NOTE SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORUIS, Fisen. Fr. Par A. l'ERSIX. TIRÉ DES ARCHIVES DES SCIENCES DE LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE Novembre 1858. Avec autorisation de la Direction. Pendant les derniers jours de juillet et les premiers du mois d’août plusieurs des journaux de la Suisse occidentale ont si- gnalé la présence d’innombrables sauterelles dévastant quelques localités du bas Valais. L’attention publique attirée sur ce su- jet m’a engagé à réunir, pour les publier, les observations sui- vantes qui s’y rattachent directement. La sauterelle objet de cette note a été décrite sous divers noms par les auteurs qui se sont occupés de classification. Linné, et après lui Fabricius, Zetterstedt, Philippi, etc., la décrivent sous le nom de Gryllus ( Locusla) migralorius. La- treille range cette espèce dans son genre Acridium et en fait YAcridium migralorium ; plus tard Serville divisant les criquets de Lalreille, classe notre sauterelle dans son genre OEdipoda ( OEdipoda migratoria). Enlin, M. Fischer de Fribourg, dans un excellent ouvrage sur les Orthoptères européens, poussant 2 SUR LE PACHYTYLUS MIGRATOR1US. beaucoup plus loin encore les divisions génériques, forme de cette sauterelle et de quelques espèces voisines le genre Pa- chytylus. Celte espèce, comme la plupart des sauterelles, présente de nombreuses variations de taille et de couleur, et même de forme, à tel point que Fabricius et M. Fischer ont cru devoir établir deux espèces d’après la forme du dos du prothorax ou pronotum. L’on rencontre, en effet, des individus chez lesquels la ligne médiane du dos s’élève en carène saillante, et donne au pronotum un profil convexe, tandis que dans d’autres elle est peu prononcée, tellement que le profil du pronotum est plan ou concave. M. Fischer donne, avec Fabricius, aux in- dividus présentant la première de ces formes le nom de Pa- chytylm cinerascens, et conserve aux autres le nom de Pa- chytylus migratorius. La plupart des individus observés cette année dans les vols du Valais se rangent dans la seconde de ces espèces ou variété. Toutefois l’on trouve aussi mêlés avec eux d’autres individus qui semblent établir la transition d’une forme à l’autre, tellement qu’il ne serait pas impossible que les deux espèces, des savants auteurs précités, ne fussent que des variétés du P. migratorius. Celte espèce est parfaitement décrite dans les divers ou- vrages qui traitent des Orthoptères, aussi nous contenterons- nous ici des indications suivantes puisées sur des spécimens recueillis cette année dans le Valais. Le mâle, plus petit que la femelle, est long de 4 à 5 cen- timètres, et la plus grande largeur des épaules et de la poi- trine atteint 6 millimètres. La femelle est longue de 5 à (> centimètres et sa plus grande largeur est de 7 millimètres. L’animal est généralement de couleur verte ou brune avec deux, quelquefois trois bandes noires sur le thorax ; les élylres jaunâtres ou brunes sont parsemées de taches noires ; les ailes transparentes et légèrement tintées de vert ; les mandibules SUR LE PACIIYTYLUS MIGRATORIUS. 3 bleues-noirâtres ; les élylres et les ailes plus longues que l’ab- domen ; la ligne médiane du pronotum peu saillante, horizon- tale ou un peu concave, etc. Cette espèce est répandue dans la plus grande partie de 1 Europe; elle paraît se plaire plus particulièrement dans les régions chaudes et méridionales de la Russie où elle devient un vrai fléau. C’est la même espèce qui occasionne de si grands ravages dans toute l’Asie occidentale, la Perse, la Syrie, l’A- natolie et la plus grande partie de l’Afrique. Elle est très- souvent désignée dans le langage vulgaire sous le nom de sauterelle d’Egypte à cause du rôle qu’elle joue dans l’histoire biblique des plaies qui affligèrent cette contrée sous le règne de T un des Pharaons. Dans notre pays le Pacliytylus migra- torius de Fabricius et de Fischer se trouve communément dans le Valais où il est ordinairement mêlé avec le P. cinerascens des mêmes auteurs ; celte dernière espèce ou variété se trouve aussi, d’après M. Pictet, 'a Châtelaine, près de Genève; M. Fo- re! la prend de temps à autre dans les environs de Saint-Prex et à l’embouchure du Boiron, près deMorges. Très-probablement qu'elle se rencontre encore dans beaucoup d’autres localités de la Suisse. Les deux Pachylylus migratorius et cinerascens sont donc indigènes dans notre pays, communs même sur quelques points. Le fait du développement du P. migralorius en cohortes innombrables dans le bas Valais n’a donc rien de très-surpre- nant. Du reste, ce fait paraît n’être pas très-rare, et au dire de quelques personnes il aurait déjà été signalé dans le cou- rant du siècle aux environs de Viége, dans le haut Valais. Afin de constater les faits sur les lieux mêmes où les sau- terelles ont été signalées, j’ai passé la journée du 10 août 1858 à parcourir les environs de Vionnaz (Valais) et de Chessel (Vaud). Là j’ai consulté M. le curé et les