Ditrait des Archives générale» de Médecine , numéro d’août 1860. DE LA NUTRITION CHEZ L’IIOME ET LES «IM, le Dr T.-L.-G. BISCHOFF, Professeur d’Anatomie et de Physiologie à l’Université de Munich ; traduit de l’allemand* Auguste HOFFMANN. En tout temps et en tous lieux, l’instinct de la conservation a conduit l’homme à chercher et à trouver les matières les plus pro- pres à satisfaire aux besoins de son alimentation; s’il eût été pos- sible de déterminer partout avec précision ces besoins, de les ex- primer, pour ainsi dire, en valeurs numériques, nous sommes persuadé que depuis longtemps on saurait évaluer en chiffres exacts le pouvoir nutritif de toute substance alimentaire. Si donc la science s’occupe des phénomènes de la nutrition et du rôle qu’y jouent les différentes espèces d’aliments , ce ne saurait être dans l’espoir d’arriver à des découvertes ou même à des résultats sai- sissants. Elle devra se résigner, après de longues et pénibles re- cherches, à constater seulement des faits connus depuis longtemps et de tout le monde. Il est constant, et l’histoire le prouve, que rarement les sciences, même les sciences physiques, ont découvert ou inventé, dans le sens (1) Pour plus de détails, voir l’ouvrage récemment publié par le professeur Bischoff : les Lois de la nutrition des carnivores; Leipzick, 1860, C. Winter. 2 absolu du mot; presque toujours la pratique les avait devancées. Cependant la science n’en garde pas moins une haute valeur; son but reste toujours aussi élevé , son utilité aussi incontestable. En établissant, par ses investigations, la raison et les conditions de la pratique , elle ne satisfait pas seulement à un impérieux besoin de l’esprit humain, que souvent, il faut le reconnaître, le fait n’inté- resse pas tant que sa cause; mais c’est encore elle qui nous rend vraiment maîtres de la nature. En nous expliquant les faits et en les ramenant à des lois physiques connues, elle nous montre le che- min le plus court et les moyens les plus sûrs pour arriver au but que la pratique n’atteint qu’après de longs tâtonnements. C’est en s’appuyant sur ces considérations, que la science s’oc- cupe des phénomènes les plus vulgaires de la vie, qu’elle analyse les mobiles qui conduisent l'homme et les animaux dans le choix de leur nourriture, et qu’elle cherche à découvrir les lois qui prési- dent aux fonctions nutritives, et par suite, les moyens les plus sim- ples pour effectuer la nutrition. Or c’est là un problème des plus complexes et des plus difficiles; il exige, pour être résolu, non-seulement l’étude détaillée de la composition et des propriétés de toutes les substances alimentaires, mais encore la parfaite connaissance des divers appareils de l’orga- nisme, et des influences qui concourent à l’élaboration des matières alimentaires, avant qu’elles soient définitivement utilisées par l’or- ganisme. Grâce aux progrès de l’anatomie, de la chimie et de la physiolo- gie, on est parvenu de nos jours à élucider quelque peu la question ; cependant le champ resté ouvert à nos recherches est si vaste, qu’on ne saurait se laisser tromper par l’espoir d’une solution prochaine et complète. Nous croirons avoir fait faire un progrès à la science, si nous sommes parvenu à éclairer quelques points relatifs à la nutrition et au rôle qu’y jouent les diverses matières élémentaires. Après avoir résumé, dans un exposé succinct, les phénomènes de la nutrition en général, nous indiquerons sommairement quel rôle y jouent les principales espèces d’aliments, et, en dernier lieu , nous ferons connaître les résultats de nos recherches les plus ré- centes , recherches qui nous ont mis à même d’établir avec sû- reté les lois d’après lesquelles les diverses espèces d’aliments sont 3 utilisées dans l’économie animale, et qui fixent leur valeur re- lative. Avant de pouvoir servir à la nutrition , toutes les substances alimentaires, sans distinction, doivent, sous l’action des sucs di- gestifs, être dissoutes et métamorphosées en sang ; le sang est le seul agent nourricier dans l’organisme. Cette transformation des aliments en liquide nourricier nécessite dans l’organisme de nombreuses opérations. Ce sont d’abord des mouvements qui réclament l’intervention de puissances muscu- laires, tels que la préhension, la mastication , la déglutition, et la progression des aliments dans le tube digestif; ensuite la dissolu- tion et la transformation de ces matières sollicite l’affluence d’un courant considérable de liquides. D’après les plus récentes obser- vations, qui d’ailleurs n’offrent pas un assez grand degré d’exac- titude, le minimum de la masse totale de salive, de bile, de suc gastrique et de suc pancréatique, ainsi produits successivement, s’élève, chez un homme du poids de 64 kilogrammes, dans les vingt-quatre heures, à 1*2 kilogrammes et demi, et le maximum à 30 kilogrammes. Toute cette masse liquide, dont la quantité varie naturellement avec celle des aliments ingérés, se trouve maintenue dans un mou- vement continu; partant du sang et des glandes, elle vient se je- ter dans le canal digestif, et de là , chargée des éléments élaborés dans les voies digestives, elle rentre de nouveau dans la masse du sang. Pour effectuer la nutrition, et pour conserver ses propriétés ré- paratrices et épuratrices, condition indispensable à la conservation de l’individu, le sang doit passer, sous forme d’un courant continu, à travers tout le corps, et en particulier à travers les poumons et les organes destinés à l’élimination des matières décomposées et usées par le mouvement de la vie. Ce mouvement du sang exige le travail incessant du cœur et de l’appareil respiratoire, travail qui augmente nécessairement avec la quantité de liquide, comme celle-ci s’accroît avec la quantité de matières nutritives absorbées. C’est en pénétrant ensuite dans les tissus des organes par des canaux d’une extrême ténuité , dont le diamètre est tout au plus le dixième de celui d’un cheveu, que le sang opère l’alimentation de ces parties. 