Extrait : des „Archives Néerlandaises,” T. VII 1872 LE CHIMISME DE LA RESPIRATION, CONSIDÉRÉ COMME PHÉNOMÈNE DE DISSOCIATION, PAR T. C. D ONDE RS. Les anciennes théories chimiques de la respiration ont fait place à la théorie mécanique, qui a été établie par Magnus. Un échange physique, ayant les caractères de la diffusion . entre les gaz dissous dans le sang et ceux de l’air qui remplit les poumons, telle était l’idée qui formait la base de cette théorie. De plus en plus, toutefois, elle dut avoir recours à ce qu’on a appelé des combinaisons chimiques instables, „lâches”, et suc- cessivement on découvrit aussi des faits qui indiquaient une action chimique véritable, dans la pleine acception du mot. Aussi longtemps que les gaz pouvaient encore être chassés dans le vide ou par d’autres gaz, on avait affaire (lorsque ce n’était pas simple dissolution) à une combinaison chimique „lâche”. Lorsqu’ils étaient tellement fixés, que ces moyens ne suf- fisaient pas à les expulser, il ne pouvait plus être question d’une combinaison lâche, il s’agissait d’une combinaison chimique in oplirna forma. C’est de cette manière, ainsi que l’a montré M. Pfliiger, que le sang, extrait de la veine, fixe en peu de minutes une certaine quantité d’oxygène, et une action chimique analogue joue un rôle essentiel autour et à l’intérieur des vaisseaux capillaires de la grande circulation. Une autre action chimique , c’est que les F. C. DONDERS. LE CHIMISME DE LA RESPIRATION , ETC. poumons eux-mêmes favorisent activement l’expulsion de CO2 (Ludwig). Mais ce ne sont pas les phénomènes, cités en dernier lieu, que j’ai ici en vue. Peut-être, d’ailleurs, se trouvent-ils déjà en dehors de la notion proprement dite du chimisme de la respiration. Je ne vais pas plus loin que les actions réversibles, — dont les expériences de Magnus, qui a chassé un nombre indéfini de fois O par CO2 et C O2 par O, nous ont donné une idée si claire, — les actions qui, abstraction faite de la dissolution, ont été rapportées à des combinaisons chimiques „lâches” : en d’autres termes, je considère les conditions de l’échange gazeux, dans la forme où il s’effectue lorsque les gaz sont donnés, sans m’occuper de ce qui précède ou de ce qui suit.. Or, dans ces limites, je pense que le chimisme de la respiration doit être interprété comme un phénomène de dissociation. Ces combinaisons lâches sont à l’état de dissociation, en partie entières, en partie détruites. La dissociation est, ou bien la résolution de la molécule d’un corps en deux ou plusieurs molécules nouvelles d’une composition moins compliquée, et semblables ou dissemblables entre elles (N204 = N02 -h N O2 et Ca C O3 — Ca O + C O2), ou bien la réaction des molécules les unes sur les autres, donnant lieu à des molécules nouvelles par double décomposition (H2 O + H2 O = 2(H2) + 02). Le caractère auquel on la reconnaît, c’est que les phénomènes se produisent sous C influence d’une certaine température, sans l’intervention d’un autre corps. Telle est la définition de la dissociation, dans le sens le plus large du mot. Dans une acception plus restreinte, elle comprend les phénomènes précités seulement lorsque l’action est réversible, de façon que les molécules, dans lesquelles un corps s’est scindé par la chaleur, s’unissent de nouveau, pour reformer la combinaison primitive, aussitôt que se rétablissent les conditions primitives (de température et de tension). De pareilles actions réversibles se voient dans les exemples cités ci-dessus. Comme exemples d’actions non réversibles, on peut donner la dissociation de l’am- moniaque en azote et hydrogène (NH3 -f-NH3=rN2 -+-3H2), F. C. DONDEBS. LE CHIMISME DE LA RESPIRATION , ETC. puis la décomposition, par la chaleur, du sucre, des matières albumineuses, etc. Dans les actions réversibles on a affaire à l’équilibre mobile des molécules, dont la notion a été élucidée surtout par MM. Buys-Ballot et Pfaundler. C’est à cet ordre de phénomènes qu’appartient aussi le chimisme de la respiration. Une combinaison se trouve à l’état de dissociation lorsque, sous l’influence d’une température constante, elle est en partie décom- posée, tandis qu’une autre partie persiste sans altération. La décomposition partielle se laisse constater le plus facilement dans le cas où le corps lui-même n’est pas volatil, mais où un ou plusieurs de ses produits de décomposition peuvent prendre