MÉMOIRE SUR L’IPECA, LO A T.’ACADÉMIF. NATIONALE DB MÉDECINE, LF. 3 JUIN 1851 , Par le Docteur J. DELIOUX, Médecin en chef de la marine à Cherbourg, chevalier de la Légion d'honneur, professeur aux écoles de médecine navales, elc. A PARIS, Chez LABÉ, libraire , éditeur de la faculté df. médecine , Place de l’École-de-Médecine, 23. 1852 PARIS. — IMPRIMÉ PAR E. THUNOT ET C% Rue Racine, 26, près de l’Odéon. EXTRAIT de la Gazette Médicale de Paris. — Année 1853. MÉMOIRE SUR L’IPÉCA. Ce mémoire est divisé en trois parties ; Dans la première, je cherche à établir par des expériences sur l’homme et sur les animaux les caractères positifs de l’action topique de l’ipéca. Dans la seconde et la troisième partie, j’étudie cliniquement son action dynamique en l’appliquant particulièrement au traitement de la dyssen- terie et de la pleuro-pneumonie. PREMIÈRE PARTIE. ACTION TOPIQUE DE L’iPÉCA. I. On est généralement encore assez disposé à accorder une importance majeure à l’action topique d’un grand nombre de médicaments, et à s’en tenir à elle pour expliquer des effets thérapeutiques à la production des- quels l’absorption médicamenteuse semblerait indifférente. Les émétiques, par exemple, dans l’opinion de plusieurs pharmacologistes, sont nécessai- rement des irritants, et ce serait l’irritation qu’ils déterminent sur la mem- brane muqueuse de l’estomac qui suffirait seule à exciter la contraction des plans musculeux sous-jacents de ce viscère, à produire, en un mot, le vo- missement. Deux objections, difficilement réfutables, ébranlent fortement cette opi- nion : 1° l’irritation de la muqueuse stomacale est si peu nécessaire pour que l’acte de vomissement s’accomplisse, que si l’on injecte dans une veine un émétique,au bout de peu de temps l’estomac se soulève et projette au dehors les matières accumulées dans sa cavité.On a dit, il est vrai, que dans ce cas le sang laissait transsuder à la surface de l’estomac la substance injectée, soit en nature, soit modifiée par les éléments réactionnels des humeurs vitales, mais toujours à l’état de substance irritante dont le stimulus local était l’agent indispensable et direct de la contraction spasmodique du ventri- cule; maison oubliait trop vile en édifiant de pareilles hypothèses, car le fait n’a jamais été expérimentalement démontré, que M. Magendie, dans ses belles expériences, substituait d’abord à l’estomac une vessie remplie de liquide, puis injectait dans la jugulaire du tartre stibié, et qu’alors, sous l’influence exclusive des convulsions synergiques des muscles abdominaux, le liquide contenu dans la vessie était violemment expulsé par l’œsophage. Ainsi donc l’irritation de l’estomac n’est pas une condition antérieure sine quâ non au phénomène du vomissement. 2° S’il est constant que toute irritation aiguë et d’une certaine intensité de la muqueuse gastrique sollicite le vomissement, il n’est pas moins avéré que beaucoup de substances végétales non irritantes, à dose de médica- ment et surtout à dose de poison, provoquent l’apparition du même phé- nomène; de plus, les substances habituellement administrées comme vomi- tives, le sont, ou du moins doivent l’être, dans de telles proportions, ou bien elles sont dissoutes, délayées dans de telles quantités de véhicules aqueux ou sucrés, qu’elles ne peuvent pas irriter l’estomac assez vivement pour que l’on puisse imputer à leur action topique le point de départ d’un acte complexe qui commence incontestablement à une modification primor- diale du système nerveux, et qui se résout en une convulsion extrême des puissances musculaires aussi bien de la vie organique que de la vie ani- male. Ainsi, sans irritation préalable de l’estomac et même sans estomac, on peut vomir. Pour fournir une explication théorique de l’action vomitive 4 d’un médicament donné, il n’y a donc pas urgence à s’appuyer sur les pro- priétés irritantes, réelles ou supposées, de ce médicament, l’action spéci- fique d’un émétique est aussi mystérieuse dans sa cause, dans son essence, que l’action soporifique de l’opium. En conséquence, j’espère prouver que l’ipéca, par exemple, tout agent irritant qu’il soit, ne suscite dans la majorité des circonstances, les effets physiologiques et thérapeutiques les plus prononcés, qu’indépendamment et en dehors des résultats contingents de son action topique. Des expériences faites avec tout le soin possible et répétées un grand nombre de fois vont démontrer les caractères réels de cette action topique, et les moyens de l’annuler en majeure partie dans l’administration interne du médicament. 5 H. Pour faire valoir les propriétés irritantes de l’ipéca, on a invoqué deux séries de faits : 1° L’irritation développée aux surfaces sur lesquelles la poudre d’ipéca a été appliquée. Les expériences citées comme les plus convaincantes à cet égard ont été faites par M. Bretonneau. Suivant MM. Trousseau et Pidoux (Matière méd. et thérap., 2e éd., 1.1, p. 655), le savant médecin de 'l'ours aurait constaté que « la poudre d’ipécacuanha mise en contact avec la peau dépouillée de son épiderme, suscitait une inflammation locale des plus énergiques, qu’une petite pincée de cette poudre insufflée dans l’œil d’un chien donnait lieu à une phlegmasie oculaire tellement intense que la cornée était quelquefois perforée; qu’ainsi l’ipécacuanha était un agent d’irritation locale, et que ses propriétés vomitives et purgatives devaient être attribuées à l’inflammation qu’il déterminait sur la membrane mu- queuse gastro-intestinale. » MM. Trousseau et Pidoux ajoutent que « ce médicament donné à l'in- térieur et mis en contact soit avec l’estomac, soit avec le rectum, cause une inflammation locale que l’autopsie démontre, inflammation beaucoup plus intense qu’on ne pourrait le supposer, en ayant égard à l’apparente innocuité du remède. » Les expériences faites sur les animaux et sur l’homme qui vont être re- latées tout à l’heure et les observations cliniques qui le seront plus tard ne concordent pas en tous points avec les opinions qui viennent d’être rap- portées. 2° L’irritation que la poussière ou les effluves de l’ipéca déterminent sur îes muqueuses nasales et broncho-pulmonaires. 11 est vrai que l’odoration de la poudre d’ipéca excite fréquemment la pituitaire et provoque l’éter- nuement; on ne peut récuser non plus quelques faits extraordinaires, si- gnalés pour la première foisparM. Eugène Vigaroux (1), relatifs à des accès d’asthme, à des accidents spasmodiques d’apparence grave qu’ont éprouvés certains individus soumis, même à des distances assez considérables, aux émanations de l’ipéca. Mais si dans ces faits on peut accorder une certaine part à une action locale, il faut en faire une bien plus grande à l’action dynamique, les perturbations du système nerveux, celles de l’innervation de l’appareil respiratoire en particulier, devant, de toute évidence, être rapportées plutôt aux conséquences de l’absorption des effluves de l’ipéca ou des particules solubles de sa poussière. Pour porter un jugement définitif sur ces deux séries de faits, je me suis livré à quelques recherches expérimentales qui, si elles ne vident pas com- plètement la question physiologique et thérapeutique, me paraissent du moins de nature à l’élucider. 6 III. EXPÉRIENCES. PREMIÈRE SÉRIE. La poudre d’ipéca mise en contact avec la peau dépouillée de son épi- derme y détermine-t-elle une violente inflammation ? Les résultats des expériences suivantes répondent à cette question : 1° Au moment d’appliquer pour la première fois de la poudre d’ipéca sui- des vésicatoires et sur des plaies, j’étais tellement préoccupé de ses pro- priétés irritantes, tellement convaincu que j’allais allumer une inflamma- tion douloureuse, que je n’entrepris qu’avec crainte des expériences à cet égard ; je prévins donc les malades qui consentirent à s’y prêter, des accidents locaux qui pourraient survenir et dont je me disposais, d’ailleurs, à arrêter promptement le développement. Un vésicatoire cantharidé ayant été préalablement appliqué, la phlyctène fut percée, et le derme fut mis complètement à nu par l’enlèvement de l’épiderme. Ensuite je saupoudrai la moitié du disque de la plaie avec de l’ipéca, l’autre moitié fut recouverte d’un linge enduit de cérat. Le sujet n'éprouva d’autre douleur que celle qui accompagne ordinairement le pre- (1) Des émanations des CORl’S en général et de celles de l’ipécacuaniia en îarticüi.ier, par Eugène Vigaroux (Thèses de Montpellier, 1820). mier pansement d’un vésicatoire; observé attentivement pendant plusieurs tieures, il n’accusa plus au bout de peu de temps aucune douleur; dix heures après le pansement fut levé, la moitié du disque en rapport avec le cérat était rouge et humide d’une suppuration qui commençait à s’établir; l’autre moitié, saupoudrée d’ipéca, était complètement sèche. Ce résultat, si différent de celui que j’avais attendu et redouté, me causa un grand étonnement. La même expérience fut refaite alors un grand nombre de fois, et con- stamment les sujets n’éprouvèrent aucune sensation douloureuse, et la plaie récente du vésicatoire se dessécha sans présenter le moindre trace d’irritation partout où l’ipéca avait été appliqué. Ultérieurement, je déposai ce topique à la surface de vésicatoires anciens et en pleine suppuration. Des résultats analogues se produisirent, le vési- catoire se dessécha partiellement ou en totalité, sans trace d’inflammation partout où la poudre d’ipéca avait été déposée, et les sujets n’accusèrent aucune douleur. 2° La poudre d’ipéca a été également déposée sur des plaies récentes ou anciennes ; dans la plupart des cas, il n’est survenu ni inflammation ni douleur ; le plus souvent la suppuration a été diminuée, et il a semblé par- fois que la tendance à la cicatrisation avait été un peu hâtée. Dans le plus petit nombre des cas, la plaie a été légèrement irritée, et alors la suppura- tion a été augmentée, ou bien il s’est formé à sa surface comme un léger nuage, une pseudo-membrane blanchâtre et pellucide ; mais la douleur n’a point été la compagne nécessaire de cette minime inflammation, et lorsque la sensibilité locale a été atteinte, les sujets n’ont accusé qu’un picotement ou une petite cuisson qui n’atteignirent jamais les proportions de la souf- france. La poudre d’ipéca, mise en contact avec les muqueuses ou avec la peau intactes, cause-t-elle des phénomènes inflammatoires ? On a répondu affirmativement pour les muqueuses, négativement pour la peau. Les expériences suivantes vont montrer que l’on a fait erreur quant à la peau, et que l’on a tiré des conclusions trop absolues de l’irritation provo- quée sur certaines muqueuses. 7 3° Il importait d’attaquer d’abord la muqueuse sur laquelle M. Breton- neau avait vu se produire une inflammation intense. DEUXIÈME SÉRIE. J’ai expérimenté sur des lapins ; une pincée de poudre d’ipéca a été pro- jetée sur leur surface oculaire et maintenue emprisonnée pendant quelques instants par l’occlusion des paupières. Les animaux ont témoigné par leur agitation d’une vive douleur ; ils sont devenus tristes et ont refusé plus ou moins leur nourriture pendant les premiers jours d’une inflammation très- énergique qui n’a pas tardé à se développer. Cette inflammation s’est carac- térisée par une forte injection sanguine des vaisseaux conjonctivaux et palpébraux, avec boursouflement des muqueuses, photophobie, paupières contractées, difficiles à séparer, aglutinéesau bout de quelques jours par une sanie purulente ; la cornée est toujours devenue opaque, mais ne s’est ja- mais ulcérée; la blépharo-conjonctivite est l’affection quia cédé la première, mais l’opacité de la cornée a été très-persistante, et ce n’est qu’après un ou deux mois que cette membrane a repris sa transparence. U° Les mêmes expériences ont été faites sur les yeux des lapins avec de l’émétine pure ; cet alcaloïde a fait naître une inflammation aussi aiguë que la poudre d’ipéca, inflammation qui a présenté les mêmes caractères, et qui a suivi une marche identique. 5° J’ai voulu voir si l’eau chargée des principes solubles de l’ipéca joui- rait des mêmes propriétés topiques que la poudre. Ayant préparé une dé- coction concentrée, 1 gramme d’ipéca pour 20 grammes d’eau, j’ai touché à plusieurs reprises les yeux des lapins avec un pinceau trempé dans cette décoction, j’en ai instillé quelques gouttes entre leurs paupières, en en maintenant la plus grande partie pendant quelques minutes en rapport avec la surface oculaire par l’occlusion forcée de leurs paupières. Quelquefois il est survenu une légère rougeur très-fugace, et la plupart du temps il a été impossible d’apercevoir aucune trace d’inflammation à la suite de cette expérience. J’ai arrosé ou maintenu en contact pendant plusieurs heures des vésica- toires et des plaies avec la décoction précitée, et dans aucun cas il n’est survenu de douleur ni d’irritation appréciable. 