BRACONNOT SA VIE ET SES TRAVAUX (Extrait des Mémoires de l’Académie de Stanislas.) Nancy, imprimerie de veuve Raybois et comp. BRACONNOT SA VIE ET SES TRAVAUX PAR M. J. NICKLÈS Professeur de chimie à la Faculté des Sciences de Nancy. NANCY, GRIMBLOT ET VEUVE RAYBOIS, IMPRIMEURS-LIBRAIRES, Place Stanislas, 7, et rue Saint-Dizier, 125. 1836. AVIS. Braconnot, le savant qui est l’objet de cette biographie, a passé la majeure partie de son existence à Nancy; il y a donc laissé des souvenirs qu’il était bon de recueillir en temps utile ; j’ai accepté cette tâche sur l’invitation de l’Académie de Stanislas à laquelle Braconnot a appartenu pendant près d’un demi-siècle. Aün d’éviter aux futurs biographes de cet homme cé- lèbre, des recherches qui deviendront de plus en plus diffi- ciles, et profitant de ma position spéciale, je me suis entouré de tous les renseignements qui pouvaient se rattacher à mon sujet. La bibliothèque de l’Académie de Nancy et celle de la ville de Strasbourg, m’ont été, sous ce rapport, d’un grand secours. Des recherches faites, non-seulement dans ces deux villes, mais encore à Paris, à Commercy et partout où notre héros a séjourné, m’ont permis de ne rédiger que sur des documents authentiques. J’ai donné aussi quelques soins au côté scientifique de mon sujet. Dans la multiplicité de mémoires ou de notes que Braconnot a publiés et dont on trouvera la liste à la fin de ce volume, il y a, non-seulement, des découvertes du pre- mier ordre, mais encore une série d’observations d’un intérêt moins grand peut-être, mais dont une bonne partie restera dans la science. La science, en effet, s’en est assimilée plu- sieurs d’entr’elles, au point que déjà on n’en connaît plus l’auteur. Qui, en effet, pourrait citer le chimiste qui le pre- mier a constaté la présence du nitrate d’ammoniaque dans les eaux potables? Qui le premier a trouvé la cause de la mo- dification fort connue que le sucre d’orge subit quand il devient cassant? Qui le premier a caractérisé les acides co- pules qu’on obtient en traitant les matières organiques par l’acide sulfurique, ou constaté l’action perturbatrice exercée par les huiles essentielles sur les végétaux placés dans un espace confiné? On cite ces faits à l'occasion sans songer à leur auteur. On ne saurait se plaindre de cette sorte d’ingra- titude, elle est, au contraire, un éloge pour l’homme qui en est l’objet. Au biographe cependant le devoir de rappeler les services rendus, autant dans l’intérêt de la justice que dans celui de la vérité. Contrairement à une parole, souvent répétée en pareille occasion, je pense que si on doit la vérité aux morts, on leur doit tout au moins autant d’égards qu’aux vivants. C’est dans cette pensée que j’ai rédigé le petit travail que je sou- mets à l’appréciation du lecteur. J. Nicklès. BRACONNOT SA VIE ET SES TRAVAUX Messieurs, Dans le décret de fondation de votre Académie, le roi Stanislas a écrit l’article 35 ainsi conçu : « Il sera tra- vaillé à une histoire générale de Lorraine ; cet ouvrage se fera par la Société, en commun, sur les mémoires qui lui seront présentés par les Académiciens. » Appelé par vos bienveillants suffrages à compter désormais parmi les coo- pérateurs de cette œuvre, je viens, dans la mesure de mes moyens, vous apporter le tribut de mes efforts. Bien qu’il concerne un personnage lorrain, et de grandes choses ac- complies par lui en Lorraine, je n’aurai à parler ni de tournois ni de batailles ; il ne s’agira ni de ducs ni de hauts barons.... 11 ne sera question que d’un homme sim- ple et modeste comme son nom, qui a vieilli loin des affai- res et qui, s’il n’a pas fait beaucoup de bruit de son vivant, u’en vivra pas moins dans la mémoire de la postérité. La 8 postérité ! elle aura oublié plus d’un nom qui se croyait impérissable ; elle aura fait justice de plus d’une ambition, mais tant qu’elle cultivera les arts et les sciences et que l’in- telligence humaine y sera en honneur, elle se souviendra du chimiste lorrain qui, naguère encore, était associé à vos travaux et dont les conquêtes, réalisées sans effusion de sang, n’ont eu pour but que le progrès de la science et le bien de l’humanité. Voilà ce que retiendra l’histoire générale; voilà ce que retiendra l’histoire de l’esprit humain. L’histoire de la science qui résume la carrière d’un homme par un mot, rarement par une phrase, s’inquiétera moins de l’origine de notre héros; elle pourra oublier qu’il est né à Com- mercy et qu’il a fait ses études à Strasbourg; mais elle n’oubliera pas que les victoires qu’il a remportées sur la matière, il les a gagnées avec les moyens les plus res- treints et les moins coûteux, les procédés les plus simples ; qu’il est arrivé à une juste renommée sans jamais paraître sur ce grand théâtre où se forment des réputations trop souvent éphémères ; que loin de briguer les honneurs, il les a forcés à venir le chercher. Elle se rappellera que jusqu’à ses derniers instants il a travaillé, n’ayant pour stimulant que le désir de contribuer au progrès de la scien- ce et la juste ambition de se survivre, réalisant ainsi la de- vise du vrai savant : ® La science pour la science. * 9 I. Premièrcs années de M. Braconnot. — Ses débuts dans la carrière pharmaceutique. — Il est nommé pharmacien élève à l’hôpital militaire de Strasbourg. — Il étudie la chimie et l’histoire natu- relle. — Licenciement. Henry Buaconnot est né à Commerey, département de la Meuse ; sa famille était une des plus honorables de la contrée où plusieurs de ses membres exerçaient des charges publiques. Des biographies publiées de son vivant, le font naitre en 1781; elles se sont trompées d'une année ainsi que le prouve l'acte de naissance dont voici la copie : it Henry, fils légitime de maître Gabriel Braconnot, avocat au parlement, exerçant au bailliage de Commerey, et de darpe Barbe Simonet, son épouse, de cette pa- roisse, est né à midi le 29 mai 1780. A eu pour parrain rnaitre Braconnot, procureur au conseil souverain de Colmar, son grand-oncle paternel, représenté par rnaitre Cordier, apothicaire du roi et son pensionnaire à Com- mercy, son oncle; et pour marraine dame Marguerite Prenelle (sa grand'mère maternelle), veuve de Fr. Si- monet, notaire royal au bailliage de la Marche, demeu- rant à Pagny-la-Blanche-Côte. » Le curé qui administrait était le grand-oncle de l’en- fant, c’est dans sa maison que celui-ci est venu au monde. Mademoiselle Barbe Simonet, née à Pagny-la-Blanebc- 10 Côte, fut élevée par son oncle, l’abbé Prcnelle qui ne négligea rien pour assurer à sa nièce une instruction sérieuse et solide ; elle se maria à Commercy, le 3 août 1779, avec le jeune avocat. Les époux demeurèrent au presbytère; ils y eurent deux fils, Henry, l’aîné, et André qui vit le jour le 19 août 1781. Les premières années de notre futur chimiste s’écou- lèrent paisiblement au sein de cette intéressante famille. H a laissé dans ses papiers des souvenirs de ces premiers temps ; c’est une pièce de vers, en double copie, com- posée, sans doute, par son père » pour la fête de M. Pre- nelle, curé de Commercy, le 6 juin 1784, par ses petits- neveux, Henry et André Braconnot, ti pièce de circon- stance qui constate que le digne abbé leur servait de père à tous. Mais ce bonheur intime ne devait pas durer ; le jour des épreuves était proche, le bon oncle Prenelle mourut et bientôt après, le 17 avril 1787, mourut aussi Bra- connot père, laissant une veuve de 30 ans, une fortune modeste et deux garçons dont la vivacité et l’esprit d’in- dépendance s’étaient depuis longtemps révélés. Le premier soin de la pauvre mère fut de placer son fils aîné au collège de Commercy ; c’était une école tenue par des Bénédictins, dans laquelle, suivant l’usage du temps, on stimulait le zèle des élèves par des châti- ments corporels. Ce mode d’éducation, peu goûté de notre jeune écolier, produisit un effet tout contraire à ce que les bons Bénédictins en attendaient; ce que l’enfant 11 eut, sans doute, accordé à la persuasion et aux paroles conciliantes, il le refusa aux mauvais traitements, et dans peu, il devint un des plus mutins de la classe. Protestant à sa manière contre l’abus de la force, il jeta livres et cahiers, se mit à faire l’école buissonnière et acquit, par ses espiègleries, une réputation qui lui a survécu dans le pays. D’après toutes les informations que j’ai pu prendre à cet égard, le jeune Braconnot passait pour un écolier turbulent et paresseux dont on n’espérait rien de bon. En ceci il était l’émule d’un de ses condisciples, fils de veuve comme lui et son digne associé ; tantôt ils abais- sent les écluses de la Meuse et causent ainsi une inon- dation dont madame Braconnot payera les frais ; une autre fois ils se cachent sous le lit, lorsque le digne oncle Prenelle reçoit chez lui la confession de ses administrés, et mystifient confesseur et pénitent, en rapportant ce qu’ils ont entendu. Nous retrouverons ensemble ces deux jeunes gens, et pendant que Henry Braconnot remportera à Paris des médailles au concours, nous verrons son ancien con- disciple se distinguer à lecole de médecine, et préluder aux travaux qui lui ont valu une haute position dans le monde médical. Ce jeune homme fut le docteur Marjolin. On sait qu’il mourut avec la réputation d’un des plus grands médecins de l’Ecole française. Ceux qui ont connu Braconnot, si doux, si inolïensif, 12 à l'époque où, maiire de sa vocation, il pouvait, sans réserve, s’abandonner à ses goûts pour la science, seront sans doute étonnés des révélations que je viens de faire; mais en considérant l’activité fiévreuse que le chimiste a déployée depuis, ils comprendront que l’épithcte de paresseux, méritée par l’écolier, ne désignait chez lui qu’un état relatif, car il n’était nullement paresseux lors- qu’il faisait l’école buissonnière, et certes, avec une di- rection plus intelligente, on eut pu faire de lui un bon élève ; il eut même suffi de peu d’observation pour s’en apercevoir. En effet, il ne rentrait jamais de ses excursions dans les bois sans rapporter quelque plante qu’il séchait ensuite, soigneusement, entre les pages d'un livre; petit à petit, il se créa un herbier qu’il conserva avec le plus grand soin, qu’il classa à sa manière; car il ignorait, le pauvre enfant, qu’il existât une science qui traite de ces choses là. Cet herbier, premier témoignage de sa vocation fu- ture, a été précieusement conservé par lui pendant plu- sieurs années. Forcé ensuite de l’abandonner, il devait lui faire place dans ses souvenirs, car il avait le culte des souvenirs et la mémoire du cœur. Nous avons vu qu’on a trouvé, dans ses papiers, une pièce de vers, datée de 1784, et adressée à son bienfaiteur l'abbé Prenelle; eh bien ! parvenu au faite de la réputation il songeait, avec bonheur, à l’herbier qu’il s’était instinctivement composé dans son enfance, et la parente dévouée qui a consacré son existence à sa mère et à lui, l'en a entendu parler 13 vers la fin de ses jours avec regret, car cet herbier avait péri faute de soins. Cependant, pour obtenir de son fils aîné un peu d’assi- duité, madame Braconnot songea h lui faire changer de milieu et à l’éloigner de Commercy où il avait trop de sujets de distraction ; elle le confia à un instituteur de la campagne, maitre Paquet, qui habitait Void, bourg voi- sin de Commercy, et, pour le dire en passant, patrie de Cugnot, l’inventeur de la locomotive à vapeur. Notre écolier resta longtemps chez maitre Paquet ; il y apprit quelques déclinaisons latines, un peu de français et très-peu d’orthographe; il apprit tout ce que maitre Paquet put lui apprendre et conserva pour lui un souve- nir de profonde gratitude. 11 quitta Void à contre cœur, il eût été prudent de l’y laisser, mais la faiblesse maternelle l’emporta sur toute autre considération ; l’enfant fut rappelé à Commercy et confié chaque jour, pendant quelques heures, au vicaire de la paroisse ; c’était un digne ecclésiastique, simple et bon, oncle du petit Marjolin qu’il avait pris chez lui et dont il avait cherché à faire l’éducation; ne tenant aucun compte du passé, il mit les deux écoliers ensemble et échoua nécessairement dans ses tentatives pédagogiques. Sur ces entrefaites, il se passa un événement de famille qui exerça une grande influence sur l’avenir du jeune Braconnot. Sa mère était promise, le fiancé était le docteur Nicolas Huvet, médecin stipendié de la ville de Commercy, qui témoignant le plus vif intérêt, le plus 14 sincère atlachement aux deux jeunes gens, Henry cl André, ne tarda pas à devenir le mari de madame Braconnot. Elle avait été plus d’une fois recherchée en mariage, mais, mère avant tout, elle était bien résolue à n’accorder sa main qu’à celui qui aimerait le plus ses enfants. M. Huvet connaissait-il ces dispositions? On l’ignore, mais ce qui est certain, c’est qu’il fit assez de démonstrations pour en imposer à la pauvre mère, bien que les avances faites aux enfants restassent sans écho. Tout changea quand le mariage fut accompli. M. Hu- vet était père d’une jeune fille qu'il avait eue d’une pre- mière union; jaloux de l’affection que madame Braconnot, maintenant madame Huvet, témoignait à ses deux fils, il devint leur ennemi et n’eut rien de plus empressé que de les éloigner. Les événements favorisèrent ces projets; le docteur Huvet venait d’èlre nommé médecin militaire aux hôpi- taux de Strasbourg; avant son départ, il plaça Henry chez le citoyen Graux, pharmacien à Nancy. Le citoyen Graux passait pour un praticien éclairé ; c’est dans son laboratoire que les goûts du futur chimiste se trahirent. La chimie pharmaceutique se bornait, à la vérité, à peu de chose à celte époque, cependant il y avait cà et là quelques opérations, telle que la préparation de l’éther, celle de l’esprit de Mindererus ou acétate d’ammoniaque, du calomel, du kermès, du soufre doré, etc., qui offraient un caractère vraiment scientifiqucct qui suffirent pour fa ire comprendre au jeune novice qu’à côté de la science qui 15 traite de la connaissance des herbes, et qu’il étudiait dans le cours de botanique de M. Willemet, il en existait une autre qui, loin de se borner à examiner et à décrire les êtres que la nature a créés, va jusqu’à rechercher les moyens qu’elle emploie dans ce but, et s’attache de son côté à produire. A partir de ce moment, le jeune élève en pharmacie eut une ambition, celle d’étudier la chimie, et comme la bibliothèque du patron était exempte de tout traité de ce genre, il songea à se procurer la Chymie de Chaptal dont il avait entendu parler. Ce n’était pas chose facile, à cette époque où Nancy était plus loin de Paris que ne l’est aujourd’hui Berlin ou St-Pétersbourg ; mais notre aspirant chimiste ne se découragea pas, au moyen de fortes retenues faites sur la modique somme que sa mère lui envoyait secrètement pour son entretien, il parvint, au bout de quelque temps, à réunir le capital qui devait assurer son bonheur ; il le porta triomphalement chez la citoyenne Froment, directrice des carrosses et des diligences et qui faisait tous les huit jours le service de Paris, lui remit le titre de l’ouvrage et attendit pa- tiemment le retour ; mais le pauvre jeune homme n’était pas au bout de ses peines, le livre tant attendu n’arrivait pas, le commissionnaire l’avait acheté mais il ne le re- trouvait plus; c’était le cas de dire avec le soldat d’Au- guste : Opéra impensa periit. Quant à notre héros, à nous, il se mit à pleurer si 16 amèrement que lu citoyenne Froment, désireuse de donner au moins un semblant de satisfaction au pauvre jeune homme, ordonna sur-le-champ de nouvelles re- cherches qui amenèrent, enfin, la découverte du livre tant désiré. « Un document authentique trouvé dans ses papiers, prouve que le jeune Braconnot a passé deux ans chez maître Graux, u où il n’a pas négligé de s’instruire sur la Chimie et la Physique». Ce document est un certificat dûment légalisé dont voici la copie : « Je soussigné Romuald Graux, Apothicaire à Nancy, certifie qu’à dater de trois mois avant l’an second, le citoyen Henry Braconnot, natif de Commercv, département de la Meuze, a demeuré chez moi pendant deux années consé- cutives en qualité d’Elève en Pharmacie, que pendant ce teins, il s’est appliqué à l’étude de cet art avec goût et assiduité, qu’il n’a pas non plus négligé de s’instruire sur les sciences accessoires au dit Art, telles que la Chimie, la Botanique, etc. Le tout à mon entière satisfaction. » Je n’ai rien eu d’ailleurs à lui reprocher, tant du côté des mœurs que de la probité. En foi de quoi je lui ai délivré, avec plaisir, cette attestation pour lui servir en ce qu’est de raison. » Graux. Braconnot avait lo ans quand il quitta celle position. Il n’avait pas touché d’appointements jusque-là, et ne 17 faisait face à ses dépenses les plus indispensables qu'avec l’argent que sa mère lui envoyait de temps à autre de Strasbourg à l’insu de son mari. Se suffire désormais, se rapprocher de sa bonne mère, ne plus être à charge à personne et compléter ce programme en se fixant dans une ville où il trouverait des éléments suffisants d’in- struction, tel était son projet. La ville paraissant réunir ces conditions était Strasbourg qui, depuis plus de deux siècles, était un centre scientifique et littéraire; le moyen d’y arriver était bien simple; il demanda à être employé aux hôpitaux militaires en qualité de pharmacien; l’ordre, fort laconique, que nous transcrivons ci-après prouve qu’il avait assez bien calculé. « Armée du Rhin. — Service de santé. » Le Pharmacien en chef de l’armée au citoyen Henry Braconnot. » Tu voudras bien, citoyen, au reçu de la présente, te rendre à l’hôpital de la Montagne pour y faire le service en qualité de pharmacien de 3e classe. Ma la p eut. » Strasbourg, 21 floréal l’an 3e de la République fran- çaise une et indivisible (16 mai 1795). Il se rendit donc à Strasbourg où il resta jusqu’au la tloréal an IX (a mai 1801), époque du licenciement gé- néral de l’armée du Rhin. Que fit-il pendant ces six années? Un état de service, copié par lui-même sur les registres de la guerre et certifié conforme par le corn- 18 missairc des guerres, Malus, nous apprend qu’il esl entré au service le 27 floréal an 111 (16 mai que le 1er nivôse an Y, il lut employé en qualité d’élève à l’hôpital militaire d’instruction de Strasbourg, et qu’il y resta en cette qualité jusqu’au 6 frimaire an IX (27 no- vembre 1800); et enfin, qu’il fut attaché à l’armée du Rliin à partir du 6 frimaire an IX (27 novembre 1800), jusqu’au 15 floréal même année (5 mai 1801). Braconnot entra donc en fonctions le 16 mai 1795; le jour même de la signature du traité de paix entre la France et la Hollande. Strasbourg, boulevard principal de l’armée du Rhin, était alors rempli de troupes et d’hôpitaux; la France était en possession de toute la ligne du fleuve, mais Kehl, cette célèbre tète de pont qui avait été fortifiée par Vauban et reconquise en 1795, sur les Autrichiens par la garde nationale de Strasbourg, Kehl, était retombé au pouvoir de l’ennemi. Le canon retentissait donc sur toute la ligne, l’Alsace était un vaste camp, et Kléber, qui assié- geait Mayence, évacuait sur Strasbourg ses malades et ses blessés. Notre jeune pharmacien sous-aide trouva ainsi beaucoup d’occupations, et dans les premiers temps de son installation il ne put guère songer à autre chose qu’à ses devoirs militaires. L’ancienne université de Strasbourg n’existait plus; la tourmente révolutionnaire avait emporté ce corps illustre qui, fondé au seizième siècle, a eu pour précur- seurs les Bucer, les Capito, les Hedio, les Calvin, illustres 19 champions du libre examen, tous issus de la société littéraire qui avait été organisée au siècle précédent par Krasme, Wimpheling, Jacques Sturm et Beatus Rhe- nanus. Désormais les plus grands noms se rattacheront à cette université, soit à titre de professeurs soit à titre d'élèves. A la médecine, dont l’un des premiers profes- seurs fut Gunther ou Gonthier, le médecin de Fran- çois Ier, elle donna les deux Meckel, Osiander, There- sius, Camper, Branclt. Elle initia aux sciences, Mappus, Dasipodius, Lindern, Spielmann, le grand universaliste Goethe, le savant Ulric Obrecht dont Bossuet, visitant Strasbourg après la conquête, a dit qu’il est un abrégé de toutes les sciences et un homme de toutes les nations (.Epi tome omniarum scientiarum et homo omniorum po- pulorum). Elle donna à la poésie : Pfelîel, de Nicolaï, Andrieux, Schaller, Sloebcr, etc.; à l’histoire enfin, Schiller, Sehœpflin, Koch, etc. Une éducation littéraire ou scientifique passait pour imparfaite quand elle n’avait pas été se compléter à l’université de la vieille ville libre, berceau de l’imprimerie. Les derniers temps de sa splendeur eurent pour té- moins une pléiade de jeunes gens qui, comme Gœlhe, llcrder, Cusline, les deux Oberlin, Brunck, Schweig- hæuser, Koch, etc., avaient exploré le domaine de l’in- telligence dans toutes ses directions. 11 serait facile de vérifier ici ce vieil adage qui veut que l’élève donne, en général, la mesure du maître, et de prouver que la vogue dont jouissait alors l’université de Strasbourg était fondée sur un enseignement sérieux, représenté par des hommes éminents, depuis Jean Sturm qui au xve siècle réunissait autour de sa chaire, outre les plébéiens, plus de deux cents nobles tant princes que gentilshommes (Doc. I), jusqu’à Koch l’historien des Traités de paix, qui avait pour disciples assidus Melter- nich, de Ségur, Cobcntzel, Staehelberg, Galitzin, les deux Tolstoï, Narbonne, Benjamin Constant ; mais à l’époque où nous sommes arrivés, tout était changé. La lutte hé- roïque que la France soutenait contre l’Europe coalisée, avait donné une autre direction aux esprits; les nobles étrangers, la jeunesse studieuse de l’Allemagne n’avaient que faire dans une ville devenue ennemie, où les hommes valides portaient les armes et où les faibles et les ma- lades faisaient de la charpie. Le séjour de Braconnot dans ce milieu guerrier n’a pas rendu ses goûts plus belliqueux. Mais quand, au bout de quelques mois de présence à l'hôpital militaire, il fut au courant de ses nouveaux devoirs, il lui resta assez de loisirs pour pouvoir s’adonner à son éducation dont il reconnaissait les profondes lacunes. Les moyens ne lui manquèrent pas, l’antique université alsacienne n’était pas détruite au point de ne plus laisser de traces. A la place de ses professeurs qui étaient ou morts ou absents, se trouvaient de ses élèves devenus célèbres à leur tour. Tandis que les Lauth et les Flamant conservaient la tra- dition de l’ancienne école de médecine, que les Brunck, les Schweighæuser et les Oberlin représentaient l’érudi- 20 21 lion et les langues anciennes, Ehrmann, Àrbogast et Hermann représentaient la science de cette université. C’est avec ces éléments que le gouvernement créa, en date du 7 ventôse an III (25 février 1795), l’école de santé devenue plus lard la faculté de médecine, et l'école centrale du département du Bas-Rhin, convertie en lycée au 1er fructidor de l’an XI. Ces deux écoles venaient d’élre fondées ; Braconnot qui avait des aptitudes très-diverses, s’y fit inscrire avec son frère et, à partir de la rentrée suivante, il fréquenta les classes de l’école centrale; il ne tarda pas à se faire remarquer et à remporter des prix dont il a conservé quelques-uns, entre autre le Tableau élémentaire de l'histoire naturelle par Cuvier. Sur le premier.feuillet de ce livre on lit : « Prix décerné au citoyen Braconnot l’aîné, élève de l’école centrale du Bas-Rhin pour la classe de l’histoire naturelle. » Strasbourg, 10 germinal an IV de la République, une et indivisible (1). Le Jury de V Instruction publique, Le tout écrit et signé de la main de l’illustre helléniste Brunck. (1) 30 mars 1798. 