DE LA SPONTANÉITÉ ORGANIQUE PAn y le Docteur PAUL DDPUY Ancien interne lauréat (médaille d’or). EXTBA1I UE LA GAZETTE MÉDICALE DE PARIS année 1SG8. Ekmn. — i«jîriî»eiïe de Ciîsseï fi C°, n» lUiccsse, Sft. DE LA SPONTANÉITÉ ORGANIQUE. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. On croyait jadis à la spontanéité des êtres vivants, c’est-à-dire à l’existence d’une source particulière d'activité inhérente au règne organique, et ayant en elle-même sa propre raison d'être. La vie, non-seulement évoluait dans une sphère distincte, mais encore pa- raissait jouir d’une véritable autonomie. Les choses ont bien changé, depuis quelques années, sous l'in- fluence d'une révolution intellectuelle aussi simple, dans son prin- cipe, qu’elle est féconde en résultats présents et à venir. De temps en temps le terme de spontanéité se retrouve dans le langage comme une impuissante et tardive protestation chez les uns, à titre d’ex- pression consacrée par l’usage chez les autres, et, néanmoins, pour ces derniers, absolument vide de sens, ou plutôt consacrant une erreur manifeste mais trop connue pour offrir désormais aucun danger. Il en est de même, on le sait, du libre arbitre et de toutes les notions corrélatives à cette idée, jadis fondamentale, et aujourd’hui bannie sans retour de la pensée humaine, grâce aux progrès irrévo- cables de la science définitive, savoir du matérialisme arborant ses couleurs ou se cachant derrière les équivoques du positivisme. Cette science définitive a, pour ses adeptes, d’irrésistibles évi- dences. En dehors du peuple élu qui, contrairement à l’ordinaire usage, peut invoquer et son nombre et sa puissance bien réelle, on 4 ne trouve plus que deux catégories d’intelligences, dont l'une n’a pas pu et l’autre n’a pas voulu se rendre et en venir à composition. La première est celle des ignorants, la seconde celle des gens de mau- vaise foi (1). Après avoir fait mon examen de conscience, je ne sau- rais décidément prendie place dans cette dernière classe. Il ne me reste plus alors qu'à rejoindre l’humble troupeau des simples et des pauvres d’esprit que la vie à venir doit dédommager si richement des rigueurs de la vie présente. Qu’on ne cherche donc, sous ma plume, aucune de ces démonstrations péremptoires, de ces arguments déci- sifs qui abondent avec si peu d’eiïort dans les écrits de nos savants du jour. Je ne viens produire ici que mes raisons de douter sur une question vidée pour tant d’autres. Ce ne sera d’ailleurs que le stérile hommage rendu à la tradition vieillie des petits et des naïfs, dernier écho peut-être d’un passé pour jamais disparu. J’ai dit quel était le point de vue ancien que j’accepte pour ma part, non parce que, mais quoiqu'il relève de la tradition. Avant d’énoncer les motifs qui ne me permettent point de l'abandonner encore, je vais exposer le point de vue nouveau, tel que j’ai cru le comprendre. Un phénomène naturel n’étant que l’expression de rapports ou de relations, les corps vivants ne jouissent d’aucune spontanéité parti- culière, et ce qu’on appelle ainsi n’est qu’un simple effet du milieu extérieur ou intérieur. La vie n’a pas plus de réalité que l’attraction universelle et l'électricité ; toutes ces notions n’expriment que des idées générales et abstraites. Si nous sortons de ce langage figuré, nous reconnaîtrons qu’il n’y a de réel que les manifestations dis phénomènes et les conditions de ces manifestations. Avant toute discussion, il y a une question préjudicielle à vider. Il est sans doute parfaitement exact que si nous considérons l’élec- tricité, la gravitation, la vie elle-même, d’une manière générale, nous sommes en présence de conceptions abstraites. Si maintenant nous prenons un état électrique déterminé, nous n'avons affaire qu’à des vibrations spéciales exprimant une manière d’être momentanée de tel ou tel agrégat matériel. L’électricité, à ce point de vue, n’a pas plus.de réalité que le temps et l’espace, simples modes de ce qui dure et de ce qui possède un volume quelconque. Quant à la gravitation, (1) Cette classification plus brève que polie, à première vue, ne m’appartient nullement. 5 bien qu’on ait essayé, depuis Descartes, de l’expliquer par des mou- vements communiqués, la démonstration rigoureuse de l’impulsion supposée est encore à venir et l’expérience de Cavendish, comme celle du pendule, n’a reçu de la doctrine cartésienne aucune inter- prétation satisfaisante. Il se pourrait donc fort bien qu’il existât, dans la matière sensible, une raison particulière d’attraction réci- proque et que les relations dedeux corps, par exemple, au lieu d’être la cause du phénomène, n’en fussent que la condition nécessaire (1). S'il en était ainsi, et le contraire n’est pas démontré, tant s’en faut, il y aurait une très-grande différence à établir entre un mouvement spécial comme l’électricité et une propriété motrice inhérente à la matière brute, comme la gravitation. Tout corps isolé absolument, par la pensée, posséderait une aptitude virtuelle au déplacement dans l’espace, aptitude qui deviendrait effective du moment qu’une autre masse de matière serait supposée en relation avec lui. On voit que, d’après cette hypothèse, le rapport survenu n’est point la cause propre du phénomène, mais seulement la condition indispensable. D’où il résulterait que, dans la nature, à côté des phénomènes et de leurs conditions d’existence, il pourrait y avoir une raison d’être su- périeure et cachée, cause véritable et dernière des manifestations sensibles. Donc il n’est pas absolument impossible qu’il y ait autre chose de réel que les phénomènes et leurs conditions d’existence.. On sait enfin, d’après la théorie de l’équivalence des forces, que, toutes les fois qu’une transformation s’est opérée, il y a une dimi- nution constante sur la totalité des phénomènes moteurs primitifs. C’est là une régiq absolue. Quand l'électricité se transforme, l’action qui la constitue diminue dans la proportion rigoureuse des mouve- ments de masse ou moléculaires qui lui succèdent. Une force vive a remplacé une autre force vive. INlais quant à la pesanteur, il faut y reconnaître, avec Tyndall, la persistance intégrale de l’énergie pri- mitive, quels que soient