4 A partir de ce moment, ce que nous savons de certain, c’est que le sang quitte le système vasculaire , éprouve certaines modifica- tions dans les. tissus des organes, et rentre, ainsi modifié, dans le torrent de la circulation ; mais on peut se demander si, durant ce passage, tous les éléments du sang changent d’état, c’est-à-dire s’ils passent de l’état liquide à l’état solide, et de l’état solide de nouveau à l’état liquide. Il est fort probible que les éléments solides de notre corps chan- gent sans cesse. En effet on ne saurait guère admettre qu’une fois fixés dans l’organisme, ils y restent intacts pendant toute la durée de la vie. L’expérience démontre par des faits incontestables que certaines parties disparaissent après un certain temps pour faire place à de nouveaux produits de l’activité vitale. Cependant tout cela ne prouve en aucune manière que l’acte de la nutrition soit toujours accompagné d’une transformation des éléments liquides du sang en parties consistantes des organes, et en même temps d’une liqué- faction de ces derniers. Si, au contraire, nous considérons que même les parties solides de notre corps contiennent jusqu’à 75 pour 100 d’eau, nous sommes conduit à admettre que c’est plutôt par l’imbibition de ces parties par les éléments liquides du sang, et par la filtration de ce liquide à travers les tissus, que se font les chan- gements dont nous venons de parler. D’ailleurs la vitesse avec laquelle s’opèrent ces transformations vient à l’appui de notre opinion, et ne s’accorde pas avec l’idée d’un changement d’état proprement dit. Dans cette hypothèse, nous admettons un courant continu de liquides à travers la masse solide de notre corps. Sous l'action de ce courant, les éléments solides de l’organisme sont en partie mo- difiés, dissous, et remplacés par d’autres analogues ; en même temps, les liquides eux-mêmes subissent de profondes modifications. Or ce mouvement suppose l’existence d'une force motrice quel- conque, qui nous est donnée par l’attraction réciproque entre les principes du sang et ceux des organes, indépendamment des ef- fets de pression qui pourraient concourir au même but. Ainsi la nutrition consiste formellement dans l'attraction réci- proque du sang et des organes, le sang étant modifié par le fait de ces réactions multiples, soit qu’il passe seulement au travers des tissus, soit que ses éléments se transforment en éléments solides des organes. Si maintenant nous nous demandons quel est le but final de l’en- semble de ces phénomènes, nous ne saurions douter que l’action réciproque du sang et des organes, c’est-à-dire la nutrition, ne soit la source de toute activité vitale. Dès que cette action mutuelle est supprimée, il en résulte ce que nous appelons la mort; c’est-à- dire que toute activité vitale cesse; avec son retour, si toutefois il ne s’est pas produit d’altérations trop profondes dans l’organisme, la vie renaît. II n’est donc pas douteux que toute action, foute force, que nous voyons se manifester dans nos organes, doive nais- sance aux transformations qu'y subit le sang pendant la nutrition. Ces phénomènes sont nombreux et de nature diverse ; néanmoins, abstraction faite des fonctions des nerfs et de l’àme, on peut les ramènera deux espèces: 1° à des mouvements, et 2° à la produc- tion d’une certaine quantité de chaleur. 1° I.es mouvements et la force employée à les produire ne se mon- trent pas toujours à l'extérieur. Le plus important est certes celui des liquides dans le sein de l’organisme; la force nécessaire à l’en- tretien du courant continu du sang et des autres liquides, à l’en- tretien du mouvement du cœur et de l’appareil respiratoire, est considérable. On s’en convaincra facilement en considérant la masse et la vitesse des liquides en mouvement et les résistances qu’ils doivent vaincre. D’après les meilleures recherches et les calculs les plus précis, la force que le cœur dépense en vingt-quatre heures est de 86,400 kilogr., ce qui équivaut à la force nécessaire pour élever à la hauteur d’un mètre 86,400 kilogr. en vingt- quatre heures, ou bien, à la même hauteur, 1 kilogr. en une se- conde (1). A cela il faut encore ajouter la force dépensée par l’ap pareil respiratoire, qui, d’après la plus haute estimation, est, à chaque inspiration, de 400 kilogr., et d’après la moindre, de 83 kilogr. élevés à une hauteur égale à l’amplitude de la dilatation du thorax. On n’est pas encore parvenu à calculer la force nécessaire aux mouvements des organes digestifs. Il est évident qu’en tout cas elle (T Donders, Physiologie des Mcnschen iibcrsctz von The île } pages MO à î 39. 