talent remarquable pour construire. Celui-là serait bien habile qui, par la seule inspection des becs ou des pattes, serait en état d’apprécier l’aptitude à construire ! La main, chez l’homme, le bec et les pattes, chez les oiseaux et les quadrupèdes, sont si bien des instruments mis en œuvre par l’intelligence, que l’on rencontre tous les jours des hommes pourvus de mains grossièrement faites, et qui exécutent des ouvrages d’un travail admirable pour le fini et l’exactitude. Com- ment se fait-il que l’on soit encore à trouver une femme qui puisse rivaliser avec les plus grands peintres de l’antiquité ou des temps modernes ? Cependant la main de la femme présente généralement une organisation plus délicate, et conséquem- DE PHRÉNOLOGIE. 355 ment plus capable de donner, selon les partisans des sens, plus de finesse et plus detendue à l’intelligence. La panduline, espèce de mésange, présente un bec qui diffère peu, pour la forme, de celui de la fauvette des roseaux ; la pre- mière, cependant, fait un nid d’une structure admirable, tandis que l’autre se contente de quelques brins d’herbe sèche placés circulairement et sans art. Comme toutes les facultés, celle de construire est inné, et dépend d’une organisation spéciale, que des circonstances heu- reuses et le temps pourront perfectionner, mais ne donneront jamais. Toutes les fois que cette faculté se rencontrera dans un très faible degré chez un individu, il ne sera pas plus facile d’en faire un mécanicien, que d’apprendre la musique à celui qui ne sera pas sensible à l’harmonie. Comme l’existence de cette faculté et le siège de son organe peuvent être constatés journellement, je m’abstiendrai de faire connaître les faits nombreux qui viendraient démontrer que le talent pour la construction est une faculté fondamentale. Avant d’en venir au siège de l’organe de construction chez l’homme et les animaux, il ne sera pas indifférent de savoir si cette faculté constitue à elle seule le talent de construire, ou si elle peut être aidée par plusieurs autres ou en demande le secours, pour constituer le talent dit de mécanique ou de con- struction. Nous verrons que la phrénologie comparée pourra nous éclairer dans cette question, comme elle fa fait avec tant d’avantages pour celles que nous avons déjà traitées. Si nous étudions cette faculté chez les oiseaux et les quadru- pèdes, nous verrons que le talent de construire peut se rencon- trer avec des facultés intellectuelles excessivement limitées, ou presque nulles. L’oiseau qui construit le mieux son nid, n’est 356 TRAITÉ pas toujours celui qui brille le plus par son intelligence. Le chien qui ne construit pas de galeries souterraines comme le renard ou le blaireau, est cependant de beaucoup supérieur à ceux-ci, qui ne sont pas capables de recevoir d’éducation. Le singe que l’on peut apprivoiser, à qui l’on peut même appren- dre beaucoup de choses, n’égalera jamais l’écureuil dans la manière de construire un nid (i). La faculté de construire, bien qu’appartenant à la catégorie des facultés intellectuelles, n’exige pas, pour sa manifestation, des facultés réflectives supérieures. Je prouverai cependant, quand il sera question de la combinaison des facultés, que le talent du mécanicien ne se borne pas à l’emploi de la faculté de construire, et que le secours de certaines facultés perceptives devient indispensable. Il n’est pas rare de rencontrer dans l’espèce humaine des per- sonnes qui sont douées du talent de construction à un degré remarquable, et qui, sous tous les autres rapports, sont d’une grande faiblesse d’esprit. J’ai déjà eu occasion d’observer plu- sieurs personnes ainsi organisées, et j’ai pu me convaincre quelles n’étaient réellement, hors leur talent mécanique, que de vraies machines. Je me rappellerai toujours l’histoire d’un (i) Le domicile des écureuils, dit Buffon , est propre, chaud, impénétrable à la pluie : c’est ordinairement sur l’enfourchure d’un arbre qu’ils l’établissent. Ils commencent par y porter des bûchettes qu’ils mêlent, qu’ils entrelacent avec de la mousse ; ils la serrent ; ils la foulent et donnent assez de capacité et de solidité à leur ouvrage, pour y être à l’aise et en sûreté avec leurs petits; il n’y a qu’une ouverture vers le haut, juste, étroite, et qui leur suffit à peine pour passer ; au-dessus de l’ouverture est une espèce de couvert en cône, qui met le tout à l’abri , et fait que la pluie s’écoule par les côtés, et ne pénètre pas. DE PHRÉNOLOGIE. jeune homme que j’ai connu, et qui réussissait dans tout ce qui demandait une grande adresse des mains. Sans avoir jamais manié le scalpel, il disséquait admirablement bien. Il faisait avec de la terre ou des morceaux de bois blanc, de petites figures d'hommes assez régulières. Il eût sur-tout excellé dans l’art de faire des jouets d’enfants. Bien que rien n’eût été négligé pour son éducation, il était d’une nullité à peu près absolue : jamais il n’a pu jeter sur le papier quatre phrases bien liées entre elles; jamais il n’a pu saisir les rapports des faits et des choses pour en dé- duire des conséquences. Des hommes ainsi organisés ne sont que des êtres machines que des personnes supérieures pourront met- tre en œuvre en les plaçant dans la sphère qui leur convient. Gall, après avoir observé les tètes d’un grand nombre de mécaniciens célèbres, vit qu elles présentaient toutes un carac- tère commun, bien que très différentes sous tous les autres rapports : il consistait dans un élargissement ou un renflement arrondi de la région des tempes, placé quelquefois derrière l’œil, d’autres fois un peu au-dessus. Des expériences multipliées ont constaté la vérité des remar- ques faites par Gall. Je ferai seulement observer qu’il me paraît avoir confondu dans un seul organe deux parties tout-à-fait distinctes; l’une placée à la partie supérieure de la tempe, que Gall a considérée comme l’organe de construction, tandis que mes observations sur plusieurs personnes me portent à croire quelle ne constitue que le sens du beau dans les arts, et qu’on peut la posséder sans avoir une grande adresse manuelle ; et je considère comme sens de construction la portion cérébrale située plus bas. J’ai indiqué sur la fig. 2 de la pl. XCI et par le n° le siège de la première faculté, et par le n° 27, id. fig., celui de l’organe du talent manuel. 358 TRAITÉ Chez toutes les personnes qui excellent dans les arts qui demandent une certaine adresse des mains, on trouve la région marquée 27, fig. 2, pl. XCI, très développée : elle est très apparente sur un plâtre que l’on conserve à Rome, et que j’ai fait représenter pl. CVIII , fig. 2. L’académie de St-Luc croyait qu’il avait appartenu à Raphaël (1). Quelle différence dans la région que je viens d’indiquer, et la même région sur un crâne d’habitant de la nouvelle Guinée, id. pl., fig. i. La fig. 2 de la pl. CXX représente le meme crâne vu de profil ; on distingue mieux encore dans cette position l’aplatissement de la région indiquée. En jetant les yeux sur les crânes représentés pl. CXV, fig. 2, et pl. CIX, on pourra avoir une idée du développement de l’organe de construction à un certain degré dans la première figure, et de son peu de saillie dans la seconde. Le crâne représenté fig. 2, pl. CXV, est celui d’un chef de la nouvelle Zélande. Sur plusieurs crânes ayant appartenu aux habitants de cette lie, et que j’ai eu occasion d’observer, j’ai constamment trouvé l’organe de construction assez développé ; il n’est donc pas surprenant que les instruments de guerre, les pirogues et les cerceuils de ces insulaires, se fassent remarquer (i) L’année dernière le tombeau de ce peintre célèbre a été ouvert par ordre du Saint-Père : le squelette a été retrouvé intact. Le crâne que j’ai fait représenter, et que l’on avait jusqu'à ce jour considéré comme celui de Raphaël, est donc celui d’une autre personne. Quoi qu'il en soit, il est si remarquable par le grand dé- veloppement du sens de construction , qu’il n’est pas surprenant que Gall, en le voyant, ait dit qu’il n’avait jamais rencontré un plus beau développement de la région affectée à l’organe de cette faculté. Le sens du beau dans les arts est aussi très prononcé sur ce crâne. DE PHRÉNOLOGIE. par leur fini, et meme une certaine élégance. Les Nouveaux Hollandais, au contraire, ont le talent de construction si peu développé , qu’ils ne sont pas encore parvenus à se construire des cabanes pour s’abriter, et des vases propres à contenir de l’eau ou les objets de première nécessité. Leur défaut d’industrie les a privés, jusqu’à ce jour,de l’emploi de vêtements qui pussent les garantir de l’inclémence du cli- mat. La fig. i de la pl. CXIX représente le crâne d’un habitant de la Nouvelle Hollande. On voit qu’il existe entre lui et celui du Zélandais, une différence de conformation très remarqua- ble dans la région de l’organe de construction. On ne peut avoir une juste idée de l’organe de construction chez les qua- drupèdes, qu’après avoir comparé les crânes de deux animaux de la même classe ou du même genre, l un possédant la faculté de construire dans un degré assez prononcé, et l’autre en étant tout-à-fait dépourvu. Chez le renard, pl. XXXV, fig. i, l’organe de construction est situé au-devant de l’angle antérieur du parié- où il forme un renflement facile à distinguer : en se con- fondant avec l’organe des lieux, il donne lieu à une masse qui contribue à élargir la partie latérale externe du frontal. Dans le blaireau, pl. XXVIII, fig. i , l’organe se trouve plus en arrière ; il renfle l’angle antérieur du pariétal et une petite portion de l’os frontal : cette différence de situation est facile à concevoir ; elle tient au défaut de sinus frontaux chez le premier animal ( voir la coupe de son crâne, pl. VI, fig. i ) (i) ; tandis que chez (î) J’ai quelquefois trouvé, chez de très vieux renards, une légère excavation entre les deux lames du frontal ; mais elle était trop peu considérable pour être considérée comme un vrai sinus, et ne devenait en aucune manière un obstacle à saisir le développement des parties cérébrales placées au-dessous de cet os. TRAITÉ le second ils sont assez étendus : ce sont eux qui forment cette masse placée au-dessus des os du nez et s’étendant jusqu’à plus d’un pouce en arrière. Je ne crois pas avec Gall que le chien soit complètement dépourvu du penchant à construire, bien qu’il ne le possède que dans un très faible degré : je crois que c’est cet organe qui porte cet animal à gratter quelquefois la terre à la manière des lapins : j’ai vu plusieurs fois des chiens s’amuser à faire des espèces de creux dans la terre, et à s’y coucher. Peut-être est-ce la même faculté, réunie au sens de l’alimentation , qui pousse l’hyène à gratter la terre des tombeaux pour en dévorer les cadavres. Si l’organe de l’alimentation était seul en jeu dans cette conduite , pourquoi d’autres animaux pressés par la faim, tels que le tigre et le lion, n’auraient-ils pas recours au même procédé ? Chez les rongeurs, l’organe du penchant à construire est facile à reconnaître, lorsque l'animal le possède dans un haut degré : c’est lui qui élargit l’angle antérieur et inférieur du pariétal et la portion de l’os frontal qui s’articule avec cet angle. Je retrouve encore dans l’ouvrage de Gall, pour le siège de l’organe de construction chez les animaux, le même vague et la même inexactitude que j’ai déjà signalés pour plusieurs organes. Chez le hamster, dit cet auteur, la marmotte et le castor, l’organe des constructions est très facile à reconnaître; aussi les crânes de ces trois animaux se ressemblent-ils beaucoup dans la région où cet organe est placé. En général, il faut le cher- chez tous les rongeurs, immédiatement au-dessus et en avant de la base de l’arcade zygomatique. Mais ce qui se trouve au-devant de cette apophyse ( voir le crâne de l’écureuil, pl. DE PHRÉNOLOGIE. 361 XXXVII, fi g. 1 , c’est l’os temporal, et ce n’est pas là que se trouve l’organe de construction, mais celui qui preside au choix des aliments ou à la destruction : le point indiqué par Gall est donc inexact. Il existe dans la conformation du crâne des rongeurs, des variétés d’organisation assez remarquables, dont Gall n’a mal- heureusement tenu aucun compte : c’est là ce qui explique les erreurs graves qu’il commet dans ses applications. Afin de mettre facilement sur la voie les personnes qui voudraient appliquer la Phrénologie aux crânes des vertébrés, je vais faire connaî- tre quelques dispositions du crâne chez les rongeurs. Si l’on compare l’étendue de l’angle antérieur du pariétal, là où il s’articule avec l’os frontal, on trouvera que chez plusieurs rongeurs qui construisent très bien, tels sont le castor (1), pl. XLI , fig. 1 ; la marmotte, id. pl., fig. 2; l’écureuil, pl. XXXVII, fig. 1; il existe plus de largeur dans cette région du crâne que chez ceux qui ne construisent pas. On peut com- parer à cet égard le crâne de l’écureuil, pl. XXXVII, fig. 1 , avec celui du cochon cabiais, id. pi., %. 3. Chez le hamster, pl. XLI, fig. 3 (2), il existe dans la ré- gion que je viens d’indiquer une saillie assez prononcée, mais (1) Je crois qu’il y a beaucoup d’exagération dans tout ce que l’on a dit sur le talent de construction des castors. (2) Le hamster est un rat très commun en Allemagne, en Russie et en Pologne, ayant l’habitude de se creuser des galeries et de faire des provisions. On trouve ordinairement jusqu’à deux boisseaux de grains dans le terrier d’un seul hamster; leurs dégâts sont si considérables , que leur tète est à prix dans quelques contrées de l’Allemagne. Il est très difficile de découvrir leurs provisions , car ils prennent la précaution de recouvrir leurs galeries avec de la terre. TRAITÉ je crois que , chez cet animal, deux organes contribuent à la former ; et puis il existe chez le hamster une disposition par- ticulière de l’os temporal que Gall ignorait complètement, et que je vais faire connaître. J’ai dit tout à fheure que le temporal des rongeurs était loin de présenter la meme disposition ; c’est ce que nous allons sur- tout trouver dans la portion écailleuse de l’os temporal. Chez les hamster et les rats, cette partie se prolonge plus en devant que chez l’écureuil: c’est elle qui, en se réunissant au frontal, donne lieu à une saillie inégale placée sur les parties latérales antérieures du crâne; cette portion contribue donc pour quel- que chose à recouvrir l’organe de construction chez le hamster. Dans les rats ordinaires, pi. XXXVII, fig. 2, cette région est bien moins saillante que chez le hamster. Je crois cependant que les rats ne sont pas dépourvus de cette faculté; je crois que c’est elle qui les excite à gratter avec leurs pattes les corps qui présentent peu de résistance, tels que la terre, de vieux plâtras : c’est elle aussi qui porte la femelle de ces animaux à former une espèce de nid sur lequel elle dépose ses petits. Il est extrêmement facile de juger de la différeuce, qu’appor- tent sur le crâne et dans le point que je viens d’indiquer , l’absence ou le développement assez remarquable de l’organe de construction chez deux animaux dont le crâne offre à peu près le même volume, et qui sont du même genre, le campagnol, par exemple,fig. 9 et 10, pi. XXIX, et la souris, id. pl., fig. 11 et 12. Gall n’a rien dit sur le siège de l’organe de la construction chez les oiseaux. Après l’avoir indiqué, comme je viens de le démon- trer, d’une manière extrêmement vague chez les quadrupèdes, il ajoute : l’on trouve la même différence entre les crânes des oiseaux qui construisent des nids et de ceux qui n’en font pas. DE PHRÉNOLOGIE. 363 Sans doute qu’il doit exister une différence entre eux; mais en quoi consiste-t-elle P voilà ce que Gall ne nous apprend pas. Il n’a donné dans son Atlas aucun exemple qui put servir à faire distin- guer l’oiseau qui construit de celui quine possède pas ce talent. On ne peut arriver à Lien préciser le siège de l’organe de construction chez les oiseaux, qu’a près avoir comparé un grand nombre de crânes ayant appartenu à diverses classes , ordres, genres et espèces. On doit toujours commencer par des crânes d’oiseaux de même genre et d’espèce différente, Lun possé- dant le talent de construire dans un degré assez prononcé, et l’autre très peu ou pas du tout. Je vais indiquer le nom et la figure du crâne de plusieurs espèces, dans l’ordre qui m’a paru le plus avantageux pour faire connaître aux phrénologistes le siège de l’organe de cons- truction chez les oiseaux. le dinde, pl LI , fig. 5. le coq, pLLVIII, fig. 5. Foie , pl. LT , fig. 2. le martin pêcheur,, pl. LX\ I , fig. 2. Oiseaux qui ne construi- sent pas ou qui construi- sent mal. le loriot, pi. LXI1, fig. 5. Fhirondelle de fenêtre , pî. XLVII, fig. 4. le chardonneret , pL LXV , fig. 4. les mésanges, pl. XLVI, fig. 1 et 6. Oiseaux qui construisent très bien. Comparés entre eux dans la région marquée 27, pi. XCIII, iig. 4 ? c’est-à-dire derrière l’orbite et sur les parties latérales, on trouvera une différence frappante de développement entre les crânes des espèces qui appartiennent à la section des oiseaux qui ne construisent pas ou qui construisent mal, et ceux qui appartieunent à l’autre section. 364 TRAITE Que Ion compare, par exemple, le crâne d’un coq, pi. LV'III, fig. 5, avec celui du pigeon ramier, pi. LXIII, fig. 2, et l’on verra que chez le premier la région que je viens d’indiquer est peu saillante, tandis quelle est bien renflée dans le second. On peut encore comparer, ainsi que je le fais dans mes leçons, le crâne du pigeon domestique avec celui du ramier. En plaçant ces deux crânes l’un près de l’autre et de profil, une différence assez marquée se laisse apercevoir entre eux : la région indiquée est évidemment plus saillante chez le pigeon ramier. Chez certains oiseaux, l’organe de la construction se confond avec celui qui préside au choix des aliments : je donnerai comme exemple de ce mode de conformation le héron bleu, pl. LV, fig. 2, et la cigogne, pl. XLV fig. 3 ; c’est la réunion de ces deux parties cérébrales qui donne lieu à ce renflement placé derrière l’orbite, que Gall confondait mal à propos avec ce qu’il appelle l’organe de l’instinct carnassier. Mon observa- tion est si vraie, que chez le goéland, pl. LIX , fig. 6 , l’hi- rondelle de mer, pl. LXIV, fig. 4 ? qui se nourrissent de chair, mais ne construisent pas, cette région est peu saillante. Il m’a toujours été facile, dans mes nombreuses dissections d’encéphales d’oiseaux, de distinguer à la simple vue ceux qui appartenaient ou non à des oiseaux constructeurs. Que l’on compare, par exemple, le cerveau du héron bleu, pl. LXX , fig. i , avec celui de l’oie domestique, ici. pl., fig. 2, celui de l’hi- rondelle et du coucou, pl. LXXIII, fig. 6 et 9 , du corbeau et de la pie de mer, fig. 1 et 8, id. pl. , et l’on verra que la masse cérébrale qui se trouve être le siège du sens de construc- tion, diffère de beaucoup en volumé chez ces diverses espèces , selon qu elles possèdent ou non cette faculté. DE PHRÉNOLOGIE. 365 § il Talent musical L’ouïe est à la faculté de percevoir les rapports qui existent entre les sons produits par les ondulations d’un corps sonore, ce que la vue est à la faculté de percevoir les formes ou l’har- monie des couleurs; je veux dire un véritable instrument de transmission, mais non de perception et de jugement, comme l’ont supposé mal à propos les partisans de l’action des sens. De même qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une vue exquise pour être bon coloriste, de même aussi peut-on rencontrer d’excellens musiciens sans une grande finesse de l’organe de l’ouïe. La phrénologie comparée abonde en faits propres à démontrer que la finesse de cet organe nJa aucune influence, si ce n’est comme moyen de transmission des sons, dans la pro- duction du talent musical. Comme la faculté de construire, celle de la musique est un don que l’instruction pourra déve- lopper, mais ne produira jamais. Il suffit d’examiner les diffé- rences qui existent à cet égard chez plusieurs oiseaux sortis des mêmes père et mère } pour être convaincu de la vérité de cette assertion. Le coucou qui n’a jamais reçu de soins de sa famille, qui, au contraire, a été élevé par des oiseaux dont il aurait dù retenir le chant, ne conserve rien des habitudes de ses parents adoptifs, et fait entendre le chant de son espèce. 366 TRAITÉ Comment se fait-il que de tous les serins dune couvée, les uns soient incapables de chanter, tandis que les autres se font re- marquer par leur talent musical? Cependant tous ont reçu les mêmes soins, tous ont été placés dans les mêmes circonstances. D’où provient donc une différence si frappante , si ce n’est d’une organisation intérieure plus forte que les circonstances exté- rieures qui tendent à la modifier? Plus cette organisation sera développée, et plus les actes qui en dépendent se manifesteront au dehors en dépit de l’entourage. Ce que je viens de dire du talent musical est applicable à toutes les facultés sans exception. Etudiez les habitudes des oiseaux d’une volière, tant chez les individus d’espèces diffé- rentes que chez ceux de la même espèce sortis de mêmes pa- rents, et vous trouverez dans ce monde en miniature, comme dans l’espèce humaine, tout ce que peut produire l’influence de l’organisation. Vous pourrez apprécier combien l’action des circonstances extérieures est peu propre à modifier faction d’une organisation fortement développée. Ici, c’est une poltron- nerie ou un courage étonnant, là, un attachement ou une in- constance sans exemple; plus loin un chant ravissant à côté de sons discordants ou monotones , etc., etc- (i).- (l) Jusqu’à présent les volières n’ont été, pour les quatre cinquièmes des hommes qu’un objet de luxe ou d’amusement frivole ; cependant il n’est pas d’étude plus intéressante pour celui qui veut étudier avec soin les habitudes des oiseaux, sur-tout s’il sait tirer parti des faits nombreux qu il est à même d’observer, et les rattacher aux actes psychologiques. Un membre de la Société phrénologique de Paris, M. Machado , possède depuis plusieurs années une volière d’oiseaux dont il étudie les mœurs et les habitudes. Bien que je sois loin de partager les opinions de cet homme estimable sur les rapports qu’il a cherché à établir entre la robe des DE PHRÉNOLOGIE. Eq observant les homines dès l’âge le plus tendre, nous verrons la faculté qui constitue le talent musical se manifester et se développer sans circonstances extérieures déterminantes. Il n’est pas rare, pour peu qu’une famille soit nombreuse, de voir un enfant chanter avec infiniment de justesse, trahir par l’expression de sa figure l’impression que produisent sur lui des sons ravissants qu’il entend pour la première fois , tandis que son frère, bien que supérieur sous beaucoup de rapports, n’y est aucunement sensible, et trouve singulier que l’on puisse éprouver du plaisir dans des sons qui lui parais- sent étourdissants. S’il fallait citer les faits qui viennent à l’appui de l’opinion, que le talent de la musique est une faculté fondamentale, je pourrais en composer un volume. Je passe donc au siège de son organe. Chez l’homme il se trouve placé au-dessus de l’angle orbitaire externe, et se présente souvent sous la forme d’un triangle dont la base est dirigée en bas , n° 28, fig. 2 , pl. XCI. La fig. 2 de la pl. CI peut donner une excellente idée dont cet organe se présente à l’extérieur. J’ai fait représenter à côté la figure d'une autre personne, qui s’est appliquée très long-temps à l’étude de la musique, et dont le zèle et les soins assidus n’ont été couronnés d’aucun succès. Ses parents, con- seillés par un maître ignorant, crurent que l’instrument dont elle faisait usage ( c'était le piano ) était probablement un obsta- animaux et leurs habitudes , je me plais à rendre justice à la vérité de ses remar- ques sur les facultés de plusieurs espèces d’oiseaux ; elles méritent d’autant plus de confiance, qu’elles sont le fruit d’observations multipliées et recueillies avec bonne foi. 368 TRAITÉ cle aux progrès de leur fille : on y substitua la harpe sur laquelle, comme on doitbienle penser, elle ne fut pas plus heu- reuse. Il parait que cette jeune personne a fini par où elle aurait dû commencer, c’est-à-dire quelle a quitté la musique pour laquelle elle n’avait que peu de dispositions. L’autre personne, au contraire, manifesta de très bonne heure un goût décidé pour la musique : à peine âgée de 4 ans, sa principale occupation consistait à tendre des fils de diverses longueurs en les fixant aux barreaux d’une chaise ; elle obtenait alors, en les pinçanl ensemble, des nuances de son , auxquelles elle prêtait la plus vive attention : à 10 ans elle parvint, après avoir entendu solfier la gamme à son père, à nommer et donner le ton des notes d’une romance qui lui fut présentée. Un ré- sultat si curieux éveilla l’attention de ses parents qui lui donnè- rent un maître de solfège : en 10 mois elle connut parfaitement la clef de sol et la clef de fa nécessaires à son piano : admise au Conservatoire à n ans, elle y subit un examen au bout de 3 mois, et solfia la leçon à changement de clefs. Ayant concouru peu de temps après, elle obtint le second prix; l’année suivante elle remporta le premier prix. Enfin, j’apprends aujourd’hui quelle est professeur de cet établissement, et quelle y a débuté avec le plus iieureux succès. Le talent d’harmoniste est celui qui paraît sur-tout distinguer Mlle H On sait que ce qui distin- gue l’harmoniste, est la faculté de saisir les rapports qui existent entre plusieurs tons émis à la fois. Je ne sais pourquoi Spur- zheim a changé l’expression de talent ou sens de la musique en celui de mélodie, qui n’indique qu'un mode de cette faculté, c’est-à-dire l’appréciation des rapports d’une note à une autre. Un phrénologiste d’Edimbourg , M. Scott , a inséré dans le Journal phrénologique de cette ville, des observations plus ingé- DE PHRÉNOLOGIE. nieuses que solides, sur les rapports qui existent entre le déve- loppement de certaines facultés et le talent musical. Les recherches que j’ai faites en phrénologie humaine et comparée, ne s’accordent pas avec les faits avancés par ce phré- nologiste, dans qui je me plais d’ailleurs à reconnaître un talent d’observation remarquable. Je dois dire aussi que l’auteur ne donne pas ses observations comme chose démontrée, mais comme de simples conjectures, qui ne doivent être admises qu’après des expériences nombreuses. Gall a signalé une autre manière dont l’organe de la musi- que se manifeste extérieurement : elle consiste dans un élar- gissement du front au-dessus et en dehors de l’anode orbitaire O O externe, de telle manière que cette région dépasse l’angle : ce caractère se retrouve avec le premier sur la tête de Melle H C’est lui qui contribue à donner au frontal cette étendue consi- dérable d’un angle orbitaire à l’autre. On voit qu’il existe une différence très remarquable à cet égard entre les deux figures de la pl. CI Gall a fait représenter dans son Atlas, le crâne de Kreiberg, célèbre virtuose qui jouait ordinairement du violon avec l’empereur Joseph IL Comme ce crâne est à peine ébau- ché, et que sa forme est inexacte, j’ai jugé convenable de faire représenter le frontal de ce musicien célèbre d’après le crâne déposé au Jardin des Plantes; c’est celui qui est représenté fig. 5, pl. CIX. Toute la région placée au-dessus de l’angle orbitaire externe, est très pleine, et de meme celle qui se trouve placée plus haut et plus en dehors. Les portraits de Dussek, Marchesi, Yiotti, etc., etc., repré- sentés dans l’ouvrage de Gall, sont plus propres, à cause de leur imperfection et de leur inexactitude, à induire en erreur qu’à donner une juste idée de la manière dont se présente extérieure- 370 TRAITÉ ment l’organe du talent musical. Cet organe est un de ceux qui demandent, pour être bien appréciés, une longue habitude des variétés de développement des parties cérébrales qui l’avoisinent. Gall prétend avoir rencontré le sens du calcul assez prononcé chez les compositeurs. Il est certain que la composition de- mande la réunion de plusieurs facultés : ainsi on peut être excellent harmoniste, très bon mélodiste, excessivement remar- quable sous le rapport de l’exécution, sans être pour cela com- positeur. Au reste, c’est un sujet sur lequel nous reviendrons en parlant de la combinaison des facultés. Il est inutile, selon moi, de chercher chez les quadrupèdes un organe pour la musique. Gall dit qu’il ne soutiendrait pas que certains quadrupèdes ne sont pas doués du sens de l’har- monie, et il s’appuie sur le fait que des éléphants, et quelque- fois des chiens, ont paru écouter la musique avec intérêt. Des chameaux, des ânes, des mulets et même des bœufs, dit-il, supportent mieux la fatigue de leur travail accoutumé, lors- qu’on leur fait entendre de la musique, ou qu’on leur chante des chansons. Tout le monde a vu danser en mesure des chiens, des ours et les chevaux de Franconi. Je ne vois rien de solide dans tous ces faits, qui puisse démontrer que le sens de l’har- monie existe chez les quadrupèdes. Le bruit d’un instrument de musique peut bien fixer l’attention des animaux, sans qu’ils soient pour cela sensibles à la différence qui existe entre les tons. Quant à la mesure, cela peut très bien s’expliquer par le sens du temps, qui existe souvent dans un très haut degré chez les animaux. J’ai connu un boucher qui avait un chien chez qui cette faculté était si prononcée, que tous les samedis, et sans que rien prit lui faire connaître les intentions de son maître, il partait seul de très grand matin, et allait se rendre DE PHRÉNOLOGIE. a plus dune lieue de distance, à une maison qui servait d’a- battoir à son maître. Tout ce que Gall a dit sur la manière de reconnaître l’organe de la musique à la surface du crâne des animaux, est excessive- ment vague. Voici quelles sont ses expressions : « que l’on com- pare le cerveau et le crâne des oiseaux chanteurs, avec le cerveau et le crâne des oiseaux qui ne chantent pas .chez ces derniers, le cerveau est moins large près des yeux ou de la partie supérieure des orbites ; les orbites mêmes sont très grandes et ovales, et dans beaucoup d’espèces le cerveau n’avance pas jusqu’aux yeux. Chez les oiseaux chanteurs, au contraire, le cerveau, et par conséquent aussi le crâne, sont plus larges vers le bord exté- rieur antérieur ; de là il arrive que les orbites sont plus rondes; car l’échancrure latérale qui existe chez ceux qui manquent de l’organe de la musique, est diminuée parle développement de cet organe. » (i) Gall donne ensuite comme exemple de la première confor- mation la poule, le dinde, le cygne et le cormoran. Il est certain que chez la poule et le dinde, il existe peu de largeur près des yeux ou de la partie antérieure supérieure des orbites; mais le cygne fait exception : chez les oies et les canards, qui ne brillent pas par leur talent musical, le rebord de l’or- bite est très arrondi, notamment chez les espèces sauvages, ce qui ne devrait pas être d’après les observations précé- dentes de Gall. Cette comparaison entre les crânes d’espèces différentes est extrêmement vicieuse, car il y a une multitude de variétés de développement d’organes que Gall n’a jamais (i) Liv. cit. , 5e vol., pages 125 et 126. 372 TRAITE étudiées, et qui sont capables d’induire en erreur. Il résulte de mes recherches anatomiques, auxquelles j’ai apporté la plus grande attention, que la différence d’organisation entre le cerveau et le crâne des oiseaux musiciens et ceux des oiseaux qui ne chantent pas, n’est bien appréciable que chez les in- dividus de même espèce ou de même genre. On conçoit aisé- ment comment on peut saisir ici la différence; car la masse cérébrale ayant une conformation absolument semblable, il ne s’agit plus que de voir celle qui présente plus de volume dans la région affectée à l’organe de la musique; c’est donc après avoir comparé les crânes de deux serins, de deux char- donnerets, de deux bouvreuils doués de facultés différentes, sous le rapport de la faculté qui nous occupe , que je suis parvenu à préciser le siège de l’organe de la musique qui est situé dans la région 28 , fig. 4 ? ph XCIII. J’ai fait représenter, pl. LXV, fig. 3 et 6, les crânes du car- dinal et du gros-bec. Ces deux animaux appartiennent au meme genre (gros-bec , loxia.) On voit que chez le premier, qui est très bon chanteur, la région du crâne que je viens d’indiquer est évidemment plus développée que sur le gros- bec, où se trouve, au lieu d’une saillie, une véritable dépres- sion. J'ai comparé entre eux un certain nombre de crânes, ayant appartenu à des fauvettes, des chardonnerets, et sur-tout des serins bons chanteurs : la différence de développement dans le point indiqué, avec les crânes d’oiseaux de même espèce qui ne chantaient pas, était très sensible. (1) (i) J ai l’habitude dans mes leçons de présenter une multitude de crânes de divers oiseaux. 373 DE PHRÉNOLOGIE. § ni. Organe du langage d’expression. — Talent d’imitation. Le langage articulé chez l’homme, et les cris chez les ani- maux , ne sont pas le seul moyen de manifester au dehors leurs impressions. Il existe encore un autre langage très étendu, et souvent très expressif. Supposons pour un instant un homme dépourvu , à sa naissance, de l’organe de l’ouïe, incapable, par conséquent, de se faire entendre à l’aide de sons articulés ; nous le yerrons suppléer à ce vice d’organisation par des gestes. Tantôt ces objets serviront à faire connaître les sensations qu’il éprouve intérieurement, ou à reproduire celles qui lui seront venues des objets extérieurs. Il est extrêmement rare que le langage d’expression ne soit pas réuni au langage articulé chez l’homme, sur-tout quand il s’agit d’émouvoir. On sait toute l’influence que peut avoir le geste dans l’art oratoire et sur la scène; mais pour qu’il produise tout son effet, il faut qu’il soit bien en harmonie avec l’action de la faculté qui est mise en jeu, sinon on tombe dans le mauvais goût ou le ridicule. Chaque faculté, lorsqu’elle entre en action, est accompagnée de signes extérieurs; ces signes peuvent se rencontrer chez toutes les personnes : il n’en est pas de même de la faculté de les reproduire à volonté, celle-ci suppose une organisation particulière, c’est-à-dire le grand développement d’un organe. 374 traité C’est une chose vraiment curieuse que ia tendance qu onl naturellement certaines personnes à reproduire les gestes et les habitudes des autres sans avoir reçu de leçons, et sans que rien ait jamais pu les engager à cela. Je connais une jeune et jolie personne, qui manifesta de très bonne heure un ta- lent d’imiter vraiment étonnant. Sa mère l’a surprise plusieurs fois faisant des grimaces effroyables devant une glace. Elle m’a raconté qu’une de ses sœurs, qui aime beaucoup cette jeune personne, vint lui faire visite. A peine rentrée, elle aperçut sa fdle simulant devant une glace les gestes et la voix de sa tante. Je me disposais à la reprendre vertement, me dit-elle, mais elle avait mis tant d’art dans sa manière d’imiter, la peinture était si frappante que je ne pus conserver mon sérieux. Je suis désolée, ajouta-t-elle, de lui voir une disposition semblable, car elle ne peut lui être d’aucune utilité et peut lui faire beaucoup de tort. J’ai remarqué que les personnes qui possèdent le talent di- miter dans un haut degré , contractent en quelque sorte à leur insu les habitudes de geste et de voix de celles qui les entourent. C’est la même faculté qui les porte à singer le geste et même la mise de quelques hommes célèbres, croyant peut-être par une telle conduite se rapprocher de leurs grands modèles, dont ils ne sont que la parodie ridicule. J’ai constamment trouvé chez les personnes ainsi organisées, une certaine affectation dans la manière de rendre leurs sen- timents Qu’une personne de ce genre éprouve un accident qui la mette dans le cas de recevoir la visite de gens qui s’intéressent à elle, soyez persuadé qu’il y aura toujours dans ce quelle fera quelque chose d’affecté. Personne ne s’enten- DE PHRÉNOLOGIE. 375 dra mieux quelle à reproduire les gestes qui accompagnent une joie ou une douleur très vive : pour peu que la ruse, dans un certain degré de développement, se trouve réunie au talent d’imiter, on trouvera toujours que les personnes ne manqueront jamais de donner à leur figure l’expression qu elle croiront la plus capable de produire l’effet désiré. Il m’est arrivé plusieurs fois de discerner chez quelques hommes ayant la faculté d’imiter très prononcée, ce qu’il y avait de sincère de ce qui était affecté dans leurs manières. Gall s’est étendu très au long et a cité beaucoup de faits pour établir l’évidence de la faculté d’imitation. Son existence et le siège de son organe me paraissent trop bien démontrés pour insis- ter davantage sur ce point. Je ferai seulement quelques remar- ques sur cette faculté chez les animaux. Gall, ainsi que je l’ai fait observer en traitant du langage articulé., a mal à propos placé le perroquet à la tète des oiseaux remarquables sous ce rapport. Le vrai langage de cet oiseau n’est pas celui qu’il répète, mais bien celui qu’il emploie avec ceux de son espèce. Son langage articulé n’est que la suite de la faculté d’imitation qui est très prononcée chez lui. Si nous observons attentivement les cris des animaux, nous verrons qu’indépendamment de ceux qu’ils emploient commu- nément entre eux, il en existe qui dominent tous les autres, qui donnent à l’animal un cachet particulier, et qu’il em- ploie sans se trouver en contact avec les autres animaux. Le grognement du cochon, le roucoulement de la tourterelle, le hennissement du cheval, le braiemeut de l’âne, le hurlement des loups, etc., etc., me paraissent appartenir au langage d’expression, ou n’en sont qu une modification. Chez l’homme, l’organe de l’imitation répond aux parties 376 TRAITÉ latérales moyennes de la région supérieure de l’os frontal, n° 29 , pl. XCI , fig. 2. Quand cet organe est très déve- loppe' , il produit une hauteur et une largeur du front assez prononcées pour faire croire aux personnes peu versées dans 1 application de la phrénologie, que ces tètes appartiennent à des individus doués de facultés réflectives très fortes. J’ai vu commettre plusieurs fois cette erreur au théâtre : elle devient encore plus facile si les organes de la bienveillance et du pen- chant au merveilleux sont très développés. Gall n’a rien dit sur le siège de l’organe de l imitation chez les animaux. Je 11’ai pu recueillir chez les quadrupèdes des observations assez bien faites pour l’indiquer d’une manière rigoureuse. Il est probable, en raisonnant par voie d’analogie, que c’est cet organe qui contribue chez le singe à renfler les parties latérales moyennes supérieures du frontal. J’ai pu, par des observations assez nombreuses, préciser avec soin le siège de l’organe de l imitation chez les oiseaux. Je pos- sède dans ma collection les crânes de deux oiseaux de meme espèce, deux geais, que j’ai fait représenter pl. LXVIII, fig. 1 et fig. 2; il existait entre eux une différence bien tranchée, sous le rapport de la faculté en question. Nonobstant les soins et les précautions que l’on prit pour instruire celui qui est repré- senté fig. 2 } il ne put jamais rien apprendre. L’autre, au con- traire, en très peu de temps et sans aucune instruction, répé- tait avec la plus grande facilité un grand nombre de mots et des phrases entières. Il imitait parfaitement le grognement du cochon, le bruit d’une scie , le miaulement du chat, etc., etc. En 1825, son maître, ancien marin, éprouva un rhume suivi d’une toux opiniâtre : le geai parvint à simuler avec tant d’art la toux et l’éternument de son maitre , qu’il DE PHRÉNOLOGIE. était très difficile de distinguer l’un de l’autre à une certaine distance. Tous les gros jurons étaient reproduits avec une rare netteté d’expression. Il est facile de voir en comparant les deux tètes que la région 29, pl. XCIJI, fig. 3, qui se trouve être le siège de l’organe du talent d’imitation, est bien plus prononcée sur son crâne que sur l’autre. Les perroquets, du moins certaines espèces, la pie, le grand corbeau, le merle, l’étourneau, ont cette région assez déve- loppée. Le talent d’imiter est un des principaux éléments de la pro- fession du comédien; cependant, comme on le verra, lorsque je traiterai de la combinaison des organes, il est loin de suffire pour exceller dans l’art dramatique, qui résulte d’un grand nombre de facultés. 377 TRAITÉ CHAPITRE IX. FACULTÉS INTELLECTUELLES. — FACULTÉS RÉFLECT1VES. IIP Genre. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. Toutes les facultés intellectuelles du premier genre, ou per- ceptives, une seule exceptée, celle de saisir l’harmonie des couleurs, se rencontrent chez les animaux, sans appartenir cependant à toutes les espèces, et quand on les rencontre elles présentent une multitude de nuances sous le rapport du développement. L’homme a le privilège de les posséder toutes, et même dans un degré infiniment plus étendu; il existe donc déjà, pour les facultés que je viens de traiter, une différence immense entre l’homme et les animaux. Nous en trouverons une encore plus frappante dans les facultés qui vont faire l’ob- jet de ce chapitre : elles seules suffisent pour faire ressortir la supériorité de l’homme sur les animaux : elles seules expli- quent les actes de ce chef-d’œuvre de la création. Otez lui ces facultés, et ses actions s’élèveront très peu au-dessus de celles des animaux : ajoutez les, et des phénomènes qui paraîtront DE PHRÉNOLOGIE. 378 tenir du prodige ne tarderont pas à se manifester. L’homme mesurera les cieux, sillonnera les mers, construira des palais, s’élèvera dans les airs, découvrira de nouveaux corps, pourra remonter à la cause des phénomènes et saisir ainsi de nou- veaux rapports. Tout ce qui constitue une nation arrivée au plus haut degré possible de civilisation, c’est-à-dire, sciences, arts, philosophie, institutions civiles et politiques, n’est qu’une suite de la mise en jeu de facultés perceptives et réflectives dans un haut degré de développement. L’expression facultés réflectives nous semble bien rendre notre idée; ce sont en effet les facultés à l’aide desquelles l’homme revient, se replie, réfléchit enfin sur les perceptions qu’il éprouve. § T. Comparaison ou appréciation de l’étal des choses. La decouverte de cette faculté n’est pas neuve ; elle a été reconnue par tous les métaphysiciens qui font designee sous le nom de comparaison ou de jugement. Gall a seulement le mérite d’avoir reconnu le mode d’organisation qui caractérise le haut degré de développement de son organe, dont il a bien indiqué le siège. Voici comment il fut conduit à sa découverte. Ayant observé que certaines personnes employaient toujours des similitudes ou des analogies pour convaincre les autres, il supposa que ce mode d’action devait tenir à une faculté fon- 379 TRAITÉ damentale, dont il chercha l’organe en suivant, pour recon- naître son siège, la méthode qu’il avait employée pour les autres. Ses recherches ne furent point infructueuses, car il trouva que toutes ces personnes présentaient un mode de con- formation du crâne absolument semblable : il consistait dans une saillie ou élévation, ayant la forme d’un triangle dont la base était dirigée en haut et la pointe en bas, elle occupait la partie moyenne de l’os frontal pl. XCI, fîg. 2, n° 3o. Cette saillie était sur-tout très apparente chez tous les prédicateurs qui parlaient en paraboles, et faisaient un fréquent usage de comparaisons pour convaincre leur auditoire. En admettant avec Gall que les hommes qui présentent le mode d’organisation que je viens d’indiquer, fassent un fré- quent usage de comparaisons, de similitudes et d’analogies dans leurs raisonnements, ne peut-on pas se demander si les com- paraisons prises des objets extérieurs, peuvent avoir lieu sans qu’il soit nécessaire d admettre une faculté particulière ? Je vais développer ma pensée. Je suppose, ce qui se rencontre fréquemment, que deux personnes soient organisées de telle manière, que l’une présente un grand développement de la région de l’organe de la comparaison, mais avec un faible degré de celui qui fait reconnaître les formes des objets ( or- gane de la configuration); que l’autre présente, au contraire , une organisation inverse, c’est-à-dire, un grand développement de la configuration, et un très faible de l’organe de la sagacité comparative : comment, demanderai-je, la première pourra-t- elle apprécier les ressemblances ou les différences des objets extérieurs pour convaincre ses auditeurs ? D un autre coté, il est certain que celle qui aura le sens de la configuration très fort, pourra faire usage de cette faculté pour convaincre les DE PHRENOLOGIE. autres, sans avoir pour cela la sagacité comparative très forte. Je fais d’abord cette observation pour montrer que l’expres- sion, comparaison employée, par Gall pour désigner la faculté en question, est incorrect, et même en contradiction avec ses principes, puisque tantôt il l’admet comme attribut, et d’autres fois comme faculté. Comment se fait il qu’après avoir rejeté les principes des métaphysiciens, en disant que l’attention, la comparaison et le jugement sont des attributs des facultés, Gall admette ensuite un de ces attributs (la comparaison ) comme faculté propre? La faculté du coloris, compare les couleurs pour en saisir l’harmonie ou les différences; celle de la configura- tion que Gall appelait improprement sens des personnes, com- pare les formes. Chacune de ces facultés, dit Gall, a sa mémoire, sa comparaison, son jugement. Je demanderai main- tenant quels sont les attributs de la faculté qu’il appelle com- paraison? car si, comme Gall vient de le dire, le sens du coloris et le sens des personnes ont leurs attributs, la faculté qu’il appelle comparaison devra aussi avoir les siens. Ainsi la com- paraison aurait aussi sa comparaison , ce qui devient alors absurde de sens et de langage. Il résulte de ce que je viens d’avancer, que les différences ou les rapports de formes, de couleurs, de nombre, de tons, en un mot de toutes les facultés perceptives, sont appréciées par les organes du coloris, des nombres, du talent musical, etc. Aux objections que je viens de faire, Gall répond que la fa- culté qu’il désigne sous le nom de comparaison, a sur-tout pour objet de comparer des choses tout-à-fait différentes, un ton avec une couleur, ou celle-ci avec une forme. A cela je réponds que ce n’est véritablement pas une comparaison , puisqu’il n’existe aucun rapport entre ces choses. La véritable compa- 381 TRAITÉ raison ne peut avoir lieu qu’entre des objets de même nature : un homme est plus petit ou plus grand qu’un autre : il existe des différences entre les tons, les couleurs, les nombres, etc. Avant de faire connaître comment je conçois la faculté dé- signée jusqu’à ce jour sous le nom de comparaison, je dois rappeler que trois facultés, placées sur la ligne médiane du frontal, ont entre elles des relations très étroites. Ainsi par la première nous avons une idée de l’existence des corps, (organe de la perception de la substance), par l’autre nous saississons les modifications qu’ils peuvent éprouver (l’éven- tualité), enfin, par la troisième nous saississons les relations qui peuvent exister entre eux, quelles que soient les diffé- rences qu’ils présentent. Je crois que c’est la faculté désignée par Gall sous le nom de comparaison qui saisit ces relations, c'est pourquoi je propose de l’appeler organe de l’appréciation de l’état des choses, ( voir le tableau, page 110.) Je vais par un exemple développer davantage ma manière de voir à cet égard. J’ai dit que la vraie comparaison ne pouvait exister quentre des choses de même nature, telles que les formes avec les formes, les tons avec les tons, les couleurs avec les couleurs, etc. Mais si je compare un lis avec la vie à un fleuve, etc., etc. Ce n’est plus une vraie comparai- son, c’est un langage tout-à-fait figuré ou métaphorique. Cette manière de s’exprimer, qui peut donner tant de vie à lelo- quence et au style, n’est jamais qu’une image propre à rendre la pensée plus brillante, mais non une vraie comparaison. Un phrénologiste distingué, M. He wet-Watson, à fait in- sérer dans le Journal Phrénologique d’Edimbourg, un article très intéressant sur la faculté de comparaison. Il pense que son véritable caractère consiste à saisir la condition des choses. DE PHRÉNOLOGIE. Bien que les argumens de ce phrénologiste soient très ingé- nieux, je n’y retrouve au fond que l’idée de comparaison avec le sens que Gall y attache. Pour rendre plus sensible le sens que j’attache à la faculté en question, je supposerai pour un instant que je considère un morceau de glace mis dans un vase placé sur le feu. La masse de la glace , sa forme , son volume et sa couleur seront appréciées par les organes de la perception, de la substance, de la configuration et du coloris. Le changement de la glace de l’état solide à l’état liquide sera perçu par l’éventualité. Les différentes perceptions dont je viens de parler pourront avoir lieu sans que j’établisse un rapport entre l’état delà glace passée à l’état liquide, et le meme état chez d’autres corps, tels que le plomb, le mercure, le lait, etc. Quelle est la faculté qui saisira cet état d’un corps relativement à un autre, de ma- nière à faire connaître ses qualités exprimées dans le langage par l’adjectif? Nul doute, d’après ce que je viens de dire que ce ne soit la comparaison, ou comme je l’ai dit dans mon tableau, 1 appréciation de l’état des corps, mais avec l’idée de rappro- chement ou de relation. L’homme, dit Gall, en comparant entre elles les impres- sions qu’il a reçues du dehors, s’efforce de les imiter par son langage; il devient imitateur , peintre du monde extérieur : le cheval hennit, le lion rugit, le tonnerre gronde, la clo- chette tinte, etc. Mots qui imitent le son même qu’ils expri- ment. Je crois que Gall confond ici des choses tout-à-fait distinc- tes. Je veux dire limitation du son dans le langage, apparte- nant à la faculté d’imiter, combinée avec une action ou évé- nement rendu par les mots hennir, rugir, etc. 383 TRAITÉ La faculté dite comparaison est une qualité précieuse, et sa sphère d’action est excessivement étendue. Elle réagit puis- samment sur les facultés perceptives, et sur toutes les im- pressions perçues. Trop développée elle produit des abus; elle donne au style un caractère sententieux , et le rend par fois inintelligible par l’abondance des similitudes, des analogies, des métaphores et des paraboles. Cette espèce de langage, comme l’avait observé Bacon, fut employée comme premier jeu de la raison qui s’essayait avec la vérité. On vou- lut plaire aux hommes avant de les instruire, et amuser l’en- fance de l’esprit par des images agréables. Ce langage précéda les discours raisonnés, comme les hiéroglyphes ont précédé l’usage des lettres. Gall après avoir traité de la faculté de comparaison chez l’homme, n’en parle pas chez les animaux, son langage donne même à entendre qu elle ne se rencontre point chez eux. En théorie comme en pratique, Gall me paraît avoir tort. Ainsi lors qu’avant de parler des facultés (page 194, vol. 5), il s’exprime ainsi : « que l’on compare maintenant la partie an- térieure supérieure du front de l’homme avec les têtes des animaux. Tandis que les parties antérieures inférieures du cerveau ne pèchent chez les animaux que par le défaut d’un développement favorable, les parties antérieui'es supérieures leur manquent tout-à-fait. » Il est évidemment démontré par l’inspection du crâne de l’orang-outang, pi. XCV1I, fig. 1 , du chien, pi. VI, fig. 1 , que l’opinion de Gall est complètement erronnée. Sans doute que cette région du crâne des animaux diffère de beaucoup en étendue avec celle du crâne de l’homme; mais elle n’existe pas moins dans un développement assez re_ marquable. Je dirai plus, c’est par l’étendue assez considérable DE PHRÉNOLOGIE. 383 des organes qui occupent cette région chez les animaux que je viens de citer , que nous pouvons nous rendre compte d’une multitude d’actes ayant la plus grande analogie avec ceux qui se rencontrent chez l’espèce humaine. Comment Gall a-t-il donc pu dire après des faits anatomiques aussi évidents ? «Toutes les ressources que l’anatomie et la physiologie comparées m’of- fraient pour appuyer mes assertions, relativement aux organes dont j’ai traité jusqu’ici, viennent maintenant à me manquer, et je me trouve restreint à l’homme ( Gall, liv. cit., pag. 198 J. » Plus j’ai étudié les actes de certains animaux, notamment du chien, de l’éléphant, de l’orang-outang, de l’ours, et plus je me suis convaincu que la faculté désignée jusqu’à ce jour par le nom de comparaison existait chez eux. La circonvo- lution marquée 3 sur le cerveau du chien, pl. LXXV, fig. 6, (1) me parait être celle de l’organe de la comparaison, son siège extérieur est indiqué par le n° 3o, pl. XCIII, fîg. 2. § il Esprit de causalité. Les facultés intellectuelles de l’homme ne se bornent pas toujours à connaître les objets et leurs rapports, elles cher- (i) C’est le chiffre 3 placé à droite qni se trouve snr la portion de circonvolution que je crois être l’organe de la comparaison. Celui de gauche indique une autre partie cérébrale. 384 TRAITÉ client quelquefois à saisir la cause de leur formation et des modifications qu’ils éprouvent. Je suppose que plusieurs per- sonnes assistent à l’ascension d’un ballon. Pour le plus grand nombre, les perceptions qui auront lieu se borneront à la forme, au volume et à la rapidité avec laquelle l’aérostat s’é- lèvera dans l’air. D'autres, indépendamment de ces percep- tions, chercheront à saisir la cause qui fait que le ballon s’élève dans l’air. Ce que je viens de dire d’un ballon, est appli- cable à une multitude de phénomènes extérieures qui frappent journellement nos sens. Deux personnes voient l’eau s’élever dans un tube à la hauteur de 32 pieds, et le mercure à celle de 28 pouces. L’une est seulement frappée de ces phénomènes, et se contente de voir leur différence : l’autre, au contraire, se demande d’abord pourquoi l’élévation de ces deux corps liquides, et pourquoi ils ne s’élèvent pas tous deux à la même hauteur. Comment expliquer cette différence de percevoir chez deux êtres intelligents de la même espèce? Si ce n’est que chez l’un, il n’y a perception que pour les phénomènes exté- rieurs sans idée de remontera leur cause, tandis que le con- traire a évidemment lieu chez l’autre. Reste à savoir main- tenant, puisqu’il ne peut exister d’effet sans cause, s’il existe une disposition organique par laquelle on puisse reconnaître le caractère d’esprit propre aux personnes qui ont une ten- dance naturelle à remonter aux causes. Gall arriva à la découverte de ce mode d’organisation, en examinant avec soin la conformation de la tête des hommes qui se sont fait remarquer par ce qu’on appelle, dans le lan- gage ordinaire, profondeur d’esprit. Chez tous il trouva un développement considérable de la portion cérébrale placée sur les côtés de l’organe de la comparaison, pi. XCÏ, fig. 2, u° 3i. DE PHRÉNOLOGIE. 