CAUSE DE LA RAGE / ET MOYEN d’en PRÉSERVER L'HUMANITÉ PAR MM LES DOCTEURS F. J. BACHELET ex-médecin militaire, actuellement pharmacien-major chef à l’htpital de Valenciennes, chevalier de la légion d’honneur. C. FROUSSART, médecin-major au 4- cuirassiers, chevalier de la légion d’honneur. 8ublatà causa, tollitur effecl VALENCIENNES , IMPRIMERIE DE K PRIGNET , RUE DE MON? , 9, 1837. DIVISION DE L’OUVRAGE PRÉFACE. INTRODUCTION. Première partie. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. — EXPOSÉ DES DIVERS MODES DE TRAITEMENT EMPLOYÉS JUSQU’A CE JOUR. — CAUSES ADMISES PAR LES AUTEURS. Deuxième partie. CAUSE RÉELLE DE LA RAGE CHEZ LES ANIMAUX. Troisième partie. PROPHYLAXIE. CONCLUSION. PRÉFACE La rage, ee terrible fléau dont le nom seul fait frissonner , et jette l’épouvante parmi les populations, la rage qui fait des ravages depuis des siècles , et voue, chaque année, un cer- tain nombre de victimes à la mort la plus af- freuse, a été l’écueil, la pierre d’achoppement où sont venus se briser les efforts impuissants de tant d'intelligences d’élite. Toujours debout, il est aussi redoutable et plus meurtrier que jamais, puisqu'il a envahi aujourd'hui des con- trées qu'il épargnait naguères. j» Enrayer ses funestes effets au moyen d’un spécifique infaillible , sera probablement tou- jours au dessus de la puissance humaine. Aussi, au lieu d’imiter l’exemple de nos devanciers , avons-nous cherché à découvrir le mystère qui enveloppe la raison d’être de cette horrible maladie, et le moyen prophylactique qui peut arrêter sa marche. Nous considérons comme un devoir de révé- ler à la société le résultat de nos travaux, et si notre inspiration a été heureuse, le bonheur de lui avoir été utile, sera pour nous la plus belle des récompenses. INTRODUCTION. Aucune maladie n’a peut-être été, plus que la rage, l’objet des recherches et des médita- tions du monde savant. Des siècles se sont écoulés, et cette question qui n’a pas cessé de préoccuper vivement les esprits, est toujours aussi brûlante qu’autrefois. Elle intéresse tout le monde. Chacun de nous frémit en pensant qu’il est exposé, soit à la ville, soit dans les campagnes, à être livré sans défense, à la merci d’un animal enragé. Dans certains cas surtout, comment songerons-nous à nous mettre sur nos II gardes, lorsque nous aurons affaire à un com- pagnon fidèle qui, depuis longtemps, nous don- ne des preuves irrécusables de sa docilité, de son affection et d’un dévouement sans bornes. Tous les jours nous voyons, sans émotion, des convois funèbres passer devant nos yeux, mais qu’un malheureux succombe victime de la rage, et celle triste nouvelle va répandre la terreur, et plonger dans le deuil une ville toute entière, comme si chacun avait perdu un frère, un ami. Quelques jours ne suffiront pas pour éteindre le souvenir d’une telle calamité. Les mois, les années s’écoulent, et la population au milieu de laquelle s’est accompli ce drame ter- rible, en raconte les affreux détails qui l’ont si vivement impressionnée, et sont encore aussi vivants dans son esprit que si le malheur était arrivé la veille. C’est que cette affection présente des phases si cruelles et des angoisses si poignantes ! C’est que lecorle'ge des symptômes qui la caractérise est si douleureux !! Ce qui la rend plus effrayante encore, c’est que le malheureux en- ragé conserve presque toujours son intelligence intacte jusqu’au dernier moment, et n’ignore pas qu’il est en proie à un mal qui ne pardonne III jamais. Quoi de plus désespérant que la certi- tude d’être voué à une mort inévitable, qui peut seule mettre un terme à d’horribles souffran- ces!!! Toutes ces conditions réunies lui donnent un cachet particulier qui émeut pro- fondément les cœurs les moins sensibles. Aussi, le gouvernement comprenant qu’au- cune maladie ne méritait à un plus haut degré d’éveiller sa sollicitude, a-t-il défendu de pu- blier les cas de rage dans les journaux, alin de ne pas effrayer inutilement les populations. En outre, il a cherché à diminuer le nombre des chiens, par la voie des impôts, et n’a négligé, enfin, aucun moyen de s’éclairer sur un sujet d’une telle importance. Mais la science n’ayan1 pas encore pu donner une solution, l’adminis- tration se trouve réduite aux simples mesures de police qui consistent à museler, tenir en laisse, traquer, empoisonner, poursuivre et enlever les chiens errants, tristes moyens qui, Gomme nous le prouverons, ont eu pour résul- tat de faciliter les progrès du fléau . Et cependant, il faut l’avouer, il ne nous est pas permis d’accuser les savants d’indifférence. En 1780, plusieurs centaines d’écrits avaient déjà paru sur la rage, et depuis cette épo- que , l’Europe a été inondée d’une foule d'autres travaux sur cette matière. Non seulement ces œuvres sont restées stériles , mais en raison des opinions contradictoires omises par les divers auteurs, leur ensemble offre un déplorable mélange d’erreurs et de vé- rités, ce qui range celte maladie au nombre de celles qui sont le moins connues. C’est pour distinguer le vrai du faux, et jeter un peu de lumière sur cette question si intéressante au double point de vue de la science et de l’hu- manité, que nous allons entrer dans quelques considérations nécessaires pour élucider les points les plus importants qui s’y rattachent. Ces considérations sont indispensables, d'ail- leurs , pour bien saisir les idées et les appré- ciations nouvelles que nous allons exposer dans le courant de cet ouvrage. PREMIÈRE PARTIE. Considérations générales La rage est une maladie virulente dont la terminaison est toujours mortelle. Caractéfisée par un appareil de symptômes spéciaux, elle peut se développer spontanément chez cer- tains animaux , mais l’homme ne la contracte jamais que par voie de transmission, c’est-à- dire par suite de la morsure d’un animal en- ragé. Appelée Rabies par les latins et par les grecs, elle a reçu une multitude d’autres dé- nominations que l’on ne perd rien à ignorer, tel. 4 les que : tétanos rabicn , angine spasmodique, toxicose rabique , cynolisson , phobodipson , cynanlhropie, lissa canina, etc. Mais le mot hydrophobie, généralement adopté par l’usage, est la plus fâcheuse synonymie qu’on ait pu choisir, car elle a beaucoup contribué à ré- pandre de la confusion dans les esprits. En effet, t hydrophobie de eau, et de e peut renverser une foule d’autres faits opposés. Nous pensons donc avec Bérard et Denonvilliers, que celui des deux chiens qui est devenu enragé, a 45 été affecté d’une rage spontanée qui a coïnci- dé avec l’inoculation faite par Brescliet et Ma- gendie. Cette expérience unique tombe donc de son propre poids, car il appartenait à ces illustres professeurs de tenter de nouvelles inoculations pour confirmer une assertion si hasardée. Peut- être ont-ils fait de nouvelles tentatives, mais qui n’ont pas été suivies du même résultat, car ils se seraient empressés, sans aucun dou- te, de les publier, pour corroborer leur pre- mière opinion. Quarante-trois ans se sont écoulés, et il n’ont point repris la parole pour défendre cette opinion qui doit désormais res- ter ensevelie dans l’oubli. Il résulte de tout ce que nous venons d’exposer que la bave des hommes et des herbivores affectés de rage, ne transmet pas la maladie, et qu’il en est de mê- me de la sueur, de l’haleine, de la liqueur sé- minale, du lait et du sang. Exposé des divers modes de traitement employés jusqu’à ce jour On les a divisés en deux catégories: d» ceux qui comprennent les moyens destinés à combattre lu maladie, lorsqu’elle est déjà déclarée, 2o ceux qui consistent à en prévenir le développement. On a donc reconnu un traitement curatif, et un traite- ment préservatif. Le traitement dit curatif n’offre malheureuse- ment au médecin qu’un triste sujet de méditations. Tous les moyens thérapeutiques ont été tentés dans le but sans cesse et inutilement poursuivi de gué- rir la rage. Depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, on a vanté comme spécifiques, une quantité prodi- gieuse de remèdes, beuvrages, mixtures et recet- 48 les bizarres, qui ont été prônés par l’ignorance la plus grossière et la plus stupide superstition. On croyait toujours découvrir un antidote certain, mais l’expérience est venue en démontrer l’inefii- caeité. Il est regrettable que les populations de nos campagnes se soient toujours laissé abuser par une foule de contes absurdes, inventés par des em- piriques qui ont profité des craintes si vives et si légitimes qu’inspire cette maladie, pour exploiter la crédulité publique. On ne doit pas trop s’étonner pourtant, que le charlatanisme ait cherché à tirer prolit de la frayeur et des préjugés du vulgaire, mais ce qui a lieu de surprendre, c’est que les gouvernements n’aient pas pris des mesures sévères pour s’oppo- ser à certaines fourberies qui révoltent à la fois la raison et le sentiment réligicux. On lit dans la revue encyclopédique, que divers ordres religieux prétendaient avoir en leur possession des remèdes infaillibles contre la rage. Avant la révolution, des moines publiaient que les reliques de St.-Hubert avaient la vertu de guérir cette maladie. Les malheureux s’y rendaient en affluence, surtout les habitants des départe- ments du Nord, du Pas-de-Calais et de la Marne. Arrivés à l’église, un prêtre leur pratiquait une légère incision au front, pour y introduire un fragment de l’étole du Saint. On serrait ensuite la tète du malade, et pendant six semaines, il lui était ordonné de ne pas se laver, de ne pas chan- 49 ger de linge, de manger tous les jours dans la même assiette, de ne pas boire de vin blanc, d’évi- ter de se regarder dans une glace, etc. Le neu- vième jour on lui enlevait son bandeau, pour le brûler solennellement dans le chœur de l’église, où on célébrait sa convalescence avec pompe. En- fin, le dixième jour expiré, on déclarait que la cure était terminée. Il existe encore aujourd’hui des personnes qui croient que les reliques de Saint-Hubert peuvent, non seulement guérir, mais encore conjurer la ra- ge, et même en préserver à tout jamais ceux qui consentent à se soumettre à ces jongleries. Du reste, personne n’ignore que d’autres moines ap- pliquaient sur le corps des personnes mordues par un animal suspect, les clefs chauffées des églises de Saint-Roch, Saint-Pierre de Bruges; Saint-Belli- ni et Sainte-Guitterie. En Vendée, l’exorcisme était encore en honneur il y a quelques années. Mais ce qu’il y a de plus déplorable, c’est que les populations saisies d’effroi h l’aspect d’une ma- ladie si extraordinaire, si terrible par ses effets, et si sûrement mortelle lorsqu’elle est déclarée, ont cru qu’elle pouvait se communiquer même en res- pirant l’haleine des malades. Aussi on les aban- donnait à eux-mêmes, ou bien on provoquait leur mort, en dépit des médecins et des autorités admi- nistratives, qui n’avaient pas toujours assez de courage ou de puissance pour lutter ouvertement contre des préjugés enracinés dans le vulgaire, et so s'opposer à une telle barbarie. En 1816, les jour- naux ont retenti de la tin malheureuse d’un infor- tuné qu’on avait étouffé entre des matelas. Aussi est-il du devoir des médecins de répéter que cette maladie ne peut pas se transmettre d’un homme a un de ses semblables, et qu’il n’y a, par consé- quent, aucun danger à soigner ceux qui en sont atteints. Faire une longue et stérile énumération de tous les remèdes qui ont été employés contre la rage, of- frirait fort peu d’intérêt, car ils sont tous tombés dans l’oubli. Il suffit de savoir que la matière mé- dicale possède peu de médicamens qui n’aient pas été mis'en usage. Ainsi, l’opium, la belladone, le musc, l’assa-fœtida, le camphre, le castoréum, la menthe, la sauge, l’absinthe, la valériane, l’elle- bore et la thériaque ont été vantés tour a tour. On a eu recours ensuite à des médicamens plus ac- tifs,1 tels que l'ammoniaque, les acides minéraux, et spécialement l’acide chlorhydrique, la sabine, les cantharides, la poudre d’écailles d’huitres, l’é- tain, le plomb, le mercure, le nitrate d’argent, 1 acide prussique et l’arsenic. On n’a même pas négligé les émétiques, les sudorifiques, les diuré- tiques et les purgatifs drastiques. A peine est-il nécessaire de citer l’arcane d’Eschiron conseillé par Galien et Oribase, le bain de surprise proposé par Celse, les harengs salés employés par Van-Hel- ?nont, et le foie brûlé de chien enragé, ainsi que ai les excrémens de divers animaux, préconisés par les anciens. * Nous allons nous borner à jeter un coup d’œil sur quelques autres médications inventées ou re- mises en honneur par les médecins modernes, et qui ont, du moins, un semblant de rationnalité. Nous citerons en première ligne, la saignée poussée jusqu’à la défaillance, et qui, secondée par l’opium et plusieurs autres médicamens, a compté un assez grand nombre de partisans. Cette mé- thode curative était déjà connue des anciens. Elle est conseillée par Celse, Boërhaave, Mead et Andry. Plusieurs praticiens modernes, entr’au- tres Sehoolfred, Nugent, Berton, Edmostron et Goeden prétendent en avoir obtenu des succès, mais si on lit leurs observations avec attention, loin d’y rencontrer toute l’évidence désirable, tou- chant la nature de la maladie, on est porté à croi- re, au contraire, qu’ils n’ont eu affaire qu’à des hydrophobies symptomatiques de la frayeur, sur- venues, par suite de morsures d’animaux qui n’étaient point affectés de rage. D’alleurs, la même médication a échoué complètement entre les mains d’un grand nombre d’autres médecins distingués. Il est vrai que la saignée a souvent amené une amélioration surprenante et très prompte, bien faite pour inspirer de l’espoir, mais cette amélio- ration a toujours été de courte durée, et n’a pas empêché les malades de succomber aussi rapide- ment. 52 Il y a environ trente-cinq ans, une découverte à la- quelle on a accordé beaucoup d’importance, est venue impressionner vivement les esprits. Elle ne tendait rien moins qu’à changer toutes nos idées sur la rage, et à nous donner le moyen certain de nous garantir de ses ravages. Cette découverte insérée dans le journal universel des sciences mé- dicales, aurait été faite par un paysan de l’Ukrai- ne, qui en aurait fait part au docteur russe Maro- chetti. Elle repose sur une théorie nouvelle et com- plète, qui consiste à admettre que le virus rabi- que, après avoir séjourné fort peu de temps dans la blessure, se porte tout entier, par une espèce de métastase, sous le frein de la langue, à l’orifi- ce des canaux des glandes sous-maxillaires et sub- linguales. Là il s’y accumule, du troisième au neuvième jour, renfermé dans de petites vésicules appelées Lysses. Si on ouvre ces vésicules, pour donner issue à la matière ichoreuse qui les rem- plit, et qu’on ait soin de les cautériser avec un bou- ton de feu, la marche du virus se trouve arrêtée- et la maladie enrayée.Si au contraire, cette précau- tion n’a pas été prise, le virus est réabsorbé, ga- gne le cerveau, et la rage se déclare. Comme moyen adjuvant, Marochctti conseille le suc de la plante genista tinctoria prise à l’inté- rieur. Il prétend qu’elle a la propriété de neutrali- ser le virus, ou du moins de le pousser à la surface de la muqueuse buccale, sous la forme des vésicu- les dont nous venons de parler. A l’appui de ces 53 idées, il cite un grand nombre d’observations qui ont été communiquées à l’académie de médecine. Malheureusement les faits ne sont pas venus con- firmer cette étrange théorie qui a eu un si grand retentissement. Bien des médecins, entr’autres Honoré, Girard, Bathélemy, Marc, Cloquet, etc., ont été à même de voir un assez grand nombre de personnes ou d’animaux enragés, et à l’exception de deux ou trois fois, ils n’ont pas même pu constater l’existence de ces Lysses observés par le docteur Marochctti Aussi, est-il superflu d’a- jouter que la cautérisation secondée de l’emploi du genista tinctoria, a toujours échoué. Il y a vrai- ment lieu de s’étonner que des hommes sérieux aient supposé que le virus rabique absorbé et in- troduit dans le torrent de la circulation, prenait une semblable route, et venait s’accumuler, ainsi, sous la langue En 1814, Dupuytren a injecté, sans succès, de l’eau opiacée dans la veine saphène de personnes altectées de rage, à l’aide dè la seringue d’A- nel. Un grand calme est survenu, il est vrai, sous l’influence du narcostime, mais peu après, tous les symptômes ont repris une nouvelle intensité. Ces mêmes tentatives ont été renouvelées en 1823, par Magendie, et plus tard par Yillette et Menière, qui ont injecté dans le veines, de l’eau pure ou émétisée, ou chargée de Musc et de camphre, mais toutes ces expériences n’ont fait que hâter le dénouement fatal. 