Extrait (le la GAZETTE HEBDOMADAIRE DE MÉDECINE ET DF. CHIRURGIE RECHERCHES SUR L’ÉTAT DE LA CIRCULATION D'APRÈS LES CARACTÈRES D(1 POULS FOURNIS PAR ÜN NOUVEAU SPIIYGMOGRAPIIE, Par ML le Docteur n.lftÉT* Membre îles Sociétés anatomique* de biologie et philomatique. Depuis que la médecine s’est enrichie de moyens d’une grande précision pour le diagnostic des maladies, depuis que l’auscultation et la percussion permettent de reconnaître et de limiter les lésions des organes intérieurs, l’étude du pouls, telle qu’on la pratiquait dans le siècle dernier, a été presque abandonnée. Ce n’est pas qu’on en ait jamais méconnu l’importance, mais il est bien dif- ficile de percevoir à l’aide du toucher seul les nuances variées que présente le pouls, et il l’est encore bien plus de trouver des expres1- sions pour caractériser chacune d'elles. Aussi, n’est-il pas élon<- nant qu’à une époque où l'exactitude est exigée dans l’observation clinique, on ait mis de côté presque entièrement les observations faites sur le pouls dans l’ancienne médecine, et qu'on ait rejeté cette nomenclature compliquée que nous avaient laissée Solano, Bordeu, Fouquet, etc., obscur vocabulaire que les médecins mo- dernes ont à peu près oublié. Le seul caractère du pouls qu’on puisse toujours constater avec précision est aussi le seul qu’on n’ait jamais cessé de rechercher. La fréquence du pouls est comptée avec soin, et tout le monde s’accorde sur son importance. Il fallait donc, pour remettre en faveur l’étude des formes du pouls, la ramènera cette précision que donne la montre à secondes pour juger de la fréquence. C’est le but qu’ont poursuivi un grand nombre de physiologistes et de médecins avec pins on moins de succès. Lorsque les physiologistes, appliquant aux artères d’un animal vivant un manomètre à mercure, eurent montré que chaque bat- tement du cœur se traduit par une oscillation de la colonne mer- curielle, un médecin, M. Hérisson, eut l’idée d’appliquer à l’étude clinique du pouls un instrument qui rendrait perceptible la dilata- tion du vaisseau sur lequel on l’appliquerait. C’était un appareil construit connue un thermomètre, mais dont la boule, ouverte lar- gement par en bas, était fermée à l’aide d’une membrane tendue comme la peau d’un tambour. Le mercure contenu dans ce réser- voir et dans le tube qui s’élevait au-dessus de lui était rnis en mou- vement par les battements du pouls de la manière suivante : On appliquait sur une artère la face membraneuse du réservoir; le poids du mercure contenu déprimait le vaisseau ; mais à chaque pulsation l’artère soulevait la membrane et forçait le mercure à s’élever dans le tube pour redescendre ensuite. L’instrument de Hérisson était assurément fort ingénieux et très simple, mais il n’avait fait que transformer une sensation tactile en une impres- sion visuelle aussi fugace et aussi difficile à analyser dans ses élé- ments nombreux, dont la durée totale est à peine d’une seconde. Cet instrument n’atteignait donc pas le but réellement utile ; aussi n’est-il pas passé dans l’usage pratique. La physiologie réussit dans ces dernières années à obtenir une trace écrite des pulsations artérielles. En effet, Ludwig parvint à enregistrer les oscillations d’un manomètre semblable à celui de Poiseuille, et qu’il adaptait comme lui au bout central d’une artère divisée. Au moyen d’un llotteur qui portait un pinceau, le physio- logiste allemand produisait sur un cylindre tournant des courbes dont la partie ascendante correspondait à la diastole des artères, et la partie descendante à leur systole. Les mouvements respira- toires étaient, aussi indiqués par l’instrument de Ludwig ; ils se tra- duisaient par des élévations et des abaissements alternatifs du ni- veau général des courbes que produisaient les battements du cœur, ainsi qu’on le voit dans cette figure. Figura l. Restait, pour résoudre le problème, à trouver le moyeu d’ob- tenir ces tracés sans avoir recours aune vivisection et à faire pour l’appareil enregistreur quelque chose d’analogue à ce que Hérisson avait fait pour les oscillations d’une colonne de mercure. Vierordt crut avoir vaincu toutes les difficultés ; il publia un travail (Arlerien- puis, Rriuiswick, 1 855) dans lequel il décrit l’instrument qu’il a imaginé et donne des spécimens des résultats qu’il obtient. Vie- rordt se sert d’un levier qui, s’appuyant sur l’artère assez près de son centre de rotation, est soulevé à chaque pulsation du vaisseau, et décrit à son extrémité libre des oscillations qui viennent s’enre- gistrer sur un cylindre tournant comme dans l’appareil de Ludwig. Déjà Ring, en 1 837 (Guy's Hospital