6 est en rapport direct avec la quantité du sang, qui elle-même est nécessairement proportionnelle à la quantité de matières alimen- taires hématisées dans un temps donné; car ce sont précisément ces matières qui constituent la masse à mouvoir : il est d’ailleurs constaté par l’expérience que le travail du cœur, ainsi que le nombre et l’amplitude des inspirations, est en rapport direct avec la quan- tité du sang. A ces mouvements qui s’opèrent à l’intérieur de l’organisme , nous avons à ajouter ceux qui se manifestent à l’extérieur; en gé- néral plus ou moins accidentels, et obéissant à la volonté et au sys- tème nerveux, ils constituent le travail des membres et de la loco- motion , et leur somme est naturellement soumise à de grandes variations. Cependant on a estimé qu’en général la force que peut dépenser l’homme adulte est telle, qu’elle pourrait, pendant vingt- quatre heures, et en chaque seconde, élever un poids de 3 kilogr. à la hauteur d’un mètre, ce qui fait à peu près le triple de la force dépensée par le cœur. Tous ces phénomènes dynamiques sont produits par la contrac- tion des muscles, qui forment la plus grande parliejdu corps ani- mal, et qui se classent parmi les substances azotées ou albuminoïdes. Nous sommes donc en droit de soutenir que les changements opé- rés, pendant la nutrition, dans ces tissus azotés produisent la force qui se manifeste dans ces mêmes parties. A l’appui de notre asser- tion, vient l’observation, que la quantité de force que l’homme et l’animal peuvent développer dans leurs efforts musculaires est en rapport direct avec la masse de leurs muscles. Cependant ce mouvement s’accomplit aux dépens des principes dont sont formés ces organes; de là résulte la nécessité de leur ré- paration continuelle, qui n’a lieu que par les substances alimen- taires. Or, comme la perte porte sur des principes azotés, sa répa- ration exige le concours de substances de la même composition élémentaire; car l’organisme animal n’est pas doué de la faculté d’opérer de tels changements dans la composition des matières, qu’il transforme des substances non azotées en substances azotées, qu’il change, par exemple, les matières grasses, les sucres et l’ami- don, en albumine , en viande et en caséine. Ces matières albumi- noïdes ou azotées se trouvent d’ailleurs aussi bien dans le règne vé- gétal que dans le règne animal ; ce sont même les végétaux qui en 7 sont les agents producteurs, et il faut bien se garder de croire qu’une nourriture végétale ne contient que des principes non azo- tés. Nos aliments ordinaires, tirés du règne végétal, céréales, ha- ricots, pois, lentilles, contiennent des principes azotés; même les légumes, les pommes de terre, n’eu sont pas complètement dé- pourvus. Dans le règne animal, ce sont surtout les chairs, l’albumine et la caséine , qui fournissent «à l’homme et aux animaux cet ordre de matériaux. Le corps des animaux présente bien encore d’autres matières azotées qui pourraient servir h l'alimentation, mais elles ne renferment pas, comme les premières, de l’albumine, de la fibrine et de la caséine, à l’état de pureté. Ces matières, parmi lesquelles nous citerons les os, les cartilages, les tendons, les ligaments et différentes membranes, soumises à une ébullition prolongée dans l’eau, donnent de la gélatine. Leur pouvoir nutritif a été, après un grand nombre de recher- ches, nié par les uns et affirmé par les autres. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’animal ne saurait s’en nourrir exclusivement ; seulement, depuis peu, nous avons été à même de constater qu’elles peuvent remplacer en partie les substances albuminoïdes, l’albumine, la fibrine et la caséine, et nos recherches ont prouvé que 4 parties de gélatine équivalent, à peu près, à 1 partie de viande. Cependant une nourriture exclusive de gélatine devient impossible, par ce seul fait que l’animal ne peut en introduire dans les conduits diges- tifs des quantités suffisantes à son entretien. Nous n’avons pas en- core réussi à déterminer si la gélatine renferme de l’albumine pure, ou si, dans l’organisme, ses éléments sont susceptibles de se trans- former en albumine, ou enfin si, servant à l’alimentation des par- ties dont on l’extrait, ses principes peuvent remplacer une certaine quantité d’albumine dans la nutrition. C’est ainsi qu’en se fondant sur la destination des matières azo- tées ou albuminoïdes comme concourant spécialement à la répa- ration des pertes qu’entraîne la dépense des forces auxquelles sont dues les actions des organes, on peut nommer ces matières ali- ments dynamogènes. 2° En outre, nous remarquons que le corps de l'homme et des animaux d’un ordre supérieur transmet sans cesse 5 l’atmosphère ambiante une notable quantité de chaleur. Quoique la nature ait protégé de différentes manières les ani- maux contre celte perte de chaleur continuelle et que l’esprit de l’homme ait trouvé des moyens pour rendre cette déperdition aussi faible que possible, elle s’élève encore, d’après les recherches les plus consciencieuses, dans les vingt-quatre heures, à 4,000,000 de calories, c’est-à-dire la quantité de chaleur nécessaire pour élever de zéro à 1 degré la température de 4,000 kilogr. d’eau, ou bien pour mettre 40 kilogr. d’eau en ébullition. Nous savons que l’existence de l’animal n’est garantie qu’à la condition d’une température constante, et que la quantité de chaleur que le corps perd par le rayonnement doit être compensée dans un temps donné. Cependant le corps n’a pas d’autre source de chaleur que la combustion lente de ses