DESCRIPTION D E LA VISION DESCRIPTION D E LA VISION. M. D E G R AY E R S, Oculifte.' Ironie, cap illata ejt, pofl efi occafîo Calva, A LONDRES, Chez SHOR.N, dans le Strand, M. D CC. LXXVX. description D E LA VISION. INTRODUCTION. Im Vifion eft suffi facile à concevoir, quelle a femblë juf- qu’ici difficile. Si l’on fait atten- tion que la fauffe application des expériences qui ont été faites à ce fujet, a beaucoup contribué à nous en éloigner la connolf- fance , on ne doit plus être étonné* Comment a-t-on pu dire que nous voyons les objets renverfés ! Etoit-ce après avoir obfervé que quand le globe de l’œil a Tes tu- niques poftérieures difféquées, & que cet organe eft placé vis-à- -vis d’un objet, l’image s’en trouve fur la Retine, mais tracé dans un fens renverfé ?.... Qui pouvoit donner idée que les images fe peignent fur la Retine , & qu’il exifte une image aérienne entre le globe de rœil & Tobjet! Etoit-ce parce que le mélange de deux couleurs ne peut fe faire que hors de nos yeux, l’un couvert d’un verre bleu, l’autre d’un rouge ?.. Quelle imagination d’avancer , que nos fenfatîons ne font caufées que par le concours des efprits animaux dans les filières ner- veufes , & par les divers conta&s des objets qui frappent nos fens ! Etoit-ce à l’appui de la probabi- lité, que les efprits animaux ne font autre chofe que le fluide éle&rique qui efl: la caufe effi- ciente de nos fenfatîons 7 Je crois pouvoir avancer que tous ces fyftêmes, quoique enfantés par des phyficiens & des phyfiologiftes du plus haut mérite , font erronnés & qu’ils font même fort éloignés des loix de la Phyfîque. Mon intention n’efl: pas, dans une fi courte defcriptlon de la vifion, de contredire les fyftemes dont je viens de faire l’énumération ; j’en laifferai au le&eur une corn- paraifon à faire avec celui que j’établis : fuum cuiquepulchrum. Je donne un précis de la ftruc- ture du globe de l’œil, & des parties qui le compofent , afin que les mots téchniques ne faf~ fent point d’obftacle à Imtelli- gence de ceux qui n’ont pas de connoîflances Anatomiques. Après quoi je palTe à une explication de l’opération de l’efprit, qui fert à nous faire comprendre la ma- nière dont nous concevons, & à la defcription du paffage des rayons de lumière dans le globe de l’œiL J’ai confiné tous les Auteurs qui m’ont paru fe rapprocher le plus des loix de la Phylique ; fi l’ufage & l’application que j’en ai fait font du goût des connoifleurs,, c’eft ce que je ne puis encore dire. Des parties du Glohc de VüEiL Fig. L Le nerf optique A, ed dtué à la partie poftérieure & latérale interne du globe de l’œil. La Retine, qui efl: un épanouiffement de la fub- flance médullaire du nerf optique, efl: défignée par ce cercle de points qui s’étend intérieurement autour du globe, depuis le nerf optique, jufqu’aux points de réunion, BSc C : elle eft tranfparente & d’un tiflu fi lâche & h délicat quelle fe dé- chire au moindre attouchement. La Sclérotique, RB, RC, com- pofe les parties latérales & porté- Heures du globe de l’œil ; elle eft blanchâtre & opaque dans toute fa fubftance. Cette membrane eft percée en avant & en arriéré ; poftérieurement pour donner paf- fage au nerf optique, A, & anté- rieurement pour tenir la cornée B, E, C, comme eft un verre de montre dans le chaffis de la boete qui le contient. La Choroïde eft défignée par cette petite ligne |qui eft placée entre la Sclérotique & la Retine. Elle eft compofée de deux lames appuyées lune fur l’autre, qui font formées par un lacis de fibres, de filets nerveux & de vaiffeaux lym- phatiques, d’où il filtre une humeur noire qu'on appelle méconium, qui fe répand dans toute l’étendue des deux lames, pour empêcher le paf fage des rayons vifiiels. Le corps vitré C, re/Tomble à une gelée tramparente, qui occupe la partie poftérieure du globe de l’œil, jufqu au plexus ciliaire, B, C. Ce corps eft élaftique, compofé de deux