WQ 150 P219L 1880 47910320R NLM 052Mb35T 1 NATIONAL LIBRARY OF MEDICINE 7^ ^ > 9 ^ ^ ■ .#• r~ NLM052463591 *s \. ^ % DUE TWO WEEKS FROM LAST DATE | FEB t • im ?oO" '+* 1 *'„*>' SPO 322808 \ LE LIVRE DES MÈRES. LE LIVRE DES MÈRES ou INSTRUCTIONS PRATIQUES SUR Les principes fondamentaux de la propagation de la race humaine, Par le Dr. ELZEAR PAQUIN. La femme enceinte est le temple de Dieu, dans lequel il continue la création de l'être qu'il a fait a son image. (Hufeland.) MONTRÉAL. EN VENTE CHEZ TOUS LES LIBRAIRES. 1880. V/q 150 Enregistré conformément à l'Acte du Parlement du Canada, en l'année mil huit cent quatre-vingt, par le Dr. Elzéar Paquin, au Bureau du Ministre de l'Agriculture, à Ottawa. PRÉFACE. C'est dans la famille que réside la société. Les enfants sont les premières pierres sur lesquelles re- pose tout l'édifice social. Si les bases sont faibles, tout le reste sera chancelant. C'est l'enfance donc qui nous fait prévoir ce que doit être la société. On n'a guère compris cela jusqu'à ce jour. On s'occupe du progrès moral, du progrès religieux, du progrès industriel, de tout ce qui contribue à développer les ressources matérielles d'un pays, et on néglige beaucoup trop ce qui pourrait faire une race forte, en laquelle puisse espérer la patrie. Faut- il s'étonner, après tout cela, de rencontrer tant d'êtres efféminés, cacochymes, pâles, blafards, dé- colorés, étiolés, émaciés, comme le dit l'abbé J. Crozat. u II serait plus facile, dit Plutarque, de fonder une maison en l'air, sans assises, que de fonder une société sans Dieu et sans religion." Mais comment une société pourra-t-elle toujours exister, si l'ignorance des lois de la vie du sang, des règles de l'hygiène, la dépopularise déplus en plus, si on ne se met pas à détruire cette cause qui ronge la vie physique jusque dans son premier germe, et S%oooS t) PRÉFACE. par là même, fera arriver cette société à la déca- dence morale, intellectuelle et physique. " C'est pourquoi, nous disons avec J. Droz : " Il " appartient à la médecine de seconder la morale " dans la grande œuvre de l'amélioration des " hommes." Pères et mères de famille, vous viendrez puiser des connaissances utiles dans l'ouvrage que je livre aujourd'hui à la publicité. Avec ce livre, vous ap- prendrez comment faire jaillir de la vie conjugale, des flots de générations robustes, qui seront pour les peuples un gage de prospérité. Mais, belle et généreuse moitié du genre hu- main, dont ce livre porte le doux nom, laissez-moi vous dire que si vous lisez cet ouvrage, vous serez amplement dédommagée pour le temps que vous aurez pris à le parcourir. Tertullien dit : " Il faut avoir un grand respect " pour la nature et on ne doit jamais en rougir ; " c'est pourquoi je dirai, avec St. Augustin, aux per- sonnes prudes et à toutes celles qui ne sont pas chastes : " Si ce que j'ai écrit scandalise quelque " personne impudique, qu'elle accuse plutôt sa " turpitude que les paroles dont j'ai été obligé de u me servir pour exprimer ma pensée sur la géné- " ration des hommes. J'espère que le lecteur sage " et pudique me pardonnera aisément les expres- " sions que la nécessité m'a forcé d'employer." Dr. E. P. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. Il y a dans le monde deux courants : le courant du bien, de la grandeur, de l'élévation, du progrès de la vie, et le courant du mal, de l'abaissement, de la décadence, de la mort. Les hommes et les sociétés, se laissent emporter tantôt par l'un, tantôt par l'autre de ces deux grands mouvements. Mais supposons un peuple dont la marche est couronnée par des progrès toujours de plus en plus éclatants, un peuple le plus prospère, le plus heureux, le plus civilisé, le plus progressif: pouvons-nous dire que ce peuple, si avancé qu'il soit dans la voie du progrès, entraîne avec lui le dernier mot de la perfection ? Oh ! certainement non, répondrons-nous, malgré que le grand dix-neuvième siècle se fasse un si immense orgueil de répandre partout son cri de triomphe : Le Progrès. Regardons la vertu élevée à l'état de sainteté. Elle est entraînée par un mouvement indéfini à une perfection encore plus sublime, elle est inces- samment sous l'impulsion du besoin de toujours avancer ; elle sait qu'elle ne peut rester stationnaire sans se sentir decheoir, sans revenir sous l'influence des causes qui amènent le dépérissement, la dé- gradation, la mort. Il en est de même des sociétés. Il leur faut toujours combattre contre quelques 8 LE LIVRE DES MÈRES. causes qui les empêchent de s'élever. L'homme juste tombe sept fois par jour. Comment se ferait-il alors qu'une société, quelque soit la perfection de ses con- ditions d'existence, pourrait à se soustraire complè- tement à toutes les causes qui peuvent exercer sur elle une action fâcheuse ! Les hommes et les sociétés sont environnés d'une foule de causes qui tendent à les détruire : pour se maintenir, ils sont obligés de lutter contre elles constamment. Dans le siècle où nous vivons, nous voyons que le génie de la science, de la politique, de l'industrie s'applique à faire marcher l'humanité vers un progrès toujours de plus en plus merveilleux. Mais pourquoi se met-il des bornes à l'endroit de la famille ? Pour- quoi initier les hommes de l'art seuls aux secrets qui regardent l'amélioration de l'espèce humaine ? Pourquoi cacher la lumière sous le boisseau ? D'où vient que la question de l'éducation morale, surtout de l'éducation physique des enfants, soit si peu à l'ordre du jour ? Comment expliquer le fait que l'on se montre partout si indifférent à répandre les connaissances qui empêcheront les pères et mères de famille de faire mourir leurs enfants, et leur permettront de bien les élever ? Pouvons- nous trouver une raison qui nous autorise à tenir les mères dans l'ignorance des causes qui exercent une influence bonne ou mauvaise sur le fruit qu'elles portent ? Les motifs ne manquent pourtant pas pour nous engager à enseigner à tous ceux qui sont appelés à créer la famille, les connaissances indispensables pour bien former une progéniture vigoureuse, CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 9 une race forte sous le triple rapport moral, intel- lectuel, physique. D'abord si nous considérons la mortalité si grande des petits enfants, nous ne pouvons nous empêcher d'en être émus. Ecoutons des auto- rités. " Cette mortalité est considérable dans notre <• ville. La mort a fait à Montréal depuis 1855, "c'est-à-dire depuis 16 ans, 56,515 victimes dont " 8,105 hommes, 8,316 femmes soit 16,421 adultes u et 21,081 enfants du sexe masculin et 19,013 du " sexe féminin en tout 40,094 enfants au-dessous •* de 12 ans. Nous voyons donc par ces statisti- "• ques publiées par le journal le Nouveau-Monde, " que près des trois quarts de la mortalité se com- " pose de jeunes enfants."—(Feu G. Grenier). " Sur un million d'enfants qui naissent, affirme " le Dr. Brochard, il en meurt, la première année " seulement, 360,000. Ces çnfants vivraient si leurs " mères savaient les élever. Voilà ce que personne " ne doit ignorer." " Sur 950,000 décès annuels, on en compte en " France plus de 500,000 avant la quarante-cin- " quième année d'âge ; les enfants de zéro à un an '* fournissent une énorme proportion de ces décès, " or chaque année 40,000 à 50,000 de ces enfants " pourraient être conservés."—(Proust.) " Dans une collectivité, en un pays salubre, à u climat froid ou tempéré, toute mortalité infantile " qui dépasse 95 à 100 décès annuels par 1000 en- " fants de zéro à un an, renferme des causes con- " tingentes de mort que peuvent supprimer ou 10 LE LIVRE DES MÈRES. " atténuer les mesures d'hygiène actuellement " en notre pouvoir."—(Bertillon). Consultez tous les médecins de Montréal, dignes de la noble profession qu'ils exercent, et tous vous répondront: la mortalité des petits enfants a sa cause principale dans l'ignorance des mères sur les soins à donner à leurs nourrissons. Sur 78 enfants que j'ai été appelé à soigner, 34 ont été victimes de l'ignorance de leurs mères, sont morts à cause de leurs mères qui les ai- maient, mais ne savaient pas comment les élever et prévenir les maladies auxquelles l'âge tendre est continuellement exposé, et 25 étaient aussi ma- lades pour les mêmes causes dont ils ont pu triom- pher ; le reste, c'est-à-dire les 19 autres avaient con- tracté la maladie sous l'influence de causes qui ne dépendaient pas des auteurs de leurs jours. Le Dr. Brochard déclare : " La véritable cause " de la mortalité du premier âge est l'inexpérience " des mères et des nourrices, l'ignorance, dans la- " quelle elles sont toutes, des soins à donner aux " nouveau - nés. De là, des préjugés, des fautes " contre l'hygiène, qui font chaque année des mil- " liers de victimes. Combien de maladies de h " peau, chez les nourrissons, sont dues à la saleté ! " Combien d'affections cérébrales sont dues à la u crasse de la tête, aux croûtes laiteuses pour les- " quelles on professe partout un saint et profond a respect! Combien d'enfants s'enrhument, de- " viennent rachitiques, parce qu'on les couche sur " la plume, ou parce qu'on met leurs berceaux u près d'un mur humide." CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 11 Feu le Dr. G. Grenier a dit avec raison : " Dans "■ les premiers mois de l'existence, le développement ,l physique prédomine sur le développement mo- ;: rai, puisque l'enfant jouit d'une vie purement vé- u gétative. Aussi les règles d'hygiène qui se ratta- " chent à l'enfance prennent alors une importance •• capitale. u Lancé tout à coup dans un milieu nouveau, ■• exposé à tous les agents intérieurs et extérieurs •• tendant à le détruire, l'enfant succomberait cer- u tainement dans cette lutte s'il n'était secouru u par les moyens que l'instinct et l'expérience en- " seignent de mettre en usage. Mais combien se " trompent sur la nature de ces soins ! Combien " par négligence, par faiblesse, par ignorance, l- sèment dans le sein des enfants les germes de la u maladie ! Ces affections progressent lentement, " minent peu à peu les forces de la vie, ou éclatent u tout à coup portant dans le sein des familles la " désolation et la mort." Jetons un regard sur la société, et nous consta- terons combien l'ignorance, les préjugés, la négli- gence contribuent grandement dans la mortalité des petits enfants. Il y a sans doute un certain nombre d'enfants qui deviennent malades et même qui meurent, malgré l'application des préceptes de l'hygiène infantile. Mais la grande majorité de ces, chers petits êtres qui s'éteignent au début de leur existence, ne disparaîtrait pas si vite si les mères savaient comment les élever et prévenir les maladies. Nous dirons aussi avec le Dr. Seraine : " Bien 12 LE LIVRE DES MÈRES. " souvent la mort des enfants n'a lieu que par " suite du retard qu'on apporte à réclamer l'assis- " tance du médecin, dans l'espoir de les guérir " par quelque remède populaire." C'est que l'ignorance et les préjugés sont bien affreux, et qu'il est plus temps que jamais de les combattre. 