employés supérieurs dirigeant les travaux du chemin de fer valaisan et un grand nombre d’agriculteurs qui m’ont raconté ce qui s’est passé 4 SUR LE PACI1YTYLUS MIGRATOR1US. sous leurs yeux. C'est 1 ensemble de ces renseignements et ce que j’ai pu constater moi-même que je vais essayer de ré- sumer. L’année dernière déjà les habitants de Vionnaz, et de quel- ques autres communes voisines du bas Valais remarquèrent que les sauterelles étaient beaucoup plus abondantes que dans les années ordinaires, la migratoria occupait surtout l’espace compris entre le canal 1 et le Rhône. Dès le mois de mai de l’année actuelle on vit apparaître, dans les mêmes lieux, d’in- nombrables cohortes des mêmes insectes, dépourvus d’ailes, et de si petite taille qu’on n’y fit pas d’abord une bien grande attention. Ces larves de sauterelles, longues de sept à huit mil- limètres à leur sortie de l’œuf, étaient comme parquées dans cer- tains espaces limités et disposées en lignes serrées s’avançant de front en dévorant tout ce qui se trouvait devant elles. Ces jeunes sauterelles demeuraient si bien réunies que de deux champs sé- parés par un sentier, l’un est entièrement brouté et traversé dans toute sa longueur par les insectes qui marchent en longeant le sentier sans le franchir, et laissent ainsi l’autre champ par- faitement intact. La voracité des sauterelles croît avec leur taille, et, dès les premiers jours de juillet, la population de Vionnaz s’effraya des dégâts déjà faits, et se bâta |de coupel- les blés craignant de les voir tous tomber sous la mandibule des sauterelles. Le curé se vit même contraint d'autoriser les moissonneurs à travailler le dimanche vu l'immensité du dan- ger. Ce digne pasteur m’a raconté qu’il vit un matin l’une de ces cohortes de sauterelles arriver dans le voisinage d’un champ d’avoine. Le même jour, vers trois heures du soir, re- passant dans la même localité, il trouva que, sur un espace de plusieurs centaines de toises carrées, il ne restait pas une 1 Pour prévenir les inondations, on a creusé deux canaux parallèles au fleuve, à 100 ou 200 mètres environ de ses bords, l’un sur le ter- ritoire du canton de Vaud (rive droite), l’autre sur le territoire valaisan (rive gauche). C’est de celui-ci qu’il est ici question. SU K LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. seule plante debout. Heureusement, pour les Valaisans, que 1 insecte était près du moment où il allait achever sa dernière mue, et où, en acquérant des ailes, il pourrait chercher au loin une autre pâture1. C’est pendant la première quinzaine de juillet que le plus grand nombre des individus arriva h l’état parfait. Le Pachytylus mic/ratorius était alors muni de ces ailes puissantes qui lui permettaient de fournir un vol remar- quablement étendu. Dès la seconde quinzaine de juillet, cha- que jour de soleil, les Pachytylus partaient en vols innombra- bles, formant une masse épaisse qui s’élevait dans l’air et se transportait tantôt dans une direction, tantôt dans une autre, et présentant parfois l’aspect d’un nuage assez épais pour ob- scurcir complètement les rayons du soleil et projeter une oim- bre épaisse sur la plaine. Il ne paraît pas que pendant les pre- miers jours elles lissent ainsi de bien longs trajets et chaque soir on les retrouvait à peu près dans les mêmes localités, s’a- battant toutes ensemble sur un espace peu considérable, sur lequel elles s’accumulaient en telle quantité que le sol et la végétation disparaissaient complètement; il est même arrivé plusieurs fois qu’elles ont ainsi formé sur la terre une couche de 4 à 5 centimètres d’épaisseur. Dès les premiers jours du mois d’aoùt les habitants des communes valaisannes remar- quèrent que plusieurs vols considérables traversaient le Rhône et ne revenaient pas ensuite sur la rive gauche. On signale, en effet, l’une des premières cohortes de sauterelles sur la rive droite le lundi 2 août; celles-ci s’abattirent entre Chessel et Crebella vers les trois heures de l’après-midi. Le lendemain et les jours suivants de nouveaux vols arrivèrent sur les mêmes localités en nombre si considérable que les agriculteurs effrayés 1 Somme toute, et de l’aveu même des Valaisans intéressés, les dégâts ne sont pas énormes, grâce, sans doute, à ce qu’ils se sont concentrés dans la zone étroite comprise entre le Rhône et le canal, et que, même dans cet espace, les sauterelles se sont réunies sur quelques points d’une étendue assez limitée. 