385 Gall a donné dans son ouvrage, comme exemple d’un grand développement de cet organe, le portrait du philosophe Rant. La faculté de causalité est sans contre dit une des plus pré- cieuses que l’homme puisse posséder : je dirai même plus, c’est elle qui complète une tête pensante, et sans elle rien de neuf ne peut avoir lieu dans les arts, les sciences et la philoso- phie. Je ne connais pas d’exemple d’un seul homme de génie sans un développement plus ou moins considérable de l’organe de causalité. Il est très apparent sur les portraits de Platon , de Socrate, de Bacon, de Newton, de Galilée, etc. En un mot, chez tous les hommes qui se sont fait remarquer par une grande sagacité, ou faculté de remonter aux causes de tous les phéno- mènes, et d’en saisir les lois ou les relations. Les écrits de tous les écrivains qui présentent cet organe très faible, se font ordi- nairement remarquer par le défaut de système, de vues et de conceptions : leurs travaux ne se composent que de détails ou de pièces de rapports, ne se rattachant à aucune théorie. Dans un trop haut degré, et lorsque les facultés perceptives sont faibles, l’esprit de causalité peut donner lieu à beaucoup d’abus.Il dispose à donner comme généraux des principes qui ne sont fondés que sur un petit nombre de faits Les personnes ainsi organisées font d’abord leur système, qui ne tarde pas à crouler devant l’examen d’un grand nombre de faits mieux observés. O Je suis très disposé h croire que la faculté de causalité existe chez certains animaux, tels que l’éléphant, î’orang-outang , le chien, mais dans un degré d’infériorité tel, quelle ne peut être comparée à celle de l’homme. Je crois que c’est au déve- loppement considérable de cette faculté chez ce dernier, qu’il faut sur-tout attribuer la distance immense qui existe entre lui et les animaux. 386 TRAITÉ § in. Esprit de discrimination. — Esprit de combinaison. — Esprit caustique , de saillie, ( Gall ). —Gaité, (Spurzheim). Plus je me suis attaché à l’observation des actes et de Inor- ganisation des personnes qui présentent comme trait saillant de leur caractère ce que Gall appelle esprit caustique, esprit de saillie, et plus je suis demeuré convaincu que Spurzheim a doublement erré en plaçant cette faculté au nombre des sentiments, et en la considérant comme la cause de la gaité L’esprit de saillie, l’esprit caustique, résulte selon moi de la- combinaison de plusieurs facultés : d’abord, de celle dont je traite maintenant, puis du sens du langage, de ceux de l’imi- tation, des formes, des couleurs, des tons, etc. Sa sphère d’action est excessivement étendue : elle me paraît sur-tout con- sister dans la réaction sur les impressions produites par les autres facultés. Gall dit que pour avoir une idée de la faculté qu’il appelle esprit caustique, esprit de saillie, il n’avait rien de mieux à faire quen la décrivant comme le caractère dominant de Ra- belais, de Cervantes, de Boileau, de Racine, de Swift, de Sterne, de Voltaire, de Piron. Il est certain, comme il le fait observer, qu il existe entre la conformation du crâne de tous ces hommes dans le point indiqué par le n° 32, pi. XCT1I bis, fig. i , une très grande ressemblance. Mais combien DE PHRÉNOLOGIE. 387 d’hommes célèbres ont présenté cette disposition sans avoir le caractère de ceux que je viens de citer. D’un autre côté, que de nuances entre la manière dont Voltaire, Cervantes, Sterne et Rabelais ont exprimé leurs pensées, dont l’esprit de saillie n'est pas toujours le caractère distinctif? Quant à l’humeur gaie provenant, selon Spurzheim, de cette faculté, le contraire est évidemment démontré par l’exemple de per- sonnes la présentant dans un haut degré et dont le caractère était extrêmement triste : Molière était dans ce cas. Je connais deux personnes remarquables par la tournure d’esprit propre aux hommes que j’ai cités plus haut, et qui sont dans leur in- térieur d’une tristesse très voisine de la mélancolie. Jean- Jacques, dont tous les actes sont frappés au coin de l’hypo- condrie la plus profonde , présente cependant, assez développée sur son plâtre, la région de l’organe auquel Spurzheim attri- bue la gaité. Cette faculté a donc évidemment une autre qualité que celle que lui ont attribuée Gall et Spurzheim. Com- binée avec d’autres, elle constitue le style distinctif de plusieurs auteurs. La faculté dont il est maintenant question, a fixé particu- lièrement l’attention de trois pbrénologistes d’un grand mé- rite : ce sont M. Schwartz de Stockolm, et MM. Scott et Hewet- Watson d’Edimbourg. Leurs travaux, trop étendus pour être cités ici, ont été insérés dans le journal phrénologique de cette ville. Je vais en présenter ici le sommaire. D’abord tous s’accordent sur un point capital, c’est que cette faculté n’est pas un pur sentiment , comme le prétendait Spurzheim, mais bien une faculté réflective. Selon M. Scott, elle aurait sur-tout pour fonction d’apprécier les différences entre les choses, tandis que la faculté que nous avons désignée 388 TRAITÉ sous le nom de comparaison, apprécierait les ressemblances ou les analogies. M. Hewet-Watson pense, au contraire, que cette faculté prend connaissance de la nature intrinsèque des choses. Enfin, M. Schwartz lui attribue la propriété de considérer les objets dans leurs relations de moyens pour arriver à un but. Je ne connais pas, dit-il, de nom qui puisse mieux la désigner que l’expression faculté de combinaison. Ces trois phrénolo- gistes ont, dans leur manière de présenter leurs idées, fait preuve d’infiniment de talent. Bien que je ne partage pas sur tous les points l’opinion de M. Schwartz , il me paraît être cependant celui qui aurait le mieux fait ressortir toute la sphère détendue d’action de la faculté que j’appelle discrimi- nation, ou, avec M. Schwartz, combinaison. Comme ce que cet auteur dit de cette faculté n’est pas très étendu. Je vais le rapporter ici. Après avoir, ainsi que je l’ai dit précédemment, considéré cette faculté comme le caractère distinctif des hommes remar- quables par la combinaison de leurs pensées ou leurs actions, M. Schwartz s’exprime ainsi : « Chacun sait que ce que l’on appelle présence d’esprit est une qualité que très peu de per- sonnes possèdent : nous l’admirons dans les saillies de l’esprit, dans l’originalité du savant; chez le guerrier, dans la faculté dont il fait preuve en profitant des moyens qui se présen- tent d eux-mème sur le terrain; chez le joueur, dans la pré- voyance de ses calculs; chez le marchand, dans la bonne con- ception de ses spéculations; chez le mécanicien, dans ses nouvelles conceptions; et pareillement dans chaque condition de la vie. C’est cette faculté qui, dans mon opinion, étant accompagnée d’un développement remarquable d’une faculté perceptive, celle des tons, des nombres, delà forme, consti- DE PHRÉNOLOGIE. 389 tue ce que Ion appelle proprement génie, et qui nous frappe par l’originalité et la richesse de ses résultats. Cette faculté, que l’on pourrait aussi nommer talent inventif, est le principe créateur dans les beaux arts aussi bien que dans la vie domes- tique. Réunie à l’idéalité (poésie) elle produit ce qu’on appelle imagination : avec le penchant au merveilleux, elle donne lieu aux illusions, et avec ces deux pouvoirs réunis elle constitue le talent poétique. Réunie au langage, elle se manifeste dans les belles lettres, et combinée avec la faculté des tons, de la couleur, des formes, de la construction et de limitation, elle se fait reconnaître par une aptitude à l’acoustique, la chro- matique, l’art de modeler et les arts mécaniques. Combinée avec le talent poétique et le penchant a la destruction, elle dispose au sarcasme et à la satire; avec le courage, au carac- tère résolu. La disposition à amuser et provoquer le rire, en montrant l’inconvenance ou l’absurdité d'une chose relative- ment à un but que l’on veut atteindre, provient évidemment de la meme faculté. Les personnes douées dans un haut degré du talent de com- binaison, montrent, même dès le jeune âge, dans leurs dis- cours, leurs actions et leurs écrits, ce que l’on appelle sens solide : elles ne s’exposent pas promptement à ce qui est in- convenant ou ridicule; précisément parce qu elles ont un coup d’œil particulier pour observer les défauts des autres. Dans le langage ordinaire, les Allemands appellent cette faculté klughelt. Réunie à un moral élevé, elle est appelée sagesse. Avec un manque de moralité et la ruse très active, elle donne lieu à des fraudes de toutes espèces. Le défaut de cette faculté pro- duit l’embarras, ou l’impossibité d’avoir ce que l’on appelle présence d’esprit, et donne lieu a un air de stupidité, tel que 390 TRAITÉ celui que Lafontaine présentait, à ce que l’on assure. Quel- quefois Forgane se confond , comme dans le buste de Gall, avec les facultés réflectives; d’autres fois avec l’idéalité , la poésie, et donne lieu à une largeur particulière de la partie supérieure du front, comme chez Sterne et Washington. Il est rarement peu développé sur la tète des hommes distingués. Il parait être plus commun dans le Midi que dans le Nord, et être un des éléments de la présence d’esprit des Français, et du talent d’improviser des Italiens. » Je n’ai rien rencontré dans l’organisation et les fonctions des animaux vertébrés, qui puissent présenter quelque analo- gie avec la faculté que je viens de faire connaître. CHAPITRE X. QUATRIÈME ORDRE DE FACULTÉS. 1er Genre. Sentiments. Bien que toutes les facultés dont je vais traiter aient des caractères communs qui les ont fait désigner sous le nom de DE PHRÉNOLOGIE. 391 sentiments, chacune d’elles présente un caractère qui lui est propre, et qui ne permet pas de la confondre avec une autre. Quelques-unes se font remarquer par l’espèce d’excitation quelles donnent aux autres facultés, et peuvent devenir ou la source des grandes choses ou d’une multitude d’abus, de vices ou de crimes; les autres, et ce sont les plus précieuses, don- nent à l’homme un caractère de noblesse et de moralité qui fait le bonheur de celui qui les possède, et des personnes qui l’entourent. De la bonne direction des unes et de la culture des dépend le bonheur des familles et partant celui des nations. Les philosophes les plus célèbres de l’antiquité, comme ceux des temps modernes, s’accordent pour reconnaître la partie de la philosophie qui traite de l’histoire de ces facultés, ou la morale, comme la plus nécessaire et la plus utile. Par elle nous pouvons régler nos mœurs, et diriger nos actions à la pratique de la vertu. Un point essentiel, et sur lequel per- sonne ne me parait avoir assez insisté jusqu’à ce jour, c’est qu’en étudiant de bonne heure le développement de ces facultés, l’on pourrait prévenir une multitude d’abus, et même un grand nombre de lésions mentales. J’ai la plus profonde conviction que si la phrénologie eût été assez répandue, beaucoup de parents auraient pu prévenir la folie de leurs enfants, par une éduca- tion morale et intellectuelle bien dirigée. Que de monomanies orgueilleuses, ambitieuses, religieuses, etc., n’eussent pas préve- nues les conseils d’un médecin philosophe et physiologiste. D un autre côté, que de vices étouffés, que de crimes mêmes arrêtés par l influence d’une religion éclairée et d’une sage mo- rale. Ce sujet est trop important pour ne pas y revenir lors- qu’il sera question de l’éducation et des maisons de réclusion. On peut dire d une manière générale que l’histoire des fa- traité cultés appelées sentiments, a été connue des anciens philoso- phes, et se trouve dans les écrits des moralités et des philo- sophes de nos jours. Gall a cependant sur eux l’immense avantage d’avoir indiqué le siège de leurs organes. Plus tard Spurzheim a indiqué celui de deux autres, enfin je crois avoir trouvé le siège d’un troisième, le sens du beau dans les arts. En mettant sur la voie pour apprécier le siège et le dévelop- pement des organes des sentiments, et conséquemment leur sphère d’action, Gall et les phrénologistes qui l’ont suivi nous ont conduits à mieux connaître l’homme, et à expliquer une multitude de phénomènes dont la solution paraissait impossi- ble jusqu’à ce jour. Leurs observations aideront puissamment le médecin physiologiste à éclairer l’histoire des aliénations mentales. § i- Vanité. Cette faculté a été, et est souvent encore confondue avec l’or- gueil, bien quelle en diffère d’une manière assez tranchée. Nos principaux moralistes, Pascal, Labruyère, la Rochefou- cault, etc.; en ont saisi plus ou moins bien le caractère dis- tinctif ; mais aucun, selon moi, n’en a donné une meilleure idée que Gall, na mieux fait ressortir ses avantages et ses incon- vements, et sur-tout na mieux fait apprécier, en comparant DE PHRÉNOLOGIE. ensemble l’orgueil et la vanité, le vrai cachet de ces deux facultés. Je suis bien loin, à cet égard, de partager l’opinion de M. Combe, qui accorde à Spurzheim le mérite d’avoir analysé ce sentiment mieux que ne l’a fait Gall. Tout ce que Spurzheim à dit sur cette faculté, y compris le nom nouveau qu’il propose pour la désigner, est évidemment emprunté à notre grand philosophe. Que M. Combe relise le passage suivant, que Spur- zheim a extrait de l’ouvrage de Gall , et il verra si c’est seule- ment à Spurzheim qu’est due la meilleure analyse de cette faculté. « L’homme orgueilleux est pénétré de son mérite supé- rieur, et traite du haut de sa grandeur , soit avec mépris, soit avec indifférence, tous les autres mortels. L’homme vain attache la plus grande importance au jugement des autres, et recherche avec empressement leur approbation. L’orgueilleux compte que l’on viendra rechercher son mérite; l’homme vain frappe à toutes les portes pour attirer sur lui l’attention, et mendier quelque peu d’honneur. L’orgueilleux méprise les marques de distinction qui font le bonheur de l’homme vain. L’orgueilleux est révolté par les éloges indiscrets. L’homme vain aspire toujours avec délices l’encens même le plus maladroi- tement prodigué. » Je ne pense pas qu’il soit possible de donner en aussi peu de mots une meilleure idée de la faculté en question, et je ne vois rien dans l’ouvrage de Spurzheim, autre que le fond de ce passage qu’il a évidemment emprunté de son maître. Plus j’examine la conduite des personnes qui possèdent cette faculté dans un haut degré, et plus je reste convaincu que le désir de faire parler de soi, de se mettre en évidence ou de 394 TRAITÉ fixer l’attention des autres, est son caractère distinctif. Lors- que je dis faire parler de soi, fixer l’attention, c’est comme on doit bien l’entendre d’une manière flatteuse pour la per- sonne qui en est l’objet. Lorsque cette faculté se trouve réunie à des facultés intel- lectuelles supérieures, elle contribue, comme cause d’excita- tion de ces dernières, à produire d’importants résultats dans les sciences et les arts : c’est à peu près l’histoire de tous les hommes qui ont traversé leur siècle en y laissant de fortes empreintes : loin d’être un défaut dans ce cas, elle devient au contraire une excellente qualité, une inépuisable source d’é- mulation. L’artiste, le poète, le savant, le musicien, croupiraient dans l’oisiveté, si les idées de gloire et de renommée ne les tenaient en baleine. Avec de faibles facultés intellectuelles et des sentiments moraux peu développés, elle donnera lieu aux plus grands abus, à des ridicules, des vices et même des crimes. C’est cette faculté qui portent certains hommes a suppléer par des signes extérieurs aux véritables qualités qui leur manquent. De là, cette recherche dans tout ce qui est entourage, titres, décorations, charlatanisme de toute espèce. Ce sont les vrais bâtons flottants de Lafontaine; de loin c’est quelque chose, de près c’est peu de chose ou rien du tout. Que de gens que leur réputation écrase! Combien d’autres n’ont pour tout mérite que le triste avantage de leur titre, espèce d’enseigne propre à faire mieux ressortir leur nullité ! Je n’ai pas encore rencontré un vaniteux qui ne fut au fond un véritable intrigant. Les sociétés savantes, toutes les cor- porations abondent en gens avides d’entretenir le monde de leur personne : tous les moyens leurs paraissent bons s’ils peu- vent arriver à ce but. C’est encore à cette faculté réunie à des DE PHltÉNOLOGlE.' facultés intellectuelles inférieures, que Ion doit ces essaims de médiocrités qui se donnent pour gens d’art ou de science. Celui- ci se fait appeler naturaliste parce qu’il a amassé force objets d’histoire naturelle : il se croit d’autant plus de droits à ce titre, qu’il a usé au moins vingt paires de souliers pour former sa collection. Un autre, après avoir mis toutes les boutiques des marchands d’une grande ville à contribution pour se procu- rer une multitude de pièces anciennes, se croit un numis- mate, etc., etc., etc. J’ai encore observé que c’était la vanité qui portait les hommes qui occupent des emplois subalternes, à masquer leur profession sous un titre autre que celui qui leur con- vient. Je me rappelle avoir donné des soins à un individu qui prenait le titre d’employé dans un ministère. J’appris plus tard que son occupation consistait à balayer les bureaux, et à tenir en état les choses necessaires aux véritables employés. Sa mise très recherchée contrastait singulièrement avec sa pro- fession , et si dans la conversation il n’eût pas laissé échapper de ces irrégularités de langage qui annoncent une éducation très négligée, on aurait pu le prendre pour un personnage. Lors de l’avénement de Napoléon au Consulat, plusieurs jeunes gens qui avaient servi comme militaires furent employés dans diverses administrations. L’un deux, à qui un chef de bureau demandait quel était son état avant d’être employé , répondit qu’il était dans les poudres. Vous faisiez donc partie de l’administraison des Salpêtres P Non, Monsieur. Cependant vous venez de dire que vous étiez dans les poudres. C est vrai Monsieur, j’étais j’étais perruquier. Les scènes dégoûtantes qui ont accompagné la révolution française sont encore une énigme pour beaucoup d’historiens et 396 TllAITÉ d’étrangers, qui ne savent comment concilier de pareils actes avec les habitudes naturellement douces et bienveillantes des Français. Rien cependant de plus facile à expliquer, si l’on tient compte du caractère dominant des principaux chefs de ce grand drame. Que l’on examine les têtes de Robespierre, Fouquier- Tinville, Marat, etc., et Ion trouvera chez toutes un déve- loppement énorme des facultés affectives, et sur-tout de la va- nité, avec un faible développement des sentiments supérieurs. Peu leur importait les moyens pourvu qu’ils arrivassent à leur but. A part ce ramas de misérables qui fourmillent dans toutes les grandes capitales, et qui furent les instruments de grands scélérats, la masse de la population ne prit aucune part aux actes sanglants de la révolution. Ce que je viens d’avancer n’a-t-il pas été prouvé par la conduite des Français en i83o? Jamais peuple n’a peut être présenté autantde grandeur dame et de générosité que les Français lors de la révolution de juillet. La vanité est généralement plus prononcée chez la femme que dans l’homme, et si l’on tient compte que chez elle les facultés réflectives sont moins développées, on prévoit d’avance le soin quelle mettra à se faire remarquer. C’est au désir si prononcé de fixer l’attention qu’il faut attribuer chez la femme le goût pour la parure, et tout ce qui est luxe. On ne saurait croire à combien d’abus cette (acuité portée trop loin peut donner lieu chez le sexe. J’ai la conviction qu elle est une des principales causes de la perte d’une foule de jeunes personnes, qui auraient pu vivre heureuses si elles avaient su résister à l’appât de la parure et au désir de briller. La vanité est une des facultés qui demandent à être dirigées et cultivées avec le plus de précaution, et de très bonne heure, Si elle ne se trouve pas domptée et renfermée dans DE PHRENOLOGIE. certaines limites chez quelques personnes, elle peut devenir la cause de bien des abus, quelquefois même de fautes, d’er- reurs et de crimes. C’est sur-tout ce que l’on rencontre chez les personnes dont les moyens d’existence ne sont pas en harmonie avec le développement de cette faculté; chez celles qui à des fa- cultés réflectives très faibles, et à des sentiments supérieurs peu prononcés présentent ce sentiment dans le plus haut degré. L’organe de la vanité est placé sur les parties latérales de la région moyenne du bord pariétal formant la suture sagittale, n° 33, fîg. 2, pl.LXXXIX, quand il a un grand développement il augmente d’une manière sensible le diamètre antéro-posté- rieur du crâne. Je n’ai pas encore rencontré une seule per- sonne ayant la région ci-dessus indiquée, qui ne m’ait pré- senté tous les caractères de cette faculté dans un degré remar- quable. Aucune ne me l’a offerte dans un plus grand degré de développement qu’un aliéné, que j’ai eu occasion de voir dans le bel établissement de Vanvres, tenu par MM. les doc- teurs Voisin et Falleret. Cet homme est l’inventeur de roues et de diverses machines propres à rendre les voitures plus commodes. Dans la conversation que M. le docteur Voisin eut avec lui en ma présence, il ne cessa de répéter. Qu’est-ce qui a inventé telle et telle chose? C’est moi. Q’est-ce qui a rendu les ressorts plus souples? Qu’est-ce qui a construit telle roue en fer? C’est encore moi. C’est vraiment une chose curieuse que de voir le mouvement et l’expression de figure qui accom- pagnent son langage. Je me rappelle qu’il se plaignait amère- ment de ce qu’on lui avait ôté une épingle d'or, et de beaux boutons du même métal qui étaient à sa chemise. Nul doute qu’il ne désirait avoir ces objets que pour fixer davantage l’attention de ceux qui l’entouraient. 398 TRAITÉ §n. Orgueil. —Bonne opinion de soi-même. La comparaison de Gall entre la vanité ou le sentiment d’approbation et la faculté dont je traite maintenant, à fait ressortir en partie les caractères de l’orgueil. J’aurais seulement souhaité en le lisant, qu’il eut été plus sobre de citations qui deviennent un vrai remplissage, lorsque les caractères d’une faculté ont été exposés et développés par quelques exemples. Il semble que Gall ait pris à tâche, non-seulement pour cette faculté, mais encore pour toutes les autres, de fouiller tous les auteurs. Ainsi, à l’occasion de la faculté en question, il emprunte trois observations au docteur Perfect, deux à Fo- déré, et dix à Pinel. Il ne se contente pas de les rapporter toutes textuellement, il y joint encore huit ou dix qui lui sont propres. Il en résulte que toutes se ressemblant au fond, l’esprit ne tire aucun avantage de cette lecture qui finit par devenir fastidieuse. En étudiant les hommes, quelque soit la classe tà laquelle ils appartiennent, on pourra reconnaître que plusieurs ont dans le caractère une manière d’être, que le langage vulgaire rend assez bien par les expressions de fier, orgueilleux, superbe. Ici, comme dans la vanité, les paroles et le geste sont en har- monie avec la faculté dominante.C’est ce que nous démontrerons sur-tout en parlant des mouvements du corps qui accompa- DE PHRÉNOLOGIE. gnent l’action très énergique des organes : eux seuls suffiraient dans beaucoup de cas pour indiquer que la faculté de l’orgueil est le caractère le plus saillant d’une personne. La bonne opinion de soi-même, le désir de commander, la hauteur, sont autant de manière d’être qui prennent leur source dans la même faculté, ou autant de modifications de la même faculté (l’orgueil). Comme elle donne à celui qui la possède dans un très haut degré, une grande opinion de sa personne, elle dispose, ainsi que j’ai été à même de l’obser- ver, à vivre dans l’isolement, et. peut devenir ainsi une des principales causes de l’hypocondrie et de la manie. Rousseau, en rendant compte de l’effet que produisirent sur lui la lecture de certains livres, laisse percer le trait le plus saillant de son caractère. Plutarque, dit-il, devînt ma lecture favorite; le plai- sir que je prenais à le relire sans cesse me guérit de la lecture des romans, et je préferai bientôt Agésilas, Brutus, Aristide, à Arondate, Artamène et Juba. De ces intéressantes lectures, des entretiens quelles occasionnaient entre mon père et moi se forma cet esprit libre et républicain, ce caractère indomp- table et fier, impatient du joug et de servitude qui m’a tour- menté tout le temps de ma vie, dans les situations les moins propres à lui donner l’essor. » C’est à tort que Rousseau attri- bue son caractère indomptable et fier à la lecture de Plutarque, il existait déjà tout entier chez lui, la lecture de la vie des grands hommes ne fit que lui donner l’éveil et le fortifier. Le choix seul de ses héros ne justifie-t-il pas mon assertion ?Ln supposant que le frère de Rousseau eût fait sa lecture habi- tuelle de Plutarque, cela ne l’eut pas empêché d’être un po- lisson et un mauvais sujet. Gall tout en faisant des remarques pleines de sagacité sur 402 TRAITÉ ]a faculté qui nous occupe, ne me parait pas avoir tenu assez compte de la combinaison de la faculté de l’orgueil avec d’au- tres facultés, et avoir attribue à elle seule ce qui résulte évi- demment de la mise en action de plusieurs. Ainsi dans le passage qui suk, et que j’extrais textuellement de son ouvra- ge, il est bien certain que l’orgueil n’agit pas seul. Il est, dit- il r certains nombres d’hommes qui ont l’esprit assez ferme et Je cœur assez grand, qui sont assez profondément pénétrés de leur prix, et ont à tel point la passion de l’indépendance, qu’ils savent repousser toutes les influences extérieures ten- dant à les assujettir. Autant que possible, ils cherchent les états libres pour y fixer leur séjour; ils se vouent à une occu- pation qui les rend indépendants, qui les exempte de la fa- veur et des caprices des grands. La domination sur leurs infé- rieurs , qui entraînerait l’esclavage sous un maître absolu, leur deviendrait insupportable. Les honneurs, les distinctions destinés au mérite, lorsqu’ils sont prodigués à des hommes de rien, ne sont à leurs yeux que des humiliations. S’ils prospè- rent, ce n’est que par eux-méme ; comme le chêne, ils se sou- tiennent seuls , et tout ce qu’ils sont, ce n’est qu’à eux qu’ils veulent le devoir. C’est là une fierté qui n’est point encore dé- générée en orgueil, un mérite plutôt qu’un défaut ; compagne souvent de grandes vertus, ennemie de toute bassesse, soutien du courage dans l’adversité. En analysant ce passage selon le langage phrénologique, il est évident que le désir seul de l’in- dépendance n’en forme pas le fond. Je ne pense pas non plus que l’orgueil soit souvent compagne des grandes vertus. Gall ne dit-il pas avoir trouvé son organe très prononcé chez tous les chefs de brigands dont il a eu occasion d’examiner la tète? Je ne crois pas davantage que ce sentiment soit, comme il le DE PHRÉNOLOGIE. prétend, le soutien du courage dans l’adversité : l’orgueil, quelque énergique qu’il soit, ne donnera jamais de courage à un lâche. Les observations nombreuses que j’ai faites sur des orgueil- leux, me paraissent justifier les remarques que je viens de faire relativement au peu d’attention que Gall a donné à l’état des autres facultés, chez les personnes qui furent le sujet de ses observations. Il en est de cette faculté comme de la vanité : sans rien changer au fond de son caractère, elle deviendra défaut ou qualité, vice ou vertu, suivant quelle se rencontrera avec des talents, des facultés morales et intellectuelles, faibles ou bien développés. Qu’un homme sans talent ou sans qualités morales supérieures se croie au-dessus des autres, quand rien ne peut justifier la bonne opinion qu’il a de lui-même, c’est un être ridicule et digne de pitié. Mais qu’un homme tel que Rousseau, Linnée, Gallet d’autres personnages célèbres, se croient évi- demment supérieurs aux autres, c’est moins à l’orgueil qu’il faut attribuer leur manière d’être, qu’au sentiment profond de leur supériorité intellectuelle, à la comparaison qu’ils ont faite en se mesurant avec leurs devanciers ou leur contemporains : car je ne pense pas qu’il ait existé un seul homme supérieur dans les arts et dans les sciences, qui n’ait été à même d’ap- précier sa supériorité sur ses concurrents. Si l’orgueil se trouve combiné avec des facultés intellectuelles et morales dans un haut degré, il en résulte ces beaux caractères dont Aristide, Socrates, Caton et Phocion nous présentent le modèle. J’ai déjà dit, en parlant de l’organe du choix des places, que Gall me paraît avoir placé l’organe de l’orgueil un peu trop bas. Sur le crâne de personnes très orgueilleuses que j’ai eu 404 TRAITE occasion d’examiner, j’ai constamment trouvé que la région indiquée par le n° 34 5 fig. 2, pl. LXXXIX , était saillante. (1) § in. Organe de la persévérance. Cette faculté est trop bien connue pour que j'insiste sur les observations qui tendraient à en démontrer l'existence. Il n’est personne qui n’ait été à même d’observer la ténacité, l’opiniâ- treté dont certains hommes sont capables. Des travaux qui de- manderaient le secours de plusieurs hommes, d’un grand nombre d'années, ne les découragent pas; leur persévérance triomphe de tous les obstacles. Il en est d’autres, au contraire, qui sont tout feu au commencement de leurs entreprises, mais que les difficultés rebutent aisément : incapables de travaux soutenus, ils perdent souvent le fruit d’excellentes idées, de très bonnes vues. La persévérance sans laquelle rien de bon, d’utile et de grand ne peut avoir lieu chez les peuples civilisés, fut divinisée chez les anciens, tant ils la considéraient comme un puissant élément de bonheur et de prospérité. Je ferai remarquer ce- pendant qu elle ne peut agir ainsi que lorsqu’elle est accompa- (i) La figure de l’ogueil est représentée simple à la surface du crâne : cela tient à ce que son organe se trouvant placé sur la ligne médiane, touche à celui qui lui correspond ; il n'est pas moins double ainsi que tous les autres. DE PHRÉNOLOGIE. gnée,ou pour mieux dire dirigée par des facultés intellectuelles et morales puissantes; car dans le cas contraire elle peut donner lieu aux plus grands abus, et quelquefois meme aux plus grands crimes. ✓ L'organe de la persévérance est ordinairement très prononcé chez les personnes qui se livrent avec ardeur aux arts ou aux sciences sans aucune chance de succès. Aveuglés par le sentiment d’approbation ou d’orgueil, mais sans talent remarquable, leur opiniâtreté, tourne à leur détriment. Ces hommes ont beau s’a- giter, ils portent en eux-mêmes le germe de leur destruction , la médiocrité; et ce qu’il y a de pire, la misère sera toujours leur partage. Que de savants, de poètes, de peintres, de musiciens, etc., ou prétendus tels, ont travaillé toute leur vie pour rester complètement oubliés ! imbus de ce faux principe que la per- sévérance suffit à elle seule pour réussir. J’ai rencontré l’organe de la persévérance très développé chez les criminels qui ont fait preuve dans leurs actes d’une grande fermeté. Lorsque cette faculté est accompagnée d’un fai- ble développement des facultés intellectuelles et morales, avec prédominance des facultés affectives, il en résulte ces êtres dangereux contre lesquels la société ne saurait être trop en garde : ni les corrections, ni les remontrances ne peuvent mo- difier leurs actes : constamment sous l’influence des mauvais penchants, ce sont de vraies bêtes féroces vouées la plupart du temps à l’échafaud. Le crâne du parricide Martin repré- senté pl. XCVIII, appartient à cette classe d’individus. Gall, à f occasion de l’histoire de la fait une remar- que qui me paraît extrêmement juste, c’est que l’on attribue souvent dans le monde à la persévérance ce qui n’est que le résultat du grand développement de certains organes. Il n’est 406 TRAITÉ pas rare de voir des poètes, des mécaniciens, etc., persévérer dans leurs travaux, sans avoir cependant ce que Ion doit appeler un caractère opiniâtre : leur conduite tient évidemment au plaisir qu’ils éprouvent à satisfaire un organe très développé; mais dans les actes ordinaires de la vie, ils n’auront rien de ce qui constitue un caractère ferme et prononcé. Long-temps avant Gall, le siège de l’organe de la fermeté avait été reconnu par Lavater : Gall est le premier à lui ren- dre cette justice, en ajoutant cependant que ses remarques avaient été faites avant qu’il eût eu connaissance des travaux du physionomiste. On conçoit aisément comment Gall, qui s’attachait à reconnaître les signes extérieurs du crâne en rap- port avec les facultés les plus saillantes des personnes, aura pu se rencontrer avec Lavater sans avoir connaissance de ses observations. Quoiqu’il en soit cependant, je ne crois pas que Gall ait indiqué convenablement le siège de l’organe de la per- sévérance. Je vais citer ses expressions, et les personnes qui s’occupent de phrénologie pratique, apprécieront si mes remar- ques sont fondées. Voici ce que dit Gall : l’organe de la fer- meté est formée par les circonvolutions, XIII (voir les planches de son Atlas), placées immédiatement sur le sommet de la tète, sous les deux angles supérieurs antérieurs des os pariétaux, à l’endroit où ceux-ci rencontrent les bords supérieurs posté- rieurs du frontal (Gall, pag. 402, vol. 5, édit. in-8°). J’ai constamment trouvé, au contraire, que c’était derrière la région indiquée, que le crâne se trouvait très renflé chez toutes les personnes douées d’une grande fermeté ou d’une grande persévérance. Ce mode d’organisation est même très facile à reconnaître : il s’annonce par une saillie oblongue de la partie moyenne supérieure du crâne, pl. LXXXIX, fig. 2, DE PHRÉNOLOGIE. n° 35, toute la surface circonscrite par la figure au centre de laquelle ce voit le n° 35 me parait être le vrai siège de l’or- gane de la persévérance. J’ai entendu dire à beaucoup de per- sonnes qui s’occupent de phrénologie, et lu dans tous les ouvrages qui traitent de cette science, qu’une ligne perpen- diculaire tirée du conduit auditif externe tomberait juste sur la région de l’organe de la fermeté. Considérée d'une manière générale, jamais assertion ne fut moins exacte. J’engage les personnes qui possèdent plusieurs crânes à faire cette expé- rience; et elles verront combien elle pourrait dans beaucoup de cas les induire en erreur. Le point ou tombe cette ligne perpendiculaire varie beaucoup suivant les crânes : tantôt elle tombe exactement à la réunion du frontal avec les pariétaux, et d’autres fois beaucoup plus en arrière. Ce moyen étant fautif doit être rejeté. Gall ne dit rien de la persévérance chez les animaux ; je suis cependant convaincu quelle s’y rencontre dans un degré assez remarquable, du moins chez plusieurs espèces. Je citerai comme exemple le renard, les chats et les chiens. Les per- sonnes qui n’examinent que très superficiellement les mœurs des animaux, auront sans doute négligé de reconnaître cette faculté chez eux. Cependant que l’on suive de près la conduite que tiennent quelques animaux de la même espèce ou d’es- pèces différentes, et l’on verra que la persévérance est assez prononcée chez eux. J’ai vu des chats rester des heures entières dans la même situation, afin de pouvoir saisir des oiseaux près desquels ils s’étaient mis en embuscade. D’autres, au con- traire, n’avaient pas la même persévérance. Il m’est arrivé de voir, et d’entendre dire à beaucoup de chasseurs, que des chiens persistaient dans leur manière d’agir nonobstant les TRAITÉ cris et les menaces de leur maître, et ce qu’il y avait de curieux, c’est que le chien avait souvent raison. On a vu souvent des chiens bassets partir seuls de très grand matin, et se mettre a la poursuite dun lièvre, et ne pas le quitter sans l’avoir atteint. Le renard fait souvent preuve d’une persévérance in- croyable. Le véritable siège de l’organe de la persévérance chez l’homme est indiqué par le n° 35, pl. LXXXIX, jfig. 2; cette région est très prononcée sur la tète du parricide Martin, pl. XCVIÏ1 m. Chez les quadrupèdes la région de l’organe de la persévé- rance se trouve indiquée par le n° 35, pl., XCIII, fig. 2. Je suis très disposé à croire que cette faculté existe chez tous les animaux, et qu elle joue un rôle dans l’emploi soutenu de plusieurs facultés. § iv. Conscience. — Repentir. La découverte de cette faculté n’est pas nouvelle, elle a été connue dès la plus haute antiquité : plusieurs moralistes en ont parlé dans leurs ouvrages sous diverses noms, ou même sous celui proposé par Spurzheim. Conscience! conscience! s’écrie Jean-Jacques. Instinct divin , immortel et céleste voix; guide assuré d’un être, mais intelligent et libre; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu ? c’est DE PHRÉNOLOGIE. toi qui fait lexcellence de sa nature et la moralité de ses actions; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle , et d’une raison sans principes, (i) Le meme auteur avait déjà dit précédemment , il est au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience. Gall a bien parlé de la conscience, qu’il désigne sous le nom de sens moral; mais sa manière d’analyser cette faculté me paraît erronée. Son langage, d’ailleurs si clair, me paraît dans ce cas obscur et entortillé. Selon lui, la conscience ou le sens moral tiendrait au développement extrême de la bienveillance. Ni la théorie ni la pratique ne viennent à l’appui de la manière de voir de Gall. 11 n’est pas rare de rencontrer des personnes très bienveillantes, sans sentiment moral ou conscience très prononcé, ce qui devrait cependant avoir lieu si ce sentiment dépendait de la bienveillance. D’un autre côté, on rencontre fré- quemment des personnes peu douces , peu charitables, d’un caractère difficile, mais douées du sentiment de conscience dans un haut degré. Il résulte évidemment de ces observations que le sentiment de conscience ou sens moral ne peut être confondu avec celui de la bienveillance; Spurzbeim a donc eu raison de considérer ces deux sentiments comme tout-à-fait distincts. Ce serait une grande erreur de supposer que tous les hommes soient capables du même degré du sentiment de conscience : (i) Jean-Jacques, Emile , liv. IV. 410 il en est de cette faculté comme de toutes celles dont j’ai parlé : sa sphère d’action est en rapport avec le volume et l’activité de l’organe qui en est le siège : il y a des hommes qui ont en horreur tout ce qui est fraude, injustice et mensonge : d’autres, au contraire, y sont un peu moins sensibles; enfin il en est d’assez malheureusement organisés pour que le sentiment de conscience ne se fasse sentir chez eux en aucune manière. C’est ce que l’on rencontre sur-tout chez les hommes qui ont ma- nifesté de bonne heure un caractère immoral, ou qui se sont signalés par d’affreux penchants. Ce n’est pas seulement, ainsi que j’ai pu m’en convaincre, parce que les organes des facultés communes à l’homme et aux animaux étaient très développés chez ces misérables qu’ils ont tenu une pareille conduite; mais c’est que chez eux, tous les sentiments supérieurs, et sur-tout celui de conscience, étaient très faiblement développés. Je demandais un jour à un des ces hommes, dont la tète devait tomber sous peu de jours, si en se rappelant les actes qui l’avaient conduit à l’échafaud, le sentiment du remords et du repentir ne s’étaient pas fait sentir plusieurs fois. Son ex- pression de figure, que j’ai encore présente à l’esprit, et que j’ai fréquemment observée chez un grand nombre de crimi- nels, était un air d’étonnement et de malice : il contraste sin- gulièrement avec l’expression de figure que j’ai rencontrée chez les hommes qui ont le sentiment de conscience dans un haut degré : chez ceux-ci, au contraire, c’est un air de simplicité, de franchise, je dirais meme de candeur virginale, que le plus habile talent d’imitation ne peut jamais rendre. Comme la faculté du sens moral se manifeste quelquefois d’assez bonne heure, on ne saurait apporter trop de soin pour l’entretenir et le cultiver par de sages conseils, et sur-tout par TRAITE DE PHRÉNOLOGIE. 411 des exemples. Le peu d’action de cette faculté contribue beau- coup à faire Je malheur des familles, et conséquemment des nations. Son faible développement peut devenir une entrave aux progrès des sciences. Un savant qui ne possédera pas le sentiment de conscience, sera peu délicat et peu scrupuleux dans ses observations; de là, la différence entre ses écrits et les faits qu’il prétend avoir observés. Toutes les fois que les écrits d’an auteur seront en opposition avec les faits matériels qu’il affirme avoir vus, vous pourrez hardiment tirer la con- séquence que le sentiment de conscience est très faible chez lui. Je connais dans une de nos principales sociétés savantes une tète modèle sous ce rapport. Lorsque le caractère de ces per- sonnes est bien connu, on ne saurait trop être en garde contre ce quelles avancent. Si au défaut de conscience elles joignent une grande vanité, elles s’occuperont moins de se livrera des travaux consciencieux que d’accumuler sans examen tout ce qui pourrait faire parler d’elles. L’idée d’un travail durable n’est pas ce qui les domine : pourvu quelles en imposent et arrivent à leur but, voilà le point essentiel. Cependant la vérité qui chemine lentement, mais d’un pas ferme, finit par se faire jour, et met à découvert la fausseté de ces hommes, que je con- sidère comme les vrais fléaux de la science. Le sentiment de conscience se manifeste à tous les âges, et dans toutes les professions. C’est lui qui distingue le magistrat intègre et impartial, celui qui est juste envers ses semblables; c’est encore lui qui rend l’homme scrupuleux dans ses enga- gements. J’ai constamment observé que les personnes qui avaient ce sentiment très fort avaient une répugnance extrême à se lier avec celles dont la conduite avait quelque chose d’é- quivoque. TRAITÉ Qu’une personne douée du sens moral dans le plus haut degré, se trouve entraînée par l’influence de circonstances exté- rieures très énergiques à commettre un acte quelle saura être injuste, il est certain que le remords se fera vivement sentir chez elle, et produira, ainsi que j’ai pu l’observer plusieurs fois, de la tristesse, de l’hypocondrie, et même m la manie. C’est sur-tout aux personnes ainsi organisées que s’applique ce vers de Juvenal, cité par Montaigne à l’occasion de la conscience : Occultum quatiens animo tortore flagellum. C’est ce sentiment, dit le vieux philosophe français, qui nous fait trahir, accuser et combattre avec nous mesmes, et a faulte de témoing estran- ger, elle nous produit contre nous, (i) J’ai vu à l’hôpital de Bethléem de Londres, plusieurs aliénés dont le langage annonçait évidemment une vive affection du sentiment de conscience. Si le sens moral était, ainsi que l’ont prétendu quelques sa- vants, la suite de la réflexion, il en résulterait que ce senti- ment aurait une action proportionnée à l’état des facultés réflectives. Malheureusement il n’en est pas ainsi : les hommes les plus remarquables sous le rapport de l’intelligence, ne sont pas toujours les plus consciencieux : il n’arrive même que trop souvent qu’ils emploient leur facultés intellectuelles à masquer l’iniquité de leurs actes. Sans doute que dans la conscience ou le repentir, les facultés intellectuelles doivent d’abord être mises en jeu, puisque ce sentiment ne se fait pas sentir chez les idiots; mais la preuve qu’il ne dépend pas de la réflexion, c’est que ce sentiment présentera des différences à intelligences (i) Montaigne, liv. II, chap. V. DE PHRÉNOLOGIE. , égales. Je suppose que deux personnes à qui l’on aura confié un dépôt, en abusent : toutes deux auront bien la conscience de leur mauvaise action; mais est-il certain que le repentir se fasse sentir chez elles au meme degré ? Non , certainement : il pourra fort bien arriver que l’une se rappelle cette circonstance comme toute autre chose, sans que cette réminiscence occasionne chez elle du repentir, tandis que l’autre ne pourra jamais y penser sans être troublée, et sans se reprocher la faute quelle aura commise; enfin, elle ne pourra retrouver toute sa tranquillité qu’après avoir restitué ce qu elle avait pris. Je demanderai main- tenant d’où peut venir une conduite si différente chez deux per- sonnes qui auront été élevées dans les mêmes principes, et auront vécu sous l’influence des mêmes circonstances extérieu- res ? Comme toute espèce de sensation a un système nerveux qui lui est propre; comme dans toutes celles que nous avons déjà étudiées, ou que nous aurons encore à étudier, je nç trouve aucune perception semblable à celle qui nous fait éprou- ver ce qu’on appelle conscience ou remords; comme enfin le cerveau est le siège de toutes les perceptions dont nous avons conscience, je suis naturellement et logiquement conduit à reconnaître le sentiment de conscience comme possédant les caractères d’une faculté fondamentale, dont l’organe a son siège dans le cerveau. Plusieurs observations que j’ai été à même de faire, chez des personnes dont le caractère m’était parfaitement connu, paraissent militer en faveur de l’opinion de Spurzheim sur le siège de l’organe du sentiment de conscience. Selon ce méde- cin, il serait placé sur les parties latérales de la fermeté, n° 36, pl. LXXXIX , fig. 2. L’action de cet organe ne pouvant être bien appréciée qu’a- traité près avoir tenu compte de l’état de développement des autres organes des sentiments supérieurs, je me suis occupé depuis quelque temps à comparer exclusivement sous le rapport de la faculté de conscience, un certain nombre de crânes et de plâtres. Je ferai connaître le résultat de mes recherches, lorsque j’aurai recueilli des observations assez exactes et assez nom- breuses pour mériter une entière confiance. § v. Vénération. Gall ayant remarqué de très bonne heure que certaines per- sonnes avaient un penchant naturel pour la dévotion, soup- çonna qu’il devait exister un rapport entre ce sentiment et certaine organisation cérébrale. Des expériences assez nom- breuses vinrent justifier ses prévisions. Avant d’indiquer le mode de conformation que Gall rencontra chez les dévots, je considère comme un acte de justice de faire remarquer que Gall, qui avait cité les remarques de Lavater à l’occasion de l’organe de la fermeté, ne le cite pas quand il traite de la faculté qui nous occupe, bien que l’expression théosophie qu’il emploie pour la désigner soit précisément celle qui avait été proposée par Lavater, dont les observations étaient antérieures à celles de Gall. 11 est certain que chez toutes les personnes qui se font re- DE PHRÉNOLOGIE. 415 marquer par leur grande dévotion, qui sont naturellement portées à embrasser la profession de religieux, on trouve le mode de conformation reconnu d’abord par Lavater, et con- firmé par les observations ultérieures de Gall et des phrénolo- gistesqui l’ont suivi. Il consiste dans un renflement de la portion du cerveau placée au-dessous de la région moyenne, et la plus élevée de l’os frontal, pl. LXXXYII, fig. 2, n° 37. On peut con- sidérer comme exemple d’un assez grand développement de l’organe de la vénération, le crâne d’un Kalmouck, représenté pl. CXIY, fig. 1, et pour contre-épreuve, la tête du parricide Martin, pl. XCYIJI. Selon Gall, c’est par cet organe que l’homme acquiert l’idée de Dieu, de la divinité. « La croyance en Dieu, dit-il, est aussi ancienne que l’existence de l’espèce humaine : la nature elle- même a gravé l’idée de Dieu dans tous les cœurs, et cette idée est trop sublime pour que l’homme puisse, s’élever jusqu’à elle, si la nature elle-même ne l’y conduisait, » (1) C’est probablement comme conséquence de cette manière de voir que Gall adopte l’expression théosophie. Si véritablement il existait chez l’homme un organe qui lui donnât une idée de Dieu, les hommes de tous les temps et de tous les pays de- vraient l’avoir, ce qui ne s’accorde pas avec les faits histori- ques. L’idée d’une puissance qui a présidé à la formation de l’univers remonte à la plus haute antiquité, mais celle de l’unité de Dieu ne se retrouve que chez les peuples arrivés à un haut degré de civilisation. Les peuples idolâtres et supersti- tieux, conséquemment peu éclairés, adressèrent de tous temps (i) Lib. cit., 5e vol., pag. 36o , édit. in-8.° 416 TRAITÉ leurs hommages à ce qui n’était qu’une émanation de la divi- nité, Chez les peuples civilisés, au contraire, l’idée de l’unité de Dieu dut nécessairement exister, et devint une conséquence inévitable de la faculté d’induction, je veux dire de celle qui porte l’homme à saisir les rapports entre les causes et les effets. Tout en reconnaissant avec les philosophes religieux, Des- cartes, Malebranche, Newton, Pascal, etc., l’existence d’un Dieu qui a présidé à la formation de l’univers, je ne pense pas qu’il soit donné à l’homme de le connaître, car ce serait établir un rapport qui ne peut exister, c’est-à-dire l’homme et Dieu, ou le fini et l’infini. Je ne crois donc pas avec Gall qu’il existe un organe qui donne à l’homme une idée de Dieu, et que celle de son existence ne peut être que le fruit de la réflexion; mais je crois avec Spurzheim qu’il existe un organe qui nous porte à adorer, vénérer ce qui parait au-dessus de nous. Le mot vénération, proposé par ce médecin, est aussi celui qui me parait le plus propre à donner une juste idée de la faculté désignée à tort par Gall sous le nom de théosophie. La manière de rendre hommage à la divinité a pu varier suivant les peuples et les époques, mais ce sentiment à toujours été le même au fond, celui de la vénération. La sphère d’ac- tion de ce sentiment est très étendue, et peut s’appliquer à une multitude de choses. C’est lui qui nous porte à respecter la vieillesse, nos parents, les personnes qui occupent un rang distingué dans la société, celles qui se font remarquer par leurs talents ou leurs vertus. C’est encore la même faculté qui nous fait vénérer les anciens châteaux, les églises, les lieux de sépultures, tout ce qui présente un caractère d’antiquité. Toutes les fois que cette faculté, dans un grand dévelop- pement, se trouve accompagnée de facultés réflectives fai- DE PHRÉNOLOGIE. blés, elle donne lieu à la superstition, à la bigoterie, elle porte à l’adoration des images et à des pratiques mesquines et ridicules. Il serait difficile de calculer à combien d’erreurs, d’abus, de crimes même, le sentiment de vénération porté à l’extrême à donné lieu. Il n’existe pas de peuple civilisé dont l’histoire ne four- nisse des exemples prouvant jusqu’à quel point les hommes peuvent s’égarer, quand leurs sentiments ne sont pas dirigés par une raison éclairée. Il est extrêmement commun de rencontrer dans les hôpi- taux daliénés, des individus chez qui le développement extrême du sentiment de vénération a été cause de folie. Je me rappelle avoir vu à Charenton, en 1829, une jeune femme qui présentait le mode de conformation du crâne, que j'ai rencontré chez toutes les personnes très dévotes. Lorsque j’en- trai dans la salle, elle se plaça devant moi, joignit les mains et fit plusieurs signes de croix , quelle accompagnait de pro- fondes révérences. Son front est très étroit, mais la région moyenne supérieure est développée au point de fixer l’atten- tion des personnes les moins familiarisées avec la phrénolo- gie. Il existe maintenant à la Salpêtrière, une femme chez qui l’organe de la vénération, ainsi que celui du penchant à dé- truire se trouvent assez prononcés. Trois fois je me suis entre- tenu avec elle, et son langage a été constamment le même, bien que j’aie mis plus de i5 jours entre les époques où je l’ai visitée. Elle est dominée par l’idée d’avoir tué son père, et paraît en avoir le plus profond repentir. Comme il lui arrive souvent, et probablement dans le but de se punir, de se mutiler le visage et les bras, on lui met fréquemment la camisole. Rien, si ce n’est le tabac dont elle est très avide, ne peut la dis- 418 TRAITÉ traire de son idée dominante. Pourquoi, lui disais-je, vous mutilez-vous ainsi ? Parce que j’ai tué mon père. Que je serais heureuse, si Dieu nous remettait dans uotre état primitif! Donne-moi donc du tabac. Vous aimez donc bien le tabac? Oui ; n’est-ce pas que si Dieu nous remettait dans l’état primi- tif mais tu ne me donnes pas de tabac. Le fronl de cette femme est peu développé, cependant elle n’est pas idiote. Parmi les médecins qui se sont occupés des lésions mentales> il n’en est pas un seul qui ne rapporte plusieurs observations annonçant une grande exaltation du sentiment de vénération. § vi. Espérance. Beaucoup de métaphysiciens et de philosophes ont reconnu ce sentiment comme naturel à l’homme. Gall pensa qu’il ne dépendait pas d’une faculté particulière, mais qu’il était la suite de l’activité de chaque organe. Spurzheim, au contraire, partagea l’opinion des métaphysiciens, se basant sur la théorie ou l’analyse de cette faculté, et sur l’expérience pratique. Il est hors de doute, pour celui qui étudie l’homme moral, que le sentiment de l’espérance n’est nullement en rapport avec l’activité des facultés : désirer une chose, et avoir l’espoir de la posséder, sont deux sensations tout-à-fait distinctes; les mé- taphysiciens et Spurzheim me paraissent donc avoir raison. DE PHRÉNOLOGIE. Quelques personnes croient quJil faut attribuer le sentiment de l’espérance à l’imagination, ou à ce que l’on appelle com- munément l’esprit poétique. Plusieurs remarques, que j’ai été à même de faire, m’ont démontre" que cette manière de voir était erronée. Je connais un jeune homme dont l’esprit s’est bercé et se berce encore de chimères, faisant tous les jours mille châteaux en Espagne, et dont l’esprit est sans contredit le moins poéti- que que j’aie rencontré. Une autre personne, au contraire, douée d’une imagination ardente et remarquable sous le rapport du talent poétique, est entièrement l’opposé. Le sentiment de l’espérance était très prononcé chez Jean- Jacques Rousseau. Je présume qu’il contribua pour beaucoup à lui faire adopter ce genre de vie aventureux, qui fut pour lui la source de mille charmes et de peines cuisantes. Je ne puis à cette occasion passer sous silence un passage de ses confes- sions, dans lequel il rend compte du sentiment qui le dominait. « Pour concevoir jusqu’où mon délire allait dans ce mo- ment ( il venait de quitter le comte Favria qui lui avait tou- jours donné de sages conseils), il faudrait connaître à quel point mon cœur est sujet à s’échauffer sur les moindres choses, et avec quelle force il se plonge dans l’imagination de l’objet qui l’attire, quelque vain que soit quelquefois cet objet. Les plans les plus bizarres, les plus enfantins, les plus fous, vien- nent caresser mon idée favorite, et me montrer de la vrai- semblance à m’y livrer. Croirait-on qu’à près de 19 ans on puisse fonder sur une fiole vide la subsistance du reste de ses jours? Or, écoutez. « L’abbé Gouvion m’avait fait présent, il y avait quelques semaines, d’une petite fontaine de héron fort jolie, et dont TRAITE j étais transporté. A force de faire jouer cette fontaine et de parler de mon voyage, nous pensâmes, le sage Bâcle et moi, que l’une pourrait bien servir à l’autre et le prolonger. Qu’y avait-il d’aussi curieux dans le monde qu’une fontaine de héron ? Ce principe fut le fondement sur lequel nous bâtîmes l’édifice de notre fortune. Nous devions dans chaque village rassembler les paysans autour de notre fontaine, et là les repas et la bonne chère devaient nous tomber avec d’autant plus d’abondance, que nous étions persuadés l’un et l’autre que les vivres ne coûtent rien à ceux qui les recueillent, et que quand ils n’en gorgent pas les passants, c’est pure mauvaise volonté. Nous n’imaginions partout que festins et noces, comptant que sans rien débourser que le vent de nos poumons et l’eau de notre fontaine, elle pourrait nous défrayer en Piémont, en Savoie, en France et partout le monde. Nous faisions des pro- jets de voyage qui ne finissaient point, et nous dirigions d’a- bord notre course au Nord, plutôt pour le plaisir de repas- ser les Alpes, que par la nécessité supposée de nous arrêter quelque part. « Tel fut le plan sur lequel je me mis en campagne, aban- donnant sans regret mon protecteur, mon précepteur , mes études, mes espérances et l’attente d’une fortune presque assu- rée, pour commencer, attiré par une chimère, la vie devrai vagabond. » O Cervantes a fait, dans la personne de l’écuyer Sancho , l’his- toire d’une foule de gens de sens, mais dominés par le senti- ment de Pespérance. Je ne veux pas dire que tous aient l’idée de posséder une île, mais tous forment plus ou moins de pro- jets de places, de fortune, etc., etc., suivant que la vanité ou le sentiment de propriété accompagnent dans un assez haut DE PHRÉNOLOGIE. 