11 est pénible de voir qu'on s'occupe si peu de faire connaître des choses qui touchent si fort au progrès de la société. u De toutes les connaissances médicales, dit le " Dr. Seraine, il n'en est pas qu'il importe plus de " répandre que celles qui sont relatives à la santé " des petits enfants. L'extrême tendresse d'une " jeune mère, sa timidité, son ignorance de tout ce " qu'exige un nouveau-né, font pour elle, des " moindres événements qui intéressent ce cher "• petit être, des sujets d'alarme et de tourment. " C'est qu'en effet les soins que nécessitent sa fai- " blesse et sa délicatesse sont extrêmes, et récla- " ment la complète intelligence de ses\besoins." Ecoutons encore une autre grande autorité, par- lant de l'embarras où se trouve souvent une mère de famille à cause de son ignorance. " Elle hésite souvent sur la manière dont elle " doit nourrir et élever son enfant, enseigne le Dr. " Godleski ; à chaque instant elle est inquiète de " sa santé, ignore la direction qu'elle doit donner " à son tempérament, à ses aptitudes physiques et " morales, se tourmente des premiers symptômes "■ d'une maladie et des soins à leur opposer ; le mé- " decin habite .loin ou n'est pas chez lui et le mal " augmente ; la mère éplorée regarde inactive son CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 13 " enfant pris d'une fièvre violente ou d'affreuses " convulsions, et le médecin n'arrive pas pour lui ''• porter secours." C'est pour vous instruire sur tout ce qui peut nuire ou être défavorable à vos petits enfants, et pour vous faire connaître tout ce qui peut exercer sur eux une influence heureuse, que je viens vous offrir, à vous principalement, mères de famille, cet ouvrage qui remplira, je l'espère, le but pour lequel je l'ai fait. La question de là santé et des maladies des enfants vous touche de trop près, pour que vous ne/vous empressiez pas de l'accepter. C'est à vous de désirer qu'elle vous soit développée convenablement. Nous pouvons dire avec le Dr. Godleski : " Ja- u mais question ne fut plus légitimement à l'ordre •k du jour ; en présence de la mortalité considé- " rable des enfants, ce livre me parait essentielle- u ment pratique, puisque la plupart de ces pauvres " petits sont victimes d'un manque de connàis- u sances nécessaires pour leur conserver la santé." Ce qui précède nous démontre que la mortalité d'un si grand nombre de petits enfants trouve sa cause ordinaire dans l'ignorance où l'on est habi- tuellement des préceptes de l'hygiène infantile. Cette ignorance est d'autant plus grave, qu'on né- glige toujours trop de se faire instruire ou de s'ins- truire soi-même. 11 y a encore d'autres faits déplorables ! Combien de vies sont éteintes avant le temps ! Combien de petits êtres sont arrachés à l'organisme maternel avant que leur évolution leur permette de passer 14 LE LIVRE DES MÈRES. à la vie indépendante ! Souvent ces faits sont le résultat de manœuvres criminelles ! le plus sou- vent ces faits sont des accidents qui résultent de l'ignorance des lois relatives à l'état gravide. L'ignorance et la négligence, disait dernière- ment un prédicateur, sont les deux causes princi- pales des maux qui affligent la terre. Eh bien ! tâchons d'enlever ces deux causes. Relativement à la vie des petits enfants, ces deux causes sont désastreuses. Donc un sentiment d'humanité doit nous porter à travailler pour les détruire. C'est ce" que nous voulons, à l'aide des plus grandes auto- rités. Car, avant nous, il s'est élevé de grandes voix qui ont inauguré ce progrès pour l'avance- ment duquel nous apportons aujourd'hui le con- cours de nos faibles efforts. Travailler pour le progrès de la famille, c'est travailler directement pour le progrès social. u La famille, dit un publiciste célèbre de ce u temps, est la seconde âme de l'humanité : les " législateurs l'ont trop oublié ; ils ne songent " qu'aux individus et aux nations; ils omettent la " famille, source unique des populations fortes et " pures, sanctuaire des traditions et des mœurs où " se retrempent toutes les vertus sociales." Oh ! grand dix-neuvième siècle, c'est en vain* que tu fais briller à nos yeux la splendeur de tes mer- veilles; c'est en vain que tes machines frappent partout les airs de leurs • bruits ; c'est en vain que ton génie ait saisi l'électricité et l'ait soumise à tes pieds pour qu'à ton service elle franchisse les mon- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALE*. 15 tagnes et traverse les océans, et te mette en com- munication avec tous les continents et tous les pays de la terre ; c'est en vain que ta fière puissance soit emportée sur un char de feu, selon tes besoins et tes fantaisies, oui tous ces progrès merveilleux viendront à ne plus te servir si tu ne prends pas la cause de la famille, si tu ne cherches pas à amélio- rer l'espèce humaine, si tu ne tends pas à former des races fortes, vigoureuses, fécondes. — Laissons parler ici une des voix les plus éloquentes qui se sont fait entendre dans le monde. " Imaginez un " instant la société, dit le Père Félix, dans sa très " grande majorité, composée de familles perver- " ties par l'intelligence, corrompues par le cœur, 1,1 chétives par le sang : quels que soient la supé- -' riorité de vos lois, le génie de vos inventions et u la sagesse de vos institutions, vous avez néces- "• sairement une société misérable, prête à la ser- u vitude, prompte à la dégradation." Au contraire, ajoute-t-il, plus loin : " Supposez dans l'humanité l- contemporaine toutes les familles pareilles à des a sources vives, versant continuellement dans la l- société, avec les générations sorties d'elles, des " doctrines sans erreurs, des mœurs sans déprava- a don, et un sang pur de toute corruption : des •' parties saines ne constitueront pas une masse a corrompue ; le résultat général sera une huma- " nité grande et forte par l'intelligence, grande u et forte par le cœur, grande et forte par le sang, u grande et forte par ces trois faces principales : " intellectuellement, moralement, physiquement." Je sais bien que la famille est protégée par la 16 LE LIVRE DES MÈRES. religion, et que la politique, par ses législations, a sauvegardé plus ou moins les intérêts de la vie do- mestique. Mais c'est surtout au point de vue de la vie du sang, que nous voulons vulgariser des connaissances nécessaires à son amélioration, son agrandissement. Parlant de la famille, le Père Félix dit : " elle tient si radicalement à la société, " que les progrès et les décadences de l'une sont " indissolublement unis aux progrès et aux déca- " dences de l'autre." Il ajoute plus loin : u les " historiens et les géographes recherchent avec " une curiosité ardente les réservoirs mystérieux " d'où s'échappent avec leurs affluents les fleuves " qui réjouissent ia terre. Il est d'un intérêt bien " autrement profond de rechercher de quelle source " s'échappe ce fleuve des générations humaines " qui porte dans son cours la prospérité des peu- " pies, la civilisation des siècles, les magnificences " de l'ordre et du progrès social." Plus loin, il dit : " le fleuve de la vie sociale sort du foyer domes- " tique ; la famille est la source vive de la patrie." Ailleurs il ajoute : " Or, messieurs, veuillez le re- " marquer, les eaux que les fleuves roulent dans " leur lit ne sont pas distinctes des eaux qui ont " jailli de leurs sources. Je sais bien que ces ondes, " si pures soient-elles à leur origine, peuvent s'al- " térer dans leur cours et se transforment en partie, " quand elles viennent se mêler à celles des grands " fleuves ; mais règle générale, l'eau des fleuves " n'est pas plus pure que celle de leurs affluents. " ni celle de leurs affluents plus pure que leur " source. Ainsi, la vie puisée dans la famille peut CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 17 " s'altérer et ne s'altère que trop dans ce torrent " du siècle qui roule tant d'impuretés ; mais dans u son ensemble, elle n'est jamais plus belle dans " les sociétés qu'elle ne l'est dans les familles." Enfin nous dirons encore avec le Père Félix : " Quiconque voudrait suivre dans les siècles le " développement parallèle de la famille et de la u société, découvrirait facilement à la lumière des " faits, que partout et toujours la société et la " famille ont subi à peu près les mêmes atteintes " et suivi les mêmes destinées ; il n'en verrait, à u n'en pouvoir douter, que tout ce qui a affermi " ou ébranlé la première, a toujours plus ou moins " affermi ou ébranlé la seconde." Ainsi donc, pour résumer, mortalité considé- rable des petits enfants, destruction trop fréquente de leur vie à l'état embryonnaire ou de fœtus dans l'organisme maternel, ignorance des règles de l'hy- giène relatives à l'état gravide et des préceptes de l'hygiène qui regarde l'enfance, nécessité de répan- dre la connaissance de ces règles et de ces pré- ceptes, la famille est le principe de la société. Voilà autant de raisons qui m'ont déterminé à écrire ce livre que je présente au public, surtout aux mères de famille. Mais l'idée que la société a sa source dans la famille est plus que suffisante pour m'engager à composer cet ouvrage. Les emprunts que je ferai à d'illustres écrivains constitueront tout le mérite de cette œuvre que je vais m'effor- cer de rendre aussi populaire que possible. Passons maintenant au plan de cet ouvrage. Je ferai quelques citations qui en feront ressortir 18 LE LIVRE DES MÈRES. toute l'importance et l'utilité. Il est divise en six parties. La première expliquera en peu de mots ces quatres idées : vie, santé, maladie, mort. La deuxième sera consacrée à la vie dépendante de l'enfant, c'est-à-dire à sa vie en dedans de l'orga- nisme maternel : ce sera le père, spécialement la mère qui feront l'objet de nos études, relativement à cette vie dépendante du petit être en dedans; nous exposerons toutes les causes capables d'in- fluencer, d'une manière heureuse ou malheureuse, cette nouvelle vie qui se développe et que la moin- dre secousse peut renverser. La troisième partie s'étend de la naissance au sevrage ; nous traiterons de l'éducation physique du nouveau-né ; nous ins- truirons les mères sur les soins que réclame le jeune enfant et montrerons les dangers que lui fait courir l'oubli de ces soins. Nous ferons voir tous les dangers d'une alimentation qui n'est pas éclairée par les lumières de l'hygiène infantile. " Rien n'est absurde, observe le Dr. Clarke, " comme l'idée que dans la première période de " leur existence, les enfants requièrent une variété " d'aliments : la nature ne leur en a préparé qu'un " seul, et c'est une présomption de prétendre que " le Créateur du monde s'est trompé et que l'igno- " rance de l'homme soit capable de corriger ou " d'améliorer ses œuvres." Les mères pensent qu'elles peuvent inconsidéré- ment toujours faire manger leurs enfants. " Ceux qui leur donnent beaucoup à manger " dans l'espérance de les fortifier, se trompent CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 19 " beaucoup, et il n'y a point de préjugé qui en tue un aussi grand nombre.