DES MOYENS DE CONSERVER LA SANTÉ DES BLANCS ET DES NEGRES, AUX ANTILLES OU CLIMATS CHAUDS ET HUMIDES DE L'AMÉRIQUE. > ? DES MOYENS ^Sî/ DE CONSERVER LA SANTÉ DES BLANCS ET DES NÈGRES, AUX ANTILLES OU CLIMATS CHAUDS ET HUMIDES DE L'AMÉRIQUE. Contenant un Exposé des causes des maladies propres à ces climats et à la traversée , relativement à la différence des positions, des saisons, et des tem- pératures ; les procédés à suivre, soit pour les éviter, soit pour les détruire. Et le Traitement en particulier de quelques maladies commune» chez les Nègres, telles que le Pian, le Mal d'eftomac , & la Lèpre. \, ''*£:■ iJy' A SAINT-DOMINGUE; »«ww A PARIS, Chei Méquignon l'aîné, Libraire , rue des CordeJiers , près des Ecoles de Chirurgie. M. D CC. L XX XVI. AVEC P È'r M I S S I O \\ DISCOURS PRÉLIMINAIRE SUR les effets de la traversée d'Europe aux Antilles. JLi e premier effet qu'on obferve prefque auffitôt qu'on eft embarqué , c'eft l'indif- pofition qu'on nomme communément mal de mer. Ce font des naufées & des vomif- femens que le mouvement de la mer dé- termine. Cet effet n'a pas également lieu fur toutes les perfonnes, ni dans toutes les efpèces de bâtimens, quoique également expofés au gros tems ou à la mauvaife mer. L'habitude de la mer y rend moins fu- jet. La difpofition ou le tempérament rend auffi plus ou moins fufceptible des impref- fions du mouvement. On y eft beaucoup plus fujet dans les premiers gros tems que iL LA (SANTE DES BLANCS, &c. J Quand le mal de mer dure peu de tems , qu'il n'a lieu que dans le commen- cement de la traverfée, qu'enfuite le corps s'habitue aux mouvemens du bâtiment, il eft plutôt falutaire que nuifible : l'efto- mac fe nettoie, le corps fe fortifie, & on fe porte mieux après qu'auparavant. Or- dinairement il conftipe ; je l'ai vu arrêtée des dévoiemens qui étoient devenus ha- bituels, & qu'on regardoit comme incu- rables. Les mouvemens de la mer fortifient les entrailles, et rendent plus libre la circu- lation du fang dans les vaifleaux du bas- ventre. Les habitans des îles qui, exté- nués par des maux de nerfs, par des obftruâions au foie & à la rate , paffent en France pour y chercher leur guérifon, la trouvent fouvent dans le bâtiment où ils s'embarquent. Toutes les maladies ne font cependant pas fufceptibles d'être guéries par la mer; il n'y a que celles qui font l'effet d'une forte d'état convulfîf du genre nerveux , ou celles qui proviennent de raffoibiiffement & de l'embarras des vifeères du bas-ventre, que la mer détruife pour l'ordinaire. Mais les maladies au contraire qui font l'effet de réchauffement des humeurs, d'une LA SANTÉ DES BLANCS, &c. 5 de piment ; toutes ces chofes conviennent pour prévenir ou guérir le mal de mer, qui devient toujours très-fatiguant quand il dure trop long-tems. Nous n'avons jamais été à portée de voir une forte de colique qu'on dit au- jourd'hui être particulière aux vaiffeaux, 6c qui eft attribuée à l'infalubrité des éma- nations de la peinture, attendu qu'on n'ob- ferve cette colique que chez les officiers feulement. Il eft très-poffible, & même prouvé que les émanations de la peinture produifent cet effet, cependant moins en mer qu'à terre où l'air eft moins re- nouvelé. Nous avons navigué fur des bâtimens marchands qui étoient nouvelle- ment peints , mais où , à la vérité, la vie étoit ibbre &. laborieufe. C'eft une opinion affez généralement re- çue , que le changement trop fubit de cli- mat eft la caufe de prefque toutes les mala- dies que l'on voit en mer. C'eft en effet un principe certain en médecine, que le plus grand nombre des maladies ont leur fource dans l'infalubrité de l'atmofphere. Mais on fait auflî que ce qui rend l'atmofphèremal faine , n'eft pas quelques degrés de cha- leur de plus ou de moins ; c'eft l'humidité, le croupifiement fie l'infection de l'air. LA SANTÉ DES BLANCS, &C. 7 moins d'abord ; les fonctions fe font tou- jours , & la fanté fe foutient. Il faut que lestempéramensfoient naturellement bien pétulans ôc bien fanguins, pour qu'à bord des bâtimens, où l'on ne fetrouve à portée de prefque aucun excès, la feule raré- faction , déterminée par la chaleur, puiffe occafionner des hémorrhagies ou des épan- chemens ; c'eft ce que nous n'avons pas eu occafion d'obferver. La raifon eft d'accord avec l'expérience: tous ceux qui s'embarquent pour un voyage de long cours, officiers & matelots , font également expofés aux effets du change- ment de climat ; mais les uns & les autres font expofés à d'autres caufes de maladies toutes différentes: les matelots, qui logent les uns fur les autres à l'entre-pont, obli- gés toujours de fécher leurs hardes fut leurs corps , & qui ont une nourriture beaucoup plus mal faine, font beaucoup plus fujets aux maladies. L'obfervation apprend , & les journaux des navigateurs font foi, que les épidé- mies & les mortalités ont toujours com- mencé par les équipages, & ne régnent fur les bâtimens , que lorfque la trop grande quantité de monde furcharge & infefte l'air de trop d'exhalaifons mal faines; Aiv LA SANTÉ DES BLANCS, &C 9 & putride , & différer de ladiffolution pu- rement, féreufe qui conftitue le chlorofis -& la maladie d'Amérique qu'on nomme mal d'eftomac, en ce que dans ces der- nières il n'y a aucun mélange de putri- dité : il diffère auffi des fièvres peftilen- tielles, en ce que dans celles-ci la diffo- lution paroît être purement putride 8c dans le plus haut degré, fuivant ce que rapportent ceux qui ont vu ces maladies. Delà nous penfons que le fcorbut qu'on appelle froid , & qui s'approche infenfi- blement par nuances de celui qu'on nomme chaud, eft celui qui tient davantage à la première efpèce de diffolution, & que le chaud au contraire tient plus à la fé- conde. Ce que nous avançons ici n'eft pas de pure théorie. Voici l'obfervation. Nous avons vu ce qu'on appelle le fcor- but froid exifter fans fièvre, fans beau- coup de chaleur , cara&érifé par un fen- timent plutôt de froid que de chaud , par des Epulies, des Echymofes en manière de coups de verges le long des lombes, des feffes& des cuiffes, par de grands placards noirs fur les mufcles des jambes & des bras, qui devenoient en même tems fort durs ; par de fauffes anchylofes, fur-tout dans les LA SANTÉ DES BLANCS, &C II cartilages des jointures fouvent érodés chez ceux fur-tout qui avoient des hydro- pifies des articles ; chez ceux dont les car- tilages des côtes étoient vacillans, on y rencontroit une matière noire. Dans le fcorbut chaud , au contraire, nous avons prefque toujours vu de la fièvre , plus ou moins de chaleur, & plus ou moins de rapidité dans fes progrès, fuivant qu'il approchoit plus ou moins de la nature des fièvres peftilentielles ; plutôt des pétéchies que des échymofes. Nous avons vu cette efpèce beaucoup plus contagieufe & avec un degré de pourri- ture beaucoup plus grand , & être fou- vent la fuite du fcorbut de la première efpèce. Après la mort, les cadavres étoient auffitôt corrompus êc météorifés , & ne préfentoient par-tout que les effets & le caractère de la pourriture ; la molleffe & la lividité des chairs , une grande fétidité, le fang plus noir & contenant plus d'air dégage, beaucoup moins d'engorgement que dans l'efpéce précédente. Telles font les obfervations que nous avons faitesfurlefcorbutdans les hôpitaux où nous avons refté long-tems. Le peu que nous en avons vu de produit à la mer, LA SANTÉ DES BLANCS, &C 13 De Veffet du climat fur les tempèra- mens, & des moyens d'y remédier ou de l'éviter. Il fuit de ce que nous avons avancé, que l'air aux Antilles a moins de reffort qu'en France , fon aâivité ne venant que de l'agitation où il fe trouve : qu'il eft chaud & humide depuis le mois de juin jufqu'en novembre , moins chaud & plus humide depuis novembre jufqu'en janvier, quelquefois jufqu'en mars ; ordinairement tempéré en février , mars & avril; chaud & fee en mai, & quelquefois en juin : que fa température varie non-feulement par rap- port à la faifon, mais encore fuivant la difpofition des lieux ; il eft très-chaud dans les gorges abritées par les montagnes, tou- jours frais & humide dans les lieux élevés; toujours humide dans les lieux aquatiques; plus fec dans les endroits dénués de fources & de rivières : que , fuivant les heures du jour,la température change encore ; frais le matin & le foir, fouvent à incommoder, depuis le mois de novembre jufqu'au mois LA SANTÉ DES BLANCS , &c\ iç animalifés. Cependant la chaleur humide entretenant toujours un mouvement de pourriture, rend la bile plus abondante, mais d'autant moins aftive, que les fucs d'où elle émane ont eux-mêmes peu d'ac- tivité. Delà ces conftitutions molles, fen- iibles, pituiteufes 8c bilieufes que nous voyons* aux îles. La bile dans l'état de fanté , malgré fon abondance, n'agit que foiblement furies organes, Iaiffefou- vent ftagner les humeurs dans les entrailles, & n'empêche, dans aucun âge, la géné- ration d'une quantité de vers. Ce n'efl que dans le cas de maladie, quand cette humeur a été échauffée par la fièvre, ou altérée par les paflions de l'ame, que nous l'avons vue contracter une acrimonie infigne 8c corrofive. Mais cette conftitution, quoique géné- rale , n'eft pas égale dans toutes les fai- fons, dans tous les lieux, 8c chez toutes les perfonnes. Nous avons déjà vu que dans - les faifons chaudes 8c humides elle étoit plus bilieufe , ainfi que dans les lieux chauds 8c marécageux ; que dans les fai- fons fraîches 8c humides , ainfi que dans les lieux fort élevés, dans les montagnes, elle étoit plus pituiteufe ; que dans les faifons 8c les lieux fecs & chauds, elle LA SANTÉ DES BLANCS , 8cc. 17 Il y a enfuite la propenfion à fe laiffer aller aux abus 8c aux excès des chofes dont ils ont été privés fur mer. Delà,chez les arnvans , des maladies qui tiennent à la nature inflammatoire de leur tempéra- ment , 8c que la nature du climat rend bientôt putrides. Les Créoles au contraire , ainfi que ceux qui font déjà créolifés , ont la fibre naturellement molle, 8c, par cette même raifon, les nerfs très-fenfibles. Ils ont peu de force, mais beaucoup de véhémence; la vivacité fe trouve à côté de la langueur , 8c l'aéfivité près du découragement. La molleffe 8c la foupleffe mufculaire fe trou- vent réunies à la tendon nerveufe : le corps 8c l'efpritfont aptes à tous les exer- cices, fpécialement ceux des Créoles; mais ils font incapables de fe fixer 8c de léfifïer long-tems au travail : ordinairement avides des plaifirs; mais abfolument apathiques, fi l'ame fe tourne du côté de la