22 L’année suivante, il remporta, à l’école centrale, un prix d’un ordre tout à fait différent : le prix de dessin. Nous transcrivons de l’Annuaire du département du Bas-Rhin la partie qui se rapporte à notre sujet ; les ar- tistes y trouveront, d’ailleurs, deux noms chers à la peinture. ÉCOLE CENTRALE DU DÉPARTEMENT DU BAS-RIIIN. ENSEIGNEMENT DIVISÉ EN TROIS SECTIONS. lrc section : les citoyens Guérin, professeur, et Heim, adjoint. — 130 élèves. Ont obtenu des prix à la fête de la jeunesse, les citoyens : Melin, — Thomas, — Heim, — Braconnot l’aîné, etc., etc. Notre jeune lauréat profita sérieusement des leçons du citoyen Guérin; il a laissé un carton plein d’acadé- mies et de dessins faits par lui à cette époque, signés H. Braconnot, pharmacien militaire, qui font honneur à l’élève autant qu’au maître. A l’école centrale, l'histoire naturelle était professée par le savant Hermann, que l’Académie des Sciences s’est associé depuis et qui, de l’aveu même de Borné de l lsle, a pris une grande part à l’édition de sa cristallogra- phie (1). La chimie et la physique étaient enseignées par (1) Romé do l’isle, t. III, p. 587. 23 Ehrmann qui lut un des premiers à accepter la théorie de Lavoisier. Il avait acquis de la réputation par des re- cherches sur les ballons aérostatiques, recherches pu- bliées en 1784, peu après les premiers essais de Mont- golfier. Dès 1780, il appliqua l’hydrogène à l’éclairage dans sa lampe à air inflammable, et peu après, dans son Essai d’un art de fusion à l’aide de l'air vital, il étudia un problème que la moderne science aidée de l’industrie n’a pas encore entièrement résolu, je veux parler de l’application de l’oxygène à la production de hautes températures. Si le jeune Braconnot ne se sentait pas encore de vo- cation décidée, s’il ne pouvait pas présumer ce qu’il serait un jour, il savait fort bien ce qu’il ne serait jamais ; les efforts du savant Àrbogast, l’auteur du calcul des dérivations, échouaient complètement avec lui; Bra- connot, et c’est une nuance qu’on remarque générale- ment chez les hommes qui ont un goût prononcé pour les sciences naturelles, Braconnot redoutait les mathé- matiques et tout ce qui les rappelle, et son antipathie s’étendait à l’arithmétique et à la géométrie. La manière malheureuse dont on s’y était pris pour lui inculquer, dans sa première jeunesse, des notions de latin n’était pas faite pour lui donner le goût de cette langue ; si néanmoins il accordait quelqu’attention aux leçons du maître qui était Schweïghæuser, déjà célèbre alors, c’est que ses études en botanique lui avaient rendu le latin indispensable ; il en apprit donc juste ce qu’il 24 fallait pour comprendre les descriptions pictographiques, descriptions assez peu compliquées d’ordinaire et pour l’intelligence desquelles il suffit d'un dictionnaire et de quelques notions de grammaire. A l’école de santé il retrouva Hermann qui y professait la botanique et la matière médicale; là aussi il fut un élève assidu et ne tarda pas à faire connaissance avec quelques jeunes gens, assidus comme lui, et qui devaient tous faire leur chemin dans les sciences naturelles. Il y vit Nestlcr, le futur successeur d’Hermann, et le géologue Gaillardot ; il y vit le futur ami et continuateur de Cuvier, Duvernoy dont les sciences déplorent la perte récente ; enfin il y fit connaissance avec M. Mougeot, devenu à la fois médecin, géologue et botaniste, avec qui il conserva des relations scientifiques jusqu’à sa mort. Braconnot n’a jamais parlé qu’avec attendrissement des six années qu’il avait passées à Strasbourg, il les appelle les plus belles années de sa vie. Apprécié par ses maitres dont il devait, plus tard, devenir le collègue à l’Institut (Doc. II), encouragé par eux et pouvant librement disposer de leurs bibliothèques, de leurs la- boratoires et de leurs collections, entouré de studieux condisciples, il fit récolte de souvenirs qui lui fournirent ample matière à conversation toutes les fois qu’on l’ame- nait sur ce sujet. A côté du chimiste Ehrmann, dans le laboratoire duquel il fit ses premières analyses, du botaniste Her- mann, dont il était avec MM. Nestler et Mougeot, le 25 compagnon fidèle pendant les excursions, il y avait dans ses souvenirs et dans son cœur, une large place pour le directeur de l’école de santé qui était en même temps médecin en chef des armées du Rhin; c’était un prati- cien renommé et un collaborateur de Van der Monde. Homme de cœur et esprit sagace, le docteur Lorentz avait apprécié les goûts studieux du jeune pharmacien militaire; persuadé qu’il avait affaire à un homme d’ave- nir, il le laissa se livrer à ses études et adoucit, autant qu’il put, les rigueurs du service. Malgré l’ordre formel du ministre de la guerre {Doc. III), malgré les sanglantes batailles livrées sur le Rhin, Braconnot n’eut jamais à franchir la frontière ; tout son temps se passait à Stras- bourg à la pharmacie militaire, dans les cours de chimie et d’histoire naturelle, ou dans sa modeste chambre de la rue du Jeu de Paulme, et il eût pu se dire au comble de ses vœux si son beau-père, M. Huvet, ne s’était chargé de lui rappeler, de temps à autre, qu’il n’est pas de bonheur parfait en ce monde. Car M. Iluvet préten- dant que Henry, qui ne voulait pas étudier la médecine, ne serait jamais bon à rien, avait, en sa double qualité de médecin militaire et de tuteur légal, fait main basse sur les appointements du jeune homme et mis ainsi dans une position dont sa pauvre mère chercha, par des efforts surhumains, à adoucir les rigueurs. Henry de- vinant ces efforts et se reprochant d’en être la cause médiate, s’impose les plus rudes privations, il fuit la société de ses camarades de peur d’être entraîné à des 26 dépenses, il se refuse même d’acheter des livres, et s’at- tache à rassurer sa mère en lui prouvant, par de ver- tueux mensonges, qu’il n’a besoin de rien. Il contracta à ce régime, cette habitude d’économie et de sobriété qu'il a conservée dans des temps meilleurs et à une époque où il ne se serait refusé aucune douceur, s’il en avait eu envie. Le départ de M. Huvet pour Neuf-Brisach, où il fut appelé par ses fonctions de médecin militaire, lui amena quelques adoucissements, car désormais il pouvait au moins toucher ses modiques appointements ; il profita bien vite de cette bonne fortune pour se procurer des livres, et pour s’exercer dans un art dont le goût lui avait été inspiré par Ignace Pleyel dont la retraite, soigneuse- ment cachée à tout le monde, lui avait été dévoilée par une circonstance fortuite. Braconnot prit donc des leçons de musique, l’instrument était, non pas le piano qui eut coûté trop cher, mais la guitare, c’était toujours un instrument à cordes. Jusque-là aussi il était resté petit et frêle, mais à partir de ce temps, sa taille se développa, il devint un beau jeune homme; la considération que les gens in- struits lui accordaient attira sur lui l’attention de quelques bonnes familles, mais il n’aima pas beaucoup le monde et les événements qui venaient de surgir l’empêchèrent d'en contracter le goût. L’Autriche aux abois avait déposé les armes à la suite des victoires de Hohenlinden et de Marengo, et signé la 27 paix à Lunéville le 9 février 1801. L’armée du Rhin fut naturellement dissoute et les officiers de santé, devenus trop nombreux, furent en partie licenciés. H. Braconnot qui ne figurait pas parmi les intrépides et qui n’avait jamais quitté les hôpitaux, fut licencié un des premiers. A la date du 7 mai 1801, le ministre de la guerre lui fait connaître cette disposition et l’invite à lui indiquer le lieu où il compte fixer sa résidence (Doc. IV). Son parti fut bientôt pris, ses maîtres vénérés, Her- mann et Ehrmann, étaient morts à peu de distance l’un de l’autre. Le docteur Lorcntz, son protecteur aux hô- pitaux, venait de succomber au typhus au quartier gé- néral devant Salzbourg, les hasards de la guerre avaient dispersé ses condisciples Mougeot, Nesller et Duvernoy, et M. Huvet avait été appelé à l'hôpital militaire de Nancy ; le vide s’était fait autour du studieux jeune homme à Strasbourg, de mauvais procédés l’attendaient dans sa famille à Nancy, et d’ailleurs il venait d’être atteint de la divine étincelle, sa vocation s’était déclarée d’une manière positive, il l’a reconnue. Bien décidé à se vouer aux sciences physiques il devait continuer ses études à Paris. II désigna cette ville au ministre comme sa résidence future, fit taire les reproches intéressés de M. Huvet en lui promettant d’accepter une place dans une pharmacie, et se mit gaiment en route avec la résolution de ne recourir au service pharmaceutique qu’à la dernière extrémité. La perspective d'une vie de privations l’effrayait peu, n’en 28 avait-il pas fait l’apprentissage à Strasbourg? Peu lui importait d’être sans place et peut-être sans pain, ses besoins étaient d’un autre ordre; avide de s’instruire, il ne rêvait plus que Paris, depuis qu'il était devenu libre; lui-même nous l’apprend dans son naïf langage : » Le séjour de presque tous les hommes célèbres, le foyer de toutes les lumières, Paris attira mes regards, je sentais qu’il était nécessaire à mon existence de voir de près et les sciences et les savants, de respirer pour ainsi dire, le même air qu’eux... (Doc. V.) » 11. Braconnot à Paris. — Ses succès. — Ecole de médecine de Nancy. — Premier mémoire. — Retour à Nancy. Braconnot quitta Strasbourg vers la fin de mai 1801 ; il mit pied à terre à Nancy pour embrasser sa mère qui habitait, depuis quelque temps déjà, l’ancienne capitale de la Lorraine. Plus que jamais, M. Huvet l’appela M. Bon- à-Rien, et le fait du licenciement dont le jeune sous- aide venait d’être l’objet, n’était pas de nature à lui faire changer d’opinion. Fatigué des railleries de son beau- père, sentant bien qu’elles étaient peu fondées, notre chimiste hâte son départ; il arrive à Paris vers la fin 29 üe 1801 ; il y trouve son frère, licencié comme lui et qui avait pris les devants. Nous avons de lui une lettre du 27 pluviôse an II (1 o février 1802), qui bien que n’étant pas la première qu’il ait datée de Paris, nous donne néanmoins une idée de l’impression que l'aspect de la capitale lui a causée, cette lettre est adressée à sa mère : » Je jouis, dit-il, de l’espérance que vous m’avez donnée de venir voir Paris ; hâtez-vous donc de voir cette source inépuisable de beautés qui ont fait ma plus grande admiration Ce qui m’a mis en extase c’est lorsque je suis entré dans le salon superbement décoré qui renferme les statues dont les formes et les contours surpassent la nature en élégance et en perfections. Je n’ai pas moins été surpris d’admiration à la vue de ces tableaux ravissants où on a si bien imité la nature, qu’ils paraissent animés et remplis de vie. J’ai admiré le ca- binet d’histoire naturelle qui représente, dans son immen- sité, l'abrégé de la nature. Ce qui m’a encore frappé de surprise est le cabinet minéralogique de l’Ecole des Mines où je suis le cours de minéralogie. « On ne peut rien voir de plus admirable : les marbres précieux, les grandes colonnes, l’or, les peintures fines, la plus élégante architecture, tout le précieux est em- ployé avec profusion pour orner cette magnifique salle, autour de laquelle tous les minéraux du globe sont rangés par ordre, en brillante tapisserie. « Le Palais royal est beau, le Louvre aussi, mais je croyais voir quelque chose de plus magnifique encore. <» Or, pendant que Braconnot ne trouve pas dans le Louvre réel le Louvre de ses rêves, il ne songe pas que par son extravagante description de l’Ecole des Mines, il prépare à sa mère une déception analogue. Mais, en ce moment, il s’agissait de décider la bonne dame à venir à Paris, fùt-ce au prix d’une déception. Il en fut pour ses frais d’exagération ; ce voyage tant désiré de part et d’autre ne devait pas encore se réaliser, M. Huvet ayant déclaré qu’il préférait que M. Bon-à-Rien vienne passer quelques jours à Nancy. Le jeune homme s’en garda bien ; il avait des comptes à rendre et aima mieux s’en acquitter à distance ; en partant de Nancy, il avait promis soit d’entrer dans une pharmacie de Paris, soit de prendre des inscriptions de médecine, et le voilà, depuis près de six mois, dans la capitale sans s’ètrc acquitté de sa promesse, a Je fré- quente, dit-il, les cours qui sont relatifs à mon état, en attendant qu’une occasion favorable se présente pour que j’entre dans une pharmacie. Je ne serais même pas fâché que cela tardât un peu, parce que je regarderais comme perte de quitter aussi promptement les leçons des grands maîtres que nous suivons avec activité. Si j’ai balancé quelque temps avant d’adopter la pharmacie pour mon état, j’ai changé d’avis; je préfère m’y adonner afin d’ap- profondir la chimie que j’ai toujours aimée avec passion, peut-être qu’en suivant cette marche je ne serai pas confondu dans la foule des médiocrités. 30 On voit que la vocation s’est fait jour et que le chimiste se dessine ; une belle et noble ambition l’anime, celle de ne pas se confondre dans la foule des médiocrités et de n’arriver à s’en distinguer que par des voies honorables. Désormais, le jeune homme est sauvé ; il a son fil con- ducteur, et on ne lui fera pasembrasser une carrière qui ne cadre pas avec ses goûts. 11 ne veut pas devenir médecin, c’est convenu ; mais il a été tant tourmenté à ce sujet par son beau-père qu’il veut se faire u une idée générale là-dessus. « Dans une lettre du mois de novembre 1802, il dit : » Les cours de l’Ecole de santé sont recommencés, les autres vont incessamment s’ouvrir. Je vais depuis quel- ques jours à la clinique, c’est-à-dire que j’assiste aux leçons du plus grand médecin de Paris ; il explique les maladies graves de certains malades ; quoique je ne veuille pas être médecin, je suis bien aise d’avoir des idées générales là-dessus. Je me convaincs de plus en plus, qu’entre les mains du plus grand médecin, la médecine est un art extrêmement obscur, incertain ; que ce n’est que par à peu près que le médecin porte des jugements et qu’il est parfaitement ignorant de ce qui se passe dans nos corps malades ; cette ignorance, qui fera tou- jours de la médecine une science imparfaite et remplie d’erreurs, m’éloigne du désir de pénétrer dans ses laby- rinthes tortueux et je ne regrette pas de ne pas l’avoir prise pour mon état. « L’opinion qu’il manifeste en 1802 sur la médecine, 31 32 nous la lui verrons reproduire, sous une autre forme, ans après, alors qu’il avait déjà un pied dans la tombe. Tout en suivant les cours et les cliniques, il vécut mo- destement sur la petite somme qu’il avait retirée de la liquidation de l’arriéré de sa solde à l’armée du Rhin ; il n’eut pas le temps de voir la fin de ce pécule et de se poser cet intéressant problème souvent abordé par d’au- tres : Etant donnés une bonne santé, une vocation décidée et pas de revenus, trouver le moyen d’entretenir l’une et l’autre et d’arriver au but sans quitter la ligne droite. Braconnot était de force à accepter celte bataille de la vie et à en sortir victorieux. Détaché de tout ce qui ne constitue pas un besoin essentiel, il savait se contenter d'eau et de pain sec. Avec ce régime, il pouvait faire durer longtemps la solde de son arriéré, ainsi que la mo- dique somme que sa mère lui avait glissée dans la main lors de son départ de Nancy ; d’ailleurs, son ancien état de pharmacien lui assurait une ressource, dont il n’aurait usé qu’à la dernière extrémité. Grâce au concours de sa mère, il n’eut pas à subir cette épreuve. Le changement survenu dans la position officielle île M. Huvet en amena d’autres dans son intérieur; ils mi- rent Mme Huvet dans une situation un peu plus prospère, et, par conséquent, en état d’assister ses enfants. C’est que M. Huvet, qui était pauvre à l’époque de son mariage avec Mme Braconnot, était revenu d’Alsace pos- sesseur d’une fortune assez considérable ; grâce à des spéculations sur les assignats et sur les biens nationaux, ii s'y acquit des propriétés et les vendit avec bénéfice à son arrivée à Nancy. De fréquents accès de goutte le retenant chez lui, il fut forcé d’abandonner une partie de la di- rection de ses affaires à sa femme qui, toujours préoccu- pée de scs enfants, profita de l’occasion pour prélever une dîme sur les transactions commerciales auxquelles elle prenait part, dîme à laquelle elle ne manqua pas de faire participer ses fils. Mais il était encore assez difficile de leur envoyer de l’argent sans éveiller les soupçons de M. Huvet. Aussi s’ingénie-t-elle pour tromper son argus ; u vos louis sont dans la boîte des montres et l’argent blanc dans les cha- peaux » leur dit-elle à la dérobée, dans une lettre dans laquelle elle leur annonce l’envoi de quelques objets d'habillement ; dans sa tendre sollicitude elle se mêle de leurs plus petites affaires et connaît au juste l’état de leur caisse et de leur toilette : elle fera des économies, dit- elle, pour donner à chacun un habit ; elle conseille à Ilenry de s’acheter un chapeau avec les 12 francs qui lui restent ; elle veut absolument que ses enfants aient le nécessaire et ne négligera rien pour arriver à ce résultat. Cette lettre est du 1 o février 1802 ; Mme Iluvet y ex- prime de nouveau le désir de passer quelques jours à Paris, près de ses enfants ; ce désir se reproduit dans chacune de ses lettres ; il devait rester, longtemps encore, à l’état de projet. De cruelles épreuves étaient réservées à la pauvre mère : son fils cadet, André, était parti pour la Guadeloupe en qualité d’officier de santé attaché au corps 33 34 expéditionnaire ; des bruits sinistres couraient sur le sort de cette expédition ; on savait que la fièvre jaune exerçait ses ravages, que les officiers de santé en étaient les pre- miers atteints et André n’avait pas donné de nouvelles depuis plus d'un an ; balancée entre de mortelles inquié- tudes et des espérances devenues vaines, la pauvre mère ne se lasse pas de faire des démarches pour être édifiée sur le sort de son fils ; elle ne le fut que trop tôt, André avait succombé, depuis près de dix-huit mois, aux atteintes de la fièvre jaune. Désormais, Madame Huvet n’aura plus qu’une seule préoccupation : se rapprocher de l’enfant qui lui reste ou l’attirer près d’elle. L’occasion semble favoriser ce dernier projet ; elle sait que Boulay de la Meurlhe et le futur duc de Massa, alors ministre de la justice, s’occu- pent de faire réorganiser l’Ecole de Médecine de Nancy, qui avait été supprimée sous la révolution; dans cette réor- ganisation, elle entrevoit une position pour son fils ; u le moyen d’y arriver, dit-elle dans sa lettre, c'est de prendre des grades en médecine, n ce dont le fils, pour la pre- mière fois rebelle à la voix de sa mère, ne veut pas entendre parler, car, ne croyant pas à la médecine, il comprend qu’il ne doit pas accepter une position dans l’enseignement médical. Le projet de réorganisation de l’Ecole de Médecine avait des chances de succès; c’est que, dans le traité qui annexa la Lorraine à la France, le maintien de l'Université lorraine avait été formellement garanti. Fondé à Pont- 35 à-Mousson, sous la direction de l’illustre Charles Le Pois et fréquenté par un grand nombre d’élèves accourus de toutes les parties de l’Europe, le collège de médecine fut, au bout d’un siècle et demi d’existence, transféré à Nancy où il prit un nouvel éclat ; la Révolution française le sup- prima de fait, mais elle ne put empêcher deux citoyens dévoués d’en continuer les traditions. MM. Simonin et de Haldat, deux des derniers élèves de cette Université, ouvrirent des conférences et trouvèrent, en se multi- pliant, le moyen d’être encore utiles à la société en for- mant de jeunes chirurgiens dont beaucoup se distin- guèrent aux armées. Récompensés par un succès constant, ces deux hono- rables savants cherchèrent à donner plus de consistance à leur œuvre ; ils s’adjoignirent plusieurs autres médecins et fondèrent ainsi une Ecole que des services incessam- ment rendus avec tant de désintéressement, protégèrent contre l’envie, bien qu’elle n’cùt alors aucune existence légale. De pareils titres justifièrent l’espérance qu’on avait conçue de voir cette institution sanctionnée par le Gou- vernement, d’autant plus qu’elle avait pour elle deux défenseurs influents. Néanmoins, la justice fut lente à se faire ; bien des années de dévouement étaient encore nécessaires avant que l’Ecole de Médecine put se voir officiellement reconnue (1); et Rraconnot eut attendu (1) 1X22. 