NOTICE SUR J.-A. GUÉRARD Membre de l’Académie de médecine ; Président de la Société do médecine légale ; Rédacteur principal des Annales d’hygiène et de médecine légale , etc. LUE EN SÉANCE DE LA SOCIÉTÉ DE MÉDECINE LÉGALE 12 OCTOBRE 1874 pal fa Àr If T. GÀLLARD Médecin de l’hôpital de la Pitié ; Secrétaire général de la Société de médecine légale ; Membre du Comité de rédaction des Annales d'hygiène et de médecine légale, etc. Messieurs. La Société de médecine légale est encore bien jeune, car sept années ne se sont pas écoulées depuis que votis l’avez fondée, et cependant la mort a déjà prélevé un large et douloureux tribut parmi ceux qui se trouvaient réunis ici, pour la constituer, le 10 février 1868. Dans le cours même de cette première année, 1868, nous avons perdu Jarjavay, le brillant professeur de clinique chirurgicale, dont la mort prématurée a causé de si una- nimes regrets. Il s’était un des premiers associé à l’idée qui a présidé à la création de notre Société, et, prévoyant l’importance des services qu’on en peut attendre, il se dis- 2 T. GALLARD. posait à prendre une part active à ses travaux, comme l’ont fait, du reste, les autres membres de la Faculté dont la présence parmi nous est demeurée un honneur, après avoir été un encouragement. Après la mort de Jarjavay, nous avons eu à déplorer celle de Simonot, nature d’élite, praticien savant et modeste, qui s’était distingué dans le corps de santé de la marine, avant de venir se fixer à Paris, où les charmantes qualités de son caractère lui avaient attiré bien vite de nombreuses et chaudes amitiés. Notre règlement intérieur, à la rédaction duquel il a pris une part prépondérante comme rapporteur de la Commis- sion, témoigne de la sagacité de son esprit. — Il n’a pas eu le temps de voir fonctionner ce règlement, ni même de participer à la discussion à la suite de laquelle il a été voté, et, comme Jarjavay, il est mort loin de nous, sans que nous ayons eu la triste consolation de pouvoir assister à ses funé- railles et lui rendre ainsi un dernier témoignage de notre alfectueuse estime. Nous avons encore vu mourir Doré, le savant chimiste, préparateur des cours de l’École polytechnique; Douillarb, le jeune et sympathique médecin, dont vous aviez remarqué et justement apprécié le talent à l’occasion de plusieurs rapports relatifs à des questions d’infanticide; Géry père, dont l’âge n’avait pas altéré l’activité scientifique; et, parmi nos correspondants: Legros (d’Aubusson), Daviers (d’An- gers), Morel (de Saint-Yon), à qui M. Brierre dcBoismont a payé un si juste tribut d’hommages et de regrets. Depuis notre dernière réunion, nous avons été frappés une fois de plus, et plus cruellement encore, s’il est pos- sible, par la mort de M. Guérard, notre digne et vénéré président, et la douleur que nous a fait éprouver cette der- nière perte, si vivement sentie, s’est accrue pour nous du souvenir de toutes celles qui l’avaient précédée. N0TICE SUll M. ALPHONSE GUÉRARD. 3 Par un sentiment de modestie devant lequel chacun s’est incliné, M. Guérard a désiré qu’aucun discours ne fût prononcé sur sa tombe, et sa volonté a été religieusement respectée. Mais il n’avait certainement pas entendu s’opposer à ce que ses travaux, sa participation active au mouvement scientifique de notre époque, et les principales circon- stances de sa vie fussent rappelés par des collègues et des amis, désireux de lui donner un dernier témoignage du respect et de l’affection dont ils l’entouraient pendant sa vie. C’est ainsi que l’a compris M. Devcrgie, dans son allo- cution prononcée devant l’Académie de médecine, à la séance qui a suivi les obsèques de M. Guérard, et cet exem- ple, parti de si haut, suffirait à nous dispenser d'une réserve qui nous est d’autant moins imposée, que M. Guérard lui- même n’a pas hésité, en semblable occasion, à consacrer, dans les Annales d’hygicne et de médecine légale, une notice à Michel Lévy (1) qui, lui aussi, avait demandé qu'aucun discours ne fût prononcé û ses funérailles. GUÉRAltD (Jacques - Alphonse ), Membre de l’Académie de médecine, Président de la Société de médecine légale, Médecin honoraire de l’Hôtel-Dieu, Agrégé libre de la Faculté de médecine, Membre du Conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine, Officier de la Légion d'honneur, etc., est né à Noyères (Yonne) le 25 novembre 1796 ; mais il n’a pas tardé à habiter Paris, où son père occupait un poste (1) Michel Lévy, Notice biographique (Annales d’hygiène, 1872, t, XXXVII, p. 473). important au Ministère des affaires étrangères. Son éduca- tion et son instruction première furent des plus soignées. Il fit de brillantes éludes à l’institution Sainte-Barbe, dont les remarquables succès faisaient déjà présager la haute ré- putation qu’elle a su acquérir et conserver depuis ce temps éloigné. — Il ne la quitta que pour entrer à l’École nor- male. Sa famille le destinait alors à l’enseignement; mais ce n’était pas là la direction qui lui convenait, et il profila des perturbations apportées par les événements qui suivi- rent la Restauration, pour quitter l’École normale au mois d’octobre 1816, sans y avoir pris de nouveaux grades uni- versitaires. De son séjour dans cet établissement, il empor- tait cependant, avec une connaissance plus approfondie des auteurs anciens et modernes, un goût tout particulier pour la belle littérature, qui a fait le charme de toute sa vie, et dont l’influence heureuse s’est reflétée, depuis, dans chacun de ses