LE MASSACRE DE L’AMBULANCE DE SAONE-ET-LOIRE RAPPORT lu au Comité médical de secours aux blessés, le 7 juillet 1871, par Jr t/ LE Dr CHRISTOT, EX-GHIRURGJ*!* F,N CHFF DF, LA 3» AMBtîI.Atîf’.B LYOV'.’AU*. LYON IMPRIMERIE D'AIMÉ VINGTRINIER Rne de la Bellc-Cordièro, j4. MDCCCLXXI (Extrait au Lyon Médical.) r.Yo*. — nrp. vreaintKTBft. LK MASSACRE DE L’AMBULANCE DE SAONE-ET-LOIRE Messieurs, Votre Comité m’a chargé de lui présenter un rapport dé- taillé sur l’attentat dont a été victime l’ambulance de Saône-et- Loire. Les documents qu’il avait reçus de différents côtés lui ont paru insuffisants pour arriver h la connaissance com- plète de la vérité, d’autant plus que, dans un rapport adressé h M. Verne d’Arlandes, l’ennemi cherche à établir qu’il n’y a pas eu assassinai, mais légitime défense. —Je ne pouvais décliner cette lâche douloureuse, non-seulement h cause des liens qui m’attachaient à plusieurs des victimes, mais encore parce que l’ambulance du docteur Morin et la 3e ambulance lyonnaise se trou- vaient sur le môme champ de bataille. Comprenant l’importance que vous attachiez h cette mission, je me mis sans retard h l’œuvre afin de réunir tous les (ails quels qu’ils tussent de nature â jeter un peu de clarté sur cette lugubre affaire. M. le docteur Bouchacourt voulut bien me remettre des dépositions du plus haut intérêt, puisqu’elles sont signées par des membres de l’ambulance de Saône-et Loire. J’ai vu ici des aides- majors de cette ambulance, entre autres M. Cordier, interne des hôpitaux. D’autres renseignements m’ont aussi été apportés par la poste. Néanmoins, je ne me suis pas cru suffisamment édifié, et afin de ne rien négliger pour arriver à la vérité, le 18 juin je me transportai h Dijon et de l'a à Ilaulevdle, accompagné de Mc Cl. Brun, avocat au barreau de Lyon, et de Me Chenot fils, avocat au barreau de Dijon, que je suis heureux de remercier ici de leur précieux concours. —J’ai pu de celte façon ajouter de nombreux détails a ceux que je vous avais déjh transmis alors que votre 3° ambulance était encore dans la Côte-d'Or. Hauteville est un village situé au nord de Dijon, h dix kilomè- tres environ de la ville. Sa position stratégique est importante, son altitude étant sensiblement la même que celle de Taïaut, dont il n’est guère distant que de trois kilomètres en ligne directe. La possession de ce point culminant était doue d’un haut intérêt militaire pour l’armée d’attaque de Dijon. Le 21 janvier, entre 9 et 10 heures du soir, les deux premiers bataillons de la 3e légion de Saône-et-Loire prennent position h Hauteville. L’ambulance du docteur Morin s’installe dans une des maisons les plus spacieuses de la partie basse du village. Cette maison appartient au sieur Callais ; elle est située sur la route qui traverse Hauteville du midi au nord Le plan annexé au rap- port et la légende explicative me dispensent d’une description détaillée de cette maison et de ses dépendances. Une chose mé- rite cependant d’être rappelée, c’est que sa situation, la disposi- tion de la cour extérieure, la position occupée par la maison voi- sine, qui masque au sud les fenêtres de l’habitation Callais, tout en un mot concorde pour empêcher d’admettre qu’elle ait pu servir de point de défense contre une attaque dirigée du midi au nord, eoinm ' fa été l attaque de l’armée prussienne. « Le bataillon partit avec la *2® compagnie capitaine Von Pul- « litss) comme avant-garde, h 10 heures du soir, par une com- « plèle obscurité, de ta cour de la ferme de Changey, et se diri- « gea sur Hauteville. Lorsque la tête de iavant-garde se fut « approchée d'environ *200 pas des premières maisons du village, « elle /ul reçue par un feu animé. » (Rapport du general Fran- ccschg. Dole, 18 mars 1871). Combien cette contradiction se- rait ridicule si elle n’était odieuse ! Le choix de la maison fut dicté plus encore par l’absence com- plète de soldats que par ses dispositions intérieures, qui parais- saient convenables au docteur Morin. L’habitation Callais n’abri- tait aucune baïonnette; le fait est des plus plausibles. Toutes les dépositions des membres de l’ambulance l’affirment, et celles 4 de M. et de M320 Callais se produisent avec une énergie qui ne laisse plus de doute h cet égard. Bien plus, un sergent de mo- bilisés, ayant pénétré dans la maison, fut obligé d’en sortir, sur les inslances de M. Morin lui-même. La cour extérieure ne conte- nait pas non plus de troupes. (Déposition de M. cl de Mm3 Callais, de