Reports, t. Il, p. 107 et suiv.), avait utilisé les oscillations d’un levier pour rendre appa- rents les mouvements rhythmiques de certaines veines, connus sous le nom de pouls veineux des extrémités. Mais c’est à Wierordt qu’appartient l’heureuse idée de fixer par un tracé les mouvements d’ascension et de descente du levier, et de l’appliquer aux artères. Malheureusement l’instrument de Vierordt offrait un vice radical. On sait que pour développer la pulsation sur une artère, il faut dé- primer le vaisseau avec une certaine force. Pour obtenir cet effet, Vierordt chargea d’un poids le levier de son appareil déjà pesant par lui-même et équilibré par un contrepoids; il en résulta que chaque battement de l’artère avait à soulever une masse considé- rable ; dès lors, le mouvement du levier était lent à s’accomplir. Le sphygmograplie de Vierordt oscillait comme une balance dont les deux plateaux seraient très chargés et n’accusait jamais qu’une même forme pour les pulsations; l’ascension du levier était pareille à la descente. 3 Figure 2. Il fallait donc trouver un moyen d’obtenir la forme exacte des pulsations artérielles, de telle sorte qu’on pût retrouver sur le tracé cette variété de caractère qui fait qu’une certaine figure correspond à chaque état particulier de la circulation. Enfin, il fallait, autant que possible, donner à l’instrument des dimensions assez petites pour qu’il fût d’un transport et d’un usage commodes. C’est le ré- sultat qu’a obtenu jVl. Marey dans la construction d’un nouveau 4 spbygmograpbe qui n’a de commun avec les instruments construits dans la même intention que Remploi d’un levier comme ceux de King ou de Vierordt. Figure 3. Dans cetio ligure, l’instrument de M. Marey est réduit au tiers de la grandeur réelle. Le cadre métallique qui le supporte s’articule sur les côtés avec des ailes mobiles B 1>D. Ces parties forment dans leur ensemble une gouttière qu’on rend à volonté plus ou moins concave, et qui s’applique exactement sur l’avant-bras ; on l’y fixe à l’aide d’un lacet dont les anses sont jetées alternativement d’un côté à l’autre de cette gouttière sur de petits crochets qu’elle porte à cet effet. Les anses du lacet complètent donc par en bas celte sorte de bras- sard qui se trouve fortement assujetti. La pression exercée sur l’artère pour développer la pulsation 11’est pas obtenue par un poids dont la masse à mouvoir déforme le tracé comme dans l’appareil de Vierordt, mais au moyen d’un res- sort d’acier DU qui, fixé en arrière du cadre métallique, descend obliquement pour appuyer sur le vaisseau au moyen d’une petite plaque d’ivoire. Il est évident dans cette disposition que les condi- tions d’inertie sont supprimées, que le ressort obéira instantanément à l’expansion du vaisseau sur lequel il repose ; reste à amplifier et à tracer ce mouvement sans le déformer. La pression sur l’artère étant produite, on peut donner au le- vier L la plus grande légèreté ; aussi, dans l’instrument est-il formé par une mince tige de bois terminée à son extrémité libre par un ressort d’acier extrêmement ténu, A la place du cylindre tournant employé dans les appareils à indications continues, elqui, avec son moteur, occupe uu volume considérable, l’auteur emploie une plaque de verre enfumée P qu’un mouvement d’horlogerie 11 placé en arrière du brassard fait mouvoir dans une rainure. Lorsque l’appareil est appliqué sur l’avant-bras, suivant cpie le sujet a la radiale plus ou moins profondément située, il existe entre le levier et le ressort qui presse sur le vaisseau un intervalle plus ou moins large. 11 fallait donc que la pièce qui doit transmettre le mouvement du ressort au levier eût une hauteur variable comme l'intervalle lui-même. A cet effet, une pièce mobile bb, basculant près de la base du ressort, porte à son extrémité libre un couteau qui soulève le levier, près du même point, elle est traversée verti- calement par une vis V dont la pointe repose sur le ressort R, et transmet le mouvement au couteau. On peut ainsi, en tournant plus ou moins la vis, établir dans tous les cas la transmission du mou- vement du ressort au levier. Enfin, comme le levier est très léger, il fallait assurer sa des- cente ; ce résultat est obtenu à l’aide d’un petit ressort r qui presse sur lui, et a, en outre, pour effet de l’empêcher d’abandonner jamais le couteau qui le soulève, et d’être projeté en l’air lorsque le pouls est brusque et fort. Les tracés obtenus par cet instrument offrent une grande variété, et à l’état physiologique tout seul on peut constater, suivant la cir- constance, des formes nombreuses dont voici des spécimens réunis