trifteffe. Leurs humeurs, qui tendent à la diffolu- tion , 8c qui tendent plutôt à l'aigie qu'à l'alkalefcence , ont cependant un degré d'r.crimonie que leur donnent ! air falin ,les alrnens filés, 8c peut-être ani'i les affec- tions nerveufes. Elles font dans i'état de fanté moins près de la putréfaction, parce LA SANTÉ DES BLANCS , 8cc. 19 qui fe forment ont davantage le caraftère de l'inflammation; les fièvres bilieuies tendent beaucoup plus à la pourriture , 8c ont des fuites beaucoup plus funeftes que chez les autres où toutes les humeurs font lentes 8c muqueufes, le fang féreux 8c la bile peu active. Chez ceux-ci ce font les maladies chroniques qui font à craindre; mais ils font exempts des fièvres putrides malignes. Parmi les Nègres, les feuls fujets à ces fortes de fièvres font les Nègres domeftiques qui font bonne chère. Ceux qui boivent beaucoup de taffia font fou-» vent attaqués d'inflammations au foie, au bas-ventre , ou à la poitrine , lesquelles font toujours fort dangereufes 8c difficiles à guérir. La fortune 8c l'aifance cependant n'em- pêchent pas les perfonnes riches de tomber tout-à-coup dans une forte d'anéantiffe- ment d'eftomac; maladie qui confifte dans une dépravation des digeftions qui de- viennent de plus en plus difficiles, avec une forte de foibleffe 8c d'anéantifftment dans toutes les parties du corps. Cette ma- ladie, qui eft très-commune aux îles, vient fouvent à la fuite d'une indigeftion même légère : fouvent, dans les premiers jours, le malade ne s'en apperçoit pas lui-même ; LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 23 font aifément reconnoître celui qui fe créo- life, c'eft-à-dire , qui s'habitue au climat. Nous ne prétendons pas néanmoins avan- cer que les hémorrhagies ne puiffent ar- river aux îles ; nous y en avonsvu de toute efpèce, produites par l'érofion, l'engorge- ment , 8c la rupture des vaiffeaux ; mais il paroît toujours que celles qui font occa- fionnées en France , par une trop grande quantité d'un fang trop louable, font beaucoup moins fréquentes en Amérique. La maladie la plus ordinaire chez les femmes, 8c fur-tout chez les demoifelles qui ne font pas mariées de bonne heure , c'eft la fuppreffion des règles ; mais elle ne caufe point aux îles les mêmes dé- fordres qu'en France : les pâles couleurs en font fouvent les feules fuites. Les conftitutions font ordinairement plus fortes 8c plus fanguines dans les endroits les plus fains, c'eft-à-dire, dans les lieux fecs, bien aérés, moyennement élevés, 8c qui fe trouvent fitués entre la chaleur du bas des côtes 8c la fraîcheur humide du haut des montagnes. Quand le tempérament fanguin eft joint à beaucoup de molleffe dans la fibre , il dégénère bientôt aux îles en tempéra- B iv LA SANTÉ DES B L A N C S 8cC. 25 ties du fang un degré de cohéfion qui les empêche de tomber en dilïolution. Ces fortes de conftitutions qui ne font point iougueufes, fe livrent rarement aux excès, 8t fupportent aifément toutes les viciffi- tudes , i.; iui-rout les impreflions de la chaleur. Mais fi le tempérament phlegmatique eft accompagné de foibleffe des organes, de l'eftomac fur-tout, les fucs font mal élaborés, 8c abondent en crudités; le fang eft d'une texture plus foible , la bile eft peu aélive. C'eft le tempérament le plus ordinaire chez les nègres et les pauvres qui font depuis long-temps dans le pays ; ils n'ont point à craindre les maladies vi- ves , fanguines ni putrides : mais un Euro- péen qui paffe.avec un pareil tempérament, tombe bientôt dans un état de cachexie, 8c finit par périr au bout de quelques années, d'obftruftions 8c d'hydropifie. Les Créoles vivent long-temps avec ce tempérament. Les tempéramens bilieux font ceux qui réuffiffent le moins aux ifles, et ceux qui demandent le plus de ménagement. Ceux qui font bilieux 8c fecs , ont beaucoup à craindre des premiers effets de la chaleur, 8t fur-tout de l'abus des plaifirs auxquels leur tempérament les fait incliner. Ceux qui la santé des Blancs, 8cc 27 ou dans l'humidité des bois, éprouve une révolution beaucoup plus grande 8c plus prompte que celui dont la profeflion eft de travailler à couvert. C'eft par cette raifon que la culture de la terre paroît être im- praticable par les bras des Blancs, 8c que les Nègres nés dans le pays, ou dans un climat femblable , 8c accoutumés dès leur jeuneffe à ce travail, réuffiffent beaucoup mieux que les pauvres Blancs qui, quoique égalementaccoutumésau travail en France, ne le fupportent qu'avec peine aux îles, lorfqu'ils veulent fe mettre àterraffer ou à^ défricher des bois. C'eft ordinairement d'anciens foldats 8c d'anciens matelots res- tés dans le pays, qui s'occupent de ces exercices, auxquels,-ils ne réfiftent pen- • dant quelque tems, que par la quantité de rhum ou de taffia qu'ils boivent ; mais au bout de quelques années , on les voit bientôt tomber dans un état de ca- chexie t être attaqués d'obftruétions, parti- culièrement à la rate, 8c fuccomber fous le poids de la mifère, quoiqu'ils euffent tou- jours affez bien foutenu les fatigues de leurs premiers états. Nous avons toujours vu les foldats 8c les matelots conferver leur fanté , 8c n'avoir que quelques ma- ladies particulières , tant qu'ils ont été la santé des Blancs, 8cc. 29 moins animalifées; qu'ainfi le tempéra- ment national eft mou, fenfible, pitui- teux 8c bilieux , mais que ce tempéra- ment étoit dans le cas d'avoir des nuances vers d'autres tempéramens oppofés; que ceux qui réfiftoient le plus, aux îles, étoient le pituiteux 8c le fec; que celui qui réfiftoit le moins étoit le bilieux; 8c enfin que les tempéramens forts & fanguins avoient be- foin de beaucoup de ménagement d'abord. Nous allons maintenant entrer dans le dé- taildes précautions 8c des moyens à prendre pour conferver la faute* Quand les paffagers arrivent aux îles, 8c qu'ils débarquent, û la traverfée a été douce , comme elle l'eft ordinairement, il eft fort rare que la feule révolution qu'ils éprouvent puiffe par elle-même dé- truire l'équilibre, 8c produire une maladie décidée. Mais il arrive quelquefois que lorfqu'on a été fort échauffé par une tra- verfée longue 8c fatigante, on porte en foi le germe d'une maladie, quoiqu'on paroiffe affez bien fe porter, 8c que la révolution de la terre le diffipe ou le dé- veloppe. Quand on eft dans ce cas , on doit fentir la néceffué où l'on eft de prendre les plus grandes précautions. Autrefois les paffagers qui arrivoien: la santé des Blancs , 8cc. 31 que les bâtimens, après avoir traverfé les mêmes parages , en étoient exempts, quand ils avoient une autre deftinatioq. Ses caufes ne pouvoient pas non plus réfider dans l'intérieur du bâtiment , puifque d'autres bâtimens conftruits, ar- més 8c avitaillés de même , ne l'éprou- voient pas, quand ils alloient en d'autres endroits : enfin elle n'étoit pas endé- mique dans le pays, puifqu'elle ne pre- noit qu'aux arrivans, en fortant des bâti- mens; 8c quand d'autres l'avoient, ce n'é- toit que par le moyen de la contagion. Mais ce qui paroît éclaircir la difficulté , c'eft que cette maladie n'a régné que pen- dant le tems qu'on a mis à défricher les terres baffes 8c marécageufes des bords de la mer; qu'elle eft devenue plus rare à mefure qu'elles fe font defféchées , 8c qu'elle s'eft enfin éteinte , quand elles 1 ont été prefque entièrement. Ces exha- laifons, qui ne faifoient rien à ceux qui y étoient habitués, ( comme nous voyons encore que, dans les lieux mal fains, il meurt beaucoup moins de ceux qui y de- meurent habituellement , que de ceux qui ne font qu'y paffer ou y arriver), fai- fiffoient les Européens accoutumés à un air tout différent, déjà échauffés par la La Santé des Blancs, 8cc. 33 vant, pendant une quinzaine ^le jours ou trois fernaines , on fe livre à fes plaifirs, du côté des femmes , de la danfe ou des veilles : ces excès qui échauffent 8c épuifent en même tems, déterminent des maladies inflammatoires d'autant plus violentes 8c d'autant plus promptes , que les humeurs déjà échauffées font plus fufceptibles de raréfaétion & d'engouement; & que les fo- lides étant déjà érétifés 8c abattus par l'é- puiiement, l'aftion vitale eft dans le cas de fuccomber auflitôt que l'érétifme tombe. 11 eft encore d'autant plus difficile de por- ter remède à ces fièvres, que provenant de deux principes tout-à-fait différens, l'inflammation 8c l'épuifement , il n'eft guère poffible de remédier à l'un fans nuire a l'autre : les moyens propres à tempérer l'inflammation ne font pas propres à rele- ver les forces , comme ceux propres à re- lever les forces ne calment pas l'inflamma- tion. On eft fouvent obligé de s'en tenir aux grands foins, c'eft-à-dire à beaucoup d'affiduites de la part de ceux qui gardent, ( la plupart des malades périffant aux îles, faute de ces foins qui ne dépendent pas du Médecin), aux boirions tempéran- tes, Seaux lavemens de même nature ; les C la santé des Blancs, &c. 35 venir les maladies qui ont coutume d'at- taquer les débarquans : mais , à la longue , le tempérament s'affoiblit beaucoup plus que fi on prenoit un exercice modéré ; il devient vaporeux 8c languiiîant; l'aétion mufculaire s'affoiblit, tandis que la fen- fibilité nerveufe augmente 8c devient pref- que infupportable. Ce genre de vie , d'un autre côté , irrite les paffions, 8c déter- mine à tomber dans les excès dont nous vesons de parler. Si la vie oifive eft pernicieufe, l'abus du travail J'eft encore plus ; 8c il eft d'au- tant plus à craindre , qu'on eft plus nou- vellement débarqué , qu'on a le fang 8c les humeurs plus échauffés 8c plus difpofés à l'inflammation. Les voyages à pied font caufe de la perte de beaucoup de nouveaux débar- qués. Beaucoup de gens, en arrivant aux îles , font chargés de lettres de recom- mandation pour des perfonnes fouvent éloignées du lieu de leur débarquement; d'autres ont des affaires , 8c font le plutôt poffible les démarches néceffaires, d'au- tant que la vie étant plus difpendieufe qu'en France , bien des gens ne fe fou- cient pas de refter long-tems dans les auberges à depenfer leur argent ; d'autres Cij LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 37 dans les humeurs, qui déterminent des fiè- vres d'infolation, des maux de tête violens, 8c qùiépuilènt par les fueurs. Les boiffons acides 8c aftringentes , comme la limo- nade, le jus de pomme d'acajou avec de l'eau 8c une goûte de rhum , modèrent les effets de la chaleur; mais ce que nous croyons encore plus convenable , c'eft un peu de vin avec beaucoup d'eau. Il eft