DEUXIEME LETTRE CHIRURGICALE DU Dr CITAIENT. •t » A M. J. M. RODItlGUEZ, l'BOti =i>t.LU AbJOlM A L'EtOLK DB Mf.HK.ti, SlcTION li'OMlllf aUJCi:. IMCA-Rte* 1800. .0* MliXICO. LUBItAIRIE ZUJSAIICWIIN 1Z, tv.oi-'.MT.i: lus iuks di Ltr.iio i.) utL Ci.tir.io. wo £u3> Suit, Monsieur et honoré confrère, mon observation: Un matin, en août 1860, M. B. vint solliciter mon assis- tance pour Son épouse qui, disait-il, était dans îe plus grand danger. Arrivé auprès de là malade, je constatai ce qUe je vais vous soumettre: Mme B., âgée de 30 ans, de petite ta*îlfe, d'un embonpoint un peu plus qu'ordinaire, d'une santé passable, mais traversée antérieurement par quelques légers accidents de ceux que produit l'exagération du tempérament lymphatique, Mme B. accouchait à terme et pour la première fois. Elle était en tra- vail depuis plus de deux jours; les eaux s'étaient écouldes de- puis le commencement du travail. L'accouchement n'avait, dans le principe, semblé rien pré- senter d'anormal. Les douleurs puerpérales avaient atteint ra- pidement leur plus haut degré de violence, puis elles avaient diminué de force pour faire place à un état fébrile qui durait depuis 24 heures; le pouls dépassait 130; il était serré, sau- tillant comme dans les affections aiguës graves du ventre; la chaleur générale était fort exagérée; les mains étaient brû- lantes, les pommettes vultueuses, la peau des lèvres était pâ- le à reflet jaunâtre; le regard avait perdu toute vivacité; la langue était sèche, il y avait de la soif. Hors même du temps des douleurs qui étaient peu marquées, la respiration était anxieuse. Le ventre était sensible au palper, surtout dans la région occupée par l'utérus. Il n'y avait pas eu d'hémorrhagie notable. La tête se présentait par le sommet, en position occipito- pubienne, et je m'exprime ainsi parce qu'elle était au Pdrinde, entr'ouvrant la vulve même dans l'intervalle des douleurs.— Après un si long et si pdnible travail, le gonflement des tis- sus épicraniens n'était pas appréciable: on sentait presque immédiatement les sutures et les fontanelles; autre détail re- marquable: cette tête qui refusait absolument d'avancer, car il fut prouvé qu'elle n'avait pas changé de situation depuis plus de 24 heures, reculait et s'inclinait volontiers sous l'ef- fort de la main: elle était libre dans le bassin. L'obstacle sérieux à l'accouchement fut aisément consta- té: la tête était arrivée sans entraves, d'emblée, jusqu'au con- tact du coccyx; mais cet os déjà trop fortement uni au sacrum ne s'était pas déployé et les efforts de la nature étaient vains contre sa résistance. Peut-être, le bord inférieur de l'arcade pubienne et les branches ischio-pubiennes se portaient-elles de quelque chose un peu trop en arrière; mais, comme on le verra à propos d'un second accouchement, il n'y avait de ce côté rien qui méritât l'attention. L'état de l'enfant s'annonçait pire que celui de la mère : du mœconium s'était écoulé au dehors en grande quantité; le tégument épicranien non œdémateux, non ecchymose, était violacé, de la couleur du fœtus avant la première inspiration, et ne pâlissait pas sous la pression du doigt. Depuis un temps, au moins aussi long que celui du travail, la mère avait cessé de sentir les mouvements de son fruit. L'oreille appliquée pen- dant des minutes sur divers points de l'abdomen, n'avait pu percevoir rien des mouvements du fœtus, rien des bruits car- diaques. Mrae B. n'était pas restée sans assistance ; mais l'assistance avait été illusoire. On avait appelé près de la malade non pas un médecin, pas même une sage-femme, mais un débitant — 10- de drogues homoeopathiques et autres, étranger aux plus sim- ples notions d'Obstétrique. Le malheureux était planté là depuis le commencement du travail écoulant sa marchandise de son mieux, sans s'inquiéter do l'état de la femme, état qu'il n'aurait pas même pu constater. Sourd comme une cru- che, il avait enfin distingué sur les visages qui l'entouraient des signes d'inquiétude et de malaise; voyant cela, il avait eru rétablir l'équilibre de son commerce en appelant à son aide un de ses camarades aussi muet que lui était sourd. Les deux ensemble avaient feint une consultation d'où résultait la continuation du système anodin mis en usage par le pre- mier : Une douleur : deux grains de sucre de lait ou dix gouttes d'eau claire; pas de douleur: dix gouttes d'eau claire ou deux grains de sucre de