parties constituantes dans l’oxygène de l’air, introduit dans l’économie par la respiration, et porté par le sang sur tous les points de l’organisme. La preuve que c’est à l’oxygène qu’est due la production de la chaleur, c’est l’élimination continuelle de l’organisme d'acide car- bonique, d’eau et d’urée, combinaisons de l’oxygène avec le car- bone, l’hydrogène et l’aqumoniaque, qui sont toujours accompa- gnées d’un dégagement de chaleur. Toutes les matières organisées dans la composition desquelles entrent le carbone et l’hydrogène, toutes les matières albuminoïdes qui en outre renferment de l’azote, se prêtent à ces réactions. Le corps animal renferme en- core deux ordres de matières qui, par leur combinaison avec l’oxygène , contribuent particulièrement à la production de la cha- leur animale; ce sont les matières grasses et le sucre toujours en- gendré dans le sang, substances riches en carbone et en hydro- gène et dépourvues d’azote, et qui, quelles que soient les autres fonctions qu’elles peuvent avoir à remplir dans l’organisme, sont principalement destinées à la calorification. C’est à leur remplacement que servent un grand nombre d’ali- ments, avant tout les matières grasses et les sucres eux-mêmes, ensuite l’amidon, transformé en sucre sous l’influence des sucs di- gestifs. Remarquons encore que l’amidon et les sucres, comme le démontre l’expérience, sont susceptibles d’être transformés en graisses et d’être accumulés sous cette forme dans l’organisme. Tous les aliments dans lesquels les matières grasses et les sucres prédominent, et qui sont destinés à l’entretien de la chaleur animale, peuvent être nommés aliments lhermogènes. Les différentes matières servant à l’alimentation de l’homme et des animaux ne diffèrent essentiellement entre elles que par leurs propriétés dynamogènes ou thermogènes, et cette distinction suffit à faire comprendre le rôle que ces matières sont appelées à remplir dans les fonctions de l’économie. En nous appuyant sur ces premières données, nous avons réussi, dans ces derniers temps, à l’aide de nombreuses expériences, à déterminer le mode suivant lequel sont utilisés par l’économie ces deux espèces de principes alimentaires, ainsi que les matières correspondantes faisant déjà partie intégrante de l’organisme ani- mal. Avant d’exposer ces recherches avec quelques détails, qu’il me soit permis de rappeler une des lois les plus importantes de la na- ture et qui doit servir de point de départ à toute investigation des phénomènes dont l’organisme animal est le siège ; je veux parler de la loi de la permanence des forces. D’après cette loi, il n’y a dans l’univers ni naissance ni perte de force. Toutes les fois qu’un de ces cas semble se présenter, il ne se produit qu’une modification dans la direction et la forme des mômes forces fondamentales qui répondent à la constitution mo- léculaire des corps. Cette modification dans la forme cl l’action des forces est amenée par un changement dans l’arrangement mo- léculaire du corps. Ainsi, par exemple, la chaleur que nous voyons se dégager dans la combustion du bois n’est qu’une nouvelle di- rection de la force qui gouvernait la constitution moléculaire du bois. Par le changement qui s’opère pendant la combustion dans l’arrangement des molécules du bois, cette force devient libre et se manifeste sous forme de chaleur. Si maintenant, par cette cha- leur, nous transformons l’eau en vapeurs, et que, par ces vapeurs, nous produisions des effets mécaniques, nous avons seulement fait varier successivement la forme d’une seule et même force. La loi de permanence des forces s’applique également au corps de l’homme et des animaux : si, dans nos muscles, il se développe des forces traduisibles en mouvements, si les matières grasses et les sucres y développent de la chaleur, il doit nécessairement s’opérer en même temps un changement quelconque dans la con- stilulion moléculaire des muscles, des matières grasses et des su- cres; à chaque contraction de nos muscles, à chaque mouvement qui en résulte, doit correspondre, dans le même organe, une mo- dification de ce genre. Si donc nous voulons parvenir à une connaissance exacte de la manière dont ont lieu ces contractions, ces mouvements, ou le dé- veloppement de la chaleur dans notre corps , et du rôle que jouent dans tous ces phénomènes les diverses espèces d’aliments, il s’agit avant tout d'apprendre à connaître les influences sous lesquelles peut se produire un changement dans la constitu- tion moléculaire des muscles et des matières grasses de l’or- ganisme animal. Puisque nous trouvons pour résultat final des révolutions ac- complies dans le corps une combinaison entre l’oxygène et les mo- lécules organiques, il faut que Xoxygène de l’air introduit dans le sang par la respiration, et mis en contact intime avec toutes les parties des organes par la circulation, exerce une influence essen- tielle sur les changements qui s’opèrent dans la constitution molé- culaire des parties intégrantes de l’organisme. Jusqu’ici on était généralement d’opinion que l’affinité de l’oxygène pour l’hydro- gène et le carbone des matières grasses et des sucres, tant dans le sang que dans le reste du corps, était assez puissante pour pro- duire à elle seule les changements dont nous venons de parler, d’autant plus que cette affinité est favorisée par l’état de division parfaite et de contact intime