écrits. T. G ALLARD. Un secret attrait l’entraînait déjà vers la médecine; mais, soit que cette vocation ne se fût pas encore manifestée d’une façon assez impérieuse pour dominer ses propres hé- sitations, soit qu’il n’osât pas opposer de vagues aspirations à la volonté paternelle, plus nettement formulée, il dut sui- vre une autre direction et se livrer à l’étude des sciences, après avoir abandonné celle des lettres. De grandes facilités lui furent offertes pour cela : il eut accès dans les labora- toires de Thénard, au Plessis et au Collège de France, de Laugier et deVauquelin, au Jardin des plantes, et il y trouva, à côté de la bienveillance affectueuse des maîtres illustres qui encouragèrent ses travaux, la bonne et cordiale cama- raderie de disciples, destinés à devenir plus tard ses collègues et ses émules. Dans le laboratoire de Vauquelin, il se lia avec M. Chevallier, qui venait alors de déposer le mousquet pour reprendre ses études interrompues par la guerre, et leur vieille amitié, qui datait ainsi de près d’un demi-siècle, NOTICE SUR M. ALPHONSE GUÉRARD. 5 ne fut jamais altérée par le plus léger nuage, se fortifiant, au contraire, de leurs fréquents rapports au Conseil d’hy- giène, à l’Académie de médecine, dans le Comité de rédac- tion des Annales d'hygiène et de médecine légale, aux séances de notre Société. Le père de M. Guérard, homme d’une haute intelligence et qui prévoyait déjà quelle immense influence les applica- tions de la science devaient avoir un jour sur les progrès de l’industrie, n’avait dirigé son fils vers l’étude des sciences qu’afin de pouvoir utiliser plus tard, dans des applications industrielles, les connaissances qu’il aurait acquises. Aussi, en meme temps qu’il lui faisait étudier la physique et la chimie, près des savants que je viens de nommer, lui fit-il obtenir, par une faveur spéciale, l’autorisation de suivre les cours de l’École des mines où il put apprendre la géologie, la minéralogie et la mécanique ; puis, il l’envoya faire un voyage d’exploration, pour visiter en détail les principales usinesde nos départements industriels de l’est delà France. Cette visite l’intéressa vivement, et, quoiqu’il ne persista pas dans la voie dans laquelle on l’avait engagé, elle ne fut pas sans influence sur la direction qu’il donna plus tard à sa carrière, lorsque, enfin libre de lui-même, il put se livrer à l’étude de la médecine, et c’est certainement à cette cir- constance qu’il a dû de devenir le savant et sagace hygié- niste que nous avons connu. Ce fut seulement sept années après avoir terminé ses humanités que M. Guérard put, en 1821, commencer l’é- tude de la médecine. Ces sept années furent loin d’avoir été perdues pour lui, et il est bien certain que les connais- sances préliminaires'qu’il avait acquises dans les sciences naturelles devaient, — indépendamment des nombreuses occasions qu’il trouverait de les utiliser plus tard pour ses recherches scientifiques, — lui aplanir le plus grand nombre 6 des difficultés contre lesquelles viennent se heurter les étu- diants en médecine, moins bien préparés que lui. Il eut cependant à regretter d’avoir laissé passer le temps qui s’était écoulé, car l’âge était venu, et il se trouvait avoir dépassé la limite au delà de laquelle il n’était plus permis de se présenter aux épreuves des concours de l’externat et de l’internat des hôpitaux. Il comprit toute l’importance de cette lacune et parvint à la combler par son assiduité à suivre les services hospitaliers de médecins et de chirurgiens qui, voyant son ardeur au travail, ne firent aucune difficulté de le compter au nombre de leurs élèves les plus affec- tionnés. Il eut un autre regret, ce fut de ne pas devoir au con- cours la place de médecin des hôpitaux, qui lui fut donnée par nomination directe, en 1828, alors que le concours n’était pas encore établi pour la nomination des médecins du Bureau central, quoiqu’il le fût déjà pour celle des chi- rurgiens. Mais si la consécration du concours lui manqua pour cette nomination, ce fut bien contre son gré, car il ne fut jamais de ceux qu’épouvantent ces luttes publiques dans lesquelles le vrai mérite parvient toujours à se faire reconnaître, alors môme que certaines oppositions systé- matiques l’empêchent de triompher. Quelle raison aurait-il pu avoir, en effet, de redouter le concours qui devait lui donner un an plus tard son titre d’agrégé de la Faculté de médecine, et qui lui avait déjà permis de conquérir, outre son admission à l’École pratique, six prix qui lui valurent la dispense des frais universitaires pour l’obtention de son diplôme de docteur en médecine, — circonstance heureuse pour lui, à cette époque de sa vie où il était déjà forcé de subveniràtous ses besoins, etoùses seules ressources consis- taient dans le produit des leçons qu’il donnait, en utilisant tour à tour les connaissances qu’il avait acquises dans les lettres et dans les sciences? — Il ne recula donc devant T. G ALLA RD, NOTICE SUR M. ALPHONSE GUÉRARD. 