6 de la rapidité avec laquelle disparurent les roseaux du marais, les avoines, les maïs, et les graminées des prairies, se hâ- taient de faucher les champs non encore attaqués sans attendre la maturité. A Vouvrier et à Vionnaz la plus grande migration fut observée le mercredi 4 août. A partir de ce jour on ne vil plus sur la rive gauche du Rhône que des individus clair-semés comme dans les années ordinaires. Dans les environs de Chessel, de Crebella, sur la rive droite du fleuve, on signale également les 2, 3 et 4 août pour le nombre effrayant de sauterelles qui vinrent prendre gîte dans les roseaux et les prairies entre le Rhône et le canal de la rive droite. Le jeudi 5 août et les jours suivants pendant les heures chaudes de la journée les saute- relles s’envolent en masses aussi serrées que les flocons d’une neige épaisse, et volent tantôt à 10 ou 20 mètres au-dessus du sol, tantôt rasant presque la terre ou au contraire s’élevant à une grande hauteur. Ces vols suivent, en général, les rives du fleuve en le remontant ou le descendant. Ce même jeudi, 5 août, un vol considérable s’abat sur les rives du Léman, â Lausanne, â Morges et dans d’autres lieux où elles font l’éton- nement de la population 1. Le 10 août je ne vis plus que de rares individus autour de Vionnaz et de Vouvrier, je les trouvai au contraire en nombre immense sur la rive droite autour de Chessel. J’ai traversé à midi un vol qui descendait la vallée dans l’espace compris entre le Rhône et le canal. On m’assura â Chessel que ce vol durait sans interruption depuis plusieurs heures, et lorsque je quittai il continuait; les sauterelles tou- jours aussi serrées et suivant toutes la même direction. Ce vol occupait une largeur de 5 à 10 mètres, et une hauteur peut-être égale. Il m’a laissé l’impression d’êtres effrayés obéis- sant à une panique générale qui les pousse à fuir en volant à lire d’ailes et communiquant leur terreur à tous ceux dans le voisinage desquels ils viennent à passer. SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. 1 Une Mante (Mantis religiosa) a été trouvée le même jour à Lausanne. On croit que cet insecte est arrivé du Valais avec les sauterelles. SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. En volant, le Pachytylus migralorius a les jambes repliées sous ses cuisses, et sa vitesse est suffisante pour qu’il soit dif- ficile de l’atteindre à la course. Je crois rester plutôt au-des- sous de la vérité que tomber dans l’exagération en estimant sa vitesse à deux lieues à l’heure. Le 10 août le même vol qui défilait le long du Rhône à Chessel passait un peu plus lard au-dessus de Villeneuve en longeant les bords du lac. Pendant quinze jours des vols innombrables continuèrent à parcourir les bords du Rhône, et parurent partir de cette ré- gion comme d’un centre pour se disperser ensuite dans toutes les directions. C’est ainsi qu’elles arrivèrent à Genève le 10 ou le 11 août; j’ai pu constater leur présence sur la plaine de Plainpalais le 12 du même mois. Dans les cantons de Fri- bourg, de Berne, de Soleure, d’Argovie, d’après M. Meyer- Diir, bien compétanl en pareille matière, on vit apparaître à peu près a celle époque les mêmes sauterelles qui y étaient complètement inconnues auparavant, et qui très-certainement se rattachent aux mêmes migrations. Je n’ai pas obtenu de renseignements sur les parties orientales de la Suisse, je ne puis donc pas indiquer les limites précises des pays ainsi en- vahis. Après avoir fourni des sauterelles à une bonne partie delà Suisse, les bords du Rhône en conservèrent un contingent tellement nombreux, qu’il a jeté l’alarme dans les populations riveraines adonnées à l’agriculture. Les habitants de Chessel en particulier que j’ai revus au milieu de leurs champs le 14 octobre, appréciant le danger que courent les récoltes en cé- réale de l’année prochaine, parce qu’elles ont souffert cette an- née-ci, pensent que leur pays est menacé d’une ruine complète si tous les œufs pondus peuvent éclore au printemps prochain. Il ne parait pas que les migrations de la sauterelle se soient prolongées au delà du milieu d’août. Dès lors elles sont de- meurées jusqu’à leur fin dans les lieux où elles se sont trou- 8 SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. vées à ccttc époque. C’est ainsi que dans les environs de Morges on a pas cessé de rencontrer des individus clair-semés de Pachytylus migratorius depuis le 5 août, jour de leur arrivée, jusqu’à la fin de l’automne. Ces insectes semblent alors per- dre la volonté ou le mobile qui les pousse à parcourir, d'un seul trait, des espaces de plusieurs lieues. On voit bien encore ça et là un individu effrayé s’élever à une certaine hauteur et s’abattre ensuite à 30, 40, 100 mètres ou plus de son point de départ; mais cet individu vole seul et n’est pas accompagné de tous ceux au-dessus desquels il vient à passer, ainsi que cela arrivait au milieu de l’été. Quoique l’histoire de ces insectes soit déjà connue, je pense que les observations suivantes sur leurs mœurs, recueillies à l’aide des individus du Pachytylus migratorius., disséminés au- tour de Morges, pourront avoir encore quelque intérêt. C’est le matin lorsque le soleil commence à se faire sentir que l’insecte paraît avoir le meilleur appétit. Il coupe alors les feuilles ou plus volontiers les tiges des graminées encore vertes et tendres, un peu au-dessous de l’épi, puis, se posant sur les pattes de la seconde et de la troisième paire, il tient devant lui avec ses pattes antérieures la tige ou la feuille qu’il vient