54 L'analogie a conduit à penser que l’action du virus rabique pourrait peut-être se trouver neutra- lisée par l’inoculation d’un autre virus. A cet effet, plusieurs médecins : Ribières, Gilibert et Vilicel ont fait mordre des personnes enragées, par des vipères. Mais les symptômes propres à l’absorption du venin de la vipère et du virus rabique, se sont manifestés concurremment, ce qui a contribué à faire périr les malades plus vite. Tous ces moyens ont donc échoué, même le gal- vanisme tenté par Rossi et Pravaz, et la calo- mel ainsi que le chloroforme qui ont été employés tout dernièrement. Il est vrai que les livres racon- tent quelques prétendues cures, mais comme nous l’avons déjà avancé, elles reposent toutes sur des observations d'hijdrophobie simple ou escortée de symptômes rabiformes, et elles n’ont pas manqué de faire honneur au traitement, quel qu’il fût. Nous devons donc avouer qu’il n’existe aucun moyen capable de guérir la rage confirmée, et que les malheureux qui ont contracté cette affection, sont voués à une mort certaine. Cet aveu est triste et décourageant, mais c’est une vérité qu’il n’est pas inutile de faire connaître, en ce sens qu’elle engage à accorder plus d’attention aux moyens préser- vatifs qui seuls, offrent quelques chances de succès. Traitement préservatif. — Lorsqu’on a été mordu par un chien enragé, la première indi- cation qui se présente est de s’opposer, le plus promptement possible, à la pénétration du virus 55 dans l’économie. Plusieurs moyens peuvent être employés, de concert, pour arriver à ce résultat. 1° Si on a affaire à un membre, placer immé- diatement une ligature à un pouce environ au- dessus de la morsure, à l’aide d’un mouchoir, d’u- ne cravate ou d’une bretelle, dans le but de retarder un peu l’absorption. 2° Faire sur la blessure de larges lotions avec l’eau froide qui est préférable à tous les autres li- quides que l’on a conseillés. 3" Présser, en même temps, méthodiquement sur la plaie, afin d’en exprimer le plus de sang pos- sible et d’entrainer ainsi toute la bave qui a pu y être déposée. 4U Afin de dégorger la blessure, et d’attirer plus sûrement au dehors toutes les parties viru- lentes, il sera bon de la débrider largement et de l’agrandir à l’aide d’incisions cruciales, surtout si elle est profonde. 5 On secondera ce dégorgement de la plaie, non par la succion que nous n’oserions conseiller, mais par l’application d’une ventouse ou d’un verre d’une dimension ad hoc, si la configuration des parties le permet. Tous ces moyens sont très-simples et a la por- tée de tout le monde. Aussi, il serait à désirer que chacun les connût , afin de pouvoir agir de sui- te, sans perdre un temps précieux avant l’arrivée du médecin, car ils sont presque suffisans pour conjurer le développement de la maladie. i»G Enfin, dans le but de s’entourer de toutes les ga- ranties désirables, on cautérisera la plaie avec un fer rougi h blanc, que l’on introduira le plus profondé- ment possible, afin de détruire tous les tissus au sein desquels l’absorption pourrait s’effectuer. Mais il faut que le fer rouge soit' manié par une main habile et hardie. Dans une circonstance aussi gra- ve, on doit agir promptement et vigoureusement, car une timidité malentendue compromettrait la vie du blessé : ferro inuratur ignito satis pro~ funde. Mieux vaut brûler trop que trop peu, car le moindre atome de virus échappé à l’action cau- térisante, suffirait pour développer le mal. On im- provisera donc un cautère actuel, au moyen d'un morceau de fer quelconque, dont la forme sera en rapport avec la blessure, et pour ne pas perdre de temps, on tâchera d’en avoir plusieurs à sa dis- position, afin de remplacer celui qu’on éteindra dans la plaie. S’il existait des lambeaux, on les re- trancherait avec des ciseaux. Comme nous l’avons déjà dit, les anciens em- ployaient le fer rouge. Mais Aurelianus et Oribase ayant cru à l’efficacité de certains remèdes inter- nes, la cautérisation fut tellement oubliée, qu’Am- broise Paré, le premier chirurgien de son siècle, n’en fait même pas mention. Il employait, lui aus- si, certains topiques qu’il recommandait comme des préservatifs assurés. Le traitement par la cau- térisation a donc été réhabilité par les médecins modernes. 57 Quelques praticiens préfèrent les caustiques li- quides au cautère actuel. On s’est servi alternati- vement de l’ammoniaque, du nitrate d’argent, des acides sulfurique, nitrique et chlorhydrique, de la lessive des savonniers, de l’oxide rouge de mer- cure, de l’huile bouillante, des cantharides, etc, moyens que souvent insuffisans. Mais la potasse caustique, le- caustique de Vienne, et surtout le chlorure d’antimoine,(beurre d’antimoine),ont joui d’une grande faveur, ayant été préconisés par des hommes distingués, tels que le Roux, Sabatier, Portai, Dubois, Enaux et Chaussier. En Allema- gne, on emploie, depuis plusieurs années, l’exci- sion profonde et complète de toutes les parties lé- sées qui auraient pu subir le contact de la bave. On lave ensuite la plaie avec une solution de po- tasse caustique, et on y applique un tampon de charpie imbibé de cette solution. Tous ces moyens remplissent lemême but, mais ils sont loin d’être aussi sûrs que le fer rouge. En- suite,il ne peuvent pas être appliqués auxblessures siégant sur certaines parties du corps, par exem- ple à la face, dans la bouche, les narines, etc. En- outre, la cautérisation par le feu a l’immense avan- tage de porter son action instantanément, ce qu’il ne faut pas perdre de vue. Malheureusement, dans certains cas, les blessures sont si nombreuses, si profondes, si irrégulières, si étendues, compliquées d’une telle dilacération des parties, ou occupant des organes si importants, que la cautérisation ne 58 peut plus recevoir son application, ou deviendrait infidèle. L’amputation du membre devient quel- quefois indispensable. C’est alors à la sagacité du médecin à apprécier la conduite qu’il doit tenir, car il serait difficile de poser des règles qui pussent lui servir de guide. L’intervalle qui sépare le moment de la morsure de celui où apparaissent les premiers symptômes, et pendant lequel la santé du blessé n’éprouve aucun dérangement, a reçu le nom de période d’incubation. Sa durée excède rarement 8 à 12 jours chez les animaux. Elle est généralement de 28 à 40 jours chez l’homme. On trouve dans les auteurs quelques prétendus faits qui ten- draient à faire croire que la rage s’est quelquefois déclarée presque immédiatement après la morsure, tandis que dans d’autre circonstances, la période d’incubation aurait atteint 10, 20. et même 30 ans. Comme nous l’avons déjà dit, tous ces exemples n’appartiennent point à l’histoire de cette maladie mais se rapportent à des hydrophobies symptoma- tiques, et nous croyons l’avoir suffisamment dé- montré.Cette croyance trop accréditée de l’incuba- tion presque indéfinie de la rage, a souvent livré aux angoisses les plus cruelles, des personnes qui avaient été mordues par des chiens bien portans. Aussi, dans l’intérêt de la sûreté publique, devons- nous dire que si elle a parfois excédé le terme de quarante jours, du moins, en consultant tous les ouvrages, on reconnaît que jamais on n’a pu 59 constater un seul cas bien authentique , dont la période d’incubation auraitdépassé l’extrême limite d’une année. Il parait bien avéré, d’après un'grand nombre de faits, que certaines circonstances peuvent activer le développement de l’affection rabienne, et en hâter l’apparition, telles sont les excès de boissons spi- ritueuses, les veilles prolongées, les fatigues ex- trêmes, l’insolation, l’irritation de la blessure ou de la cicatrice, etc. Mais les impressions morales vives, et surtout la nouvelle qu’un individu mordu par le même animal est devenu enragé, ont paru susceptibles d’en déterminer l’invasion. La rage n’a donc pas, de même que toutes les autres affections virulentes, une période d’incu- bation fixe.Cette circonstance est déjà assez singu- ière, mais ce qui est plus surprenant encore, c’est que le virus rabique puisse séjourner dans l’éco- nomie, sans causer aucun désordre appréciable, pendant un laps de temps considérable. Et ce- pendant, il ne perd rien de son énergie et de son activité, puisqu’il doit se révéler infailliblement plus tard, par des effets formidables, dont la mort est toujours la suite. Se basant sur la longue durée de l’incubation, et la lenteur présumée de l’absorption du virus, pres- que tous les médecins pensent que l’art peut exer- cer son influence salutaire pendant tout cet inter- valle. Se berçant du faux espoir de pouvoir con- jurer les accidens, tant que la maladie n’a pas 60 éclaté, ils conseillent, quelque soit le temps écoulé dépuis la morsure, de rouvrir la plaie, delà faire saigner, d’y appliquer des vésicatoires, etc., etc., dans le but d’entrainer le principe} léthifcre qu’ils supposent confiné dans la cicatrice. Quelque affli- geant qu’il soit d’exprimer une vérité découra- geante, nous ne devons pas cacher que nous som- mes loin de partager cette manière de voir.Bienque nous ne puissions pas expliquer la cause de cette innocuité du virus, pendant la période d’incuba- tion, nous pensons, en nous guidant d’après l’ana- logie , qu’à l’instar de toutes les substances de quelque nature qu’elles soient, le virus rabique doit subir une absorption rapide, et qu’une fois le principe morbifique passé dans le sang, toute mar- che rétrograde devient désormais impossible. Pendant combien de temps, à partir du moment où la blessure a été faite, peut-on conserver l’espoir de préserver le malade? Nous l’ignorons. Aussi ne saurions-nous trop recommander d’agir avec la plus grande célérité possible dans l’application des moyens préservatifs. La plupart du temps ils ont échoué parcequ’on les a employés trop tard. Souvent aussi les succès que l’on cru obtenir étaient illusoires parceque l’animal n’était pas véri- tablement enragé. Pour que la cautérisation devienne efficace, il faut donc qu’elle soit faite immédiatement, sans perdre un seul instant, et rarement cette condi- tion a été remplie. Les nègres des colonies qui sont 61 fréquemment exposés à la morsure d’animaux ve- nimeux, n’ont pas besoin de l’intervention du mé- decin, pour neutraliser le venin. Toujours munis d’un instrument tranchant et d’un petit tlacon d’ammoniaque, ils se pratiquent, dès qu’ds sont blessés, une incision cruciale pour élargir la plaie, et y versent le caustique liquide. Rarement il arri- ve qu’ils ne réusissent pas à neutraliser les effets de la substance léthifère. Cela est si vrai, qu’on rencontre quelquefois dans les colonies, des esclaves qui, pour se don- ner en spectacle, se font un jeu de s’exposer volon- tairement aux morsures de ces animaux. Nous te- nons de source certaine, d’un témoin oculaire, qu’un nègre du Sénégal, qui servait avec nos trou- pes, poussait l’extravagante témérité*jusqu’à se fai- re mordre par un serpent de la plus dangereuse espèce, au grand étonnement des assistants qui étaient saisis d’horreur à cette vue. Depuis des années, il avait mainte fois renouvelé impunément ces singulières expériences, mais un jour la subti- lité du venin ayant échappé à l’action de l’alcali dont il faisait usage sur-le-champ, il succomba peu d’instants après. On atteindrait certainement le, même but, si à l’imitation de ces nègres, on agrandissait immé- diatement la plaie avec un instrument tranchant quelconque, pour y introduire ensuite du beurre d’antimoine, dont l’action caustique est, comme on le sait, excessivement prompte. Mais comment 62 persuader à nos campagnards qu ils doivent se prémunir ainsi constamment ? Leur intelligence ne se refuserait pas, il est vrai, à comprendre l’ef- ticacité de ces précautions, mais elles seraient cer- tainement négligées par leur indifférence et l’insouciance d’un danger qui les menace assez rarement. Causes admises par les Auteurs. Examinons maintenant quelles sont les causes qui ont été considérées comme capables de pro- duire la rage spontanée chez les animaux apparte- nant aux genres canis et felis. Nous nous borne- rons à citer les principales qui sont: la colère, l’influence des climats et des saisons, la faim, la soif, l’usage d’aliments malsains et d’eaux cor- rompues. Frédéric Hoffmann a prétendu que la cause de cette maladie devait être attribuée aux émotions morales vives auxquelles ces animaux sont expo- sés à chaque instant, dans les luttes qu’ils ont a soutenir entre eux, aux passions qui les agitent, 64 et aux blessures qu’ils reçoivent, surtout pendant la saison du rut. Cette opinion a été partagée par plusieurs auteurs, mais elle est abandonnée au- jourd’hui comme inadmissible. En effet, parmi les observations qui ont été recueillies par eux, on n’en trouve pas une seule assez probante pour justifier cette manière de voir. Tous les jours nous sommes témoins d’exemples qui prouvent le contraire. Ne voyons-nous pas souvent des chiens se battre, se mordre et se déchirer à belles dents, dans l’exaspération de la plus extrême fu- reur, sans qu’il en résulte aucune suite fâcheuse? Il n’y a pas longtemps encore, la police per- mettait des combats où ils jouaient le prin- cipal rôle. Ceux qui se livraient à ce genre d'in- dustrie, se transportaient de ville en ville, et an- nonçaient ces luttes aux habitants, en les enga- geant à amener leurs chiens pour y livrer assaut. Le combat était donc, pour ainsi-dire, l’état nor- mal des animaux qui faisaient partie de ces ména- geries, et cependant rien n’est encore venu révéler que la rage se soit produite chez eux plus fréquem- ment que chez ceux qui vivaient dans l’état de tranquillité la plus parfaite. Une forte surexcitation nerveuse ne saurait pro- voquer dans l’organisme, des modifications spécia- les assez puissantes, pour donner naissance à un virus dont les effets sont si terribles. Cette hypo- thèse ne peut donc pas soutenir un examen sérieux. La colère est tout simplement un phénomène ner- I 65 veux analogue à la frayeur qui, comme nous l’avons déjà expliqué, peut amener à sa suite certains inconvéniens, il est vrai, mais le simple bon sens s’oppose à admettre qu’une émotion morale passa- gère, quelque violente qu’elle soit, puisse déter- miner l’invasion d’une maladie virulente. L’influence des climats a été considérée comme pouvant produire la rage, par Boërhaave, Robert James et un grand nombre d’autres écrivains. Les uns ont prétendu que les grandes chaleurs en sont la cause unique, d’autres les froids excessifs, quel- ques uns enlin, les alternatives fréquentes de température. On a même été jusqu’à diviser la rage en australe et en septentrionale, mais les faits viennent détruire ces hypothèses, car cette maladie n’existe pas, ou ne se montre, du moins, que très rarement dans les pays très chauds. Savary nous a appris qu’elle est complètement inconnue aux Antilles, dans l’ilede Chypre, et dans presque tou- te la Syrie. Barrow rapporte qu’on ne l’observe près, que jamais aux environs du cap de Bonne-Espé- rance, ni