tuniques ou membranes, & d’une eau très - lympide. A fa partie antérieure eft une cavité, dans laquelle eft logé le cryftal- lui, D , comme un diamant l’eft dans le chaton d’une bague. Cette cavité prend une figure conique > après l’extraction du cryftallin. La membrane du corps vitré, eft ad- hérente àla Retlne, par des vaif* féaux lymphatiques. Le diamètre du corps vitré eft de fept ou huit lignes,, pour l’ordinaire. Son ufage eft de conferver Iss membranes de 1 œil dans un état de tendon na- turelle , de contenir le cryftallin , de fervir à la refraÛlon des rayons de la lumière, de fuppléer par Ci figure conique, au cryftallin lorf- qu’il eft au dehors, & de fervir à la régénération de l’humeur aqueufe. Le cryftallin, D, eft un corps len- ticulaire, envelopé d’une membrane qu’on appelle cryftalloïde. Il eft plus convexe à fa partie pofté- rleure qu’à fa partie antérieure ; & a beaucoup de rapport au cryftal le plus diaphane, mais feulement lorf- qu’on eft jeune. A l’âge de trente ans il commence à acquérir une couleur légèrement ambrée, qui augmente jufqu’à l’opacité, d’oùré- fulte la cécité de l’organe. L’altéra- tion du cryftallin, qu’on dénommé fous le mot cataracte, peut arriver par un coup reçu à l'œil, par l’ap- plication de médlcamens dont on ne connoît pas la nature, &c. La chambre poftérieure eft une efpace qui comprend depuis le cryftallin jufqu’à l'iris, 8,0, C,o; elle eft remplie d’un fluide dia- phane qu’on appelle humeur aqueufe. Du cryftallin au trou de l’iris, appelle pupille, il y a un Intervalle d’une demi-ligne. La chambre antérieure, /z, /z,eft une elpace qui comprend depuis l’iris jufqu’au centre de la cor- née, E : elle eft remplie de la même humeur que la chambre pofté- rieure ; fon efpace eft d’une ligne & demie pour l’ordinaire. La pupille, I, eft un trou, placé prefque dans le centre de l’iris, qu’on appelle aufli prunelle ; elle eft fufceptible de contraéiion & de dilatation, lorfque l’œil eft expofé facceffivement à une foible lumière & à une plus forte. Cette contrac- tion & dilatation a lieu, quand on examine fucceffivement des objets éloignés & voifins. L’iris 8,0, C, o, eft une mem- brane diverfement colorée, qui fait qu’on nomme l’iris noir, chataln, gris, bleu, &c. L’iris a des fibres droites & circulaires, fituées àla circonférence de la pupille ; lorfque les fibres circulaires fe contra&ent, elles dilatent la pupille : au con- traire les fibres droites étant en a&ion, cette ouverture a moins de diamètre : l’iris fait la divifion des chambres de l’œil. La cornée, B, E, C 7 occupe la partie antérieure du globe de l’œil ; elle eft beaucoup plus épaiffe que les parties latérales de la Scléroti- que. Cette membrane eft tranf- parente & compofée de pellicules adaptées les unes fur les autres par un lacis de vaifleaux lym- phatiques & filets nerveux: chaque pellicule a fon étendue du centre à la circonférence. Le plexus ciliaire > B & C, eft une élévation pliflee en manière de poignet de chenille. Il eft joint dans toute fa circonférence au lymbe de la cornée ; c’eft dans cette feule partie que l’iris eft adhérente, car le refte de fon étendue jufqu’en O, o, nage dans l’humeur aqueufe. La couronne ciliaire Br, Cr, eft un amas de filamens très-délicats qui entourent le cryftallin. Toutes les membranes qui compofent le globe de i’œil, font engrenées les unes dans les autres par leurs bords voifins, & jointes dans leur étendue par des filets nerveux, des vaiffeaux fanguins & lymphatiques qui leur diftri- buent le lue propre à leur nutrition. Du Métaphyjique, par rapport a la vifion Il me femble que F Auteur d’un mémoire fur l’œil , qui ait le plus rapproché fon fyftême de la vifion des loix de la Phyfique &de la Méthaphyfique, fans ce- pendant nous en avoir laiffé une connoiflance certaine ; dans fon dif- cours fur la néceffité de f obferva- tion , même mémoire, il nous en a promis