421 degré le sentiment de l’espérance. 11 résulterait de mes observa- tions que ce sentiment porté à l’extrême, seconde puissamment celui de la persévérance; c’est ce que j’ai rencontré chez des chasseurs et des pêcheurs qui n’étaient pas heureux dans leurs exercices, mais qui ne pouvaient les quitter parce qu’ils étaient dominés par l’idée qu’une pièce de gibier ou un poisson ne pouvaient manquer de se présenter à leur vue ou de mordre à l’hamecon. La sphère d’action de l’espérance est extrêmement étendue, elle contribue puissamment au bonheur de l’homme, en le soutenant dans le malheur, et l’aidant quelquefois à le sur- monter. Otons lui ce sentiment, et mille impressions qui sa- turent son esprit de jouissances inexprimables s’évanouiront. L’idée d’un avenir éternel qui le console et le soutient sur le bord de la tombe, ne bercera plus son imagination. Combien d’hommes célèbres n’ont été soutenus dans leurs tra- vaux que par l’idée des hommages et de la reconnaissance future des peuples P Cette belle inscription des Thermopiles : Passant, va dire a Lacédémone que nous sommes morts pour obéir a ses lois, n’est-elle pas l’expression de l’homme qui, près de quitter la vie, meurt avec l’espérance que la postérité s’occupera de lui ? il résulterait de plusieurs observations que j’ai faites, que le siège de l’organe de l’espérance n’a pas été bien indiqué par Spurzheim. Je suppose que les personnes qui liront mon ou- vrage aient à leur disposition la troisième édition du Traité de Phrénologie qu’il a publié à Londres, elles verront qu’il a indiqué sur le buste placé à la tête de son volume, et par le n° 17, le siège de l’organe de l’espérance : une ligne perpen- diculaire tirée du conduit auditif tombe exactement sur la TRAITÉ partie moyenne de la ligne qui le circonscrit; tandis que son vrai siège me paraît être plus en avant, c’est-à-dire sur les parties latérales antérieure et supérieure de l’os pariétal, n° 38, fîg. 2, pi. LXXXVII. Cest après avoir comparé entre eux deux têtes de personnes pouvant servir de preuve et de contre- épreuve pour la faculté de l’espérance, que je suis parvenu à bien préciser le siège de son organe. Celle qui le possède dans un très haut degré n’a jamais pu, nonobstant son excellent jugement et des facultés réflectives assez remarquables, se guérir de la manie des projets. Rien de comparable, m’a-t-elle dit plusieurs fois, au plaisir que j’éprouve à former mille entre- prises : j’y passe des journées entières, et je doute fort que leur réalité put égaler la sensation agréable que j’éprouve en m’y abandonnant. Le sentiment de l’espérance domine en général chez les en- fants et dans la jeunesse : cette faculté agit alors avec d’autant, plus d’énergie que les facultés réflectives n’ont pas encore atteint leur plus haut degré de développement. Le défaut d’ex- périence et d’habitude des hommes et des choses, fait qu’au- cune entrave ne se présente à l’esprit, on s’abandonne entière- ment à ses illusions. Que l’on raconte, par exemple, à plusieurs enfants des histoires de personnages qui ne sont arrivés à jouer un rôle extraordinaire qu’après avoir traversé mille dan- gers, formé mille projets plus merveilleux les uns que les autres, et l’on verra que ces enfants seront non-seulement tout oreilles, mais qu’un assez grand nombre se mettra en esprit à la place du héros du roman. En traitant de l’application de la phrénologie à l’éducation, je ferai connaître par des exemples jusqu’à quel point le développement trop considérable de l’espérance peut abuser l’homme. DE PHRÉNOLOGIE. § vu. Bienveillance. Cette faculté étant une des plus faciles à constater chez riiomme et les animaux, je serai très sobre de citations ten- dant à démontrer son existence. II suffit d’étudier le caractère des enfants réunis dans un collège, et très souvent ceux d’une famille, pour voir que le sentiment de bienveillance n’existe pas au même degré chez tous les individus. Appelé plusieurs fois pour pratiquer une opération sur le chef d’une famille, j’ai pu saisir les nuances de développement de cette faculté sur les diverses personnes qui la composaient. Les unes étaient émues jusqu’aux larmes, d’autres, touchées au point de se sentir défaillir , tandis qu’il y en avait qui paraissaient pres- que indifférentes. Je me rappelle l’histoire d’une dame qui avait absolument exigé que je lui donnasse une idée d’une opéra- tion que j’avais pratiquée à une de ses amies. Soit que j’eusse mis une grande vérité dans ma narration, ou plutôt que cette personne, sous l’influence d’un haut sentiment de bienveillance, eût été vivement émue, je vis ses lèvres trembler, sa figure se décolora, et elle perdit connaissance. J’ai souvent vu des personnes se trouver mal avant de voir pratiquer l’opération de la saignée; mais, comme j’ai pu m’en convaincre, ce n’est pas le sentiment de bienveillance qui est ici en action, mais celui de la conservation, qui a pour effet de produire un trouble 424 TRAITÉ qui suspend la circulation. Je n’ai pas observé que ces personnes fussent pour cela plus douces, plus généreuses, en un mot, plus bienveillantes. La bienveillance est une des facultés les plus précieuses dont l’homme puisse être doué. Outre quelle contribue puis- samment au bonheur des autres, elle fait éprouver mille sen- timents délicieux à celui qui la possède. Je plains l’homme assez mal organisé pour être insensible au plaisir d’être utile , de secourir, de soulager et d’aimer son semblable. Quelques bril- lantes que soient, d’ailleurs, ses qualités, elles perdront infi- niment de leur prix , si elle ne sont pas accompagnées du sen- timent de bienveillance. Je ne connais pas de gloire compa- rable à celle que procure l’exercice de cette faculté, quand elle est réunie à des sentiments supérieurs. La vie dHenri IV est pleine de traits qui annoncent que le sentiment de bonté était le fond de son caractère : en les lisant, l’homme de bien se sent ému jusqu’aux larmes. Comme tous les sentiments, celui de la bonté peut avoir ses abus quand il est porté à l’extrême : il peut mener à la prodigalité, il porte à une indulgence trop grande pour les personnes qui nous entourent. J’ai déjà dit, en parlant de la conscience, que Gall avait eu tort de considérer ce sentiment comme la suite d’un haut degré de la bienveillance. J’ai constaté par l’expérience qu’une personne pouvait être très juste, et manquer de bienveillance , et vice versa. Lorsque le sentiment de bienveillance se trouve accompa- gné de ceux de la conscience et de la fermeté, il en résulte ces hommes que rien ne peut déranger de leurs vues et de leurs travaux : sûrs d’être dans la voie de la vérité, ni la crainte DE PHRÉNOLOGIE. du ridicule et du sarcasme, en un mot de tout ce qui pro- duit quelque effet sur les esprits vulgaires, n’aura aucune prise sur eux. Les hommes dans leurs liaisons, et dans le choix d’une com- pagne, ne sauraient porter trop d’attention au développement du sentiment de bienveillance. Combien de fois n’ai-je pas ren- contré, chez des personnes très opulentes, toute l’apparence du bonheur, et au fond la vie la plus misérable, parce que des considérations autres que celles du caractère avaient in- fluencé leur choix. Il serait difficile de se faire une idée des actes auxquels peuvent se porter les personnes du sexe, lors- qu’à un faible développement de la bienveillance se trouvent réunies des facultés affectives très énergiques. Vivre avec des personnes ainsi organisées, c’est vouer son existence à un supplice sans fin. La douceur, qui n’est qu'un degré ou une modification du sentiment de bienveillance, se rencontre chez les animaux : elle est même le caractère le plus saillant de certaines espèces, telles que le chevreuil et le mouton. Il est très commun de rencontrer chez les animaux du même genre ou de même espèce, tels que le cheval, le chien, le chat, etc., des différences remar- quables à cet égard. Le chien dont le crâne est représenté pl. XXVIII, fig. 2, était d’une douceur étonnante : on ne le vit jamais aboyer contre les personnes qui venaient visiter son maître. Son premier mouvement était toujours d’aller au- devant d'elles, et de leur faire des caresses. Le chien eskimau dont le crâne est représenté pl. XXV , fig. i , était d’un ca- ractère entièrement opposé. Chez l’homme, l’organe de la bienveillance est situé à la partie moyenne et supérieure de l’os frontal, n° 39, fig. 2, 426 TRAITÉ pi. XCI. Quand il est très prononcé, il renfle d’une manière sensible toute cette région. On peut avoir une idée du grand développement de cet organe en jetant les yeux sur la tète du nègre Eustache Belin, représenté pi. CXIII. fi) J’ai eu occasion, il y a peu de temps, de rencontrer un dé- veloppement excessivement remarquable de la bienveillance r chez un personne illustre, dont je me plairais à citer le nom, si je ne craignais que l’on ne vit dans ma conduite l’in- tention de flatter qui fut toujours loin de mon caractère. Quoiqu’il en soit, je sais que si j’avais à être jugé, je préfé- rerais une personne organisée comme elle à beaucoup d’au- tres, quelques grandes que fussent les protestations d’amitié quelles m’auraient faites. Dans les quadrumanes, le siège de l’organe de la bienveil- lance est le même que chez l’homme : chez les quadrupèdes c’est la région marquée n° 3g, pl.XCIII, fig. 2. On peut se convaincre quelle est plus prononcée chez le chevreuil, pl. XXVI, que dans l’isard des Pyrénées, pl.XXXVIII, sur le crâne du chien représenté, pl. XXVIII, fig. 2, que sur celui représenté fig. 1, pl. XXV. Chez tous les animaux où l’on ne remarque aucunes traces de douceur, tels sont le renard, pl. XXXV , fig. 1, la marte, pl. XXXVI, fig. 4? le blaireau, pl. XXVIII, fig. 1, la même région est déprimée. On peut encore comparer, sous ce rap- port, le crâne du rat des égouts avec celui du cochon ca- biais, pl. XXXVII, fig. 2 et fig. 3. (î) Voir dans le texte explicatif des planches les principaux actes de Belin. DE PHRÉNOLOGIE. 427 CHAPITRE XI. DEUXIÈME GENEE DE FACULTÉS APPARTENANT A LA CLASSE DES SENTIMENTS. § i- Sentiment du merveilleux. C'est une grande erreur que de supposer que le penchant au merveilleux dépend de l’ignorance ou du défaut d’instruction. Que l’on me cite une seule époque, soit chez les anciens, soit chez les modernes, où le peuple, et je prends ici ce mot dans sa plus grande extension, ne se soit pas montré superstitieux. Si ce penchant n’était, pas naturel à l’homme, verrait-on la société actuelle infectée de charlatans de toute espèce, levant un impôt sur la crédulité? Tous les imposteurs de l’antiquité se retrouvent chez les nations modernes; ils n’ont fait que changer de nom : les augures, le vol des oiseaux, l’inspection des entrailles des animaux, se trouvent remplacés par les diseurs de bonne aventure, les tireurs de cartes, ceux qui expliquent les songes, etc., etc. Il faut que le sentiment de l’extraordinaire, du merveilleux, soit, comme le dit Montaigne, une forcenée curiosité de notre 428 traité nature, ear rien ne flatte plus les hommes, en général, que les récits ou les représentations dans lesquels cette faculté est mise en jeu. Avec quel plaisir, quelle volupté même, les femmes et les enfants sur-tout, h’écoutent-ils pas la lecture de romans remplis de scènes où figurent des fantômes, des apparitions, des présages extraordinaires. Combien d’hommes instruits et sensés, à qui la lecture de pareils ouvrages présente le plus vif intérêt. Des hommes très distingués par leur caractère et leur intelligence, ont souvent fait preuve d’un penchant très prononcé à la superstition. Socrates se croyait inspire par un génie, Cicéron dit positi- vement dans son Traité de la nature des Dieux, qu’il existe des oiseaux qni naissent pour servir à l’art des augures. Brutus prétendait avoir vu un fantôme apparaître devant sa tente, la nuit qui précéda la bataille de Pharsale. J’ai connu un ecclé- siastique, doué de beaucoup de bon sens et d’instruction, qui prétendait que le diable venait le visiter de temps en temps: Une multitude de phénomènes, qui se trouvent maintenant expliqués par les progrès des sciences naturelles, devinrent à une époque très reculée une mine féconde d’exploitation du merveilleux pour les cbarlatans.il n’est pas impossible cependant que dans le nombre des personnes qui cherchèrent à en im- poser aux autres, quelques-unes n’aient été elles-mêmes la dupe de leur organisation, en considérant comme réelle l’impres- sion quelles disaient avoir éprouvée. Tel fut probablement le pauvre Swedenborg, qui prétendait que Dieu était venu Je visiter; et beaucoup d’autres hommes célèbres qui n’étaient au fond, malgré leurs belles qualités, que de malheureux vision- naires. Le penchant au merveilleux étant naturel à l’espèce humaine, on se persuade aisément comment ces hommes, DE PHRÉNOLOGIE. 429 qui réunissaient à ce sentiment des facultés réflectives très remarquables, purent se faire un grand nombre de partisans et même fonder des empires. Il est extrêmement commun de voir dans les grands hôpi- taux, des aliénés qui prétendent se trouver en relation avec Dieu, les Anges ou les Séraphins; d’autres qui assurent que le démon vient les tourmenter, après qu’ils ont fait un pacte , dont ils n’ont pas rempli les conditions. Je ne pense pas avec Gall que les visions dépendent d’un seul organe; mais qu'elles résultent d’abord de l’action très énergique de cer- taines facultés perceptives, telles que celles de configuration, du coloris, des lieux, etc., et souvent même de la lésion des cinq sens, avec une surexcitation ou un grand développe- ment du penchant au merveilleux. C’est, selon moi, ce qui explique comment les visionnaires indiquent souvent la forme et la couleur, ou d’autres qualités des objets qui sont le sujet de leurs visions. On peut encore se rendre compte, par la même raison, des voix et des sons harmonieux que cer- tains visionnaires disent entendre autour d’eux. J’ai rencontré l’organe du merveilleux et celui de l’espé- rance très développés chez deux personnes qui avaient l’ha- bitude de mettre à la loterie. Le premier organe est très prononcé chez un magnétiseur qui assure pouvoir se mettre en communication avec une personne qui habiterait l’Inde, elle restant à Taris. J’avoue qu’après l’histoire de St.-Siméon stylite , qui vécut 4° ans sur Ie haut d’une colonne sans boire ni manger, je ne connais rien de cette force là. Je comprends très bien comment à une distance peu éloignée, et sur-tout entre personnes de sexe différent, il doit se passer certains phénomènes d’où peut résulter une communication plus ou TRAITÉ moins active; mais à une distance aussi grande, ma crédulité ne va pas jusque là ! Chez presque tous les visionnaires que j’ai eu occasion de voir, j'ai remarqué une expression de physionomie qui leur est propre : elle consiste sur-tout dans un mouvement des yeux qui se trouvent dirigés en haut et ordinairement à droite; la figure éprouve alors une sorte de rayonnement qui diffère beaucoup de celui que procurent les autres sensations agréables. Dans leurs paroles ou dans leurs écrits, et lorsqu’elles sont en parfaite santé, les personnes qui ont le sentiment du merveilleux très prononcé, ont quelque chose de prophé- tique , d’inspiré. Avant de terminer ce qui à trait au penchant au merveil- leux, je rapporterai une observation qui se rattache au déve- loppement considérable et à l’excitation de son organe. Elle est d’autant plus curieuse, qu’il n’y avait chez la personne qui eu est le sujet aucune trace de lésion mentale. Comme on le verra, et comme le fait observer le phrénologiste distingué qui a recueilli les faits (M. Simpson d'Edimbourg), plusieurs facultés furent affectées à la fois. S. L,, jeune personne de 20 ans. d’une excellente fa- mille, bien élevée, libre de craintes superstitieuses, et saine de corps et d’esprit, a cependant été affectée quelques années, pendant la nuit et durant le jour, par des visions de per- sonnes et d’objets inanimés. Elle fut sujette de très bonne heure et accidentellement à des illusions, et la première , d’après ce quelle dit, fut celle d’un tapis étendu dans l’air qui descendit près d’elle, et disparut. Après un intervalle de quelques années, elle commença à voir des figures humaines tandis quelle était au lit et complé- DE PHRÉNOLOGIE. tement éveillée , même dans le jour. Ces figures étaient blan- châtres, ou plutôt grises et transparentes comme des toiles d’araignées, et généralement au-delà de l’étendue quelles ont en vie. Elle éprouva à cette époque des maux de tête très aigus, et confinés dans un espace peu considérable delà tête; lui ayant demandé d’indiquer l’endroit, après avoir pris soin de n’influer en rien sa réponse, nos lecteurs peuvent se faire une idée de notre impression comme phrénologiste, lors- qu’elle toucha avec l’index et le pouce chaque côté de la racine du nez, le commencement des sourcils et la région si- tuée au-dessus du nez, sièges des organes de la configuration, de l’étendue et de la perception des objets. Là, dit-elle,particulièrement, en indiquantes régions situées sur les parties latérales de la racine du nez, la sensation pour- rait être comparée à celle que produiraient des couteaux très aigus. La douleur augmentait lorsqu’elle baissait la tête, et se calmait beaucoup lorsqu’elle la portait en arrière. Avant demandé à M>He S. L., si la douleur était bornée à cette région, elle répondit que quelque temps après, elle s’é- tendit à droite et le long des sourcils, et un peu au-dessus et tout à l’entour des yeux qui lui paraissaient souvent vou- loir sortir des orbites. Lorsque ceci eut lieu, ses visions fu- rent variées, exactement comme un phrénologiste aurait pu le dire par anticipation, et elle en indiqua les progrès sans y être amenée par aucune question. La pesanteur, le coloris, l’ordre, le nombre, les lieux devinrent toutes affectées. Et voyons ce qui arriva. Les spectres grisâtres ou toiles d’arai- gnées prirent la couleur naturelle des objets, ils continuèrent souvent à paraître, mais pas toujours au-delà de leur étendue durant la vie. Elle vit un jour un mendiant hors de la maison, 432 TRAITÉ de forme et de grandeur naturelles, et qui disparut lorsqu elle alla à la place. Le sens du coloris étant sur excité occasiona des illusions fantastiques particulières. Des places brillantes comme des étoiles sur une surface noire, remplirent la chambre pendant les ténèbres, et même pendant le jour. Quelquefois , et tout d’un coup, sa chambre se trouvait graduellement illuminée pendant la nuit, de manière à rendre visible les meubles quelle contenait. Un jour elle crut apercevoir une multitude innom- brable de boules de feu, tombant comme un torrent d’une chambre de la maison dans l’escalier : une fois, la douleur entre les yeux et le long du bord inférieur des sourcils l’af- fecta violemment , et tout-à-coup la chambre lui parut rem- plie d’étoiles et de plaques brillantes : ayant alors essayé d’aller au lit, elle dit quelle conserva difficilement l'équilibre, abso- lument comme si elle avait été ivre, et elle tomba après avoir fait plusieurs tentatives pour saisir la colonne du lit, qui évita sa main d’une singulière manière, en changeant de place et se présentant en nombre multiple : si l’organe de la pesan- teur, situé entre celui de l’étendue et du coloris est l’organe de l’instinct de préserver l’équilibre , son dérangement doit nécessairement nuire à celui de la personne. L’organe des nombres étant sur excité, on s’attend à voir les objets multi- pliés ; et la première fois quelle éprouva cette illusion, ce fut la multiplication de la colonne du lit, et plus tard celle des objets quelle examina. Chaque objet bien que simple, tel qu’un livre, un tabouret, une boite à ouvrage, augmentaient jusqu’à 20 ou 5o, quelquefois sans ordre ou arrangement, et d’autre fois placés l’un sur l’autre en piles, ou très irrégu- lièrement. DE PHRÉNOLOGIE. 433 Ces objets la trompaient d’une autre manière, en augmenta- tant détendue, tandis quelle les considérait avec le plus grand étonnement, ils reprenaient de nouveau leur grandeur natu- relle, diminuaient et disparaissaient de nouveau. L’organe des lieux étant surexcité donna lieu chez elle à des illusions telles que celles d’objets paraissaient avoir changé de place; et elle croit, bien quelle ne le donne pas comme certain, qu’un jour une porte et une fenêtre lui parurent avoir changé de place, mais elle ajoute quelle avait pu être induite en erreur par un miroir. Cette circonstance nous donne occasion d’avoir pleine confiance dans ses remarques pour les autres illusions quelle assura positivement éprouver. Elle n’a pas observé jusqu’à présent une assez grande et pénible confusion dans les visions qui l’ont affectée, pour que nous en tirions la conséquence d’un dérangement du sens de l’ordre. L’indi- vidualité, la forme, l’étendue, la pesanteur, le coloris, les lieux et le nombre paraissent seulement les facultés qui ont été affectées jusqu’ici. Pendant près de deux ans, Me^c S. L. lut débarrassée de ses douleurs de tête, et ce qui est digne de remarque, de ses visions et autres perceptions. Quelques mois après cependant, tous ces symptômes alarmants augmentèrent à la suite d’une indisposition. La douleur fut plus aiguë qu’aupa- ravant le long de l’os frontal, autour, et dans les yeux; et tous les organes situés dans cette région recommencèrent leur jeu d’illusion. Des figures de personnes absentes ou d’amis décédés lui apparaissaient d’une manière horrible, durant le jour et pendant la nuit, quelquefois avec ou sans couleur, mais le plus généralement coloriés : elle voyait quelquefois des amis dans la rue, qui devenaient des spectres lorsqu elle leur 434 traite adressait la parole; et il arriva plusieurs fois, que n’ayant pu se débarrasser de son illusion, elle affirma à ses amis quelle les avait vus à telle place à telle heure , lorsqu’ils lui prouvèrent clairement l'alibi. La confusion des formes des spectres l’affecte maintenant (lésion du sens de l’ordre). Son oppression et sa crainte étaient insupportables, lorsque les figures se présen- taient à elle dans un désordre inextricable, et encore plus quand elles changeaient de figures entières en portions de figures, de faces en moitiés de faces, ou des membres quel- quefois dune grandeur et d’une difformité épouvantables. Un exemple du désordre de ses illusions est curieux, et prouve ce qui ne peut être exprimé que par un dérangement de la juste perception de la gravitation ou de l’équilibre (pesanteur). Un soir tandis qu elle était assise dans sa chambre à coucher et se disposait à se mettre au lit, une source de spectres, de figures, de membres parurent dans la chambre avec la plus choquante confusion, et comme s’ils avaient été versés de la fenêtre sous forme de cascades? Bien que la cascade continuât avec un mouvement rapide, elle ne vit pas une accumula- tion de figures dans la chambre, le renfort disparaissant d’une manière inexplicable après avoir formé la cascade. Des figures colossales la visitent souvent. Des objets réels mais sans vie lui ont apparu sous la forme d’animaux, et elle à souvent essayé de prendre à terre des objets tels que des hui très , qui échappaient à sa main. Plus récemment ses alarmes ont été accrues, car elle com- mença à entendre parler les spectres. D’abord leur foule pro- duisit un bourdonnement et un baragouinage impossible à décrire, et parfois ils se réunissaient pour donner lieu à un rire désagréable quelle ne pouvait attribuer qu’à des démons. DE PHRÉNOLOGIE. 435 Ces bruits malencontreux étaient ordinairement suivis d’une avant garde rapide et alarmante de figures qui présentaient souvent des faces larges et effrayantes, avec deux yeux éclatants tout près des siens. Elle perdait alors connaissance, et une sueur froide, effet de la terreur, baignait ses sourcils. Les figures des personnes dcédées et absentes commencèrent alors à babiller, et dans peu s’adressèrent à elle directement ; mais sa frayeur l’a empêchée jusqu’à présent d’entendre ce quelles disaient. Dernièrement elle a eu des visions très distinctes d'anneaux de laiton très brillants. Elle alla imprudemment voir le banquet des démons, et quelque temps après, les personnages de cette édifiante pièce, sans excepter sa majesté satanique en personne, sont devenus ses visiteurs nocturnes. Quelques figures persévèrent dans la visite qu’elles lui ren- dent : un nègre avec un turban regarde souvent sur ses épaules d’une manière impertinente, lorsqu’elle est à son mi- roir. Parmi les autres perceptions de MeMe S. L., nous devons mentionner la sensation d’être élevée en l’air, de s’enfoncer et de tomber en avant avec la perception désagréable des objets hors de leur perpendiculaire; par exemple la chambre, le plancher , et le reste entièrement inclinés d’un coté. Les couleurs, lorsqu’elle travaille ou autrement, persistent long-temps, et ne disparaissent que très lentement. Elle entend des bruits dans sa tête, et une sensation de chaleur à l’en- tour. Lors de la dernière affection on lui demanda si elle éprou- vait toujours quelque douleur à la tête, ailleurs que vers le bas du front, elle répondit qu’à diverses fois elle fut affectée avec des douleurs si insupportable , sur le sommet de la tête , qu’elle avait été sur le point de s’évanouir; et lorsqu’on lui 436 TRAITÉ demanda de placer son doigt à l’endroit, elle mit les extré- mités des deux indicateurs exactement sur l’organe du pen- chant au merveilleux, sur les côtés de l’os frontal. L’organe de ce penchant est très saillant chez Mlle S. L. Lorgane du penchant au merveilleux est situé sur les par- ties supérieures latérales de l’os frontal, auquel il contribue a donner une largeur et une élévation remarquables lorsqu’il est très développé, fig. 2, pl. XCI, n° 4°* Ja* trouvé cette région très saillante chez deux personnes dont les caractères diffèrent d’ailleurs sous beaucoup d’autres rapports : l’une est extrêmement superstitieuse, croit aux pressentiments et à l’astrologie; l’autre fait ses délices des ouvrages remplis de scènes à fantômes, d’événements surnaturels; rien ne l’inté- resse autant que les récits dans lesquels il se trouve quelque ch ose de mystérieux et d extraordinaire. Après de pareils ré- cits je lui ai souvent entendu répéter les expressions suivantes : il y a certainement quelque chose de particulier qui échappe à l’homme, de ces événements qui ne peuvent être le résul- tat que d’esprits surnaturels, etc., etc. Ces deux personnes ont reçu une excellente éducation; lune d’elles possède même des facultés réflectives assez remarqua- bles. Lorsqu’à des facultés perceptives et réflectives faibles ou peu développées, se trouve réuni un grand développement de l’organe du penchant au merveilleux, il en résulte une dis- position à la crédulité et à la superstition. L’organe de la faculté que je viens de faire connaître est très prononcé sur la tête de l’abbé de la Mennais. DE PHRÉNOLOGIE. 437 § IL Organe de l’esprit poétique. Avant de parler de cette faculté et de son organe, il est bon de s’entendre sur l’idée que j’attache à l’expression esprit poétique. Le plus ordinairement on appelle esprit poétique celui qui donne lieu a des compositions versifiées, tandis que l’on attribue souvent et avec raison la même qualité à celui qui produit des compositions versifiées ou en prose, présen- tées sous forme de fiction ou d'imitation. D’abord il est cer- tain que la poésie, ou ce qu’il faut entendre par ce mot, ne consiste nullement dans la versification puisque plusieurs écrits en vers n’ont rien de poétiques, tandis, au contraire, que beaucoup d’ouvrages en prose étincellent de beautés poé- tiques. Selon Gall, le talent poétique résulterait de certaines lois qui seraient révélées à l’homme suivant son organisation. La poésie, comme toutes les autres choses pour lesquelles nous avons reçu de la nature un organe particulier, est soumise à certaines ces lois n’ont pas été inventées par l’homme afin de pouvoir les enseigner à d’autres; elles lui sont révélées à l’aide d’une organisation particulière. Toutes les fois que cette organisation à acquis toute sa plénitude, ou au moins un degré considérable d’activité, il en résulte des productions dans lesquelles ces lois sont observées. De 438 TRAITÉ telles productions seulement avertissent l’observateur de l’exis- tence de ces lois, et on les recueille à l’usage d’hommes moins heureusement organisés. Ceci nous explique pourquoi certains individus atteignent une haute perfection dans telle science ou tel art, avant d’avoir eu le temps de s’instruire de ses règles. Il en est ainsi de tous les poètes doués d’un grand génie : l’étude des règles et des modèles peut modifier le talent inné, l’adapter aux circonstances et au goût du temps; mais le talent même est tout aussi indépendant de toutes ces modi- fications extérieures, que la pesanteur de la houle l’est du choc des c©rps quelle heurte dans sa chute, (i) Gall, tout en considérant avec juste raison le talent poé- tique comme une faculté innée, ne dit pas cependant en quoi elle consiste. Spurzheim, se fondant sur des raisons que je vais faire connaître tout à l’heure, a cru devoir changer l’expression, talent poétique, employée par Gall en celle d’idéa- lité. il est vrai, dit ce célèbre phrénologiste, que tous les grands poètes anciens et modernes, Homère, Pindare, Euri- pide, Sophocle, Térence, etc., etc, ont la région indiquée par Gall très développée; mais il me semble que cette ma- nière d’envisager les manifestations de lame est trop géné- rale, et je n’y reconnais pas la faculté primitive de cet organe. Toutes les compositions poétiques ne peuvent pas être le résultat d’une seule faculté; il faut donc distinguer ce qui leur est essentiel ou général, de ce qui constitue les espèces. Les particularités dépendent des combinaisons de la faculté en question avec les autres, et ce qui est commun à tous les (i) Gall, sur les fondions du cerveau, pag. a54- 5e vol., édit. in-8° DE PHRÉNOLOGIE. genres de poésie constitue le sentiment primitif. Ce sentiment ne produit pas la versification ni la rime : quelques auteurs écrivent en prose dune manière poétique; d’autres font des vers sans cette verve qu’on recherche dans la poésie, (i) Il est assez curieux de voir les motifs donnés par Spurzheim pour changer l’expression de Gall talent poétique, en celui d'i- déalité, sur-tout après avoir lu l’ouvrage de son maître. Car c’est à Gall lui-même qu’il emprunte les objections qu’il lui adresse. Gall n’a jamais dit que les variétés de talent chez les poètes, dépendissent du talent poétique. Si l’on me demande, dit-il (pag. 252, liv. cit.), pourquoi les poètes choisissent des sujets si différents, pourquoi l’un fait des romans, l’autre des tragédies, des comédies, des idylles, des odes, des poèmes épiques, etc., que l’on se rappelle que cette question se pré- sente pour toutes les facultés fondamentales. Les musiciens, les peintres choisissent tel sujet ou tel autre, selon les organes qui se trouvent joints à leur organe dominant. Lorsque Spur- zheim dit qu’il ne pense pas avec Gall que le talent poéti- que produise la rime, il fait dire à Gall l’opposé de ce qu il avance. Avant tout, dit Gall (pag. ü33, id. vol.), je dois faire obser- ver au lecteur qu’il ne faut pas honorer tout versificateur du titre de poète, comme cela se fait généralement. Je sais que le mètre donne un certain charme aux sujets que traite la poésie. Je n’ignore pas que le génie poétique se manifeste d’ordinaire d’abord par des vers ; mais personne ne dis- conviendra que l’on puisse être aussi grand poète en prose. (i) Spurzheim , Phrénologie, Paris, 1818, pag. 210. TRAITÉ Le Télémaque de Fénelon, les Idylles, la mort d’Abel, de Gesner en sont des exemples. Après avoir rendu a César ce qui appartient à César, je vais exposer la manière dont Spurzheim analyse la faculté en question. Elle me paraît, dit-il, consister dans une manière particulière d’envisager la nature : une description des objets tels qu’ils sont n’est pas ce qu’on appelle poésie : celle-ci les considère comme ils devraient être; elle exige de la vivacité, de l’exaltation et de l’imagination. Je crois qu’un sentiment particulier produit ces modifications. Cette faculté n’agit pas seulement dans les poètes ; elle s’applique aux idées, aux sen- timents et à toutes les fonctions des autres facultés. Elle les vivifie, et elle leur donne une teinte particulière; elle fait naître le goût du sublime dans les arts; elle inspire de l’en- thousiasme, et cherche partout la perfection et l’idéal y c’est pourquoi je l’appelle idéalité. (Spurzheim, Phrénologie, pag. ai i, Paris, 1818.) Revenons maintenant sur chacune des propositions énon- cées par Spurzheim, afin de voir si l’expression idéalité qu’il propose pour remplacer celle de talent poétique, doit lui être préférée. Cette faculté lui paraît consister dans une manière particulière d’envisager la nature. Je demanderai si cette manière d’envisa- ger la nature n’est autre chose que la poésie ou le talent poéti- que. Une description des objets tels qu’ils sont, n’est pas, assure- t-il, de la poésie : celle-ci les considère comme ils devraient être. Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble que Spur- zheim est ici dans l’erreur, je ne pense pas qu’il soit toujours nécessaire que les objets soient peints autrement qu’ils ne sont pour être empreints d’un caractère poétique. Par exemple dans DE PHRENOLOGIE. 441 Je passage suivant de l’auteur des Ruines. Je trouve une descrip- tion exacte des choses bien que pleine de poésie. Le soleil venait de se coucher , un bandeau rougeâtre mar- quait encore sa trace à l’horizon lointain des monts de la Syrie : la plaine s’élevait sur un fond bleuâtre, aux planes rives de l’Euphrate : le ciel était pur, l’air calme et serein ; l’éclat mourant du jour tempérait l’horreur des ténèbres; la fraî- cheur naissante de la nuit calmait les feux de la terre embra- sée ; les pâtres avaient retiré leurs chameaux; l’œil n’apercevait plus aucun mouvement sur la terre monotone et grisâtre; un vaste silence régnait sur le désert; seulement à de longs intervalles on entendait les lugubres cris de quelques oiseaux de nuit et de quelques chacals. L’ombre croissait, et déjà, dans le crépuscule, mes regards ne distinguaient plus que les fantômes blanchâtres des colonnes et des murs Ces lieux solitaires, cette soirée paisible, cette scène majestueuse, im- primèrent à mon esprit un recueillement religieux. L’aspect d’une grande cité déserte, la mémoire des temps passés, la comparaison de l’état présent, tout éleva mon cœur à de hautes pensées. Je m’assis sur le tronc d’une colonne, et là, le coude appuyé sur le genou, la tète soutenue sur la main, tantôt portant mes regards sur le désert, tantôt les fixant sur les ruines, je m’abandonnai à une revêrie profonde. Si Spurzheim a voulu entendre, ce que je ne pense pas, par une description exacte une description sans talent, il a sans doute raison. Ainsi lorsque Hippolyte, dans la tragédie de Phèdre, de Pradon, dit à Aricie : depuis que je vous vois j’abandonne la chasse, Voltaire a raison de faire observer que rien n’est plus ridicule; tandis, comme le remarque le meme auteur, le vrai poète (Racine) dira : mon arc, mes javelots, 442 TRAITÉ mon char, tout m’importune. Remarquons cependant que tout est vrai dans les deux pensées, mais l’une est présentée sans passion et sans talent, l’autre est le vrai langage de la nature. Si, comme le dit Spurzheim, la faculté qui constitue le talent poétique cherche partout la perfection et l’idéal, je deman- derai de quelle perfection et de quel idéal il veut parler. Il existe des poètes parfaits sans rien de ce que l’on appelle idéal, et des poètes dont les ouvrages sont pleins de ce que l’on nomme idéal sans être parfaits. D ailleurs le mot idéal est souvent employé pour désigner ce qui existe seulement dans l’idée ou l’entendement, ce qui est chimérique enfin. J’avoue que je suis loin de souscrire à cette manière de voir. Je conçois très bien comment ce que l’on appelle idéal peut entrer dans les compositions du poète, mais je nie formellement qu’il en soit rigoureusement le caractère fondamental. Pour ces raisons je préfère employer l’expression talent poéti- que de Gall, ou celle que je propose, sentiment poétique, parce qu elle me parait entraîner avec elle l’idée des caractères prin- cipaux qui distinguent ce que l’on entend par poésie, c’est- à-dire une vivacité, une tournure d’expression qui n est pas toujours idéale, comme le ferait supposer Je mot proposé par Spurzheim. Le sentiment poétique donne à toutes les personnes qui pos- sèdent son organe dans un haut degré de développement un air de famille, mais on a souvent confondu avec les qualités poétiques celles qui résultent de faction d’autres facultés, et sans lesquelles le poète n’eut été que très ordinaire. Lorsque Gall et toutes les personnes qui se sont occupées de phré- nologie, citent avec raison le buste d’Homère comme présen- tant un grand développement de l’organe du sentiment poé- DE PHRÉNOLOGIE. tique , je suis le premier à reconnaître l’admirable coïncidence entre cette conformation du buste et le talent d’Homère; mais on aurait tort d’en conclure que ce soit cà cet organe seule- ment que cet homme extraordinaire devait sa supériorité; il n’a fait qu’imprimer son cachet à des facultés intellectuelles et affectives très énergiques. Homère n’est pas seulement poètey il est historien, géo- graphe, guerrier, législateur. JN est-ce pas la réunion de qualités réflectives supérieures, et cette délicatesse de pensées, fruit du goût et d’une haute civilisation , qui nous fait trouver tant de charmes dans la lecture de Virgile ? Sans doute qu’il est bien inférieur à Homère dans beaucoup de points, mais il faut convenir qu’il le surpasse dans beaucoup d’autres, notam- ment pour le sens du beau qui me parait une faculté parti- culière dont je crois avoir découvert l’organe chez l’homme. Si l’on examine l’organisation des poètes les plus célèbres de l’antiquité et des temps modernes, on verra que tous réunissent à l’organe du sentiment poétique un grand déve- loppement des facultés réflectives. Les grands peintres, les grands musiciens, les grands sta- tuaires n’ont été que de grands poètes, exprimant leur pensée sur la toile, par des sons harmonieux, ou la faisant respirer sous la forme du Laocoon ou de l’Apollon du Belvédère. Il n’est pas rare de rencontrer des personnes pour qui tout ce qui est poésie présente peu de charmes; il en est meme d’assez malheureusement organisées pour être entièrement insensibles aux plus riches compositions poétiques. Tel était sans doute le fameux Pascal, si remarquable, d’ailleurs, comme arithmé- ticien , grammairien, et par la profondeur de l’esprit. « Comme on dit beauté poétique , dit l’auteur des Provin- 444 TRAITE ciales, on devrait dire beauté géométrique et beauté médi- cinale; cependant on ne le dit point; et la raison en est qu’on sait bien quel est l’objet de la médecine; mais on ne sait pas en quoi consiste l’agrément qui est l’objet de la poésie. On ne sait ce que c’est que ce naturel qu’il faut imiter, et faute de cette connaissance on a inventé de certains termes bizarres, siècle d’or, merveilles de nos jours, fatal laurier, bel astre, et on appelle ce jargon beautés poétiques. » Chez toutes les personnes dont les productions ont été em- preintes du sentiment poétique, on trouve sans exception que la région marquée 41 > pl. XCI, fig. 2, est très apparente. Je n’ai pas encore trouvé jusqu’à ce jour une seule observa- tion qui fût en opposition avec les remarques de Gall sur le siège de cet organe. § ni. Sens du beau dans les arts. J’ai été conduit à la découverte de cette faculté en étudiant avec soin la différence qui existe entre certaines personnes, lorsqu’elles ont à se prononcer sur des productions d’art ou de science. Je crois aussi avoir découvert le siège de son organe par l’examen des têtes des personnes qui se font re- marquer par celte faculté, et après avoir pris comme contre- épreuve celles qui offraient une disposition contraire. Le sens du beau ou le goût, facultés qui me paraissent iden- DE PHRÉNOLOGIE. tiques, est-il, comme l’ont prétendu plusieurs savants, une chose arbitraire, ou comme d’autres le soutiennent, la suite du progrès des arts et des sciences P ou, comme je suis dis- posé à le croire, un sentiment naturel à l’homme, inhérent à son organisation, que les circonstances extérieures peuvent assurément développer, mais qu elles ne donnent pas ? D’a- bord si le goût était une chose arbitraire, il est de toute évidence qu’il existerait autant de goûts que d’individus; car ce qui plairait à l’un déplairait à l’autre. D’un autre côté si le goût ou le sentiment du beau dans les arts et les sciences tenaient à l’extrême civilisation , toutes les nations éminemment civili- sées posséderaient ce sentiment : cependant nous voyons qu’il existe sous ce rapport des différences étonnantes entre elles. D’un autre côté je ne pense pas que l’on doive attribuer le sentiment du beau ou du goût au talent poétique : de très grands poètes, des peintres et des sculpteurs célèbres manquent quel- quefois de goût dans leurs compositions. Quelques exemples feront encore mieux ressortir la vérité de mon assertion. Les productions des littérateurs et des poètes, comme celle des artistes, peuvent présenter ensemble ou isolément trois carac- tères bien tranchés, dont la réunion constitue une production parfaite : i° la partie purement matérielle; 2° la disposition ou l’arrangement du sujet; 3° enfin l’invention. Le premier résulte de l’action de quelques facultés percep- tives et du talent de construction. L’arrangement ou la dispo- sition me parait sur-tout appartenir au sentiment du beau et du goût; enfin l’invention résulte d'un ensemble de facultés réflectives puissantes souvent réunies au talent poétique. Un grand nombre de peintres possèdent les facultés du premier et du second ordre, je veux dire que leurs productions sont 446 TRAITE bien faites, de bon goût, mais n’ont rien de celles du troi- sième , celles qui caractérisent l'homme de génie. Le tableau de Didon de Guérin, Phèdre et Hippolyte du meme auteur, me paraissent appartenir à cette classe. Ces compositions sont agréables, séduisantes, d’un goût exquis, mais ne présentent pas ce cachet d’invention qui distingue les peintres du premier ordre; les tableaux de David, celui du naufrage de la Méduse de Jéricault, me paraissent encore appartenir à cette catégorie. Parmi les productions poétiques chez les anciens, celles de Vir- gile me paraissent supérieures à celles d’Homère sous le rapport du goût, bien qu’inférieures quant au génie et à la force des pensées. Racine si pure, si correct et si beau, le cède sans contredit à Corneille pour l’énergie et la hauteur d’expression. Shakspeare, dont personne ne contestera le génie poétique, pèche souvent contre le goût dans ses meilleures compo- sitions. Quelle différence ne trouve-t-on pas encore , sous le rapport du sentiment du beau, entre Michel-Ange et Ra- phaël ? Chez le premier c’est une hardiesse et une étendue de conception qui nous étonnent; mais qui manquent souvent de cette correction de dessin, et de cette expression qui séduit le spectateur. Les compositions de Raphaël brillent autant par l’invention que par le sentiment d’un goût exquis ou du beau. Les Athéniens chez les anciens, et les Français chez les modernes, me paraissent doués du . sens du beau dans un haut degré; il me parait, au contraire, bien moins prononcé chez les Allemands et les Anglais. Le siège de l’organe du beau dans les arts me parait être à la partie supérieure latérale externe de l’os frontal, n° fig. 2, pl. XCI. Gall et Spurzheim me paraissent avoir con- fondu cet organe avec celui de construction. Je vais rapporter DE PHRÉNOLOGIE. les expressions que Spurzheim emprunte à Gall, afin de prou- ver l’exactitude de ce que je viens d’avancer. « L’appareil extérieur et la situation de cet organe (il s’agit du sens de construction), varient d’après le développement; il est moins visible, si les lobes moyens sont trop volumineux, si le front entier est large, ou si les organes du langage et de l’ordre sont considérables, ou si le processus zygomatique est très saillant. Lorsque la base du crâne est étroite, il est situé plus haut. » Tout ce langage me paraît vague et inexact. D’abord je ne vois pas comment le volume considérable des lobes moyens rendrait moins visible le développement de l’organe de construction. Je ne conçois pas non plus pourquoi cet organe paraîtrait moins, parce que le front serait large. Sur le buste de Michel-Ange, et sur le crâne représenté pl. CVIII, fxg. *2, que l’on croyait appartenir à Raphaël, Je front est très large et l’organe de la construction n’est pas pour cela moins apparent. Je ne comprends pas non plus comment le processus zygomatique pourra empêcher de ren- dre apparent l’organe dont je viens de parler, puisqu’d se trouve au-dessus de ce processus. Enfin je ne conçois pas da- vantage comment l’organe de la construction paraîtrait moins, parce que la base du crâne serait étroite. Gall et Spurzheim auront certainement confondu deux organes bien distincts , en disant que tantôt l’organe est situé un peu plus haut et tantôt un peu plus bas (i). Il est évidemment démon- (i) Je ne puis concevoir le déplacement des organes chez les individus de la même espèce, que lorsqu’il existe un état anormal. Mais dans l’état ordinaire, les organes cérébraux occupent constamment la même place : seulement ils peuvent présenter de légères différences de volume et de forme. 448 traité tré pour moi qu’il existe deux parties cérébrales situées sur les parties latérales externes de l’os frontal, l’une inférieure, l’organe de construction, n° 27, pl. XCI, fig. 2, et l’autre supérieure, id. pl., id. fig., n° 4‘2? dont je crois avoir décou- vert la faculté, je veux dire celle qui donne à l’homme le sens du beau dans les arts. CHAPITRE XII. COMBINAISON DES FACULTÉS FONDAMENTALES. Par combinaison des facultés on entend en phrénologie, le rapport de développement existant entre les organes, et con- séquemment entre les facultés du système nerveux cérébral. Bien que Gall ait fixé son attention sur ce point si impor- tant de la physiologie du cerveau, il s’en faut de beaucoup que ses remarques soient complètes et toujours exactes. Je dirai plus, il était impossible qu elles le fussent à l’époque ou il écrivait; car elles demandaient un nombre de faits plus considérables que celui que cet homme célèbre avait alors à sa disposition. Gall, comme on le sait, parvint à la découverte des organes des facultés mentales, en étudiant la conformation des crânes des hommes qui présentaient quelque faculté remarquable; mais il ne tînt pas assez compte des facultés co-existantes et DE PHRÉNOLOGIE. 449 de leurs organes. Plusieurs facultés nouvelles constatées par l’expérience, non admises ou rejetées par Gall, et qu’il omit dans l’analyse du caractère des personnes qui furent l’objet de ses re- marques, ont du nécessairement laisser celles-ci très imparfaites. Les travaux de Spurzbeim, et sur-tout ceux de l’école Ecos- saise, ont mis sur la voie de résultats plus étendus et plus positifs. C’est particulièrement sur ce point que la société phrénologique d’Edimbourg, me parait avoir de justes titres à la reconnaissance des personnes qui s’intéressent aux pro- grès de la science. Je me permettrai cependant de dire aux membres estimables qui la composent, qu’ils me paraissent dans beaucoup de cas avoir jugé avec un peu de précipitation. Assurément rien ne flatte plus l’homme que de pouvoir juger a priori, et, d’après des documents, les actes qui ont dû accom- pagner telle ou telle organisation cérébrale. Mais sauf un grand nombre de cas assez bien connus pour que les phréno- logistes puissent se prononcer hardiment; combien ne s’en ren- contre-t-il pas qui peuvent induire en erreur, parce que la science n’est pas encore assez riche en faits bien observés, et capables de servir de base aux savants qui ont entrepris, sur ces données, de décrire le caractère de plusieurs per- sonnages distingués. Et je n’entends pas par faits bien obser- vés, une collection quelque nombreuse quelle soit de la partie matérielle de la science; car une collection ne peut avoir aucune valeur ÿ si elle n’est accompagnée de renseignements exacts, recueillis avec bonne foi et discernement. Plus je me suis livré à l’étude des principaux actes phrénologiques de l’homme, et plus je suis resté convaincu qu’il existait fort peu d’observations vraiment complètes, sur les actes des personnes observées par les phrénologistes. TRAITÉ Le demi savoir et la vanité, si prompts à faire parler deux, donnent souvent pour des observations exactes quelques faits recueillis à la hâte, mal digérés, et dans lesquels l’on trouve beaucoup de détails, hormis les plus essentiels, c’est- à-dire les actes principaux des individus qu’ils prétendent avoir étudiés. Les Sociétés phrénologiques ne sauraient donc être trop en garde contre les observations ; car elles ne peuvent avoir, je le repète, de valeur réelle, si elles ne sont laites par des personnes capables et d’une probité reconnue. Depuis que j’ai pris à tâche de m’occuper de phrénologie humaine, j’ai reçu un assez grand nombre de crânes et de plâtres, accompagnés de détails et de remarques, mais il s’en faut de beaucoup que les documents soient complets. Dans plusieurs on a plus visé à la forme qu’au fond : il en résulte qu’au lieu de faits je n’ai reçu que des phrases. D’autres, au contraire, se composent de faits minutieux, entièrement inutiles ou étrangers aux faits principaux. Enfin presque tous pèchent par le manque de science. Une multi- tude de faits précieux, dignes d’être relatés, se trouvent omis par cela même qu’on ne s’est occupé de phrénologie que très superficiellement. Je suivrai, pour l’histoire de la combinaison des facultés, le plan que j’ai adopté pour leur classification : cette marche me paraît être tout à la fois rationnelle et philosophique, puisqu’elle se trouve en harmonie avec l’ordre de complica- tion et de développement du système qui est le siège des organes de ces facultés. Chez les animaux des classes inférieures, à partir des poissons et des reptiles, le nombre de facultés du système cérébral est peu considérable : leurs actes ont généralement peu de durée : DE PHRÉNOLOGIE. tous, sans exception, ont une moelle épinière; et les appa- reils des sens présentent à l'extérieur une multitude de nuances de formes et de textures propres à en faciliter faction. Les facul- tés cérébrales les plus saillantes se composent de la conserva- tion , du choix des aliments , de la reproduction. Si quelques facultés perceptives se laissent voir, elles n’existent, sauf quel- ques espèces, que dans un degré peu étendu. Quelle différence, sous ce rapport, entre les animaux dont je viens de parler et les oiseaux? Et comment ne pas rester en admiration, lorsqu’on voit avec des actes plus énergiques et plus compliqués chez les oiseaux, le système cérébral prendre une ampleur plus remarquable? Ne demeurerons nous pas encore plus surpris en voyant les combinaisons et l’énergie des facultés coïncider parfaitement avec les besoins des espèces? Com- ment, d’un autre coté, se refuser à croire à l’existence de la phrénologie, lorsqu’elle vient nous prouver par l’inspection de plusieurs milliers de crânes, que si les oiseaux, quels que soient d’ailleurs leurs classes, leurs ordres, leurs genres, leurs espèces, même leurs différences de mœurs, ont cependant une même faculté qui leur soit commune, la faculté de s’orienter ou de reconnaître les lieux par exemple, tous leurs crânes auront dans un point la même ressemblance; et comme ce que je viens de dire s’applique à toutes les facultés découvertes par la voie expérimentale, nier l’existence de ces faits, c’est nier que l’œil soit l’appareil extérieur du sens de la vision, l’oreille celui de l’ouïe, le nez celui de l’odorat, etc., etc. Chez les quadrupèdes et les quadrumanes, ou les actes céré- braux toujours considérés d’une manière générale sont plus nombreux et présentent sur-tout une action plus soutenue que chez les oiseaux, nous voyons le système cérébral pren- 452 TRAITÉ dre plus de développement : certains organes qui notaient qua l’état rudimentaire dans les deux premières classes, sont ici très saillants, et les actes qui en dépendent, en se mani- festant avec plus d’énergie, viennent confirmer cette grande loi générale de la nature, le rapport d’étendue et de force des actes du système nerveux avec son volume ou son déve- loppement. Entrons maintenant dans quelques détails sur les rapports de développement de certaines parties du système nerveux cérébral, à partir des oiseaux jusqu’à l’homme. On peut avoir pleine et entière confiance dans mes observations; car elles sont le résultat d’un examen scrupuleux et consciencieux de plusieurs milliers de crânes d’animaux, et de la dissection de leurs cerveaux, précédées d’une étude de leurs mœurs et de leurs habitudes les plus saillantes. Les personnes à meme de consulter les cabinets d’anatomie comparée, pourront consta- ter la véracité de mes remarques, sinon pour les animaux que j’ai fait élever, du moins pour les animaux sauvages qui se font remarquer par quelques traits bien tranchés. Quant à l’espèce humaine, je n’ai (sauf les principales divisions données par Gall auxquelles j’ai cru devoir en ajouter deux autres) pris pour base de mes observations que des faits bien constatés. J’aurais certainement pu en présenter un plus grand nombre, mais j’ai cru sage d’attendre que de nouvelles remarques vinssent leur donner plus de poids. Tous les oiseaux sans exception possèdent les cinq sens : il existe seulement, comme chez les poissons et les reptiles, des variétés innombrables dans l’appareil acoustique externe et interne. Tous, sans exception , ont un cervelet ou organe DE PHRÉNOLOGIE. 