les effets produits. Un corps grave détermi- nera dans sa chute des phénomènes mécaniques, de la chaleur, peut- (1) Pour peu qu’on y réfléchisse, on verra que le vrai motif pour le- quel on rejette l’attraction des masses matérielles les unes pour les autres, c’est qu’on ne peut la comprendre. Ce serait une singulière règle, pour la discipline de l’esprit, de rejeter tout ce qui dépasse la portée de notre intelligence. être de la lumière et de l’électricité, mais la preuve qu’il n’y a pas eu ici de métamorphose dynamique, quant à la pesanteur, c’est que le poids du corps n’aura nullement diminué après la chute. Il y avait donc dans le cas particulier une force de tension qui ne s’est point convertie en force vive quelconque. Le caractère abstrait de l’électricité ne prouve point que la gravi- tation ne soit rien de réel, ne soit pas une propriété immanente de la matière. Or, sans vouloir préjuger la question de la vie, ne peut-on pas supposer qu’elle pourrait bien, pour chaque corps animé, être aussi quelque chose de réel, puisque le caractère abstrait de la pesan- teur n’est nullement démontré? Ceci posé, nous pouvons arriver maintenant à la question de prin- cipe, et cette question est essentielle entre toutes en philosophie gé- nérale, car il ne s’agit de rien moins que de l’idée de cause. Cette idée, telle qu’on l’entendait jadis, n’avait pas évidemment toute la clarté désirable. Cependant on y distinguait nettement la notion de l’activité propre, que cette activité propre eût ou non besoin d’un stimulant extérieur dont l’expérience faisait une néces- sité générale. La conception était précise, quant à l’activité propre; mais où manquaient la rigueur et la clarté, c’était de dire en quoi pré- cisément consistait cette activité inhérente à tel ou tel sujet particu- lier. On la déterminait sans doute par ses effets et ainsi on la définis- sait d’une manière réelle, mais il restait toujours un inconnu qui paraissait devoir échapper à jamais aux investigations de la pensée humaine. Aujourd’hui on a supprimé le mystère, c’est-à-dire tout ce qui pourrait dépasser la portée de notre intelligence, sous le prétexte in- génieux que le mystère n’est pas scientifique. Rien n’est plus certain, car cela revient à dire que ce qui est caché n’est pas connu et pour- rait même n’ètre jamais connu, conformément à ces paroles de M. Cl. Bernard : « Par l’analyse on arrive à des causes sourdes auxquelles nous sommes obligés de nous arrêter sans avoir la raison première des choses. (1) » D’où il suit que la science humaine a ses limites et que le vrai savant doit compter avec elles, car les nier ne suffit point pour les supprimer. 6 (1) Introduction à la Médecine expérimentale, p. 139. Toute raison première des choses, toute cause sourde n’est point scientifique, puisque la science a pour unique objet le déterminé et le connu, tandis que, par hypothèse, nous sommes en présence de l’inconnaissable quant à sa nature intime. Or la négation de ce qui dépasse la portée de notre intelligence, négation arbitraire s’il en fut, a dû entraîner pour l’idée de cause un changement d’acception et de caractère. Il a fallu la réduire aux conditions d’exercice. On appelle cause, par suite, le fait qui précède toujours un autre fait. De plus, tout phénomène se présentant comme le résultat du rapport de deux termes au moins, la notion de cause, serrée de plus près, se ramène à la relation de succession nécessaire établie entre deux faits quel- conques. En effet, ce qui produit réellement un phénomène donné n’est, en aucune manière, une activité propre à l’un ou à l’autre terme du rapport, mais c’est le rapport lui-même. Il y a sans doute ici une certaine obscurité pour l’esprit qui ne voit pas trop comment, puisqu’il n’y a rien d’actif dans les deux termes du rapport, celui-ci peut être autre chose qu’une donnée abstraite. M. Favre a-t-il cru faire disparaître le hiatus en disant que la cause est un rapport en activité? Mais une pareille expression, au lieu de tourner la diffi- culté, la consacre définitivement. Donc il n’y a nulle part d’activité propre à aucun être de la nature, et tous les phénomènes procèdent des relations établies entre les choses. Or ce mot de choses que signifie-t-il? Évidemment la sup- pression des causes sourdes, des principes d’activité conçus par l’es- prit, mais que les sens ne perçoivent point, implique nécessairement que par choses nous devons entendre des phénomènes transitoires. Nous n’avons que des phénomènes, c’est-à-dire des manifestations qui ne se rattachent nullement, comme on le pensait jadis, à quel- que chose de plus élevé, de plus intime. Elles sont l’expression de rapports et rien d’autre. Le phénomène engendre le rapport, et ce- lui-ci détermine l’apparition du phénomène. C’est un cercle sans fin. Telle est la doctrine qui vient, d’ailleurs, de recevoir une confir- mation éclatante des progrès de la mécanique. Celle-ci, priucipe de la physique et de la chimie, a pour objet le mouvement considéré dans ses formes diverses et susceptibles de se convertir les unes dans les autres. Dans l'ordre biologique, où les sens ne nous montrent que des phénomènes physico-chimiques, il serait vraiment absurde de 8 ne pas admettre exactement la même chose. Tout doit s’y résumer en phénomènes moteurs diversement transformables. Or le mouvement n’a rien de réel ; il est manifestement une abstrac- tion. La philosophie de la nature est donc faite à cette heure. La science est achevée dans ses grandes lignes; car, bon gré mal gré, elle pos- sède un principe absolu, qui est le mouvement, et la loi absolue de ce principe, savoir la métamorphose dynamique indéfinie. Après avoir cherché l’absolu où il n’était point, l’esprit humain, en dépit du positivisme, l’a trouvé où il ne le cherchait pas. Il y a vraiment de la témérité, une témérité presque sacrilège, à porter la main sur ce bel édifice aux proportions grandioses, et dont l’inépuisable variété de détails fait ressortir mieux encore l’harmo- nieuse unité de l’ensemble. Malgré l’opinion de Montaigne que le doute est l’oreiller qui convient à une tête bien faite, il est incontes- table que l’esprit de l'homme aspire à la vérité absolue, et quand