dans lequel se trouvent les éléments qui entrent en réaction. On croyait alors à une combustion directe dans le sang; cette combustion était la source de la chaleur ani- male. Pour ce qui est des matières grasses, nos expériences nous ont prouvé que ces matières doivent d’abord subir un changement dans le foie, et qu’alors seulement leurs éléments, le carbone et l'hy- drogène, peuvent se combiner avec l’oxygène du sang, tandis que le sucre est brûlé directement. Cependant ce changement préa- lable n’est pas pour le moment d’une importance décisive, et nous pouvons en attendant admettre encore que c’est à l’action seule de l’oxygène sur les matières grasses et les sucres que sont dus les transformations de ces matières, et par suite le développement de la chaleur. Mais en tout cas cette théorie cesse d’être applicable aux corps azotés. La chimie nous apprend que l’oxygène n’a qu’une faible affinité pour les substances azotées, que même l’azote, en se combi- nant avec des substances jusque là très-combustibles, a la propriété de détruire presque en entier cette combustibilité, de sorte qu’il ne reste guère probable que les principes azotés du sang et des autres parties du corps soient oxydés par leur simple affinité pour l’oxy- gène. De plus, si une telle oxydation par simple affinité avait lieu, la nutrition par le sang ne saurait elle-même avoir lieu. En effet, les mêmes substances azotées, l’albumine et la fibrine dont se com- posent nos organes, entrent aussi en grandes proportions dans la composition du sang; c’est du sang qu’elles viennent originaire- ment , ce sont ces éléments du sang qui sont destinés à ré parer leur perte. Or cela deviendrait impossible, si, à cause de leur affinité pour l’oxygène, elles pouvaient être détruites dans le sang même par la combustion. Cette conclusion, tirée de propositions générales, a de plus été confirmée par des observations directes. Ces observations montrent que l’albumine n’est jamais directement oxydée dans le sang, mais qu’elle doit d’abord passer dans les organes et y subir certaines modifications. Il s'agit donc de rechercher les conditions dans lesquelles l'oxygène peut effectuer un changement dans la constitution moléculaire des corps azotés. Après de nombreuses expériences, l’examen de l’action des ali- ments azotés en quantités variables nous a conduit à la conclusion suivante : Le changement qui s'opère, lors de la nutrition, dans la constitution moléculaire des matières azotées, est le résultat d'une attraction combinée du sang et de l'oxygène sur les parties constituantes des organes. En effet, il est évident que les organes exercent une attraction sur les principes homogènes du sang; car sans cela, comme nous l’avons déjà démontré, une alimentation par ce liquide serait im- possible. En second lieu, l’oxygène absorbé dans le sang exerce également une attraction continue sur les éléments des organes, car c’est à l’état d’oxydation complète que ces principes disparaissent de l’or- ganisme. C’est cette double attraction qui produit les effets que chaque action partielle ne saurait réaliser isolément. C’est là d’ailleurs une de ces espèces de réactions que nous ren- controns en chimie chaque fois qu'il s’opère une décomposition, une transformation moléculaire, dans des combinaisons très-stables. Ainsi l’eau, par exemple, est une combinaison très-stable de l’oxy- gène avec l’hydrogène, combinaison que le chlore, malgré sa grande affinité pour l’hydrogène, ne peut décomposer. Cependant, si l’on met en présence une substance organique douée d’une no- table affinité pour l’oxygène de l’eau, la décomposition de celle-ci s’opère avec facilité; c’est qu'il y a ici une double attraction, d’une part, entre le chlore et l’hydrogène, et de l’autre, entre la sub- stance organique et l’oxygène de l’eau. Ce n’est donc que sous l’in- fluence de cette double attraction, que les molécules de cette der- nière peuvent être séparées, ce qu’aucune des attractions partielles n’a pu effectuer. L’attraction combinée de l’oxygène et du sang sur les organes nous explique de même la transformation de leurs éléments. Il est vrai que, pour la plupart des cas, nous ignorons encore en quel lieu et dans quel ordre les phénomènes se sont produits ; tout ce que nous pouvons constater, c’est que les éléments des parties transmutées sont éliminés sous forme d’acide carbonique, d’eau et d’urée, c’est-à-dire à l’état de combinaison avec l’oxygène. Au fur et à mesure qu’une pareille transformation des matières azotées se produit, la force qui présidait à l’arrangement molécu- laire de ces parties devient libre et capable de produire d’autres effets, qui consistent en mouvements intérieurs et extérieurs. Il suit de là que tout ce qui seconde et favorise, ou tout ce qui restreint et limite cette double attraction, doit seconder ou limiter aussi la transformation moléculaire, par conséquent augmenter ou diminuer le développement de force et par suite les mouve- ments. Parmi les circonstances qui influent le plus puissamment sur cette attraction, il faut compter avant tout la quantité des aliments azotés introduits dans l'économie et la quantité du sang qui en résulte. La transformation moléculaire croît et décroît proportionnelle- ment aux principes azotés, car l’intensité de l’attraction entre le sang et les organes croit progressivement avec la quantité des ali- ments et