lait. C'est ainsi que la boîte à granules et la fiole à gouttes de notre homme allaient se vidant à grand train : on faisait ses petites affaires. Mais la fortune est inconstante. On finit par apercevoir que l'état de la malade s'aggravait rapidement ; les promesses dont les soi-disant médecins avaient cent fois assaisonné leurs remèdes étaient d'autant plus loin de se réaliser qu'on attendait davantage. Bref, toute confiance fut perdue : on reconnut quoique tard, l'énormité de la faute commise, on ren- voya ces messieurs. Je n'ai pas entendu qu'ils eussent essayé d'aucune ma- nœuvre. Je vous laisserai tomber leurs noms et prénoms dans l'oreille, et vous resterez persuadé qu'en fait de manœuvres obstétricales, ils se seront exercés très-exclusivement sur 1» bourse du mari. Revenons vite à l'histoire du cas : En résumé, l'impossibilité de l'accouchement spontané était démontrée; la Métrite nous menaçait de près si elle n'avait déjà commencé; il y avait de la fièvre et à la fièvre s'ajou- tait l'épuisement nerveux effet nécessaire do la violence et de la durée dts souffrances ainsi que d'un état moral im- possible. —11— Le forceps était indiqué; l'urgence de son application était absolue. J'appliquai le forceps. Je ne puis affirmer que je le fis sans fatiga, car depuis de longues années, les maladies que j'ai souffertes ne me laissent pas tenter le moindre effort sans de- venir haletant. Toutefois, honoré confrère, j'affirmerai en vé- rité que jamais application du forceps ne me fut plus facile que eclle-là: de l'introduction do la première branche à la sor- tie de l'enfant, il ne so passa jamais dix minutes; encore, avais-je singulièrement ménagé les tractions et donné à ma malade des repos relativement très-marqués. Ces ménagemens étaient indispensables: La face avait pria dès avant la manœuvre quelque chose de l'aspect hippocrati- que, indiquant une profonde lésion de la vie. Quant à l'enfant, le forceps ne lui avait fait ni bien ni mal; non-seulement il était mort, mais il l'était depuis si longtemps que son corps était presque entièrement recouvert de sugiî- lations cadavériques et que l'épidémie macéré se détachait au moindre contact, en plusieurs endroits. La délivrance n'offrit rien de particulier. La perte de sang fut modérée. Débarrassée de ses douleurs et de ses craintes, la malade très-courageuse du reste, se ranima en quelques instants. Le pouls prit bientôt de l'ampleur et diminua de fréquence. Un bien-être notable se fit sentir et je pus m'éloigner laissant la brave personne dans un état assez satisfaisant. Les deux jours suivants furent passables. L'Utérus reve- nait assez bien sur lui-même; y écoulement lochial était abon- dant sans excès, son odeur était normale. La sensibilité du bas-ventre bien qu'exagérée était limitée à la masse utérine et allait en diminuant. La peau était à peine chaude, il y avait quelque appétit. Tout à coup, survint un violent frisson, puis un accès de fièvre également très-fort. La sécrétion lactée s'établissait, — 12 — ce qui {lut faire croire un instant que ce qui se passait pou- vait bien n'être qu'un orage. Cependant, le raptus mammaire était incomplet; la sensi- bilité du bas-ventre avait plutôt augmenté que diminué dans l'accès; le col utérin était brûlant au toucher; les lochies quoi- que toujours abondantes prenaient de l'odeur. Sous l'influence de soins appropriés parmi lesquels je ne mentionnerai que la succion des mamelles et des injections tièdes simples, à grande eau, répétées souvent, la violence de la réaction s'apaisa, l'état général s'améliora sensiblement. Toutefois, nous ne revînmes pas au calme. L'état fébrile passa, si on pouvait ainsi dire, de l'aigu au chronique: il y avait bien des moments de rémittence; mais chaque jour, à des heures variables, intervenaient des frissons erratiques, de la fièvre et des sueurs. De plus, le lait disparaissait malgré la succion; la matrice s'arrêtait dans son mouvement de re- trait; le col utérin était engorgé, sensible au toucher, et très- chaud, même dans les moments d'apyrexie^l'urine était rare, la miction douloureuse. L'écoulement vaginal sans disparaî- tre, diminuait; il redevenait fétide dès qu'on s'éloignait de l'injection. A ces accidents du côté du bas ventre qui ne sauraient être rappelés ici plus au long, qui diminuèrent au bout de quelques jours pour disparaître ensuite, mais qui, certaine- ment, furent le point de départ et la cause immédiate des très graves désordres que nous voulons particulièrement si- gnaler, se joignit bientôt un symptôme étrange, ou du moins, assez rare: C'était une douleur pulsative, continuelle, fixe vers la sym- physe sacro iliaque droite. Cette douleur légère dans le prin- cipe s'accrut graduellement et très vîte dans l'espace de quel- ques jours et finit par être intolérable. Dans les premiers temps, aucun gonflement ne se montrait dans le lieu de la douleur; la symphyse était sensible au pal- per; mais non en proportion de la douleur spontanée. J'ap- — 13 — pliquai sur ce point des sangsues, si je me rappelle; puis, certainement, j'y appliquai un vésicatoire. Cela et le reste de mon traitement fut sans effet sur l'évo- lution du mal. Au bout de quelques jours, les chairs qui recouvrent la symphyse devinrent pâteuses ; elles s'élevèrent sans se colorer; bientôt on put y constater la fluctuation. Trois semaines environ après l'accouchement, la tuméfac- tion était considérable: elle s'étendait bien à 15 centimètres de hauteur sur 12 de large ; en haut, elle dépassait l'épine iliaque postéro supérieure, en bas, elle atteignit le rebord de la fesse; elle était évidemment fluctuante, d'une fluctuation profonde. La collection avait ce remarquable caractère que la main appliquée en grand sur elle et la pressant un peu fortement, la faisait disparaître presque en entier. Rien n'était négligé pour rechercher, soit par la palpation et la percussion du bas ventre, soit par le toucher vaginal, quelques signes qui pussent s'ajouter à ceux déjà si clairs donnés par la partie postérieure du bassin; mais soit que les désordres fussent moins étendus en avant qu'en arrière de la symphyse, soit qu'ils échappassent à la main par leur pro- fondeur, dans cet abdomen volumineux et à parois épaisses, soit encore que la sensibilité de l'utérus contînt l'exploration dans des limites insuffisantes, toujours est-il qu'aucune don- née importante ne put être saisie de ce côte. Le membre inférieur enfla et devint douloureux quand la suppuration se montra. Cette enflure œdémateuse ainsi que la sensibilité qui l'accompagna suivit constamment les vicis- situdes de l'affection articulaire qui l'avait précédée. Ici, l'œdème n'était-il pas dû simplement à l'engorgement des chairs avoisinant en quelque point de leur trajet les vais- seaux iliaques et les racines du crural et des sciatiques? Je me le suis demandé plus d'une fois. J'avoue qu'il m'a sem- blé qu'il devait en être ainsi; cette opinion m'a paru plus probable que celle qui attribuerait le gonflement à une phlé- bite oblitérante du membre inférieur. — 14 — Avec des signes aussi nombreux et aussi décisifs, le dia- gnostic se faisait de lui-même: Métrite, fièvre puerpérale; suppuration de la symphyse sacro-iliaque droite; œdème dou- loureux consécutif du membre inférieur droit. C'est ainsi que quatre longs mois avant que M. le Dr. Ji- menez pensât être invité à explorer l'abcès, avant même que l'abcès ne fût ouvert, la pénétration dans le bassin du pus de la symphyse était évidente aux yeux les plus étrangers à toute connaissance médicale: le pus disparaissait en masse sous la pression de la main; où donc serait-il allé sinon dans le bassin? Question à peine acceptable par un étudiant de première année. Une fois établies sans réplique, l'existence de la suppuration dans les conditions qu'on sait et la possibilité de lui donner issue, je me trouvais en présence d'un très-grave problème. Attendre sans agir, c'était donner à la collection déjà trop considérable le temps de s'accroître, c'était permettre au pus qui baignait le squelette de s'altérer profondément, d'amincir jusqu'à l'extrême la paroi extérieure de l'abcès, de fuser dans le bassin à des distances et selon des modes qu'on ne pouvait prévoir et, par là, se réserver la certitude d'accidents formi- dables pour le moment de la rupture du sac d'un foyer au milieu duquel une vaste jointure se trouverait ouverte et ex- posée. Ouvrir une voie au pus, c'était peut-être hâter le dénoûment fatal, dénoûment que la situation de la malade d'une part, de l'autre la gravité et l'étendue des désordres locaux, me faisaient alors regarder comme inévitable. Je n'osai prendre sur moi la responsabilité de délibérer seul dans une situation si compromise; j'appelai l'aide bien- veillante et intelligente de MM. Garrone, Jimenez (M.) et Vertiz. La junte fut