il croit la posséder, on ne saurait lui faire plus cruelle blessure que de lui signaler les origines et le principe des illusions dont il se berce. EXEMPLES DE SPONTANÉITÉ ORGANIQUE. a. Pour expliquer l’absorption chez les êtres vivants, on n’admet plus que deux mécanismes : l’imbibition, avec ou sans pression, et l’endosmose. La première est insuffisante, de l’aveu unanime. N’en serait-il pas ainsi de la seconde? Une solution de nitrate de potasse ou de sulfate de soude, qui a plus de densité que le sérum du sang, attire celui-ci dans le tube de l’endosmomètre. Pourquoi le contraire arrive-t-il si l’on injecte la so- lution dans le tissu cellulaire sous-cutané d'uu animal vivant? Gomment expliquer, par l’endosmose, l’absorption que les lym- phatiques exercent dans toutes les parties du corps, en négligeant bien entendu le réseau des chylifères? En eflèt, toute endosmose exige la présence de deux liquides séparés par une substance inter- médiaire. Or, dans l’espèce, supposons les vaisseaux préalablement remplis de lymphe, nous aurions de l’endosmose qui ne s’accompa- gnerait d’aucune exosmose, puisque le système est agent d’absorp- tion seulement et point de réparation. Dans la majeure partie des voies lymphatiques, l’absorption n'a 9 point lieu par endosmose et ne saurait être expliquée par l’imbibi- tion. Remarquons, en outre, que non-seulement l’économie cède des matériaux brûlés (urée-Würtz), mais encore de l’albumine, de la fi- brine, de la graisse et divers sels. La lymphe contiendrait aussi du sucre, d'après les analyses de Quévenne et Gubler. Faut-il donc sup- poser, dans les vaisseaux lymphatiques, un agent d’attraction sus- ceptible d’amener l’absorption de l’urée et celle des éléments consti- tutifs de nos tissus, indépendamment des conditions purement phy- siques de l'imbibition et de l’endosmose? La combinaison organique est instable sans doute, mais elle pourrait être éternelle si des puis- sances attractives plus énergiques n’intervenaient point pour pro- duire des combinaisons nouvelles. Ne pouvant nous rendre compte de l’absorption de l’urée, quelle part doit-on faire à faction chi- mique dans le travail de désassimilation des matériaux organiques? L'absorption conduit ainsi à parler de la nutrition que constitue un double mouvement de composition et de décomposition. Le sys- tème lymphatique vient de nous fournir la preuve de l'impuissance de la physico-chimie à interpréter l'absorption et la désassimilation dues à une partie très-importante des voies vasculaires. S'agit-il des vaisseaux sanguins? Nous y trouvons les matériaux ordinaires des êtres vivants, matériaux qui proviennent, les uns de l’alimentation, les autres de la résorption désassimilatrice. La présence de ces der- niers est attribuée à l’endosmose, mais il y a peut-être, là aussi, des correctifs à apporter. Lorsque les substances organiques sont à l’état liquide, en dissolution ou en suspension, il n v a nulle difliculté à supposer l’endosmose; mais lorsqu'elles sont à l’état solide, il est permis de se demander quel est. leur agent de dissolution. Si celle- ci n’a point lieu, l’absence d’un élément liquide séparé du sang par la paroi des capillaires met un obstacle absolu à l’endosmose, qui exige, et c’est une condition sine qua non, deux liquides séparés par une substance intermédiaire, le plus souvent par une membrane organique. La même objection s'applique à l’absorption endosmo- tique par les vaisseaux blancs. S'il n'y a point toujours endosmose pour la désassimilation, il n’y aura pas non plus exosmose lorsque des matières liquides iront se substituer à des substances solides. Cette substitution n’en a pas moins lieu, ce qui met la théorie physique en défaut. Mais quelles alïinités singulières appellent la fibrine, l’albumiue, etc., à s’unir, 10 sans combinaison d’ailleurs, avec leurs homonymes? La cristallisa- tion nous offre, à la rigueur, un exemple analogue, mais une cris- tallisation véritable entraînerait un accroissement indéfini, même en tenant compte des combustions. Comme la physique, la chimie me parait en défaut. b. D'après les stoïciens, tout être est force, toute vie est action ; la sensation est une action. Pour Helvétius, au contraire, la sensibilité est une puissance passive; et, au dire de Condillac, la sensibilité n’est ni faculté, ni pouvoir, ni puissance : elle est simple capacité. L'activité du sens de la vue a été admise dès l’antiquité. Empê- doc.e s’imaginaitque l’œil produit de la lumière et que la vue résulte du conflit de celle-ci et de la lumière externe. La même idée se re- trouve chez Platon. Dans son Traité des rêves, Aristote dit en propres termes : « L’œil n’est pas seulement passif dans l’acte de la vision, mais il agit aussi dans une certaine mesure. » Descartes, dans sa Dioptrique, généralise le même point de vue qu'il applique à tous les sens et y associe l'idée du mouvement. Goethe, reproduisant la doctrine d'Empédocle. suppose que l'œil possède, en lui-même, la f culte de créer la lumière et les couleurs, et que la vision résulte du conflit des deux lumières. Monro admet que les nerfs sont actifs, dans la sensation, puisqu’un même excitant, l’électricité, par exemple, donne lieu, suivant le sens affecté, à des impressions diffé- rentes. D'après Muller, chacun des nerfs sensoriels possède la pro- priété, lorsqu’il entre en exercice, de produire en nous une sensation spéciale, et cela quelle que soit la cause interne ou externe qui le sollicite à entrer en action. La même cause externe produit des effets différents, suivant les sensations propres à tel ou tel organe. Des causes externes, complètement distinctes, sont l’occasion, en s’adres- sant au même sens, de résultats analogues (1). Ainsi l'électricité provoquera une sensation de lumière, de bruit, de saveur, d’odeur, peut-être, en s’adressant à tel ou tel nerf. D’autre part, une pression donnera lieu à une image lumineuse subjective; de même une irritation mécanique directe; de même, enfin, les vi- brations électriques et ces ondulations éthérées qui constituent la (1) Cet historique est emprunté, en majeure partie, à un article do M. Dareste sur Muller, Revue germanique, 1859. lumière proprement