du sang contenu dans l’économie animale. Mais en même temps il faut, comme nous l’avons dit plus haut, qu'il y ait une augmentation correspondante dans le développement des forces nécessaires aux mouvements de la masse croissante des aliments et du sang, car ces mouvements doivent se continuer dans toutes les conditions, en vertu de la parfaite harmonie qui règle toutes les dispositions de l’organisme : l’augmentation de la masse alimentaire devient elle-même la source du développement de force nécessaire pour la maintenir en mouvement. Cependant l’effet ré- sultant de l’augmentation des aliments et par suite de l’accroisse- ment de la masse du sang arrive, en dernière fin, à un maximum qui ne saurait être dépassé; c’est alors que l’introduction de nou- veaux aliments devient impossible chez l'animal. Mais, aussitôt que de nouvelles forces deviennent libres par les changements molécu- laires, l’animal récupère la faculté de prendre de la nourriture. En second lieu, il est facile de concevoir que l’intensité de l’at- traction entre l’oxygène et les matières azotées des organes exerce une influence sur la mesure dans laquelle les changements moléculaires se produisent. L’intensité de l’attraction dépend de la quantité d'oxygène qui peut prendre part à la production des changements moléculaires : or cette quantité elle-même est dé- terminée par différentes circonstances. Elle dépend d’abord de la quantité du sang, porteur de l’oxygène. Si, par suite de l’augmen- tation des matières nutritives ingérées, la quantité du sang aug- mente, le nombre et l’amplitude des inspirations croissent aussi, et par suite la quantité d’oxygène puisée dans l’atmosphère. L’aug- mentation de nourriture active ainsi les changements moléculaires; de là accroissement dans la production de force nécessaire aux mouvements de la masse plus considérable des substances. Si au contraire la nourriture fait défaut, la masse du sang et de l’oxygène diminue. L’oxygène ainsi réduit ne sollicite plus au même degré les transmutations moléculaires; de plus, comme en transformant les matières azotées il se combine avec les éléments qui se séparent des organes, il subit une déperdition. La transfor- mation va ainsi diminuant au fur et à mesure quelle s’accomplit, parce que l’un des facteurs qui y concourent, c’est-à-dire l’oxy- gène, est absorbé par les produits de la décomposition. JNi la décomposition, ni la quantité de force développée, ni l’augmentation du sang, ne peuvent absolument dépasser une certaine limite. A cette période extrême, l’animal ne saurait plus rien manger; car, la décomposition n’avançant plus, parce que l’oxygène nécessaire est absorbé par les produits de la décomposi- tion môme, la force nécessaire à l’élaboration des aliments ultérieu- rement ingérés et à leurs mouvements vient à manquer complè- tement. L’introduction de nourriture ayant cessé, la masse du sang di- minue, le degré de la décomposition et la quantité de ses produits décroissent, et par suite, une plus grande quantité d'oxygène reste disponible pour effectuer, de son côté, des changements ultérieurs qui se continuent et développent de la force nouvelle. Cette force peut alors servir à l’ingestion et à l’élaboration d’une nouvelle quan- tité de substances alimentaires. Cependant, comme nous l’avons déjà prouvé, l’oxygène n’est pas exclusivement employé à la transformation des matières azotées et à l’oxydation des produits de cette transformation , mais il exerce encore une attraction sur les matières non azotées du corps et du sang, c’est-à-dire sur les matières grasses et les sucres. Cetteaffinilé diminue l’intensité de la force attractive de l’oxygène sur les corps azotés, et limite leur transformation et leur oxydation. Cependant, tant que cette transformation des matières azotées est secondée par l’attraction que le sang exerce sur les organes, l’oxydation des produits azotés s’opère toujours avant celle des matières grasses, et c’est seulement en tant qu’une quantité d’oxy- gène reste disponible, que sont oxydées ces matières. Une quantité plus ou moins considérable de matières grasses et de sucre dans le sang et dans le corps limite toujours l’influence de l'oxygène sur la transformation des matières albuminoïdes des organes; l'action de l’oxygène se partage suivant que la transfor- mation dans les organes est activée par le concours du second agent, le sang, et suivant la masse existante de matières grasses et de sucres. L’expérience nous a appris que, pendant l’inanition chez un animal d’ailleurs bien nourri, cette répartition est à peu près telle, que la décomposition des parties musculaires est égale à celle des matières grasses. En donnant alors de la viande à l'animal, il vit aux dépens de cette viande, et la décomposition de la graisse va en diminuant, de telle sorte que, si on continue à le nourrir de viande, la décomposition de la graisse diminue jusqu’à cessation complète, et l’animal vit uniquement aux dépens des matières azotées. L’attraction de l’oxygène sur les matières azotées, secondée de celle dusang résultant de la nourriture animale, est assez puissante pour opérer la transmutation de ces matières. L’affinité des pro- duits ainsi transmutés pour l’oxygène étant d’ailleurs plus con- sidérable que celle de l’oxygène pour les matières grasses, l’oxy- gène est absorbé par les premiers, et les matières grasses ne sauraient