un Traité plus ample & plus certifié par de nouvelles expé- riences ; mais. ... Le pivot qu’il nous a annoncé, lui a fans doute paru trop défeûueux, après y avoir réfléchi, pour y avanturerles gonds de la méchanique, fans courir les rifques de nous agacer. Il avance , a que les Phyficiens & les Phifio- » logiftes pnt dit que nos fenfations » ne font 'cfaifées que par le con- » cours des efprits animaux dans » les filières nerveufes, & par les di- » vers contaâs des objets qui frap- v peut nos fens. Je ne fais, dit-il , » s’ils ont bien compris ce que c’eft » qu’efprit animal , du moins les » idées qu'ils nous en ont tranfmi- » fes, font fort obfcures. Il eft pro- » bable, ajoute-t-il, que les elprits » animaux ne font autre choie que »le fluide éle&rique, «ju* e/ 1 la » caufe efficiente de nos fenfations ». J’ofe aflurer l’Auteur , qu*il eft dans l’erreur, non-feulement quant au fyftême qu’il par oit adopter , mais encore fur ce qu’il dit des Phyficiens & des Phyfiologiftes , qu’il a mal interprétés. Je ne m’arrêterai pas ici à faire 20 fanaljfe des fyflêmes qui ont été publiées fur la maniéré dont nous voyons & concevons les objets dans des traités d’optique , dioptique , catoptriqus & autres ; pour établir celui que je donne fur les ruines de ceux-là, parce que je ferols obligé de fortir des bornes que je me fuis prefcrites ; & qu’en outre, mon deffein n’efl pas de difcuter avec les Auteurs de ces ouvrages. Je me permets feulement de leur obfèrver que la chambre noire > fur laquelle ils fondent toutes leurs propofitions, leur a fourni des Idées différentes de celles qu’ils dévoient adopter; parce que les rayons qui partent des objets extérieurs, pour fe rendre fur les parois internes de îachambre, & y peindre les objets renverfés, ne font point du tout la caufe de leur croifon au paflage du trou , mais bien la reflexion des rayons fur les parois de celui-ci. En outre, ils ont conclu que notre œil faifoit le même effet que le trou de leur chambre noire ; ce qui efl ab- fur de. La faculté de voir les objets dans leur fituation naturelle , a fait le lîi- -4 y jet de plufieurs lavantes differtations. Leur but étoit d’établir la raifon pour laquelle, avec nos deux yeux ? nous ne voyons qu’un feul objet, tandis que fon image paroit être tracée au fond de chaque œil, fui» vaut plufieurs expériences qui ont été faites pour venir à cette connoif- fànce. On ne s apperçoit qu’on eft dans l’erreur, même à l’appui de l’obférvation & de l’expérience ré- pétée , que lorfqu’on voit de la contradiÊHon entre le phyfique &c le métaphyfique , par le défaut d’une jufte application. En effet, le vrai fyftêxne de notre maniéré de voir & de concevoir ? n’a été ignoré juftpuci 7 que parce qu’on s’eft buté fur la vifion dés objets renverfés & la croifon des rayons de lumières, avant leur paffage du cry ftallin ; ce qui n’exifte pas, com. me je le prouverai dans la fuite. Le genre nerveux eft reconnu pour le principe de nos fenfations. Nous concevons par deux opéra- tions ; la fenfation & la réflexion : nous pouvons fentir fans réfléchir ; mais cette derniere opération ne peut avoir lieu fans la première ; ainfî, lorfque nous avons réfléchi fur un objet quelconque , il doit s’être précédé une fenfation» Dans les premiers jours de notre exif- tence ? nous avons la faculté de fen- tir , fans avoir celle de réfléchir ; autrement il faudroit accorder que nous avons des idées innées , & nier que les .objets extérieurs ne produifent pas nos idées ; ce qui fe- roit abfurde. Les rayons qui partent des ob- 24 jets qui nous environnent ; vont faire, malgré nous, leur impreffion fur la Retlne , fi nos yeux font ou- verts ; mais , d’une quantité de rayons qui partent d'une quantité d’objets , il n’y en a qu’un de ces derniers qui emploie la réflexion , comme je l’expliquerai ci-après. Un fou efl: fufceptible de fentlr, lorf- qu’il eft frappé ; mais il ne l’eft pas de réfléchir fiir un objet qui le frappe ; & quelle en efl: la raifon? Parce que , s’il réfléchiifoit * il cef- feroit d’être fou au moment de la réflexion qui efl: une connoliiance que l’elprit prend de fes propres opérations & de leur maniéré de s’opérer. Il nous refte donc à con- noître de quelle façon la fenfation s’opère dans le méchanifme de l’œil, pour avoir , par le moyen de la réflexion, la faculté de raifonner for la maniéré que les objets font vus & conçus. Du Phyjique de la Vijîon Les rayons qni partent d’un objet, vont fe rendre au fond du globe de l’œil, s’ils ne font point interceptés dans leur paflage hors du globe, parce que les humeurs qu’il contient, & les capfules qui les y retiennent, font tranfparentes. Si de l’objet z , il en part un feul rayon qui fe trouve indi- que par le nombre 4 ; 11 pafle par le centre de la cornée au point G, par celui du cryftallin > au point G ? pour enfulte parcourir l’hu- meur vitrée , & arriver fur la Ré- tine, au point B, & y être abforbé par le méconium qui tapllfe la cho- roïde. Si-tôt que ce rayon eft ar- rivé fur l’organe immédiat de la vue ,il y fait une impreffion, ou fi vous voulez, 11 y produit une efpece de fecouffe qui lui eft fen- fible, & qui va fe communiquer au cerveau ; de-là , fenfation. Cette opération achevée, nous réfléchit fons fur l’objet d’où part le rayony foit fur fa couleur , fi nous avons une connollfance première des cou- leurs, folt fur fa rondeur ou autre forme par la même raifon ; alors nous nous en formons une idée, qui fait l’objet de la conception* Si ce rayon qui part du point indiqué par le nombre 4. , n’étoit pas ab- forbé fur la Retlne au point, B, il continueroit fa route pour aller jufques fur la furface de la Cho- roïde ou de la Sclérotique r s’il nétoit pas plus abforbé fur la Cho- roïde que fur la Retlne, fans opé- rer la fenfation. La nature n’a donc revêtu le Choroïde de méconium, que pour abforber les rayons qui viennent ébranler la furface de la Retine. On objeâerapeut-être ici qui! y a des animaux dont la Choroïde eft dépourvue de méconium , & qui jouiffent cependant de la faculté de voir. Ce fait ne peut être une ob~ jeftion, qu’a fon défaut l’homme, dont l’organe en fera dépourvu, ne dût être Drivé de la douce fa- x îisfaâiond’appercevoir, parce qu’il importe peu que les rayons foient abforbés par le méconium ou par d autres difpofttions des parties qui compoknt le globe de l’œil. Ce point de Phyfiologie eft trop dé- licat , & demande une diflèrtation trop longue pour le deffein que je me propofe ici ; c’eft pourquoi, je renvoi le Le&eur à la leâure d’un Mémoire fur les maladies in~ ternes du globe de l’œil, qui con- tient trois obfervations relatives à ce lu jet. La fimpîe fenfatlon que produit fur l’organe immédiat de la vue des rayons qui partent d’un objet,, n’eft pas fuffiiante , même avec le re- cours de la réflexion, pour nous le faire concevoir dans toutes fes qua- lités & modifications , fi nous n’a- vons pas des connoiflances fur les différentes idées qu’il peut nous préfenter. Un aveugle de naiffance, à qui l’on fait l’opération de la ca- tara&e , en fournit une preuve évi- dente. Nous i’inftruirons, autant qu’il nous fera poffible , dans le tems de fon aveuglement, pour lui 30 donner la faculté de réfléchir fur des objets qu'il ne voit pas encore : nous ne réuflîrons jamais ; parce qu’il eft impoffible que nous pro- duifions en lui une réflexion qui ne peut avoit lieu qu après l’opéra- tion de la fenfation. C’efl: par la même raifon que nous ne pouvons prêcifément dire, malgré que nous ayons idée des couleurs, toutefois après les avoir acquifes, de quelle couleur efl: un objet infiniment petit, quoique nous le voyons réellement. * Suppofons , par exemple , * N. B. Je ne rapporte pas ce fait comme nouveau , mais feulement pour me fervir de preuve. que nous ayons fait tous nos ef- forts pour