6" Pour savoir si l’ipéca ne doit ses propriétés irritantes qu’à ses prin- cipes solubles, j’ai épuisé par l’eau une certaine quantité de poudre de cette substance, jusqu’à ce que la décoction essayée par une solution de tannin, ne fournit plus de précipité d’émétine. Le marc ou résidu a été desséché, puis pulvérisé, et j’en ai déposé une pincée sur la conjonctive d’un lapin. Il n’a pas tardé à survenir une inflammation seulement un peu moins vio- lente que lorsque j’avais expérimenté avec la poudre d’ipéca. L’émétine ne serait donc pas le seul principe irritant contenu dans la 8 9 poudre d’ipéca ; y préexisterait-il une résine que l’eau ne pourrait dissoudre et enlever, et qui, comme la plupart des principes de cette nature, jouirait des propriétés irritantes? L’analyse chimique n’a peut-être pas dit son der- nier mot à ce sujet, comme nous le verrons tout à l’heure. Il faut ici prévenir une objection : on pourrait arguer que la poudre d’i- péca privée de son alcaloïde agit encore comme corps étranger, susceptible par cela seul d’irriter une surface aussi délicate que la conjonctive ; je crois effectivement qu’elle agit ainsi en partie; mais j’ai expérimenté comparati- vement sur les yeux des lapins la poudre d’ipéca privée ou non d’émétine, et des poudres inertes, telles que la sciure de bois, le sable, et l’action de la première a constamment été infiniment plus vive que celle des se- condes. TROISIÈME SÉRIE. 7“ Enfin, la poudre d’ipéca mise en contact avec la peau recouverte de son épiderme, est-elle susceptible de l’attaquer et d’y développer des phé- nomènes inflammatoires? J’apporte à cette question qui, je crois, a très-peu préoccupé les esprits jusqu’à ce jour, une réponse affirmative. En effet, si l’on incorpore cette poudre avec un corps gras, et qu’avec le mélange on frictionne la peau pendant quelques minutes, on ne tarde pas à voir apparaître une inflammation tout à fait caractéristique. Ce sont d’a- bord de petites élevures papuleuses, d’un rose vif, très-nombreuses, sou- vent confluentes ; puis bientôt de véritables pustules, toujours de petite di- mension, déprimées au centre, ombiliquées, suppurant peu et se dessé- chant avec rapidité, sans laisser de cicatrices; la douleur qu’a causée cette éruption est très-légère ; malgré une ressemblance assez frappante, quant à la forme des pustules, avec l’inflammation déterminée par l’action locale du tartrate de potasse et d’antimoine, elle en diffère donc notablement sous d’autres rapports. Je me suis servi particulièrement, pour mes expériences à ce sujet, de la formule indiquée dans le traité de pharmacie de M. Soubeiran (3e édition), sous le nom de Uniment de Hannay, et ainsi conçue : Poudre d’ipécacuanha l Huile d’olives 1 Axonge a Ea pommade d’ipéca me parait appelée à rendre à la thérapeutique des services analogues à ceux que l’on obtient de la pommade d’Autenrieth ; 10 ainsi je l’ai employée avec les résultats les plus satisfaisants, comme agent révulsif, dans le traitement de laryngites et de bronchites chroniques, et je la crois digne d’être essayée au même titre dan3 un grand nombre d’autres affections où il y a intérêt à appeler à la peau un travail morbide artificiel. Elle a l’avantage, qui n’est pas sans importance, surtout lorsque l’on agit sur des parties habituellement découvertes, de ne point laisser après elle des stigmates indélébiles comme ceux de la pustulation stibiée. Mais ce n’est pas seulement à l’aide de la friction que l’on peut produire l’exanthème spécifique de l’ipéca ; on le produit également quoique à un degré plus faible, avec moins de confluence par exemple., en maintenant cette substance appliquée pendant un certain temps à la surface de la peau. Ainsi, en saupoudrant un emplâtre de poix de Bourgogne, ou tout simple- ment de diachylum, avec quelques pincées de poudre d’ipéca, on provoque une éruption identiquement conforme à celle dont j’ai tout à l’heure fait connaître les caractères. Loin donc de se comporter à l’égard de la peau comme une substance inerte, l’ipéca est susceptible d’y développer une inflammation toute spé- ciale, et ce mode, ignoré ou méconnu, de l’action si large de ce grand mé- dicament, se recommande à l’attention des praticiens. De deux choses l’une : employée à l’extérieur, ou l’ipéca ne sera qu’un agent de la médi- cation révulsive, ou il suscitera, en même temps que des effets révulsifs, des effets dynamiques liés à l’absorption de quelques-uns de ses principes. Dans le premier cas, le praticien se rappellera que tous les révulsifs ne révulsent pas de la même manière, qu’il a maintes fois à s’applaudir de faire un choix intelligent dans leur nombre, et peut-être alors arrivera-t-on à préciser quelques indications relatives à l’opportunité supérieure de l’ipéca ; dans le second cas, on pourrait tenter la chance de modifier certains états organo- pathologiques voisins de la peau en sollicitant l’absorption cutanée de cet énergique contro-stimulant. IV. A un observateur aussi habile, aussi probe, aussi ingénieux que M. Bre- tonneau, on ne pouvait imputer des expériences fautives; il avait donc parfaitement vu que la poudre d’ipéca, mise en contact avec les muqueuses oculaires, suscite une phlegmasie suraiguë. Ce qu’il y a eu de défectueux, c’est d’en induire que, sur les muqueuses digestives, un pareil effet doit se produire. En effet, on ne peut comparer entre elles les muqueuses sous le double rapport de l’irritabilité et de la sensibilité, que pour faire saillir la différence de leurs aptitudes à ressentir l’impression des corps. Hors la 11 muqueuse du tube digestif, toutes celles que nous pouvons atteindre par des moyens mécaniques d’exploration, sont la plupart du temps irritables et sensibles au degré le plus exquis, sous l’influence des agents les plus inertes physiquement et chimiquement; si bien, par exemple que si, pour l’œil, vous exceptez la lumière et les humeurs normales qui le baignent, tout ce qui pénètre entre ses voiles protecteurs devient stimulus pathogé- nique; quelques grains de sable introduits entre les paupières suffisent pour congestionner rapidement la conjonctive oculo-palpébrale ; en con- clurait-on qu’ils produiraient, par un effet analogue sur la muqueuse di- gestive, une gastro-entérite ? Tout ce que l’on peut induire d’expériences tentées sur une surface douée d’une sensibilité aussi vive que la muqueuse oculaire, c’est que lorsque l’irritation y sera portée à un degré aussi élevé que nous venons de le voir sous l’influence de la poudre d’ipéca, la mu- queuse digestive, sous l’influence du même agent, pourra être fortement impressionnée sans doute, mais non de la même manière et au même de- gré ; que si, au contraire, on préjugeait de l’action de la poudre d’ipéca sur l’œil son action sur l’estomac, on devrait s’attendre à provoquer par son administration interne d’effroyables gastrites, et certes c’est ce qui n’a ja- mais eu lieu. Mais si, du domaine des inductions et des préconceptions théoriques, nous passons à celui de l’expérience clinique, nous verrons que jamais une gastrite ou une entérite n’a pu être imputée à l’action de l’ipéca, et que c’est précisément dans une des affections où l’état inflammatoire de l’intestin est le plus prononcé, dans la dyssenterie, que ce médicament a le mieux ma- nifesté sa puissance curative. On en a fait honneur, il est vrai, à l’irritation substitutive, et l’on a dit que l’ipéca, ainsi que d’autres médicaments émé- tiques et purgatifs, promenait sur toute la surface gaslro-intestinale une action irritante d’où résultait une phlogose thérapeutique qui, remplaçant la phlegmasie morbide, marchait promptement vers la guérison. Mais la voie digestive n’est pas un tube inerte que traversent de haut en bas les substances ingérées par la bouche, et lorsque celles-ci sont liquides, ou lorsque solides elles contiennent des parties solubles, l’absorption veineuse s’est évidemment emparée, dès l’estomac, des principes dissous ou suscep- tibles de l’être dans les sucs gastriques ; et à partir au moins des premières anses de l’intestin grêle, où l’absorption est également active, l’action to- pique de l’ipéca épuisé de ses principes actifs et solubles ne peut plus en- trer en ligne de compte dans la caractérisation des effets physiologiques et thérapeutiques ; car, si la poudre d’ipéca, dépouillée de ses principes solu- 12 blés, m’a paru susceptible d’irriter encore la surface oculaire, il est fort douteux que sur la surface beaucoup moins sensible de l’intestin, surtout quand elle y arrive mélangée avec les matières contenues dans le tube di- gestif, elle puisse déterminer une irritation assez forte pour dominer, au point de vue même de la théorie de la substitution, l’irritation pathologique antérieure. La cæco-colite, qui constitue la lésion anatomique de la dyssen- terie, ne peut donc pas être modifiée directement par l’action locale de l’ipéca, et il ne reste à supputer, en faveur de sa guérison, que les chances ouvertes par une action dynamique consécutive à l’absorption des molécules actives du médicament. Ainsi l’action topique de l’ipéca ne peut point être invoquée pour expli- quer et faire admettre la substitution homœopathique des phlegmasies in- testinales; le sera-t-elle pour expliquer la modification imprimée par l’ipéca, soit dans l’embarras gastrique ou gastro-intestinal, soit dans d’aulres ma- ladies ayant leur siège en dehors du canal digestif? Dans le premier cas, voudra-t-on supposer que l’ipéca substitue idiopathiquement l’irritation thérapeutique à l’irritation pathologique ? Mais il faudrait prouver d’abord que, dans l’espèce, il y a irritation préalable ; or, dans l’embarras, dans l’état saburral des premières voies, il n’y a réellement ni gastrite ni enté- rite, mais simplement lésion de sécrétion. L’indication pure et simple est d’évacuer, et l’ipéca la remplira en évacuant et en modifiant à la fois dy- namiquement la condition génératrice de la lésion sécrétoire. — Dans le second cas, la théorie de la révulsion serait appelée à rendre compte des phénomènes médicateurs ; mais ce serait encore s’abuser qu’en chercher l’explication dans une transposition du travail inflammatoire sur la mem- brane gastro-intestinale, car ou nul symptôme n’apparaît qui révèle une irritation révulsive, ou bien des vomissements et des évacuations alvines survenant, rien n’autorise rigoureusement à les attribuer à l’action topique de l’ipéca, puisqu’ils peuvent se manifester uniquement sous l’influence de son action dynamique, puisqu’ils peuvent survenir aussi bien quand on a administré l’infusion ou la décoction d’ipéca que lorsqu’on a administré la poudre de ce médicament. Loin de nier l’action irritante topique de l’ipéca, je viens de la prouver par mes expériences; mais j’ai prouvé aussi qu’elle ne peut pas être affir- mée d’une manière absolue, qu'elle ne s’exerce que dans certaines limites, et quelque difficile qu’il soit de l’expliquer, on a vu que la poudre d’ipéca V. était loin d’agir de la même manière sur les différentes surfaces où je l’ai appliquée. Ainsi, sur la muqueuse oculaire, l’inflammation est excessive; sur les plaies, elle est nulle ou à peu près nulle ; sur la peau, au contraire, infiniment moins irritable que les plaies, l’irritation a été constante. Sur la muqueuse gastrique, la poudre d’ipéca se comporte-t-elle comme sur l’œil?Non, sans aucun doute, car elle serait alors une substance incen- diaire que nul praticien prudent n’oserait employer, comme sur les plaies ou comme sur la peau. Tout ce que je puis assurer, c’est qu’à quelque dose que j’aie prescrit la poudre d’ipéca, les malades n’ont jamais éprouvé la moindre sensation douloureuse dans la région épigrastrique ; c’est que, toutes les fois que j’ai pu observer l’estomac sur les cadavres d’indivi- dus médicamentés par l’ipéca, je n’ai rencontré aucune trace d'inflam- mation! Tout ce que je concède enfin, c’est que la poudre d’ipéca puisse, dans la minorité des cas, irriter la muqueuse gastrique, mais non comme elle ir- rite la muqueuse oculaire ; c’est qu’il soit possible même que cette poudre, épuisée, dans l’estomac et dans la portion supérieure de l’intestin, de ses principes solubles, conserve encore, ainsi que je l’ai constaté dans mes ex- périences, quelques propriétés irritantes et les exerce sur la portion infé- rieure du canal intestinal, mais, encore une fois, à un moindre degré que sur l’œil. Or cette irritation étant non-seulement inutile, mais dommagea- ble à la réalisation des effets thérapeutiques que l’on recherche en admi- nistrant l’ipéca, le médecin a tout intérêt à l’éviter. Le moyen d’arriver à ce but et de trancher tout ce qu’il peut y avoir de litigieux dans la question de savoir quelle sera au juste l’action topique de l’ipéca en nature sur la mu- queuse digestive, c’est d’administrer ce médicament délayé dans une assez forte proportion d’eau, et, bien mieux encore, de n’en prescrire que l’in- fusion ou la décoction, qui jouissent, comme je vais le montrer tout à l’heure, de la plénitude des propriétés les plus actives de l’ipéca, sans faire encourir le moindre danger d’irritation topique, comme mes expériences à cet égard autorisent à l’espérer. 