plus être attaquées. Si on ne donne à manger que des matières grasses à un animal privé depuis quelque temps de nourriture, on peut bien faire dé- croître, jusqu’à un certain degré, la décomposition des parties musculaires, celte alimentation parles corps gras diminuant l’ac- tion de l’oxygène sur les matières azotées, mais on ne saurait la faire cesser complètement; tant qu’il y a du sang, l’attraction de l’oxygène sur les matières azotées a lieu, et il se produit toujours une transformation et une oxydation des matériaux du sang. La cause de ces rapports réciproques, nous la trouvons dans les condi- tions indispensables à l’existence de l’animal. L’existence de l’animal exige un développement continu de forces motrices nécessaires aux efforts actifs de l’organisme, et une pro- duction nouvelle pour compenser la perle continuelle. Les forces m itrices et la chaleur peuvent être développées toutes les deux aux dépens des matières azotées, mais la graisse produit uniquement de la chaleur. Il faut donc que dans l’organisme une transformation de matières azotées ait toujours lieu à quelque degré, car c’est par là que sont produites les forces indispensables aux opérations con- tinuelles dont l’organisme est le siège. Enfin, si l’on nourrit un animal à la fois de viande et de matières grasses, la première est utilisée par les fonctions de l’économie, et c’est plutôt la graisse qui est accumulée dans l’organisme, car la viande est toujours et dans tous les cas transformée d’abord, et c’est à ses dépens que se fait non-seulement le travail de l’organisme, mais encore la production de la chaleur animale. Mais, avec cette nourriture mélangée, le moment où, par l’action des matières azo- tées , le travail organique devient possible, est de beaucoup plus rapproché, de sorte qu'il est tout à fait inutile d’augmenter la quantité des aliments azotés, qui alors serviraient à une production de chaleur réalisée plus efficacement et plus économiquement par les corps gras. L’expérience nous apprend qu’un tiers et même un quart de la viande que l’animal réclame, quand on l’en nourrit exclusivement, suffit à la réparation de forces dépensées, si en même temps on y ajoute la quantité de graisse ou de sucre nécessaire au développement de la chaleur. Ce serait donc un luxe inutile, que de vouloir se nourrir exclusi- vement de viande, et il en faudrait des quantités énormes pour réparer les pertes des forces et de chaleur ; d’ailleurs la digestion et l’élaboration de trop grandes masses de viande consommeraient inu- tilement une certaine quantité de force; une grande masse de viande produit une masse correspondante de sang, qui, à son tour, active à un haut degré la transformation des matières azotées, pro- duisant mais dépensant aussi des forces considérables. Or la conser- vation de l’individu n’exige pas une telle dépense, et la chaleur qui est produite dans cet acte est fournie à meilleur marché par les corps gras. Après avoir prouvé que parmi les circonstances qui influent sur la transmutation de l’organisme, il faut compter la quantité des aliments azotés, la masse du sang qui en résulte et la quantité d’oxygène présente dans l’économie, nous allons démontrer qu’il faut encore prendre en considération, comme décisive, la masse des organes ou la masse des matières azotées et non azo- tées qui doivent subir les transformations. Rien n’est plus évident et mieux démontré par l’expérience de tous les jours. Un animal de grande taille, toutes choses égales d’ailleurs, con- somme plus qu’un autre aussi petit, et la transmutation a lieu à un plus haut degré chez un homme fort et bien nourri que chez un autre maigre et débile. Si, dans un jour donné, par une réparation incomplète des pertes qu’ont souffertes nos organes en principes azotés, ils ont diminué de volume, le lendemain déjà il ne nous faut plus tant d’ali- ments azotés pour subvenir aux nouveaux besoins de l’orga- nisme. Si au contraire ce jour-là, par une nourriture très-riche en prin- cipes azotés ou par une restriction dans la transformation de nos organes, ceux-ci sont parvenus à un accroissement sensible, la nourriture du lendemain doit être plus abondante, la transforma- tion se faisant sur une plus grande échelle. Elle devrait l’être en- core davantage pour réaliser un accroissement nouveau dans les organes. Si la nourriture ne correspond pas aux nouveaux besoins, il en résulte une diminution dans le poids du corps, jusqu'au mo- ment où la réparation par les aliments rétablit l’équilibre. Par conséquent, en voulant donner plus de forces à un homme ou augmenter la masse des chairs d’un animal, il ne suffit pas d’ac- croître une fois pour toutes la portion alimentaire dont il se nour- rit, car il en résulte bientôt une augmentation de poids corres- pondante ; et à partir de ce moment, à moins que la nourriture ne croisse progressivement, le poids du corps reste le même, la transformation étant activée dans le rapport de la nourriture aug- mentée. Pour effectuer un accroissement ultérieur des organes, il fau- drait absolument une augmentation progressive dans la quantité de la nourriture, en ne perdant pas de vue que celte augmen- tation de nourriture entraîne une transformation d’autant plus grande. Cette circonstance rend difficile, presque impossible même, au moyen des plus grandes quantités d’aliments azotés, l’accroissement du poids de