—(Tissot). Nous ferons comprendre aux mères que l'allai- tement est bien plus avantageux pour elles et pour l'enfant. " Ce ne saurait être en vain, comme l'a dit " Plutarque, que la nature a travaillé avec tant de u soin les organes où doit s'élaborer la première Li nourriture de l'enfance, et si elle les a placés " sur la poitrine, c'est qu'elle voulait que la mère " pût à la fois allaiter son enfant et le couvrir de " ses baisers." Elles méconnaissent aussi les inconvénients dont on a accusé avec raison l'usage dé bercer les en- fants. Il faudra laisser Galien leur dire : u Le bercement peut être comparé au roulis " d'un vaisseau agité par les vagues. Si les hommes " les plus robustes ne peuvent le supporter, com- " ment voulez-vous qu'il puisse être utile à l'en- " fant ? Endormez-le donc plutôt par une belle a chanson, c'est le moyen de lui inspirer une noble a passion pour la mélodie." Nous leur donnerons des règles à propos des soins de propreté, du sommeil, etc. La quatrième partie va du sevrage à l'âge de sept ans. Elle sera la continuation de la précé- dente. Dans la cinquième partie on s'occupera de l'édu- cation morale, intellectuelle de l'enfant à partir de sa naissance jusqu'à l'âge de sept ans. " L'enfant est, dirons-nous avec Godlesbi, l'ave- " nir de la société et de la patrie. La mère puise £0 LE LIVRE DES MÈRES. a dans son amour maternel les soins minutieux et " délicats qui permettront à son enfant de défendre " sa patrie, et lui donne la direction morale qui " fera de lui un bon fils, un homme utile à ses " concitoyens, à l'abri des passions dangereuses u qui compromettent l'avenir des sociétés." " Tout l'art de l'éducation, a dit Maine de Biran, u consiste à former de bonnes habitudes morales, u intellectuelles et physiques." Nous pénétrerons les parents de l'importance de faire contracter de bonnes habitudes à leurs en- fants dès leur entrée dans le monde. " C'est à la coutume, s'écrie Montaigne, de don- " ner forme à notre vie telle qu'il lui plait; elle " peut tout en cela, c'est le breuvage de Circé qui ■" diversifie notre nature comme bon lui semble." N'oublions pas de reconnaître avec Montaigne, " que nos plus grands vices prennent leur pli dès " notre plus tendre enfance." Nous dirons avec J. J. Rousseau : " l'éducation " de l'homme commence à sa naissance." Nous leur ferons saisir combien il importe de toujours donner de bons exemples à ces petits en- fants dans le cerveau desquels tout s'imprime si aisément., il Arrivés à un certain âge, dirons-nous avec 1 ■ Alban Stolz, les hommes ont ordinairement com- " mis tant de péchés, qu'on est en droit de douter " s'ils jouissent encore de la grâce et de l'amitié de l" Dieu. Au contraire, l'âme de l'enfant qui a con- " serve son innocence baptismale, est revêtue d'une u beauté ineffable, qui en fait l'objet de la com- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 21 <; plaisance divine. Le Père Eternel adopte tout " enfant qui reçoit le baptême, et cela est telle- k> ment vrai, que l'on peut dire que jamais l'amour '• des parents, même pour un fils unique, n'a égalé 4* l'amour de Dieu pour un enfant baptisé. Tel l* est bien le sens des paroles que le Seigneur a " fait entendre autrefois par la bouche du pro- " phète Isaïe : " Une mère oublierait plutôt le " fruit de ses entrailles et n'aurait plus de cœur u pour lui, avant que moi je t'oublie, car je porte ik ton nom écrit dans mes mains." Plus loin il ajoute : " Vous croiriez pécher gravement si vous man- " quiez de respect envers un crucifix bénit ou si " vous prononciez contre cette sainte image des '• paroles injurieuses Eh bien ! n'oubliez j h mais " que l'enfant est l'image de Dieu, image vivante " qui lui a été consacrée par le Saint Sacrement " du Baptême. De là cette terrible malédiction u sur l'homme qui scandalise l'âme d'un enfant : u 11 vaudrait mieux pour cet homme, dit le w- Sauveur, qu'on lui attachât au cou une meule 41 de moulin et qu'il fut précipité au fond de la mer." Dans la sixième partie, nous enseignerons aux mères tout ce qu'elles auront à faire quand leurs enfants seront malades. " Pour l'âme humaine, dit Bacon, un corps bien sain est un hôte, un corps maladif un geôlier." Elles doivent s'appliquera les faire sortir le plutôt possible de l'état de souf- france par les moyens que nous leur enseignerons et par l'appel du médecin quand ce sera néces- saire. Cette dernière partie embrasse les maladies 22 LE LIVRE DES MÈRES. les plus communes qui attaquent l'enfance depuis la naissance jusqu'à la septième année. Qui ne voit maintenant combien est utile le tra- vail que je dédie aujourd'hui, d'une manière plus spéciale aux mères de famille. Combien il est important de vulgariser une science qui est tant ignorée encore en ces grands jours de progrès ! " Les premiers soins donnés à l'enfant, écrivait " Godleski, sont la première pierre de cet édifice " qui doit être si secoué, si souvent exposé aux u orages et qui s'appelle la vie. L'homme résistera " d'autant mieux aux secousses physiques et mora- " les qui l'assiégeront pendant son existence que dès u l'enfance il aura reçu avec l'éducation bienfai- " santé de la mère ce tempérament robuste, ces " soins de chaque instant qui lui permettent d'ar- u river à un âge avancé." Eh bien ! après tout cela, on entendra des hommes instruits dire que l'hygiène n'est qu'une science purement spéculative, et qu'en pratique les hommes connaissent naturellement, par instinct, ce qu'ils doivent chercher ou éviter. Ces hommes ne sont pas observateurs. Ils ne voient pas autour d'eux toutes ces maladies, tous ces accidents qui arrivent à leurs semblables, à cause de l'ignorance des règles de l'hygiène. Ils ne remarquent pas le grand nombre d'enfants qui meurent ; ils n'ont pas l'idée d'en rechercher la cause. Aussi ne peuvent-ils concevoir l'idée de l'importance et de l'utilité d'un ouvrage comme celui-ci. " On a écrit : Y Art d'éle- " ver les lapins et de s'en faire trois mille livres de CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 23 " rente, dit le Dr. Brochard ; pourquoi n'écrirait- " on pas : Y Art d'élever les enfants, et d'en faire des u hommes utiles à leur pays." Ils prétendent que la connaissance de l'hygiène infantile n'appartient qu'aux médecins. " Mais, s'écrie le Dr. Brochard, u c'est dans toutes les classes de la société, toutes 41 imbues des plus ridicules préjugés, qu'il faut " faire répandre de saines doctrines sur l'hygiène " infantile." Ces esprits médiocres ne voient que la super- ficie de la science de l'hygiène. Ils ne peuvent concevoir les grands problèmes qu'elle soulève. Ils n'ont qu'une idée confuse, vague, ou impar- faite de l'objet de cette science. Il n'est pas mau- vais de leur citer un des plus grands hygiénistes des temps modernes, pour leur faire concevoir une idée plus haute de l'hygiène. u D'une façon générale, l'hygiène peut être en- " visagée sous deux points de vue différents. u Pour les uns, se tenant strictement à l'accep- " tion étymologique, elle se borne à l'étude des " moyens dont nous disposons pour conserver la " santé, c'est-à-dire pour éviter les maladies : l'hy- u giène ne serait donc, à proprement dire, que de " la prophylaxie pure et simple. " Il est une autre manière de comprendre l'hy- u giène, plus haute et plus large. Avec elle le pro- " gramme de cette science s'étend singulièrement ; " il ne s'agit plus d'un but purement préventif et " prophylactique, d'un rôle surtout défensif : tout " ce qui peut conduire à l'amélioration de l'homme, " à l'accroissement de son bien-être physique et 24 LE LIVRE DES MÈRES. " moral, de son activité somatique et intellectuelle, " devient du ressort direct et légitime de l'hy- " giène. Ainsi envisagée, elle franchit les limites " étroites de la médecine ; et la biologie, l'anthro- u pologie, la législation, l'histoire entière de l'hu- " manité, se réunissent pour constituer le fonds et " comme le domaine propre de cette science. Tout " ce qui touche à l'homme appartient à l'hygié- u niste."—(Proust). Plus loin il ajoute : u L'hygiène, dans la large et compréhensive " acception du mot, comporte l'étude de toutes les " conditions qui assurent la prospérité de l'indi- " vidu et de l'espèce, qui les améliorent morale- tC ment et physiquement, en un mot, qui favorisent " et activent leur évolution. Ainsi comprise, cette " étude ne saurait être renfermée, comme plu- " sieurs auteurs le pensent, dans les bornes étroites u de la prophylaxie des maladies. Conserver la " santé de l'individu, prévenir la maladie, et re- u tarder l'instant de la mort, n'est qu'une partie de " la tâche que doit se proposer l'hygiéniste. Son " but doit être plus élevé, et son programme doit " se confondre avec celui qui résume toutes les " aspirations de l'humanité, toutes ses tendances " vers un perfectionnement continu et indéfini, et " qui se formule par un seul mot : le progrès."— (Proust). Il est évident, pour celui qui sait approfondir, que l'hygiène est, après l'Evangile, la première science que tout homme doit savoir. Sans doute qu'on apprend cette science tous les jours, mais CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 25 c'est toujours aux dépens de soi-même quand on ne l'a pas étudiée d'avance. Mieux vaut connaître où sont les écueils que de marcher les yeux cou- verts d'un bandeau sur la mer orageuse de la vie. Oh ! oui, l'hygiène est la science qui console, nous apprend à conserver la santé, le premier des biens, le phare qui nous éclaire, l'étoile qui nous dirige, la force qui nous aide à supporter la vie. Recou- rons donc à cette science, fille du ciel. Cet ouvrage n'est rien autre chose qu'un traité- d'hygiène, s'occupant spécialement de l'enfance. L'hygiène infantile n'est pas sans importance,. comme le démontre ce qui précède. Elle apprend comment asseoir la vie. Elle ensei- gne comment préparer une génération forte, vigou- reuse, dont la patrie pourra être fière, et sur la- quelle elle pourra fonder des espérances qu'elle verra se réaliser pour sa gloire. Certes, c'est dire que l'hygiène de l'enfance est la partie la plus im- portance de cette vaste science ou de ce grand art, qu'on appelle l'hygiène. C'est donc rendre un service bien signalé au genre humain, que de se dévouer à cette cause de progrès pour la société. Fasse le ciel que nous atteignions le but que nous avons en vue. Allons en avant, lecteurs. Soyez indulgents pour ce qui pourrait m'attirer la critique. Ne vous attachez qu'aux préceptes de la science. J'exclurai tous les mots qui ne seront pas à la portée des in- telligences ordinaires, de manière à être compris de tout le monde. Et vous, mères de famille, qui prenez la plus grande part dans la formation et 26 LE LIVRE DES MÈRES. l'élévation de la famille, acceptez cet ouvrage que je vous dédie, afin que vous en fassiez votre conseiller dans la mission que vous avez à remplir au foyer domestique. Mériter votre confiance, c'est tout ce qui est digne d'envie pour moi. Dr. Elzéar Paquin. LE LIVRE DES MERES. PREMIÈRE PARTIE. Pères et mères, qui devez avoir à cœur de former des membres vigoureux pour vous et la société, connaissez-vous ce que c'est que la vie dont vous jouissez et que vous voulez transmettre à vos des- cendants? En les mettant dans le monde, vous désirez que vos enfants viennent avec une consti- tution douée de toutes les prérogatives de la santé, vous souhaitez qu'ils passent de nombreuses années sur cette terre, et