13 VI. Je crois que les principes solubles de l’ipéca sont seuls virtuellement ca- pables d’agir sur l’économie. Si l’analyse chimique les a suffisamment étu- diés, trois d’entre eux seulement possèdent des propriétés actives : Une matière extractive non vomitive; 14 Une matière alcaloïde vomitive, l’émétine; Une matière grasse huileuse. (Analyse de MM. Pelletier et Magendie) (t). La matière extractive non vomitive est peu connue, et l’on ignore si elle concourt réellement à l’action de l’ipéca. L’émétine jouit, à de très-petites doses, de la propriété vomitive, et possède concurremment des propriétés hyposthénisantes extrêmement énergiques ; les expériences de M. Magendie à cet égard ne laissent aucun doute. La matière grasse huileuse paraît formée de deux principes : une huile fixe et une huile essentielle, à laquelle l’ipéca doit son odeur. Suivant MM. Pelletier et Magendie, cette matière, malgré sa saveur âcre et son odeur pénétrante, n’aurait aucune propriété sur l’économie animale. Ce- pendant, en songeant aux effets puissants exercés sur l’innervation respi- ratoire par les effluves de l’ipéca, à ces effets signalés par M. Vigarous et mentionnés depuis par d’autres observateurs, en considérant, d’un autre côté, que l’émétine est fixe, et que, d’ailleurs, loin de causer des spasmes respiratoires, elle les calme habituellement, au contraire, je serais disposé à croire que les accidents auxquels je faisais allusion tout à l’heure sont dus aux particules d’une huile essentielle, d’autant que rien n’est plus commun que l’action toxique des composés de cette nature, et si ce n’était pas à la partie volatile de la matière grasse huileuse que ces accidents se- raient imputables, ce pourrait être au moins à une substance analogue, in- cessamment produite par érémacausie insaisissable à l’analyse, comme l’arome du musc, par exemple, que Geiger attribue à ce phénomène de combustion lente. Peut-être aussi retrouvera-t-on dans l’ipéca une matière résineuse dont MM. Pelletier et Magendie ont contesté l’existence, et que d’autres chi- mistes, avant eux, prétendaient avoir obtenue. Il n’y a donc de bien connue sous tous les rapports, parmi les principes actifs de l’ipéca, que l’émétine ; peut-être même cet alcaloïde en est-il le seul principe doué de propriétés pharmaco-dynamiques. Alors il faudrait le substituer aux préparations galéniques de la substance, d’où l’on peut l’extraire avec facilité ; mais il faudra auparavant étudier comparativement, (1) Recherches chimiques et physiologiques sur l’ipécacuanha ; par MM. Pel- letier et Magendie, mémoire lu à l’Académie des sciences, le 25 février 1817, in- séré dans le Journal de pharmacie, t. III, 1817. 15 dans les mêmes circonstances, la propriété de l’alcaloïde isolé et de l’ipéca en masse , ce qui fera probablement de notre part l’objet d’un autre travail. En attendant, je suis arrivé, par de nombreuses expériences cliniques, à me convaincre que les solutions aqueuses présentent pour l’emploi interne, sur la poudre d’ipéca, des avantages incontestables : Elles dissolvent l’émétine, dont l’activité thérapeutique prime tous les autres principes; Elles dissolvent la matière extractive, qui unit peut-être son action à celle de l’émétine ; Elles dissolvent, surtout après décoction, la fécule amilacée, dont les propriétés émollientes concourent à tempérer l’action irritante de l’é- métine ; Préparées par infusion et surtout par décoction, elles laissent échapper la plus grande partie de l’huile essentielle; Elles ne dissoudraient pas les matières résinoïdes, en supposant que la racine en contînt. Or l’huile essentielle possède des propriétés irritantes ; il en est de même, à un degré fort ou faible, des particules résineuses. Privée de ces deux éléments, la solution d’ipéca aura nécessairement une action topique plus douce. Reste l’émétine, dont j’ai éprouvé les propriétés excessivement irritantes; mais étendue dans une grande quantité d’eau, elle les perd presque com- plètement, comme je l’ai également démontré. Donc, en prescrivant, de préférence à la poudre, l’infusion ou la décoc- tion d’ipéca, le médecin sera assuré de ne point attaquer l’intégrité de la muqueuse gastrique, et les observations qui vont suivre établiront d’une façon péremptoire que, par cette méthode, le médicament développe tout aussi bien, sinon mieux, son action dynamique avec toutes ses conséquen- ces médicatrices. DEUXIÈME PARTIE. ACTION DYNAMIQUE DE L’iPÉCA ; DE SON EMPLOI DANS LE TRAITEMENT DE LA DYSSENTERIE. VIL Je n’ai point eu l’intention d’écrire une histoire thérapeutique complète 16 de l’ipéca; je viens seulement exposer comment, en conformité des expé- riences précilées et des principes que j’en ai déduits, j’ai institué des méthodes de traitement dans lesquelles l’ipéca joue un rôle important contre deux des maladies les plus graves du cadre nosologique, la dyssen- terie et la pneumonie. La valeur de l’ipéca dans le traitement de la première de ces maladies n’a pas besoin d’être discutée. Sa réputation est faite à cet égard, et intro- duit dans la matière médicale comme remède anlidyssentérique, il n’a pas cessé de justifier ce titre. J’ai à peine besoin de dire qu’il n’est pas un spécifique et que, comme une infinité d’autres médicaments utiles pourtant dans l’espèce, il laisse encore après lui bien des mécomptes quand on a affaire aux endémies ou aux épidémies graves de dyssenterie. Mais il reste certainement au nombre des agents les plus efficaces contre le flux de l’in- testin. C’est ce que savent parfaitement tous les médecins de la marine qui ont observé la dyssenterie dans les régions intertropicales, et je ne serai point démenti par l’immense majorité d’entre eux dans le témoignage que je dépose ici en faveur de l’ipéca. Tous les modes d’administration de ce médicament dans la dyssenterie sont bons, mais il en est quelques-uns qui me semblent meilleurs que les autres. Ainsi, je me suis persuadé, après expérience comparative des faits, que les infusions ou les décoctions aqueuses sont très-préférables à la poudre et aux pilules. La méthode des infusions paraît être d’ailleurs la plus ancienne ; c’est celle que Maregrave etPison, dans leur histoire naturelle du Brésil, signa- lèrent comme la plus habituellement employée; suivant ces auteurs, qui les premiers firent connaitre à l’Europe les vertus antidyssentériques de la racine d’ipécacuanha, on faisait macérer pendant plusieurs heures la pou- dre de cette racine dans une certaine quantité d’eau ; le produit de cette macération était administré aux malades ; on réservait le marc pour le traiter de la même manière par l’eau ; la première solution purgeait ou faisait vomir; la seconde agissait plutôt comme astringent (1). On sait que (1) « Malunt tamen dilutum, quod vel unius noctis sub dio maceratione aut actione inaquà, medicam suara virlutem abundè liquoribus communicet. Postea caput mortuum reservatum, denuôque eodem modo præparatum, in eumdem usum exliibetur ; urinus quidem eflicax ad purgandum, vel vomendum, sed magis astringens. Ità ut radix hæc non solum materiam morbiflcam, licet te- nacissimam, à parte affecta revellat, eamque per superiore expellat, sed et astringendoviscerum tonum restituât. Præterquam enim quod fluxibus ventris, 17 Vlaregrave et Pison ne parvinrent point à vulgariser l’ipéca, et que ce fut seulement Adrien Helvétius, associé peu scrupuleux d’un marchand fran- çais du nom de Grenier, qui établit, à la fin du dix-septième siècle, la ré- putation de ce remède par des cures éclatantes. Or Helvétius, en recueillant de la bouche de Grenier et probablement aussi en puisant dans l’ouvrage de Maregrave et Pison les traditions américaines, employa précisément le mode d’administration qui vient d’être indiqué. La méthode brésilienne finit toutefois par tomber dans un oubli presque complet ; on peut voir, en effet, que les ouvrages modernes de pharmaco- logie la passent sous silence, sauf le plus récemment publié, le Traité de MATIÈRE MÉDICALE ET DE THÉRAPEUTIQUE de la BIBLIOTHÈQUE DU MÉDE- CIN praticien du docteur Fabre ; je m’empresse d’ajouter aussi que M. Bouchardat, dansun judicieux et savant formulaire, l’a mentionnée sous le titre de potion d'Helvétius contre la dyssenterie (1). Si un grand nombre de médecins sur le continent ignorent cette méthode ou négligent de s’en servir, il n’est peut-être pas un seul des médecins de l’armée na- vale qui ont observé et traité dans les colonies intertropicales la dyssente- rie, qui ne la connaisse, qui ne l’ait vu appliquer ou qui ne l’ait appliquée lui-même. Le docteur Segond, médecin en chef à Cayenne, a le premier aliisque morbis medeatur, venenis adversatur, virusque, tum occulta qualitate, tum manifesta, per vomitum statim expellit. Quamobrem îeligiose à Brasililien- sibus réservâtur,qui illius virtutes primi nobis revellarunt. • (Hist. natur. Bra- silis, Arnstelodam, 1848, p. 102.) (1) 11 ne paraît pas cependant que ce mode d’administration ait été le plus habituellement adopté par Helvétius, car voici les préceptes qu’il a donnés dans les mémoires ou instructions destinées à populariser ces remèdes : « La manière de prendre de la poudre spécifique (ipécacuanha) est de l’avaler le ma- tin à jeun, délayée dans un petit verre de vin rosé, ou d’en faire un opiat avec un peu de miel, et de l’avaler enveloppée dans du pain à chanter, buvant le vin immédiatement par-dessus. » 11 recommandait au malade de ne point vomir autant que possible, et s’il vomissait, il administrait une nouvelle prise d’ipéca (je donnerai bientôt le même conseil. Ordinairement le troisièmeou lequatriême jour le malade était guéri, mais on insistait quelques jours encore sur le remède. (Recueil des mémoires instructifs sur l’usage des différents remèdes du sieur Hel- vétius, qui se distribuent dans les provinces par ordre du roi, en faveur des pauvres notées de la campagne, et instruction abrégée sur l’usage de la pou- dre spécifique d’hypécacuanha préparée contre les cours de ventre, flux de sang et dvssenterie. Paris, 1706.) 18 rappelé l’attention d’une manière sérieuse sur la méthode brésilienne ; le docteur Souty (de Rochefort) l’a depuis indiquée dans sa Thèse inaugurale comme l’un des moyens dont il a retiré de bons effets dans les dyssenteries coloniales. Qu’il me soit permis d’en parler à mon tour comme d’une mé- thode qui possède d’incontestables avantages, et dont une longue expé- rience m’a mis à même d’apprécier toute la valeur. VIII. L’ipéca suivant la méthode brésilienne, ou comme nous le disons ordi- nairement à la brésilienne, se prépare et s’administre de la manière sui- vante : On prend une quantité donnée de la poudre de cette racine, 2 à 8gr., suivant l’énergie de la médication que l’on prétend instituer, on la dépose au fond d’un vase de la contenance de 200 à 300 grammes d’eau, et autant que possible on doit se servir d’un vase de verre afin de mieux suivre l’opé- ration et de faire bientôt plus nettement une décantation ; on jette sur cette poudre 200 à 250 grammes d’eau bouillante, et on laisse l’eau et la poudre en contact pendant dix à douze heures; au bout de ce temps, on décante avec précaution de manière à n’entraîner aucune particule de poudre d’i- péca, et l’on jette sur le marc une nouvelle quantité d’eau bouillante; on laisse encore en contact pendant dix à douze heures, et l’on opère la dé- cantation, toujours en réservant le marc. Enfin on fait, suivant le même- procédé, une troisième et rarement une quatrième infusion. Habituellement l’infusion est commencée le soir, la décantation est opé- rée le matin, au moment d’administrer le remède au malade, de sorte que la même dose d’ipéca sert pendant trois jours ; mais on peut aussi, et je l’ai fait souvent, prescrire deux infusions le même jour. On épuise ainsi successivement l’ipéca de toutes ses parties solubles et notamment de l'émétine; en effet, La première infusion est légèrement colorée en rougeâtre, et précipite très-abondamment par l’infusion de noix de galle; La seconde, à peine colorée ou même incolore, donne un précipité moins abondant ; La troisième, incolore, ne fournit plus qu’un précipité très-faible par la noix de galle. Si l’on rejette de l’eau sur le marc une quatrième et une cinquième fois, on obtient des solutions qui ne sont plus troublées ou qui le sont à peine par la noix de galle. 