7 aucune des occasions qui lui furent offertes de se soumettre aux épreuves du concours, et pendant les vingt années que cette salutaire institution fonctionna pour la nomination aux places de professeurs de la Faculté, il se présenta jus- qu’à cinq fois successives, pour lui demander ce titre si envié, qui est la suprême consécration d’une vie médicale honorable, vouée à la science et à l’étude. Le succès ne couronna pas ses efforts, et s’il se trouva le cœur ulcéré, lorsqu’il reconnut qu’il lui fallait définitive- ment renoncer à la lutte, on ne saurait lui en faire un crime, car il avait conscience de sa valeur, et il savait qu’il possé- dait les qualités requises pour faire un excellent profes- seur. Ces qualités, nul ne les lui contestait : il avait eu maintes fois occasion de les mettre en évidence, non pas seulement pendant les épreuves de ses divers concours, mais aussi, et surtout, par son enseignement tant officiel que libre, qui, pendant une longue période, de 1821 à 1836, avait attiré autour de lui un grand nombre d’élèves, atten- tifs à ses leçons. Il avait enseigné successivement : la chimie générale avec ses applications à la médecine et à la toxicologie; la physique médicale, et enfin l’hygiène qui était sa science de prédilection. Les succès qu’il avait obte- nus dans le cours officiel d’hygiène, dont il avait été chargé à la Faculté, en remplacement de Desgenettes, l’avaient naturellement désigné comme l’un des compétiteurs les plus redoutables parmi ceux qui devaient se disputer cette chaire. Il en fut ainsi, en effet, et jamais il n’approcha si près du but qu’à ce concours de 1837, à la suite duquel le professeur nommé ne l’emporta sur lui que d’une seule voix. C’est avec des chances infiniment moins favorables que, quinze ans plus tard, en 1852, il disputa la même chaire à M. Bouchardat, le dernier des professeurs de la Faculté de médecine de Paris qui doive sa nomina- tion au concours. 8 Les deux thèses soutenues par M. Guéravd, à l’occasion de ces deux concours pour la chaire d’hygiène, sont des œuvres remarquables, qui font autorité dans la science et sur lesquelles il convient d’autant plus de nous arrêter, que les sujets dont elles traitent sont d’une utilité générale et d’une actualité toujours pressante. La première, quia pour titre : Des inhumations et des exhu- mations, sousle rapport de l'hygiène (1), était tout récemment encore citée, avec grands éloges, dans la discussion qui vient d’avoir lieu au sein du Conseil municipal de Paris, à propos de l’éloignement des cimetières. L’ouvrage mérite certainement les éloges qui lui étaient donnés, et il les mé- rite d’autant plus, qu’il défend des doctrines complètement opposées à celles à l’appui desquelles on trouvait bon d’in- voquer une autorité aussi respectable. Il s’agissait, en effet, de démontrer que le voisinage des cimetières n’offre au- cun inconvénient, et qu’il ne peut se dégager des tombes aucune émanation nuisible pour la santé, tant des habitants des localités adjacentes que des ouvriers travaillant aux sépultures ; et l’on comprendra qu’il soit assez difficile de trouver des arguments favorables à cette étrange opinion dans un ouvrage aux premières lignes duquel nous lisons cette déclaration, qui en est comme l’introduction et le prologue : « Le soin que, dans tous les temps et dans tous les climats, les peuples civilisés ont pris de se soustraire aux émanations qui résultent de la décomposition putride des animaux, suffit pour faire pressentir le danger de ces émanations, que les observations des médecins et des philosophes établis- sent d’une manière presque incontestable (2). » T. GALLARD. (1) Paris, 1838. (2) Des inhumations et des exhumations sous le rapport de l'hygiène, thèse de concours, 1838, introduction, p. 1. NOTICE SUR M. AU’IIONSE GUÉRARD. C’est qu’en effet toute la thèse de M. Guépard n’est que le développement et le commentaire de cette proposition fondamentale, pour la démonstration de laquelle il cite des laits nombreux etirrécusables qui lui permettent de formuler scs conclusions en ces termes très-nets et très-catégoriques: « Il serait facile de multiplier les preuves qui établissent la nocuité des émanations putrides, même sur ceux que l’habitude semblerait devoir mettre à l’abri de topte at- teinte (1). » Ce qu’il y a de réellement à redouter pour les fossoyeurs, c’est la vapeur qui s’élance dans l’air au moment, de l’explo- sion septique du bas-ventre, mais elle ne les frappe pas toujours d’asphyxie; s’il? sont éloignés du cadavre qui la répand, elle ne leur donne qu’un léger vertige, un senti- ment de malaise et de défaillance, des nausées; ces acci- dents durent plusieurs heures ; ils sont suivis de perte d’appétit, de faiblesse et de tremblement (2). » Ce à quoi il ajoute, en citant l’opinion de Foureroy, qu’il n’hésite pas à s’approprier : u Tous ces effets annoncent un » poison subtil, qui ne se développe heureusement que dans » une des premières époques de la décomposition des corps, » Mais quand on a été témoin de la terreur que ce poison » vaporeux inspire aux ouvriers des cimetières, quand on a » observé, sur un grand nombre de ces hommes, la pâleur » du visage et tous les symptômes qui annoncent l’action » d’un poison lent, on doit penser qu’il serait plus » dangereux de nier entièrement l’effet de l’air des eime- » tières sur les habitants voisins, qu’il ne l’a été de multi- » plier et de grossir les plaintes, comme on l’a fait surtout » depuis quelques années. » Et ce n’est pas là une opinion passagère, conçue pendant (1) Thèse, p. 43, 44. (2) Ibid., p. 47. 