qu'ils arrivent au bout de leur vie, ici-bas, sans avoir été trop la pâture de la ma- ladie et des souffrances. Avant de vous enseigner les moyens qui vous mettront en état de pouvoir sûrement faire réaliser les désirs, les espérances, que de concert avec la Patrie, vous formez en vos enfants, il est bon de vous définir] la vie, la santé, la maladie, la mort, afin que nous nous entendions bien sur ces quatre mots. I. LA VIE. Lorsque nous considérons les évolutions du monde physique, lorsque nous réfléchissons sur 28 LE LIVRE DES MÈRES. l'immense mouvement que l'astronomie nous fait voir dans le monde planétaire, lorsque nous admi- rons tous les phénomènes que le monde matériel produit tous les jours par le moyen de la chaleur, de l'électricité, de la pesanteur, de l'élasticité, de toutes les propriétés de la matière, nous concevons l'idée du mouvement dans l'univers, et de là nous pensons à la vie des êtres de l'ordre visible. Si nous regardons tous les mouvements de la végéta- tion, l'idée de la vie s'éveille encore dans notre esprit. Quand étonnés, nous examinons dans le règne animal cette matière organisée, qui présente, non-seulement comme la plante, le plus beau théâtre des phénomènes chimiques, mais encore les phénomènes de sentiment et d'une certaine intelligence ; lorsque nous voyons cette matière organisée et animée se remuer d'elle-même, se transporter d'un lieu à un autre, jouir ou souffrir selon que les objets environnants l'impressionnent agréablement ou désagréablement, l'idée de la vie nous apparait encore. Enfin, lorsque dans l'ad- miration et dans un noble orgueil, nous con- templons au sommet de l'échelle animale, le roi de la création, nous paraissant réunir en lui fin. telligence et la volonté d'un esprit avec tout ce qu'il y a de plus merveilleux dans la nature sen- sible, l'idée de la vie se manifeste en nous en. core plus belle et plus grandiose. Nous croyons que notre âme est entraînée par un mouvement qui doit la précipiter dans l'éternité. Mais pour- quoi Dieu, qui a créé notre âme immortelle, l'a-t- il emprisonnée dans cette masse de matière, que PREMIÈRE PARTIE—LA VIE. 29 nous appelons notre corps. D'où vient qu'étant créés pour vivre éternellement dans la possession et la vision béatifique de Dieu, nous nous trou- vions comme relégués dans un lieu d'exil ? Oh ! n'oublions pas que Dieu nous ayant donné Têtre pour le connaître et l'aimer toujours, nous a placés sur une terre d'épreuves pour nous faire mériter le bonheur auquel il lui plait de nous ap- peler. Le terme de notre épreuve ne serait pas la mort, si Eve n'avait pas consenti à goûter le fruit défendu et n'avait pas entrainé notre vieux père Adam à en manger comme elle. A cause de cette violation de la loi du Seigneur, Adam, Eve et tous leurs descendants sont condamnés à mourir : " vous mourrez de mort " a dit l'Eternel en chassant nos premiers parents du paradis terrestre. L'espace de temps que nous parcourons ici-bas détermine la longueur de notre vie sur la terre. En ce monde, la vie ne serait-elle pas la durée de notre existence du berceau à la tombe. Mais cette durée est né- cessairement le résultat d'une cause quelconque, et elle est plus ou moins longue selon que nous avons plus ou moins d'aptitude à vivre. C'est la vie elle-même qui nous anime et nous fait rester plus ou moins longtemps sur cette terre avant d'entrer dans l'éternité. Notre âme existe, et nous croyons qu'elle vit. Dieu l'a créée lorsque chacune de nos organisations matérielles a été appelée dans l'humanité, et nous sommes certains qu'elle ne mourra jamais, de là l'idée de la vie. Mais quel est le secret de cette union de l'âme et du corps pendant que dure ce qu'on appelle communément 30 LE LIVRE DES MÈRES. la vie sur cette terre. L'observation sur l'être hu- main nous fait constater que l'âme reste dans les organes corporels aussi longtemps que ceux-ci sont en état de la conserver. Nous remarquons que nos corps naissent, croissent, vivent et meurent. Pourquoi donc nos corps cessent-ils d'exercer les diverses fonctions qu'ils ont à remplir ? C'est, qu'à la mort, l'âme se sépare du corps. C'est qu'alors il n'a plus la vie. Les réflexions, qui précèdent, nous font penser et croire que l'idée de la vie est au fond de notre esprit gravée en caractères ineffaçables. Si nous cherchons à nous expliquer cette idée, la raison nous élève à Dieu, et alors surgit dans notre âme l'idée de la vie éternelle. Mais qu'est-ce que la vie par rapport à l'Etre Suprême, et au point de vue de l'immortalité des esprits célestes et de l'âme humaine ? Il est plus facile de concevoir ici l'idée de la vie que de dé- finir cette notion. Nous nous élevons à l'idée de l'infini, à la notion de Dieu, et nous voyons alors la vie dans l'éternité. C'est la vie éternelle d'un Être qui étant infini n'a jamais eu de commencement et qui voit en son immensité une nécessité absolue d'exister éternel- lement comme il a toujours subsisté. Oh ! quelle témérité de venir nous placer ainsi au bord de l'abîme de ce mystère insondable ! Dieu a la vie en lui, la vie éternelle, comme il nous l'enseigne par la bouche de son Fils Incarné : " Je suis la " Voie, la Vie, la Vérité ; quiconque mange ma " chair et boit mon sang a la vie éternelle, s'il le " fait dignement." Dans les diverses circonstances PREMIÈRE PARTIE—LA VIE. 31 de son passage sur la terre, le Sauveur nous avertit qu'il est la vie et nous exhorte à le suivre pour vivre toujours en lui, par lui et pour lui. Est-il impossible de comprendre la vie dans l'Etre Su- prême. Sans jamais pouvoir l'embrasser dans toute son étendue infinie, disons qu'elle est ce mouve- ment éternel qui a son origine et sa fin dans un Être Tout Puissant et infini ayant toujours existé et ne pouvant jamais avoir de fin. Considérée relativement à l'immortalité des es- prits célestes et des âmes humaines, la vie serait ce mouvement contemplatif dans les splendeurs divines ou consisterait dans cette participation pro- gressive de la vie éternelle en la vision béatifique de la Beauté Suprême. Notre âme, créée à l'image de Dieu, est destinée, comme les anges, à entrer dans la possession de son Créateur qui est sa der- nière fin, son bonheur éternel. Cette partie spiri- tuelle de notre être est immortelle comme l'at testent notre conscience, notre raison et la révéla- tion, et en conséquence elle est sous l'effet d'une force qui doit la précipiter dans le courant de la vie éternelle. Si en ce bas monde nous ne sommes pas dans la contemplation immédiate des attributs divins, notre âme ne devant jamais mourir ou être anéantie, nous pouvons regarder notre existence sur la terre comme le prélude de la vie- éternelle ou de la mort éternelle, c'est-à dire de l'immor- talité bienheureuse si en ce lieu d'épreuves nous marchons dans la voie du bien, ou de la souffrance éternelle, si nous suivons les sentiers ténébreux du mal ou du désordre. Ainsi quant à notre âme, la 32 LE LIVRE DES MÈRES. vie ici-bas n'est que le commencement de ce mou- vement de son être vers Dieu, et qui doit progresser dans l'éternité bienheureuse ou être repoussé^par la vengeance divine éternellement, selon que nous aurons été dans cette course temporelle assez bons ou méchants pour mériter le ciel ou l'enfer ; la vie de notre âme a son début sur la terre dans le courant de la volonté divine et se continuera éter- nellement au delà de la tombe, de même que la mort de cette partie supérieure de nous-même commence en ce monde par le service du mauvais esprit ou du démon et se perpétuera en entrant dans l'autre monde dans ce lieu de souffrance qu'on désigne sous le nom d'enfer. Mais cessons de travailler à comprendre la vie dans l'ordre surnaturel absolu ; cessons de porter nos regards sur la vie dans les êtres invisibles de la création. Descendons dans la nature sensible. La matière nous apparait, et chacun de nous se voit logé dans une organisation matérielle. C'est que le divin Créateur après avoir procédé à l'arrange- ment de l'harmonie de l'univers et après avoir créé les animaux, prit de la matière, l'organisa en plusieurs systèmes et unit à cet organisation une substance spirituelle et immortelle que nous appe- lons l'âme. Déjà nous nous apercevons que considérer la vie, c'est mettre notre pensée devant la généralité des êtres et en face de l'immensité du temps et de l'espace, même de l'éternité. Combien ce mot vie est grand et sublime ! Ce mot d'une syllable est court, mais il porte en lui l'idée de l'infini. PREMIÈRE PARTIE—LA VIE. 33 Qu'est-ce que la vie dans les êtres organisés où elle se manifeste par des actes de plus en plus nom- breux et compliqués à mesure qu'elle s'élève dans l'échelle animale ? Qu'est-ce que la vie dans l'uni- vers ? A quelles causes sont dûs tous les phéno- mènes sensibles de la nature. L'homme par son âme tient au ciel : à Dieu et aux esprits célestes ; et par son corps il est en rap- port avec tous les êtres du monde matériel. Voilà pourquoi nous avons d'abord arrêté notre esprit sur ce qui est la vie en Dieu et en tous les êtres spirituels de la création. Cherchons maintenant à nous rendre compte de la vie dans l'ordre phy- sique. Les définitions que les physiologistes ont données de la vie dans les êtres qui composent les deux grandes séries du règne organique, s'équivalent toutes plus ou moins les unes les autres. Citons en quelques-unes : Bichat définit la vie : " l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort." Richerand appelle du nom dévie : " une collection de phénomènes qui se succèdent pendant un temps limité dans les or- ganes." Morgan s'est contenté de cette définition : u la totalité des fonctions que chaque individu peut remplir constitue la vie." Béclard donne la défi- nition suivante : " l'organisme en action." La définition de Chardel serait la meilleure et la plus complète : " La vie n'est rien autre chose u que la portion du mouvement élémentaire dont " chaque être s'est emparé pour en faire le mo- " teur de son organisme et la cause de sa chaleur 34 LELIVRE DES MÈRES. " individuelle." Cette définition convient à la vie des plantes. En effet on peut dire que la vie dans le végétal est la portion du mouvement dont il s'est emparé pour en faire le moteur de son orga- nisme et la cause de sa chaleur individuelle. Je crois pouvoir donner la définition suivante sur la vie dans les animaux et l'homme : Dans ces êtres, la vie est cette portion du mouvement élé- mentaire qu'ils s'individualisent dès leur forma tion, pour en faire la cause de leur nutrition et le lien de l'union du principe immatériel et de la substance matérielle qui les constituent. Nous définirons d'une manière générale la vie dans tous les êtres de l'univers : la vie est le mou- vement de l'être dans l'ordre de sa fin. Cette défi- nition s'applique à la vie des anges, de l'âme des animaux et de l'âme de l'homme. Elle convient aussi à tous les êtres du monde physique. Nous essaierons quelques développements qui feront comprendre que ces trois dernières défini- tions s'accordent avec ce qui se passe dans la na- ture des corps ou de la matière pondérable. Dans l'ordre matériel, les corps sont inorgani- ques ou organiques. Les