faire entendre à un aveugle de naiflance que l’objet à lui préfenter , lorfqu’il aura re- couvert la vue , efl: d’une forme ronde ou quarrée , d’une couleur bleue ou rouge , d’un plane uni ou rayé ; nous lui donnerons l’ob- jet à manier , afin qu’il acquière la faculté de réfléchir , d’après les fenfations qu’il en aura éprouvées. Cela bien entendu, procédons à l’opération & enfuite aux expé- riences fuivantes , après que fes yeux feront fains. Plaçons l’objet en queftion à la diftance de fix pieds de l’opéré ; &, fans le pré- venir , mettons-en un autreà côté, à-peu-près de la même forme , mais d une couleur différente , & dont le plane différé de l’autre. Fanons lui voir feulement les deux objets , & l’interrogeons fur les idées qu’il en a quant à la forme, àla couleur, &c. Que peut -il répondre ? Qu’il apperçoit deux objets 5 mais qu’il ne peut dire le- quel des deux il a touché dans le tems de fon aveuglement ? quoi- qu’il ait une mémoire parfaite de l’objet. Donnons - lui enfuite les deux objets à manier, nous remar- querons qu’il ne fe trompera point. Quelle eff la raifon de ce phéno- mène ? C’eft qu’il nous étoit irn- poffibie de lui procurer une fenfa- tion qui eût le même effet que celle qu’il éprouvé par lui-même ; donc qu’il faut plufieurs fenfations & ré- flexions pour nous procurer la fa- culté de concevoir un objet qui peut nous préfenter une quantité d’idées. Si l’Opéré n a pas pu nous dire lequel des deux objets étoit celui qu’il a touché avant l’opéra- tion , à la feule inlpeâiqn , il a en- core moins pu nous donner raifon de la différence des objets, cfeft- à-dire , s’ils étoient bleus quar- rés, &c. parce que ces connoif- fances exigent des fenfations pour s’en former des idées. On peut donc raifonnablement avancer que les réflexions font en raifon des fenlà- 34 tions, & que ces ne font pas en raifon des premières. Toute l’étendue de la Retine eft fufceptlble de recevoir l’impreffion des rayons de lumière *, mais plus il y en a de réunis fous un feul point , plus la. fenfatîon doit être vive. Lorsqu’un objet eft proche de l’œil , & qu’il a une étendue confidérable, tous les rayons qui en partent, ne peuvent avoir leur paffage dans le fond du globe de l’œil, fans interception ; c’eft pour- quoi , nous ne pouvons appercevoir Fobjet dans le même inftant, & tel qu’il efl:, fans en parcourir fuc- ceffivement tous les points 5 au moyen des mouvemens du globe ou de la tête. On a cru jufqu’ici, maïs a tort, que les objets qui partent d’un objet quelconque, fe croifoient; c’eft-a-dire, qu’un rayon qui part de l’extrémité fupérieure de l’objet, en fuppofant qu’il foit placé vertica- lement, vient fe rendre , après fon infertion , dans le globe de l’œil , à la partie inférieure de la circon- férence de la pupille, ôr que celui qui part de fon extrémité Inférieure, vient fe rendre à la partie fupé- rieure de la circonférence de la pu- pille , parce que tous les rayons qui partent de l’objet, paffent au fond de l’œil , fans qu’il foit né- ceflaire que le globe fe meuve, puif que l’objet eft entièrement vu. 36 Pour nous convaincre du con- traire , décrivons fur une muraille bien blanche, & fituée dans un lieu bien éclairé , une ligne noire tranf- verfale, d’un pouce de largeur fiir fix pieds de longueur 9 fermons en- fuite un œil avec l’extrémité des doigts d’une de nos mains, & fixons k la fois les extrémités de la ligne noire avec l’autre œil , éloigné dun pied feulement ; alors nous nous appercevrons que le globe de - l’œil fermé fe meut fous nos doigts pour fuivre les mêmes mouvernens de notre œil ouvert, avec lequel nous nous efforçons, mais en vain 9 de fixer la ligne en entier. Plaçons- nous enfuite à la diftance de fix pieds, un œil toujours fermé & l’autre ouvert, nous remarquerons que les globes des yeux ne font pas fujets à des mouvemens fi cor- fidérables, qu’ils l’étoient àla -.fil- tance d’un