dite. Un mouvement de masse, produit par une pression ou une action mécanique, est trop éloigné des oscillations de l’éther pour déterminer des phénomènes de même ordre, c'est-à- dire des phénomènes lumineux (1). La véritable cause est le seul élé- ment qui persiste dans la variété des conditions d'existence, savoir le tissu du nerf optique et de son expansion terminale. Les congestions, les inflammations, des altérations diverses du sys- tème optique, le retentissement sympathique d’une affection voisine ou éloignée peuvent occasionner des images subjectives: par exemple les hallucinations de la vue liées à l’hystérie, à la chorée, à la mono- manie. Des conditions analogues, du côté de l’organe de l’ouïe, font percevoir des sous imaginaires. D'où provient la similitude des ef- fets, dans l’extrême variété de l’un des termes du rapport, si ce n’est de l’action uniforme d’une cause toujours la même, qui est le système optique ou le système auditif? c. La congestion inflammatoire ou non des centres nerveux pro- voque tout un ensemble de troubles auditifs, visuels, intellectuels qui se manifestent aussi dans la manie (dont la condition anatomique n’est ni la congestion ni l'inflammation) et même daus l’anémie. Com- parant la pléthore et cette dernière, on objectera sans doute à l'op- position que je cherche à établir entre les conditions anatomiques et les symptômes communs (céphalalgie, vertiges*, illusion d’optique, bourdonnements d’oreille, etc.), que l’anémie s’accompagne parfois de la paralysie des vaso-moteurs, d’où la dilatation des capillaires et des phénomènes semblables à ceux de la pléthore. Cette dilatation vasculaire est possible, mais jusqu’à présent ne repose que sur une hypothèse gratuite et qui me paraît démentie par le fait suivant. Veut-on produire une syncope chez un malade? il suffit de le saigner dans la position verticale. De la sorte, on amène mécaniquement une anémie cérébrale qui ne produit, selou toute ap- parence, aucune dilatation des capillaires. Lorsque la syncope doit prendre fin, il suffit de placer le patient dans la position horizontale, avec déclivité de la tête. Parce procédé, on rend au cerveau le sang (1) Il y aura, sans doute, quelques personnes qui pourront croire à la transformation des actions mécaniques en ondulations élhérées; mais on ne saurait méconnaître davantage la proportion relative des mouve- ments de masse aux mouvements moléculaires. qui lui manque, et il est probable qu’on s’en abstiendrait si l’on croyait à l’existence d’une pléthore locale par dilatation vasculaire. Je rappellerai les troubles bien connus que produit sur l’encéphale le sulfate de quinine. On a pensé tout d'abord qu’ils étaient dus à un état congestif de l’organe; de là certaines phlegmasies dont on a in- nocenté le rhumatisme pour les porter à l’actif du sulfate de quinine. Toutefois la propriété congestive qu’on lui attribue, bénévolement peut-être, n'empêche personne de recourir à ce médicament héroïque dans les lièvres pernicieuses apoplectiques ou comateuses. Or M. Du- boué, dans son très-remarquable ouvrage sur l’impaludisme, ex- plique les phénomènes dits congestifs que détermine la quinine par un état précisément contraire, c’est-à-dire par l'anémie cérébrale (1). Ce qui importerait donc, dans l'espèce, ne serait pas tant le dés- ordre idiopathique, symptomatique ou sympathique, en d'autres termes, la nature de la lésion, que l'organe lui-même. Les influences du milieu, soit intérieur, soit extérieur, n'ont qu'une importance fort inférieure à celle du tissu nerveux. Là gît la causalité véritable, et, par cela seul, une activité propre. A titre d’exemple je me permettrai de rapporter ici un fait d’ob- servation personnelle. Après plusieurs jours de veilles fatigantes et d'émotio'ns fort pénibles, je me sentis pris, le matin, d'un étourdis- sement en me levant d’une chaise longue. Cet étourdissement assez prolongé me laissa sous l’influence d’un certain ébranlement céré- bral qui augmentait en m'asseyant. Dans la journée, m'étant étendu de nouveau pour tâcher de dormir, je fus pris aussitôt d'un étour- dissement très-fort, mais qui finit par s’atténuer au point de me per- mettre le sommeil. A mon réveil je n’éprouvai plusque l'ébranlement dont j'ai parlé et qui diminua, sans disparaître, dès que je fus debout. Le lendemain tout avait disparu. Ai-je éprouvé dans cette circonstance un phénomène de pléthore, d’anémie ou toute autre chose? J'ai ce qu’on appelle un tempérament sec et ne souffre habituellement d'aucune façon, soit par excès, soit par diminution de globules. Une anémie de cause physique et morale n’avait pu s’établir en trois jours, puis disparaître après cet accident 12 (I) Il y aurait même là un sujet d’expérimentation d’un grand inté- rêt pour la thérapeutique : le sulfate de quinine congestionne-t-il ou non le cerveau? unique. Peut-on admettre ici une anémie cérébrale simplement, comme celle des personnes que l’on saigne en les faisant tenir debout, ou bien encore celle des convalescents qui descendent de leur lit? Mais alors d’où vient le malaise cérébral qui s’exagérait lorsque je voulais m’asseoir, et pourquoi l'étourdissement très-intense que j’é- prouvai en me couchant sur un lit? Quant à la pléthore survenue par le fait de veilles, de fatigues, d’émotions pénibles, d'une diminution marquée de l’appétit, je la crois assez peu commune pour ne pas mériter l’honneur d’une dis- cussion. Donc il n’y avait ici ni pléthore ni anémie, mais seulement un or- gane éprouvé par le défaut de sommeil et de vives inquiétudes (1). Or si les accidents dus à cet ordre de causes sont analogues à ceux que produisent l’excès ou la diminution de globules (milieu intérieur), ne faut-il pas invoquer ici la spécialité de l’organe et son activité propre? Dans le mal de mer doit-on incriminer la pléthore, l’anémie, ou ne tenir compte que de l'ébranlement du cerveau? d. La contractilité musculaire est mise en jeu par des agents très- variés : irritants physiques ou chimiques, électricité, action ner- veuse, et elle est liée dans une mesure plus ou moins marquée, suivant les espèces animales, avec la circulation sanguine. Les exci- tants de la fibre contractile sont