l’animal, tant qu’on n’emploie que cette espèce d’ali- ments. Au commencement, et tant que l’animal n’a pas ôncore acquis la richesse en parties charnues que sa disposition individuelle lui permet d’atteindre, l’accroissement se fait rapidement; mais, une fois cette limite atteinte, il lui faut, pour opérer la réparation des masses de son corps et pour compenser la transformation aug- mentée par l’accroissement de la masse alimentaire elle-même, de telles quantités de nourriture, que la quantité d’oxygène qui peut être introduite ne suffit plus à toutes les transformations, et qu’ainsi l’animal ne peut prendre la quantité d’aliments devenue nécessaire. Remarquons enfin que le degré de la transformation des matières azotées ne dépend pas uniquement de la masse relative des prin- cipes azotés des organes, mais qu’elle est encore déterminée par la quantité de graisse présente dans l’économie, dans un moment donné. L'action de l’oxygène sur les substances pour lesquelles il a de l’affinité se répartit entre ces matières d’après leur quantité aussi bien que d’après leur composition élémentaire. En exposant à la faim un animal pauvre en graisse, mais riche en substances musculaires, l’oxygène agira principalement sur ces dernières, et effectuera la transformation des matières azotées, tandis que relativement peu de graisse sera dépensée. Si au contraire l’animal est très-riche en graisse, c’est principa- lement avec elle que l’oxygène se combinera, et la transformation des parties azotées se fera à un plus faible degré. C’est d’ailleurs un fait connu de tout le monde, que des hommes et des animaux fort gras, tant qu’ils ne sont pas astreints à de grands efforts mus- culaires, résistent bien plus longtemps à la faim que d’autres qui sont plus maigres: c’est que leur graisse empêche une trans- formation inutile des molécules azotées de leur corps. Ce qui se passe chez l’homme et les animaux à l’état d’inanition a encore lieu quand ils sont suffisamment nourris. L’alimentation d’un animal engraissé exige beaucoup moins de viande que celle d’un animal maigre, sans que ce dernier soit capable d’une plus grande dépense de force, même avec une nourriture plus abon- dante. Chez le premier, la graisse empêche la décomposition des parties musculaires; tandis que, chez le second, celte décompo- sition est très-considérable, et exige pour sa réparation beaucoup d’aliments azotés. 11 est vrai qu’eu pareil cas le premier perd de la graisse. Arrivés de la sorte à la connaissance des circonstances qui exer- cent une influence marquée sur l’emploi des aliments azotés dans l’économie animale, nous sommes maintenant en état d’indiquer la manière la plus avantageuse d’alimenter l’homme ou un animal quelconque dans chaque phase de sa vie. A cet effet, il faut avant tout fixer la quantité d’azote qu’il dé- pense. C’est à quoi nous parvenons par le dosage d’un des plus im- portants principes azotés de la sécrétion, c’est-à-dire de Y urée, au moyen d’une méthode aussi sûre que simple, et due à la sagacité du professeur de Liebig, L’expérience nous prouve que l’azote des aliments réellement employé dans l’économie retrouve presque exclusivement dans l’urée, de sorte que nous pouvons négliger les quantités fort minimes de cet élément, rejetées par la peau et peut-être aussi par les poumons. Cette perte en azote doit donc d’abord, et dans tous les cas, être réparée par l’introduction de principes azotés qui nous sont fournis par des matières albuminoïdes des règnes végétal et animal. Cependant cette seule réparation des principes azotés ne suffit pas à l’entretien de la vie, parce qu’elle ne répare pas la perte qu’entraîne la production de la chaleur, à moins qu’on ne veuille se laisser entraîner à une dépense inutile de forces, et c’est ce que nous défendent les principes d’une sage économie, puisque nous savons produire cette chaleur avec plus de succès et d’une manière plus facile au moyen d’une nourriture non azotée, c’est-à-dire de graisses, de sucres, d'amidon, et en général de matières amyloïdes. Dans l’état actuel de la science, le degré que doit atteindre la production de la chaleur ne peut encore être déterminé que par voie indirecte, en considérant le poids total du corps. Or ce poids ne doit plus changer, aussitôt que l’azote nécessaire a été introduit dans l’économie; ce qu’il pourrait perdre au delà doit être com- pensé par les matières non azotées. Mais ce résultat pèche encore par un point : puisque l’eau, selon qu’elle est retenue dans le corps ou qu’elle en est séparée en plus ou moins grande quantité, peut, dans certains cas, exercer une influence très-notable sur le poids du corps, il suit de là que pour marcher dans une voie sûre, il se- rait nécessaire de doser exactement l’eau et l’acide carbonique qui s’échappent par la peau et les poumons. Grâce à la munificence du roi Maximilien II, il a été possible à M. Pettenkofer de construire à cet effet un grand et ingénieux ap- pareil, et nous avons l’espérance d’arriver pour la première fois à des résultats positifs dans cette matière importante, résultats que j’espère pouvoir exposer dans un avenir prochain. En attendant, je m’estimerai heureux si j’ai réussi à expliquer quelque peu ce que l’expérience nous a appris depuis longtemps sur l'utilité et l’emploi de nos aliments. Paris. — RIGN0UX, Imprimeur de la Faculté de Médecine, rue Monsieur-le-Prince, 31w