dans laCafrerie. John Hunter n’en a pas constaté un seul exemple à la Jamaïque, pendant quarante ans, et Van-Svviéten, Valentin ainsi que Portai assurent qu’elle est très rare dans la partie méridionale de l’Amérique Moseley et un grand nombre de voyageurs s’accordent à affirmer qu’il en est de même dans toute l’Inde où les chiens sont cependant en très grande quantité. Le docteur Thomas qui a sé- 66 journé pendant longtemps dans ce pays, assure qu’il n’en a jamais entendu parler. Tous ceux qui sont allés en Egypte, déclarent qu’elle y est com- plètement inconnue. Prosper Alpin l’avait déjà écrit, il y a longtemps, et Brown avait aussi ob- servé qu’elle n’y existe pas, ou du moins qu’elle s’y montre à peine. Plus tard Volney ainsi que le baron Larrey, comme on peut le voir en consul- tant les mémoires de médecine militaires, ont con- firmé ces assertions Enfin, d’après l’avis unanime de tous les écrivains, on peut en dire tout au- tant de l’Algérie et de la Turquie. On a prouvé également qu’elle ne se montre pas, ou d u moins qu’elle est très rare dans les contrées froides, entr’autres à Tobolsk , Archangel, dans presque toute la Russie, et particulièrement dans les pays qui sont au Nord de Saint-Pétersbourg. De la Fontaine rapporte qu’elle est presque inconnue en Pologne, pays tellement infesté par les loups, qu’on est obligé de les chasser, chaque année, pour en diminuer le nombre. Enfin, d’après le récit de quelques voyageurs, il parait qu’on n’en a jamais observé un seul cas au delà des cercles polaires. Cependant nous ne devons pas passer sous si- lence une circonstance qui mérite de fixer l’atten- tion, et sur laquelle nous reviendrons. C’est que cette maladie s’étend aujourd’hui dans des pays qui se croyaient à l’abri de son infiuen'ce. Les docteurs DanieUohnson et Bonel delà Brageresse racontent nu’elle fait actuellementquelques ravages dans fin- 67 de. D’autres rapportent qu’elle est devenue assez fréquente en Amérique. Nous lisons dans le rap- port de Tardieu, que le docteur Amstein en a vu lui-même plusieurs exemples à Alexandrie et aux environs. Enfin, une quinzaine de cas survenus sur différents points de l’Algérie, depuis une dizaine d’années, ont été constatés par des médecins mi- litaires, et les observations en ont été insérées dans le dernier volume des mémoires de médeci- ne, qui vient de paraître. Ce que nous avons dit des climats peut se rap- porter aux saisons. Salins Diverses a invoqué com- me cause de la rage, les chaleurs excessives de l’été, Boissier de Sauvages et Le Roux, les froids ri- goureux de l’hiver, saison pendant laquelle les loups endurent les souffrances de la faim. Et ce- pendant il est parfaitement démontré par les re- cherches d’Andry et par l’ensemble de toutes les observations consignées dans les mémoires de la société royale de médecine, que, non seulement cette maladie se montre pendant toute l’année, mais encore qu’on en voit le moins d’exemples pendant les mois d’août et de janvier qui repré- sentent les deux limites extrêmes de la tempéra- ture. C’est, au contraire, dans les mois de mars et d’avril que l’on rencontre le plus des loups enra- gés, et pendant ceux de mai et de septembre que l’on trouve un plus grand nombre de chiens atteints de ce fléau. La soif et la faim prolongées, l’usage d’aliments 68 putréfiés et d’eaux corrompues, ont été regardés par la plupart des auteurs, comme présidant au développement de la rage, mais il est bien démon- tré aujourd’hui que toutes ces conditions n’ont au- cune influence sur sa production. Si la soif en était la cause, c’est surtout lorsque la surface de la terre est desséchée, que les sources sont taries ou gla- cées, et que les animaux ne peuvent trouvera se désaltérer, qu’on l’observerait le plus fréquem- ment. Toutes ces conditions ne se trouvent-elles pas dans les iles d’Amérique où la rage ne règne pas, ou du moins parait à peine ? n’en est-il pas de même dans les déserts brûlants de l’Afrique, où il faut quelquefois voyager pendant longtemps avant de pouvoir trouver une seule goutte d’eau ? D’ailleurs ne venons-nous pas de voir que dans nos climats tempérés, les mois d’aQÛt et de janvier sont préci- sément les époques pendant lesquelles on rencontre le moins d’animaux enragés? Barrow, Alpin et le baron Larrey ne nous ont-ils pas appris qu’en Egypte où cette maladie est inconnue, les chiens sont souvent privés d’eau pendant la sécheresse, et qu’ils meurent même quelquefois de faim et de soif? Pour s'assurer de la vérité, Bourgelat a fait des expériences sur six chiens qu’il a renfermés sans nourriture et sans eau, les laissant croupir dans la plus dégoûtante saleté. Ces animaux ont fini par mourir de faim et de soif, ou par s’entre-dévorer, mais aucun d’eux n’est devenu enragé. Dupuytren, 69 Magendie et Breschet ont renouvelé, à plusieurs reprises, ces mêmes expériences, sur une grande éelielle, et n’ont pu parvenir à provoquer un seul cas de rage. Toutes ces causes sont donc illusoires, mais n’est-il pas digne de remarque que cette maladie soit tout-à-fait inconnue, ou du moins ne se mon- tre presque jamais dans certaines contrées, tandis qu’elle est très fréquente dans d’autres régions ? Pourquoi affecte-t-elle une sorte de prédilection pour la portion froide des zones tempérées, et de- yient-t-elle si rare dans la zone Torride? Pourquoi est-elle si commune en Europe, et spécialement dans les pays où la civilisation à fait de si immen- ses progrès? Pourquoi, enfin, envahit-elle au- jourd’hui des locahtés qu’elle épargnait autrefois? .Nous allons en exposer les raisons. DEUXIÈME PARTIE. Cause réelle de la rage chez les animaux. Nous venons de démontrer que ni la colère, ni l’influence des climats et des saisons, ni les varia- tions de température, ni la faim, ni la soif, ne peuvent produire l’affection rabienne, pas plus que la malpropreté, l’usage d’alimens malsains et d’eaux corrompues. Aucune de ces conditions ni la réu- nion de plusieurs d’entre elles n’est capable de la déterminer, puisqu’on a essayé mainte fois de *a faire naître artificiellement en soumettant deé animaux à leur action, et qu’on n’a obtenu que des résultats négatifs. Où chercherons-nous donc la cause de la rage spontanée, chez les animaux des genres Canisc tFe 74 lis? Nous avançons hardiment qu’elle réside uni- quement dans la privation de la fonction géné- ratrice. La reproduction est un des phénomènes les plus remarquables de la vie. Destinée à réparer les ravages continuels de la mort, elle semble plus im- portante aux yeux du créateur, que toutes les au- tres fonctions. En effet, certains animaux du dernier degré de l’échelle, ne semblent vivre que pour se reproduire et mourir après. Dans l’ordre supérieur, ils ne deviennent parfaits qu’à l’âge où la mue de la voix, l’accroissement des poils et l’augmentation de la force musculaire, phénomènes qui coïncident avec le développement des testicules et l’apparition du 11 uide qu’ils sécrètent, leur permet de concourir à l’acte de la reproduction. Dès que ce noble emploi qui leur avait été confié ne peut plus être rempli, ils déclinent progressivement. La repro- duction impose donc l’inexorable nécessité de la mort, car sans elle, l’univers serait bientôt sur- chargé d’êtres vivans. Afin de maintenir ainsi l’equilibre entre la des- truction et la reproduction', la prévoyante natu_ re a dû envelopper les actes de cette grande et ad- mirable fonction, de certains mystères que la rai- son et la science humaines ne pourront jamais pé- nétrer, et sur lesquels notre orgueilleuse prétention s’est épuisée en vaines conjectures. Ces secrets qu’elle s’est réservés, étaient sans doute néces- saires pour éterniser la conservation des races, et 75 opposer une barrière infranchissable aux passions humaines. L’univers serait peut-être bientôt dé- peuplé , si la propagation était sous la dépen- dance de la volonté de l’homme. Que deviendrait le monde, si seulement la faculté de procréer les sexes suivant notre caprice, nous était dévo- lue. Les phénomènes de la reproduction sont exces- sivement variables chez les diverses classes d’ani- maux. Ainsi, la plupart des oiseaux et quelques quadrupèdes n’ont qu’une vertu prolifique pro- portionnelle à une seule femelle. Aussi ils vivent en état d’association ou de mariage, éprouvent l’un pour l’autre un attachement véritable, et ne se sé- parent pas,lors même quele besoin de la génération ne se fait plus sentir. Dans d’autres races, au con- traire, le mâle jouit d’une faculté fécondante si dé- veloppée, qu’il peut suffire à plusieurs femelles. C’est ce que l’on observe chez la plupart des her- bivores, et surtout chez les gallinacés, dont le coq est un vrai sultan entouré des favorites de son sérail. Dans certaines contrées où notre civilisa- tion n’a point encore pénétré, l’homme insatiable de jouissances, a eu l’idée d’imiter l’exemple de ces animaux, afin de rallumer des désirs qui tendaient à s’éteindre. Mais cette polygamie est tout aussi bien en désaccord avec nos idées morales et re- ligieuses qu’avec les lois que la nature nous a tracées. Il est vrai que la reproduction n’est pas une 76 fonction indispensable à la vie de l’individu, puis- que les parties qui président à son accomplisse- ment, peuvent être enlevées, sans que l’existence soit compromise. Mais lorsqu’un être jouit de l’inté- grité de tous ses organes, un instinct irrésistible et indépendant de la volonté, lui fait éprouver le désir impérieux de la copulation. La somme de plaisir et de volupté qui y est annexée, le force, par cet attrait même, a obéir au vœu de la nature qui rend, ainsi, impossible la perte de l’espèce. Ce penchant vers le rapprochement sexuel se nomme amour physique. Nous ajoutons cette épithète à dessein, car nous occupant particulièrement de ja fonction reproductrice des animaux et de son influence sur le développement de la rage, il serait hors de propos d’aborder ici l’histoire intermina- ble de cette passion. Nous serions alors forcés de faire parfois abstraction de l’élément matériel, pour nous lancer dans des sphères plus élevées, et ren- trer dans le domaine de la métaphysique et de la psychologie, ce qui nous ferait sortir de notre sujet. L’homme est apte à la reproduction pendant toute l’année. Cependant c’est au retour du prin- temps, qu’il semble plus disposé à écouter ce cri puissant qui l’appelle à la procréation. A cette époque, la nature se réveille de son engourdisse- ment et de son sommeil. La terre va se couvrir de son long manteau vert parsemé de fleurs brillan- tes, et le soleil qui l’inonde de ses plus riches 77 rayons, semble s’entendre avec elle pour faire res- sortir l’éclat de sa parure. Les végétaux poussent, et les arbres encore dépouillés vont s’enrichir de branches et de feuilles. Un léger frémissement pré- curseur semble l’annoncer. C’est la sève qui monte par ses mille canaux. Elle monte aussi chez les animaux. Les mâles et les femelles guidés par leur instinct, se recher- chent pour s’unir. L’oiseau poursuit sa compagne sous la feuillée, pour l’inviter à y établir le berceau de ses amours. Ses chants mystérieux qui viennent charmer si délicieusement l’oreille, comme la plus suave de toutes les harmonies, a un cachet de mé- lancolie qui exprime bien la nature de ses aspira- tions. Le fier étalon dont les formes se dessinent sous l’aiguillon du désir, prend ses allures déga- gées et altières, et fait vibrer l’air de hennissemens auxquels répond la cavale. L’homme ne reste pas insensible à cet appel solennel de la nature. Les relevés statistiques prouvent, en effet, que le plus grand nombre de naissances se remarquent en décembre et janvier, neuf mois après le retour du printemps. Les animaux ne jouissent pas, comme nous, de la faculté de se reproduire dans toutes les saisons. Le besoin delà génération ne se fait sentir chez eux qu’à certaines époques de l’année, mais il n’en est peut-être que plus pressant. Dès qu’ils en- trent en rut, ils sont entraînés vers la copulation avec une ardeur irrésistible. Veilles, habitudes do- 78 mestiques, souffrances même, tout leur devient in- différent, dès qu’ils sont dominés par la soif des plaisirs de l’amour. Sourds à la voix de leur maî- tre, et oubliant même quelquefois le soin de pour- voir à leur nourriture, ils ne connaissent plus de frein jusqu’à ce qu’ils aient assouvi la fureur éroti- que qui les dévore. Plus on réfléchit, et plus on a peine à compren- dre comment tant de siècles ont pu s’écouler sans que l’attention n’ait pas été plus sérieusement fixée sur les conséquences qui peuvent résulter de la pri- vation d’une fonction aussi importante que celle de la reproduction. On sait cependant qu’une con- tinence forcée peut provoquer le satyriasis chez les hommes doués d’une constitution vigoureuse et d’une imagination ardente, et nous allons voir que cette affection offre, avec la rage, une analogie di- gne de remarque, et sur laquelle nous appelons l’attention des médecins. Le satyriasis débute or- dinairement par des érections qui surviennent sans cause, ou à la simple vue d’une femme, et qui finis- sent par devenir plus fréquentes, et même pres- que continuelles fpriapismej. L’imagination est obsédée par des images voluptueuses et des rêves lascifs qui viennent troubler le sommeil souvent interrompu par des pollutions nocturnes qui n’amè- nent qu’un soulagement momentané. Si la continence se prolonge, ces désirs devien- nent plus violens, la sensibilité acquiert un déve- loppement inouï, et les hallucinations les plus 79 lubriques viennent répandre dans l’organisme, un charme tout particulier quiretentit sur les organes sexuels, et détermine de nombreuses éjaculations. En même temps la face devient animée , les yeux rouges , étincelans et brillans d’une flamme som- bre. Quelquefois cette névrose se traduit par des accès ou paroxismes dont la rémission est tou- jours suivie d’abattement, de honte et de re- grets, et la guérison survient. Mais si les symp- tômes s’aggravent, il arrive un moment où le mal- heureux, entraîné par le transport de ses désirs immodérés, perd la raison, et cherche à assouvir sa rage amoureuse sur la première personne qu’il trouve à sa disposition, quelque dégoûtante qu’el- le soit. Il répète alors indéfiniment l’acte de coït. Onenavu qui allaient jusqu’à fournir quarante carrières sans être rassasiés, et continuer ensuite à se livrer aux manœuvres de la masturbation. A cette période, il arrive souvent qu’une soif inex- tinguible dévore le qu’une bave écumeuse et abondante coule de sa bouche, et que tout son corps exhale une odeur analogue à celle du bouc. Bientôt des convulsions se manifestent, le délire devient continuel, et souvent la gangrène vient frapper les parties génitales, prélude certain d’une mort prochaine. La nymphomanie, vulgairement appelé fureur utérine, correspond au satyriasis de l’homme, et se traduit également par un cortège de syptômes qui offrent beaucoup de ressemblance avec ceux 80 de la rage. Se rattachant quelquefois à l’hystérie, elle survient, le plus souvent, par suite d’une con- tinence plus ou moins absolue. Lorsqu’une fem- me est sous l’imminence de cette affection, elle recherche la solitude, devient triste, rêveuse, et se trouble à l’aspect de la plupart des hommes. Son regard est tour à tour vif ou languissant. Assaillie de mille désirs impétueux, elle se livre avec ardeur à des attouchemens solitaires, tout en cherchant à dissimuler à tous les yeux, le feu qui la consume. Mais si ce penchant immodéré pour le coït n’est pas satisfait, le devoir et la raison deviennent im- puissants pour réprimer ce désordre des sens. Le maintien, les soupirs, la rougeur, les propos lu- briques et les gestes indécens, tout vient révéler la triste position de la malade qui se trouve entraînée malgré elle, en dépit de son éducation, de son ca- ractère, de ses