pied. Eloignons - no jufqu’à ce que nous appercevnons la ligne noire , fans mouvemens de globes ; pour lors nous conce- vrons aile meut cjne l’éloignement de l’objet & fon diamètre font de- venus vifibîement proportionnés à celui de la pupille ; & qu’a ce moyen, tous les rayons ont leur paffage au fond du globe de l’oeil. Les rayons ne fe croifent donc pas , pulfque notre œil efl: obligé de le mouvoir pour parcourir tous les points de l'objet. Un exemple va nous éclaircir ce fait plus am- plement. : Pour démontrer d une maniéré claire & intelligible que les rayons ont leur paflage au fond du globe de l’œil , fans fe croifer avant d’avoir parcouru l’humeur cryftal- line , fuppofons que de l'objet, AD , fg. % , il en parte fept ra- yons , & que le pupille ait fon diamètre égal à la quantité de trois, les rayons, i IK, z HL, 6 HL, 7 IK , ne peuvent avoir leur en- trée dans le fond du globe de l’œil, parce qu’ils font interceptés par l’iris aux points , KL ; mais, les rayons , 3 FECB , 4 GB* 39 5 FECB, ont la faculté de paffer fans interception. Le rayon cen- tral palTe, fans fubir de réfra&ion, jufqu’au fond du globe , pour ar- river fur la Retine au point , B ; les deux autres en fubiffent une parallèlement l’un à l’autre. S’il arrivoit que la convexité du cryf tallin fût moindre , le rayon , en fe réfra&ant différemment, fe ren- droit au point, X, & fon paral- lèle , au point, Z. Dans ce cas, la fenfation auroit lieu dans trois par- ties de la Retine, XBZ, quineft pas fi. vive qu'à la réunion du point, B. II peut auffi arriver le contraire; c’eft-à-dire, que le cryftallin foit trop convexe, & par conféquent faire fubir aux rayons une réfrac- tion bien plus fenfible ; alors le rayon du point, C * centre de la convexité du cryftallin, pafle au point, P , & fon parallèle au point, O , en fe crolfant au point, Y ; ce qui n’opere rien d’extraor- dinaire. S’il arrîvoit que nous voulut fions voir l’objet, AD , fans mou- voir le globe de notre œil 3 il faudroit que nous leloignaffions à une diftance qui rendît fon diamè- tre égal y du moins en apparence y à celui de la pupille ; pour lors il n’y a nulle difficulté à concevoir l’entrée des fèpt rayons dans le fond du globe. Si nous voulons voir 41 l’objet fans l’éloigner, il faut de toute néceffité 3 mouvoir le globe de notre œil ; mais, de cette fa- çon , nous ne pourrons le voir en fon entier dans le même tems. Si nous faifons un mouvement du globe , pour appercevoir les trois premiers points, le rayon , % HL, deviendra central , & palfera au fond du globe , fans lubir de ré- fraâion ; les deux autres, iIK , 3 FECB ? en fubiroiiî une paral- lèle ; alors les points 4 , j , 6, 7 ne feront plus apperçus, & ainfi du refte. Ce paffage dSreâ des rayons qui partent d’un objet quelconque, paroît bien plus naturel que de les faire croifer. Si nous faifons partir de l’objet, AD , les rayons, I F , z F , 6F , 7 F , décrits dans la fis- Qjne. 9 il ne faut que faire at- tention à la dilpofition des rayons & à celui de l’objet placé devant l’œil, pour s’appercevoir de l’inter- feâion avant leur paffage du cryf- tallin. Il faut donc conclure que quand un objet eft d’une étendue confidérable & proche de nos yeux, qu’il nous eft impoffible de le voir tout entier, fans qu’il s’opère un mouvement du globe ou de la f ête ; & qu’a ce moyen , il ne peut paft fer de rayons au fond du globe , qu’autant que le diamètre de la pupille eft étendu. Il faut auffl conclure que le paflage des rayons dans le fond du globe , eft en rai- fon du diamètre de la pupille & de l’éloignement de l'objet. Tous les hommes ne voyent pas les objets a la même diftance, parce que la forme du globe de l'œil & la conftltution des parties qui lecompofe, varient àTinfini. Il y a des vues de différentes es- pèces , telles que la myopie , la presbytie 5 &c. chacunes d’elles ont des caufes particulières , qui font a fiez connues