assez divers pour qu’on doive reconnaître une influence prépondérante aux propriétés natives de cette fibre elle-même, c’est-à-dire à l’un des deux termes du rapport. Là se trouve la véritable cause. Cette interprétation des phénomènes me semble également justifiée par l’examen des conditions circulatoires. D'après les expériences de M. Longet, la ligature de l’aorte au-dessous de la mésentérique in- férieure, chez le chien, laisse subsister pendant deux heures l’irrita- 13 (l)Un fait remarquable, à mon avis, c’est que les étourdissements ont été provoqués par un changement de position. Debout, il y avait déplé- tion cérébrale relative; couché, le phénomène inverse; et néanmoins, bien que l’un des deux termes du rapport (cerveau et sang) ait présenté alternativement des conditions contraires, le symptôme n'en est pas moins demeuré identique. Donc la véritable cause productrice du symp- tôme n’est point l'état du sang (milieu), mais celui du cerveau. biïité des muscles de la jambe, bien que la contractilité volontaire ait complètement disparu. Donc l’abord du sang artériel entretient, mais ne produit point l’irritabilité. « Cet abord n’est point indispen- sable pour donner ou communiquer au tissu musculaire la propriété dont il s'agit, mais seulement pour y entretenir la nutrition, sans laquelle toute propriété physiologique disparaît d’un organe quel- conque (1). » Un cœur séparé de l’organisme et vide de sang, ou quelques lam- beaux de cet organe divisé conservant des mouvements rhythmiques pendant des heures entières, me paraissent des arguments démons- tratifs de la vérité que je cherche à établir. e. Nous savons qu’on appelle cause prochaine les conditions d’exis- tence productrices d’un phénomène, ou, en d’autres termes, les faits qui précèdent toujours un autre fait. La cause prochaine implique seulement un rapport nécessaire de succession. Lorsqu’il s’est agi des manifestations de l’intelligence, la question est devenue singulièrement délicate et litigieuse. Des intérêts consi- dérables de morale individuelle et sociale sont en jeu, et ce n’est pas impunément que l’on peut supprimer, même au nom de la science, les notions de liberté, de responsabilité qui ont été jusqu'à ce jour la pierre angulaire de tout l’édifice. La cause prochaine d’un phénomène est le fait auquel il succède invariablement. Ainsi, dans l’ordre physico-chimique, la chaleur qui se produit à la suite de la combinaison de l’oxygène et du carbone, de l’oxygène et de l'hydrogène, reconnaît pour cause prochaine la combinaison de ces divers corps entre eux. On a été même très-infi- dèle au principe fondamental de ne jamais aller au delà des condi- tions d’existence, lorsqu’on a essayé de remonter à la cause première de la chaleur et de la lumière se développant en pareille circon- stance (2). Dans l'ordre vital, où la science procède exactement de la même manière que pour l’étude de la matière brute, il n’y a pas lieu de changer la définition de la cause et il faut la réduire également aux conditions d’existence. S'il en est ainsi, le mécanisme cérébral, d’une part, et l’abord du sang artériel, de l'autre, sout aussi les causes prochaines de la pensée et les seules auxquelles nous puis- 14 (1) Longet, Traité de physiologie, 1.1, p. 771. (2) Chaleur et lumière provenant, dit-on, du soleil. 15 sions nous arrêter sous peine de tomber en forfaiture métaphy- sique. Dans un récent travail, un homme éminent entre tous, M. Cl. Bernard, vient de donner au monde savant un mémorable exemple. Après avoir beaucoup insisté, dans ses ouvrages et son enseignement, sur les principes généraux que je viens d’iudiquer, nous le voyons rappeler avec beaucoup de justesse la distinction à établir entre les causes premières et les conditions des phénomènes. « Nous croyons à tort que le déterminisme dans la science mène à conclure que la matière engendre les phénomènes que ses propriétés manifestent, et cependant nous répugnons instinctivement à admettre que la matière puisse avoir par elle-même la faculté de penser, de sentir. En effet, dès que nous avons reconnu plus haut que la matière organisée est dépourvue de spontanéité comme la matière brute, elle ne peut pas plus qu’elle avoir conscience des phénomènes qu’elle présente. « Quand on voit l’intelligence revenir dans un cerveau et dans une physionomie auxquels on rend le sang oxygéné qui leur manquait pour fonctionner, on aurait tort d’y voir la preuve que la conscience et l’intelligence sont dans l’oxygène du sang ou dans la matière céré- brale (1) » Dans ces quelques lignes, M. Cl. Bernard a restauré la métaphy- sique dans son intégrité. Nous voyons tout d’abord que refusant toute activité, toute spontanéité aux conditions d’existence, sous le prétexte qu’elles sont matérielles, il admet, par cela même, implici- tement, l’existence d’une activité particulière dont la spontanéité ne saurait faire question. C’est d’elle que relèvent conscience, intelli- gence, volonté. M. Cl. Bernard ne nous prêche-t-il point un spiritua- lisme des moins équivoques? Ce n’est pas tout. « Quand, sous l’influence de l’oxygène, nous voyons revenir la contractilité dans un muscle, la motricité et la sen- sibilité dans les nerfs, cela ne nous semble pas surprenant; mais quand nous voyons que l’oxygène fait reparaître l’expression de l’in- telligence dans le cerveau, l’expérience nous frappe toujours comme quelque chose de merveilleux et d’incompréhensible. C’est pourtant au fond toujours la même chose (2). » Or si la matière organisée est dénuée de toute spontanéité au con- (1 et 2) Revue des Deux-Moxdes, 15 décembre 1867. 