habitudes réservées et de ses sen- timents religieux. Si la cause qui préside au développement de la maladie, continue à agir avec plus d’énergie, la nymphomane finit par perdre toute retenue et tout sentiment de pudeur. Bientôt tout, chez elle, respire la volupté, et provoque aux assauts amou- reux. La vue d’un être appartenant à l’autre sexe exalte ses désirs, et détermine un spasme dans les organes génitaux. C’est alors qu’elle pousse quel- quefois le délire et la folie jusqu’à arrêter le pre- mier homme qu’elle rencontre, pour tâcher d’en obtenir les caresses par des prières et des suppli- 81 cations. On en a vu chercher à séduire par ruse, d’autres employer les menaces et la violence pour arriver à leurs fins. Si elles ne peuvent réus- sir, elles se livrent parfois aux actes les plus désor- donnés. Bayard cite des exemples de nymphoma- nes qui recherchaient les embrassements des fem- mes, et Manget a connu une de ces malheureuses qui se servait de chiens pour satisfaire ses désirs effrénés. Dans cette forme lente et chronique de l’affection, il arrive souvent, comme nous l’apprend Esquirol, que la malade abandonne sa famille pour se livrer à la prostitution, afin de pouvoir satisfaire plus li- brement son ardeur érotique. Mais lorque la nym- phomanie a une marche aiguë, le danger est bien plus sérieux. Le délire devient permanent et roule toujours sur les plaisirs de l’amour. Bientôt les symptômes prennent plus d’intensité, une bave ècumeuse sort des lèvres, l’haleine devient fétide et la soif brûlante. Souvent il s’y joint l’horreur cle Veau, (ihydrophobie), des grincements de dents, des envies de mordre, et la mort ne tarde pas à mettre un terme à toutes ces horribles souifrances. Tels sont les phénomènes nerveux graves qui peuvent se produire dans l’espèce humaine, par suite d’une continence poussée trop loin, et qui arrivent quelquefois à un degré de gravité capable de compromettre la vie. Ne trouve-t-on pas une analogie bien frappante entre ces phénomènes et ceux dont l’ensemble constitue la rage? Cette der- 82 mère affection qui présente tous les caractères d’une névrose, ne semble-t-elle pas en différer uniquement par sa nature virulente et sa propriété de transmissibilité? Quelle similitude dans les symptômes: tristesse, abattement, accès de fu- reur, horreur des liquides, bave écumeuse, grin- cements de dents, envies de mordre!! En outre, on lit dans les ouvrages que les malheureux affectés de rage, sont presque toujours atteints de priapisme et de satyriasis. Les auteurs anciens, entr’autres Aureliamus, Mead et Boërhaave , avaient déjà observé presque constamment l’érec- tion du membre viril, et une ardeur irrésistible pour l’acte vénérien. Haller cite l’exemple d’un enragé qui, s’y livra trente fois, en vingt-qua- tre heures. Tous les auteurs modernes ont fait de pareilles remarques, et nous apprennent que l’é- mission de la semence a lieu, presque toujours, avec une sensation extrême de plaisir, et les mala- des le témoignent par leur propos lubriques. Les femmes présentent ordinairement des symp- tômes analogues. C’est surtout au moment des accès convulsifs, et vers les derniers temps de la maladie, que la fureur utérine se manifeste au plus haut degré. Portai l’a observé plusieurs fois. En outre , dans les ouvertures cadavéri- ques , on a toujours trouvé, lorsque l’attention a été fixée sur ce point, les vésicules séminales vides, et la liqueur spermatique répandue dans l’urèthre, 83 par suite de l’éjaculation qui avait eu lieu pendant les derniers temps de la vie. Et cependant, dans l’espèce humaine la satisfac- tion du désir ne dépend que de la volonté, puisque, comme nous le verrons plus tard, outre les attou- chemens auxquels certaines personnes ont l’habitude de se livrer, l’émission de l’urine, la défécation, et surtout l’état de sommeil,sont de puissans auxiliaires qui viennent apporter du soulagement. En est-il de même chez les animaux des espèces Canis et Fé- lis ? Non, et nous le disons par anticipation : la conformation particulière de leurs organes repro- ducteurs, les empêche de pouvoir se satisfaire eux- mêmes, et s’oppose, en outre, à ce que, pendant le sommeil, la nature puisse se débarrasser de son trop plein. Puisque l’homme lui-même, par suite d’une continence forcée, est quelquefois exposé à des accidents aussi graves, pourquoi n’admettrait- on pas que les animaux des genres précités, dont la disposition des organes sexuels est bien moins parfaite, ne soient susceptibles d’en éprouver de semblables et même de plus terribles ? Deux ou trois auteurs, il est vrai, parmi les nombreuses causes considérées tour à tour com- me capables de contribuer à la production de la rage, tellesquela faim, la soif, le froid, le chaud, l’usage d’alimens malsains, d’eaux corrompues, etc., etc., y ont englobé l’œstrus veneris ou désir de la copulation. Mais ce sont les contrariétés, la colère et les combats livrés pendant la saison du 84 fui, qu’ils invoquent pour expliquer et excuser, pour ainsi dire, une opinion avancée sous forme dubitative et avec réserve. Or, comme nous l’avons déjà dit plusieurs fois, il serait ridicule de suppo- ser (pie des émotions morales puissent déterminer une maladie virulente dont les effets sont si terri- bles. En 1818, un médecin allemand nommé Grœve, a avancé que la privation de la fonction génératri- ce pourrait bien avoir de l’influence sur la produc- tion de la rage. Cette opinion a été partagée, en 1823, par Capello, mais elle a été émise sous for- me hypothétique, sans conviction, et sans avoir été approfondie. Aussi, n’étant appuyée d’aucune raison capable d’en faire ressortir la portée, elle a passé inaperçue, et un grand nombre d’auteurs ne daignent même pas en faire mention, ou bien s'ac- cordent pour la considérer comme dénuée de tout fondement. Au moment de mettre sous presse, nous avons eu connaissance d’un brochure publiée dernièrement par Le Cœur, médecin à Caën. S’ins- pirant de Grœve et de Capello, cette manière de voir lui parait vraisemblable, mais son travail est trop incomplet pour avoir attiré l’attention des sa- vants, et ému l’opinion publique. Nous regrettons qu’il ne soit pas entré plus profondément dans la question, et qu’il ne l’ait pas étayée d’arguments plus solides, car il nous eut fourni un point d’ap- pui de plus pour faire triompher une idée d'une importance si élevée. Depuis longtemps elle est 85 l’objet de nos méditations, et nous a fait entrevoir là possibilité de soustraire l’humanité à l’influence du fléau, par des moyens qui ne se sont pas présen- tés à la pensée de nos devanciers. Tous les auteurs qui se sont donné la peine de combattre cette opinion, s’appuient sur ce que les époques auxquelles les animaux sont ordinaire- ment affectés de rage, devraient coïncider avec le temps du rut, tandis qu’il n’en est rien. En effet, comme nous l’avons déjà exposé, c’est pendant les mois de mai et de septembre que l’on trouve un plus grand nombre de chiens et de chats enragés, tandis que l’époque de leur rut a lieu dans les mois d’août et de février. Les loups sont généra- lement frappés de la maladie pendant les mois de mars et d’avril, et ils sont en folie depuis la fin de décembre jusqu’au commencement de mars. Nous trouvons donc un intervalle d’environ deux ou trois mois entre l’époque où le besoin de la procréation se fait sentir chez les animaux, et le moment où ils sont habituellement atteints de rage spontanée. Cette objection, loin d’ètre un argu- ment contre nous, milite au contraire en notre faveur, puisque ce n’est pas avant mais bien après le rut, que cette maladie se déclare. Les troubles profonds qui surviennent dans l’organisme par suite de la privation d’une fonction qui parle si haut, doivent naturellement avoir une marche lente et progressive pour déterminer la production d’une affection si redoutable, Aussi est-il facile de se ren- 86 dre compte de cet intervalle de deux ou trois mois cpii s’écoule entre l’époque de la chaleur et celle de l’invasion des accidents. Quel est le médecin qui aurait assez d’ingénuité pour supposer que la rage spontanée puisse se déclarer subitement, dans les vingt-quatre heures, comme une fluxion de poi- trine, par exemple, à la suite d’une brusque im- mersion dans l’eau froide? Une pareille hypothèse est trop invraisemblable pour qu’on puisse songer à s’y arrêter sérieuse- ment. Nous avons exposé que le satyriasis débute par une espèce de vague et d’agitation intérieure dont on 11e se rend pas compte, et qui s’exprime, d’abord par le trouble et l’embarras de se trouver en présence d’une jeune personne de l’autre sexe. En même temps l’imagination est obsédée par des tableaux lascifs qui amènent des érections de plus en plus fréquentes. Mais ces symptômes se main- tiennent plus ou moins longtemps dans le statu quo avant d’arriver à un plus haut degré de gra- vité. Il en est de même de la nymphomanie. La femme soumise à l’influence de cette affection, éprouve d’abord un sentiment de pudeur qui la fait rêver et rougir à l’approche d’un homme. Ensuite, des désirs vagues et des idées voluptueuses viennent s’emparer de sa pensée. Mais pendant un certajp temps, ces phénomènes sont réprimés par l’éduca- tion et la morale. Ce 11’est donc que lorsqu’ils ont pris de l’accroissement, et qu’ils sont arrivés à leur 87 summum d’intensité, qu’il est permis de prononcer les mots : satyriasis et nymphomanie. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour la rage qui, bien qu’elle se présente sous la forme d’une névrose, n’en est pas moins une maladie virulente dans son essence? Pour que le virus rabique pren- ne naissance dans l’économie, ne faut-il pas qu’il y couve pendant quelque temps ? C’est donc seule- ment lorsqu’il a grandi, qu’il est arrivé à un degré de paroxysme capable de produire des troubles fonctionnels biens marqués, et qu’il a éclaté, enfin, par des symptômes terribles, que nous l’appelons : rage. D’ailleurs, lorsqu’elle est communiquée par morsure, n’a-t-elle pas une période d’incubation plus ou moins longue? N’est-il pas rationnel d'admettre que l’intervalle qui sépare la prédispo- sition à la rage spontanée, du moment où la mala- die se déclare, doit avoir, sinon plus, au moins autant de durée que l’incubation de cette même affection, lorsqu’elle est communiquée ? Puisque nous entrevoyons maintenant que la cause de la rage réside uniquement dans la pri- vation de la fonction reproductrice, il sera facile de comprendre pourquoi elle est tout-à-fait incon- nue, ou se montre à peine dans certains pays, tandis qu’elle sévit avec plus ou moins d’inten- sité dans d’autres contrées. En jetant un coup d’œil rétrospectif sur les faits que nous avons ex- posés à propos des causes qui ont été invoquées pour expliquer sa production, nous avons vu qu’on 88 a supposé que l’influence des climats devait jouer un rôle important sur son développement. Mais nous avons déjà démontré qu’il n’en est rien, puis- qu’elle épargne aussi bien les régions très froides, que celles où règne une haute température, tandis qu’elle répand ses ravages dans les pays tempérés. Laissons donc de côté toutes ces prétendues causes, et posons l’axiôme suivant : La rage est plus ou moins fréquente dans tous les pays où les animaux ne jouissent pas de leur liberté, et où la civilisation a eu pour résultat de contrevenir aux lois naturelles, en comprimant leurs instincts et leurs passions les plus impé- rieuses. La nature a tout prévu. Considérons les ani- maux à l’état sauvage, et nous observons que,"de- puis l’ordre supérieur jusqu’au bas de l’échelle, il existe dans chaque espèce, un nombre à peu-près égal de mâles et de femelles. Si on cherche cette proportion dans l’espèce humaine, on trouve, bien que quelques naturalistes aient prétendu le contraire, que le nombre des êtres appartenant au sexe féminin l’emporte sur celui du sexe diffé- rent. (1) N’est-il pas naturel de supposer que la (\) D’après le dernier recensement, la population de la France se divise ainsi sous le rapport du sexe: Hommes 17,870,169. Femmes 18,069,195. Pendant la période quinquennale de 1861 à 1856, le nom- bre des hommes a augmenté de : 75,210. Et celui des femmes de: 180,984. 89 nature en a agi ainsi pour obvier aux inconvé- niens qui pourraient résulter de la privation de la fonction reproductrice. Examinons si nous avons tenu compte de ces enseignements, et si nous nous y sommes conformés , à l’égard des animaux que nous avons soumis à notre joug. Prenant les chiens pour exemple, nous voyons que sur une vingtaine d’individus qui, par besoin ou par goût, en sont propriétaires, un seul environ, élève une chienne. L’homme , dans ses vues égoïs- tes, recherche toutes les satisfactions que ces animaux peuvent lui donner, tout en évitant avec soin les désagréments et les soucis qui peuvent les accompagner. Que résulte-1-il de cette disproportion? C’est qu’un grand nombre de mâles ne peuvent satisfaire au besoin de la copulation. Et cependant il est bien permis de supposer que la privation doit avoir chez eux des conséquences plus fâcheuses que chez les femelles, puiqu’ils n’ont pas de rut marqué, et qu’ils peuvent les couvrir en tout temps, dès qu’el- les sont en état de les recevoir. Cette impossibilité de pouvoir satisfaire à la fonction génératrice, de- vient encore plus grande, à cause de notre amour du luxe, qui nous porte à nous entourer d’une quantité infinie de races différentes par la taille, la force, la beauté, la vigueur et la prestance. Lors- qu'une chienne est en chaleur, elle s’accouple avec tous les chiens qui se présentent, mais si elle peut choisir, elle préfère toujours les plus grands et les 90 forts, quelle que soit leur laideur.