dangereux de fe laiffer mouiller parla pluie en Amérique; c'eft ordinaire- ment ce qui détermine les fièvres du pays , fur-tout h on laiffe fécher fur foi fes habits 8cfon linge ; 8c encore plus fi c'eft une pluie froide, comme font les pluies d'orage , qui furviennent après un foleil fort chaud 8c quand on eft en fueur. Il eft d'ufage dans le pays d'offrir aux voyageurs qui ont effuyé cet événement, un peu de rhum ou d'eau de vie; ce petit coup réveille le genre nerveux, relève l'a&ion des vaiffeaux , 8c rétablit la tranf- piration. Mais quand on a un bon parafol, on fe met à fa volonté à l'abri du foleil 8c de la pluie. Le tems où le foleil eft le plus à craindre eft celui où il paffe au zénith : il y paffe , comme l'on fait, deux fois l'année entre les tropiques 8c l'équateur. Les apoplexies C iij LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 39 état font obligés de s'en faire une occu- pation continuelle , font encore plus fujets qu'en France aux maladies des gens de lettres, aux maladies du foie 8c des en- trailles : il faut, pour prévenir ces mala- dies , entremêler l'étude de beaucoup de diffipation , 8c la rendre le plus agréable qu'il eft poffible. Celui qui étudie n'a pas toujours des objets agréables dans l'imagination ; 8c tout le monde fait combien font perni- ciëufes aux îles les peines d'efprit, l'in- quiétude 8c le chagrin. Les paffions font toujours d'autant plus fortes, que les nerfs font plus fenfibles; elles agiffent en raifon de Jeur force 8c de la difpofition qu'elles trouvent. Ces paffions qui, à motifs égaux, affectent davantage l'homme d'étude que celui qui travaille du corps ou qui s'amufe, l'homme d'efprit que l'homme ordinaire, précipitent dans la mélancholie , 8c la mé- lancholie fait des progrès rapides aux îles. Les paffions de l'âme influent toujours beaucoup aux îles fur la fanté. Il eft rare de voir les perfonnes gaies 8c contentes être malades ; mais il ne faut pas cepen- dant que cette gaieté de cara&ère porte à abufer des plaifirs. Nous n'avons vu la. colère très-dangereufe que pour les arri- C iv LA SANTÉ DES BLANCS, &.C. 41 modérément, boire à fes repas du vin avec moitié eau, 8c prendre à la fin un doigt de vin pour donner un aiguillon à l'eftomac. Les vivres du pays , quoique grofliers 8c peu nouriffans, 8c même les falaifons, ne font pas auffi mauvais qu'on fe l'ima- gine. Il faut cependant affaifonner les ra- cines 8c le poiffon de mer, dont on fait beaucoup d'ufage, avec des chofes propres à les faire digérer. Les falaifons 8c ces ingrédiens peuvent bien rendre la lymphe unpeu plus acre: mais comme les couloirs font toujours très-libres , cette acrimonie fe dépure par les fueurs 8c par les urines; 8c, malgré le préjugé , nous n'avons pas vu beaucoup de monde s'en trouver in- commodé , 8c en général nous avons vu le fcorbut, qu'on dit être produit par ces alimens, beaucoup moins fréquent aux îles qu'en France, quoique la plupart des Américains prétendent l'avoir tous, 8c qu'il fait partie de leur conftitution. On prend aux îles pour fcorbut la fimple éro- fion des gencives, caufée par une falive acre, mais fans épulies ni pourriture , ni aucun autre fignequi carafiérife le fcorbut. A Saint-Domingue on appelle diarrhée fcorbutique une forte de diarrhée le plus LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 43 ils ne font pas attention que la canelle 8c les autres aromates échauffans s'y trou- vent auffi ; ils ne font pas attention non plus que le climat a beau être chaud, qu'il eft d'expérience que les tempéramens finiffent par devenir languiffans 8c froids, 8c que le régime qu'ils confeillent ne peut s'étendre que jufqu a un certain point. Ceux en effet qui donnent dans cet abus, évitent à la vérité les maladies inflamma- toires 8c de raréfaction , que caufent ordi- nairement les autres excès chez ceux qui arrivent; mais le fréquent ufage des bains domeftiques 8c tièdes fur-tout, celui des limonades 8c autres boiffons acides, ne tar- dent point à détruire l'aétion de l'eftomac : ils n'ont pas d'indigeftions marquées, parce qu'ils fe ménagent; mais les digeftions de- viennent mauvaifes , la faburre s'amaffe , 8c au bout de trois ou quatre mois il fe déclare une fièvre putride. Nous réfumons des principes 8c des faits que nous venons d'avancer, que pour conferver fa fan té aux îles, il faut d'abord choifir le lieu le plus fain autant qu'il eft poffible; c'eft-à-dire, un lieu où le vent ne foit point arrêté , où par conféquent la chaleur ne foit pas fi grande, qui foit fec, pas fort éloigné de la mer, 8c qui ne la santé des Blancs, 8cc. 45 nemens comme ils viennent: manger mo- dérément , 8c ce qui fait le plus de plaifir: ufer enfin detoutcequ'il eft permisd'ufer, 8c être modéré fur tout. Ce font là les règles de conduite que nous avons à don- ner pour conferver fa fanté dans fon inté- grité. Il eft d'ufage aux îles de fe vêtir très- àla légère, & d'être prefque toujours en petite vefte de toile de coton. Cette ma- nière de fe mettre , qui échauffe moins 8c fe charge de moins d'eau quand on eft expofé à la pluie , a cependant un incon- vénient pour les Européens qui arrivent, 8c dont la peau n'eft pas encore accou- tumée aux impreffions du foleil. Quoique ces vêtemens foient blancs , les rayons paffent encore à travers, 8c font dans le cas d'incommoder , fi on n'eft pas muni d'un parafol. C'eft pourquoi nous croyons qu'il convient, fans fe charger de vête- mens inutiles 8c incommodes , de ne pas fe mettre fi fort à la légère dès en arrivant. D'ailleurs, quoiqu'on foit peu vêtu, on eft bientôt couvert de fueur pour peu que l'on s'exerce : fi on paffe en- fuite à un vent frais, comme il arrive tou- jours dès que l'on ceûe de fe remuer, la fueur qui fe refroidit glace la peau. 11 y la santé des Blancs , 8cc. 47 DES Caufes des Maladies, & des Moyens de les éviter. Oi la foibleffe du tempérament ou la fragilité humaine a déjà fait céder aux caufes extérieures dont nous»avons parlé, alors il doit exifter dans les folides ou dans les fluides un vice qui dérange la fanté , foit que le fujet s'en apperçoive, foit qu'il ne s'en apperçoive pas encore. Il n'eft point entré dans notre plan de traiter des maladies organiques, mais feu- lement des indifpofitions qui mènent à ces maladies , des maladies fimples, ou des principes des maladies. Nous avons déjà• imprimé à la Guadeloupe l'Hiftoire du pays , 8c nous avons donné nos obferva- tions à ce fujet beaucoup plus en détail à la Société Royale de Médecine. Nous avons vu ci-devant que l'effet des caufes extérieures tendoit au relâche- ment des folides, à l'affoibliffement des organes, 8c à l'appauvriffement( fi on veut nous paffer ce terme ) du fang 8c des humeurs. Nous avons vu auffi que les principales caufes conjointes des maladies, 8c qui dé- LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 49 points'expoferà la fuppreffion des évacua- tions de la peau. Ceux qui font nés dans le pays, ou qui y font habitués, prévoient les maladies de plus loin , parce qu'elles font moins vives d'abord, 8c que les caufes n'en font pas aufli foudroyantes chez eux que chez les arri- vans. Chez les premiers , c'eft un vice qui altère infenfiblement les folides 8c les fluides ; chez les derniers, la maladie naît pour ainfi dire de l'excès de fanté, d'un fang trop abondant, trop louable 8c trop-travaillé , de l'aflion trop forte des organes, difpofitions qui déterminent or- dinairement les maladies fans beaucoup d'avant-coureurs : ce font le plus fouvent des hémorrhagies , des épanchemens fan- guins , des inflammations vives , foit par- ticulières , foit générales , qui fe décident tout-à-coup. Mais ces maladies qui font l'effet de la pléthore vraie, ne font pas communes aux îles, même chez les arrivans, parce que la traverfée qui a échauffé le fang, ne l'a pas toujours rendu ni plus abondant ni plus louable. Les plus communes 8c les plus à craindre chez les arrivans , font celles qui proviennent de la raréfaction n D LA SANTÉ DES BLANCS , 8cc. 51 preffion de tranfpiration, un embarras qui fe forme, décide la maladie. Les bains froids font ce qu'il y a de plus indiqué pour tempérer la chaleur , calmer l'agitation nerveufe , 8c rappeler le ton. Mais quand les humeurs ont con- tracté un certain degré d'acrimonie , ou que l'eftomac eft plein de faburre , l'expé- rience apprend qu'ils déterminent la fièvre, 8c que fouvent le premier accès prend dans le bain. Une petite faignée détend 8c relâche, rend la circulation plus libre 8c plus ré- gulière ; mais nous avons vu auffi que quand la maladie étoit trop proche , elle la determinoit. Ces moyens font bons à employer quand la difpofition à la maladie n'eft pas encore pouffée trop loin. Ce qu'on peut employer en tout tems, fans crainte de révolution , font les lave- mens d'eau froide, les boiffons tempé- rantes , aigrelettes , comme l'orangeade aigre , la limonade cuite, 8c celles qu'on peut préparer avec tous les fruits aigrelets du pays , infufés 8c exprimés à froid dans l'eau , 8c auxquels on ajoute un peu de nitre purifié ; ou bien l'eau de veau ou celle de poulet acidulée. Ouand les nerfs font dans une agitation Dij « LA SANTÉ DES BlANCS, &C 53 fe font plus que lentement, ne tardent pas à s'altérer, 8c on voit bientôt des in- digeftions fréquentes, des digeftions dif- ficiles. 