l’état gazeux. Un exemple instructif nous est offert par le carbonate de chaux C03Ca. M. Debray a trouvé que ce corps, chauffé dans le vide, était encore complètement inaltéré à 350°; il y avait décomposition à peine appréciable (température de dissociation) vers 440° ; à 860° la décomposition continuait jusqu’à ce que la tension de l’acide carbonique mis en liberté fût de 85 mm. de mercure; à 1060°, jusqu’à ce que cette tension s’élevât à 520 mm. L’état d’équilibre pour une température donnée est atteint, lorsque la densité du gaz CO2 est telle, que le nombre des molécules entrantes qui sont retenues est égal à celui des nouvelles molécules sortantes (équilibre mobile des molécules). Si les molécules sortantes sont emportées au fur et à mesure (par un courant d’air privé d’acide carbonique), de manière qu’aucune molécule ne puisse rentrer, la décomposition finit par devenir totale, à condition seulement que la température de dissociation soit atteinte, et elle s’opère d’autant plus rapidement que la température est plus élevée. De la même manière, une dissolution de bicarbonate de potasse, chargée de cristaux en excès et abandonnée dans le vide, perd de l’acide carbonique, jusqu’à ce que le gaz libre ait acquis une tension déterminée, croissante avec la température. Déjà à la température ordinaire, ce sel (de même que le bicarbonate de soude) est transformé complètement en carbonate neutre, lorsque F. C. DONDERS. LE CHIMISME T)E LA RESPIRATION, ETC. les produits CO2 et H2 O sont enlevés à mesure qu’ils se dégagent : une température de 10° suffit pour cela ; à une tem- pérature plus élevée , la transformation marche avec plus de rapidité. Dans le processus réversible , la dissociation est accompagnée d’une absorption de chaleur; la recombinaison, d’un dégagement. La notion que je viens de donner de la dissociation suffira pour montrer que ce phénomène joue le rôle essentiel dans l’échange gazeux dont le sang est le siège. On peut à bon droit s’étonner que cette vérité n’ait pas été reconnue et énoncée plus tôt. Tous les faits connus concernant l’absorption, le déplacement et l’ex- traction des gaz s’accordent avec elle. Nous avons ici des corps qui se trouvent dans l’état de dissociation à la température ordinaire. Là où les quantités suivent la loi de Henry-Dalton, nous admettons la dissolution ordinaire. C’est ce qui a lieu sans doute pour l’azote. Quant à CO2, nous trouvons dans plusieurs sels, peut-être aussi dans quelques matières albumineuses du plasma du sang (ainsi que dans les corpuscules sanguins), les corps en état de dissociation, qui cèdent CO2 en présence de la tension de C O2 telle qu’elle existe dans les poumons, qui l’absorbent en pré- sence de la tension dans les tissus, et qui, dans les limites où la température varie ici, obéissent à ces variations. Pour l’oxygène, l’oxyhémoglobine est le corps en état de dissociation, qui absorbe O à la pression de ce gaz dans les poumons et le cède à la pression dans les organes, l’une et l’autre action se faisant sans doute, en partie, par l’intermédiaire du plasma sanguin, qui, à l’égard de O, se comporte plutôt comme simple agent de dissolution. A ce point de vue, il y aura à exécuter pour le sang et pour quelques-uns de ses principes constituants les déterminations qui sont nécessaires, en général, pour les corps à l’état de dissociation : celle de la température à laquelle la dissociation commence, celle du degré de la dissociation, en fonction de la tension et de la température, et celle de la rapidité avec laquelle la dissociation procède. Beaucoup de questions importantes concernant la rénovation moléculaire, chez les animaux à sang froid ou à sang chaud, F. C. DONDERS. LE CHIMISME DE LA RESPIRATION, ETC. dans des conditions normales ou anormales, se rattachent à ces déterminations. Dans quelques recherches, entreprises à ce sujet, j'ai fait entrer aussi la combinaison de l’oxyde de carbone avec l’hémo- globine des corpuscules sanguins. Du reste, je n’ai encore étudié que l’influence de la température sur la vitesse des phénomènes de dissociation. Les résultats obtenus sont les suivants. I. Du sang défibriné ayant été agité jusqu’à saturation avec de l’air atmosphérique privé de CO2, on en chassa O: a. par H. A 0°, température de dissociation à peine atteinte ; à 1°, dissociation irrécusable, mais pourtant très-faible. A 37° le courant de H