- Aussi arrive-t- il assez fréquemment que les petites chiennes qui ont été couvertes par des mâtins, périssent en fai- sant leurs petits. On peut donc dire : malheur au pauvre paria disgracié et dépourvu d’avantages physiques. Les approches de la femelle qu’il convoite étant défendues par la dent cruelle du plus fort, il est presque sûrement condamné à une continence absolue, à moins que , né sous une bonne étoile, une chance favorable ne vienne lui offrir l’occasion de nouer quelques rela- tions, à l’abri de toute rivalité. Il semble vraiment que l’homme s’applique à contrarier les lois que la nature lui a dictées. Non seulement nous nous permettons de détruire la proportion sexuelle chez les chiens, puisqu’on peut compter environ vingt mâles pour une seule femelle, mais encore, guidés par le désir de changer, de modifier, de perfectionner la race canine, et le plus souvent dans le but de satisfaire nos plai- sirs personnels, nous employons à leur égard tous les moyens qui tendent à les priver de leur liberté. Ainsi, ceux qui élèvent des chiennes, se gardent bien de les laisser couvrir par le premier mâle ve- nu, si ce sont des animaux de luxe et de prix. Enfin, si quelques cas de rage surgissent et jetent la désolation dans une localité, nous nous empres- sons d’avoir recours à des mesures extrêmes de rigueur qui, au lieu de conjurer le danger, ne font que le grandir et le rendre plus menaçant. Toutes 91 ces circonstances expliquent la plus grande fré- quence de cette maladie chez les chiens que chez les autres animaux des deux genres précités. Si nous jetons un regard sur les autres par- ties de notre globe , nous observons que de- puis un certain nombre d’années, la rage se montre ou fait des progrès dans des contrées qu’elle épargnait autre fois. Cela tient à ce que les européens y affluent en plus grand nom- bre , et viennent y implanter leurs mœurs et leurs habitudes. Aussi, a-t-elle fini par s’y mon- trer quelquefois ; et dans le but d’en préserver les populations, les autorités administratives se sont décidées à ordonner de museler les chiens, de les tenir en laisse et de les empêcher de circuler libre- ment, ce qui n’a fait que donner plus d’extension au mal. C’est ce qui a eu lieu en Algérie, où l’on prend, à présent, à l’égard de ces animaux, les mêmes mesures qu’en France. Consultons les annales de médecine, et nous voyons que tous les cas de rage qui ont été observés, se sont déclarés à Bône, Philippeville, Oran, Tlemcen , Tenès, Orléans- ville, Mostaganem, Novi ou les faubourgs, c’est-à- dire dans les centres de population habités par nous, et non dans les tribus bédouines dont les ha- bitants vivent sous la tente et à l’état nomade. Nous remarquons, en outre, que sur les quinze cas précités, treize sont survenus par suite de morsures de chiens appartenant à des Européens, 92 et les deux autres proviennent de blessures faites par des animaux suspects et inconnus. Il est donc évident que partout où la civilisation s’étend, elle comprime chez les animaux domes- tiques, l’exercice d’une des plus importantes fonc- tions de l’économie, d’où il résulte que cette mala- die se montre ou fait des progrès.Les chats en sont un exemple. Pourquoi deviennent-ils quelquefois enragés? Parceque certaines personnes charmées par la grâce, la gentillesse et la propreté de ces animaux, les élèvent pour leur seul agrément, elles privent souvent de leur liberté, dans la crainte de perdre l’objet de leur affection. En ôutr$, pour nous soustraire à certains ennuis, tels que celui de nous voir entourés d’une nouvelle petite famille, nous préférons assez généralement les mâles aux femelles, de sorte que la proportion de ces der- nières devient parfois insuffisante. Nous objectera-t-on que le loup est bien plus souvent frappé de rage que le chat * quoique vivant à l’état sauvage et en pleine liberté ? Gela est vrai, et tient à ce que l'homme lui a déclaré une guerre acharnée, et a lancé sur lui une véritable proscription , en mettant sa tète à prix. Outre les boulettes empoisonnées que l’on parsème dans les bois, les fosses que l’on creuse, les appâts que l’on organise et les pièges que l’on dresse, on arme quelquefois tout un pays pour se défaire de ces animaux malfaisans. Dans les cam- pagnes, on réunit de temps en temps des troupes 93 d'hommes et de gros mâtins, pour faire des bat- tues dans le but de les exterminer ou de les forcer à quitter le pays, à cause des ravages qu’ils com- mettent. En effet, lorsqu’ils sont vivement pressés par la faim, malgré leur poltronnerie habituelle, ils bravent le danger, rôdent dans les campagnes, et s’approchent même quelquefois des habitations pour ravir des agneaux jusques dans les berge- ries. Ces battues ont pour résultat de détruire plus de femelles que de mâles, et la raison en est bien simple. Lorsque les louves sont sur le point de met- tre bas, elles choisissent, au milieu d’un bois ou d’une forêt, un endroit bien fourré qu’elles apprêtent pour leurs petits, dont le nombre varie de trois à neuf. Après les avoir allaités pen- dant deux ou trois semaines, elles chassent pour leur rapporter du gibier. Au bout de deux mois environ, les louveteaux peuvent suivre leur mère qui les conduit au ruisseau ou à la mare la plus voisine, pour s’y désaltérer. Aussi sa trace devient- t-elle plus facile à découvrir que celle du loup qui peut changer de repaire d’un moment à l’autre, suivant scs appréhensions ou sa fantaisie.En outre, lorsqu’une louve à des petits et se trouve traquée, bien qu’étant comme toutes les femelles, plus ti- mide que le mâle, elle devient intrépide, les dé- fend avec fureur, et se fait tuer pour les sauver. Après ces battues, ces animaux sont chassés en partie, et finissent par manquer de femelles. Une 94 autre circonstance qu’il est bon de signaler, c’est que les louves n'ont pas, comme les chiennes, deux époques de rut, et même quel- quefois trois. Elles n’entrent en chaleur qu’une seule fois par an, pendant l’hiver, depuis la fin de décembre jusqu’au commencement de mars. Les mâles n’ont pas de rut marqué et peuvent comme les chiens, s’accoupler en tous temps. Ils restent donc privés bien plus longtemps que ces derniers, lorsque, faute de femelles, ils n’ont pas trouvé à sa- tisfaire leurs besoins àlepoque de la chaleur. Aussi, lorsqu’elle revient, éprouvent-ils des désirs géné- siques plus impétueux. Il en est de même, du res- te, chez toHs les animaux qui ne peuvent satisfaire à la procréation qu’une seule fois par an. Le cerf nous en fournit un exemple remarquable. Cuvier rapporte, qu’en automne, il poursuit ses femelles, et les tue, lorsqu’elles lui résistent. On peut donc poser un principe que l’ardeur d’un animal pour l’acte de la copulation, est en raison directe de la rareté des époques du rut. Toutes ces circonstan- ces ne contribuent-t-elles pas à rendre compte de la fréquence relative de la rage chez les loups ? Les renards se trouvent dans les mêmes condi- tions, et cependant cette maladie les atteint si rare- ment, que les exemples cités par les auteurs, n’ont pas même un cachet d’authenticité suffisant pour que le doute ne soit pas permis. Comment expli- quer cette différence? C’est pareequ’on leur a fait 95 une guerre assidue et tellement meurtrière, qu’en France, on est parvenu à les détruire en grande partie. Il est donc tout simple que les cas de rage soient beaucoup plus rares chez eux que chez les loups qui sont infiniment plus nombreux dans nos climats.Cependant, comme ils appartien- nent au genre Canis, et que par cela môme ils sont exposés à contracter spontanément cette ma- ladie, nous sommes loin de nier qu’on n’en ait pas observé quelques rares exemples. Bien que le re- nard se soit rendu fameux par son adresse, sa cir- conspection et ses ruses, réputation qui n’est nul- lement usurpée, comme l’indiquent son regard intelligent, ses proportions élégantes et son mu- seau effilé, on le chasse souvent avec avantage, et ce sont surtout les femelles que l’on parvient à atteindre. Lorsqu’elles sont prêtes à mettre bas, elles cherchent à se domicilier d’une manière fixe, et s’installent ordinairement près des bois et à por- tée des hameaux, afin de se glisser furtivement dans le voisinage , pendant la nuit, et ravager les basse-cours. Malgré leur finesse d’instinct et les précautions infinies dont elles s’entourent pour dérober le lieu qu’elles ont choisi, on arrive souvent à découvrir leur gîte, et à s’emparer de la mère et des petits, de sorte que la proportion des femelles ne se trouve plus en rapport avec celle des mâles. Pour faire ressortir la justesse des appréciations que nous venons d’émettre, nous allons considérer 96 la question sous un autre point de vue, et poser, par opposition, l’axiôme suivant: La rage est inconnue, ou du moins très rare, partout où les animaux vivent à l’état sauvage et en pleine liberté. Comme nous l’avons déjà exposé, cette maladie ne se montre pas, ou parait à peme dans l’île de Chypre, dans toute la Syrie, au cap de Bonne-Es- pérance, à la Jamaïque et dans la Cafrerie. lien est de même dans l’Inde, l’Amérique méridionale, les Antilles, la Pologne et presque toute la Russie. C’est que dans toutes ces contrées où la civilisation n’a point encore fait assez de progrès pour arriver à les museler, les traquer, les attacher, et leur ravir la liberté, comme nous le faisons dans nos climats tempérés de l’Europe, les chiens domestiques ne sont pas exposés à la privation des plaisirs vénériens. Dans toutes ces localités, ils sont à peu près aussi libres que les chiens sauvages qui vivent dans les pays déserts et se rassem- blent par troupes, pour chasser les bêtes fauves. Ces chiens sauvages sont en très grand nombre au Congo, au Canada, dans les Antilles, et surtout dans les solitudes d’Amérique. Leurs mœurs sont les mêmes que celles des loups dont ils ne diffèrent que par la facilité que l’on trouve à les apprivoiser. Mais comme on les laisse vivre en paix , les habi- tans de ces régions ne connaissent la rage que de nom. Ce sont précisément ces faits si remarquables 97 qui nous ont vivement frappés et ont puissamment contribué à nous amener dans ce sentier de recher- ches et de méditations. Inspirés par nos propres impressions, les'faits qui se sont accomplis autour de nous, ont été nos seuls guides. Tous deux nous avons habité l’Afrique pendant de longues années, depuis 1834, et nous n’avons jamais entendu dire qu’un seul cas de rage bien avéré s’y fut manifesté pendant notre séjour. Et cependaut les chiens abondent dans tout le pays. Chaque peupla- de ou tribu nomade est entourée d’une multitu- de des ces animaux qui vivent à peu près à l’é- tat sauvage. Les arabes n’ayant aucune sollicitu- de pour eux, se bornent à leur donner un abri sous la tente commune. Aussi, sont-ils obligés de vivre de chasse, et de se nourrir de charognes. Ils ne trouvent même pas toujours à apaiser leur soif. Mais n’étant nullement comprimés ni dans leurs instincts, ni dans l’exercice de la fonction gé- nératrice, la rage est presque inconnue dans toute l’Algérie. Si on en a observé quelques cas depuis plusieurs années, du moins, comme nous l’avons déjà dit, ils ne se sont pas déclarés dans les tribus indigènes, mais bien dans les centres de popula- tion habités par nous, et en outre, ces cas sont survenus à la suite de morsures faites par des chiens appartenant aux Européens, et non aux Arabes, Nous avons voulu nous assurer s’il en était de même en Egypte et en Turquie, comme l’avaient 98 assuré Barrow, Alpin et le baron Larrey. L’un de nous arrive de Constantinople, et s’est promené dans ce dédale de rues et de ruelles sales, étroites, tortueuses, mal pavées, pleines de trous et de fon- drières. Elles sont encombrées de milliers de chiens errans, souvent lépreux et affamés, qui ne se nourrissent que de chair en putréfaction, ou même du produit de la défécation de l’homme. Ces animaux] provenant des meutes des deux ri- ves de l’Euxin, furent amenés dans cette ville, en 1453, lors de la conquête par les trois cent mil- le hommes qui suivaient Mahomet II, et n’on fait que grossir et multiplier depuis quatre siècles. Ils forment, pour ainsi-dire, la garde nationale de la ville, vivant par quartiers, avec leurs corps- de-garde et leurs sentinelles. Ordinairement ils se réunissent en certain nombre, lorsqu’ils ont adop- té un lieu, et semblent s’entendre pour en défen- dre l’accès à ceux qui ne sont pas des leurs. Malgré cette vie de misère et de malpropreté, mal- gré les souffrances de la faim et de la soif, malgré les combats incessants qu’ils se livrent et les bles- sures qu’ils reçoivent, jamais aucun cas de rage ne s’y montre , n'étant nullement inquiétés par les Turcs. Libres , ils ne sont pas exposés à la priva- tion de l’acte génésique. Si, contrairement à cette règle, il en a surgi parfois quelques rares exemples, ils ont dû appartenir aux occidentaux qui sont venus implanter dans ces contrées, leursmœurs 99 et leur manie de les condamner à une captivité presque perpétuelle. Qu’on interroge nos mi- litaires qui reviennent d’Orient, et aucun d’eux ne dira qu’un seul cas soit parvenu à sa connaissance. Que deviendraient les habitants de Constantinople, si cette maladie venait à s’y déclarer? Bientôt tou- te la population serait en proie au fléau. Tous les animaux des espèces Canis, qui vi- vent à l’état sauvage, se trouvent, par cela même, préservés de la rage, aussi bien que les chiens de tribus nomades de l’Afrique et de Constantinople. On sait que les chacals, ces loups dorés des pays chauds, ne sont jamais atteints de cette maladie. Ils sont cependant très nombreux en Afrique, en Asie, dans la Perse, en Arménie et dans les Indes. On les rencontre aussi en grande quantité au Ben- gale, en Barbarie, en Mauritanie, aux environs de Trébisonde, autour du Mont Caucase et en Gui- née. L’immunité dont il jouissent tient à ce qu’ils vivent en troupes comme les chiens sauvages, et que n’attaquant jamais l’homme, malgré leur féro- cité et surtout leur voracité, on les laisse vivre en paix, sans même leur faire la chasse. Chez eux, la proportion sexuelle est donc toujours maintenue, et la nature suit son cours, sans être contrariée dans ses lois. Aucun animal ne fournit, plus que le chacal, la preuve vivante de l’erreur dans laquelle sont plongés ceux qui soutiennent que l’usage de la chair putréfiée est la cause de l’affection rabien- 100 ne. Tous les soirs ces animaux se rassemblent en bandes plus ou moins considérables, avec des cris lugubres et des hurlements effroyables, signal de la chasse. Lorsqu’ils doivent attaquer un gros ani- mal, ils se mettent quelquefois à la remorque d’une hyène, comme nous l’avons observé en Afrique. Mais ces chasses sont souvent infructueuses ou in- suffisantes, et ils s’en consolent aisément, parceque, très friands de charognes, et surtout de chair hu- maine, ils se nourrissent de cadavres. Aussi a-t-on la coutume, dans certains pays, de creuser les fos- ses très profondément, et de rouler de grosses pier- res sur les sépulcres, pour en défendre l’approche et les empêcher de déterrer les morts. Les animaux du genre fslis qui vivent en pleine liberté, se trouvent, par la même raison, préser- vés de la rage. A-t-on jamais entendu dire qu’un lion, un tigre, une panthère ou un léopard aient été atteints de cette maladie ? Dira-t-on que ces animaux redoutables, l’effroi des voyageurs noc- turnes et le fléau des populations avoisinantes, sont si bien armés, que lorsqu’ils saisissent une proie, elle ne sort jamais vivante de leurs griffes, et que par conséquent on n’a jamais pu vérifier si le vi- rus rabique n’a pas été quelquefois mêlé à leurs morsures ? Ce n’est pas impossible, car nous som- mes convaincus qu’ils peuvent-être frappés spon- tanément de cette affection , par cela même qu’ils appartiennent à la race précitée, et que leur orga- nisation est indentique à celle du chat. 101 Cependant lorsqu’un chien devient enragé, n’é- tant plus guidé par ses instincts, il marche à l’aventure, droit devant lui et se montre aussi bien dans un village qu’en rase campagne. N’en serait- il pas de môme du lion et du tigre? dans les pays où ces animaux sont en assez grand nombre , en a-t-on jamais vu apparaître, en plein jour, au mi- lieu d’une population , ou venir étendre leur cada- vre dans le voisinage d’une bourgade ? Nous som- mes donc portés à croire qu’ils ne sont jamais atteints de la maladie, parcequ’ils sont libres, vi- vent en ménage , et trouvent toujours moyen d’avoir une compagne. Si la nature fait parfois un écart, en produisant plus de mâles que de femelles, un combat presque toujours mortel fait bientôt disparaître un rival inoccupé. L’affection rabienne sévit donc sur tous les animaux auxquels nous avons fait subir le poids de notre puissance. Elle épargne, au contraire, ceux que nous n’avons pas pu sub- juguer, et qui vivent conformément aux lois naturelles. Si les loups font exception à cette règle, bien que vivant dans l’indépendance et la liberté, nous avons dit qu’il fallait en chercher la raison dans les battues que l’on organise, et qui ont pour résultat de tuer plus de femelles que de mâles. Cela est si vrai, qu’en Russie et surtout en Pologne, où ils sont en si grande quantité , cette maladie y est presque incon- nue. Ce pays est tellement riche en lieux 102 boisés et touffus, que malgré ces battues, ils se maintiennent toujours en assez grand nom- bre pour que la proportion sexuelle ne soit pas détruite. Depuis deux ans, la guerre d’Orient ayant empêché ces chasses d’avoir lieu, ces animaux pressés par la famine, sont venus tout dernièrement jusques dans les villages pour y chercher leur pâture ; et on ne cite pas un seul exemple de rage vraiment authenti- que. Ces demi-mesures que nous prenons, sont donc insuffisantes, et on devrait employer tous les moyens possibles pour les exterminer jusqu’au der- nier, à l’instar des Anglais qui sont parvenus à en purger leur île. Pour corroborer tout ce que nous venons