453 de la reproduction , et peut être de volition tout à la lois. L’organe de la conservation existe chez tous les oiseaux : il est sur-tout très prononcé chez ceux qui ont une grande ten- dance à fuir au moindre danger qui parait menacer leur existence. Tous les oiseaux sont pourvus de l’orgaue qui pré- side aux choix des aliments; il est sur-tout très prononcé chez ceux qui se font remarquer par leur voracité. Est-il indispensable pour la subsistance d’un oiseau qu’il soit poussé instinctivement vers tel ou tel lieu P Nous trou- vons alors, sans aucune exception, l’organe du choix des lieux très prononcé. C’est ce que nous offrent tous les oiseaux palmipèdes ou de rivage : les macreuses, Jesharles, les grèbes, les poules d’eau, les canards, les hérons, les plongeons, etc. Pareille organisation se retrouvera encore chez ceux qui sont obligés de s’élever a une certaine hauteur, afin de mieux découvrir et saisir leur proie. Les aigles, les buses, les cres- serelles, les faucons nous présentent ce mode d’organisa- tion très apparent. L’oiseau est-il obligé pour vivre d’avoir recours à la ruse, la circonspection, le courage? Nous voyons toujours cette triple combinaison dans un haut degré. Ces caractères nous sont offert par la majorité des crânes des oiseaux de proie représentés dans notre Atlas. Ainsi, non-seu- lement il existe chez eux une faculté commune, le penchant à la destruction, mais cette faculté se trouve accompagnée de plusieurs autres, la ruse, la circonspection et le courage qui lui servent de puissants auxiliaires. Aucun oiseau ne pouvant subsister si ses parents ne pre- naient pendant assez long-temps le soin de le nourrir et de veiller à sa conservation, chez aucune espèce nous ne voyons jamais manquer l’organe de l'attachement pour le produit de 454 TRAITÉ la conception (i). Il est meme d’autant plus développé que l’oi- seau prend un plus grand soin des petits, et que cette faculté sera plus long-temps mise en jeu. Le mode extérieur de con- formation qui annonce ce caractère, est même si prononcé qu’il est saisi par l’œil le moins observateur. Les facultés dont je viens de parler, si nécessaires à l’exis- tence et la conservation des espèces chez les oiseaux, sont loin de composer à elles seules leur vie cérébrale. On trouve sou- vent chez eux plusieurs facultés intellectuelles assez dévelop- pées, notamment celles qui appartiennent à la première classe de notre tableau. Tous les oiseaux ont le sens de la résis- tance, de la distance, des lieux, du temps, du langage. D’autres joignent à ces facultés celles de la musique, de la construction dans un degré remarquable. Les deux premières facultés, la résistance et la distance, se trouvent assez prononcées chez tous les oiseaux de proie ; ils doivent en effet avoir une juste idée de l’espace qui les sépare de l’animal qu’ils veulent saisir, et du degré de force néces- saire pour arriver sûrement à leur but. Ces facultés se trou- vent chez certaines espèces puissamment secondées par celle (i) On ne manquera pas doute de citer comme exception à cette regie générale le coucou et l'autruche. Cependant la conduite de ces animaux , loin d'être en opposition avec les faits physiologiques, les confirment, et en même temps elle milite en faveur de l'expression que j ai proposée, attachement pour le produit de la conception. ]N’est-ce pas en effet cet attachement qui porte le coucou à déposer ses œufs dans le nid des autres oiseaux, et l’autruche à les recouvrir de sable? En admettant ce dernier fait comme réel j car je me rappelle avoir lu dans un ouvrage d’histoire naturelle, lorsque j’étais à Londres, que l’autruche femelle couvait ses œufs avec la plus grande assiduité ; que pareille chose se remarquait en Lybie , ou cette animai était élevé comme objet de commerce. DE PHRÉNOLOGIE. 455 qui porte les animaux à fixer leur attention sur un objet. Enfin il peut exister chez certains oiseaux, dans les organes qui composent le lobe antérieur des hémisphères cérébraux, une combinaison et un développement des facultés assez grands pour leur donner un caractère d’intelligence excessivement remarquable. Tels sont les perroquets, les corbeaux, les geais, les pies. Comme je serais forcé de me répéter, si je voulais faire con- naître toutes les variétés de combinaison ou de développe- ment de facultés du système nerveux cérébral des oiseaux, je renvoie à l’histoire que j’ai faite des facultés en particulier. Après les avoir lues avec soin, et avoir apprécié le siège de leurs organes, mes lecteurs pourront se faire eux-mêmes une idée de leurs combinaisons, en jetant les yeux sur les crânes et les cervaux si nombreux de ces animaux, représentés dans mon Atlas : ici elles ne peuvent être présentées que d’une manière générale. Outre la plus grande combinaison et le plus grand déve- loppement des organes du système nerveux cérébral chez les quadrumanes et les quadrupèdes, nous trouvons chez eux plusieurs facultés propres à l’espèce humaine, et dans un degré d’énergie assez prononcé pour laisser bien loin en arrière la famille des oiseaux. Je veux sur-tout parler ici des organes appartenant au lobe antérieur du cerveau : il peut être développé au point de donner à certaines espèces, tels que les éléphants, certains singes, notamment l’orang-outang, quelques espèces de chiens, les chevaux, les mulets, les ânes, une vie intellectuelle évidemment supérieure non-seulement à celle des oiseaux, mais encore à celle des autres quadru- pèdes. 456 TRAITÉ Chez tous les petits rongeurs on trouve beaucoup de rapports, quant au développement et à la combinaison des facultés avec les oiseaux. Là, comme ici, ils sont modifiés selon les besoins des espèces, mais constamment avec prédo- minance des facultés de la première section de notre tableau, c’est-à-dire de conservation individuelle et de reproduction. Se conserver, choisir ses aliments, se reproduire, avoir soin des petits, se choisir ou se construire une habitation, telles sont leurs facultés les plus saillantes. Dans les quadrupèdes à encéphale plus développé, ces mêmes facultés ont bien plus d’énergie; elles sont aussi plus long-temps en action, et si les actes, comme je l’ai dit précédemment, ont un caractère intel- lectuel plus prononcé, une différence frappante d’organisa- tion se laisse apercevoir. Parmi les centaines d’exemples que je pourrais citer, je n’en prendrai vqu’un, laissant à mes lec- teurs le soin de faire des applications sur les nombreux dessins de mon Atlas. Le renard, comme tout le monde le sait, est un animal qui ne peut vivre qu’à l'aide de la ruse, d’une extrême circonspec- tion, réunies au courage et au penchant à détruire , son prin- cipal caractère. Ces facultés essentielles lui deviendraient cependant inutiles pour sa conservation, si elles n’étaient assis- tées de la connaissance des lieux où il peut rencontrer le gibier, et de ceux qui lui servent de retraite contre l’ennemi. Sans une juste idée de la distance, sa proie lui échapperait dans la majorité des cas : eh bien! que trouvons nous dans l’organisation cérébrale de cet animal, pi. XXXV, fig. i. Si ce n’est un développement de toutes les facultés indiquées par les n°s 4? i3, 5, 3, 20 et 17, pl. XCIII, fig. 1 et 2, c’est-à-dire de la ruse , de la circonspection , du courage, du penchant à DE PHRÉNOLOGIE. détruire, des lieux et de ia distance ? Sans parler du senti- ment de propriété qui lui suggère l’idée d’amasser des pro- visions, qu’il sait retrouver dans les temps rigoureux, et de la faculté de conservation très développée chez cet animal. Dans le chien nous retrouvons les mêmes organes, et con- séquemment les mêmes facultés fondamentales que chez le renard. Il existe cependant en plus des actes que nous ne voyons pas chez ce dernier. A quelle cause devons nous attri- buer une différence si grande? Sans contredit à l’organisation si différente de leur système cérébral. Que l’on choisisse de très bonne heure un certain nombre de jeunes renards, que l’on prenne toutes les précautions pour les instruire et les dresser, jamais on ne pourra y parvenir. Que la même expé- rience se fasse sur de jeunes chiens, et l’on obtiendra sans beaucoup de peine des résultats surprenants. Voilà donc deux animaux soumis aux mêmes circonstances extérieures : chez l’un elles n’ont donné lieu à aucun résultat; chez l’autre, au contraire, elles ont été couronnées de succès. Quelle con- séquence devons nous tirer de cette expérience ? Une, delà plus haute importance, immense, incalculable, c’est qu’il ne peut y avoir de véritable éducation, ou développement arti- ficiel des facultés cérébrales, que lorsqu’elle a lieu sur un animal possédant déjà, dans un assez haut degré, les organes qui doivent saisir le mode d’éducation ou les choses ensei- gnées. Le renard, par l’influence des circonstances extérieures, pourra développer les facultés de la ruse, de la circonspec- tion, des lieux, etc., parce que les organes de ces facultés sont très prononcés chez lui; mais il n’apprendra jamais à rapporter un bâton, à jouer au domino, et à faire ces choses 458 TRAITÉ qui nous étonnent chez les chiens, parce que la nature lui a refusé les organes dont le développement permet d’arriver à cette espèce d’éducation. Si maintenant nous jetons les yeux sur l’organisation cérébrale du chien et du renard, pi. VI, hg. i et 2, il nous est facile, d’après nos remarques anatomi- ques et physiologiques, de saisir à quoi tiennent les différences d actes intellectuels chez ces deux animaux. Dans les facultés qu’ils ont en commun, et dont les organes occupent les régions postérieures et latérales du crâne, on trouve chez Jes deux un grand développement de cette cavité. Quant à certaines facultés intellectuelles, qui ont leurs organes dans le lobe antérieur du cerveau, et que nous trouvons si pronon- cées chez le chien, et à peu près nulles chez le renard, nous sommes frappés de la différence que leur crâne présente dans cette région, fig. i et 2, id. pl. Ce n’est ni dans les ouvrages des philosophes, ni dans les phrases harmonieuses de Buffon, que l’on pourra se faire une juste idée des actes d’un chien intelligent. C’est en les étudiant, et les confrontant avec ceux des autres animaux ou ceux de son espèce. Combien de fois ne suis-je pas demeuré surpris, étonné même de la sagacité d’un chien ! Que de faits com- binés, comparés et raisonnés! Et voilà cependant ce que Buffon appella de l’instinct brut...! S’il me fallait traiter ici toutes les combinaisons des facultés chez les quadrupèdes, je composerais au moins un fort vo- lume. Les principes phrénologiques dont j’ai fait 1 exposition avant de traiter l’histoire des facultés et des organes qui en sont le siège, suffiront, je le peuse, pour mettre sur la voie ceux qui voudraient faire une étude exclusive de cette partie si piquante de la physiologie du cerveau. J’ai l'habitude dans DE PHRÉNOLOGIE. mes leçons d’y sacrifier plusieurs séances, en mettant sous les yeux de mes auditeurs les nombreuses pièces naturelles qui viennent à l’appui de mes observations, et auxquelles peuvent suppléer, jusqu’à un certain point, les dessins nom- breux et rigoureusement exacts de mon Atlas. Je vais passer maintenant à l'histoire de la combinaison des facultés chez l’homme. J’insisterai davantage sur ce point qui nous touche de plus près. Mes observations recueillies avec exactitude seront accom- pagnées de dessins fidèles, afin de graver dans la mémoire de mes lecteurs les principales variétés de formes du crâne humain. Sans cette connaissance il est impossible de faire de bonnes applications phrénologiques. J’ai déjà dit que Gall avait cru pouvoir établir, daprès ses nombreuses comparaisons de crânes humains, six classes d’in- dividus bien tranchées. Je reprocherai ici à M. Combe de 11e les avoir pas fait connaître, à l'occasion de la combinaison des facultés II le devait d’autant plus que c’est à Gall qu’il emprunte la base de ses principales divisions (ij. Je conviens que ces divisions étaient insuffisantes pour donner une idée juste et complète de la combinaison de toutes les facultés; mais elles sont un point trop capital dans l’histoire de la science, pour être passées sous silence. Gall a donc réduit à six classes les crânes de tous les in- dividus. Dans la première, il place les hommes dont les qua- lités supérieures, c’est-à-dire celles que nous avons désignées (i) Voir l’ouvrage de phrénologie de M. publié à Edimbourg, en 1829, 3e édit. 460 TRAITE sous le nom de sentiments et de facultés réflectives, sont très développées, tandis que les organes des qualités ou fa- cultés dites animales, n’ont qu’un très faible degré de déve- loppement et d’activité. Observation. Je ne pense pas que l’on ait rencontré jusqu'à ce jour une seule tête humaine, à plus forte raison un nombre suffisant pour former une classe d’hommes qui ait présenté un déve- loppement complet de tous les organes des facultés morales et intellectuelles. Il faudrait donc remplacer cette classe qui, selon moi, n’existe pas, par une autre qui serait formée d’hommes chez qui un certain nombre d’organes apparte- nant aux facultés morales et intellectuelles, auraient un dé- veloppement assez considérable pour qu’il y eut chez eux pré- dominance de ces facultés sur celles communément appelées penchant ou facultés animales. Ces hommes sont extrême- ment rares : je donnerai comme exemple de cette conforma- tion la tête d’Eustache Bélin représentée pl. CXIII. Dans la seconde classe, les organes des qualités et des facultés animales ont atteint un haut degré de développe- ment et d’activité, tandis que les organes des qualités et des facultés propres à l’homme seul, ne sont que peu développés et peu actifs. Cette seconde classe ne se rencontre malheu- sement que trop souvent : c’est à elle qu appartiennent tous les criminels dont la vie a été souillée de tout ce qu’il y a DE PHRÉNOLOGIE. de plus horrible et de plus atroce. La tête du parricide Martin représentée pl. XCVIII, peut servir de type pour les hommes de cette classe. Dans la troisième classe ,, les qualités et les facultés com- munes à tous les animaux, et celles qui sont propres à l’homme ont acquis un développement et une activité con- sidérables. Cette troisième classe de Gall existe sans contredit, mais elle est excessivement moins nombreuse qu’on ne le suppose communément. Je reviendrai sur ce point quand il sera question de résumer ce qui se rattache à la combinaison des facultés. Dans la quatrième classe on trouve quelques penchants ou talents développés à un degré extraordinaire, tandis que les autres ne le sont qu’à un degré médiocre, ou même au-dessous du médiocre. Cette classe, ainsi que j’ai pu l’observer, est extrêmement nombreuse, et présente autant de modifications vde développement ou de faiblesse qu’il existe de facultés fon- damentales. La cinquième classe comprend les personnes dont quel- ques organes sont très peu développés et restent apathiques, tandis que les autres sont plus favorablement développés. Cette classe, ainsi qu’on le voit, a beaucoup de ressemblance avec la quatrième. Enfin Gall place dans la sixième classe les hommes dont les organes communs aux animaux, et ceux propres à l’homme sont à peu près également médiocres. " A. ces six classes données par Gall, je dois en ajouter deux qui me paraissent présenter des caractères généraux bien tranchés : je suis même surpris quelles aient échappé à l’es- 462 TISÀiTÉ prit observateur de Gail. Pour bien saisir ce qui se rapporte à la première de ces classes, il faut se rappeler la division que j’ai donnée des facultés intellectuelles, les unes appelées perceptives, à laide desquelles l’homme apprécie les objets extérieurs, leur état, leurs qualités, leur nombre, etc., et les facultés réflectives qui réagissent, ainsi que le mot l’in- dique sur les perceptives. Eh bien, on rencontre très souvent, et particulièrement en France, dans la classe des soldats et des artisans, un grand nombre d’hommes avec un dévelop- pement assez grand des facultés perceptives, tandis que les facultés réflectives ne présentent qu’un degré médiocre de développement. Le contraste entre l’étendue des deux régions affectées à ces deux ordres de facultés est on ne peut plus frappant. L’autre classe, dont j’ai à parler, est celle des hommes qui se trouvent placés un peu au-dessus des idiots. Les individus qui la composent se font remarquer par une très faible action des facultés perceptives, et une nullité absolue des fa- cultés réflectives. Ce mode d’organisation peut se rencon- trer avec quelque talent, tel que celui de la construction , comme cela se voit chez plusieurs ouvriers employés dans les manufactures de montres à Génève. Ils peuvent encore jouer de quelques instruments, chanter avec assez de justesse. On rencontre quelquefois chez les hommes de cette classe, la ruse, l’opiniâtreté, et souvent la vanité, dans un degré de développement assez remarquable. Mais comme les facultés réflectives sont très peu développées, ces hommes restent constamment, que Ton me passe l'expression, dans l’état em- bryonique. Revenons maintenant sur les caractères particuliers que DE PHRÉNOLOGIE. 463 présentent les personnes dont l’organisation appartient à une des classes que nous venons de faire connaître. Dans la première classe, avons nous dit, les organes des facultés intellectuelles et morales ont acquis un développe- ment remarquable, tandis que ceux des facultés animales sont peu développés. La conséquence de cette organisation sera que les hommes qui la posséderont seront des êtres éminem- ment moraux et intelligents, quelque soit la condition oii ils se trouvent. Pythagore, Socrates, Phocion, appartenaient à cette classe. Si les facultés animales remportent de beaucoup sur les facultés intellectuelles et morales, et c’est ce que nous voyons chez les hommes de le seconde classe, il en résultera que ces individus seront constamment sous l'influence des pen- chants inférieurs. Cette classe d’hommes assez nombreuse de- vrait être l’objet d’une surveillance active de la part des gouvernements. Il ne serait pas impossible qu’en les soumet- tant de bonne heure à un genre de vie particulier, basé sur la connaissance de leur organisation , on ne parvînt à di- minuer l’action trop énergique de leurs mauvais penchants, et même à les rendre utiles à la société dont ils finissent presque toujours par devenir la terreur et la honte. Sous ce rapport seul, la phrénologie est appellée à rendre un service immense aux nations. J’ai dit que les individus appartenant à la troisième classe, c’est-à-dire ceux chez qui les facultés animales et celles qui caractérisent l’espèce humaine, avaient acquis un développe- ment et une activité considérables étaient très rares. C’est là ce qui explique, ce me semble, pourquoi il existe si peu d’hommes qui soient alternativement, excessivement traité 464 bons ou très vicieux. Quand Gall place dans cette classe Louis XI, Charles-Quint et Philippe II, il me paraît commet- tre une erreur. Il est évident que chez ces trois personnages, les facultés affectives et animales l’emportaient de beaucoup sur les facultés intellectuelles, et sur-tout sur les sentiments supérieurs. En mettant dans la même catégorie Socrates et Saint-Paul, (i) Gall me paraît errer encore plus. Je ne crois pas qu’il soit possible de comparer les actes de ces bienfaiteurs du genre humain, avec ceux des trois mons- tres que je viens de citer. Si Socrates, ainsi qu’il en conve- nait lui-même, avait un penchant naturel à la luxure, il faut convenir aussi que chez lui les facultés intellectuelles et les sentiments supérieurs l’emportaient de beaucoup, puisque sa vie entière ne fut qu’une suite continuelle d’actes de rai- son et de sentiments supérieurs. La quatrième classe, dans laquelle se rencontrent les per- sonnes remarquables par le développement considérable d’une faculté appartenant au premier et au deuxième genre de celles dites intellectuelles, mérite de fixer l’attention des institu- teurs et des pères de famille. C’est pour avoir méconnu l’organisation de ces individus, que l’on a donné au plus grand nombre une mauvaise édu- cation. La prédominance de quelques penchants ou de cer- tains talents , chez plusieurs hommes de cette classe, bien qu’avec un faible développement des autres facultés, rend compte de la fausse manière de voir des métaphysiciens, et encore mieux de certaines lésions de l'intelligence, les ino- U Lib. cil. , pag. et suiv. , i édit. in-8°. DE PHRENOLOGIE. 465 nomanies , sur l’histoire desquelles nous n’avons possédé jus- qu’à ce jour qu’un galimatias inintelligible. Ce furent, comme je l’ai dit, les hommes à talents ou à facultés partielles qui mirent Gall sur la voie de ses recherches. Je crois cependant qu’il ne faut réellement mettre dans cette classe que les hommes qui possèdent certaines facultés très prononcées, et qui peuvent sans le secours des autres constituer un vrai talent. Je vais développer ma pensée par des exemples. Ainsi je crois que des personnes peuvent avoir isolément et très développées les facultés du calcul, du sens de configuration, des dates, de l’esprit d’ordre, de la mé- moire des mots, des lieux, sans que les autres facultés soient très développées. Il n’en est pas de même du poète, du peintre, du musicien, du sculpteur, en prenant ces talents tels qu’ils doivent être; car il y a évidemment dans ce cas action de plusieurs facultés. Je placerai encore dans la quatrième classe tous les hommes ayant un sentiment ou penchant très prononcé, si les autres le sont très faiblement. Il est assez remarquable qu’après avoir admis une cinquième classe, composée d’hommes qui ne possèdent que des talents ou des facultés intellectuelles faibles, tandis que d’autres sont favorablement développées, Gall n’ait pas indiqué le caractère propre à ces individus. Cette classe, ainsi que je l’ai fait obser- ver, est excessivement nombreuse; on pourrait même dire qu’avec la précédente, la sixième et la septième, elle compose la masse des nations. Le cercle d’idées de ces individus est excessivement limité : il ne roule en général que sur les besoins de première nécessité ou leurs travaux journaliers. Si à ce mode d’organisation se joint, ce qui n’arrive malheureusement que trop souvent, une vanité excessive, ces personnes éprou- 466 TRAITÉ vent bien des déboires, bien des humiliations, que le défaut d’aisance et la misère viennent presque toujours couronner. Les grandes capitales de toutes les nations civilisées fourmil- lent d’individus de cette sorte sous le titre d’artistes et de savants de tout espèce. De sages conseils, une bonne éducation, et par là j’en- tends une culture d’esprit en rapport avec les facultés, pour- raient rendre heureux et utiles à leurs pays des gens dont le principal tort fut d’avoir une trop bonne opinion d’eux- mêmes. La sixième classe, ou celle qui possède des facultés per- ceptives assez développées avec des facultés réflectives très faibles, est aussi très nombreuse, et présente, sous beaucoup de rapports, plusieurs points de contact avec la classe précé- dente : ces hommes n’inventent rien dans les sciences ou dans les arts; ils ne font que copier ou imiter servilement ce voient faire. La septième classe, c’est-à-dire celle chez qui se rencontre un développement assez remarquable des facultés perceptives, avec un faible degré des facultés réflectives, est très com- mune, et peut être utilisée dans une multitude de professions qui demandent la connaissance des lieux, des faits, de l’ordre, du calcul, en un mot de toutes les facultés désignées sous le nom de perceptives. J’ai rencontré beaucoup de savants comme chimistes, botanistes, anatomistes, minéralogistes, appartenant évidemment à cette classe. Quelque soit le mérite spécial de ces personnes, très utiles et très estimables d’ail- leurs, elle ne sont ordinairement que les échos de la science. Leurs productions peuvent se faire remarquer par l’exactitude des détails; mais elles manquent de plan, et l’on n’y trouve DE PHRÉNOLOGIE. 467 point ces vues générales et profondes qui ne peuvent venir que de facultés réflectives puissantes. La huitième et'dernière classe, la moins favorisée quant au développement cérébral peut rendre de grands services à la société dans les emplois inférieurs, comme domestiques, cultivateurs, soldats. Les manufactures de tout espèce abon- dent en organisation semblables. Cette classe a généralement besoin d’être dirigée et surveillée avec soin. O Les personnes peu habituées à réfléchir sur les hommes et les choses, ne manqueront pas de faire observer que des indi- vidus appartenant aux classes inférieures de la société, sont cependant parvenus, à l’aide des circonstances et par la seule force de leur volonté, à jouer un role extraordinaire, et à se mettre à la tête des nations. Sans doute l’influence des circonstances est immense , mais elles se présentent souvent sans que les hommes en profitent : elles ne peuvent même avoir de l’influence qu’autant quelles se passent en présence d’une cervelle qui puisse les exploiter. Franklin , qui de la classe du peuple, s’éléva au rang des premiers hommes d’état, n’élait pas plus organisé pour être artisan que Mahomet pour vendre des chameaux, et Jean-Jacques Rousseau pour devenir graveur. Placez dans une société civilisée un homme doué de facultés réflectives ou de talents supérieurs, et soyez persuadé, quelque soit l’obscurité de la classe où il est né, que sa supériorité ne manquera pas de percer. Que l’on jette les regards sur l’organisation cérébrale des hommes qui ont joué un rôle remarquable sur la scène du monde, et l’on trouvera que chez tous, sans exception, se rencontre un développement remarquable des facultés intel- lectuelles. Généraux, jurisconsultes, poètes, peintres, archi- 468 TRAITÉ tectes, pas un seul ne fait exception; et sur aucun, les caractères d’une haute puissance intellectuelle ne se trouvent plus mar- qués que sur l’homme qui, de simple sous-lieutenant, parvînt à gouverner la France, et à la placer au premier rang des nations (i) Résumons ici, et assez rapidement, ce qui se rapporte à la combinaisons des facultés du système nerveux cérébral. Tous les animaux vertébrés possèdent un système nerveux destiné à leur donner la conscience de toutes leurs percep- tions. Ce système, bien que de même nature en apparence, présente des modifications de forme, de structure, de déve- loppement et de composition, suivant qu'il est étudié dans les diverses classes de vertébrés. C’est à ces variétés qu’il faut attribuer celles non moins nombreuses de facultés qui se remarquent dans tous les animaux. Plus on s’élève dans l’é- chelle des êtres organisés et plus l’on voit ce système augmenter en volume et en composition. Chaque espèce a un système cérébral composé des memes éléments ou des mêmes organes; mais plus on se rapproche des animaux à système cérébral composé, et plus ces éléments, bien que les mêmes en nom- bres, peuvent cependant présenter des différences remarqua- bles de volume, et conséquemment d’énergie des organes et des facultés. Dans les classes inférieures, les actes roulent à peu près dans (i) Probablement que les journalistes qui publièrent que la tête de Napoléon était très petite, n’avaient pas connaissance de son plâtre. On peut meme ajouter qu il n avaient pas la plus légère teinture de la science dont ils croyaient faire la critique. DE PHRÉNOLOGIE. Je même cercle détendue. Chez les oiseaux, et sur-tout chez les quadrupèdes, les différences deviennent plus tranchées. Enfin elles le deviennent encore plus dans l’espèce humaine, chef-d’œuvre du créateur et type du système nerveux céré- bral. Enumérer sous un point de vue scientifique ou pratique les nombreuses combinaisons des organes du système céré- bral de l’homme, serait à peu près impossible; mais on se fait d’avance une idée des variétés immenses qu’elles doivent présenter. On saisit encore mieux, en étudiant les nations, combien ces variétés étaient nécessaires, indispensables même à leur existence. Supposons pour un instant l’organe de l ame jeté dans le même moule, doué conséquemment de la même sensibilité, du meme degré d’énergie, la diversité des actes qui en émanent disparaîtra : tous présenteront le même carac- tère; il en résultera cette égalité physique et morale révée par quelques philosophes, espèce de chimère qui, si elle pouvait se réaliser, aurait pour résultat l’anéantissement des travaux intellectuels. Sans ces variétés d’organisation que de- viendraient ces productions qui nous étonnent? Ou trouver assez de mains pour construire ces monuments, ces flottes, ces armées, ces machines qui font la gloire, la prospérité et la force des nations ? Avec des variétés d’organisation, au contraire, tout change, se modifie, se perfectionne '. chacun des individus composant la société, apporte le tribut des fa- cultés qu’il a reçues en partage; et c’est de cette multitude de travaux individuels que résulte ce grand mouvement géné- ral des sociétés et des nations. Plus les personnes placées à la tête des affaires sauront utiliser les hommes les plus remar- quables par un grand développement des facultés réflectives, plus les nations seront fortes et puissantes. TRAITE CHAPITRE XIII. TÊTES NATIONALES.— RAPPORTS EXISTANT ENTRE LEUR CONFORMATION ET LES PRINCIPALES INSTITUTIONS CIVILES ET POLITIQUES DES PEUPLES. — RAPPORTS ENTRE LES HABITUDES DE PLUSIEURS PEUPLADES SAUVAGES ET LA CONFORMATION DE LEUR CRANE. Par tètes nationales, je n’entends pas celles de tous les individus occupant telle ou telle surface du globe, gouvernés par les mêmes lois, soumis à telle ou telle forme de gouver- nement. Il est seulement question ici d’une collection consi- dérable d’individus, doot les facultés intellectuelles et morales présentent des traits généraux assez tranchés pour former leur caractère distinctif. La nation Anglaise, ou la Grande- Bretagne, renferme sous la même forme de gouvernement trois classes d’hommes présentant des caractères particuliers, bien que possédant plusieurs caractères généraux. C’est ce que nous voyons en étudiant avec soin les facultés les plus sail- lantes de l’Irlandais, de l’Ecossais et de l’Anglais, proprement dits. L’effrayante population delà Russie est loin de présenter par- tout le même caractère moral et intellectuel. Quelles que soient les modifications que les événements politiques aient apportées dans le croisement de l’espèce humaine, il n’a pas été porté DE PHRÉNOLOGIE. assez loin pour changer les traits distinctifs des masses qui forment à proprement parler, les nations. Les diverses races sont pour les naturalistes, le philosophe et l’homme d’état une source d’études du plus haut intérêt. Malheureusement on s’est plus attaché jusqu’à ce jour à saisir quelques carac- tères extérieurs, qu’à étudier les facultés morales et intellec- tuelles. Outre l’avantage immense que la physiologie du cerveau pourrait retirer de cette étude, il en résulterait encore des conséquences pratiques d’une haute portée, et l’on pourrait se rendre compte d’une multitude d’actes attribués mal à propos au climat, aux aliments et aux institutions, considé- rées souvent comme cause, tandis quelles ne sont, au contraire, que la suite de l’organisation dominante. Il en est des nations comme des individus : ce n’est pas parce que vous donnerez à une collection d’hommes telles ou telles lois, telles ou telles institutions, que vous modifierez ou changerez leur carac- tères; vos lois, vos institutions, n’auront de l’influence qu’au- tant qu’il y aura de la part des peuples aptitudes à les recevoir. N’est-ce pas là ce qui explique pourquoi les progrès de la civilisation ont été si rapides chez la race blanche ou Cauca- sienne, tandis que les Américains du Nord sont encore ce qu’ils étaient il y a plusieurs siècles? A quel phrénologiste pourrait-on maintenant persuader qu’avec un appareil céré- bral, conformé comme celui du Caraïbe, pl. CXV, fig. i , ou celui du nouvel Hollandais, pl. CXIX, fig. 2, on obtiendrait des progrès rapides de civilisation , quelques bonnes que fus- sent les institutions, quelques soins que l’on apportât dans l’éducation? On ne pourrait arriver à obtenir un change- ment sous ce rapport, qu’après avoir croisé ces races avec des êtres plus heureusement organisés. TRA.1TE Les personnes qui ont attribué le développement ou la faiblesse de l’intelligence à l’influence du climat, n’ont pas assez réfléchi que sous la meme latitude, se rencontraient souvent des differences de facultés intellectuelles bien tran- chées. J’ai la profonde conviction que l’examen d’un grand nombre de crânes ayant appartenu à une collection d’indi- vidus formant une nation , servira plus sûrement pour arriver à la connaissance de son histoire que tous les documents four- nis par les naturalistes. Le Muséum phrénologique d’Edimbourg, le plus riche de l’Europe, contient déjà une nombreuse collection de crânes ayant appartenu à divers peuples, avec des documents assez détaillés sur les principaux caractères moraux et intellectuels des hommes auxquels ils appartenaient. Lorsque les faits qui s’y rapportent auront été augmentés, recueillis et mis en ordre par les premiers phrénologistes de cette ville, ils devien- dront pour les esprits positifs d’un bien autre importance que les phrases banales que nous possédons sur le même sujet. Quelques observations, se rattachant au sujet que je traite, ont été consignées dans le journal d’Edimbourg : je les ferai con- naître aussi longuement que le comporte la nature de mon ouvrage. Je les donne avec d’autant plus de confiance qu elles sont le fruit des recherches de personnes sages et distinguées comme phrénologistes. Une grande dispute, qui est encore loin d’être terminée, existe depuis long-temps entre les naturalistes : c’est de savoir si l’espèce humaine est une, ou s’il existe plusieurs espèces. Toute la question se borne, ce me semble, à savoir quelle idée il faut attacher à ce mot espèce. Si les variétés d’organisation qui se remarquent chez les divers peuples, sont DE PHRÉNOLOGIE. 473 portées au point de constituer une différence telle, dans cer- tains cas, que les caractères d’organisation soient complète- ment dissemblables , il y aura évidemment deux espèces distinctes. Si, au contraire, les différences ne reposent que sur des nuances de proportion des organes, il n’y aura qu’une espèce, et c’est, je pense, ce que l’on rencontre chez l’homme. Chez tous même charpente osseuse, mêmes muscles qui la met en jeu, mêmes appareils, mêmes viscères; seulement variétés de couleur de l’enveloppe cutanée et de ses dépendances, variétés de forme et de développement des parties molles. Ce sont ces différences présentées dans les caractères extérieurs des hommes, qui ont servi de base de classification aux natu- ralistes pour établir les prétendues races humaines qu’ils ont réduites à trois principales. Malheureusement cette distinction, outre l’inconvénient de ne présenter que quelques traits géné- raux des principales nations du globe, a le grand défaut de réunir dans une même série un grand nombre d’hommes dont les caractères moraux et intellectuels offrent de grandes différences : c’est ce que je vais faire ressortir un peu plus loin. Le célèbre professeur Blumenback, dans son ouvrage sur les crânes nationaux, ne s’est attaché qu’aux principaux carac- tères anatomiques, et non à ceux qui intéressent autant le philosophe que le naturaliste, je veux dire les rapports entre l’organisation cérébrale et les facultés morales et intellectuelles des peuples. Aussi son ouvrage ne me paraît-il avoir qu’un mérite secondaire. Qu’importe après tout de savoir que les os du nez sont un peu plus longs chez tel peuple que chez tel autre, que les os de la pomette sont plus larges, plus étroits ou plus saillants? etc., etc. Détails mesquins, puérils et sans résultats importants. 474 traite Il est vrai que le même auteur a indiqué plusieurs dispo sitions détendue ou d’étroitesse de quelques régions de L’en- veloppe crânienne; mais sans les accompagner de remarques physiologiques. C’est vraiment sous ce rapport que la phréno- logie est appelée à jouer un rôle extrêmement important : ses vues seront justes, car elles seront appuyées sur l’obser- vation : elles seront fertiles en grands résultats, parce quelles s’appliqueront aux individus et aux nations tout entières. Le temps n’est sans doute pas éloigné où les hommes chargés de diriger l’espèce humaine, seront forcés de reconnaître l’im- portance de cette science, et d’en faire la base de leur con- duite. Les naturalistes, ai-je dit, s’accordent à reconnaître trois races distinctes d’hommes : une Caucasique, qu’ils ont à tort nommée blanche et Européenne; je dis à tort, car tous les individus appartenant à cette race ne sont point blancs, et des millions d’individus qui en font aussi partie, n’appartiennent point à l’Europe proprement dite, puisque les uns habitent une grande partie de l’Asie, la Syrie, la Perse, l’Inde, les autres la Nubie et une partie de l’Afrique. Bien qu’il existe entre tous les individus de cette race beaucoup de traits ana- tomiques semblables, on commettrait une grande erreur en supposant que leurs facultés intellectuelles ou morales pré- sentent les mêmes caractères. Ce sont ces différences, appré- ciables chez une collection d’individus appartenant à cette race, qui forme ce que j’appelle le caractère national. Moins ces individus, par l’influence des événements ou des principes religieux, se sont mêlés avec d’autres hommes, et plus ce caractère se dessine nettement. Nous avons un exemple frap- pant de ce que j’avance ici dans la nation Juive. On sait que DE PHRENOLOGIE. la religion de ce peuple lui défend de s’allier à des personnes d’une religion différente. Il est résulté de cette prohibition, non-seulement que les Juifs répandus par toute l’Europe pré- sentent le meme caractère de traits et d’habitudes, mais que l’on peut encore distinguer à la seule inspection de la figure , les individus de la tribu de Judas, de ceux de la tribu de Benjamin. Une chose bien digne de remarque pour le naturaliste, et sur- tout pour le philosophe et le physiologiste, c’est cette masse de population constituant la race appelée Caucasique, notam- ment celle qui occupe l’Europe proprement dite, car elle est de toutes les races humaines, celle chez qui les arts et les sciences ont été portés au plus haut degré : et, comme nous allons le démontrer , c’est aussi chez elle que se rencontre un plus grand développement des organes cérébraux, ayant pour ré- sultat inévitable la culture des arts, des sciences morales et philosophiques. Nous verrons plus loin de combien les hommes les plus distingués appartenant à cette race, l’emportent en organisation cérébrale sur les hommes des autres races, et sur-tout combien ils diffèrent sous ce rapport de certaines peuplades sauvages. Comme on doit bien le pressentir, pour traiter avec fruit et sous un point de vue phrénologique, l’histoire des nations appartenant à la race Caucasique, il serait bon avant tout de posséder une collection nombreuse de crânes ayant appartenu aux individus qui les composent, et l’on peut dire que jus- qu’à ce jour rien de très étendu n’a été entrepris dans ce sens. Cependant on possède certains documents trop importants pour être passés sous silence. Voici ceux que j’ai pu recueillir, ou par mes propres observations, ou par la lecture des ou- vrages qui ont traité ce sujet sous le même point de vue. TRAITÉ Les Russes, et j’entends par là la population de cet empire appartenant à l’Europe, les Allemands, les Français et les Anglais, bien qu’appartenant à la branche appelée Celtique ou Teutonique, présentent entre eux des caractères généraux, et d’autres qui leur sont propres. Chacune de ces nations pré- sente meme dans plusieurs de ses parties quelques variétés de caractères assez prononcées : c’est ce l’on que remarque, par exemple, en France, entre les habitants du Nord de ce pays et ceux du Midi ; en Angleterre, entre l’Ecossais, l’Irlandais et l’Anglais. J’ai eu occasion d’examiner un assez grand nombre de tètes Russes, sur les régiments qui passèrent en Normandie en i8i5. J’ai remarqué que chez presque toutes le système cérébral pré- sentait un assez grand développement : le front sur-tout, siège des organes des facultés intellectuelles, loin d’etre étroit comme l’avance Trooke, était, au contraire, assez élevé, et bien plus large qu’il ne l’est ordinairement sur la masse des autres sol- dats Européens. Les têtes des soldats qui composaient les régiments de la garde impériale, se faisaient sur-tout remarquer par leur belle conformation. Malheureusement à l’époque où je fis ces obser- vations, je ne m’occupais pas encore de phrénologie , et ne donnai pas conséquemment assez d’attention à mes remarques. Quoiqu’il en soit, il n’est pas difficile de prévoir, avec une organisation semblable, de rapides progrès intellectuels chez la nation Russe, et par contre-coup son agrandissement pro- digieux comme puissance politique. Les personnes habituées à considérer, comme cause principale de la prospérité des nations, les grands hommes qui se sont trouvés à leur tête, ne manqueront pas sans doute d’attribuer à Ivan III en DE PHRÉNOLOGIE. 477 1462, et sur-tout à Pierre-le-Grand en 1689, l’augmentation de territoire de l’empire Russe, ses progrès industriels et scien- tifiques, sa force militaire qui lui donna une prépondérance comme nation, etc. Mais ce serait, selon moi, une grande erreur que de faire dépendre de pareils résultats d’un seul liomme secondé par une population nombreuse. Je ne nie pas l’influence que les grandes qualités de ces hommes extraor- dinaires durent avoir sur la nation Russe, mais il fallait qu’il y eut avant tout chez elle une organisation intellectuelle qui répondit à leurs vues. Se former une puissante armée chez un peuple neuf, battre les Suédois qui passaient alors pour les plus braves guerriers, construire comme par enchante- ment une flotte formidable, encourager le commerce, les arts et les sciences, fonder des écoles d’enseignement de tout espèce, sont sans contredit de beaux titres à la gloire de Pierre- le-Grand; mais que l’on ne perde pas de vue que l’heureuse organisation cérébrale des Russes n’a pas peu contribué à la rapidité de pareils succès. Supposons pour un instant un homme encore plus heu- reusement organisé que Pierre-le-Grand, à la tète d’une nation d’hommes comme les nouveaux Hollandais, et même les nou- veaux Zélandais bien supérieurs aux premiers. On peut bien affirmer qu’au lieu d’être parvenus à conquérir les Tartares, les Polonais, les Turcs, envahir une surface de plus 600,000 lieues, les Sarmates ou les Moscovites, comme on les appela plus tard auraient été tributaires des nations qui les entou- rent. Ce n’est pas seulement par leurs conquêtes que les Russes se sont signalés, mais encore par le développement presque incroyable des arts et des sciences. Pierre, dit-on, en habile politique, appela près de lui les savants, les artistes de tous 478 TRAITÉ les pays, et parvint ainsi, à mettre la Russie en état de riva- liser avec les principales puissances Européennes. Personne ne contestera à Pierre-le-Grand toute la gloire et la sagesse d’une pareille conduite, mais les succès obtenus prouvent, comme je l’ai dit, pour la masse de la nation une organisation très favorable. Les Allemands, qui se composent des peuples qui habitaient l’ancienne Germanie, présentent des caractères phrénologi- ques assez tranchés. J’ai été à même de voir un assez grand nombre de têtes appartenant aux hommes de cette nation, et voici les remarques qu’elles m’ont suggérées. Généralement la capacité absolue du crâne est considérable; les os m’ont souvent présenté plus d’épaisseur que chez les Français. La région des facultés intellectuelles supérieures ou réflectives est très développée ; il en est de même de celle de la cir- conspection, de celle des sentiments supérieurs, dont le grand développement contribue tant au bonheur des hommes, soit qu’ils vivent dans la vie privée ou comme corps de nation. La vénération et la bienveillance sont sur-tout très prononcées chez eux. Considérées d’une manière générale les facultés per- ceptives, le talent musical excepté, sont dans un moyen degré de développement. Les organes du talent poétique, du talent de construction, celui qui préside au choix des aliments , m’ont paru souvent très apparents sur les têtes Allemandes. La ruse, l’esprit de domination, suite d’un grand développe- ment de l’orgueil, sont aussi très prononcés. Une personne très versée dans la connaissance pratique de la phrénologie pourra, à la seule inspection dun grand nom- bre de crânes Allemands, dire que les individus auxquels ils appartenaient faisaient partie d’une nation remarquable par DE PHRENOLOGIE. 479 un haut développement des facultés qui caractérisent l’espèce humaine; éminemment réfléchis, excellents musiciens, supé- rieurs dans les arts manuels, pleins d’imagination, remarquable par leur bonté réunie à beaucoup de gravité et une grande force de caractère. Les Français, bien que composés du mélange de plusieurs peuples venus du Nord avec la masse de population qui couvre le sol actuel de la France, désignée par les Romains sous le nom de Gaule, présentent avec les Allemands proprement dits, des caractères phrénologiques assez tranchés. Voici quels sont ceux qui m’ont frappé davantage. En général le crâne des Français présente moins de volume que celui des Allemands. La région des facultés perceptives est généralement plus forte chez les Français, tandis que celle des facultés réflectives est plus développée chez les Allemands. Comparés, dans les détails, les crânes des deux nations différent sous beaucoup de rap- ports. A nombre égal de crânes Français et de crânes d’Alle- mands, on trouvera que la région du talent musical et celle du calcul sont plus prononcées sur le crâne des Allemands. Une autre région frappera encore plus, c’est celle de la cir- conspection, dont le grand développement sur le crâne des Allemands contraste singulièrement avec celui des Français qui ne la présente en général que dans un degré moyen de déve- loppement. Trois facultés perceptives, la perception de la substance, du coloris et de la configuration sont ordinaire- ment très prononcées chez les Français. Il en est de meme de la comparaison, de l’esprit de discrimination (vulgairement esprit de saillie) du penchant au merveilleux, de l’esprit poéti- que. Le talent de construction, d’imitation, et le sens du beau 480 TRAITÉ dans les arts sont aussi très prononcés chez eux, notamment les deux derniers. On trouve chez les Français des différences assez remarqua- bles de développement dans les organes des facultés du 4 e ordre, ou les sentiments : il en est un cependant qui prédomine géné- ralement sur les autres, c’est la vanité ou l’amour de l’ap- probation. La bienveillance est en général assez prononcée. Il n’en est pas de même de la vénération , de l’orgueil et de la persévérance. Deux provinces de France, la Normandie et la Bretagne, me paraissent faire exception pour les deux dernières facultés. Né en Normandie, et ayant eu conséquemment occa- sion d’examiner un grand nombre de têtes des habitants de cette province, j’ai pu me convaincre que l’orgueil et sur-tout la fermeté étaient très prononcés chez eux. Chez les Bretons la fermeté est souvent très prononcée; mais le crâne présente en général moins de hauteur que chez les Normands. On conçoit que sur une population de plus de 3o millions d’habitants, et un territoire présentant plus de 26,000 lieues carrées, des variétés remarquables d’organisation doivent néces- sairement se rencontrer. Il serait à désirer qu’elles fussent étu- diées dans les principales provinces qui composent la France : envisagées sous un point de vue philosophique et phrénolo- gique, elles ne pourraient manquer de présenter le plus vif intérêt aux personnes qui s’occupent de science, et des résul- tats incalculables pour ceux qui sont à la tête du gouverne- ment. Je 11e puis m’empêcher à cette occasion de faire connaître quelques remarques d’un de nos hommes detat les plus dis- tingués, M. le baron Charles Dupin, parce qu’elles se ratta- chent précisément au sujet que je traite. De toutes les provinces DE PHRÉNOLOGIE. qui composent la France, celles du Nord se font remarquer par leur supériorité industrielle et intellectuelle. Presque tous les objets manufacturés viennent du Nord. Le nombre des écoles primaires est plus considérable dans le Nord que dans le Midi. Sur i,933 élèyes admis à l’école Polytechnique pendant i3 années consécutives, i,233 ont été fournis par les dépar- tements du Nord , tandis que les départements du Midi n’en ont donnés que 700. Sur 65 membres de l’académie des sciences, 48 sont des départements du Nord, et 17 des départements du Midi. Enfin, sur 2,112 brevets d’invention délivrés depuis le ier juillet 1791, jusqu’au ier juillet 1825, 1,699 out été déli- vrés aux départements du Nord, et seulement f\iZ à ceux du Midi. Des différences si grandes, et basées sur des observations dont personne ne peut contester l’authenticité, méritent toute l’attention des phrénologistes. Revenons maintenant sur les rapports qui existent entre l’organisation dominante des Français, et les traits les plus saillants de leur caractère moral et intellectuel. On se rappelle sans doute que j’ai fait observer qu’il existait en général une diffé- rence remarquable de développement entre les facultés réflee- tives des Allemands et des Français, et à l’avantage des premiers. La différence de ce mode de conformation se laisse apercevoir par les résultats. 11 n’existe peut être pas au monde de pays où Instruction primaire soit plus répandue qu’en Allemagne; il n’y a peut être pas de contrée ou le goût de la lecture soit plus prononcé; et sous ce rapport les Allemands sont bien supérieurs aux Français, chez qui l’instruction n’a encore péné- tré que dans les grandes villes. L’Allemagne abonde en pen- seurs et en philosophes du premier ordre; mais il faut dire que les facultés réflectives si précieuses, d’ailleurs, donnent 482 TRAITÉ souvent à leurs écrits un caractère de longueur et d’obscu- rité qui ne se rencontre point chez nos écrivains, dont les pensées présentent souvent moins de profondeur que celles des Allemands, mais infiniment plus d’élégance, de clarté et de précision. Chez les deux peuples, la grande différence qui existe entre le développement de la fermeté et de la circonspection, expli- que celle qui se remarque dans leur esprit de conduite. Les Français, sous l’influence de facultés réflectives modérées, d’un développement peu considérable de la circonspection et de la fermeté, sont légers, expansifs, peu réservés, faciles à s’émou- voir. Les Allemands, au contraire, sont graves, tenaces, réflé- chis et circonspects. Le défaut de prévoyance se laisse souvent apercevoir dans les institutions des Français; le contraire a lieu chez les Allemands. Un homme remarquable par le rôle qu'il a joué, et ses nombreuses relations avec tout ce que la France possédait de supériorités intellectuelles, Napoléon, disait en parlant des Français : « La nation n’a dans son caractère et ses goûts que du provisoire et du gaspillage; tout pour le moment et le caprice, rien pour la durée, voilà notre devise et nos mœurs en France. Chacun passe sa vie à faire et à défaire; il ne reste jamais rien. N’est-il pas indécent que Paris n’ait pas seulement un théâtre Français, rien digne de sa des- tination? J’ai souvent combattu des fêtes que la ville de Paris voulait me donner. C’étaient des diners , des bals , des feux d’artifice de 4? de 6, de 800,000 fr., dont les préparatifs ob- struaient plusieurs jours le public, et qui coûtaient ensuite autant à défaire qu’ils avaient coûté à construire. Je prouvais qu’avec ces faux frais, ils auraient fait des monuments durables et magnifiques. » (Las-Cases, Mémoires de Sainte-Heléne. ) DE PHRÉNOLOGIE. 