ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ PROFESSEUR AGRÉGÉ DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS, MÉDECIN DE BICÊTRE ; PRONONCÉ A LA SÉANCE SOLENNELLE DE LA SOCIÉTÉ ANATOMIQUE LE 10 FÉVRIER 1865 V Par le Dr J.-V, LABORDE. PARIS IMPRIMERIE MOQUET HUE DES FOSSÉS-SAINT-JACQUES, I \ *1865 ÉLOGE DE L-V. MARCÉ PROFESSEUR AGRÉGÉ DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS, MÉDECIN DE B1CÊTRE. Prononcé par le Dr J.-Y. Laborde Messieurs, En me désignant pour payer lin juste tribut de regrets et rendre hommage, au nom de la Société anatomique, à la mémoire de l’un doses membres les plus distingués, vous avez pensé, sans doute, qu’à défaut d’un talent qui fût à la hauteur de cette mission, le cœur inspiré par l’amité pourrait suffire à son accomplissement. Si tel est le motif de votre choix, j’ose me flatter d’en avoir été digne : le jour fatal où vous aviez à déplorer la perte inattendue d’un de vos plus aimés collègues, où la science pleurait un de ses adeptes les plus fervents, j’é- tais, moi-même, frappé plus cruellement encore dans mon affection et dans ma reconnaissance : je perdais un Bienfaiteur; ce titre vous dit assez, Messieurs, que si je 4 faillis à la tâche douce et pénible à la fois qui m’est confiée, ce ne sera point par le cœur; toute ma force est en lui, et dans votre indulgence. ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ. Louis-Victor Marcé naquit à Paris en 1828. — Dès le berceau, pour ainsi dire, commencèrent pour lui les épreuves de la vie : il avait à peine quelques années, lorsqu’il perdit son père; mais, par bonheur, il échappa aux conséquences morales de cette perte, grâce aux soins que prit de son éducation un de ses plus proches parents, praticien fort distingué de Nantes, médecin de l’Hôtel- Dieu de cette ville, le docteur Marcé, dont la sollicitude véritablement paternelle ne l’abandonna jamais. Sa vie de collège fut marquée par une série non inter- rompue de suçcès qui le mirent constamment au pre- mier rang de ses condisciples : si nous rappelons ces premiers et humbles triomphes, c’est qu’ils ne devaient pas être, ainsi que cela arrive si souvent, un prélude illusoire pour l’avenir. Les hésitations et les perplexités qui président au choix d’une profession et qui fait de ce moment solen- nel, un moment si difficile, n’existèrent pas pour le jeune Marcé : la voie lui était, pour ainsi dire, tracée d’avance par l’exemple de son père adoptif; il y était poussé, d’ailleurs, par ses inclinations personnelles nées d’une sévérité d’esprit et d’une sûreté de jugement précoces qui feront, plus tard, en se perfectionnant, l’une des principales qualités de son intelligence. Il entra donc, de plain pied, dans la carrière de la médecine. Quatre années d’études brillantes, pendant lesquelles il cumula tous les succès à l’école et dans les hôpitaux de Nantes, 5 posèrent les bases solides de son éducation médicale. Puis, tournant ses regards vers le vaste et fécond théâtre qui sourit aux hautes aptitudes et aux grandes aspira- tions, il vint à Paris. Là, continuant la tradition de cette brillante pléiade d’élèves de l'École de Nantes, qui, depuis plusieurs années, viennent nous disputer les couronnes, il parcourut la carrière des concours avec la môme habitude de succès Nommé interne dans l’un des meilleurs rangs, en 1851, il obtenait au concours de fin d’année de 1853, la médaille d’argent; la voix de ses collègues, vox Dei, le désignait à la médaille d’or, en 1856, et il l’aurait eue, si le mérite était toujours une raison suffisante, en cette circonstance; il dut se contenter de la médaille d’argent récidivée. La même année il remportait le grand prix de l'E- cole pratique ; et il soutenait brillamment sa dissertation inaugurale, étude clinique et anatomo-pathologique, très bien faite, sur un sujet peu exploré : les Kgstes spermatiques. Le moment était donc venu, pour lui, de dresser son humble tente de praticien, cette tente destinée à abriter tant de décepticns avant de donner asile au client, et que nous sommes, hélas ! tous appelés à connaître. — Marcé n’était pas riche; c’était un de ses nombreux mé- rites : il appartenait à cette vaillante classe de déshé- rités qui ont à puiser dans leur travail, non-seulement les éléments de l’avenir, mais encore les ressources matérielles du présent. Dieu sait, et vous le savez aussi, Messieurs, si la modique indemnité accordée à l’interne peut y suffire, même avec le centime additonnel des générosités récentes de l’Administration. — A cette ÉLOC.E DE L.