16 tact des milieux intérieur et extérieur; si ces conditions d’existence ne sont pas les causes véritables des phénomènes, ne sommes-nous pas conduit à admettre une cause qui, pour être active et spontanée, doit être également spirituelle? Cet esprit fera ou ne fera pas double emploi avec celui que les manifestations intellectuelles nous impo- sent ; mais ce n’est là qu’une question de second ordre. Ce n’est pas tout encore. « Quand nous savons que le frottement et les actions chimiques développent l’électricité, cela nous indique le déterminisme ou les conditions du phénomène ; mais cela ne nous apprend rien sur la nature première de l’électricité (1). » De même en est-il évidemment de toutes les causes prochaines dans l’ordre physico-chimique ; elles ne produisent point les phénomènes et n’en sont que l’occasion : les causes réelles demeurent absolument ca- chées. Mais puisque la matière brute, comme la matière organisée, ne possède aucune activité propre, les effets obtenus doivent relever directement d'une puissance que je qualifierai de spirituelle (2) et qui sera Dic-u (cause première) ou des causes secondes. Dans l’un et l’autre cas nous posséderons des forces, des énergies motrices, et M. Cl. Bernard ne pourra plus les définir des abstractions, des rap- ports d’un mouvement à sa cause (3). La matière inerte siège des manifestations de l’esprit, telle est l’inévitable conclusion de M. Cl. Bernard, qui ne s’est probablement jamais avoué à lui-même le caractère si remarquablement idéaliste de sa doctrine. Qui a donc pu tracer les lignes suivantes : « Pour l’expérimentateur physiologiste, il ne saurait y avoir ni spiritua- lisme ni matérialisme. Ces mots appartiennent à une philosophie na- turelle qui a vieilli ; ils tomberont en désuétudepar le progrès môme de la science. Nous ne connaîtrons jamais ni l’esprit ni la matière,et je montrerai facilement que d’un côté comme de l’autre on arrive bientôt à des négations scientifiques; d’où il résulte que toutes les considérations de cette espèce sont oiseuses et inutiles (4). » (1) Revue des Deux-Mondes, 1er août 1865. (2) Par spirituel j’entends quelque chose de non matériel; rien de plus. C'est à la réflexion de voir si cette idée doit demeurer ou non purement négative. (3) Ouvrage cité, p. 114. (4) Ouvrage cité, p. 113. Je n’insiste point. On voit où conduit la négation de toute activité propre à la matière brute et organisée (1). f. La spontanéité organique n’est, nulle part plus manifeste que dans celte évolution successive qui constitue l’existence de tout corps organisé. Le milieu extérieur est le même pour les divers êtres de la nature; le milieu intérieur, dont les matériaux sont em- pruntés à la matière minérale, présente certaines conditions qui permettent la rénovation des tissus (combustions), mais ne rend nullement compte de leurs transformations progressives. L’associa- tion moléculaire des principes immédiats est, en elle-même, fort peu stable ; aussi devons-nous y voir un état des plus favorables aux mu- tations organiques. Il est néanmoins impossible de voir là une cause réelle de métamorphose évolutive. Les particules élémentaires se dissocient avec facilité, sont remplacées par d’autres qui disparaî- tront à leur tour; mais dans tout cela nous ne pouvons saisir le com- ment des âges ou phases successives de l’existence. L’usure méca- (1) Une pareille conséquence n’a rien qui m’émeuve outre mesure, bien qu’elle me paraisse inexacte. C’est affaire aux gens qui ne croient qu’à la matière et à son inertie absolue, propositions contradictoires pour tout homme qui pense. Dans un récent travail : Du rôle de la raison dans la médecine ex- périmentale, d’après M. Cl. Bernard (Journal de médecine de Bordeaux, 15 décembre 1867), j'ai essayé de montrer la contradiction intime exis- tant chez M. Cl. Bernard, dans sa manière de comprendre la philoso- phie naturelle. Précisément à la même époque paraissait dans la Revue des Deux-Mondes (15 décembre 1867) le très-remarquable article que je viens de mentionner. Ici, en acceptant la conception métaphysique de la cause, qu’il différencie nettement des conditions d’existence. M. Cl. Bernard est entré définitivement dans la donnée idéaliste et cartésienne, à laquelle il avait déjà fait de nombreux emprunts. Peut-il y avoir un démenti plus éclatant infligé au matérialisme? Un homme dont l’éducation, les habitudes scientifiques auraient dû faire un sensualiste déterminé, et qui vient à comprendre que le rapport de succession nécessaire ne saurait être confondu avec le rapport de cau- salité. Peu de chose en apparence, moins que rien, et cependant toute la métaphysique est là. Cet homme aurait-il eu quelque illumination soudaine? aurait-il trouvé quelque part son chemin de Damas? Nulle- ment; c’est affaire de réflexion, d’observation intérieure : M. Cl. Ber- nard a pensé. nique ne peut môme être que faiblement invoquée ici, précisément à cause du travail de rénovation moléculaire. La faculté d’avoir des âges, d’éprouver des métamorphoses succes- sives n’appartenant d’aucune manière aux corps bruts, il faut bien rattacher cette propriété exclusive à l’activité, à la spontanéité propre de la matière organisée. « Dans la période initiale de l’existence, disais-je en 1862 (1), il y a une véritable création, une formation incessante de parties nou- velles. En effet, dans l’ovule non fécondé, il n’y a ni appareil nerveux, ni appareil vasculaire, ni muscles, ni glandes, ni os, etc. Tout cela est la conséquence de métamorphoses successives, portant soit sur les cellules, soit sur le cytoblastême. « Évolution et évolution véritablement créatrice, pour la première phase de l’existence, telle est donc la caractéristique des organismes vivants. » M. le professeur Ch. Robin me parait avoir exprimé plus nettement et mieux que personne les phénomènes de création dus à la matière organisée. La question de la génération des éléments anatomiques a donné lieu, comme on le sait, à deux doctrines discordantes : l’une qui fleurit en Allemagne et relève en droite ligne de la théorie cellu- laire, veut que toute particule organisée provienne substantiellement d’une particule préexistante ; l’autre, qui a fait école eu France sous les auspices autorisés de M. Robin, admet que la genèse des éléments anatomiques est une génération spontanée, en ce sens qu’elle con- siste en une apparition de particules de matière organisée dans des points où aucune forme déterminée ne les constituait au préalable. On ne saurait dire, par conséquent, qu’il y ait ici proies sine maire creala, mais il faut reconnaître que les individualités préexistantes ne sont que des conditions d’apport des principes immédiats s’orga- nisant entre eux pour la production des éléments nouveaux. D’une part nous avons la doctrine