483 Dados, dans ses considérations sur les mœurs, a peint avee beaucoup de vérité le caractère des Français. Le grand défaut du Français, dit-il, est d’avoir toujours le caractère jeune; par-là il est souvent aimable et rarement sûr. Il n’a presque point d age mur, et passe de la jeunesse à la caducité. Nos talents, dans tous les genres, s'annoncent de bonne heure : on les néglige long-temps par dissipation, et à peine commence-t-on à vouloir en faire usage que leur temps est passé. L’extrême légèreté, résultant en partie du faible développe- ment de la circonspection chez les Français, a été signalée par Jean-Jacques Rousseau. Les Français, dit ce grand écrivain, ont une manière de s’intéresser à vous qui trompe plus que des paroles. Les gros compliments des Suisses n’en peuvent imposer qu’aux sots; tes manières des Français sont plus séduisantes, en cela même qu elles sont plus simples. On croirait qu’ils ne vous disent pas tout ce qu’ils voudraient faire, pour vous sur- prendre plus agréablement. Je dirai plus; ils ne sont point faux dans leurs démonstrations; ils sont naturellement officieux, hu- mains, bienveillants, et même , quoi qu’on en dise, plus vrais qu’aucune autre nation; mais ils sont légers et volages; ils ont en effet le sentiment qu’ils vous montrent; mais ce sen- timent s’en va comme il est venu. En vous parlant ils sont pleins de vous; ne vous voient-il plus? il vous oublient. Rien n’est permanent dans leur cœur; tout est chez eux l’œuvre du ütoment (Rousseau, Confessions). Le grand développement du sens du beau dans les arts, réuni à ceux de la configuration, de l’imitation , de l’idéalité, et le sens de construction généralement assez prononcé sur le crâne des Français, explique pourquoi ils sont le premier peuple de l’Eu- rope , pour le fini et le goût exquis de leurs objets manufactu- 484 TR/V1TÉ rés. Rien de comparable, en effet, aux produits de la main d’œuvre en France. C’est encore aux memes facultés quil faut attribuer la haute supériorité des Français comme peintres et statuaires. Deux facultés, dont les organes sont en général bien pro- noncés sur le crâne des Français, la vanité et le courage, coïncident parfaitement avec leur caractère. Le désir d’etre approuvé, de se mettre en évidence, est incontestablement l’apanage de notre nation. S’il se trouve réuni à des facultés réflectives énergiques, il peut donner lieu à de grands ré- sultats, parce qu’il devient un puissant aiguillon des autres fa- cultés. Dans le cas contraire, il ne produit que des abus. L’homme qui n’a que la vanité en partage, cherche par tous les moyens possibles à se donner toutes les apparences du mérite et du savoir. C’est là ce qui rend compte de cet amour dé- mesuré des Français pour les titres, les cordons et tous ces co- lifichets qui n’en imposent qu’aux sots ou aux gens superficiels. C’est encore aux mêmes sentiments qu’il faut attribuer toutes ces menées, ces brigues et ces misérables intrigues qui régnent en France dans le sein de toutes les sociétés savantes. le désir effréné de faire parler de soi, qui crée les coteries, et frappe de mort tout espèce d’émulation. 11 serait difficile de calculer combien le sentiment de la vanité, a produit de fautes en France, de combien de malheurs il a inondé cette belle nation, qui ferait bien, pour me servir de l’expression de Napoléon, d’échanger sa vanité contre de l’orgueil. Le courage, autre faculté distinctive du Français, est trop bien connu pour que j’y insiste. Toutes les preuves de bravoure qu’une nation peut donner, les Français les ont outre passées. J’ai dit que le sentiment de vénération, c’est-à-dire la DE PHRÉNOLOGIE. faculté qui nous porte à vénérer, respecter les hommes et les choses, était peu développé chez les Français. C est à ce peu de développement qu’il faut attribuer le défaut de reli- gion à peu près général en France. C’est encore à la même cause qu'il faut rapporter la dégradation, le défaut d’entretien d’une foule de monuments, pour lesquels d'autres nations au- raient une espèce de culte. Il existe en France, et sur-tout à Paris, une multitude d’édifices extrêmement curieux, connus et vénérés de l’étranger, que les habitants de cette capitale ne connaissent pas. On peut dire d’une manière générale que tout ce qui présente un caractère d’antiquité déplait aux Français. Le faible degré du sentiment de vénération, réuni au grand développement de l’esprit de discrimination ou de combinaison, produit chez les Français cet esprit de sarcasmes et de railleries qui attaque tout sans distinction de rang, de mérite ou de for- tune. C’est ordinairement sous la forme de caricatures que cet esprit se manifeste, ce que l’on conçoit facilement si l’on a égard au grand développement du sens de construction, et de la con- figuration chez les Français. On se rappelle, sans doute} que j’ai dit avoir observé une grande différence entre le crâne des Allemands et celui des Fran- çais , dans le développement de l’organe qui préside au choix des aliments : elle rend compte de celle qui existe entre ces deux nations, sous le rapport de la sobriété. Après l’espagnol, je ne connais pas de peuple, en Europe, plus sobre que le Français, tandis que l’Allemand est essentiellement mangeur. Chez un assez grand nombre de soldats Allemands, Espagnols et Français, qui étaient dans le même hôpital (à Caen), j’ai pu observer la diffé- rence remarquable qui existait entre quant à la faculté en question. Une soupe légère, quelques fruits ou peu de viande 486 TRAITÉ suffisaient aux Espagnols; le repas des Français se composait des trois quarts de la portion; tandis que les Allemands engloutis- saient la portion toute entière, mais se plaignaient toujours de ce qu’on ne leur donnait ni assez de viande, ni assez de pommes de terre. Chaque fois qu’il m’arrivait de passer dans les salles où se trouvaient les Allemands, j’étais sûr d’être assailli par les mots flesh, flesh meinher (i). Deux facultés très développées chez les Français, le penchant au merveilleux et la faculté d’imitation, contribuent à les distin- guer des autres nations : elles expliquent pourquoi tout ce qui est nouveau les frappe, et leur empressement a le reproduire, à l’aide des sens de l’imitation et de la configuration très pro- noncés chez eux. Qui pourrait calculer les variétés de formes dans les vêtements des Français, depuis seulement un siècle? Il est digne de remarque que ces changements se rattachent souvent à des événements ou à des personnages extraordinaires. De l’extrême développement de l imitation chez les Français, résulte une plus grande démonstration dans le geste : chaque classe a le sien qui lui est propre, et chacun le répète comme on apprend une formule de politesse. Sous l’influence de l’imi- tation, de l’approbation et du sens du beau, les Français sont un peu maniérés; mais avec goût, facilité, et sans gaucherie. Bien que les Anglais cherchent à jeter du ridicule sur notre nation sous ce rapport, j’ai pu me convaincre qu’ils tâchent de nous imiter, bien que d’une manière assez maladroite. Si, comme je Fai déjà dit, les facultés réflectives sont, en général, (i) Sur cinq ci'ânes de prisonniers Espagnols morts en France, la région de Forgane qui préside au choix des aliments était peu développée. DE PHRÉNOLOGIE., dans un moyen degré de développement sur la masse d’hommes qui compose la nation Française, ce n’est pas une raison pour croire qu’il ne se rencontre chez elle qu’un petit nombre d’hommes du premier ordre. Il n’existe peut-être pas en Europe une nation qui ait fourni autant de personnages distingués dans les arts, les sciences et la philosophie; et si l’on réfléchit que l’ins- truction est généralement peu répandue en France, on pourra se convaincre que le nombre d’hommes supérieurs aurait été encore plus considérable. Que de généraux, de philosophes, de poètes, de peintres célèbres, en un mot d’hommes d’un haut talent, eussent été appelés à jouer un role brillant en France, et à devenir la gloire de leur patrie, si une éducation plus étendue et mieux dirigée fut venue les arracher à leurs travaux manuels. Le plus grand service qu’un homme d’état pût rendre à la France, serait sans contredit de se faire rendre un compte des enfants qui se feraient remarquer dans les écoles par des qua- lités supérieures, afin de les utiliser aux besoins de la nation. Ce n’est pas la foule commune qui a besoin d’instruction, c’est au contraire Félite, qui, par la supériorité de son intelligence, est le grand levier qui fait mouvoir les masses. Je laisse à dessein d’autres remarques que j’avais à faire sur l’organisation cérébrale des Français : elles trouveront leur place lorsque j'apliqucrai la phrénologie à l’éducation, ou dans la comparaison que je vais faire entre l’organisation cé- rébrale des Français et des Anglais. Indépendamment des caractères plirénologiques généraux, propres aux habitants de la Grande-Bretagne, il en existe de particuliers appartenant aux hommes qui composent isolément chaque état, c'est-à-dire l’Angleterre proprement dite, l’Ecosse et l'Irlande. Nul doute qu’il n’existe aussi dans chaque province 488 TRAITÉ des caractères propres à leurs habitants, et qui la distinguent des autres. Il doit nécessairement exister en Angleterre, comme en France, quelques traits spéciaux qui caractérisent l’habitant du pays de Galles et celui du Yorkshire, celui de Nothumberland et celui de la province de Cornouailles. Les progrès rapides de la phrénologie en Angleterre, ne peuvent manquer de nous faire connaître à quoi tiennent ces diffé- rences. Pendant mon séjour à Londres , j’avais l’habitude d’aller presque tous les dimanches à l’église. Là j’étais sûr de voir un assez grand nombre de tètes chauves, et de faire des remar- ques assez étendues; car j’ai fréquenté une douzaine d’églises appartenant à diverses paroisses. J’ai fait les mêmes observations toutes les fois que j’ai eu occasion de me trouver dans des réunions nombreuses. Voici le résultat de mes remarques. Considéré d’une manière générale, le volume de la tête des habitants de Londres ne diffère pas beaucoup de celui des tètes parisiennes : quant aux différences spéciales, elles sont assez tranchées. A proportion égale, les facultés réfiectives seraient plus développées à Londres qu’à Paris. Il en serait de même des régions de la circonspection, de la fermeté et de l’orgueil, trois facultés dont les organes sont généralement plus développés chez les têtes anglaises. L’organe qui préside au choix des ali- ments m’a paru présenter une différence de développement entre les Français et les Anglais, il est évidemment plus pro- noncé chez ceux-ci. J’ai la profonde conviction que de cette différence, résulte celle qui existe entre les deux nations, non- seulement sous le rapport de la sobriété, mais encore sous celui de l’emploi des boissons spiritueuses. Je crois que l’on peut dire d une manière générale que l’ivrognerie est le vice domi- DE PHRÉNOLOGIE. liant de l’Angleterre. Paris présente, à cet égard, une différence trop frappante avec Londres, pour ne pas être saisie par l’œil le moins observateur. Il est impossible de se faire une juste idée de la quantité de liqueurs alcooliques bues par la classe moyenne et celle du peuple de Londres, et des autres villes de l’Angleterre. Dans un ouvrage récemment publié, intitulé de fAngleterre et des anglais, l’auteur (Bulwer) rapporte que le bailli de Manchester, une des principales villes manufactu- rières de l’Angleterre, observa le nombre de personnes qui entrèrent dans une gin-sliop (espèce de boutique où se ven- dent des liqueurs fortes) dans l’espace de cinq minutes, pen- dant huit samedis, et à diverses périodes de 7 heures du matin jusqu’à 10 heures. Le résultat fut de 112 hommes et i63 femmes, ou 275 dans 4° minutes; ce qui est égal à par heure. Les Ecossais, mais sur-tout les Irlandais, paraissent aussi avoir un penchant très prononcé pour les liqueurs fortes. Je n’ai pas parlé avec un Irlandais , sans qu’il ne m’ait assuré que la paresse, et sur-tout l’ivrognerie, étaient les vices dominants de la masse de la population irlandaise. Le docteur CaldAvell, professeur de clinique et de médecine pratique, à l’Université de Transylvanie, a inséré dans le nu- méro de juin i834, du Journal Phrénologique d’Edimbourg, un excellent article sur l’amélioration de l’espèce humaine. Il insiste avec raison sur la nécessité de remédier, dans la Grande- Bretagne, à l’abus des liqueurs spiritueuses qui dégrade la plus grande partie de la classe ouvrière de cette nation. Il remar- que que les fermiers écossais, qui, en 1800, 1802 et i8o35 étaient arrivés à un certain degré d’aisance, passaient presque tout leur temps à boire, parce que la bouteille était leur seule distraction ; mais depuis que l’instruction a été répandue TRAITE dans cette classe, l’ivrognerie a fini par disparaître à peu près complètement. Une des facultés perceptives, dont le développement m’a paru présenter un contraste assez frappant entre les tètes Anglaises et Françaises, est celle du sens des nombres ou du calcul, évidemment plus prononcés chez les premières, Le sens de construction, et sur-tout ceux de la configuration et du beau dans les arts, m’ont généralement paru moins prononcés chez les Anglais que chez les Français. A ces remarques, que j’ai pu renouveler plusieurs fois, se bornent les observations phrénologiques positives et gé- nérales que j’ai pu faire pendant mon séjour à Londres. J’ai observé cependant une différence de conformation du crâne trop remarquable, dans une classe d’enfants de la ville de Londres, pour négliger d’en parler. Ces enfants, que je crois naturels, sont vêtus d’une espèce de soutane bleue, fixée au milieu du corps à l’aide d’une ceinture de cuir jaune ; ils portent sur la tête une calotte semblable à celle des enfants de chœur de l’église Catholique Romaine. La plus grande masse de ces en- fants de l’âge de 12 à 14 ans, m’a présenté un développement cérébral au-dessous de celui des autres enfants de même âge. Je regrette de ne pouvoir présenter ici les traits généraux les plus saillants des têtes écossaises et irlandaises. Je n’ai encore rien vu, (jans le journal Phrénologique d’Edimbourg, d’assez étendu pour servir de base à des remarques générales sur ce point. Cependant, s’il faut juger de la conformation par les actes, ce qui me parait hors de doute, eu égard à l’état de la science, les écossais doivent présenter une organisation cérébrale extrêmement remarquable. Ce n’est pas seulement le courage et Fesprit d’indépendance, dont ils ont donné tant DE PHRÉNOLOGIE. 491 de preuves, qui les distinguent plus spécialement, mais encore leur supériorité dans les sciences et les arts. Il n’y a peut être pas de pays en Europe qui ait fourni, à nombre égal de popu- lation, une plus longue liste d’hommes du premier ordre. Il est extrêmement commun de rencontrer en Angleterre, à la têtes des principales institutions, des têtes écossaises. Qu’il me soit permis d’accorder ici aux phrénologistes d’Edimbourg, le juste et sincère hommage du à leur travaux. Plus je les lis et plus la vénération que j’avais pour eux s’accroît de jour en jour. Si ces savants, comme je me plais à le croire, étendent leurs recherches en les basant sur l’anatomie, la physiologie, la zoologie et la pathologie, ils ne peuvent manquer de parcourir avec le plus grand succès la belle carrière qui leur est ouverte. Après avoir examiné les traits intellectuels les plus saillants de quelques peuples appartenant à la race Celtique, je vais entrer dans quelques détails sur ceux qui paraissent appartenir à la race Olivâtre, qui, comme toutes les races, a été considérée jusqu’à ce jour seulement sous un point de vue géographique, ou purement anatomique. Je suis loin de considérer mes ob- servations sur les crânes de plusieurs individus de cette race, comme hases du caractère général des hommes qui la com- posent.; j’ai seulement eu en vue de fixer sur sur ce point l’attention des phrénologistes, afin de savoir si de nouvelles observations pourraient coïncider ayec les miennes. Chez les Calmoucks, voir la fig. i de la pl. CXIV, le déve- loppement absolu du crâne est en générai assez considérable. Quelques organes se font sur-tout remarquer par leur dévelop- pement Voici ceux qui m’ont paru prédominer : i° celui de la vénération; 2° du penchant au merveilleux; 3° de l’espérance; 4° de la destruction; 5° de la propriété ; 6° de l’attachement ; 492 TRAITE 7° de la ruse. Les régions du sentiment de justice et de l’orgueil sont peu développées. Les facultés réflectives et perceptives, considérées d’une manière générale , ne présentent qu’un degré moyen de développement. Sur trois crânes de Chinois (i), branche de la race olivâtre, j’ai trouvé un plus grand développement de la région frontale, que chez lesCahnoucks, tous les trois présentaient un développe- ment assez prononcé de la région du calcul et du coloris. La région de la propriété, celle de la vénération, étaient assez dé- veloppées, mais moins cependant que sur les crânes des Calmoucks. L'organe du penchant à détruire était aussi moins saillant chez les crânes Chinois; mais, comme chez les Calmouks, la ruse était très prononcée, et le sentiment du juste peu déve- loppé. Considéré d’une manière générale, le crâne du Chinois présente moins de développement que celui du Calmouck. Je n’ai pas encore eu occasion, jusqu’à ce jour, de voir des crânes ayant appartenu aux Mongols proprement dits, ou à cette grande tribu de familles tartares, dépendante de la Chine, et renfermée dans l’espace limité, au nord, par la Sibérie; à l’est, par la Mantchourie; au sud, par la grande muraille chinoise. 11 existe probablement beaucoup de ressemblance, pour la con- formation du crâne, entre les habitants du groupe d’isle dont la réunion forme l’empire du Japon, et les Chinois. Sur le crâne d’un jeune javanais, qui se trouve dans la collection du Jardin des Plantes de Paris, et que j’ai fait représenter pl. CXX, fi g. i, les régions de la circonspection et de l’approbation, sont assez développées : la région frontale ne présente qu’un moyen degré (i) Voir la fig. i de la pi. CIX représentant un frontal de Chinois. DE PHRÉNOLOGIE. de développement. Les Esquimaux, qui appartiennent selon les naturalistes à la branche Mongols, présentent des caractères phrénologiqnes assez remarquables. Dans le Journal Phrénolo- gique d’Edimbourg, se trouvent deux excellents articles de M. Robert Cox, sur ce peuple. Ils sont accompagnés de docu- ments extrêmement précieux, fournis par les principaux naviga- teurs, et d’un dessin du crâne d’un esquimau, réprésenté dans les trois sens les plus favorables pour faire ressortir ses caractères les plus saillants. J’ajouterai que ces deux articles ont encore pour base d’observation, douze crânes d’Esquimaux, dont six naturels, et les six autres coulés sur nature. Comme les observa- tions de M. Cox sont trop longues pour être rapportées en entier, je vais seulement en extraire ce qui se rapporte essentiel- lement au sujet que je traite. Il existe une uniformité frappante dans l’apparence générale du crâne des Esquimaux : ils sont longs, étroits dans leur pro- portion et d’un assez beau développement. La région frontale est étroite et incline rapidement vers les cotés de la tête. Le front est étroit; l’occiput saillant. En examinant les crânes des Es- quimaux , le phrénologiste est aussitôt frappé par le grand développement de l’organe de l’attachement pour les petits, annoncé par l’alongement de la région occipitale. Ce mode de conformation coïncide parfaitement avec les mœurs des Esqui- maux, sur lesquels les capitaines Parry et Lyon s’expriment ainsi : « l’affection des Esquimaux pour les enfants, se mani- feste non seulement par l’absence de toute espèce de punition corporelle, mais encore par mille jeux et mille caresses, tels que les parents et les nourrices en emploient chez nous. Rien ne peut être comparé à leur tendresse pour leurs enfants, et ce trait de leur caractère est d’autant plus digne d’être remarqué 494 TRAITE que c’est réellement le seul véritablement aimable qu’ils pos- sèdent (capitaine Parry). » Il est impossible de voir rien de plus charmant, que la tendresse que les parents montrent pour leurs petits pendant l’enfance. Les mères les portent tout nus sur leur dos jusqu’à ce qu’ils soient forts et bons marcheurs. Tout leur temps est employé à les allaiter et à leur donner à manger. Les pères en font leur joujous, et leur procurent assiduement tout ce qui dépend d eux. Un enfant n'est jamais corrigé ou grondé, mais il est entièrement libre en toute chose ( capitaine Lyon). Le meme auteur rapporte que lorsqu’il envoyait un supplément de nourriture aux habitants affamés, et dont la faim était vorace, les personnes âgées commençaient d’abord par donner des aliments aux enfants, et divisaient ensuite le reste entre eux par portions égales. Crantz (Histoire du Groenland) trouve le meme caractère chez les habitants de la cote Est du Groenland. Les Groenlan- dais, dit-il, aiment excessivement leurs enfants. Les mères les nourrissent partout où elles vont, et nonobstant leurs occupa- tions, à l’aide d’une disposition particulière de leur vêtement. Elles les allaitent jusqu’à trois et quatre ans, parce que leur pays ne fournit rien qui puisse convenir à un âge aussi tendre. Dans un autre passage, cet écrivain après avoir mentionné que l’on trouve à peine un groenlandais faisant le bien à un autre, sans l’espoir mercenaire d’une prompte rétribution, nous informe que d’un autre côté, il existe de puissantes traces d’un grand amour entre les parents et les enfants, et qu’il en résulte même des passions. Une mère ne peut pas supporter l’absence de son enfant, et plus d’une s’est noyée parce que cet accident lui était arrivé. DE PHRÉNOLOGIE. Le contraste entre cette ardeur de tendresse des parents, et leur manque général de bienveillance, paraît avoir produit une forte impression sur Crantz, et l’a conduit à former une conjecture, dont la justesse se trouve démontrée par la phré- nologie. C’est que ce phénomène ne peut être expliqué que par la supposition de deux facultés distinctes; car il ajoute : c’est absolument la même chose qu’avec les êtres dépourvus de raison; ils sont insensibles à la peine ou aux plaisirs des autres animaux, mais leur attachement pour leurs petits est très prononcé. Ceci nous conduirait presque à penser que les Groenlandais agissent par l’instinct que les animaux dépourvus de raison ont en commun avec le genre humain, et non par la raison humaine. Le capitaine Ross trouva aussi le même atta- chement pour les enfants très énergique chez les montagnards du pôle Actique. Il demanda à deux d’entre eux, si ils voudraient lui permettre d’emmener un de leurs enfants avec lui; mais ils répondirent qu’ils n’y consentiraient pas, il fut même im- possible de les séduire par des présents. L’organe du penchant à la propagation, ne le cède pas en développement à celui de l’attachement pour les petits, sur le crâne des Esquimaux, et l’énergie de ce penchant y répond. La fidélité conjugale est presque entièrement inconnue chez eux. On peut certainement affirmer, dit le capitaine Parry, qu’il n’y a pas de pays ou la prostitution soit portée aussi loin que chez ce peuple. Le capitaine Lyon rapporte que les femmes sont bien traitées, rarement et peut-être jamais battues. Elles ne sont jamais forcées de travailler, et jouissent dans les affaires privées, d'une autorité égale à celle des hommes. Bien que phlegmatiques, ajoute-t-il, les Esquimaux les traitent avec affection; et l’on voit souvent de jeunes couples se frottant le 496 TRAITÉ nez, leur marque favorite d’affection, avec un air de tendresse. Bien que ces hommes et ces femmes paraissent s’entre aimer, ils sont cependant sans scrupule du côté de l’infidélité mutuelle, et le mari contribue volontiers à sa propre honte : une femme fait part de ses intrigues à son mari, avec la plus grande indif- férence , et répond de même à quelque charge de cette espèce, devant une nombreuse assemblée. Les maris prostituent leurs femmes, les frères leurs sœurs, les parents leurs filles, sans montrer la moindre trace de honte. Changer de femme pour un ou deux jours, est considéré comme une marque d’ami- tié entre deux hommes, et cette demande est souvent faite par les femmes elles-mêmes. La circonspection, bien que ne manquant pas absolument, est, proportionnellement au penchant à combattre, plus petite sur le crâne des Esquimaux que sur le crâne des tribus sauvages que nous connaissons. Delà leur peu de disposition à s’alarmer, et leur hardiesse, qui a été le sujet de l’attention des naviga- teurs anglais. Bien différents de plusieurs tribus sauvages, ils reçoivent les européens qui les visitent, non seulement sans manifester de crainte, mais encore avec des démonstrations énergiques de cordialité et d’amitié. Le capitaine Parry décrit leur manière tranquille, lorsqu’il les approcha, et à l’occasion d’une réunion qu’il rencontra, lorsque le bâtiment fut abandonné dans file d’Hiver. Ils atten- dirent tranquillement l’approche des Anglais, et il y avait aussi peu d’appréhension ou de méfiance apparente dans leur contenance et leurs manières, qu’il en existe entre personnes étrangères qui se rencontrent. C’est pourquoi, continue Parry, aussitôt que nous eûmes acheté tout ce qu’ils avaient à vendre, et après leur avoir fait plusieurs présents de quelque yaleur, DE PHRÉNOLOGIE. 497 nous leur exprimâmes par signes le désir de les accompagner à leurs huttes, ce à quoi ils consentirent volontiers, et nous partîmes tous ensemble sur le champ. Les Esquimaux sont extrêmement imprévoyants, et comme leurs provisions sont très éventuelles, il en résulte qu’ils sont quelquefois exposés à de grandes privations. La disposition des Esquimaux, dit le capitaine Lyon, est si singulièrement heu- reuse, que lorsque leurs besoins sont satisfaits pour un moment, ils oublient qu’ils ont éprouvé la faim, où qu’ils pourront se trouver le lendemain dans la mêmes détresse. On ne peut man- quer d’accorder du courage, dit ce capitaine, à des hommes qui osent affronter les regards de l’ours blanc , et même le mettre à mort dans un combat singulier, assisté seulement de leurs chiens. Le capitaine Parry fait la peinture suivante des mœurs domes- tiques des Esquimaux de file d’Hiver. « Dans le peu d’occasions que nous eûmes de mettre leur hospitalité à l’épreuve, nous n’avons eu qu’à nous en louer. La nourriture et le logement de meilleure qualité, étaient toujours à notre service, et leur atten- tion tout à la fois affable et mesurée était tout ce que l’hospitalité et une bonne éducation auraient pu dicter. Les bons offices pour sécher et raccommoder nos vêtements, cuire nos provi- sions et dégeler la neige pour notre boisson, étaient remplis par les femmes, avec un enjouement et une obligeance que nous n’oublirons jamais, et qui méritait notre admiration et notre estime. Etant leur convive, j’ai passé une soirée non seu- lement agréable, mais heureuse; car tandis que les femmes travaillaient et chantaient, que les maris raccommodaient tranquillement leurs lignes , que les enfants jouaient devant la porte et que le pot bouillait sur la flamme brillante de la lampe, on pouvait facilement oublier qu’une hutte d’Esquimaux 498 TRAITÉ fut le lieu d’un genre de vie si agréable et si confortable, et je puis affirmer avec Cartwright, qu’une fois logé sous leur toit, je ne connais pas de peuple auquel je confierais plus volontiers ma personne et ma propriété. » Cette description doit paraître un peu trop flattée, si nous réfléchissons un instant sur l’esprit intéressé que nous avons précédemment indiqué, et sur la bienveillance peu développée sur leur crâne ; ce qui est assez démontré par ce que le capitaine dit dans les phrases suivantes. « 11 est pénible, et peut-être odieux après cela, de demander jusqu’où leur hospitalité s’étendrait si l’in- térêt en était complètement séparé, et si un étranger était malheureusement dans le cas de ne pas la payer promptement ; mais la vérité m’oblige à avouer d’après leur conduite extrê- mement intéressée , et celle qu’ils tiennent à l’égard des mal- heureux de leur tribu, que j’aurais tort d'insister beaucoup trop sur leur bonté. « Le capitaine Lyon nous apprend, que bien qu’il eût été traité par eux avec la plus grande hos- pitalité, si le jour d’après il entrait dans une hutte, et deman- dait seulement un morceau de mousse, on le lui faisait payer. Le crâne des Esquimaux présente rarement un développe- ment moyen de la région du sentiment de justice; aussi il n’y a peut être pas de race sur terre, qui se fasse plus remarquer pour son défaut de probité, et sa disposition à dérober. Il y a une multitude de faits qui démontrent que les Esquimaux ont le sentiment qui nous porte à respecter les droits et les propriétés des autres extrêmement faible; et c’est à ce défaut, plus qu’à l’extrême énergie du sentiment de propriété, que nous devons attribuer cette disposition.M. Ellis, qui fut envoyé pour explorer les mers du Nord-Est de l’Amérique, parle des naturels qu’il trouva sur les rives occidentales de la baie DE PHRÉNOLOGIE. 499 d’Hudson , comme étant très adroits, trompeurs, rusés et fourbes. La moralité des habitants de l’île d’Hiver, paraît un peu plus grande que celles des autres tribus d’Esquimaux visitées par les européens. Les Esquimaux ont une haute opinion d’eux memes. Un jour Okotook (c’est le nom d’un esquimau) cherchant à saisir quelques pièces du harnais d’un traineau, en brisa une pièce qui était composée d’un portion de notre corde blanche. Je n’oublierai jamais l’air de dédain qui accompagna dans son soliloque, le mot Kabloona ! (européen), comme marque de l’infériorité de nos objets comparés aux siens. La région de l’orgueil est très prononcée sur le crâne des Esquimaux. L’organe de la construction, parait très développé chez eux bien que dans quelques cas, il le soit modérément (i). L’activité de cet organe se manifeste dans la construction de leurs armes, de leurs barques pêcheuses, de leurs vêtements et des ustensiles de ménage. Les femmes ont cette faculté plus déve- loppée que les hommes, et l’élégance de leurs ouvrages à souvent fixé l’attention des voyageurs. Les femmes font preuve de beaucoup d’adresse, notamment dans cette partie impor- tante pour une ménagère, l’art de la couture, quelles prati- quent avec une grande dextérité, même avec leurs aiguilles grossières, faites avec des os. Leur fil est fait de tendons de rennes, ou lorsqu’elles ne peuvent s’en procurer, elles emploient le pharinx du petit veau marin. Il est divisé en fils de diverses grosseurs, suivant la nature de leur ouvrage , et présente un tissu admirable. (i) Pendant mon séjour à Londres, le docteur Wright, médecin de Bethléem, me fit voir deux plâtres de crânes d’Esquimaux coulés sur nature. Le sens de construction était très saillant sur les deux. TRAITÉ Le capitaine Franklin, vit parmi les Esquimaux qu’il visita à l’île sauvage du détroit d’Hudson, des imitations d’hommes, de femmes, de quadrupèdes et d’oiseaux, sculptées avec beaucoup de travail et d’élégance, avec des dents de cheval marin. Les vêtements des hommes et les figures des animaux, n’étaient pas mal exécutés, mais sans attitude. Le sentiment d’approbation n’est pas en général très remar- quable. Chez quelques individus , il paraît très prononcé; mais il n’en font généralement pas parade. Les crânes des habitants deCeylan, dit M. Robert Cox, forment avec ceux des Esqui- maux , un contraste frappant sous ce rapport. Il est difficile pour les personnes qui les observent acciden- tellement, de dire jusqu’à quel dégré le sentiment religieux est éprouvé par les Esquimaux. Leurs crânes laisse voir un assez grand développement de la vénération ; mais l’organe de cau- salité et celui du penchant au merveilleux, sont peu développés. Le capitaine Ross, invita Sacheuse, son interprète, à demander à l’un d’eux, Ervick, s’il avait quelque notion d’un être suprême, mais après avoir employé chaque expression dans son propre langage pour en donner une idée, il ne put se faire entendre. Il fut bien démontré, qu’ils n’adoraient ni le soleil, ni la lune ou les étoiles, ou quelque image de créatures vivantes. Lorsqu’on lui demanda à quoi servaient le soleil et la lune, il répondit à procurer la lumière. Il n’avait aucune connaissance ou idée de sa création ou d’un état futur; il dit que lorsqu’il mourrait, on le mettrait en terre. Ayant acquis la certitude qu’il n’avait aucune idée d’un Etre-suprême, ajoute le capitaine Ross, je continuai à l’aide de Sacheuse, à m’informer s’il Croyait à un mauvais esprit, mais il ne put se faire entendre : il dit cependant qu’ils avaient plusieurs Angekoks ou conjureurs, DE PHRÉNOLOGIE. qui possédaient le pouvoir d’exciter une tempête, de rendre la mer calme, d’enlever ou d’apporter les veaux marins. Ayant su que Otooniah, garçon de dix-huit ans, était un jeune Angekok, je le fis venir dans la cabine, et Sacheuse lui demanda comment il avait appris son art. Il répondit, d’un vieil Ange- kok, qu’il pouvait élever le vent, et éloigner les veaux marins et les oiseaux. Il assura qu’il arrivait à ce résultat par des gestes et des mots, mais ces mots n’avaient aucun sens, et n’étaient adressés qu’au vent de la mer. Lorsqu’on dit à Ervick qu’il existait un être tout-puissant, présent partout, invisible, qui avait créé la mer et la terre et tout ce qui en dépendait, il parut très surpris, et demanda avec empressement où il vivait. La vénération des Esquimaux se manifesterait seulement, d’après les faits consignés dans les observations de M. Robert Cox, dans le respect des jeunes gens et des domestiques pour les personnes âgées. Le penchant au merveilleux n'est pas très prononcé sur le crâne des Esquimaux, ce qui explique leur peu de surprise et d’étonnement, lorsque les officiers qui accompagnaient le capitaine Lyon tuèrent devant eux plusieurs oiseaux que les naturels virent tomber. Les organes des facultés intellectuelles ne sont pas très développés. M. Robert Cox, fait observer que le sens de l’ordre est aussi très peu prononcé chez eux, ce qui rend compte de leur extrême malpropreté. Il cite, à cette occasion, un fait rapporté par le capitaine Lyon, et qui peut donner une idée de leur saleté. Le capitaine Parry, avait acheté une lampe qui était allumée, la femme qui la vendit, l’éteignit sur le champ, et commença à la nettoyer avec force, bien quelle contint autant de suie que d’huile, en la grattant avec ses doigts, qu’elle porta rapidement à sa bouche, 502 TRAITÉ chargés de leur agréable fardeau. Sa langue finit le reste de l’opération; la lampe fut parfaitement nettoyée, mais servit en revanche à couvrir son visage de suie, ce qui nous porta tous à rire à l’aspect de son étrange figure, et elle-même se joignit à nous de tout son cœur. Les enfants, dit la même personne, étaient aussi sales qu’il est possible aux créatures humaines de l’être. I/organe du calcul ou des nombres, est aussi très petit sur le crâne des Esquimaux, et ce mode de conformation concorde avec l’imperfection de leur arithmétique. Les montagnards du pôle Arctique ne peuvent compter au-delà de cinq. Lorsque le capitaine Ross leur demanda le nombre de la tribu, il obtint seulement pour réponse, qu’ils étaient beaucoup d’autres; cependant ils peuvent compter jusqu’à dix. Quand le nombre dépasse vingt, dit Crantz, ils disent qu’il est immense. Les Esquimaux ne donnent aucune preuve remarquable de talent musical. Ils cherchent, à chanter et à danser, mais avec peu de succès. Le capitaine Parry termine la relation d’une de leur représentations, en observant que rien n’est plus misérable que leurs récréations de chant. Le capitaine Ross, pour amuser quelques naturels qui étaient venus à bord du vaisseau, fit jouer plusieurs airs sur le violon, mais ils donnèrent peu d’at- tention aux mots et à la musique. Cartwright ne fut pas satisfait des chants des peuples du Labrador; quant à leur danse, on croirait, dit-il, qu’ils ont appris cet art des ours du pays. Les organes de la musique et du temps sont faiblement développés sur leurs crânes. Les facultés réflectives ne sont pas très développées chez les Esquimaux, aussi, aucunes traces d’entendement profond n’ont été remarquées chez eux. DE PHRÉNOLOGIE. La race Noire ou Ethiopienne, est loin de présenter aux yeux du phrénologiste les mêmes caractères que ceux que les natu- ralistes lui donnent. Selon ceux ci, outre le teint noir, les cheveux crépus, le nez écrasé, etc., le crâne se trouve com- primé , ce qui est inexact, considéré d’une manière générale. 11 n’est pas rare de rencontrer chtez certains nègres, des confor- mations de crâne qui peuvent rivaliser avec celles de la race Européenne ou Caucasique. J’ai vu à l’hôpital de Charenton, une de ces belles conformations sur un nègre de la Martinique, qui était parvenu, par son seul mérite, à obtenir un grade supérieur dans les armées de Napoléon. La tête du nègre Bélin, représentée pl. CXIII, présente un développement extrêmement remarquable. Il résulte des observations que j’ai pu faire sur un certain nombre de crânes de nègres, que l’on rencontre des variétés excessivement remarquables, chez les individus de cette race et de la même partie de l’Afrique, et que ces différences sont encore plus frappantes entre les nègres de régions différentes. Il doit nécessairement résulter de ces variétés de développement du système cérébral des nègres, des différences extrêmement curieuses, quant à leur caractère moral et intellectuel (i). « Le nègre est extrêmement porte aux plaisirs de l’amour, et se montre tel jusques dans l’âge le plus avancé. Ce penchant est également prononcé chez les deux sexes. Il est si impérieux (i) Ce passage était écrit lorsque j’ai eu l’avantage de faire la connaissance d’iln ex-magistrat distingué delà Martinique, M. Pécoul, quia bien voulu me donner sur les Nègres employés dans cette colonie, les renseignements suivants. Je les donne avec d autant plus de confiance qu’ils sont le fruit d’observations faites avec discernement , et répétées sur un très grand nombre de nègres. TRAITÉ qu’aucune fatigue résultant des travaux de la journée, ne peut l’empêcher d aller le soir chercher, quelquefois à deux ou trois lieues, l’objet de sa passion, et de passer la nuit avec lui, malgré l’obligation qui lui est imposée de se représenter le lendemain matin à cinq heures sur l’habitation dont il dépend. En général, il ne s’attache pas longtemps à la même femme , et tous les efforts tentés pour introduire le mariage parmi nos nègres , ont été infructueux. Sauf quelques exceptions ils témoignent pour cette institution une répugnance opiniâtre. A Haïty, au dire de tous ceux qui ont visité cette ancienne colonie française, le mariage est à peu près inconnu. Cependant j’ai vu quelques noirs africains, quoique non mariés canoni- quement, s’attacher pendant bien des années à une même négresse, et dépérir rapidement de chagrin après l’avoir perdue. Je parlerai plus loin des succès que j’ai obtenu, à cet égard, sur une de mes habitations. On ne remarque généralement chez les deux sexes, qu’un faible attachement pour leurs enfants. Ceux-ci paraissent en avoir davantage pour leur père et mère, et surtout pour le père. Cet attachement tient moins pourtant de la tendresse que du respect et d’une sorte de crainte révérencielle, qui s’explique facilement par le caractère impérieux du nègre qui parle toujours en maître à ses enfants, et les habitue dès leur nais- sance à son autorité sans limites. L’amitié proprement dite, se voit peu chez le nègre, et moins chez le nègre créole que chez l’africain. Celui-ci s’attache beau- coup plus à son maître quand il en a été bien traité, et lui de- meure plus ordinairement fidèle. Il est capable du plus grand dévouement. 11 montre un attachement extrême pour les lieux où il a été élevé ou qu’il habite depuis longtemps. DE PHBÈNOLOG1E. Le negre se soumet facilement à l’ascendant de la force ou de la supériorité. Il y a sur presque toutes les habitations un, ou plusieurs nègres qui exercent, par la crainte qu’ils inspirent aux autres, un pouvoir clandestin sans bornes, qui contrarie cons- tamment l’autorité du maitre et la paralyse souvent. De peur de déplaire à ce camarade qu’il redoute, le nègre s’exposera, sans hésitation, aux châtiments domestiques de son maitre et meme aux peines les plus graves que peuvent prononcer les tribunaux. La mort qu’il brave sur l’écbaffaud, il n’ose en sou- tenir la menace dans les regards de celui dont la supériorité le fascine et le terrifie. La crainte a toujours été un ressort tout puissant sur le nègre, à qui on 11e saurait pourtant refuser du courage. La mort, en général, ne lui cause point d’effroi, et il ne montre que peu d’attachement à la vie. Les querelles sont fréquentes parmi les nègres, et il n’est pas rare que le sang coule dans les rixes qu’ils ont entre eux. La vue du sang les exalte et les rend frénétiques. Ils sont en général sans pitié pour les animaux confiés à leur garde, ou à leurs soins, et les maltraitent beaucoup. Ils sont très sobres, recherchent peu la viande dans le choix de leurs aliments, et préfèrent de beaucoup le poisson salé, les légumes et les racines. L’aversion énergique qu’ils montrent pour le travail, ne tient pas, comme chez l’indou, à la mollesse du tempérament, car, hors de là, ils sont actifs, vigoureux et infatigables. Le vol est un des délits les plus fréquents parmi eux, mais ils font, en général, une grande différence entre le vol d’objets de consommation et le vol d’argent. Ce dernier aussi est plus rare. C’est à celui-ci qu’ils appliquent proprement la qualification de vol. TRAITÉ Le nègre aime passionnément la danse et la musique. 11 n’est point de fatigue qu’il n’oublie pour aller danser, et souvent il retourne au travail, après avoir passé la nuit au bal, sans en paraître accablé. Ses danses ont un caractère ardent et lascif comme certaines danses espagnoles, ou belliqueux comme celles de certains peuples sauvages. Tout travail accompagné de musique ou de chant cesse d’èlre une fatigue et se supporte avec joie. Aussi lorsqu’il faut fouiller à la houe un terrain pour le planter en cannes, ne manque-t-on jamais de placer en face des nègres rangés sur une ligne, un d’entre eux qui ne fait autre chose que chanter un air monotone, aux cadences duquel se conforment tous les mouvements de l’atelier, les houes s’a- baissant et se relevant ensemble. Le soir, a-t-on une veillée à demander aux nègres de bonne volonté, pour râper à la main les racines du manioc P le bamboula (1) et un peu de tafia fi) en amènent beaucoup plus qu’il n’en faut, et font de cette corvée, une véritable récréation et un divertissement. Le nègre a fouie très juste; il marque, soit en dansant, soit en chantant, avec une exactitude étonnante, tous les temps Le coup d’œil est au contraire extraordinairement faux chez lui. Le meilleur ouvrier peut rarement tracer une ligne droite, et cette défectuosité se remarque dans tout ce que fait le nègre. Il est ordinairement très rusé, a peu de circonspection et ne manifeste aucune prévoyance, aucune inquiétude de l’avenir. 11 dissipe promptement le produit de ce qu’il a récolté dans le (1) Espèce de danse qui tire son nom de l’instrument employé pour son exercice. (2) Rh um grossier. DE PHRÉNOLOGIE. 507 terrain que le maître lui accorde pour son usage particulier. Il montre, à certains égards, un sentiment exquis du juste et de l’injuste, et ne conserve jamais de ressentiment du châti- ment qu'il reconnaît avoir mérité. Il est jaloux et vindicatif à l’excès. En général, gais et insouciants ils regrettent peu une liberté qu’ils ne connaissent pas, et qui ne leur paraîtrait désirable qu’autant quelle leur promettrait l’oisiveté. Nos nègres, ayant tous leur besoins matériels satisfaits, bien nourris, bien soignés quand ils sont malades , ou quand l’âge a énervé leurs forces, seraient les êtres les plus heureux du monde, si des avis insi- dieux ne tendaient sans cesse à les rendre mécontents de leur sort, en leur présentant l’appas de la liberté. L’Européen qui vient pour la première fois aux colonies, est étonné, en par- courant nos campagnes, de ne voir partout que des visages ouverts et animés , lorsqu’il s’attendait à ne rencontrer qu’un air sombre et des contenances mornes , indices certains d’une cruelle oppression et d’un désespoir que la force seule empêche d’éclater. Si , de ces aperçus généraux des nègres de nos colonies, nous passons aux individus des diverses nations ou peuplades où la traite puisait autrefois, nous voyons que les caractères reconnus par l’expérience à chacune de ces peuplades étaient si peu va- riables, qu’ils servaient de guide au propriétaire dans ses achats. Ainsi, Xlbo réputé le nègre par excellence, laborieux pour son maître comme pour lui-même, cultive toujours avec soin son jardin, aime l’argent, fait des épargnes, se tient propre et se procure de beau linge; fier, iracible, ressentant vivement les injures et les injustices : il est pourtant obéissant et susceptible d’attachement pour son maitre. En intéressant son orgueil, on TRAITÉ en obtient tout ce qu’on veut. On ne redoutait en lui, que les accès de nostalgie. Au moindre chagrin, au moindre dégoût, il courait se pendre, croyant par ce moyen, retourner dans sa terre natale, et lorsqu’il se trouvait plusieurs individus de cette nation sur la même habitation, ils se pendaient de compagnie. On en voyait quelques fois sept ou huit pendus au même arbre ou à la même poutre. Le Congo était peu estimé, paresseux, impropre aux travaux des champs. On en faisait des domestiques passables, des cui- siniers; leur intelligence était bien plus obtuse que celle des autres nègres. Le Mondongue était généralement rebuté à cause de sa férocité naturelle et des habitudes d’anthropophagie, qu’il ne faisait nul scrupule d’avouer. On en portait par cette raison fort peu aux colonies. YlArada était doux, obéissant, fidèle et malléable comme une cire molle. Le Caplaou dont le nom dérive de ce qu’il habite les envi- rons du cap Laou, ou Lao , était après l’Ibo, le plus estimé. Bon, doux, obéissant, adroit, intelligent, on en faisait de pré- férence, des charpentiers, des menuisiers, des tonneliers, des rafineurs, des forgerons ou domestiques. Il s’attache facilement à son maître où à ceux qu’on charge de le soigner. Il est industrieux , recherché dans sa mise, et économe. Le nègre du cap Verd, plus délicat que les autres et dont les traits se rapprochent davantage de ceux des races européennes, dépérissait promptement, si on l’attachait aux travaux de la terre. Il réusissait au contraire assez bien, si on lui donnait quelque emploi dans l’intérieur ou autour de la maison. Sa peau est d’un noir plus prononcé et plus luisant. DE PHRÉNOLOGIE. En général, on remarquait que ces peuples étaient d’autant plus féroces et grossiers dans leurs habitudes, qu’ils étaient originaires des contrées les plus méridionales de l’Afrique. Il y a autant de diversité dans les caractères de ces différentes races que dans les traits de leur visage et la nuance de leur peau, et, si mes souvenirs ne me trompent pas, la conformation de leur tête. Mais, si l’on considère que jamais cette portion de la race humaine, n’a pu atteindre au-delà d’un certain degré, d’une ébauche grossière et imparfaite de société ; quelle est aujour- d’hui et en tous lieux, telle quelle a toujours été observée dans le vaste continent, où elle est disséminée; que tous les efforts de la philanthropie et de la persévérance anglaises ont échoué à Sierra Leone, à la Trinidad,. et partout où le gou- vernement Britannique, à l’instigation de la société des amis des noirs, a prodigué ses trésors, pour essayer de plier cette race aux habitudes de la civilisation; si on la voit, au milieu des circonstances les plus favorables, retomber rapidement dans la barbarie à Haïty, là, où la douceur du climat, la fertilité du sol, les restes encore subsistants des travaux par lesquels l’industrie européenne y avait créé tant de richesses, le voi- sinage de colonies opulentes et la sympathie des peuples, devaient agir si puissamment sur cette race transplantée, c’est avec peine, qu’on se défend de l’affligeante conviction qu’il manque à son organisation, quelqu’une de ces facultés, qui chez les autres races, perfectionnent successivement l’état social, et enfantent les merveilles de la civilisation. Cette infériorité intellectuelle, qui semble incontestable, n’est pas sans doute, un motif, comme on le prétendait fois, pour ravaler ces hommes au rang des brutes , et justifier TRAITÉ la perpétuité de leur esclavage; mais ce qui paraîtra bien sur- prenant, c’est que cette infériorité ne s’est un peu effacée, qu’il n’y a eu, jusqu’ici progrès réel et constaté dans les habitudes et les idées du nègre, qu’aux lieux précisément où il vit dans l’esclavage ; témoins les colonies des Antilles, et surtout les provinces du Sud, des Etat-Unis, de l’Amérique du Nord. En effet, le nègre créole, est un être en tout supérieur à l’africain. Son intelligence est bien plus développée, il est bien plus éducable, si je puis me servir de ce terme. Quelque odieux et inique que soit l’esclavage en principe, il faut bien pourtant reconnaître, qu’il n’est pas étranger à ces résultats, puisqu’il à Haïty où règne la liberté, le même progrès n’a pu s’obtenir, et que le gouvernement de cette île, dirigé par des mulâtres, s’est vu forcé ainsi que nous l’apprend son code de police rurale, d’établir, pour imposer le travail aux habitants de file, des règlements qui se rapprochent beaucoup de ceux de nos habi- tations, et dont la sanction pénale, est même bien plus sévère. Je peux offrir sur mon habitation appelée la Montagne, près de St.-Pierre, à la Martinique, les résultats les plus con- solants pour l’humanité, les plus propres à faire naître l’espoir qu’il n’est pas absolument impossible de donner aux nègres ces goûts de travail, et ces habitudes morales, qui ont semblé être jusqu’à ce jour, l’apanage exclusif des races caucasiennes et sans lesquels l’homme ne peut marcher dans les voies de la civilisation. J_ja population de cette habitation se compose de plus de trois cents individus de tout âge et de tout sexe. Elle s’accroît chaque année par les naissances; les adultes sont la plupart mariés et vivent en ménage, avec une grande régularité, élevant avec soin leurs enfants, travaillant avec ardeur pour leur maître DE PHRÉNOLOGIE. 511 comme pour eux memes, dans le temps qui leur est laissé à cet effet. Une chapelle placée au milieu de leurs cases, est librement fréquentée chaque soir et les jours de fête. Les nègres y chan- tent souvent des cantiques jusqu’à 11 heures du soir. Pour ne pas compromettre des progrès réels, une circonspection extrême m'était commandée, car il n’est pas aussi facile qu’on se l’imagine, de faire d’un esclave, un homme libre. Quelque désir que j’éprouvasse, de renoncer au fouet comme moyen répressif ou coercitif, j’ai du me borner à en restreindre l’usage successivement, au point d’en rendre l’application extrêmement rare, et j’en ai retranche à l’égard des femmes, tout ce qui blessait la pudeur, c’est-à-dire, quelles ne le reçoivent jamais que par dessus leur vêtement. Tout cela s’est fait sans porter atteinte aux revenus de l’habitation, qui chaque année s’accrois- sent sensiblement. Des améliorations semblables, opérées spontanément par des Colons, servent plus l’humanité, et hâtent plus l’accomplissement des vœux des philanthropes, que les déclamations hypocrites, qui tendent à rendre le nègre mécontent de son sort actuel, et à lui représenter celui que les lois ont fait son maître, comme un tyran, dont il doit se venger. On a trop oublié combien le concours des Colons pouvait aplanir les difficultés de la grande œuvre d’émancipation qu’on se propose; combien, au lieu de les effaroucher, en les menaçant d’une ruine certaine, et en leur tenant un langage hostile et irritant, il y avait à gagner, en interressant leurs defauts mêmes comme leurs qualités, au succès de l’entreprise. Je ne dois pas terminer ces aperçus, sans dire quelques mots du mulâtre, produit du blanc et de la négresse, et dans lequel se reproduisent la plupart des vices et des vertus des deux races traité qui se mêlent en lui. Robuste, infatigable, ardent, sobre comme le nègre, il tient du blanc son adresse, son goût, des facultés réflectives plus fortes, et plus d’aptitudes à l’éducation. Il est extrêmement vain, fanfaron et enclin à la rixe, jaloux et irascible. Il a beaucoup de ruse, peu de circonspection et de prévoyance, n’est que médiocrement intéressé. Il aime aussi passionnément les femmes que le nègre, montre autant que lui d’éloignement pour le mariage, et guère plus d’attacbement pour ses enfants. Il est un peu moins superstitieux. Le goût de la danse et de la musique, est moins prononcé chez lui. Les incapacités civiles, dont il était frappé, dans l’ancien système colonial, ne lui permettaient guère que de s’exercer dans les métiers. Il y excellait, sans manifester autant de répugnance que le nègre pour le travail, il est loin cependant d’y apporter l’ardeur et l’activité du blanc. » Quatre sortes de nègres ont été particulièrement l’objet de mon attention, sous le rapport du développement du crâne : i° Le nègre du Cap; 2° le hottentot; 3° le cafre; 4° Ie nègre dont la conformation se rapproche de celle de Bélin, et qui appartient à une partie de l’Afrique qui m’est inconnue. Après les Caraïbes, pi. CXV, fig. i,et les Péruviens, pl. CXIX , fig. i , dont l’applatissement de la région frontale est, comme je l’ai démontré dans mon premier volume, le résultat d’une pression exercée de très bonne heure sur le crâne, je ne connais pas de peuplade qui soit au-dessous du nègre du Cap de Bonne- Espérance. Considéré d’une manière absolue, son crâne, pl. CXY, fig. 2, présente avec les autres une différence frappante de volume et de hauteur. Il est comme on le voit bien au-des- sous du crâne du Calmouck représenté sur la même pl., fig. i. Ce qui frappe sur-tout dans le nègre du Cap, c’est le misérable DE PHRÉNOLOGIE. développement de la région frontale : il est même au-dessous de l’habitant de la Nouvelle-Hollande, voiries fig. 3 et 4 pb, CIX, dont je parlerai plus amplement en faisant connaître l’organisa- tion cérébrale de quelques peuplades de J’Océanie. On peut dire d’une manière générale, que les organes appartenant aux facultés perceptives et réflectives, sont presque avortés chez le nègre du Cap. Les organes les plus saillants, parmi les facultés communément appelées penchants et sentiments, sont ceux de rattachement pour les petits, de la vénération et de l’espérance. Quelque soit l’instruction donnée aux nègres de cette contrée, qui présenteront une semblable conformation, on doit s'at- tendre à n’obtenir aucun résultat satisfaisant. Nulle profon- deur d’esprit, vie animale et superstitieuse, tel doit être le caractère dominant du nègre du Cap. Le crâne des Hottentots, pl. CXVII, fig. i, présente une différence frappante dans le volume, comparé avec celui du nègre du Cap de Bonne-Espérance. Non-seulement la région frontale est plus développée; mais certains organes se font encore remarquer par un assez grand développement. Au pre- mier rang se trouvent le penchant à la reproduction, l’atta- chement pour les petits, l’attachement ou l’amitié, la fermeté et le courage. Viennent ensuite dans l'ordre de développement, la vanité, l’organe qui préside au choix des aliments, ceux du penchant au merveilleux et à la vénération. La région des organes des facultés intellectuelles et réflectives, sans avoir un grand développement, en présente cependant un assez consi- dérable pour qu’il y ait intelligence, réflection et possibilité de culture d’esprit. Les organes qui entourent les orbites, notam- ment celui du calcul et sur-tout celui de l’ordre, sont très fai- blement développés. Il résulte de cette combinaison de déve- TRAITE Joppement des organes cérébraux, que les Hottentots doivent se faire remarquer par leur lasciveté, leur attachement pour kurs petits et pour leur amis : ils doivent être doués d une grande fermeté, et très courageux, attacher une grande impor- tance à leur nourriture, aimer la parure et cependant être d’une grande saleté, à cause du faible développement du sens de l’ordre; du reste intelligents et capables d’une certaine culture de Fesprit (i). Chez le Cafre, pl. CXYI, fig. 2, autre peuplade de nègres, qui occupe une étendue de terrain assez considérable, à l’Est du pays des Hottentots, les caractères phrénologiques se rap- prochent davantage de la race Européenne, du moins dans la région qui est le siège des organes des facultés intellectuelles et réflectives; ils doivent donc nécessairement l’emporter sur les Hottentots, sous le rapport de développement de ces facultés précieuses. J’ai été sur-tout frappé de la différence qui existait entre le développement de l’organe de la construction, sur le crâne des Hottentots, et sur ceux des Cafres , elle est trop pro- noncée pour ne pas donner lieu à des résultats différents chez ces deux peuples, notamment pour ce qui a trait aux objets manufacturés, aux habitations, aux ustensiles de ménage, etc. C’est aux voyageurs qui ont pénétré dans ces contrées, à nous faire connaitre si les actes des Cafres répondent au mode d’or- (î) Il serait assez curieux de conuaître la différence qui existe entre les nègres du Cap de Bonne-Espérance, et ceux qui proviennent du mariage des Hottentots avec les noirs du Cap ou de la côte de Mozambique ; mélange qui a souvent lieu au Cap de Bonne-Espérance, 011 il est assez rare, dit-on, de trouver le Hottentot pur. DE PHRÉNOLOGIE. ganisation que je viens de signaler. La région des sentiments supérieurs l’emportant sur celle des facultés affectives, et se trouvant réunie à un développement assez prononcé de la région frontale, on doit nécessairement rencontrer chez les Cafres de la bonté, un excellent caractère et de l’intelligence. Les nègres qui présentent une organisation cérébrale, sem- blable à celle de Belin, pl. CXIII, appartiennent-ils à une seule contrée de l’Afrique? ou cette conformation est-elle plutôt, comme je suis disposé à le croire, la suite d’un mélange? C’est ce que j’ignore; mais s’il en était ainsi, Userait curieux de savoir sous quelles conditions d’organisation cérébrale des parents ont donné le jour a une conformation semblable, ou meme un peu au-dessous. Indépendamment des hommes appartenant à la race Cauca- sique, Mongolique et Ethiopienne, il existe dans le grand Océan, plusieurs peuplades qui présentent des caractères phré- nologiques généraux trop saillants, pour qu’il soit possible de de les confondre ensemble. Je distinguerai toujours, et au pre- mier coup-d’œil, le crâne du Nouvel-Hollandais, de celui de l’habitant de la Nouvel-Guinée, et le crâne de celui-ci, de celui du Nouveau-Zélandais. Tous ces peuples habitent comme on le sait, diverses îles du Grand-Océan, dont la principale, la Nou- velle-Hollande , est presque aussi grande à elle seule que toute l’Europe. Je vais passer successivement en revue les caractères phrénologiques appartenant à plusieurs de ces insulaires. Je commencerai par les Nouveaux-Hollandais. Je ferai obser- ver cependant que les caractères que je vais signaler, ne cons- tituent pas ceux de toutes les peuplades sauvages de la Nouvelle- Hollande, mais seulement d’une partie de cette contrée.