-V. MAItCÉ. 6 ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ. époque, du moins, il était permis de trouver un dédom- magement à cette insuffisance dans la liberté de l’ensei- gnement, à l’hôpital et à l’amphithéâtre de Clamart. Marcé s’efforçait d’en profiter : son affabilité et son ins- truction solide de clinicien le rendaient, à la Charité, le privilégié de ceux qui cherchent ce complément d’études. Il aimait à raconter, avec un sentiment de fierté légitime, comment, à l’aidé de ses économies professorales, favo- risées par une moisson plus ample que d’habitude, pen- dant sa dernière année d’internat, il était parvenu à orner avec un luxe presque flatteur pour les yeux d’un praticien sans clients, son premier et modeste établisse- ment. Mais il ne devait pas longtemps subir ces premières et souvent pénibles épreuves des débuts incertains de la pratique ; un double événement, qui vint décider à la fois de son avenir et de sa fortune, ne tarda pas à être le juste prix de son travail et de ses éminentes qualités : en même temps qu’il contractait une alliance brillante qui le rattachait à un nom célèbre dans les sciences, la direction médicale d’un des plus vastes et des plus beaux établissements privés d’aliénés, lui était confiée. La souplesse de son esprit et l’étendue de ses connais- sances lui permirent de se familiariser rapidement avec la branche spéciale de la médecine, à laquelle il était appelé désormais à se consacrer. Il ne tarda pas, d’ail- leurs, à faire ses preuves dans cette voie nouvelle, en produisant une œuvre originale qui comblait un deside- ratum de la médecine mentale, nous voulons parler de son Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ. accouchées, et des nourrices (1), etc., ouvrage auquel l’In- stitut de France accorda une de ses plus hautes distinc- tions, et qui fut comme le fondement de sa réputation de médecin aliéniste. Livré entièrement aux graves et incessantes occupa- tions que lui créait sa nouvelle situation, il employait ses rares loisirs à la préparation d’une épreuve qu’il affron- tait bientôt après, avec un succès que l’on pourrait dire exceptionnel, s’il n’en avait pas toujours eu de sembla- bles : il obtenait, en effet, la première 'place au Concours de l’Agrégation en 1860; et vous connaissez tous, Mes- sieurs, sa remarquable Thèse sur les altérations de la sensibilité (2), véritable modèle de ces sortes de disser- tations où il faut suppléer à l’insuffisance du temps ac- cordé par l’à-propos des connaissances acquises et la méthode d’exposition. Marcé n’était pas de ceux que les succès enivrent ou endorment; loin d’attiédir son ardeur et son zèle,, celte nouvelle et haute distinction ne fit que les stimuler. Au nombre de ses plus légitimes aspirations, il y en avait une dont la réalisation excitait, au plus haut degré, comme chez tant d’autres, son espoir et ses désirs les plus chers : c’était sa nomination aux hôpitaux. Mais une triste déception l’attendait à cet égard : la seule voie qui lui convînt, comme au vrai mérite, pour arriver a ce titre, la voie du concours, venait de lui être fermée; et (1) Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices, et considérations médico-légales qui se rattachent à ce sujet, Paris 1858, in-8° (2) Des altérations de la sensibilité. Thèse présentée au concours pour l’agrégation. Paris 1860, in-4° 8 ÉLOGE L)E L.