unanimement d'avis que mon diagnostic de- vait être maintenu. Elle partagea mon opinion sur l'extrême gravité du pronostic; elle compara le cas de la malade à celui d'un abcès par congestion, et partant de cette idée, me con- — 15 — seilla d'ouvrir le plus tard possible, sans pour cela permettre l'ouverture spontanée, et d'agir alors par simple ponction à la manière de Boyer, ou d'avoir recours à l'aspiration sous- cutanée selon l'idée de M. Jules Guérin. J'abondais personnellement dans ces idées. J'acceptai sans réserve, les opinions et les conseils de mes amis. Quelques jours se passèrent dans l'observance exacte de nos conven- tions; mais plus nous avancions, plus la tumeur croissait ; plus aussi croissait ma répugnance pour un moyen qu'à peine on pouvait qualifier de palliatif temporaire, moyen qui, presque certainement, allait être le prélude nullement innocent d'un véritable désastre. Et pourtant, c'était le moyen classique, le moyen autorisé. Enfin, l'inquiétude sur le sort de cette femme et le désir de la sauver me firent trouver dans la réflexion une ressource alors inédite, capable de se substituer avec avantage à ce que nous nous étions proposé. Ce sera n'enfreindre que véniellement le rôle de simple narrateur que je me suis proposé de garder, que d'exprimer ici, Monsieur et honoré confrère, ma surprise de l'oubli qu'on fait de cette ressource dans l'histoire qu'on vous a transmise. J'imaginai que nous aurions une chance de succès si nous pouvions à la fois, donner au pus une voie suffisante et non j^£_ interrompue, exclure, renouveler, chasser l'air, porter à vo- lonté sur les parois du foyer des agens désinfectants, des dé- tersifs, enfin, des modificateurs appropriés. Telle était la formule de ma méthode. Quant au procédé, il était d'une extrême simplicité; il pouvait se résumer en deux mots : irrigation continue du foyer. — Ce qui suit don- nera une idée de ses détails. Un tube en caoutchouc vulcanisé de 4 mètres environ de lon- gueur serait étreint par un fil à sa partie moyenne (fig. 1) A, jusqu'à interrompre son calibre; à un pouce de distance de chaque côté du fil serait pratiquée une ouverture B'B', sem- — 16 — blable à un œil de sonde, et, autant que possible, égale au calibre du tube. Ce tube serait introduit dans l'abcès par les moyens du drainage à double piqûre, et maintenu solidement à ses points d'émergence, fig. 2, F'F', par des calottes agglutina- tives au collodion, disposées de manière que la cavité de l'ab- cès n'eût de communication au dehors qu'à travers le calibre du tube. Le point occupé par le fil constricteur serait placé à distance égale des deux ponctions. Une des extrémités du tube, A, fig. 2, préalablement amor- cée de liquide comme la petite branche d'un syphon quel- conque, serait plongée et maintenue au fond d'un vase, B, contenant de l'eau tiède, de l'eau légèrement salée, une solu- tion faible de chlorure de Labarraque etc., selon l'indication; l'autre extrémité, C, plongerait dans un vase, D, reposant sur le sol. Ce vase pourrait être vide; mais il pourrait aussi contenir de l'eau et ainsi, on serait en mesure de faire l'as- piration par le poids de la colonne de liquide contenue dans le bout correspondant du tube. Le premier vase, B, le vase d'injeetion, serait suspendu au-dessus du niveau de l'abcès, à une hauteur variable afin de pouvoir modifier à volonté la vitesse et la pression du liqui- de qui entrerait dans le foyer. Enfin, le tube d'entrée ou d'injection et le tube de sortie ou d'épuisement seraient munis chacun d'un robinet, E, E', ou autre moyen analogue d'occlusion, ce qui permettrait de varier à l'infini les conditions de l'expérience. A peine eus-je trouvé ce secours que je rappelai mes ho- norés consultans pour leur en faire part. Ils jugèrent l'in- dication assez nettement posée et les moyens de la remplir as- sez satisfaisans pour qu'il convînt de réaliser immédiatement mes projets. Immédiatement aussi et en leur présence, le tube fut mis en place et fixé comme nous venons de l'indiquer. Une piqûre, supérieure, atteignait presque la hauteur de la crête iliaque — 17 — Gt tombait sur l'interstice iléo sacré; l'autre, inférieure, don- nait vers le milieu de la grande échancrure sciatique, à un pou- ce environ au-dessous du sommet de l'échancrure. L'injection par le syphon commença aussitôt, et nous eû- mes la satisfaction de voir le pus d'abord, le liquide injecté