10 T. GALLARD. les quelques heures consacrées à l’élaboration, toujours un peu précipitée, d’une thèse de concours. C’est une doctrine bien nette, bien arrêtée, que, cinq ans plus tard, il repro- duit, en l’accentuant d’une façon plus nette encore, lors- qu’il écrit, en 18â2, pour le Dictionnaire de médecine, son article sur les Professions, dans lequel nous retrouvons la même idée ainsi formulée : «Les émanations putrides des animaux, et, à plus forte raison, le contact des débris putréfiés, nous semblent devoir nuire à la santé des équarrisseurs, des fossoyeurs, des per- sonnes qui se livrent aux travaux anatomiques, etc.; trop d’exemples le prouvent à l’égard de ces derniers pour que nous nous fassions scrupule de l’étendre aux autres, malgré l’opinion contraire de Parent-Duchâtelet (1). » Sont-ce là les paroles d’un auteur qui, non-seulement contesterait l’influence fâcheuse des émanations des cada- vres en putréfaction, mais qui, de plus, irait, comme on l’a prétendu, jusqu’à contester que ces émanations puissent se dégager de corps enfouis dans la terre? Comment donc aurait-il pu révoquer en doute l’existence de ces émanations délétères, quand il prend soin de nous montrer la façon dont elles se produisent, en nous rappelant le fait que voici? « M. Natalis Guillot nous a rapporté avoir visité à ltome l’église de Santa-Maria in Lucina, où l’on a encore l’habi- tude d’inhumer les morts : le sol est ondulé par les soulè- vements que produit l’expansion des gaz émanés des corps qui se pourrissent au-dessous de la surface; l’odeur la plus infecte est répandue dans tout l’édifice, et l’opinion des médecins de la ville est qu’il suffit d’y séjourner quelque temps pour y contracter des fièvres graves (2). » C’est donc à tort qu’on a représenté M. Guérard comme (1) Dictionnaire en 30 volumes, art. Professions, p. 109. (2) Thèse, p. 59. favorable à l’idée de maintenir les cimetières près des lieux habités. II avait le sens trop droit, le jugement trop net, l’esprit trop lucide et trop indépendant pour pouvoir jamais se laisser entraîner, sous la pression d’une influence quel- conque, à défendre une opinion aussi contraire à toutes les règles les plus élémentaires de l’hygiène. Les mêmes qualités de netteté d’esprit, de rectitude de jugement et de sage critique, que nous venons de constater dans cette première thèse de M. Guérard, se retrouvent dans celle qu’il a soutenue en 1852, et qui traite : Du choix et de la distribution des eaux dans une ville (1). Précédant de plusieurs années les discussions passionnées auxquelles a donné lieu le projet, réalisé depuis, de faire venir à Paris l’eau de sources éloignées, ce travail ne peut être soupçonné d’avoir subi aucune influence étrangère, et ses conclusions doivent être acceptées comme reposant sur des données exclusivement scientifiques. Elles tendent à conseiller ce qui vient d’être adopté pour Paris, en recommandant, comme le meilleur modèle à suivre, ce que M. Darcy avait fait exé- cuter, depuis longtemps déjà, pour la ville de Dijon; c’est- à-dire d’aller chercher des eaux de source à une distance assez éloignée de la ville, de les y amener au moyen d’une conduite souterraine, qui leur permette de conserver une température constante d’environ 10 degrés, puis de les répandre avec une assez grande abondance pour que la moyenne soit de 200 à 600 litres par habitant, en ayant soin de multiplier assez le nombre des fontaines jaillis- santes, ou des bornes-fontaines, pour que chacun puisse s’approvisionner sans avoir à parcourir une distance de plus de 50 mètres. A Paris, on s’est bien gardé de tenir compte de cetie dernière et importante recommandation ; NOTICE SUR M. ALPHONSE GUÉRARD. 11 (1) Thèse de concours. Paris, 1852. — Voyez aussi, Annales d’hygiène et de médecine légalej lr® série, t. XLVII, p. 471. 12 T. GALLAHD. on a même eu la précaution, à mesure que l'eau devenait plus abondante, de supprimer le? facilités qui pouvaient être données aux habitants de se la procurer gratuitement, et il a fallu la générosité d’un étranger (Richard Wallace), pour qu'il devînt possible de se désaltérer ailleurs que chez les marchands de vin, dont les échopes, il faut bien le dire, ne sont pas éloignées de 50 mètres les unes des autres. Une des questions les plus intéressantes qui s’imposaient à l’attention de l’auteur, à propos de la distribution des eaux potables, est celle du choix des matières qui peuvent servir pour la construction des réservoirs ou des tuyaux de conduite. Disons tout de suite, et pour l’en féliciter, que M. Guérard ne s’est pas laissé émouvoir par cette crainte exagérée du plomb, qui impressionne si vivement tous les esprits et qu’un industriel, bien avisé, sait exploiter en ce moment avec tant d’habileté, à son profit. M. Guérard, appréciant les choses froidement et sagement, s’était borné à dire, ce qu’on peut encore aujourd’hui répéter après lui : a En général, le plomb, malgré l’énergie toxique de ses oxydes èt de la plupart dés composés qu’il concourt à for- mer, ne donne lieu à aucune altération de l’eau qu’on y emmagasine. Cette particularité tient sans doute ii ce qu’il est, comme le fer, protégé contre l’action de l’oxygène atmosphérique, par la petite quantité de bicarbonate cal- caire qui entre dans la composition de la majeure partie des eaux potables (1). » Cette explication parfaitement conforme aux données les plus positives de la science vient d’étre confirmée expéri- mentalement par M. Belgrand ; elle suffit pour rassurer la plupart des habitants de Paris qui, dans les maisons parti- culières, reçoivent leur provision d’eau par l’intermédiaire (1) Du choix et de la distribution dès eaux dans une ville, thèse de concours, 1852, p. 73. d’un branchement de plomb, sans cependant se servir de réservoirs du même métal. Mais, à côté de cette innocuité générale, on a constaté un