36 longtemps encore s'il n’avait espéré son salut que de cette réorganisation, mais en 1804 on ne se croyait pas si loin du but, et comme on admet volontiers ce qu’on désire, les habitants de Nancy et Mme Huvet, plus que personne, considéraient cette réorganisation comme im- minente. Cette illusion, si intéressante pour l’histoire locale et qui s’est si souvent reproduite, est consignée dans le passage suivant de la lettre de Mme Iluvet, lettre datée du 24 pluviôse an XII (15 février 1804) et adressée au citoyen Henry Braconnot, étudiant, rue Saint-Jacques, n°42, maison de Nantes, faubourg Saint-Germain, à Paris. u Dépêche-toi, bien vite, mon cher fils, déterminer tes éludes ; ne devant pas être pharmacien, il est à regretter que tu n’aies pas suivi les cours de médecine comme nous en étions convenus et je te conseille bien sincère- ment de les suivre sans perte de temps, ce serait tou- jours une avance dans le cas où tu voudrais, dans la suite, te faire recevoir. On regarde comme certain une école spéciale à Nancy ; Régnier et Boulay sont plus en faveur que jamais et travaillent à donner à leur ville le plus grand lustre. Cela donnera des places que tu seras à même de remplir et, pour cela, on prend des grades en médecine qu'il n’est pas si difficile d’obtenir, n Cependant, notre étudiant poursuivit paisiblement sa voie : attablé dans une mansarde qu’il nous décrira tout à l'heure, il revoit ses notes et se prépare à entrer en lice à l’occasion d’un concours dans lequel il parvient à se faire remarquer ; il a laissé dans ses papiers des certificats 37 d’assiduité attestant qu’il a suivi, dans l’an XI, les cours de Fourcroy, de Desfontaines, de Faujas de Saint-Fond, de Lamarek, de Geoffroy-Saint-Hilaire. Se rendant enfin aux désirs de sa mère, il s’est également fait inscrire sur les registres de l’Ecole de Médecine pendant les deux semestres de l’an X et le premier semestre de l’an XI. La lettre suivante renseigne trop bien sur tous ces faits pour ne pas la reproduire, elle est datée de Paris le ... vendémiaire an XI (octobre 1804) : u Ma chère maman, je vous annonce, avec une certaine satisfaction, que, conformément à l’usage établi ici relativement à la dis- tribution des prix qui a lieu à la fin de l’année après les cours, je me suis présenté au collège de pharmacie, que, par parenthèse, je n’avais pas suivi avec une grande exactitude, parce que j’étais déjà familiarisé avec ce qu’on y professait, et que les professeurs ne m’inspi- raient pas une grande estime ; cependant je suis entré en lice et j’ai mérité les suffrages des examinateurs ; je l'ai emporté victorieusement sur les autres concurrents, ce qui me vaudra un prix consistant en une médaille et un accessit. Si on n’y eût point mis de partialité, si quelques-uns des membres du collège n’avaient point eu leurs acolytes, leurs protégés, sans flatter mon amour- propre je méritais mieux, et c’est une justice que me rendent les auditeurs impartiaux. n C’est le Ministre de l’Intérieur qui nous donnera les prix en public et probablement à l’époque où l’on distri- buera ceux de l’Ecole de Médecine, et nous irons le meme 38 jour dîner chez le Ministre, qui protège beaucoup la phar- macie parce qu’elle tient de près aux arts qu’il cultive et à la chimie qui fait sa passion. n J’ai changé de logement avec regret, mais les pu- naises qui y abondaient, me faisaient horriblement souf- frir; elles m’ont pour ainsi dire chassé, car j’étais chez des gens extrêmement honnêtes et complaisants, que je vais voir encore quelquefois. » La chambre que j'ai maintenant est moins belle que la précédente ; elle coûte moins cher, est très-petite et ne ressemble pas trop mal à un colombier. Cependant, elle me suffit, je la trouve même plus commode que celle que j’avais ; car elle me rapprochera considérablement des cours, ce qui m’a en partie décidé à la prendre. D'ailleurs, je ne liens pas aux défauts que d’autres peu- vent y trouver ; elle me convient, cela suffit, n Ce ministre, qui faisait de la chimie sa passion, était le ministre Chaptal. La lettre dans laquelle Braconnot parle de la distribu- tion des prix nous manque ; cependant, il y en a un petit écho dans une lettre postérieure ; à l’occasion de cette solennité, il a été embrassé par le Ministre, ce qui lui a causé une profonde impression. u 11 y a, dit-il, déjà assez de temps que j’ai eu l’hon- neur d’embrasser le Ministre de l’Intérieur, qui m’a remis la médaille sur laquelle mon nom est gravé. Pour couronner l’honneur d’avoir eu des prix, nous sommes allés dîner chez le Ministre; nous y avons trouvé plusieurs 39 savants célèbres de l'Europe, des membres de l'Institut , au nombre desquels Fourcroy. Nous avons diné avec toute la pompe que l'on trouve chez un Ministre. » Braconnot resta à Paris jusque vers l'année 1802 ; il y vit souvent son ancien camarade Marjolin, dont la voca- tion avait également parlé et qui préludait à sa future carrière par des leçons particulières fort suivies des étu- diants en médecine. Le jeune docteur suffisait ainsi à ses besoins et engageait vivement son camarade à ouvrir des leçons de chimie ; mais ce fut en vain ; Braconnot n’était pas assez stimulé par le besoin pour chercher à vaincre une timidité qui grandissait à mesure que ses connais- sances gagnaient en étendue, il perdit ainsi l’occasion de s’essayer dans des conditions où un échec eût été sans conséquence et où un succès pouvait être un immense encouragement. Au contraire, il se renferma, de plus en plus, dans sa mansarde, au milieu du petit laboratoire qu’il s’était improvisé au moyen de quelques verres cassés, de quelques tuyaux de pipes en terre et de quelques réac- tifs indispensables ; car il s’était adonné à un sujet de recherches qui le préoccupait depuis longtemps et auquel il avait déjà travaillé, à Strasbourg, au laboratoire d’Ehr- mann. Ce sujet était l’analyse d’une corne fossile trouvée dans un caveau antique. Commencé en 1798, le travail était à peu près terminé vers la fin de 1799; l’analyse de ce fossile avait été faite et refaite; mais, timide comme il l’était, Braconnot devait éprouver beaucoup d’hésitation 40 à la livrer à la publicité. Dans la crainte d’avoir mal opéré ou de s’ètre trompé, il résolut d’ajourner toute publication jusqu’au moment où il aurait pu se familia- riser, à Paris, avec les nouveaux procédés. Donc, après avoir suivi les cours des principaux chimistes de la capi- tale, il se mit à l’œuvre, refit ses analyses et procéda à la rédaction définitive, non sans avoir fait un laborieux brouillon. Mais ce n’était pas tout d’avoir travaillé consciencieu- sement et d’avoir rédigé avec soin ; il fallut trouver un organe de publicité; celte préoccupation le domina pen- dant plusieurs mois et ce ne fut qu’à la veille de son départ pour Nancy qu’il osa tenter la démarche définitive. Muni de sa corne fossile et de son manuscrit, il se rendit chez de La Métherie, qui dirigeait alors le Journal de Chimie et de Physique; il fut bien accueilli et reçut la promesse d'une prochaine insertion. Le numéro du Journal de Physique du mois d’août 180G mit le comble à sa satisfaction; enfin, il put se voir imprimé dans un recueil sérieux et recherché, lui qui désirait tant de a n’ètre pas confondu dans la foule a. Pièce en main, il alla trouver sa mère qui triomphait de bonheur, et M. Huvet qui lui demandait ce que cela rapporte. Cette question, la plus désagréable qu’on puisse adresser à un homme de science, eût pu affecter tout autre que H. Braconnot, mais ce n’est pas de M. Huvet qu’il pouvait espérer un témoignage d’intérêt. Heureux d’être apprécié de sa mère, il songeait à de nouveaux travaux. 41 D’autres encouragements, non moins précieux, lui arrivaient du dehors. Il y avait alors à Nancy quelques savants qui, pendant que la trombe révolutionnaire em- portait tout, hommes, institutions et vieux préjugés, avaient conservé avec soin, le feu sacré delà science; ils avaient applaudi à l’espèce de renaissance qui signala les derniers jours de la Convention Nationale, et pendant qu’à Paris on s’occupait d’organiser l’école polytechnique, l’école normale, l’institut, le conservatoire des arts et métiers, les savants de Nancy fondèrent l’école centrale de la Meurthe et songèrent déjà à rouvrir la Société des sciences, lettres çt arts, créée un demi-siècle auparavant par le dernier duc de Lorraine. Fondée dans un but plus spécialement littéraire, cette Académie ne s’est pas moins préoccupée, de temps à autre , d’intéressants sujets de science, et dès son origine nous la voyons agiter la question d’appliquer la vapeur à la navigation (Doc. VI). Un pareil passé imposait des obligations que les membres survivants comprirent ; et peu après la fon- dation de l’école centrale ils se mirent à l’œuvre. Parmi ces gens de bien il y en avait deux, dont l’amour pour la science égalait le dévouement aux intérêts publics, et qui ont d’ailleurs marqué leur trace dans l’histoire de la science et dans les souvenirs de leurs concitoyens : MM. Willemet et de Haldat, déjà connus de nous et qui, à l’époque où nous sommes arrivé avec notre récit, professaient l’un l’histoire naturelle, l'autre la physique et la chimie. 42 L’Académie de Stanislas on, pour parler plus exacte- ment, la Société royale des sciences, lettres et arts, fondée par Stanislas, fut rétablie le mercredi, 1er nivôse an XI (2 août 1802), sous l influence de ces deux savants et surtout par les soins du plus jeune d’entre eux, M. de Ilaldat, qui était alors dans la force de l’âge. Les hommes les plus éminents de l'époque concoururent à cette œuvre réparatrice. Le premier Consul s’en déclara le protecteur ; l’astronome Delalandc, le littérateur Palissot, François de Neufchâteau, M. de Lacretelle et le chevalier de Boufllers, qui avaient appartenu à l’ancienne société, adhérèrent avec empressement à sa réorganisation ; bien d autres hommes distingués s’y associèrent ; parmi eux nous trouvons Fourcroy, Bosc, Cadet de Vaux, d’Anse de \illoison, l’abbé Grégoire, Ventenat, Villars, Sédillot, Oberlin, Schweighæuser, la Porte du Theil, de La Mé- therie, et bientôt après, Lacèpède, Picard, Isabey, Par- mentier, Brisseau de Mirbel, Biot, etc. La Société royale des sciences, lettres et arts, devenue Société libre des sciences, lettres et arts, était donc dans toute sa splendeur quand le jeune chimiste Braconnot revint à Nancy : c’était une grande satisfaction pour lui d’être présenté à celte société par son ancien maître M. W illemct, et d’ètre admis à lire son mémoire sur une corne fossile; c’en était une plus grande encore quand il fut appelé, quelque temps après (12 février Î807), à remplir une des trente places que le décès de l’un des titulaires avait rendue vacante. 43 La corne fossile qui a fait l’objet de ce premier travail était d’ailleurs intéressante par ses grandes dimensions* elle provenait d’un auroch (auerochs des Germains) et se trouvait dans un état de parfaite conservation. Cette corne existe encore, Braconnot l’ayant déposée au musée géologique de l’Académie de Nancy. A côté d’une forte proportion de phosphate de chaux et d’autres substances minérales, l’auteur y reconnut la présence d’une matière bitumineuse accompagnée de près de 5 p. 100 de gé- latine qu’on savait préexister dans les os et dans les cornes à l’état naturel, mais dont on n’aurait, certes, pas soupçonné la présence dans une corne pétrifiée qui avait par conséquent des milliers de siècles d’existence. Bien que Foureroy eut constaté la présence de la gélatine dans des ossements humains âgés de 500 ans, cette obser- vation était neuve et de bonne augure, elle fit d’autant plus d'honneur à notre chimiste, que d’autres avait po- sitivement nié la présence de la gélatine dans les osse- ments fossiles bien qu’ils l’y eussent cherchée. Aujourd’hui le fait n’est plus contesté et c’est même sur lui que Cuvier a fondé son bouillon antédiluvien. On peut se demander qu’est-ce qui a déterminé le choix de Braconnot ; pourquoi a-t-il mis tant de persé- vérance dans l’analyse de celte corne antédiluvienne, et pourquoi n’a-t-il pas, pour son début, choisi un sujet plus facile?.... La réponse se trouve dans son mémoire; le digne oncle Prenelle qui l’avait baptisé et lui avait servi de père, devait encore être le parrain de sa pre- 44 mière publication. Voici en effet comment le mémoire commence : » Un habitant de Saint-Martin, petit village situé à une lieue de Commercy, voulant faire des exca- vations dans son jardin, fut arrêté par un caveau, après avoir creusé à quelques pieds de profondeur. En péné- trant dans ce caveau on trouva quatre grandes cornes bien conservées, dont deux étaient plus grandes que les deux autres, avec quelques portions de crâne dégradées par le temps, »i » Une de ces cornes fut remise à M. Prenelle, mon oncle, curé de Commercy, amateur zélé des productions de la nature et de la vénérable antiquité. Il regarda ce caveau comme un sanctuaire où les premiers hommes faisaient des sacrifices aux dieux (1). » Nous avons vu Braconnot enfant, s’intéresser déjà aux plantes ; nul doute que cette corne ancienne, que l’oncle Prenelle conservait avec un soin religieux, ne fixât également son attention et quand, plus tard, il eut su qu’il existait une science qui apprend à connaitre la composition de la matière, ses premières tentatives de- vaient être faites aux dépens de l’objet qui avait de si bonne heure éveillé sa curiosité. Maintenant il lui doit ses succès, et comme on persiste volontiers dans une voie qui a conduit à des résultats, nous verrons notre chimiste porter de préférence ses investigations sur des (I) Journal de Physique, ISOti. 45 travaux analytiques, malheureusement sans se restreindre toujours aux résultats donnés par l’expérience. Dès son second mémoire il s’en écarte considérable- ment, et bien que ce travail eut alors produit une grande sensation, il eut pu faire, dans la suite, beaucoup de tort à son auteur s’il ne s’était amplement racheté par des découvertes remarquables. Mais ce premier péché est moins de son fait que du fait des circonstances ; il est arrivé au jeune Braconnot ce qui arrive à tout débutant dont un léger succès est comblé d’éloges exagérés. En présence d’un résultat qui rendait Mme Huvet justement fière, et qui lui attirait des louanges trop unanimes, et surtout trop enthousiastes, notre jeune homme perdit sa modestie; il eut une confiance extrême dans son esprit d’investigation et se crut lin instant assez maître de la science pour la régenter ; jaloux de le prouver, il s’attaque à une œuvre admirable qui venait d’être mise au jour par Th. de Saussure, dans ses Recherches de Physio- logie végétale, et tend à établir, contrairement à ce maître illustre, que les terres, le soufre, le phosphore, le carbone, l'azote des végétaux, sont formés de toutes pièces par la force assimilatrice aux dépens de la lumière solaire et de l’eau. Cette proposition, renouvelée de Raymond Lulle, qui aujourd’hui ne serait pas même prise au sérieux, fut accueillie autrement en 1807. L’auteur n’a pas rencontré beaucoup de contradicteurs et quand, l’année suivante, la classe des sciences physiques et naturelles de l’Institut 46 cul public le rapport qu’elle venait de faire sur les pro- grès que les sciences avaient accomplis depuis 1789, Braconnot ne vit pas sans trop de déplaisir le passage suivant qui, s’il n’adopte passes conclusions, ne les rejette pas non plus d’une manière absolue : u M. Braconnot assure avoir fait croître des plantes sans leur avoir fourni la moindre parcelle d’acide carbonique, d’où il conclut que les plantes composent le carbone de toutes pièces, ce qui serait une des découvertes les plus importantes que l'on pût ajouter à la théorie chimique, mais on est loin de trouver encore les expériences de ce chimiste assez concluantes, n C’est que le genre de rigueur qu’on exige aujourd’hui en matière scientifique était peu usité à cette époque de rénovation. L’académie des sciences de Berlin n’avait- elle pas accordé un prix à Schrœder pour des recherches entreprises dans la même direction et conduisant à des conclusions analogues? On était encore trop près des découvertes de Lavoisier pour ne pas s’attendre à la décomposition de nouveaux corps réputés simples ; ce grand chimiste avait d’ailleurs considéré les terres et les alcalis comme étant des corps composés. La crainte de se laisser enchaîner par une idée fausse en fit adopter une autre à notre novice, la citation suivante, empruntée à son mémoire sur la force assimilatrice, le prouve surabondamment : u Pourquoi, par exemple, la décomposition de l’eau et de l’air n’esl-elle qu’une découverte de nos jours9 47 C'est qu’on n’a cessé de répéter que l’air et l’eau étaient des substances simples. 11 fallait pour nous apprendre le contraire que la nature envoyât un ange sur terre pour annoncer aux hommes son plus grand secret. On con- viendra donc que dans les sciences, comme dans la morale, il est difficile de vaincre les préjugés dont on a été originairement imbu, et de suivre une autre route que celle dans laquelle on est accoutumé de mar- cher (1). 11 Ce mémoire sur la force assimilatrice est riche de faits intéressants, il est riche d’idées et de conjectures ; en voici un exemple, c’est Braconnot qui parle : » Je n’en doute pas, nous ne sommes pas très-éloignés d’une belle époque où la chimie, indépendante et fiére, se débarrassera de la plupart de ces prétendus éléments qui n’ont pu qu’entraver sa marche assurée et qui sont désavoués par la nature, sa plus fidèle compagne, n Or, pendant que ce passage s’imprimait, Davy dé- composait, de l’autre côté du détroit, la potasse, la soude, la chaux, la baryte et la strontiane. Ne se bornant pas aux conclusions qu’il a cru pouvoir tirer de ses recherches et qu’il résume dans cette pro- position (2) : u Les végétaux trouvent dans l’eau pure tout ce qui est nécessaire à leur assimilation ; n et n’admettant pas même la formation du carbone au moyen (1) Annales de Chimie et de Physique, p. 216. (2) Ibid. p. 246. de l’acide carbonique de l’air, Braconnot construit une théorie cosmogonique, facile à retenir mais difficile à comprendre, il la résume dans la proposition suivante : « L’oxygène, l’hydrogène et le feu paraissent être les seules sublanccs élémentaires qui aient servi à la consti- tution de l’univers. » 48 IV. H. Braconnot est nomme directeur du jardin botanique. — Il s’asso- cie avec Mathieu de Dombasle. — Invasion des alliés. — Il est nommé pharmacien en chef de l’hôpital militaire de Bosserville. — Ses recherches sur les corps gras. — Bougies de stéarine. — Recherches sur l’extractif. — Recherches sur la noix de galle. Si les théories de Braconnot ne valent pas les faits qu’il a observés, et si ce n’est pas à elles qu’il a dù sa réputation, elles avaient du moins pour lui le mérite de le détacher, de temps à autres, des misères de ce bas- monde, car la réalité était triste. M. Huvet lui avait dé- fendu sa porte, et avait défendu aussi à Mme Huvet de voir son fils. Braconnot qui venait enfin d’entrer en possession de son modeste patrimoine, se retira dans une mansarde de la rue du Mûrier, où il continua ses recherches de chimie, partageant ainsi son temps entre ses travaux et son cours. S’il quittait un instant ces occupations, c’était pour essayer de tromper la vigilance de M. Huvet, dans le but de voir sa mère. Toutes sortes de ruses sont in- ventées de part et d’autre afin de se voir et d’échanger une parole d'affection. L’historique de ces ruses ferait le 49 thème (l’un véritable roman, dont le commencement remonte à l’époque du second mariage de la mère et dont le dénouement ne paraissait pas encore bien proche. Cependant, une grande joie était réservée à la pauvre mère et M. Huvet a failli croire que décidément M. Bon- à-Bien était bon à quelque chose; c’est que le pauvre attristé venait d’être nommé directeur du jardin bota- nique de Nancy ; mais quand le beau-père eut appris que celte place était plus honorifique que lucrative, il reprit sa mauvaise humeur et persista, plus que jamais, dans la fâcheuse opinion qu’il s’était faite de Braconnot, et le lui témoigna verbalement et par écrit (1). (1) En voici un échantillon : Au bas du mémoire sur la force assimilatrice qui a paru dans les Annales de Chimie et dans le volume de la collection Braconnot, appartenant aujourd’hui à la bibliothèque de l’Académie, on peut lire comme faisant suite à la dernière conclusion, ces mots tracés à la plume : « Très-bien avec dix mille livres de rente ou un état; à Monsieur Bon-à-Ricn. » Cette leçon est suivie de la réponse suivante, de la main de Braconnot: « Apostille d’un sot fort intéressé, mais nullement intéres- sant. » La première écriture est de M. Huvet, elle était peu lisible et il est évident qu'on avait cherché à la faire disparaître; cepen- dant Braconnot n’avait pas assez lavé pour enlever tout l’oxyde de fer; il fut donc aisé de restaurer suffisamment l’écriture pour pouvoir lire ce qui précède et trouver ainsi une preuve certaine du drame intime qui se jouait alors entre le père et le fils et que la mort seule a pu interrompre. 50 Le jardin botanique de Nancy, qui avait été pendant longtemps négligé, avait été réorganisé et pour ainsi dire fondé à nouveau par le savant botaniste Willemet qui le dirigeait en dernier lieu ; à la mort de cet homme de bien, Braconnot fut appelé à lui succéder, par arrêté du 30 octobre 1807. Cette nomination avait dû être précédée d’une démarche; le candidat avait dû nécessairement faire sa demande au Maire ; j’ai été assez heureux de trouver dans ses papiers un duplicata de celte demande curieuse, signée de sa main, duplicata qui était d’abord l’original et qui lui est resté par suite d’une correction qu’il a dû y apporter après que la signature fut apposée ; la pièce d’ailleurs en fait foi, nous en donnons plus loin la copie. (Doc. VII.) Cependant, il eut à peine pris possession de ces fonc- tions qu’il fut assailli de graves inquiétudes; on organi- sait en ce moment l’Université, et Braconnot craignait pour sa position ; nous savons ce détail par une lettre de Foureroy adressée au docteur Le Preux, méde- cin à l’Ilôtcl-Dieu, celui-là même dont Braconnot avait suivi la clinique; dans cette lettre Foureroy rassure son correspondant au sujet de la chaire que, dit-il, M. Braconnot remplit avec avantage, et ne pense pas que l’organisation de l’Université puisse lui nuire en rien. Braconnot, en effet, n’a été nullement dérangé par cette organisation qui devait amener la chute de Foureroy, et peut-être sa mort. Rassuré désormais sur son avenir, il ne s’occupera 51 plus que de ses travaux et de son cours de botanique ; le jardin des plantes, dont il est le directeur, lui en four- nira les matériaux ; il entreprend des recherches sur les acides qui saturent la potasse et la chaux dans les plantes ; il opère sur un grand nombre d’espèces végétales, indi- gènes et exotiques, telles que Yaconitum lycoclonum, la sauge, la rhue, le tabac, le jalap, la capucine, le ricin, la gaude, le lilas, etc., etc., et trouve dans presque toutes de l’acide malique et de l’acide phosphorique, souvent aussi de l’acide nitrique et de l’acide oxalique. Il s’adresse ensuite aux diverses variétés de champi- gnons dans lesquels il croit reconnaître deux acides nouveaux, l’acide fongique et l’aeide bolêtique, ainsi qu’un principe particulier qu’il appelle fungine. De ré- cents travaux exécutés par M. Dessaignes, avec toute la rigueur de la science moderne, ont renversé une partie de ces résultats ; d’après lui, l’acide fungique n’est qu’un mélange d’acide citrique, d’acide malique et d’acide phosphorique, de sorte qu’il faut rayer cet acide du ca- talogue des composés sui generis. L’acide bolêtique au contraire est un acide autonome; il est identique avec l’acide qu’on extrait de la fumeterre, et que Braconnot a obtenu par voie artificielle en soumettant l’acide ma- lique à la distillation sèche; mais se bornant, selon l’usage d’alors, à une observation superficielle, il ne reconnut à cet acide aucune analogie avec ses devanciers ; il l’appela simplement liquide acide et laissa à M. Lassaigne, en 1811), le soin de le caractériser; ce chimiste le nomma 52 acide pyromalique. M. Pclouze le décrivit plus tard sous le nom d’acide maléique. L’identité des acides pyromalique ou maléique, bolé- tiquc ou fumarique, n’est plus douteuse depuis que M. Dessaignes a pu convertir le bi-bolétate d’ammo- niaque et le bi-maléale d’ammoniaque en acide aspar- tique. 