du processus, du développement indéfini : toute forme procède directement d’une forme antérieure ordinairement analogue. De l’autre, nous avons un biatus, une inter- ruption complète dans la série morphologique : les particules orga- nisées, au lieu d’être une source d’émanation de particules nouvelles, fournissent uniquement à celles-ci leurs éléments d’existence et 18 (i) Essai (le philosophie médicale, p. 9. n’en sont plus que les conditions. Cette dernière doctrine paraît re- poser sur l’observation la plus rigoureuse. Puisque les éléments anatomiques, au lieu d’être des causes d’éma- nation substantielle, ne sont que des conditions d’apport des prin- cipes immédiats, la véritable cause de l’organisation de ceux-ci ne peut être que physico-chimique ou d’un ordre spécial. Physico-chi- miques, les composés devront être essentiellement instables, en vertu de l’instabilité des éléments formateurs, mais ils n’offriront pas plus de métamorphose évolutive que la matière inorganique elle-même (1). Une cause particulière, dont le nom importe peu, pourra donner lieu et à une physionomie spéciale pour les phénomènes physico-chimi- ques (2), et à des phénomènes également spéciaux, tels que sensibi- lité, contractilité, pensée, volonté. g. J’ai déjà traité de la spontanéité morbide dans des termes qui prêtent beaucoup à la discussion (3). Un pareil sujet trouverait ici sa place tracée; mais je ne veux y revenir qu’à l’occasion d’un point particulier. 19 (1) Arriver au principe immédiat et à l’état organique, c'est-à-dire à des composés très-instables, n’est nullement réaliser l’organisation et sa caractéristique : savoir la métamorphose évolutive procédant par création continue (*). Donc l'instabilité n’est que la condition et point la cause de l’état évolutif. Il en est de même du milieu intérieur qui n’existe point chez tous les êtres organisés. (2) Les phénomènes physico-chimiques, chez les êtres vivants, n’of- frent en eux-mêmes rien de particulier, comme on l’a cru jadis. Les mêmes lois sont identiques dans les deux règnes. Mais la spécialité se montre dans l’agencement, la coordination, les résultats de l’ensemble. En vertu de phénomènes invariables, un mécanisme naît sous nos yeux, se perfectionne, puis s’altère progressivement. Si la cause véritable était d’ordre physico-chimique, les résultats ne devraient point varier et aucune évolution ne serait possible. (3) De la spontanéité morbide, Gazette médicale, 1863-1864. Tout en ne répudiant d’aucune manière l’esprit général de ce tra- vail, mon argumentation d’alors aurait à subir, je le confesse, d’impor- tantes modifications. (*) Il y a une création momentanée pour les formes générales et une création continue d’ordre infinitésimal. L’idëe d’évolution me paraît s’appliquer à la forme générale et aux produits de la création continue. Les maladies virulentes forment en pathologie un chapitre qui pa- rait inépuisable. Certaines d’entre elles, la morve par exemple, se développent sous l’influence de conditions hygiéniques déterminées et par le fait de contagion médiate ou immédiate. Ce fait prouve que des variations fort étendues, entre l'organisme et le milieu, donnent lieu néanmoins à un rapport identique. Les affections virulentes sont interprétées principalement par le parasitisme, la fermentation, la catalyse isomérique. Je ne dis rien du parasitisme qui fait disparaître du département nosologique dont je m’occupe toute maladie où il est démontré. Quant à la fermentation et à la catalyse, elles possèdent l’une et l’autre un caractère commun : celui d’être absolument exclusives. Je veux dire par là qu’un même corps ne saurait subir à la fois deux fermentations ou deux catalyses différentes (1). Or la coexistence possible de deux affections virulentes, sur un même sujet, ne saurait faire l’objet d’un doute. Donc nous nous trouvons ici en présence d’une source particulière d’activité n’of- frant à cet égard aucune analogie avec les phénomènes chimiques. Donc la spontanéité organique recevrait de la pathologie une confir- mation tout aussi peu contestable que de la physiologie elle-même. Que faut-il entendre par spontanéité? Le mot de spontanéité se dé- linissant de lui-même, il s’agit de savoir la valeur qu'il faut lui attri- buer eu biologie. Cette valeur est-elle relative ou absolue? Dans la matière brute nous ne voyons survenir de phénomènes moteurs qu’à la suite de relations établies entre deux ou plusieurs corps, avec ou sans l’intervention de la lumière, de la chaleur ou de l’électricité. On ne saurait encore bien nettement établir que les af- finités moléculaires soient la conséquence directe de leurs relations particulières, relations déterminées par la proportion variable de ca- lorique dont leur agrégat peut être le siège. Mais, à côté de cette attraction, il y en a une autre qu’on appelle tantôt pesanteur, tantôt gravitation, et qui s’exerce en raison directe de la masse de matière. S'il existe réellement ici une propriété immanente, tout mouvement sollicité par elle serait bien un mouvement spontané, ou non commu- (1) Le fait de la coexistence possible de deux affections virulentes, chez un même sujet, me paraît juger en dernier ressort la théorie de la catalyse isomérique dans son application aux divers virus. niqué, bien que l’effet moteur dût avoir pour condition sine quti -non la présence de deux corps au moins dans l’espace. Dans le règne inorganique, la spontanéité, si elle existe, ne peut être que relative. La propriété immanente est absolue, sans aucun doute; mais, en l'absence de tout rapport, elle ne s’exercerait point. Passons maintenant à la matière organisée. Ici la complexité aug- mente et, par cela môme, les difficultés grandissent. La vie, envisagée d’une manière générale, n’est-elle qu’une simple transformation de la lumière et de la chaleur, de telle sorte que celles-ci étant toujours des mouvements communiqués, la vie elle-même ne saurait être au- tre chose? Alors toute spontanéité apparente deviendrait nécessaire- ment fictive. Je ne saurais, pour l’heure, donner aucune démonstra- tion et me contente d'assigner à la chaleur et à la lumière, comme à l'humidité, le rôle de conditions nécessaires (1). Cette