petit nombre d’accidents graves dont le plus remarquable a été observé au château de Glaremont, en Angleterre, ha- bité par la famille d’Orléans. De ces accidents exception- nels, M. Guérard trouve la raison dans ce fait : qu’il ne s’agissait pas seulement d’un réservoir de plomb, mais d’une construction dans laquelle une lame de plomb était en contact avec une pièce de fer, ce qui donnait lieu à un courant électrique, sous l’intluence duquel s’était formé le sel saturnin dont on avait eu à constater l’action toxique. D’où il conclut qu’au lieu de proscrire purement et sim- plement le plomb, comme on aurait pu être tenté de le faire, il suffit « d’éviter d’établir un contact, même médiat, » entre le plomb et un autre métal, et notamment le » fer (t). » Il est vrai de dire que ce contact est bien dif- ficile à éviter, à Paris surtout, où le branchement de plomb vient forcément se souder sur une conduite principale en fer ; mais on a la ressource, — et c’est ce qui est le meil- leur moyen de se mettre à l’abri de tout accident, — de ne pas employer l’eau qui a séjourné dans les tuyaux, et d’avoir soin de la laisser couler, pendant quelques instants, chaque fois que l’on veut s’en servir pour les usages domestiques. Le tout, sans préjudice du filtrage au charbon, qui a l’avan- tage d’arrêter les molécules de plomb, en même temps que les autres impuretés suspendues dans l’eau. M. Guérard n’a fait aucun ouvrage de longue haleine, et les deux thèses dont il vient d’être parlé sont ses deux travaux les plus importants; mais il a publié de nombreux articles : dans Y Echo du monde savant; danslc Moniteur univer- sel, dont il a rédigé la Revue scientifique pendant plusieurs NOTICE SUR M. ALPHONSE GUÉRARD. 13 (1) Thèse, p. 76. 14 T. GALLARD. années, dans le Dictionnaire de médecine (en 30 vol.), enfin, dans les Annales d'hygiène et de médecine légale, dont il a enri- chi la collection de mémoires aussi variés qu’intéressants. Il a traité bien des sujet divers, et il n’est peut-être pas un seul des points afférents à l’hygiène qu’il n’ait abordé dans ses nombreux écrits. Et cependant, il a eu la sagesse d’évi- ter l’écueil dans lequel tombent tant de personnes qui se disent hygiénistes, et qui considèrent comme absolument indispensable d’inventer ou de décrire une maladie nou- velle. Au contraire de ceux qui veulent que chaque profes- sion ait sa maladie spéciale, caractéristique, qui lui appar- tient en propre, et qui ne doit pas pouvoir se développer sous aucune autre influence, M. Guérard s’est efforcé de démontrer que les maladies professionnelles ne diffèrent en rien de celles qui se produisent sous une autre influence étiologique quelconque. Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de maladie appartenant en propre à une profession quelconque, à l’exception peut-être des intoxications, — et encore, la même intoxication peut-elle être produite par l’exercice de plusieurs professions différentes, ou même en l’absence de tout acte professionnel, comme cela a lieu pour les intoxications saturnine et mercurielle, qui se présentent avec le même cortège de symptômes, quelles que soient les conditions dans lesquelles le plomb ou le mercure ont été absorbés. — Il devait certainement cette sage réserve à la connaissance approfondie des divers procédés industriels et des conditions spéciales dans lesquelles se trouvent placés les ouvriers des manufactures; connaissance que peu de médecins peuvent posséder au même degré que lui et qu’il avait acquise dans ses études préliminaires, alors qu’il son- geait à se livrer lui-même à l’industrie. C’est en cela surtout que ces premières études lui furent profitables par la suite, et lui permirent de bien préciser l’action que peut exercer sur la santé, par ses propriétés physiques ou chi- NOTICE SUR M. ALPHONSE GUÉRARD. 15 miques, chacun des modificateurs hygiéniques avec les- quels un ouvrier peut être mis en contact par l’exercice de sa profession. Aussi, généralisant au lieu de particulariser, il dit, et cette remarque est, suivant lui, applicable à tous les états: « que l’on doit chercher en général la cause des maladies plutôt dans les vices du régime alimentaire que dans l’insalubrité de la profession ; que, chez les ouvriers, la fréquence des maladies est en rapport avec le bas prix des journées de travail plutôt qu’avec l’insalubrité de la profession; que, dans tous les ateliers, les hommes adon- nés à l’ivrognerie et aux autres excès sont toujours plus violemment, plus fréquemment et plus tôt atteints que les autres, des maladies qui dépendent de leur profession, et que, d’un autre côté, une vie régulière est un préservatif puissant, sinon assuré, contre les influences les plus délé- tères (1). » Enfin, il ajoute : « On pourrait trouver dans l’action de l’air confiné l’explication de l’insalubrité d’une foule d’ateliers où l’on travaille d’ailleurs sur des matières douées d’une innocuité parfaite. » Avec de telles idées, il devait s’occuper surtout de l’in- fluence que peut exercer sur la santé la qualité des divers agents hygiéniques, à l’action desquels l’homme est le plus habituellement exposé. C’est pourquoi les questions relatives à la pureté ou à la densité de l’air, à la ventilation et à l’assainissement tant des édifices publics que des ate- liers (2), sont de celles qui ont plus particulièrement attiré (t) Dict. en 30 vol., art. Professions. (2) De l'emploi industriel de l'oxyde de carbone, et de l'action de ce gaz sur Véconomie animale {Ann., 1843, lre série, t. XXX, p. 48).