19 Ces précipités dénotent approximativement les quantités d’émétine con- tenue dans les solutions, et c’est probablement à cet alcaloïde que ces so- lutions, comme toutes les préparations d’ipéca, doivent la majeure partie, sinon la totalité de leurs propriétés thérapeutiques. Il est donc tout à fait inutile de faire servir le marc au delà de la troisième infusion, et je me suis convaincu que la quatrième et la cinquième n’ont plus aucune action phy- siologique ni thérapeutique. Voyons maintenant comment on administre ces infusions et quels sont leurs effets. Elles n’ont pas une saveur aussi nauséabonde que les potions tièdes ou froides, dans lesquelles on suspend ou l’on délaye de la poudre d’ipéca. Cela tient, à mon avis, à ce que la température de l’ébullition qui a été employée au début de chaque opération pharmaceutique, a fait se dégager la plus grande partie de l’huile essentielle. Cependant celte saveur est en- core assez désagréable pour qu’il soit bon de la masquer ; on le fait avec du sucre et de l’eau de fleurs d’oranger. La première infusion, si elle est bue d’un seul coup ou à coups rappro- chés, provoque presque constamment le vomissement; on le favorise en faisant boire plusieurs verres d’eau tiède. Il survient aussi très-souvent, mais non pas toujours, des selles nombreuses; souvent aussi les selles sont d’autant plus nombreuses que les vomissements sont moins abondants, ou vice versa ; mais ces réciproques n’ont pas lieu d’une manière absolue. La seconde infusion amène rarement des vomissements, surtout quand on a employé seulement 1,50 à 2 grammes d’ipéca; mais elle établit ordi- nairement un état nauséeux plus ou moins prononcé; le nombre des selles n’est pas aussi sensiblement accru que sous l’influence de la première in- fusion ; il est souvent diminué. La troisième infusion ne fait presque jamais vomir, et très-souvent même ne produit aucune nausée; le nombre des selles diminue ou reste station- naire; mais en tout cas leur augmentation ne peut être que le fait delà maladie qui n’a pas rétrocédé, et non celui du remède, qui est devenu trop faible pour susciter des effets violents de quelque nature que ce soit. Dans les dyssenteries peu graves, comme la plupart de celles de l’Europe, il suffit très-fréquemment des trois infusions d’une dose de 2 à 3 grammes d’ipéca, pour amender d’une manière satisfaisante l’état morbide, surtout si l’on emploie concurremment d’autres remèdes aussi bien indiqués par cet état que l’ipéca lui-même. Dans les cas contraires, on insiste sur de nouvelles doses. 20 Je dirai ici incidemment que les moyens auxquels j’ai recours concur- remment, et dont j’ai eu beaucoup à me louer, sont principalement 1 infu- sion de thé pour boisson, les demi-bains ou les bains de siège acidulés par un ou deux litres de vinaigre, et les lavements albumineux au nitrate d’ar- gent. On admet assez généralement que le vomissement et la purgation déter- minés par l’ipéca exercent une influence heureuse sur la maladie, et con- séquemment qu’il est d’un haut intérêt d’obtenir ces phénomènes théra- peutiques. J’ai partagé cette opinion jusqu’au jour où soumettant à l'expé- rimentation clinique les modes variés d’administration de ce médicament, je me suis convaincu que ce n’était point en suscitant des évacuations su- rabondantes et nouvelles qu’il guérissait ou modifiait du moins la dys- senterie, qu’il était inutile de solliciter ces évacuations, et qu’on pouvait, même en les évitant, guérir aussi vite et aussi sûrement qu’en les provo- quant. Cela ne veut pas dire que les vomitifs et les purgatifs ne conviennent pas à la dyssenlerie; cette maladie est l’une de celles qui s’accommodent le moins d’un traitement absolu, dont le génie épidémique, par exemple, fait surgir les indications les plus diverses, et nous concevons parfaitement que des méthodes opposées en apparence aient pu être avec succès dirigées contre elle. Mais par cela même que la dyssenterie n’a pas constamment et la même nature et la même physionomie symptomatique, il ne faut pas avancer que l’un des médicaments qui ont la plus longue portée sur elle, agita la façon d’un vomi-purgatif et soit utile précisément à ce titre. Par- lez de ces dyssenteries qu’accompagne, que complique un élément sabur- ral de l’estomac, de ces dyssenteries bilieuses (en tant que liées à l’état bi- lieux général, et non en tant que caractérisées seulement par des flux bi- lieux du gros intestin), et alors avec tous les grands observateurs qui ont mis en saillie l’importance de cette complication éventuelle, mais non né- cessaire, avec tous les praticiens plus habiles encore qui ont saisi, dans ces conjonctures, l’indication, nous dirons : Évacuez, faites vomir surtout, dirigez l’action de l’ipéca de manière à dépouiller par les voies hautes l’es- tomac de la bile et des saburres. Mais quand il s’agira de cas bien plus fréquents où l’estomac reste complètement étranger au travail pathologique qui s’est localisé sur la muqueuse cœco-coüque, le vomissement, comme acte et comme moyen de déperdition humorale, n’offre aucun intérêt aux spéculations du thérapeutiste. Et la preuve, la voici. IX. 21 Au lieu de faire boire les infusions d’ipéca en un seul coup ou à coups rapprochés, de leur laisser, en les édulcorant simplement, leur goût nau- séeux, je les ai fait aromatiser avec l’eau de fleurs d’oranger, de menthe, de cannelle, et je les ai administrées par cuillerées, distancées d’intervalles d’autant plus longs que l’estomac était plus disposé à les rejeter; j’ai obtenu ainsi une tolérance qui, loin de nuire à l’effet du remède, le rendait au contraire plus assuré. La raison en est si simple qu’il est à peine besoin d’y insister : ce n’est pas l’ipéca qui fait vomir et qui est vomi, qui modifie le plus la dyssenterie, c’est celui qui est absorbé. Maintenant est-il vrai que les premières doses d’ipéca augmentent le nombre des selles, et que celle purgation, car c’en serait une, avance et prépare la guérison ? Il est positif que fort souvent, comme je l'ai reconnu plus haut, l’ipéca augmente le nombre des évacuations alvines. D’abord je nie formellement, et je crois y être autorisé par les expériences relatées dans la première partie de ce travail, que cela soit attribuable à l’action topique des solu- tions d’ipéca. Mais comme je l’ai dit aussi, les selles n’augmentent pas tou- jours, leur nombre peut rester le même ; enfin, parfois elles commencent immédiatement à diminuer ; or loin que ce dernier effet soit défavorable, il signale une amélioration. L’action purgative de l’ipéca dans la dyssenterie n’a donc rien de constant, rien d’où l’on puisse induire un jugement quel- conque pour ou contre le résultat de la médication. Ce n’est point sur les changements survenus dans la quantité des déjections, mais sur ceux qui se manifestent quant leur nature, qu’il faut éveiller l’attention. En effet, le résultat le plus remarquable de l’action thérapeutique de l’ipéca, quand elle se produit, car on ne guérit pas toujours, c’est de changer de la manière la plus frappante le caractère des déjections dyssentériques. Ainsi étaient-elles, comme on le voit dans les formes les plus graves, composées de mucus sanguinolent, de sang pur, de pus, de détritus sa- nieux, etc., elles deviendront séro-bilieuses, d'abord plusou moins liquides, puis pultacées, mieux liées et de plus en plus consistantes à mesure que l’action médicatrice du médicament se prononçant, la maladie confinera au retour des fonctions normales de l’intestin. Les symptômes morbides ne sont-ils que suspendus, et non définitive- ment enrayés, si l’on cesse l’administration du médicament, les déjections reparaissent avec leurs premiers caractères, pour les perdre encore si l’on reprend l’ipéca. Quand ces modifications importantes ont été obtenues d’une manière durable, alors le nombre des selles diminue généralement en pro- 22 portion. Tous ces effets médicamenteux sont en rapport avec l’action dy- namique du médicament absorbé, son action topique est hors de compte, elle n’a pas plus été irritante substitutive qu’astringente ; elle est nulle. L’avantage de la méthode brésilienne est de tempérer l’action puissante de l’ipéca en la prolongeant par des infusions de plus en plus affaiblies, et non de combiner des propriétés vomitives, purgatives et astringentes. L’idée de propriétés astringentes attribuées à celte substance a été déduite d’une manière complètement fausse d’envisager les résultats üela médication; si elle épaissit ou supprime les déjections alvines, ce n’es int qu’une action astrictive ait été exercée sur la muqueuse intestinale; il est impossible de le prouver, il serait inconséquent de le soutenir. X. J’ai substitué, dans plusieurs circonstances, aux infusions, les décoctions d’ipéca, et après avoir expérimenté comparativement les avantages des deux méthodes, je n’ai pas tardé à reconnaître, qu’à dose égale d’ipéca, les décoctions ont une action plus énergique que les infusions, et qu’elles méritent la préférence dans les cas où il faut agir avec force et promp- titude. La décoction, en effet, épuise l’ipéca de tous ses principes solubles, et notamment de l’émétine ; pour la préparer, on fait bouillir pendant dix à quinze minutes 300 à ùOO grammes d’eau ordinaire sur la dose d’ipéca que l’on veut employer; on laisse refroidir, on filtre et l’on rejette toutes les particules insolubles; on obtient une liqueur beaucoup plus colorée que la première infusion à la brésilienne, et qui précipite plus abondamment encore par la noix de galle ou le tannin ; on édulcore et l’on aromalise comme il a été dit précédemment. Je liens beaucoup à n’employer l’ipéca que dissous dans une grande quantité d’eau, et les potions que je prescris contiennent toujours de 250 à 300 grammes d’eau, et 30 à ùO grammes de sirop, pour une dose d’ipéca que je porte à 1, 2, 3 ou h grammes au plus. Plus l’ipéca est étendu, moins il irrite l’estomac, moins il fait vomir, mieux enfin il est toléré de toute ma- nière. Or, comme la tolérance n’en est point toujours facile à obtenir d’emblée, il m’arrive très-souvent d’ajouter 10, 20, 30 grammes de sirop d’opium. L’adjonction de l’opium favorise notablement la tolérance, et dans la dyssenterie, j’hésite d’autant moins à y recourir, que ce médicament influe par lui-même très-heureusement sur la maladie. Mais comme on ne saurait méconnaître qu’il nuit au développement complet des propriétés des 23 hyposthénisants, je l’emploie à la plus petite dose possible, et seulement tant que la tolérance n'est pas établie, dans les cas tels que ceux de pneu- monies aiguës, où il faut laisser à l’ipéca toute l’intensité de son action dé- primante. Je considère aussi comme très-important d’aromatiser les potions d’ipéca ; en leur ôtant leur goût nauséeux, on prend contre le vomissement des ga- ranties plus certaines qu’on ne pourrait le croire. J’en pourrais dire autant des potions slibiées ; et depuis que je fais aromatiser les unes et les autres, je les vois tolérées avec plus de facilité, et j’ai bien moins souvent besoin de recourir à l’opium pour obtenir ce résultat. Laennec avait donné ce bon conseil, que l’on a trop oublié. Enfin, je ne crois pas qu’il soit aussi important qu’on l’a prétendu de n'employer que de l’ipéca récemment pulvérisé. Sans doute une poudre très-ancienne, altérée par une longue exposition à l’air, à l’humidité, de- vrait être rejetée; mais celle qui,quoique préparée depuis longtemps, a été conservée en lieu sec dans un flacon bien fermé, m’a paru aussi efficace que la plus récemment préparée. J’ai vu, cependant, des médecins qui at- tachaient un si grand intérêt à l’emploi exclusif des préparations récentes de celte substance, qu’ils préféraient à la poudre la plus fraîche, pour l’in- fusion ou la décoction, la racine concassée au moment du besoin. J’ai es- sayé comparativement la racine concassée et la poudre, et loin de trouver plus d’activité dans la première, il m’a semblé que la seconde, plus facile- ment attaquée par l’eau et lui livrant plus intégralement ses principes solu- bles, jouissait à la même dose d’une activité supérieure. Je ne crois donc point à l’altérabilité prompte et facile de l’ipéca, d’autant moins que l’émé- tine, que je considère comme le principe dans lequel sont condensées les propriétés capitales de l’ipéca, est elle-même susceptible de se conserver longtemps sans altération. XI. Parmi les formules antidyssenlériques si variées dans lesquelles on a fait entrer l’ipéca, je dois signaler la masse pilulaire que notre savant et regret- table collègue, le docteur Segond, préconisa à la Guyane française. Il fut le premier à repousser toute prétention de priorité, et en livrant à la publicité la formule qu’il avait souvent employée avec succès contre la dyssenlerie, il eut la bonne foi de prévenir qu’il l’avait empruntée aux médecins de la colonie anglaise de Démérary ; mais l’ardeur qu’il mit à la proclamer, et la réputation acquise dès ce moment à son mode de traitement de la dyssen- 24 terie, firent donner à ses pilules, par les médecins français de Cayenne, le nom de pilules de Segond, que M. Bouchardat a consacré dans son for- mulaire. Ce n’est donc pas sans un certain étonnement que nous avons vu, depuis quelques années, désigner sous le nom de pilules de MM. Monard frères, une formule identiquement pareille à celle que Segond, bien anté- rieurement à MM. Monard, médecins de l’Algérie, avait popularisée dans nos colonies et dans nos hôpitaux maritimes. On comprend, du reste, que l’idée soit venue, en présence de dyssenteries nombreuses et graves, d’as- socier trois des modificateurs les plus puissants des lésions de l’intestin, l’ipéca, le calomel et l’opium ; aussi, je tiens pour certain que les honora- bles médecins qui viennent d’être cités n’avaient point connaissance des travaux de Segond sur le même objet. Mais maintenant, que le fait d’anté- riorité est bien établi, il est de toute justice de conserver à la formule le nom d’un collègue que la mort nous a trop tôt enlevé, et que nul ne vou- drait dépouiller sciemment de ses modestes titres scientifiques. Voici la formule des pilules de Segond, qui, d’ailleurs, dans l’esprit de son auteur n’était pas inflexible, car, suivant les indications, il modifiait la proportion relative de ses trois éléments : Ipécacuanha en poudre. ... 