premiers sont simples ou composés et constituent le règne minéral ; les corps organiques sont toujours composés et com- prennent trois catégories: les végétaux, les ani- maux et l'homme. Les végétaux forment le règne végétal; les animaux, le règne zoologique; et l'homme, le règne anthropologique. On désigne aussi sous le nom de règne animal, les animaux et l'homme. PREMIÈRE PARTIE—LA VIE. 35 La vie, avons-nous dit, est le mouvement dans les êtres : mais tout mouvement n'est la vie dans les êtres, qu'autant que ce mouvement est coordonné à leur fin. Dans les êtres du monde moral, il y a une force qui les active. Dans les êtres du monde physique, on constate aussi le mouvement. Tout ce que, dans les corps on appelle phénomène physique, combinaison chimique, action méca- nique, n'est rien autre chose que le mouvement. Il faut d'abord remarquer que par inertie ou repos dans la matière on entend un état qui n'est qu'apparent : car tout est mouvement dans le monde physique. Les mouvements qui se mani- festent dans les êtres de l'ordre matériel, et qui existent dans les êtres de l'ordre immatériel ne sont que des impulsions reçues : c'est dire qu'il faut penser et croire que Dieu lui-même les a im- primés dans tous les êtres en les créant. La force ou mouvement qui constitue tous les phénomènes sensibles que nous voyons dans les corps, n'est pas une substance impondérable, une substance autre que la substance solide, tangible ou pesante. Elle est essentielle à la substance ma- térielle, de même que la force inhérente aux êtres immatériels est absolument nécessaire à leur essence. Le mouvement dans la matière se détermine de différentes manières ; de ses divers degrés de rapi- dité résultent la chaleur, la lumière, l'électricité, etc. Pour expliquer les phénomènes qui se rap- portent à la chaleur, à la lumière, à l'électricité, etc., les sciences physiques ont créé des théories 36 LE LIVRE DES MÈRES. qui attribuent à différents fluides impondérables, la chaleur, la lumière, l'électricité, l'affinité chi- mique, etc. De grands savants tels que Tyndall, Guillemin, Secchi ont enrichi la physique mo- derne de progrès si immenses, ont agrandi si pro- digieusement le cercle des connaissances, qu'on Peut dire qu'il n'y a plus lieu de croire à toutes ces hypothèses. La doctrine du Père Secchi sur " l'Unité des forces physiques " est généralement admise aujourd'hui. Les phénomènes physiques, les phénomènes schi- miques, tous les phénomènes de chaleur, de lu- mière, d'électricité, etc., que nous présentent les corps, sont les effets divers des différentes déter- minations de la force ou du mouvement dans la matière, ou plutôt nous dirons : tous ces phéno- mènes sont la force ou le mouvement donnant à la matière telles ou telles formes, affectant les corps de telles ou telles manières, leur faisant subir tel ou tel changement, en un mot les déterminant de façon qu'ils effectuent tout ce qu'on appelle les phénomènes de l'ordre matériel. Resterait maintenant l'exposition d'un système de physique basé sur ce principe de l'Unité des forces physiques, en d'autres termes nous aurions à faire l'application de cette idée générale que nous venons d'établir. Ce n'est pas mon intention d'entrer dans les dé- tails des phénomènes sensibles : car cela nous en- traînerait en dehors du cadre que le sujet de ce livre doit remplir. Jetons néanmoins un coup d'œil sur l'ensemble PREMIÈRE PARTIE—LA VIE. 37 des phénomènes de la nature depuis le minéral jusqu'au roi de la création, pour que dans cet exa- men nous arrivions à saisir comment le mouve- ment dans la matière réveille en notre esprit l'idée de la vie. Toutes les substances appartenant au règne mi- néral n'offrent que les combinaisons les plus sim- ples. Elles ont une vie. Mais la vie dont elles nous donnent l'idée est bien différente de la vie que l'on considère dans les êtres du règne orga- nique. Les corps minéraux ont des mouvements qui les forcent à former des composés en se com- binant les uns avec les autres. C'est là la fin de ces mouvements. Les composés qui résultent des combinaisons dans le règne minéral sont des corps bruts, inertes et qui demeurent tels tant qu'une autre force ne vient pas réduire leurs éléments primitifs à l'état simple ou les combiner sous d'autres formes avec d'autres parties de la matière. Ces corps n'attirent pas sans cesse dans leur com- position une partie des substances environnantes et ne rendent pas aux éléments ou autres corps de portion de leur propre substance. Ces corps en surgissant des combinaisons chimiques ne se trou- vent pas constitués en organes qui permettent à d'autres combinaisons de s'effectuer. C'est ce qui les distingue si éminemment des êtres du règne organique. La vie donc dans le monde minéral est ce mouvement de l'être dans l'ordre de sa fin. C'est ce mouvement qui fait de la matière des composés, tels que les acides, les oxydes, les sels, les terres, les alcalis etc. 38 LE LIVRE DES MERES. Mais la vie dans les êtres organiques est autre- ment compliquée et suppose l'idée d'une organi- sation. Ce qu'il faut remarquer avant tout, c'est la dé- pendance mutuelle dans laquelle se trouvent à l'é- gard les uns des autres, les composés minéraux, les végétaux et les animaux, malgré les nombreux rapports de dissemblance qui existent entre eux. " Le règne végétal, dit un savant, est le lien qui " unit la création animale à la création minérale- " C'est par la végétation que les substances miné- u raies sont introduites dans le système animal ; " puisque, généralement parlant, tous les animaux " se nourrissent en dernière analyse, de végétaux." Les premières combinaisons qui ont lieu dès la formation ou germination des végétaux et généra- tion^des animaux ont pour résultat un petit com- posé dont les diverses parties solides sont disposées en organes qui les rendent capables de nouvelles combinaisons jusqu'à leur complet développement- Quand leur organisation est arrivée à sa dernière période de développement, elle se maintient alors pendant une durée dont la longueur varie suivant une foule de causes. L'organisation est le théâtre de combinaisons et de décompositions qui s'effec- tuent pendant toute cette durée. Ainsi dans les végétaux et les animaux le mou- vement comporte une série de procédés chimiques dont le résultat est un produit végétal ou une substance animale. Cette série de procédés dans une organisation nous fait concevoir la vie comme un ensemble de phénomènes qui se succèdent pen- PREMIÈRE PARTIE—LA VIE. 39 dant un temps limité dans les organes. Mais là il n'y a rien que le mouvement. C'est la matière qui étant déterminée de telle ou telle manière par le mouvement devient végétale' ou animale. Dans les végétaux donc la vie est le mouvement coordonné à leur fin, c'est-à-dire que dans le végétal, la vie est la portion de mouvement dont il s'est emparé pour en faire le moteur de son organisme et la cause de sa chaleur individuelle ; tandis que dans les animaux et l'homme, cette partie élémentaire du mouvement qu'ils s'individualisent dès leur formation pour en faire la cause de leur nutrition devient le lien de l'union des deux substances dif- férentes qui entrent dans leur composition. Nous ferons observer qu'il y a entre les végé- taux et les animaux, c'est-à-dire, tous les êtres doués de l'animalité, une différence qui est bien la principale. C'est que dans les plantes, il n'y a pas de substance immatérielle. C'est pourquoi la vie dans le végétal n'implique pas la notion de sensi- bilité. Il n'a pas de mouvement volontaire ; il est fixé au sol par ses racines et puise dans la terre les matériaux propres à l'alimenter. Prétendrait-on que les végétaux sont sensibles parce que leurs tissus sont contractiles. Mais de l'irritabilité de la matière à la sensibilité il y a un abinie insondable. Comment ne pas voir que le végétal n'a en lui que le mouvement de la matière, en sus de toutes les opérations qui forment ce que les physiologistes appellent la vie végétative, la- quelle se réduit à la nutrition ou à l'accroissement de ses organes. 4 40 LE LIVRE DES MÈRES. Les végétaux ne comprennent que la matière et les mouvements qu'ils manifestent, ceux coordon- nés à leur vie comme ceux qu'on regarde comme phénomènes physiques ou mécaniques, ne révè- lent que la matière elle-même. Les phénomènes de l'animalité ne paraissent que dans les animaux et l'homme. C'est ce qui établit la distance si grande qu'il y a entre les plantes et l'autre grande série des êtres organisés. Quoi de plus étonnant que la vue d'un animal' et d'un être humain. Ils présentent des mouve- ments matériels qui n'expliquent rien autre chose que la matière elle-même : ces mouvements cons- tituent la vie intérieure, matérielle ou organique, comme dans les végétaux. Cette matière orga- nisée que nous voyons dans les animaux et les êtres humains, ne nous parait pas seulement comme dans la plante un petit laboratoire de tra- vail chimique produisant et maintenant leur orga- nisme, cette matière nous apparait encore comme étant douée de sentiment, d'intelligence et de vo- lonté. Est-il concevable que de tels phénomènes soient le résultat de la matière exclusivement ? Il n'y a qu'une substance immatérielle qui puisse être cause de ces phénomènes. Cette substance en l'homme est spirituelle et immortelle, tandis que l'âme des animaux est incapable d'immortalité. L'âme des bêtes est tellement bornée et a des at- tributs si médiocres en comparaison des nobles et sublimes prérogatives de l'âme humaine, qu'elle nous parait bien infime et bien misérable. Les PREMIÈRE PARTIE—LA VIE. 41 animaux possèdent des sens comme l'homme, mais ils n'ont que l'instinct, tandis que l'intelligence et la volonté sont réparties au roi de la création. Résumons : coup d'œil sur l'ensemble des mou- vements dans le monde extérieur ou visible, de là l'idée de la vie ; un petit retour sur nous-mêmes a fait naître en nous l'idée de la vie ; la vie en Dieu,, la vie dans les esprits célestes, la vie au point de vue de l'âme humaine ; la vie dans l'ordre maté- riel depuis l'élément brut jusqu'à l'homme. Une dernière observation sur la vie dans l'être humain. L'homme est composé de deux subs- tances bien différentes, comme nous le savons. Car chacun de nous voit en soi deux êtres opposés, le corps et l'âme, et il croit que ces deux subs- tances constituent en l'homme l'unité de personne^ il croit invinciblement à l'union substantielle de la matière et de l'esprit dans l'être humain. Nous avons vu séparément la vie dans l'ordre moral, la vie dans l'ordre physique. Mais prenons l'homme dans l'actualité des relations existant entre l'âme et le corps, prenons-le dans son com- posé. Nous dirons encore : la vie dans l'homme, c'est-à-dire la vie considérée dans le composé hu- main, est le mouvement coordonné à la fin de ce- composé. Le corps, l'âme, la vie, telles sont les trois grandes choses qui se trouvent dans le composé humain. Elles sont de nécessité absolue pour la réalisation, le maintien et la fin de son existence- Mais pour que dans l'homme le mouvement se dé- termine en ce sens qui fait la vie de l'ensemble ou 42 LE LIVRE DES MÈRES. du composé, il faut que la vie dans l'ordre phy- sique soit subordonnée à la vie dans l'ordre moral; en d'autres termes il est nécessaire que l'action de l'âme contrôle l'action du corps. Cet ordre a été bouleversé lors de la déchéance de l'homme dans le paradis terrestre. L'âme s'est trouvée sous le poids de la matière qui tend tou- jours à établir son empire sur cette partie spiri- tuelle dont le mouvement a dévié. De là ces luttes continuelles en ce monde ! De là dans la vie sous le rapport intellectuel cette confusion d'i- dées, ce mélange monstrueux d'erreurs et de véri- tés, cette opposition de jugement, cet antagonisme continuel entre les idées, les croyances et les opi- nions des hommes. De là aussi dans la vie au point de vue du sentiment, ce mélange de plaisirs et de souffrances. L'homme, séduit par mille illusions, trempe ses lèvres dans la coupe dorée des plaisirs que lui présente la main du siècle, et il empoisonne son existence. Y a-t-il un homme qui puisse se trouver heureux au milieu de toutes les satisfactions qu'il accorde à ses passions ! Tous les hommes sentent en eux-mêmes qu'ils ne peu- vent rencontrer le bonheur que dans le courant de la volonté divine ! L'homme est tombé de ses splendeurs premières, et la vie en ce monde est devenue comme une mer orageuse. C'est que l'âme s'étant détachée de Dieu, s'est vue aux prises avec la matière. Ainsi plus l'on se dirige en droite ligne sur cette mer orageuse de la vie vers le phare lumineux de la divinité, plus l'on marche dans la vie. Plus on s'en éloigne, PREMIÈRE PARTIE—SANTÉ ET MALADIE. 