11 n’en est pas de même des acides aconitique et équi- sélique qui offrent bien la composition centésimale des précédents et qui, ainsi que l’a fait voir M. Chaulard, sont comme eux sans action sur la lumière polarisée; mais qui en diffèrent par la constitution, car sous l’influence de la chaleur leurs sels ammoniacaux acides se sont comportés autrement que le bi-maléate d’ammoniaque. Ce fait tend à établir entre ces acides, des différences par isomérie : si par leur composition centésimale ils peuvent être représentés h l'aide de la formule C‘ H* o1 par leur constitution moléculaire ils se divisent en deux groupes : le groupe monobasique C* II M 0‘ cl le groupe bibasique C8 II- xM2 O8 Cette dernière formule a été attribuée aux maléates par M. Buchner qui a fait, de ces combinaisons, l’objet d'une étude spéciale. 53 Quand Braconnot eut reconnu (1818) l’identité de l’acide sorbique, découvert par Donovan, avec l’acide malique, isolé en 1785 par Scheele, il proposa de rejeter désormais le nom d’acide sorbique et de ne plus se servir que de celui d’acide malique a parce qu’il est le plus ancien n celte proposition a été adoptée et aujour- d’hui on ne parle plus d’acide sorbique. Il serait donc aisé de mettre fin à la confusion qui règne dans ces acides en appliquant cette même règle aux deux groupes en question : En conséquence, on dirait acide bolèlique, toutes les fois qu’on voudrait parler d’acide fumarique ou d’acide maléique, toutefois, en supposant l’identité générale- ment admise. Et on dirait acide aconitique, toutes les fois qu’on aurait à parler de l’acide équisétique ; le premier, dé- couvert en 1820, par Peschier, étant plus ancien que le second. La confusion qui règne dans ces acides n’est compa- rable qu’à celle qui a longtemps régné au sujet d’un autre acide du même ordre, et qui, véritable Protée, s’est montré sous bien des formes et dans les circon- stances les plus variées, nous voulons parler de l’acide lactique. Découvert en 1780 par Scheele, dans le lait aigri, il fut considéré par Fourcroy, Yauquelin et Bouil- lon-Lagrange, comme le résultat de la combinaison de l’acide acétique avec une matière animale. Mais pendant que Berzélius s’occupait de réhabiliter cet acide qu i! 54 venait d’extraire du liquide musculaire (1808), Braconnol le redécouvrit en 1812, » dans les substances acescentes, c’est-à-dire, celles qui s’aigrissent immédiatement lors- qu’on les expose, délayées dans l’eau, à une douce tem- pérature (1) ii et n’ayant pu trouver de dénomination propre à rappeler sans équivoque, ses propriétés les plus marquées, Braconnot proposa de le nommer acide nan- céique, du nom de la ville où il l’a découvert. Cette pro- position était digne d’un meilleur sort ; cependant on ne peut pas reprocher à son auteur de s’être mépris, car à l’époque où il s’occupait de cet acide, on ne croyait plus à l’existence de l’acide lactique, Berzélius s’étant, dans l’intervalle, rangé de l’avis de Fourcroy et Vauquelin ; de sorte que pendant près de 20 ans, l’acide nancéique a joui de tous les privilèges d’un acide particulier. Aujourd’hui, les rôles sont intervertis, les travaux de MM. Gay-Lussac, Engelhardt, Pelouze, Boutron et Fré- my, ont réhabilité l’acide lactique, établi son identité avec l’acide nancéique, et fait disparaître ee dernier de la liste des acides organiques. Cet acide que Braconnot avait dédié à sa patrie adoptive a donc eu le sort de ce genre de triticmn qu’un savant botaniste (Doc. VIII), avait dédié depuis à Braconnot sous le nom euphonique de Braconnotia ; mais l’au- teur ayant bientôt reconnu que les caractères sur lesquels (I) Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1811 ci 1812. 55 il avait basé le genre Braconnolia n’avaient pas assez de valeur, il a dû réintégrer la plante dans son ancienne dé- nomination, et attendre, sans doute, une occasion meil- leure pour témoigner son estime à son confrère. Ces travaux exécutés à un point de vue purement scientifique n’empèchèrent pas Braconnot de s’occuper, pendant quelque temps, de recherches sur le sucre de betterave et de s’attacher comme chimiste à la grande exploitation industrielle que Mathieu de Dombasle, pro- fitant du blocus continental, avait établie au Monlet; il y resta jusqu’à l’époque, à jamais déplorable, où la France était pour la première fois envahie par l’étranger ; l’en- treprise de Mathieu de Dombasle fut arrêtée dans son essor et son auteur, ruiné pour longtemps, chercha par d’autres moyens, à être utile à la question du sucre indi- gène à laquelle l’illustre agronome a rendu de si grands services. Braconnot n’eut pas le temps d’assister à la chute dé- finitive de cet établissement ; en sa qualité d’ancien phar- macien militaire, il fut requis, dés le 14 janvier 1814, à prêter son concours à l’Etat et envoyé, comme pharma- cien major, à l’hôpital militaire qu’on venait de créer à Bosserville. Il resta en cette qualité jusqu’à la chute de l’empire et au rétablissement de la paix. Il accomplit bra- vement son devoir au milieu du typhus qui avait envahi l’hôpital à la suite des blessés ; cependant il quitta dès qu’il le put et se hâta de reprendre ses habitudes ; il sut les conserver même pendant la seconde invasion, non 56 sans avoir fait quelques concessions aux malheurs des temps. La peur de l’ennemi et la crainte d’être dérangé lui fit prendre le parti de choisir une retraite dans un endroit où les cosaques ne devaient pas s’aviser de cher- cher une habitation ; il s’installa dans le petit pavillon du jardin botanique avec ses livres, ses réactifs, sa verro- terie, et se consolait des douleurs de la patrie par d’acti- ves investigations sur les corps gras. Les résultats de ces nouvelles expériences tout impor- tants qu’ils fussent ont, néanmoins, été distancés par les travaux que M. Chevreul exécuta à la même époque sur celte importante question. Dès 181 o, Braeonnot avait entre ses mains l’acide stéarique, qui ne fut réellement découvert qu’en 1820 par M. Chevreul ; Braeonnot avait cependant reconnu que ce corps pouvait s’obtenir en traitant les corps gras soit par l’acide sulfurique, soit par les alcalis; il avait remarqué qu’il s’unissait facilement avec les acides et qu'il était très-soluble dans l’alcool ; cependant il ne sut pas recon- naître sa nature et se borna à le considérer comme une espèce de cire. Un pas de plus et il constatait le véritable caractère de ce composé, qui a donné le jour à une grande et belle industrie, celle de la bougie stéarique. Toutefois, il songeait à ce mode d’éclairage plus com- mode et moins insalubre, et un chimiste de ses amis, pharmacien à Nancy, M. F. Simonin avait pris l’initiative de la fabrication en grand. Dès 1818 (Doc. IX) il fabri- qua de la bougie avec de la stéarine et en livra une assez 57 grande quantité au commerce, mais ce n’était pas encore de l’acide stéarique, ou si l’on veut c’était, comme l’a fait voir M. Chevreul, cet acide plus de la glycérine moins de l’eau ; les bougies de stéarine avaient donc encore une grande partie des inconvénients de la chandelle ; elles ne se mouchaient pas toutes seules, car les mèches tres- sées et imprégnées d’acide borique n’étaient pas inven- tées ; les temps, comme on le voit, n’étaient pas encore venus, la question n’était pas encore mûre ; aussi, pour l'amener à maturité n’a-t-il fallu rien moins qu’une vingtaine d’années de travaux accomplis dans les divers centres civilisés. La bougie stéarique actuelle a donc eu sa transition, elle ne procède pas immédiatement de la chandelle comme on l’a cru ; entre le suif et l’acide stéarique il y a un échelon, la stéarine, qui devait d’abord être franchi; nalura non facit sallum a ditLinnée, cela est vrai même des phénomènes de l’ordre moral ; les idées à priori n’existent pas plus que les inventions à priori, les unes et les autres ont une cause occasionnelle et ce n’est jamais que par gradation qu’elles arrivent à maturité. Cet épisode de l’histoire de la bougie stéarique mérite d’autant plus d’être rapporté, qu’il est complètement ignoré des chimistes et qu’il n’est consigné que dans le Répertoire des brevets d’invention, immense arsenal où fouilleront nos neveux lorsqu’ils voudront trouver des armes perfides contre les inventeurs contemporains. Le fait le plus saillant de ce travail, c’est l’explication 58 que Braconnot donne de la consistance si variable des divers corps gras; explication conforme à l’observation et basée sur l’expérience ; savoir que les divers corps gras sont composés d’une graisse solide, qu'il appelle suif absolu et d’une matière huileuse qu’il appelle huile ab- solue; la consistance du produit est subordonnée aux proportions de ces deux principes, de sorte qu’un corps gras sera d’autant plus fluide qu'il contiendra plus d’huile, et qu’au contraire il sera d’autant plus consistant qu’il sera plus riche en principe solide. Braconnot a séparé ces deux principes par des agents ou des forces purement mécaniques tels que l'imbibilion, la pression ou le froid. Il a également fait entrevûr l’identité des produits de la saponification par les alcalis avec ceux provenant du traitement de ces mêmes corps gras par les acides (1). De plus, il constate que ces produits sont solubles dans l’alcool et il pense, avec raison, qu'ils se développent, eux ou des acides analogues, lorsque les corps gras devien- nent rances. Il est probable qu’il eut poussé plus loin scs recherches sur les corps gras, mais il savait que M. Chevreul s’en occupait activement, et comme les sujets ne lui man- quaient pas, il mit la dernière main à un grand travail provoqué par une question posée, en 1814, par Par- mentier : un prix fondé à cette occasion devait cire dé- (1) Mémoires Je l’Académie de Stanislas. 1815, p. 52. 59 cerné à celui qui résoudrait par l’expérience, la question, fort débattue alors, de Y Extractif que Fourcroy avait surtout mis en honneur. D’après ce savant, il existe dans les végétaux une substance sui generis, un principe im- médiat, qui constitue la base de ce qu’on appelle les extraits, c’est-à-dire, des sucs de plantes réduits, par évaporation, aune certaine consistance. Cette opinion était partagée par beaucoup de chimistes, et notamment par Davy et Berzélius. Il y avait du mé- rite à s’en occuper avec indépendance. Braconnot con- clut contre l’extractif qui n’est pour lui qu’un être de raison ; il critique Berzélius qui pousse l’amour de l’ex- tractif au point de considérer comme tel la gelée qu’on obtient en traitant la saponaire par l’eau ; u il ne conçoit pas comment le célèbre chimiste suédois a pu donner le nom d’extractif à une substance si différente de toutes celles auxquelles la même dénomination a été imposée, et pense qu’on lui a fait jouer en chimie le même rôle qu’ont joué le nectaire en botanique, et le schorl en minéralogie; tant il est vrai, ajoute-t-il, que l’esprit humain, comme le dit Bacon, est semblable à un miroir inégal qui change l’image des objets par la propre irré- gularité de sa forme (1). n Loin devoir des principes immédiats dans les extraits, il prouve que ce sont des mélanges de plusieurs principes cmimalisès, que l’un des principes immédiats qu’on rencon- (1) Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1K13, p. 37. 60 tre le plus fréquemment dans les végétaux, olfre une saveur plus ou moins prononcée, et paraît posséder la vertu médicamenteuse dominante du végétal qui l’a fourni...y qu’il est précipité par le tannin, etc., qu’on trouve ces deux principes associés dans l’extrait de eo- chléaria, d’opium, de belladone, de noix vomique, etc., etc. “ Qu’un petit nombre des extraits contient un prin- cipe amer non azoté, qui n’est affecté par aucun réactif excepté par le chlore qui le précipite; que ce principe, trouvé d’abord par Thomson dans le quassia, se ren- contre aussi dans la gentiane, la petite centaurée, où il est associé à une matière gommeuse qui précipite plu- sieurs dissolutions métalliques. « Qu’il parait exister dans un grand nombre de’plantes herbacées un acide végétal, qui n’est pas toujours par- faitement identique, mais qu’on peut considérer, dans ses différences légères, comme une variété de l’acide des pommes.... » Quand on lit ces conclusions formulées en 1815, on ne peut se défendre d’une certaine émotion; ici, comme dans le travail sur les corps gras, on voudrait dire à l’auteur d’aller plus avant et de ne pas se contenter de vagues dénominations. Qu’est-ce que ce principe azoté que vous trouvez dans la noix vomique et dans l’opium ? Qu’est-ce que le principe narcotique, cristallin de l’o- pium, analogue au principerésiniformedu quinquina? Ah! si Braconnot s’était posé celte question, il aurait pu décou- 61 vrirla morphine, la codéine, la narcotine, la strychnine, la brucine et la quinine; ces bases organiques qui furent isolées quelques années après, il les avait clans la main. Le résultat le plus net de ce grand travail est donc la destruction d’une erreur profondément accréditée dans la science ; c’est beau sans doute, mais qu’est-ce en pré- sence de ce que cela aurait pu être si l’auteur avait été en 1815, ce qu’il était en 1825. Ce mémoire dans lequel on donne en outre une classi- fication des extraits, ne fut pas couronné. Une lettre de Cadet-Gassicourt, portant la date du 1er février 1810, nous apprend que la Société de Pharmacie a dû se con- tenter de donner un éloge aux efforts de son estimable auteur ; il l’engage à persévérer et lui envoie copie du rapport de la commission. Ce rapport, fait de main de maitre, critique vertement le mémoire et engage son auteur à mettre plus de précision dans ses termes. Bra- connot n’y donna pas suite, il publia son travail dans les Mémoires de l'Acciclémic de Stanislas de l’année 1817, non sans avoir pris en sérieuse considération les observations faites dans le rapport. Le manuscrit lui— même est sous nos yeux, il est écrit de la plus belle main de Braconnot, et porte pour épigraphe une pensée em- pruntée à Helvétius, un de ses auteurs favoris. Dans l’intervalle de ces travaux, il fait l’analyse d’une plante exotique, le Datisca cannabina, dont il extrait une couleur jaune qu’il propose d’appliquer à la teinture. Mathieu de Dombasle, qui ne reculait jamais 62 quand il entrevoyait un progrès à réaliser, entreprit aussitôt la culture en grand de ce végétal, malheureu- sement il ne put y donner suite. Notre chimiste y trouva un principe immédiat qui parut avoir de l’analogie avec l’inuline, bien qu’il fut cristallisable ; après avoir constaté que cette substance différait de tous les principes immédiats alors connus, il chercha un nom qui pùt rappeler ses propriétés. Am- père, qui venait d’arriver à Nancy comme inspecteur général des études, le tira d’embarras en lui suggérant le nom de Datiscine, d’après la plante qui l’a fournie. Les recherches sur l’acide sorbique, etc., dont nous avons parlé plus haut, furent exécutées vers 1818; en lisant les deux mémoires qu’il a publiés à ce sujet, on sent que leur auteur a fait des progrès et que son coup d’œil s’est perfectionné ; ce fait ressort surtout de son mémoire sur la préparation de l’acide gallique; le ma- gma noir qui contient cet acide renferme encore autre chose, que quelques années auparavant, Braconnot se fût contenté de désigner sous un nom quelconque, celui de substance tannante par exemple; mais en 1818, il commence à ne plus se payer de mots; secouant les habitudes de la vieille école, il se demande résolument cette fois, ce qu’est cette matière noire; il l’attaque par les alcalis caustiques et il en extrait un acide parfaite- ment insoluble dans l'eau, et qui n’a pas encore aujour- d’hui son pareil ; la peine qu’il avait d’isoler cet acide et de le caractériser était assurément moins grande que 63 celle de lui donner un nom ; la manière dont il s’y prit, qu’elle lui fût propre ou qu’elle lui fut suggérée, dénote également un changement; il fit l’anagramme de l’acide gallique et en tira le mot clinique, qu’il appliqua au nouvel acide. V. Conversion du ligneux en sucre. — Ulmine. — Acide végéto-sulfu- rique. — Sucre de gélatine. — Leucine, etc. — Recherches sur Ia«rislallisation. Le k novembre 1819, l’Académie de Stanislas reçut communication d’une découverte, faite par l’un de ses membres, de la transformation du bois en sucre. Ce fait, aussi nouveau qu’inattendu, était d’autant plus remar- quable qu’il se réalisait par des moyens extrêmement simples. Prenez de la sciure de bois, ou mieux encore, de vieux chiffons de chanvre ou de coton, traitez-les par de l’acide sulfurique, puis ajoutez de l’eau, faites bouillir et neutralisez par de la craie, le liquide surna- geant est de l’eau sucrée.... voilà tout le secret de la trans- mutation trouvé, à la confusion des alchimistes, par un chimiste moderne. La nouvelle franchit rapidement l’étroite enceinte où se tiennent les séances académiques, elle grossissait à mesure qu’elle s’en éloignait, si bien que plus d’un chi- miste sérieux dut l’accueillir en souriant ; mais quand enfin, le mémoire de Braconnot eut paru dans les Annales 64 de chimie et de physique, et que la découverte eut pris sa véritahle proportion, toute hésitation cessa et plus d’un devait se dire, ce qui se dit d’ordinaire en présence d’un grand fait constaté par des moyens simples : u N’cst-ce que cela ? » Comme s’il était facile de faire accepter à l’humanité un grand fait qu’elle ignore. C’est l’histoire de l’œuf de Colomb qutin savant contemporain résume spirituelle- ment par ce mot : u dans les sciences il n’y a rien de si simple que ce qui a été trouvé hier et rien de si difficile que ce qui sera trouvé demain, n Les assertions de l’auteur furent bientôt vérifiées et confirmées ; dans tous les laboratoires on voulut les con- trôler; les journaux du temps en font foi; celte expé- rience avait le retentissement qui revient de droit à tout fait considérable qui touche aux intérêts matériels, en même temps qu’il ouvre une voie à la science. La sciure de bois transformée en sucre et partant, en alcool, en vinaigre, en éther, voilà en effet une merveille que chacun peut apprécier sans être chimiste ; mais la manière dont cette transformation s’opère était, pour l’époque, une autre merveille, qui n'était accessible qu’aux seuls initiés. Par l’action que l’acide sulfurique exerce sur le ligneux on remarqua, pour la première fois, un de ces phénomènes de contact dont on a trouvé tant d’exemples depuis ; car en devenant sucre, la substance ligneuse ne perd rien, mais elle gagne.... de l’eau. Avec du bois et de l’eau on fait donc du sucre de même qu’on 65 peut faire de l’alcool avec de l’eau et du gaz de l’éclairage. Ce n’est pas un faible mérite d’avoir reconnu, de suite, ce rôle de l’eau. L’analyse élémentaire organique n’était pas encore inventée, bien que plusieurs tentatives eussent été faites ; on savait bien que le ligneux et le sucre peuvent être représentés par du charbon plus les éléments de l’eau, mais de là à reconnaître que la trans- formation de l’un dans l’autre ne tient qu’à la fixation de deux molécules d’eau, il y avait loin. Cette opinion à laquelle nos modernes procédés conduisent forcément, Braconnot y arriva à l’aide de la balance; en appliquant à propos cet instrument de précision, il constate qu’il obtient plus de sucre qu’il n’a employé de sciure de bois, et il en conclut que cette augmentation porte sur une certaine quantité d’hydrogène et d’oxygène qui se sont fixés sur le ligneux dans les proportions pour for- mer de l'eau. L’auteur sent bien que cette opinion ne sera pas de suite acceptée de tous, aussi il y prépare les esprits peu disposés à admettre les nouveautés. u La conversion du bois en sucre, dit-il, paraîtra, sans doute, remarquable et quand on dira, ainsi qu’il m’est arrivé, à des personnes peu familiarisées avec les spécu- lations chimiques, qu’une livre de chiffons de linge peut être transformée en plus d’une livre de sucre, elles regar- deront cette proposition comme dérisoire et s’en amu- seront, mais le résultat n’en sera pas moins réel.» (1) (I ) Annales de Chimie cl de Physique, t. XII. p. 183. 66 Braconnot ne s’est pas préoccupé du côté industriel de sa découverte ; elle avait peu d’intérêt sous ce rapport, et pour que cette question fût sérieusement examinée, il a fallu attendre qu’elle fût posée par la nécessité. La cherté des spiritueux, devenus rares par suite delà maladie de la vigne, avait, depuis, rappelé l’attention sur celte découverte, et un instant on pouvait espérer que le pro- cédé serait rendu pratique; les ressources que le génie inventif, stimulé par le besoin, avait su créer ailleurs ren- dirent ces tentatives moins pressantes et, pour le moment du moins, les essais entrepris paraissent abandonnés. On s’est demandé à tort si Braconnot a été con- duit a cette découverte par une idée synthétique, car on devait comprendre qu’en 1819 rien n’autorisait à la pressentir; les corps isomères n’étaient pas connus, on ne connaissait pas davantage la composition exacte des substances ligneuses, féculacées ou sucrées et on croyait avec Fourcroyet Vauquelin que l’acide sulfurique agissait sur elles en leur enlevant l’hydrogène et l’oxy- gène, dans le rapport pour former de l’eau et en mettant le charbon en liberté. Si cette interprétation est fondée tant qu’il s’agit d’acide sulfurique concentré, elle perd toute valeur lorsqu’on opère avec de l'acide étendu qui se borne à ronger les substances ligneuses, aies rendre friables sans les colorer. La connaissance de ce fait est aussi ancienne que l’est celle de l’acide sulfurique lui-même. Depuis le plus grand chimiste jusqu’au plus petit, il n’en est pas un qui 67 n’ait brûlé ou troué son linge par des éclaboussures d’a- cide sulfurique affaibli, sans songer à approfondir le phénomène ; il a fallu attendre jusqu’en 1819, et attendre qu’un semblable accident arrivât à Braconnot, pour qu’on fit cette réflexion fort simple : si l’acide sulfurique n’agit sur le ligneux qu’à la manière de la chaleur, comment se tait-il que ma serviette soit trouée par l’acide sulfurique étendu sans cependant avoir de taches de charbon ? On sait le reste ; notre chimiste prit du ligneux, c’est-à-dire, un chiffon de toile, qu’il broya avec de l’acide sulfurique ; il obtint une matière gommeuse, soluble dans l’eau; il satura par la craie, soumit à l’évaporation et obtint une gomme analogue à la gomme arabique. 