d’a- vancer, nous allons terminer par ce troisième axio- me : Plus un animal est soumis à notre empire, et maintenu en esclavage, plus il est exposé à con- tracter la rage. Or le chien est, sans contredit, le plus esclave de tous les animaux. Nous l’avons attaché à nous, à cause de ses qualités toutes particulières, et des services immenses qu’il nous rend. Que serait de- venu l’homme, s’il n’avait pas eu un auxiliaire aussi puissant pour conquérir le monde, chas- ser et détruire les autres animaux nuisibles ? Pour se mettre en sûreté il lui a fallu se conci- lier ceux qu’il a trouvé disposés à s’attacher à lui, et il a commencé par le chien, à qui 103 son courage, son instinct et sa finesse de senti- ment, donnent une supériorité morale bien mar- quée sur tous les autres. Comment aurions-nous pu chasser avec tant d’avantage, sans le concours d’un animal dont on peut si aisément perfectionner l'é- ducation, en lui apprenant à mesurer ses mouve- mens, à réprimer son ardeur, et à obéir à la voix de son maître. Eh bien, en récompense de tous ces services incessans, et dans la crainte de perdre un compagnon aussi utile, nous l’empêchons de sa- tisfaire un de ses besoins les plus impérieux, sans songer aux conséquences funestes qui peuvent en résulter. Pour mieux nous pénétrer de la vérité du prin- cipe que nous venons d’établir, jugeons par com- paraison, et nous verrons que les chats qui vivent à l’état de domesticité, comme les chiens, sont bien moins souvent atteints de rage, quoiqu’ils soient élevés en plus grande proportion que ces derniers. C’est qu’ils nous offrent généralement fort peu d’in- térêt. Nous ne les gardons, le plus souvent, que par pure nécessité, afin de les opposer à un enne- mi domestique encore plus incommode. Le chat est gracieux et aimable lorsqu’il est jeune, mais à me- sure qu’il avance en âge, on voit percer sa perver- sité que l’éducation ne fait que masquer. Son re- gard qui brille dans les ténèbres comme le dia- mant, est oblique, équivoque, et indique bien la fausseté de son caractère. Subtil et flatteur, il semble se tenir toujours sur ses gardes, même 104 lorsqu’il recherche des caresses auxquelles il n’est sensible qu’à cause du plaisir qu’elles lui procurent. Essentiellement égoïste, il est attaché à la maison qu’il habite, parcequ’il y trouve sa nourriture, son abri et ses aises, mais il n’a pour ses maitres qu’une apparence d’affection. Il dissimule son penchant pour la rapine, par crainte du châtiment, lorsqu’il a appris par expérience qu’il peut lui devenir pré- judiciable, mais lorsqu’il croit à l’impunité, il sait très bien épier, attendre et saisir l’occasion de faire un mauvais coup. Tous ces petits défauts joints au manque de sin- cérité et de fidélité, ne sont pas faits pour engager ànous y attacher. Aussi leur absence ne nous pré- occupe-t-elle pas plus que leur présence ne nous gêne. Lorsqu’une chatte est sur le point de mettre bas, elle cherche ordinairement les endroits les plus retirés de la maison, pour y déposer sa pro- géniture. C’est seulement lorsqu’elle ne peut plus suffire à sa subsistance par l’allaitement, qu’elle vient nous amener ses petits, comme pour récla- mer en leur faveur la nourriture qu’elle n’est plus à même de leur fournir. Rarement émus par ce ta- bleau, nous ordonnons, le plus souvent, à nos do- mestiques, de les jeter à l’eau. Ces animaux jouis- sent donc d’une assez grande liberté. Ils ne sont ja- mais tenus à l’attache comme les chiens, mènent une existence très indépendante et à demi-sauvage, bien qu’étant des animaux domestiques, et leur nombre ne fait pas sensation. Fréquentant habituellement 105 les greniers, ils peuvent se livrer à leurs ébats, sans crainte d’être dérangés. Les gouttières et les toits sont le champ de bataille de leurs amours. En outre , tout le monde sait que la chatte peut produire avec les chats sauvages, et il n’est pas rare de voir, aux époques du rut, des mâles et des femelles quitter momentanément leur do- micile, pour aller les chercher jusques dans les bois. Toutes ces conditions ont nécessairement une grande influence sur la causedel’affection rabienne chez ces animaux, et il est très heureux que nous ayons si peu de sollicitude pour eux, car sans cela, nous serions fréquemment exposés au danger. Si, comme nous l’avons déjà dit, il survient parfois quelques cas de rage parmi eux, cela tient à ce que certaines personnes les privent de leur liberté, et qu’en outre, nous préférons assez généralement les mâles aux femelles. Il résulte desconsidérationsque nous venons d’é- mettre, que les animaux arrivés à l’âge ou la fonc- tion reproductrice ne peut plus s’accomplir, doivent se trouver à l’abri de l’influence de cette maladie. Il doit en être de même pour ceux qui n’ont pas encore atteints l’âge adulte, le besoin de la géné- ration n a\ant pas encore pu se faire sentir chez eux. Cherchons dans nos souvenirs et tâchons de nous rappeler si nous avons vu un petit chien en bas âge affecté de rage. Non, sans doute , ou si on en a constaté quelques rares exemples, nous som- 106 mes convaincus qu’ils se rapportaient à la rage communiquée, et non pas à cette même affection contractée spontanément. Nous pourrions nous arrêter ici, et considérer notre tâche comme remplie, les explications dans lesquelles nous venons d’entrer, nous paraissant suffisantes pour démontrer que la cause produc- trice de la rage réside uniquement dans la priva- tion de la fonction génératrice. Cependant plusieurs questions se présentent encore à l’esprit, et celle- ci en première ligne : on se demande pourquoi la plupart des êtres de la création, y compris l'hom- me, ne peuvent être atteints de cette maladie, que par communication,ou en d’autres termes,pourquoi le triste privilège de la contracter spontanément n’est dévolu qu’aux animaux des genres Canis et F élis. Nous éluderions la difficulté, en répondant qu’il n’est pas donné à l’homme de pénétrertous les secrets de la nature , que la rage est inhérente à ces races, comme la morve et le farcin aux solipè- des, le cancer et la variole à l’homme, etc. Mais dans le but d’asseoir notre conviction sur des bases plus solides, et de conquérir encore des argumens propres à corroborer notre opinion déjà tant ap- 107 puyée par les faits que nous avons signalés, nous avons voulu aller plus loin et soulever le voile qui eache cette raison que nous allons livrer à l’appré- ciation du monde savant. La conformation .toute exceptionnelle des orga- nes reproducteurs des animaux des deux genres précités, semble parler aux yeux aussi bien qu’à 1 intelligence, et nous a suscité de nombreuses re- flexions, entr’autres les suivantes : l’homme et la plupart des animaux sont pourvus de vésicules sé- minales réservoirs dans lesquels le sperme vient se mettre en dépôt, dans les intervalles plus ou moins prolongés de son expulsion. Tous ceux qui appartiennent aux espèces Canis et F élis en sont privés. En jetant un coup d’œil comparatif sur les phénomènes apparens et intimes, dont l’en- semble constitue la fonction si complexe de la gé- nération, nous observons qu’ils sont loin d’être identiques chez les êtres possesseurs de réser- voirs et chez ceux qui en manquent. En effet, chez les premiers, la sécrétion spermatique s’effectue d’une manière continue, bien que quelques physio- logistes aient prétendu le contraire. Ce qui le prouve c’est que l’émission de la liqueur prolifique est d’au- tant plus abondante qu’elle a lieu moins fréquem- ment.Elle ne peut même plusse produire lorsque les vésicules sont vidées, jusqu’à ce que les testicules aient eu le temps d’en sécréter une nouvelle quan- tité qui, des tuyaux séminiféres, traverse le corps d’hygmor, l’épididyme et les conduits déférens, 108 pour venir s’y accumuler. Là elle y séjourne jus- qu’à ce que des circonstances particulières viennent la chasser avec force par l’urèthre. Il n’en est pas de même des animaux dé- pourvus de réservoirs. Chez eux la sécrétion de la semence n’est pas continue. Aussi leurs organes sexuels sont-ils disposés de manière à rendre leur accouplement prolongé. Le chien en est un exem- ple. Sa verge présente un os pénien et deux rende- mens ou bulbes érectils: l’un antérieur et l’autre postérieur qui, par le développement considérable qu’ils prennent pendant l’acte de la copulation, le dernier surtout, empêchent la séparation de s’ef- fectuer, jusqu’à ce que l’éjaculation soit terminée, était amené la flaccidité. Cette éjaculation se fait lentement et goutte à goutte. Le rapprochement a bien moins de durée chez l'homme et les autres animaux. A peine l’acte du coït est-il commencé, que la sensation voluptueuse à laquelle le corps tout entier participe, retentit bientôt sur les vési- cules séminales qui agissent sur le liquide qu’elles contiennent, pour l’expulser avec force par des contractions spasmodiques. Leur position entre le rectum, le bas-fond de la vessie et les releveurs de l’anus, leur permet de concourir puissamment à cette émission, favorisée encore par la douce com- pression qu’exerce sur elles l’action de ces muscles qui se contractent au moment de l’éjaculation. Aussi celle-ci s’opére-t-elle par des secousses succes- sives, non interrompues et très rapprochées, aux- 109 quelles succèdent rabattement, la lassitude et un sentiment de mélancolie et de langueur. Quelques méthaphysiciens ont attribué cette sensation de tristesse mêlée au plaisir le plus vif, à une espèce d’intuition confuse et éloignée de notre destruc- tion. Les vésicules séminales jouent donc un rôle impor- tant dans la fonction reproductrice. En outre, com- me l’ont pouvé Cabanis, Broussais et d’autres phy- siologistes,elles sont le siège du besoin générateur. En effet, leur plénitude le fait naitre et leur vacuité l'éteint. Lorsqu’elles sont remplies et distendues, lorsque surtout le liquide prolifique acquiert une consistance plus marquée par suite de l'absorption de ses parties les plus aqueuses, il produit sur leur surface interne, une impression particulière qui fait sentir le besoin de son évacuation. Cette sensa- tion réagit sur le centre cérébro-spinal, et provo- que, non seulement des désirs, mais encore un sentiment de malaise qui cesse avec la vacuité, pour recommencer lorsqu’elles se remplissent de nouveau. Toutes choses égales d’ailleurs, les dé- sirs sont donc plus fréquens et plus vifs chez ceux dont la sécrétion spermatique est très active, et chez ceux qui se privent des plaisirs de l’amour. Connaissant la conformation exceptionnelle des animaux des genres Canis et F élis, qui manquent de vésicules, ainsi que le mode de sécrétion du sperme, qui n’est pas continu comme chez les autres animaux, d’où il en résulte que l’excrétion de 110 ce fluide a lieu lentement et goutte à goutte, nous allons faire l’examen comparatif des conséquences qui peuvent résulter de la privation des plaisirs vé- nériens chez les êtres qui possèdent des réservoirs, et chez ceux qui en sont dépourvus. Prenant l’hom- me pour type de la première catégorie, nous savons que lorsqu’il n’a pas une compagne à sa disposi- tion, il peut apaiser lui-même la violence de ses désirs, en se livrant à des attouchements solitaires dont l’abus a pour effet d’agir de la manière la plus dangereuse, aussi bien sur la santé que sur les fa- cultés morales et intellectuelles. Il n’en est pas de même du chien que nous avons pris pour exemple. C’est en vain qu’il cherche à se lécher ou à se frotter le pénis contre l’abdomen. Si une ou deux gouttes de liqueur prostatique viennent à se présenter à l’orifice uréthral, par suite de ces manœuvres, du moins, il ne peut jamais réussir à déterminer la moindre émission spermatique. Voyons maintenant ce qui se passe chez les in- dividus qui ne se laissent pas aller à cette déplora- ble habitude que l’on nomme: onanisme, et qui ont le courage de se condamner à une continence absolue. La sécrétion spermatique étant continue, comme nous venons de le démontrer, les vésicules séminales finissent par se remplir. Mais lorsqu’elles regorgent de sperme, la nature vient ordinaire- ment en favoriser l’expulsion, par l’émission des uri- nes qui provoque la contraction des vésicules, à la suite des efforts qui sont faits pour en exprimer 111 les dernières gouttes. C’est surtout vers la fin de l’acte delà défécation, que cette évacuation a lieu en plusgrande quantité, sans érection, et sans même qu’on en ait conscience, à cause de la pression mécanique bien plus marquée que subissent ces réservoirs, lors du passage des matières fécales qui compriment le bas-fond de la vessie. En outre, pen- dant le sommeil où l’imagination n’est pas distrai- te parles sensations arrive souvent, surtout chez les adultes doués d’une activité géné- ratrice très grande, qu’ils sont assaillis par des rê- ves voluptueux qui les impressionnent énergique- ment à leur insu, et produisent une réaction assez puissante pour déterminer l’émission de la semen- ce, qui prend alors le nom de pollution nocturne. Voilà les divers moyens que la nature met à la disposition , non seulement de l’homme, mais encore des animaux pourvus de vésicules, pour parer aux inconvénients de la privation. Le cheval en fournit la preuve. O11 sait qu’il est succeptible d’éprouver des pollutions, et qu’il peut provoquer l’émission, sinon complète, du moins partielle de la semence, par des battements convulsifs et saccadés de la verge contre le ventre. Aussi a-t-il des vésicules séminales allongées, ovoï- des, et qui acquièrent quelquefois une capacité de cinq à dix décilitres. Chez les animaux qui man- quent de ces réservoirs, au contraire, la liqueur prolifique, comme nous l’avons déjà dit, ne peut être chassée au dehors que pendant l’acte de la co- 112 pulation. Ni l’émission de l’urine, ni la défécation, ni l’état de sommeil ne peuvent leur apporter du soulagement, que les attouchements et les frottements. Ils sont donc bien moins richement dotés que les autres, puisqu’ils sont organisés de telle sorte, qu’ils n’ont aucun moyen de se débarrasser du su- perflu qui déborde, lorsqu’ils sont vivement excités à l’époque du rut. Que penser alors des effets qui peuvent survenir chez eux, par suite d’une privation absolue, quand l’homme lui-même, malgré toutes les ressources qui sont mises à sa disposition pour obvier aux conséquences fâcheu- ses d’une continence exagérée, est exposé à des ac- cidents graves qui portent leur action sur les par- ties sexuelles même, ou bien se font ressentir sur l’économie toute entière. Les premiers sont pro- duits par le reflux du fluide séminal dans les vais- seaux spermatiques et les testicules, dont le gon- flement provoque d’abord de la gène et de la pe- santeur, puis de véritables douleurs plus ou moins vives qui s’irradient jusqu’à la région inguinale. Si la continence se prolonge, l’inflammation de ces glandes peut survenir par suite de la stase du sper- me qui distend et irrite les vaisseaux séminifères. Aussi, l’orchite blennorrhagique doit-elle sa gran- de fréquence principalement à la sagesse inaccou- tumée à laquelle se soumettent les malades atteints d’uréthrite. Quant aux accidents généraux, ils ont un cachet 113 de gravité bien plus sérieux , puisqu’ils constituent le satyriasis qui devient quelquefois mortel. Ne semble-t-il pas naturel d’admettre que ces acci- dents si terribles doivent être encore plus redouta- blos chez les animaux dont l’organisation des or- ganes sexuels est bien moins parfaite ? Serait-il si irrationnel de supposer que cette impossibilité de satisfaire à une fonction importante , puisse suffire pour rendre compte de la production de la rage ? Ce qui porte à le croire, c’est la ressemblance frap- pante qui existe, sous le point de vue séméiologi- que, entre le satyriasis et cette dernière maladie qui ne semble différer de la première que par la présence d’un virus, et la propriété