dégage plus de 0 en 10 secondes, qu’à 1° en 1000 secondes. b. par CO2. On trouve qu’à 37" O est expulsé plus rapidement qu’à 0°, bien qu’à 0° il y ait probablement plus de 0 absorbé. En peu de secondes, même à 0°, les échantillons de sang sont devenus foncés: sous ce rapport, CO2 agit beaucoup plus rapi- dement que H. Il est à remarquer que les échantillons soumis à l’influence du courant de CO2 ne sont devenus, 1 ou 2jours après, qu’un peu plus foncés, et qu’ils sont alors manifeste- ment d’une couleur beaucoup plus claire que les échantillons traités seulement par l’air privé de C O2, sans passage ultérieur de CO2. Ce n’est qu’au bout de 2% jours que tous présentent à peu près la même teinte. — Il résulte de là, que la diminution de O, avec absorption de C O2, s’oppose à la transformation ultérieure du sang. En général, la présence de CO2 paraît déprimer les actions chimiques dont lui-même est un des produits. A ce point de vue, on s’explique que la présence de CO2 et la diminution de O soient toutes les deux, de la même manière, savoir en ralentissant l’échange moléculaire, le stimulant actif (indirect) du mouvement respiratoire. Lorsque le sang est traversé par CO2 à une température plus élevée, il en résulte, au bout de quelque temps, une décomposition plus prolonde de l’hémoglobine, ce qui fait perdre à ces expériences leur valeur. F. C. D0NDERS. LE CHIMISME DE LA RESPIRATION , ETC. IL Du sang défibriné, traité par CO2 en excès, puis soumis à l’action d’un courant d’air atmosphérique privé de C O2, acquiert une couleur rouge clair beaucoup plus rapidement à 0° qu’à 37°. A 0° le sang était plus clair au bout de qu’à 37° au bout de T. Après que le passage de l’air eût été continué pendant 6 minutes, les deux échantillons étaient d’un rouge clair iden- tique. — A 0°, le sang traversé par le courant gazeux formait, toutes conditions égales d’ailleurs, des bulles à surface totale plus grande. Cette circonstance exerçait dans l’expérience I une influence défavorable sur le dégagement de O, dans II une influence favorable sur son absorption. Le résultat de I est donc vrai à fortiori et mieux établi que celui de II. Relativement à ce dernier, de nouvelles expériences, faites d’une autre manière, sont encore nécessaires. III Du sang défibriné et saturé d’oxyde de carbone, soumis à un courant de O, de H ou de CO2, perd de l’oxyde de carbone, déjà même à 0°, de sorte que l’hémoglobine est dépouillée de plus eu plus de son C O. L’assertion de M. Hermann, que O est chassé par C O de sa combinaison avec l’hémoglobine, mais que la réciproque n’a pas lieu, est, quant à ce dernier point, inexacte. Même H expulse C O : déjà à 0° la C O-hémoglobine se trouve à l’état de dissociation. La température a une grande influence sur l’expulsion par H ; sur celle par O cette influence est plus faible. — CO, sous l’action d’un courant de O, ne se dégage pas à l’état de CO2. Lorsque toute trace de CO2 a été chassée du sang à l’aide de CO, et qu’on le fait ensuite traverser par de l’air atmosphérique complètement privé de CO2, le liquide, à 37°, ne cède aucune quantité appréciable de CO2, même en une heure entière, temps durant lequel une grande partie de la C O-hémoglobine s’est changée en oxyhémoglobine. Dans mes premières expériences, faute de soins assez minutieux pour l’expulsion complète par du gaz CO absolument exempt de C O2, j’avais trouvé des traces de CO2 dans l’air après sa sortie du liquide. CO2 chasse CO plus rapidement à 37° et 40° qu’à 0°, mais F. G. DONDERS. LE CHIMISME DE LA RESPIRATION , ETC. cette action est suivie de décomposition de l’hémoglobine et de rembrunissement de la couleur. Il reste à examiner si pour la combinaison, encore plus stable suivant M. Hermann, de l’hémoglobine avec l’oxyde d’azote, la température de dissociation est également déjà atteinte à 0°. IV. La paraglobuline, précipitée par C O2 dans le sérum étendu , est redissoute tant sous l’influence de H (comme l’a trouvé M. Heyn- sius), que sous celle de 0 , mais d’une manière plus parfaite par ce dernier gaz. La dissolution se fait beaucoup plus rapidement à 37° qu’à 0°. Il est probable que la paraglobuline est une com- binaison, soluble dans les sels (sérum), de globuline avec l’acide carbonique, combinaison qui se trouve déjà à l’état de dissociation à la température ordinaire. La démonstration de cette hypothèse, que la paraglobuline