8c mauvaifes , des embarras dans les vifcères : la cachexie 8c la décompofition féreufe dans les humeurs font une fuite de cet état. Les moyens de remédier à cette mol- leffe font le changement d'air, s'éloi- gner de l'humidité 8c de la chaleur; cher- cher un air plus vif, un exercice modéré, une nourriture sèche 8c en même tems fucculente, boire de bon vin modérément, 8c le boire pur à la fin du repas. Nous avons obfervé qu'un petit verre de bon vin de Rota, de Malaga ou d'Alicante , valoit mieux à la fin du repas, qu'une plus grande quantité de vin ordinaire , fur-tout quand il eft médiocre, parce que , dans ces cas, l'eftomac, qui a befoin d'être réchauffé , ne l'eft pas affez par une petite quantité de vin ordinaire , 8c qu'une plus grande quan^ tité donne fouvent des aigreurs qui n'an- noncent pas que l'eftomac fe rétabliffe. Nous avons vu alors de bons effets d'un peu d'eau de vie prife avec du fucre, à jeun , 8c après le repas ; ainfi ques de» élixirs ftomachiques, comme celui de Ga~ rus 8c autres. Nous avons guéri beaucoup Diij LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 55 beaucoup fouffrir, 8c fondent à vue d'oeil. L'exercice modéré convient dans cet état ; un air ni trop fec ni trop humide , mais qui foit vif 8c frais ; beaucoup de dif- fipation; la fociété ; les bains froids à la rivière dans une eau bieu courante ; les lavemens d'eau froide 8c les ftomachiques dont nous avons confeillé l'ufage dans le cas précédent, à l'exception des liqueurs purement fpiritueufes, qui feroient encore dans le cas de porter le trouble dans le fyftême nerveux. J'ai vu de fort bons effets du vin de Malaga 8c de l'île de Palme , ayant été dans le cas de faire cette obfer- vation fur moi-même. Quand le fang 8c les humeurs reftent en partie crues, 8c que leurs molécules tendent conftamment à fe défunir faute d'une aétion organique fuffifante dans les vaiffeaux ; que la partie lymphatique efl lepte , épaiffe 8c muqueufe ; 8c que le fang, malgré la diffolution féreufe dans laquelle il fe trouve, paroît d'abord noirâtre 8c boueux dans les veines, à caufe de la foi- bleffe de la circulation, 8c enfuite, au bout d'un certain tems de cette difpofition très- prochaine à maladie , clair fans confif- ftance, 8c femblable au vin clairet, comme il eft chez les Nègres attaqués de l'efpèce LA SANTÉ DES BLANCS8cc 57 avec les hydragogues, en même tems qu'on augmente le ton par les cordiaux 8c les ftomachiques : le fer eft un excellent re- mède dans les cas de diffolution. Le fang a une difpofition particulière à fe changer en bile , quand le fond du tempérament eft naturellement bilieux ; quand le chagrin affeâe un tempérament fanguin , 8c qui ufe de bons alimens, gras fur-tout; ou lorfque la chaleur 8c l'humi- dité agiffent de concert fur ce même tem- pérament: c'eft enfin le plus fouvent aux îles une fuite du relâchement des organes, 8c de l'abus des purgatifs. Dans les fièvres jaunes , ou qui tiennent au même carac- tère , c'eft l'effet des miafmes particuliers quiinfeétent le fang; mais ceci eft un état purement pathologique qui n'entre point dans notre Traité. On connoît aifément que le fang fe charge de matières bilieufes, par la cou- leur jaune ou terne que prend Je fujet, parce qu'il s'en fait une plus grande excré- tion par les premières voies , que cette humeur regorge fouvent, dérange &: af- faiblit l'action des organes de la digefiion. La bouche devient amère & échauffée; les yeux font jaunes; le vifage eft rouge 8c jaunâtre ; on fe trouve dans une efpècg LA SANTÉ DES BLANCS, Sec 59 pas d'abord enflammée, 8c que cette fièvre n'eft encore qu'intermittente, tierce ou dou- ble tierce : on peut, dis-je, il faut même auifi- tôt, 8c avant qu'elle ait pris un caraéfère, c'eft-à-dire, qu'elle foit devenue continue, ce qui arrive rarement avant le 5e. jour, profiter du tems que l'érétifme n'eft pas en- core décidé, pour faire vomir avec ménage- ment , appliquer les véficatoires , 8c taire prendre du quinquina; on purge après que la fièvre eft arrêtée : par cette méthode, on pourra le plus fouvent prévenir des fièvres putrides malignes , longues 8c très-dange- reufes. Nous ne parlerons point de ces fiè- vres, parcequ'ellesnefont pas denotre objet. On trouvera extraordinaire que nousr preferivions du quinquina dans une fièvre bilieufe avant d'avoir purgé ; tandis que l'expérience apprend , que le quinquina adminiftré ainfi , quand il y a encore de la faburre , change la fièvre intermittente en fièvre continue, fans qu'on puiffe trop favoir comment. Mais l'expérience nous a appris auffi que cette méthode réuffiffoit aux îles dans les cas que nous avons dé- terminés. Il y a apparence que l'iffue qu'on donne aux humeurs par les véficatoires, dépure la maffe de la portion altérée par le quinquina ; fouvent même on fe dif- penfe de faire vomir. *• LA SANTÉ DES BLANCS,&c. 6l de bon vin de quinquina aromatifé avec la canelle. Dans l'extrême chaleur 8c l'extrême fé- chereffe, la bile devient exaltée, sèche , rougeâtre 8c volatile ; elle détermine fou- vent, dans les lieux fecs 8cchauds fur-tout, des inflammations au foie qui font fort à craindre , des fièvres de nature éryfipéla- teufe , ayant, àcaufe de l'érétifme , quel- que chofe qui les fait reffembler au caufus, mais qui ne font ordinairement ni longues ni dangereufes : ce font les fièvres de juil- let. On connoît cet état de la bile, par une chaleur plus grande dans tout le corps, des picotemens , l'altération , la rougeur 8c la féchereffe de la langue ; les yeux de- viennent rouges 8c jaunes en même tems. Les lavemens à l'eau froide conviennent beaucoup alors : il faut de la tranquillité, des bains , des boiffons froides & acides, l'ufage des fruits acides du pays, du corof- fol, de l'acajou 8c des grenadines ; manger moins qu'à l'ordinaire. Quand les orages amènent des pluies qui viennent joindre l'humidité à la grande chaleur, les humeurs deviennent moins sèches; la bile eft plus jaune ou plus ver- dâtre ,moins chaude 8c moinsexaltee, mais plus difpofée à la pourriture : les maladies la santé Des Blancs, 8cc. 65 beaucoup d'acides, 8t entretenir la libené du bas-ventre. La faburre des premières voies indique naturellement la purgation ; cependant il feroit très-imprudentdepur- ger dans les cas dont nous parlons, où il y a toujours un échauffement confidérable. Quoique dans prefque tous les autres cas ordinaires les purgatifs 8c les vomitifs agiffent plus foiblement qu'en Europe, en raifon du relâchement naturel de la fibre, cependant nous avons vu beaucoup de per- fonnes périr par l'effet des purgatifs 8c des vomitifs adminiftrés mal à propos. Dans ces fortes de cas, il en eft refulté des in- flammationsde bas-ventre qui étoient bien- tôt fuiviesde gangrène. Nous avons vu ces accidens arriver notamment fur plufieurs médecins 8c chirurgiens qui, trop enhardis par les fuccès 8c le peu d'inconvéniens des vomitifs 8c des purgatifs dans les mala- dies des Nègres, s'étoient empoifonnés par les remèdes qu'ils s'étoient adminiftrés im- prudemment. Il convient beaucoup mieux d'attendre 8c de s'en tenir à des boiffons tempérantes , aigrelettes 8c qui lâchent ventre : telle eft une légère eau decaffe 8c de tamarins, la tifane de feuilles de ca- néficier , à laquelle on ajoute le fuc de citron ou d'orange aigre, de l'eau de veau la Santé des Blancs, 8cc. 67 d'une 8c demie aux er.fans ; les graines de ci* tronpilées au nombre de huit ou neuf,dans deux cuillerées d'huile, foit d'olive , foit de palma-chrifti On fe fert encore aux îles du vent, du Brinvillier, foit en firop, foit en fimple décoction. Ce remède eft véri- tablement un poifon qui doit être très- ménagé. On donne une cuillerée de firop de Brainvillier avec autant de jus de citron qui eft regardé comme fon correctif : on en prend plufieurs jours de fuite, 8c on fait enfuite prendre de l'huile de palma- chrifti pour purger. Son effet eft de dif- foudre la partie rouge du fang, de former des concrétions dans les oreillettes du cœur & dans les ventricules, 8c d'occafionner fur toutes les membranes de l'intérieur une infiltration d'un fang noirâtre 8c diffous. Ceux qui en ont pris font incommodés de - vertiges, 8c d'une forte de tiraillement de l'œil dans l'orbite, pendant fon féjour dans l'eftomac. On devient froid. Il y a des habitans qui fe fervent du du- vet qu'on ramaffe fur le pois à gratter : on l'enveloppe avec du gros firop pour en faire des bols qu'on fait avaler aux en- fans qui ont des vers;ce remède en fait rendre beaucoup. Il y en a qui craignent ion ufage, parce que , lorfqu'on toucha LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 69 ment 8c de circonfpeâion, fuivant les cir- conftances que nous avons détaillées; à s'op- pofer à la formation 8c à la pourriture de ces mêmes humeurs dans le tems où elles y tendent le plus, en employant les moyens propres à foutenir le ton des organes 8c à détruire le levain fébrile , tels qu'un peu de vin de quinquina, une tifanne de feuilles de caneficier ; 8c à éviter, autant qu'on le peut, les caufes déterminantes qui peuvent mettre en jeu les caufes pré- difpofantes , 8c déterminer la maladie , telles que le grand foleil, la pluie , 8c les indigeftions. Outre les effets de l'abus dans les chofes non-naturelles contre lefquelles il faut être en garde, il y a encore celui de cer- taines chofes contre nature , les poifons. Ou peut fe trouver empoifonné for- tuitement, fans qu'il y ait de la faute de perfonne ; 8c on peut l'être par la méchan- ceté des Nègres. Il y adesalimensqui empoifonnent, foit par leurnature qui eft toujours vénéneufe , foit par la manière dont ils font préparés. Quand la farine de manioc eft mal faite, qu'on n'en a pas bien exprimé fon eau vé- néneufe , ou qu'on n'en a pas affez épuifé la mauvaife qualité par l'action du feu, il Eiij I LA SANTÉ DES BLANCS, 8cC. 71 àfucre,8c. qu'enfuite ils boivent du tafia,. il en réfulte prefque auffitôt des coliques- très-inquiétantes , produites par le déga- gement d'une forte de gaz : ces coliques, qui réfiftent à prefque tous les remèdes^ ordinaires , cèdent auffitôt qu'on a fait prendre au malade un mélange de leffive 8e d'huile. Beaucoup de perfonnes fe trouvent em- poifonnées par de mauvais poiffons; il faut fe défier fur-tout de celui qu'on nomme la Sardine Dorée , de la Bécune , de la Vieille quand elle eft fort graffe , 8c quel- quefois de la Carangue. Le Grosjean eft conftamment un poifon, ainfi que le Coffre à. corne. Il faut auffi éviter les crabes qui font pris dans les lieux où il fe trouve. des mancenilliers. On éprouve ordinaire- ment le poiffon que l'on fait cuire, en le fai- fant bouillir avec une cuiller d'argent; lorfqu'elle fe ternit, on le jette. L'effet de prefque tous les poifons de ce genre, c'eft d'occafionner Fe vertige 8c des fuffocations. Le Grosjean 8c la Bécune caufent auffi des cardialgies ôc des vomif- femens ; prefque tous donnent le délire 8c. font périr dans des convulfions. L'effet fe- condaire, lorfque le malade ne périt point d'abord, c'eft un vertige 8c des douleurs LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 73 quelquefois terminé les derniers accidens au moyen des bois fudorifiques. Il y a beaucoup de fubftances véné- neufes aux îles , dont on dit que fe fer- vent les Nègres pour empoifonner leurs maîtres, leurs femblables, ou les beftiaux. La prévention , à la vérité, fait fouvent prendre pour poifon ce qui eft maladie naturelle; mais il n'en eft pas moins vrai cependant qu'il arrive des accidens. La plupart des poifons qui font particuliers aux Nègres confiftent en certaines racines qui caufent à peu près l'effet des cham- pignons vénéneux, 8c qui laiffent prefque toujours furla langue