de transmissi- bilité. Outre les accès de fureur, Yhorreur des li- quides, la bave ècumeuse et les envies de mordre, symptômes caractéristiques et communs à ces deux affections , nous avons vu que les enragés sont presque toujours sous l’empire d’une ardeur éroti- que portée à son comble, absolument comme les malheureux atteints de satyriasis. En outre, il existe une autre analogie assez re- marquable entre les premiers effets de la privation de coït, comparés aux prodromes de ces deux affec- tions. Certaines personnes à tempérament froid et lymphatique, peuvent supporter la continence la plus absolue, sans en éprouver le moindre in- convénient , tandis que pour d’autres douées d’un tempérament sanguin ou nerveux, qui sont les plus ardents pour la génération, elle devient un vrai 114 supplice. C’est aces dernières seulement que nous faisons allusion.Qu’elles fassent un retour sur elles- mêmes, et qu’elles sondent leurs souvenirs, elles se rappelleront que la privation de cet acte à eu quelquefois un retentissement plus ou moins mar- qué sur l’équilibre de leur santé, et même sur leurs dispositions morales , lorsqu’un besoin pressant se faisait sentir. Malaise, pesanteur de tête , injection de la face, perte de l’appétit, inquiétude, tristesse, mauvaise humeur, irrascibilité, voilà les petits in- convéniens qu’elles ont pu éprouver, et qui ont cessé, comme par enchantement, avec la vacuité des vésicules séminales, c’est-à-dire après le coït. On pourrait donc placer à côté du proverbe expri- mé par ces quatre mots latins : post coïtum ani- mal triste, la maxime suivante : antè coïtum ani- mal triste, qui n’aurait pas une application moins juste. Tous ces inconvéniens ont beaucoup de simili- tude avec les premiers symtômes du satyriasis et de la rage. Ces deux maladies débutent, en effet, par un sentiment mdéfinisable de malaise général, de la lassitude, de la pesanteur dans les membres des insommies, des songes pénibles, de la cépha- lalgie, la perte d’appétit, la tristesse, l’agitation, l’irascibilité, les angoisses, etc., etc. Chez le chien, elle s’exprime d’une manière analogue. Avant de quitter la maison de son maître, la queue serrée entre les jambes, la langue pendante, les veux nnftans et hagards, l’écume à la gueule, et de 115 se précipiter sur les animaux qui fuient d’épou- vante à son approche, il recherche d’abord la soli- tude et l’obscurité, se réveille en sursaut, s’agite, refuse la nourriture et les boissons, etc. Tous ces rapprochemens si dignes de fixer l’attention, ont un cachet de vraisemblance qui semble bien fait pour contribuer à confirmer l’opinion qui surnage dans ce petit travail. Un sentiment naturel h l’homme est de faire tous ses efforts pour découvrir les secrets que la nature semble s’appliquer à lui rendre impénétra- bles. Guidés par le désir d’éclairer une question aussi importante, nous avons cherché à nous ex- pliquer l’existence du virus rabique. En invo- quant l’analogie, nous voyons que les influences nerveuses n’ont jamais pour effet que d’amener des dérangements fonctionnels. Ainsi, la peur par ex- emple, provoque quelquefois l’ictère chez les uns, la diarrhée ou l’épilepsie chez les autres, mais des modifications quelconques du sytème cérébro-spi- nal, quelques puissantes qu’elle soient, n’ont ja- mais donné naissance à un virus. Ce raisonnement nous a détourné de l’idée d’admettre que les trou- bles profonds qui doivent ébranler le système ner- 116 veux des animaux soumis à une privation plus ou moins longue, puissent suffire pour rendre compte de la cause productrice de ce virus. Rien n’existant de rien, puisque, ne fut-ce qu’un ato- me, il est nécessaire pour justifier un effet, nous sommes portés à croire qu’un élément matériel doit présider à sa formation. Quel est cet élément? Comment se trouve-t-il dans le sang? D’où vient-il? Bien que certains mystères resteront toujours inaccessibles à l’intelli- gence humaine, noun nous sommes demandés s’il n’était pas possible qu’il fût formé, de toutes pièces, par le sperme lui-même, qui aurait-été résorbé pendant assez longtemps, et en assez grande quan- tité, pour constituer le virus rabique. Les re- marques suivantes nous ont suggéré cette idée: On sait que chez l’homme, l’érection a une fré- quence très-variable, non seulement suivant les tempéramens et les idiosyncrasies, mais encore, qu’elle est subordonnée, chez le même individu, à une foule de circonstances différentes, telles que les excitations mécaniques, l’exaltation de l’imagi- nation, le souvenir ou le contact d’objets volup- tueux, l’usage de mets ou de boissons aphrodi- siaques, etc. Il doit en être ainsi dans l’échelle animale. Bien que la sécrétion spermatique ne soit pas continue chez ceux qui appartiennent aux genres Canis et Felis, elle ne s’opère cependant pas exclusivement pendant la copulation , comme font avancé quel- 117 ques auteurs. La preuve c’est que Cuvier, Colin et d’autres naturalistes célèbres ont constaté que,chez la plupart des animaux, les testicules ou glandes spermagènes prennent un développement plus ou moins considérable pendant l’époque de la chaleur, même avant qu’ils ne se soient livrés à l’acte de la génération. L’augmentation de volume de ces glandes ne peut pas être attribuée àl’intluence de la saison des amours, puisqu’il est hors de doute que les mâles n’ont pas d’époque de rut, et qu’ils sont toujours disposés à couvrir leurs femelles, lorsque celles-ci peuvent les recevoir. Elle est donc due aux excitations nouvelles auxquelles ils sont sou- mis. La vue et le flair des femelles en chaleur, dout le vulve exhale une odeur particulière, doit préparer et provoquer la sécrétion spermatique avec bien plus d’activité encore que lorsqu’en dehors de cette saison , il cherchent à s’exciter au moyen de la langue, de frottemens contre les parois abdo- minales, ou même en montant les uns sur les au- tres, bien qu’étant du même sexe, pour se livrer à l’acte simulé. Une excitation quelconque agissant sur les orga- nes sexuels, doit donc commander infailliblement la fonction génératrice, activer la sécrétion de la semence, et amener l’engorgement des glandes spermagènes, que cette excitation soit produite pendant la saison du rut ou en dehors de cette époque. Le sperme sécrété dans ces glandes est élaboré par les dernières extrémités de l’artère 118 spermatique, au point où ses ramifications se con- fondent avec les premières radicules du système vasculaire sécréteur. Si on stimule d’une manière quelconque les organes génitaux d’un chien, et cette expérience n’est pas difficile à faire, il en résulte nécessairement un afflux plus considérable de sang, qui amène la turgescence du pénis. Celle-ci provoque la sécrétion du sperme, et le gonflement des testicules, parceque, nous le répétons, il est incontestable que les mâles sont toujours aptes à la reproduction, et que les fe- melles seules ont des époques de chaleur. Seule- ment, cette sécrétion séminale devient na- turellement plus active pendant la saison du rut, à cause des excitations plus puissantes auxquelles les mâles sont soumis par le contact de leurs femelles. Aussi est-il facile de comprendre com- meut la rage ne se déclare généralement qu’après l’époque de la chaleur, et pourquoi cependant elle peut éclater en dehors de cette saison, à la suite d’excitations artificielles quelconques qui rendent très bien compte de sa production. Nous avons vu que, chez l’homme, dès que les testicules sont gorgés, le fluide séminal est reçu en dépôt dans les vésicules, d’où il peut être expulsé de diverses manières, et que cependant , son reflux jusques dans les vaisseaux spermatiques et les tuyaux séminifè- res, détermine quelquefois l’inflammation de ces glandes. Il doit en être ainsi chez les animaux 119 privés de réservoirs. Cette absence engage à sup- poser que ces mêmes inconvénients peuvent se produire plus fréquemment encore que chez l’hom- me. Si la sécrétion devient plus active, en raison d’excitations plus vives ou plus et prolongées,et que toutes les parties avoisinant les organes génitaux viennent à regorger de sperme, que devient alors ce fluide, si l’animal continue à être condam- né à une privation absolue? Ne pourrait-il pas être pris par les vaisseaux absorbans, charrié par le torrent circulatoire, et envahir l’économie ? La bile résorbée ne produit-elle pas l’ictère? Le pus rassemblé en foyers ne subit-il pas quelquefois une résorption qui provoque des accidents graves et mortels? Celle du sperme ne pourrait-elle pas don- ner naissance à la rage? Ce qui semble l’indiquer, c’est l’exaltation érotique et l’ardeur extraordinaire pour le coït, que l’on observe presque constam- ment chez les personnes affectées de cette maladie, remarque qui a été faite également sur des chiens mâles et femelles, à l’école vétérinaire de Lyon. Si on demandait pourquoi le virus rabique ac- quiert sa qualité virulente dans les glandes salivai- res plutôt que dans une autre partie de l’organisme, on répondrait qu’il faut accepter les faits tels qu’ils s’offrent à nous. Explique-t-on pourquoi, dans le diabète, par exemple, la presque totalité des éléments sucrés sont rassemblés par la sécrétion rénale, et rendus par les urines? De même que les 120 reins concentrent, par leurs fonctionsémoncloires, l’élément sucré contenu dans le sang, de même, les glandes salivaires résument l’élément rabique. Du reste, il semble assez naturel qu’elles se char- gent de cette élimination, car ont sait qu’elles sont très considérables, surtout chez les animaux du genre Canis. En outre, personne n’ignore que la transpiration cutanée forme l’une des sources les plus actives des grandes déperditions qu’éprouve l’économie. La quantité de cette exhalation inllue beaucoup sur la dépuration du sang et l’équilibra- tion de la chaleur animale. Or, le chien étant pres- que entièrement privé de glandes sudoripares, n’est jamais mouillé de sueur. Mais les glandes sa- livaires viennent suppléer à l’absence de la trans- piration cutanée, de sorte quel’on peut dire que cet animal sue par la gueule. Il est alors facile de comprendre pourquoi le système salivaire qui joue un rôle si important chez lui, soit l’émonctoire na- turel des principes délétères qui sont charriés par le sang. * Cette théorie de résorption spermatique a un attrait et une vraisemblance bien faits pour séduire. Cependant il se présente une objection que nous allons exposer pour en discuter la valeur, et qui va nous mettre sur la trace de deux autres questions très intéressantes. Préférant nous renfermer dans les modestes limites de l’expérience, de l’observa - tion et de la vérité, que de risquer d’enfanter des 121 opinions hasardées, nous ne pourrons peut-être pas en donner la solution complète, parceque les matériaux nous manquent, les observations qui ont été recueillies jusqu’à présent, étant loin de présenter ce cachet de précision indispensable à l’expérimentation. Dans toutes il existe, en effet, des lacunes bien regrettables qui les rendent sté- riles. Mais si nous ne parvenons pas à résoudre entièrement ces questions qui ne sont obscures et difficiles que parceque la science n’a pas pu nous fournir des éléments suffisans pour les élucider, nous allons, du moins, jeter sur elles quelques étincelles de lumière, et indiquer en outre, dans la troisième partie de ce travail, le moyen certain d’arriver à une solution, par des expériences ulté- rieures. L’objection à laquelle nous faisions allusion est celle-ci : comment expliquer la production de la rage spontanée chez les femelles, puisqu’on ne peut pas invoquer à leur endroit la résorption sper- matique? On pourrait répondre qu’il n’est nulle- ment certain qu’elles puissent contracter cette affec- tion spontanément, et que tous les exemples relatés dans les ouvrages, peuvent bien se rapporter à la rage communiquée par morsure, d’autant plus qu’ils ne sont pas très nombreux. En employant les termes de : chien enragé, loup enragé, chat enragé, les auteurs ignoraient, la plupart du temps, la nature du sexe des animaux mentionnés, lors- 122 qu’ils n’avaient pas été tués, et se sont conformés à cet usage établi d’employer cette dénomination générique, commune au mâle et à la femelle. Mais est-ce l’usage, ou bien les faits qui sont venus con- sacrer l’expression ? On voit par ce simple aperçu que les observa- tions consignées dans les ouvrages, manquent de détails suffisants pour nous éclairer sur ce point, et cela se conçoit puisque, en général, on n’a pas eu l’idée d’indiquer la différence du sexe. Ces reflexions nous entraînent dans une autre question non moins intéressante, et qui trouve sa place ici, car elle se rattache d’une manière intime à celle que nous abandonnons un instant. Presque tous les auteurs sont d’accord pour admettre que l’activité du virus rabique décroit par des trans- missions successives, ou en d’autres termes, que si un chien enragé spontanément en mord un second, le second un troisième, le troisième un quatrième, et ainsi de suite, il arrivera un moment où le virus aura perdu sa propriété contagieuse. Mais person- ne n’a pu jusqu’à présent, spécifier à quel degré de transmission il devient inoffensif. Quelques uns sont allés plus loin, et ont avancé que le triste privilège de transmettre la ra- ge, n’est dévolu uniquement qu’à ceux qui l’ont contractée spontanément, c’est-à-dire qu’un animal quelconque se trouvera dans l’impossibilité de la propager, s’il en a été atteint lui-même par mor- sure. Ainsi, un second chien mordu par un pre- 123 mier affecté (le rage spontanée, ne pourrait la communiquer ni à l’homme, ni à un troisième ani- mal. Bien que c'ette manier de voir paraisse para- doxale, un grand nombre d’observations recueil- lies par des hommes éminemment sérieux, don- nent une grande valeur à cette opinion peu connue, il est vrai, mais qui ne laisse pas que d’être déjà consolante. Nous allons exposer quelques arguments en fa- veur de cette manière de voir : d’abord les exem- ples de rage seraient beaucoup plus nombreux et plus fréquents, si la maladie pouvait se transmettre sans limites, car il est rare qu’un chien enragé n’en morde pas plusieurs autres. Or, que devien- drions-nous, si chaque animal pouvait, à son tour, propager la contagion indéfiniment ? Bientôt on ne pourrait pas faire un pas sans rencontrer des vic- times, et l’humanité ne tarderait pas à être en proie au tléau. Ensuite, on sait que la rage ne se décla- re presque jamais chez les animaux qui jouissent de leur pleine liberté, et se rassemblent en grand nombre dans certaines villes, comme à Constan- tinople, par exemple. Mais, comme nous l’avons déjà dit, on en a cependant observé quelques cas, surtout depuis que les Européens ont émigré dans ces contrées. Or, comme ces animaux vivent en communauté, on peut bien supposer que si l’un deux devenait enragé, il en mordrait une dizaine d’autres environ. Ces dix chiens mordus devant être infailliblement atteints* 124 (le l’affection rabienne, au bout d’un temps limité, «à moins d’être tués sur-le-champ, qu’arriverait-il si chacun d’eux en mordait, à son tour, dix autres? Ne suffirait-il pas qu’il surgit deux ou trois cas de rage spontanée, pour que toute l’espèce Canis fût infectée et les populations décimées? A-t-on ja- mais entendu parler de pareils faits? S’ils avaient existé, n’auraient-ils pas eu un retentisse- ment extraordinaire ? Bien que cette maladie soit également très rare chez les animaux qui vi- vent en troupes et à l’état sauvage, elle se mon- tre cependant quelquefois, puisque nous savons que les loups la contractent assez fréquemment. Si elle pouvait se transmettre indéfiniment, nous n’aurions plus, depuis longtemps, à nous préoccu- per de l’existence de ces animaux, et des ravages qu’ils commettent. Outre ces raisonnements, il existe des faits nom- breux et authentiques, qui