—Sur la ventilation des filatures {Ann., 1843, lre série, t. XXX, p. 112). — De la ventilation et du chauffage des édifices publics, et en particulier des hôpitaux {Ann., 1844, lrc série, t. XXXII, p. 52). — Sur la ventilation des édifices publics, et en particulier des hôpitaux {Ann., 1847, lre série, 16 T. GALLAliD. soïi attention; comme aussi celles qui se rattachent à l’ali- mentation. l.e pain, les altérations qu’il subit dans certains cas, l’action des boissons glacées, l’influence que le trans- port des animaux de boucherie peut exercer sur les qua- lités de la viande, la gélatine (1), sont autant de sujets qui lui ont fourni le texte de nombreux et importants travaux publiés, pour la plupart, dans les Annales d'hygiène et de médecine légale (T). Il s’était consacré tout entier b la ré- t. XXXVIII, p. 348). —• Note sur un nouveau système de vidange des fos- ses d.'aisances (Ann., 4846, l*'8 série, t. XXXV, p. 77). — Mém. sur la 'prison cellulaire de [Ann., 1853, lre série, t. XLIX, p. 5). —Ré- ponse aux observations de M. Boileau fie Castelnau [Ibid., p. 427). — Sur le méphitisme et la désinfection des fosses d'aisances [Ann., 1844, lrc série, t. XXXII, p. 326). — Note sur les effetsphysiologiques et pa- thologiques de l'air comprimé (Ann. d’hyg., 1854, 2e série, t. J, p. 279). — Sur les explosions des appareils à eau employés pour chauffer et ven - tiler les édifices publics ou particuliers (Ann. d'hyg., 1858, 2e série, t, IX, p. 380). (1) Note sur une singulière altération du pain (Ann., 1843, lre série, t. XXIX, p. 85). —* Co-ns. sur l'hyg., et Mém. sur les accidents qui peu- vent succédera l’ingestion des boissons froides lorsque le corps est échauffe (Ann., 1842, lre série, t. XXVII, p. 43).— Sur les effets des vapeurs de zinc opposés à ceux des boissons aqueuses prises avec excès (Ann., 1845, lre série, t. XXXIV, p. 224). — Sur le transport des animaux destinés à la boticherie (Ann., 1846, lrc série, t. XXXV, p. 65). —Observations sur la gélatine et les tissus d’origine animale qui peuvent servir à la préparer (Ann., 1871, t. XXXVI, p. 5 et 315). (2) Voyez en outre : Asphyxie pendant une exhumation (Ann., 1840, lre série, t. XXIII, p. 131). — Note sur les effets physiques des bains (Ann,, 1844, lre série, t. XXXI, p. 355). — Causes physiques de la congélation des végétaux et des animaux (Ann., 1844, lre série, t. XXXI, p. 359). — Observations sur les secours g donner aux noyés et aux asphyxiés (Ann., 1850, lre série, t, XL1V, p. 271). — Sur l’épidémie de choléra qui sévit en ce moment à Paris (Ann., 1854, 2e série, t. J, p. 79). — De la statistique noso- logique des décès (Ann., 1858, 2e série, t. IX, p. 111). — Note sur la fabrication et l'emploi des pérats artificiels et des houilles agglomérées (Ann. d'hyg., 1859, t. XII, p. 317). —Appareils respiratoires de M. Ga- daction de cet important recueil, auquel il collaborait depuis 1838, et dont il avait pris la haute direction, en qualité de rédacteur principal, en 1845, après la mort de Leuret. — Aussi, lui donnait-il tous ses soins, — lisant avec la plus scrupuleuse attention les mémoires qui lui étaient adressés, afin de pouvoir les analyser et les com- menter devant le Comité de publication, avant de les envoyer à l’imprimerie ; relisant et corrigeant toutes les épreuves ; veillant lui-mêmeàlamise en pages; s’occupant de recueillir les travaux afférents à son sujet; encourageant les auteurs qui lui paraissaient disposés à travailler les questions rela- tives à l’hygiène ou à la médecine légale; leur fournissant des indications précieuses pour leur permettre de mener à bonne fin les articles qu’ils avaient entrepris; rédigeant au besoin lui-même ceux de ces articles qui, par l’importance ou l’actualité des sujets ;\ traiter, ne pouvaient comporter aucun retard; — c’est ainsi que, s’identifiant avec cette pu- blication, il en assurait la prospérité. M. Guérard était, avant tout, l’homme du dévouement et du devoir, et il l’a montré dans l’exercice de chacune des fonctions qui lui furent confiées. Médecin des hôpitaux depuis 1828, il avait été successive- ment attaché à l’hôpital Saint-Antoine, en 1831, puis à l’Hôtel-Dieu, en 1845. — Il était membre du Conseil d’hy- giène et de salubrité du département de la Seine depuis NOTICE SUR M. ALPÏIONSE GUÉRARD. 17 libert, lampe photo-électrique de MM. Dumas et Benoît (Ann., 1865, t. XXIII, p. 309). — Cosmétique contre les gerçures du sein (Ann., 1870, t. XXXIII, p. 65). — Hygiène des ouvriers chargés du service des mo- teurs avapeur (Ann., 1873, t. XL,p. 345). — Notice sur Villermé (Ann., 1864, t. XXI, p. 162). — Notice sur Trébuchet (Ann., 1866, t. XXV, p. 5). — Notice biographique sur Boudin (Ann., 1867, t. XXVII, p. 469). — Notice biographique sur Michel Lévy (Ann., 1872, t. XXXVII, p. 473). — Discours prononcé à la Société de médecine légaleJAnn., 1873, t. XL, p. 158). 