27 grammes de chiffons secs ont fourni 26 grammes de cette gomme exempte d’acide sulfurique. ii Si au lieu de saturer par la craie la dissolution muci- lagineuse de bois, de paille ou de linge dans l’acide sulfu- rique, on l’étend de plusieurs fois son poids d’eau et qu’on la fasse bouillir pendant environ 10 heures ou jusqu’à ce qu’une portion de la liqueur saturée par le carbonate de chaux ne précipite plus par l’acétate de plomb, alors on peut être assuré que toute la matière gommeuse est convertie en sucre, qu’il ne s’agit plus que de séparer de l’acide, en neutralisant celui-ci par de la craie. La liqueur filtrée et évaporée en consistance de sirop donne, 24 heures après, des indices de cristaux et, au bout de quelques jours, le tout se solidifie en une seule masse de sucre cristallisé. Il est passablement pur lorsqu’après 68 l’avoir pressé fortement dans du linge usé, on le fait, cristalliser une seconde fois ; mais il devient d’un blanc éclatant après qu’il a été traité parle charbon animal « (1). » .... De 20, 4 grammes de linge traité par l’acide sulfurique on a obtenu 23,3 grammes de sucre desséché jusqu’au point qu’il commençait à répandre une odeur de caramel; néanmoins il y a eu quelque perte. Cette augmentation remarquable est encore due à la fixation des éléments de l’eau qui se sont combinés à la matière ligneuse dans les proportions nécessaires pour donner naissance à du sucre. » On le voit, la conviction est aussi profonde que mo- tivée : dans celte transformation, il y a fixation des éléments de l'eau; avoir su démêler ce fait est un trait de sagacité tout à fait extraordinaire pour l'époque où il s’est produit. Mais là ne se borne pas ce travail remarquable ; au chimiste succède maintenant le botaniste qui, des faits observés au laboratoire, tire des conclusions du plus haut intérêt physiologique, u Puisque, dit-il, l’observa- tion semble nous indiquer que le bois est de la gomme, moins de l’oxygène et de l’hydrogène dans les proportions nécessaires pour former de l’eau, nous pouvons, en re- montant à l’origine de la formation de la matière ligneuse, apprécier les moyens que la nature met en œuvre pour la créer. Si nous l'examinons un peu avant la naissance, (IJ Mémoires de l’Académie de Stanislas. 1819-1 $25. p. 70. 69 noifs voyons qu’elle se présente sous la forme d’un mu- cilage dans lequel on observe de petits grains blancs qui paraissent être une première ébauche du bois; cette matière, en raison du rôle important qu’elle joue dans la végétation a reçu, comme on le sait, le nom de substance organisatrice ou Cambium. Aidée de l’influence vitale, elle parait abandonner peu à peu une partie des éléments de l’eau, pour constituer d’abord le liber, les couches corticales, l’aubier, le parenchyme, et enfin le bois pro- prement dit qui doit être excessivement variable dans la proportion de ses principes, suivant qu’il est de nouvelle ou d’ancienne formation ; cette manière d’envisager la transformation du cambium en bois paraîtra assez pro- bable, si l’on considère qu’on peut faire rétrograder ce dernier à son état primitif de mucilage. Nous n’avons pas besoin de rappeler que le bois se concrète souvent en grande abondance dans le sein même de la matière mu- queuse et sucrée, comme cela se voit dans les fruits à noyaux, dans les concrétions ligneuses des poires, etc. Observons en outre que la mort du végétal ne met pas un terme à cette soustraction d’oxygène et d’hydrogène ; elle continue d’avoir lieu et fait passer la matière ligneuse dans différents états jusqu’à ce qu’elle soit entièrement détruite. « (1) Ici encore notre chimiste va imiter la nature : il fait subir à la fibre ligneuse les altérations qu’elle éprouve (1) Annales de Chimie et de Physique .T. XII, 184. 70 parfois dans le végétal malade. En traitant le bois pîtr la potasse, Braconnot parvint à le transformer en une sub- stance brune,.ayant la plus grande analogie avec un pro- duit pathologique que Vauquelin avait rencontré dans l’ulcère d’un orme. En conséquence Braconnot donna le nom d'UImine à cette matière; il ne tarda pas à la retrouver dans d’autres produits végétaux résultant de l’érémacausie et notamment dans celte partie du sol arable ou de la terre de bruyère qu’on appelle humus. Aux faits nouveaux si remarquables et si riches d’avenir, contenus dans le mémoire dont nous parlons, il faut encore ajouter la production de l’acide vêgèto-sulfurique, obtenu par l’action de l'acide sulfurique sur la fibre ligneuse ; cet acide ne précipite pas les sels de baryte; il parut à Braconnot être formé d’acide hyposulfurique uni avec une matière végétale (1). Aujourd’hui nous connaissons un grand nombre d’acides de ce genre; prenez une ma- tière organique quelconque, traitez-la par de l’acide sul- furique et vous avez toutes les chances possibles d’obtenir un acide contenant les éléments de deux équivalents d’acide sulfurique, moins un équivalent d’oxygène, unis avec la matière organique moins un équivalent d'hydro- gène, e’est-à-dire, de l’acide hyposulfurique uni avec une matière végétale, comme l’a si bien reconnu Braconnot 4* alors que ces combinaisons n’étaient pas encore con- ( I ) Mémoires de l’Académie de Stanislas. 1819 — 1823, p. 72. 71 nues. (1). Depuis on s’est souvenu qu’en 1801, Dabit avait constaté dans les résidus de la préparation de l'é- ther, la présence d’un acide non précipitable par la baryte ; mais ce chimiste considérait cette matière comme un acide du soufre et ignorait complètement la présence d’un corps .organique dans sa molécule. Ce n’est que peu après la publication du mémoire de Braconnot que Serturner devina la nature de l’acide des résidus d’éther et lui donna le nom de Weinschivefelscteure dont l’équi- valent français est acide sulfo-vinique. Cet acide tomba ensuite dans l’oubli, d’où il fut tiré par M. Blondeau de Carolles qui le caractérisa définitivement et prépara les premiers sulfovinates cristallisés. Les nouveaux résultats que Braconnot fit bientôt con- naître, après ceux que nous venons de mentionner, furent obtenus sous l’influence des mêmes idées ou, pour parler plus exactement, sous l’influence des mêmes réactifs. En effet, les agents de décomposition restèrent les mêmes, il n’y eut que la matière première de changée ; la fibre ligneuse céda sa place à la gélatine et aux substances albu- minoïdes ; avec la première il obtint le sucre de gélatine que l’Américain Ilorsford a depuis baptisé du nom de glij- cocoll; avec la fibre musculaire, il prépara la leucine que nous savons fabriquer avec de l’alcool et de l’ammoniaque. Il n’en détermine pas la composition élémentaire, les (I) Mémoires de V Académie de Stanislas de 18! 9-1825., p. 75. 72 moyens analytiques faisant défaut à cette époque ; mais il examine leur attitude à l’égard des réactifs et reconnaît que la gélatine et la leucine se combinent avec les acides, sans oser en conclure qu’il a entre les mains des bases organiques et qui plus est, des bases organiques artifi- cielles. Celui qui devait, le premier, prononcer ce mot languissait alors dans une obscure pharmacie de Ilep- penheim, près de Darmstadt, et faisait le désespoir de son patron par son goût prononcé pour les opérations chimiques. Sans doute il se doutait peu de sa grandeur future, bien qu’il fût parftiitement décidé à ne pas mou- rir pharmacien. Mais de 1819 à 1834, date de la dé- couverte de la mélamine et de Yammeline, supposées être les premières bases organiques artificielles, M. Lie- big avait passé par l’université d’Erlangen, puis par le laboratoire particulier de Gay-Lussac à Paris, et était lui- même devenu professeur de chimie à l’université de Giessen. Il existe entre la composition élémentaire du sucre de gélatine et celle de la leucine une relation intéressante qu’on a reconnue dans beaucoup de substances organi- ques congénères à la manière de ces deux bases; elles sont homologues ; c’est-à-dire, elles ont des fonctions et des propriétés semblables et ne diffèrent entre elles que par une quantité déterminée de carbone et d’hydrogène, l’azote et l’oxygène restant invariables. Le sucre de gélatine étant représenté par C1 IP Az 0% e’est-à dire, “G1 II1 -f II -f- Az 0l, la leucine sera C " 1113 73 Àz 01 j c’cst-a-dire, (3 Cl IIl)-f II + Az0*. Entreeesdeux termes il y aura place pour trois autres substances azotées de nature alcaline comme celles-ci, et provenant comme elles de matières animales. L’une de ces trois substances est déjà connue, c’est la sarkosine C6 II7 Az O1 ; elle a été découverte par M. Liebig dans le liquide musculaire des animaux. L’avenir se chargera de découvrir les deux autres, sinon même de les préparer artificiellement, ce qui sera peut-être plus facile, M. Limpricht et M. Gocss- mann ayant déjà réussi, chacun de son côté, à pré- parer la leucine. Cette substance est d’ailleurs un produit de décompo- sition de bien des matières animales et il est certain maintenant que ce que Proust a décrit en 1818, sous le nom d’oxyde caséique et qu’il a observé parmi les pro- duits de la putréfaction du fromage, était de la leucine. Tout récemment, M. Muller l’a trouvée parmi les résidus de la décomposition putride de la mère de vinaigre, MM. Leyer et Koller l’ont préparée avec des cheveux, des eornes, des plumes d’oie, des épines de hérisson, etc., etc. ; mais la matière première qui donne les meilleurs résultats est toujours la substance musculaire, ainsi qu’il a été reconnu par Braconnot et confirmé depuis par M. Zollikofer. Le sucre de gélatine, dont la source principale est toujours la gélatine, a été obtenu par M. Dessaignes en décomposant l’acide hippurique par l’acide chlorhydri- que. Il se passe une réaction très-élégante qui a pour 74 ctfet le dédoublement de l’acide hippurique en sucre de gélatine et en acide benzoïque (1). Bien des faits intéressants jailliront encore de l’étude de ces combinaisons lorsqu’elles seront devenues un peu plus accessibles; elles ont été peu examinées au point de vue de leurs propriétés physiques, et le seul travail qui ait été publié sur les formes cristallines de quelques-uns des composés du sucre de gélatine a conduit son auteur à ce fait remarquable, que la forme cristalline du glyco- coll persiste dans les combinaisons de cette base avec les acides, et que les sels de glycocoll de divers genres sont hémimorphes entre eux et avec leurs bases (2). Mais si l’on considère que les combinaisons homologues sont isomorphes, on arrive à cette conclusion forcée que la leucine et la sarkosine, congénères du sucre de gélatine et homologues avec lui, forment des sels iso- morphes dans le sens le plusétendu (paramorphisme) (3). Leurs formes cristallines pourront appartenir à des sys- tèmes différents, mais leurs formes primitives, prisme ou octaèdre, auront sensiblement les mêmes incidences. Tous ces faits nouveaux qui sont de découverte récente (1) C 8 H9 Az O6 + 2 H O = C* H* Az O1 + C * II6 O4. ac. hippurique. glycocoll. ac. benzoïque. (2) Annuaire de chimie, 1850 p.,291 ; Revue scientifique, t. XXXIV, p. 547. Méthode de chimie, par Laurent, p. 166. (5) Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1855, p. 54; el Comptes rendus de l'Académie des Sciences, t. XL, p. 980. 75 ne pouvaient pas même être entrevus en 1819; la théorie de l’isomorphisme venait à peine d’être formulée, M. Mitscherlich avait pour adversaires les cristallographes les plus éminents, et le chimiste qui devait définitive - ment introduire la cristallographie dans le laboratoire et faire du goniomètre un réactif, Laurent, en un mot, était sur les bancs de l’école primaire. Aux formes cris- tallines des corps qu’il découvrait, M. Braconnot ne donna donc d’autre importance que celle qu’on leur don- nait à son époque ; il les considère comme choses secon- daires et ne les décrit qu’en passant et en se servant du langage vague alors usité. Une seule fois cependant, nous le voyons accorder son intérêt à la cristallisation, et c’é- tait pour attaquer avec succès une opinion qui avait alors force de loi en cristallographie; aux savants, et c’était l’universalité, aux savants qui admettaient que la ma- tière ne cristallise qu’autant que ses molécules peuvent se mouvoir librement dans le sein d’une masse fluide, il oppose le sucre d’orge, qui transparent d’abord et élastique devient, au bout de quelques jours, opaque et cassant. Ce fait était connu, mais ce qu’on igno- rait, et ce que Braconnot le premier a constaté, c’est que ce changement subi par le sucre d’orge est dû à la cristallisation ; car en examinant attentivement un mor- ceau de sucre ainsi modifié, il y reconnut des groupes formés d’aiguilles qui n’auraient certainement pas pu se produire si les molécules de la matière ne pouvaient se mouvoir lorsqu’elles font partie d’une substance solide. 76 Celte explication des changements moléculaires éprou- vés par le sucre d’orge a prévalu ; elle a même été généralisée, car, on n’a pas tardé à trouver d’autres substances, susceptibles d’éprouver des modifications analogues au sucre d’orge et, par conséquent, de chan- ger de structure sans cause apparente. À ces travaux théoriques accomplis et publiés de 1819 à 1823 par Braconnot, il faut en ajouter une dizaine d’autres, d’une portée plus spécialement pratique et parmi lesquels il y en a un, qui a permis d’enlever à l’Allemagne le monopole d’une couleur fort recherchée bien que vénéneuse. La fabrication du vert de Schiccin- furth était alors un secret; Braconnot soumit cette cou- leur à l’analyse, et après en avoir reconnu la composition, il la reproduisit et, comme il n’entrait pas dans ses prin- cipes de prendre brevet, il mit le procédé à la disposition du public en le faisant connaître par la voie de la presse et mit ainsi fin à un petit monopole qui rendait, sous ce rapport, l’industrie française tributaire de l’Allemagne. En présence de si beaux résultats obtenus dans un laps de temps assez restreint, on nous pardonnera de nous être un peu étendu. Des travaux tels que l’action de l’a- cide sulfurique sur le ligneux et les substances animales sont trop peu fréquents pour qu’on n’ait pas plaisir à en parler. Tout y est net, théorie et observation, et là où les procédés analytiques lui font défaut, notre chimiste y supplée à force de sagacité; et cependant, avec quels fai- bles moyens n’a-t-il pas exécuté ses recherches? Scheele 77 est le seul chimiste qui pourrait voir sans étonnement le laboratoire de Braconnot. Entre les mémoires sur la force assimilatrice, sur l’ex- tractif, sur les corps gras, etc., et les travaux qu’il a pu- bliés durant la période de 1819 — 1823, il y a donc une différence énorme. Plus d’expression vague, plus d’hésita- tion, notre chimiste va droit devant lui avec des faits et des raisonnements auxquels le temps n’a rien changé. Une ère nouvelle s’est ouverte pour lui et décidément, Braconnot n’est plus le même homme. Un changement si radical doit avoir sa cause, et les personnes qui aiment à rechercher les rapports qui lient les causes aux effets trouveraient ample satisfaction dans l’étude de la vie privée de notre héros. C’est que, son bonheur est maintenant complet; le rêve qu’il poursuivait depuis près de trente ans, est réalisé; il demeure avec sa mère. Plus d’obstacle désormais, car M. Huvet n’est plus... Le laboratoire est installé près de la chambre d’habitation, et l’on travaille sous les yeux de sa mère; et le soir pour ménager la vue de son pauvre enfant, la bonne mère lui lit soit des mémoires de science, soit des œuvres littérai- res; elle connaît les projets de Henry, et sait au juste où il en est avec ses études;dans ces moments d’abattement et de déception fort connus des chercheurs, elle sait le ra- nimer et le convier à de nouveaux travaux. Libre désor- mais de posséder son fils, elle ne le quittera plus des yeux ; elle aura les prémices de toutes scs découvertes; elle sera la première à lire ses publications; heureuse enfin, mais heureuse d’un bonheur chèrement acheté, elle pourra, avec quelque raison, répéter ce vers que l'historien Gro- tius avait gravé, le jour de sa fuite, sur les murs de sa prison : J’ai assez souffert pour avoir le droit de ne jamais dire : je suis trop heureux. » 78 V. Chimie des principes immédiats ou chimie végétale. — Chimie qua- litative. — Chimie quantitative. — Sclieele. — Fourcrov. — Vau- quelin. — Berthollet. — Gay-Lussac. — Braconnot est nommé correspondant de l’Institut. — Légumine. — Acide équisétique. — Populine. — Acide pyrogallique. — Pectine. — Xyloïdine. Le fondateur de la chinrue des principes immédiats est, sans contredit, Sclieele qui fit pour les acides organiques ce que Priestley a fait pour les gaz. Avant le phlogisti- cien anglais on confondait avec l'air tous les gaz alors connus, et, si l’on excepte Black et Cavendish, les chimis- tes les plus distingués de l’époque n’admettaient pas qu’il y ait une grande différence entre l’air atmosphérique et l'air inflammable que nous appelons hydrogène, entre l’air atmosphérique et l’air fixe que nous appelons au- jourd'hui acide carbonique. Pour eux, ces gaz étaient de l’air modifié par une substance étrangère (1); si bien qu’en 1795, Beaumé engage les chimistes non à s’éclairer (!) Knpp. Geschichlc dev Ckcmic, t. III, p, 184. 79 sur la nature de ces gaz, mais à reconnaître la matière étrangère qui est mèlée.à l’air atmosphérique et lui com- munique les propriétés diverses qu’on avait constatées. Une opinion analogue régnait au sujet des acides vé- gétaux ; tous étaient de l’acide acétique, sauf à expliquer les différences qu’on avait remarquées entre eux, en faisant intervenir à propos une matière organique inconnue qui masquait, pensait-on, les propriétés de l’acide acétique. Bien que cette théorie eût été renversée par les immor- telles découvertes de Schecle, elle a laissé un long écho dans nos traités. Foureroy et Vauquelin l’appliquèrent encore, au commencement de ce siècle, à la constitution de l’acide formique, de l’acide maléique, et de l’acide lac- tique ; nous avons vu que cette interprétation a persisté jusque dans ces derniers temps, puisqu’en 18301a cons- titution spéciale de l’acide lactique était encore un sujet de controverse. En 1769, Schecle adresse à l’Académie des sciences de Stockholm un mémoire dans lequel il étudie l’acide tar- trique et le fait connaître comme acide particulier, distinct de l’acétique. Découragé un instant par des procédés dont la recette n’est malheureusement pas perdue (Doc. X), il suspend ses publications ; mais en 1773, il les reprend pour ne plus les interrompre. A côté des découvertes telles que l'acide cyanhydrique, le chlore, le manganèse et la baryte dont nous n’avons pas à nous occuper ici, il fait connaître l’acide benzoïque, et découvre l’acide lac- tique dans le lait aigri, l’acide citrique dans le jus de 80 citron, l’acide malique dans les pommes ; il isole la gly- cérine et la transforme en acide oxalique que déjà il avait obtenu en traitant le sucre par l’acide nitrique. Sous le rapport des principes immédiats, Scheele eut en Allemagne des continuateurs qui le suivirent de loin. 11 n’en eut pas d’abord en France où les chimistes étaient fascinés par le génie et les découvertes de Lavoisier. Les travaux que Scheele avait exécutés dans le domaine de la chimie minérale y étaient mieux appréciés; car l’humble apothicaire de Kœping avait de son côté isolé et reconnu l’oxygène et l’azote. Ce n’est que vers la fin du dix-huitième siècle que l’on voit des chimistes français occupés de recherches de chimie organique. À leur tète brille Fourcroy, en collaboration de son ancien garçon de laboratoire qui fut Vauquelin. Une seule chose est restée de celte collaboration ; une école distincte de celle de La- voisier: faisant peu de cas de la balance, elle émettait des opinions et construisait des théories sans trop les vé- rifier. Elle était représentée par des travailleurs infatiga- bles, empruntant au hasard leurs sujets d’étude, toujours pressés de conclure et se laissant dominer par des opi- nions préconçues sans avoir l’excuse d’obéir à une idée directrice ou à un système. Cette école, quelque peu empyrique, avait pour chef l’éloquent Fourcroy et pour tribune l’Ecole (le Médecine et le collège de Pharmacie. L’école rivale avait des moyens d’action plus restreints, mais elle avait pour elle un fil conducteur et le génie de Lavoisier. Les lois de Wenzel el île Richter qu’elle allait bientôt adopter la confirmaient de plus en plus dans cette tendance vers les sciences exactes, tendance en si bonne harmonie avec l’établisse- ment où elle avait son temple : l’Ecole polytechnique. Aussi Berthollet trouva-t-il de l’écho dans cette institution où déjà il avait remarqué le jeune Gay-Lussac. Ainsi, d’une part on faisait de la chimie sans critique, sans critérium et sans le concours de la balance, tandis que de l’autre on procédait systématiquement, balance en main, persuadé que dans la nature rien ne se crée, rien ne se perd. On peut donc dire qu’à son arrivée à Paris, le jeune Braconnot trouva deux chimies distinctes, bien que toutes les deux dérivassent de la chimie de Lavoisier, l’une quantitative, l’autre qualitative. Nous avons vu dès son second mémoire qu’il était partisan de celle-ci, mais comme Vauquelin et d’autres bons esprits, il ne lui resta pas toujours fidèle. Le moment qu’il choisit pour s’essayer dans une autre voie coïncidait précisément avec celui où la chimie des principes immédiats était à son apogée, 1819 — 1820, dates de la découverte de la strychnine et de la brucine, de la vératrine, de la quinine, de la cinchonine, etc. Bien que notre chimiste n’eût aucune part directe à la découverte de ces alcaloïdes, il n’était pas moins le re- présentant