40 centigrammes. Calomel à la vapeur 20 — Extrait aqueux d’opium ... 5 — Sirop de Nerprun q. s. Pour 6 pilules. Ces pilules sont loin d’être un spécifique, je les crois même, en thèse générale, inférieures à l’ipéca à la brésilienne, que Segond employait aussi beaucoup ; mais on trouvera souvent l’occasion de les placer avec avantage, tant dans la forme aiguë que dans la forme chronique de la dys- sen terie. XII. Si l’ipéca n’est pas un spécifique de la dyssenterie, il est sans contredit un des médicaments qui ont le plus d’action sur elle. Dans la dyssenterie sporadique, ou dans les petites épidémies de cette maladie que j’ai eu occa- sion d’observer en France, j’ai eu à m’en louer avec une telle constance, que je le place aujourd’hui au premier rang parmi les agents pharmacolo- giques que j’emploie contre les flux diarrhéiques ou dyssenlériques. J’élar- girais outre mesure les dimensions déjà fort étendues de ce travail, en ac- cumulant les observations sur ce sujet ; mais parmi celles que j’ai recueil- 25 iies, j’en choisis une qui donnera une idée de ia manière dont je comprends le traitement par l’ipéca et de l’action thérapeutique de ce précieux médi- cament. Cette observation sera intéressante à un autre titre : au lieu de porter sur un cas de dyssenterie née en France, et de la bénignité, de la curabilité facile de laquelle on pourrait arguer contre la puissance réelle de l’ipéca, elle va nous offrir, ce qui est fort rare, un cas de dyssenterie aiguë venant d’éclater encore à portée de l’influence endémique des Antilles, et arrivant en Europe à peu près vierge de tout traitement sérieux. Obs. — Lagorne, matelot, 24 ans, constitution antérieurement robuste, mais débilitée par une longue station aux Antilles et une dyssenterie contractée à la Guadeloupe il y a cinq mois, et qui en a duré deux ; au départ du bâtiment qui l’a ramené en France, il était complètement rétabli. 11 entre à l’hôpital maritime de Rochefort le 23 avril 1850, atteint d’une dys- senterie aiguë qui s’est déclarée il y a vingt jours, dix après le départ des An- tilles. Il accuse actuellement une quinzaine de selles par jour, formées de ma- tières muqueuses et de sang; coliques très-vives, ténesme, pouls fébrile; épi- gastre indolore, langue nette. 24, matin. 12 selles dans les précédentes vingt-quatre heures; mêmes symp- tômes que ci-dessus. Prescription : Eau de riz gommée, 2 quarts de lavement albumineux; bain de siège ; ipéca, 2 grammes ; première infusion ; diète. 3 heures du soir. Les premières cuillerées de l’infusion, édulcorée et aromati- sée sans opium, ont déterminé des nausées et deux vomissements; la tolérance s’est ensuite établie. Le pouls est un peu moins fréquent que le matin; quatre selles bilieuses qui ne contiennent point de sang; moins de coliques ; moiteur à la peau. 25, matin. Nuit assez bonne ; quatre selles bilieuses avec légères traces de sang; peu de coliques et de fièvre. Prescription : Ut supra ; deuxième infusion d’ipéca. 3 heures du soir. Pouls normal; deux selles dans la journée, avec les mêmes caractères que le matin ; tolérance parfaite de l’ipéca. 26, matin. Dans la nuit, trois selles demi-consistantes, avec quelques stries de sang à la surface; ni fièvre, ni coliques; le malade demande avec instance à manger. Prescription : Eau de riz; quart de lavement albumineux; troisième infusion d’ipéca ; deuxième crème de riz. 3 heures du soir. Deux selies presque moulées, sans trace de sang. 21. Dans la journée, le malade rend deux selles, presque normales; on lui ac- corde deux potages au gluten et deux crèmes de riz; 5 centigrammes d’opium en deux pilules sont prescrits pour le soir. 26 28. Quatre selles séro-bilieuses dans la nuit; quelques coliques; on n’accorde au malade, qui demande toujours à manger, que deux potages au gluten ; une pinte d’infusion de thé. On reprend pendant trois jours l’ipéca à la brésilienne, lequel est toléré, mo- difie les selles et entretient une tendance marquée à la diaphorèse. Dans les premiers jours de mai, il ne reste qu’un peu de diarrhée, sans trace de sang ; un grain d’opium par jour; deux lavements composés de : blanc d’œuf, n° 1, azotate d’argent et chlorure de sodium, de chaque, 0,40 grammes; eau, 300 grammes ; quelques bains de siège vinaigrés, amènent une guérison com- plète vers le 10 mai. Quelques jours plus tard, Lagorne est atteint d’une fièvre intermittente quo- tidienne, promptement arrêtée par le sulfate de quinine, et pendant laquelle la dyssenlerie n’a point reparu. Il sort de l’hôpital le 21 mai. J’ai occasion de le revoir quinze jours plus tard, sa guérison ne s’était point démentie. XIII. Cette observation met parfaitement en relief la succession des traits ca- ractéristiques de l’action de l’ipéca. Au début de la médication, vomissements, état nauséeux que la tolé- rance fait bientôt disparaître. Les douleurs abdominales diminuent d’intensité. Les selles, loin d’être augmentées à la première dose du médicament, diminuent immédiatement de nombre. Le caractère des déjections intestinales change; ces déjections, de mu- coso-sanguinolentes, deviennent liées et bilieuses. Le pouls s’abaisse, de l’agitation fébrile revient promptement au rhylhme normal. La diaphorèse est légère, mais suffisante pour montrer l'influence de l’ipéca sur la transpiration cutanée. Y a-t-il quelque chose dans ce tableau qui annonce l’action d’un agent topique sur la muqueuse intestinale ? Non, cette succession de symptômes thérapeutiques démontre avec évidence une action exercée dans l’intimité des organes, sur le système nerveux et sur le sang, après l’accomplisse- ment préalable d’un travail d’absorption. Je ne sortirai pas de la voie expérimentale et pratique que je me suis tracée dans ce travail, pour disserter longuement sur la nature de l’action dynamique de l’ipéca ; je dois cependant en dire mon opinion. Pour moi, l’ipéca est un hyposthénisant pur, un sédatif (ce dernier 27 terme est plus intelligible et exclut mieux tout préjugé doctrinal), un sé- datif portant particulièrement sur les systèmes nerveux et sanguin ; un al- térant aussi, peut-être, qui introduit dans nos humeurs l’un de ces principes qui, à si petites doses, suscitent des effets si intenses dans l’organisme, l’alcaloïde émétine, principes qui, en tant qu’inassimilables dans leur grou- pement moléculaire actuel, apportent, aussi bien que les altérants miné- raux, des perturbations imprévues dans les opérations vitales, soit physio- logiques et habituelles, soit éventuelles et pathologiques. Ce n’est point un irritant, car nulle part il n’éveille un point d’irritation appréciable, et il apaise l’éréthisme nerveux; ce n’est point un stimulant, un tonique, car la fièvre tombe, car partout il déprime; ni un astringent, car il n’a aucune ac- tion coercitive sur les principes albumineux des tissus ou des humeurs ; altérant sédatif, ce double mol rend assez bien ma pensée, il combat l’élé- ment phlegmasique, l’élément névropathique, dénature les opérations pa- thologiques en rendant leur norme aux fonctions de l’intestin ; tout cela, il est vrai, par un mode inconnu, dont le fait seul étant constaté, nous ne cherchons pas à pénétrer l’essence. Les symptômes inflammatoires qui entourent la dyssenterie à son début, la lésion phlegmasique localisée dans le gros intestin, incitent le médecin à attaquer la maladie par la médication antiphlogistique ; et comme dans l’ar- senal de cette médication, les armes les plus usuelles sont les émissions sanguines, on en fait d’abord avec plus ou moins de discrétion l’épreuve. Mais ici l’abus a été excessif, et si les saignées générales et locales peuvent être utiles dans la dyssenterie, il ne faut pas franchir les bornes d’indica- tions très-délicates ; il faut savoir, par exemple, que tous les dyssentéri- ques, comme tous les individus atteints de phlegmasies abdominales, sup- portent mal la saignée, ce qui ne veut pas dire qu’on ne doit pas leur en faire, mais bien qu’on ne doit en user à leur égard qu’avec circonspection, tandis que l’on peut tirer d’énormes quantités de sang, dans les phlegmasies thoraciques aiguës, aux individus les plus débiles en apparence, les plus robustes, atleints de phlegmasies abdominales, semblent incessamment sous le coup d’une complication typhoïde que les pertes de sang peuvent faire éclater. Quel parti preudre, cependant, en présence d’un état inflam- matoire qui saute aux yeux ? Eh bien I c’est précisément pour s’ôter à soi- même l’envie d’insister sur la saignée, ou pour remplacer les émissions sanguines, générales et locales, quand on ne peut plus y avoir recours, que l’on doit songer à certains médicaments hyposlhénisants, qui dépriment à leur manière, autrement et moins dangereusement, dans l’espèce, que la 28 saignée, qui en outre semblent attaquer plus profondément qu’elle l’état organo-pathologique actuel ; et voilà pourquoi quelques-uns d’entre eux, comme les mercuriaux, comme les purgatifs salins et résineux même, comme l’ipéca enfin, triomphent entre les mains de ceux qui n’ont pas peur de s’en servir et qui savent les manier. Dans la dyssenlerie, l’ipéca répond donc à la double indication de conti- nuer la sédation commencée par les émissions sanguines, mais avec moins d’inconvénients, et de modifier plus intimement la lésion de sécrétion de l’intestin. Le transport de fluides qui s’effectue vers la peau sous l’influence de ce médicament, ne doit pas être non plus sans importance ; en effet, il arrive le plus souvent que dans les phlegmasies abdominales les sécrétions cutanées diminuent, et rien n’est plus habituel dans leur état aigu que d’ob- server la chaleur âcre et sèche de la peau ; chez les sujets affectés de dys- senterie chronique, j’ai maintes fois été frappé de la rudesse et de la séche- resse parcheminée du tégument externe. Toute tendance à la diaphorèse se présente alors comme une crise favorable, et sous ce rapport, l’action se- condaire de l’ipéca mérite d’être prise en considération. XIV. Sans croire aux spécifiques, on ne peut s’empêcher de reconnaître que certains médicaments sont mieux appropriés que d’autres qui paraissent leurs analogues à des états pathologiques donnés. L’antimoine, par exem- ple, s’adapte parfaitement aux états pathologiques des organes respira- toires. J’ai cru aussi que l’ipéca avait une efficacité spéciale contre les phleg- masies abdominales, qu’il leur convenait mieux que d’autres remèdes hy- posthénisants, et en comptant surtout les succès qui ont couronné son emploi dans les dyssenteries et les métro-péritonites ou phlébites-puer- pérales, je me demandais s’il ne serait pas un hyposthéuisant abdominal par excellence. J’ai attaqué moi-même le côté spéculatif de ces idées en essayant l’ipéca à hautes doses, en dehors du cercle des inflammations de l’abdomen, et je n’ai pas tardé à me convaincre que partout où il sera administré ainsi, il introduira dans l’organisme une hyposthénisation dont on pourra faire bé- néficier les états pathologiques si nombreux qui réclament les médications sédatives et altérantes. Je vais apporter en preuve, dans la troisième partie de ce mémoire, mes essais sur le traitement des inflammations aiguës des organes respiratoires par l’ipéca à hautes doses. 