viennent à l’appui de cette opinion. Ils ont été recueillis, il y a une tren_ laine d’années, par le docteur Capello et le pro- fesseur Bader, et il est regrettable qu’ils soient res- tés ensevelis dans l’oubli. Nous allons en donner le résumé succinct : Un chien affecté de rage spontanée, mordit un jeune homme et un bœuf. Ce dernier animal ayant contracté la maladie au bout de trois jours, mordit, à son tour, un grand nombre d’animaux de son es- pèce et même d’espèces différentes, sans qu’aucun d’eux n éprouvât le moindre symptôme rabique. Le 125 jeune homme étant devenu enragé, on inocula sa bave à un petit chien qui continua à vivre dans un état de parfaite santé. Le chien d’un bouvier fut atteint de rage spon- tanée. Avant de le tuer, on recueillit une certaine quantité de salive qui fut inoculée à un chat et au même petit chien précité. Six jours après, ce der" nier devient triste, refusa les alimens et les boissons, et succomba, assailli par tous les symptômes de la rage. La salive du même chien fut inoculée, à l’aide d’un grand nombre d’incisions, à un autre animal de son espèce, à qui on donna la liberté, après l’avoir enfermé pendant sept mois, aucun symptô- me rabifique ne s’étant manifesté. Chez le chat dont nous avons parlé précédem- ment, la rage se développa trente-quatre jours après l’inoculation, et l’intensité de la maladie fut telle, que la mort survint le deuxième jour. La bave de cet animal fut inoculée à un autre chat qui surveillé pendant six mois, ne présenta aucun symptôme suspect. Un chien devenu enragé spontanément ,e,n mor- dit deux autres. L’un d’eux fut tué immédiate- ment, et l’autre ayant été atteint de tous les symp- tôme de la maladie, mordit trois ou quatre femmes, sans qu’aucune d’elles n’eut contracté l’affection rabienne. Un chasseur accompagné de son chien, en ayant aperçu un autre qui, après avoir assailli et 126 mordu le sien, se dirigeait sur lui, avec, les yeux brillans, le regard féroce et une bave écumeuseà la gueule, le tua d’un coup de fusil. Le chien blesse contracta la maladie trente-huit jours après , et avant de mourir, il mordit a son tour quatre ani- maux de son espèce ainsi que deux cnfans. Ni ces deux en fans, ni ces quatre chiens n’éprouvèrent d’accidents. On vérifia peu de jours après, que celui qui avait été tué d’un coup de fusil, et qui apparte- nait à un jardinier du voisinage, était devenu enragé spontanément aucune trace de blessure n’existant sur son corps. Un individu avait deux chiens. L’un d’eux mord son camarade, sort de la maison, et va mourir avec tous les sympômes rabéiques, dans un en- droit écarté, où l’on constata qu'il n’avait été bles- sé par aucun autre animal, et que par conséquent il avait été frappé de rage spontanée. Le proprié- taire prévenu de cette circonstance, se met sur ses gardes, sachant bien que son second chien était exposé à contracter la maladie, ce qui arriva, en effet, au bout de cinquante-un jours. Bien qu’attaché, il rompt ses chaînes, fait plusieurs blessures à la femme de ménage et au domestique, sort dans la rue. mord plusieurs femmes , un homme et une petite fille, ainsi que 3 ou 4 animaux de son espèce. Aucune de ces person- nes ni de ces animaux ne furent attaqués de la rage. Un chien devenu enragé spontanément, en mordit d’abord un autre de grande taille, puis, le 127 domestique dont il était le compagnon inséparables* et qui périt bientôt, victime de la maladie. Quel- ques jours après l’événement, un lapin qui avait vécu avec le chien de la maison, mordit une fem- me, ainsi que les jambes et le derrière d’un cheval. Ni la femme, ni le cheval n’éprouvèrent le moindre symptôme; et cependant le lapin était bien enragé, car une bave écumeuse lui sortait de la bouche, et ayant été retrouvé mort dans un coin, on constata sur son corps, deux blessures, dont l’une n’était pas encore cicatrisée. Le chien de grande taille cité dans l’observation précédente, devint enragé quelques jours après, et mordit, à son tour, plusieurs animaux de son es- pèce, et plusieurs personnes; mais aucun symptô- me rabique ne se manifesta. Dans le journal médico-chirurgical de Flagini, le professeur Bader raconte que son propre chien de- venu enragé spontanément, en blessa plusieurs autres qui contractèrent la maladie, mais que ces derniers ne la communiquèrent pas aux autres chiens qu’ils mordirent. D’après ces faits bien avérés, la propriété conta- gieuse se perdrait donc à la deuxième reproduc- tion du mal, c’est-à-dire que la rage cesserait d’ê- tre transmissible au deuxième degré. Ce qui porte encore à le croire, c’est qu’il parait que les symp- tômes précurseurs de cette maladie sont bien plus intenses, et éclatent plus brusquement chez les ani- maux frappés spontanément que chez ceux qui sont 128 atteints par communication. Un chien frappé de rage spontanée est plus désobéissant, plus hai- neux et plus méchant que celui à qui cette maladie a été transmise. Ses accès de fureur sont plus terribles, et son horreur de la société plus pro- noncée. Aussi ne le voit-on presque jamais dans les lieux habités. Il erre dans la campagne et re- cherche les endroits les plus retirés. Cette théorie est donc aussi bien appuyée par le raisonnement que parles faits, et malgré sa vrai- semblance, Bérard, Denonvilliers et Le Cœur sont les seuls auteurs modernes qui y ajoutent foi. Tous les autres n’en font même pas mention. Cependant elle aide puissamment à expliquer ou à confirmer la plupart des faits. Ainsi, on comprend facilement, à présent, pourquoi les expériences d’inoculation qui ont été faites, n’ont pu être couronnées de suc- cès, qu’autant que les expérimentateurs se sont servis de la salive d’animaux atteints spontanément. On comprend encore bien mieux pourquoi tous les animaux, hors ceux des espèces Canis et Félix, ne peuvent communiquer la maladie, puisqu’ils n’en sont jamais atteints qu’au deuxième degré. Il est donc inutile d’invoquer la forme de leurs dents et la disposition de leurs mâchoires, argument illogi- que, comme nous l’avons déjà prouvé, puisque le cheval, aussi bien que l’homme, peuvent faire des morsures sanglantes, profondes, étendues, èt dans lesquelles la bave pourrait pénétrer et être absor- bée. On s’explique, enfin, comment la sueur, l'ha- 129 leine et la liqueur séminale des personnes enra- gées, est incapable de transmettre la contagion, leurs morsures même ne produisant aucun résul- tat fâcheux. On peut en dire tout autant, relati- vement au lait des herbivores, ces animaux n’étant jamais atteints que par communication. Mais en serait-il de même du sang? Les faits que nous avons relatés, nous engagent fortement à nous prononcer pour l’affirmative. Cependant, sur ce point seulement, le doute est permis, car on pourrait objecter que la plupart des inocu- lations et des ouvertures cadavériques qui ont été pratiquées, avaient pour objet des herbivores, ou bien des animaux appartenant à la race canis, mais atteints au deuxième degré, c’est-à-dire affec- tés de rage communiquée. La même innocuité se rencontrerait-elle si on inoculait le sang d’un ani- mal frappé spontanément ? Nous le croyons. Ce- pendant en face d’un danger aussi sérieux, il serait imprudent de l’affirmer, et de 11e pas conseiller aux médecins et aux vétérinaires de prendre quel- ques précautions, lorsqu’ils font l’autopsie d’ani- maux qui ont succombé à la rage spontanée. Cette théorie de la spontanéité, nous suggère en- core une autre remarque, c’est qu’elle explique parfaitement pourquoi il est arrivé si fréquemment que des morsures graves faites par des animaux enragés, n’ont été suivies d’aucun résultat fâcheux, même lorsque les blessés n’ont employé aucune précaution pour neutraliser l’effet du virus. On peut 130 fort bien supposer que ces animaux étaient affectés par communication et non pas spontanément. Elle explique encore tous ces prétendus succès que l’on a attribués à tant de remèdes différens. On comprend, enfin, pourquoi la plupart des auteurs sont plongés dans l’erreur en croyant qu’une cau- térisation tardive doit toujours être tentée, par- cequ’elle est censée avoir réussi quelquefois à con- jurer la maladie, bien qu’employée dix, vingt et même trente jours après l’accident. Afin d’expli- quer comment la guérison est possible, tant que la maladie n’a pas éclaté, ils se sont basés sur la longue durée de l’incubation, et la lenteur présu- mée de l’absorption du virus. Mais il est bien per- mis de penserque tout ces succès ont été illusoires, et qu’on avait affaire à des morsures faites par des animaux atteints de rage communiquée. On peut encore se demander, par la même raison, si la cautérisation a jamais été réellement efficace, lors- qu’elle a été pratiquée une heure ou deux après l’accident, comme cela est arrivé presque toujours. Ces reflexions sont bien faites pour engager à ne pas perdre un seul instant, lorsqu’il s’agit de pré- venir l’absorption du virus. Le Cœur a supposé aussi la possibilité d’une ré- sorption spermatique. Bien qu'il n’ait consacré quequelques lignes à une idée si intéressante, sans la développer, et sans même faire mention de l’ab- sence des vésicules séminales, nous sommes heureux qu’il se soit rencontré avec nous sur ce point, car 131 nous espérons que cette idée, appuyée par les ar- gumens qui lui manquaient, et que nous avons ex- posés po.ur en faire ressortir la vraisemblance, atti- rera, cette fois, l’attention d’une manière sérieuse. Mais nous cessons d’être en communion de pensées avec lui, à l’égard des femelles qu’il croit incapables de pouvoir contracter la rage spontané- ment, bien qu'il admette, cependant, la théorie de la spontanéité, ce qui devient une contradiction manifeste. En effet, il existe dans la science, un certain nombre de faits bien authentiques qui prouvent que la maladie a été communiquée assez souvent par des morsures de femelles enragées. Or, si elles l’avaient contractée par transmis- sion, elles devaient être inaptes à la communi- quer elles-mêmes. Parmi ces faits, nous allons nous borner à citer les suivants. Louve enragé ayant mordu plusieurs personnes qui ont succombé à la maladie ( Mémoires de la société Royale de .médecine, observation 14e (lrfl section). Louve hydrophobe ayant mordu vingt personnes, dont sept sont mortes de rage. (Mém. de la Soc. Roy. de Med. Obs. 18J. (lre Section). Louve enragée ayant mordu plusieurs personnes dont une seule a été frappée de la maladie. {Mém. de la Soc. Roy. Méd. (3e section). Louve atteinte d’affection rabienne, ayant blessé plusieurs personnes dont deux sont mortes de la ra_ ge. {Mém. de la Soc. Roy. de Med. {A-section). 132 Louve enragée ayant mordu huit personnes, dont sept ont succombé à la suite de la même af- tection. (Mém. de la Soc. Roy. de Méd. (4 -section) (Cette observation est rapportée par le Dr. Bouret), Vingt-trois personnes ont été blessées par une louve. Treize sont mortes de la rage, dans l’inter- valle de quelques mois, ainsi que plusieurs vaches assaillies par le même animal. Les personnes qui ont succombé, avaient été mordues immédiate- ment sur la peau, et les autres ont été garanties par leurs vêtements qui ont, sans doute, intercepté la bave. (iObservations cliniques sur la rage). (Ce fait est également relaté par Willermé et Trolliet, dans le dict. des sc. méd.) Comment expliquerons-nous alors la cause productrice de la rage chez les femelles? Toutes les affections contagieuses qui affectent l’espèce hu- maine ou les diverses races d’animaux, sévissent aussi bien sur les femelles que sur les mâles. La nymphomanie chez la femme, correspond au saty- riasis chez l’homme. Il est donc tout naturel qifelles puissent être frappées de la maladie, par cela même qu’elles appartiennent aux races Canis et Relis, et pour être conséquent avec ce que nous avons dit: que rien n’existe de rien, nous pensons qu’il peut s’opérer, chez elles, une résorp- tion des liquides contenus dans les vésicules de l’ovaire, ou des fluides sécrétés par les cryptes mu- queux de l’utérus et du vagin. 133 Ce qui donne un peu de vraisemblance h cette supposition, c’est que plusieurs physiologistes ont découvert dans l’ovaire de la femme, des vésicules qui se remplissent et se vident, et ont admis que leur plénitude fait naître la passion, et constitue le siège du besoin générateur, de même que chez l’homme, il réside dans la plénitude des vésicules séminales. Valisnieri cite l’observation d’une jeune fille qui mourut vierge, dans un accès de nympho- manie hystérique. et il trouva, sur l’un des ovaires, une vésicule bien saillante et bien distendue. D’au- tres pensent que le besoin dépend de la résorption du fluide sécrété par les cryptes muqueux de l’uté- rus et du vagin, et que l’arrêt de ce fluide provo- que le désir génésique. Ils se fondent sur ce que le coït produit une évacuation muqueuse abondante, qui amène à sa suite la satisfaction des désirs qui s’éteignent pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’une nouvelle sécrétion ait rempli les cryptes. Les femelles des animaux doivent probablement posséder aussi des vésicules dans l’ovaire, puisque, de même que chez la femme, elles ont, dans l’uté- rus et le vagin, des cryptes muqueux qui sécrè- tent des fluides particuliers en très grande abon- dance, surtout pendant l’époque du rut. Ne peut- on ne pas supposer que ces fluides sont ré- sorbés ? Dans ce cas, après avoir été charriés par le sang, rassemblés et résumés par le sys- tème des glandes salivaires, ils constitueraient, de 134 même que le sperme, chez l’homme, lesélémens du virus rabique. Inspirés par le vif désir d’élucider la question principale, nous n’avons voulu négliger aucune des idées accessoires qui pouvaient s’y rattacher, et auxquelles nous ne donnons de l’importance qu’autant qu’elles peuvent servir à mettre sur la trace de la vérité. L’essentiel pour nous était de développer notre opinion à l’aide d’argumente sé- rieux, et de prouver d’une manière évidente, que la privation des plaisirs vénériens, est l'unique cause de la rage. Mais, que le virus rabique naisse par suite des désordes spéciaux que cette privation pro- voque dans l’organisme, et dont l’action intime dé- passe les bornes de l’intelligence humaine, ou bien que les élémcns en soient fournis par la résorption du sperme chez les mâles et celle des fluides muqueux chez les femelles, l’idée mère n'en cesse pas moins de surnager avec son auréole de vérité. Cependant, comme il est utile de savoir si la théorie de la spontanéité est vraie ou fausse; et de s’assurer en outre , si les femelles peuvent con- tracter la rage spontanément, oui ou non, nous allons indiquer les expérimentations qu’il est facile de faire pour résoudre ces problèmes. Elles seront appelées, en même temps, à confirmer par l’ex- périence, l’idée principale qui domine dans cette œuvre. 135 Il ressort de toutes ces appréciations, que la rage est bien due à la privation de la fonction généra- trice, que l’absence des vésicules séminales, cliez les animaux des races ccinis et felis, peut bien ne pas y être étrangère, et peut-être aussi la résorp- tion du sperme chez les mâles, et celle des fluides muqueux chez les femelles. L’influence des saisons, les époques éloignées du rut, l’absence complète, ou du moins l’extrême ra- reté de cette maladie, dans les contrées où ces animaux vivant à l’état sauvage ou en pleine li- berté , peuvent satisfaire leur appétit vénérien, sont des circonstances qui militent en faveur de notre opinion. Elle se trouve corroborée par la fréquence de cette affection chez les nations civi- lisées, féquence qui est en raison directe de l’es- clavage auquel ils sont soumis. Action des propriétaires sur les chiens, dispro- portion sexuelle, mesures de police qui entrainent la privation de la liberté, et par suite, l’impos- sibilité, pour un certain nombre, d’accomplir l’acte