de couper et dont il mord le bout de manière à enlever à chaque coup de mandibule un fragment assez volumineux, qu’il tri- ture un instant avant de l’avaler. L’animal boit aussi les gouttes de rosée ou de pluie qu’il trouve à sa portée. Lors- qu’il est repu, il se place au soleil, le flanc exposé perpendi- culairement aux rayons de cet astre, et tous les membres d’un même côté suffisamment abaissés pour ne pas projeter om- bre sur le corps. Lorsque la température s’élève, tous les in- sectes s’animent, vont et viennent, et semblent tour à tour se chercher ou se fuir. Lorsque le mâle rencontre une femelle, il s’élance brusquement sur son dos et s’attache à elle avec ses quatre pattes antérieures, si bien et si fort, qu’il n’y a pas moyen de lui faire lâcher prise. Ce n’est que dans cette position que SUR LE PACHYTYLUS MfGRATORIUS. 9 j ai entendu striduler le Pachytylus migralorius, et seule- ment lorsqu’il est inquiété par le voisinage d’un autre insecte de la même espèce. Il frotte rapidement, avec une seule de ses pattes à la fois, l’élylre du même côté du corps, et en lire un son sensible, quoique d’une faible intensité, vu la taille de l’a- nimal. Il est bon de remarquer ici que le Pachylylus migra- torius appartient, par la nervation de ses élyres et particulière- ment par le peu de dilatation de la marge antérieure ou couvre-flane, aux criquets chez lesquels la stridulation est le plus faible. Le rhythme du chant est différent suivant que l’in- secte est au soleil ou à l’ombre; dans le premier cas, le mou- vement de la patte postérieure, celle qui joue le rôle d’ar- chet, est peu étendue et assez rapide pour que l’élytre rende un son continu pendant une ou deux secondes. Celte stridulation ressemble à celle de l’une des sauterelles les plus répandues dans nos campagnes, 1 e Stenobothrus biguttulus,Un., elle en diffère toutefois parce qu’elle est un peu plus grave et moins intense, son timbre est aussi moins argentin. A l’ombre, au contraire, la patte frotte l’élylre par un mouvement peut-être plus étendu, et dans tous les cas moins rapide, tellement que l’oreille dis- tingue nettement le son produit par chaque friction, et le rhythme se rapproche alors beaucoup de celui du Stenobothrus parallelus, Zett., autre espèce également très-commune dans toute 1 Europe. Quand le mâle a stridulé une première fois avec l’une de ses pattes, en général il change et emploie l’autre patte pour une seconde stridulation, toutefois il n’y a pas de régu- larité dans cette alternance, et il arrive fort souvent qu’il se sert plusieurs fois de suite du même membre avant de changer. Presque toujours, après la stridulation, le Pachylylus agite plusieurs fois de suite ses deux pattes postérieures à la fois, il les soulève et les laisse retomber par un mouvement étendu ; mais dans ce cas elles n’appuient pas sur les élytrès, et par suite n’en tirent aucun son. A chacun de ces mouvements des membres postérieurs les palpes se soulèvent et retombent 10 SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. exactement avec les membres; ces mêmes organes demeurent au contraire immobiles quand l’insecte n’agite qu’une seule patte et pendant la stridulation. Le lait du chant du Pachytylus avec une seule patte à la fois est rare dans les criquets européens : je ne l’ai encore observé que dans l’espèce qui nous occupe et dans YEpacromia thalas- sina, Fab., commun dans les environs de Morges. Du reste, ce caractère n’est pas le seul qui rapproche ces deux espèces, la forme et la largeur relative du thorax, la puissance, l’étendue et la nature du vol, la nervation des ély 1res, enfin un certain faciès général m’ont toujours porté a rapprocher ces deux espèces que M. Fischer a néanmoins placés dans deux genres différents. L’union des sexes n’a ici rien de particulier, elle a lieu de la même manière que dans les autres criquets. La femelle porte le mâle pendant une à douze heures ; dans cette situation elle mange, se meut, agit en tout point comme si elle était seule, mais elle est dans l’impossibilité de voler. Le mâle demeure parfaitement immobile, ou ne donne signe de vie que pour stri- duler lorsqu’une autre sauterelle vient à passer dans son voi- sinage. Lorsque le moment de la ponte est arrivé, la femelle est dans une agitation continuelle, elle va et vient d’un pas ra- pide, s’arrête brusquement, replie son abdomen en ap- puyant l’extrémité contre terre, puis faisant agir les pièces cornées et crochues dont il est armé ; elle prépare une ca- vité dans laquelle l’abdomen pénètre et disparaît complète- ment. J ai vu une femelle enfoncer ainsi son abdomen en terre jusqu’à l’origine des pattes et le ressortir en moins de deux minutes. Celles que j’ai observées ont répété plusieurs fois cette opération avant de pondre réellement. Je suppose que la femelle creuse si souvent sur le point où elle veut déposer sa progéni- ture pour diviser et grener la terre, et rendre plus facile l’acte qu’elle va accomplir. Les femelles que j'ai vu pondre chez moi ont présenté pendant près de vingt-quatre heures cet état d’a- SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. 