18 1837, et y avait rempli, successivement, les fonctions de secrétaire, puis de vice-président, — la présidence en appar- tenant de droit au préfet de police. — C’est à ce double titre de médecin d’hôpital et de membre du Conseil d’hy- giène qu’il eut surtout l’occasion de se distinguer pendant les épidémies, et de gagner vaillamment ses deux grades de la Légion d’honneur, sur ce champ de bataille du médecin. Les deux épidémies de choléra de 1832 et de 1854 lui valurent, la première la croix de chevalier, l’autre celle d’officier. En 1855, il fut nommé membre de l’Académie de méde- cine, et, comme il avait pris philosophiquement son parti de ses échecs pour le professorat, il paraissait avoir terminé sa vie active et militante lorsque arriva pour lui, en 1862, l’heure de la retraite et qu’il lui fallut quitter l’Hôtcl-Dicu, avec le titre de médecin honoraire. — Cependant tels ôtaient son amour delà science, son ardeur au travail, son activité encore virile, son attachement à ses fonctions hospitalières, qu’il ne voulut pas les abandonner tout à fait, et que, pen- dant bien des années encore, nous le vîmes, durant les vacances, revenir faire le service à la place de médecins plus jeunes, auxquels il facilitait ainsi un repos qu’il se refusait à lui-même, —protestant en même temps d’une façon signi- ficative, mais exempte de toute malice, contre les règlements relatifs à la limite d’âge, qui venaient de le frapper. Son activité se traduisait également par son assiduité à suivre les séances des Sociétés savantes auxquelles il appar- tenait, et plus particulièrement celles de l’Académie de médecine et de la Société des médecins des hôpitaux, participant à toutes les discussions qui pouvaient l’inté- resser, et de façon h montrer combien il savait se tenir au courant de tous les progrès de la science. 11 fut un des premiers à se faire inscrire, en 1868, parmi les fondateurs de la Société de médecine légale, compre- nant quelle importance ne peut manquer d’avoir, et pour le T. GALLARD. NOTICE SUR M. ALPHONSE GUÉRARD. 19 progrès de la science, et pour la bonne administration de la justice, cette réunion d’hommes appartenant à des pro- fessions différentes, mais qui, animés du môme amour de la vérité, ont résolu de mettre leurs efforts en commun pour faciliter sa découverte, en utilisant toutes les lumières de la science. 11 avait foi dans cette Société naissante ; et, prévoyant quel intérêt ne tarderait pas à s’attacher à ses travaux, il désira en faire profiter le journal qu’il dirigeait; aussi contribua-t-il, par ses efforts, à établir le lien qui, dès son origine, a rattaché la Société de médecine légale à son organe officiel, les Annales d’hygiène et de médecine légale. Sans avoir consacré à l’étude de la médecine légale des travaux aussi importants qu’à celle de l’hygiène, il ne l’avait cependant jamais négligée. Ses cours de chimie toxicologique en sont la preuve, ainsi que ses travaux sur les exhumations, sa traduction du mémoire de Kramcr sur la recherche des substances minérales absorbées (1); son observation sur un cas d’empoisonnement par l’acide chlorhydrique concentré (2), ses notes sur la vente de salicoques teintes en rouge par du minium (3), et sur l’empoisonnement par l’arsenic (à), le phosphore (5), etc. Il pouvait donc prendre une part active et fructueuse aux travaux de la Société de médecine légale, au sein de laquelle il se fit remarquer non-seulement par son assi- duité aux séances, mais par l’attention avec laquelle il suivait les discussions, par la part toujours heureuse qu’il (1) Annales d’hygiène et de médecine légale, lro série, t. XXIX, p. 415. (2) Ibid., t. XLVIIT, p. 415. (3) Salicoques teintes au moyen du minium (Ibid., 1861,2° série, t. XVI, t. XII, p. 369). (4) Ibid., lre série, t. XXXI, p. 468. (5) Note sur T empoisonnement par le phosphore (Ibid. ,1859, 2e série, t. II, p. 385). 20 T. GALLARD. y prenait avec un tact, une mesure et une justesse d’ap- préciation qui, dès les premiers jours, donnèrent la plus grande autorité à sa parole. Il voulut payer plus com- plètement de sa personne en consentant à se charger de rédiger, au nom d’une commission dont il faisait partie avec MM. Giraldès et de Rothschild, un Rapport sur la valeur de la conservation de la membrane hymen comme signe physique de la virginité (1), qui résume, en excel- lents termes, l’état de la science sur cette question délicate. Ses collègues ne pouvaient manquer de lui être recon- naissants d’une coopération aussi active, et ils tinrent à le lui témoigner en l’appelant à la présidence, pour laquelle le désignaient en même temps son âge, sa situation scientifi- que et le renom d’honorabilité qui l’entourait.—Sa mo- destie lui avait fait refuser une première fois, mais les instances de M. Réhier le décidèrent à accepter cet honneur, entraînant avec lui d’assez lourds devoirs auxquels il n’a jamais cherché à se soustraire. —Ces devoirs se sont accrus pour lui des démarches nécessitées par la reconnaissance d’utilité publique de notre Société, à laquelle il s’est vive- ment intéressé et qu’il a été si heureux de voir proclamer pendant sa Présidence. Nos relations rendues plus fréquentes par les fonctions que nous remplissions l’un et l’autre dans le bureau de la Société de médecine légale, m’ont mis à même d’appré- cier, plus qu’il ne m’avait été possible de le faire jus- que alors, les excellentes qualités de son esprit et de son cœur, non pas qu’elles m’eussent été complètement incon- nues,— bien au contraire : la droiture, l’honnêteté, l’esprit de justice et d’indépendance qui caractérisaient M. Guérard étaient en quelque sorte proverbiaux, et la vénération res- pectueuse dont il était entouré en témoignait assez. — (1) Ann. d’hyg., 1872, 2° série, t. XXXVIII, p. 409. Quant à son aménité, il sa bienveillance, j’avais pu, mieux que bien d’autres, les apprécier, dès le début de ma carrière. Il avait été l’un des juges du concours à la suite duquel je fus nommé interne, et j’avais été profondément touché de l’intérêt presque