-Ainsi il existe, sans nui doute, une différence d'organisation céré* TRAITÉ braie très sensible entre les habitants de la Nouvelle-Galles et ceux de la terre de Vandiemen (i), ceux du nord et ceux du midi, du même pays. Chez les habitants de la Nouvelle-Hollande, qui présentent un mode d’organisation semblable à celui du crâne , représenté pl. CXIX, fig. 2, on rencontre constamment des facultés intel- lectuelles excessiyement bornée, avec prédominance des facultés animales. Voici ce qu’un de mes amis, naturaliste fort distin- gué, raconte, des habitants de la Nouvelle-Hollande, qu’il a eu occasion de voir. . *5. «Tv- „ * • r / « « Les indigènés de la Nouvelle-Hollande, sont si dégradés, si misérables, qu’il est à peine permis de leur donner le nom d’hommes;ils semblent n’appartenir à l’espèce humaine que par leurs formes extérieures; leurs facultés intellectuelles paraissent même au-dessous de celles de certains animaux. Les deux sexes vont nus et ignorent la pudeur; ils vivent de poissons, de gibier, de chenilles, de fourmis, de vers, de larves, de racines, de fougères, d’araignées et de tout ce que l’on peut se figurer de plus dégoûtant; jamais on n’a pu parvenir à leur inculquer les moindres notions d’intelligence et de civilisation. Il y en a cependant qui sont assez bons mimes, en contrefaisant les individus qu’ils veulent rappeler à votre souvenir, comme on le voit chez les tribus voisines des côtes. Celles des montagnes sont plus sauvages, et pour elles la vie d’un homme n’est pas (i) J7ai yu au Jardin des Plantes de Paris, une tête débitant de la terre de Vandiemen, dont les caractères phrénologiques diffèrent beaucoup de ceux du IHouvel-Hollandais représenté pl. CXIX, fig. i, qui appartient, je crois, à la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande. plus estimée que celle d’une chenille. Ils se bornent à recon- naître quelques chefs, dont l’autorité ne s’étend que sur un petit nombre de familles. Ceux qui vivent dans les bois grimpent sur les arbres comme les orang-outangs. Tous ont une hache de pierre et une sagaye, ils se font des cicatrices sur la poitrine , les bras et le derrière, se passent un bâtonnet dans le cartilage du nez, se frottent la peau avec de l’huile de poisson ou de la graisse; on coupe aux femmes les deux premières phalanges du petit doigt de la main gauche, et on arrache aux adultes une dent à la mâchoire supérieure (i). Ils vivent en plein air, ou se bornent à élever de misérables huttes formées de l’écorce d’un seul arbre, et où ils couchent pèle-mèle. Les hommes ont plusieurs femmes qu’ils enlèvent en les meurtrissant de coups; étrangères à toute espèce de pudeur* elles paraissent ignorer également les lois de la chasteté et de la fidélité conjugale. Une des superstitions de ces sauvages-est de répandre du sang pour la mort de l’un d’eux, soit quelle arrive naturellement ou accidentellement. Ils versent le sang d’une personne assassinée sur toutes les personnes de la famille du meurtrier sans distinc- tion de sexe ni d’âge. Quand quelqu’un meurt naturellement, ils se lancent des sagayes les uns aux autres. Us tuent les nou- DE PÏÏRÉNOLOG1Ê. 517 (1) Selon Smellie,' il serait question de l’extraction de deux dents à la mâ- choire supérieure. Après avoir examiné la mâchoire supérieure du crâne du Nouvel- Hollandais représenté pl. CXIX, je me suis convaincu que toutes les dents exis- taient, seulement les deux incisives supérieures moyennes sont très écartées, ce qui aura sans doute fait croire à l’extraction de ces dents. Lès dents des deux mâchoires présentent un caractère d’usure semblable à celui qui se remarque sur celles des vieux chevaux, ce qui me porté à croire que ces insulaires ont I’habitude de mâcher des corps très durs* 518 TRAITÉ veaux nés lorsque les subsistances sont, rares et qu’ils ont à craindre une famine. Ceux de la Nouvelle-Galles du Sud sont un peu moins barbares; mais ils n’ont pas été plus accessibles que les autres à des changements pour leur bien être. (Lesson, Voyage de la Coquille. ) En laissant de coté ce prolongement du museau, qui donne au Nouvel-Hollandais, un trait extérieur de ressemblance avec les singes, nous voyons que la région crânienne qui distingue surtout l’homme des animaux, celle où siègent les organes des facultés intellectuelles (la région frontale), contraste singuliè- rement pour le développement avec celle d’un individu de la race européenne. Afin de mieux saisir cette différence, on fera bien de comparer le frontal d’un Nouvel-Hollandais vu de face, avec celui d’un Allemand vu dans le meme sens, fig. 3 et 2, pl. CIX, quant aux différences de développement partiel, c’est- à-dire de celui des divers organes placés au-dessous de cet os, on pourra s’en faire aisément une idée, à l’aide de la précaution que j’ai prise de placer plusieurs carrés de même étendue, sur les deux frontaux. La comparaison deviendra encore plus inté- ressante pour le pbrénologiste, s’il la fait précéder d’un examen attentif de la carte phrénologique de la fig. 2, pl. XCI, indi- quant le siège des organes. Je me bornerai seulement à quelques remarques. Ce qui frappe davantage dans la comparaison des deux fron- taux, c’est l’applatissement latéral, et le peu de relief en avant dans le frontal du Nouvel-Hollandais : il en résulte que les cases 4, 5 et 6, entièrement remplies sur le frontal de l’Allemand, laissent un grand vide, surtout celles marquées 4 et 6, chez le Nouvel-Hollandais. Les régions occupées par les organes du sentiment poétique, celui du beau dans les arts* de la eons- DE PHRÉNOLOGIE. 519 traction et du calcul, c’est-à-dire celles qui répondent aux cases i,4 et 7, sont à peu près milles chez le Nouvel-Hollandais, tandis quelles sont très développées, sur le frontal Allemand. Quelle différence immense ne présentent pas encore les deux frontaux entre les cases 8, 5, 2, qui répondent aux régions où se trouvent les organes des facultés intellectuelles et réflec- tives. D’un autre côté, si nous jetons les yeux sur le crâne du Nouvel-Hollandais, représenté CXIX, fig. 2 , et que nous tirions par la pensée, une ligne horizontale à la même hauteur que celle qui se trouve sur la tête de Bélin, pl. CXIII, A B., nous trouverons que la région des penchants animaux, l’emportera de beaucoup sur celles des sentiments supérieurs. Les habitants de l’intérieur de la Nouvelle-Guinée (1), les Alfou- rous, sont encore très peu connus : nous ne possédons sur leurs mœurs et leurs facultés les plus saillantes, que des renseigne- ments extrêmement vagues, ou trop contradictoires pour servir de base à un travail phrénologique. Je me bornerai a faire ressortir les traits les plus saillants, de la conforma- tion du crâne de l’un de ses habitants. Celui que j’ai fait repré- senter , pl. CXX, fig. 1 , appartenait probablement à une femme, à en juger par son volume général et le grand déve- loppement de la région de l’organe de l’attachement pour les petits. Comme chez le Nouvel-Hollandais, les facultés animales remportent de beaucoup sur les facultés intellectuelles et les sentiments supérieurs. Les parties latérales supérieures du (l) La Nouvelle-Guinée est après la Nouvelle-Hollande, File la plus étendue de l’Australasie : elle présente une surface plus grande que celle de la France $ on n’en connaît encore qu’une très petite partie. ? TRAITÉ frontal étant ,,assez saillantes, annoncent un grand penchant au merveilleux ou à la superstition, et il doit être d’autant plusactif, que les organes des facultés réflectives sont moins saillants. La région du sens du beau dans les arts, et celle de l’organe de la construction, se font remarquer par leur applatissement. J’ai fait représenter sur la meme planche une idole des habitants de cette nation, apportée de la Nouvelle-Guinée, avec le crâne représenté fig. 2, par M. Lesson. S’il faut juger du talent de construction de ce peuple par çe produit, on peut avoir une idée de leur industrie manuelle. Le même crâne est représenté vu de face, et placé à côté de celui de don Desidério, directeur des beaux-arts à Rome, et que l'on a cru pendant long-temps, être celui de Raphaël, pl. .CVIII, fig. 1 et a. Je n’ai pas besoin d’insister sur la différence frappante, qui existe entre ces deux crânes; non seulement quant au volume général, mais encore dans les deux régions que je viens d’indiquer. Il existe à la Nouvelle-Guinée, une autre variété de l’espèce humaine, connue sous le nom de Papous, bien que cette expres- sion soit aussi donnée eu général aux habitants de l’ile. Ceux dont je viens de parler, les Alfourous, vivent dans l’intérieur, tandis que les Papous, proprement dits, n’habitent que les côtes. Il y a évidemment entre ces deux peuplades, des caractères phrénologiques assez tranchés. Le crâne du Papous que j'ai fait représenter, pl. CXVII, fig. 1, fait partie de la collection de Gall, et lui fut donné par MM. Quoy et Gaimard, auteurs de la Zoo- logie du voyage autour du monde, par le capitaine Freycinet. Il est impossible de confondre, même avec des connaissances phrénologiques peu étendues, le mode de conformation de ce crâne, avec celui des Alfourous, ou bien avec celui de l’habitant DE PHRÉNOLOGIE. 521 de la Nouvelle-Hollande, qu’ils soient comparés en général ou d’une manière absolue, ou en détail et d’une manière relative. Ce crâne de Papous se rapproche beaucoup pour la forme de celui de la race Malaise, pl. CXVJII, fîg. i. La capacilé cérébrale étant considérable, on doit s’attendre à rencontrer chez le peuple auquel il appartient une assez grande étendue d’action du système nerveux qu'elle loge. Les facultés réflectives et percep- tives, et le sens de construction, ont atteint ici un autre degré de développement que chez les Alfourous et l'habitant, de la Nouvelle-Hollande. Quelques organes des sentiments supérieurs sont assez prononcés, et ceux des facultés affectives assez déve- loppés pour faire pressentir une grande force de caractère. Les organes qui paraissent prédominer chez les Papous de file de Bawack, sont, dans l’ordre de leur développement (voir la fîg. t, pl. CXVII), ceux de la circonspection, de la destruction, de la vénération, de la fermeté, du penchant au merveilleux, de la ruse et de la propriété. Plusieurs documents fournis par MM. Quoy et Gaimard, sur les habitudes de ces Papous, coïnci- dent parfaitement avec les points les plus saillants de leur con- ■fo rmation cérébrale. Les nouveaux Zélandais, qui habitent deux îles séparées par le détroit de Cook, sont, de tous les peuples de l’Australasie, ceux sur qui on possède le plus de renseignements positifs. La conformation de leur crâne, pl. CXV, fîg- *2, diffère beaucoup de celle des habitants de la Nouvelle-Hollande. Sans être très prononcée, la région frontale présente assez d’ampleur. Celle des organes des sentiments supérieurs, est ici bien déve- loppée; c’est elle qui contribue à donner au crâne du Zélandais une hauteur que nous ne retrouvons ni chez le Nouvel-Hollan- dais, ni chez l’Alfourou. Le développement presque nul des 522 TRAITÉ organes des facultés perceptives et du sens de construction sur le crâne de celui-ci, contraste singulièrement ayec celui que nous offre le crâne du Zélandais, chez qui le sens de construc- tion est sur-tout bien prononcé. Cette différence laisse facilement deviner celle que l’on doit trouver entre les mœurs et les habi- tudes des Nouveaux-Hollandais et des Zélandais. Nous avons vu que les premiers vivaient comme de véritables brutes, ne pos- sédant aucuns ustensiles, pas de vêtements; pour vaisseaux, des espèces d’auges grossièrement creusées et formées d’un seul tronc d’arbre; sans aucun talent, et inaccessible à tout ce qui pouvait développer l’intelligence. Chez les nouveaux Zélandais, au contraire, on trouve, sous beaucoup de rapports, une grande ressemblance avec les nations civilisées : cabanes nombreuses et bien entretenues, jardins où se trouvent cultivés avec soin les plantes exotiques et indigènes, fabrication d’étoffes faites avec des écorces préparées et teintes de diverses couleurs. Leurs pirogues, leurs instruments de guerre, leurs cerceuils sont cons- truits et sculptés avec infiniment d’élégance. D’immenses filets, artistement fabriqués, leur procure du poisson en abondance. Là, comme chez les nations civilisées, règne une hiérarchie de rangs et de titres que l’on ne retrouve pas chez les autres peu- plades sauvages. Ils ont aussi des prêtres, et croyent à l’existence d’un être qui a créé tout. Ils ont un grand respect pour leurs morts, qu’ils embaument avec plus d’art que ne le faisaient les Égyptiens. Le grand développement de la fermeté, du courage et du penchant à détruire, explique leur penchant bien pro- noncé pour les combats, souvent porté jusqu’à la férocité. Comme la région du sentiment de justice est faiblement déve- loppé, tandis que celle du sentiment de propriété l’est dans un assez haut degré, il n’est pas surprenant que ce peuple se DE PHRÉNOLOGIE. 523 fasse remarquer par son penchant au vol et au mensonge (ij. Je terminerai ce que j’avais à dire sur les principaux carac- tères des peuplades sauvages, dont j’ai fait représenter les crânes dans mon atlas, par des remarques sur ceux de quelques peu- ples qui présentent un mode de conformation qui n’est, comme nous l’avons établi dans notre premier volume, que le résultat d’une pression. On devine que je veux parler des Caraïbes et des Péruviens, dont les crânes sont représentés pl. CXV, fig. i, et pl. CXVI, fig. i. En atrophiant par un moyen artificiel les organes des facultés réflectives, les Caraïbes se ravalent presque au niveau de la brute. Leurs facultés animales, déjà très déve- loppées, ont une action d’autant plus énergique, quelles ne peuvent être contrebalancées par la réflexion. Je ne dirai rien du caractère le plus saillant de ces insulaires, que j’ai déjà indi- qué dans mon premier volume. La compression, en produisant le meme effet chez les Péruviens, dont j’ai fait représenter un crâne pl. CXVI (2), dut nécessairement er\ faire un peuple stupide et faible; stupides, car les régions des facultés intellec- (1) J’ai déjà eu occasion de voir douze crânes de nouveaux Zélandais. Tous , sauf de légères nuances de développement, avaient les mêmes caractères généraux de ressemblance. Au reste , c’est ce que l’on retrouvera toujours chez les peuplades sauvages qui ne se sont pas mélangées avec d’autres. (a) Le dessin a été fait d’après un plâtre coulé sur un crâne recueilli par M. Pentland, dans les tombeaux de Sicasica dans le haut Pérou. Selon M. Pent- land, les restes de ce peuple qui se trouvent principalement dans la vallée de Titicacay et sur les bords du lac du même nom , auraient appartenus à une race particulière d’hommes différents de ceux qui habitent maintenant notre globe, et qui aurait vécu il y a sept ou huit siècles. M. Pentland prétend que l’aplatissement du front n’est pas chez eux le résultat d’une pression artificielle, 524 TRAITÉ tuelles et réfleetives, sont très peu développées; faibles, parce qu’il en est à peu près de même des régions où siègent les organes des facultés animales; ce qui établit évidemment une différence remarquable entre eux et les Caraïbes. Il est probable que le mode de compression des Péruviens, différait de celui des Caraïbes, car chez ceux-ci, elle se borne à l’applatissement de la région frontale, tandis que chez les Péruviens les régions latérales et inférieures pariétales se trouvent aussi déprimées. 11 n’est pas surprenant qu’avec une organisation cérébrale aussi défectueuse que celle du crâne représenté fig. i , pi. CXVI, cette nation soit devenue facilement la proie de celles qui l’entouraient, ou des Espagnols. Sur un crâne apppartenant à des Péruviens d’une époque bien postérieure à celle où vivaient ceux dont je viens de parler, pl. CXIX, lig. i, et chez qui la com- pression n’était pas employée, nous trouvons une différence de conformation très grande avec le crâne de la pl. CXVI, lig. i. Il serait extrêmement curieux d’étudier avec soin les chan- niais cjue cette conformation était naturelle à ce peuple. J’ignore sur quels motifs M. Pentland a basé son jugement. Quant à moi je n’ai pas le moindre doute que cette conformation ne soit artificielle, après les renseignements fournis par M. Sedgwick, sur les moyens employés par beaucoup d’habitants de la mer du Sud et ceux du Pérou , puisque un évêque de Lima avait défendu par un décret l’emploi de tels moyens. D’un autre côté, si l’on considère que toutes ces têtes présentent exactement le même mode d’applatissement de la tête , c’est-à-dire de la région frontale et des régions pariétales latérales inférieures, et qui paraît être la suite de la pression d’un morceau de linge , on sera évidemment disposé à croire que ce mode de conformation est la suite d’un procédé employé dans le jeune age. M. Pentland possède un grand nombre de crânes de ces Péruviens : il a été assez bon pour en donner plusieurs à la collection du cabinet d’Ana- tomie comparée du Jardin des Plantes. DE PHRÉNOLOGIE. 525 gements opérés parla voie de la génération, en mariant en- semble des individus de races différentes, et d’observer combien il faudrait de temps pour obtenir de grandes modifications dans l’organisation cérébrale. Jetons maintenant un coup-d’œil rapide sur le caractère et les institutions civiles et politiques de quelques nations civi- lisées, et les rapports de ces institutions avec leur conformation cérébrale. Les caractères nationaux, comme les caractères des individus, se laissent apercevoir par les actes. La rapidité de civilisation chez les Russes, prouve, ainsi que je l’ai dit précé- demment, un heureux développement cérébral. Les peuples de l’Allemagne se font en général remarquer par leur savoir, leur bienveillance, leur profondeur de penser et leur réserve, fruit évident d’un grand développement des facultés réflectives et intellectuelles, de la bonté et de l’extrême circonspection. C’est cette dernière faculté, très prononcée chez les Allemands, qui fait qu’avec beaucoup plus de science que les autres peuples euro- péens, ils sont cependant restés stationnaires comme nation politique, La conduite des Allemands, comme individus ou comme peuple, est généralement mal jugée par les Français : on la croit la suite de la ruse, tandis quelle dépend de la combinaison de cette faculté avec la circonspection. Attendre les événements, mettre dans sa conduite beaucoup de prudence, et ne se déclarer qu’après certitude, telle sera constamment la politique Allemande. Chez eux, tout est subordonné à la ré- flexion, au calcul et à la prévoyance. Sous l’influence de ces trois facultés, les hautes sciences, en Allemagne, se voient concentrées dans quelques provinces, et ne se trouvent point répandues aussi généralement que chez les autres nations. L’esprit de causalité, souvent très prononcé chez les philosophes allemands, rend 526 TRAITÉ leurs écrits obscurs, et parfois inintelligibles. C'est à l’extrême circonspection ou prévoyance qu’il faut attribuer en grande partie letat monarchique pur qui domine en Allemagne; si quelques gouvernements de cette contrée ont adopté des for- mes représentatives, on peut dire que presque tous sont demeurés absolus ou très peu modifiés. Chez aucune nation de l’Europe on ne trouve, comme en Allemagne, un goût très prononcé pour la musique. Ce n’est pas ici, comme en France ou en Italie, de simples airs répétés avec plus ou moins de goût, mais de vrais chœurs, où l’on trouve tout à la fois la mesure, le goût et la science; et ce qu’il y a de plus remarquable, chez de simples soldats et des laboureurs, tant est puissante l’influence de l’organisation. Le grand développement des sentiments supérieurs, réunis à une extrême circonspection et à la fermeté, rend les Alle- mands d’un caractère grave , élevé et tenace : leur tempéra- ment qui se rapproche un peu du flegmatique contribue h les rendre un peu lourds. Les traits phrénologiques les plus saillants des Français, se manifestent dans les actes de la vie privée, comme dans leurs institutions civiles et politiques. Pour tout ce qui tient aux Beaux- Arts, la France est sans contredit supérieure à toutes les nations de l’Europe. C’est aussi chez elle que se rencontre, dans une plus grande masse d’individus, la réunion, dans un assez grand développement des facultés perceptives, notamment de la confi- guration avec les sentiments du beau dans les arts, del idéalité et de limitation. Quant aux facultés réflectives, comme elles sont évidemment moins prononcées que chez les Allemands, il en résulte que les sciences, en France, ne sont que l’apanage dun petit nombre d’hommes, et quelles se trouvent concentrées dans DE PHRÉNOLOGIE. 527 les villes du premier ordre. Vous ne trouverez pas en France, comme en Allemagne, le goût ou pour mieux dire cette passion pour l’étude, signe caractéristique du besoin qu’ont certains organes intellectuels d’être satisfaits. Un personnage étranger et d'un haut mérite, qui a visité durant l’année i833, une grande partie des départements du Midi, de l’Ouest et du Nord de la France, m’a assuré qu’il était resté stupéfait du degré d’ignorance de la masse des habitants. Hors leurs travaux manuels, me disait-il, ce sont de vraies brutes, dont la vie est toute machinale. Le peu de développement de la circonspection chez la masse de la nation Française, imprime à ses actes une manière d’être opposée à celle des Allemands. Au lieu de cette gravité, de cet air réfléchi et posé de ceux-ci, les Français se font remarquer par une vie plus bruyante, plus de gaieté, plus d’expansion, et quelquefois même, il faut le dire, par une légèreté in- croyable. Tout pour le présent est à peu près la devise de la masse de la nation. Le peu de développement de la circons- pection en France se fait ressentir jusque dans les institutions les plus importantes. Sous l’influence d’un assez grand développe- ment des facultés perceptives, les Français attachent beaucoup d’importance aux faits; sous celle de facultés réflectives plus puissantes, les Anglais, mais sur-tout les Allemands, remontent davantage aux causes et aux conséquences. C’est le développe- ment assez remarquable des facultés perceptives chez les Fran- çais, qui fait que l’on trouve en France beaucoup de spécialité d’un grand mérite, mais un très petit nombre de personnes qui aient des connaissances générales assez étendues pour apprécier tous les avantages des sciences enseignées, leur donner l’impulsion et une direction convenable. Parmi les 528 TRAITÉ nombreux exemples que je pourrais choisir, je n’en citerai qu’un seul : il sera d’autant mieux apprécié qu’il tient précisé- ment au sujet que je traite, et dont mes lecteurs auront sans doute senti toute l’importance. Lorsque Gall vint en France, ses principes, et sur-tout son anatomie du cerveau, produisirent une sorte d’explosion: partout, et en très peu de temps, il ne fut question que de sa doctrine ; mais il en fut d’elle comme de la giraffe et des quatre chinois; ce ne fut qu’un feu de paille. Cependant, à qui Gall s’adressa-t-il pour faire connaître le fruit de ses re- cherches et de ses veilles? A tout ce que la France possédait de plus éclairé, de plus savant; à des naturalistes, des physiolo- gistes, des philosophes et des médecins. Sauf quelques hommes d’un haut mérite, les savants de l’Institut, laissèrent passera peu près inaperçu un travail basé sur un nombre immense de faits, et dont les résultats appliqués à toutes les institutions devaient être incalculables. Un homme, dont le nom vivra autant que celui de Gall, Corvisart, doué d’une rare sagacité et d’une grande étendue d’esprit, ne se contenta pas de saisir les vérités géné- rales de la nouvelle physiologie du cerveau; il alla plus loin, en profitant de sa position auprès d’un despote puissant, pour obte- nir, non en faveur de Gall, mais de la science dont il prévoyait toute l’importance, le moyen de la cultiver chez nous. Prévenu par de lâches courtisans , le despote fit la sourde oreille. Cepen- dant, il faut rendre cette justice à Napoléon, son intelligence et sa pénétration étaient trop grandes pour n’avoir pas été le premier à répondre aux vœux des savants, si ceux qui, par devoir, auraient dû cultiver la phrénologie avaient pris l’initia- tive. Nul doute que s’il en eût été ainsi, la phrénologie n’eût pas tardé à faire partie de l’instruction publique, et sur-tout dans DE PHRÉNOLOGIE. 529 les écoles de médecine, où l’histoire des facultés de l’intelligence et de leurs altérations, se trouve enseignée d’une manière aussi absurde que ridicule. Un spectacle bien digne de fixer l’attention des philosophes et des hommes qui étudient les progrès de l’esprit humain, est celui qui nous est offert maintenant par l’Angleterre. Sur le sol de la Grande-Bretagne se trouvent quarante sociétés phrénologiques. En France, où les ressources sont immenses pour l’étude de la phrénologie , il n’existe encore qu’une société, et la masse des savants est encore à se demander si la phrénologie est une science basée sur l’expérience. En Angle- terre , la phrénologie a fait un pas immense. L’histoire des iacultéset de leurs organes a été établie sur des milliers d’obser- vations. Plus généralisés et mieux vus, les faits recueillis sont devenus susceptibles d’être appliqués aux principales institu- tions. En France, an contraire, on est encore a l’a b c de la science : on s’attache à recueillir des faits mille fois reconnus par la voie expérimentale. En me prononçant ainsi, je suis loin de vouloir porter atteinte à la réputation des membres de notre société phrénologique : le talent réel de plusieurs per- sonnes qui la composent m’est trop connu, pour ignorer que ce n’est pas à eux qu’il faut attribuer le peu de progrès de la phrénologie en France. J’ai au contraire la conviction que, si leur zèle avait été secondé, cette science serait maintenant aussi répandue chez nous quelle l’est en Angleterre. C’est donc, d’une part, parce que les hommes qui se trouvent placés à la tête de l’instruction en France, n’ont pas su apprécier les vérités de la phrénologie et son importance, que cette science est restée stationnaire chez nous. D’un autre côté, l’esprit d’association qui règne chez nos voisins, et qui n’a pas encore lieu en France , TRAITÉ a été aussi une cause puissante de non succès. Enfin, car je dois le dire dans l’intérêt de la phrénologie, cette science n’a pas été enseignée en France d’une manière propre à lui faire faire de rapides progrès. Les principes généraux sur lesquels elle repose, au lieu d’avoir été présentés d’une manière conve- nable, c’est-à-dire coordonnés, enchaînés, et faisant un vrai corps de science, n’ont été présentés que morcelés ou sous forme de détails. La partie descriptive, bien que très importante, mais qui n’est que secondaire, a remplacé la vérité des principes généraux, et la comparaison de la philosophie enseignée jus- qu’à nos jours, avec celle qui résulte de l’étude des fonctions du système nerveux. À force de parler bosses, on a fini par bossuerla science, et parla rendre rachitique.Espérons que sous l’influence d’une plus heureuse direction, et sur-tout par le zèle des hommes qui sont placés à la tête de la science, la phrénolo- gie ne tardera pas à être cultivée avec autant d’activité en France qu’à l’étranger. Une fois introduite dans les écoles, les meilleures têtes, celles qui donnent toujours l’impulsion, ne manqueront pas de s'y livrer avec ardeur et de la propager avec fruit. En France, l’esprit de causalité est le partage d’un très petit nombre de personnes éclairées; c’est pourquoi il est assez rare de trouver dans les institutions, de quelque nature quelles soient, un ordre, une liaison, un but et sur-tout un plan général dans les travaux : il en résulte qu’il n’y a pas d’harmonie entre les ins- titutions , les mœurs, le climat et le caractère de ses habitants. Chacun travaille à part et pour soi, et non, comme cela devrait être, dans un but général. Je ne reviendrai pas sur ceque j’ai dit à l’occasion du sentiment d’approbation, très prononcé chez les Français : en lui donnant une bonne direction, il pourra rendre autant de service à la France qu’il lui a été souvent préjudiciable. DE PHRÉNOLOGIE. 531 Les facultés perceptives, celles du sens de construction, du beau dans les arts, de Limitation et du talent poétique, ne demandent pas à être très stimulées en France, où elle forment le fond du caractère national. Il n’en est pas de même des facultés réflectives : on ne saurait trop les cultiver. Je reviendrai sur ce point en appliquant la phrénologie à l’éducation. Le défaut de persévérance, suite d’un faible degré de déve- loppement de la fermeté, contribue à donner aux Français le caractère de légèreté qu’ils possèdent encore comme du temps des Gaulois; que César, dans ses commentaires, peint comme prompts à se résoudre, ardents à combattre, impétueux dans l’attaque, mais se rebutant facilement. Il convient encore qu’ils se distinguaient des autres nations par leur extrême pétulance et leur politesse. Napoléon, dans les mémoires du comte de Las-Cases, rapporte plusieurs faits qui justifient l’opinion de César : il se plaint, sur-tout dans sa campagne d’Egypte, de la difficulté d’employer les Français dans les entreprises pénibles et de longue durée. Bien que l’opinion de César et de Napoléon se trouve justifiée par la phrénologie, je crois nécessaire de rappeler que les habitants de quelques provinces de France, tels sont les Bretons et les Normands, se font remarquer par leur fermeté. En France, où la levée des hommes destinés au service a lieu par départements, ne serait-il pas possible de composer des régiments entiers d’hommes pris dans les pro- vinces où la fermeté se trouve réunie au courage, et deles réserver pour les cas où ces deux facultés demanderaient sur- tout à être mise sen jeu ? Ce que je dis ici r Napoléon l’avait mis en pratique en composant sa garde d’hommes d’un courage éprouvé. C’est sur-tout chez celui qui commande aux autres que ces deux facultés, le courage et la fermeté, sont indispen- 534 TRAITE sables. J’ai connu plusieurs généraux d’un grand savoir, d’un courage à toute épreuve, mais qui n’auraient été bons, à cause de leur défaut de fermeté, qu’à donner, que l’on me passe l’expression, un coup de collier. Impétueux et bouillants, ils n’avaient pas cette fermeté dame et cette opiniâtreté qui est un grand élément de succès. On ne saurait donc trop récom- penser en France la persévérance dans les travaux, et la fermeté chez les militaires, deux manières d’etre qui dépen- dent de la même faculté. Les caractères phrénologiques des Anglais sont parfaitement en harmonie avec leurs institutions. Etudiez avec soin les mœurs privées et les institutions civiles et politiques des An- glais, et vous trouverez partout le cachet de l’organisation dominante : l’orgueil, la ruse, la circonspection, le désir d’avoir et le calcul, percent partout. La prédominance de ces facultés établissent entre les Anglais et les Français, un contraste frap- pant ; tout en France paraît avoir lieu en plein jour; en Angleterre tout est secret et caché. Le Français est communi- catif; l’Anglais, au contraire, sous l’influence de la circons- pection et de la ruse, est grave et réservé. S’agit-il de donner publiquement une idée de sa puissance ? Sous l’influence de l’orgueil, l’Anglais déploiera au grand jour tout ce qui pourra lui donner un caractère de supériorité, soit d’individu à individu, ou de nation à nation. L’orgueil, principale cause de l’indépendance des Anglais, est loin d’avoir produit jusqu’à ce jour les résultats qu’on devait en attendre; on peut dire meme que la liberté n’existe chez eux qu’en apparence. Il n’y a peut-être pas de pays au monde où les nuances des conditions soient plus tranchées, et où il y ait conséquemment moins de contact entre les classes. Préjugés de rang, de fortune, de reli- DE PHRÉNOLOGIE. 535 gion, d’éducation, tels sont encore aujourd’hui les traits les plus saillants de la nation qui se croit cependant la plus libre du monde. Sous l’influence de l’orgueil et de la circonspection, la conversation des Anglais, est en général monotone et peu communicative. J’ajouterai que l’esprit de discrimination, en général moins prononcé chez eux, ôte à leur conversation le charme que l’on trouve dans celle des Français. C’est probable- ment à la même faculté que je dois attribuer une manière d’etre que j’ai rencontrée chez plusieurs Anglais pendant mon séjour à Londres : bien que remarquables sous le rapport de certaines facultés réflectives, ayant beaucoup de bon sens et des qualités morales excellentes, ils manquaient cependant de ce que l’on appelle communément en France esprit. Cette manière d’être, caractère distinctif du Français, que beaucoup d’Anglais supposent, mais à tort, la suite de la vivacité, résulte évidemment de la combinaison et du rapprochement d’idées fines et délicates : elle tient au développement plus considérable de l’organe de discrimination généralement plus développé chez les Français. Le développement considé- rable de l’orgueil chez l’Anglais contribue à lui donner une forte teinte d’égoïsme, ou de caractère personnel. C’est cepen- dant le même sentiment qui le rend aussi plus patriote. Rien comme la vieille Angleterre est le dicton général. Pourquoi, dit Buwler, un Anglais est-il si vain de son pays P Pour une excellente raison, c’est qu’il l’a produit; dans son esprit, l’Anglais est le pivot de toute chose, le centre du système solaire. Sous l’influence de facultés réflectives assez puissantes, delà circonspection et de la persévérance, les Anglais, je leur dois cette justice, me paraissent un des premiers peuples de l’Eu- rope. !Nul part vous ne trouverez, comme en Angleterre, un 536 TRAITÉ plus grand nombre de sociétés savantes, douées d’un plus grand esprit d’indépendance, aimant le travail, s’y livrant avec un zèle et une persévérance qu’aucun obstacle ne peut arrêter; et ce qu’il y a sur-tout de plus essentiel, remarquable par l’heu- reuse application quelles en font à tout ce qui peut contribuer au bien être général de leur nation. C’est de la réunion de ces sociétés savantes, que résulte, en Angleterre, ce vaste foyer de lumière qui se répand sur tout le sol de la Grande-Bretagne. Le développement considérable de l’organe du calcul et de l’ordre, donne aux actes publics et privés des Anglais beaucoup d’uniformité et de monotonie. Tout va chez eux par poids et par mesure. On peut dire que, sous ce rapport, l’Anglais est un être d’habitudes et de formes. De ce développement considérable du calcul, et de celui non moins fort du sentiment de propriété, résulte que la fortune chez les Anglais est mise avant tout. Etre pauvre, a dit un auteur, n’est pas un malheur en Angle- terre, c’est un crime. Dans leurs constructions , leurs établissements publics, leurs voitures, et sur-tout leurs maisons, les Anglais sont infi- niment supérieurs aux Français pour l’ordre, et la proprelé qui en est la conséquence. Il parait que cette dernière qualité est encore plus prononcée chez les Hollandais. Je tiens d’une per- sonne qui a beaucoup voyagé, que rien ne peut se comparer à la recherche, l’ordre et la propreté des Hollandais. Le même ordre et la même symétrie se laissent apercevoir dans leurs éta- blissements publics, leurs temples et leurs jardins. J’ai eu oc- casion de visiter dans le port de Caen plusieurs vaisseaux marchands Hollandais, j’ai été surpris de l’extrême propreté qui y règne; ils forment, à cet égard, un contraste frappant avec ceux des navires Français et étrangers. Les personnes qui DE PHRÉNOLOGIE. attribuent Jes actions de l’homme à l’influence des circonstances extérieures ne manqueront pas sans doute de considérer la propreté des Anglais et des Hollandais, comme la suite de leur climat froid et humide. A cela je répondrai que la tempé- rature n’y est absolument pour rien, qu’il existe d’autres peuples qui habitent des pays froids et humides, et qui sont cependant d’une saleté dégoûtante. J’ajouterai que les Hollan- dais qui habitent Batavia ont le même caractère de propreté que ceux qui vivent à Amsterdam et Roterdam. Une autre faculté assez développée chez les Anglais, louable quand elle est renfermée dans certaines limites, la vénération, a produit en Angleterre d’excellentes choses, et de grands abus en retardant les progrès de la science. L’extrême vénération qu’ils ont pour leurs morts, a été et est encore un puissant obstacle aux progrès de l’anatomie descriptive et pathologique : c’est pour le même motif, qu’au lieu de prendre pour guide la raison et la réflexion, les Anglais ont trop souvent obéi à l’influence d’un nom respectable, qui devenait pour eux une autorité. Bacon, dont l’Angleterre a raison de s’énorgueillir, a peut-être eu plus d’influence sur les autres nations que dans son pays. En vain, disait-il, qu’il était absurde de considérer comme exact et vrai tout ce qui avait été écrit par les anciens : le sentiment extrême de vénération, mère de la routine, restait toujours un obstacle au progrès. Dès l’instant que le gouvernement ou le clergé avaient jugé qu’une chose était dangereuse; que la lecture d’un livre pouvait produire une innovation, la masse fermait les yeux, et ne voulait plus s’en occuper. L’esprit d’association et l’instruction généralement très répandus en Angleterre, leur grand nombre de sociétés savantes sur-tout, ont amené une grande amélioration dans les progrès des sciences; mais il reste 538 TRAITÉ encore des traces assez prononcées d’un sentiment de vénération mal entendu, pour devenir un obstacle à tout le bien que les savants voudraient obtenir. En Angleterre, plus qu’ailleurs peut-être, le clergé a été un obstacle au progrès de la philosophie. Confondant mal à propos deux choses qui peuvent exister séparément la religion et la morale, on a considéré comme immoral l’homme qui ne se con- formait pas aux croyances que la religion lui prescrivait. D’un autre côté, l’aristocratie s’est entendue avec le clergé pour cor- rompre le peuple et l’exploiter à leur profit. Les grandes proprié- tés n’étant en Angleterre, à cause du préjugé de naissance, que dans les mains d'un petit nombre de personnes, il en est résulté deux extrêmes dans la masse de la nation, qui ne se voient pas en France : je veux parler de ces fortunes colossales et de ces grandes misères qui existent sur-tout en Angleterre. A côté d’individus jouissant de plusieurs millions de rentes , il est extrêmement commun de voir des milliers de malheu- reux plongés dans la plus affreuse misère. Le préjugé de naissance qui n’existe pas en France, a donné lieu k la division des propriétés; et si l’on n’y trouve pas, comme en Angle- terre , des fortunes immenses, on y trouve au moins plus d’aisance générale. La classe des prolétaires, si nombreuse en France avant la révolution de 1789, est devenue à son tour propriétaire, et de cette classe, sont sortis des enfants, qui par leur intelligence et leur instruction, sont parvenus à occuper les places les plus distinguées dans les sciences, les arts, la magistrature, ou comme représentants de la nation. En Angleterre, les principales places sont l’apanage de l’aristocratie, et si dans les autres classes des hommes font preuve d’un talent éminent, la noblesse, par ruse De phrénologie. 539 ou par calcul, sait s’en emparer et se déclarer leur protecteur. N’ayant pas examiné un assez grand nombre de cranes, ayant appartenu à d’autres nations que celles dont je viens d’esquisser les traits phrénologiques les plus saillants, et ne voulant pas donner place dans mon ouvrage, aux observations purement conjecturales, je me contenterai d’indiquer les organes qui m’ont paru assez développés sur plusieurs crânes de diverses nations que j’ai eu occasion d’observer avec attention. J’ai trouvé sur le crâne de sept suisses, beaucoup de points de ressemblance avec ceux des Allemands : cependant la région des facultés réflectives, était moins développée. Les organes de rattachement, du choix des lieux, de la propriété, de la bien- veillance , sont ceux qui m’ont paru dominer dans leur crâne : sur quatre, l’organe de construction était très prononcé. Les organes que j’ai trouvés le plus développé sur le crâne des Espagnols étaient la vénération, le penchant au merveilleux et le courage. La région des facultés réflectives , était évidem- ment moins développée que sur les têtes Allemandes. Le sens de construction - celui du beau dans les arts, et surtout celui de l’ordre, étaient en général faibles. La région du sentiment de propriété était moyennement développée : il existait sur-tout un contraste frappant entre leur crâne et celui des Allemands, dans la région de l’organe qui préside aux choix des aliments : large chez ceux-ci, elle était peu saillante sur les crânes des Espagnols. TRAITE CHAPITRE XIV. INFLUENCE DE L’HABITUDE SUR L’EXERCICE DES ORGANES DES FACULTÉS CÉRÉBRALE». L’habitude, qui a pour but demodifier les facultés céré- brales, en donnant à leurs organes et plus d’énergie et plus d’activité, ne pouvait être bien comprise qu’après avoir été précédée de l’histoire des facultés fondamentales du système nerveux encéphalique. L’influence de l’habitude sur les indi- vidus, les familles et les nations, peut avoir des conséquences si graves, que j’ai cru devoir y consacrer un chapitre tout entier. Mais avant d’entrer plus avant en matière, trois questions se présentent d’abord, dont nous devons donner la solution. i° Que doit-on entendre par habitude ? i° Tous les hommes peu- vent-ils être soumis à son influence ? 3° Doit-on s’attendre a obtenir par l’habitude, les mêmes résultats chez tous les hommes. A. la première question nous répondrons, qu’il faut entendre par habitude la répétition facile, d’action des organes : à la seconde question, oui, tous les hommes peuvent-être soumis à son in- fluence, mais autant qu’ils ont reçu de la nature des organes assez développés pour être modifiés par l’habitude : cette der- nière proposition répond à la troisième question et la résout. Si tous les hommes naissaient avec le même développement d’organes cérébraux, et conséquemment avec la même énergie DE PHRÉNOLOGIE. 541 de facultés, 1 education prise dans un sens général, et qui n’est qu’une sorte d habitude, devrait produire sur tous les indi- vidus les mêmes résultats. Il suffit pour détruire une manière de voir aussi fausse, d étudier la conduite ou les actes des enfants d’une même famille, des jeunes gens qui se trouvent réunis dans le même pensionnat. Je suis loin de nier chez les hommes, l'influence des circonstances extérieures, de l’habitude ou de l’éducation; elle est immense, mais je nie formellement que d’elles seules dépendent, comme l’ont prétendu quelques phi- losophes, Helvetius entre autres, la différence qui existe entre les hommes. Des hommes sans la moindre éducation, ont fait des vers admirables, se sont montrés grands calculateurs, grands peintres, grands mécaniciens, etc. Les circonstances extérieures et l’habitude n’auront jamais d’influence, si elles n’agissent pas sur un individu ayant un développement assez considérable des organes cérébraux ; pas plus qu’il ne sera possible de donner à un homme d’un système musculaire faible, une constitution athlétique par des exercices de corps répétés. Qu’une première leçon d’arithmétique soit donnée à deux personnes, l’une possé- dant le sens du calcul dans un faible degré, l’autre dans un haut degré de développement : la première donnera peu d’attention à ce que le maître lui enseignera, peut-être même ne l’enten- dra-t-elle pas. L’autre au contraire, saisira parfaitement ce quelle entendra, et l’exercice du calcul ne sera pour elle qu’un jeu. Cette expérience est absolument celle qui aurait,lieu entre deux hommes possédant l’un un système musculaire très déve- loppé, et l’autre le même système dans un état de faiblesse. Que fou exerce celle-ci à lever un poids considérable; quelque effort qu elle fasse, elle ne pourra jamais y parvenir : l’autre sans avoir jamais essayé, l’enlèvera au contraire avec la plus grande facilité. TRAITÉ Ce que je viens de dire de l’enseignement du calcul, est appli- cable à toutes les choses enseignées dans les écoles : il existe autant de différences de résultats ou de succès, dans chacune d’elles, qu’il existe de dispositions innées, ou d’aptitudes à les saisir. On peut dire d’une manière générale, que si les organes sou- mis à l’influence de l’habitude, sont trop faiblement développés, quels que soient les efforts des maîtres et la persévérance des élèves, les résultats obtenus seront toujours à peu près insigni- fiants. Le cas où l’habitude et l’éducation peuvent véritablement faire sentir toute leur influence, est celui ou plusieurs indi- vidus présentent des facultés à peu près égales en forces. Il existe précisément alors, ce que l’on voit entre deux terres de même qualité, mais dont l’une est cultivée et l’autre abandonnée à elle-même. Sous l’influence de l’éducation, vous obtiendrez: évidemment plus d’exercice des organes, plus de facilité dans leur exécution, comme par la culture vous obtiendrez de meil- leures récoltes. Quand Rousseau qui jouait passablement aux échecs dit, qu’il jouerait pendant des milliers de siècles sans avancer d’un cran, il énonce une proposition toute phrénolo- gique, et prouve que l’habitude est toujours renfermée dans les limites du développement des organes. Ce point est trop capital pour que je n’y insiste pas, beaucoup de personnes étant encore imbues de cette fausse idée, qu’il suffit pour exceller dans les sciences et les arts, de s’y livrer avec persévérance. Si, comme elles le soutiennent, il en était réellement ainsi, on verrait tous les jours des résultats tout autres que ceux qui ont lieu. Combien de £ens ont travaillé toute leur vie sur un même sujet, soit dans les arts ou dans les sciences pour arri- ver à la médiocrité ! Tandis que d’autres avec la moitié moins DE PHRÉNOLOGIE. 543 de travail, et quelquefois meme dès le commencement, se sont mis au rang des hommes célébrés. Que ceux-ci se livrent à leur tour à des travaux soutenus, comme ils ont déjà reçus de la nature des dispositions excessive- ment heureuses, l'habitude viendra.les développer, et produira des effets prodigieux. Sous l’influence de l’habitude, l’homme organisé pour le calcul pourra, sans le secours de la plume, résoudre en peu de temps des problèmes qui paraîtraient en demander beaucoup. Si on avait dit à un musicien que l’on pouvait jouer d’une manière ravissante sur un violon pourvu d’une seule corde, il eût probablement considéré comme fou celui qui lui aurait parlé ainsi, cependant Paganini, sous l’in- fluence d’une grande facilité d’exécution et d’une longue ha- bitude, nous l’a fait voir et entendre. Si un bateleur ou un prestidigitateur se livrait à ses exercices devant une réunion de sauvages, il est certain qu’ils le pren- draient pour un homme extraordinaire, peut-être même pour un être surnaturel. À quoi se réduisent cependant tous ces actes qui paraissent tenir du prodige? A l’habitude qui facilite l’exer- cice de tous les organes, de ceux qui servent aux mouvements, comme de ceux qui président à la vie cérébrale. Que ces organes cessent d’être cultivés, nous cessons de répéter avec la même aisance les actes qui en dépendent; on devient ce qu’on appelle rouillé. Enfin si le défaut de culture est complet, nous perdons entièrement l’exercice de la faculté. On sait que les acteurs ne parviennent jamais à jouer une pièce avec ensemble qu’après une sérié de représentations. L’influence de l’habitude, à organisation égale, se laisse sur- tout apercevoir entre les hommes de sciences, et ceux qui n’exercent pas, ou très peu, les facultés réflectives. C’est là, ce 544 TRAITÉ qui explique aussi pourquoi, avec une organisation cérébrale assez heureuse, les idées des hommes exclusivement livrés aux travaux manuels, roulent dans un cercle extrêmement étroit, et lorque par l’effet de J age, l’habitude est devenue en quelque sorte, une seconde nature, c’est en vain que l’homme prétendrait arriver par le travail, à modifier et cultiver ses facultés, le pli est pris, et toute tentative, du moins pour par- venir à un haut degré, deviendrait infructueuse. Je vais maintenant passer en revue et successivement, l’his- toire de l’influence de l’habitude sur les diverses facultés céré- brales, en suivant l’ordre de classification que j’ai présenté dans mon tableau. Je ferai précéder mes remarques de quelques observations sur l’influence de l’habitude chez les animaux. Tous les êtres organisés sont susceptibles d’habitudes, ou de modifications d’action du système nerveux, mais renfermées dans la sphère de l’organisation qu’ils ont reçue en partage. Quelque énergiques et prolongées que soient les circonstances extérieures et l’habitude, elles ne parviendront jamais à donner à un animal les qualités d’un autre, fussent ils tous les deux de la même classe et de la même espèce. Jamais on ne pourra, par l’éducation, apprendre à un renard ce que l’on apprend à un chien. Jamais chez deux chiens soumis aux mêmes cir- constances, quelquefois de la même famille, l’on ne trouvera la meme aptitude à l’habitude ou à l’instruction ; mais on pourra parvenir à laide de certains moyens, à diminuer l’é- nergie de quelques organes, et à donner à d’autres une acti- vité d’action à laquelle ils n’auraient jamais pu s’élever, si l’animal avait été abandonné à lui même. J’ai vu sous le même toit deux animaux qui n’étaient assurément pas destinés par la nature à vivre ensemble; c’était un chat et un moineau. DE PHRENOLOGIE. Il m'est souvent arrivé de voir le moineau s’approcher dou- cement du chat tandis qu’il sommeillait, et lui donner plu-* sieurs coup de bec sur le museau. Le chat s’éveillait, agitait ses pattes, mais il était aisé de voir qu’il n’agissait ainsi que dans l’intention d’éloigner le moineau, et non d’en faire sa proie. Qui donc avait pu changer cet animal au point de le faire agir d’une manière si contraire à ses mœurs? L’habitude, élevé de bonne heure avec le moineau, il avait été vigou- reusement châtié lorsqu’il avait voulu s’en emparer, et l’im- pression de la douleur était assez présente à sa mémoire pour modifier son penchant naturel à la destruction. C’est l’habi-* tude qui nous explique pourquoi plusieurs animaux sauvages, pris de très bonne heure et soumis à l’influence répétée de certains actes, ont une action différente de celle qu’ils auraient eue s’ils avaient été abandonnées à eux-mêmes. On a vu des loups, des tigres, des martes et d’autres animaux sauvages, suivre des personnes qui les avaient élevés. Plus l’organisation cérébrale des animaux devient compliquée, et plus il existe de moyens de la modifier, et de changer les penchants natu- rels, tantôt en activant par l'exercice certains organes, d’au- tres fois en diminuant l’activité des autres par l’inaction. Sous l’influence de ces circonstances, un changement remarquable s’opère dans les habitudes de l’animal : il s’établit une espèce de lutte entre ses propensités naturelles et les habitudes ac- quises, et celles-ci, comme on le voit fréquemment, peuvent: avoir le dessus. A la vue d’une pièce de gibier, le chien qui n’a reçu aucune instruction, se jette dessus avec une ardeur incroyable : sous l’influence de l’éducation et des cette propensité, si forte chez lui, a été tellement modifiée que l’animal peut la surmonter. 