11 gitation ; je n’ai 'pu saisir l’instant précis où les œufs ont été déposés. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elles pondent a la fois 55 ou 58 œufs réunis en un seul paquet placé horizontale- ment, quelquefois verticalement dans le sol et a une pronfon- deur de 3 à 5 centimètres. Ce paquet, de forme cylindrique, droit ou un peu recourbé en forme d’S, a de ù a 6 centimè- tres de longueur et environ 6 millimètres de large ; il pèse cinq décigrammes Tous les œufs sont placés parallèlement entre eux, et obliquement sur Taxe longitudinal du paquet avec le- quel ils font un angle d’environ 40°. Ils sont liés ensemble par une substance très-poreuse, semblable à une écume sèche et insoluble dans l’eau. Cette écume est composée d’aréoles assez grandes, et à parois minces et transparentes d’une très-faible ténacité. Les lignes de jonctions des aréoles dessinent une es- pèce de réseau brunâtre qui demeure quelquefois attaché aux œufs sous forme de ligures hexagonales de grandeur variée. Celte même substance entoure tout le paquet d’une couche d’environ un millimètre d’épaisseur, et aglutine autour d’elle tous les grains de sable qu’elle touche, et qui forment par cela même une sorte d’épiderme pierreux et résistant qui sert à protéger les œufs. Quelquefois la femelle ne prend pas la peine d’enterrer sa progéniture, elle se contente de déposer sur le sol une masse informe mêlée de substance écumeuse qui n’enveloppe qu’une partie des œufs ; j’attribue celte ponte anormale à l’influence des circonstances perturbatrices des fonctions de l’animal, et je doute qu elle donne de bons résultats pour la propagation de l’espèce. L’œuf isolé est cylindrique, droit ou légèrement courbé, ar- rondi à ses deux extrémités, d’un jaune translucide au mo- ment où on le sort de terre, puis jaune opaque après quel- ques heures d’exposition à l’air. Il mesure de 5 à 7 millim. de long, et son diamètre est compris entre 1 et 1 millim. L’une des extrémités, celle tournée en bas dans le paquet, est habi- 12 SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. tuellement marquée d’une tache noirâtre autour de laquelle se trouve un anneau, formé par des petits points de même couleur, dessinant une sorte de point de suture autour de l’ex- trémité de l’œuf. Il me paraît très-probable que la ponte se renouvelle plu- sieurs fois pour chaque femelle, comme cela a lieu pour la plupart des autres criquets. Toutefois, il faut nécessairement qu’il s’écoule un certain temps entre chaque ponte, vu que le poids du paquet est le cinquième de celui de la femelle ( celle ci pèse 2,5 grammes). La femelle vit environ trois mois a l’état parfait, du milieu de juillet au milieu d’octobre, et en admet- tant une ponte par mois, ce qui me paraît probable et nulle- ment exagéré, on trouve que chaque femelle pond environ 160 à 170 œufs. Quoique ces nombres ne soient pas très-considé- rables, ils n’en expliquent pas moins le rapide développement de ce criquet dans les localités où, pendant quelques années consécutives, les circonstances climatologiques leur sont favo- rables. Il m’a semblé intéressant pour la science et important pour l’agriculture de vérifier à Chessel l’état des pontes de cet au- tomne. Lors donc que j’ai cru que la plupart des sauterelles devaient avoir péri, je suis retourné dans les lieux où j’avais vu au mois d’août la plus grande abondance de ces insectes, et où, en effet, j’en trouvai encore quelques individus vivants et un grand nombre de morts sur le sol. Ce n’est que dans le voisi- nage immédiat du canal sur la rive droite du Rhône, près de Chessel, que j’ai trouvé un grand nombre d’œufs. Un agricul- teur, qui arrachait des pommes de terre dans cette localité, m’as- surait que presque a chaque coup de pioche, il découvrait des paquets d’œufs. J’ai passé quelques instants auprès de lui, pen- dant son travail, et je me suis assuré que son assertion n’était pas trop exagérée. Sur d’autres points, et particulièrement sur ceux exposés au midi, le nombre des paquets d’œufs est vrai- ment effrayant. En creusant le sol avec une lame de couteau, je SUR LE PÀCHYTYLUS MIGRATORIUS. 13 trouvai plusieurs paquets d’œufs dans chaque motte de terre de la grosseur du poing. Par contre dans les lieux moins bien exposés je ne parvenais pas à découvrir un seul œuf. Je conclus de tout ce que j’ai pu voir et des renseignements qui m’ont été donnés par les agriculteurs, que la ponte s’est ef- fectuée dans de bonnes conditions pour la propagation des sauterelles, et qu'il y a des chances pour que l’année prochaine soit signalée par de nouveaux dégâts. Je pense donc qu’il a y lieu de rappeler ici quels sont les moyens mis en usage pour les combattre dans les pays où l’on a fréquemment a lutter contre leurs invasions. Mais auparavant je crois qu’il est bon de se mettre en garde contre une croyance que j’ai trouvée répandue dans les cam- pagnes, et qui pourrait devenir un faux oreiller de sécurité. Les froids de l’hiver tueront les œufs et nous délivreront des sauterelles, m’a-t-on dit. — Sans doute les influences climato- logiques sont notre plus puissant auxiliaire pour lutter contre le fléau ; mais nous ne savons encore que bien peu de chose sur la manière dont elles opèrent, particulièrement dans le cas ac- tuel. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que toutes les années des œufs de migraloria résistent aux plus grands froids des hivers du Valais, et à ceux bien plus rigoureux encore du midi de la Russie. En nous basant sur la connaissance des mœurs et du mode de vivre de l’animal, sous ses divers étals, nous pensons qu’il convient de classer les moyens de combattre le fléau sous les trois chefs suivants : —a) destruction des œufs; —b) des larves ; — c) de l’insecte parfait. a. Nous avons déjà vu que les œufs sont pondus en paquets à 4 ou 5 centimètres de profondeur, et il paraît que, dans cer- tains cas, il est facile de les recueillir, puisque dans le midi de la France, au dire de Solier, un enfant exercé peut en réunir 6 à 7 kilogrammes par jour. En 1613, d’après cet auteur, la ville de Marseille dépensa 20,000 fr. pour leur faire la chasse; SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. on payait 25 centimes aux personnes qui apportaient deux livres de sauterelles, et le double, 50 centimes, pour le même poids d’œufs. Or si nous supposons qu’un dixième seulement de la somme totale dépensée par celte ville ait été affecté k l’achat des œufs, on trouve, par un calcul facile à faire sur les données qui précèdent, on trouve, dis-je, que dans cette année plus de 400,000,000 d’œufs ont été extraits de la terre. Ce pro- cédé semble donc devoir être des plus efficaces partout où il peut donner de pareils résultats. Afin de me rendre compte de la possibilité de l’appliquer à notre pays, j’ai essayé moi-même, dans les environs de Chessel, si je pourrais y réussir. Le 14 octobre, jour où je fis cette tentative, le sol était encore humide des pluies tombées les jours précédents. L’enveloppe écu- meuse des paquets d’œufs se déchirait avec une telle facilité, qu’il m’a été à peu près impossible de recueillir un seul paquet entier. Les œufs tombaient épars en très-grand nombre, mais leur petitesse rendait la récolte de chaque œuf en particulier aussi lente que peu fructueuse. Je ne pense donc pas que, dans ces circonstances, il y eût un avantage réel à faire entrer ce procédé dans la pratique. Quelquefois, dans le midi de la France, on se contente de passer un rouleau, très-pesant, sur les champs que l’on sait envahis ; on espère ainsi écraser la plupart des œufs. b. La poursuite des larves est envisagée par M. Demole, ancien consul suisse à Odessa, comme le seul moyen véritable- ment efficace de combattre les sauterelles. Notre compatriote a pu étudier d’une manière très-complète les mœurs de ces in- sectes dans les steppes de la Russie méridionale, et il a donné sur ce sujet un mémoire aussi complet qu’intéressant dans les Archives de la Bibliothèque Universelle de Genève *. Nous em- pruntons à ce travail le passage suivant : « Avant l’époque qui leur donne des ailes, lorsqu’elles ne sont que marchantes, on peut alors employer pour les détruire 1 Archives des Sciences phys. et natur., tome XXXI, p. 218. SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. le moyen que je vais décrire et qui m’a réussi; je le crois le seul applicable, le seul efîicace. « Il faut se pourvoir de deux herses, ou plutôt de deux claies faites seulement de branchages, puis de trois rouleaux en bois de six pieds de longueur sur douze à quinze pouces de diamètre; chacun de ces instruments est attelé d’une paire de bœufs ou de chevaux. « Le principe de mouvement de ces cinq instruments est rotatoire : on décrit constamment un cercle qui renferme seule- ment la largeur de la colonne dans son diamètre, c’est-à-dire une vingtaine de toises au plus; les herses marchent sur la li- sière du cercle et les rouleaux marchent en dedans. Aussitôt que les herses ont décrit le cercle extérieur et foulé l’herbe, les sauterelles ne tentent point de s’échapper par la circonfé- rence : effrayées par le bruit des herses qui frottent sur l’herbe, elles se précipitent dans le centre, de sorte qu’en rétrécissant peu à peu le mouvement circulaire, les rouleaux finissent par les écraser en masses sur le centre ; elles y sont alors rassem- blées en si grand nombre qu’on entend très-distinctement le bruit de leurs articulations brisées par l’action des rouleaux. « Lorsqu’un cercle est achevé on en commence un autre ; ainsi toute une colonne est successivement attaquée par une série de cercles. Tous les insectes qui ont échappés se rassem- blent de nouveau ; on procède alors à une nouvelle attaque, beaucoup moins laborieuse que la première. Le peu d’insectes qui survivent alors n’a pas d’importance, soit qu’ils aient été froissés dans