-V. MARCÉ. il me serait facile de montrer que s’il eut à subir, en raison de la prééminence incontestée de ses titres anté- rieurs., un autre mode de nomination, personne n’eut plus que lui à s’en plaindre, et personne ne le regretta davantage. Quoi qu’il en soit, créé en 1861 méilecin de la Ferme-Sainte-Anne, il passait en 1863 à l’un des services d’aliénés, devenu vacant, <}e l’hospice de Bi- cêtre. Ses vœux étaient accomplis ; et on vit alors son acti- vité sans égale se multiplier, en quelque sorte, pour embrasser et remplir dignement ses nombreuses fonc • tions et les devoirs qu’elles lui imposaient. — D’un côté, il prodigue ses soins éclairés et affectueux aux malades de rétablissement privé qu’il dirige et qui lui doit, en grande partie, sa prospérité ; — de l’autre, il consacre à ses fonctions, à l’hôpital, non-seulement le temps que nécessitent les exigences du service, mais encore le temps que lui impose une insatiable passion de l’étude sur un théâtre fécond, d’où nous le verrons bientôt em- porter une riche moisson de faits nouveaux ; — puis il subit, à Paris, les fatigues d’une consultation à laquelle sa réputation précoce attirait déjà de nombreux mala- des ; il mène de front les exigences officielles de profes- seur agrégé à la Faculté, et celles de l’enseignement libre, qu’il a inauguré à l’Ecole pratique, et que fré- quentent des auditeurs nombreux et assidus ; et quand ce cycle laborieux de la journée est parcouru, quand l’Iicure d’un repos nécessaire semble avoir sonné, vous croyez peut-être, Messieurs, qu’il va s’y livrer tout entier, vaincu par la fatigue, et succombant sous le fardeau d’un si lourd labeur?.... Non, messieurs; la nuit avancée le surprendra encore, pâle et courbé sur le métier scienti- ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ. 9 fique, où il compose des livres et des mémoires, dont une énumération rapide suffira pour vous montrer et l’éten- due et l’importance. Déjà vous connaissez, Messieurs, quelques-uns de ces travaux ; j’ai eu à vous signaler le Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées, et des nour- rices..., et sa Thèse d'agrégation sur les altérations de la sensibilité. Le premier de ces ouvrages est un véritable traité exprofesso sur la matière; il est venu combler, ainsi que nous le disions plus haut, un large desidera> tum de la pathologie mentale ; et il s’impose, comme un guide nécessaire et sûr, à quiconque se trouve, dans la science comme dans la pratique, en présence des graves et délicates questions qui y sont agitées et, pour la plu- part, résolues ; enfin, il révèle, chez son auteur, les qua- lités solides qui faisaient de Marcé, ainsi que nous espérons le démontrer, le type du vulgarisateur didac- tique. Il avait déjà préludé à ce travail d’ensemble par deux mémoires qui s’y rattachent plus ou moins directement : l’un, sur les causes de la folie puerpérale, où sont étu- diées avec le plus grand soin les conditions pathogéni- ques de cette grave complication de l’état puerpéral; — l’autre, sur l'influence de la grossesse sur la guérison de Valiénation mentale, dans lequel cette intéressante ques- tion de pratique est traitée et résolue à la faveur des seules données qui convinssent à l’esprit essentiellement positif de l'auteur, celles de l’observation directe. — Ces deux mémoires, dont les quelques mots qu’il nous est seulement permis d’en dire ne sauraient faire ressortir toute la valeur, ont été publiés dans les Annales médico- psychologiques. 10 Bien avant ces productions, Marcé s’était essayé, avec succès, dans l’étude d’une des fonctions les plus obscures, entre tant d’autres, du cerveau étude qui touche de très- près au sujet à l’ordre du jour des localisations fonction- nelles cérébrales ; elle a pour titre : Mémoire sur quel- ques observations de physiologie pathologique, tendant à démontrer l'existence d'un principe coordinateur de l'écriture et ses rapports avec le principe coordinateur de la parole (1). Quoique incomplet, ce travail que se proposait, d’ailleurs, de reprendre son auteur, est plein d’intérêt, d’ingénieux aperçus, et de données propres à éclairer la voie obscure de ces délicates recherches. Poursuivant le même ordre d’études et d’idées, Marcé composait (en 1859) et lisait devant 1 Académie de médecine, un Mémoire sur l'état mental dans la cho- rée (2), œuvre véritablement originale. — On connais- sait, sans doute, —etla plupart des auteurs