ensuite, se répandre dans le vase inférieur, selon nos prévi- sions. N Ce n'est pas ici le lieu d'entrer plus avant dans les détails relatifs à ce mode de traitement et aux modifications dont il est susceptible. Ce moyen d'une application fort étendue en chirurgie, employé utilement par moi dans une toule de cas très divers, demande pour être étudié convenablement une place spéciale que je lui donnerai peut-être un jour. Notre obser- vation est déjà trop longue par elle-même : je ne saurais la prolonger sous prétexte de développemens qui ne lui sont qu'accessoires. Poursuivons : Le résultat de ma tentative fut diamétrale- ment opposé à ce qu'on eût dû attendre de l'ouverture de l'ab- cès avec pénétration de l'air; il fut incomparablement plus heureux que celui qu'on retire des ponctions : la fièvre tomba immédiatement, l'appétit revint dans une juste mesure; la dou- leur pelvienne et celle extérieure de l'abcès ne furent plus que de la sensibilité; les symptômes utérins disparurent, et ce chan- gement fut, pour ainsi dire, instantané. L'écoulement du pus diminua très-rapidement pendant les premiers jours; d'excessif il devint modéré. Le pus sans ces- se évacué à fur et à mesure de sa production ne prenait pas même trace d'odeur. Nous continuâmes pendant un mois environ ce mode d'irri- gation, non pas toutefois sans lui faire subir quelques modifi- cations de détail adaptées aux indications de chaque jour. L'ac- tion de l'injection fut tellement marquée pendant tout ce temps qu'une fois, la malade eut un accès de fièvre; on m'ap- pela . Le tube ne fonctionnait pas depuis des heures, le pus était, à l'instant, devenu fétide. Je rétablis le jeu de l'appa- 3 — 18 — rcil et aussitôt la fièvre disparut t:n même temps que le pus reprenait ses bonnes qualités. Nonobstant, le mois écoulé, les deux plaies d'entrée et de sortie du tube devenaient trop grandes pour le tube; les li- quides les traversaient à la fin directement et se répandaient au dehors dans le lit de la malade sans suivre davantage le gui- de que nous leur avions donné. Il résultait de cela une grande incommodité pour la malade qui ne pouvait ainsi se soustraire à l'humidité de sa couche. D'un autre côté, l'air pénétrait depuis quelques jours dans la plaie et ne provoquait plus d'ac- cidents, d'où on pouvait conclure que le travail réparateur offrait une résistance au moin& passable à son influence. Je retirai mon grand tube et mis à sa place deux tubes sim- ples à drainage qui pénétraient chacun dans l'abcès par une des ouvertures qu'on sait. Ces tubes devaient faire leur office ordinaire — le drainage, et en même tems, servir pour de fré- quentes injections. La pose de ces tubes fut signalée par une petite circons- tance î;ui m'a fait trouver plus que singulier ce passage de votre notice dans lequel M. le Dr. Jimenez est représenté com- me ayant découvert quatre mois plus tard, que le foyer pé- nétrait dans le bassin. Quand nous plaçâmes le premier tube, le tube à injection, l'instrument métallique qui dut traverser l'abcès avait déjà mis hors de doute que non seulement le foyer comprenait une surface osseuse dénudée; mais encore que cette surface, en vertu de son siège et de la forme qu'elle dénonçait au stylet, ne pouvait appartenir qu'à l'article sacro-iliaque. Lorsque pour la pose des autres tubes, il me fut donné de pénétrer de nouveau dans l'abcès avec des agens d'exploration, on le conçoit sans peine, je ne me fis pas prier pour explorer de nou- veau. En effet, le stylet introduit dans l'ouverture supérieure donna comme d'abord la sensation d'une surface osseuse à nu. Introduit dans l'ouverture inférieure, il fournit dès alors, — 19 — et assez complètement pour que personne ne dût rien y ajou- ter, un renseignement beaucoup plus important: le stylet tom- bait droit, en entrant dans le foyer, sur la grande éehancrure seiatique qu'il pouvait suivre dans une partie de son con- tour, et si, partant du contact avec Véehancrure, il était por- té en dedans, et en avant, puis en haut, il se noyait profon- dément dans cette direction, plongeant nécessairement et évi- demment en dedans du squelette, en avant de Varticulation compromise* Donc et dès alors, il existait et je ne pouvais ignorer qu'il existait outre le foyer primitif, articulaire, deux annexes con- sécutives, secondaires, effets de l'invasion du pus, l'une su- perficielle en arrière de l'articulation, Vautre