43 plus on rencontre de déceptions et de douleurs, et plus on se préparent une mort prochaine toujours précédée de sa phalange de maux. Mais à cause du châtiment imposé à l'homme en punition de son premier péché, nous sommes tous condamnés à la souffrance et à la mort. Néan- moins si l'homme voulait toujours maintenir la vie corporelle dans sa subordination à la vie mo- rale, il s'exempterait une foule de maux, bien qu'un jour il doive mourir. II. SANTÉ ET MALADIE. On conçoit l'idée de santé quand on éprouve un bien-aise dans les organes de l'économie en même temps qu'il n'y a aucun trouble dans l'âme. La santé donc, serait-elle suivant Foy : " cet exercice u libre et parfait des organes qui composent le " corps humain, cette harmonie facile et agréable u des fonctions de l'économie." Nous définirons la santé : cette condition du mouvement de la vie dans toutes les parties de notre être, cette condition qui met notre existence à l'abri de la souffrance ou bien qui l'établit dans un état de bien-aise physique et moral auquel elle voudrait toujours tenir. La santé est donc un des plus grands biens que nous puissions acquérir ; à elle seule, elle est comme dit Foy le don le plus précieux que le divin maître ait pu nous faire. 44 LE LIVRE DES MÈRES. Combien il importe donc de conserver la santé. Combien il est important de faire connaître à tout le monde les soins que cet état de bien-être, ce trésor suprême, exige pour son entretien, sa prolongation. Les législateurs, les philosophes, les médecins ont donné à l'homme de nombreux et sages préceptes pour protéger la santé. Mais, chose étonnante, dans tous les temps on s'est montré trop indifférent pour la propagation des préceptes hygiéniques qui se rattachent à la génération, à la formation et à l'élévation des êtres de l'espèce humaine. Pourtant on devrait apprécier plus les qualités, les attributs, les caractères de la santé. " L'homme "' qui se porte bien, dit Foy, a le teint plus ou u moins animé, la carnation fraiche, la peau sou- u pie, les traits calmes et heureux, le port droit, la u stature aisée, la démarche sûre et hardie, le tra- " vail du corps et de l'esprit facile, le repos doux *' et réparateur, les fonctions régulières, l'appétit " bon, la digestion prompte, les excrétions propor- " tionnelles, la respiration grande, la circulation " régulière, l'intelligence en rapport avec le genre " des occupations ordinaires, le caractère bon, les " passions calmes." Si les parents attachaient une plus grande valeur à ces caractères généraux que nous venons de donner de la santé, on ne verrait pas tant de petits infirmes, faibles, décolorés, languissants sous le rapport physique comme sous le rapport moral. Une foule de causes peuvent modifier la peinture que nous avons faite de la santé, sans qu'on puisse PREMIÈRE PARTIE—SANTÉ ET MALADIE. 45 dire que cette dernière soit altérée. Ainsi on sait, comme le reconnaît Foy : " que tel individu dont " le teint est pâle et en apparence languissant jouit u- d'une santé aussi bonne, et quelquefois meilleure " que tel autre dont le faciès est fleuri et vermeil." Un grand nombre de causes peuvent aussi alté- rer, même détruire la santé. Tels sont les excès, les passions, les privations, les misères, les cha- grins, l'ignorance de l'hygiène, une constitution portant dans son sein des germes de maladies héré- ditaires qui s'y trouvent à l'état de sommeil et qui peuvent s'éveiller plus ou moins de bonne heure, etc., etc. Pères et mères, apprenez à conserver intact le don divin de la santé dont vous êtes en possession ; n'ignorez jamais les règles auxquelles vous devez astreindre votre vie, et, dans cet assujettissement, vous serez en garde contre tout ce qui pourrait la mettre en danger et même vous la ravir en un ins- tant. Par là vous aurez la chance de vivre plus longtemps. La santé! vous devez faire en sorte de n'en jamais oublier les précieux avantages et toujours vous conduire de manière à les transmettre dans ces vies nouvelles que vous appelez du néant et qui, répondant à vos transports amoureux, vien- nent se fixer sur le champ de la génération hu- maine. Pour vous engager à lire ce livre où des conseils vous seront donnés et vous montrer l'importance de les tenir toujours gravés dans votre esprit, réflé- chissez un moment sur les inconvénients et les 46 LE LIVRE DES MÈRES. souffrances de la maladie. " Si la santé, dit Foy, " est le plus doux et le plus grand des biens, la " maladie, cet état dans lequel les organes de l'éco- " nomie sont mal à l'aise, déplacés ou plus ou " moins profondément altérés, dans lequel les " fonctions sont irrégulières, interrompues, sus- " pendues ou douloureuses, la maladie, disons- " nous, est, par contre, le plus grand et le plus u cruel de tous les maux. Avec elle la vie est une " amère déception, une longue et poignante dou- " leur. La pauvreté, compensée par la force et le u courage, lui est mille fois préférable. L'homme " malade compte mille fois ses heures, ses jours, " ses années. Tous ses vœux tendent vers une " seule et même chose, la fin de ses souffrances. " Chez lui, l'amitié n'est plus qu'un mot, les liens " de famille se détruisent peu à peu, le cœur de- " vient muet. La possession des richesses les plus " belles, des titres les plus élevés, des honneurs les " plus grands, est nulle et superflue. Sans cesse " tourmenté par le mal et la douleur, le valétudi- " naire a le caractère chagrin et maussade ; ses " passions sont tristes ; il recherche la solitude ; il " est sourd aux conseils de la philosophie, de la " morale, de la religion. Heureux quand son hu- " meur noire, sa mélancolie, ne le portent pas au " désespoir, à l'envie de mal faire, au meurtre, au " suicide." Plus loin il dit encore : " L'homme est malade " toutes les fois qu'il y a déplacement, lésion ou " altération des organes constituant son économie " tout entière. ' PREMIÈRE PARTIE—SANTÉ ET MALADIE. 47 Ailleurs il njoute : ;' L'homme infirme est celui " chez lequel quelques organes manquent en tota- " lité ou en partie, ou bien sont déplacés ou mal " développés." Dans le Dict. de Littré et Robbin, la maladie est définie comme suit : " Toute perturbation surve- " nant dans une ou plusieurs des parties simples " ou composées du corps, qui se manifeste par le a trouble des actes d'un ou de plusieurs organes " en particulier, et même d'un ou de plusieurs ap- " pareils en entier." La cause première de la maladie et par suite de la mort est'cet abus que l'homme a fait de sa li- berté sous l'influence de la passion, abus qui a amené la déchéance de l'humanité, qui l'a condam- née à tomber des splendeurs de la sphère où son état d'innocence la tenait élevée. Mais les passions, les excès, l'ignorance de l'hygiène, les changements subits de température, les coups, les chutes, etc., conspirent tous les jours à affaiblir, à abaisser, à faire rétrograder et périr l'humanité déchue, et cela avec une rapidité toujours de plus en plus étonnante. De là toutes ces maladies constitution- nelles, comme les cancers, la syphilis, la phthisie etc., et tant d'autres affections qui tourmentent le genre humain incessamment. Parmi les agents extérieurs, il y en a qui exercent nécessairement une action morbifique sur l'organisme, comme les effluves, les miasmes. De là toutes ces maladies, qui apparaissent tantôt épidémiques, tantôt spora- diques, tantôt endémiques, comme le choléra, la variole, la diphthérie, etc. 48 LE LIVRE DES MÈRES. Quand la maladie envahit un individu sain de corps et d'esprit, elle détermine en lui des effets d'autant plus désastreux qu'elle se montre avec une violence plus grande. Quand un enfant entre in- firme en cette vie, ses infirmités peuvent se guérir quelquefois, et souvent elles dépassent les ressour- ces de l'art. Les affections mentales, comme l'im- bécilité, la folie, rendent encore bien misérables et pitoyables les affligés qui en sont atteints. La maladie est donc un fléau sous les atteintes duquel nous sommes tous condamnés à tomber. C'est une chaine de malheurs et de souffrances que nous portons continuellement dès notre concep- tion, pour bien dire, et surtout dès notre entrée dans le monde, jusqu'à ce que la mort nous ait enfermés dans le tombeau. Cette chaine, il faut bien l'admettre, est rendue de plus en plus lourde par nos passions et toutes les folies de la vie. Vous voulez, parents, revivre dans vos descen- dants. Ah ! N'oubliez pas que ceux et celles à qui vous donnez le jour, porteront l'empreinte des dé- sordres ou des vertus de votre vie, seront comme un miroir où vos qualités physiques, vos vices constitutionnels, vos vertus, tout ce que vous auriez pu être dans votre vie moralement et physique- ment apparaîtront plus ou moins exactement, se reconnaîtront plus ou moins facilement, en dépit de toutes les nombreuses modifications qui peuvent avoir lieu. Apprenez donc à améliorer les condi- tions de votre existence, et n'ayez pas la présomp- tion de vous mêler à créer la famille sans vous y ■être préparés d'avance. Connaissez comment allu- v » > -j PREMIÈRE PARTIE—LA MORT. 49 \ mer le flambeau de la vie de manière qu'en vos descendants ce flambeau puisse briller d'un vif éclat. III. LA MORT. Les êtres ont tous une route à parcourir, un voyage à faire, et doivent arriver à la fin du terme inévitable du mouvement qui les emporte. La matière et l'esprit, ont un mouvement qui les en- traine à leur fin respective. C'est ce mouvement qui est la vie. L'atome ayant parcouru sa route, ayant fait son voyage, ayant été entraîné par ce mouvement qui l'a conduit à sa fin, n'est pas anéanti : car