pour me difp en- fer d’en parler. L’impoffibilitë d’appercevoir un objet à une dillance confidérable, eft aflèz facile à concevoir , fi on 44 veut fc donner la peine d'examiner que plus l’objet eft éloigné d’un œil, moins il ya de rayons pour faire l’impreffion fur la Rétine ; parce que les rayons qui partent d’un objet dont le diamètre eft plus étendu que celui de la pupille ? fe confondent enfemble. Pour eonnoî- tre au jufte le rapport de la confu- fion des rayons, & la diftance a laquelle nous ne devons plus voir un objet d’une étendue donné# 9 il faudroit que nous publions cal- culer exaâement combien il y au- roit de points indivifibles ? d’où il partiroit autant de rayons ; ce qui devient une opération difficile. Mal- gré cela , il eft poffible de s’en 45 -endre une raifon fuffifante par le ecours de Fhypothèiè. Suppolbns un point de réunion, M , fig. 5 , un objet, AB , dl- n(é en quatre parties égalés , & jue chacune d’elles forme un point ndivifible ; fuppofbns auili que de :es quatre points , il en parte juatre rayons qui vont fe réunir 1U point N 5 comme , AN, PN, ON , BN, Ces quatre diftances comprifes dans F objet ? AB, ne formant que quatre points indivifi- blés , nous ferons partir chaque rayon du centre de chaque dif- tance , & nous fuppoferons une quantité continuée depuis B jiif* qu’à M , & depuis A jufqu’à M , qui fait la fomme égalé d’une des diftances que nous fuppofons être des points indlvifibles ; parce que , fans cette fuppofition * il partiroit de Fobj et cinq rayons qui rendroient le calcul plus difficultueux. Plaçons l’objet, AB , àla dif- tance de , CD, même figure ? il y aura deux rayons de moins, parce que fon diamètre a diminué à proportion de l’éloignement ; & qu’à ce moyen , l’objet éloigné une fois de plus du point de réu- nion , N les rayons doivent 5 par fuite , être diminués de moitié. Si nous ne l’euffions éloigné que d’un quart, d’un cinquième, dun fixie- nie ? &c. il y auroit eu diminution 47 en ralfon de l’éloignement. II doit être entendu que le diamètre de l’objet ne diminue pas réellement ? mais feulement en apparence. Plaçons l’objet, AB , a la dit* tance, FF 5 du point de réunion , N , il n’y aura qu’un rayon de plus de diminué , parce que nous n’avons éloigné l’objet que de trois quarts du point de réunion ; en conséquence, il n’en doit plus par- tir qu’un rayon. Éloignons l’objet à la diftance., GH ? du point de réunion, alors il ne fera plus vi- fible , parce qu’il n’y a plus de partie de l’objet , d’où il puiffe partir de rayon ? pour opérer la fenfation fur l’organe de la vue. 48 On doit entendre que la diftance, FF , eft devenue égale à une des quatre comprifes dans l’objet , quoique la figure ne le démontre pas 5 parce que ceci n eft qu’un calcul d’imagination , qu’il eft im- poffible de décrire. La raifbn pour laquelle nous voyons des objets de même nature à de certaines diftances, tandis que d’autres nous y font invifibles , eft auffi facile à concevoir, Suppofons que la pupille , I, Jîg. 4, ait cinq lignes de diamètre ; que de l’ob- jet , MM ? il en parte cinq rayons de cinq lignes de diamètre chacun, & que l’objet foit dlftant de la pu- pille de vingt lignes , le troifieme 49 rayon dont le diamètre eft égal à celui de la pupille ,I, partant du milieu de l’objet éloigné de cinq lignes , fera également fenfible à l’organe immédiat de la vue, que cinq autres objets, chacun de même diamètre, & joints enfèmble 5 d’où il partira cinq rayons , a vingt li- gnes de diftance de la papille. Pour le convaincre de cetre vé- rité , calculons la confufion des quatre rayons inclinés, i Y, 2Y, 4 Z, 5 Z; alors nous remarquerons la juftefte du rapport de notre calcul des objets placés en AB , CD , EF , MM, Si nous comparons la diftance d D , a celle h M , qui défigne l’inclination & la confu- fion des rayons, nous verrons que la première ne fait que la moitié de la (bmme de la