profonde, intrà pelvienne, en avant de Varticulation. Ce qu'on vient de lire de la pénétration du stylet de bas en haut, par le sommet de l'échancrure seiatique me dispense d'indiquer comment et avec quelle facilité le pus profond était éliminé, combien il était impossible qu'il se conservât en col- lection. Je ne me contentai pas d'abandonner à la nature la partie intràpelvienue de l'abcès; je voulais plus qu'une libre voie pour le pus, je voulais la faculté de nettoyer et de modifier les surfaces;—aussi, tandis que le tube supérieur suivait le che- min du premier drainage, du drainage à syphon, le tube in- férieur fut porté dès le premier jour jusqu'au point le plus reculé du foyer profond. Il en fut ainsi et cela fut continué pendant plusieurs mois. Durant ce temps, l'absence d'accidens autres que ceux con- séquence nécessaire de l'état local qui, lui, semblait s'amélio- rer par la diminution de la suppuration, m'encourageait dans l'espoir que les surfaces osseuses découvertes finiraient par se revêtir, qu'une soudure du joint malade pourrait s'établir et qu'avec cela, nous aurions une probabilité fondée d'arriver, à force de patience, il est vrai, à une solution définitive favo- rable. — 20 — Le temps me désillusionna. Le mieux devint stationnaire; le stylet donnait toujours les mêmes sensations dans la même étendue, en un mot, nous étions menacés d'un statu quo in- défini lorsque voulant avoir le cœur entièrement net sur la si- tuation, je crus devoir explorer l'intérieur de l'antre directe'- ment avec la main. Une incision portant sur l'ouverture inférieure l'agrandit d'un demi-pouce. Je répétai la même incision sur l'ouvertu- re supérieure. Dès lors, monsieur et honoré confrère, non seulement l'in- dex droit de M. le Dr. Jimenez, mais un doigt quelconque de n'importe laquelle des mains du premier venu, pouvait pé- nétrer dans le foyer et en palper à loisir les moindres dispo- sitions. Prenant avantage de cette liberté, je mo permis (sans en appeler à aucun patronage,) de tirer incontinent parti de la nouvelle et très-utile voie d'exploration que je venais de créer. Voici ce que je trouvai: 1. Les données du stylet étaient confirmées sans réserve; le doigt tombait immédiatement sur le rebord entièrement dé- nudé et comme macéré de la grande éehancrure; porté en avant de l'échancrure et procédant de bas en haut, il suivait jusqu'à la profondeur de plus d'un pouce la face antérieure de la région correspondante de l'iliaque et du sacrum. En arrière de ces os, il était au libre dans la partie superficielle du foyer; 2. Les os — l'iliaque et le sacrum, conservaient en avant, leur périoste dans toute l'étendue dénudée; 3. Les liens antérieurs de l'articulation sacro-iliaque étaien t conservés excepté à la partie inférieure, sur un demi-pouce de hauteur; 4. Par contre, en arrière, et dans une zone limitée en haut par l'épine iliaque postéro-supérieure, en bas par l'épine pos- téro-inférieure, l'iléon avait été ddcolld de son périoste, iso- ld des tissus fibreux auxquels il donne insertion dons ce point. — 21 — La surface dénudée paraissait avoir comme un pouce de lar- geur; elle avait perdu sa couche compacte, le diploë était à découvert et présentait la surface inégale et la friabilité de la carie. 5. Au contraire, la partie postéro-supérieure de la jointu- re avait conservé ses liens plus ou moins ramollis, altérés par le bain de suppuration qu'ils prenaient depuis des mois; mais enfin, ces liens existaient. 6. xLa face postérieure du sacrum avait été épargnée; on ne sentait cet os qu'à travers las masses fibreuses qui le re- couvrent à l'état normal. 7. Le doigt suivait en bas directement et exactement le bord de l'article; il lui paraissait sentir un écartement de quel- ques millimètres entre les deux os. De ces bases qui, certes, ne m'avaient pas coûté grand effort et qui, surtout, ne laissaient en diagnostic, rien à faire à l'induction, il s'agissait de tirer un parti thérapeutique. Observons en passant que si alors, la malade avait peine à changer de position dans son lit, elle ne le devait réellement pas à sa faiblesse, mais bien à l'état de la jointure malade et au gonflement du membre inférieur. Il est vrai qu'elle était amaigrie et abattue. Qu'apprend-on de neuf en le di- sant, à quiconque a la plus simple notion de ce que doit être un foyer de l'articulation sacro—iliaque? si quelque chose méritait l'attention, n'était-ce