le plus éminent de tous ceux qui s’occupaient de recherches de chimie végétale. De 1806 à 1819 nul ne publia plus de travaux dans la manière de Fourcroy, 81 et aucun chimiste n’avait fait, dans cette voie, autant de découvertes intéressantes. Aussi quand on fut parvenu à isoler le principe actif de la noix vomique, de l’opium et du quinquina, l’attention générale était acquise à ce genre de travaux plus accessibles que les découvertes laites par les partisans de la chimie quantitative. Cepen- dant les litres que cette école avait, pendant la meme pé- riode, acquis à la reconnaissance de la postérité n’en étaient pas amoindris ; elle venait de doter la science d’un puissant levier : les notations chimiques; elle venait de découvrir et d’isoler l'iode et ses combinaisons les plus importantes ; elle venait d'isoler le cyanogène, premier radical composé, et de consigner ses résultats dans deux mémoires qui resteront d’inimitables modèles, et pendant •pie d'une part elle reconnaît l'une des lois qui rattachent la forme des minéraux à leur composition, elle formule d’autre part les rapports qui existent entre le volume et le poids des atomes et elle laisse déjà entrevoir le lien qui unit ces rapports avec la composition chimique. Ainsi, pendant que la chimie qualitative découvre des substances organiques qui ont été élaborées dans le sein des végétaux et des animaux, pendant qu’elle isole 1c principe actif des médicaments les plus héroïques et qu’elle ouvre de nouveaux horizons à la thérapeutique, les chimistes de l'Ecole quantitative préludent à la trans- formation que la science allait bientôt subir, en préparant la voie par des idées synthétiques d’une grande hardiesse et par des lois d’une vaste portée philosophique, 82 Enveloppé clans ce grand mouvement dont il était, sans s’en douter, l’un des moteurs, l’humble chimiste lorrain était assez en évidence pour que les sociétés savantes tinssent à honneur de se t’associer. Deux fois déjà, H avait été proposé comme candidat à une place de corres- pondant de l’Institut, deux fois il échoua. Mais quand, en 1823, une nouvelle place fut devenue vacante parla mort de Wollaston, toute dissidence cessa et Braconnot fut nommé par 59 voix sur 41 votants ; c’était le la septem- bre 1823. Comment répondit-il à ce vote et de quelle manière paya-t-il la bienvenue, la question peut au moins être posée, car avec son caractère à la fois timide et original, le récipiendaire pouvait la résoudre autrement qu’on ne le fait d’habitude. Si vous êtes curieux de le savoir ouvrez les Annales de chimie de 1823, t. XXVII et à la page 173, vous trouverez de lui une note intitulée : u Noir pour la chaussure. » Cette note nous met bien loin du beau travail sur le sucre de ligneux et sur la leucinc ; heureusement le goût des principes immédiats ne tarda pas à reprendre le des- sus, et à côté de quelques résultats secondaires qu’il publia peu après, l’auteur ne tarda pas à découvrir l’acide pec- tique dans les parties charnues des plantes, à l'isoler et à le caractériser de manière à mettre tous les chimistes en état de vérifier de suite ses expériences ; ensuite il recon- nut la présence de l'oxalule de chaux dans un grand nombre de plantes cryptogames et notamment les lichens 83 dont quelques-uns, tels que la variolaire commune que l’on trouve sur les vieux hêtres, en contiennent près de la moitié de leur poids. A celte occasion, il lit voir que ce sel calcaire est à ces végétaux, ce que le carbonate de chaux est aux lithophytes ou le phosphate de chaux à la charpente osseuse des animaux. Le procédé d’extraction qu’il employa pour décompo- ser cet oxalate, si parfaitement insoluble dans l’eau et décomposable au feu, est devenu classique; il consiste à le faire bouillir avec une dissolution de carbonate de soude ; l’acide oxalique passe alors à l’état d’oxalate de soude que l’on peut décomposer par les procédés connus. Des cryptogames, notre chimiste, directeur du jardin botanique de Nancy, passe aux légumineuses et découvre dans les semences de cette famille un principe immédiat du plus haut intérêt; il l’appela légumine et le plaça, sous le rapport de ses propriétés, à côté de l’albumine. 11 constata en même temps que c’est la légumine qui fait durcir les légumes quand on les fait cuire dans les eaux sélénitcuses et ne manqua pas d’y remédier au moyen d’un carbonate alcalin. Des légumineuses, notre infatigable chercheur passe aux équisétacées qui, dit-il, ont toujours fait le désespoir des botanistes en raison de leur organisation qui les sépare complètement de tous les végétaux connus. Celte consi- dération lui lit penser que leur composition ne présente- rait peut-être pas moins de singularité que leur structure ce qui le décida à les soumettre à un examen chimique ; 84 85 il reconnut que leur aspérité était due à une grande quantité de silice incrustant l’épiderme de la plante et jouant à l’égard de la substance végétale le rôle que l’oxalate de chaux joue à l’égard des lichens crustacés. C’est dans cette famille des prèles qu’il découvrit l’acide dont il a été déjà question et qu’il appela équisitique. Après avoir examiné et analysé chimiquement les dif- férents genres de plantes qui étaient à sa portée en quan- tité suffisante, Braeonnot s’adressa à un autre ordre de pro- duits ; il analyse le noir de fumée dans lequel il trouve diverses substances minérales ainsi qu’une matière brune, charbonneuse, mal définie, qu’il appelle Asboline. Puis il examine le fromage, prépare le prétendu acide easéique de Proust qu’il décompose en neuf substances différentes, parmi lesquelles il en trouve une qu’il croit particulière et qu’il appelle Aposépédine u parce quelle parait être le résultat de la putréfaction des matières animales. » Cette aposépédine a été depuis reconnue comme identique avec la leucine. Dans un second mémoire sur le même sujet, il s’oc- cupe de la question au point de vue économique; en traitant le fromage par le carbonate de soude, il par- vint à le rendre soluble et susceptible de se conserver indéfiniment. Il constate ses propriétés adhésives et le propose pour raccommoder les vases en verre et en por- celaine ; il l’emploie en substitution de la colle de poisson pour donner du lustre et de la consistance aux étoffes de soie, pour préparer le taffetas d’Angleterre, les fleurs ar- tificielles, pour clarifier les liqueurs, etc. 86 Les conserves de lail l’occupèrent ensuite ; puis il exa- mina la bile qui déjà avait été l’objet des recherches de Fourcroy, de Berzélius et de M. Thénard. Ce dernier ayant considéré la bile comme formée essentiellement d'un principe particulier, qu’il appela Picromel, Braconnot, toujours susceptible à l’endroit des principes immédiats, ne tarda pas à prouver que le picromel est une matière très- complexe contenant au moins sept substances différentes, parmi lesquelles de l’acide margarique, de l’acide oléique et une résine acide qui a depuis été appelée acide choloï- dique. Ces travaux le captivèrent jusqu’en 1829 ; à cette époque il eut occasion de donner un démenti à ses convictions anti-thérapeutiques et à son scepticisme en matière de médecine» Le hasard l’ayant conduit dans un village des environs de Nancy où régnaient des fièvres de différents caractères, il songea aux moyens de soulager économi- quement les malades presque tous sans ressources. Se rappelant que l’écorce du populus tremuloïdcs est em- ployée avec beaucoup de succès aux Etats-Unis pour combattre la fièvre, il songea à essayer de ce remède, mais celte espèce de peuplier, très-rare en France, n’est point à la portée de pauvres villageois ; heureusement notre chimiste botaniste se souvint que ce végétal res- semble beaucoup au populus Iremula ou tremble ordi- naire que l’on rencontre dans toutes les forêts de France. Raisonnant par analogie, il fit administrer la décoction de cette écorce à plusieurs malades cl la fièvre ne tarda pas 87 à se dissiper promptement. Le succès de cette expérience in anima vili, l'enhardit; le quinquina est un amer, l’écorce du tremble est un amer, essayons, se dit-il, un autre amer qui l’emporte sur ceux-ci en amertume, l’a- cide picrique et administrons-le aux fiévreux ; il prépara donc une dissolution aqueuse de picrate de potasse et l’administra à trois individus attaqués de fièvres intermit- tentes. u A ma grande surprise, dit-il, ils lurent guéris aussi promptement qu’ils auraient pu l’être avec le sulfate de quinine (1) (Doc. XI). n II se disposait à poursuivre ces essais quand il reçut la nouvelle de la découverte d’un succédané de la quinine, découverte qui faisait alors grand bruit. Ce succédané était la salicine ; il a été isolé de l’écorce de saule par un pharmacien de Vitry-le-Français, M. Leroux. Ses propriétés fébrifuges avaient été constatées par les médecins et entre autres par une commission de l’Académie des sciences. Ces faits engagèrent Braconnot à soumettre l’écorce de tremble à un examen attentif; il y trouva de la salicine en abondance, il y trouva une substance qui lui parut analogue à la matière colorante extraite du quinquina et que Reuss avait appelée rouge cinchonique; de plus, il isola une matière encore mal définie qu’il appela Corticine et un principe immédiat nouveau la Popidinc. (1) Annales de chimie et de physique, t. XI.IV, p. 297 (1830). 88 11 rencontra bien aussi de l’acide benzoïque dans les eaux-mères, mais il douta sagement de la préexistence de cet acide et pensa que l’écorce de tremble contenait simplement les éléments propres à le former. Cette conjec- ture s’est vérifiée ; l’acide benzoïque est un produit de décomposition de la populine; ainsi que l’a fait voir M. Piria, ce principe immédiat est de la salicine, plus de l’acide benzoïque, c’est de la benzosalicine et en faisant bouillir une dissolution de populine avec de l’eau de chaux, on dédouble celle substance en salicine et en acide benzoïque (1); celte expérience est la même que celle qui, en 1850, avait donné de l’acide benzoïque à Braconnot, et la salicine qui l’accompagna était précisé- ment dérivée de la populine ; du reste ce chimiste avait obtenu de l’acide benzoïque en soumettant la populine à la distillation sèche. Du moment qu’il étudiait l’attitude de la salicine et de la populine à l’égard des réactifs, Braconnot devait évi- demment soumettre ces substances à l’action de l’acide sul- furique et de l’acide azotique, ses agents de prédilection. Avec celui-ci il les transforma en acide pierique et laissa à M. Piria le soin de découvrir, quinze ans après, l’hélicine et l’hélicoïdine, dérivées delà salicine, et labenzohélicine dérivée delà populine. Avec l’acide sulfurique et la salicine il prépara un autre corps nouveau qu’il appela Rutiline (I) C10 H32 Olfi + 2 II 0 = 0“ IIe 0' + C’6 II'» O*, populine. ac. benzoïque. salicine. 89 que d’autres appelèrent depuis, Olivinc ou Saliréline. Cette rutiline se produit aussi avec la populine traitée à l'ébullition par des acides étendus, mais en même temps on voit apparaitre du glucose et de l’aeide benzoïque. Braconnot ne s’est pas aperçu de la présence de ces matières, je diS plus, il ne devait pas s’en apercevoir, d’abord parce qu’il était placé à un point de vue spécial et ensuite parce qu’en 1830, on n’avait pas encore appris à faire grand cas des métamorphoses éprouvées par la matière, sous l’influence des réactifs; cette voie était toute nouvelle et nous avons vu que Braconnot est un de ceux qui l’ont frayée. Les circonstances l’obligeront plus d’une fois à y reve- nir et toujours avec fruit. Ainsi il découvre la rutiline en établissant la fausseté de cette assertion de Pesehier, sui- vant laquelle la salicine modifiée par les acides passe à l’état alcalin ; il découvre Y acide pyrogallique en s’oc- cupant de répondre à Berzélius qui venait de critiquer son travail sur l’acide gallique et d’annoncer qu’on n’ob- tient d’acide gallique pur que par sublimation. En faisant l’étude comparative de l’acide gallique préparé parla voie humide, d’après le procédé qu’il avait indiqué en 1818 et de l’acide obtenu par sublimation, Braconnot reconnut qd’il avait affaire à deux acides distincts ; il conserva le nom de gcdlique à l’acide identique à celui de Scheele et appela pyrogallique l’acide obtenu sous l’influence du feu. C’est ce dernier acide, le pyrogallique, qui a acquis une si grande importance depuis ; il est devenu le fixateur par excellence de la photographie sur papier. 90 Il fallait de la sagacité pour établir cette distinction, il n’en fallait pas moins pour reconnaître l’isomérie de l’acide métatartrique avec l’acide tartrique ordinaire, car, quand Braconnot eut reconnu les modifications que ce dernier éprouve sous l’influence du feu, il n’avait pas à sa disposition les moyens analytiques que iTous avons au- jourd’hui. C’était en 1831 ; Berzélius venait de formuler Yisomérie (1830), et M. Dumas et M. Liebig préludaient aux travaux d’analyse élémentaire dont ils allaient bientôt doter la science ; mais à celle époque, si éloignée de nous chimiquement parlant, il n’y avait aucun critérium, aucun point d’arrêt bien net, qui permit de décider de l’identité de composition de deux substances organiques ; cette pénurie de moyens n’arrèta pas notre chimiste, il y sup- pléa par son coup d’œil, et une fois fixé, il ne lui fallut que du courage pour affirmer que l'acide tartrique ordi- naire et l’acide modifié par la chaleur (le métatartrique), sont isomères, c’est-à-dire que, sous des propriétés phy- siques tout à fait différentes, ces acides cachaient une composition élémentaire identique. Après celte excursion dans le domaine de la chimie nouvelle, de la science des métamorphoses, après en avoir ainsi salué l’aurore, Braconnot se hâta de re- venir à ses principes immédiats et de refaire de la chimie qualitative, qu’il n’avait pas reniée même pendant qu’d s’occupait des recherches dont nous venons de parler, la preuve en est dans quelques notes d’un intérêt secon- daire qu’il publia dans l’intervalle de ses travaux. 91 11 revint à scs principes immédiats avec toutes ses qualités premières et se mit, en même temps, ù analyser de plus belle tout ce qui lui tombait entre les mains : des tablettes imitant l’ardoise, il passe aux boues des villes dont le principe colorant noir est reconnu par lui pour du sulfure de fer; de l’analyse chimique de la lie de vin, il passe à celle de la gelée des fruits, et considérant que le principe de ces gelées est soluble dans l’eau et ne réagit pas sur le papier de tournesol, il découvre la pectine et rectifie ainsi une erreur qui s’était peu à peu introduite dans la science à la suite de sa découverte de l’acide pee- tique ; car les traités, se copiant les uns les autres, alors comme aujourd’hui, avaient rangé dans la catégorie de l’acide peclique la substance gélatineuse des fruits, bien que cet acide fût insoluble dans l’eau. A l’examen de la gelée des fruits, notre analyste fait succéder celui de la jusée des tanneurs, et salue en passant son acide nan- céique dont l’identité avec l’acide lactique n’était pas en- core reconnue ; puis il entreprend l’analyse de l’écorce de chêne et en sépare de la pectine. Persuadé que la présence de la pectine dans cette écorce n’est pas un fait isolé, il la recherche dans l’écorce d’autres plantes et il a le bonheur de la trouver dans les végétaux les plus variés. Des recherches queM. Pelouze avait publiées sur l’acide azotique rappelèrent l’attention de Braconnot sur les réactions chimiques et leurs produits : après avoir répété les expériences de M. Pelouze, expériences qui avaient surtout pour objet de montrer que l’acide azotique cou- 92 centré agit autrement que l’acide affaibli, notre chimiste étendit cette action à quelques métaux; il constata de nouveau cette propriété du fer de ne pas être attaqué par l’acide azotique concentré et qui a été désignée sous le nom de passivité et reconnue depuis à quelques autres métaux tels que le nickel et le cobalt (1). Puis il étudia aussi l’action exercée par cet acide sur quelques sub- stances organiques et découvrit ainsi la Xyloïdine, sub- stance très-inflammable obtenue en traitant la fécule, le coton ou la sciure de bois par l’acide azotique concentré. L’action de l'acide azotique affaibli était déjà connue; en voyant les effets divers exercés sur les substances miné- rales par cet acide,pris à différents degrés déconcentration, Braconnot pensa qu’il en serait encore de même lorsqu’à ces substances minérales on substituerait des matières d’origine organique ; s’il eut poussé jusqu’au bout cette réflexion judicieuse et que, se plaçant dans des conditions extrêmes, il eût aussi étudié l’action de l’acide azotique au maximum déconcentration, il eut découvert la pyroxiline ou coton-poudre ; mais il n’était pas dans sa destinée d’arriver à ce résultat, du reste peu important au point de vue scientifique, car on l’a déjà vu, notre chimiste n’o- pérait que sur des matériaux à sa portée et avet; des réac- tifs peu coûteux ; or, en 1852 l’acide azotique fumant ne (J) Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. XXXVI!, p. 284, et Journal de Pharmacie et de Chimie, t. XXV, p. 206. 93 comptait pas parmi ces derniers et jamais cet acide n’a été rencontré dans le laboratoire du chimiste nancéien. Si des recherches postérieures ont établi la composition de la xyloïdine et fait voir qu’elle peut être considérée comme de la fécule dans laquelle une portion de l’hydro- gène est remplacée par de l’acide hypoazotique, elles n’ont pas ajouté grand chose à l’histoire des propriétés de ce composé nitré. Cette partie de la question a été étudiée avec soin par Braconnot, qui entrevoit déjà, dans un dérivé de la xyloïdine le futur Colloclion, devenu si important en chirurgie et en photographie. Nous ne voulons pas dire par là qu’il a proposé ce dé- rivé pour l’emploi dont il s’agit, mais ce qu’il a clairement indiqué, c’est le vernis qu’on peut tirer de la xyloïdine, vernis sur lequel l’eau n’a pas de prise. Voici, au reste, le passage de son mémoire qui est relatif à ce point : ti L’acide acétique dissout facilement la xyloïdine et sur- tout à l’aide de la chaleur; il peut même s’en charger tellement que la liqueur prend la consistance d’un mu- cilage épais, lequel, mis en contact avec l’eau, se coagule en une masse dure d’un blanc mat; mais en le faisant sécher à une douce chaleur, il laisse une matière vitreuse qui n’est pas moins incolore que du verre blanc et qui, plongée dans l’eau, conserve sa transparence; aussi ai-je essayé d’en faire de petites lentilles de microscopes. Ce mucilage acide appliqué sur du papier ou tout autre corps y laisse un enduit vernissé très-brillant, qui a un immense avantage sur celui que fournit la plus belle 94 gomme ; c’esl qu'il résiste parfaitement à l’action de l’eau. De la toile, imprégnée du même mucilage puis desséchée, conserve la raideur et l’imperméabilité qu’elle a acquise, même en la faisant bouillir dans l’eau (1). n Ici se terminent les recherches que Braconnot a exécu- tées dans le champ des métamorphoses organiques. A partir de ce moment il ne contemple plus que de loin le magnifique édifice qui s’élevait par les efforts de travail- leurs jeunes et infatigables. Maintenant, il ne s’agit plus seulement d’extraire les principes immédiats élaborés dans les organes des végétaux et des animaux ; on ne se contente plus même de transformer ces principes et d’en tirer de nouveaux produits ; les matériaux amassés par les devanciers ont permis de faire un pas en avant et d’aborder avec succès ce problème que Lavoisier n’a pu que poser, savoir, de reconnaître la composition élémen- taire des substances organiques. Une voie immense fut, tout d’un coup, ouverte à la chimie par les travaux de MM. Berzélius, Dumas et Liebig. Le tube à boules, sim- ple instrument en verre, aidé d’un peu de potasse, de chlorure de calcium et d’oxyde de cuivre fit connaître la composition élémentaire des substances * hydrocarbo- nées ; le procédé de dosage d’azote d’après le volume per- mit d’étendre ces investigations aux alcaloïdes et aux autres substances azotées. (1) Annales de Chimie et de Physique, t. 111, p. 201; et Mé- moires de l'Académie de Stanislas, 1833-1834, p. 10. 95 Ces questions à peine résolues en firent surgir de nouvelles qui devaient, à leur tour, être résolues avec plus ou moins de succès. A quelle unité rapportera-t-on les nouvelles formules ? quel critérium avons-nous de l’exactitude d’une analyse ; l’acide acétique sera-t-il C II O; ou C2 H2 O2 ouC‘ 1I‘ 0‘ ou C8 H8 O8 ? La détermination des équivalents des acides et des al- caloïdes basée sur la combinaison que ces substances peuvent former avec un corps connu, permit de résoudre cette difficulté quant aux principes doués d’un caractère acide ou basique ; la détermination de la densité de la substance à l’état de vapeur, le remplacement d’un des éléments de la substance par un autre élément permirent d’étendre nos moyens aux corps neutres et de nous dis- penser souvent de passer par les produits de décompo- sition de ces corps, pour en rechercher l’équivalent. Tant de nouveautés admises en si peu de temps mo- difièrent entièrement la face de la chimie organique. Mais Braconnot n’était plus à l’âge où l’on change aisé- ment de principes et d’habitude. S’attacher à acquérir après avoir vécu, pendant 50 ans, de son propre fonds; brûler ce que jusque-là il avait adoré eût été un sacrifice trop rude et de plus jeunes se récusèrent. Cependant si ses forces ne lui permirent plus de sui- vre la science dans les rapides évolutions qu’elle venait d’accomplir, il ne resta pas oisif spectateur. Au con- traire, les communications se succéderont plus fréquent- 96 ment que jamais ; il se renfermera au jardin botanique, théâtre de ses premiers travaux, et demandera des sujets de recherches à ses chères plantes : à la note sur la fa- culté que possèdent les fleurs de laurier-rose d'attraper des insectes, il en fera suivre une autre sur un nouveau moyen d'écrire sur le zinc pour étiqueter les plantes, puis viendront les expériences sur le volvoce globuleux ; sur des écailles de nature inorganique produites par les plantes de la famille des plumbaginèes, sur le suc gas- trique et une note sur la conservation des légumes frais, note dans laquelle il propose comme préservatif l’acide sulfureux, déjà employé par J. Davy pour la con- servation des pièces anatomiques. Tout récemment, on a cherché à faire revivre cette application fausse d’un principe vrai : l’acide sulfureux est un puissant antisep- tique; il conserve les matières organiques non-seule- ment à cause de sa grande affinité pour l'oxygène, mais encore parce qu’il détruit le principe fermentescible que la nature a sagement déposé dans beaucoup d’entre elles. Des substances alimentaires ainsi dénaturées, seront-elles assimilables comme elles l’étaient auparavant? le travail de la digestion ne s’en ressentira-t-il pas? On peut le craindre ; quoi qu’il en soit de cette présomption, il est certain qu’en conservant ainsi des substances alimentaires on y introduit un agent dangereux par lui-méme et qui tôt ou tard se transformera en acide sulfurique, autre agent vénéneux ; le procédé est donc mauvais par plus d’une raison et le peu de succès qu'il a eu à l’exposition universelle de 18oo n’étonnera personne. 