derniere , parce que les objets font diftans de la pupille une fois l’un plus que l’autre. Si nous comparons la diftance, bB, a celle, f F , nous verrons que la première n’eft que le tiers de la derniere, parce que les objets font diftans de la pupille un tiers l’un plus que l’au- tre; c’eft-à-dire, que , b B, eftà, / F , ce que , d D , eft à , h M, d’où il faut conclure qu’un ob- jet de même nature eft également vu à la diftance de cinq lignes, s’il a cinq lignes de diamètre, & la pu- pille autant ; que ce même objet feroit vu à la diftance de vingt li- 51 gnes 9 s’il avoir vingt - cinq lignes d’étendue 5 parce que la confufion des rayons inclinés eft toujours pro- portionnée à l’éloignement & a l’étendue de l’objet d’où ils partent. On eft étonné pourquoi > avec nos deux yeux y nous ne voyons qu’un feul objet ? tandis que chaque œil eft fefeeptibîe de recevoir l’im- preflion des rayons de lumière , qui viennent frapper l’organe immédiat de la vue. Il ne faut que fe donner la peine d’examiner deux objets a la fois , dont l’un fera placé a gau- che , & l’autre a droite, pour fe convaincre de l’impoflibilité qu’il y a de les voir féparément de chaque œil. Si nous nous efforçons de voir à notre droite & a notre gauche dans le même tems, & que nous voulions forcer l’un des globes de nos yeux avec nos doigts , pour rendre leur fituation non-parallèle , afin de voir feparémentdeux objets, nous fèntons que nous n’y parvenons qu’avec peine , &c fins être fatisfait de notre curiofité ; parce que , fi-tôt que le globe d’un œil eft force de fe mouvoir contre nature , la force qui l’oblige au mouvement, produit une fènfation beaucoup plus forte que l’impreflion des rayons far la Retine & qu’à ce moyen , la reflexion s’y emploie. Outre que nous ne pouvons réfléchir en même temps fur deux fènütxons , quoique imprimées dans inftant, c’eft que l’Auteur de la nature l’a ainfi voulu pour le foulage ment de chaque œil, & éviter la confufion dans laquelle nous fo- rions a chaque moment ; parce que, fi nous admettons que des yeux lou- ches , comme cela arrive, voyent à la fois deux objets différens de cha- que œil, nous ne pouvons pas, par la même raifon 5 accorder deux ré- flexions dans le même moment. L’exemple fuivant va nous rendre ce point plus familier. Le Strabifme ou l’œil louche eft occafionné par une fituation extraor- dinaire du cryftallin , qui fait fobir aux rayons qui partent d’un objet , des réfradions différentes de celles d’un œil. bien formé. S’il part du point, A , fig. 3 , un feul rayon ? il paffe diredement par le centre du cryftallin , O, pour arriver au point, B ; au contraire , s’il partoit du point, C, pour arriver au point, D, il faudroit que le cryftallin fût fitué comme, P ; autrement il fobiroit une réfradion dès fon infortion dans la cornée, au point, X, qui fo con- rinueroit jufqu’a , Y, où il feroit in- tercepté par l’iris. Les rayons, CD , dans les deux globes de la fig, 3 ? ne font point parallèle ;au moyen de quoi, ils ont chacun la faculté de voir féparé- ment : mais , comme il eft néceffaire qu’un œil fuive le mouvement de l’autre , par les raiibns que j’ai don- nées plus haut, le globe de Fœil , dont le cryftallin eft fitué extraordi- nairement, fait un mouvement de gauche à droite , pour rendre les deux rayons parallèle entr’eux. C’eft alors qu’un œil femble fixer un objet différent de l’autre , tandis qu’ils font tous les deux occupés du même. Ain- fi, nous ne devons pas être fiirpris de ce que nous ne voyons qu’un feul objet avec nos deux yeux, quoiqu’il s’opère une foliation lur chaque œil, puifqu’il nous eft impoffible de ré- fléchir fur deux objets différens dans le même tems ; c’eft ce qui fait que la multiplicité des fenfations ne peut nous faire entendre que nous de- vrions voir & réfléchir a deux objets leparés, {ans qu il y ait intervalle. FIN. Fùj. 1. Fùj. 3. F(9. z. Fùj, 4. ■ Fu/. 5.