des Nègres, des ta- ches noires qui ne s'effacent jamais;ou c'eft le mancenilier à petite dofe, 8c fous dif- férentes formes, qui peu à peu fait périr par l'eftomac ou la poitrine. Mais la plu- part profitent du peu de foin 8c de l'im- prudence de leurs maîtres, pour avoir de l'arfenic & du verd-de-gris. Ce font là les poifons les plus ordinaires. Il y en a auffi qui s'empoifonnent, fans le vouloir, avec des pommes de mance- nilier, 8c des amandes de médicinierj croyant manger de bonnes chofes; mais il eft fort rare cependant que cela arrive avec des pommes de mancenilier, parce- LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 75 lait 8c d'huile, calmer l'irritation de l'ef- tomac par l'application extérieure du jus de citron , 8c l'ufage des caïmans : on fait couler par bas ces fubftances nuifibles en faifant prendre de l'eau de mer. Le vinaigre réuffit dans la plupart des poifons qui affeétent les nerfs, qui ont une propriété affoupiffante, 8c qui caufent le vertige. Le jus de citron 8c les forts acides re- nflent à l'effet du Brinvillier 8c des autres poifons de ce genre. * Il y a des gens qui, par gaillardife, avalent beaucoup de piment. Cette grai- ne "extrêmement acre, qui leur irrite 8c échauffe l'eftomac, détermine des car- dialgies, des hoquets, 8c quelquefois des vomiffemens que l'eau froide 8c la limo- nade fur-tout arretentfouvent.il pourroit fe faire que l'eau-de-vie opérât le même effet. Quand on fait ce qu'on appelle de la chiquetaille, c'eft du piment haché que l'on confit dans du vinaigre. Il arrive que fi on s'en eft frotté les mains, il en réfulte une chaleur brûlante, 8c une dou- leur femblable à l'effet des véficatoires. L'huile n'y fait rien ; l'eau y fait peu de chofe : ce qui arrête fur le champ l'effet des, fçls volatils de cette drogue, c'eft LA SANTÉ DES BLANCS , 8cc. 77 lade des remèdes intérieurs. Aujourd'hui on fe fert communément de l'alkali vola- til , qui réuflit toujours quand il eft admi- niftré à tems, à moins que l'animal n'ait infinué fon venin immédiatement dans une groffe veine fanguine : auquel cas le remède n'a pas le tems d'agir. Il y a dans prefque toutes les Antilles des fcorpions qui font d'un gris de perle : on en eft quitte , quand on a été piqué par ces animaux , pour avoir la fièvre une couple de jours. Mais le fcorpion noir de Sainte-Lucie fait périr prompte- ment fi on n'y remédie. Nous ne l'avons jamais vu, & nous ne connoiffons pas le traitement dont on fe fert. Il y a encore dans prefque toutes les Antilles une forte d'infeéte gris à peu près du genre du fcorpion , 8c qu'on nomme bête à mille pieds, à caufe de la quan- tité de fes pattes. Cet animal a vers la tête deux efpèces de ferres ou de mor- dans, par le moyen defquels il infinue dans la peau un venin qui caufe une grande douleur avec chaleur, 8c qui donne auffi une fièvre de 24 heures. Là nature feule guérit ces accidens. Il y a à Saint-Domingue un infecte qu'on nomme l'araignée-crabe , dont la LA SANTÉ DES BLANCS, &c. 79 'quillifa le Nègre pour le moment. Mais quelques jours après , le chien mourut à peu près dans les accidens de la rage. Environ trois femaines après la morfure, la plaie du nègre, qui s'étoit guérie, fe rouvrit; il fe plaignit d'une douleur vive qui s'étendoit depuis le bras mordii juf- qu'à la nuque ; il délira enfuite , 8c de- vint hydrophobe. Ce fut alors qu'on me confulta , car je n'ai point vu le ma- lade. Comme je n'avois plus d'efpoir de le guérir par le mercure feulement, je con- seillai de lui faire boire une chopine de vinaigre en deux ou trois fois : le malade fua beaucoup , 8c fe trouva guéri. Ne l'ayant pas vu, j'ignore fi les récits qu'on m'a faits étoient bien fidèles, 8c fi le ma- lade étoit réellement hydrophobe. C'étoit loin de chez moi ; j'y fus deux jours après, & je le trouvai au travail. LA SANTÉ DES BLANCS, 8cC. 8t ÏV>n prétend dans Je pays qu'elle fe com- munique par l'intermède des mouches, qui, après avoir fucé le venin de la contagion , vont enfuite l'inoculer à des Nègres qui n'en font point affeétés. Si le fujet a un ulcère, foit aux jambes , foit aux pieds, c'eft par cet ulcère que fe fait l'inocu- lation , parce que les Nègres ont toujours ces parties découvertes ; c'eft la marque de l'efclavage, 8c c'eft auffi par-là que la maladie fe manifefte. L'ulcère devient plus putride, 8c s'étend par l'érofion de fes chairs 8c de fes bords ; les chairs de- viennent mollaffes,comme pénétrées d'une efpèce de morve jaunâtre, et fuintant une matière ichoreufe. Ses bords deviennent mous, jaunâtres , avec un engorgement ou un gonflement qui s'étend dans le tiffu cellulaire des environs, mais fans beaucoup de douleur ni de changement de couleur à la peau. On appelle communément ces ul- cères mères-pians. Il s'élève enfuite des puftules en différentes parties du corps, petites 8c sèches dans le commencement, mais qui ne tardent pas à s'étendre 8c à prendre le caractère que nous avons décrit. Quand la contagion fe fait par le fimple contaft d'un pianifte avec un autre pla- nifie , alors la maladie fe déclare à peu LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 83 fefte pas fur les ulcères comme le vénérien, en rendant leurs chairs plus dures 8c plus blanches, lardées d'une efpèce de matière fuifeufe , 8c leurs bords plus durs 8c plus blancs, 8c accompagnés d'une efpèce de pel- licule ou de fauffe cicatrice blanche 8c mince, qui s'étend affez au loin fur les chairs. Les ulcères pianiftes n'ont rien de tout cela : d'ailleurs cette maladie ne produit pas, comme le vice vénérien, une foule d'acci- dens différens, 8c qui fe fuccédent les uns aux autres. Elle fe borne à des puftules 8c à des douleurs dans les aponévrofes quand l'humeur eft répercutée : nous ne l'avons jamais guère vue attaquer les os, que chez les enfans nouveau - nés, 8c chez ceux qui avoient en même tems la maladie vé- nérienne. Celui qui contracte les pians n'a jamais autre chofe que des puftules ou des douleurs. Les pians, comme la maladie véné- rienne 8c beaucoup d'autres , fe con- tractent encore par hérédité. L'enfant d'une Négrefîe ou d'une Mulâtreffe pianifte naît avec les pians, des aphthes 8c des puftules à la bouche 8c aux parties de la génération, des gonflemens dans les os vers les jointures ; c'eft le feul cas où les fymptômes foient variés, 8e Fij LA SANTÉ DES BlANCS, 8cc. 85; tion fe fait très-long-tems après l'intro- duétion du virus , 8c après qu'il s'eft déjà dépofé fur les aponévrofes, 8c qu'il aoc- cafionné des douleurs; quand les pians, déjà fortis, ont été répercutés, 8c repa- roiffent une féconde fois; quand enfin ils paroiffent, après que la maffe des humeurs eft déjà infeétée. Il arrive fouvent que par l'effet d'un mauvais traitement, ou par des bains froids pris inconfiderement , le vice pianifte quitte la peau , 8c fe retite dans les par- ties plus profondes, fur les aponévrofes; alors les puftules difparoiffent 8c font place à des douleurs dans les bras, les cuîffes 8c les reins, 8c fur le devant de la tête : c'eft ce qu'on nomme douleurs pianiftes ou pians rentrés. Quand les pians font bien fortis, ces douleurs n'exiftent point. Nous avons vu de ces douleurs exifter très-long-tems , c'eft-à-dire, pen- dant fept à huit années; 8c enfuite, après avoir mis les malades dans un état de lan- gueur 8c près de périr , céder aux remèdes propres à faire reparoître les pians. On achète quelquefois des Nègres qui paroiffent fains, à la réferve de l'exté- nuation qu'on attribue d'abord au mau- vais traitement qu'ils ont reçu : ces Nègres F iij LA SANTÉ DES BLANCS, Sec. 87 niftes, ainfi que les pforiques, paroiffent naître du corps muqueux, 8c fe borner dans cette partie; peut-être même ces deux vices réfident-ils dans l'humeur qui conftitue ce corps. Mais il en diffère par le prurit qui n'accompagne pas le pian comme la gale; par les puftules du gros pian qui font toujours plus élevées que celles de la gale, qui ne font jamais par pla- cards ni finombreufes, 8c qui attaquent le vifage, tandis que les puftules pforiques femblentle refpefter. Il reffemble aux dartres humides & croû- teufes par la reffemblance de fes croûtes 8c des chairs qu'elles recouvrent; mais le pian eft circonferit, 8c, comme nous l'avons dit, folitaire, ce que ne font pas les dartres dont nous parlons. Nous ne le croyons pas une mala- die purement critique 8c dépuratoire, comme la petite vérole. Nous n'avons jamais vu l'invafion des pians fe faire autrement que fe fait celle de la gale. L'éruption de la gale fe fait fans qu'il pa- roiffe aucun mouvement critique inté- rieur qui la détermine, excepté que quel- quefois, dans des cas particuliers, il fe déclare , à la fuite d'une fièvre maligne , une éruption cutanée qui eft une vraie gale F iv LA SANTÉ DES B L A N C S 8cc. 89 avouons que c'eft auffi notre obfervation ; nous n'avons aucune connoiffance qu'un Nègre ou une Négreffe ait eu le pian une féconde fois , après avoir été bien 8c radi- calement guéri. Ordinairement les habi- tans prennent pour foignerleurs pianiftes, pendant le traitement, des Négreffes qui ont déjà eu cette maladie , 8c nous n'avons pas vu que ces Négreffes l'aient con- tractée de nouveau. Nous avons contre cette opinion prefque tous les chirurgiens du pays. Comme il y a une règle qui au- torife à ne payer que quand les pians font radicalement guéris, on foutient, contre l'opinion générale, que le pian eft un fymptôme de vérole qui peut fe contrac- ter de nouveau. Nous avons fouvent vu aux îles difpa- roître des pians que nous traitions par les friétions mercurielles. Nos pianiftes étoient enfermés, comme c'eft l'ufage ; mais au bout de trois femaines ou un mois qu'ils paroiffoient bien guéris , les pians reparoif- foient. J'ai traité par le mercure des pians qui ont récidivé ainfi, 8c m'ont obligé de recommencer plufieurs fois le traitement; mais je n'ai jamais vu de pians récidiver après fix mois de guérifon , fur-tout quand on avoit employé les fudorifiques. LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 91 roit donc préfumer que le vice pianifte auroit une plus grande affinité avec les fucs de la peau , avec cette humeur lubré- fiante qui remplit le tiffu cellulaire non graiffeux , 8c qui enduit les parties tendi- neufes Se aponévrotiques, qu'elle n'en a avec aucune autre. Au refte ce que nous avançons ici , n'eft que notre manière d'être affeétés; chacun eft maître depenfer à fa façon , quand il ne doit en réfulter au- cune conféquence pour la pratique. Le pian fec, ou petit pian , qu'on ap- pelle auffi pian caraïbe, nous ne favons pour quelle raifon , ne l'ayant point vu chez les Caraïbes , confiite en des puf- tules milliaires fèches , écailleufes 8c très- nombreufes,qui couvrent toute l'habitude du corps des Nègres. Cette efpèce de pian reffemble affez à la petite gale fèche , excepté qu'il n'y a point ou peu-de prurit; elle reffemble encore plus à la lèpre, avec laquelle elle paroît avoir beaucoup plus d'affi- nité que n'en a la première efpèce de pian. Beaucoup plus rare que cette pre- mière , elle nous a paru être un premier degré de la lèpre, 8c produire dans la fuite divers fymptômes de cette maladie, fans qu'il fût befoin , comme dans la pre- LA SANTÉ DES BlANCS,8cc. 9} fec qui fe répand fur tout le corps; ou bien l'humeur fe dépofe vers les jointures, ocycaufedes dépôts 8r des ulcères rongeans; ou elle fe fixe fur les tendons , 8c produit des efpèces de nœuds, d'où s'enfuit nécef- fairement leur rétraction ; ou elle donne naiffanceà une forte de dartre fans prurit, 8c que communément on nomme dans le pays dartres rouges. Ce font des taches plus ou moins grandes 8c plus ou moins nombreufes, de couleur de feuilles mor- tes , glabres , fans élévation, ni enfonce- ment , ni afpérité, 8c qui affeérent «ordi- nairement la figure ronde ou ovale : ces taches font regardées dans le pays comme un premier degré de lèpre, quoique fou- vent un Nègre les porte toute fa vie, fans être attaqué d'autre accident qui caractérife la lèpre. Il faut obferver que ces fymp- tômes ne font pas toujours l'effet des pians rentrés ; ils font plus fouvent en- core celui de la lèpre contractée immé- diatement par la contagion, ou par la naif- fance , ou enfin par certains alimens dont nous avons parlé. On voit encore fe déclarer à la peau des dartres écailleufes fouvent univerfelles, 8c avec plus ou moins d'infenfibilité; des tumeurs ou excroiffances en diverfes par- LA SANTÉ DES BLANCS , 8cc. 95 ne fe fond point , il refte un noyau qui* s'étend en largeur dans le tiffu cellulaire fous la peau, 8c gagne de proche en proche comme fait celui du cancer ; les bords de l'ulcère toujours gonflés 8c ten- dus fe déchirent 8c s'érodent peu à peu, 8c l'ulcère s'agrandit. Le fond eft une chair fongueufe , dure, rouge , luifante 8c fenfible , lardée de filamens blanchâtres 8c jaunâtres ; la fuppuration eft ichoreufe 8c fort acre; les bords font fongueux 8c élevés dans certains endroits, affaiffés 8c érodés en d'autres ; on fent dans toute la circonférence une du- reté 8t une tenfion dans le tiffu cellulaire fous la peau, quoiqu'elle n'ait pas encore changé de couleur, ce qui annonce que le mal fait toujours des progrès, 8c que l'ul- cère ne tend point à fa guérifon. Quand c'eft par le vice vénérien que le pian eft aigri, 8c qu'il dégénère en lèpre , c'eft prefque toujours par les tu- meurs 8c les ulcères ; les fymptômes dont nous avons déjà parlé ne viennent qu'après. Nous avons vu de ces fortes d'ul- cères parvenir, par beaucoup de foins, pref- que à fe cicatrifer; mais enfuite un nouvel embarras qui fe formoit au même endroit, rouvroit toutes les cicatrices, 8c détruifoit LA SANTÉ DES BLANCS,8cc. 97 rïeures qu'extérieures, 8c ne font point du tout particuliers à l'Amérique, ni aux Nègres. On appelle crabes de petites tumeurs ou glandules formées fous la peau de la plante des pieds, dans fon tiffu fous I'é-r piderme, 8c produites toujours par un dé- pôt qui s'eft fait en cet endroit de l'hu- meur pianifte, foit qu'elle ait été affez altérée par les remèdes pour ne pouvoir plus faire récidiver les pians, foit qu'elle ne l'ait pas encore été. Ces crabes, dans les tems de pluie, fe gonflent, foulèvent l'é- piderme épais 8c dur delà plante du pied des Nègres, l'entr'ouvrent, 8c paroiffent fortir à travers fous la forme d'une maffe de chair fongueufe , dure , luifante, 8c fort fenfible, qui empêche de marcher, 8c par conféquent de travailler. La faifon des pluies paffée , cette chair fongueufe s'affaiffe d'elle-même , rentre dans fon trou qui fe referme , 8c la crabe difparoît pour gonfler 8c fortir de nouveau au re- tour des pluies. Il y en a qui s'imaginent devoir traiter cette maladie intérieurement par les fu- dorifiques, afin d'en détruire la caufe radi- cale; mais fi les pians ont été réelle- ment détruits, la maladie qui n'eft que locale eft toujours guérie radicalement, LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 99 les pians. Ces dartres peuvent venir de différentes caufes ; mais comme elles ne fuppofent jamais aucunes fuites , quoi- qu'il foit affez rare qu'elles guériffent, pour 1 ordinaire on ne s'en inquiète point, 8c on n'y fait aucun traitement. Ceux qui veulent les guérir, les frottent avec de la poudre à canon 8c du jus de citron. Le prognoftic des pians, nous parlons des pians humides, n'eft pas plus fâcheux que celui de la gale , quand ils font trai- tés par les remèdes qui leur conviennent, 8c qu'on ne les fait pas dégénérer par dés imprudences ou par un mauvais traitement: il varie d'ailleurs relativement aux diffé- rences que nous en avons faites. ^ Lé pian local ou primitif eft très-fa- cile à guérir, fur-tout s'il n'y a encore que quelques puftules : comme la maffe des humeurs n'eft pas encore infeétée, on le guérit par la fimple cautérifation. Quand la maffe des humeurs eft infectée , alorsil n'eft plus.local ; dans ce cas plus il efl récent, 8cmoins il en paroîtfur lapeau, plus il eft difficile à guérir: plus au contraire il eft ancien, nous ne fuppofons pas qu'il foit dégénéré ni répercuté, 8c plus il yen: a à la fuperficie du corps, plus il eft facile à guérir. la Santé des Blancs, 8cc. ioi pouvoit fe guérir tant que le vice reftoit dans l'intérieur, que la peau étoit le féul organe excrétoire par où le levain pianifte dévoit être chaffé hors du corps, la pre- mière indication par conféquent eft de porter le virus à la peau. L'expérience a appris que le moyen le plus efficace étoit la fleur de foufre ; mais elle a auffi appris en même tems que ce moyen avoir, fes inconvéniens, 8c que dans le cas de dif- folution du fang , il la pouffoit vivement : il ne faut donc l'employer que quand le fang eft bien conftitué , 8c s'en abftenir dans le cas contraire, ou quand on craint l'efpèce de maladie commune chez les Nègres, 8c qu'on appelle Mal d'eftomac. On a vu auffi de bons effets, pour pouffer au dehors , de l'ufage du bouillon de gi- raumont,de celui de limaçon fluviatile du pays, qu'on appelle communément cau- daux , de tifanne d'écorce de mapou ou fromager, dont on fe fert auffi dans la pe- tite vérole, de bouillon 8t de chair de requin, de bouillon de petits lézards verds ou jaunes, qu'on appelle anolis dans les îles , de l'eau féconde de chaux faite avec les coquilles appelées lambis. Il fuit de-là que les préparations aux remèdes pour les pians doiyent être abr r ■ G iij LA SANTÉ DES BLANCS, 8cC 103 dans le pays par les médecins 8c les chi- rurgiens qui, regardant encore le pian comme un fymptôme vénérien , ou au moins cherchant à le faire regarder comme tel, continuent de fe fervir du remède regardé en France comme le vrai fpéci- fique de la maladie vénérienne, 8t dont ils ont étudié l'ufage. Us ont, à cet effet, foit chez eux , foit chez les habitans, un petit endroit, qu'on nomme la petite café, où ils tiennent renfermés les Nègres pianiftes , ainfi que les véroles , avec une ou deux Négreffes pour les fervir : ils leur adminiftrent des friétions mercurielles pen- dant fix femaines , 8c les mettent enfuite à l'ufage de la tifanne fudorifique du Co- dex. Voici quels font les effets de ces re- mèdes : il faut obferver qu'on prépare les malades, comme il eft d'ufage de préparer en France pour les grands remèdes. Au bout d'environ quinze jours la falivation eft établie, 8c une partie des puftules eft déjà éteinte ; l'autre partie eft beau- coup diminuée, 8c comme devant bientôt difparoître. La même chofe arrive quand même la falivation ne feroit pas encore établie. On continue le traitement, 8c au bout de quelque tems on s'apperçoit que les puftules loin de diminuer augmentent,. Giv NATIONAL LIBRARY OF MEDICINE Bethesda, Maryland /M*-- C^- i 2 Moyens de conserver dans les féconds ; les tempéramens mous 8c fenfibles en font plus affectés que les autres, 8clesfemmesplusqueleshommes. Plus le bâtiment fur lequel on fe trouve eft grand; plus les mouvemens paroiffent faire d'impreffion fur les entrailles. On eft plutôt pris du mal de mer fur un navire que fur un bateau, fur un vaiffeau que fur un navire, quoique cependant les fe- couffes foient beaucoup plus vives 8c plus fatiguantes dans un petit bâtiment que dans un grand. Le roulis , qui eft le mouve- ment que fait le bâtiment d'un de fes bords à l'autre, eft beaucoup plus dur 8c fatigue beaucoup plus, que le tangage qui eft le mouvement que fait le bâti- ment d'une de fes extrémités à l'autre : cependant il occafionne beaucoup moins le mal de mer, que ne fait le tangage qui paroît porter fur les entrailles l'effort réuni de toute la maffe du bâtiment. Nous avons éprouvé 8c vu éprouver dans quel- ques fecouffes de tremblement de terre, un tiraillement d'eftomac femblable à celui par lequel le mal de mer commence, quoi- que les fecouffes n'euffent été ni fortes ni longues. Le mouvement d'une voiture pro- duit fur quelques perfonnes un effet pa- reil à celui du mal de mer. 4 Moyens de conserver acrimonie dans le fang ou dans la lymphe, ne peuvent que s'irriter dans lestraverfées, comme nous avons eu occafion de le voir. Lorfque dans les premiers huit jours, ou après les premiers gros tems, les ma- lades , plutôt que de fe trouver mieux, empirent, il y a à préfumer que la mer ne leur fera pas falutaire. Les mouvemens de la mer fortifient; mais auffi ils échauffent 8c ne peuvent convenir à celui qui pèche par réchauffement 8c l'acrimonie. On a ordinairement plus d'appétit, 8c on mange davantage en mer qu'à terre , fur-tout après qu'on a vomi ; donc la cha- leur intérieure augmente, ainfi que l'aétion des organes. Tout ce qui eft propre à fortifier les nerfs de l'eftomac, à détruire le fpafme , ou à détourner l'irritation fpafmodique fur une autre partie, eft propre à prévenir, ou à calmer 8c même à détruire le mal de mer. Les antifpafmodiques , le fafran fur- tout , foit intérieurement, foit extérieu- rement fur le creux de l'eftomac ; le bon air, l'exercice , la diffipation tant du corps que de l'efprit ; l'odeur du vinaigre ou d'autres chofes fortes 8c agréables; les maf- ticatoires acres qui irritent