pas plutôt cette longue et so- lide résistance de la nature aidée de l'art à un mal considéré jusqu'alors comme nécessairement ou presque nécessairement mortel? Ajoutons qu'aucune autre articulation du bassin ne fut ja- mais le sidge d'accidens. Cela, nous l'ajoutons parce que c'est le fait, et surtout pour ramener votre rdcit à la vraisemblance sur ce point. Ici, l'arthrite était essentiellement suppurante; si comme on l'a dit, toutes les jointures du bassin s'étaient prises à la fois et s'il s'était fait en même temps dans les ré- gions fossières, plusieurs abeès énormes, au moins les doux — 22 — symphyses pelviennes postérieures auraient suppuré; or, qui pourrait jamais croire en pareil cas à la solution que nous avons obtenue? Honoré confrère, nous en avions assez d'un seul abcès. Ajoutons encore qu'une fois ouvert le foyer, jamais n'ap- parurent de symptômes nouveaux de suppuration ni superfi- cielle ni profonde. Apparition de symptômes nouveaux ne veut rien dire ici, ou veut dire formation d'un nouveau foyer. Or, Monsieur, il est de toute évidence que hors du champ de l'ab- cès dont vous savez maintenant le siège, les rapports et en gran- de partie les limites, il ne se fit pas de nouveau foyer; et la preu- ve en est simple, c'est qu'il ne s'en ouvrit aucun. Quant à ce que j'appelle, improprement peut-être, le champ plus ou moins médiat de l'abcès, c'est-à-dire, ces régions dont les relations de voisinage et de structure avec notre foyer sont telles que, siège d'un point primitivement isolé de suppura- tion, ces mêmes régions eussent pu ou dû, au moment don- né, se dégorger dans le foyer, on peut vous assurer qu'elles ne fournirent jamais une goutte de pus, car, pendant la du- rée si longue de la maladie, on n'observa jamais en aucun tems, cette irruption brusque d'une quantité de suppuration, signe inséparable de l'ouverture d'un nouveau foyer. D'ail- leurs, des considérations de l'ordre le plus élémentaire tirées de l'anatomie du bassin, de la disposition de l'abcès, des ré- sultats négatifs du toucher vaginal, montreraient au besoin ce qu'il y a d'étrangement irrationnel dans cette supposition d'abcès réclamant ici, dans les circonstances que nous avons signalées, la perforation du squelette. Mais c'en est trop sur ce sujet. — Poursuivonsl Que fallait-il faire? Nous venons de voir qu'il ne pouvait s'agir de produire ni même de faciliter l'évacuation du pus, et pour- tant, la suppuration ne cessait pas, ne diminuait même pas, depuis des mois.—Il y avait donc ailleurs que dans l'écou- lement du pus, un obstacle à la guérison. Quel pouvait être cet obstacle? Votre informateur, sans doute trop préoccupé — 23 — d'autre chose, n'a pas compris cela: l'obstacle était, Confrè- re, ce qu'il est, de nécessité, quand un foyer contient un ou plusieurs os malades, rien de plus simple et de plus clair, n'est-ce pas? Maintenant, quelle était l'indication? C'est en- core plus simple et plus clair: se débarrasser de la carie. C'est ce que je résolus de faire. Tout bien vu, bien pesé et bien décidé, j'eus l'honneur d'appeler M. le Dr. Jimenez, l'un de mes premiers consultais, ami de la famille de la ma- lade, pour qu'il voulût bien me rendre les deux seuls servi- ces dont j'eusse besoin alors: constater la réalité de l'indica- tion telle que je la voyais, m'assister dans l'opération desti- née à la remplir. Je devais donc mettre mon honorable confrère au courant de la situation que mes investigations m'avaient révélée. Je m'acquittai de cette obligation en invitant M. le Docteur à ce qu'il explorât l'abcès avec le doigt, à travers les ouvertu- res que j'avais disposées et mises à contribution pour le mê- me objet. Le cas ne prêtait à aucune discussion, il n'y en eut aucu- ne entre nous. Le docteur Jimenez admit les faits constatés; à eux seuls ils étaient le diagnostic. Il convint également de la nécessité d'enlever la ou les parties osseuses incapables de cicatrisation. Une réflexion accessoire mais indispensable: On conçoit que dans la précipitation avec laquelle vous avez dû écrire votre thèse, et par suite de l'enthousiasme que causait en vous l'idée de produire un fait des plus flatteurs pour les talents si réels «W ^ WtortViM du maître que vous aimez, vous ayez ac- cepté à priori, sans l'étudier, ce fait tel qu'il vous était donné; mais à présent, qu'il nous est possible de bien méditer les choses, je prendrai la liberté, en votre