546 TRAITE Ou ne saurait croire jusqu’à quel point on peut à l’aide de l’habitude, modifier les actes naturels des animaux. Qui n’a pas été témoin de l’adresse de certains singes, des actes intellectuels des chiens et des oiseaux. Tous les jours, et par l’influence de l’habitude, nous accoutumons les chiens, les chevaux, les mules, etc., à obéir à nos ordres, et à servir à une foule d’usages. Là , comme chez l’homme, les premières tentatives sont difficiles et pénibles; mais avec le temps les actes s’opèrent avec facilité et finissent meme, s il sont prolongés, par deve- nir une espèce de routine. C’est ce que l’on voit sur-tout dans ces évolutions opérées par les corps d’armée , où hommes et bêtes finissent par agir avec un ensemble et une précision qui ressemblent à des mouvements purement instinctifs, bien qu’ils soient le fruit d'une longue éducation ou habitude. Plus celle- ci est soutenue, et plus l’animal se sent naturellement entraîné à lui obéir. Un curé qui avait acheté un cheval ayant appar- tenu à un régiment de cuirassiers, passa un jour près de deux escadrons de cavalerie occupés à la manœuvre : au son de la trompette, toutes les vieilles habitudes se reveillèrent dans le cerveau de l’animal, qui courut au grand galop se ranger dans les rangs des soldats. On peut dire d’une manière générale que les facultés de conservation l’emportent chez tous les animaux, et même chez l’homme, sur les facultés intellectuelles et les sentiments. Je m’étendrai un peu sur ce sujet, à cause de son extrême im- portance et afin de ne pas y revenir lorsqu’il sera questiou d’appliquer la phrénologie à l’éducation. Bien comprise et bien appliquée, cette partie de la phrénologie explique comment , par la direction imprimée aux facultés désignées sous le nom de DE PHRÉNOLOGJE. 547 Sentiments supérieurs, une nation peut s’élever au plus haut degré de bonheur, comme elle peut succomber sous le poids de la superstition ou du plus affreux despostisme. Voulons-nous avoir une idée de l’influence de l’habitude sur une nation toute entière, jetons les yeux sur l’Espagne. N’est-ce pas un specta- cle curieux de voir, au milieu du mouvement actuel de civi- lisation Européenne, une des plus belles nations courbée sous le joug de la superstition, négligeant les sciences et les arts qui sont la richesse et la prospérité des nations P Cependant l’Es- pagnol possède de brillantes qualités : il est actif, entreprenant, courageux et intelligent. Que Eon ne vienne pas me dire que la cause de l’état d’engourdissement où se trouve plongée cette nation soit la suite du climat. En Portugal, où la tempéra- ture est plus élevée qu’en Espagne, l’instruction est généra- lement plus répandue; on s’y livre avec plus de soin à tout ce qui peut améliorer le pays et l’intelligence de ses habitants. Comment se fait il donc qu’avec la beauté de son climat, la richesse de son sol, sa nombreuse population, et l’étendue de son territoire qui produit de tout en abondance, l’Espa- gne soit si en arrière de la civilisation ? Prenez-vous en à O l’habitude d une dévotion mal entendue, et au despotisme qui font de l’homme une machine passive et le plongent dans l’abrutissement. Des milliers d’individus qui auraient rendu d’immenses services aux sciences et aux arts, vont ensevelir dans un cloître, au détriment de leur patrie, les belles facultés qu’ils avaient reçues de la nature. Voulons-nous un autre exemple de l’influence de l’habitude sur tout un peuple, jetons les yeux sur le vaste empire de la Chine. Quelles que soient les révolutions qui aient eu lieu dans la dynastie de leurs rois, comme la base de gouverne- 548 TRAITÉ ment est toujours la même, les Chinois de nos jours sont encore les mêmes qua l’époque la plus reculée. Leurs arts, leurs sciences roulent toujours dans le même cercle, leurs manières, leurs pratiques sont constantes et uniformes : ce sont de vraies bêtes d’habitude, façonnées par la main du despotisme. C’étaient de profonds observateurs, ces hommes qui cherchèrent à subjuguer les masses, en leur inculquant de bonne heure des idées ou des principes dont l’habitude devenait un besoin. Seulement ils se trompèrent en persis- tant dans la même routine, lorsque l’instruction plus répan- due demandait d’autres habitudes. Depuis la révolution de 93, et sous le gouvernement de Napoléon, l’éducation, mieux entendue et plus répandue en France, fit contracter à la masse de la nouvelle génération d’autres habitudes de science et de réflexion. Les effets s’en manifestèrent sur-tout dans les sciences, par ce vif désir d’instruction qui fut toujours le précurseur de l’affranchissement intellectuel. Il fallait qu’i* y eut pendant la restauration une bien grande ignorance des hommes et des choses, pour croire que des pratiques suran- nées pourraient remplacer des habitudes d’une autre époque. En yain s’efforça-t-elle d’user de toute son influence sur la jeunesse : elle parlait à une nouvelle génération qui avait grandi, et dont les habitudes étaient prises. Le despotisme et Fabrutissement ne sont pas plus praticables en France qu’ils ne le seraient en Angleterre, et dans les pays où le peuple est instruit et a contracté l’habitude de se livrer aux sciences. Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble que fart de gouverner les nations devrait avoir pour base la connais- sance des facultés dominantes des hommes qui les composent, et le degré de civilisation et d’habitude où ils sont arrivés. DE PHRÉNOLOGIE. 549 Si les institutions ont vieilli, et quen dehors déliés se trouve une masse d’hommes plus avances par leur science, ou, pour me servir d’une expression triviale, si les élèves sont plus instruits que les maîtres, une lutte ne tardera pas à s’établir, et ceux-là ne manqueront pas de triompher. En thèse générale, lorsqu’un homme a la conscience de sa supé- riorité sur un autre , l’influence de celui-ci devient nulle. Voyons ce que devient tout homme laborieux et capable d’arriver à une certaine hauteur dans la science, soit par le nombre de ses travaux, son heureuse organisation, et sur- tout l’habitude de fréquenter des hommes supérieurs; il arrive à un degré de science qui lui rend insupportable la conversa- tion des hommes qui n’ont pas joui des mêmes avantages, il sent qu’il leur est de beaucoup supérieur. Que doit-on penser alors de la prétention de ces derniers à vouloir l’instruire et le diriger? L’histoire de ces hommes est précisément celle de plu- sieurs institutions de notre époque. Je suppose, et c’est mal- heureusement ce qui a encore lieu en France, qu’en présence d’un nombreux auditoire de plirénologistes instruits, un pro- fesseur vienne expliquer l’histoire des facultés intellectuelles en plaçant leur siège dans le foie, le cœur ou les entrailles, il est évident qu’il se fera moquer de lui. Qu’un autre pro- fesseur, qui n’a fait aucunes expériences phrénologiques, vienne dire en présence de gens qui les ont répétées jusqu’à satiété, que la phrénologie n’a pas plus de fondement que l’astro- logie ou la nécromancie, il perdra tout espèce de crédit et n’inspirera aucune confiance. Je vais plus loin : je suppose qu’une personne qui se sera contentée de la lecture des ou- vrages de Gall, professe la phrénologie devant ceux qui en ont suivi les progrès, et se trouvent au niveau de cette TRAITÉ science, on ne l’écoutera plus avec intérêt, car il est déjà en en arrière. Comme toute idée neuve, la phrénologie a du nécessaire- ment éprouver bien des obstacles; mais j’ai la conviction que tous les philosophes et les physiologistes sans prévention s’em- presseront d’en être les partisans, lorsqu’ils seront à même de vérifier le nombre immense de faits qui lui servent de base. Mais revenons à l’influence de l’habitude sur les facultés : je commencerai par celle quelle a sur les sens. Il n’est personne qui ne sache combien on peut activer les sens de l’ouïe, de la vue, de l’odorat, du goût, etc., par un fréquent exercice : ils acquièrent alors une perfection et un degré d’action remarquable, quelquefois même surprenant. On cite l’histoire d’un aveugle qui distinguait à l’odorat si sa fille avait été chaste. On a vu des gourmets reconnaître, par une longue habitude de la dégustation, non-seulement les différentes variétés de vins, mais distinguer encore de quel cru et de quelle année ils étaient. Le toucher acquiert souvent chez les aveugles une finesse incroyable. Une faculté qui existe chez tous les animaux vertébrés et la plus précieuse pour leur existence, la conservation, est suscep- tible d’être puissamment modifiée par l’habitude. Les animaux les plus sauvages, sous l’influence de certaines circonstances, et en évitant avec soin tout ce qui pourrait éveiller l’organe de la conservation , peuvent être apprivoisés. Dans les lieux où les oiseaux ne sont point tourmentés, on les voit venir près des personnes et ne point chercher à les éviter. Je possède une petite perruche du Sénégal qui a été pendant plus de deux mois avant de se laisser prendre : à mon approche elle jetait des cris perçans, et cherchait à mordre : sous l’influence DE PHRÉNOLOGIE. 551 de bons traitements, elle est devenue d’une docilité incroyable; elle vient se placer d’elle-même sur mon doigt, et me tait mille caresses. Une des personnes qui a dessiné une partie des sujets représentés dans mon Atlas, avait un moineau quelle laissait aller sur les toits jouer et se battre avec ceux de son espèce , et qui revenait ensuite près de son maître. J’ai vu l’année dernière, un cochon qui parvenait, à l’aide de ses pattes et de son grouin, à lever la petite porte en bois qui fermait son étable avec daller voir la personne qui lui donnait habituellement des soins. Ce n’était certainement pas le besoin de manger qui le faisait agir ainsi, car il était plus que rassasié : d’ailleurs son empressement à se rendre près de cette personne , les mouvements de son corps, de sa queue et de ses oreilles*, trahissaient le sentiment qui l’agitait. Le cerf et le chevreuil, chez qui le sentiment de conservation est porté si loin, que le moindre bruit suffit pour les mettre en fuite, peuvent' sous l’influence de l’habitude devenir appri- voisés, au point d’entendre, sans être nullement effrayés, les détonnations> d’armes à feu. II serait bon d’accoutumer de bonne heure les personnes chez qui le sentiment de conservation est trop énergique, à supporter les choses qui les effraient. Je connais une dame que la présence d’un cheval met dans une crainte incroyable : je l’ai vue fuir souvent, même lorsque l’animal était à une distance très éloignée. Je connais une autre personne qui ne voudrait pour rien au monde monter sur un édifice élevé, quand même elle serait entourée de tous cotés par des corps qui s’oppose- raient à sa chute. Un jour que j’assistais avec elle à une as- cension que faisait un bateleur sur une corde tendue obli- quement du sol au troisième étage d’une maison, je la vis 552 TRA.1TÉ pâlir au milieu de l’expérience, et force lui fut, pour ne pas défaillir, de se détourner avant que le bateleur n'arrivât au terme. Chez certaines personnes le sentiment de la conservation agit avec tant de force, qu’il est absolument impossible de les accoutumer aux scènes de destruction. L’idée de la mort est celle qui les domine, et tout ce qui peut la leur rappeler suffit pour les mettre dans des transes horribles. C’est dans les premières luttes sanglantes que se livrent les soldats ou les marins, que l’on peut saisir l’influence que le sentiment de conservation exerce sur les hommes : chez certains il produit un malaise étonnant, quelquefois même porté jusqu’à la dé- faillance; d’autres, au contraire, sont peu affectés, et semblent se jouer du péril. Après plusieurs essais l’on finit par se fami- liariser avec le danger, l’impression de la crainte est moins vive, et l’on devient ce qu’on appelle aguerri. On sait avec quelle indifférence les soldats habitués au feu affrontent la mort. Par l’influence de l’habitude, l’homme parvient à dompter ou à faire taire l’organe le plus disposé à entrer en action (celui de la conservation). L’organe du choix des aliments est un de ceux sur lesquels l’habitude a la plus grande influence. Il est donc prudent pour les parents et les instituteurs d’en diriger l’action de très bonne heure, soit pour la quantité, soit pour la qualité. Bien entendu qu’il faudra avoir égard à lage, à la constitution et au cli- mat. On évitera sur-tout de donner aux enfants des liqueurs fortes, des friandises, en un mot, tout ce qui pourrait les ha- bituer à Sa sensualité. L’usage des liqueurs spiritueuses doit être sur-tout banni des collèges et des maisons de réclusion, non- seulement pour éviter l’habitude de l’ivrognerie qu’il finirait par DE PHRÉNOLOGIE. produire, mais à cause de son influence sur certaines facultés qu’il excite. Je possède le plâtre d’un homme qui a été exécuté pour avoir tué sa maîtresse : tous les détenus qui le connais- saient m’ont assuré qu’il était naturellement bon, mais qu’il devenait une véritable bête féroce quand il avait bu de l’eau- de-vie abondamment. C’est graduellement que les gourmands et les ivrognes arri- vent à engloutir des quantités prodigieuses d’aliments et de boissons. Tel qui avait commencé par un verre de vin, finit par en boire une, deux, trois bouteilles, et quelquefois au- delà. J’ai connu une malheureuse femme qui avait l’habitude de boire une pinte d’eau-de-vie par jour : par une espèce de pudeur elle allait le même jour chez plusieurs marchands, afin de ne pas laisser voir jusqu’à quel degré son vice affreux était porté. Tout son corps était dans un état de bouffissure, sa face sur-tout était lisse et soufflée, comme elle l’est presque toujours chez les buveurs de spiritueux, notamment ceux qui sont cfun tempérament lymphatico-sanguin : elle était toujours plongée dans un état d’hébêtement. Ce qu’il y a de plus affreux dans l’habitude de la gourmandise, et sur-tout de l’ivrognerie, c’est qu’une fois contractée il est rare que l’on parvienne à s’en cor- riger. Le proverbe qui a bu boira n’est malheureusement que trop vrai : je suis encore à trouver un ivrogne qui soit parvenu à se déshabituer de l’abus des liqueurs fortes. Il n’est pas rare de voir le penchant à l’ivrognerie se trans- mettre par la voie de la génération, quelquefois directement, d’autres fois en passant une génération. Je connais un ivrogne dont le père.était très sobre, mais le grand père un ivrogne mo- dèle. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que sa grand-mère, frap- pée de sa ressemblance avec celle de son mari, avait manifesté 554 TRAITÉ plusieurs fois la crainte, quand il était encore enfant, quil n’eut le même vice que son grand-père. Ses prévisions ne se sont que trop réalisées : le malheureux à force de boire des liqueurs alcooliques, est tombé dans un état voisin de l’imbé- cillité. Le penchant à la destruction, naturel à l’homme pour sub- venir à sa subsistance, se manifeste quelquefois d’assez bonne heure, et mérite la plus sérieuse attention des personnes char- gées de la surveillance des enfants. J’ai déjà rencontré plusieurs enfants qui ont manifesté ce penchant dans un degré très pro- noncé. Parmi les faits que j’ai recueillis, je citerai celui d’un jeune enfant d’Arles, dont l’histoire a été insérée dans plu- sieurs journaux. Voici les propres expressions empruntées au Garde national de Marseille. « Un crime horrible vient d être commis à Arles, par un en- fant de ii ans sur une petite fille de 5 ans; les circonstances particulières qui se rattachent à cet événement ont produit sur la population toute entière de cette ville autant d’étonnement que de douleur, car on ne peut concevoir que le degré de perversité dont cette affaire présente le hideux assemblage, puisse se rencontrer dans une ame aussi jeune. c Di manche dernier, l’accusé François, gardien des bœufs dans les marais qui avoisinent la ville d’Arles, rencontra Marton sa jeune voisine, avec laquelle il avait l’habitude de jouer; il lui proposa de venir l’accompagner dans les marais où ses bœufs étaient à paître; la petite fille accepta la proposition. Us arrivent sur les bords de la Vuidange, dont les eaux étaient fort hautes en ce moment. (c François suivait sa compagne à quelque pas de distance ; il arrache un roseau sur son passage, et s’amuse à 1 en frapper DE PHRÉNOLOGIE. 555 légèrement sur le dos. Celle-ci se prête à cet amusement; les coups redoublent de force; Marton ne rit plus, et voudrait même se plaindre; mais elle n’ose, car elle croit toujours que la plaisanterie continue. Son erreur est bientôt dissipée : elle se sent saisir par François qui la renverse sur les bords de la Vuidange, commet sur elle des actes de dépravation que son âge 11e devrait pas même lui permettre de soupçonner. La pau- vre enfant crie; son agresseur lui enfonce alors à plusieurs reprises dans les entrailles un roseau noueux qui les lui dé- chire; le sang jaillit avec abondance. Marton appelle sa mère, mais sa mère est loin de là : la douleur lui donne cependant des forces, elle parvient à se dégager des mains de son ennemi; mais celui-ci, plus âgé et plus robuste, la saisit de nouveau, la menace de la jeter dans la Vuidange si elle continue à pleu- rer. La douleur est plus puissante que la crainte ; ses cris se font entendre encore, le jeune monstre la précipite dans l’eau. C’est en vain que la malheureuse petite cherche à s’accrocher aux herbes qui croissent sur les bords, elle est impitoyable- ment repoussée à coups de pierre, et le monstre, pour l’ache- ver, s’arme d’un énorme bâton, et la replonge sous les eaux dont elle n’a été retirée que 24 heures après. M. Berlue, sub- stitut, s’est rendu sur les lieux accompagné du juge d’instruc- tion, ils ont fait arrêter ce petit misérable contre lequel s’élèvent des charges si accablantes. » On dit que parmi les témoins de ces actes de férocité, se trouvent d’autres enfants dont les plus âgés n’ont que 5 ans; ils ont fait connaître à la justice toutes les circonstances de cet épouvantable événement; l'accusé est resté froid, impassible à la vue du cadavre; semblable à un long habitué des bagnes, il (aïeule de sang froid ses moyens de défense, répond avec 556 TRAITE adresse à toutes les questions qui lui sont faites, et avec une audace qui ne se dément jamais. Il accuse les enfants témoins, de ses atrocités, d’être eux-mêmes les auteurs des crimes qu’ils lui imputent. ( Garde national de Marseille, mois de juin 1834* ) » Ce cas était trop remarquable, et intéressait trop les phréno- logistes, pour que je ne fisse pas tous mes efforts pour me procurer le plâtre de cet enfant. Sur ma demande adressée au procureur-général de Marseille, par M. Emmanuel de Lascases, député, j’ai reçu des renseignements prouvant qu’il existe chez ce jeune monstre un développement remarquable des organes du penchant à détruire et de la reproduction. M. de Lascases qui s’est occupé de phrénologie, avait annoncé d’avance le mode de conformation que l’on devait trouver chez cet enfant. Dans la lettre adressée à ce député à l’occasion de ma demande, se trouvent les expressions suivantes : j’ai été effrayé du rapport que j’ai remarqué entre la description réelle de l’enfant, et les indications que vous me donniez à l’avance. M. le procureur du Roi de Tarascon a eu la bonté de faire dessiner le portrait du jeune accusé , mais je n’ai pu encore obtenir le moule de sa tête, parce que le moulage demandant que les cheveux fussent rasés, il était nécessaire de conserver ceux-ci intacts lors de la confrontation avec les témoins. Montaigne, pénétré des dangers et des mauvais effets de l’habitude, blâme avec raison la faiblesse ou l’inconséquence des parents qui considèrent comme un jeu de voir leurs enfants tordre le cou à un poulet, et s’ébattre à blesser un chien et un chat. « Tel père, ajoute-t-il, est assez insensé pour prendre à bon augure d’une ame martial, quand il voit son fils gour- mander un paysan ou un laquais qui ne se défend point, et DE PHRÉNOLOGIE. 557 à gentillesse quand il le voit affiner son compagnon par quel- ques malicieuses déloyautés et tromperies. Ce sont pourtant là les vraies semences de la cruauté, de la tyrannie, de la trahi- son; elles se germent là et s’élèvent après gaillardement, et profitent à force entre les mains de la coutume (i). » J1 existe en Angleterre une coutume qui me paraît extrême- ment louable, c’est d’exclure les bouchers du jury chargé de prononcer sur la peine capitale. Cette disposition est sans doute basée sur l’idée que l’homme qui est habitué à donner la mort, a moins de répugnance à faire l’application de cette peine. Parmi les facultés du deuxième genre, je n’insisterai, sous le rapport de l’habitude, que sur celles qui méritent de fixer l’attention des physiologistes, et des personnes chargées d’ins- truire les hommes et de les diriger. La faculté qui détermine ou soutient l’attention des autres me paraît être dans ce cas. Il n’est pas rare de rencontrer des hommes de talent n’avoir aucune suite, et aucun ordre dans leurs travaux, ne donner aucune attention sérieuse à leurs occupations. Cette manière d’être me paraît tenir à un faible développement de l’organe que je viens d’indiquer. Nul doute que par l’habitude on ne puisse remédier à ce défaut qui peut avoir les plus graves conséquences. Certains jeux, les échecs, par exemple, pourraient être employés avec avantage pour exercer la faculté en question. J’ai toujours observé, qu’à mé- rite égal, le joueur d’échecs qui avait la faculté de fixer long- temps son attention sur ses pièces, et celles de son adversaire était à peu près sûr de gagner la partie. (i) Montaigne, liv. i , chapitre XXII. 558 TRAITÉ L’organe de l’attachement peut être puissamment modifié par l’influence de l’habitude. Je ferai seulement observer que Faction de cet organe doit toujours être subordonnée à celle des organes des facultés intellectuelles et réflectives. L’homme qui est naturellement disposé à s’attacher fera bien de ne se lier qu’avec les personnes qui auront le sentiment de bienveillance, de rattachement, et sur-tout le sentiment de justice très pro- noncés, autrement il courra le risque d’éprouver bien des dé- sappointements. L’attachement à vie, ayant pour but le mariage, est quelque fois si peu développé chez certaines personnes, qu’il ne survit pas à l’union des sexes. L’homme qui est ainsi organisé, et qui ne possède pas d’autres facultés assez développées pour trouver son bonheur dans le sein du mariage fera bien de vivre dans le célibat. L’habitude a une grande influence sur l’organe de la repro- duction. J’ai rencontré beaucoup d’hommes qui auraient pu se passer de femmes, mais pour qui l’habitude en avait fait un besoin. Mon observation est si juste, qu’une fois ce plaisir satisfait, le besoin du repos se faisait; immédiatement sentir, ce qui n’a jamais lieu chez ceux qui présentent un grand dével- oppement du cervelet. Chez ceux-ci l’action de cet organe est tellement énergique, quelle influe pour toujours sur leurs habitudes, et devient souvent un obstacle à l’exercice de fa- cultés intellectuelles remarquables. En traitant dans mon premier volume du développement des organes cérébraux, j’ai fait observer que Faction du cervelet se manifeste de bien meilleure heure qu’on ne le croyait commu- nément. C’est aux parents et aux instituteurs à surveiller les enfants, de manière à ce qu’il ne puissent contracter de bonne DE PHRÉNOLOGIE. heure une habitude cruils conserveront peut être tout le reste de leurs jours. Il serait sur-tout important de renvoyer des colleges les jeunes gens qui, par leur penchant trop prononcé pour les plaisirs vénériens, pourraient devenir la cause dîme dépravation générale. Des exercices gymnastiques portés jusqu’à la fatigue, l’emploi d’aliments peu excitants, un sommeil peu prolongé sur un lit ferme, peuvent contribuer pour beaucoup à diminuer l’action du cervelet. Le faible développement de l’attachement pour les petits est ordinairement dans les cas exceptionnels. C’est plus souvent le défaut contraire , c’est-à-dire l’extrême attachement que l’on doit combattre si l’on ne veut pas voir les mères en devenir la victime. Un très grand nombre de femmes ont éprouvé de graves affections, sont devenues mélancoliques et même alié- nées après avoir perdu un de leurs enfants. Souvent ce pen- chant se manifeste de très bonne heure : le crâne représenté pl. XCV, fig. i, est celui d’une petite fille qui avait le penchant le plus prononcé pour les enfants. Sa principale, je dirais même son unique occupation consistait à habiller une petite poupée de bois quelle appelait son enfant, et à avoir pour elle tous les égards et les petites attentions que la mère la plus tendre aurait eu pour son fils. Rien n’était plus curieux que de la voir occupée à changer sa poupée de linge, la mettre au lit, chanter avec un ton que je ne puis rendre tous les airs qu elle croyait les plus propres à l’endormir. Qui pouvait donc donner lieu à de pareils résultats chez un enfant qui n’avait jamais eu de tels exemples devant les yeux? La nature, qui a voulu que la femme et les femelles d’animaux eussent dans leur système ner- veux cérébral une force ou faculté qui les portât à soigner leurs petits. TRAITE La ruse dont 1 action portée trop loin peut produire de «rands abus, doit être combattue de bonne heure , sur-tout O 1 ' quand elle est accompagnée d’un faible développement des sentiments supérieurs. Dans un degré modéré, et sous l’in- fluence des facultés intellectuelles et morales, elle devient essentielle à l’homme en le mettant en garde contre les per- sonnes qui en ont l’organe trop développé. J’ai déjà dit en parlant de la circonspection, que c’était en vain que l’on prétendrait corriger par l’habitude le manque de cette faculté quand il est porté trop loin. Il n’en est pas de même lorsqu’elle est moyennement développée. J’ai la conviction que sous l’influence de certaines circonstances, en insistant de très bonne heure et sans relâche sur les inconvénients d’une con- duite peu mesurée, on pourrait arriver à corriger le défaut de circonspection. J’insiste sur ce point, car cette faculté est une de celles qui contribuent le plus au succès des entre- prises de quelque nature quelles soient, et conséquemment au bonheur des hommes. Le sentiment de propriété est ordinairement très énergique chez les enfants, il peut l’être même au point de les porter à dérober. On explique assez bien ce vice par la prédominance des facultés animales à cet âge sur les facultés réflectives et les sentiments supérieurs. Les législateurs ont donc été sages, en admettant que les enfants qui avaient commis un vol, au- dessous d’un certain âge, n’avaient pas agi avec discernement. Je ferai cependant remarquer que le sentiment de propriété, lorsqu’il est trop énergique, et sur-tout lorsqu’il n’existe pas un grand développement des sentiments supérieurs, est pres- que toujours incorrigible. Les maisons de réclusions abondent en gens de cette espèce. Deux détenus m’avouèrent un jour DE PHRÉNOLOGIE. 561 que leur vie tout entière n’avait été qu’une suite de four- beries et de vols : l’un d’eux avait reçu jusqu’à 14 ans une excellente éducation, mais, comme il le disait lui-mème, son vice était dans le sang, il devait obéira son étoile. Chez les enfants qui présentent un développement remar- quable des sentiments supérieurs, le penchant à dérober est un défaut que l’on corrige très promptement par l’influence de bonnes habitudes. Les 19 facultés du 3e ordre (voirie tableau pag. 110), sont comme toutes les autres soumises à l’influence de l’habitude. Leur culture et leur direction ne peuvent avoir lieu qu’après avoir été précédées de la connaissance du développement de leurs organes. Toutes ne sont pas rigoureusement nécessaires au bonheur de l’homme : l’on peut même être très remarquable en en possédant quelques-unes dans un faible degré. Ces facultés sont celles qui distinguent sur-tout l’homme des animaux, dési- gnées sous le nom d’intellectuelles et réflectives, elles mettent entre eux une barrière infranchissable. La culture de ces fa- cultés plus ou moins bien entendue, constitue une grande partie de ce que l’on appelle vulgairement éducation. Comme je me verrais forcé de me répéter, en parlant de la phrénologie appliquée à l’éducation, je renvoie au chapitre suivant, tout ce que j’ai à dire de l’influence de l’habitude sur ces facultés. Je passe maintenant à l’influence de l'habitude sur les fa- cultés du 4e ordre, ces facultés, sur-tout celles du premier genre, fixèrent de tout temps l’attention des législateurs. Bien dirigées, elles peuvent être la source des grandes choses, ou dans le cas contraire des plus grands malheurs. Ce dernier cas a sur-tout lieu, lorsque le développement des organes de ces facultés n’est pas en harmonie avec les autres. TRAITÉ La vanité, Je sentiment d’approbation, le désir de faire parler de soi ou de la renommée, autant de modes de sentir dépendant de la meme faculté, sont, sans contredit, les ai- guillons les plus puissants des actions de l’homme. Les femmes sur-tout possèdent ces sentiments au plus haut degré. Le pen- chant à la coquetterie et au luxe n’en est que la conséquence. On ne saurait donc trop réprimer ce penchant qui se manifeste souvent de très bonne heure. C’est sur-tout dans la classe peu aisée qu’il devient nécessaire de le combattre avec force. On ne peut imaginer à combien d’infortunes, de misères, de vices et même de crime, le sentiment d’approbation peut conduire. Le désir de paraître ou de briller est en général le vice do- minant des grandes villes. Qui pourrait calculer le nombre de filles publiques, de chevaliers d’industrie et de familles malheu- reuses par la seule influence du sentiment d’approbation. C’est sur-tout à Paris que les résultats déplorables de la vanité se montrent dans tout leur jour. D’un autre côté combien n’existe- t-il pas d’hommes malheureux pour avoir été dirigés dans le choix de leur profession par le même sentiment. On prend pour une disposition un simple goût sans avoir une véritable aptitude ni une juste idée du travail que demande celte pro- fession : on a plus en vue le titre que tout le reste, parce qu’il présente à l’esprit une perspective brillante; mais après bien des tentatives et des dégoûts, on n’obtient que l’ombre, et la réalité échappe. Il existe une vérité de tous les temps et de tous les lieux, c’est que les dons de la nature sont inégalement partagés. Quelque banal que paraisse ce fait, c’est pour l’avoir mé- connu qu’une foule d’hommes ont une condition insup- portable et se trouvent lancés dans une sphère pour laquelle la DE PHRÉNOLOGIE. 563 nature ne les avait pas destines. Comment supposer avec le mode d’enseignement qui existe encore de nos jours, qu’un jeune homme chargé de couronnes remportées au collège ne soit pas apte à toutes les professions? il s’en faut cependant de beaucoup qu’il en soit ainsi. Si la phrénologie eut été connue à l’époque ou vivait le célèbre Boileau, il est probable que son père n’aurait pas eu l’idée de le placer chez un greffier. Combien d’hommes de génie sont morts ignorés, malheureux, parce que l’ignorance de leurs parents ou de leurs instituteurs, les avaient placés dans une sphère qui n’était pas en harmonie avec leur organisation. Feu le professeur Béclard, dont on a sans doute exagéré le talent en France, fut mis en apprentissage chez un quincailler. Le jugement du marchand fut que Béclard n’avait aucune capacité : il est probable que le boutiquier entendait par là, tenir ses registres et ses articles en bon état. Bousseau, dont la France s enorgueillit avec raison, avait été considéré par beaucoup de personnes comme de la plus grande nullité. Qu’il me soit permis de rapporter à cette occasion, une- aventure qui lui arriva. « Un des parents de Mm\ de Warens, M. d’Aubonne, se chargea de m’examiner, de voir à quoi j’étais propre et s’il me trouvait de l’étoffe, de chercher à me placer. Madame de Warens m’envoya chez lui deux ou trois ma- tins de suite, sous prétexte de quelque commission, et sans me prévenir de rien. Il s’y prit très bien pour me faire jaser, se familiarisa avec moi; me mit à mon aise autant qu’il était possible, me parla de niaiseries et de toutes sortes de sujets, le tout sans paraître m’observer, sans la moindre af- fectation , et comme si se plaisant avec moi il eut voulu converser sans gène; jetais enchanté de lui. Le résultat de ses 564 traité observations fut, que malgré ce que promettaient mon exté- rieur et ma physionomie animée, jetais sinon tout-à-fait inepte, au moins un garçon de peu d’esprit, sans idées, presque sans acquis, très borné en un mot à tous égards, et que l’honneur de devenir quelque jour un curé de village était la plus hautë fortune à laquelle je pusse aspirer. » Tel fut le jugement porté sur Rousseau par M. d’Àubonne, dont le nom serait sans doute complètement ignoré, si Jean-Jac- ques n’avait pas parlé de lui. L’orgueil, qui donne à l’homme de la dignité quand il est ren- fermé dans certaines limites, demande ii être combattu de bonne heure, lorsqu'il est trop énergique; autrement il peut devenir comme la vanité, la source d’une foule d’abus. On ne saurait trop surveiller la conduite des enfants qui n’ont que dans un faible degré la faculté de la fermeté, en empêchant qu’ils ne se trouvent en contact avec des êtres vicieux, dont ils pourraient contracter les habitudes. En mettant beaucoup d’ordre dans leurs études et leurs pratiques de religion et de morales, on pourra leur faire contracter des habitudes qui leur tiendront lieu de persévérence, par le besoin qu’ils éprou- veront de s’y livrer. Les enfants chez qui le sentiment de la fermeté est trop pro- noncé, demandent à être repris avec douceur; mais après les avoir convaincus de leurs torts, il ne faut jamais leur céder : une fois surs qu’il ne gagneront rien à persister dans ce qu’ils veulent obtenir , ils ne donneront aucune suite à leurs désirs. Je ne connais pas de facultés qui demande à être plus cultivée que celle du sentiment du juste et de l’injuste. L homme chez qui il est naturellement trop faible, ou qui ne le prend DE PHRÉNOLOGIE. 565 pas pour base cie ses actions, est un vrai fléau pour ses sem- blables. Si l’on remontait à la source de tous les malheurs pu- blics et privés, l’on verrait que dans presque tous les cas, ils ont eu lieu parce qu’on n’a pas obéi à ce sentiment, ou qu’on l’a mis en oubli. J’ai constamment remarqué dans tous les rangs de la société, que l’homme qui avait le sentiment du juste et de l’injuste très prononcé, finissait toi ou tard par obtenir l’estime de ses comtemporains : tandis que celui qui n’avait pas ce senti- ment très fort, perdait auprès d'eux tout espèce de confiance. Les plus grands scélérats dont j’ai examiné la tète, sur-tout ceux qui de très bonne heure n’avaient donné aucune trace de repentirs, avaient la faculté du juste et de l’injuste très faible. Montaigne observe avec raison que les enfants qui trompent aux épingles, tromperont également aux écus. Par la culture des sentiments supérieurs, en donnant une bonne direction à celui d’approbation, on pourrait peut être obtenir chez les enfants qui ont le sentiment du juste et de l’injuste très faible, une espèce de conscience artificielle; mais si l’en- fant est parvenu jusqu’à l’âge adulte sans un bon entourage, et j’entends par là une excellente éducation morale et reli- gieuse, si sur-tout avec une pareille organisation il n’a eu que de mauvais exemples sous les yeux, a vécu au milieu de tout ce qu’il y a de plus corrompu, n’espérez jamais en faire un homme de bien; l’habitude est prise et yous ne parviendrez jamais à le changer. Je viens de lire dans un ouvrage sur les bagnes (i) (î) Les Bagnes , pnr M. Maurice Âihoj 566 TRAITÉ une remarque qui me parait inexacte, bien quelle ait sa source dans des sentiments philantropiques extrêmement recomman- dables. Dans une conversation qui eut lieu entre l’auteur et le sur- veillant du bagne, celui-ci affirma que l'homme qui restait six mois au bagne était perverti sans retour. Bien qu'il y ait de l’exagération dans ce langage, il est bien certain pour moi qu’il peut s’appliquer au plus grand nombre des forçats, parti- culièrement ceux qui ont manifesté de bonne heure de très mauvais penchants. Que l’on consulte la liste des hommes les plus pervers, et l’on se convaincra quelle se compose de ceux qui ont séjourné avec les forçats. Les crimes les plus atroces ont presque toujours été commis par des gens qui étaient sor- tis des bagnes. C’est sur-tout contre cette classe d’hommes que la société devrait prendre des mesures pour empêcher pendant tout le temps qu’ils subissent leur peine, toute espèce de com- munication entre eux et les autres forçats, et je ne crains pas de le dire, les exclure pour toujours de la société. De pareilles mesures, qui me paraissent très sages, ne sont en aucune manière incompatibles avec des vues d’humanité et de philantropie. L’habitude peut avoir une grande influence sur le senti- ment de vénération. Comme cette faculté peut aider puissam- ment au bonheur des hommes, en devenant un moyen d’union dans les familles on ne saurait trop la cultiver. Il arrive quel- quefois que cette faculté est naturellement très développée, et demande à être réprimée dans son activité trop énergi- que, si non elle peut devenir une cause de dérangement des facultés intellectuelles. Les conseils d’un médecin phréuolo- giste pourront devenir dans ce cas d’un secours précieux DE PHRÉNOLOGIE. 567 M. George Combe rapporte qu’une maltresse de maison l’avait assuré que les domestiques les plus faciles à gouverner, étaient ceux qui avaient le sentiment de vénération le plus prononcé. J’ai fait la même remarque sur plusieurs élèves des deux sexes placés dans deux pensionnats. Cependant je ferai remarquer que cela n’avait lieu qu’autant que ce sentiment se trouvait réuni à un développement assez remarquable d’autres sentiments supérieurs, notamment celui de la bienveillance. Ceux qui se faisaient remarquer par leur assiduité aux pra- tiques religieuses, suite du développement de la vénération, n’étaient pas toujours les plus faciles à conduire, et étaient loin de posséder le meilleur caractère. De pareilles organisa- tions ressemblent à celles de ces vieilles dévotes dont me par- lait un jour un curé. J’aimerais mieux, disait-il, dans un moment d’humeur, confesser un régiment de carabiniers que d’avoir affaire à quatre de ces vieilles harpies; je crois même qu’il employa une expression un peu plus énergique. Lorsque le sentiment de l’espérance, dans un trop grand degré d’exaltation, n’est pas combattu de bonne heure, il peut devenir, dans l’âge mûr, la cause de bien des malheurs, sur- tout si la personne qui est trop sous son influence, possède peu de circonspection, et des facultés intellectuelles ordinaires. Il suffit pour les personnes de cette sorte des moindres appa- rences de succès pour se lancer dans des entreprises rui- neuses : elles voyent tout en beau, et sont peu disposées à tenir compte des obstacles qu elles auront à vaincre. Aux exemples que j’ai déjà fait connaître en parlant des facultés en particulier, j’en joindrai deux autres qui prou- vent jusqu’à quel point peut s’abuser l’homme dominé par le sentiment de l’espérance. Une personne dont le nom n’a pas 568 TBÀ1TÉ besoin d’etre cite ici, avait lu dans un journal qu’un célèbre naturaliste avait découvert que les mamelles du dauphin fe- melle secrétaient une espèce de liquide, qui éjaculé au dehors se concrétait par l’influence de l’eau de lamer, et formait ainsi une espèce de blanc manger dont le petit dauphin faisait sa nour- riture. Frappé de cet idée, et sous l’influence du sentiment de l’espérance au plus haut degré, notre homme conçoit l’idée d’attirer par un appât les dauphins sur les côtes de France, et d’alimenter de blanc manger tous les restaurateurs de la capi- tale. Du blanc manger de dauphin, me disait-il, en voilà assez pour attirer tout Paris. Malheureusement le rapport de l’Aca- démie des Sciences fit évanouir ses espérances. Ce désappoin- tement l’aurait vivement affecté si le navire Aérien ne fut venu en quelque sorte tout exprès pour relever son courage, et donner à sa faculté dominante une nouvelle direction. Aban- donnant l’Océan il s'élève et plane dans les airs, ses idées se mettent à la hauteur du heu, un nouveau monde se déploie à ses regards. Plus de vaisseaux, s’écrie-t-il d’un ton d’inspiré, plus de chemins de fer ! Arts, sciences, politique, tout va changer par l’influence de ce grand moyen. L’événement qui survint au ballon l’a forcé d’ajourner ses espérances qu’il a de nouveau dirigées vers le magnétisme animal. Un jeune homme après s’étre occupé de plusieurs professions finit par les quitter parce que, disait-il, elles ne répondaient en aucune manière à la hauteur de ses vues. (Je crois qu’il visait au ministère.) Mais comme il y avait dans sa tète plus d’espé- rances que de facultés solides pour en obtenir la réalisation, je n’ai pas été surpris en apprenant qu’il avait été employé comme surnuméraire dans une administration d’une petite ville de province. DE PHRÉNOLOGIE. Le sentiment de bienveillance demande a être entretenu chez les enfants, mais non par des phrases ou des tableaux comme on le pratique ordinairement. La présence de l’homme qui souffre, ou qui est en proie à la misère, produit sur nous bien plus d’effet que les descriptions les plus touchantes. Jamais nous n’éprouverons à la lecture d’un événement terrible, tel qu’une bataille ou un naufrage, la même émotion que pro- duira la mort d’un seul homme qui aura lieu devant nous. Le penchant au merveilleux pouvant, lorsqu’il est porté à l’extrême, produire de grands abus, devra être réprimé de bonne heure, on se gardera bien sur-tout de l’alimenter par la lecture de fictions et de romans de toute espèce. Cependant je ferai remarqvier que lorsque ce sentiment se trouve réuni à celui de la poésie, et à des facultés intellec- tuelles distinguées, il est bon de cultiver toutes ces facultés par ce qu’elles sont pour le poète un élément de succès. Bien que le sentiment du beau dans les arts ne soit pas rigou- reusement nécessaire au bonheur de l’espèce humaine, on ne saurait cependant trop le cultiver. Les poètes, les artistes doi- vent faire une habitude de la lecture des ouvrages, et de l’exa- men des productions des beaux arts qui se font remarquer par leur bon goût. Une fois familiarisé avec de telles productions, leur esprit ne pourra plus supporter ce qui sera médiocre. Il est si vrai que le sentiment du beau dans les arts peut être cultivé par l’habitude que les habitants de Paris, même ceux de la basse classe qui ont de fréquentes occasions de voir de beaux objets d’art, se font remarquer par leur bon goût. 570 TRAITÉ CHAPITRE XV. MIMIQUE DES FACULTÉS FONDAMENTALES. Par mimique des facultés, je n’entends pas ici le talent que possèdent certaines personnes de rendre les gestes, le son de voix, etc., d’un autre individu. Ici il n’existe que reproduction de ce que l’on a vu ou entendu. La mimique dont il est ques- tion maintenant est celle qui résulte naturellement de l’action d’un ou plusieurs organes. Elle a lieu toutes les fois que les organes cérébraux ont une activité très énergique, et se ma- nifeste au dehors par certains gestes ou signes. C’est à saisir ceux-ci, que les personnes qui se destinent aux beaux arts et au théâtre doivent sur-tout s’appliquer, car ils sont l’expres- sion fidèle de la nature. Les romains, sur-tout ceux du siècle d’Auguste, attachèrent une grande importance au talent de reproduire, à l’aide de signes extérieurs, les principales passions du cœur humain; il paraît même qu’il fut porté à un tel degré, que le théâtre des Mimes à Rome, était plus fréquenté que les autres. En ouvrant Tacite, je trouve que sous le règne de Tibère, le sénat fut obligé de faire un réglement pour défendre aux sénateurs le théâtre des pantomimes, et aux chevaliers romains de leur faire un DE PHRÉNOLOGIE. 571 cortège dans la rue (i). Lucain raconte qu’un roi des environs du Pont-Euxin, demanda à Néron un mime qu’il avait vu jouer, afin d’en faire son interprète pour toutes les langues. Cet homme, disait-il, se fera entendre de tout le monde, tan- dis que je me vois obligé de payer un grand nombre de truchements pour entretenir des relations avec mes voisins qui parlent diverses langues. Tout en reconnaissant que par une longue habitude des gestes qui accompagnent les actes cérébraux, les mimes soient parvenus à donner sans aucun son articulé une idée de ce qu'ils voulaient exprimer, je crois qu’il faut rabattre beaucoup de tout ce que l’on a raconté à ce sujet, et l’attribuer à ce que les personnes qui ont parlé du talent des mimes, n’étaient pas assez versées dans ce qui constituait ce genre de pièces chez les ro- mains. On sait qu’il fut principalement employé par les empe- reurs, dans les circonstances où ils croyaient nécessaires de rechercher la faveur du peuple, ou de lui fasciner les yeux par un spectacle imposant. Presque tous les actes de ces répré- sentations roulaient sur des facultés affectives vivement excitées : c’étaient des simulacres de combats, des scènes de lasciveté parfois effrénée. Ajoutons qu’indépendamment de la musique et des décorations, toujours en harmonie avec le sujet, la pièce était toujours précédée d’un programme assez détaillé. On conçoit qu'une fois le sujet connu, il n’était pas alors difficile de saisir le sens des gestes, mais de prétendre, comme l’ont avancé plusieurs sayants, que les mimes ayent pu par leur seul talent surpasser les acteurs qui réunissaient le geste (i) Tacite, Annales, tom. I. 572 træité; à la parole, c’est ce que je ne pourrai jamais admettre. Il n’est personne qui n’ait eu occasion d’observer tout ce peuvent le geste et la voix dans l’expression des pensées ; plus les mouvements et l’inflexion se trouvent en harmonie avec les facultés mises en jeu, et plus nous sommes frappés. Beaucoup de peintres, en voulant rendre les passions qui agi- tent leurs personnages, exagèrent souvent les traits du visage ou les gestes qui accompagnent certaines impressions : il en ré* suite que leurs figures deviennent tout-à-fait caricature. Ce qui me frappe sur-tout dans les peintures de Raphael, c’est l’ex- pression vraie et naturelle qu’il à su donner aux figures de ses tableaux : là rien de torturé, d’exagéré, rien qui grimace, tout est vrai, tout est nature, et nature d’un goût exquis. Mon célèbre compatriote Poussin, pourrait, je crois, se rapprocher beaucoup de Raphaël sous ce rapport, bien qu’un peu lourdes, ses figures se font remarquer par la .vérité d’expression, et l’heureux accord entre les mouvements du corps et l’action des facultés cérébrales mises en jeu. Bien que la partie du livre de Gall, qui traite de la mimique, soit pleine d’intérêt, il est plusieurs points qui me paraissent traités d’une manière inexacte, et d’autres qui sont complète- ment négligés. Loin de lui en faire un reproche , je suis le pre- mier à convenir que ce qu’il dit à ce sujet était à peu près tout ce que l’on devait attendre de lui pour l’époque où il vivait. Depuis la mort de cet homme célèbre, la science a grandi, et nous pourrons conséquemment donner un peu plus d étendue à cette partie qui n’est pas une des moins intéressantes de la physiologie du cerveau. Le cerveau, siège de toutes les perceptions dont nous avons la conscience, se trouve à l’aide de filets nerveux, en communi- DE PHRÉNOLOGIE. cation avec les organes des sens proprement dits, et les muscles soumis à Tinfluence de la volonté. D’autres nerfs le mettent aussi en relation avec les principaux viscères de la vie organi- que; il résulte de cette disposition qu’à l’instant où une faculté cérébrale entre en action, et si la volonté ne vient en réprimer l’effet, des signes extérieurs l’accompagnent. Tantôt c’est une contraction des muscles, la rougeur ou la pâleur de la lace, une attitude particulière, etc. etc. Passons maintenant en revue la mimique qui accompagne chaque faculté fondamentale. La mimique de la faculté de conservation est bien en har- monie avec le siège de son organe. Toutes les fois que les jours d’un homme ou d’un animal se trouvent menacés, il existe un mouvement d’abaissement du corps de haut en bas. Les ani- maux poursuivis à la chasse abaissent d’autant plus leur corps qu’ils sentent le danger plus près d’eux. La mimique de l’organe de la conservation me paraît bien exprimée par la pose du chien qui vient près de son maître pour recevoir une cor- rection. La tête et les oreilles sont pendantes, tout le corps est affaissé, les yeux sont fixes et ternes, la queue se trouve abaissée et fortement rapprochée du derrière, tout annonce un état de prostration, mimique la plus propre à exciter la pitié. La mimique de l’organe qui préside aux choix des aliments, consiste principalement dans l’expression des yeux, la contrac- tion des muscles qui servent à la mastication et à la déglutition* La tête se trouve ordinairement inclinée du côté ou se trouve l’aliment que l’on convoite, j’ai eu un jour occasion d’observer cette mimique chez un curé très partisan de la bonne chère. A 1 aspect d’un beau gigot, ses yeux devinrent fixes, la tête se porta en avant et un peu de côté, le corps s’inclina un peu vers 574 TRAITE la pièce succulente : à l’instant où le couteau fit jaillir le j us du rôti, deux ruisseaux de salives inondèrent les cotés de la bouche et plusieurs mouvements de déglutition eurent lieu. Chez les animaux très voraces, la mimique de l’organe de l’alimentation est caractérisée par un mouvement précipité de la tête, d’arrière en avant et de haut en bas; c’est ce que l’on peut observer chez le cochon dans les quadrupèdes, les goélands, les cormorans et les canards chez les oiseaux. La mimique du penchant à détruire varie, suivant le dégré d’intensité d’action de cette faculté : elle peut consister seule- ment dans un rapprochement des mâchoires avec contraction des muscles qui servent à la mastication, ou bien, et c’est ce qui a lieu lorsque cette faculté est très active, dans cette contraction et celle des muscles fléchisseurs des doigts, qui rapproche forte- ment ceux-ci de la face palmaire. Le premier cas a lieu lorsque les hommes avalent ou broyent les aliments qui servent à leur nourriture; l’autre cas est celui où nous sommes en colère con- tre quelqu’un, au point de vouloir combattre avec lui; ici nous serrons fortement les mâchoires, les poings sont fermés, et de- viennent ainsi un instrument propre à remplir le but de la fa- culté; il y a pour peu que la lutte s’engage, une tendance à mordre son adversaire. Les chiens , lorsqu’ils se jettent sur le gibier, et les oiseaux de proie, expriment parfaitement par leurs mouvements la mimique du penchant à détruire. Les yeux étin- cellent, l’animal saisit sa victime avec sa gueule ou son bec et secoue fortement la tête de droite à gauche, afin de la mettre plus facilement en lambeaux. Quelque grande que soit la dissimulation dont s’envelop- pent les personnes rusées, il existe des signes extérieurs qui annoncent une grande activité de la faculté qui les domine. DE PHRÉNOLOGIE. 575 Ils consiste sur-tout dans le geste et le langage. Elle est fré- quemment accompagnée d’un sourire difficile à rendre , mais que j’ai observé plusieurs fois chez les détenus, lorsqu ils ne croyaient pas avoir de motifs pour se cacher. Une personne rusée regarde ordinairement en dessous et de coté. Ses regards se fixent ordinairement sur vous lors- qu’elle a l’intention de vous tromper, afin de lire dans vos regards si vous ne l’avez pas devinée. Cette attitude est évidem- ment contrainte; car si, comme je l’ai observé, vous avez l’air de n’ajouter aucune confiance à ce quelle vous dit, un sourire malin ou embarrassé vient vous prouver que vous avez ren- contré juste. J’ai retrouvé la même expression de figure chez les enfants qui jouent à cacher un objet : tant que celui qui est à la recherche ne l’a pas encore trouvé , le plus grand nom- bre reste impassible et change tout-à-coup d’expression au mo- ment de la découverte. Les personnes rusées sont en général très curieuses : elles aiment à s’enquérir de ce que les autres disent et font; elles sont aussi très défiantes. Dans leurs questions elles ne vont jamais directement à leur but. Limitation ajoute beaucoup à la ruse en leur donnant les habitudes et le geste qui convien- nent le mieux au role qu elles veulent jouer. Une personne de ma connaissance possède ces deux facultés dans un assez haut degré. Un jour, et en ma présence, elle reçut une per- sonne et lui fit mille démonstrations d’amitié, que je savais n’ètre pas sincère. Bien que le rôle eût été bien joué, je ne pus m’empêcher, après le départ de cette personne, de lever les épaules. Probablement que mon langage fut bien entendu de notre comédien , car il partit aux éclats. La démarche de l’homme rusé est souvent accompagnée TRAITÉ d’un mouvement légèrement oblique de tout le corps; la tête se trouve un peu en avant, et se porte alternativement de droite à gauche. On retrouve la même pantomime chez le renard, la marte et le chat. J’ai observé plusieurs fois la mimi- que de la ruse chez les ours renfermés dans les basses fosses du Jardin des Plantes. Elle a sur-tout lieu lorsque les enfants leur jettent un morceau de pain fixe' à une ficelle qu’ils re- tirent aussitôt que l’animal en approche. J’ai vu plusieurs fois fours marcher dans une direction en apparence opposée à celle ou se trouvait le pain, et lorsqu’il se croyait à une tance convenable il faisait brusquement un saut oblique et s’en emparait. Lorsqu’on lui jetait le pain au haut de l’arbre il se mettait à grimper et s’arrêtait à certaine distance, por- tant la tête à droite et à gauche, et n’ayant pas Pair de voir le pain : après avoir fait cette manœuvre pour endormir la vigilance de celui qui tenait la ficelle, il s’élancait comme un trait sur le morceau de pain. Quand un chien veut échapper au châtiment qui le menace, il ne vient près de son maître qu’obliquement, et s’arrête à une certaine distance. S’il est très rusé, ce sera envain qu’on Pap- pellera, il ne viendra qu’autant qu’il ne verra aucune trace de colère dans les traits de son maître. Celui-ci à beau pren- dre un air riant pour l’engager à venir, l’animal reste en place, il voit bien que c’est un piège qu’on veut lui tendre. La mimique de l’organe du courage, varie suivant que cet organe est plus ou moins excité. La position que beaucoup de soldats donnent à leur chapeau, me paraît un degré de cette faculté. Mettre son chapeau de travers n’indique-t-il pas tout à la fois une action physique et morale? pourquoi donc cette si- tuation du schako, qui se remarque sur-tout chez ce que l’on DE PHRÉNOLOGIE. 