la bouche, comme de tabac , de pirèthre, de poivre , 6" Moyens de conserver L'alternative du grand chaud au grand froid caufe bien des maladies; mais pour cela il faut une forte de furprife, ce qui ne peut jamais arriver dans un bâtiment j ai'qu i I faut ordinairement douze ou quinze jours pour paffer du grand froid au grand chaud. On voit rarement des maladies fur terre produites par l'alternative du chaud & du froid, lorfqu'en même tems règne là féchereffe, fi on en excepte des pleuréfies & d'autres inflammations , mais qui n'ont f»oint le caraftère épidémique. Les lieux es plus fujets aux maladies malignes, font ceux où l'air n'a pas un cours libre, 8c les plaines très-plates,qui confervent l'eau de la pluie: fi la chaleur furvient avec l'hu- midité , l'air s'infefte 8c produit des épi- démies malignes. Sur mer, fi l'air quelque- fois manque d'agitation , il eft au moins toujours libre; il ne peut y avoir en pleine mer d'exhalaifons maîfaifantes. Il eft certain néanmoins que le chan- gement de climat apporte du changement dans la conftitution des tempéramens ; mais ce changement s'opère en même tems fur les folides 8c les fluides, puifque les uns 8c les autres éprouvent l'effet du même agent ; l'équilibre ne fe détruit point, au 8 Moyens de conserver que lorfque les mauvais tems obligent de fe tenir renfermés dans le bâtiment, 8c de refpirer continuellement un air putride 8c infect, 8c qui le devient d'autant plus, qu'il fe trouve de plus en plus échauffé 8c fur- chargé de la tranfpiration de beaucoup de perfonnes; que quand une navigation plus longue 8c plus périlleufe que celle à la- quelle on s'attendoit, a porté l'ennui 8c la confternation dans le cœur de l'équi- page 8c des foldats ; que quand enfin l'eau 8c les alimens manquent, ou font cor- rompus. Il eft fort rare de voir le fcorbut fe déclarer dans les parages des Antilles, ainfi que dans le£ traverfées que l'on fait pour s'y rendre. Nous ne l'avons jamais vu aux îles que fur deux fujets, un blanc 8c un noir. Il étoit furvenu au blanc à la fuite d'une fièvre maligne ; le noir l'avoit contracté dans la traverfée d'Afrique en Amérique. Nous favons que le mauvais air des bâtimens négriers, toujours fur- chargés de monde , y rend cette maladie fort commune, quoique par fa nature elle foit beaucoup plus rare dans les cli- mats chauds que dans les climats froids. Le fcorbut nous a donc paru dépendre d'une double diffolution du fang, iereufe io Moyens de conserver genoux ; par des douleurs profondes dans toutes les extrémités inférieures , qui aug- mentoientle foir; par des douleurs extraor- dinaires dans les régions lombaires, 8c s'é- tendant le long des cuiffes ; fouvent par des hydropifies des jointures ; quelquefois par le détachement des cartilages des côtes d'a- vec la portion offeufe r détachement qui commence par une tumeur dans l'endroit de l'union, qui fe raffermit quand le fcor- but guérit, 8c finit enfin par J'hydro- pifie, ou une défaillance fubite en man- geant , en allant à la garde-robe , ou en s'habillant. A l'ouverture des cadavres, nous avons toujours trouvé le fang infiltré dans le tiffu cellulaire de la peau 8c des mufcles ; la membrane extérieure de tous les vif- cèresdu bas-ventre ordinairement noire 8c macérée, tandis que les autres étoient blan- ches; le cœur flafque 8c prefque vide; le fang dans les gros vaiffeaux noirâtre et diffous , 8cles cadavres exhalant une odeur aigre, fétide, 8c nauféabonde. Ceux qui s'étoient plaint le plus de maux de reins, avoient le tiffu cellulaire des environs de ces organes extrêmement noir; les eaux des hydro- piques étoient toujours fanguinolentes ; la fynovie étoit rouge Scgrumeleufe, & les 12 Moyens de conserver nous a fait connoître qu'il n'étoit pas beau- coup différent de celui que nous avions obfervé dans les hôpitaux de Paris. î4 Moyens de conserver d'avril, tandis qu'il fait toujours fort chaud dans la force du jour : tout d'un coup c'eft une pluie d'orage affez froide 8c qui tombe par féaux; la nuée paffée, c'eft un foleil qui deffèche tout-à-coup» Nous avons encore obfervé que les ali- tuensdu pays étoient groffiers,peu nourif- fans, 8c de nature froide tendante à l'acide; qualité qu'on ne corrige fouvent que trop par la quantité de drogues acres qu'on fait entrer dans les affaifonnemens. Nous ajouterons encore que tout travail efl dur £t fatiguant aux îles ; que les occafions de chagrin 8c de défefpoir y font très-fré- quentes , ainfi que celles de divertiffement, d'excès 8c de débauche. Celui qui arrive aux îles a d'abord le fang raréfié 8c difpofé à l'inflammation, tant par la chaleur du climat que par la fatigue du voyage. Le principe vital s'ir- rite facilement à l'abord d'une chaleur fu- bite. Mais l'effet fecondaire de cette cha- leur , eft le relâchement qui fuccède à la tenfion. Les folides ne tardent pas à fe détendre, à fe relâcher, 8c à perdre de leur aétion. Les fucs qui ont été raréfiés, fe diffolvent 8c dépériffent. Les organes bientôt affoiblis , les fucs demeurent plus çruds, plusaqueux, ce qu'on appelle moins it> Moyens de conserver devenoit plus sèche 8c plus inflammatoire, quand la féchereffe régnoit avec la fraî- cheur. A l'égard des perfonnes, les Européens qui arrivent viennent la plupart avec un fang riche, avec une fibre forte 8c roide que la chaleur parvient bientôt à relâcher, mais qui ne perd pas pour cela tout-à-coup fa première force 8c fa première vigueur. Ce n'eft qu'avec le tems 8c après plu- sieurs années, que les folides & les fluides, par l'action confiante d'une atmofphère chaude 8c le plus fouvent humide, par le changement des alimens , ou par l'effet des maladies, perdent abfolument leur pre- mière conftitution, fe créolifent, comme l'on dit, 8c que le tempérament fe met à l'uniffon du climat. Auffitôt qu'on eft débarqué , on eft expofé à l'aâion de l'air de terre, qui eft différent de celui de mer , 8c à celle de la chaleur qui eft auffi plus grande à terre qu'en mer. Il s'enfuit néceffairement une révolution dans l'économie animale, d'autant plus fenfible que les fujets ont été plus échauffés 8c plus fatigués par la mer ; révolution qui, fuivant les circonf- tances, peut être ou falutaire ou perni- cieufe. Il 18 Moyens de conserver que nos fucs font d'autant plus éloignés de cet état, qu'ils font peu animalifés : mais auffi elles font plus près de la diffolution fé- reufe, parce que leur agrégation eft moins parfaite. Outre qu'aux îles les tempéra- mens font pituiteux, bilieux, mous 8c fenfibles, il y a beaucoup plus de perfonnes sèches que de graffes, furtout celles qui ont les nerfs très-irritables. La peau eft ordinairement douce , molle 8c blanche. Les femmes font pâles. On ne voit guères de tempérament fanguin que chez les en- fans qui, dans ces climats, fur-tout dans les lieux fains 8c fecs, croiffent très-promp- tement. La fortune apporte encore des diffé- rences dans les tempéramens, à' caufe de la manière de vivre. Les perfonnes riches qui n'éprouvent ni mifère, ni chagrin , ni in- quiétude , 8c qui vivent à l'européenne, c'eft-à-dire qui ufent de bons aîimens 8c s'amufent, ont le tempérament plus fort 8c plus fanguin que ceux qui ont des peines de corps 8c d'efprit, 8c qui fe nourriffent mal, c'eft-à-dire des alimens du pays. Leur fang eft mieux coloré, plus rutilant, 8c tend davantage à l'inflammation. Toutes les humeurs font en général mieux conf- tituées; la bile eft plus active ; les embarras 22 Moyens de conserver 8c qui ont un tempérament fanguin, éprouvent de grandes révolutions en ar- rivant en Amérique, fur-tout s'ils donnent dans les excès où la nature de leur tem- pérament les porte naturellement. Autre- ment i'aétion lente de la chaleur 8c des autres agens influe infenfiblement, atta- que peu à peu leur conftitution primitive, fur-tout chez les Européens , jufqu'à la faire difparoître , ou au moins lamafquer entièrement. Si, dans la fuite, les fièvres, le chagrin 8c l'inquiétude s'y joignent, le tempérament s'altère au point que les fu- jets tombent dans un état cacheâique qui les oblige de faire un nouveau voyage de France , s'ils veulent éviter une fin pré- maturée 8c languiffante. Les Créoles bien conftitués, 8c qui n'ont pas forti du pays , n'éprouvent pas ces révolutions. Ce qui prouve encore le changement fingulier que le climat des Antilles apporte dans la conftitution du fang, en le rendant moins abondant, plus féreux 8c moins fougueux ; c'eft que nous avons vu beaucoup_de gens avoir été fujets en France à des hémor- rhag/eS, foefantes, & féléniteufes. Les îles qui font fort petites, 8c celles qui font plates, ou dont les montagnes font peu élevées, n'ont pas de rivières, & même peu ou point de fources. ^ Celles qui font petites, élevées , qui n'ont ni plaines, ni gorges , ni vallons, font les plus faines de toutes; comme or- dinairement la terre y eft mauvaife , elles "ne font habitées que par des hommes que la néceflhé oblige à endurcir leur tem- pérament par le travail, 8c qu'elle éloigne du luxe 8c de la molleffe. Les îles fous le vent ont à peu près la même difpofition, mais moins régulière: il y a auffi,dans les montagnes, des vol- cans , des pyrites, du fer, de l'aimant, & des eaux minérales. Les grandes Antilles n'ont pas la même difpofition ; elles paroiffent un affemblage de plufieurs petites îles réunies enfemble : Je payseft coupé en plufieurs fens par des n4 Moyens de conserver montagnes , des gorges, des vallons, des plaines très-étendues ; on y rencontre dans les plaines , 8c les montagnes baffes, du quartz, du fpath calcaire, des pétrifica- tions. On y voit auffi des terres affez éten- dues , nouvellement forties de deffôûs les eaux; les unes reçoivent encore quelque- fois la mer quand les marées font fortes ; les autres font devenues trop élevées 8c trop éloignées pour que la mer puiffe les atteindre; mais font encore trop falines pour pouvoir produire , 8c fe couvrent encore d'une croûte de fel après les inon- dations des pluies; les autres un peu plus loin, 8c que le tems a faturées 8c rendues plus douces, font très-fertiles ; au-delà' encore on en.trouve d'une fécondité ordi- naire ; 8c enfin , à mefure qu'ôrTs'éleve , on en rencontre d'autres qui font ufées 8c devenues ftérilës", tant pat l'ancienneté" de la culture 8c du rapport, que parles dégradations des pluies.', , Dans la plupart des îles il y a des en- droits marécageux, Humides8c mal fanis»' couverts, d'arbres,' 8c'qùé l'on homme' palétuviers: les plus pernicieux font ceux où l'eau de la mer