nom, en mon nom, au nom de l'école de Mexico et surtout au nom du Dr. Jime- nez, de protester contre certaines assertions qui dépassent d'un mètre au moins, les limites de l'invraisemblable. Telles sont entre autres les suivantes: :; —24 — « Avoir au bout du doigt la grande éehancrure seiatique et «. ne pas la reconnaître ; «Prétendre avoir passé le doigt entre les os, ce qui signi- «fie inévitablement, avoir traversé de part en part avec le « doigt l'articulation iléo-sacrée ; « Ce tour de force, ou plutôt, ce miracle accompli, deman- « der au calcul, à l'induction si l'on a ou non pénétré dans le « Bassin ; « Chercher et croire trouver de la fluctuation au fond de «l'abdomen, dans un foyer communiquant au dehors depuis « einq mois par une large ouverture bien placée, et soumis de- « puis quatre au drainage avec injection : «Proposer et exécuter la tréoanation de la symphyse qu'on «a, dit-on, traversée avec le doigt, cela pour obtenir l'éva" « cuation d'un foyer dans lequel on a pénétré, à travers la « symphyse, avec le même doigt ; etc. » N'est-ce pas, Monsieur, que pour notre honneur de méde- cins, nous bifferons d'un commun accord cette observation de la thèse, laissant à qui voudra le prendre, le soin de la col- loquer dans un recueil de contes à côté de la véridique his- toire de ce chasseur .....Gascon, d'autres disent Normand, qui franchit la Seine à pied, à la poursuite d'un lièvre, sans qu'il entrât d'eau dans ses bottes ! Je l'ai déjà dit et je le répète pour m'assurer davantage d'être compris, la responsabilité de cette calembredaine d'é- colier ne vous touche en rien quoique vous l'ayez reproduite, parce que vous l'avez copiée les yeux fermés ; elle ne touche pas l'école qui l'aura entrevue et l'aura laissée glisser sans en faire cas ; quant au savant professeur dont elle a emprun- té le nom très-mal à propos il est vrai, ses mérites reconnus ne permettent pas un instant de confusion. Passons outre. Une incision réunissant les deux ouvertures de drainage nous découvrit le foyer et, alors l'œil ajouta son aide au tou- cher et compléta l'évidence. Nous pûmes voir que dans la partie inférieure que nous avoii3 signalée de l'articulation, les surfaces n'étaient plus en contact, ce qui était dû, beaucoup moins à l'écartement des os, qu'à la destruction du cartilage de l'Ilion et des fibres croiséesintrà articulaires. Egalement, nous avions sous les yeux la partie cariée de l'Ilion, partie dont les limites étaient celles d'un triangle dont l'angle su- périeur était bien immédiatement au-dessous de l'épine pos- téro-supérieure, l'angle inférieur à l'épine postéro-inférieure, l'externe sur le bord de la grande éehancrure, à un peu plus d'un demi-pouce en dehors de l'inférieur. Cette zone était évidemment incapable de cicatrisation ; elle fut d'abord attaquée par le trépan, mais elle était tellement ramollie que j'abandonnai bientôt le trépan pour la pince ostéotome qui, en quelques instants, compléta l'ablation de la partie cariée. Ainsi fut que, nécessairement, la partie in- férieure de la surface articulaire du Sacrum resta isolée, à nu dans la plaie. Pansée avec des soins d'une assiduité exceptionnelle, cette plaie finit par guérir. Le désordre articulaire se répara si bien que la malade en vint à marcher et marche depuis des années, presque sans claudication. Avec la guérison du dé- sordre pelvien, l'œdème du membre inférieur disparut. Il ne resta d'autre trace perceptible de cette longue et terrible af- fection qu'une cicatrice un peu large, mais parfaitement insensible et solide. Je n'ajouterai que deux mots,avec le regret de me trouver une fois de plus en désaccord avec votre récit: Madame B devint enceinte après sa guérison. Elle accoucha à terme d'un enfant robuste. Le travail bien préparé à l'avance par de petites douleurs, se termina spontanément et heureusement, dans mes mains, en quelques instants. Les suites furent normales. Je ne sais comment s'est passé son troisième accouchement. — 26 — Certain d'être en tout dans la vérité et convaincu de m'ê- tro en vous l'exposant, attaché strictement aux convenances qui me sont imposées par mon estime pour votre personne et pour vos connaissances professionnelles, j'ai encore, Monsieur et honoré confrère, à vous faire une excuse, celle de ne pas vous parler votre langue : j'ai trop de peine à manier la mien- ne pour m'exposcr à pécher dans l'autre. Tout à vous, Dr. Clément*