ont signalé— la mobilité nerveuse, les bizarreries de caractère, et l’affaiblissement des facultés, que l’on observe souvent chez les choréiques ; mais personne, avant Marcé, n’a- vait entrevu ni la fréquence réelle, ni la forme des ac- cidents intellectuels, qui constituent l’un des côtés de la symptomatologie de cette affection convulsive ; il s’est particulièrement appliqué à montrer que les phénomè- nes hallucinatoires du côté de la vue en sont le cortège habituel, et, comme toujours, il a donné pour base à sa démonstration le plus puissant et le plus irrécusable des témoignages, celui des faits bien observés et bien inter- ÉLOGE JE L. -V. MARCÉ,' (1) Mémoires de l'Académie de médecine. Pari*, 1860, l. XXIV. (2) Comptes-rendus et Mémoires de la Société de Biologie, t. I'ï, 2* séiie 1 856. ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ. prêtés. Ce travail, qui avait vivement attiré l’attention de l’Académie, provoqua, au sein de cette compagnie savante, une discussion qui lui donna plus de retentis- sement encore. Un peu plus tard et devant la meme académie, il li- sait un travail plus considérable, fruit de ses premières études sur le nouveau et fécond théâtre que sa nomina- tion à Bicêtre avait récemment livré à son infatigable activité; ce travail qui a pour titre : Mémoire sur la dé- mence sénile et sur les différences qui la séparent de la 'paralysie générale (1), est un de ceux qui expriment le mieux les tendances scientifiques de l’auteur. Esprit sévère et positif avant tout, Marcé répugnait aux théories spéculatives substituées aux données de l’obser- vation; il pensait qu’on avait trop et trop longtemps cher- ché dans le vague domaine de la métaphysique pure et de la psychologie, la solution de problèmes pathologiques qui, quoique impliquant l’élément intellectuel et moral, n’en ont pas moins leur source dans quelque chose de tangible et d’accessible à nos moyens d’investigation. En cela, Messieurs, il était loin d’avoir tort, il faut en convenir : dans l’étude des manifestations protéiformes qui caractérisent les états morbides de l’ordre mental, la considération de l’élément corporel a été incontestable- ment sacrifiée à celle de l’élément psychique; à trop con- templer le ciel,on a fini souvent par perdre de vue la terre; et pendant qu’on dissertait sur l’âme, en pleins nuages, on laissait le travail morbide accomplir tout à l’aise et à l’abri de regards trop discrets, son œuvre réaliste. C’est à ramener les esprits, ainsi égarés, dans une voie (1) Gazette médicale de Paris, 1863. 12 ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ. plus pratique, c’est à donner àl’élément somatique la part véritable qui lui revient dans l’étude de la pathologie mentale que s’appliquait surtout Marcé; la plupart de ses écrits révèlent hautement cette tendance; et elle de- vait naturellement l’entraîner vers les recherches qui sont de nature à la servir; aussi montre-t-il un goût et une ardeur marqués pour l’anatomie pathologique qu’il regardait, pour ainsi dire, comme la terre promise de la pathologie mentale. Il ne s’est pas contenté, Messieurs, de la montrer du doigt; il a fait tous ses efforts pour frayer la voie, bien longue encore à parcourir, qui doit y conduire. Afin d’y mieux réussir personnellement, 11 ne reculait pas devant l’apprentissage tardif des moyens nouveaux d’investigation que le progrès a mis en nos mains, et après s’être initié au maniement du micros- cope, il ne laissait échapper aucune occasion de profiter des avantages de son intervention si souvent indispen- sable dans l’étude délicate des altérations du système nerveux. C’est ainsi qu’il a cherché à éclairer les condi- tions anatomiques des adhérences méningées dans la pa- ralysie générale; et c’est ainsi que dans le travail sur la démence sénile, que nous citions tout à l'heure, il s’est efforcé de montrer la caus.e prochaine, c’est-à-dire, les altérations élémentaires qui président aux phénomènes constitutifs de cette vague entité, appelé démence, qu’il faut désormais considérer comme l’expression sympto- matique d’un grand nombre d’états morbides cérébraux, et l’aboutissant fatal de toutes les vésanies. Mais, Messieurs, nulle part cette heureuse tendance à ramener aux procédés ordinaires de la pathologie, en gé- néral , l’étude trop individualisée et, permettez-moi ce mot, spiritualisée de l’aliénation mentale, ne s’est ré- ÉLOGE UE L.