97 Toul en m’efforçant de faire un résumé des princi- paux travaux de Braconnot, je ne me dissimule pas que je n’ai qu’imparfaitement réussi à donner une idée exacte de l’activité fiévreuse qu’il avait jusqu’ici dé- ployée au grand profit de la science ; je n’ai parlé que de ses travaux chimiques et cependant il n’a pas cessé de s’occuper de la botanique, qu'il cultivait aux heures que d’autres eussent consacrées au repos. Après avoir retrouvé à Bruyères, en Vosges, un de ses condisciples de Strasbourg devenu botaniste du premier ordre, il renoua la chaine des temps et reprit avec lui, par voie épistolaire, les conversations scientifiques de 1796. Il a laissé dans ses papiers une volumineuse correspondance, échangée avec le docteur Mougeot pour qui la Flore vosgienne n’avait, depuis longtemps, plus de secrets. De temps à autres, cependant, la conversation change de sujet, un troisième condisciple, le docteur Gaillardot, plus spécialement voué à l’étude de la géologie, apporte sa part de vues et d’activité à ces relations scientifiques. Depuis qu’il eut reconnu la nature basaltique de la côte d’Essey d’après des fragments de pierre noire recueillis parle docteur Mougeot, et deviné l’analogie du cône d’Es- sey avec les cônes basaltiques de Wartemberg (1), le doc- teur Gaillardot s’était voué avec ardeur à l’étude de la géo- logie de la Lorraine. Le magnifique gisement d’ossements (1) Notice yéoloyiquc de la côte d'Esscy. Lunéville 1818. 98 fossiles qu’il sut deviner et découvrir dans le Muschelkalk de Lunéville le rendit l’émule de ses deux amis. Aussi bien, le docteur Mougeot n'attend-il plus que le moment où sa curiosité ne trouvera plus de mousses ou de cham- pignons capables de la stimuler pour, dit-il, passer aux pierres, et quand ce moment fut enfin arrivé et que le botaniste des Vosges eut pu consacrer quelques instants aux études géologiques, il eut bientôt jeté un nouveau jour sur la constitution de cette chaîne de montagnes, dont le versant oriental était, depuis quelque temps déjà, l’objet des études du savant Voltz, delà Faculté des scien- ces de Strasbourg. La nature géologique du sol vosgien fut reconnue, le système du Ilohneck fut créé et les Français apprirent qu'ils peuvent visiter la Suisse sans sortir de la France et trouver dans la chaîne des Vosges, des lacs, des escarpements, et d’anciens glaciers que jusque-là on allait chercher au loin et à grands frais. Ce changement dans la direction des études du docteur Mougeot se trouve marqué dans la correspondance des deux amis. A partir de 1834- la botanique y occupe un rang tout à fait secondaire. Bien des lettres sont échan- gées sans qu’il y soit question de plantes. C’est de miné- raux qu’il s’agit maintenant et d’analyses de roches que le géologue demande avec instance au chimiste, ce que celui-ci exécute ponctuellement. A l’examen chimique du trapp de Raon-l’Etape succède celui du basalte d’Essey, du calcaire de Chipai et d’une foule d’autres roches. Dans les trapps et les basaltes, Braconnot reconnaît des indices 99 de matières organiques dont il exagère l’importance et queKnox avait déjà remarquées dans des roches éruptives de l'Irlande. Le calcaire du Chipai lui donne des réac- tions qui lui font un instant croire à la présence de l’éme- raude, mais il eut bientôt reconnu son erreur et, dans une lettre écrite six jours après l’annonce de cette prétendue découverte, il en convient avec une entière franchise. A ces travaux minéralogiques se rattachent des analy- ses d’eaux minérales et d’eaux potables en grand nombre, dont plusieurs ont été entreprises dans un but d’utilité publique. De ce nombre est Yanalyse comparative des onze sources minérales et thermales de Luxeuil (1838) et celle des quatre principales sources qui alimentent les fontaines de la ville de Nancy. Ces eaux avaient été analysées en 1810 par Mathieu de Dombasle, à l’aide des procédés imparfaits usités à cette époque. Un change- ment parut s’ètre produit dans la composition de ces eaux, car depuis quelque temps elles étaient devenues fortement incrustantes. Invité par l’administration mu- nicipale à examiner les eaux de ces sources, Braconnot ne tarda pas à reconnaître l’origine de ces incrustations. Ces eaux très-calcaires, étaient riches en acide carbonique, le carbonate de chaux s’y trouvait donc dissous à l’état de bicarbonate, très-prompt, comme on le sait, à repasser à l’état de carbonate neutre, insoluble lorsqu’il est exposé à l’air libre et surtout à une température de 100°. Mais où git, dans le cas particulier, la cause réelle de l’altération signalée? Notre chimiste eut bientôt découvert le point 100 précis; c’est dans le château d’eau qu’on a construit, place de Grève, sur le parcours de la source de Boudon- ville; l’eau qui alimente cet édifice hydraulique subit, dans de vastes bassins, la radiation solaire, elle tombe en- suite et retombe en larges nappes de bassin en bassin pour rentrer sous terre et gagner la partie inférieure de la ville, à travers des tuyaux de conduite qui s’incrustent, avec une grande rapidité, alors que rien de pareil ne se manifeste dans les tuyaux situés en amont du château d’eau. Dans l’eau des sources de la Malgrange, il trouve envi- ron quatre fois moins de carbonate de chaux que dans les trois autres sources; c’est celle-là qui conviendrait à un château d’eau, de même qu’elle doit être très-bonne pour l’alimentation des chaudières à vapeur, puisqu’elle renferme si peu de substances incrustantes. Cette opinion a été confirmée, du moins quant à l’em- ploi de celte eau dans les chaudières à vapeur. Un puits ayant été creusé au faubourg Saint-Pierre, près de l’é- glise de Bonsecours, dans l’importante filature apparte- nant aujourd’hui à MM. Saladin, on obtint une eau qui permit d’alimenter les chaudières pendant trois mois sans donner lieu à des incrustations en proportion notable. Une analyse, faite par Braconnot, lui apprit que les 459 milligrammes de substances solides contenues dans un litre de cette eau se composaient en majeure partie de sels de soude avec très-peu de carbonate de chaux, et par conséquent très-peu de substances incrustantes. 101 L’eau du lac de Gérardmer, examinée par notre chimiste en 1847 est encore bien plus pure, c’est tout simplement de l’eau distillée contenant de l’air et de l’acide carboni- que dans les proportions voulues pour la rendre potable. Cette remarquable pureté est particulière à plusieurs eaux des Vosges, sourdant ou cantonnées dans des ter- rains granitiques, et on peut s’étonner que certaines in- dustries, telles que la papeterie, toujours en quête d’eaux pures, n’aient pas songé suffisamment aux eaux des Vosges. L’analyse des eaux potables de Nancy a conduit Bra- connot à reconnaître, dans ces eaux, la présence de l’a- zotate d’ammoniaque (Doc. XII). C’est la première fois que la présence de ce sel avait été signalée dans des eaux de source et cette observation n’avait d’autre précédent, qu’un fait constaté par Berzélius à l’occasion d’une ana- lyse des eaux de Porla, dans lesquelles il avait reconnu la présence de l’ammoniaque qu’il supposait combinée avec de l’acide carbonique ou un acide d’origine organique. Ces travaux, ainsi que tous ceux qui ont été publiés par Braconnot, se trouvent ou résumés ou insérés in extenso soit dans les Mémoires de l’Académie de Stanislas, soit dans les Annales de chimie et de physique. Depuis 1807, date du mémoire sur une corne fossile, jusqu’en 1842 inclusivement, notre chimiste a régulièrement payé son tribut à la science et on chercherait en vain un volume privé de ses publications. La série se trouve, pour la première fois, interrompue en 1843, où aucun mémoire, 102 aucune note ne témoigne de l'activité du chimiste lor- rain. Etait-il malade? avait-il renoncé à scs études favo- rites? Dominé par des soucis comme il n’en avait jamais connu, il se sentait de l’aversion pour tout ce qui pouvait le dérober à sa douleur, car sa mère venait de mourir. Tombée dans un état complet de sénilité, Madame Bra- connot ne reconnaissait même plus la nièce dévouée, Mademoiselle Pauline Blanchard, qui avait uni son sort au sien et qui devait aussi fermer les yeux à son cousin. La pauvre infirme était devenue étrangère à tout, au point de perdre conscience d’elle-même. Une seule fibre resta sensible chez elle, c’était l’amour maternel ; quatre mots sont restés stéréotypés dans sa mémoire, quatre mots, les seuls qu’elle put encore articuler et qu’elle répétait, avec amour, toutes les fois qu’elle sentait arriver son fils ; *1 Mon fils est grand. » Enfin, après deux années d’un mutisme presque absolu, Braconnot reparaît dans la lice avec scs qualités pre- mières et nous fait faire la connaissance d’un principe immédiat qu’il venait de découvrir en faisant de la chi- mie culinaire, c’est Yapiine, extraite de l'apium pctrosel- linum ou persil ; c’est une niasse gélatineuse ayant quel- que ressemblance avec l’acide peclique et qui est deve- nue, depuis, l’objet d’une élude attentive de la part de MM. Planta et Wallace (1). Ces chimistes ont complété (I) Annuaire de chimie de MM. Millon et JYicklès. 1851, p. 448. 103 leur travail de vérification en soumettant l’apiine à une analyse élémentaire, des résultats de laquelle ils dé- duisent la formule C24 II'* O13. L’examen des glands de chêne est le dernier travail d’analyse immédiate que notre chimiste ait fait connaître. 11 a été entrepris sur l’invitation de M. Paul Laurent. Le fait le plus important qui en résulte est la présence, dans les glands, d’une matière sucrée fort analogue au sucre de lait, bien que cette matière sucrée ne soit pas sus- ceptible de se transformer en acide mucique. D’après l’auteur, cette substance n’est pas identique à la lactine, mais elle a avec elle autant de rapports que la léguminc peut en avoir avec la caséine. Cependant, la différence est plus profonde, bien que la lactine du gland soit un sucre. En reprenant l’analyse des glands, M. Dessaignes a reconnu que le sucre qu’ils contiennent est un sucre particulier, autonome, diffé- rent de la lactine, C12 II'2 O12, par 2 atomes d’oxygène et de la mannite, C12 H14 O'2 par 2 atomes d’eau; sa formule est donc C12 II12 O10. Ce sucre que M. Dessaignes appelle Quercite, jouit d’une forme cristalline et d’un pouvoir rotatoire propres. A cela près que le sucre contenu dans les glands de chêne n’est pas du sucre de lait, les considérations qui terminent le mémoire de Braconnot sont parfaitement fondées. Après avoir établi que les cotylédons des glands contiennent tous les éléments du lait, il établit une com- paraison entre ces cotylédons et les mamelles et trouve, 104 en passant, l’occasion de décocher un trait à la médecine, ou plutôt aux médecins, qu’il traite toujours en enne- mis. » S’il est vrai, dit-il, que le sucre de lait soit appro- prié à l’extrême faiblesse des êtres organisés, dans leur première alimentation, n’aurait-il pas plus de droit à être employé en médecine que ces remèdes gommeux si dégoûtants dont on abreuve les malades en essayant de les soulager (1). » Les derniers travaux publiés par notre chimiste sont des travaux de circonstance dont les résultats n’offrent qu’un intérêt secondaire ; soit qu’il examine des produits pathologiques élaborés dans son propre organisme forte- ment ébranlé, soit qu'il étudie l’influence exercée sur la végétation par divers agents chimiques, on sent que Bra- connot incline vers la tombe. Le chimiste de 1823 a complètement abdiqué, il a repris la marche empyriquc avec laquelle il débuta dans la science ; ou bien il analyse le premier objet que le hasard met entre ses mains ou bien, s’il lui arrive de se poser un problème, c’est qu'il croit déjà en avoir la solution et cède alors sans s’en douter, à une idée préconçue. Il en est ainsi dans le tra- vail intitulé : De l’influence du sel sur la végétation, entrepris à une époque où le gouvernement, convaincu du rôle important que le sel joue en agriculture, se pro- posait de diminuer l’impôt qui pesait sur cette denrée. (I) Mémoires de l'Académie de Stanislas, 1819, p. 343. 105 Le dégrèvement-de l’impôt du sel avait un double intérêt pour la Lorraine, pays agricole et en même temps pro- ducteur de sel, grâce à l’immense banc de sel gemme qui forme les assises inférieures du département de la Meurthe et qui fera, un jour, de ce département, le gre- nier d’abondance du chlorure de sodium et de tous ses dérivés. Agriculteurs et hommes de science, chacun s’occupa de cette question du dégrèvement de l’impôt, Braconnot ne put s’empêcher de l’examiner au point de vue chimique et de la résoudre dans le sens de l’opinion qu’il s’en était faite. Se rappelant fort à propos ce passage de la Bible suivant lequel Abimélec sema du sel sur les ruines de Sichem, afin que ce sol ne produisit plus, il pensa, lui, que le sel exerçait toujours une action délétère et institua des expériences imparfaites qui de- vaient venir à l’appui de son opinion. » Persuadé que des expériences en petit sont souvent plus concluantes que celles qu’on pourrait tenter sur une grande échelle, n il entreprit de résoudre une question de grande culture au moyen de trois petits pots à fleur dans chacun desquels il mit 700 grammes de terre ainsi que des graines de colza et de pois de senteur; l’un de ces pots fut arrosé avec de l’eau pure, les deux au- tres avec de l’eau salée, à haute dose ; les effets prévus ne se firent pas attendre, c’était l’expérience d’Abimélec renouvelée, ainsi que le fit voir M. Soyer-Willemet (1), (1) Mémoires de iAcadémie de Stanislas, 1843, p. 3fi. 106 dans une vigoureuse réfutation du travail de notre collè- gue, l’auteur ayant pris environ vingt fois plus de sel qu’il n’en fallait, la végétation des graines de colza devait né- cessairement être entravée. u De ce que, est-il dit dans celte réfutation, des ali- ments, dans lesquels on mettrait vingt fois plus de sel que la dose convenable nuiraient à la santé faudrait-il en tirer des conséquences contre l’emploi de cet utile condi- ment? « Ce mémoire prouvait donc seulement que le sel à haute dose nuit à la végétation, on pourrait en dire au- tant de toute espèce d’engrais ou d’amendement, et si l’on s’étonne qu'après ces raisons Braconnot ait conservé son opinion, on s’étonnera davantage qu’il n’ait pas songé à refaire ses expériences en employant du sel en propor- tion moindre. Mais, ainsi que nous l’avons vu, Braconnot baissait à vue d’œil, sous le poids de l’àge et surtout d’une maladie qui commençait à devenir inquiétante. C’est que la mort de sa mère lui avait porté un coup qu’il pouvait dissimu- ler pendant quelque temps, mais, dont un œil intelligent et dévoué n’avait que trop saisi les suites. Lui, qui avait été jusque-là, d’une santé si robuste, était devenu souf- frant ; il se plaignait timidement de douleurs dont il ne connaissait ni l’origine ni le siège, mais qui intéressaient les organes de la digestion et affectaient parfois la tête. Cet état de souffrance qui louchait à la partie morale autant qu’à la partie organique, ne refroidit pas son 107 amour pour la scienee.et nous le verrons travailler jus- que dans les bras de la mort, à des sujets et avec des procédés qui rappellent sa première manière. Les titres des diverses notes publiées par lui, depuis ce moment, seront mentionnés à la fin de ce travail, dans la liste des travaux qui ont été imprimés; nous n’en parlons pas maintenant, afin de ne pas donner trop d’extension à cette biographie. Rien n’est resté de ces travaux accomplis par lui au déclin ; par son âge et par ses services rendus il avait acquis le droit au repos, les recherches chimiques étaient pour lui une habitude, un délassement; il les poursuivit tant qu’il le put, sans remarquer que sa méthode avait vieilli comme ses idées. Cependant une qualité est demeurée debout au milieu de cette décadence, la mémoire des faits scientifiques et le tact particulier avec lequel il savait démêler les résul- tats divers d’une expérience. Ce tact a été surtout utile, dans les expertises médico-légales dont il fut souvent chargé et auxquelles il a procédé jusqu’aux derniers temps de sa vie', avec une précision et une netteté qui faisaient l’admiration de ses co-experts. Mais, dans toutes ces recherches de chimie légale les questions étaient posées nettement et le sujet clairement indiqué ; la réponse était par cela même plus facile. 11 en était autrement des travaux personnels de l’auteur exé- cutés à la fin de sa carrière, où le plus souvent la question était mal posée ou avait un point de départ mal défini. Tel est son dernier travail, lu par lui à l’Académie de Stanislas un mois avant sa mort ; travail dont il a fourni et l’idée et les matériaux. Un cancer à l’estomac minait sourdement cette vigou- reuse organisation et mettait son existence en péril ; des souffrances intolérables paralysaient fréquemment ses forces, mais quand elles lui laissaient un peu de repos il en profitait pour faire l’analyse de scs propres déjections dans l’espoir d’en déduire u le travail chimique qui s’opère dans le tube gastro-intestinal, lorsque les fonctions de celui-ci sont dérangées et que la nutrition se fait mal. n Le malade, disons-nous, était notre chimiste lui-même; il décrit son état sans toutefois se nommer et ne manque pas l'occasion de dire son mol sur la médecine à la- quelle, on ne l’a pas oublié, le fléau de sa vie, M. Huvct, avait appartenu. On verra par la citation suivante, qu’il s’est mépris sur son état et que pour n’avoir vu qu’un léger dérangement, là où il y avait un vrai danger, le mépris qu’il professa pour l'art médical lui coûta cher. » Un homme d’un âge avancé, d’une forte constitution, après avoir éprouvé une constipation assez opiniâtre, eut un dévoiement accompagné de flatuosités avec borbori- gmes qui dura environ deux mois sans coliques. J’ignore si ce léger dérangement des fonctions digestives a eu pour cause la constitution de l’année, une influence cho- lérique ou s’il a été plutôt le résultat d’un effort critique et salutaire ce qui me parait plus vraisemblable. 11 Quoi qu’il en soit, d’après mes conseils, un régime 108 109 bien entendu a tenu lieu de tout remède ; car il faut bien le reconnaître, la puissance médicatrice de la nature suit des lois particulières dans ses évacuations, choisit des temps marqués pour agir, en un mot, peut beaucoup sans le secours de l’art ; tandis que sans elle, l’art ne peut rien quoi qu’en puissent dire ceux qui sont en pos- session du droit de tout risquer (l). » L’analyse chimique ne lui donna aucun éclaircissement et ne pouvait pas lui en donner, attendu que ce n’est pas par des proportions d’acétate de potasse ou de chlorure de sodium trouvées dans les évacuations qu’on peut dia- gnostiquer un cancer à l’estomac, ou chercher avec suc- cès, des conseils ou des moyens de guérison. Mais, depuis le second mariage de sa mère, il avait ses idées arrêtées à l’endroit de l’art médical ou plutôt des médecins ; il ne s’est converti ni sous ce rapport ni sous aucun autre, et si pendant sa maladie il recevait quelques médecins c’était à titre de confrères ou d’amis, acceptant leurs conseils pour ne pas les froisser, mais se gardant bien de les suivre; il mourut donc comme il avait vécu, conséquent avec lui-même, et voyant venir la mort avec la conscience du juste et la fermeté d’un homme dont la vie entière avait été un modèle d’application, de sagesse, de piété filiale et de dévouement. Après avoir fait, de son vivant, la gloire de la ville qui (1) Mémoires de l'Académie de Stanislas, 1831, p. 530, et Journal de Chimie médicale, 1854, p. 716. 