difficulté supprimée, avec plus ou moins de bonheur, il faut chercher ensuite si chacun des phénomènes observés chez les êtres vivants implique un déterminisme nécessaire, non-seulement avec les influences générales de chaleur, lumière, humidité, mais encore si ces phénomènes n’offrent pas entre eux une subordination réci- proque. Le premier cas ne fait pas doute, et le second ne le fait pas non plus, lorsque nous nous adressons aux animaux supérieurs. L’oxygène est indispensable au sang, et celui-ci à la plupart des tis- sus de l'économie. Supprimez l’abord du fluide nourricier, et vous voyez disparaître les sécrétions, la nutrition, le mouvement, la sen- sibilité, la pensée. Or ces facultés diverses, que nous rencontrons chez les êtres organisés, appartiennent-elles aux tissus eux-mêmes qui les manifestent, ou ne seraient-elles que la conséquence des rapports que ceux-ci entretiennent constamment avec la circulation sanguine? Écartant l'hypothèse mécanique et cartésienne de M. Cl. Bernard, 21 (j) J'ai étudié la question dans diverses publications. Voir : Delà contraction musculaire dans ses rapports avec la température ani- male, Gazette médicale, 1865; Considérations sur le pouvoir réflexe, Journal de médecine de Bordeaux, 1865; Force cl mouvement, Revue mé- dicale, 1866; Cause, force et loi, Actes de l’Académie de Bordeaux, 1866; De la chaleur et du mouvement înusculuircs, Gazette médicale, 1867 ; Unité des phénomènes naturels, Revue médicale, 1867. 22 nous devons constater chez les êtres vivants, comme fait général, que la dépendance fonctionnelle des divers appareils est eu raison directe du degré de supériorité dans la série zoologique. Chez les êtres les plus inférieurs chaque cellule forme un centre à peu près indépendantdc l’ensemble; maisà mesure que l’organisation devient plus complexe, les fonctions des divers appareils se subordonnent de plus en plus les unes aux autres. Si nous avons vu disparaître l’irritabilité chez le chien au bout de deux heures, on sait que cette propriété persiste chez la grenouille pendant plusieurs jours, après l’interruption complète de la circula- tion sanguine. On sait de même que l’irritabilité du cœur et des fragments de cet organe mis eu lambeaux est beaucoup plus persis- tante dans la classe des reptiles que dans celle des mammifères. Ces divers exemples me paraissent établir que chaque cellule et chaque libre jouissent d’une propriété particulière, dont l’indépen- dance s'atténue progressivement à mesure qu'on s’élève dans la sé- rie. L’harmonie et le consensus deviennent plus étroits pendant que l’unité organique s élabore et se caractérise. La centralisation tend à faire disparaître le système fédératif et les franchises locales. Bien que la circulation dépende du système nerveux, il est possible, au point de vue où je me place, de faire procéder l’initiative de la première. Le sang porté partout (ou peut s’en faut) entretient partout la nutrition, les sécrétions, les combustions, etc. Il me parait agir de deux manières : eu nourrissant les tissus, ce qui les main- tient dans leurs conditions anatomiques de fonctionnement, et en exerçant un effet depuis longtemps qualifié de stimulant. Je prends l'exemple de cet effet dans les conséquences, pour les animaux su- périeurs, de la suppression du cours du sang dans les vaisseaux en- céphaliques. L'extinction de la vie de relation étant immédiate ne saurait être attribuée au défaut de nutrition pour le centre nerveux. Il y a donc autre chose, et cette autre chose me parait devoir conser- ver l’acception d’action stimulante. Si la spontanéité existe dans le règne inorganique, elle ne peut s’exercer que d’une manière relative. De même en est-il chez les êtres vivants dont l'affranchissement, n’est jamais absolu vis-à-vis du milieu extérieur, et dont l'indépendance, à l’égard du milieu in- térieur, est toujours plus ou moins transitoire. Comme type de spontanéité j'entends le mouvement non communi- que, ou plutôt une faculté motrice qui n’est pas elle-même un mou- vement. La chiquenaude de Descartes, c’est-à-dire l’impulsion (phénomène mécanique) pour la matière brute; le mécanisme pur et simple pour la matière organisée ; dans l’un et l'autre cas des causes détermi- nantes immatérielles des phénomènes observés : voilà le dernier mot d’un idéalisme qui a fait longtemps, non de la prose, mais de la poé- sie spéculative sans le savoir (1). L’action stimulante du sang (milieu intérieur) et du milieu exté- rieur sur les tissus organisés, était admise sans conteste, lorsqu’elle fut tout d’un coup soumise à une vive critique par la doctrine car- tésienne restaurée et rajeunie. Refusant toute spontanéité à la ma- tière brute et vivante, sous le spécieux prétexte que cette sponta- néité n’est point absolue, le mécanisme ne dut voir aucune activité propre dans les termes du rapport (être organisé et ses milieux), et des deux parts il n’y eut que des conditions d’exercice pour des causes non matérielles, puisqu'elles étaient productrices de phéno- mènes. Si la matière n’en produit point, c’est quelle est absolument inerte. Partant d’une hypothèse contraire pour l’explication de la nature, j’admets la spontanéité relative de la matière, soit brute, soit orga- nisée. Dans ce dernier cas, les divers milieux sollicitent des actions dont la cause réelle est la vitalité propre des tissus (2). CONCLUSION. (1) L’expression de déterminantes appliquée aux causes prochaines me paraît impropre, puisqu’elles ne sont que des conditions d'exercice, des occasions. Il n’y a de vrai déterminisme que pour les causes sourdes ou premières. (2; Je dis que je pars d’une hypothèse contraire à celle de Descartes, car toute donnée fondamentale servant à l’explication de la nature ne saurait être qu’une hypothèse : spiritualiste ou matérialiste, il n’im- porte. C'est une induction que fait entrevoir l’expérience, et dont cha- cun cherche la vérification dans une expérience plus étendue. Aucune science doctrinale, mais dont l’objet propre est la réalité, ne saurait procéder autrement. L’idée, comme le dit M. Cl. Bernard, ou 17r priori fourni par l’observation poursuit sans relâche sa confirma- tion dans l’à posteriori. FIN.