-V. MAHCÉ. 13 vélée davantage, chez Marcé, que dans l’ouvrage dont il nous reste à vous parler, et qui est comme le couronne- ment d’une œuvre si prématurément interrompue, et pourtant déjà si vaste, je veux parler de son Traité pra- tique des maladies mentales (1). Ce n’était pas, Messieurs, chose facile que de composer un traité élémentaire d’aliénation mentale, et peut-être y avait-il quelque témérité à l’entreprendre. Malheureu- sement reléguée hors du cadre habituel et officiel des études médicales, la pathologie mentale constitue une espèce d arche sainte dans laquelle pénètrent seulement un très-petit nombre d’élus attirés'vers elle par goût ou par tout autre mobile; delà de sérieuses difficultés pour offrir, sous une forme convenable, à des esprits qui n’en comprennent pas suffisamment l’importance et la néces- sité, une étude délaissée par la plupart des médecins. — 11 est certain que les quelques tentatives faites dans ce sens n’ont pas été heureuses, soit qu’elles dépassent le but, soit qu’elles restent en deçà; à l’exception peut-être d’un livre fait à l’étranger, et qu’une traduction récente va transporter chez nous avec les précieuses annotations d’un de nos maîtres, le traité de Griesinger, il n’existait pas, en réalité, dans la science, d’ouvrage de cette na- ture, lorsque Marcé entreprit de combler cette lacune. Il y réussit pleinement. —• Déjà, durant quatre années consécutives, il avait préparé, pour ainsi dire, les esprits des élèves à recevoir l’aliment plus substantiel qu’il ve- nait leur offrir ; et ses leçons, réunies et dogmatisées, ont été, en réalité, la base du traité dont il s’agit. Rien ne saurait mieux vous montrer, Messieurs, com- ri) Un volume in-8°, G72 pages, Paris 1862 14 ÉLOGE DE L.-V. MARCÊ. bien notre auteur avait bien compris le but qu’il devait se proposer d’atteindre, que la manière dont il l’indique lui-môme : « Un semblable travail, dit-il, ne peut avoir « de prétention à l’originalité ; il ne peut viser qu’au « mérite de la clarté, de l’exactitude, et de la sévérité « dans le choix des matériaux.... » La réalisation a, de tous points, répondu à ces intentions : — .une sage so- briété dans les détails, qui lui a permis d’éviter l'inutile embarras des discussions oiseuses et des digressions doc- trinales ; une méthode parfaite ; une exposition nette et toujours claire; une simplicité de style qui n’exclut pas l’élégance, telles sont les principales qualités qui font du Traité des maladies mentales un livre véritablement classique, c’est-à-dire un résumé complet, quoique suc- cinct, des connaissances nécessaires à la pratique, sous une forme substantielle, facilement assimilable, et pres- que toujours attrayante. Toutefois, il ne faudrait pas croire que, bien que ne visant pas à ce mérite, ce livre manque complètement d’originalité au fond : L’esprit môme d’après lequel il a été conçu et que nous avons essayé d’apprécier dans ses tendances, serait une irréfragable preuve du contraire. Je regrette, Messieurs, d’avoir à me borner à une esquisse aussi rapide et aussi incomplète; il m’est impossible, ce- pendant, de ne pas vous signaler Y Introduction histo- rique qui précède l’entrée en matière, tableau véritable- ment remarquable des péripéties par lesquelles a passé, aux diverses époques de la science, la pathologie mentale; le chapitre consacré à la Paralysie générale; ceux qui traitent des Hallucinations, et des monomanies,... etc. Nous aurons complété, à peu de chose près, ia longue ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ. liste des travaux de Marcé, si à ceux qui précèdent, nous ajoutons : I>es Recherches fort intéressantes sur l'œdème du cer- veau dans la stupeur mélancolique (1); Et un travail malheureusement inachevé sur la valeur des écrits des aliénés au point de vue de la séméiologie et de la