29 TROISIEME PARTIE. ACTION DYNAMIQUE DE L’iPÉCA ; DE SON EMPLOI DANS LE TRAITEMENT DES MALADIES DES ORGANES RESPIRATOIRES EN GÉNÉRAL, ET DANS LA PLEURO- PNEUMONIE EN PARTICULIER. XV. Tous les thérapeutistes ont reconnu l’action que l’ipéca exerce sur les organes respiratoires; aussi l’ont-ils recommandé dans le traitement des maladies de ces organes, soit à dose vomitive, soit à doses petites et réfrac- tées, de manière à provoquer tout au plus quelques nausées, et à le faire, en définitive, tolérer par l’économie. Mais cette action n’a pas été générale- ment interprétée à un point de vue rationnel ; ainsi on l’a considérée comme expectorante, s’en tenant à l'apparence des choses, ou comme tonique et stimulante, par suite de préjugés théoriques démentis par l’étude sérieuse des symptômes de la maladie et des phénomènes de la médication. C’est particulièrement contre le catarrhe pulmonaire chronique, l’asthme sec ou humide, le croup, la coqueluche, que l’on a préconisé l’ipéca, sous la pré- vention d'exciter la muqueuse broncho-pulmonaire pour favoriser l’expec- toration critique des mucosités catarrhales ou des pseudo-membranes. Mais si l’ipéca était un stimulant, il s’accommoderait mal avec les affections de l’appareil respiratoire, et bien plus mal encore avec leurs formes aiguës qu’avec leurs formes chroniques; et cependant il est aussi efficace contre les unes que contre les autres. C’est que loin d’être un médicament à double face, agissant différemment sur l’appareil digestif et sur l’appareil respiratoire, il a une longue et uniforme portée hyposthénisante, sédative, sur tout l’organisme ; et conséquemment si, dans les bronchites ou ca- tarrhes aigus ou chroniques, dans les diphtérites du tube aérifère, dans les asthmes, dans la coqueluche et dans toutes les variétés de névroses respi- ratoires, il modifie les muqueuses et favorise l’expectoration, c’est qu’il pro- jette la sédation sur l’état phlegmasique et sur Pérétisme nerveux d’où jaillissent toutes ces souffrances; et si les produits pathologiques ont changé de nature et sont livrés à une expectoration plus facile, c’est que l’action altérante du médicamenta modifié les conditions de leur génération, et que l’inflammation et le spasme étant vaincus, rien ne s’oppose dé=ormais à ce que les forces vitales, en réagissant sur ces produits, mucus plus ou moins 30 viciés et plus ou moins concrets, n’en débarrassent l’économie. Voir dans ces actes pharmacodynamiques des faits de tonicité et de stimulation, ou des actions spécifiques telles que l’excitation d’une fonction donnée, l’expec- toration, c’est prendre l’effet pour la cause; car le médicament débilite l’organisme dans son actualité pathologique, en apaisant les éléments in- flammation et spasme, voilà la cause ; et l’organisme rendu ultérieurement à ses forces normales, recouvre l’état tonique, la propriété de stimulation, attributs de son état physiologique, voilà l’effet. Je souscris donc, mais seulement dans des idées différentes de celles qui sont professées par un grand nombre, à la généralisation de l’emploi de l'ipéca contre les maladies des organes respiratoires, persuadé que la thé- rapeutique a de beaux succès à en attendre. Or, quoique cet emploi ne soit pas nouveau dans le traitement de la pneumonie, et qu’à Montpellier (1), par exemple, il y ait été mis de longue date en usage, il ne sera peut-être pas sans intérêt de faire connaître les essais que j’ai entrepris pour appré- cier la valeur de ce mode de traitement. Ces essais ont été tellement encou- rageants que je ne dois point différer davantage à les publier, en les sou- mettant d'abord au jugement de l’Académie. Je commencerai par rapporter les observations cliniques (2) qui servent de base à cette partie de mon travail. Obs. I. — Dupuis, matelot du commerce, 23 ans, bonne constitution, malade depuis cinq jours, entre à l’hôpital le 30 octobre 1850, le soir. — Fièvre, toux fréquente, crachats rouillés, douleurs, matité, souille bronchique à la partie la- térale droite inférieure du thorax. Eau gommée; deux loochs kermétisés, 0,15; trois ventouses scarifiées loco dolenti. 31 octobre, le matin. Peau chaude, pouls à 96, crachats sanglants; langue sèche, soif vive; trois selles liquides depuis la veille. Eau gommée; deux loochs; potion avec gr. 2,50 d’ipéca, sirop d’opiumS. Saignée de 500 grammes. Trois heures du soir. Moiteur, pouls à 80, moins de douleur de côté et de (1) C’est l’excellent article inséré dans la Gazette médicale de Montpellier, 15 septembre 1850 : Emploi de l’jpécacuanha a haute dose dans le traitement de la pneumonie, par M. Broussonnet, compterendu par M. Ressiguier, qui m’a déterminé à entreprendre des essais dont j’avais depuis longtemps conçu la pensée. (2) Recueillies dans mon service à l’hôpital maritime de Rochefort. 31 toux ; pas de selles, de coliques, ni de nausées. Deux ventouses scarifiées sont appliquées au point douloureux. Huit heures du soir. Pouls à 60, pas de sang dans les crachats, moiteur per- sistante. 1er novembre, le matin. Un peu de sommeil dans la nuit et transpiration abondante; crachats moins visqueux et incolores; pouls à 64; constipation, re- tour du râle crépitant en arrière, diminution de la matité. Potion ut suprà. Trois heures du soir. Les crachats sont redevenus rouillés; pouls à 70, peau chaude, moins humide que le matin. Saignée de 400 grammes. 2, le matin. Sommeil pendant la nuit; pouls à 70, température normale de la peau; crachats bronchiques, sans traces de sang ; peu de toux, pas de douleur de côté. Potion ut suprà. Un bouillon. Trois heures du soir. L’amélioration se soutient toute la journée. 3, le matin. Pouls à 64, peu de toux, crachats bronchiques; le souffle bron- chique a presque complètement disparu ; le râle crépitant devient de plus eu plus humide. Potion à 2 grammes d’ipéca. Deux soupes. 4 et 5. Le mieux continue. L’ipéca n’est prescrit qu’à un gramme. 6. La respiration est libre, le pouls normal ; le râle crépitant a passé au sous- crépitant; toute matité a disparu en avant, mais en arrière submatité, avec persistance d’un léger souffle bronchique. Un vésicatoire volant est appliqué en cet endroit. Une légère irritation gastro-intestinale qui existait au début n’a eu aucune suite; la diarrhée n’était peut être que la suite de l’administration du kermès le jour de l’entrée. Une alimentation déplus en plus consistante est prescrite depuis le 6 novembre. On continue pendant quatre jours l’ipéca à la dose de 0,25 deux fois par jour dans un looch. Le malade sort le 11 novembre, guéri. PLEÜR0PNEUM0N1E AVEC COMPLICATION «'ÉTAT BILIEUX DES VOIX DIGESTIVES. Obs. II. — Desbrousses, 26 ans, soldat au 75'régiment de ligne, bonne consti- tution, a été atteint en septembre et octobre 1850 de fièvre intermittente, rentre à l’hôpital le 10 décembre, se dit enrhumé depuis dix jours et présente l’état sui- vant : Douleur vive à l’épigastre, nausées, quelques vomissements bilieux, bouche amère, soif vive, langue rouge à son limbe, couverte d’un enduit grisâtre; selles normales, peau chaude et sèche, pouls fréquent et serré, toux fréquente, cra- 32 chats visqueux, légèrement rouilles; matité à la base du poumon droit, avec absence de bruits respiratoires; pleurodynie assez vive. Eau gommée; douze sangsues sur l’épigastre; saignée de 400 grammes; deux loochs avec kermès, 0,20. Même état toute la journée du 10. 11. le matin. Un peu de douleur à l’épigastre, langue plus nette, douleur de côté plus forte, crachats rouillés, pouls plus fréquent. Quinze sangsues à la base du poumon droit ; saignée de 300 grammes ; looch ut suprà. Dans la journée, la douleur épigastrique disparaît; peu d’amendement dans les symptômes de la pneumonie. 12. le malin. Insomnie, toux fréquente, crachats rouillés rares, expectoration difficile, pouls fréquent, peau chaude et sèche ; la douleur de côté est très-forte. Eau gommée, deux loochs simples, potion avec 2 grammes d’ipéca. Trois heures du soir. Plus de douleur à l’épigastre; l’ipéca a été facilement toléré ; la douleur de côté est beaucoup moins vive, la respiration plus libre, l’expectoration rare et toujours difficile, le pouls plus souple et moins fréquent, la peau moins sèche. 13. La nuit a été meilleure; l’amélioration est encore plus p'ononcée que la veille ; moins de toux, l’expectoration est plus aisée, quelques crachats ne con- tiennent pas de sang. Même prescription que la veille. 14. Insomnie et toux fréquente, mais les crachats quoique visqueux sont en- tièrement blancs ; la fièvre persiste ; un peu de moiteur à la peau ; l’épanchement pleurétique a augmenté depuis deux jours ; la matité envahit presque tout le côté droit du thorax; absence de bruits dans ce côté. Potion d’ipéca à 2 grammes, large vésicatoire sur le côté droit de la poitrine. 15. Mieux ; la douleur de côté a presque disparu ; crachats bronchiques, moins de fièvre, quelques vomissements bilieux provoqués par la potion, tous les sym- ptômes gastriques ayant disparu ; moiteur à la peau. L’ipéca est baissé à 1,50, et 8 gr. de sirop d’opium sont ajoutés à la potion. La tolérance se rétablit. IG. Le mieux continue; l’expectoration est entièrement bronchique et s’effec- tue aisément; pouls presque normal, peau haliteuse; la matité a beaucoup di- minué d’étendue. Même potion que la veille. Dans la journée de nouveaux vomissements sur- viennent. On suspend l’ipéca. Deux bouillons. 17,18 et 19. Amélioration progressive. On prescrit simplement de l’eau gom- mée et deux loochs. On accorde deux soupes. A paitir du 20 la convalescence est établie; plus de toux ni de fièvre, etc.; la matité disparaît rapidement dans le côté et les bruits normaux reviennent. 33 Le malade, entièrement guéri et ayant recouvré toutes ses forces, sort de l’iiôpital le C janvier 1861. Obs. III. Tillet, 25 ans, bonne constitution, soldat au 76* régiment de ligne, malade depuis huit jours, entre à l’hôpital le 12 décembre 18L0, le matin. Fièvre, toux fréquente, crachats rouillés, douleur de côté à droite, matité et souffle bronchique dans le tiers inférieur du poumon droit. Trois ventouses scarifiées loco dolenti, saignée de 500 grammes, deux loochs. t3. Nuit mauvaise, fièvre, anxiété ; la douleur de côté a augmenté ; toux fré- quente, crachats visqueux et sanglants. Potion avec 3 gr. d’ipéca, 8 de sirop d’opium. Un peu d’amé ioration dans la soirée. La potion n’a déterminé que quelques vomissements au début; le pouls est plus souple et moins fréquent; tendance prononcée à la sueur. 14. Pendant la nuit en peu de sommeil et sueurs abondantes qui continuent le matin ; pouls encore fréquent, mais mou ; la douleur de côté a presque dispa- ru ; expectoration moins abondante et moins rouillée; nausées légères, souffle bronchique moins fort, quelques bulles de râle crépitant. Potion d’ipéca à 2,50 avec 8 sirop d’opium ; deux loochs. Trois heures du soir. Le pouls est plus vif que le matin, il y a, du reste, depuis l’entrée, des redoublements fébriles très-marqués vers le soir, et la sueur est plus abondante la nuit et le matin que dans le reste du jour. Une douleur pleurody- nique assez vive s’est déclarée au-dessus du sein droit; pas de matité ni de frottemeut pleura! en cet endroit, seulement respiration puérile et un peu de tàle sibilant; la toux a augmenté, quoique le sang ait beaucoup diminué dans les crachats. Saignée de 600 grammes. À huit heures du soir le malade accuse une faiblesse générale, avec brisement dans les membres; pouls moins accéléré, petit, mou; sueurs très-abondantes sans élévation de chaleur à la peau ; la toux et la pleurodymie ont diminué. 15, le matin. Les sueurs continuent, moins de fièvre, la pleurodymie persiste. Potion à 2,50 d’ipéca ; deux ventouses scarifiées loco dolenti. Trois heures du soir. Même état que le matin, crachats toujours rouillés, quoi- que légèrement; deux nouvelles ventouses scarifiées au point douloureux. Huit heures du soir. La douleur de côté a cédé, le redoublement fébrile est beaucoup moins fort que les jours précédents. 16. Amélioration dans tous tes symptômes; quelques crachats ne présentent plus de traces de sang. Potion à 2 grammes d’ipéca. Deux bouillons. Le !7, le mieux continue ; on suspend la potion dont le malade est dégoûté. F.e 18, la toux a aucmenté, ainsi que la fièvre; la respiration est courte et 34 précipitée; le sang qui la veille avait disparu des crachats y reparaît. On reprend l’ipéca à 3 grammes. Le 19, nouvelle amélioration. L’ipéca n’est prescrit qu’à gr. 1,50. Ce jour et le suivant, les crachats deviennent tout à fait bronchiques, la fièvre tombe, râle crépitant de retour. Le malade commence à prendre des aliments. L’ipéca est suspendu le 20. Le 21, convalescence sans accidents jusqu’au 8 janvier 1851, jour auquel le malade sort de l’hôpital. Obs. IV. — Massé, 20 ans, ouvrier charpentier au port, malade depuis cinq jours, a été traité chez lui; on lui a fait une saignée. Il entre à l’hôpital le 15 décembre 1850, présentant les symptômes suivants : toux, aphonie, crachats sanglants, douleur au côté droit inférieur de la poitrine avec submatité et râle crépitant; pouls à 100, peau chaude et moite. 15. le matin. Saignée de 500 grammes ; jquînze sangsues à midi loco dolenti. Potion avec gr. 2,50 d’ipéca, 8 sirop d’opium. Dans la soirée, amélioration. 16. le matin. Insomnie, aphonie moins complète, moins de toux et de sang dans les crachats, moins de fréquence dans le pouls et la douleur de côté a dimi- nué ; la moiteur continue. Saignée de 400 grammes ; potion à 3 grammes d’ipéca. Trois heures du soir. Pouls moins fréquent, plus de douleur de côté, peu d’ex- pectoration, crachats moins rouillés, moiteur. 17. Amélioration sensible, plus d’aphonie, pouls presque normal, peu de toux, quelques crachats légèrement rouillés, moiteur constante. Potion à gr. 2,50 d’ipéca. 18. Plus de fièvre, la matité a disparu, râle sous-crépitant fin, expectoration bronchique sans traces de sang. 19. Le mieux se soutient ; l’ipéca est suspendu. Constipation depuis quatre jour ; un lavement mélassé amène une selle. 20. Convalescence que rien n’entrave jusqu’au 8 janvier 1851, jour de sa sortie de l’hôpital. Obs. V. — Guittard, 18 ans, matelot aux équipages de ligne, entre à l’hôpital le 20 décembre 1850, atteint d'une bronchite apyrétique, seule maladie dont il ait offert les symptômes jusqu’au 31 décembre. Le 31, à la visite du soir, il présente les symptômes suivants : face vultueuse, pouls plein et fréquent ; toux douloureuse, expectoration difficile de crachats sanguinolents ; douleur vive au côté gauche inférieur de la poitrine, avec un peu de matité ; frottement pleural en avant, râle crépitant en arrière. Saignée du bras de 500 grammes. Le 1" janvier, le matin, même état que la veille au soir sans rémission. 