les uns à côté des autres. Figure 4. Pour arriver à comprendre la signification de ces tracés, deux moyens pouvaient être mis en usage : l’empirisme pouvait ap- prendre à quel état physiologique ou à quelle maladie est due cha- cune des formes du pouls ; l’expérimentation physiologique, appuyée d’expériences hydrauliques, pouvait indiquer à quelle variation dans le mouvement dusangà travers les artères correspond chacune de ces formes. Ce dernier procédé fut d’abord employé par l’auteur, qui repro- duisit artificiellement sur des tubes élastiques les principales variétés du pouls : le pouls dicrote, le pouls vite ou lent, etc. L’avantage de ces expériences est facile à comprendre. Chaque forme du pouls correspond à des conditions bien connues du mouvement du liquide 6 dans les tubes, ce qui autorisait à supposer que des conditions analogues existent sur le vivant dans les circonstances où le pouls est le même que celui qu’on obtient artificiellement, quitte à con- trôler l’exactitude de ces déductions sur le vivant. Voici les principaux faits dont on peut se convaincre à l’aide de l’instrument de M. Marey. La condition principale qui fait varier la forme du pouls est la tension artérielle plus ou moins forte, c’est-à-dire que le sang trou- vant dans les capillaires, suivant leur degré de contraction, un passage plus ou moins facile à franchir, distend plus ou moins le système artériel, de telle sorte que la tension de ces vaisseaux soit proportionnelle à la contraction des capillaires. Dès lors, deux conditions opposées correspondent à des formes du pouls opposées elles-mêmes. 10 La forte tension artérielle que l’on obtient dans tous les cas où les capillaires sont contractés, comme sous l’influence d’une douche froide, et qui existe dans les maladies où il y a algidité. Le pouls, dans ces cas, est rare, il a peu d’amplitude, peu ou pas de dicrotisme, la période d’ascension du levier est longue. 2° La faible tension s’obtient dans les conditions inverses, c’est- à-dire parle relâchement des vaisseaux capillaires; elle s’accuse parla rougeur et la chaleur des téguments, l’état fébrile, en un mot. Les caractères du pouls qui lui correspondent sont l’inverse des précédents : fréquence considérable, grande amplitude, dicrotisme prononeé, période d’ascension du levier beaucoup plus courte que celle de descente. Dans différentes publications, et en particulier dans le Jour- nal de physiologie, l’auteur a indiqué le mécanisme de ces change- ments dans la forme du pouls par suite des variations dans la ten- sion artérielle ; il a fait voir qu’on peut les produire artificiellement dans des tubes élastiques dont on fait pareillement varier la ten- sion en adaptant à leur extrémité des ajutages d’écoulement plus ou moins étroits. La fréquence du pouls est, comme nous l’avons dit, subordonnée à l’état de la tension ; c’est une conséquence toute mécanique de la résistance plus ou moins grande que le cœur éprouve à se vider. Les expériences consignées dans ces mémoires démontrent que le cœur obéit en cela à la loi dynamique générale, qu’on retrouve, du reste, dans l’action de tous les muscles de la vie animale, et que, si sa force contractile n’est pas modifiée, plus la tension artérielle augmentera et créera de résistance à la systole ventriculaire, moins le cœur exécutera de ces systoles en un temps donné. Les influences de la respiration sur le pouls sont aussi expliquées à l’aide du sphygmographe de M. Marey; elles se traduisent par des changements de niveau dans la ligne d’ensemble du tracé qui s’élève dans l’expiration et s’abaisse dans l’inspiration. Ces in- fluences sont presque nulles à la radiale lorsque la respiration est normale ; elles deviennent considérables dans les efforts respira- toires violents. Chez les malades, elles sont très accusées dans les cas de dyspnée, et peuvent servir de symptômes utiles en donnant la valeur d’un signe physique à une gène respiratoire qui n’était jusqu’ici qu’un signe rationnel. Le pouls, dans plusieurs maladies, a des formes caractéristiques : les anévrysmes présentent un pouls pathognomonique ; plusieurs maladies du cœur, la fièvre typhoïde, etc., semblent avoir dans la forme du pouls qu’elles produisent un caractère important. C’est à ce deuxième ordre d’études, essentiellement clinique, que ces travaux conduisent, et si d’autres praticiens viennent se- conder l’auteur dans cette lâche trop vaste pour un seul, nul doute que la séméiologie du pouls ne puisse être reconstruite sur une base solide, et avec l’exactitude rigoureuse qui seule peut faire sa valeur. Paris —Imprimerie île L. Martinet, rue Mignon, 2.