110 fut sa patrie adoptive, il voulut en être le bienfaiteur après sa mort; il lui transmit donc par disposition testa- mentaire toute sa fortune, non sans avoir, au préalable, assuré des rentes viagères aux personnes qui s’étaient dé- vouées à sa mère et à lui. Cette somme de 280,000 fr. qui vient ainsi entrer dans la caisse municipale provient tant de l’héritage de ses parents que des économies que Braconnot a pu réaliser durant sa carrière ; économies qui s’élevaient à un chiffre considérable, car il était d’une sobriété toute particulière et à l’exemple du philosophe antique il n’avait d’autres besoins que les besoins essen- tiels. Notre chimiste n’avait jamais été malade jusque-là. Une excellente constitution, une vie toujours réglée ont mis sa santé à l’abri de bien des causes d’altérations. Il fuyait le monde et la seule distraction qu’il prenait loin de son foyer, c’était le théâtre dont il était grand amateur. Il était lin peu musicien et tant que vécut sa mère il égaya ses soirées d’hiver en chantant et en s’accompagnant de la guitare, distraction d’autant plus attrayante pour lui, que ses yeux fatigués et souvent malades lui avaient interdit la lecture. Voltaire, Bayle, Montaigne, Helvétius, Molière, Horace, étaient ses auteurs favoris ; il aimait le commerce de ces grands hommes et surtout des sceptiques dont l’esprit était si conforme au sien. Braconnot, en effet, doutait de tout à priori et ne croyait qu’au témoignage des sens ou à la démonstration mathématique; nous avons vu court- 111 ment il avait été conduit à ce résultat et comment c’est à lui qu’il était redevable de ses principaux titres de gloire. En 1808, il n’avait pas encore appris à douter; il fit un mémoire plein de rêveries que rien jusqu’ici n’a justifiées. En 1815, il avait fait quelques progrès, mais pas assez en- core pour se mettre à l’abri de la tendance de son école, de se payer de mots. Enfin, après avoir subi les consé- quences de cette tendance fâcheuse et reconnu qu’elle l’avait empêché d’associer son nom à quelques-unes des plus belles découvertes du siècle, il ne s’adressa plus qu’à la démonstration et n’admit plus d’autres raisonnements que des raisonnements basés, non sur des mots, mais sur des faits bien établis. Timide à l’extrême, il ne défendait ses opinions ni ver- balement ni par écrit; il n’a jamais abusé des réclama- tions de priorité et a laissé ce genre de publicité aux gens qui n’ont que ce moyen-là pour se faire connaître ; il n’o- sait pas parler en public et il en évitait toujours les occa- sions. Nommé président de la section des sciences physi- ques au Congrès scientifique de Metz, il commença par donner sa démission ; maintenu quand même dans sa dignité, il répondit à cette honorable insistance en pre- nant la poste ; la section attendit longtemps le président qu’elle s’était donné; elle n’apprit qu’au troisième jour qu'il était rentré dans ses foyers. Appelé à siéger dans le conseil municipal de Nancy, il commença également par refuser ; une députation étant venue le prier d’accepter les honorables fonctions que ses 112 concitoyens venaient de lui confier il refusa de nouveau. Nouvelles instances, nouveau refus suivi d’une exclama- tion un peu vive, la seule que l’excellent homme se fut jamais permise : » Mais vous ne me connaissez pas, mais je suis profondément incapable de me mêler de vos affaires, c’est à peine si j’entends quelque chose aux miennes. « Force lui fut, néanmoins, d’accepter ; il siégea pen- dant plusieurs années sans jamais prendre part active aux affaires ; pendant toute la durée de ses fonctions, il ne prit qu’une seule fois la parole, et encore ce ne fut qu’à son corps défendant, c’était à l’occasion de l’analyse des eaux potables de Nancy dont nous avons parlé plus haut. Pendant que, par les marques d’estime qu’ils lui don- naient, ses concitoyens prouvèrent que s’ils n’étaient pas à même d’apprécier toujours ses travaux scienti- fiques, ils appréciaient le savant, probe et désintéressé, Braconnot reçut d’autre part de nombreux témoignages de la juste renommée qui s’attachait à ses recherches. Je ne parlerai pas de la décoration qui lui fut octroyée sans qu'il l’eût demandée, mais de sa nomination à une place de correspondant de l'Institut et des démarches, faites plus tard par plusieurs membres de ce corps sa- vant dans le but de le décider à prendre un pied à terre à Paris, afin de pouvoir le nommer titulaire. Gay-Lussac, fut un de ceux qui se montrèrent les plus pressants ; Arago, qui, sur ces entrefaites était venu à Nancy, unit ses instances à celles de son illustre collègue ; ce fut eu 113 vain. Braconnot craignit le bruit et la foule, il redoutait surtout d’être en évidence, aussi n’a-t-il jamais été s’as- seoir à l’Académie des sciences à sa place de correspon- dant ; néanmoins il y est allé plusieurs fois, mais toujours en se plaçant sur les banquettes réservées au public; c’est là qu’il fut, un jour, reconnu par Ampère, qui lui lit, moitié de force, prendre place à côté de lui. L’hum- ble correspondant y était fort mal à l’aise et n’y restait pas longtemps; profilant d’une de ces distractions si fré- quentes chez son immortel voisin, il se hâta de s’éclipser. C’étaifci la dernière fois qu’on l’eût vu à l’Académie des Sciences. Il s’en dédommagea à Nancy où il fut un des mem- bres les plus assidus non-seulement de l’Académie de Stanislas, mais encore des diverses sociétés scientifiques ou agricoles de la ville, voire même de la société de mé- decine, lui qui en fait de sciences médicales n’admettait que l’anatomie et la chirurgie. Braconnot n’a jamais travaillé d’après un système d’i- dées; il perdait pied toutes les fois qu’il voulait s’élever à des conceptions générales, son terrain était l’expérience ; observateur avant tout, il savait voir là où d’autres ne voyaient plus et démêler, avec une merveilleuse sagacité, des phénomènes très-complexes qui faisaient Je déses- poir de chimistes du premier ordre. Ce n’est donc le plus souvent qu’au hasard qu’il empruntait ses sujets de recherches, mais quand le hasard l’avait servi, il en tirait un parti si merveilleux que souvent il s’élevait à la hau- teur du génie. 114 Bien des chimistes avaient, avant Braeormot, coudoyé des faits dont lui seul a su tirer des conséquences, nous ne voulons parler que du sucre de bois ; la circonstance fortuite qui l’avait mis sur la voie de cette mémorable transformation, s’était montrée à tous ses devanciers depuis la découverte de l’acide sulfurique, c’est-à-dire, depuis près de trois siècles ; aucun n’a su en reconnaître la signification et cependant y a-t-il jamais eu une époque plus riche en grands esprits et en savants illustres que celle qui a commencé avec Lavoisier et fini en 1819, date de ladite transformation? $ Un archéologue passant dans un champ y remarqua une pierre récemment déterrée, dans laquelle il reconnut un débris d’autel romain portant de précieuses inscrip- tions. Heureux d’avoir été le premier à remarquer ce que tant d’autres auraient pu voir avant lui, il exprima sa sa- tisfaction en disant : u Un régiment tout entier vient d’y passer et personne n’a remarqué ce monument. » Bra- connot aurait pu, plus d’une fois dans sa vie, en dire au- tant. Le hasard se manifeste à tout le monde, mais, il faut du talent pour s’en servir et les hommes qui savent remarquer, là où d’autres passent indifférents, sont assez rares pour qu’on les cite; si à ce talent d’observation vient s’ajouter pn esprit à la fois curieux et investigateur, on peut s’attendre à de grands résultats pour peu que le mortel doué de ces qualités aime la science et en prati- que le culte. On a vu par ce qui précède que Braconnot était un de ces mortels prédestinés, il nous a été aisé de montrer qu'il n'a pas failli à sa mission. Liste des travaux publiés par H. Braconnot, d’après un manuscrit trouvé dans ses papiers. 1. Notice historique et analyse chimique d’une corne fossile d’une grosseur extraordinaire, trouvée dans un ca- veau antique (Journal de chimie et de phijsique, de Lamé- therie, août 1806). 2. Recherchés sur la force assimilatrice dans les végé- taux (Annales de chimie, t. 61, p. 187 et 225). 3. Observations sur le Phytolacca, ou raisin d’Amérique (Ibid., t. 62, page 71). 4. Examen des acides végétaux qui saturent la potasse et la chaux dans les plantes (Ibid., t. 65, .p 277). 5. Analyse comparative des gommes résines (Ibid., t. 68, p. 18). 6. Second mémoire sur la nature des acides végétaux qui saturent la potasse et la chaux dans les plantes (Ibid., t. 70, p. 255). 7. Recherches sur la nature et les usages du brou de noix (Ibid., t. 74, p. 304). 8. Procédé pour extraire le sucre contenu dans le miel (Annales des arts et manufact., t. 40 et Bulletin depharm. 1811). 9. Analyse chimique de la noix vomique (Ibid., n° 7, année 1811). 10. Notice sur Vuva ursi (Ibid., n° 8, 1811). 11. Recherches analytiques sur la nature des champi- gnons (Annales de chimie, t. 79 et t. 80). 116 12. Observations chimiques sur l’agaric blanc officinal {Bulletin de 'pharmacie, n° 7, juillet 1812). 13. Expériences sur un acide nouveau (acide nancéïque) (Annales de chimie, t. 86, p. 84). 14. Nouvelles recherches analytiques sur les champi- gnons pour faire suite à celles qui ont été insérées dans les tomes 79 et 80 des Annales de chimie {Ibid., t. 87). 15. Analyse de l’absinthe (Bulletin de pharmacie, dé- cembre 1813). 16. Mémoire sur la nature des corps gras [Annales de chimie, t. 93, page 225). 17. Observations sur les avantages du datisca cannabina dans l’art de la teinture et sur un nouveau principe des vé- gétaux (la datiscine) (Journal de physique de Lamétherie, septembre 1816). 18. Analyse du riz de Piémont et de Hollande (Annales de chimie et de physique, t. 4, p 370). 19. Mémoire sur le principe extractif et sur les extraits en général [Journal de physique de Larnétherie, avril et tuai 18I7). 20. Examen chimique du piment, de son principe âcre et de celui des plantes de la famille des renonculacées [Annales de chimie et de physique, t. 6, p. 112). 21. Mémoire sur l’acide sorbique et sur ses diverses combinaisons {Ibid., t 6, p 259). 22. Expériences sur la nature de l’acide malique [Ibid., t. 8, 149). 23. Examen chimique des tubercules de la gesse tubé- reuse, vulgairement maojon [Ibid , t. 8, p. 241). 2i. Observations sur la préparation et la purification de l’acide gallique, et sur l’existence d’un acide nouveau (acide ellagique) dans la noix de galle [Ibid., t. 9, p. 181). 25. Analyse chimique du foie (Ibid., t. 10, p. 189). 26. Notice sur une roche quartzeuze péne'trée de percar- bure de fer (Ibid., t. 12, p. 45). 27. Mémoire sur la conversion du bois en gomme et en sucre, par le moyen de l’acide sulfurique. Conversion de la même substance ligneuse en ulmine par la potasse (Ibid., t. 12, p. 172). 28. Procédé pour fixer sur la laine, la soie, le coton, le chanvre, etc., une belle couleur jaune minérale (Ibid., t. 12, p. 598). 29. Note sur la cristallisation du sucre dans une circon- stance particulière (Ibid., t. 16, p 427). 30. Mémoire sur la conversion des matières animales en nouvelles substances (Ibid., t. 13, p. 113). 31. Examen de plusieurs bézoards vomis par une fille (Ibid., t. 20, p. 194 . 32. Examen d’un sédiment des eaux de Luxeuil (Ibid., t. 18, p. 221). 33. Analyse comparative des excréments d’un rossignol et du cœur de bœuf dont il a été nourri (Ibid., t 17, p. 380). 34. Sur une très-belle couleur verte (Ibid., t. 21, p. 55). 35. Analyse des tubercules de Vhelianlhus tuberosus et observations sur un nouveau principe (Ibid., t. 25, p. 258). 56 Noir pour la chaussure (Ibid., t 27, p. 173). 37. Recherches sur un nouvel acide universellement répandu dans les végétaux (Ibid., t. 28, p. 173). 58. De la présence de l’oxalate de chaux dans le règne minéral. Existence du même sel en quantité énorme dans les plantes de la famille des lichens et moyen avantageux d’en extraire l’acide oxalique (Ibid., t. 28, p. 318). 39. Examen d’une matière colorante bleue particulière à certaines urines, et que j’ai désignée sous le nom de cya- nourine (Ibid., t. 29, p. 252). 117 118 40. Sur l'irritabilité du stigmate des mimules (Ibid., t. 29, 333). 41. Nouvelles observations sur l’acide pectique (Ibid., t. 50, p. 96). 42. Nouveau préservatif pour la conservation des cadavres et des pièces anatomiques (Journal de chimie médicale, lre année, n° 4). 43. Analyse de la suie et du noir de fumée (Annales de chimie et de physique, t. 51, p. 37). 44. Examen chimique d’un papier collé dans la cuve de fabrication (Ibid., t. 53, p. 95). 43. Mémoire sur un principe particulier aux graines de la famille des légumineuses, et analyse des pois et des haricots (Ibid., t. 54, p. 68). 46. Sur une production de salpêtre dans une circonstance particulière (Ibid., t. 55, p 68). 47. Sur une altération du blé abandonné dans un réser- voir souterrain [Ibid., t. 55, p. 262). 48. Examen de l’urine d’un ictérique et d’un liquide épanché dans son bas-ventre (Journal de chimie médicale, octobre 1827). 49. Recherches sur la fermentation du fromage, sur l’a- cide caséeux et l’oxyde caséique (Annales de chimie et de physique, t. 56, p. 159). 50. Recherches chimiques sur la nature des prèles et sur un acide nouveau, l’acide équisétique (Ibid., t. 59, p. 4). 51. Recherches chimiques sur le pollen (Ibid., t, 42, p. 93). 52. Recherches sur la bile (Ibid., t. 42, p. 171). 55 Sur une circonstance à observer dans les empoison- nements par l’arsénic (Journal de chimie médicale, no- vembre 1829). 119 34. Mémoire sur le caséum et sur le lait ; nouvelles res- sources qu’ils pourront offrir à la société (Annales de chimie el de physique, t. 43, p. 337). 55. Examen chimique de l’écorce de tremble, de la pré- sence remarquable de la salicine dans plusieurs espèces de peupliers. Nouveau principe immédiat (la populine). (Ibid. t. 44, p. 296.) 56. Observations sur la salicine et sur sa conversion en un principe colorant d’une nature particulière (Journal de chimie médicale, t. 8, p. 17). 57. Observations sur une note de M. Guibourt relative au lait et à la matière caséeuse (Ibid., octobre 1830). 58. Expériences sur l’acide gallique (Annales de chimie et de physique, t. 46, p. 206). 59. Examen chimique de la lie de vin (Ibid., t. 47, page 59). 60. Mémoire sur la matière gélatineuse des fruits, pré- cédé de quelques expériences sur le jus de groseilles (Ibid., t. 47, p. 266). 61. De la fermentation comparée à la contagion (Journal de chimie médicale, t. 7, p. 705). 62. Sur une modification isomérique de l’acide lartrique (.Annales de chimie et de physfljue, t. 47, p. 299). 63. Observations sur une nouvelle théorie des causes de l’altération des vins (.Journal des connaissances usuelles, t. 15, p. 292). 64. Tablettes imitant l’ardoise pour écrire et calculer (Annales de chimie el de physique, t. 50, p. 109). 65. Examen de la boue noire provenant des égouts (Ibid.y t. 50, p. 213). 66. Mémoire sur la jusée et l’écorce de chêne, existence de la pectine dans l’écorce des arbres (Ibid., t. 50, p. 376). 67. Expériences sur le géranium zonale (Ibid., i. 51, page 328). 68. De l’influence des bains de rivière sur l’urine (Journal de chimie médicale, t. 9, p. 385). 69. Sur quelques propriétés de l’acide nitrique (Annales de chimie et de physique, t. 52, p. 286). 70. De la iransfoimaiinn de plusieurs substances végé- tales en une substance nouvelle (la xyloïdine) [Ibid., t. 52, page 290). 71. Sur la faculté que possèdent les fleurs de laurier-roso d’attraper les insectes (Ibid., t. 53, p. 221). 72. Sur un nouveau moyen d’écrire sur le zinc pour éti- queter les plantes (Ibid., t. 55, p. 319). 73. Note sur des grains blancs trouvés dans les intestins (Journal de chimie médicale, avril 1855). 74. Expériences sur le volvoce globuleux (Annales de chimie et de physique, t. 57, p. 459). 75. Expériences chimiques sur le suc gastrique (Ibid., t. 59, p. 348). 76. Sur des écailles de nature inorganique, produites par les plantes de la famille des plombaginées (Ibid., t. 63, page 373). 77. Sur la conservation Æes légumes frais (Ibid., t. 64, page 174). 78. Sur les excréments d’une limace (Journal de chimie médicale, septembre 1837). 79. Analyse de l’eau de Bulgnéville (Mémoires de la Société d’émulation des Vosges, t. 3, et Journal de chimie médicale, août 1837). 80. Analyse comparative des onze sources minérales et thermales de Luxeuil (Journal de pharmacie, mai 1838). 81. Indices de débris organiques dans les roches les plus 120 121 anciennes du globe; moyen de distinguer les trapps des basaltes {Annales de chimie et de 'physique, t. 67, p. 104). 82. Sur une circonstance qui peut induire en e< reur dans la recherche de l’arsenic (Journal de chimie médicale, juillet *838;. 83. Analyse comparative du trapp de Raon-l’Etape et de la roche dite basalte de la côte d’Essey (Annales de la So- ciété d’émulation des Vosges, t. 32, cahier 1858). 84. Sur les produiis qui résultent de l’action lente de la chaux sur le sucre (Annales de chimie et de physique, t. 68, page 337). 83. Sur une substance gélatiniforme obtenue pendant la fabrication du sucre de betterave [Journal de chimie médi- cale, avril 1859). 86, Examen chimique des sporules de Vayaricus alra mentarius (Annales de chimie cl de physique, t. 69, p. 434). 87 Observations sur la rivulaire tubuleuse [Ibid., t. 70, page 206). 88. Recherches sur l’influence des plantes sur le sol (Ibid.t t. 72, p. 27). 89. Analyse d'un minerai de fer de Rauthau employé à polir les glaces dans les manufactures de Cirey et Saint- Quirin (Annules de la Société d’émulation des Vosges, t. 3, 4839). 90. Expériences sur la betterave à sucre (Annales de chimie et de physique, t 72, p. 428). 91. Examen du mucilage de psyllium, sa comparaison avee celui du lin (Journal de chimie médicale, octobre 4841, page 514). 92. Analyse comparative de l’eau des quatre principales sources qui alimentent les fontaines de la ville de Nancy (.Mémoires de VAcadémie de Stanislas, Journal de chimie médicale, etc.). 9 122 93. Sur le nectar des fleurs ( Journal de chimie médicale, janvier 1843). 94. Sur une nouvelle substance végétale (J’apiine' (An- nales de chimie et de physique, 3e série, t. 9, p. 230). 95. Analyse du fumier, dit beurre noir. 96. Analyse d’une source alcaline de Nancy (Journal de chimie médicale, t. 10, 2e série, p. 212). 97. Recherches chimico-légales sur les taches de sang lavées (Journal de chimie médicale). 98. De l’influence du sel sur la végétation (Annales de chimie et de physique, 3e série, t. 15, p. 115). 99. Sur un moyen de contraindre les arbres à fructifier par des effets morbides (Ibid., t. 14, p. 114). 100. Examen d’une urine verte (Journal de chimie me- dicale, novembre 1845). 101. Analyse des limaces (Annales de chimie cl de phy- sique, 3e série, t. 15, p. 313). 102. Examen des matières produites par un ulcère de l’orme, suivi d’observations sur les mucilages d’orme, de tilleul et de graine de lin (Ibid., t. 18, p 547). 105. De l’action délétère produite sur la végétation par les acides très-étendus, et l'urine étendue de beaucoup d’eau (Ibid., t. 18, p. 157). 104. Analyse des urines de veau et de mouton (Ibid., t. 20, p. 238). 105. Enumération des plantes alimentaires qui croissent spontanément dans les lieux incultes et qui peuvent servir à la nourriture de l’homme (Journal de chimie médicale, juin 1817). 106. Examen d’une matière grasse et d’une mèche trou- vées dans une lampe antique (sifinales de chimie et de phy- sique, 51'série, t. 21, p. 484). 123 107. Analyse des glands, suivie de considérations sur la présence du sucre de lait dans les graines des végétaux (Annales de chimie et de physique, 3e série, t. 27, p. 392). 108. Sur l’eau du lac de Gérardmer (.Journal de chimie médicale, 3e série, t. 6, p. G5). 109. Nouvelle analyse de la source ferrugineuse de Luxeuil. — Examen de l’ocre qui s’en sépare (Ibid., 3e série, t. 7, page 787). 110. Moyen de rendre aux anciens parquets leur couleur primitive (Ibid., t. 7, p. 412). 111. Note sur la couleur bleue que prend quelquefois le pus (Ibid., t. 8, p. 433). 112. Examen chimique des déjections diarrhéiques (Ibid., t. 10, p. 718, et Mémoires de l’Académie de Sta- nislas, 1854, p. 530). DOCUMENTS. Doc. I (page 20). * Les cours du Gymnase devinrent si célèbres qu’on y accourut non-seulement du fond de l’Allemagne, mais en- core de tous les pays étrangers. Il y avait là des Bohémiens et des Moraves, des Hongrois et des Transylvaniens, des Polonais et des Lithuaniens, des Danois et des Suédois, des Ecossais et des Anglais, des Français et des Lorrains, des Vénitiens et des Espagnols. Et ce n’étaient pas d’ob- scurs étudiants, mais des ducs, des comtes, des barons, des nobles, des patriciens qui venaient écouter les leçons des maîtres, prendre part aux discussions qu’elles soule- vaient et jouer des rôles dans les comédies et tragédies qu’on y représentait. » (Melch. Sebizii rectoris Programma ad Jubil. Argento- rati anvo 1638 concélébrât um.) Doc II (p. 24). « On pourrait dire de Strasbourg que l'Institut a fondé une colonie dans cette ville. Arbogast, Brunck, Koch, Lom- bard, Oberlin, Schweighæuser sont nos confrères. Re- présentez-vous une maison modeste et commode, dans une rue solitaire; plusieurs cabinets dont les murs sont cou- verts de livres, non pas précieux, mais utiles, tous à la portée de la main, parce que sans cesse on les consulte; dans quelques intervalles des pancartes pour faciliter les recherches; un demi-jour qui invite à la méditation. Là, dans une espèce de sanctuaire, où l’on n’entre pas sans un sentiment de respect, on trouve, entre les portraits d’E- rasme et de Juste Lipse, le savant Oberlin leur digne imi- tateur. Il est principalement occupé d’antiquités et de son édition de Tacite; Schweighæuser est tout entier à ses éditions grecques; Arbogast à ses calculs. Ces savants et huit ou dix autres, se réunissent alternativement chez l'un d’entre eux. J’ai assisté à l’une de leurs réunions chez Ober- lin ; je voyais un sénat d’érudits. Je crois que c’est dans la ville de Strasbourg que l’érudition a fixé sa résidence ; je crois que c’est là qu’on devrait singulièrement l’entre- tenir et l’encourager » (Rapporta l’Institut national, classe de littérature et dos beaux-arts, d’un voyage fait en l’an X par À.-G. Camus. Paris, — pluviôse an XI.) Doc. III (p. 25). Paris 19 frimaire an IX de lu République française, une et indivisible (1). Le Ministre de la Guerre, Au citoyen Henry Braconnai, Pharmacien de troisième classe à fHôpital militaire d’Instruction de Strasbourg. c Le nouveau règlement pour les hôpitaux militaires d’in- struction a exigé, citoyen, une réduction considérable dans le nombre des officiers de santé de ces établissements. D’un autre côté, la justice veut que ce ne soyent pas tou- jours les mêmes qui profitent des avantages que le Gou- vernement y a réunis. J’ai donc décidé que vous passerez, avec votre grade, à l’armée du Rhin. 125 (1) 10 novembre 1800. 126 J’ai prévenu de cette décision, le commissaire ordonna- teur de la 5e division et celui de l’armée à laquelle vous êtes destiné. Le premier vous donnera une feuille de route; le second vous mettra en fonctions et vous délivrera la commission de votre grade. 11 est nécessaire, citoyen, que vous partiez sur-le-champ, si vous désirez conserver de l’activité. Je compte que vous prouverez à votre nouveau poste que vous avez atteint le but que le Gouvernement s’était proposé, lorsqu’il vous a placé dans un Hôpital d’instruction. « Je vous salue, BeRTHIER. Le Rapporteur du conseil de santé, COSTE. Doc. IV (p. 27). Paris 17 floréal au IX de la République française, une et indivisible (1). Le Ministre de la Guerre, Au citoyen Henry Braconnot, pharmacien de 5e classe de l'armée du Rhin. Je vous préviens, citoyen, que les circonstances de la paix et l’économie qui doit en être un des heureux effets, m’ont mis dans le cas de prononcer votre cessation d’acti- vité le 44 de ce mois. Les dispositions de l’arrêté des Consuls du 45 nivôse an IX, relatif au traitement de réforme, vous seront appli- quées dès que vous aurez justifié de vos services. Je vous (1) 7 mai 1801. 127 invite, en conséquence, à m’en adresser l’état dûment cer- tifié par une autorité compétente sur le vu de pièces pro- bantes et authentiques et à m’informer du lieu où vous comptez fixer votre résidence. Je vous salue, Be RI HIER. Doc. V (p. 28. Voyez Doc. VII). Doc. VI (p. 41). « Mémoire présenté à la Société royale de Nancy sur la manière de suppléer à l’action du vent sur les vaisseaux par M. Gauthier, chanoine régulier. (.Mémoires de la Société royale des Sciences et Belles- Lettres de Nancy, tome troisième, année 1755, p. 250.)» Doc. VII (p. 50). A Monsieur le Maire de la ville de Nancy.