médecine légale (2), dont il avait commencé la communication à la Société médico-psychologique. Enfin, il était l’un des principaux rédacteurs du nou- veau Dictionnaire de médecine et de chirurgiepratiques. Plusieurs articles de lui enrichissent les deux volumes qui ont déjà vu le jour (3); il en a laissé d’autres qui, reli- gieusement recueillis, seront également publiés. Les qualités de l’écrivain se retrouvent dans le profes- seur : s’il n’avait pas ces dons de l’orateur qui subjuguent, enchantent, mais n’instruisent pas toujours, par contre, il possédait, au plus haut degré, les qualités solides et brillantes qui constituent le professeur utile, celui qui a le talent privilégié de faire passer, en les y fixant définitivement, dans l’esprit des autres, ses propres connaissances. Chez Marcé, l’exposition orale était facile, précise sans sécheresse, et toujours claire; une sage modération dans le débit et une accentuation parfaite suppléaient avanta- geusement à la faiblesse naturelle de la voix très per- ceptible, néanmoins, et d’un timbre doux et agréable; (1) V. Le traité des maladies mentales. (2) Annales d hygiène publique et de médecine légale, 2* sé- rie, T. XXI, deux planches, (3) Articles Antropophagie; Berlue; Catalepsie; Céphalo- mètre et Céphalométrie. 16 ÉLOGE DEL.-V. MARCÉ. l’artde présenter le sujet traité sous ses faces les plus inté- ressantes lui était familier; mais il avait surtout cette sûreté de méthode qui, alliée à la solidité de l’instruction, tout en facilitant le but poursuivi, sert merveilleusement l’orateur, et le met à l’abri des défaillances qui menacent sans cesse celui qui exerce le métier difficile et périlleux de parler en public. C’est grâce à ces qualités perfectionnées par une expé- rience de quatre années d’enseignement libre et très goûté, que Marcé professait en 1862, avec un vrai succès, le cours de Pathologie générale, en suppléance de M. An- dral, et qu’il réussissait à attirer et à fixer dans le grand amphithéâtre de l’École de médecine un public si insai- sissable, d’habitude, et si rebelle à cette partie de l’en- seignement officiel. Marcé appartenait à la plupart des Sociétés savantes ; la Société anatomique s’honorait de le compter au nombre de ses membres depuis l’année 1853. Si, au milieu de vous, Messieurs, il n’a pas poussé son ambition au-delà de l’humble titre de membre adjoint, c’est que ce titre suffisait à la manifestation de son zèle et à sa coopération active, qui ne vous ont jamais fait défaut. Il avait une prédilection marquée pour la Société ana- tomique, vers laquelle l’attiraient, non-seulement son goût pour les recherches d’anatomie pathologique, mais encore le bonheur de se trouver au milieu de la jeunesse laborieuse qui se presse à vos séances, et qu’il aimait tant. —Vos bulletins sont, riches de ses communications, toutes marquées au coin d’un remarquable et sévère ta- lent d’observation; et vous n’avez pas oublié, sans doute, la sûreté de jugement et la sagesse d’appréciation qu’il apportait dans vos discussions, et qui donnait tant do ÉLOGE DEL.-Y. MARCÉ. 17 poids à sa précieuse intervention; naguère, encore, vous l’avez vu éclairer de sa haute compétence, une question vivement controversée et qui, grâce aux travaux de la Société, n’est pas loin de toucher à une solution définitive. Sa perte, cruellement ressentie, j'en suis persuadé, par vous tous, Messieurs, laisse dans cette enceinte un vide qui, j’ose le dire, ne sera pas comblé de sitôt. Marcé était de taille moyenne, d’une constitution phy- sique délicate; — sa tête vaste, son front haut et large, portaient le signe révélateur de l’intelligence ; — sa physionomie fine et spirituelle respirait surtout la bonté ; — une légère teinte mélancolique répandue sur ses traits pâlis par le travail, révélaient son penchant à la méditation : — l’affabilité et la bienveillance étaient peintes sur son sourire ; et si parfois ce sourire était traversé par une légère expression d’ironie, celle-ci était puisée à la source la plus innocente et la plus pure. D’une grande simplicité de goûts et de manières, il avait en même temps