est de la C O2-globuline, rencontre un obstacle dans la difficulté d’obtenir la paraglobuline dans de l’eau complètement exempte de C O2. — La fibrine fraîche laisse dégager CO2; après avoir chassé tout le CO2 par un courant rapide et abondant de H, on obtient de nouveau, sous l’influence d’un courant lent de H, des traces de CO2 pendant des heures et des jours entiers: il est possible qu’ici encore la dissociation joue un rôle. Les résultats ci-dessus ont été communniqués à l’Académie des Sciences d’Amsterdam (séance de janvier 1871), et j’avais traité également, en les y rattachant, des phénomènes d’échange gazeux qui s’opèrent dans les poumons et dans les organes, tant au sein qu’en dehors du sang. Quelques semaines auparavant, mon savant ami M. Ludwig avait présenté à la Société royale des Sciences de Saxe (séance du 12 décembre 1870) un Mémoire de M. Jacob Worm Millier, „Sur la tension de l’oxygène dans les corpuscules du sang”. Ce Mémoire, qui depuis a été publié, renferme deux séries d’expé- riences poursuivies avec beaucoup de persévérance : a. du sang pauvre en O fut secoué, dans une capacité close, avec une quan- tité connue de O; b. du sang riche en O fut secoué avec une quantité connue de N; — et après que l’équilibre paraissait obtenu, F. C. DONDERS. LE CHIMISME I)E LA RESPIRATION, ETC. la tension de O en dehors du sang fut comparée avec la propor- tion de O dans le sang. Les résultats auraient eu certainement encore plus d’intérêt, si la méthode avait permis de disposer de chaque température voulue. Il a été reconnu aussi que l’équilibre n’était pas atteint: en effet, lors de l’expulsion de O du sang (b), la proportion de O dans ce liquide, comparée à la tension en dehors, était beaucoup plus élevée que lors de l’absorption de O (a). Du reste, ces expériences ont précisément trait à la question qu’il importe de résoudre. Il faudra les reprendre avec des quan- tités de O encore plus petites, car, déjà avec 20 mm. de pression de O, on arrive presque à la saturation après une agitation prolongée. Cette circonstance paraît impliquer aussi que l’équilibre a été plus approché dans la série a que dans la série b. L’échange des gaz dans le sang est rapporté par M. Worm Millier, comme par moi, à la dissociation; M. Ludwig, adoptant cette vue, y rattache quelques considérations qui le conduisent à ce résultat, que ce n’est pas l’oxygène qui pénètre dans les tissus, mais que ce sont plutôt les produits de la décomposition des tissus qui passent dans le sang, où ils sont ensuite oxydés complètement. Plus tard, lorsque je donnerai un compte détaillé de mes expé- riences, je reviendrai sur ce point important. Pour finir, encore un mot sur la différence entre la solution et la combinaison chimique. J’ai rappelé plus haut les expériences de M. Debray sur la dissociation de CaCO3, par lesquelles a été déterminée, à différentes températures, la tension de C O2 correspondante à l’équi- libre mobile. Si la température continuait à croître, nous pouvons nous figurer (à condition qu’il n’y eût pas de dissociation ultérieure ni des molécules CO2, ni de CaO) qu’on atteindrait finalement un état dans lequel, conformément à la loi de Henry-Dalton, un volume constant de CO2 serait dissous dans la chaux fondue, quelle que soit la pression, — tout comme H et N sont dissous dans l’eau. En effet, la thermochimie nous apprend qu’une com binaison, à différentes températures, parcourt tous les états qui, F. C. DONDERS. LE CHIMISME DE LA RESPIRATION, ETC. à une seule et même température, sont représentés par des corps différents. Ainsi disparaît aussi la séparation tranchée entre la dissolution et la combinaison chimique. Sous ce rapport, un grand intérêt s’attache aux expériences de MM. Roscoe et Dittmar (1859), dont il résulte que relativement à l’eau l’ammoniaque à O' est encore loin de suivre la loi de Henry-Dalton, et à celles de M. Sims, qui ont montré que cela n’arrive que vers 100°; d’après M. Sims, l’acide sulfureux ne commence également à suivre la loi en question qu’à des températures au-dessus de 40° (au-des- sus de 50°, d’après les chiffres donnés). Les écarts sont le plus prononcés sous des tensions faibles. Il est probable qu’à une tempé- rature très basse et sous une pression très-faible, C O2 lui-même , pour ce qui regarde sa solubilité dans l’eau , ne satisferait plus parfaitement à la loi de Iienry-Dalton.