35 Saignée de 600 grammes; potion à 2 grammes d’ipéca. Trois heures du soir. Peu d’amendement ; la respiration est haute et anxieuse ; seulement les crachats sont moins colorés. La potion a beaucoup de peine à être tolérée ; on y ajoute 8 gr. de sirop d’opium. Trois ventouses scarifiées sur le point pleurétique. 2. Le pouls est encore dur et fréquent; les crachats sont rouillés, la douleur de côté est moindre; la matité a augmenté au point douloureux; râle crépitant plus obscur, léger souffle bronchique. Dans la nuit, deux vomissements, deux selles diarrhéiques, une petite épistaxis. Potion d’ipéca opiacée ut suprà. Saignée de 500 grammes. 3 heures du soir. La potion ne peut être tolérée, on la suspend. Deux ven- touses scarifiées au point douloureux. A huit heures du soir, diminution sensible du point de côté, quelques crachats purement muqueux. 3. matin. Un peu de mieux, moins de fréquence et de développement dans le pouls, les crachats sont redevenus rouillés. Douze sangsues au côté; on reprend la potion suspendue la veille. 3 heures du soir. L’amélioration a fait des progrès; la douleur de côté dispa- raît ; la potion est tolérée. 4. matin. Point de changement depuis la veille, toujours du sang dans les cra- chats; persistance des bruits anormaux dans le poumon malade; pouls constam- ment un peu fébrile. Potion ut suprà. Saignée de 500 grammes. 5. Le pouls a perdu sa fréquence et sa dureté; traces de sang à peine sensibles dans les produits moins visqueux de l’expectoration ; vers le soir, transpiration abondante. Potion à gramme, 1,50 d’ipéca ; deux bouillons. 6. Nuit bonne, point de fièvre, crachats bronchiques assez rares; râle crépi- tant humide, respiration libre et facile. On suspend l’ipéca ; deux soupes. Le 7, le malade commence à prendre de légers aliments; convalescence qui, les jours suivants, se confirme. Le 13 janvier, Guittard demande à sortir de l’hôpital, conservant encore du râle sous-crépilant dans le poumon gauche, mais du reste dans un état de santé très-satisfaisant. Obs. VI. — Souchet, agent des chiourmcs, a été atteint plusieurs fois de fièvre intermittente, entre à l’hôpital le 20 décembre 1850, dans l’après-midi, malade depuis le matin ; face vultueuse, céphalalgie, peau chaude, pouls large et fré- quent, toux, crachats visqueux et rouillés, douleur vive au côté droit de la poi- trine, tiers inférieur, râle crépitant; la matité ne dépassant pas les limifes nor- males du foie, ne peut être prise en considération. 36 Eau gommée ; saignée de 600 grammes ; looeh simple. 21, matin. Le malade a peu dormi, beaucoup toussé; très-peu de crachats qui n’ont point été recueillis; pouls à 110, douleur de côté un peu moins vive ; bou- che amère, langue saburrale, quelques vomituritions au bout des quintes de toux. Deux ventouses scarifiées loco dolenti; deux loochs ; potion à 3 grammes d’i- péca, avec sirop d’opium 10 grammes. 3 heures du soir. Un peu de mieux ; pouls à 100, très-peu de crachats visqueux, sans trace de sang ; toux toujours fréquente; moiteur; quelques nausées, sans vomissements, produites par l’ipéca. 22, matin. Un peu de sommeil pendant la nuit ; pouls à 08 ; moins de toux, crachats rares, légèrement rouilles ; très-peu de douleur au côté. Tolérance par- faite de la potion. Potion d’ipéca, à grammes 2,60 ; vésicatoire au point douloureux. 3 heures du soir. Pouls à 62 ; épistaxis dans la journée ; langue nette. Deux loochs. 23, matin. Un peu de sommeil dans la nuit. Le matin, céphalalgie, toux, cra- chats bronchiques ; la douleur de côté n’est sensible que dans les fortes inspira- tions ; persistance du râle crépitant; pouls à 08. 3 heures du soir. Pouls à 64, quelques nausées. Potion ut suprà. 24, La toux a diminué, le pouls est à 68 ; l’ipéca est prescrit seulement à 2 grammes; on accorde deux bouillons au malade. A trois heures du soir, le pouls est à 76 ; l’ipéca provoque des nausées. 26. Le pouls s’est élevé à 100 ; il est survenu un peu de diarrhée ; les nausées auparavant avaient cessé, et toute la potion de la veille avait été consommée. On suspend l’ipéca, craignant d’avoir à imputer à ce médicament une irritation gas- tro-intestinale, cause du retour de l’état fébrile et de la diarrhée. Le 26, le pouls étant toujours aussi vif et aussi fréquent que la veille ; les cra- chats redeviennent rouilles, le râle crépitaut durant toujours; il n’y avait donc là que persistance ou recrudescence même de la pleuro-pneumonie, et loin d’a- voir à renoncer à l’ipéca, on crut devoir y revenir. Prescription : Saignée de 500 grammes ; potion d’ipéca à 2 grammes, avec sirop d’opium, 15 grammes, pour en bien assurer la tolérance, ce qui eut lieu. Trois heures du soir. Pouls à 8à ; peau un peu moins chaude et légèrement moite ; crachats à peine rouitlés ; le sang de la saignée est recouvert d’une couche fibrineuse très-épaisse. 27, matin. Pouls à 68, faible; peu de toux, très-peu de sang dans les cra- chats ; à trois heures du soir, expectoration purement bronchique ; râle sous- crépitant. Potion ut suprà. 37 28. Pouls normal ; nuit très-bonne ; crachats bronchique rares; très-peu de toux. La potion est suspendue; deux loochs opiacés; deux soupes. 29. Amélioration soutenue; convalescence; le malade reprend ses forces, et sort dans l’état le plus satisfaisant le 6 janvier 1851. Obs. VII. —Paulin, infirmier, 51 ans, constitution usée, s’enrhume souvent, a eu depuis quatre ans deux pleuro pneumonies et une hémoptysie grave, abuse habituellement des boissons alcooliques. Il entre à l’hôpital le 25 décembre, malade depuis quatre jours, sans traite- ment, et présente les symptômes suivants : pouls fréquent ; peau chaude ; toux ; crachats rouillés; respiration courte ; nulle douleur sur aucun point du thorax; matité et souille bronchique dans la moitié du côté droit ; un peu de diarrhée depuis le début de la maladie. Eau gommée; saignée de 500 grammes ; potion à 2 grammes d’ipéca, 8 de si- rop d’opium. 26, Pouls moins fréquent, un peu moins de sang dans les crachats; la diar- rhée continue; la langue est un peu rouge au limbe. Le soir, le pouls est mou et tend à se ralentir. L’ipéca n’est prescrit qu’à 1,50 pour la journée. 27, matin. Même état; la diarrhée continuant, on suspend l’ipéca et l’on prescrit un quart de lavement laudanisé, 10 gouttes. A trois heures, les crachais sont sanglants, le pouls faible, peu fréquent; un point pleurétique a éclaté sous la clavicule droite. Deux ventouses scarifiées au point douloureux; un large vésicatoire au côté droit du thorax. 3 heures du soir. Pouls lent, peau fraîche, respiration assez régulière, moins de diarrhée depuis le lavement; somnolence. 28, matin. Même état du pouls; la diarrhée augmente, cinq selles dans la nuit ; crachats jus de pruneaux; souffle bronchique et matité dans tout le côté droit. Malgré la diarrhée, pour agir un peu sur le poumon, dont l’état s’aggrave, on prescrit deux loochs kermétisés, 0,25, avec 10 grammes sirop d’opium ; on pro- mène des sinapismes sur les membres inférieurs. 3 heures du soir. Pouls irrégulier, respiration gênée et luctueuse, parole lente et embarrassée. Le 29. dans la nuit et le matin, ces symptômes s’aggravent, le pouls s’éteint, le râle laryngo-trachéal dure (rois ou quaire heures, et le malade meurt à midi. Nécropsie. — L’encéphale n’a pas besoin d’être examiné. Thorax. -- Quelques adhérences pleurales, récenïes et anciennes, à droite ; tout le poumon de ce côlé est envahi par une hépatisation parfaitement carac- 38 térisée, hépatisation grise dans la moitié inférieure, rouge dans la moitié supé- rieure; on recherche avec beaucoup de soin si ce poumon ne contient pas de tubercules; il est impossible d’y en découvrir; celte absence de tubercules n’est pas sans intérêt en la rapprochant de l’hémoptysie survenue trois ans aupara- vant. Le poumon gauche est crépitant, sain, mais gorgé de sang; congestion uni- quement en rapport avec la gêne de la respiration dans les dernières heures de la vie. Le coeur n’oflre rien de particulier. Abdomen. — Le foie, la rate, les reins sont sains. La muqueuse gastrique présente la coloration grisâtre habituelle, sauf vers le grand cul-de-sac, où s’observent quelques marbrures rougeâtres. La muqueuse de l’intestin est saine dans la portion supérieure de l’intestin grêle et dans le gros intestin ; il existe quelques arborisations rouges vers la fin de l’iléon. L’observation 7e est la seule, parmi celles qui sont consignées ici, qui constate un décès. On conviendra peut-être que le sujet offrait peu de chances de guérison, quelle qu’eût été la médication à laquelle on l’aurait soumis. L’ipéca n’a été administré que pendant deux jours, il n’en a été consommé que 3,50 grammes; aucun de nos malades n’en a reçu une si petite quantité. Une diarrhée opiniâtre l’a fait suspendre, afin que le médi- cament ne fût pas accusé d’avoir entretenu cette complication, qu’il n’a- vait pas fait naître, en tout cas, puisqu’elle était préexistante. Je n’ai pas cru devoir attribuer à l’action topique de l’ipéca les marbrures rougeâtres du grand cul-de-sac de l’estomac, parce qu’elles m’ont paru être tant un effet de cadavérisation qu’une lésion fréquente chez les buveurs, d’autant qu’il n’y a eu, pendant le traitement, ni nausées, ni aucun signe d’irrita- tion gastrique; et quant aux signes d’entérite, placés d’ailleurs hors de la portée topique rigoureusement admissible de solutions chargées seulement des principes solubles de l’ipéca, ils s’expliquent parfaitement par les symptômes observés pendant toute la durée de la maladie. L’ipéca a été impuissant, mais il n’a point été nuisible. (Les observations qui précèdent ont été rédigées avec assez de détails pour montrer l’influence de l’ipéca à hautes doses sur les symptômes de la pleuro-pneumonie, et la manière dont j’en ai dirigé l’emploi ; que l’on me permette donc d’abréger un peu mes dernières observations, récits fastidieux et arides quand ils sont trop prolongés, et dont il suffit, en dé- finitive, de faire connaître les bases et les conclusions, quand on a donné 39 des gages de sincérité dans le diagnostic de la maladie et dans l’apprécia- tion du mode de traitement.) Obs. VIII. — Rousseau, soldat au 75» régiment de ligne, malade depuis deux jours, entre à l’hôpital le 29 janvier 1851; on constate une pleuro-pneumonie du poumon droit, tiers inférieur, premier degré. Saignée de 400 grammes ; vingt sangsues au point douloureux. 30. Peu d’amendement; les crachats aussi rouillésque la veille. Potion à 2 grammes d’ipéca. Dès le soir, le sang diminue dans les crachats, le pouls tombe ; sueurs abon- dantes; point de nausées, mais deux selles liquides sans coliques. 31. Le pouls s’est un peu relevé; crachats à peine colorés; douleur de côté très-peu sensible. Continuer la potion. Pas de diarrhée dans la journée. 1er février. Pouls moins fréquent que la veille; crachats visqueux, blancs; pas de douleur de côté. Potion à gramme, 1,60. Amélioration progressive jusqu’au 5; l’ipéca est baissé successivement à l gramme, 0,75, 0,50. Convalescence parfaitement confirmée le 7. Une saignée, une application de sangsues, et l’ipéca dominant la médication, ont suffi pour juguler cette pneu- monie, l’une des moins graves, du reste. L’état de Rousseau inspire toute confiance pendant dix jours; mais le 18 fé- vrier, il est atteint d’une variole maligne qui le fait succomber le quatrième jour. L’autopsie nous montre les poumons parfaitement sains. La pneumonie avait été guérie; ce décès ne doit donc pas figurer dans le nécrologe de l’ipéca. Obs. IX. — Iriart, agent des ebiourmes, 55 ans, constitution usée, atteint de catarrhe pulmonaire chronique-, depuis quatre jours tousse davantage, se plaint de fièvre et de point de côté; il entre à l’hôpital le 10 mars 1851. On y recon- naît une pleuro pneumonie gauche inférieure, à la fin du premier degré, com- mencement d’épanchement; crachats fortement rouillés et abondants. 3 heures du soir. Saignée de 500 grammes. Potion à 2 grammes d’ipéca. 8 heures du soir. Pas d’amendement ; deux ventouses scarifiées loco dolonti. 11, matin. Pouls ralenti à 84 ; crachats muqueux; douleur de côté moindre. Ipéca, grammes 2,50 ; 15 sangsues loco dolenti. 3 heures du soir. Le pouls s’est accéléré; peau chaude, moite. Saignée de 500 grammes. Amélioration dans la soirée. Tolérance de l’ipéca dès le début; constipation depuis deux jours; un lave- ment émollient procure une selle. 40 12, matin. Pouls à 104 ; peau chaude; un point pleurodynique assez vif s’est développé dans l’hypocondre droit, sans frottement pleural ni râle crépitant; ces signes stéthoscopiques persistent à gauche, où l’épanchement n’a pas fait de progrès; râle sous-crépitant dans tout le reste de la poitrine; crachats mu- co-purulents. Potion à 3 grammes d’ipéca ; vésicatoire à droite loco dolenti. 