la matière est impérissable. Il subit diverses transformations. Il entre comme partie élémentaire, fondamentale, dans l'oxygène, l'hy- drogène, en un mot dans tous les corps simples. Voilà sa fin. Est-il tombé dans le néant ? Non : il a subi une métamorphose. A leur tour, les corps qu'on appelle simples parcequ'ils sont considérés dans l'état actuel de la science comme indécompo- sables, sont devenus corps composés, acides, oxydes, sels, etc., après leur course qui était leur vie. Ces éléments simples sont-ils par là précipités dans le néant ? Non : ils ont subi diverses transformations dans lesquelles leur nature première s'est effacée de manière que de ces différents changements ré- sultent d'autres corps revêtus de caractères nou- veaux. Parmi tous ces corps simples et tous ces corps composés, un très-grand nombre sont empor- 50 LE LIVRE DES MÈRES. tés par un mouvement qui les fait arriver à pren- dre les caractères, les attributs de la matière végé- tale ou de la matière animale. La matière dans les végétaux et les animaux est le siège d'un tra- vail chimique d'une durée dont la longueur varie suivant une foule de circonstances ; à un moment donné, elle arrête sa course dans la région animale et dans la végétale, et, prenant une direction con- traire, elle revient dans le règne de la matière mi- nérale ou inorganique. Voilà comment nous con- sidérons et expliquons la mort dans l'ordre matériel ou physique. Elle est la fin de telle ou telle ma- nière d'être de la substance corporelle. Cette fin donc ne peut impliquer l'idée d'anéantissement, mais elle a lieu par un changement de nature, par le passage d'une nature à une autre. La matière présente une métempsycose, c'est-à-dire, qu'elle voyage continuellement dans un cercle dont elle ne s'est pas encore écartée. Quant à l'ensemble de l'ordre physique, le torrent impétueux du temps le précipite dans le gouffre de l'éternité. Après la fin du monde, comment se trouvera l'ordre physique ? Pouvons-nous supposer qu'ayant cessé toutes ses transformations, ayant perdu la variété de ses formes, il sera réduit à l'unité d'essence et suivra silencieux le mouvement de l'éternité ? Ici il n'y aurait que des suppositions à faire. D'où vient que l'idée de la mort détermine en nous une si grande frayeur, une épouvante si ter- rible. C'est que, ne pouvant lutter contre le cours du fleuve de la vie, ne pouvant y jeter l'ancre, PREMIÈRE PARTIE—LA MORT. 51 nous redoutons le tribunal du Souverain Juge, lors- qu'il lui plaira de nous faire passer de cette vie dans l'éternité, ou plutôt, de faire arriver le fleuve de notre vie dans l'océan sans bornes de l'éternité. Voulons-nous nous habituer à envisager la mort sans crainte, cessons de nous occuper d'une manière déréglée à entasser des trésors, de chercher tou- jours quand même à nous couvrir de gloire, à ac- quérir des connaissances sans celle de servir Dieu, et d'accorder à nos sens toutes les satisfactions qu'ils demandent ; rappelons-nous que nous sommes immortels ; comprenons qu'ici-bas la mort n'est que la dissolution, la désorganisation du corps, de ma- nière que l'âme se sépare de lui pour s'envoler aux cieux où l'immortalité bienheureuse ou la mort éternelle l'attend infailliblement. Lecteurs et lectrices, je vous ai mis ci-dessus sous les yeux le mouvement qui emporte tout l'or- dre créé, et vous avez conçu l'idée de la vie dans les êtres. Quant à l'homme, nous avons vu, et nous l'éprouvons tous les jours, que dans le cours de la vie, il rencontre plus de peines que de plaisirs, chacun de nos pas étant suivi du cortège des soucis. Il est exposé à la maladie, à la souffrance. C'est qu'il expie la peine due à son premier péché. De plus il est condamné à mort, pour que le corps retourne en poussière et ressuscite après, tout res- plendissant dans la gloire du ciel ou tout hideux dans l'abime des enfers. Dans le premier cas donc la mort n'est que le passage d'une vie inférieure à une vie infiniment supérieure. Ainsi dans l'autre monde, le mouvement ou la vie de notre être ten- 52 LE LIVRE DES MÈRES. dra toujours à atteindre cette fin pour laquelle nous sommes créés, en l'incrustant de plus en plus dans le corps de la divinité. Si pèlerins de la vie sur cette terre, nous avons tant d'ennuis, nous rencontrons tant de déceptions, nous essuyons tant de maladies, et nous finissons i par mourir, il nous est toujours possible d'amé- liorer les conditions de notre existence, d'amoindrir le nombre de nos misères ou de nos douleurs, de procurer à cette existence une longévité plus éten- 1 due, de retarder l'instant de la mort. Ainsi donc, pères et mères, apprenez comment j donner la vie à vos enfants, comment créer la fa- mille, de manière que la génération nouvelle reçoive l'existence dans les meilleures conditions possibles. Mais dans le mariage, votre mission ne se borne pas à la génération, à la création de la i famille : elle s'étend encore à la formation, à Télé- -■ vation de cette progéniture qui vous appartient. ■ Apprenez donc aussi quels sont les moyens à pren- Jj dre pour donner à la vie de vos enfants entrés dans M le monde, une direction qui soit autant que possible exempte d'irrégularités, ou qui leur permette d'a- voir moins de maladies autant que cela se pourra, de jouir d'une santé de plus en plus florissante, de passer une vie de plus en plus longue. Oui ! Connaissez la conduite que vous devez tenir pour vous préparer à la grande œuvre de la propagation de l'espèce humaine ; connaissez l'art de la former, de l'élever, de l'améliorer, de la met- , tre à l'abri des dangers si nombreux qui accompa- gnent ses premiers pas dans la vie ; connaissez le» PREMIÈRE PARTIE—LA MORT. 53- secrets de la science pour la délivrer des maux si fréquents auxquels tous les jours elle est tant expo- sée à l'état de l'enfance. N'oubliez jamais que la bonne éducation fait le bonheur de l'homme. La société s'élèvera, l'humanité grandira, si vous avez à cœur de connaître les moyens propres à la procréation d'enfants forts et bons et que vous vous serviez des moyens qui sont mis à notre disposition et que nous allons développer. DEUXIÈME PARTIE. VIE DÉPENDANTE DE L'ENFANT. Cette vie s'allume et se développe dans un des plis de l'organisme maternel. Elle provient d'une j source qui, suivant l'usage qu'on en fait, peut être altérée plus ou moins ou acquérir une fraîcheur et une limpidité de plus en plus admirables. Dans son évolution, cette vie est soumise à des lois dont elle ne peut se soustraire sans souffrir ou s'éteindre. < La vie dépendante de l'enfant est la vie intra-uté- -j rine : comme la plante dans les champs, elle fixe ses racines et s'accroît, grandit, parvient à sa matu-jfl rite dans un organe constituant une partie de l'ap- <■ pareil générateur chez le sexe féminin. Considérée ■ dans les trois ou quatre premiers mois de son évo- ' lution, elle s'appelle vie embryonnaire, et on la désigne ensuite sous le nom de vie fœtale. C'est | que dans les premiers temps de la gestation, le pro- duit qui détermine l'état gravide, prend le nom i d'embryon et que dans les mois qui suivent, jus- qu'à la naissance, on lui donne le nom de fœtus. , Portons nos regards sur l'immense étendue du champ de la génération humaine, considérons que, par ci, par là, il est frappé de stérilité, regardons toutes les productions qu'il présente. Nous ne nous occupons ici que de la partie de ce champ sur la- DEUXIÈME PARTIE. 55 quelle a été essayée ou effectuée l'œuvre de la pro- pagation de l'espèce humaine. Nous voyons ici que le feu dévorant des passions a desséché une partie considérable de ce champ sur laquelle la nature avait répandu les vertus de la fécondité. Passons de ces plaines ravagées et arides où croupit une eau stagnante et infecte, et venons là examiner des régions stériles, les unes l'étant absolument ou nécessairement par la nature, les autres l'étant accidentellement ou relativement. Allons ailleurs et considérons ces endroits où végètent des millions de vies qui viennent de sortir du néant : ici des milliers de petits êtres sont se- coués violemment par les tempêtes des passions ; là, des milliers de nouvelles existences, à peine en- racinées dans le champ de la vie, sont chétives et languissantes ; de toutes ces vies nouvelles, il y en a un grand nombre qui s'éteignent sans présenter encore quelque chose de la forme humaine, il y en a d'autres, en grande quantité, qui sont déracinées sous les coups de l'ignorance des lois de la vie et de la santé, d'autres qui, pour un bon nombre, s'évanouissent malgré leur développement assez avancé. Oui, voyez ces milliers et milliers de petits êtres, voyez comme ils sont précipités dans l'abime de la destruction, avant qu'ils puissent atteindre cette maturité, qui leur permet de passer de la vie parasite à la vie indépendante. Suivez de vos yeux ceux d'entre eux qui arrivent au terme de leur évolution, et peuvent entrer viables dans le monde, poursuivez-les de votre attention dans leur voyage ici-bas et vos regards seront affligés du cortège de 56 LE LIVRE DES MÈRES. maux qui s'attache aux pas de leur vie s'avançant misérablement. Détournons notre vue, un instant, de toutes ces représentations sombres. Dirigeons, d'un autre côté, notre coursé sur le champ générateur de la mère. Contemplons ici tous ces milliers de petits êtres, qui, comme les épis dorés d'un beau champ de blé, sont tout resplendissants sous le soleil radieux de la vie. Parmi eux, il est vrai, apparaissent quelques vies pâles et languissantes, mais le spectacle n'est pas moins ravissant. Savez-vous pourquoi tant de malheurs et d'acci- dents éclatent sur le champ de la génération hu- maine? Comprenez-vous pourquoi un nombre si considérable de ces petits êtres sont frappés de toutes ces misères qui empêchent ou retardent leur développement? Connaissez-vous la raison pour laquelle, d'un autre côté, brille tant d'harmonie, existe tant de force, dans la constitution de ces nouvelles existences assez nombreuses et qui se développent comme par enchantement? Ignorez- vous pourquoi on constate tant de stérilité, je ne dis pas absolue, mais accidentelle, relative, dépen- dant le plus souvent de l'emploi de moyens crimi- nels ou de l'abus de l'appareil générateur sous l'in- fluence des passions ? Si vous désirez connaître les causes de.tous ces mystères de la génération humaine, de tous ces phénomènes que nous venons de faire passer sous nos yeux étonnés, remontons aux parents, à l'homme et à la femme, dans la vie conjugale ou en dehors de l'association matrimoniale, pénétrons DEUXIÈME PARTIE. 