la modestie qui appartient au vrai mérite, et qui lui sied si bien ; et ce mérite lui-même fut toujours à la hauteur des titres dont il £ut honoré et des fonctions qu’il eut à remplir. Les qualités du cœur ne le cédaient pas, chez lui, à celles de l’intelligence : dévoué autant que fidèle à ses amis, il était de ceux (et ils sont rares) qui n’attendent pas les occasions de dévouement, mais qui les cherchent. Il appliquait à faire le bien le souvenir de ce qu’il avait été lui-même : élevé à la rude école des difficultés, il les redoutait pour les autres, les devinait, et s’efforçait de les en préserver. Ces préoccupations de sollicitude sym- pathique l’attiraient particulièrement vers les jeunes ÉLOGE DE L.-V. MARCÉ. gens aux prises avec une situation difficile pendant le cours de leurs études ; il allait au -devant d’eux, et leur prodiguait son dévouement sous toutes les formes avec une délicatesse et un tact exquis qui rehaussaient le mé- rite de ses bienfaits. Messieurs, celui qui savait faire le bien de cette façon évangélique n’était qu'un jeune homme; il prenait inté- rêt aux autres à un moment de la vie où l’on n’a guère qu’à s’occuper de soi ; — le succès et le sourire de la for- tune n’avaient point glacé, chez lui, les élans naturels du cœur, ni amené les froideurs d’un égoïsme précoce qui fait aujourd’hui tant de victimes parmi nos jeunes ar- rivés. Vous pressentez, Messieurs, quel maître il étaitpour ses élèves, qui devenaient promptement ses amis ; de quelle affectueuse sollicitude il les'entourait, de quels précieux conseils il éclairait leurspremiers pasdansla science. Dans son trop court passage à l’hospice de Bicêtre, il a laissé une empreinte ineffaçable de cette influence salutaire et bienveillante, dans l’esprit et le cœur de plusieurs de ses disciples. L’un d’eux, qui lui est resté attaché comme interne durant deux années consécutives, et qui ne se séparera jamais 3e son vénéré souvenir, a pu témoigner récemment, par les preuves brillantes qu’il a faites de- vant vous, Messieurs, de l’active et savante impulsion qu’il devait à son jeune maître; j’espère que vous ferez droit à son double mérite de travailleur distingué et d’é- lève reconnaissant, en l’appelant le plus tôt possible parmi vous. Si, soulevant un peu plus le voile de la vie privée de notre infortuné collègue, j’avais à le suivre au sein de sa famille, vous verriez, Messieurs, éclater bien plus encore les dons précieux dont son cœur était doué ; vous le ver- riez, aimant peu le bruit et les plaisirs du monde, mettre toute sa joie à retrouver, après son rude labeur de la journée, son intérieur, orné du plus gracieux modèle des compagnes, et où l’attendaient les sourires et les ca- resses de trois adorables petits enfants ; et là, au milieu de sa plus chère solitude, n’avoir pas de plus grand bonheur que celui de partager ses trop courts loisirs entre le doux exercice de la tendresse paternelle et ses goûts pour le travail et la méditation. Marcé avait à peine trente-six ans; tout ce que l’on peut ambitionner à son âge et dans sa profession, il le possédait : succès constants, titres, réputation, considé- ration extérieure, charmes et bien-être de la vie intime, riantes perspectives d’un avenir qui devait répondre à ces magnifiques réalités du présent. — Que lui man- quait-il donc, et pourquoi n’a-t-il pas vécu?... Il lui manquait, Messieurs, la modération dam le travail Emporté par le courant irrésistible d’une prodigieuse activité intellectuelle, il s’y est abandonné avec cet oubli de soi et cette méconnaissance de ses forces réelles qui caractérisent l’amour désintéressé de la science. Comme ces vives lumières qui brillent d’un trop rapide éclat, il s’est consumé avant l’heure; victime de son dévouement à la science, il est mort pour elle et par elle. — C’est un martyr de plus que vous aurez, Messieurs, à ajouter à votre liste, déjà trop longue ; et je ne connais aux re- grets que doit inspirer à la Société anatomique la perte d'un tel collègue, qu’une consolation : celle qu’il est per- mis de puiser dans l’orgueil de l’avoir possédé. ÉLOGE DE L.-V. MAKGÉ. 19