3 heures du soir. Pouls à 116, large et plein ; toux fréquente ; crachats rouil- lés ; les points de côté ont un peu diminué. Saignée de 400 giammes. Amélioration dans la soirée. 13, pendant la nuit. Agitation et délire; le matin, eucore trouble dans les idées ; moiteur; pouls à 90 ; les crachats ne contiennent plus de sang; plus de douleur au côté gauche, encore un peu au côté droit. Tilleul avec eau de fleur d’oranger et acétate d’ammoniaque, 8 grammes; po- tion d’ipéca à 2 grammes; deux loochs avec 4 grammes d’eau de laurier-cerise ; deux vésicatoires aux mollets. 3 heures du soir. Un peu de jactation et de délire dans la journée ; pouls à 106; constipation. Un lavement émollient, une selle. Même état toute la soirée. 14, matin. Nuit mauvaise et agitée, pouls dur et fréquent, expectoration difficile de crachats muco-purulents. Même prescription que la veille, plus une saignée de 400 grammes ; 0,50 d’i- péca ajouté à la potion. 3 heures du soir. Amélioration sensible qui se continue toute la soirée. 15, Le mieux se soutient; la potion d’ipéca est suspendue; l’acétate d’am- moniaque est continué jusqu’au 20 ; les vésicatoires sont successivement sup- primés. Le 21, la convalescence de la pleuro-pneumonie est confirmée, et le malade n’offre plus que les symptômes du catarrhe dont il est affecté depuis longtemps. L’ipéca a été constamment toléré. Obs. X. —Péol, 23 ans, matelot aux équipages de ligne, entre le 10 mars 1851, avec une pleuro-pneumonie latérale gauche inférieure, au deuxième de- gré ; crachats fortement rouilles. Saignée à 500 grammes ; potion à grammes 2,50 d’ipéca. 11. Forte douleur de côié, crachats sanglants, pouls à 104 ; cependant moins d’anxiété et un peu de râle crépitant de retour. Saignée de 500 grammes ; 3 grammes d’ipéca ; 2 loochs laurinés. A midi, même état; trois ventouses scarlliées loco dolenti. 3 heures du soir. Léger amendement dans la douleur de côté. 8 heures du soir. Amélioration sensible; le pouls a diminué de force et de fréquence ; moiteur. 12. matin. Transpiration abondante dans la nuit, moins de sang dans les crachats ; la douleur de côté a presque disparu. L’ipéca est continué à 3 grammes. 3 heures du soir et loute la soirée. Moins de sang dans les crachats, moiteur ou sueur; plus de point de côté, peu de fièvre. 13. matin. La potion est difficilement tolérée ; elle entretient un état nauséeux constant, provoque quelques vomissements: elle répugne au malade, on la sus- pend ; constipation depuis le début de la maladie ; un lavement avec 40 grammes de sulfate de soude procure deux selles abondantes. Dans la journée du 13, le pouls s’élève à 120, la peau devient chaude et sè- che, il y a de l’anxiété ; les crachats sont encore rouillés, une épistaxis survient dans la soirée, la langue est couverte d’un enduit blanchâtre, un peu rouge à son limbe. Tilleul avec 10 grammes d’acétate d’ammoniaque, deux pots ; saignée de 500 grammes ; deux Ioochs laurinés. 14. Encore de l’agitation et de l’anxiété, moins de fréquence dans le pouls, soif vive. Tilleul avec acétate d’ammoniaque, 10 grammes, trois pots; deux Ioochs lau- rinés; potion purgative avec 30 grammes de tartrate de soude. 15. Le purgatif a produit plusieurs selles; peu de sang dans les crachats ; râle crépitant de retour très-abondant; amélioration sensible. On continue l’acétate d’ammoniaque. 16. Plus de sang dans les crachats; le râle crépitant a passé au sous-crépi- tant ; presque plus de toux, pouls à 90, langue saburrale, épistaxis, consti- pation. Acétate d’ammoniaque ut supra ; lavement arec sulfate de soude, 40 gram. 3 heures du soir. La peau, sèche et ehaude depuis quelques jours, est deve- nue moite. 17. Plus de fièvre, langue nette, convalescence; aliments légers jusqu’au 21 mars, où le malade est admis à la demi-portion ; il a dû quitter l’hôpital à la fin du même mois. Obs. XI. — M. N..., 25 ans, constitution faible, très-sujet aux affections de poitrine, atteint, depuis 1847, de six pleuro-pneumonies et d’une hémoptysie grave, entre à l’hôpital le 8 mars 1851, malade depuis la veille, atteint pour la septième fois d’une pleuropneumonie. Midi. Toux fréquente, crachats légèrement rouillés, fièvre, matité au côté gauche du thorax, absence de bruit à la base du poumon, râle crépitant obscur à la partie moyenne, plus sensible en arrière; point pleurétique. Saignée de 500 grammes ; potion d'ipéca à 2 grammes. 3 heures. 15 sangsues locn clolenti. 41 42 8 heures du soir. Même état ; nausées et vomissements aux premières cuille- rées de la potion, qui a été ensuite tolérée. 9 mars, matin. Crachats visqueux fortement rouillés, pouls fréquent et con- centré, prostration. Saignée de 400 grammes ; potion ut suprà. 3 heures du soir. Un peu de mieux ; pouls peu développé, moins fréquent, moiteur; le sang a disparu des crachats ; constipation. Un lavement mélassé sans résultat. 10 mars, matin. Le pouls s’est relevé, vibrant, à 126 ; crachats légèrement rouillés ; moins de matité; râle crépitant très-abondant dans les deux tiers in- férieurs du poumon gauche. Potion ut suprà, lavement mélassé avec 20 grammes de sulfate de sgude, qui procure une selle. 3 heures du soir. Même état; crachats encore plus rouillés. Saignée de 500 grammes. 11, matin. Nuit agitée, pouls à 116, crachats moins colorés que la veille; le point de côté est toujours sensible. Potion, à grammes 2,50 d’ipéca, 8 gram. d’eau de laurier-cerise dans chacun des deux loochs ; trois ventouses scarifiées loco dolenti. 3 heures du soir. La douleur de côté continue, pouls fréquent, un peu d’anxiété, la respiration est plus gênée que le matin. Saignée de 500 grammes; vésicatoires au point douloureux. 12, matin. Nuit meilleure; pouls à 104, plus souple, plus large; constipation; peu de toux et de sang dans les crachats. Potion ut suprà; lavement avec 30 grammes de sulfate de soude ; deux selles après. 13, matin. Pouls à 110 ; nuit calme, sommeil, peu de sang dans les crachats; amélioration sensible; le soir, même état. Deux loochs et potion ut suprà. 14. Un peu de délire dans la nuit, grande faiblesse; le malade se découvre continuellement, pouls fréquent, serré ; crachats encore rouillés. Même prescription que la veille, plus deux vésicatoires volants aux cuisses. 15. Nuit meilleure, nouvelle amélioration, crachats à peine colorés. Potion à 2 grammes d’ipéca, un bouillon. 16. Pouls presque normal, expectoration bronchique; la matité est peu con- sidérable au côté où il n’y a plus de douleur; le râle crépitant est en partie remplacé par le sous-crépitant ; l’amélioration progresse jusqu’au 20; l’ipéca est prescrit une fois encore à gramme 1,50 puis suspendu, et remplacé peu- dant quelques jours par des loochs faiblement kermétisés. Le 20 mars, la convalescence est très-bien établie, et le 25, M. N... allant de mieux en mieux, se disposait à quitter l’hôpital, quand je cessai de le voir pour cause de départ. 43 XVII. Sur les onze cas de pneumonie qui viennent d’être rapportés, il n’y a eu qu’un décès ; mes expériences sans doute n’ont pas encore porté sur un assez grand nombre de faits pour que l’on puisse chiffrer la valeur de l’ipéca appliqué au traitement de cette phlegmasie ; mais si restreinte qu’elle soit, cette statistique constate des résultats trop satisfaisants pour ne pas arrêter l'attention des praticiens ; on ne pourra l’accuser de n’avoir eu pour élé- ments que des cas de peu d’intensité ou offrant dans leur expression symp- tomatique une grande analogie, car si l’on y trouve des pneumonies au premier degré, on en trouve en plus grand nombre qui étaient parvenues au deuxième degré, et si les unes n’ont offert que des symptômes franche- ment inflammatoires, si d’autres ont été observées chez des sujets jeunes et robustes, d’autres aussi se présentent avec de grandes variétés, tant dans les dispositions anterieures des individus que dans leurs complications ou leurs épiphénomènes. L’ipéca a donc exercé une influence également heu- reuse, qu’il y eût ou non état bilieux des voies digestives, symptômes ty- phoïdes, réaction inflammatoire ou oppression des forces vitales, quels que fussent l’âge et le tempérament des sujets. Résumons les effets principaux de cette médication : L’ipéca a été généralement toléré par l’estomac avec assez de facilité ; il l’a été plus complètement encore par le tube intestinal, et loin de détermi- ner de la diarrhée, comme le font si souvent les antimoniaux, il a parfois laissé persister une constipation qu’il a fallu vaincre par des lavements laxatifs; Il a ralenti, déprimé le pouls, tantôt progressivement, tantôt avec une promptitude remarquable ; Il a presque constamment provoqué de la moiteur ou des sueurs plus ou moins abondantes; Il a changé promptement les caractères pathognomoniques des crachats et facilité l’expectoration ; Il a paru activer la résolution des engorgements pulmonaires, la résorp- tion des épanchements pleuraux : C’est dire, qu’en somme, il a modifié dans le sens le plus désirable les symptômes les plus expressifs et en même temps les plus graves de la pleuropneumonie. L’ipéca, il est vrai, n’a pas été le seul élément actif du traitement auquel 44 j’ai soumis mes malades, j’en conviens ; mais je n’ai jamais non plus traité les pneumonies exclusivement par les préparations antimoniales, et cepen- dant je ne doute point de leur haute efficacité. Dût-il être plus difficile de dégager la notion de l’action réelle de l’ipéca en l’employant concurrem- ment avec les émissions sanguines, les vésicatoires, ou tous autres moyens réclamés par des indications spéciales, je n’hésiterai pointé placer au-des- sus d’une question de théorie pharmacodynamique le devoir qui incombe à tout clinicien probe et consciencieux, d’expérimenter dans l’intérêt ab- solu du malade. Or je crois que, dans l’immense majorité des cas, toute pneumonie doit être attaquée par la saignée ; auprès d’elle ou après elle, l’ipéca, comme l’antimoine, ne sera peut-être considéré que comme un adjuvant, qu’importe ! on guérit des pneumonies par les émissions san- guines seules, je doute qu’on en guérisse autant et si bien par les médica- ments hyposlhénisants exclusivement employés ; mais il n’en reste pas moins acquis que ces médicaments prêtent à la saignée un concours utile, qu’ils permettent de restreindre les soustractions sanguines, que leur ac- tion dynamique modifie profondément l’économie, et à ces titres, une large part leur est réservée dans la thérapeutique des lésions des organes respi- ratoires. Les potions d’ipéca que j’ai employées dans les pneumonies ont été pré- parées par infusion ou par décoction ; leur mode d’administration a été le même que celui que j’ai indiqué (X), je n’ai donc pas à y revenir ici. Seulement, quand j’ai employé l’infusion, je n’ai fait servir la poudre qu’une fois, et jamais plusieurs fois, comme dans la méthode brésilienne. J’ajouterai qu’au lieu d’attendre le deuxième ou le troisième jour du trai- tement, je prescris les potions d’ipéca, ainsi que les potions antimoniales, dès le début, faisant marcher les unes ou les autres de front avec les émis- sions sanguines; on fait ainsi, comme par la méthode des saignées coup sur coup, de l’hyposthénie permanente, et tout en proportionnant cette hy- posthénie aux forces des sujets et à l’intensité de la maladie, je crois qu’il est essentiel de la maintenir sans relâche pendant toute la durée de l’état aigu des phlegmasies pulmonaires. Il m’a semblé aussi que les potions contro-stimulantes sont mieux et plus promptement tolérées quand on y a recours dès le premier jour du traite- ment; alors, en effet, le malade possède encore toute sa force de réaction, et il ne cède pas au premier choc d’une véritable intoxication par des al- térants aussi énergiques que l’ipéca ou l’antimoine; lorsque, au contraire, il a déjà été débilité par les émissions sanguines, pareil aux sujets acciden- 45 tellement affaiblis ou naturellement débiles qui n’offrent pas de résistance vitale à l’action des poisons, il supporte plus difficilement le surcroît d’hy- posthénie que les médicaments précités introduisent dans l’organisme. Des expériences et des observations consignées dans ce mémoire, on peut tirer les conclusions suivantes : 1° L’action topique de l’ipéca est irritante, mais non d’une manière égale sur tous les tissus, et toutes les préparations de ce médicament ne sont pas non plus irritantes au même degré. 2° L’action dynamique de l’ipéca est indépendante de son action topique ; quand on l’administre à l’intérieur, son action topique irritante étant, non- seulement inutile, mais nuisible à la réalisation des effets thérapeutiques que l’on veut obtenir, il est bon de l’éviter ; dans l’emploi externe, au con- traire, il peut être utile de la provoquer. 3° L’action dynamique de l’ipéca est sédative et altérante. k° Des faits nombreux et irrécusables attestent l’efficacité de ce médica- ment dans la dyssenterie. 5° Son influence n’est pas moins puissante sur les lésions des organes respiratoires, et il paraît appelé à prendre un rang important dans le trai- tement de la pleuropneumonie. FIN.