57 dans leur conduite, suivons toutes leurs actions et nous découvrirons toutes ces causes. Il est vrai que parmi les procréateurs, il y en a plusieurs qui ont reçu de la nature une mauvaise organisation, une constitution faible, même viciée jusque dans ses profondeurs, et qui, néanmoins, mènent une vie régulière, conforme aux lois de l'hygiène. Pour ceux-là, ils ne font que porter le stigmate des désordres de leurs ascendants. Dans cette deuxième partie, nous allons cher- cher à connaître toutes les causes qui exercent une influence bonne ou mauvaise sur la vie, le déve- loppement de ces petits êtres qui, surgissant du" néant sous l'action de la force procréatrice de la nature, restent fixés pendant neuf mois à l'arbre générateur de l'espèce humaine. Nous appren- drons comment donner à ces nouvelles vies tous les soins dont elles doivent être incessamment entou- rées au milieu des nombreuses secousses qui ten- dent constamment à les étouffer, à les détruire. Les procréateurs constitueront tout le domaine où nous pousserons toutes nos recherches. u L'avenir des enfants, dit Mignet, est en grande " partie dans les parents. Il y a un héritage en- " core plus important que celui des biens, c'est " celui des qualités. Ils communiquent le plus u souvent avec la vie, les traits de leur visage, " la forme de leur corps, les moyens de santé ou u les causes de maladie, l'énergie ou la mollesse de " l'esprit, la force ou le débilité de l'âme, suivant " ce qu'ils sont eux-mêmes. Il leur importe donc " de soigner en eux leurs propres enfents. S'ils £8 LE LIVRE DES MÈRES. tC sont énervés, ils sont exposés à les avoir faibles ; " s'ils ont contracté des maladies, ils peuvent leur " en transmettre le vice et les condamner à une " vie douloureuse. Il n'en est pas seulement ainsi " dans l'ordre physique, mais dans l'ordre moral. " En cultivant leur intelligence dans la mesure u de leur position, en suivant les règles de l'hon- " nêteté et les lois du vrai, les parents communi- " quent à leurs enfants un sens plus fort et plus " droit, leur donnent l'instinct de la délicatesse et " de la sincérité, avant de leur en offrir l'exemple. " Et, au contraire, en attirant dans leur esprit les " lumières naturelles, en enfreignant dans leur " conduite les lois que la Providence de Dieu a " données au monde, et dont la violation n'est " jamais impunie, ils les font ordinairement parti- •" ciper à leur imperfection intellectuelle et à leur ■" dérèglement moral. Il dépend donc d'eux, plus " qu'ils ne le pensent, d'avoir des enfants sains ou " maladifs, intelligents ou bornés, honnêtes ou -" vicieux, qui vivent bien ou mal, peu ou beau- ■" coup. C'est la responsabilité qui pèse sur eux, et *' qui, selon qu'ils agissent eux-mêmes, les récom- a pense ou les punit dans ce qu'ils ont de plus u cher." Le passage suivant doit nous porter à beaucoup réfléchir sur ce point. " On a signalé, dit J. Crozatj " bien des causes de nos revers militaires dans 4{ notre malheureuse guerre contre la Prusse : peu " de critiques ont voulu s'avouer à eux-mêmes " l'une de celles qui y ont le plus contribué. Quand " la France a demandé la paix, elte avait encore DEUXIÈME PARTIE. 59 " un million d'hommes sous les armes. Pourquoi " cette immense armée a-t-elle si peu répondu aux " espérances qu'elle avait données ? Sans doute, " nos jeunes gens étaient mal équipés, mal armés, '" mal exercés, mal commandés. Mais aussi, fou- " Ions aux pieds le sot orgueil national qui nous a " tant de fois aveuglés, et, avouons-le humblement, " ils ont manqué de courage moral, ils ont manqué " de force physique ; ils étaient, en grand nombre, " incapables de supporter les privations, de faire " les longues marches et de résister aux fatigues " qui s'imposent habituellement aux armées en •• campagne. Il n'y a pas lieu de s'en étonner ; l'on " n'a pas et l'on ne peut avoir du courage quand " on ne sait pas résister à ses penchants et qu'on " en subit honteusement la tyrannie. Et puis la " force de notre constitution baisse depuis long- " temps, pour une raison du même ordre. La " plante s'épuise et meurt pour produire sa graine. " L'homme, non plus, ne transmet pas sa vie sans " en consumer et sans s'en dépouiller par partie. u Or, à notre âge, le flambeau de la vie brûle et se " consume infiniment plus pour le mal que pour " le bien. Immense, horrible est la part faite à la " volupté ! Que reste-t-il pour l'humanité ? Le vice " honteux étouffe, dessèche, dévore dans leurs " germes des générations innombrables. Quels en- " fants peuvent encore avoir ces pères minés par le u libertinage, affaiblis, épuisés ? Et quelle sera la " progéniture de leurs fils, stigmatisés des marques " de leurs désordres et accablés de leurs infirmités ? " Il n'est que trop évident qu'une telle décadence 60 LE LIVRE DES MÈRES. " mène fatalement un peuple à une ruine irrépa- " rable. C'est ainsi, du reste, que, dans l'histoire, " nous voyons les nations périr." I. DE L'HÉRÉDITÉ. Ce qui précède nous montre que la procréation est soumise à la loi de l'hérédité. C'est une vérité qu'il est impossible de nier. Elle saute aux yeux de tous ceux qui sont initiés aux moindres secrets de la génération. Avant que nous nous mettions à la recherche des causes des faits que nous venons de constater dans le domaine de la procréation, il est bon de considérer un instant l'hérédité, afin de faire voir combien il importe de ne pas la perdre de vue dans notre étude des rapports que la vie des procréateurs a avec les vies nouvelles qui en découlent. Nous lisons dans le Dict. de Littré et Robin ce qui suit : " D'après la propriété qu'ont les subs- " tances organiques de transmettre d'une manière " lente, mais continue, leur état moléculaire aux " substances avec lesquelles elle sont en contact, il '• est évident que toutes les parties qui naitront par " suite du développement des premières cellules " génératrices de l'ovule seront modifiées en bien " ou en mal, selon l'état que celui-ci offrait lui- " même...... On comprend d'autre part comment " les spermatozoïdes ou cellules embryonnaires " mâles (c'est-à-dire la semence chez l'homme) " pourront transmettre à la cellule embryonnaire DEUXIÈME PARTIE. 61 " femelle ou au blastoderme, dont ils déterminent " la naissance aux dépens du vitellus qu'ils ont u fécondé, les états particuliers dont eux-mêmes " sont affectés, et qui sont propres aux mâles dont " ils proviennent : d'où la transmission héréditaire ; " transmission modifiée plus ou moins par l'état a qui était propre à l'organisme entier de la femelle. u On comprend, en outre, que, si les aptitudes " peuvent se transmettre ainsi, les affections patho- '• logiques qui auront modifié l'organisme jusque " dansées plus intimes éléments agiront de même." Plus loin il ajoute : "Les exemples sont perpé- " tuels de la ressemblance des produits avec les " procréateurs, tant dans la conformation physique ''• que dans la disposition morale. Et non-seule- " ment les particularités innées sont transmises " héréditairement, mais les particularités acquises " te sont aussi." Nous pouvons donc dire que l'hérédité est, dans les procréations mâles ou femelles, le résultat de l'état naturel et des particularités d'organisation et d'aptitude où se trouvaient les procréateurs anté- rieurement à la conception et des faits particuliers qui surviennent chez la mère pendant tout le cours de la gestation. De là, lo : l'hérédité physique, c'est-à-dire la transmission de tout ce qui tient au physique des êtres qui engendrent aux êtres en- gendrés, avec toutes ses nombreuses irrégularités, toutes ses modifications et toutes ses interruptions. Car quelquefois on constate que des enfants n'ayant aucun des traits ni le tempérament du père ou de la mère, ne présentant le type d'aucun de leurs 62 LE LIVRE DES MÈRES. ascendants immédiats, offrent néanmoins une res- semblance remarquable avec d'autres parents de ; ligne collatérale : c'est l'hérédité indirecte. D'au- tres fois les enfants ne ressemblent pas aux auteurs de leurs jours, mais sont le portrait de leurs grands pères ou de leurs grand'-mères, l'hérédité ayant sauté d'une génération à l'autre et même parfois à une distance de plusieurs générations : c'est l'hé- rédité en retour. Enfin il arrive assez souvent qu'un enfant ne porte la ressemblance ni de son père, ni de sa mère, veuve mariée en secondes noces, mais est la représentation du conjoint anté- rieur défunt : c'est l'hérédité d'influence. Mais au milieu de toutes ces variétés de modes de détermi- nations qu'affecte la loi de l'hérédité, il y en a une qui est un fait constant et qui se reconnaît par la reproduction de l'espèce, de la race, du genre hu- < main, et cela d'une manière invariable ': c'est l'hé- 1 redite permanente ou absolue. Les transmissions , héréditaires les plus fréquentes et les moins mobiles ou changeantes se manifestent dans la conforma- i tion, ou contenance extérieure, dans les traits du visage, la taille, la couleur, les formes, en un mot j dans tous ces attributs physiques qui déterminent ."È les ressemblances de nation, de famille, de frère et .' de père. 2o : L'hérédité morale. La loi des transmissions héréditaires ne s'étend pas seulement à l'organisa- l tion physique, elle s'applique aussi à l'ordre moral, > aux facultés intellectuelles, et cela encore en ap- portant une foule de modifications déterminées par un nombre immense de circonstances. Il est, DEUXIÈME PARTIE. 63 en effet, établi que l'organisation corporelle se répercute plus ou moins fortement dans les dispo- sitions de l'âme. On sait que les facultés de la substance spirituelle ne dépendent pas de la ma- tière, quant à leur nature ; mais quant à leur ma nifestation, à leur mode d'action, dans l'être hu- main, elles sont sous la dépendance plus ou moins complète de l'organisme corporel, comme l'a dé- montré l'Abbé J. Crozat. Or, s'il est certain que tout ce qui tient aux qualités et vices du corps, comme la beauté, une constitution robuste, la toni- cité musculaire, l'énergie vitale, la santé, la force, le courage, la faiblesse, la viciation du sang, les infirmités, les maladies, etc., s'il est démontré, dis je, que tout cela se lie à la loi des transmissions héréditaires, il faut admettre que les dispositions et facultés morales seront brillantes ou sombres.. puisqu'elles sont, en grande partie, le résultat de l'organisation physique, il est logique de croire que l'identité morale répond à l'identité physique 'r mais il est bon d'observer que l'éducation, les mi- lieux dans lesquels on vit, apportent des change- ments à cette règle. 3o : L'hérédité morbide. La transmission des diverses maladies est un fait admi.s A chaque page, l'histoire de la vie humaine nous montre, en effet, les descendants des hommes accablés de dis- grâces et d'infirmités physiques participer aux dé- savantages extérieurs et aux maladies constitution- nelles de leurs pères. Tout le monde sait que les dispositions morbides des parents, comme les dia- thèses cancéreuses, dartreuses, scrofuleuses, syphi- 64 LE LIVRE DES MÈRES. litiques, tuberculeuses, uriques, l'apoplexie, les maladies contagieuses, entrent toutes sous la loi des transmissions. Tous le jours, on a aussi, sous les yeux, des exemples qui attestent que l'hérédité des désordes cérébraux, comme rimbécilité, la folie, l'idiotisme, se transmettent plus fréquemment que ] les bonnes qualités. Navons-nous pas constaté encore que la diathèse nerveuse se reproduit, de même que les névropathies de tous genres, dans les êtres engendrés ? Qui pourrait mettre en doute ' que l'hérédité des instincts criminels, du crime, n'est pas aussi palpable que les transmissions pré- 1 citées ? On considère que l'hérédité est certaine J quand l'enfant venant au monde présente les