quelques-unes de leurs parties, ou qu’une des conditions de leur existence soit de vivre en masses, car dès qu’ils sont isolés, ils perdent leur instinct voyageur. « Je pensai d’abord qu’en faisant marcher les instruments sur la longueur de la colonne on en viendrait facilement à bout ; mais l’expérience ne réussit pas, car la colonne n’avance point sur une ligne parfaitement droite, elle décrit, au contraire, de fréquentes inflexions que l’on ne peut suivre avec les animaux SLki LE CACHÏÏYLUS MIGRATORIUS. attelés. Ensuite les sauterelles, effrayées par le bruit qui s’a- vance, accélèrent leur marche, et s’écartant promptement, soit en avant soit en arrière, échappent avec beaucoup de facilité, tandis que, renfermées dans une circonférence, tout leur mou- vement se concentre sur un espace circonscrit où les rouleaux agissent avec facilité. « Dans les premiers temps de leur naissance, ces insectes, étant forts petits, sont préservés en partie de l’action des in- struments par les fortes tiges des plantes du steppe; plus tard ils grossissent rapidement, et plus leur taille s’accroît plus leur destruction devient facile.» Voici maintenant ce que dit Solier sur ce qui se pratiquait de son temps dans les environs de Marseille : « La chasse commence au mois de mai; presque toute la population de certains villages y est employée. On se sert d’un drap de grosse toile dont les coins sont tenus par quatre per- sonnes différentes ; deux personnes marchent en avant en fai- sant raser le sol par le bord du drap ; les insectes, en fuyant, sautent sur le drap étendu et sont ainsi recueillis sur ce drap, d’où on les jette dans des sacs. On s’est aussi servi avec avan- tage de l’espèce de fdet en forme de sac placé au bout d’un bâton, dont les entomologistes font usage pour recueillir les insectes sur la tige des plantes.» c. Lorsqu’enfin le Pachi/lylus migralorius est h l’état parfait et peut voler, il me paraît, comme à M. Demole, qu’il est bien difficile, sinon impossible, de le combattre. Peut-être pour- rait-on tirer parti avec quelque succès de l’engourdissement des sauterelles pendant les heures les plus fraîches de la mati- née et du soir pour essayer encore de les écraser, comme on le fait lorsqu’elles sont encore à l’état de larve ? Désireux de m’entourer de tous les renseignements possi- bles, j’ai prié monsieur le maire de Marseille de me commu- niquer ce qui se pratique actuellement dans les environs de celle ville. Il a bien voulu prendre ma demande en considéra- SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. 17 tion, et je me fais un plaisir et un devoir de lui en exprimer ici toute, ma reconnaissance ; il a donc renvoyé ma lettre â la Société d’agriculture du département des Bouches-du-Rhône qui lui a fait parvenir la réponse suivante, que je publie en en- tier à cause des utiles indications qu’elle renferme. « Monsieur le maire, « Dès la réception de votre lettre du 28 septembre dernier, à laquelle était jointe celle de M. Yersin que j’ai l’honneur de vous retourner, plusieurs de mes collègues et moi nous nous sommes enquis des moyens de destruction des sauterelles em- ployés dans le département des Bouches-du-Rhône; nos re- cherches, je le crains, n’auront pas produit des résultats satis- faisants. En voici le résumé : « Vers 1808 ou 1809, pendant que M. Thébeaudeau était préfet du département, les sauterelles firent irruption en si grand nombre sur le quartier de Château Gombert, elles y exercèrent de tels ravages, qu’une prime fut offerte aux per- sonnes qui se livraient à leur destruction ; mais nous n’avons pu retrouver la trace de l’arrêté préfectoral publié à cet effet. Il est toutefois présumable qu’au nombre des procédés de destruction devait se trouver la récolte des œufs dont parle M. Yersin. Depuis celle époque reculée, il semblerait que les essaims voyageurs de sauterelles n’ont pas reparu dans nos contrées, puisque aucune dépense municipale n’a été affectée principalement à leur destruction ; les dégâts de ceux de ces insectes qui se développent annuellement dans le pays ne man- quent pas d’être importants, néanmoins les propriétaires des environs de Marseille et des communes de l’arrondissement, sans doute à cause du grand morcellement des immeubles ru- raux et de leur culture arbustive, ne pratiquent ni n’encoura- gent, à notre connaissance, aucun moyen préservatif. «Dans les grandes exploitations des autres arrondissements, et particulièrement dans celles du département du Yar, l’élève 18 SUR LE PACHYTYLUS MIGRATÜR1US. des dindons (coq el poule d’Inde) contribue d’une façon effi- cace a la destruction des sauterelles. Les dindons et les jeunes dindonneaux sont très-friants de ces insectes et en consomment des quantités considérables; conduits par troupeaux dans les champs, sitôt après la récolte des céréales, ils s’en nourrissent de préférence et ne lardent pas a acquérir un embonpoint et un engraissement rapides. «Dans l’espace de deux ou trois mois, la valeur des ani- maux a