MM. Cordicr, Fleury, de Champvigy, Berland (1), Mlacoque, Baudot.) Les ambulanciers de Saône-et-Loire ne portaient sur eux au- cune arme. Le docteur Morin, à plusieurs reprises, avait recom- mandé à ses collaborateurs la stricte exécution de la Convention de Genève et lui-même donnait l’exempleen remettant au capitaine de son bataillon le revolver qu’il portait habituellement sur lui. [Dépos. de M. Cordier.) Tous avaient le brassard. Deux drapeaux de Genève furent hissés sur la façade de la mai- son, l’un h la porte d’entrée du rez-de-chaussée, le second au premier étage. Les drapeaux étaient de grandes dimensions et s’apercevaient facilement. (Dèpos. de Mme Callais.) L’action militaire devait recommencer le lendemain, et notre ar- mée, encore une fois trop confiante, s’apprêtait h reprendre l’of- fensive seulement le 22 au matin. Vers 10 heures, une vive fusillade la surprend et la désabuse. Un régiment prussien s’avance dans Hauteville eu suivant la route du midi au nord. Nos mobilisés se replient sur la même rouie et répondent par quelques coups de feu h ia fusillade bien nourrie de l’ennemi. La surprise rend toute lutte difficile, pres- que impossible, aussi n’y en a-t-il pas de véritable. L’ennemi s’empare du village, qui ne peut être défendu. « Les Prussiens ar- « rivent et entrent dans Hauteville. Nos soldats, ne pouvant lut— « ter contre des forces supérieures, abandonnent le village, et « ce fut un sauve-qui-peut général. » [Dèpos. de M. Mlacoque, infirmier de K ambulance de Saône-cl-Loirc.) Telle est la vérité sur la prise d’Hauleyille, que le rapport prus- sien, avec l’art mensonger que vous connaissez, transforme en (1) Je dois la déposition écrite de M. Berland à l’obligeance de mon ams M. Ch. Jacquier, docteur en droit, avocat au barreau de Lyon, attaché pen- dant la guerre à l’état-major du général do Busserolles. 6 un brillant fait d’armes. La encore toutes les dépositions concor- dent. Il n’y a pas eu de lutte. Un détail, qui a son importance, le prouve encore. Toutes les façades sud des maisons d'Hauleville sont criblées par les balles prussiennes, les façades nord, qui re- cevaient le feu des soldats français ne présentent au contraire que quelques projectiles ; les traces du combat sont encore très-ap- parentes. C'est aussi vers 10 heures que les soldats prussiens pénètrent, au nombre de 10 ou 12, dans la maison de l’ambulance, dont les membres venaient de se consulter sur la conduite à tenir. (Dôjjos. de Al. Borland, infirmier.) Quetques-uns conseillent le départ; d’autres s’y opposent, déclarant que le devoir les retient h Ilau- teville, et qu’enfin l’égide de la Convention de Genève les garantit contre les atrocités de la guerre. Du reste, toute indécision cesse devant les soins h donner a un mobilisé blessé h la face (1) et h une enfant de 15 ans (Eugénie Picnmelot), mortellement at ointe. Elle a la poitrine traversée par une balle prussienne, tirée assu- rément de très-près, puisqu’elle n’a blessé la malheureuse entant qu’après avoir labouré i’épais chambrante d'une porte. (Voir le plan ci-annexé). — Cette première et innocente victime d’une agression barbare est couchée dans l’alcove de la grande salle, où se trouvent réunis les membres de l’ambulance. C’est pendant l’application des premiers pansements que des soldats du 61e de Poméranie, et non du 21e(:>), font irruption dans la mai- son, malgré les protesta ions énergiques de Morin, qui montre son brassard et le drapeau de Genève en criant : « Feld-Lazarelh ! « Feld -Lazareih ! « Amboulance, amboulance ! charognes, capoul ! reprennent « les sauvages avec l'expression de l’incrédulité et du mépris. » (Dépos. de AI. Berland.) « On répond a notre infortuné chef, M. Morin, par trois « coups de baïonnette ; il tombe, puis se relève en répétant (1) Ce blessé est un nommé Du mon, de Tourny, commune de Changy. (2) Des blessés prussiens du 61e, soignas dans nos ambulances, à Dijon, avouaient que leur régiment avait donné à l'affaire d'ilauteville. Do son côté Dme Callais affirmait que les assassins appartenaient au 61e. et non au 21% comme dit le rapport prussien. 