577 appelle les crânes en terme de régiment? que de fois en exami- nant la manière dont nos lanciers portent le leur, n’ai-je pas réfléchi à la situation qu’ils lui donnent? le portion droite se trouve abaissée sur l’épaule du meme côté, tandis que la gauche plus élevée laisse à découvert la région du courage. Dans l’action énergique de l’organe du courage, la tète est portée en arrière et de côté, et se rapproche de la portion du corps vers laquelle elle est tournée. La statue du gladiateur in- dique parfaitement cette espèce de mimique. Je ferai observer en passant, que la région du courage est fortement exprimée sur la tète de cette statue. Ce n’est pas au reste le seul cas où les artistes de l’antiquité se soient rencontrés avec les faits que la phrénologie nous présente. La mimique du courage chez les animaux, se reconnaît à la position que prend l’animal en se tenant dans une attitude fixe, les jambes écartées et la tète un peu inclinée du côté de l’organe en action. La mimique de la concentration consiste sur-tout dans un mouvement en arrière de la tète, qui reste dans une position fixe. Souvent la main du côté gauche lui sert de point d’appui, tandis que la main droite reçoit à son tour l’articulation du bras avec l’avant bras du côté gauche, afin que la main de ce côté supporte la tète plus facilement. Chez les animaux, la tète se trouve portée un peu en avant, et légèrement renversée en arrière. Un chat ou un chien en arrêt, qui guette un moineau, présente bien ce ca- ractère. lia mimique de l’attachement consiste dans un mouve- ment de rotation de la tête qui se dirige du côté de la personne à qui l’on témoigne de L’amitié ; il est accompagné d’un mouve- ment delà main en avant, allant à la rencontre de celle de la per- sonne, quelle presse fortement. Gall cite avec raison comme modèle de la mimique de rattachement; le groupe de Castor et TRAITÉ Pollux, dans lequel les bras des deux frères sont passés sur l’é- paule l’un de l’autre , chacun serrant son organe de l'amitié contre celui de l’autre. Le même auteur fait preuve de sagacité, en faisant remarquer le mouvement des chats qui font le gros dos, en frottant la région de l’organe de l’attachement contre la personne qu’ils caressent. J’ai vu plusieurs fois les chiens tourner en rond autour de la personne qu’ils voulaient caresser, frottant les parties latérales de leur tête sur ses jambes, et s’appuyant sur les leurs afin de trouver un point d’appui, pour presser avec plus de force la tête contre la personne. il m’est arrivé de voir des chevaux qui voulaient donner des marques d’attachement, porter la tête de haut en bas et un peu de côté, agitant en même temps leur queue brusquement et dans un sens horizontal. La mimique de l’organe de la propagation a été très bien dé- crite par Gall chez l’homme et certains animaux, mais il me semble qu’il n’a fait qu’indiquer son plus haut degré d’action, sans en faire connaître toutes les nuances. Il est certain que lors du plaisir vénérien, la tête se trouve portée en arrière et rapprochée des épaules. Ce phénomène s’observe non seulement chez l’homme, mais encore chez beaucoup d’animaux. Ce- pendant assez de temps avant que cette action ait lieu, il existe quelques signes extérieurs de l’action du cervelet : voici d’abord un mouvement que j’ai observé plusieurs fois chez les personnes qui ont le cervelet assez développé : la tête se porte souvent en arrière, et ensuite de droite à gauche, de manière que la nuque frotte contre le collet du vêtement. Quelque temps avant que le cervelet entre en action, le besoin du mou- vement se fait sentir, les hommes et les animaux deviennent, DE PHRÉNOLOGIE. 579 comme on le dit vulgairement, coureurs. Les chats abandonnent les maisons, grimpent sur les toits ou rodent dans les lieux où ils croient trouver des femelles. Les cerfs franchissent dans le même but des espaces immenses. Les hommes non moins emportes dans leur passion fré- quentent les lieux où se trouvent les filles publiques. Je tiens d’une de ces malheureuses, qu’il y a deux époques de l’année où les hommes paraissent plus portés aux plaisirs vénériens. La première a lieu vers le mois d’avril et se prolonge jusqu’à la fin de juin, l’autre commence à la fin d’octobre et continue jusqu’à la fin de février. Comme ces remarques sont le fruit d’une longue expérience personnelle, j’ai du y avoir une entière confiance. La mimique de l’attachement pour les petits, consiste ordinai- rement dans un mouvement brusque de la tête de haut et bas, il a sur-tout lieu lorsquune personne tient par les deux mains un enfant qu elle a placé sur ses genoux. D’autres fois la tête se trouve portée de coté et très rapprochée de l’enfant. La voix, les gestes, prennent alors un caractère enfantin, tout-à- fait en harmonie avec l’objet qui met l organe en action. Ce n est pas seulement chez les femmes que ces phénomènes se pas- sent, ils ont lieu aussi chez les animaux. J’ai surpris plusieurs fois des chattes et des chiennes affectant toutes les allures des petits, afin de les distraire et de les amuser. Chez le ouistiti, espèce de singe chez qui le mâle et la fe- melle donnent des soins aux petits, on voit le père et la mère prendre l’un après l’autre leur petit dans leurs bras et le bercer comme le ferait une personne. J’ai observé plusieurs fois des petites filles faire le même mouvement avec leur poupée, quelles approchaient de leur visage, accompagnant cette action de mouvements de balancement de tout le tronc de droite à TRAITÉ gauche, il est assez curieux que Gall, eu traitant de la mimique des facultés, n’ait rien dit de celle qui accompagne l’attachement pour les petits. Gall ne me paraît par avoir indiqué convenablement la mi- mique du sentiment de propriété. Comme l’organe de la pro- priété, dit-il, est placé latéralement dans les tempes, mais plus en avant qu’en arrière, lors de son action énergique, la tête sera portée en avant un peu de côté, et les bras tendus en avant, les mains tantôt ouvertes à plat pour recevoir, tantôt les doigts courbés comme pour attraper une mouche qui vole. Jamais un mendiant qui vous demande l’aumône ne marchera droit à vous; il porte toujours obliquement la tête en avant, et la main à moitié ouverte. Demander l’aumône ne me parait pas la vraie pantomime du sentiment de propriété, celle-ci ne peut être bien saisie que lorsque l’activité de l’organe est portée assez loin. C’est sur-tout au milieu des détenus pour vols que j’ai pu saisir souvent la vraie mimique du sentiment de propriété. Le pre- mier mouvement consiste toujours à fixer avec une attention toute particulière l’objet qu ils désirent. J’ai souvent observé la même pantomime chez les personnes qui ont la manie des col- lections : après avoir regardé l’objet qui les intéressent, elles ne peuvent s’empêcher d’y porter les mains et de l’examiner avec une expression de figure qui semble dire, que je voudrais bien avoir cela. J’ai encore remarqué que les personnes qui ont ce sentiment très énergique portent involontairement les pulpes des doigts de la main droite, sur l’angle antérieur de l’os pariétal quelles grattent. Le pouce se trouve appuyé sur la tempe, de manière à servir de point d’appui. Ce mouvement de la main est accompagné d’un mouvement rapide de la tète de droite à gauche, de manière à inspecter dans un appartement les objets DE PHRÉNOLOGIE. 581 qui tentent la cupidité. Ce mouvement de la tête existe aussi chez les cliats et les chiens, lorsqu’ils veulent dérober quelque chose. Un autre remarque que j'ai faite chez ces deux espèces d’animaux, mais sur-tout chez les chats, c’est qu’au lieu de manger leurs aliments dans le plat où ils leur sont offerts, ils ont ordinairement l’habitude deles enlever par portions hors du plat. La mimique de la circonspection consiste ordinairement dans un mouvement de la tête de droite à gauche, suivi d’un mouvement de bascule d’avant en arrière. J’ai souvent remarqué cette pantomime chez des personnes qui après vous avoir écouté, s’arrêtaient tout-à-coup après avoir dit quelques mots. Il était aisé de voir qu'elles avaient quelque chose à vous dire, mais qu’une impression les avait retenues. La réserve dans les gestes et les paroles est un des caractères distinctifs de la circonspection. Si le contraire a lieu, vous pou- vez prédire d’avance que la région de la circonspection est peu développée. Dans les habitudes de la vie publique, comme dans celles de la vie privée, l’homme très circonspect se fera toujours remarquer par son extrême réserve et ses précautions. Je dinais un jour dans un lieu public, où se trouvaient à la même table deux individus d’un caractère entièrement opposé, sous le rapport de la faculté en question. L’un, très grave et très réservé, n’ouvrait la bouche que pour se plaindre des accidents nombreux qui arrivaient à Paris par le manque de précautions. C’est vraiment une chose horrible, disait-il, de voir le peu de soin apporté aux diligences. Tous les jours il n’est question que de malheurs, à chaque instant on risque d’être écrasé dans les rues. L’autre ne répondait à ses obser- vations que par un flux de mots sur la politique, les jour- naux, les théâtres, etc. TRAITÉ Les corbeaux qui sont naturellement très circonspects, por- tent habituellement la tète à droite et à gauche. Le renard qui veut atteindre une pièce de gibier, mais qui craint d’être surpris, fait le même mouvement. Gall, en parlant de la mimique de la ruse , dit que lors- qu’on jete à manger à un moineau qui n’est pas privé, il ne s’en approche qu’en donnant à son corps une direction plus ou moins oblique. Ce mouvement me parait, au con- traire , appartenir a la circonspection ; l'oiseau ne cherche pas à tromper dans ce cas, il est seulement sur ses gardes. Bien que les facultés du 3e ordre soient très nombreuses , j’aurai peu de chose à dire de leur mimique, parce quelle ne se trouve pas accompagnée de signes extérieurs aussi tranchés que ceux qui accompagnent les facultés de conservation et de reproduction, et comme nous le verrons plus loin, celles des sentiments supérieurs. La mimique de l’organe des lieux est presque toujours accom- pagnée d’un mouvement de la main droite, dont la pulpe des doigts indicateur et médius s’appliquent sur l'organe des loca- lités. Lors de ce mouvement les yeux se ferment, et les pau- pières sont assez rapprochées l’une de l’autre. La mimique de l’organe du temps se manifeste ordinaire- ment par un mouvement latéral de la tête, c’est elle qui accompagne involontairement le jeu des instruments d’un or- chestre. Que l’on étudie le geste qui a lieu , dans ce cas et l’on verra qu’il répond aux principales mesures musicales ou a celles qui en dérivent. La mimique de la musique consiste dans un mouvement oblique de la tête qui se trouve un peu élevée, tandis que les yeux se trouvent dirigés vers le ciel. La Sainte-Cécile de DE PHRÉNOLOGIE. 583 Raphaël peut servir de modèle comme mimique de cet organe. Gall, en parlant de la mimique du sens de construction, me paraît lavoir confondue avec celle de l’organe que j’appelle sens du beau dans les arts. Comme je ne puis être bien com- pris qu’après l’avoir cité, je vais rapporter ce qu’il dit à cette occasion. « L’organe des arts ayant son siège dans les tempes, à peu près à la hauteur des arcs superciliaires, lors de l’action éner- gique alternative de chacun des organes congénères, la tète et le corps doivent être portés tantôt d’un côté et tantôt de l’autre, et faire un mouvement semblable à celui de l’oiseau qui consi- dère un objet* tantôt d’un œil, tantôt de l’autre, ou à celui du chien qui, en guettant, prête tantôt l'oreille droite et tantôt la gauche. Que l’on observe une ouvrière en mode qui fait un chapeau, pour juger s’il réussit bien, jamais elle ne le place devant elle, elle le tient obliquement, penche la tète en avant et le considère ainsi alternativement tantôt d’un côté tantôt de l’autre. » Ce mouvement indiqué par Gall ne paraît appartenir à celui du sens du beau dans les arts, et non à celui de con- struction ; et ce qui le prouve, c’est que c’est ordinairement lorsque le travail est terminé qu’il a lieu. On ne peut établir de mimique pour le sens de construction, car la position du corps doit nécessairement varier suivant le genre d’ouvrage dont on s’occupe. Je ne sais pourquoi Gall n’a rien dit de certains caractères qui appartiennent à la faculté d’imitation, et qui en sont la vraie mimique. J’ai toujours observé que les personnes qui possédaient la faculté d’imiter dans un haut degré étaient en général ges- 584 THA1TÉ ticulateurs et grimacières. Il est rare qu’en parlant aux autres elles n’accompagnent pas leurs expressions de gestes un peu affectés. 11 en est de même du ton qui les accompagne. La mimique des trois facultés intellectuelles du troisième genre consiste sur-tout dans la position de la tète, accompa- gnée de quelques mouvements des bras. Comme les organes de ces facultés sont situés à la partie antérieure et latérale anté- rieure de la tète, il en résulte que celle-ci se trouve portée en avant ou un peu de coté lorsqu’ils entrent en action. Ainsi lors de l’action de la comparaison la tète est ordinairement portée en avant, soutenue par la main droite dont le pouce se trouve appliqué sur la tempe, et la pulpe des autres doigts sur la partie moyenne du front. Lors de l’action de l’esprit de causalité, outre que la tète se trouve portée en avant, elle demeure fixe, et tout annonce dans les traits l’expression de la réflexion : il arrive quelquefois dans le plus fort de l'action de l’organe de causalité, que les yeux se dirigent et se fixent vers la pointe du nez, de manière à occasionner un strabisme momentané. Lors de la mimique de l’esprit de discrimination la tète se trouve inclinée d’un côté, la pulpe des doigts indicateur et du médius est appuyée sur la région moyenne externe et latérale de l’os frontal : le pouce est ordinairement appuyé sur l’os de la pommette. J’ai quelquefois remarqué que dans l’action de cette faculté, l’œil du côté correspondant se fermait presque complètement. Dans la mimique des sentiments les gestes sont en général bien plus prononcés, et conséquemment plus faciles à saisir. Dans la mimique de la vanité ou du sentiment d’approba- tion, la tète se trouve portée alternativement à droite et à DE PHRÉNOLOGIE. 585 gauche, obéissant au mouvement de balancement du corps dans le même sens. Toutes les fois que je vois marcher devant, moi une femme dont les hanches décrivent un arc de cercle, avec un léger balancement de la tête qui s’incline à gauche et à droite pour voir si on la regarde, je puis assurer que le sen- timent d’approbation est très prononcé chez elle. Je ne connais pas de pantomime du sentiment de l’approbation plus pro- noncée que celle qui nous est offerte par la démarche d’un tambour major à la tête de son régiment : examinez son atti- tude, la main gauche sur la hanche du même coté, la tête relevée et se balançant avec tout le corps de droite à gau- che. Avec quel air à prétention il regarde les polissons qui l’entourent? JN’a-t-il pas l’air de dire voyez comme je suis beau ? C’est sur-tout quand il se tourne vers les tambours qu’il devient superbe; car il y a ici mélange de vanité et d’orgueil, résul- tat de sa position comme chef : alors la tête se renverse en arrière et le regard devient fixe. La mimique de l’orgueil ou de la fierté est caractérisée par l’attitude droite de tout le corps, la tête sur-tcnit est portée en arrière et dans l'attitude du commandement : souvent un air de dédain se laisse apercevoir sur les lèvres. J’ai rencontré la mimique de l’orgueil fortement exprimée chez une aliénée qui se trouve maintenant à la Salpêtrière : elle se croit la reine de l’univers. Son attitude, son regard sur-tout, portent le cachet de l’orgueil au plus haut degré. Personne ne peut rien faire sans mon ordre, me disait-elle, je suis la seule maîtresse ici, et tout le monde doit m’obéir. Les aliénés vaniteux se distinguent sur-tout des orgueilleux par le soin qu’ils prennent de leur toilette. Il est assez com- mun de voir dans les hôpitaux d’aliénés, des hommes, et sur^ 586 TRAITE tout des femmes, ayant une démarche et des manières à prétention, très recherchées dans leurs vêtements qu elles prennent grand soin de chamarer de mille colifichets. Il existe maintenant à la Salpêtrière une femme dont le docteur Falret ma fait examiner la tète : elle s’occupe du matin au soir du soin de sa toilette : l’organe de l’approbation est énormément développé à la surface du crâne. La mimique de la fermeté se fait reconnaître par un mou- vement en arrière de la tête qui demeure fixe sur les épaulés. Il est souvent précédé d’un autre mouvement de rotation ou de pivotement de droite à gauche : c’est ce qui a lieu sur-tout lorsqu’une personne refuse de se soumettre à une chose. Ce mouvement exprime, plus que des mots, que l’on persiste dans sa résolution. Il serait assez difficile de rendre la pantomime de l’organe du sentiment de conscience : je ferai seulement observer que les personnes douées de cette faculté présentent dans l’ensemble des traits de leur visage, et dans leur manière de dire les choses, un afr de candeur et de franchise que rien ne peut imiter. On ne trouve pas chez elle cet air composé ou d’apprêt qui se remarque communément chez les autres. Tout ce qui blesse le sentiment de justice, dans quelque circonstance que ce soit, les affecte vivement. J’eus un jour occasion d’étudier chez deux individus qui n’au- raient pas dû vivre ensemble, les nuances d’expression dévisagé occasionnées par le sentiment de conscience dans un assez haut degré d’une part, et très faible de l’autre coté. C’était sur un menuisier et sa femme qui étaient souvent en dispute à cause de l’habitude de boire du mari, et de son défaut d’ordre. La femme, au contraire, était un vrai modèle de douceur et dex- DE PHRÉNOEOG1E. 587 ce]lente conduite. Uu jour quelle avait été tourmentée par quelques personnes à qui le mari devait, une scène très vive eut lieu entre eux. Mais malheureux quand cesseras-tu donc de boire, lui dit-elle. Boire! boire! parbleu quand on a soif il faut bien se rafraîchir, je ne connais que cela moi. Mais monstre tu me fais mourir à petit feu, tu fais des dettes et tu ne les paies pas. Qu’est-ce que cela peut te faire, dit le mari, ne sais tu pas bien que je ne m’acquitterai jamais? allons, vas- tu te tourmenter pour rien ? La figure de ces deux personnes était à peindre pendant leur altercation. Selon Gall, dans la mimique de la vénération, la tête se trouverait portée en avant et en haut. Je crois, au contraire, que la tête doit être inclinée en avant. La mimique que Gall at- tribue au sentiment de vénération, me paraît plutôt appartenir à celui du merveilleux, ou pour mieux dire ces deux senti- ments sont ordinairement mis en jeu dans l’action de vénéra- tion. Toutes les fois qu’un objet nous frappe d’une manière extraordinaire, la tête se trouve portée en haut et les regards vers le ciel; et s’ils nous inspirent une profonde vénération, la tête et le corps ont une tendance à se prosterner ou se porter en avant. Ce mouvement est celui de tous les hommes, quelque soit le culte auquel ils appartiennent. mimique de la vénération me paraît portée au plus haut degré, lorsque les fidèles se prosternent à l’élévation de l’hostie. La pantomime du sentiment de l’espérance consiste dans un mouvement de la tête qui se trouve portée un peu en haut et de côté : les yeux sont dirigés vers le ciel, et la figure exprime un air de satisfaction. Dans la mimique de la bienveillance la tête se porte en avant, et les bras se dirigent dans le même sens. L’expression de 588 TRAITÉ la figure de l’homme bienveillant, comme celle de celui qui pos- sède le sentiment du juste est impossible à décrire. Il n’y a pas de comédien consommé qui puisse la rendre, à moins que lui-même ne possède ce sentiment dans un haut degré. Voulez- vous avoir une juste idée de la différence que existe entre la mi- mique de la bienveillance affectée, et celle qui est réelle ? Obser- vez l’attitude de l’homme qui donne par bonté de cœur, comme on le dit ordinairement, et de celui qui donne seulement sous l’influence des sentiments de justice ou d’approbation : vous serez aussitôt frappé du constraste de leurs physionomies. Lors de l’action énergique du penchant au merveilleux la tête se trouve portée en haut et de côté, les yeux sont ordi- nairement dirigés vers le ciel et en extase , les sourcils élevés et la bouche entre-ouverte. Cette mimique se voit fréquem- ment chez les visionnaires et les personnes superstitieuses. Si nous sommes frappés par un événement qui parait tenir du prodige, les mains s’élèvent et se portent en dehors de ma- nière à faire voir leur paume; le regard est fixe, les yeux très ouverts, et le sourcil fortement élevé vers le front. Dans la mimique de la poésie la tête est portée en haut et obliquement, les regards sont dirigés vers le ciel, et les traits annoncent un état d’extase ou d’inspiration. Notre célè- bre peintre Gérard me paraît avoir bien saisi la mimique de la poésie dans son tableau de Corinne. La conséquence que nous pouvons tirer des observations précédentes, c’est qu’il existe évidemment entre les organes cérébraux et ce qui constitue le geste, en prenant ce mot dans sa plus grande extension, une relation telle, que la situation de la tète qui renferme ces organes se trouve en harmonie avec leur état d’aclivité et leur situation. Plus, en peinture et DE EHIIÉNOLOGIE. en sculpture, cette harmonie sera bien saisie, et plus on se rapprochera de la nature et conséquemment de la vérité. Les peintres, les sculpteurs et les personnes qui se livrent au théâtre doivent faire une étude particulière de la mimique qui accompagne toutes les nuances possibles de faction des or- ganes cérébraux. Une chose à laquelle les deux premières classes n ont pas donné assez d’attention , c’est la forme de la tète des personnages qu’ils voulaient représenter. Je me rappelle avoir vu dans une grande composition la tète d’un Cardinal, dont le mode de conformation n’eût pas été déplacé à côté de celles de tout ce qu’il y a de plus corrompu dans les ba- gnes. Quel que soit le soin pris par le peintre dans ce cas pour donner à la figure un air recueilli, elle formera toujours un contraste ou une opposition avec le mode d’organisation que la nature nous présente. Que penserait-on par exemple d’un sculpteur qui donnerait à Ulysse une tète sans un dévelop- pement remarquable de la circonspection, de la ruse et des facultés réflectives? Sans rien changer aux traits du visage d’Homère, chez qui la région de la poésie est très développée sur le buste anti- que, diminuez ce front majestueux où viennent se refléter les grandes et profondes compositions de l’Iliade , et il ne vous restera plus qu’une tète sans expression. Il ne suffit donc pas que les mimiques des organes dans les compositions des pein- tres et des statuaires soient bien saisies, il faut encore que les organes qui les produisent soient bien exprimés sur les têtes. Il existe chez les hommes des gestes de pure convention qu’il faut bien distinguer de ceux qui résultent de faction des organes cérébraux. Ceux-ci sont communs à toute l'espèce hu~ 590 TRAITÉ maine, ce sont ceux dont nous venons de parler : les autres dépendent des usages et des coutumes des peuples : ils peu- vent yarier à l’infini (1). CHAPITRE XVI. APPLICATIONS PURE N OLOGIQU ES AUX PRINCIPALES INSTITUTIONS CIVILES ET POLITIQUES ET AUX SCIENCES MORALES, A L’ÉDUCATION ET AUX BEAUX-ARTS, AUX ÉCOLES DE DROIT ET DE MÉDECINE, AUX MAISONS DE DÉTENTION ET AUX BAGNES. § i- En présentant ici quelques remarques sur l’application de la phrénologie aux priucipales institutions civiles et politiques, (i) Je ne dirai rien ici des rapports que les phrénologistes ont cru trouver entre certains caractères extérieurs du visage des hommes et leur passion domi- nantes. Plus j’ai lu tout ce qui avait été écrit sur ce sujet, et plus je me suis convaincu qu’il ne valait pas la peine d’une sérieuse réfutation. Je fis voir un jour à une personne qui se donnait pour grand physionomiste , le plâtre de Belin, représenté pl. CXIII. Ici, me dit-elle, il y aurait peu de mérite à se prononcer, car tous les caractères de la bêtise, de la gloutonnerie et de la mé- chanceté sont trop prononcés. Belin, répondis-je, n’a jamais été glouton, il s’en faut de beaucoup qu’il soit bête, c’est le meilleur des hommes, le vrai Las-Casas des nègres, à ces mots notre physionomiste devint rouge pourpre, et, comme on doit bien le penser, fort embarrassé. DE PHRÉNOLOGIE. je n’ai en aucune manière la prétention de m’ériger en ré- formateur : je me contente d’exposer des faits qui me parais- sent fondés sur l’organisation et les fonctions du système céré- bral de l’homme. Si les institutions, en prenant ce mot dans sa plus grande extension, doivent être en harmonie avec l’organisation de l’homme, et personne ne pourra me le contester, je demande ce quelles pourront être dans le cas contraire , c’est-à-dire lorsque , sans avoir fait une étude du développement: de ses organes, de leur nombre, des modifications que le tempéra- ment y imprime, on apportera des formules toutes préparées d’avance, mais en opposition avec ce que la nature nous offre. Il est certain que dans ce cas il y aura vice dans les institutions, ou opposition entre elles et la vraie nature de l’homme. Je veux donc examiner si l'harmonie, dont je viens de parler, existe, et, dans le cas contraire, quelles sont les modifications importantes que l’on pourrait apporter aux in- stitutions. Si mes observations, comme j’en ai la profonde con- viction , sont fondées, c’est aux personnes placées à la tête des nations d’en faire l’application. Dès l’instant où un grand nombre d’hommes se trouvèrent réunis, une sorte de gouvernement et une hiérarchie ou dis- tinction de rang ou de pouvoir durent nécessairement exister; c’est une conséquence inévitable des variétés de l’organisation humaine. Pareille disposition se retrouve chez tous les peuples sauvages. Là où le courage, la ruse et l’intelligence prédomi- neront, attendez-vous à voir les hommes qui les possèdent venir à la surface, ou pour parler sans figure, commander aux autres moins heureusement organisés. L’égalité prise dans un sens absolu est donc une chimère, qui n’a jamais existé 592 TR À.!TÉ que dans la tête de personnes peu réfléchies, ou mises en avant par des ambitieux qui en firent un instrument. Selon quelques écrivains distingués, trois périodes auraient marqué le développement des nations. La première aurait été celle de la force, la seconde celle de la foi ou delà religion, et la troisième celle de la raison et de la science. Au premier aperçu cette distinction parait exacte, et plusieurs faits histo- riques semblent lui donner une certaine force; cependant je crois quelle est plus spécieuse que solide : elle serait en con- tradiction avec les lois de l’organisation qui me paraissent invariables. Là où se rencontrent des hommes, là aussi se ren- contrent des organes manifestant leurs facultés ou leur force, ce qui est pour moi synonyme. Il est vrai que certaines na- tions n’auront pas encore atteint dans les premiers temps le degré de perfection qu elles présenteront plus tard ; mais leur caractères seront bien dessinés. Rome n’eut pas seulement des chefs militaires dès sa fondation, elle eut aussi des pontifs représentés tout à la fois par ses chels ou par des prêtres. Tel fut Numa-Pompilius qui appela des diverses parties de l’I- talie des augures, des prêtres et des aruspices de tout genre. Les Gaulois comme les Romains eurent tout à la fois des chefs et des prêtres représentés par les Druides. Les anciens Péru- viens étaient guerriers et religieux en même temps. Il en est de même de toutes les peuplades sauvages qui combattent, et ont leurs dieux, leurs fétiches et leurs idoles. Le sentiment de vénération, source de toutes les pratiques religieuses sous quelques formes qu’elles se présentent, a donc dû se manifester à tous les époques des nations : il en est de même du courage. L’époque que l’on appelle celle de la science dans l’histoire des nations, bien qu’assez difficile à préciser, DE PHRÉNOLOGIE. indique cependant celle où l’instruction dans les arts et la cul- ture des facultés intellectuelles se trouvent répandues cliez une grande masse d’individus qui composent une nation. Mais cette période n’exclut pas la faculté du courage ou de la force, pas plus que celle de la vénération : ces trois facultés existent chez toutes les nations civilisées , et concourent à leur maintien et à leur bonheur lorsqu’elles reçoivent une bonne direction. L’état de civilisation, c’est-à-dire la culture des facultés céré- brales de l’homme, n’a fait que multiplier les classes qui com- posent les nations; mais quelque soit leur nombre, nous en retrouvons les traces chez les hommes qui fondèrent des em- pires. De tout temps il y eut des chefs militaires, des prêtres et des gens un peu plus instruits que les autres; seulement les facultés qui ne peuvent arriver à leur perfection qu'après de longues années, et à la suite de nombreuses expériences ne se manifestèrent dans tout leur éclat qu’à certaine époque; c'est sans doute celle que l’on a désignée sous le nom d’époque de la science. On peut réduire les diverses formes de gouvernements à deux grandes classes. Les uns sont simples, d’autres sont composés : c’est-à-dire que le pouvoir peut être confié à une seule per- sonne ou bien à une réunion de plusieurs hommes. Dans les gouvernements composés, le pouvoir est exercé par diverses réunions d’hommes ayant chacune leur pouvoir. La démocratie, l’aristocratie, la monarchie et le despotisme présentent un exemple d’un gouvernement simple. De ces di- vers modes de gouvernements combinés avec un ou plusieurs pouvoirs composés d’hommes choisis dans une nation , résul- tent les gouvernements composés. 11 n’est pas de ma compé- tence d’examiner ici ces diverses sortes de gouvernements. Je me TKA1TE renfermerai entièrement dans le cercle de la physiologie, en faisant quelques applications aux principales institutions ou pouvoirs qui composent celui que la France possède main- tenant. On sait que la puissance législative ou le gouvernement se compose du roi, de la chambre des pairs et de la chambre des députés. Je commencerai par l’institution qui occupe le premier rang après le chef de l’état, c’est-à-dire la chambre des pairs. Les remarques phrénologiques que j’ai à faire sur les membres qui composent cette assemblée, se bornent à l’âge fixé pour que les pairs aient voix délibérative, et sur celui que l’on n’a pas déterminé, ce qui, selon moi, devrait avoir lieu, où les pairs cesseront de prendre part aux déli- bérations. La question que les pairs ne doivent avoir voix délibérative qu’à 3o ans révolus, doit, ce me semble, se résoudre par deux autres : i° à quel âge le cerveau de l'homme a-t-il atteint un développement assez considérable pour que ses fonctions s’exé- cutent parfaitement ; 2° a-t-on des exemples d’hommes qui aient manifesté avant 3o ans des facultés assez brillantes pour faire croire que de 25 à 3o, ils auraient pu prendre part aux délibérations de la chambre des pairs? La physiologie et l’ex- périence répondent affirmativement à ces deux questions. Il est constant que la majorité des hommes qui se sont lait remarquer par des facultés extraordinaires, ont donné des preu- ves de leurs capacités avant 3o ans révolus. Ce qui doit néces- sairement avoir lieu, puisque le cerveau bien que n’ayant pas encore atteint toute l’apogée de sou développement, est arrivé a un degré qui lui permet de manifester ses fonctions avec énergie et facilité. Supposons pour un instant que Napoléon DE PHRÉNOLOGIE. eut été admis à la chambre des pairs à l’époque de sa cam- pagne d’Italie dans laquelle il fit preuve de son grand génie militaire, sa voix n’aurait donc pu se faire entendre dans cette assemblée. On ne manquera pas de répondre que Napoléon est une exception; mais si le titre de pair ne s’accorde qua des hommes remarquables par leurs qualités, ne sont-ce pas aussi des exceptions P Je crois donc que 1 âge de q.5 ans qui donne le droit d’etre admis à la chambre des pairs, devrait aussi ac- corder celui de délibérer. La physiologie démontre que c’est de 3o à 4° ans (jue cerveau de l’homme parvient à son maximum de développe- ment. De 40 à 5o les facultés intellectuelles conservent assez de vigueur chez la masse des hommes, je ne dirai pas pour entreprendre de grands travaux, mais pour ajouter à ce que l’on a fait ou perfectionner ses productions. Cependant l’acti- vité des organes n’est plus soutenue comme de 3o à 4°* Les intermittences d’action sont plus longues; le besoin du repos se fait plus souvent sentir. Passé 5oans, les facultés baissent d’une manière sensible, et I on trouve bien peu d’hommes qui les aient conservées intactes jusqu’à lage de 60 ans. J’entends répéter tous les jours que la sagesse est le fruit des années, qu’il arrive une époque , celle qu’Aristote dési- gnait sous le nom de gravitas, maturité, ou l'homme devient un excellent juge des choses, un sage enfin. Cependant cette maturité tant vantée doit avoir un terme, et celui d’Aristote, malgré tout son mérite, me paraît un peu éloigné : long-temps avant l’époque qu’il a fixée, de 49 à 56, le plus grand nom- bre des hommes célèbres avaient fait preuve d’une haute sagesse. A 6o ans l’homme est évidemment vieux, et les infirmités TRAITE de l’âge commencent à se faire sentir chez le plus grand nom- bre. Les travaux de l’esprit deviennent pénibles; les percep- tions récemment reçues s’effacent facilement : cette disposi- tion s'accroît chaque année au point de rendre l’homme incapable de prendre une part active aux choses qui deman- dent une attention et une activité soutenue de l’esprit. Si ces remarques sont vraies, et je ne crois pas qu’on puisse en contester la justesse, je demande s’il ne serait pas sage de fixer une époque, celle de 70 ans, par exemple, où les pairs cesse- raient de prendre part aux délibérations, et seraient remplacés dans leurs fonctions par des hommes dont les organes join- draient l’activité à la maturité. Les travaux languiraient moins, et la patrie y gagnerait. Je sais tout ce que l’on pourra répondre à mes observations, mais je suis profondément convaincu que le fond des objec- tions n’aura malheureusement pour base que le désir, d’ail- leurs si naturel chez l’homme, de conserver le pouvoir et son influence lors même que ses facultés affaiblies s’y refusent. L’âge fixé maintenant pour être éligible, ou de pouvoir être appelé à la représentation d’une portion déterminée de population, est assez en harmonie avec le développement du cerveau de l’homme. Avant 1815 on ne pouvait être éligible qu’à 4° ans. M. Emmanuel de Lascases, dans une brochure publiée en 1828, avait déjà fait ressortir, en s’appuyant sur la physiologie, tous les inconvénients d’une époque aussi reculée. Les faits qu’il cite et qu’il accompagne d’observations puisées dans l’histoire des hommes célèbres me paraissent sans répli- que. A l’époque où la phrénologie était un objet de ridicule, et où la masse des hommes instruits n’y voyait qu’une science toute matérielle, M. de Lascases eut le grand mérite d’apprécier DE PHRÉNOLOGIE. les vérités générales qui servent de base à cette science, et de prévoir l’influence qu’elle ne manquerait pas d’avoir un jour dans ses applications. Ce qui se passe maintenant en Angleterre, où l’on compte près de quarante sociétés phrénoiogiques, vient justifier les prévisions de ce député. Il serait bien a désirer dans l’intérêt de la France que ses collègues voulussent bien, comme lui, s’occuper d’une science dont ils ne manqueraient pas sans doute d’apprécier toute l'importance. C’est alors qu’ils pourraient saisir toute l’exactitude et la profondeur de cette pensée de Montesquieu : « Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » Ces rapports comment les connaîtrez-vous, si préalablement vous n’avez pas étudié l’homme, son organisation et ses fonctions, sur-tout celles de ses actes moraux et intellectuelles ? Voilà cependant ce qui manque aux quatre cinquièmes de ceux qui sont chargés de les diriger. Avant de passer outre, je ne puis m’empêcher d’aborder une question qui touche à la politique, mais qui rentre dans le domaine de la physiologie du cerveau. Je veux parler des électeurs et des éligibles, deux classes qui sont appelées l’une à choisir les députés et l’autre à les fournir. Les fonctions de ceux- ci consistent, comme on le sait, dans la délibération et le vote des lois. Mais avant tout se présente la question : Qu'est-ce que la loi ou les lois ? Selon Montesquieu que j’ai cité, les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent des choses. Mais comment faire ces lois si les rapports des choses ne sont pas parfaitement connus ? Rousseau définit la loi, l’acte de la volonté générale. (Jette définition est séduisante, mais je la crois inexacte, car elle supposerait que tous les hommes pourraient y concourir, tandis qu elle ne peut être que la suite des actes de la portion la plus éclairée d’une nation, c’est-à-dire de celle qui est la plus TRAITÉ apte à saisir les rapports qui dérivent de la nature des choses. Quels sont donc les hommes qui sont ou devraient être les plus capables de saisir ces rapports ? Sans contredit ce sont les députés, puisqu’ils sont chargés de faire les lois.Mais quels sont les hommes qui seront chargés de choisir les personnes qui fe- ront les lois P Sans doute ceux qui auront le plus de discernement et d’instruction. Cependant il résulte de la disposition actuelle de la loi, que beaucoup d’hommes éclairés, pleins de discernement et de probité, se trouvent exclus de la classe des électeurs, par cela meme qu’ils ne payent pas le cens électoral, c’est-à-dire la somme de contribution directe exigée pour être électeur. Si la propriété était toujours l’apanage de l’homme éclairé et ca- pable, rien de mieux que de lui donner la préférence pour le choix des représentants de la nation ; mais il s’en faut de beau- coup qu’il en soit toujours ainsi. Un homme consacre une par- tie de sa vie à l’étude du droit, de la médecine ou de ce que l’on appelle les hautes sciences : il ne peut être admis à exercer sa profession qu’après avoir fait preuve de savoir et d’intelli- gence; l’argent qui lui eut procuré le droit d’être électeur, il l’emploie à son instruction, à se rendre utile à son pays, et c’est lorsqu’il est en état de lui offrir ses services, en concou- rant aux choix des représentants de la nation, qu’il se voit rejeté du nombre des électeurs; tandis que ceux qui n’ont ja- mais cultivé leur esprit, ou dont les idées sont toutes renfer- mées dans le cercle étroit des occupations purement mer- cantiles , jouiront du droit d’élire. J’avoue qu’une pareille disposition de loi me paraît une vraie monstruosité, une in- sulte faite à l’intelligence humaine. Je ne sais si je m’abuse, mais je crois que toute profession libérale devrait donner le droit de choisir les personnes chargées de faire les lois. DE PHRÉNOLOGIE. Quel a été le but du législateur en exigeant certaines condi- tions pour devenir électeur? Sans contredit c’était d’obtenir la tranquillité et le bonheur de la nation. Eli bien ! je soutiens que la propriété ne suffit pas pour arriver à ce résultat, que l’on ne peut l’obtenir que par le double concours de l’intelligence et de la propriété. Rien de plus avantageux pour l'intérêt de la nation que de voir appelés à la chambre des députés des hommes à spécia- lités, tels que des magistrats, des généraux, des médecins, des chimistes, etc. Leurs connaissances deviennent autant de mines fécondes de documents précieux pour les intérêts du pays qui se trouve ainsi représenté. Il serait bon cependant que l’in- struction des collèges fut telle que les jeunes gens qui les fré- quentent, et qui arriveront un jour à la députation, eussent des notions générales de physiologie, d’économie politique et de législation. Les discussions de la chambre ne roulent pas seulement sur des intérêts de classe, mais encore sur des inté- rêts généraux, et même sur ceux de nation à nation. Combien de députés, très éclairés d’ailleurs, se trouvent par le manque de ces notions dans le cas de ne pouvoir prendre une part ac- tive et consciencieuse aux travaux de la chambre. Application de la phrénologie à l'éducation. § II. Que doit-on entendre par éducation? Sur quelle base doit 600 TRAITE elle reposer et quelle est son but? Telles sont avant tout les questions auxquelles il est nécessaire de répondre avant d’en- tamer le sujet que je me propose de traiter. L’éducation consiste dans la culture ou le perfectionnement de l’homme. Si elle s’applique au corps, elle reçoit le nom d’éducation physique. Est-elle appliquée au développement et au perfectionnement des organes, et conséquemment des facultés du système nerveux cérébral, elle prend le nom d’éducation spirituelle et morale. Bien que ce soit du concours de ces deux espèces d’éducations que doit résulter le perfectionnement de l’espèce humaine, je ne traiterai que de la dernière parce quelle rentre plus spé- cialement dans le domaine de la phrénologie. S’il est démontré, et je crois qu’il n’existe maintenant aucun doute à cet égard, que le système nerveux de l’homme soit le de toutes ses facultés morales et intellectuelles, l’his- toire de l’organisation de ce système et de son développement, doit être la hase de toute espèce d’éducation tendant à culti- ver son esprit, à diriger ses passions et à perfectionner ses talents naturels. Une fois ces deux propositions bien conçues, le but de l’éducation de l’homme se présente naturellement à l’esprit, c’est de diriger la culture de son esprit, de ses talents et de ses passions au bonheur individuel d’une part, et au bonheur général de l’autre, en faisant concourir toutes les instructions particulières ou individuelles au bien général de la société. Si tous les hommes avaient reçu de l’auteur de la nature le même développement d’organes cérébraux , la méthode d’édu- cation serait extrêmement facile. Il s’agirait, les facultés fonda- mentales du système nerveux étant connues, d’exercer à l’aide d’une base générale d’enseignement tous les organes de ces DE PHRÉNOLOGIE. 601 facultés. Mais la nature est loin d’avoir procédé ainsi. Sans doute que tous les hommes ont reçu un cerveau composé des mêmes organes; mais, comme la phrénologie le démontre, il s’en faut de beaucoup que ceux-ci présentent chez tous, et la même acti- vité, fruit du tempérament, et la même énergie, conséquence im- médiate du volume. C’est là ce qui explique ce que les métaphy- siciens ont méconnu, je veux dire les variétés d’intelligence, et les diversités de talents et de passions chez les hommes. Rappor- tant tout à sa propre manière de sentir et de percevoir, chaque philosophe présenta son système comme le seul vrai, le seul en harmonie avec les lois naturelles. Un autre philosophe au- trement organisé renversa les idées de son prédécesseur, et ainsi de suite; de manière qu’au lieu d’avoir une philosophie basée sur la vraie connaissance de l’organisation et des fonc- tions de l’homme, on n’obtînt que les divers produits d’or- ganisations différentes. J’ai dit tout à l’heure que l’histoire du développement des organes qui président aux fonctions de l’homme moral et intellectuel, devait être bien connue de ceux qui s’appliquent à l’éducation. C’est donc par elle que je vais commencer ce que j’ai à dire sur ce sujet si important, ou pour mieux dire je les ferai marcher de pair. Quatre mois et demi après la naissance, le cerveau et le crâne conséquemment ont augmenté beaucoup en volume, comparés avec ce qu’ils étaient au moment de la naissance. (Comparer le crâne d’un enfant nouveau né avec celui d’un enfant de 4 mois et demi, pî. VIII bis, fîg. 2 et fig. 5.) Le développement de la région frontale donne à l expression de la face un caractère que nous ne retrouvons pas sur l’enfant d’un jour. Il s’est opéré avec le développement de volume de TRAITE l’encéphale de l’enfant de 4 mois et demi, un changement ou modification dans sa manière de percevoir et de sentir. A cet l’enfant reconnaît sa nourrice, il commence à sourire. Le sommeil et l’allaitement qui composaient presque toute la vie des deux premiers mois présentent plus d’intermittences, l’enfant regarde tous les objets qui l’entourent; tout ce qui offre quelque chose de brillant paraît sur-tout fixer son atten- tion. De cette période à celle de io à 11 mois, l’encéphale prend une ampleur excessivement remarquable : les organes situés à la base du crâne, le cervelet excepté, ceux qui occu- pent les régions postérieures et latérales de cette boîte osseuse, et ceux de la région frontale, notamment ceux qui reposent sur le plancher orbitaire et la région inférieure moyenne du front, sont développés à un point étonnant. Ce qu’il y a de plus intéressant, c’est de voir la coïncidence qui existe entre le développement de ces diverses régions, et l’action évidem- ment manifeste des organes qui leur correspondent. L’enfant commence à prononcer plusieurs mots (sens du langage) il regarde tous les objets, sur-tout ceux qui sont en action, avec une attention sans égale (conscience des faits, éventualité ): un animal, des objets brillants l’intéressent au plus haut degré (sens de configuration, coloris). Le cervelet qui est généralement peu développé à cette période ne donne aucune trace de son existence, si ce n’est dans faction des mouvements. Il n’en est pas de même des facultés de l’atta- chement, de l’organe de conservation, de celui qui préside au choix des aliments, du sentiment de propriété qui se mani- festait souvent avec assez d’énergie. Plusieurs facultés intellec- tuelles agissent déjà avec beaucoup d’activité, et il serait peut- être difficile d’énumérer ce que les enfants qui ont passé cette DE PHRÉNOLOGIE. 603 période et quelques mois au-delà, ont acquis de connaissances. Je ne suivrai pas les changements qui s’opèrent dans l’en- céphale efdans ses fonctions jusqu’à l’àge de quatre ans, je dirai seulement qu’avant d’arriver à cet âge, le cerveau de l’homme s’est encore accru en volume et sur-tout en densité : c est à ces deux circonstances réunies que nous devons attribuer l’action de certaines facultés qui n’avaient encore donné aucune trace de leur existence, et la sphère d’activité plus étendue et plus soutenue de celles qui s’étaient manifestées. Comme c’est sur- tout à partir de cette époque jusqu’à sept ans, que les facultés cérébrales présentent des caractères bien tranchés, je vais m’at- tacher à faire connaître celles qui m’ont paru alors les plus saillantes, chez la majorité des enfants de cet âge que j’ai eu occasion d’observer. Je suivrai dans mes remarques l’ordre de classification que j’ai adopté dans mon tableau, fixant particu- lièrement l’attention du lecteur sur les points les plus essen- tiels à connaître pour l’objet que je traite. La faculté de conservation qui avait donné jusqu’au com- mencement de cette époque des marques assez prononcées de son existence devient encore plus énergique. Je crois que c’est à elle qu’il faut attribuer la crainte que manifestent beau- coup d’enfants lorsqu’ils sont abandonnés à eux-memes. Comme elle peut être portée jusqu’au point de donner lieu à de graves accidents, il est nécessaire que les enfants de cet âge ne soient jamais seuls : on évitera sur-tout de leur racon- ter des histoires dans lesquels figurent des objets capables de les effrayer. Si quelques accidents inséparables des mouvements que l’enfant se donne à cet âge, tels que des contusions, des chutes, de légères coupures, etc., etc., ont lieu, les trois quarts des enfants seront encore plus sensibles à la douleur TRAITÉ qu’ils éprouvent, si les personnes qui les entourent jetent des cris ou manifestent de la crainte. On doit donc dans ce cas prendre sur soi de ne laisser rien voir à l’extérieur, si non l’on augmentera les douleurs de l’enfant, et l’on finira peut être par en faire un être criard et insupportable. La faculté qui préside aux choix des aliments est une de celles qui se manifestent alors avec le plus denergie, on peut dire même que la gourmandise qui en est la conséquence, est le vice dominant de l’enfance. On ne saurait donc donner trop d’attention à la nature des aliments et à leur quantité chez les enfants de cet âge. Je considérerais comme une excel- lente coutume celle qui consisterait à faire faire quatre repas par jour aux enfants. La quantité d’aliments serait proportion- née à l’appétit naturel, et à la constitution de chacun. On évitera sur-tout de gorger d’aliments les enfants d’un tempé- rament lymphatique : à peine sont-ils repus, que le besoin du sommeil se fait sentir, et l’encéphale devient incapable de travail. Des potages à la viande, de la chair rôtie ou grillée, du vin coupé d’eau, du pain bien fermenté conviennent aux enfants de cette constitution : on aura soin de les laisser jouer plusieurs fois par jour en plein air, et de les accoutumer graduellement aux variations atmosphériques. Les exercices gymnastiques si précieux pour tous les enfants de cet âge, le sont encore plus pour ceux qui présentent une constitution lym- phatique. En donnant de l’action à tous les organes, le cer- veau est un des premiers à en ressentir l’heureuse influence, et des enfants qui, par l’effet d’un mauvais régime alimen- taire fussent demeurés engourdis, deviennent alors capa- bles d’ une application soutenue pour les travaux qu’on exige d’eux. DE PHRÉNOLOGIE. Durant la période que je viens d’indiquer, le besoin de parler et de se mouvoir ont lieu d’une manière extraordi- naire. C’est alors que la mémoire verbale peut être cultivée avec le plus grand succès : la quantité de mots que les en- fants peuvent retenir alors est réellement prodigieuse. Le sens de la configuration, de la perception, de la substance, de l’éventualité, trahissent leur grande activité, par l’ex- trême attention des enfants à considérer les objets, à étudier leurs formes, et celle qu’ils donnent aux récits d’événe- ments ou d’historiettes à leur portée. Griffonner du papier, faire des figures de toute espèce, telle est une des plus gran- des jouissances de cet âge. A la fin de cette époque et plus tard, il est extrêmement commun de voir les enfants cher- cher à reproduire par le dessin et de mémoire les objets qui les frappent davantage : le choix des figures dont ils s’em- pressent de couvrir les tables, les livres et les murs des écoles, annonce qu’une faculté qui ne s’était pas encore manifestée commence à entrer en jeu. Il est impossible de se faire une idée de l’avidité qu’ont pour les lectures et les dessins lascifs, les enfants arrivés à la fin de cette période, sur-tout ceux qui sont pubères. J’ai acquis la triste cpnviction que la masse des enfants de cet â .fig- 1 et 4- 297 avant dernière ligne au lieu de les tubercules bijumeaux, lisez: les tubercules quadrijumeaux. 210 6, au lieu de vaisseaux , lisez : faisceaux , même faute ligne 18 id, page. - 287 17, ajoutez août après le nombre 17. ERRATA DU SECOND VOLUME. Page 45 Ligne G, au lieu d’assimiler, lisez : d’assigner. iu5 2, de la note au lieu de la lettre R , lisez : M. i4o au lieu de fig. 5 , pl. LXX, lisez ; fig. 5, pl. LXXXIII. i83 2, au lieu de prochasen, lisez : prochaska. 236 16, au lieu de cervolo , lisez : cervello. 473 7, au lieu de met, lisez : mettent. Bien que la page qui suit celle qui porte le n° 3q8 soit marquée 401 ; il n’y a point de lacune, il y a seulement erreur de pagination. (1 ) En relisant mon premier volume j’y ai aperçu plusieurs fautes typographiques assez graves pour devenir l'objet d'un nouvel errata. Comme parmi elles il en est qui ont rapport aux numéros des planches, ou à ceux des objets représentés; j’engage mes lecteurs à les rectifier au crayon après avoir consulté cet errata, et celui qui se trouve à la tète du texte explicatif des planches. MMTÉ DE PHRÉNOLOGIE HTTMAIXTS ST OOXÆPARBŒ, ACCOMPAGNÉ D’UN MAGNIFIQUE ATLAS IN-FOLIO DE 120 PLANCHES, CONTENANT PLUS DE 700 SUJETS D’ANATOMIE HUMAINE ET COMPAREE, D’UNE PARFAITE EXÉCUTION. Par J. VIMONT, DOCTEUR EN MÉDECINE DE LA FACULTÉ DE PARIS, MEMBRE HONORAIRE DES SOCIÉTÉS PHRÉNOLOGJQUES DE PARIS ET DE LONDRES. L’orgueil, la superstition, la crainte, ont embarrassé la connais- sance de l’homme de mille préjugés que l’observation doit détruire. La religion est chargée de nousconduiredans la roule du bonheur qu’elle nous prépare au-delà des temps. La phi- losophie doit étudier les motifs des actions de l’homme pour trouver le moyen de le rendre meilleur et plus heureux dans cette vie passagère. ( G. Libot, Lettres philos, sur l'Homme et les Animaux.] TOME SECOND. fJari*. J. B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE, RUE DE l’ÉCOLE DE MÉDECINE , N° I 3 RIS J LONDRES , MÊME MAISON , 219 , REGENT-STREET. IMPRIMÉ CHEZ HIPPOLYTE TILLIARD. 1835.