affectueux qu’il me témoigna et de l’exces- sive affabilité avec laquelle il m’accueillit quand j’allai lui demander comment il avait apprécié mes épreuves. Cette bonté m’attirait, et j’eus le désir de m’attacher plus intime- ment à ce Maître déjà vénérable qui, sans me connaître, ne me refusait ni ses encouragements ni ses conseils. Aussi, dès que le concours fut terminé, — aussitôt que je fus assuré de ma nomination, —je m’empressai d’aller le prier de me recevoir dans son service, pendant une de mes quatre années d’internat. Mais la place que je désirais était déjà promise, et il m’exprima son regret de me voir arriver trop tard, avec une cordialité et une sincérité de laquelle les excellents rapports qui se sont établis plus tard entre nous, ne m’ont jamais permis de douter. Ce n’est, du reste, pas la seule fois qu’il m’ait été reproché d’arriver ainsi trop tard pour solli- citer une place ou une distinction à laquelle il aurait pu m’être permis de me croire quelques droits. Et si je me suis étonné alors de voir mes jeunes compétiteurs de l’internat se hâter de s’assurer des places pour leur quatre années , même avant la fin du concours qui devait décider de leur nomination, j’ai compris depuis, à l’ardeur des luttes et des compétitions auxquelles il m’a été donné de prendre part ou d’assister, que celui-là est véritablement le plus habile, et, par conséquent, le plus fort qui, sachant, par une démarche, en apparence prématurée, prendre l’avance sur ses rivaux, obtient ainsi des promesses que l’on peut ensuite regretter d’avoir faites avec trop de précipitation. Je n’oserais affir- mer qu’il en fût ainsi de M. Guérard, en ce qui concerne la place d’interne que je lui demandais; mais il n’avait pas oublié cette circonstance, et il me la rappelait encore il y NOTICE SUR M. ALPHONSE GUÉRARD. 21 a peu d’années, au moment où il me faisait admettre au nombre des membres du Comité de rédaction des Annales d'hygiène et de médecine légale. Pour être devenues plus habituelles, nos relations ne furent jamais telles qu’elles me permissent de pénétrer jusque dans l’intimité de sa vie. Il m’est cependant permis d’en parler, car elle se passait toute au grand jour. Essen- tiellement affectueux et bon, M. Guérard devait rechercher la douceur des joies de la famille, et cependant elles ne lui furent que très-parcimonieusement dévolues. Quatre fois en un assez court espace de temps il fut frappé dans ses plus chères affections. C’est ainsi que, marié deux fois, ayant eu trois enfants, il se trouva veuf pour la deuxième fois en 18è2, ne conservant qu’un fils, qui est resté sa seule joie domestique. La mère de ce fils mourut d’accidents puerpéraux, et la maladie qui la lui avait enlevée resta toujours depuis l’objet de ses constantes méditations, tant était vive et profonde l’impression que cette perte cruelle avait laissée dans son esprit. Aussi, ne trouvant ni dans les travaux des autres, ni dans ses propres observations, la solu- tion du problème qui l’obsédait, se décida-t-il, après seize années, durant lesquelles son attention ne s’était jamais dé- tournée de ce sujet, à en saisir l’Académie de médecine et à provoquer la mémorable discussion sur la fièvre puerpérale, qui a eu lieu en 1858 (1). Ce fait montre bien le fond de ce caractère affectueux et dévoué, et trouve son pendant dans un des derniers actes de sa vie. 11 était sur son lit de mort, et cependant il se tenait encore au courant de la science, lisant des journaux, prenant des notes et coor- donnant les matériaux nécessaires à la publication du pro- chain fascicule des Annales d'hygiène et de médecine légale, T. GALLARD. (1) Voyez Bull.de l’Académie de médecine. Paris, 1857-1858, t. XXIII, p, 366 et suiv. NOTICE SUR M. ALPHONSE GUÉRARD. 23 lorsqu’il prit connaissance d’un travail de M. Léon Le Fort sur l’emploi de l’électricité comme moyen de résoudre les opacités du cristallin. Aussitôt il songea à son vieil ami, M. J.-B. Baillière, et. sans perdre une minute, il lui fit part de cette découverte, en lui conseillant d’en profiter pour faire disparaître la cécité dont il est affligé. N’ayant qu’un fils et se trouvant en possession d’une grande aisance, M. Guérard eut la sagesse de ne pas courir après la fortune. Il limita sa clientèle à un petit nombre d’amis, qui lui rendaient en affection ce qu’il leur donnait de dévouement et de soins. Puis il se con- sacra à l’étude et au culte des arls. Il était bibliophile, en meme temps que lettré, et il se plaisait à revêtir des plus riches reliures ses auteurs favoris, dont il aimait à se procurer les éditions Jes plus parfaites et les plus rares. Avec quel amour il ouvrait cette riche bibliothèque, pour en faire admirer les trésors ! Il avait aussi une col- lection choisie de bons tableaux et d’objets d’art remar- quables, qu’il était heureux de montrer aux connaisseurs. C’était là son seul luxe, car il menait une vie simple et retirée; mais celte vie calme et honnête lui avait valu l’estime et la considération de tous. Tel était l’homme excellent que la mort nous a enlevé le 20 juillet 1874. Sa longue carrière a été dignement et noblement remplie. Notre siècle en a vu de plus brillantes ; on en a rarement vu de plus honorables, et le nom de M. Guérard doit être pieusement conservé dans la mémoire de ceux qui ont le culte des qualités par la réunion des- quelles le médecin doit inspirer à tous le respect de sa noble profession. • PARIS. —• IMPRIMERIE 1)2 E. MARTINET, RUE MIGNON, 2.