doublé. Ce mode de destruction, là où il peut être ap- pliqué, a non-seulement l’avantage de concourir d’une manière certaine et efficace au but que se propose M. Yersin, mais en- core de procurer un bénéfice important aux éleveurs. J’ajoute- rai que dans nos contrées méridionales, ainsi qu’en Afrique, les invasions de sauterelles concordent ordinairement avec l’é- poque où les couvées de dindonneaux sont assez robustes pour franchir de grandes distances et pour prendre leur pâture à travers champ. « Je regrette beaucoup que la Société d’agriculture ne puisse répondre plus convenablement à votre appel ; elle sera toujours empressée de vous prêter son concours. « Veuillez agréer, etc. « Le président de la Société d’agriculture, « S. Falcon. » Je puis ajouter à cette lettre, que j’ai vu moi-même dans le département du Yar, à Hyères, le résultat de l’élève des din- dons, et qu’ils m’ont été signalés par leur utilité comme moyen de détruire les sauterelles et de réaliser un bénéfice très-réel. Je crois donc devoir attirer tout particulièrement l’attention des campagnards du district d’Aigle sur l’avantage et l’utilité de cette industrie. Ils ne sauraient choisir une meilleure occa- sion pour l’introduire dans nos prairies, et non-seulement l’éle- veur v trouvera son intérêt, mais il rendra de plus à son pays SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. 19 le grand service de le fournir d’un aliment sain et agréable pour lequel il est encore tributaire des États voisins. Les naturalistes me demanderont sans doute si les saute- relles n’ont pas aussi de ces ennemis naturels qui mettent or- dinairement une limite à la trop grande reproduction de beau- coup d’animaux. Jusqu’à présent je n’ai pas été assez heureux pour découvrir des ennemis Spéciaux aux sauterelles ; je ne leur en connais, en particulier, aucun parmi les insectes. J’ai bien vu quelquefois la Nantis religiosa, Lin., saisir et dévorer de petits criquets; j’ai surpris aussi un lézard rentrant dans son trou une sauterelle à la gueule; les oiseaux ne manquent pas d’en détruire un certain nombre 1 ; mais tous ces ennemis ensemble me paraissent moins redoutables, pour les insectes, que les influences climatologiques. Je suis réduit ici à faire des hypothèses pour ce qui concerne les sauterelles, en me fondant toutefois sur ce qui s’observe avec d’autres insectes. On sait, en effet, que les deux époques critiques pour la propagation de ces animaux sont celles de la ponte et de l’éclo- sion. Pour que la femelle puisse déposer ses œufs dans des conditions telles qu’ils résistent aux agents extérieurs de des- truction, il faut qu’une alimentation suffisante et une tempé- rature convenable lui donnent les forces et l’activité nécessaires. Je suis convaincu, par exemple, que les paquets d’œufs dé- posés sur le sol et mal conformés sont dans l’impossibilité de fournir une seule éclosion. Or je ne puis m’empêcher d’attri- buer ces pontes anormales à l’influence de la température, peut- être de l’humidité. 1 M. Demole rapporte que, « dans les steppes, les sauterelles sont sui- vies de vols de merles roses ; cet oiseau n’est connu en Russie méridio- nale que lorsque les sauterelles sont établies dans le pays. En 1826, 1827, 1828 et 1829, ils étaient très-abondants. En 1827, une variété grist s’était emparée de tous les bâtiments abandonnés, les troupeaux quittant les bergeries dés la mi-avril pour habiter nuit et jour les steppes. Ces oiseaux s’établirent dans les bâtiments dès le printemps en nombre con- sidérable et v élevèrent leurs familles.» 20 SUR LE PACHYTYLUS MIGRATORIUS. Au moment de l’éclosion, l’influence des agents extérieurs est peut-être plus importante encore. À la sortie de l’œuf, la jeune larve est si faible, ses téguments sont si délicats, l’être est tellement caduc, que deux ou trois jours de mauvais temps ou une trop grande sécheresse, ou telle autre circonstance d’une appréciation difficile, peut en détruire une proportion considérable. Il est très-probable qu’au moment où l’insecte brise l’enveloppe de l’œuf, et cherche à se frayer un passage au travers de la couche de terre dont il est chargé, il a un besoin tout particulier de chaleur, et si celle-ci se fait trop attendre, l’animal périt sans avoir vu la lumière. De tout ceci je conclus que les pluies d’automne et les re- tours de froids si fréquents de nos printemps sont certaine- ment notre meilleur préservatif contre les sauterelles. Néan- moins, lorsqu’elles acquièrent un développement aussi alarmant que nous l’avons constaté celle année, et en présence des pontes si abondantes des bords du Rhône, il me semble que les agriculteurs doivent avoir l’œil ouvert et s’enquérir de tous les moyens connus, et les employer sans hésitation pour con- jurer le désastre dont ils sont menacés. C’est dans le but de satisfaire à ce besoin que j’ai pris l’initiative de ce petit travail, heureux si, dans son imperfection, il peut être de quelque uti- lité h mon pays. Morges, le 22 octobre 1808.