croupit ; ceux qui le font moins font les palétuviers d'eau douce. la santé des Blancs, 8tc. 116 Nous avons dit que les îles du vent fe trouvant dans les vents alifés, la brife y étoit réglée de la partie de l'eft, depuis huit heures du matin en été , neuf heures en hiver, jufqu'à fix ou fept heures du foir : mais depuis la fin de novembre jufqu'en mars, le vent s'approche beau- coup du nord , & devient fouvent plein-nord ; alors il eft beaucoup plus froid 8c plus' nuifible. Dans cette même faifon il fouffle affez ordinairement de terre pendant la nuit: ce vent eft encore froid 8c mal fain. La faifon la plus chaude, qui eft auffi celle des orages, eft depuis la fin de mai jufqu'au commencement de novembre. Ce qu'on appelle l'hivernage, ou la faifon des ouragans , eft depuis la mi-juillet, jufqu'à la mi-octobre. Il tonne aux îles du vent à toute heure du jour 8c de la nuit. A Saint - Domingue les vents font dif- férens; ils fouffleot de terre, 8c ce font les plus mous, depuis quatre heures du matin jufqu'à dix. Il fait calme 8c fort chaud depuis dix heures jufqu'à midi. A midi le vent fouffle de la mer jufqu'à fept à huit heures du foir. C'eft le calme de dix heures à midi, qui rend à Saint- Domingue la chaleur plus incommode H ij 118 Moyens de conserver qu'à la Guadeloupe, quoique naturelle- ment l'air y foit moins chaud. Le tems de la plus grande chaleur à Saint-Domin- gue , eft depuis le mois de mai jufqu'à la fin de feptembre que les fraîcheurs com- mencent , tandis qu'à la Guadeloupe ce n'eft qu'à la mi-novembre. Il tonne en mai dans les. montagnes ; mais ce n'eft qu'en juin que les orages fe font reffentir au bord de la mer. Dans les premiers tems, c'eft fur les deux heures après midi; ils retardent enfuite peu à peu, de manière qu'en octobre c'eft fur les huit ou neuf heures du foir : ils durent ordinairement deux heures, 8c jamais il ne tonne le matin. C'eft vers la mi-octobre que les orages finiffant font place à ce qu'on appelle les nords, qui font de fort vents de nord qui amènent la pluie, 8c qui du- rent jufqu'en décembre, 8c font très-frais. Il y a dans toutes les Antilles fix mois de féchereffe 8c fix mois de pluie affez ordinairement , quoique cependant les années fraîches font fouvent fans aucun fec, 8c les années fèches ont quelquefois fept à huit mois de fec. Le fec commence à la fin de décembre ou janvier, quelque- fois février ou mars, 8c dure jufqu'en juin ou juillet, quelquefois août. LA SANTÉ DES BLANCS, 8cc. 119 Nous avons vu aux îles du vent le ther- momètre monter au 30e degré , en août 8c feptembre. Nous l'avons vu defcendre à 15 8c à 14 degrés, dans les mois de décembre, janvier et février , qui font or- dinairement les mois les plus froids. Nous parlons du bord de la mer feule- ment , et non de la montagne. On mange beaucoup aux îles , parce que l'air y eft vif 8c falin. Dans les villes, les femmes font cinq à fix repas par jour , 8c font très-vaporeufes. On mange du pain ; mais la farine de manioc, ou la cafiave , font la principale nourriture , non-feu- lement des nègres , mais encore des Blancs créoles , fur-tout des femmes, Le bœuf falé, 8c la morue , font la féconde nourriture , avec le poiffon. On préfère la falaifon à la viande fraîche, parce que celle-ci, qui eft mollaffe 8c blafarde , n'a que très-peu de fucs & dégoût; on l'af- faifonne par cette raifon de beaucoup de fel & de piment. La volaille eft recher- chée, fur-tout le dindon 8c le pigeon. La boiffon des Nègres 8c des pauvres eft l'eau ; celle des riches eft le vin de Bordeaux , qui eft fort bon 8c n'eft pas cher. On boit beaucoup de limonade dans la journée ; on y eft excité par la cha- no Moyens de conserver leur. On boit auffi à midi 8c le foir du rhum, qui eft l'eau de vie de fucre qu'on a laiffe vieillir ; les pauvres boivent du tafia qui eft l'eau de vie nouvelle. Nous expliquerons dans la fuite ce que nous penfons de l'ufage de ces boiflons. L'ufage des bains eft très-fréquent; on ne les prend que froids. On ne porte pref- que que des habillemens de toile ; l'ufage eft de ne pas fe gêner de ce côté. On eft prefque toujours armé d'un parafol, qui fert ou contre la pluie ou contre le foleil. Les Nègres travaillant à la terre font prefque toujours nuds jufqu'à la ceinture : cet ufage n'eft pas mauvais à caufe de la pluie 8c de la fueur. Nous avons obfervé que ce n'étoit pas le contact de la pluie fur le corps qui caufoit la maladie, ni même le féjour des hardes mouillées tant que la pluie continuoit, mais feulement le defféchement de ces mêmes hardes fur la peau. LA SANTÉ DES BlANCS,8cC. 121 Du Mal d'EJlomac. \^t E qu'on appelle aux îles mal d'eftomac, eft une leucophlegmatie générale, ou bien une forte de confomption univerfelle dans laquelle tombent fouvent les Nègres, accompagnée de l'epuifement des forces; d'où fuit néceffairement une refpiration laborieufe 8c afthmatique, dans la marche , fur-tout lorfqu'il faut monter; fymptome qui a fait nommer ces maladies mal d'ef- tomac. On le diftingue en deux efpèces: mal d'eftomac humide qui eft le plus com- mun , c'eft la leucophlegmatie; 8c mal d'ef- tomac fec , c'eft la confomption. Nous n'entrerons pas dans de grands détails fur les caufes de cette maladie qui, en général, fe réduifent au chagrin 8c à la mifère ; fur le diagnoftic, qui fe re- connoît par la définition que nous venons d'en donner; ni fur le prognoftic , qui eft touious fâcheux 8c mortel, quand le mù eft invétéré : nous nous arrêterons au traitement. Le régime doit être nourriffant 8c to- nique , plus fec qu'humide. La viande eft préférable au poiffon; elle eft moins pi- 122 Moyens de conserver tuiteufe, 8c engendre moins de glaires qui abondent toujours dans cette maladie. Inf- pirer le plus qu'il eft poffible la gaieté aux malades ; leur fournir des moyens de confolation ; leur faire changer d'air s'il eft poffible ; choifir celui qui eft le plus fec , l'air falin fur-tout. Le fel 8c les fa- laifons ne leur font point contraires, pour- vu qu'elles foientfaines. Leur faire prendre un exercice modéré; ne les point fatiguer; les empêcher de manger de la terre. L'em- barquement dans un bateau eft le moyen le plus fur pour remplir ces différens objets. Les habitans ont coutume de traiter leurs Nègres par des boiffons fermentées qu'ils nomment grapes. Ces boiffons font ordi- nairement tout-à-la-fois toniques, fti- rnulantes & purgatives. On les nomme encore tifannes à mal d'eftomac , tifannes à trois coups, parce qu'on en fait prendre trois coups dans la matinée. Le • fer en fait prefque toujours Ja bafe , 8c on y fait infufer des bois 8c des plantes fudorifiques 8c purgatives : le bois de fer ou fon écorce ; celle du bois Savonnette, celle de gayac ; la racine du faururus, qu'on nomme fureau à mal d'eftomac ; celle de l'herbe à fous marqués, de l'herbe puante , de gingem- bre, 8cc. LA SANTÉ DES BLANCS, Sec. 123 Tous ces médicamens , quoique indi- qués , reuffiffent difficilement, parce que la plupart du tems ils font mal adminiftrés, 8c qu'on omet toujours la principale chofe à la cure, celle d'éloigner la caufe du mal 1 c'eft-à-dire, le chagrin 8c la mifère. D'un autre côté le mal d'eftomac, dans tous les degrés , ne demande point le même traitement. Si le mal d'eftomac eft fec , il ne faut pas infifter fur les pur- gatifs ni les remèdes chauds; il faut joindre les adouciffans aux apéritifs. C'eft dans l'humide que les purgatifs font les plus néceffaires ; encore précipitent-ils la mort, quand la maladie eft ancienne, 8c que le malade eft épuifé. Il vaut alors mieux avoir recours à ceux qui font Amplement apéritifs 8c cordiaux. Tel eft l'élixir qu'on fait avec le mâchefer , la cannelle , le gé- rofle, le fucre brut, 8c l'eau de vie de fucre. Nous avons obfervé l'efficacité de l'eau de vie de gayac dans cette maladie. 124 Moyens de conserver De la Lèpre. Xj A lèpre eft une maladie contagieufe de la peau , dont Férofion, la ftupéfac- tion & l'épaiffiffement fteatomateux de la lymphe , paroiffent faire le carac- tère. On remarque auffi chez les lépreux une acrimonie qui agit fur la partie rouge du fang, à peu près' comme chez les| fccr- butiques. Nous ne décrirons point cette maladie qui n'eft que trop connue dans le pays. Nous ne donnerons point de traitement affuré, parce qu'on n'en connoît pas juf- qu'à préfent. Nous rapporterons feulement ce que l'expérience nous a fait voir de plus confiant à cet égard. Quoique beaucoup de praticiens aient regardé cette maladie comme une vérole dégénérée; cependant le mercure , fous quelque forme qu'il puiffe être adminiftré, eft toujours nuifible, ou au moins inutile. On a cependant vu quelques adouciffe- mens opérés par le remède de VanfViéten, joint aux fudorifiques, ainfi que du mer- cure joint à l'acide végétal; mais on n'a ja- mais vu de cure. la santé,des Blancs, 8cc. 125 Nous avons obfervé que le mercure, fous ces formes , réuffiffoit mieux dans les cas où la lèpre provenoit d'un vice pianifte 8c vénérien joints enfemble, comme il arrive fouvent; mais qu'il aigriffoit prefque toutes les autres efpèces. J'ai entendu parler de; deux lépreux guéris au moyen des bouik Ions de ferpent de la Martinique, mais je n'ai jamais été à portée d'en faire l'effai.' Ce qu'il y a'de mieux à employer, ce font les tifannes faites avec les bois 8c plantes fudorifiques, mais'préparées avec" foin. L'écorce de gayac fraîche , le bois de fer, le bois arada, le bois à pian font fort bons. • Nous avons vu de fort bons effets d'une tifanne faite avec huit onces du bois de la lianne , appelée Cœur de Saint-Thomas ou Baba ( plante dans le genre des acacia). On fe fert de l'efpèce qui a le bois rouge, 8c non de celle à bois blanc, qui eft trop violente , 8c attaque les nerfs ; on la fait bouillir dans trois pintes d'eau qu'on fait réduire à deux à petit feu. On fait boire cette tifanne au malade dans la journée, pendant fix femaines ou deux mois. Ce remède pouffe à la peau, mais extraordinairement par les urines; il agit auffi comme tonique, 8c épuife la 126 Moyens de conserver,8cc. pituite : combiné avec les bois fudorifiques, il convient plus généralement. Il agit fpécialement, lorfqu'il eft ques- tion de combattre des tophus 8c des excroif- fances Iépreufes. Nous ne nous étendons pas davantage fur les maladies en particulier, ceci n'é- tant Amplement qu'une aitiologie médi- cale pour les îles de l'Amérique , 8c nous refervant de traiter ailleurs plus en détail des maladies particulières à ces contrées. FIN. ^70 tfiSh r r., Uf n$L NLM009604314