7 « de nouveau : Feld-Lazareth! Feld-Lazareth! C’est en ce moment « qu’il reçoit une balle qui mit fin h ses jours (1). Ce fut ensuite « h notre tour; ils nous jetèrent tous par terre h coups de crosse « de fusil, puis ceux qui faisaient les récalcitrants recevaient des « coups de revolver. Quand ce fut à mon tour, je me laissai tom- « ber et j'eus la chance de ne pas être touché. Comme les autres, « je fis le mort; mais un soldat m’ayant écrasé les doigts, je ne « pus retenir un mouvement. Voyant que je n’étais pas mort, ils « me firent lever, puis quatre baïonnettes se braquèrent sur moi. « 11 se trouvait dans la chambre un sergent-major prussien qui « me demanda si j’étais sergeut-major. Sur mon affirmation, ils « me firent sortir sans me faire de mal.Milliat futensuite entraîné « au-dehors, on lui fit tourner le dos h deux pas de la porte, puis « deux détonations retentirent et il tombait mort. Ensuite ce fut « le tour de Fleury : ils le firent sortir et j’entendis deux coups « de feu. Il tomba. Quelques instants après je l’entendis courir; « il se sauvait. On tira de nouveau sur lui. J’ai appris ensuite «'qu’il n’avait été que blessé. » (Dépos. de P. Baudot, vague- mestre du 1er bataillon de la 3° légion de Saône-et-Loire.) Baudot ne revint que le surlendemain a Dijon, chez M. le doc- teur Chanut, professeur honoraire h l’École de médecine, chez qui Morin avait reçu l’hospitalité la plus affectueuse. » Nous crai- « gnions, me dit le docteur Chanut, que ce brave garçon n’eût été « victime de son attachement pour son chef. Aussi combien fut « grand notre bonheur quand nous le vîmes reparaître. Il était « blessé et avait la tête empaquetée. Nous ne pûmes retenir des « larmes de joie en le voyant si heureusement échappé au massa- « cre. » Les détails qu’a bien voulu me fournir mon obligeant confrère confirment complètement ceux qui sont consignés dans ce rapport. La déposition suivante n’est pas une preuve moins triste. Elle est de M. Fleury, étudiant en médecine, infirmier-major au 2e ba- taillon, 3e légion de Saône-et-Loire : « Resté debout un des derniers, dit-il, je ne me laissai tomber (1) On voit encore sur la porte du fond les traces du projectile qui attei- gnit notre regretté collègue. ' « qu’après avoir reçu un coup de crosse sur la tête et deux a coups de baïonnette au flanc gauche, dont un seul m’atteignit « et porta heureusement sur une des dernières côtes. Je restai « couché au milieu de mon sang et de celui de mes camarades, « déjà étendus par terre, pendant que l’on brisait b coup de crosse « deux cantines de médicaments et d’objets de pansement mar- « qués b la croix de Genève. » « Après avoir délibéré quelques secondes entre eux, les Prus- « siens firent lever l’un de nous, que je croit être le vaguemestre « Baudot, et l’entraînèrent au dehors. Ce fut ensuite mon tour. « Arrivé b la porte extérieure, je me trouvai en présence d’un « peloton de vingt hommes environ, alignés. Je compris et voulus « rentrer. Mais tout était prévu ; il y avait des baïonnettes der- « rière moi. Ou me fit signe d’avancer. J’avançai sans hésiter et « m’arrêtai b cinq pas d’eux en croisant les bras. Une détonation « retentit ; j’avais l’épaule droite, près du cou, traversée par une « balle. Cette nouvelle blessure n’était pas mortelle. L'idée me « vint de faire le mort et je me laissai tomber. Au boui d’une mi- « nuie, je me sentis tiré par la jambe. Craignant d’être achevé « a coups de baïonnette, je me relevai, préférant recevoir une « balle qui terminerait tout. Puis me ravisant subitement, en « deux bonds je lus au fond de la cour. Mais déjh deux balles « avaient sifflé b mes oreilles : l’une m’avait atteint b la joue « droite, 1 autre avait percé mon capuchon. Cela ne m’empê- « eha pas de franchir la claire voie qui ferme la cour et de ga- « guer les jardins, d’où je sortis ensuite en escaladant les murs. « Je pris alors b travers les vignes, et après deux heures d’une « marche pénible, j’arrivai à Pouilly, qu’occupaient les Fran- « çais. » L’horreur de ces détails ne doit pas m’empêcher de citer encore la déposition de M. Jean Morin, infirmier. Elle n’est ni moins triste, ni moins probante que les précédentes : « Je me « trouvai près de la porte d’entrée. Je reçus au front un coup « de crosse qui me renversa. En même temps j’entendis les plain- « tes de mes camarades, mais les brigands criaient plus fort « qu’eux. Lorsque tous furent tombés, ils revinrent b moi et me « forcèrent brutalement b me relever. Je suppliai ces monstres 8 FLAN HE LA MAISON (.ALLAIS A II U l'K V IL LE R. Route qui traverse llauteville du sud au nord. La fléché in- dique la direction suivie par les Prussiens pendant l'attaque. Ils venaient de la partie la plus élevée du village, qui se trouve au sud. C. C.our -extérieure qui mène aux hébergeâmes H. VI. Façade de la maison